liberation_20131127_27-11-2013

MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
WWW.LIBERATION.FR
I
AVEC CE NUMÉRO, LE SUPPLÉMENT Paris
I
• 1,60 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO10121
MOMES
LE PARIS DES ENFANTS DE 0 A 12 ANS
Un hiver
qui pétille
N°89 décembre 2013-janvier 2014.
Supplément gratuit à Libération du 27 novembre 2013. Ne peut être vendu séparément.
Gratuit. A donner surtout aux parents.
Le plus
vieux
débat
du monde
Pénaliser le client? La loi qui arrive
devant l’Assemblée nationale
divise tous les partis.
PAGES 2­5
Lucien
Neuwirth,
celui par qui la
pilule arriva
Gaulliste et féministe, cet ancien
résistant, mort hier, arracha en 1967
la légalisation de la contraception orale.
PAGE 17
CINEMA
JAMES GRAY
MAGNIFIE MARION
COTILLARD DANS
«THE IMMIGRANT»
CAHIER CENTRAL
ANNE JOYCE
Extrait de la série «les Filles», Paris, 2011. PHOTO ALIX AURORE, CHLOË SCHNEIDER
Prostitution
Nouveau plan
social chez
les militaires
Si elle sanctuarise le budget de la
défense pour les deux ans à venir, la
loi de programmation prévoit encore
la suppression de 24000 postes.
PAGES 10­11
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,30 €, Andorre 1,60 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,70 €, Canada 4,50 $, Danemark 27 Kr, DOM 2,40 €, Espagne 2,30 €, Etats­Unis 5 $, Finlande 2,70 €, Grande­Bretagne 1,80 £, Grèce 2,70 €,
Irlande 2,40 €, Israël 20 ILS, Italie 2,30 €, Luxembourg 1,70 €, Maroc 17 Dh, Norvège 27 Kr, Pays­Bas 2,30 €, Portugal (cont.) 2,40 €, Slovénie 2,70 €, Suède 24 Kr, Suisse 3,20 FS, TOM 420 CFP, Tunisie 2,40 DT, Zone CFA 2 000CFA.
2
•
EVENEMENT
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
Ci­contre et
au centre:
Maud Olivier
et Catherine
Coutelle,
rapporteures PS
de la proposition
de loi, hier à
l’Assemblée.
A droite, Guy
Geoffroy, député
UMP, fervent
défenseur
du projet.
La loi prévoyant notamment la pénalisation du client
doit être discutée d’ici vendredi à l’Assemblée,
divisant au-delà du clivage gauche-droite
Prostitution:
querelle de partis
Par ALICE GÉRAUD
Photos BRUNO CHAROY
P
our ou contre la pénalisation des
clients? Le débat a mis le feu aux pages des journaux, suscité des pétitions d’un goût pas toujours heureux.
Mais il aura laissé, paradoxalement, relativement inaudible la classe politique. Celle-là
même qui s’apprête à voter à l’Assemblée nationale la proposition de loi «de
RÉCIT lutte contre le système prostitutionnel» ce soir ou, plus probablement, pour cause d’embouteillage législatif, vendredi. A la demande du groupe Europe
Ecologie-les Verts, le texte sera finalement
soumis à un vote solennel le 4 décembre. Ce
qui obligera chacun à se positionner.
BOUT DES LÈVRES. Annoncée par Najat Vallaud-Belkacem, sitôt arrivée au ministère des
Droits des femmes, cette réforme devait être
portée par le gouvernement. Las. Sentant le
potentiel polémique du sujet, celui-ci a préféré laisser le bébé aux soins des parlementaires. Deux députées PS, Maud Olivier et Ca-
L’ESSENTIEL
LE CONTEXTE
La loi pénalisant les clients des
prostitués divise familles politiques,
associations et intellectuels.
L’ENJEU
Ce texte peut­il mettre fin à
l’exploitation des femmes et hommes
faisant commerce de leur corps ?
therine Coutelle, ont rédigé au pas de charge,
la proposition de loi. Malgré les efforts de la
ministre pour défendre publiquement une
réforme qu’elle compare «à l’abolition de l’esclavage» et tenter de convaincre en privé ses
propres rangs de la nécessité de se positionner «pour», l’élan n’y est pas. Et, si la loi est
votée, ce qui est probable, ce sera du bout des
lèvres. Avec des voix contre et des abstentions dans tous les groupes politiques.
A droite, l’UMP dispose d’un fervent défen-
seur de la loi en la personne de Guy Geoffroy.
Coauteur du rapport parlementaire de 2011
sur la prostitution, ce député aura du mal à
convaincre ses collègues de voter un texte qui
annule une mesure phare de Nicolas Sarkozy:
le délit de racolage passif. L’autre volet, la pénalisation du client ne fait pas non plus franchement l’unanimité dans les rangs de
l’UMP. Comme le reconnaît Guy Geoffroy,
«le sujet est dérangeant car les vieux schémas,
comme l’idée que la prostitution restera le plus
vieux métier du monde ou qu’elle est nécessaire,
sont encore présents». Lors du vote, le groupe
UMP annoncera donc «des positions diverses». Ainsi un Eric Ciotti votera «pour»
quand un Bernard Debré se veut réservé.
A gauche, les plus sceptiques sont indiscutablement les Verts. Hier, lors de leur réunion
de groupe, une très large majorité s’est dégagée contre la proposition de loi. Seule l’élue
de l’Essonne Eva Sas s’est clairement prononcée en faveur du texte (comme Jean-Vincent Placé au Sénat). Sergio Coronado, député des Français de l’étranger, a tenu la
semaine dernière une réunion à l’Assemblée
en compagnie des plus fervents opposants à
cette loi que sont les travailleurs du sexe revendiquant la prostitution choisie. François
de Rugy, président du groupe écologiste,
considère que le PS a «tout fait pour que ce
texte ne fasse pas l’objet du véritable débat qu’il
méritait». «On veut résumer les positions à un
camp contre un autre, les contre qui seraient
complices des réseaux mafieux et les autres,
c’est un peu juste», ajoute de Rugy. Le groupe
communiste devrait, lui, voter pour.
«VIEUX SCHNOCKS». Chez les socialistes, le
sujet est très sensible. Détail qui en dit long:
il y a deux ans, avant de déposer la proposition de loi en tant que président du groupe
PS, Bruno Leroux était encore opposé à la pénalisation du client. «Il fait partie des parlementaires qui ont entendu nos arguments», explique aujourd’hui Maud Olivier, rapporteure
du texte. Elle se dit «très confiante» sur le
vote la semaine prochaine, mais reconnaît
avoir dû affronter, au PS aussi, «l’idée que la
prostitution était nécessaire à la société». Une
députée PS raconte: «Il y a des désaccords très
profonds. C’est un sujet assez générationnel.
Ceux qui sont contre la pénalisation du client
c’est quand même les vieux schnocks.» Elle, ne
donne pas cher de la peau du texte au Sénat.
Seule une députée PS a officiellement fait
part de son désaccord, la présidente de la
commission des affaires sociales, Catherine
Lemorton, dans une tribune à Mediapart. Elle
ne veut plus s’exprimer depuis.
De son côté, le gouvernement n’aura pas
beaucoup aidé le texte. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, relayant la parole des policiers chargés de la lutte contre le proxénétisme, a fait état de ses réserves quant à
l’abrogation du délit de racolage passif. Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et
de la Santé, s’est, elle, interrogée sur la pénalisation des clients : «Le fait de pousser les
prostituées à ne pas apparaître ne leur fait-il
pas prendre un risque accru en matière de
santé?» Najat Vallaud-Belkacem espérait que
ce texte dépasse les clivages politiques. De ce
point de vue, c’est réussi. Mais pas toujours
dans le bon sens. •
•
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
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ÉDITORIAL
Par FRANÇOIS SERGENT
Inégalité
REPÈRES
20 000 personnes ? 40 000 per­
sonnes ? Il est impossible de
mettre un chiffre précis sur
le nombre de prostitués en
France, parce qu’une grande partie
reste invisible et vulnérable der­
rière les écrans d’Internet, les
rideaux des bars à hôtesses et des
salons de massages, les portes des
appartements où se déroule
la prostitution occasionnelle, étu­
diante…
«Sous prétexte de lutter
contre les réseaux, c’est
la prostitution qu’on veut
anéantir. L’Etat n’a pas
à légiférer sur l’activité
sexuelle des individus, à
dire ce qui est bien ou mal.»
Elisabeth Badinter
2
Pénaliser le client,
il n’y a pas que ça…
es défenseurs de la proposition de loi sur
la prostitution tentent contre vents et débats d’expliquer que le texte «ne se réduit
pas à la pénalisation du client» et que, comme
l’indique son intitulé, il s’agit plus largement
de «lutter contre le système prostitutionnel». De
fait, le texte que s’apprêtent à examiner les
députés s’articule autour de quatre volets :
le renforcement des moyens de lutte contre le
proxénétisme et les réseaux, l’aide à la «sortie
de la prostitution», l’abrogation du délit de racolage passif et, donc, la pénalisation du
client. «Tous ces volets n’ont pas de sens pris
indépendamment les uns des autres», souligne
la députée PS Maud Olivier, l’une des deux coauteures du texte de loi.
L
Quels moyens pour lutter
contre le proxénétisme ?
C’est, en milliards d’euros par an,
ce que la prostitution rapporte
«aux mafias européennes»,
selon le ministère de l’Intérieur.
•
Le texte vise, entre autres, une meilleure protection
des prostituées étrangères et un parcours d’insertion.
SUR LIBÉRATION.FR
Profil Catherine Coutelle, prési­
dente PS de la délégation aux
droits des femmes, dans notre
série «Les députés de l’an II».
La France est déjà l’un des pays qui disposent
des outils juridiques les plus aiguisés contre le
proxénétisme, en ayant adopté une définition
très très large de ce délit –voir l’affaire DSK au
Carlton. Le nouveau texte prévoit cependant
quelques dispositions supplémentaires,
comme le fait de pouvoir fermer les sites internet de prostitution hébergés à l’étranger.
Quid de la protection des prostituées
et aides à la sortie de la prostitution ?
La proposition prévoit une meilleure protection des prostituées, notamment pour les
étrangères, avec un titre de séjour de six mois
renouvelable et la possibilité de bénéficier de
l’allocation temporaire d’attente (ATA),
de 336 euros mensuels. Une aide «conditionnée» à la sortie de la prostitution très critiquée
sur le principe moral qu’elle impose et sur son
montant peu incitatif. Le texte prévoit aussi la
mise en place d’un parcours d’insertion, qui
serait financé par des saisies de biens des
proxénètes.
Le délit de racolage passif
sera­t­il abrogé ?
Créé en 2003 par Nicolas Sarkozy, à l’époque
ministre de l’Intérieur, ce délit a surtout servi
à faire la chasse aux sans-papiers, et a poussé
nombre de prostituées à la clandestinité. Très
peu sont aujourd’hui poursuivies pour ce délit
difficile à qualifier juridiquement. Mais il reste
défendu par les policiers en charge de lutter
contre le proxénétisme, qui s’en servent
comme «hameçon» pour pouvoir entendre les
prostituées afin de remonter les filières.
Comment sera pénalisé le client ?
Le texte interdit l’achat de tout acte sexuel, infraction qui sera sanctionnée d’une amende de
1500 euros (3000 en cas de récidive). L’idée est
inspirée du système suédois. Il reste cependant
difficile à appliquer en France, car l’infraction
va être dans les faits compliquée à constater
pour les policiers. Les partisans de ce dispositif
s’en défendent d’une pirouette en expliquant
que cette mesure est avant tout à vocation de
principe et pédagogique. Ainsi, le client se
verra proposer un stage de sensibilisation à
la réalité de la prostitution.
A.Gd
«Posons d’abord que
le corps humain n’est pas
à vendre et soyons
pragmatiques ensuite»,
comme le dit la philosophe
Sylviane Agacinski, qui
défend la proposition de loi
sur la pénalisation des
clients de prostituées.
On pourra objecter que
le droit et la morale ne font
pas nécessairement bon
ménage. Libertins et
libertaires ont beau jeu de
défendre le droit d’adultes
consentants à faire usage
de leur corps. Les désirs
et la vie privée
n’appartiennent pas
aux législateurs et
aux professeurs de droit.
Mais, s’agit-il réellement
de l’intime lorsque l’on
sait que l’immense
majorité des prostituées
sont des étrangères sans
papiers, victimes de
passeurs et maquereaux ?
Qui peut encore fantasmer
sur la liberté de la femme
de vendre sa peau comme
le romantise le film d’Ozon
Jeune & jolie ? Quoi qu’en
disent les défenseurs les
plus éclairés des amours
tarifés, y compris mâles,
cette profession est
essentiellement féminine ;
et cette inégalité construit
et renforce l’inégalité entre
les sexes. Plus sérieuses
sont les objections des
associations qui défendent
les prostituées et des
prostituées elles-mêmes,
pour qui toute loi
répressive ne fait
qu’accroître l’isolement
des «travailleuses du
sexe» et la dangerosité de
leur activité. L’Etat doit-il,
pour autant, laisser faire
et valider cette forme
d’exploitation ? On peut,
bien sûr, ricaner à l’idée
de réformer et éduquer
les clients comme
les chauffards et les
alcooliques. Cette loi
n’abolira pas la
prostitution mais, au
moins, elle donne le signe
que la représentation
nationale condamne
cet asservissement.
4
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LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
EVENEMENT
Trois hommes ayant fréquenté des prostitués ont raconté leurs motivations.
«Pense-t-on que certains “clients”
souffrent de ne pas être aimés?»
D
ans le débat actuel sur la prostitution, il de tomber amoureux, car les garçons que j’ai
existe, pour le moment, de grands ab- rencontrés m’ont souvent touché. Certes, il y
sents : les clients. Pas les personnalités a une situation facile et de domination, puisque
qui signent des pétitions, mais les anonymes. l’un a le pouvoir (l’argent) et l’autre pas, mais
Coupables par avance, ils se cachent. Sur Libe- les choses ne sont pas toujours carrées. Penration.fr, nous avons lancé un apdant un long moment, je ne faisais
pel à témoignages pour pouvoir
TÉMOIGNAGES que discuter avec eux, ce qui les
leur parler, comprendre poursurprenait. Quelque fois, du sexe.
quoi ils fréquentent des prostitués. Nous avons Toujours un peu frustrant. Car, et j’ai mis longreçu une vingtaine de réponses, presque que temps à le comprendre, je recherchais de l’afdes hommes, sauf une femme. Tous ont de- fection masculine, voire de l’amour. Et bien
mandé à être anonymes, certains ne souhaitant évidemment, ça ne peut pas venir de cette famême pas parler au téléphone (nous n’avons çon. On critique souvent la prostitution et les
alors pas gardé leurs commentaires). Agés clients, mais pense-t-on que certains “clients”
de 25 et 60 ans, ils ont des expériences diffé- souffrent de ne pas être aimés, de ne pas trourentes, même si la plupart appartiennent à la ver la bonne personne, et se réfugient dans une
classe moyenne et supérieure. Frustration, in- solution peut-être facile mais qui leur apporte
capacité ou peur du râteau, refus de la compé- au moins un peu de confort ?»
tition, les arguments utilisés sont souvent les
Fabrice, 33 ans
mêmes. Certains pointent aussi une crainte
ingénieur
d’une perte supposée de virilité, comme si les
femmes étaient en train de leur enlever leurs «J’ai eu deux aventures avec des prostituées.
dernières libertés, voire privilèges. Les trois té- La première fois après avoir été racolé en Asie.
moignages ci-dessous, et d’autres, sont à re- Je l’ai suivi dans un endroit où elle a effectué
trouver en version longue sur Liberation.fr.
une fellation avec préservatif. Bien qu’elle fût
physiquement attirante, ce fut un moment
Marc, 54 ans
aussi peu excitant que si je me faisais examiner
chercheur
les parties intimes par un médecin, à cause de
«J’ai eu recours à des rapports payants avec des sa manière mécanique et expéditive de procégarçons pendant trente ans. J’étais bisexuel, der. La seconde fois, il s’agissait d’une escortmarié, et échaudé par mes premières expérien- girl. Après avoir payé le tarif négocié et être allé
ces avec des hommes. Avoir recours à quel- avec elle dans une salle privée d’un night-club,
qu’un que l’on paye permet de choisir le parte- elle m’a fait comprendre qu’il fallait payer pour
naire, le moment, de décider de ce que l’on fait. espérer plus. J’ai finalement passé une heure
Ça n’empêche pas de respecter l’autre, voire (très agréable) avec elle à me faire sagement
masser et rien de plus. Les deux fois, j’étais célibataire, insatisfait. Je n’ai pas de réticences
d’ordre moral tant que la femme a choisi ellemême de se prostituer. La seconde fois, avec
l’escort-girl, des gens tournaient autour de notre pièce, j’ai senti qu’elle était surveillée,
c’était angoissant pour elle, et pour moi.»
Alex, 55 ans
cadre de la fonction publique
«J’ai été marié deux fois, mais à chaque fois ma
sexualité était assez pauvre. Aujourd’hui, je me
retrouve seul, avec beaucoup de frustrations.
Le manque d’activité sexuelle bien sûr, mais
aussi le manque de tendresse, de la chaleur des
bras d’une femme. Petit, moche et désargenté,
et de surcroît devenant vieux, je ne compte pas
vraiment sur le hasard pour changer la situation. La première fois que j’ai rencontré une
escort, j’étais très timide et stressé, il y avait
tellement longtemps que je n’avais plus fait
l’amour que je ne m’en croyais plus capable.
Avec elle, je me suis rendu compte que finalement c’était facile. Cette pratique sexuelle me
fait tout simplement du bien. Elle me redonne
le moral. Après un rendez-vous, j’ai la pêche
durant une semaine, j’ai le sentiment à nouveau d’appartenir au monde normal, celui
constitué d’hommes et de femmes qui vivent
une sexualité épanouie. Si on interdit l’accès
aux escorts, quel sera le sort des laissés-pourcompte de la tendresse qui se comptent en dizaines, voire en centaines de milliers dans notre pays ?»
Un défilé pour l’abolition de la prostitution
Recueilli par QUENTIN GIRARD
Lucie Sabau, d’«Osez le féminisme», explique les clichés qui fausse le débat:
«En tant qu’abolitionnistes,
la morale ne nous intéresse pas»
L
féministes traditionnelles n’ont pas les
mêmes moyens de se
faire entendre que les
lobbys pro-prostitution : on fait moins de
bruit sur la Toile, on
n’est pas soutenu par
les clients qui ont de l’argent. Ces
lobbys pro-prostitution ont aussi
tuyauté des associations de lutte
contre les maladies sexuellement
transmissibles, et bénéficient de
leur appui financier.
En tant que responsable du groupe
«éducation aux sexualités» d’OLF,
quelle vision défendez-vous?
Le premier enjeu du combat contre le système prostitueur est de
rendre possible la libération des
sexualités des femmes. L’autre est
de lutter efficacement contre le
viol, soit les rapports sexuels non
désirés dont la prostitution fait
partie. Je refuse de compartimenter les femmes des réseaux, les indépendantes et celles qui passent
par Internet. Il s’agit d’un contiDR
ucie Sabau est militante à
Osez le féminisme (OLF)
et sympathisante du Nid,
une association d’aide aux prostituées.
Pourquoi les abolitionnistes sontils peu audibles dans les médias?
D’une part, les survivantes de la
prostitution qui acceptent de témoigner à visage découvert sont
rares. Parmi elles, Rosen Hicher
et la Britannique Rebecca Mott
sont devenues de vraies militantes. Pour parler de prostitution,
l’image choisie est toujours une
paire de jambes ou une poitrine,
une femme morcelée. Il y a une
subjectivité patriarcale qui structure le choix des images, d’autant
que les médias sont encore dirigés
par des hommes blancs de plus de
50 ans. D’autre part, le traitement
médiatique de l’abolitionnisme est
emblématique d’un état de fait :
les analyses des associations féministes ne sont relayées dans les
médias que depuis quelques décennies. Et puis, les associations
nuum de violences patriarcales exercé par les
clients.
Pourquoi avez-vous du
mal à convaincre les
parlementaires?
Le collectif Abolition 2012 et les Jeunes
pour l’abolition ont envoyé une
documentation aux députés, convaincu la délégation aux droits des
femmes du Sénat. Mais les parlementaires sont très occupés. Du
coup, ils appréhendent la question
avec leur bain culturel, encore fait
de clichés : la traite des femmes
d’un côté, l’image d’Epinal de la
prostitution indépendante de
l’autre. Je ne leur jette pas la
pierre, c’est compliqué d’adopter,
en si peu de temps, une analyse qui
va à rebours de ce en quoi on croit.
Que pensez-vous du Manifeste des
343 salauds publié dans Causeur?
Les signataires représentent une
minorité d’hommes qui tiennent
à exercer leur privilège de dominants, soit 12% à 15% de la popu-
lation française, selon l’estimation
du Nid. Nous avons été choquées
par le Manifeste: ils ne défendent
absolument pas les filles, n’ont pas
d’empathie pour elles. Ils ne s’engagent pas contre les violences
faites aux femmes.
On vous taxe de moralistes, qu’en
pensez-vous?
Il faut arrêter de reprocher au Nid
d’avoir été cofondé par un curé
de gauche. C’est un mouvement
laïque, féministe, qui accompagne
5 000 personnes prostituées par
an. Pour moi, les moralistes sont
les résignés persuadés que la prostitution a toujours existé.
En tant qu’abolitionnistes, la morale ne nous intéresse pas, l’éradication des inégalités, oui. A OLF,
nous voulons éviter qu’on fasse
croire aux petites filles que leur
désir a un prix, qu’elles soient
embarquées dans un carcan fermé
d’objet de désir. Nous voulons que
le champ des possibles leur soit
ouvert.
Recueilli par LÉA LEJEUNE
Manif de prostituées, l’an dernier à Lyon, contre
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
EVENEMENT
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5
Très contestée, la loi de 2002 sur la prostitution pourrait avoir vécu.
La libéralisation n’a plus
les faveurs de l’Allemagne
N
samedi à Paris. PHOTO BRUNO CHAROY
ulle part en Europe la législation
sur la prostitution n’est aussi libérale qu’en Allemagne. Mais
peut-être plus pour longtemps. Dans le
cadre des négociations en vue de former
un gouvernement, la CDU et le SPD entendent encadrer plus strictement la
pratique du sexe tarifé pour remédier
aux excès liés à la loi libérale de 2002.
Petit retour en arrière: depuis trois ans
au sein du gouvernement Schröder, les
sociaux-démocrates et les Verts entreprennent en 2001 de légaliser la prostitution. Le pas est censé permettre aux
«travailleuses du sexe» de poursuivre
en justice un client mauvais payeur et
de cotiser aux caisses retraite et maladie
comme les autres salariés.
Gigantesques. Douze ans plus tard, le
bilan de la libéralisation est plutôt contesté. La loi, assurent ses détracteurs, a
ouvert les vannes à de nombreux abus
et aurait manqué ses objectifs. Seuls
44 prostitués (dont 40 femmes) sont officiellement enregistrés comme travailleurs du sexe auprès des organismes
sociaux, alors que le chiffre d’affaires est
estimé à 14,6 milliards d’euros par an.
De nouvelles formes de maisons closes
ont fleuri un peu partout en République
fédérale: des établissements gigantesques, comptant plusieurs dizaines de
prostituées, ouverts 24 heures sur 24 et
offrant, côte à côte, activités de «bienêtre» et sexe «à volonté». Ces établissements sont peu contrôlés: il est devenu
difficile aux policiers, comme aux services sanitaires, de mener des visites ino-
pinées. La santé et la sécurité des prostituées se seraient détériorées. Et si, selon
la police fédérale, le nombre de cas recensés de trafics d’êtres humains est en
baisse (811 en 2002 contre 432 en 2011),
ce ne serait pas dû à un recul de la prostitution forcée, mais à la diminution du
nombre des contrôles depuis 2002.
En bord d’autoroute à deux pas du palais des Congrès de Berlin, Artemis est
la version haut de gamme de ces maisons closes d’un genre nouveau, connue de tous les taxis de la ville et ventant ses mérites à coups de pubs sur les
culs de bus. Les femmes y travaillant
sont présentées sur la page web de
l’établissement. Les clients sont appelés
fait, sous la pression de la misère ou ont
été victimes de violences sexuelles dans
leur enfance, ce qui a détruit leur estime
d’elle-même», assure Alice Schwarzer.
Papesse du féminisme allemand, la fondatrice du magazine Emma mène depuis des années la lutte contre la prostitution. «Avec la loi de 2002,
s’insurge-t-elle, l’Allemagne est devenue
la plaque tournante de la prostitution en
Europe et le paradis du tourisme du sexe.»
Parapluie rouge. 90 personnalités
–dont quelques policiers engagés dans
la lutte contre le trafic des êtres humains – ont signé début novembre la
pétition lancée par Emma pour la révision de la loi sur la prostitution, réclamant la pénalisation des
Seules 44 personnes sont enregistrées clients sur le modèle suéEn fin de semaine
comme «travailleurs du sexe», alors dois.
dernière, Alice Schwarzer
que le chiffre d’affaires du secteur est présentait à Berlin son
estimé à 14,6 milliards d’euros par an. ouvrage, Prostitution, un
scandale allemand, relanà laisser leurs commentaires sur les çant le débat. Face à elle, une dizaine de
prestations. Plus au sud, près de l’aéro- prostituées, armées d’un parapluie
port, un établissement d’aspect miteux rouge, devenu l’insigne de la défense du
propose un tarif unique pour «autant de libéralisme face à l’abolitionnisme. «Les
passes que tu peux». Comme partout féministes […] nous croient incapables de
dans le pays, les femmes présentées sur parler pour nous-mêmes, s’offusque Unles sites de ces bordels ont un type dine de Rivière, porte-parole de l’Union
méditerranéen.
professionnelle des fournisseurs de serDe 70% à 80% des 400000 prostituées vices sexuels et érotiques. Le désir de
en Allemagne seraient originaires de contrôle de la sexualité et de la prostitution
Bulgarie et de Roumanie. «90% d’entre a toujours été plus grand, et il est difficile
elles travaillent contre leur gré, dans des de faire sortir ça de la tête des gens.»
conditions parfois épouvantables. Celles
De notre correspondante à Berlin
qui disent être volontaires agissent, en
NATHALIE VERSIEUX
« Un texte magnifique, dans lequel
l’amour exulte. » Valérie Trierweiler, Paris Match
« Un combat pour que le mot “handicap”
devienne un mot de la normalité.
Revigorant. » André Rollin, Le Canard enchaîné
« Deux voix pour dire l’effroi et l’amour. »
Patricia Gandin, Elle
Photo © Julien Falsimagne
la pénalisation du client. PHOTO SÉBASTIEN EROME. SIGNATURES
6
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MONDE
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
Lundi, à Kiev. Le mouvement de contestation contre le président Viktor Ianoukovitch s’étend à d’autres régions du pays, notamment à Lviv, dans l’ouest. PHOTO GENIA SAVILOV. AFP
Moscouaucentredujeu
entreKievetBruxelles
Le «non» de l’Ukraine à l’accord qu’elle devait signer demain
avec l’UE pourrait s’expliquer par des pressions de la Russie.
Par HÉLÈNE DESPIC­POPOVIC
M
anifestations et contremanifestations, les plus
importantes depuis
la révolution orange
de 2004, se poursuivent à Kiev
pour la troisième journée consécutive (lire ci-contre) : le «non» de
Kiev à l’accord d’association qu’il
devait signer demain avec l’Union
européenne n’en finit plus de faire
des vagues. Mais est-ce un «non»
définitif et un «oui» à l’Union
douanière eurasienne, que Moscou
–qui a joué de toutes ses armes, du
chantage à la séduction – ne peut
réellement mettre en place de façon
crédible sans la participation de ce
grand voisin? Il est sans doute trop plomates européens auraient voulu
tôt pour le dire, car dans ce «mé- lui donner. Alors que l’Arménie a
nage à trois» l’Ukraine, un pays de déjà cédé aux pressions russes,
45,6 millions d’habitants,
que la Moldavie est à son
géographiquement coincé
ANALYSE tour sous le feu de Mosentre l’Est et l’Ouest, n’a
cou, les Européens savent
réellement qu’une seule solution que, sans l’Ukraine, ce Partenariat
gagnante: un jeu de bascule destiné oriental réduit à la seule Géorgie,
à faire monter les enchères.
qui paraphera à Vilnius son propre
L’UE ne s’y trompe pas. Lundi, elle accord d’association, paraît aussi
a encore rappelé que l’accord était peu crédible que ne le serait une
«toujours sur la table». Mais ne Union douanière eurasienne dirigée
compte plus renverser la vapeur par Moscou avec la seule participaavant le sommet sur le Partenariat tion du Kazakhstan et de la Biélooriental, qui s’ouvre demain à Vil- russie. Reste à voir si le président
nius, capitale de la Lituanie. Ce Viktor Ianoukovitch, qui a fait casommet, auquel assistera le prési- poter l’accord parce qu’il n’entend
dent ukrainien, n’aura donc pas pas libérer sa rivale à la présidenl’importance historique que les di- tielle de 2010, l’ancienne Première
ministre Ioulia Timochenko –ni lui
permettre de se faire soigner à
l’étranger –, réussira à obtenir de
l’UE qu’elle cesse d’exiger ce
transfert à l’étranger comme
condition préalable à la signature
de l’accord.
RÉTIVE. La partie russe avait, dès le
départ, mis la barre assez haut. Le
choix de l’UE est un «acte suicidaire» pour l’Ukraine, n’avait pas
hésité à dire Sergueï Glaziev, le
conseiller économique de Vladimir
Poutine, un président suffisamment
inquiet pour rencontrer plusieurs
fois, en quelques mois, son homologue ukrainien. Et d’enchaîner les
mesures: interdiction des chocolats
Roshen, considérés comme un
danger sanitaire, puis contrôle accru des marchandises classées «à
risque» et des camions ukrainiens
à la frontière russe. Puis sont venues les mises en garde: si la Russie
prenait des mesures pour protéger
son marché d’une inondation de
produits bon marché arrivés d’Europe, l’Ukraine, en difficulté de
trésorerie et sans perspective d’accord rapide avec le FMI, serait acculée à la faillite. Le déficit commercial de Kiev, avertissait-on à
Moscou, s’accroîtrait d’au moins
1 milliard d’euros si l’Ukraine rejoignait l’accord de libre-échange
avec l’UE. Finalement, après l’avoir
menacée, la Russie a commencé à
caresser sa rétive voisine: pourquoi
ne pas reparler des prix du gaz, à la
baisse bien sûr, faisait-on savoir
à Moscou.
Le prix du gaz russe pèse lourdement sur l’Ukraine, qui le paye
430 dollars les 1000 mètres cubes,
soit plus cher que ce que versent
l’Allemagne ou la Pologne (autour
de 390), et bien plus que le prix
d’ami consenti à la Biélorussie, allié
loyal et membre sûr de l’Union
douanière (160). Ce prix pourrait
passer à 260 pour l’Ukraine, avaient
estimé le mois dernier les responsables du géant gazier russe Gazprom.
Est-ce l’argument qui a détourné
l’Ukraine de l’Europe? Il n’y a «pas
d’accord précis» sur la révision des
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
REPÈRES
RUSSIE
POL
Kiev
Lviv
UKRAINE
O
ROUMANIE
LD
ÉNERGIVORE. De ce prix du gaz dépend la métallurgie ukrainienne, la
deuxième d’Europe et la dixième du
monde, un secteur énergivore, qui
fabrique un acier de qualité très
moyenne qu’elle ne peut vendre
qu’à l’Est. Un tiers du commerce
extérieur se fait avec la Russie, le
Kazakhstan et la Biélorussie, soit
autant qu’avec l’UE. Les secteurs
concernés sont, de plus, situés dans
les régions de l’est du pays, frontalier de la Russie, qui est aussi là où
vivent les russophones, qui sont
souvent les électeurs de Ianoukovitch. Le Président doit compter sur
ces 40% d’Ukrainiens qui veulent
des liens étroits avec la Russie.
Les pro-européens sont plus souvent des électeurs de l’opposition,
vivant plutôt à l’ouest qu’à l’est du
pays, et travaillant dans les secteurs
les plus modernes. C’est sciemment
que la Russie s’en est d’abord pris
aux chocolats Roshen, propriété de
l’oligarque Petro Porochenko, qui
fut ministre des Affaires étrangères
d’un gouvernement issu de la révolution orange (2009-2010), puis
ministre de l’Economie du gouvernement Azarov (2012), et infatigable partisan de l’UE. Tiraillée entre
ses deux voisins, l’Ukraine, qui a à
peine commencé à diversifier ses
sources d’énergie, s’est pour le moment donnée au plus offrant: «Dès
qu’on atteindra [dans les négociations
avec l’UE] un niveau qui correspondra à nos intérêts, nous pourrons parler de la signature» de l’accord, a
proposé, hier soir, le président
ukrainien. •
300 km
BIÉLORUSSIE
M
Le volume des échanges commer­
ciaux entre la Russie et l’Ukraine a
chuté de 25% depuis janvier. Le gou­
vernement ukrainien accumule les dif­
ficultés: suite à son refus de mettre en
œuvre les réformes réclamées par le
FMI, le versement de la dernière tran­
che d’un prêt a été suspendu en 2011.
En mars, le Fonds a envoyé une nou­
velle mission dans le pays.
prix du gaz russe, a affirmé hier le
Premier ministre ukrainien, Mykola
Azarov, confirmant que la Russie
avait «proposé de reporter la signature et d’entamer des négociations».
7
MONDE
Mer
Noire
«L’Ukraine ne veut
pas être un champ
de bataille entre
la Russie et l’Union
européenne.»
Le Premier ministre ukrainien
Mykola Azarov, proche du
Président Ianoukovitch, hier à Kiev
•
7
7
ans de prison, c’est la peine
que purge Ioulia Timochenko,
l’ex­égérie de la révolution
orange, dont le Parlement a
refusé le transfert à l’étranger.
Les étudiants pro-européens qui manifestent s’inspirent de la révolution de 2004.
Des cortèges bleus au parfum orange
«O
n va rester jusqu’au bout.
Il ne s’agit pas de quelques nuits dans le froid,
mais bien de ce qu’on va faire de notre vie !» Le sourire béat, Taras,
jeune étudiant à l’université Chevtchenko de Kiev, agite avec ferveur un drapeau géant bleu étoilé,
exhibant le trident, symbole national ukrainien, en son centre. La
scène a un air de déjà-vu sur Maidan Nezalezhnosti, la place de
l’indépendance, lieu emblématique de la révolution orange
de 2004. Au sixième jour de
«l’Euromaidan», cette mobilisation citoyenne en faveur d’une intégration à l’Europe, les étudiants
de plusieurs universités se sont mis
en grève. Et ils appellent, via les
réseaux sociaux, à un mouvement
national dès aujourd’hui. Nombre
d’entre eux ont déjà passé les dernières nuits sur la place. «La police
nous bouscule de temps en temps,
soi-disant pour installer un marché
de Noël, mais on s’accroche.» Dans
la foule, un slogan se répète en
boucle, «Ukraine unie, Ukraine
avec l’Europe». Non loin de là,
d’autres agitent une pancarte :
«Ukrainiens, unissez-vous, mais
pas avec les Russes !»
Des participants affluent d’autres
régions d’Ukraine, tandis que les
occupations citoyennes se multiplient à travers le pays. A Lviv,
dans l’ouest, malgré une neige
précoce, la mobilisation réunit
quotidiennement des milliers de
personnes, avec la bénédiction du
LES FINALISTES
ème
Prix
du Livre
Européen
Remise des prix le 4 décembre 2013
à 18h au Parlement européen à Bruxelles
01 44 88 36 72. [email protected]
maire, Andriy Sadovy (indépendant des partis politiques).
«On s’organise. On a de la nourriture, on a des couvertures, de la musique. J’étais trop petite pendant la
révolution orange de 2004, mais ça
correspond bien à ce qu’on m’en a
raconté», décrit, enthousiaste, Halyna, qui dit passer «de plus en plus
de temps» sur la place de l’indépendance. Et le tout dans le calme
et la bonne humeur, malgré quelques échauffourées épisodiques.
place de l’Europe, un autre foyer
de la contestation, est officiellement occupée par les trois principaux partis de l’opposition unie.
Les militants y ont réussi à installer des tentes, des stands de nourriture ou encore des podiums.
«Nous ne sommes pas divisés par
rapport à Maidan», assure Lev, un
jeune militant du parti Oudar du
boxeur Vitali Klitschko, l’étoile
montante de l’opposition ukrainienne. «Mais sans soutien politique, on n’arrivera pas à
faire suffisamment pres«Je vous demande de lever
sion sur le gouverneune vague sans précédent
ment pour qu’il signe
de mobilisation.»
l’accord d’association.»
Ioulia Timochenko opposante incarcérée
Pourtant le temps
dans une lettre aux manifestants
presse. Le troisième
sommet du Partenariat
Lundi, des centaines de manifes- oriental s’ouvre demain. Le présitants ont ainsi affronté 500 offi- dent, Viktor Ianoukovitch, devrait
ciers des forces spéciales «Berkut» s’y rendre, pour «y mener des conpour s’emparer d’un camion con- sultations trilatérales avec l’UE et la
tenant une grande quantité de ma- Russie», selon le Premier ministre,
tériel d’écoute téléphonique. Mykola Azarov. Lors d’une conféL’échec des autorités à reprendre rence de presse, ce dernier a conle véhicule et à évacuer les en- fessé, hier, qu’il avait gelé la sidroits occupés illustreraient une gnature de l’accord d’association
faiblesse et des dissensions inter- à la «demande de la Russie», affirnes assez profondes.
mant qu’il ne s’agissait pas d’un
Boxeur. La mobilisation se veut «ultimatum». Une manière de se
non partisane. «Le mouvement ci- dédouaner, alors que le gouvernevique de l’Euromaidan a aboli le mo- ment a louvoyé pendant des senopole des partis d’opposition à pro- maines avant de rejeter les conditester», écrit le blogueur populaire tions de Bruxelles, notamment le
Viktor Litovchenko, pour qui c’est transfert médical de Ioulia Timojustement cela qui lui donne une chenko vers l’Allemagne.
chance de succès. A quelques cen- L’ex-Première ministre, pro-eurotaines de mètres de Maidan, la péenne convaincue, a commencé
ESSAIS
sa troisième grève de la faim depuis son incarcération en 2011. Et
appelé à un mouvement de plus
grande ampleur : «Je vous demande, mes chers concitoyens,
d’augmenter chaque jour nos forces
sur les places du pays. Je vous demande de lever une vague sans précédent de mobilisation, pour que la
mafia autoritaire de Ianoukovitch ne
puisse empêcher notre retour historique dans notre vraie famille» européenne.
«Sacrifices». «Bien sûr, les Européens ont mal joué. Bien sûr, les
Russes ont fait pression. Mais la décision de ne pas signer l’accord
montre surtout que Viktor Ianoukovitch ne pense à rien d’autre qu’à se
maintenir au pouvoir», explique
Dmytro Galkin, rédacteur en chef
des Chroniques des affaires étrangères. La solution est donc dans les
seules mains du gouvernement.
«Evidemment, la signature de l’accord va se décider au plus haut niveau, ce n’est pas de notre ressort,
admet Vitali, jeune étudiant sur
Maidan Nezalezhnosti. Mais nous
devons rester ici. L’Ukraine est un
pays européen, c’est incontestable.
Mais il faut faire des sacrifices pour
se rapprocher des normes et des conditions de vie de l’UE. Il faut le mériter.» Encouragé par l’approbation
de ses camarades, le sourire aux
lèvres, il se prépare à rester sur
place avec des milliers d’autres
pour la troisième nuit consécutive.
De notre correspondant à Kiev
SÉBASTIEN GOBERT
ROMANS
Non à l’Europe allemande :
vers un printemps européen ?
Ulrich Beck
Allemagne
an englishman
in madrid
Eduardo
mendoza
Espagne
Liquidations
à la grecque
Petros
MARKARIS
Grèce
CES FRANçais fossoyeurs
de l’euro
Arnaud Leparmentier
France
L’enfant
grec
Vassilis
Alexakis
Grèce
la découverte
du monde
Luciana
Castellina
Italie
8
•
MONDE
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
l’indépendance», a annoncé Alex
Salmond, alors qu’il présentait hier
son «livre blanc», un plaidoyer de
670 pages en faveur d’une scission
du Royaume-Uni. Petit clin d’œil
ironique, la date du 24 mars correspond à l’Union des couronnes
(Union of the Crowns), l’accession
de Jacques VI, roi d’Ecosse, au trône
d’Angleterre, après la mort sans
héritier de la reine Elisabeth Ire. Ce
jour consacrait l’union des deux
royaumes sous une même bannière
et préfigurait la création par deux
lois, en 1706 et 1707, de la GrandeBretagne !
Ce livre blanc en cinq parties et dix
chapitres se veut donc le portrait
exhaustif ou presque d’une Ecosse
indépendante. «L’avenir de l’Ecosse
est désormais entre les mains des
Ecossais», a expliqué avec emphase
Alex Salmond, lors d’une conférence de presse à Glasgow. Les
Ecossais sont en effet les seuls à être
appelés à voter lors de ce référendum. Les plaisantins disent souvent
que si les Anglais avaient participé
au scrutin, ils auraient à coup sûr
voté en faveur d’un départ des
Ecossais du Royaume-Uni.
saises, sur les rives de la rivière
Dee. Pour Alex Salmond, 58 ans, ce
référendum sera l’aboutissement
du combat d’une vie. Il avait déjà
participé aux négociations qui,
en 1997, sous l’impulsion de Tony
Blair, avaient conduit à la «dévolution», un statut semi-autonome
pour l’Ecosse, le pays de Galles et
l’Irlande du Nord, dotés de Parlements élus. L’Ecosse dispose déjà
de larges prérogatives en termes
d’éducation (universités gratuites,
contrairement au reste du
royaume), d’environnement, de
santé et de justice. Mais, pour Alex
Salmond, ce n’est pas suffisant.
«Un oui au référendum signifiera que
la plupart des décisions importantes
concernant notre économie et notre
société seront prises par les gens à
qui l’Ecosse tient le plus à cœur», at-il martelé.
En publiant un livre blanc et en
fixant la date de l’indépendance du
pays, le Premier ministre écossais,
Alex Salmond, a lancé la campagne
pour le référendum de septembre.
Ne
ss
Lo
ch
L’Ecosse A
souveraine,
l’idéefaitkilt
Héb
rid
es
TOURNOI. Pour les partisans du
«non», qui ne sont véritablement
entrés en campagne qu’il y a quelques semaines, une partition du
Royaume-Uni serait une «folie».
Du coup, les trois partis principaux
du pays, conservateur, libéral-démocrate et travailliste, font front
Les plaisantins disent que si les
sur le suAnglais avaient participé au scrutin, commun
jet. Il n’est pas exclu
ils auraient voté pour le départ des
qu’au cours des
Ecossais du Royaume-Uni.
prochains mois
le Premier ministre,
En attendant, selon le dernier son- David Cameron, promette l’octroi
dage –et la plupart de ceux réalisés de quelques nouvelles prérogatives
au cours des cinq dernières au Parlement écossais. Histoire de
années – le «non» à l’indépen- couper l’herbe sous le pied des
dance reste toujours largement en partisans du «oui» et d’attirer les
tête. Le sondage réalisé pour le indécis, inquiets de la perspective
Sunday Times et publié dimanche d’un grand saut dans l’inconnu.
donnait ainsi 47% en faveur du non Le livre blanc sur l’indépendance
et 38% en faveur du oui. Mais n’a pourtant pas répondu à une
ce sont les 15% d’indécis qu’Alex question de taille. Que va-t-il arriSalmond espère convaincre avec ver à la victoire en juin d’un joueur
ce livre blanc qui marque, de fait, de tennis britannique au tournoi de
le début de la campagne pour le Wimbledon, pour la première fois
référendum.
en 77 ans ? Andy Murray est écossais. Lorsqu’il perdait, il restait déHYDROCARBURES. L’Ecosse indé- finitivement écossais. Depuis sa
pendante, déjà dotée d’universités victoire à Wimbledon, il est résoluRassemblement d’Ecossais indépendantistes, à Edimbourg, le 21 septembre. PHOTO ANDY BUCHANAN. AFP
prestigieuses, se construirait sur le ment britannique. Mais, en cas
modèle des pays scandinaves, d’indépendance, sa victoire dedépendante de ses importantes viendra-t-elle alors uniquement
Par SONIA DELESALLE­STOLPER ressources naturelles d’hydrocar- écossaise ? •
Correspondante à Londres
bures mais aussi à la pointe des
nouvelles technologies en matière
REPÈRES
lex Salmond a toujours énergétique. Elle deviendrait
eu un sens de l’humour un pays libre de tout arsenal
50 km
particulier. Au Parle- nucléaire. Le programme Trident
ment écossais,
d’armement nucléaire brisous les yeux de ses collèRÉCIT tannique, exclusivement
gues députés résignés, le
stationné en Ecosse, serait
chef du gouvernement semi-auto- démantelé immédiatement après
nome adore entamer les débats par l’indépendance, promet Alex Salla déclamation, en dialecte scot, mond. Parallèlement, le nouvel
Océan
Mer
d’une ode de Robert Burns (1759- Etat rejoindrait ou resterait au sein
Atlantique
du
1796), poète national écossais.
de l’Union européenne – l’interGlasgow
Nord
Et le voilà qui, ceint de l’impor- prétation des lois européennes resEdimbourg
tance historique du référendum sur tant encore un peu floue –, voire
l’indépendance de l’Ecosse qu’il adhérerait à l’Otan. En revanche,
s’apprête à offrir à ses concitoyens pas question, au moins dans un
le 18 septembre 2014, met la char- premier temps, d’abandonner la liÉCOSSE
rue avant les bœufs. Le leader du vre sterling pour rejoindre l’euro.
5,268 millions
Population
parti indépendantiste écossais SNP Même la reine resterait chef de
77 933 km2
Superficie
(Scottish National Party) a en effet l’Etat écossais, ce qui doit l’arranPIB par habitant 26 500 euros*
d’ores et déjà fixé la date de l’indé- ger, dans la mesure où son époux
Taux de chômage
7,9 %
pendance du pays. Et ce, même si est tout de même duc d’Edimbourg
Taux de fécondité
1,75*
les résultats de la consultation res- et que sa résidence de vacances
Population de - de 16 ans 17,2 %
tent plus qu’indécis. Le 24 mars préférée, le château de Balmoral, se
Sources : Eurostat - ONS - chiffres 2012 / *2010
2016 sera donc consacré «jour de dresse au milieu des landes écos-
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
MONDEXPRESSO
L’HISTOIRE
•
9
LES GENS
UN MONASTÈRE
TURC CONVERTI
EN MOSQUÉE
Michel Djotodia, le président centrafricain, à Bangui, hier. PHOTO JOE PENNEY.REUTERS
LaCentrafriqueattend
lestroupesfrançaises
INTERVENTION Paris va envoyer 1000 soldats d’ici à
la mi-décembre dans un pays en proie aux milices.
ette fois, ça y est, le
compte à rebours est
enclenché : après une
montée crescendo depuis
septembre ponctuée de cris
d’alarme sur la détérioration
de la situation en Centrafrique, la France est désormais
clairement sur le pied de
guerre. Près d’un millier
d’hommes devraient être
envoyés d’ici à la mi-décembre dans ce pays enclavé au
cœur de l’Afrique avec pour
mission d’aider à enrayer le
chaos en cours. «Nous le ferons en appui [de la force africaine de 3 600 hommes, en
voie de constitution, ndlr] et
non pas en entrée en premier
comme nous avons pu le faire
au Mali», a précisé hier le
ministre de la Défense, JeanYves Le Drian, qui évoque
«une période brève, de l’ordre
de six mois» pour cette nouvelle opération en terre africaine, en moins d’un an.
Contingent. La Centrafrique est certes un terrain
connu : la France y a fait et
défait les régimes en place
pendant des décennies et il
subsiste encore sur place un
contingent d’un peu plus
de 400 soldats français. Les
renforts, qui seront envoyés
d’ici à la mi-décembre, seront sans doute chargés de
sécuriser la capitale, puis les
deux principaux axes routiers au sud, qui mènent vers
les pays voisins et qui ont été
l’objet de nombreuses attaques ces derniers mois.
Après ? Les troupes françaises s’aventureront-elles dans
C
les profondeurs incontrôlées
de ce vaste pays, grand
comme deux fois la France?
En dehors de Bangui, se déploie un gigantesque
Far West, depuis plusieurs
années abandonné par l’Etat
et soumis à divers groupes
armés. L’agenda sera plus
précis la semaine prochaine,
après l’adoption de la résolution déposée lundi soir par la
France devant le Conseil de
sécurité de l’ONU.
l’a pas été pour des raisons
politiques mais parce que ses
agresseurs voulaient voler sa
voiture». Et d’ajouter : «Citez-moi un nom d’opposant
attaqué, intimidé, ou emprisonné !» En réalité, les autorités actuelles ne voient pas
forcément d’un mauvais œil
une intervention africaine et
française mais elles se méfient, redoutant de se retrouver écartelées à la faveur de
cette opération militaro-humanitaire. Certaines déclarations
«Bangui, la capitale, est
peuvent le laisser
surarmée et les bandits
penser: «les autoen profitent.»
rités de transition
seront remplaUn conseiller du président Djotodia
cées», a ainsi tenu
Mais d’ores et déjà une ques- à souligner hier le ministre
tion s’impose : qui est l’en- de la Défense.
nemi? Les forces rebelles de Caisses vides. Le président
l’ex-Seleka qui ont pris le Michel Djotodia n’est
pouvoir en mars à Bangui d’ailleurs pas invité au somdans un joyeux désordre ? met sur la paix et la sécurité
Officiellement dissous de- organisé à Paris le 6 et 7 dépuis septembre, ces groupes cembre où seul est convié le
armés hétéroclites sont diffi- Premier ministre, déjà en
ciles à cerner. Les troupes place sous Bozizé. «Alors
ont grossi au fur et à mesure qu’on y invite de grands démode la conquête du pays de crates comme le Tchadien
décembre à mars et les re- Idriss Déby ou le Congolais
belles de la dernière heure Sassou-Nguesso», souffle le
n’ont pas été les derniers à conseiller de Djotodia, un
piller la population. «L’an- peu amer. Certes, le nouveau
cien président Bozizé [renversé pouvoir n’a pas fait la preuve
par la Seleka] a distribué des en neuf mois de sa capacité à
armes avant de fuir Bangui. maîtriser la situation. Mais
La ville est surarmée et les dans un pays exsangue, aux
bandits en profitent», se caisses vides, la hiérarchie
plaint un proche conseiller des priorités fixées par les fude Michel Djotodia, l’actuel turs sauveurs de la Centrafriprésident de transition, qui que sera déterminante pour
rappelle que le magistrat as- la suite des événements.
sassiné le 17 novembre «ne
MARIA MALAGARDIS
Un monastère du Ve siècle
en ruines à Istanbul va
redevenir une mosquée
après des travaux de réno­
vation, selon des informa­
tions publiées hier dans
la presse turque. Fondé
en 462, le monastère du
Stoudion était dédié à
Saint Jean­Baptiste. L’édi­
fice, converti en mosquée
en 1453 après la conquête
ottomane, est ensuite
tombé à l’abandon à la
suite de tremblements de
terre. L’annonce de cette
rénovation intervient alors
qu’un projet de conversion
de la célèbre basilique
Sainte­Sophie en lieu de
culte musulman fait actuel­
lement polémique. Il y a
dix jours, le porte­parole
du gouvernement islamo­
conservateur Bülent Arinç
avait dit espérer que cette
conversion se réalise.
Ces déclarations intervien­
nent dans un contexte
tendu où l’AKP, le parti
au pouvoir, est accusé de
vouloir islamiser le pays.
HONDURAS : LE CANDIDAT HERNANDEZ
VAINQUEUR D’UN SCRUTIN CONTESTÉ
Juan Orlando Hernandez, le candidat de droite à la prési­
dentielle du Honduras, a été déclaré vainqueur d’un scru­
tin contesté. Depuis dimanche, Hernandez et sa rivale de
gauche, Xiomara Castro –femme de l’ancien président
Manuel Zelaya, renversé par un coup d’Etat militaire
en 2009–, proclament tous les deux leur victoire. Lundi
soir, le Tribunal électoral suprême a déclaré «irréversible»
la victoire du candidat de droite (au pouvoir), obtenant
34,08% des suffrages contre 28,92% pour Xiomara Castro
après le dépouillement de 67% des bulletins. L’opposition
refuse de reconnaître ces résultats et invoque une «série
d’irrégularités». Petit pays pauvre aux institutions fragiles,
le Honduras concentre le plus fort taux d’homicides au
monde (85,5 pour 100000 habitants en 2012). PHOTO AP
•
SUR LIBERATION.FR
Thaïlande Bangkok étranglé par ses contradictions.
Analyse.
10
•
FRANCE
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
Le texte spécifiant
les moyens alloués à
la grande muette
pour la période
2014-2019 est
examiné à
l’Assemblée. Il
prévoit la suppression
de 24000 postes.
Par ALAIN AUFFRAY
et THOMAS HOFNUNG
L
es députés ont entamé, hier, l’examen du projet de loi relatif à la loi de
programmation militaire (LPM) pour
la période 2014-2019. Suscitant l’inquiétude dans les milieux militaires et sévèrement critiqué par la droite, ce texte traduit sur le plan budgétaire les orientations
stratégiques du livre blanc de 2012.
QUEL MODÈLE POUR L’ARMÉE
À L’HORIZON 2020 ?
Autonomies stratégique et financière sont les
deux faces d’une même médaille, celle de la
souveraineté nationale : tel est le credo défendu par l’exécutif. Après la définition des
menaces et des priorités stratégiques de la
France dans un nouveau livre blanc, concocté
l’an dernier, Paris le met en musique à travers
une nouvelle loi de programmation militaire
(LPM) placée sous forte contrainte financière.
Par souci d’économies, la prochaine LPM
poursuit la réduction des effectifs. La précédente avait acté la disparition de 54000 postes (10000 restent encore à supprimer), celle-ci en prévoit encore 24 000. Malgré cette
déflation continue, la France disposera
en 2020 de 242 000 personnels, dont
187 000 militaires. Soit la «première armée
d’Europe», assurait hier au Figaro le ministre
de la Défense, Jean-Yves Le Drian.
Ce nouveau «plan social», selon les termes
d’un bon connaisseur des milieux militaires,
n’en suscite pas moins de fortes inquiétudes,
principalement au sein de l’armée de terre,
qui va devoir encaisser après les municipales
la dissolution de nouveaux régiments, après
celle, déjà annoncée, du 4e régiment de dragons de Carpiagne, près de Marseille. Tout en
maintenant les missions principales de l’armée (protection du territoire, capacité de
projection et dissuasion), la LPM revoit à la
baisse le «contrat opérationnel» : au lieu de
30000 hommes jusqu’ici, l’armée devra pouvoir projeter 15000 soldats en opérations extérieures. Mais, insiste le ministère, les
grands programmes d’équipement (avions
ravitailleurs, avions de transport et frégates
multimission) sont maintenus. Et l’accent est
mis sur le renseignement, la cyberdéfense et
l’augmentation des effectifs des forces spéciales pour faire face aux nouvelles menaces.
Au finale: une armée moins nombreuse, mais
dotée de moyens technologiques plus modernes. Mais pour quelles missions? «On pourra
refaire le Mali, mais de moins en moins peser loin
de chez nous, comme en Afghanistan», résume
une source proche du dossier.
Des modules de lancement terrestre Aster 30 de l’escadron de défense sol­air Tursan, basé à Mont­de­Marsan, lors de la préparation du défilé militaire
Loideprogrammation
militaire:l’arméevers
larationcongrue
QUELLES GARANTIES FINANCIÈRES POUR de 2016, permettrait de tenir cet objectif.
L’APPLICATION DE LA FUTURE LPM ?
Mais la prudence reste de mise. La future
Jean-Yves Le Drian assure qu’elle préservera LPM prévoit un «effort de défense» chiffré
la «cohérence» de l’outil militaire en étant à 190 milliards d’euros sur cinq ans, dont
intégralement appliquée. Ce qui n’a pas été 6 milliards de recettes dites «exceptionnelle cas sous les mandatures préles», liées à la vente de biens imcédentes, provoquant des reDÉCRYPTAGE mobiliers, de fréquences herttards à répétition dans la livraiziennes aux opérateurs de
son des matériels attendus impatiemment téléphonie mobile et, vraisemblablement, à
par les forces armées. Arrachée de haute lutte la cession de capitaux d’entreprises publiface à Bercy, la sanctuarisation du budget dé- ques. Par ailleurs, l’application dans son infense pour les deux ans à venir – à 31,4 mil- tégralité de la LPM reposera sur l’exportation
liards d’euros, soit 1,5% du PIB –, suivie de matériels permettant de prendre le relais
théoriquement par une légère hausse à partir de la commande publique. C’est le cas du Ra-
fale qui, jusqu’ici, n’a jamais trouvé preneur
à l’étranger. Jean-Yves Le Drian se dit persuadé que les contrats en cours de finalisation, notamment avec l’Inde, permettront de
relever ce défi à partir de 2016. Tout en reconnaissant, dans la Tribune, que «si une brique est absente, c’est l’ensemble de l’édifice qui
tombe». La bagarre avec Bercy ne fait que
commencer.
SUR QUELS POINTS PORTENT
LES CRITIQUES DE LA DROITE ?
Pour l’opposition, l’heure est si grave que
c’est l’ex-Premier ministre François Fillon
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
FRANCE
•
11
Le système Louvois, truffé de bugs, a nourri la grogne
des militaires ces dernières années. Il sera remplacé.
REPÈRES
L’augmentation des effectifs des
forces spéciales d’un millier
d’hommes et des moyens accrus
pour la cyberdéfense et le rensei­
gnement sont notamment prévus
dans la loi de programmation mili­
taire (LPM) pour 2014­2019.
Un programme d’acquisition
de 12 drones de fabrication améri­
caine, dont manque cruellement
l’armée française, est notamment
inclus.
Projet15:Mise en page 1 26/11/13 15:50 Page1
«La France a et gardera
en 2020 la première
armée d’Europe, y
compris en effectifs. […]
La programmation
militaire est équilibrée,
ambitieuse et rigoureuse.
La France doit être au
rendez-vous des menaces
de demain et disposer
de l’armée capable d’y
faire face.»
Jean­Yves Le Drian ministre de la
Défense, hier dans le Figaro
du 14 juillet, à Paris.
Charte Graphique :
`
Pas de césure dans l’encart
187000
PHOTO MARC CHAUMEIL
qui devait défendre hier la motion de rejet
c’est, selon le ministère de la
préalable contre ce texte. Selon lui, il plongeDéfense, le nombre de militaires
rait la France dans le «déclassement» stratéque comptera l’armée en 2019,
gique. En sacrifiant la défense, le gouvernealors que 34000 postes doivent
ment aurait cédé à la facilité : «La rigueur
être supprimés d’ici là. Le nombre
budgétaire ne porte en définitive que sur ceux
de personnels de défense sera au
Neutraface Display Light
dont on est assuré qu’ils ne s’en plaindront
total de 242000 personnes au
Corps
24(sur deux lignes) (18/20sur
lignes) – Noir
pas», assure Fillon, soulignant que le
gouvermêmetrois
horizon.
nement débauche 34 000 soldats alors qu’il
recrute 60000 enseignants. Non content de
«La loi qui nous est
s’en prendre à ceux qui «ne démolissent aucun
portique et ne discutent aucun ordre», le Presoumise
dégrade,
Suite
accroche
:Neutraface
Display
Medium
mier ministre socialiste est accusé de n’avoir
de
manière
inconnue
corps 24
pas le courage d’assumer ses décisions
encouleur
ca- noir
jusqu’alors, la situation de
chant sa copie avant les municipales.
la défense. […] Ce projet
A l’inverse, Fillon estime qu’il avait, lui, joué
carte sur table en précisant quelles unités deloi […] accompagne le
Titling
Neutraface Displayde
40
vaient disparaître dans le cadre de la révision
déclin
militaire de la
50%noir
cyan
100%
:
couleur
corps14
générale des politiques publiques. En sabrant
au total à gagnerFrance d’une série
dans l’équipement conventionnel,DVD
le gouverDisplay Boldd’arbitrages mal pensés.»
Neutraface
nement socialiste porterait atteinte
à la crécouleur noir
corps 12condibilité de l’outil militaire, notamment
François Fillon
cernant la capacité à conduire des
hier à l’Assemblée nationale
«opérations extérieures». Et Fillon de constater qu’en 2014, les dépenses militaires
recevoir un DVD
Pour
françaises seront inférieures à celles
d’outreDisplay Medium
Rhin. Il y aurait «danger», selon Neutraface
lui, de voir
corps : 12 couleur noir
se défaire «tout l’équilibre de l’après-guerre,
où le rôle politique et militaire de la France contrebalançait la puissance économique
de l’[email protected]
magne». Etrange argument à l’heure
où Police
cer-: Neutraface milliards
Display Bold d’euros, c’est le mon­
Mail libé :
tains dirigeants de l’UMP plaident,
tant du budget de la défense que
couleur noir
corps : 12après
cinquante ans d’amitié franco-allemande,
le gouvernement s’est engagé à
• adresse«sanctuariser» pour les deux
pour une fédération entre les deux
pays. votre
précisez
Lire aussi en page 21 (rubrique Rebonds).
années qui viennent.
Neutraface Display Medium
Le logiciel de paie
renvoyé dans ses foyers
«U
n désastre», «une nements générés par Lou- ressources humaines, qui était
catastrophe» : cela vois, vont devoir continuer celle du ministère avant l’alfait des mois que le leur labeur de Sisyphe. Le ternance», assure ce responministre de la Défense, Jean- ministère de la Défense ne sable. Jadis répartie entre le
Yves Le Drian, dénonce la fournit pas d’estimation pré- ministère et l’état-major, la
faillite du système informa- cise, mais la facture de ce gestion des «RH» a depuis
tisé de versement des soldes fiasco se montera à plusieurs été regroupée sous l’égide du
militaires baptisé Louvois millions d’euros.
premier.
(Logiciel unique à vocation A qui la faute? Dans un souci Moratoire. Aux erreurs de
interarmées de la solde). De- de loyauté républicaine, conception informatique
puis sa mise en place en 2011, Jean-Yves Le Drian se refuse s’est ajoutée une prise de déce logiciel fou provoque des à désigner les responsables. cision politique hâtive sous le
bugs en cascade. «Un vérita- Peut-être, aussi, parce que précédent quinquennat.
ble scandale, confient en ce «désastre» résulte d’une Louvois a été étendu proprivé des officiers. Dans série d’erreurs à différents gressivement de la marine à
n’importe quelle autre admi- échelons. Certains observa- l’armée de terre, alors qu’il
nistration, cela aurait été la ré- teurs ont pointé la société n’avait pas fait ses preuves.
volution !» Mais pas dans la de services informatiques Arrivé aux affaires, Le Drian
«grande muette», statut Steria, par ailleurs membre avait décrété un moratoire
oblige. Durant la campagne
sur son extenprésidentielle de 2012, les «Dans n’importe quelle autre
sion à l’armée
épouses de militaires déde l’air.
administration,
cela
aurait
été
ployés sur le front en AfghaL’annonce hier
la
révolution!»
nistan avaient toutefois made son abannifesté publiquement leur Un officier
don n’est sans
colère. Un geste inédit.
doute pas forSisyphe. Après avoir de- du groupement Ecomouv, tuite. Elle coïncide avec le
mandé un audit interne, le chargé de collecter l’écotaxe. début à l’Assemblée de l’exaministre a tranché, annon- Interrogée par l’AFP, celle-ci men de la loi de programmaçant hier sur Europe 1 rétorque qu’elle n’a pas «dé- tion militaire pour la période
l’abandon de ce système. veloppé le calculateur de soldes 2014-2019 (lire ci-contre).
Une décision de principe, car qui fait problème».
Or les problèmes liés au paieLouvois va continuer de sévir «La responsabilité appartient ment des soldes ont aiguisé le
pendant des mois, le temps au ministère de la Défense», malaise du monde militaire,
qu’un dispositif alternatif reconnaît-on dans l’entou- confronté à des baisses de
puisse être /mis
en service.122x111
rage de-Jean-Yves
EXEMPLE
Format:
quadriLe Drian. crédits et des suppressions de
Dans l’intervalle, les centai- Le système Louvois a été postes à répétition. Le minisnes de «soldiers» embau- d’abord conçu en interne. tre détaillera début décembre
chés par le ministère de la «Cet échec illustre la mauvaise son plan de rechange devant
Défense pour corriger au gouvernance, en l’espèce au les militaires.
jour le jour les dysfonction- niveau du département des
T.H.
Découvrez
Tsai Ming-Liang !
31,4
corps 12
INVITATION
Libération, France Culture et la FEMIS vous invitent à découvrir le film de Philippe Garrel. Louis quitte Clotilde avec qui il a eu un enfant pour Claudia. Louis et Claudia font du
théâtre.L'un enchaîne les rôles tandis que l'autre ne joue pas. Claudia aime Louis, mais
elle a peur qu'il la quitte. Un soir, elle fait la rencontre d'un architecte qui lui propose du
travail. Louis aime Claudia, mais maintenant c'est lui qui a peur qu'elle le quitte... Et au milieu, il y a Charlotte, la fille de Louis.
20 invitations pour 2 personnes
à la FEMIS le jeudi 28 novembre à
18h30
Pour recevoir une invitation
adressez votre demande à :
[email protected]
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Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression de vos informations personnelles (art.27 de la loi informatique et libertés). Les informations recueillies
sont destinées exclusivement à Libération et à ses partenaires sauf opposition de votre part en nous retournant un email à l’adresse mentionnée ci-dessus.
12
•
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
FRANCEXPRESSO
L’HISTOIRE
CARNET
RACHIDA DATI ACCUSE GEOFFROY
DIDIER (UMP) DE «RACISME»
«Cette fille aurait dû voler des mobylettes dans la ban­
lieue de Chalon.» Visant Rachida Dati, ces propos de
Geoffroy Didier, chef de file de la Droite forte, rapportés
dans Rachida ne meurt jamais (Ed. du Moment), ont
ulcéré l’eurodéputée. Jugeant hier sur LCP que «cette
phrase n’est pas un dérapage» et s’apparente à «du
racisme», «une infraction pénale», elle a ajouté: «Dès lors
qu’on laisse faire, ça veut dire qu’on banalise. La banalisa­
tion ne vient pas des Français, elle vient de cette élite
politique qui ne supporte pas que certains ou certaines
puissent accéder à des responsabilités.» Et de souligner:
«Moi, je cumule beaucoup de handicaps de ce point de
vue­là.» Sur Twitter, l’accusé Didier a gazouillé: «Stop à
l’intox: je n’ai jamais tenu ces propos rapportés sur
Rachida#Dati. Ni d’ailleurs sur personne d’autre.»
J­3
DécèS
En 2008, Mouna Viprey (à droite) avait co­animé la liste de Voynet (à gauche). PHOTO L. TROUDE
Martine, son épouse,
les familles
Creignou et Azoulai
ainsi que ses amis
ont l'immense tristesse de
vous faire part du décès de
Michel Creignou,
Journaliste
le 23 novembre à l'âge
de 65 ans.
Les obsèques seront célébrées
vendredi 29 novembre à
14h30 à la chapelle de l'Est,
au cimetière du
Père Lachaise.
SouvenirS
Liston Borquez Vega
5 ans déjà
et ton absence est toujours
aussi insupportable
Gilles Loup Labrosse
70 ans like a Rolling Stone
in Paradise.
Louna & Anne
La reproduction
de nos petites annonces
est interdite
Le Carnet
Emilie Rigaudias
0140105245
[email protected]
MUNICIPALES Déçue par la maire de Montreuil,
Mouna Viprey prend la tête de la liste divers gauche.
«Voynetajustefui
ladéfaiteannoncée»
annonce de Dominique Voynet, la maire
écologiste de Montreuil, qu’elle ne briguerait
pas un second mandat – révélée hier dans Libération– a
donné lieu à de vifs échanges
hier à gauche. «On est en politique pour servir, pas pour
avoir des états d’âme», a
épinglé Ségolène Royal. Une
déclaration jugée «indécente» par l’encore secrétaire
national d’Europe Ecologieles Verts, Pascal Durand :
«Dominique Voynet a toujours
démontré son courage.»
Localement, cette décision
rebat les cartes. En 2008,
Mouna Viprey avait été exclue du PS pour avoir coanimé avec Dominique Voynet la liste regroupant des
écologistes, des associatifs et
des socialistes dissidents,
victorieuse contre le maire
sortant, Jean-Pierre Brard
(apparenté PCF ). Avant de
quitter la majorité municipale avec fracas deux ans
plus tard. Elle est cette fois à
la tête de la liste divers gauche «Elire Montreuil».
Avez-vous été surprise que
Voynet jette l’éponge?
C’est une hypothèse qu’on
avait évoquée. On savait
qu’il y avait plusieurs sondages qui la donnaient archibattue. En même temps,
c’est une femme politique
d’envergure qui a été ministre, une battante. Elle ne
peut pas nous dire qu’elle
découvre la dureté de la vie
politique. Elle a juste fui la
défaite annoncée.
L’
Pourquoi la greffe n’a-t-elle
pas pris?
Son bilan est en cause. Plus
sur la forme que sur ce
qu’elle a fait. Elle a massacré
sa majorité. On aurait pu
défendre des projets ensemble. Lorsque nous avions des
divergences, elle pensait
que c’était pour lui nuire.
Elle nous a donc dégagés.
Plus grave que nos bisbilles,
elle n’a pas su gagner la
confiance des Montreuillois.
Elle s’est montrée autoritaire,
dogmatique, cassante. Dans
les conseils de quartiers,
toute personne qui ne faisait
pas allégeance était systématiquement taxée de brardiste.
Elle avait pourtant de l’or entre les mains. Mais elle a fini
par dégrader son pactole en
fédérant contre elle et se retrouve toute nue. Quel gâchis ! Je prends acte de son
retrait, mais je conteste les
raisons qu’elle invoque.
Il y a eu l’affaire du Méliès
avec la plainte de la mairie
contre le directeur de ce cinéma pour «détournement
de fonds publics»…
Sur le Méliès, Voynet s’est
tiré dix balles dans le pied.
Au lieu de mettre en valeur
ce bijou, elle a tout cassé,
porté l’affaire en justice et
licencié. Et s’est mis tout
le monde culturel à dos.
500 personnes ont manifesté
sous la neige devant la mairie
en décembre, elle n’est pas
descendue.
Paradoxalement, son retrait
ne va-t-il pas remettre en
selle Jean-Pierre Brard,
qu’elle désigne comme le
candidat le plus redoutable?
J’ai du mal à penser qu’elle
s’est retirée pour laisser la
voie libre à Brard. Ce qui est
sûr, c’est qu’elle a redonné
du souffle à Brard en s’enfermant dans un match contre
lui. Mais elle l’avait battu. Et
ses propres troupes ne veulent plus de lui.
Comment comptez-vous tirer
votre épingle du jeu?
A Montreuil, la bataille ne se
fait qu’à gauche. C’était une
concurrente dotée de la
prime au sortant. Mais cela
ne change rien à nos engagements. Ma candidature regroupe des gens venus de
différents partis: moi du PS,
d’autres du Front de gauche,
des syndicalistes et des responsables associatifs reconnus à Montreuil. «Elire Montreuil», ce n’est pas juste
55 noms, chaque personne a
un bagage crédible.
A Montreuil, la gauche est divisée. Le député Razzy Hammadi, soutenu par Claude
Bartolone, a-t-il une chance?
Pour l’instant, il n’est que
candidat à la candidature. Ma
candidature est celle qui a le
moins d’adversaires. Depuis
hier, je n’ai que des amis.
Recueilli par
MATTHIEU ÉCOIFFIER
•
SUR
LIBÉRATION.FR
Reportage vidéo Des
Montreuillois réagissent
à l’annonce de Voynet.
29%
d’opinions favorables, c’est la cote de popularité de
François Hollande en novembre, selon un sondage BVA
publié hier, soit trois points de hausse en un mois (son­
dage BVA pour Orange, l’Express, la presse régionale et
France Inter, réalisé par Internet les 21 et 22 novembre
auprès d’un échantillon de 1113 personnes représentatif
de la population française âgée de 18 ans au moins selon
la méthode des quotas).
«Si on me confie cette tâche, je mènerai
cette campagne et le but est de passer
évidemment en tête de la gauche. […]
Mme Le Pen peut passer en tête de la droite.
Vous allez laisser la droite se faire dominer
par l’extrême droite, […] et nous pendant
ce temps-là, à gauche, on irait suivre le
cortège plan-plan de Ayrault et Hollande
[…] qui nous entraînent eux aussi
vers la droite?»
Jean­Luc Mélenchon coprésident du Parti de gauche
et eurodéputé, évoquant hier dans #DirectPolitique
les européennes de mai 2014
L’INVITÉ DE «MARDI POLITIQUE»
CHAQUE SEMAINE À 19H10 SUR RFI, AVEC L’AFP ET «LIBÉRATION»
COPÉ NE SOUTIENDRA
PAS BAYROU POUR
LA MAIRIE DE PAU
Invité de l’émission Mardi Politique sur Radio France Inter­
nationale (RFI) –en partenariat avec Libération et l’AFP–,
le président de l’UMP, Jean­François Copé, a maintenu
que son parti n’apporterait pas son soutien à François
Bayrou, candidat aux élections municipales à Pau. C’est
selon lui une affaire de «cohérence» vis­à­vis du président
du Modem, qui «a contribué à l’élection de François Hol­
lande». Le député­maire de Meaux a par ailleurs estimé
qu’une vague bleue est possible aux municipales en dépit
de sondages peu encourageants pour sa formation. Alors
que le chantier de la réforme fiscale est lancé, Jean­Fran­
çois Copé a déclaré que «le seul sujet est la baisse de la
dépense publique». Pour faire des économies, il a notam­
ment préconisé d’en finir avec les 35 heures ou de fusion­
ner les régions et les départements. PHOTO REUTERS
Retrouvez les principaux extraits de l’émission «Mardi politique»
sur notre site www.liberation.fr
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
FRANCE
•
13
TournantesdeFontenay:lesaccusés
voulaientuneaudiencepublique
Huit hommes comparaissent au procès en appel, accusés de viols collectifs commis
entre 1999 et 2001. Nina, une des parties civiles, a demandé et obtenu le huis clos.
Par ONDINE MILLOT
Photo MARC CHAUMEIL.
DIVERGENCES
U
ne année a passé, et tout
s’est inversé. Des accusés qui autrefois se cachaient, dissimulés sous
des écharpes ou des blousons, on
voit aujourd’hui pour certains le
visage, on entend la parole. Des
parties civiles qui disaient haut et
clair leur souffrance, refusant la
«honte» des victimes, on ne voit ni
n’entend plus rien. L’une est absente. L’autre entre et sort par une
issue dérobée, encadrée par deux
psys et réclame le huis clos. Elle
l’obtiendra – il est «de droit» pour
les victimes d’affaires de mœurs–
et le procès en appel des viols collectifs de Fontenay-sous-Bois (Valde-Marne), qui s’est ouvert hier
devant la cour d’assises d’Evry, se
déroulera donc, comme le premier,
sans public ni presse.
Huit hommes comparaissent jusqu’au 13 décembre pour des «viols
en réunion» entre 1999 et 2001. En
RÉCIT
première instance,
quatorze étaient jugés, et la cour
avait prononcé dix acquittements
et quatre condamnations à des peines allant de trois ans de sursis à un
an ferme. Ce verdict, très en dessous des réquisitions, et déconnecté des récits que les deux jeunes
femmes parties civiles avaient fait
de leurs calvaires, avait provoqué
une somme de réactions choquées.
La ministre des Droits des femmes,
Najat Vallaud-Belkacem, disait son
«émotion», celle de la Santé, Marisol Touraine, son «malaise», tandis
que des associations dénonçaient
un «permis de violer». Et le parquet
avait fini par faire appel.
Tribunal d’Evry, hier. Trois des accusés arrivent à l’audience. En tout, huit personnes sont jugées pour viols en réunion.
hier matin, renoncer. «La peur.
L’angoisse de revivre la violence des
débats de l’an dernier. Le besoin de
se protéger.»
Nina, elle, a toujours voulu ce
deuxième procès. Mais elle a décidé de demander le huis clos,
«pour pouvoir s’exprimer librement,
sans pression», dit son avocate,
Isabelle Duruflé. Une position
compréhensible pour une jeune
«COURAGE». Que s’est-il passé, femme âgée de 16 ans à l’époque
depuis, dans la vie de Nina et des faits, et en état de grande fragid’Aurélie, 30 ans? «Effondrée» par lité depuis (elle a pris 70 kilos,
souffre de troubles déet du som«L’angoisse de revivre la violence pressifs
meil, et a été déclarée
des débats de l’an dernier.
en invalidité à 80%).
Le besoin de se protéger.»
Mais une position qui
donne lieu à une scène
Les avocates d’Aurélie une des victimes, sur
compliquée, au tout
les raisons de son absence au procès en appel
début, encore public,
le verdict qui acquittait les quatre du procès. A la barre, les avocats de
hommes qu’elle dénonçait, Aurélie la défense déclarent que leurs
avait décidé qu’elle n’assisterait clients, pourtant mineurs pour sept
pas à l’appel. «Puis, voyant d’entre eux au moment des faits,
l’audience approcher, elle avait ras- n’ont «rien à cacher», et «souhaisemblé son courage, s’était dit qu’elle tent la présence de la presse pour
viendrait au moins les premiers jours, s’expliquer». L’un des accusés deraconter ce qu’elle a subi», expli- mande la parole : «Nous nous vouquent ses avocates, Clotilde Lepetit lons que tout le monde sache ce qui
et Laure Heinich. Pour finalement, nous est reproché, et pourquoi ça ne
tient pas. La partie civile ne peut pas
s’exprimer dans tous les médias
comme elle l’a fait il y a un an et refuser qu’ils soient là aujourd’hui pour
nous écouter aussi.»
Il y a un an, Nina avait confié à Libération ses souvenirs cauchemardesques des viols et tortures subis.
«Il y en avait qui me tenaient, il y en
avait qui rigolaient, il y en avait qui
étaient là et ne faisaient rien.» Dix,
quinze, parfois jusqu’à vingt garçons «faisant la queue» dans des
caves, des cages d’escalier, pour
faire subir à Nina pénétrations anales, vaginales et fellations à la
chaîne. Six mois durant, quasiment
tous les jours.
REPÈRES
«C’est impossible de
donner une bonne
réponse judiciaire si
longtemps après. Cette
affaire, il fallait s’en
préoccuper à temps.»
18
Clotilde Lepetit et Laure
Heinich avocates d’Aurélie
C’était le nombre d’accusés
initialement retenu par l’ins­
truction. Un s’est suicidé, un a
fui, trois ont été jugés devant
d’autres tribunaux.
w 1999 C’est l’année des pre­
w 2012 Premier procès:
miers viols collectifs
subis par Nina et Aurélie,
selon l’accusation.
w 2005 Nina porte plainte, sui­
vie par Aurélie.
14 hommes sont jugés
à Créteil.
w 2013 Procès en appel: huit
hommes sont jugés devant
la cour d’assises d’Evry.
Devant les policiers chargés de
l’enquête, les accusés s’étaient dénoncés les uns les autres, donnant
des détails incriminants. Au premier procès, ils se sont tous rétractés. Niant avoir violé. Mais admettant, pour certains, des relations
«consenties». Nina et Aurélie, a expliqué l’un d’eux, étaient «les plus
grosses putes de Fontenay». C’est
«volontairement» qu’elles «proposaient» à des garçons inconnus une
sodomie ou une fellation, et cela
juste après avoir subi les pénétrations de dizaines d’autres.
PÈRES. Auditionnée 41 fois par les
enquêteurs, Nina, qui a dénoncé les
faits en 2005, a donné toutes les
précisions qu’elle a pu. Malgré cela,
l’instruction, marquée par les errements, a duré cinq longues années,
et le parquet a pris encore deux ans
pour audiencer l’affaire. Entretemps, la plupart des accusés ont
bâti des vies de bons pères de famille. Face à la souffrance des victimes si longtemps négligée, face à la
vie reconstruite des accusés, le
procès d’Evry interroge sur le sens
d’une réponse pénale treize ans
après les faits. •
14
•
FRANCE
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
Elève de l’école de
commerce lilloise,
Stéphane a été
grièvement blessé
durant le rituel
d’intégration
d’une association
d’étudiants.
Une information
judiciaire a été
ouverte.
Par STÉPHANIE MAURICE
Correspondante à Lille
Photo AIMÉE THIRION
L
a soirée d’intégration s’est
soldée par trois vertèbres
cassées, un traumatisme
crânien, une hémorragie
interne et un pied multifracturé qui
le handicapera à vie: Stéphane(1),
déjà opéré trois fois pour des greffes
osseuses, n’est pas prêt de reprendre ses cours de première année à
l’Edhec, la très cotée école de commerce lilloise. Une information judiciaire vient d’être ouverte pour
«bizutage», un délit depuis 1998. Entrée du campus de l’école de commerce à Croix, dans la banlieue de Lille. Depuis 1998, le bizutage est considéré comme un délit.
Des élèves de deuxième année l’ont
forcé à boire un mélange de pastis,
whisky et vodka, avant de le laisser
cuver dans une chambre quand les
autres sont partis en boîte de nuit.
Il a été retrouvé dans la cour de la
maison où s’est passée la fête, vers
5 heures du matin, «debout, se tenant appuyé», insiste Jules Bloch,
président de l’association étudiante
organisatrice de la fiesta, la Coursecroisière de l’Edhec. «On ne s’est
pas rendu compte de la gravité des
blessures.» Il n’était pas présent au «C’était capital pour Stéphane», il est recruté à la logistique. Les
ne se souvient de rien, il n’a émergé
REPÈRES
moment des faits : «C’est un déra- confie sa mère, Isabelle. «L’associa- neuf bleusailles de son pôle sont
qu’à l’hôpital. Ce qui a le plus chopage des deuxièmes années du pôle tion la Course-croisière de l’Edhec est chargées d’aller acheter de l’alcool.
qué la famille, c’est la volonté
logistique.» Un cas isolé, sur fond extrêmement prestigieuse, la plus an- Dans la liste des courses se trouvent
Ce n’est pas la première
d’étouffer l’affaire : mails envoyés
de grosse bringue : l’Edhec fait cienne avec quarante-cinq ans aussi du ruban adhésif et des bouaffaire de bizutage à Lille:
aux participants, minimisation des
corps avec cette interprétation des d’existence. Elle est la vitrine de teilles d’eau minérale de 50cl. Elles
l’an dernier, lors de la jour­
faits. La première version évoque
faits. Bizutage ? Jamais
l’école.» Et sur le CV, sont vidées, remplies d’un tiers de
née d’intégration à la fac de
une soirée privée trop alcoolisée,
entendu parler. Le promédecine, un jeu par équi­
car il ne faut pas mouiller l’associaREPORTAGE l’expérience se remar- whisky, un tiers de pastis, un tiers
cureur adjoint de la Réque. Il s’agit d’organiser de vodka, et scotchées au poignet
pes a dérapé: celle qui
tion, qui vit de ses sponsors.
publique de Lille, Bruno Dieu- le premier événement étudiant des nouveaux. Ils sont priés de
l’emportait pouvait se
donné, n’est guère convaincu: «A européen, 3 000 participants sur boire, avec petites tapes derrière la
défouler sur le chef de
CLUB FERMÉ. Sur le Web, la compriori, c’est une habitude. L’école a une semaine, avec un budget de tête s’ils ne s’exécutent pas, tout en
l’équipe adverse. Un étu­
munauté étudiante n’est pas tendre
essayé de cadrer [les rituels d’ac- 1,9 million d’euros, et une foule de cuisinant pour les deuxièmes andiant a été agressé sexuel­
avec les «blousons rouges» de l’Edcueil des nouveaux étudiants, ndlr]
nées. «On leur a balancé
lement devant 80 témoins.
hec : c’est la parka emblématique
avec une charte interdisant ces pra- «Il était majeur, il pouvait
quelques-uns des croquequ’on ne reçoit qu’après un an dans
tiques, que les associations étudiantes poser ses limites.»
monsieur à la figure, sous
l’association, un rituel, encore un.
«Je tiens à
ont signée.»
prétexte qu’ils étaient imLes courseux ne la quittent jamais.
Louis étudiant de l’Edhec, au sujet de la
mangeables», note Bruno
Une jeune fille, à la sortie de l’Edcondamner […]
VITRINE. Devant le campus, un parc victime, dont les lésions indiquent une chute Dieudonné. Ils ont dû
hec, glisse qu’ils «sont méprisants»,
ces comportements
de 8,5 hectares à Croix, les élèves d’une hauteur d’au moins cinq mètres
manger les restes, puis
fiers d’appartenir à ce club fermé,
indignes
[…]
et
retiennent surtout les conséquences
baisser leur pantalon, se
«une élite». Le reproche tourne en
adresse
mon
soutien
de cette affaire : la direction a an- sponsors. Alors, n’y entre pas qui mettre en cercle, et finir le reste du
boucle. Un ancien patron d’un bar
nulé toutes les manifestations orga- veut: les rounds d’entretiens durent mix d’alcool pur. Après? Stéphane
qu’ils fréquentaient les décrit
au jeune étudiant.»
nisées par les associations étudian- un mois, toujours la nuit, toujours perd conscience.
comme les pires, «avec un manque
Geneviève
Fioraso
ministre
tes, jusqu’à nouvel ordre. Peu de dans un bar. Stéphane en passera Ce sont des cris dans la nuit qui ont
de respect total». «Ils claquent des
de
l’Enseignement
supérieur
compassion pour Stéphane: «Il était treize. Jeudi 17 octobre, le mail alerté les voisins. Ils ont entrevu
doigts pour commander, t’appellent
majeur, il pouvait poser ses limites», tombe enfin dans la boîte aux let- une ombre dans la cour d’en face,
mon brave.» L’alcool coule à flots,
déclare Louis, un des étudiants du tres des heureux élus: rendez-vous ont appelé les locataires de la maile but du jeu étant d’être soûl le
campus. «La grosse erreur est de est donné dans un parc, à 19 heures. son. Deux étudiants à jeun étaient
plus tôt possible. Il hausse les sourl’avoir laissé tout seul.» Pas de Ils y poireautent deux heures avant chargés de surveiller Stéphane.
cils : «On leur a demandé pendant
l’avoir enivré et humilié, des faits d’être pris en charge par les an- «Mais ils se sont endormis entre
des années de réussir, réussir, réusreconnus par les participants.
ciens. On les entraîne dans la cave 3 heures et 4 heures du matin», indisir. Et là, ils se retrouvent seuls, avec
Le scénario de la soirée montre une d’une maison, où à la lumière d’une que Jules Bloch. Ce qui s’est passé?
étudiants fréquentent
leur appart, et ils se lâchent.» Sans
organisation rodée. Elle devait être bougie ils découvrent leur affecta- On l’ignore encore. Les lésions inl’Edhec business school.
toujours se rendre compte de la
le clou de la sélection des 25 nou- tion. Stéphane ne travaillera pas au diquent une chute d’une hauteur
Le coût total de la scolarité
portée de leurs actes. •
veaux entrants, sur 100 candidats. pôle sportif, ni à la communication, d’au moins cinq mètres. Stéphane
s’élève à 38000 euros.
(1) Le prénom a été modifié.
Unbizutagequinefaitpas
lesaffairesdel’Edhec
6000
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16
•
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
FRANCEXPRESSO
L’HISTOIRE
L’ÉNIGME DE LA DAME NOIRE ET DU
BÉBÉ BLOND DE BERCK, SA FILLE
La femme recherchée après le décès d’une fillette à
Berck­sur­Mer (Pas­de­Calais) est bien, d’après les exper­
tises génétiques, la mère de cette enfant retrouvée
morte le 20 novembre sur la plage, a affirmé hier un chef
d’enquête. Le parquet de Boulogne­sur­Mer a déjà révélé,
lundi, que l’ADN prélevé dans la chambre d’hôtel de
Berck, où la femme et le bébé ont séjourné une nuit, éta­
blit qu’elles sont «de la même famille». La police judiciaire,
qui a lancé un appel à témoins, n’a toujours pas identifié
cette «femme de type africain âgée d’une trentaine
d’années», filmée le 19 novembre par la vidéosurveillance
gare du Nord à Paris, avec le bébé «au teint clair et aux
yeux bleus» dans la poussette. «Une aberration géné­
tique» pour un policier, à moins que le géniteur de cet
enfant ne soit «blanc ou kabyle». La dame noire a été vue
dans la même gare mercredi vers 13 heures «en direction
du RER B», seule, après la mort de son bébé «d’un an
environ», et habite sûrement «en Ile­de­France». Accident
ou crime? Dans la seconde hypothèse, la PJ s’interroge
sur ce voyage à Berck pour noyer sa petite. P.T.
24 mois
d’emprisonnement ont été requis, hier, par le procureur
de Bobigny à l’encontre d’un Egyptien accusé d’avoir
accidentellement mis le feu à un immeuble à Pantin
(Seine­Saint­Denis) causant la mort de six personnes. Au
matin du 28 septembre 2011, un violent incendie s’était
122x163 Libe coin coin_Layout 6 25/11/13 12:33 Page1
propagé dans un bâtiment appartenant à la municipalité,
partiellement muré et promis à la démolition.
RETOUR SUR LE TIREUR DE «LIBÉRATION» DÉTENU À FLEURY­MÉROGIS
A César, le photographe, partie civile
César, 23 ans, photographe assistant
de Libération qui a été gravement
blessé au thorax le 18 novembre
par les tirs imputés à Abdelhakim
Dekhar, s’est constitué partie civile
hier auprès du juge Quentin Dandois,
via les deux avocats du journal, JeanPaul Lévy et Emmanuel Soussen.
L’état de santé du jeune homme ayant
reçu dans le dos une «balle à sanglier»
de type Brenneke, qui est ressortie
sous son cœur, est jugé «satisfaisant»
par les médecins de la Pitié-Salpêtrière. Arrêté mercredi dans un parking des Hauts-de-Seine sur dénonciation de son ex-hébergeur, le tireur
présumé a invoqué «le droit au silence» durant sa garde à vue médicalisée à l’Hôtel-Dieu à cause de sa tentative de suicide médicamenteuse.
Abdelhakim Dekhar a été mis en examen vendredi soir pour «triple tentative d’assassinat» à Libération, BFMTV
et la Défense, «enlèvement et séquestration» d’un automobiliste à Puteaux. Il refuse, depuis, de s’alimenter, selon son avocat Rémi Lorrain, et
a été transféré lundi à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne).
VincentPeillonciblela
cyberviolenceàl’école
ÉDUCATION Le ministre a lancé, hier, un plan d’action
contre le harcèlement dont certains élèves sont victimes.
u vol de goûter au racket et aux violences
sexuelles, en passant
par les moqueries, les menaces et les insultes parce que
l’on est trop gros, trop petit,
qu’on a l’air intello avec ses
lunettes… Entre 6 et 7% des
D
élèves français sont victimes
de harcèlement. Pour lutter
contre ce phénomène encore
souvent tabou, le ministre de
l’Education Vincent Peillon
a lancé hier un «plan d’action», ciblant notamment la
cyberviolence en plein essor.
«Il faut briser la loi du silence,
faire en sorte que ceux qui sont
victimes mais aussi ceux qui
sont témoins aient la possibilité
de parler», a déclaré le ministre. Il a présenté une série
de mesures, dont une campagne télé, des dessins animés pour sensibiliser les
écoliers, un plan de formation des personnels et des
d’hui pour dire que j’ai vécu
ces souffrances mais que ça ne
m’a pas empêchée de réaliser
mes rêves». «Je suis devenu
plus renfermé, a expliqué de
son côté le champion d’Europe d’athlétisme Christophe Lemaitre, je n’en ai pas
parlé par peur de renvoyer
une image de quelqu’un de
faible.»
Texto. Le ministère publie
aussi un guide de prévention
sur la cyberviolence entre
élèves, un phénomène qui
connaît «un essor considérable», selon Eric Debarbieux
qui dirige, au ministère de
l’Education, la délégation
chargée de la
«Il faut briser la loi du silence, prévention et
de la lutte confaire en sorte que ceux qui
tre les violensont victimes aient la
ces scolaires.
possibilité de parler.»
En France,
40% des élèves
Vincent Peillon
disent avoir été
ressources en ligne donnant victimes d’une agression ou
des conseils aux élèves victi- d’une méchanceté en ligne.
mes, aux familles et aux té- Même si cela n’a pas lieu à
moins (www.agircontrelehar- l’école, «ce sont des élèves, ça
celementalecole.gouv.fr).
relève de notre responsabilité»,
Au passage, Peillon a rendu a insisté Vincent Peillon.
«hommage» à son prédéces- Les nouvelles technologies
seur Luc Chatel, qui avait amplifient le phénomène :
lancé en 2012 une première propagation de rumeurs, picampagne. «Mais il manquait ratage de comptes, publicala deuxième partie, c’est-à- tion de photos ou de vidéos…
dire les outils, les moyens de Le moyen le plus cité reste le
prise en charge, en particulier texto pour un élève sur cinq,
la formation» des personnels, suivi d’appels téléphoniques
a-t-il souligné.
méchants, humiliants et dé«Renfermé». Deux person- sagréables, de l’exclusion
nalités ayant été, enfants, d’un groupe social en ligne et
victimes de harcèlement té- de problèmes sur un tchat.
moignent dans la campagne. Ces violences peuvent avoir
«J’étais costaud, a expliqué de sérieuses conséquences
la chanteuse Chimène Badi chez les élèves – perte de
présente à la conférence de confiance, troubles psychopresse, il y a plein d’enfants logiques, dépression, voire
qui ont un physique atypique suicide – et pousser au démais je faisais l’objet de jalou- crochage scolaire.
sie en raison de ma forte perVERONIQUE SOULÉ
sonnalité. Je suis là aujour(avec AFP)
PATRICIA TOURANCHEAU
•
SUR LIBÉ.FR
Diplômés étrangers
«Il y a de nouveau une
hausse des refus
injustifiés», interview
de la porte­parole du
«collectif du 31 mai»,
qui s’inquiète des dif­
ficultés rencontrées
par les diplômés
étrangers souhaitant
travailler en France.
LES GENS
ANGOLAGATE :
LA FRANCE VEUT
L’EXTRADITION
DE GAYDAMAK
La justice française a
demandé l’extradition
d’Arcadi Gaydamak, arrêté
à Zurich la semaine der­
nière et visé par un mandat
d’arrêt européen dans
l’affaire de l’Angolagate, a
annoncé, hier, le parquet
général de Paris. L’homme
d’affaires franco­israélien,
en fuite lors de son procès,
avait été condamné par la
cour d’appel de Paris en
avril 2011 à trois ans de pri­
son et 375000 euros
d’amende pour fraude fis­
cale et blanchiment dans
l’affaire de vente d’armes
vers l’Angola. Selon la télé­
vision publique suisse RTS,
l’arrestation de l’homme
d’affaires en Suisse a été
demandée par le procu­
reur genevois Dario Zani,
dans le cadre d’une ins­
truction pénale pour abus
de confiance, et Arcadi
Gaydamak est désormais
détenu à Genève. Hier soir,
il a demandé sa libération
sous caution. La justice
suisse va statuer «dans les
prochains jours» sur cette
requête.
PHOTO AFP
VOUS
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
SEXE & GENRE
Ilfitpasser
lapilule...
•
17
Lucien Neuwirth est mort
dans la nuit de lundi à mardi.
En 1967, ce gaulliste féministe
réussit à faire voter une loi
autorisant la contraception orale.
Par MARIE­JOËLLE GROS
et CATHERINE MALLAVAL
«J’
ai tout entendu», avait-il
pudiquement résumé,
quelques années après
avoir porté le combat
pour la légalisation de la pilule. Les
quolibets comme «fossoyeur de la
France» ou «assassin d’enfants» ne
retentiront plus dans la mémoire de
Lucien Neuwirth. Dans la nuit de
lundi à mardi, ce gaulliste historique, qui répondait au doux sobriquet de «Lulu la pilule», s’est
éteint à 89 ans.
Bien sûr, les hommages ont plu
(le président de la République, le
Planning familial, la ministre de la
Santé, celle des Droits des femmes…). Comment ne pas saluer un
REPÈRES
En 1967, la loi Neuwirth
autorise la pilule, et de ce
fait abroge une loi de 1920
qui allait jusqu’à interdire
de faire la publicité de la
contraception. Les Etats­Unis
ont été le premier pays à
commercialiser la pilule
en 1960. Suivront (avant la
France) l’Australie, l’Allema­
gne fédérale et la Grande­
Bretagne.
50%
C’est la part des Françaises
en âge de procréer qui pren­
nent la pilule. Soit près de
4 millions de femmes. Le sté­
rilet est quant à lui utilisé
par 21% d’entre elles.
«Sa vie est le symbole
du combat pour la
liberté […] Il a su, avec
audace, s’affranchir de
tous les conservatismes
et ouvrir un temps
nouveau dans
l’émancipation
des femmes.»
François Hollande hier
homme qui libéra la sexualité des
femmes, jusque-là suspendues au
risque de grossesses non désirées?
Comment ne pas faire chapeau bas
devant les combats d’un humaniste
qui se bagarra encore à 71 ans pour
faire passer une loi ouvrant le droit
à des soins palliatifs? Comment ne
pas s’incliner devant un éternel
boxeur, qui ressortit encore les
gants en 2000, à 76 ans, pour défendre comme rapporteur la pilule
du lendemain ? Ce qui lui valut de
nouvelles salves d’insultes qu’il
préféra vivre comme un «coup de
jeune».
MÉDAILLE DES ÉVADÉS. Lucien
Neuwirth, c’est l’histoire d’un
pionnier. A 16 ans, ce fils d’artisans
fourreurs stéphanois entre dans la
Résistance. Le 18 juin 1940, il entend de Gaulle à la TSF. Sa mère
commente: «C’est lui qui a raison.»
Il fonce. Prison en Espagne, séjour
à Londres dans les Forces françaises
libres, blessure grave. Sa guerre se
conclut par une pluie de médailles
(croix de guerre, Légion d’honneur, médaille des évadés, rosette
de la Résistance, etc.). Fidèle au
Général et à ses idées, il adhère à la
Libération au RPF (Rassemblement
du peuple français créé par de
Gaulle). Et enchaîne les responsabilités politiques (adjoint au maire,
député puis sénateur, toujours sous
des étiquettes de droite, UNR,
UDR, RPR). Mais il saura aussi convaincre de Gaulle le moment venu.
En 1966, le Général invite le député
de la Loire à déjeuner à l’Elysée. Il
lance: «Dites-moi Neuwirth, parlezmoi de votre affaire…» Neuwirth est
lancé. Les femmes ont obtenu le
droit de vote en 1945, «maintenant
les temps sont venus de leur donner le
droit de maîtriser leur fécondité,
parce que c’est leur fécondité».
Féministe de la première heure, il
expose: «Pour moi, hommes et femmes c’est pareil.» Il raconte ses
compagnes de la Résistance, agents
de liaison ou parachutistes, dont
certaines sont tombées sous les
coups de l’ennemi. Il se souvient de
ses «premiers émois» à 17 ans à Londres, lorsqu’une jeune Irlandaise lui
tendit du gynomine, le premier
spermicide. Il relate la détresse entendue au sein du Mouvement Maternité heureuse (ancêtre du Planning familial). Il cite cette femme
Lucien Neuwirth, à l’Assemblée nationale, le 11 mai 1973. PHOTO AFP
qui un jour lui a confié : «Moi, j’en
ai assez, chaque fois que mon mari
rentre saoul, il me fait un gosse.» Il
évoque enfin le suicide d’une de ses
amies, mise à la porte de sa famille
parce qu’elle était enceinte. Le Général, pourtant partisan d’une politique nataliste, est à l’écoute. «Vous
avez raison, transmettre la vie, c’est
important, il faut que ce soit un acte
lucide. Continuez.» Lucien Neuwirth
vient d’obtenir le feu vert pour déposer un projet de loi autorisant la
contraception orale. Mai 68 n’a pas
encore eu lieu. Le combat, dans une
France très conservatrice, va durer
des mois.
L’Hémicycle prend feu. «Une flambée inouïe d’érotisme menace le
pays» ; «Avez-vous songé que, désormais, c’est la femme qui détiendra
le pouvoir absolu d’avoir ou pas d’enfants, en absorbant la pilule, même à
votre insu?»; «Allons-nous conférer
à la femme mariée le droit de mentir
à son mari, de le duper dans son désir
naturel d’avoir des enfants?» Lucien
Neuwirth, 42 ans, tient bon. Sa
proposition de légaliser la contraception est la onzième du genre,
mais la première issue des rangs de
la droite. Il a contre lui les catholiques, une bonne partie de la droite.
Mais, derrière lui, la Grande Loge
(Neuwirth est franc-maçon) et for-
d’application entrent en vigueur.
Qu’importe, Neuwirth a vaincu.
Cinq ans plus tard, dans une France
qui a maintenant manifesté pour la
libération des mœurs, Lucien le féministe rempile: il devient, en cohérence avec ses convictions, le
rapporteur de la loi
Veil sur l’interrup«Vous avez raison, transmettre
tion volontaire de
la vie, c’est important, il faut que
grossesse (IVG) à
ce soit un acte lucide. Continuez.»
l’Assemblée natioDe Gaulle à Lucien Neuwirth, qui obtient ainsi
nale. A nouveau les
un feu vert pour déposer son projet de loi
injures fusent. Il
s’accroche. La loi est
cément une partie de la gauche : votée le 19 décembre 1974. En ce
en 1965, le candidat à la présiden- mois de décembre, une autre loi
tielle Mitterrand a fait campagne garantit le remboursement par la
pour la contraception.
Sécurité sociale de la contraception
orale et supprime l’autorisation paATTENTE. Noël 1967 arrive enfin. Le rentale pour les mineures. Dès lors,
28 décembre, à Colombey-les- les noms de Neuwirth et de Veil
Deux-Eglises, le Général promul- sont pour toujours associés. Ancrés
gue la version définitive de la loi dans l’histoire des grands débats
Neuwirth sur «la régulation des de société du XXe siècle. Loués par
naissances». Mais la victoire n’est toutes les femmes qui revendiquent
pas encore totale. Il faudra atten- simplement de pouvoir «disposer
dre 1972 pour que tous les décrets de leur corps». •
•
CINEMA
LIBÉRATION
MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
Le réalisateur de
«Two Lovers» magnifie Marion
Cotillard dans une reconstitution
fellinienne des bas­fonds
new­yorkais des années 20.
NOUVEAU MONDE
ANNE JOYCE
LA COULEUR
GRAY
II
•
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
CINÉMA À L'AFFICHE
LA COULEUR
GRAY
THE IMMIGRANT
de JAMES GRAY
avec Marion Cotillard, Joaquin Phoenix,
Jeremy Renner… 1h57.
Une vue de la statue de la Liberté de
dos : ainsi s’ouvre The Immigrant,
cinquième long métrage de l’Américain James Gray, très attendu depuis
la sortie, voilà cinq ans, d’un de ses
chefs-d'œuvre Two Lovers. Si l’angle
est déroutant, le film ne l’est pas
moins, et il faudra en atteindre le
terme, signifié par une autre et magistrale vue de la baie de New York,
pour comprendre à quel point ce
premier plan annonce son programme, et ses ambitions.
Nous sommes en 1921. Une foule en
haillons se presse aux portes des
Etats-Unis, arrivant par bateau à
Ellis Island. Dans le lot, deux orphelines, Ewa Cybulska (Marion
Cotillard) et sa sœur Magda, qui ont
fui la Pologne, où leurs parents ont
été décapités sous leurs yeux, et
sont venues retrouver un oncle et
une tante installés à Brooklyn. Mais
dès l’arrivée sur l’île, Magda, tuberculeuse, est envoyée en quarantaine, et la très catholique Ewa,
soupçonnée à tort d’être une
femme de mauvaise vie, menacée
d’expulsion.
Dostoïevskien. C’est rapide, implacable (et non sans rappeler l’absurdité de nos administrations contemporaines). Un recours se
présente, sous les traits d’un
homme qui se dit membre d’une as-
sociation caritative, Bruno Weiss
(Joaquin Phoenix, onctueux de candeur fabriquée). Mais l’on découvre
vite que cet homme bien mis, qui
propose d’héberger Ewa chez lui,
anime en vérité une revue burlesque
dans un théâtre miteux du Lower
East Side (superbe et fellinienne reconstitution), et prostitue ses comédiennes. Il ne faudra pas longtemps
avant qu’il ne force Ewa à vendre
son corps, lui faisant miroiter l’espoir de faire sortir sa sœur d’Ellis Island.
Naît une relation de dépendance
torturée, où le maître n’est évidemment pas celui que l’on croit, et où,
par un mouvement dostoïevskien
sion, qui marchent par paire, à la
manière d’arias.
Si le film ne «prend» pas entièrement, ou en tout cas pas toujours,
c’est que le personnage d’Ewa
semble parfois étrangement distancié de son propre destin – faute
n’en est pas à Marion Cotillard, que
l’on n’a jamais vue aussi bien dirigée, mais à un scénario parfois un
peu bancal, et à certains plans qui
jouent la sursignification plus que
l’immédiateté.
Suinte. Mais qu’importe: en plus de
la beauté formelle de l’objet, et de la
performance de Joaquin Phoenix,
jamais aussi bon que lorsqu’il suinte
de noirceur, il est passionnant de
voir les thèmes chers à
(le triangle amouEn lieu et place de la fresque Gray
reux, le sacrifice des
nationale attendue, nous
idéaux, la fidélité au clan)
ici retournés comme
est montré l’envers du rêve
de gants. Parce que
américain, sous les traits d’un autant
le point de vue qu’il
mélodrame à focale resserrée. adopte est pour la première fois celui d’une
(l’auteur russe est cher à James femme, mais aussi parce que le clan
Gray), celle qui s’abîme en reçoit un à trahir ne se résume plus ici à la fasurcroît de grâce. L’arrivée du cou- mille, celle d’Ewa ayant vite fait de
sin de Bruno, Emil, dit «Orlando le la désavouer, mais à ce groupe inmagicien» (Jeremy Renner, lumi- terlope (les «colombes» de Bruno),
neux), offre à Ewa un fugace espoir où elle atterrit par un coup du destin
de fuite et à nous, spectateurs, de et dont le père putatif, objet de sa
somptueuses scènes d’illusion- haine, deviendra peu à peu celui de
nisme, avant que le film ne s’en- sa compassion.
fonce dans la tragédie.
L’on voit défiler les clins d’œil et les
En lieu et place de la fresque natio- références (lire ci-contre), mais le rénale attendue, nous est donc montré sultat n’en est pas moins singulièrel’envers du rêve américain, sous les ment grayien, jusqu’à ce superbe
traits d’un mélodrame à focale res- plan final, qu’il imagina dès les preserrée au naturalisme léché, qui miers temps du scénario, réunissant
fonctionne d’autant mieux qu’on ses deux personnages qui s’éloil’appréhende comme un opéra, gnent l’un de l’autre – Ewa filant
dans son lyrisme comme dans ses vers la lumière, Bruno vers l’ombre.
excès, voire ses scènes de confesÉLISABETH FRANCK-DUMAS
La Polonaise Marion Cotillard avec son souteneur Joaquin Phoenix. PHOTO ANNE JOYCE
Rencontre avec
James Gray et
son chef opérateur,
Darius Khondji,
deux esthètes
complices.
S
i The Immigrant, cinquième long
métrage de l’Américain James
Gray, nous arrive aujourd’hui
auréolé d’un accueil mitigé reçu en mai
au Festival de Cannes, il y a au moins
une vertu sur laquelle tout le monde
s’accorde : sa magnifique photographie. Des plans poudrés, des couleurs
saturées, des taINTERVIEW bleaux léchés qui
donnent au projet
une ampleur grandiose, signés du
Franco-Iranien Darius Khondji (Amour,
Minuit à Paris), qui travaillait là pour la
première fois avec James Gray sur un
film. Des mois plus tard, dans ce hall
d’hôtel parisien, leur complicité est
manifeste, nourrie de références à
l’opéra, à l’histoire de l’art. Les faire se
réunir était tenter de répondre à la
question suivante : comment, malgré
des contraintes budgétaires redoutables (1), ont-ils conservé une ambition
picturale débordante ?
Pourquoi avoir demandé à Darius
Khondji de travailler sur ce film?
James Gray : Cela tient en deux mots :
Darius Khondji. (Rires) J’aimais son travail depuis longtemps, depuis Delicatessen et Seven. Je pensais qu’on aurait une
connivence artistique. Ce que je recherche pour un film, ce n’est pas quelqu’un
qui fasse exactement ce que je lui demande, ce n’est pas intéressant, mais
quelqu’un qui a du goût, qui apportera
quelque chose en plus. Ce que je ne savais pas, et qui m’a intimidé, c’est
combien il est sympathique.
Parce que vous aviez des scrupules à le
tyranniser?
J.G. : Moi ? Mais je ne tyrannise personne ! (Rires)
Darius Khondji: Je n’ai pas le souvenir
d’avoir été tyrannisé. Mais je me rappelle un réalisateur qui savait très bien
ce qu’il voulait, et heureusement.
J.G.: Il y a bien eu cette fois, lorsque tu
as voulu rajouter une ampoule sur un
mur, dans la scène où Jeremy Renner
entre par la fenêtre, et où je n’étais pas
du tout d’accord…
D.K. : Sur huit semaines de tournage,
c’est peu.
J.G.: Huit semaines? Trente-trois jours
plutôt !
Comment s’est déroulé le tournage dans
ces conditions?
J.G.: Cela a été difficile, la rapidité était
très pénible. Et puis on a eu des contraintes énormes, comme celle de tourner à Ellis Island la nuit, car nous
n’avons pas eu l’autorisation d’y être la
journée. Ce grand hall que l’on voit au
début, dont les murs sont percés de dixhuit immenses fenêtres, il a fallu l’éclairer de l’extérieur. Mais seulement sur
la moitié, parce que nous n’avions pas
suffisamment d’argent pour le faire entièrement. Nous avons ensuite dédoublé
l’image, car le hall est parfaitement symétrique. Mais il y a donc un plan en
numérique au beau milieu de la scène.
Mais vous avez tourné en argentique?
D.K.: Oui, au maximum. Avec de vieux
James Gray
de face
(Little Odessa,
the Yards…) et
Darius Khondji
(Delicatessen,
Seven…). PHOTO
BRUNO CHAROY
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
À L'AFFICHE CINÉMA
«JAMES
M’A AMENÉ
AU MUSÉE»
objectifs anamorphiques, sur une pellicule très douce, que j’ai flashée en couleur, ce qui donne ce rendu particulier,
à l’ancienne. Je n’aime pas avoir recours aux effets spéciaux, même si,
parfois, c’est obligatoire.
Comment vous êtes-vous mis d’accord
sur le rendu que vous recherchiez?
D.K.: Nous avons énormément travaillé
en amont, car pendant le tournage nous
n’avions plus le temps d’expérimenter.
Au tout début, James a commencé par
m’envoyer beaucoup de photos. Des
polaroïds de femmes quasi nues, pris
par l’architecte italien Carlo Mollino. Ce
sont presque des clichés de mode, mais
innervés d’un tel pathos, avec une telle
épaisseur dans la lumière, qu’elles
m’ont empêché de me concentrer sur
le projet auquel je travaillais alors. Il les
accompagnait de mots comme «religion» ou «ferveur», elles se sont mises
à me hanter. J’ai besoin de ce genre
d’émotions pour élaborer une lumière.
J.G. : On est aussi allés au musée.
D.K.: James m’a emmené au Metropolitan Museum, à la Frick Collection. Il
m’a montré des peintures d’Everett
Shinn, de George Bellows, ces peintres
de l’école réaliste américaine de la Ashcan School. Des photos de Lewis Hine
prises à Ellis Island aussi. Et puis on a
parlé d’autres réalisateurs, de Dreyer,
beaucoup de Bresson.
J.G. : La scène où Marion Cotillard se
confesse, le visage éclairé par un halo
de lumière, est un hommage au Journal
d’un curé de campagne.
D.K. : Pour moi, c’est La Strada, qui a
été déterminant. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps, et lorsque tu m’as projeté le film, tout s’est mis en place. Nous
avons aussi fait quelque chose d’inédit
pour moi, que j’adorerais réutiliser: un
story-board qui était un mood board.
J.G. : Oui, une liste de plans pour lesquels j’avais à chaque fois mis en regard
des images prises ici ou là. Comme cela,
dès que j’avais besoin de détailler un
concept pour Darius, je pouvais faire
référence à cette liste, à ces scènes piquées ailleurs. Même si j’ai essayé de
piquer le moins possible. Mais de toute
façon, je ne vois pas cela comme du vol,
•
III
plutôt comme de l’inspiration.
D.K.: Tu as aussi évoqué cela, quand je
suis arrivé à New York : l’inspiration,
l’emprunt.
J.G. : Je t’ai raconté un mail que j’avais
envoyé à Coppola, une vraie lettre de
fan, où je lui disais combien je lui avais
«volé» d’éléments du Parrain II, pour
The Yards je crois. Il m’a répondu: «Très
bien, c’est fait pour ça.» Coppola a luimême fait beaucoup d’emprunts à Visconti. Les réalisateurs s’inspirent mutuellement, et l’on pourrait dire la
même chose d’acteurs. Giulietta Masina
prend des pans entiers à Chaplin pour
jouer les Nuits de Cabiria de Fellini.
Que pensez-vous que votre film dise du
rêve américain?
J.G. : J’avais envie de partager l’expérience de mes grands-parents juifs, qui
avaient fui un lieu [la Pologne, ndlr] où
les parents de ma grand-mère s’étaient
fait couper la tête. Mon grand-père racontait sans cesse des histoires où il
idéalisait son pays natal, ce que je n’ai
jamais compris, vues les persécutions
que sa famille y avait subies. Mais les
migrations humaines, qui font le récit
de l’humanité, ne sont jamais entièrement roses. Nos vies sont emplies de
joies et de morts, il faut raconter les
deux. Chose pour laquelle je pense
d’ailleurs avoir largement échoué: mes
films sont plus sombres que joyeux.
J’aimerais qu’ils soient plus équilibrés.
Mais je n’ai aucun talent comique: dans
ce film, je suis le seul à penser que certaines scènes sont hilarantes…
On a beaucoup parlé du plan final,
était-il dans le scénario dès le départ?
J.G.: Oui. Même si, en fait, ce n’est pas
un plan, mais un composite, réalisé
grâce à des effets spéciaux. Il aurait été
impossible à réaliser sinon.
D.K. : C’est un plan de réalisateur, il
faut être scénariste pour imaginer ça.
Pour moi, le plan est resté obscur jusqu’à ce qu’il soit terminé, j’ai dû avoir
une confiance aveugle en James. Quand
j’ai lu le scénario, j’ai immédiatement
vu tellement de difficultés techniques
à résoudre, tellement d’angles compliqués, que je me suis dit : «Mais comment ça peut marcher, ça ?» (Rires)
Quelles ont été les autres grandes difficultés du tournage?
D.K. : J’ai essayé de ne pas penser au
budget, sinon j’aurais eu le vertige.
J’essaie de ne jamais y penser d’ailleurs,
je me dis qu’il y a toujours une solution… Mais rendre, dans le New York
d’aujourd’hui, l’essence poétique d’un
temps révolu, avec toute la poésie très
proustienne que James y mettait, c’était
un vrai défi pour moi. Pour le reste,
nous avions un producteur incroyable,
qui est allé jusqu’à embaucher un chef
électricien à la retraite, John De Blaw,
parce que James et moi l’adorions. Il y
avait une équipe très soudée, ce qui est
crucial pour ce genre de projet.
J.G.: Une équipe tellement motivée que
j’ai passé les mois qui ont suivi le tournage en dépression! C’est difficile de se
séparer de gens qui se préoccupent de
ce que vous tentez d’accomplir, qui
vous aident à le réaliser. On pense
qu’en tant que réalisateur vous avez une
«vision». Mais pour ce film, hormis ce
dernier plan, j’avais surtout envie que
l’équipe aille au-delà de ce que j’avais
en tête. Qu’elle me dépasse.
Recueilli par É. F.-D.
(1) 16,5 millions de dollars, soit 12,2 millions
d’euros.
IV
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LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
CINÉMA À L'AFFICHE
LES DEUX FONT LA PEUR
TRANSITION
Amitié adolescente dans le Tbilissi viriloïde post­URSS.
EKA ET NATIA,
CHRONIQUE D’UNE
JEUNESSE GÉORGIENNE
de NANA EKVTIMISHVILI
et SIMON GROß avec Lika
Retour en 1983
quand la France
antiraciste défilait.
BORNES
Babluani, Mariam Bokeria… 1h42.
A Tbilissi, dans la Géorgie indépendante née après l’effondrement de l’URSS, Eka et Natia
sont deux adolescentes (plus ou
moins 14 ans) qui se faufilent
dans les ruines de leur pays :
ruines morales autant que sociales et politiques, le repère du
«civisme» soviétique s’étant
totalement évaporé sans que les
«valeurs» du capitalisme occidental aient encore pris le
relais.
Potacheries. Cette débâcle est
filmée de front, aussi bien dans
l’intimité des familles (où la
violence domestique naît de la
violence sociale) que dans la
zone publique. A l’école que
fréquentent les deux gamines,
l’autorité des profs s’effrite sous
les coups de potacheries de plus
en plus contestatrices. Dans la
rue, une seule scène de queue
devant une boulangerie dit
tout : la disette de l’époque, la
docilité terrorisée des pauvres
gens mais aussi le système des
privilèges sociaux et de la corruption institutionnalisée (ce
sont deux soldats en armes qui
LA MONTÉE
DE LA
«MARCHE»
LA MARCHE de NABIL BEN YADIR
avec Olivier Gourmet, Tewfik Jallab… 2 heures.
crises financières récentes. Papanicolaou
reste calme tant qu’il en raconte la mécanique. Et perd son sang-froid lorsqu’il évoque
sa famille grecque confrontée aux dégâts de
la crise.
Appétit. Si Peyon ne traite pas les causes
profondes de ces crises, il démontre comment, même si vous ne voulez pas vous occuper des mathématiques, ces dernières
s’occupent de vous. Car la guerre, la finance, la technologie, les communications… tout cela fonctionne aujourd’hui
avec beaucoup de maths.
Le cinéaste a planté sa caméra dans ces
lieux où se retrouvent les plus performants
des matheux : Princeton, Berkeley, Stanford, le centre d’Oberwolfach en Allemagne ou l’Institut des hautes études scientifiques (IHES). Il nous montre comment
l’appétit de liberté, la volonté de découvrir
par soi-même le vrai du faux, la beauté des
chiffres et des formules… bref, les motivations individuelles éminemment sympathiques des matheux se transforment en outils
qui peuvent nous broyer ou nous aider à vivre. S’il n’en donne pas la solution, Peyon
illustre puissamment la nécessité d’inventer des formes nouvelles de vie politique,
adaptées à la puissance des technologies issues de la mathématisation du monde.
Tout le monde connaît le début de l’histoire. Le 10 mai 1981, sur le coup de
20 heures, François Mitterrand est élu président de la République française. La gauche revient au pouvoir vingt-trois ans
après. Un souffle nouveau envahit le pays.
L’état de grâce dure un petit semestre. Un
peu moins dans la banlieue lyonnaise (Vénissieux, Rillieux-la-Pape, Bron) où des
gamins, lassés d’un racisme honteux,
d’être exclus de tout ce qui compte, mettent le feu aux bagnoles et se fritent avec
le pouvoir. Une époque où un jeune peut
perdre la vie; coupable d’arborer les mauvaises couleurs. Les enquêtes ne vont jamais bien loin, et ça finit par se voir. La
tension monte. Eté 83, des affrontements
éclatent (encore) aux Minguettes, à Vénissieux, entre jeunes des barres et policiers.
Toumi Djaïdja tombe sous les balles. Il se
relèvera. Sous l’impulsion du curé Christian Delorme, ils décident de marquer le
coup. Ils traversent la France pour demander l’égalité. Trente ans plus tard, on ne lésine pas pour ressusciter l’histoire. Documentaires, bouquins, débats…
Le Belge Nabil ben Yadir a décidé d’en faire
un film, la Marche. Le casting a de la
gueule. Après Né quelque part, Tewfik Jallab
confirme. Oliver Gourmet assure, et Jamel
Debbouze laisse de la lumière à ses camarades. Le film raconte toute l’épopée, longue de 1 500 bornes. Des débuts compliqués, ponctués de toutes sortes de
péripéties, une quinzaine de personnes à
Marseille le 15 octobre. A l’arrivée triomphale, plus de 100000 manifestants à Paris
le 3 décembre. Les images de l’INA donnent de l’ampleur. Comme cette jeune fille
à la tête d’ange qui balance : «On ne demande pas la Lune, on veut seulement vivre.»
La réalité est tellement consistante que les
ajouts fictionnels surchargent un peu le
propos. La croix gammée tatouée par des
fachos sur le dos de Monia (Hafsia Herzi)
intrigue et n’apporte rien. Idem lorsque
Claire (Charlotte Le Bon) est victime d’une
tentative de viol. Par contre, la musique,
les fringues colorées ajoutent du charme
à cette France des années 80.
A l’écran, la Marche dure deux heures. Le
format idoine. Mais on aurait aimé que Nabil ben Yadir nous montre aussi l’after. La
récup politicarde de la gauche réformiste,
qui a permis l’accouchement de SOS Racisme, cette usine à futurs bureaucrates.
La Marche pour l’égalité a été pillée, victime de sa réussite, de sa force vitale et de
sa fraîcheur. Depuis, les politiques se succèdent, et les promesses s’empilent. En
vain. Elle a tout de même changé des choses. Montré au pays le visage d’une jeunesse qu’elle refusait de voir. Aujourd’hui,
ce pays, notre pays, sait que cette jeunesses existe. Mais de là à la comprendre…
SYLVESTRE HUET
RACHID LAÏRECHE
Des amies câlines. PHOTO ARIZONA DISTRIBUTION
grillent la file d’attente et n’ont
même pas besoin de menacer
pour être servi les premiers).
La grande et belle affaire du
film, c’est l’amitié romanesque
qui lie Eta et Natia. Leur alliance, faite pour beaucoup de
fous rires et de tocades de leur
âge, est surtout un front du refus. Si la liberté retrouvée fut la
grande avancée de la Géorgie au
début des années 90, l’émancipation des femmes, a fortiori
des filles, n’était apparemment
pas à l’ordre du jour. Père bestialement autoritaire, gamins
de rues prompts à insulter les
filles, voire à les caillasser, jeunes adultes viriloïdes qui considèrent la femme comme une
entité strictement animale (à
prendre ou à laisser). De fait,
une des gamines est une sorte
d’esclave domestique à peine
volontaire. Et l’autre finira en
poupée de salon dès lors qu’un
voyou, guère plus âgé qu’elle,
aura décrété comme on viole
qu’elle sera son épouse.
Parabole. La poisse. N’était
une affaire de revolver mystérieux qui circule entre les deux
filles. La révolte arrivera, pas
moins violente que la violence
qu’elles subissent. Mais pas forcément dans les paroles et les
actes de celle qu’on imaginait la
plus affranchie. Au service de
cette parabole pour une Géorgie
toujours en chantier, une image
somptueuse, signée Oleg Mutu,
et surtout deux merveilles de
d’actrices débutantes recrutées
à Tbilissi: Lika Babluani (Eta) et
Mariam Bokeria (Natia). Leur
grâce est d’être belles et rebelles, comme si de rien n’était.
GÉRARD LEFORT
LES BOSS DES MATHS
Un documentaire illustre comment les mathématiques
ont conquis le monde. Pas de bol pour les cancres.
BIJECTIONS
COMMENT J’AI DÉTESTÉ LES MATHS
documentaire d’OLIVIER PEYON 1h43.
mathématiques. Peyon aborde dans le film
deux sujets brûlants : l’enseignement des
maths et son usage massif dans nos sociétés
techniciennes.
Le premier thème évoque le fameux échec
des maths modernes avec ses bijections débutées dès la rentrée de septembre 1968
dans certains lycées. La critique des mathématiques comme outil de sélection scolaire. La recherche en didactique, avec des
maths ludiques et joyeuses. Simples mises
Comment réussir un film populaire sur les
maths ? En évitant tout cours de maths.
Démonstration par Comment j’ai détesté les
maths, d’Olivier Peyon. On y voit certes un
prof avec ses élèves de maths sup, sur une
plage, marchant à côté d’une théorie de
chars à voile. Ou Cédric Villani, Médaille
Fields 2010, répétant la cérémonie
dans son hôtel d’Hyderabad (Inde),
Dans un monde où les maths
dressant la double liste des mots
doux et des mots durs sur les maths. sont un moyen puissant de le
Mais aussi des manifestations vio- gouverner, l’inculture en maths
lentes en Grèce contre l’austérité.
peut devenir un frein, voire
Des gens qui prennent le thé en fin
d’après-midi. La psychologue Anne un verrou à la démocratie.
Siety listant des «mots» de maths
qui disent quelque chose de nous. Une en bouche pour le plat principal : dans un
dame qui installe des serviettes de table no- monde où les maths sont un moyen puisminatives. Un passage du premier discours sant de le gouverner, de le transformer, d’y
d’investiture de Barack Obama. Ou un ex- agir, l’inculture en maths peut devenir un
trait d’un épisode dramatique et mondiale- frein, voire un verrou à la démocratie.
ment connu de la guerre du Vietnam, cette Peyon filme ainsi Georges Papanicolaou,
petite fille victime d’un bombardement au professeur de mathématiques financières
napalm, courant, nue, sur une route.
à Stanford, producteur de ces traders qui
Sélection. Etrange pour un film sur les ont fait fortune en manipulant les Bourses
maths ? Non, puisque tout cela entretient et les prêts bancaires à coups de modèles
des rapports directs, serrés même, avec les sophistiqués et joué un rôle décisif dans les
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
•
V
EPICENTRE FILMS
À L'AFFICHE CINÉMA
«L’ESCALE», PENSION AMÈRE
COUSIN
Un documentaire rugueux suit à la trace des clandestins bloqués à Athènes.
L’ESCALE documentaire
de KAVEH BAKHTIARI 1h40.
L’escale pourrait être le nom d’un
rade sympathique où brasser entre
amis l’avenir du futur. Mais ici,
l’Escale est le titre d’un documentaire implacable et glaçant de Kaveh Bakhtiari qui a planté sa caméra dans le cœur d’une histoire
de famille mutant sous nous yeux
en naufrage collectif.
Invité à Athènes pour y présenter
un de ses courts métrages, le réalisateur, d’origine iranienne mais
grandi en Suisse, apprend qu’un de
ses cousins, Mohsen, parvenu clandestinement en Grèce via la Turquie, est incarcéré dans une prison
de la ville. Bakhtiari lâche tout,
mais pas sa caméra pour filmer la
sortie de taule de Mohsen, un grand
gars dont le sourire est augmenté
par une balafre ancienne. «Te voilà,
dit Mohsen à son cousin Kaveh, et
déjà tu filmes !»
En effet, Kaveh Bakhtiari filme
«déjà» et ne va jamais cesser,
Mohsen lui servant de passeur vers
le monde qu’il habite, un univers
littéralement sous-terrain. En l’espèce, la «pension» d’Amir, un entresol exigu où se serrent sept clandestins iraniens et une réfugiée
arménienne, qui tous cherchent à
«aller plus loin en Europe». C’est-àdire, totalement à la merci de passeurs arnaqueurs qui, à coup de
faux passeports lourdement facturés, leur promettent l’eldorado d’un
départ vers l’Allemagne, les PaysBas, la Norvège, l’Amérique.
Chance. Pendant plus d’un an, Kaveh Bakhtiari, équipé d’une petite
caméra numérique, est devenu à
son tour le locataire de ce havre
d’intranquilité. Sans pour autant
basculer dans l’hystérie, sans jamais jouer le précaire. Le documentaire rappelle à plusieurs reprises
de la pitance, les chicanes qui
pourraient dégénérer en bastons,
mais les déconnades aussi. On
éprouve que rien ne fut organisé ou
programmé, et que les sorties en
ville, souvent pour
simplement
Pendant plus d’un an, Kaveh
«prendre l’air»,
Bakhtiari, équipé d’une petite
furent improvisées
caméra numérique, est devenu
au gré des hasards
à son tour le locataire de ce havre étranges, des rencontres bizarres et
d’intranquilité.
surtout du risque
que son auteur a la chance, exorbi- permanent de se faire contrôler par
tante dans ce contexte, d’être un les flics.
citoyen suisse. Et il a gardé les scè- Kaveh Bakhtiari explique (in dosnes où, exaspérés par sa présence sier de presse) que, vivant avec des
regardante, certains habitants de la clandestins, il est devenu lui-même
pension l’envoient chier.
un cinéaste clandestin. Cela se véLe compagnonnage domine, qui rifie dans la physique du filmage
permet que la crudité de l’intimité qui tremble quand il faut s’enfuir,
dévoilée ne soit pas pour autant ou qui, au contraire, se fige en pasimpudique: les engueulades autour se-muraille lorsqu’il faut devenir
G.L.
À VOUS
DE VOIR
VITE
VU
25 NOVEMBRE 1970 : LE JOUR
OÙ MISHIMA CHOISIT SON DESTIN
de KOJI WAKAMATSU (1 h 59).
Disparu fin 2012 à 76 ans, Koji Wakamatsu
fut, dans les années 60 et 70, l’un de ces
cinéastes voyous qui travaillèrent à sublimer
les série B érotiques alors réalisées à la
chaîne pour renflouer les studios nippons.
Des films parfois somptueux, aux élans
modernistes infusés de tout ce que l’époque
comptait d’idéologies radicales. Redécou­
vert voilà une dizaine d’années, il avait pro­
fité de ce regain de considération pour
réaliser une série de docudramas qui sol­
dent un à un le bilan des années révolution­
naires au Japon. Après notamment l’Armée
rouge, Wakamatsu s’est attaqué au coup
d’état droitier et raté, intenté par Yukio
Mishima voilà trente­trois ans et soldé par
son suicide. Sorte de négatif du Mishima de
Paul Schrader, cet ultime volet déçoit, tant la
manière n’oscille ici, malgré quelques beaux
éclats, qu’entre l’outrance et la platitude. J.G.
imperceptible. C’est cette chronique ordinaire de l’invisibilité forcée
qui fait mouche et mal.
Mailles. A Athènes, où pour cause
de crise économique, la situation
des clandestins a empiré, mais
aussi bien dans n’importe quelle
rue de nos cités, c’est la même armée des ombres qui se faufile entre
les mailles de nos vies. Jamais
Kaveh Bakhtiari ne tente de culpabiliser, ni d’accuser qui que ce soit.
La comédie de la compassion n’est
pas son style. Mais au gré des discussions avec les clandestins
d’Athènes, tombe de ses lèvres
cette vision: «Le jour où plus aucun
migrant ne viendra frapper à la porte
des pays riches, ce sera le signal pour
nous autres nantis qu’est venu le
temps de prendre à notre tour le chemin de l’exil.»
Jérôme sont deux jeunes faux touristes
français qui profitent de leur séjour à
Odessa pour contacter et aider quelques
refuzniks locaux. Cette belle partition quasi
documentaire est peu à peu envahie, puis
finalement parasitée par le boucan d’une
romance entre les deux jeunes gens. G.L.
Mishima au doigt et à l’œil. DISSIDENZ FILM
LES INTERDITS de ANNE WEIL
et PHILIPPE KOTLARSKI (1 h 40).
C’est une reconstitution sidérante de réa­
lisme pour qui a fréquenté l’URSS des
années 70. Images de plomb et grisailles
des vies, particulièrement surveillées quand
les citoyens soviétiques cumulaient la dou­
ble peine d’être Russes et Juifs. Carole et
DRACULA
de DARIO ARGENTO (1 h 46).
On a beau admirer Dario Argento et
l’immense majorité de ses films, il faut bien
reconnaître que, sur ce coup­là, le maestro
italien de l’horreur s’est fourvoyé dans cette
énième évocation du comte assoiffé de
Transylvanie. Il est même quasiment incom­
préhensible qu’un réalisateur de sa trempe
n’ait pas pu adapter son propos à la fai­
blesse flagrante des moyens. Les scènes
nocturnes sont plus mal éclairées et moins
poétiques qu’un Jean Rollin, et les effets
spéciaux, puérils et bricolés, tombent systé­
matiquement à plat. B.I.
HUNGER GAMES :
L’EMBRASEMENT
de FRANCIS LAWRENCE
Le film devrait faire 75 millions
d’entrées en cinq minutes puisque
suite du précédent qui connut un
énorme succès (691 millions de dollars
de recettes). Encore une fois
ça chauffe, et pas que de la robe,
pour Katniss Everdeen, qui remet
la main à l’arc pour des nouveaux jeux
du cirque, propices à déclencher
un rien de révolution mondiale contre
les oppresseurs. Avec la toujours
aussi attractive et oscarisée Jennifer
Lawrence.
AVANT L’HIVER
de PHILIPPE CLAUDEL
Autrement dit l’automne, saison des
feuilles mortes et des coups de pied
au cul qui se perdent. Avec Daniel
Auteuil et Kristin Scott Thomas. Pitié !
VI
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LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
CINÉMA ZOOM
RÉTROSPECTIVE
ON REFLET
LE MATCH AVEC
CARPENTER
Les Aventures d’un homme invisible et la Mort aux trousses, «l’un des
Le réalisateur secoué de «New York 1997» et «The Thing»
commente les doubles programmes du festival Entrevues
Belfort qui associent ses films aux œuvres qui les ont influencés.
«A
llez, posez vo- ordinateur, à de seules fins
tre dernière récréatives. Il aime rappeler
question, je combien sa principale fordois vous lais- mation en tant que cinéaste
ser, j’ai ren- a consisté à accompagner son
dez-vous avec mon dealer.» père au cinéma enfant et à
La dernière fois que l’on s’ébaudir, alors âgé de 8 ans,
avait eu John Carpenter au de doubles programmes aussi
bout du fil, voilà sept ou huit «parfaits» que la paire Franans, l’entretien s’était kenstein s’est échappé et X the
achevé ainsi. Bêtement, l’on Unknown, deux productions
n’avait alors pas eu la pré- Hammer de 1956.
sence d’esprit de s’enquérir Et fort opportunément, le
de sa liste de courses. De- festival Entrevues Belfort (du
puis, il n’a réalisé qu’un film, 30 novembre au 8 décembre)
The Ward en 2010, qui n’est lui consacre un beau cycle,
même pas sorti en France. A medley de rétrospective et de
bientôt 66 ans, il
carte blanche sous
ne s’éloigne plus
ENTRETIEN la forme de double
guère de sa maison
features composés
de West Hollywood, où il par ses soins, où ses films se
joue compulsivement aux trouvent associés à ceux qui
jeux vidéo (dernièrement, les ont nourris. L’occasion de
les plus fraîches moutures de prendre de ses nouvelles
Batman, Call of Duty et As- (malgré une petite toux sèsassin’s Creed). Au cinéma, il che, il a une bonne voix,
affirme avoir pris un plaisir merci pour lui), de lui faire
très vif à regarder World commenter ses choix, et de
War Z (un film «kick ass», lui rappeler comment s’était
dit-il). Il se déclare «semi- conclu notre précédent
retraité», mais évoque tou- échange. «Parfois, je dis cela
jours des désirs de réalisa- pour écourter, parfois parce
tion, à défaut de projets, et que j’ai rendez-vous. Ne me
n’aurait rien contre l’idée de demandez pas de me rappeler
venir tourner en Europe.
si c’était le cas ce jour-là.»
Alors que les BO de ses films, Mais plus avant dans la conqu’il a presque toutes com- versation, lui dont l’impaposées lui-même, sonnent tience et le laconisme ne se
aujourd’hui plus actuelles sont guère amoindris avec
que jamais et jouissent d’une l’âge ne manquera pas de
reconnaissance sans précé- nous invectiver: «Arrêtez de
dent (somptueuses rééditions pinailler, poursuivons. Mais où
vinyles sur le très chic label est mon dealer, bon sang ?»
Death Waltz, bel album
«Dark Star» (1974)
hommage du groupe gaulois
«Docteur Folamour» (1964)
Zombie Zombie il y a trois
ans), il délaisse désormais ses «L’humour noir de Docteur
synthétiseurs analogiques Folamour a été une influence
d’antan pour composer de la directe pour mon premier
musique avec son fils, à l’aide long métrage. J’aime beaud’instruments logiciels, sur coup certains films de Stan-
Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin versus Zu,
ley Kubrick : celui-ci, mais
aussi l’Ultime Razzia ou Full
Metal Jacket. Il y a une vraie
efficacité dans ceux-là, que
je ne retrouve pas dans ses
œuvres plus tardives.»
«Assaut» (1976)
«Rio Bravo» (1959)
«Cela paraît évident, non ?
J’ai toujours été très fan de
Howard Hawks, dont les
films me parlent plus que
ceux de John Ford, s’il faut
les comparer. Je pense aussi
que c’est un cinéaste plus
moderne, et beaucoup plus
américain. Ford restait chevillé à ses racines irlandaises,
il filmait du point de vue de
l’immigré. Non pas qu’il y ait
quoi que ce soit de mal à
cela, nous sommes tous des
immigrés dans ce pays, mais
c’est une figure à laquelle je
m’identifie moins.»
«Halloween» (1978)
«Psychose» (1960)
«Bon, c’est évident aussi.
Psychose, d’Alfred Hitchcock, a été le premier film
d’horreur moderne, une révolution, la matrice absolue
du slasher. La bande originale
n’est pas ma partition favorite de Bernard Herrmann,
même si c’est sa plus connue,
mais il a été extrêmement
important pour moi. Son influence m’a été aussi essentielle que celle de Hitchcock.
Sa musique était singulière,
décisive, définitive.»
«Fog» (1980)
«Les Oiseaux» (1963)
«[D’Alfred Hitchcock] Ce rapprochement est une suggestion qui m’a été faite, parce
que ces deux films ont été
tournés dans la même ville
de Caroline du Nord, j’imagine. Vous voyez d’autres
raisons ? Tant mieux, vous
devez être beaucoup plus
malin que moi. Mon premier
choix était un film dont la
copie est introuvable, intitulé
The Crawling Eye [une histoire
de décapitations en Suisse et
de nuage radioactif, réalisée
par Quentin Lawrence
en 1958, ndlr]. Si vous le
voyez, vous comprendrez
d’où vient Fog.»
«New York 1997» (1981)
«Un justicier
dans la ville» (1974)
Halloween et Psychose, «le premier film d’horreur moderne, une
«C’était un film [de Michael
Winner] très inspirant à
l’époque, en ce qu’il montrait New York comme une
ville extrêmement dangereuse. Il reste très sous-estimé, alors qu’il a beaucoup
de qualités. C’est superbement monté, par exemple.»
«The Thing» (1982)
«La Chose d’un autre
monde» (1951)
«Ce film de science-fiction
fondateur [de Christian Nyby
et Howard Hawks] était à la
fois très précurseur, et très
de son temps, en ce qu’il
était profondément ancré
dans la guerre froide. Forcément, ma version est le produit d’une autre époque. On
y voit beaucoup plus frontalement la créature que dans
l’original, et s’ajoute l’idée
du mimétisme biologique.»
New York 1997 et Un justicier dans la ville, de Michael Winner, «très
«Christine» (1983)
«Seuls les anges
ont des ailes» (1939)
«Je n’ai aucune idée de
pourquoi ces deux films vont
The Thing et la Chose d’un autre monde, «très précurseur, et très de
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
ZOOM CINÉMA
bien ensemble, sinon qu’il
est question de machines
dans l’un et l’autre, et que
c’était un bon prétexte pour
montrer ce chef-d’œuvre,
qui est l’un de mes films préférés. C’est le prototype absolu du film d’aventure
hawksien.»
plus grands films d’aventure jamais faits».
«Starman» (1984)
«New York­Miami» (1934)
«[De Frank Capra] Deux
road-movies romantiques,
deux films légers. Starman a
été l’opportunité unique
dans ma carrière de m’essayer à ce registre.»
pour lui dénicher un pendant
satisfaisant. C’est celui de
mes films que vous préférez?
Vous ne pourriez pas me faire
plus plaisir.»
«Le Village
des damnés» (1995)
Le Village des damnés
(1960)
une inspiration évidente: de
la même façon que Howard
Hawks réalisait un remake
de Rio Bravo, je refaisais
New York 1997. Peu de gens
pensent cela aux Etats-Unis,
mais Hawks a vraiment signé
quelques-uns de ses plus
beaux films à la toute fin de
sa carrière.»
«[De Wolf Rilla] Là, si vous ne
voyez pas le rapport, je ne
peux rien faire pour vous.»
«Vampires» (1998)
«La Horde sauvage» (1969)
VII
kinpah l’est d’autant plus
que son sujet, au fond, c’est
la guerre du Vietnam.»
«Ghosts of Mars»
(2001)
«Frontière chinoise»
(1966)
«[De John Ford] Deux films
portés par de forts personnages féminins [Anne Bancroft
ou Sue Lyon dans Frontière
chinoise, Natasha Henstridge
ou Pam Grier, dans Ghosts of
Mars], des héroïnes libres,
assez similaires au fond.»
«Une association parfaite :
deux westerns, deux films
extrêmement sauvages et
cruels dans leurs genres res122x219 Rétro
Rohmer
- Libération_Mise
pagede
1 Sam
26/11/13
«J’adore
ce film,
qui était
pectifs. Etencelui
Pec- 12:17 Page1
«Los Angeles 2013»
(1996)
«El Dorado» (1966)
•
Recueilli par
JULIEN GESTER
«Jack Burton…» (1986)
«Zu, les guerriers de la
montagne magique» (1983)
les guerriers de la montagne magique et «ses formidables voltiges».
«Un film [de Tsui Hark] très
plaisant, qui m’a servi de
modèle notamment pour ses
formidables voltiges. J’ai un
lien très fort au cinéma asiatique, ne serait-ce que parce
que Godzilla a eu une profonde influence sur moi.
Mon fils a été biberonné aux
films de monstres japonais.
Et je suis aussi un fanatique
de Kurosawa.»
«Prince des ténèbres»
(1987)
«Les Monstres
de l’espace» (1967)
révolution, la matrice absolue du slasher».
«Ce film Hammer [de Roy
Ward Baker] découle d’une
série anglaise qui a beaucoup
irrigué Prince des ténèbres par
son climat de science-fiction
lovecraftienne, typique du
travail de son fameux scénariste Nigel Kneale.»
«Invasion Los Angeles»
(1988)
«Les Raisins de la colère»
(1939)
inspirant, car il montrait New York comme une ville dangereuse».
«Les Aventures d’un
homme invisible» (1992)
«La Mort aux trousses»
(1959)
«L’un des plus grands films
d’aventure jamais faits. Y at-il besoin d’en dire plus ?»
«L’Antre de la folie» (1994)
«Videodrome» (1983)
son temps, en ce qu’il était ancré dans la guerre froide». PHOTOS DR
«Je ne suis pas fou de cette
association, mais j’ai été paresseux, ou je ne suis pas
parvenu à trouver mieux. Je
n’ai pas une passion pour le
film de David Cronenberg, à
vrai dire. Je crois que l’Antre
de la folie est simplement trop
différent de tout autre film
Dessin © NINE ANTICO / POTEMKINE FILMS
«Invasion Los Angeles est
mon Raisins de la colère, ma
fiction sociale du point de
vue de la classe pauvre et laborieuse. C’est le meilleur
film de John Ford, à mon
sens.»
Restauration et numérisation
avec le soutien du
les films du losange
À partir du 4 décembre en versions restaurées aux cinémas
ÉTOILE ST-GERMAIN-DES-PRÉS
et LE CHAMPO
SÉANCES SUIVIES DE RENCONTRES ET DÉBATS
CINEMA
Quel spectateur êtes­vous? Un invité nous répond du tac au tac.
SÉANCE TENANTE
CHRISTOPHE ERNAULT
La nuit, il est le chanteur
de charme Alister. Le jour, il dirige
Schnock, l’excellente revue
«des vieux de 27 à 77 ans»,
dont le prochain numéro paraît
le 4 décembre, avec Coluche
en couverture. PHOTO DOM GARCIA
«QUAND JE CHANGE
UNE AMPOULE
JE PENSE À LOSEY»
w La première image?
w La séquence qui vous a empêché
Le lion de la MGM. Puissant, effrayant, rigolo. Quality control immédiat pour l’enfant que j’étais.
w Dernier film vu?
Je ne vais plus en salles, au grand
désespoir de mes proches, car je
ne supporte plus le comportement
antisocial qu’il y règne. L’un des
derniers trucs que j’ai dû aller voir,
c’est Inception. Dieu sait que je n’ai
pas l’habitude de dire quand c’est
bien, mais là c’était mauvais.
w Le film que vos parents vous ont
empêché de voir?
Octobre 85. Rambo 2. Un peu trop
communiste si je me souviens
bien. Ils avaient parfaitement raison. Je m’étais replié sur
Mad Max 3 qui m’avait bouleversé.
w Le monstre de cinéma dont vous
vous sentez le plus proche?
Le «Caresseur» de Et la tendresse?
Bordel !
w Le film ou la scène qui a interrompu un flirt avec votre voisin(e)?
Le Septième Sceau, de Bergman. Je
ne les ai jamais revus.
w Que faites-vous pendant les bandes annonces?
Je localise les extincteurs en cas
d’incendie. Je compte les gens
dans la salle.
w Avec quel personnage aimeriezvous coucher (ou pire)?
J’aimerais bien parler de cosmologie quantique à Monica Vitti dans
La Notte ou de l’idée de progrès à
Faye Dunaway dans Network.
w Pour ou contre la 3D?
Ni pour ni contre. Mais pas loin.
w Le hors-champ, ça vous travaille?
Non. Le «hors chiant», oui.
de dormir (ou de manger)?
Le mec déguisé en ours dans Shining, évidemment. Il est con, ce
Kubrick.
w Ce film que personne n’a vu et
que vous tenez pour un
chef-d’œuvre?
Le Maître-Nageur, de Jean-Louis
Trintignant.
w Le cinéaste dont vous n’oserez jamais dire du mal?
Joseph Losey. Même l’Assassinat
de Trotsky. Même en accéléré et à
l’envers. J’ai une indulgence à son
égard qui trahit une assez basse
admiration de ma part. Accident
est le film que j’ai dû le plus voir.
Quand il manque un peu d’intelligence autour de moi, je fous un
Losey. Quand je change une ampoule, je pense à Losey. J’ai ouvert
une page de fan de Losey sur Facebook. On est trois, dont deux
Jordaniens.
w Le cinéaste dont vous osez dire du
bien?
Gilles Grangier. Un vrai cinéaste
qui savait filmer le populo, franco
de port, sans apprêt et sans morgue de classe, avec une idiosyncrasie française aussi passionnante
que la Nouvelle Vague. Ken Loach
à côté, c’est Jean Girault.
w Le cinéma disparaît à tout jamais.
Une épitaphe?
«Clap, clap».
w La dernière image?
La fin suspendue de Butch Cassidy
et le Kid. J’en parle dans Schnock,
dans un interminable papier sur
Paul Newman.
Recueilli par JULIEN GESTER
REPRISE PRAGUE AVANT LE PRINTEMPS
Réalisé en 1966 par Vera Chytilova, les Petites
Marguerites, merveilleux emblème de la Nou­
velle Vague tchèque, reparaît aujourd’hui en
(superbes) copies restaurées. Il faut redécouvrir
ce crachat poétique, coloré, résolumment punk
avant la lettre, lancé à la face de l’ennui. L’ennui et
le conformisme plombés d’une société socialiste
d’alors que les deux jeunes et jolies protagonistes
évaporées du film, Marie 1 et Marie 2, s’escriment
à ébranler par l’outrance d’une série d’exactions
tapageuses (et plus ou moins improvisées).
L’ennui du cinéma poussiéreux de papa, rapiécé
ici par les élans pop d’une forme qui s’éclate.
L’ennui enfin de rapports archaïques entre
les sexes, figurés par les corps lourds, empesés,
bourgeois, de ces notables que laminent les deux
Marie dans une délectable réappropriation des
rênes du jeu amoureux. J.G. PHOTO MALAVIDA
Ce soir, au Grand Action (5, rue des Ecoles, 75005),
séance spéciale en présence de l’actrice Jitka Cerhova.
LES CHOIX DE «LIBÉ»
BORGMAN
d’Alex Van Warmerdam (1 h 53).
Borgman est une créature de la fo­
rêt. Clochard surgi d’un terrier, il
investit une maison bourgeoise
pour procéder à sa vengeance gla­
ciale. Le cinéaste dramaturge hol­
landais, perdu de vue depuis une
quinzaine d’années, fait son retour
avec ce personnage, instrument
d’une mise au jour de pulsions se­
crètes, d’inavouables névroses et
de travers tenus cachés.
IN THE LAND
OF THE HEAD HUNTERS
de Edward S. Curtis (1 h 05).
LES GARÇONS
ET GUILLAUME, À TABLE !
de Guillaume Gallienne (1 h 25).
Réalisé par le célébrissime photo­
graphe Edward Sheriff Curtis, la
mémoire des derniers indiens
d’Amérique, un documentaire­fic­
tion de 1914 qui fait danser avec les
esprits de la tribu des Kwakiutl, sur
l’île canadienne de Vancouver.
Quand la magie du cinéma nais­
sant se métisse avec des sorcelle­
ries ancestrales.
Cette vraie fausse autobiographie
de coming out hétéro était hila­
rante au théâtre. Au cinéma, c’est
encore bien pire, le sociétaire de
la Comédie­Française Guillaume
Gallienne parvenant à trouver des
idées de plans qui renouvellent sa
performance de one­man­show. Il
est en effet ici tous les hommes de
sa vie, y compris sa mère.
TICKET D’ENTRÉES (SOURCE «ÉCRAN TOTAL»)
Film
LES GARCONS ET GUILLAUME…
ÉVASION
CAPITAINE PHILLIPS
L’APPRENTI PÈRE NOËL…
CARTEL
Peu de films ont bénéficié cette
année d’une promo presse de l’am­
pleur de celle des Garçons et
Guillaume, à table ! Certes,
Guillaume Gallienne excelle aussi
dans cet exercice, mais cela n’expli­
que pas totalement le départ ca­
non de sa comédie tirée du specta­
Semaine
1
2
1
1
2
Ecrans
406
196
500
364
409
Entrées
572 872
118 868
193 982
123 540
137 941
cle dans lequel il a triomphé au
théâtre. Meilleure moyenne de la
semaine, le film enfonce aussi en
termes d’entrées toutes les grosses
machines américaines, même Gra­
vity, qui a attiré 200 000 specta­
teurs en cinquième semaine, et le
film d’animation de la saison l’Ap­
Moyenne/écran
1 411
606
388
339
337
Cumul
572 872
315 539
193 982
123 540
481 563
prenti Père Noël et le flocon magi­
que. Pour le reste, la semaine est
un peu terne, probablement un si­
gne avant coureur du débarque­
ment imminent du rouleau com­
presseur hivernal, Hunger Games,
dont l’exploitation est annoncée
sur plus de 1000 écrans en France.
18
•
ECONOMIE
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
A Tokyo, hier. Ces derniers mois,
les Abenomics ont porté les valeurs
boursières. PHOTO Y. SHINO. REUTERS
«pause dans l’amélioration de la
confiance des consommateurs».
Cette consommation ne s’appuie
pas sur une augmentation des salaires, le talon d’Achille des Abenomics. Malgré les appels répétés
d’Abe à un coup de pouce salarial,
les entreprises rechignent à mieux
rétribuer leurs employés, à embaucher et à investir malgré des profits
en hausse cette année.
L’indice Tankan, qui décortique le
moral des chefs d’entreprise, est
devenu positif ces derniers mois,
mais il est loin de traduire une
pleine adhésion au projet d’Abe.
«Nous nous attendions à ce qu’ils
soient plus confiants, mais ce n’est
pas le cas», constate Adachi Masamichi de JP Morgan, qui entrevoit
une possible hausse salariale
de 1,5% mais pas avant le printemps. «L’impact des Abenomics n’a
pas vraiment gagné le secteur privé.»
La politique de relance du Premier ministre, Shinzo Abe, fondée en partie sur
une baisse du yen, ampute le pouvoir d’achat, alors que la TVA va augmenter.
Par ARNAUD VAULERIN
Correspondant à Kyoto
«La perte de vitesse est réelle, juge
Masamichi Adachi, économiste
auprès de JP Morgan à Tokyo. Mais
n net ralentissement et même à 1,9%, la croissance n’est pas
des doutes persistants. si mauvaise. Cette baisse est d’abord
Après un printemps due à des exportations moins imporeuphorique, la
tantes, surtout à destination
troisième économie monANALYSE des Etats-Unis et des pays
diale se prépare-t-elle à
émergents en Asie.» C’est
un hiver anémique ? Presqu’un an en substance le message délivré par
après la mise en place de la potion le gouvernement, qui s’efforce de
magique des «Abenomics», le gou- tordre le cou à quinze années de
vernement japonais se trouve con- déflation. Depuis qu’il est revenu
fronté à des résultats en demi- au pouvoir en décembre, Abe a
teinte, alors que se profile un choc mouillé sa chemise pour inverser la
fiscal en avril avec la hausse de la tendance. A grands renforts d’acTVA. La croissance s’est repliée de tions volontaristes, il a décoché
moitié au troisième trimestre, trois flèches visant à un assouplisà 1,9%en rythme annualisé, con- sement fiscal et monétaire, une retre 3,8% entre avril et juin et 4,3% lance massive via des chantiers puen début d’année quand le Premier blics et une stratégie de croissance
ministre, Shinzo Abe, entrait en pour doper les investissements et
fonction, inaugurant une auda- stimuler la compétitivité. «La decieuse politique de relance.
mande intérieure est stable et l’éco-
U
REPÈRES
nomie poursuit son redressement»,
s’est félicité récemment le ministre
de l’Economie, Akira Amari.
cela s’explique par des importations gigantesques d’hydrocarbures
pour pallier l’arrêt des 50 réacteurs
nucléaires, ce résultat est égaleIMPORTATIONS. Mais ce succès ap- ment dû à une dépréciation du yen.
parent des Abenomics reste très La monnaie nippone, qui a perdu
fragile. L’arme monétaire n’a pas eu près de 25% en un an, a fait flamber
tous les effets bénéfiques escomp- le coût des importations de matières premières et alimentaires, de produits
«La consommation va chuter.
électroniques et d’haC’est à ce moment-là que les
billement, pénalisant
Abenomics vont être testées.»
d’abord les ménages.
Adachi Masamichi expert chez JP Morgan
«Avec ces prix d’énergie élevés, une inflation
tés comme le montre le déficit à 0,9%, il y a évidemment une perte
commercial qui a doublé en un an, de pouvoir d’achat», analyse Rayselon des chiffres communiqués la mond Van Der Putten, spécialiste
semaine dernière. Pour le sei- de l’Archipel chez BNP Paribas.
zième mois d’affilée, le commerce Dans son rapport mensuel, l’Instiextérieur a affiché en octobre un tut de recherche du Japon a clairesolde négatif de 1090,7 milliards de ment établi que les dépenses des
yens (8,25 milliards d’euros), con- ménages avaient ralenti au troitre 556 milliards un an plus tôt. Si sième trimestre, pointant une
DETTEPUBLIQUE
(en % du PIB)
-
-
-
-
CROISSANCEDUPIB
(variation annuelle en %)
(variation annuelle en %)
PRIXÀLACONSOMMATION
-
* *
Source : FMI
*estimations et prévisions
LesAbenomics,potionmagique
devenueamèrepourlesJaponais
RÉFORMES. Les ménages, qui puisent dans leur épargne, et l’Etat,
qui a débloqué plusieurs dizaines
de milliards d’euros, demeurent les
vrais moteurs d’une croissance très
encadrée. «Les entreprises restent
prudentes et s’interrogent surtout sur
l’après-mars 2014 quand la taxe sur
la consommation passera de 5 à 8%.
Elles attendent de voir si les Japonais
vont continuer à avancer leurs achats
avant cette date et redoutent les conséquences de cette hausse sur l’économie», explique Raymond Van Der
Putten. Il prévoit une croissance
négative à 0,2% au second trimestre. «La consommation va chuter,
ajoute Adachi Masamichi. C’est à ce
moment-là que les Abenomics vont
être réellement testées et affronter des
vents contraires.» Cette hausse de la
TVA, présentée comme inévitable
pour assainir la dette publique qui
avoisine les 245% du PIB, devrait
permettre de renflouer les comptes
de la Sécurité sociale.
Mais elle ne sera pas payante sans
les réformes structurelles que
Shinzo Abe appelle de ses vœux. Ce
cœur de sa stratégie de croissance,
la troisième flèche, laisse les experts dubitatifs. «Il s’agit de faire du
neuf avec du vieux, regrette Tobias
Harris, un consultant spécialiste du
Japon chez Teneo Intelligence. C’est
tellement décevant, il manque une vision de ce que sera l’économie japonaise. La formation, le marché de
l’emploi, le financement des entreprises, la main-d’œuvre étrangère sont
autant de questions fondamentales
auxquelles la troisième flèche ne répond quasiment pas.» L’heure de
vérité approche. •
* *
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
ECONOMIEXPRESSO
«Une nouvelle
tyrannie invisible
impose ses lois
d’une manière
unilatérale
et implacable.
Le marché
est divinisé.»
2 883 758 990€ +10,52%
Les 3 plus fortes
SAFRAN
EDF
SOLVAY
Des employés de Mory­Ducros, hier, à Pontoise. PHOTO JEAN­MICHEL SICOT.
Coursecontrelamontre
pourMory-Ducros
SOCIAL Des repreneurs auraient fait part de leur
intérêt. Et l’Etat semble prêt à débloquer des aides.
C
asquettes CGT, calicots CFDT, braseros
et casques de chantier… Une centaine
de chauffeurs de Mory-Ducros étaient rassemblés hier
après-midi devant le tribunal
de commerce de Pontoise
(Val-d’Oise). Ils ont appris
sans surprise le placement en
redressement judiciaire du
numéro deux français de la
messagerie (transport routier
de colis), dont la direction
avait annoncé le dépôt de bilan vendredi (Libération du
23 novembre). L’annonce de la
nomination de deux administrateurs judiciaires et
d’une mise sous observation
de l’entreprise pour une période de six mois, a été accueillie dans le calme. La
procédure, qui gèle les
200 millions de dettes de
l’entreprise, va lui permettre
de poursuivre temporairement son activité.
Résistance. Mais l’inquiétude est grande chez les salariés. Si aucune solution ne se
présente, 5000 emplois sont
menacés suite à ce dépôt de
bilan, le plus important en
France depuis Moulinex en
2001. Une course contre la
montre est engagée pour
éviter la faillite. «L’objectif
est maintenant de sauver l’entreprise et un maximum d’emplois. Tout le monde va se retrousser les manches, et dès
demain tout le monde repart
au boulot pour rassurer les
clients», a déclaré le secrétaire CFDT du comité d’entreprise, Denis Jean-Bap-
tiste. La CFDT a mis en avant
un plan de sauvetage «alternatif» qui passerait par
un redimensionnement du
réseau national de Mory-Ducros de 85 à environ 50 sites.
L’objectif du syndicat est
de sauver 3 000 emplois
dans le cadre d’une «solution
globale».
L’actionnaire actuel de MoryDucros, Arcole Industries (filiale du fonds Caravelle) a jeté
l’éponge mais se dit prêt à y
seurs de premier plan, industriels et financiers, ont d’ores
et déjà marqué leur intérêt»,
affirmait hier la direction de
Mory-Ducros dans un communiqué. Mais les syndicats
sont sceptiques.
Sommet. Aucun repreneur
ne s’est manifesté jusqu’au
dépôt de bilan. La messagerie
est déjà très concentrée en
France: «En dehors du numéro
un Geodis [filiale de la SNCF],
qui serait bloqué par les autorités de la concurrence, personne
«Le bal des vautours va
n’a les reins assez
commencer. Mais nous
solides pour rerefusons toute logique de
prendre Morydémantèlement site par site.» Ducros dans sa
totalité», estime
Denis Jean­Baptiste secrétaire CFDT
un professionnel
participer : «Cette période du secteur. Les 765 millions
d’observation est l’occasion d’euros de chiffre d’affaires
d’élaborer, avec le soutien des et les 4 500 véhicules du
pouvoirs publics, une solution transporteur pourraient toupour l’avenir», a dit hier An- tefois susciter des convoitises
dré Lebrun, le président à la barre du tribunal. Aussi,
d’Arcole Industries. Et son les syndicats mobilisent déjà
entourage laissait entendre contre une vente à la déque le fonds était prêt à «ac- coupe. «Le bal des vautours va
compagner un ou des repre- commencer. Mais nous refuneurs en restant au capital de sons toute logique de démantèMory-Ducros». De son côté, lement site par site», martèle
le gouvernement veut à tout Denis Jean-Baptiste. Les saprix éviter un nouveau drame lariés de Mory-Ducros semsocial. Le ministre du Re- blent en tout cas déterminés
dressement productif, Ar- à faire parler d’eux jusqu’au
naud Montebourg, semble sommet de l’Etat: au tribunal
prêt à débloquer des aides de commerce, ils étaient republiques via le nouveau présentés par le propre fils du
Fonds de résistance écono- président de la République,
mique, doté de 380 millions un avocat nommé Thomas
d’euros. Mais il conditionne Hollande.
Prochaine
le soutien financier de l’Etat audience le 20 décembre.
à l’existence d’«un projet de
JEAN-CHRISTOPHE
reprise solide». «Des investisFÉRAUD
•
SUR LIBÉ.FR
Impôts. Les termes
fiscaux les plus courants
dans «l’indispensable
lexique».
Les 3 plus basses
TECHNIP
PERNOD RICARD
DANONE
16 094,63
4 008,40
6 636,22
15 515,24
L’HISTOIRE
La malle de 9 mètres de
haut et 30 de long trône
près du mausolée de
Lénine, bouchant la vue sur
la cathédrale Basile le Bien­
heureux et ses dômes colo­
rés. Louis Vuitton n’a pas
fait dans la discrétion en
s’installant sur la place
Rouge pour une exposition
de bagages ayant appar­
tenu à des célébrités à tra­
vers l’histoire.
Le gigantisme du pavillon
jaune et marron, siglé LV, a
suscité moult réactions
indignées à Moscou. «La
place Rouge est un endroit
sacré de l’Etat russe», a
protesté le député commu­
niste Sergueï Oboukhov.
Un autre, membre du parti
au pouvoir Russie unie, a
saisi le service fédéral anti­
monopole (FAS) pour véri­
fier si cette malle géante
ne viole pas la législation
sur la publicité. Vuitton
compte reverser tous les
bénéfices de l’expo à une
fondation caritative pour
enfants handicapés.
19
-0,57 % / 4 277,57 PTS
Le pape François
hier au Vatican
MOSCOU INDIGNÉ
PAR UNE EXPO
LOUIS VUITTON
•
+0,14 %
+0,35 %
-0,87 %
-0,67 %
LES GENS
RETRAITES : MARISOL TOURAINE FAIT
PASSER SA RÉFORME À L’ASSEMBLÉE
La ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, a réussi
hier à faire adopter sa réforme des retraites, en seconde
lecture à l’Assemblée nationale. Le projet a recueilli
291 voix pour, 243 voix contre, grâce à des mesures de
dernière minute destinées à satisfaire de nombreux dépu­
tés de gauche, hostiles au report de la revalorisation des
pensions. Parmi les amendements qui ont pesé dans la
balance: l’acquisition d’une complémentaire santé revalo­
risée d’une cinquantaine d’euros pour les plus de 60 ans
(disposant d’une retraite inférieure à 967 euros) et la pro­
messe de deux hausses du minimum vieillesse en 2014.
PHOTO LAURENT TROUDE
15,4%
C’est la baisse inquiétante du nombre de permis de
construire pour des logements neufs en France, entre
novembre 2012 et octobre 2013. Cette déprime du BTP
français, malgré le déficit persistant de logements,
contraste avec le climat américain: les permis de cons­
truire, en hausse de 14% en octobre, y retrouvent leur
niveau de juin 2008, avant la faillite de Lehman Brothers.
20
•
REBONDS
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
Arrêtons les agrocarburants,
ils polluent et en plus ils affament
Par JEAN
ZIEGLER
Rapporteur
spécial des
Nations unies
pour le droit
à l’alimentation
de 2000 à 2008,
membre
du Comité
consultatif du
Conseil des droits
de l’homme
B
rûler des centaines de millions de tonnes
d’aliments de première nécessité pour
la production d’agrocarburants est
un crime contre l’humanité. Depuis
2007, les gouvernements européens et
américain ont apporté un soutien sans
faille à l’industrie agroalimentaire afin
de lui permettre de remplir les réservoirs des voitures
avec de la nourriture, notamment grâce à la mise
en place d’objectifs contraignants, d’allégements fiscaux et de subventions de plusieurs milliards d’euros
chaque année. Pour quel résultat ? Progression de
la faim dans le monde, accaparement massif des terres, dégradation de l’environnement, et au finale,
des centaines de milliers de vies perdues.
Le gouvernement français et les autres dirigeants
européens disposent dans le mois qui vient d’une opportunité unique de mettre un terme à ce désastreux
développement des agrocarburants. A une époque
où toutes les cinq secondes un enfant de moins
de 10 ans meurt de n’avoir pu suffisamment s’alimenter –selon l’Organisation des Nations unies pour
l’alimentation et l’agriculture (FAO)– il est urgent que
nos décideurs politiques agissent.
Quelle ironie d’entendre certaines multinationales
continuer à promouvoir les agrocarburants comme
une alternative durable aux combustibles fossiles,
«bonne pour l’environnement». En effet, hormis
ceux qui bénéficient directement
L’Union européenne brûle dans
des politiques
les réservoirs de ses voitures
européennes sur
une quantité de calories alimentaires
les agrocarburants
suffisante chaque année pour nourrir (telles que l’objectif de 10% d’éner100 millions de personnes.
gie renouvelable
dans les transports), peu sont désormais ceux qui
continuent de croire aux avantages environnementaux et sociaux de cette énergie. La réalité est
qu’il s’agit simplement d’une autre forme d’exploitation inconsidérée des ressources naturelles: produire
un seul litre d’agrocarburants nécessite ainsi pas
moins de 2 500 litres d’eau.
Les politiques française et européenne de promotion
des agrocarburants ont, depuis 2008, détourné
les cultures vivrières des marchés alimentaires, sous
la pression des puissantes entreprises agroalimentaires
qui poursuivent leur course au profit. Cette utilisation
de grandes quantités de cultures et de denrées alimentaires pour des quantités relativement faibles de carburant a eu trois conséquences désastreuses.
La première est l’aggravation du problème de la faim
dans le monde. Presque tous les agrocarburants utilisés en Europe sont issus de cultures vivrières telles
que le blé, le soja, l’huile de palme, le colza et le maïs,
qui sont des sources de nourriture essentielles pour
une population mondiale en expansion rapide.
L’Union européenne brûle pourtant dans les réservoirs
de ses voitures une quantité de calories alimentaires
suffisante chaque année pour nourrir 100 millions de
personnes. Par ailleurs, le prix des denrées alimentaires vitales, telles que les oléagineux, devrait augmenter de près de 20%, l’huile végétale jusqu’à 36%,
le blé jusqu’à 13%, et le maïs de près de 22% d’ici
à 2020 en raison des objectifs actuels de l’UE en matière d’agrocarburants. Si cela vous semble peu, pensez que pour les habitants des taudis du monde qui ont
très peu d’argent pour acheter leur nourriture quotidienne, cela constitue une véritable catastrophe.
Deuxième conséquence: une nouvelle demande mas-
sive de terres par les grandes multinationales détruisant les petites exploitations agricoles ainsi que
les habitations environnantes. Les spéculateurs fonciers, les fonds spéculatifs et les entreprises agroénergétiques ont été en première ligne d’une nouvelle
ruée mondiale vers la terre forçant des centaines de
milliers de petits agriculteurs à abandonner leurs
champs et les privant de leurs moyens de subsistance
et d’approvisionnement en eau. Partout à travers
le monde, mais particulièrement en Amérique latine,
en Afrique et en Asie, la monopolisation des terres par
des entreprises multinationales d’agrocarburants
s’accompagne de violences dont les paysans indigènes
et leurs familles sont les principales victimes.
La troisième conséquence enfin est la destruction de
l’environnement. La demande en terres supplémentaires pour répondre aux objectifs de l’UE en matière
d’agrocarburants implique une expansion des terres
cultivées équivalente à la taille de l’Irlande, des forêts
abattues, des tourbières pillées et des prairies labourées. Il ne fait plus aucun doute que les avantages en
termes de changement climatique de la plupart des
agrocarburants sont négligeables voire nuls. En tenant
compte de l’utilisation d’engrais, du défrichement,
de la déforestation et du déplacement d’autres cultures, la plupart des agrocarburants produits par l’UE
ne réduisent pas les émissions de carbone, bien que
subventionnés pour le faire, mais émettent des millions de tonnes supplémentaires de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. La consommation de combustibles fossiles doit être réduite rapidement, cela ne
fait aucun doute, d’autant que les solutions alternatives existent. Elles incluent la réduction de la consommation d’énergie, l’usage plus généralisé des transports publics ainsi que d’autres sources d’énergie
propre, et non les agrocarburants issus de cultures
agricoles, et aux conséquences particulièrement néfastes.
Cette absurdité ne peut plus durer. Il est temps d’arrêter cette folie des agrocarburants, qui ne procurent
de larges profits qu’à une poignée de multinationales
alors que les conséquences sur l’environnement et
sur des millions de victimes sans défense se révèlent
désastreuses. Le 12 décembre, lorsque les dirigeants
européens décideront à Bruxelles du sort de cette politique d’agrocarburants meurtrière, il est impératif
qu’ils annulent immédiatement les objectifs fixés et
abandonnent leur soutien aux agrocarburants qui ne
font qu’entrer en compétition avec l’accès à la nourriture. Ignorer cette recommandation les rendra
complices d’un crime contre l’humanité.
Auteur de: «Destruction massive: géopolitique de la faim»,
éditions du Seuil­Points, 2012.
L'ŒIL DE WILLEM
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
Les Occidentaux
et le pari iranien
Mettons les choses La première est qu’un régime autant
au mieux. A l’issue aux abois que celui de l’Iran mais disdes six mois prévus posant de milices surarmées, choyées
et de quelques pro- et richissimes n’est jamais aussi fort que
longations, l’ac- lorsqu’il se sent menacé de toutes parts.
cord intérimaire L’heure n’est alors plus aux divisions.
que les grandes Elle est, au contraire, au front commun
puissances ont si- de tous les courants conservateurs qui
gné dimanche avec assurent leur survie collective en metl’Iran devient un tant leurs différences de côté. La Corée
accord tout court. du Nord est là pour dire ce que la RépuPar BERNARD
L’Iran renonce blique islamique pourrait devenir si
GUETTA
définitivement à se elle n’avait plus d’autre perspective que
doter de la bombe. sa fin et la deuxième réalité à prendre
Les sanctions étranglant son économie compte est l’échiquier politique
sont levées. Une guerre a été évitée et le iranien.
danger de prolifération régionale en- L’Iran est une théocratie dans laquelle
rayé.
une superstructure cléricale dispose de
Tout est bien, sauf que cette dictature tous les vrais pouvoirs, qui plus est
qu’est l’Iran des ayatollahs, aussi bru- concentrés entre les mains d’un seul
tale à l’intérieur qu’inquiétante à l’ex- homme, le Guide suprême. L’Iran est
térieur, n’en resterait pas moins tout sauf une démocratie mais il n’y
un «Etat du seuil», un
existe pas moins une répays maîtrisant la techpublique, un exécutif
DIPLOMATIQUES
nologie nucléaire et
procédant d’élections
donc à même, dès qu’il le déciderait, de dont les résultats ne sont pas toujours
disposer de l’arme atomique à très court truqués. C’est ainsi qu’un réformateur,
terme.
Mohammad Khatami, s’y était fait élire
C’est pour cette raison qu’Israël, et réélire à la présidence à la fin des anles monarchies pétrolières et la quasi- nées 90 et qu’un modéré, Hassan
totalité des pays sunnites du monde Rohani, a réussi le même exploit, en
arabe déplorent cet accord. A gauche juin, après avoir réuni sur son nom tous
comme à droite, Israël s’inquiète de ce les partisans d’un changement.
qu’un pays qui arme et finance le Hez- Intensément souhaité par la population
bollah, qui entretient ainsi une redou- iranienne, l’accord de dimanche donne
table armée à la frontière sud du Liban à ce nouveau président et à ses hommes
et dont le Guide suprême, l’ayatollah une telle popularité qu’ils sont mainteKhamenei, le voue à la destruction, nant devenus incontournables. Les
puisse toujours devenir une puissance conservateurs doivent désormais comnucléaire. Les pays sunnites sont encore poser avec eux et, si l’équipe présidenplus inquiets parce qu’ils sont en com- tielle parvient, demain, à un accord dépétition avec l’Iran chiite dans tout finitif sur le nucléaire et, donc, à
le Proche-Orient, que les passions reli- la levée de toutes les sanctions, elle sera
gieuses et les rivalités d’Etat se mêlent alors tellement intouchable qu’elle
dans cette bataille toujours plus achar- pourra imposer une libéralisation polinée et qu’à la différence d’Israël, tique à laquelle elle-même aspire et que
ils n’ont pas la bombe pour leur garan- les Iraniens exigent.
tir un équilibre de la terreur.
Face à des conservateurs en plein désarL’accord de dimanche ne résout pas roi, modérés et réformateurs ont le vent
tout, et loin de là. On peut y voir en poupe à Téhéran. C’est sur leur renune victoire d’étape pour les ayatollahs. forcement qu’il faut tabler car c’est par
C’est pour cela qu’Israéliens et Saou- eux que peut passer une évolution maîdiens en veulent aujourd’hui tant à leur trisée mais toujours plus profonde de ce
allié américain et auraient cent fois pré- régime mis dos au mur par les sancféré qu’il n’y ait pas de négociations, tions. Européens et Américains ont, en
que les sanctions économiques aient été ce sens, d’autant plus raison de jouer le
maintenues et renforcées et qu’elles compromis avec Hassan Rohani qu’un
aient progressivement conduit à Iran tournant le dos à la bombe et réinla chute du régime iranien en attisant, tégré dans le concert international
contre lui, les tensions sociales et pourrait parfaitement devenir –c’est la
le rejet politique auquel il fait face troisième réalité à prendre en compte–
depuis près de vingt ans.
un facteur de stabilisation régionale.
C’est une position d’autant plus défen- C’est un pari mais il est infiniment
dable qu’on peut aussi craindre que moins risqué que celui de l’épreuve de
cet accord n’incite l’Arabie Saoudite et force car, fatigué de la révolution et de
d’autres pays de la région à vouloir la théocratie, bénéficiant à la fois de
devenir, à leur tour, des «Etats du ses richesses naturelles et d’un niveau
seuil». Il y a, oui, de bonnes raisons de culturel extrêmement élevé, l’Iran est
crier gare devant cette avancée mais mûr pour un développement fouc’est pourtant faire là bon marché de droyant et une démocratie, une pleine
trois réalités.
et entière démocratie.
REBONDS
•
21
La dissuasion
nucléaire mérite
un débat
Par FRANÇOIS DE RUGY Député EE­LV et
MICHEL ROCARD Ancien Premier ministre
H
a bien changé. L’affrontement des blocs n’est
plus et les menaces ont profondément évolué.
Nos ogives ne nous sont aujourd’hui
d’aucune utilité face à ce qui constitue
le cœur de notre action stratégique : la lutte
contre le terrorisme, les conflits asymétriques, les opérations extérieures et de
maintien de la paix.
Il est aussi indispensable d’ouvrir un débat
sur la dérive des coûts de nos programmes
de dissuasion, pointée en 2010 par la Cour
des comptes. Est-il absolument nécessaire,
dans le contexte de restrictions budgétaires
actuelles, de maintenir en mer quatre sousmarins lanceurs d’engins et de conserver
en parallèle une coûteuse composante
aéroportée ? A lui seul, l’entretien de nos
forces aériennes stratégiques et de leur
environnement mobilise entre 200 et
400 millions d’euros par an. Le RoyaumeUni, qui fait face aux mêmes impératifs que
la France, a décidé voilà plus de quinze ans
de supprimer sa composante aérienne, et
cela n’a nullement affecté sa position sur la
scène internationale.
Enfin, se pose la question de la compatibilité
entre le maintien d’un puissant arsenal de
dissuasion dans l’Hexagone, et nos engagements internationaux en matière de désarmement. Comment contribuer à faire
sortir de l’impasse le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ? Si elle veut
conserver sa place dans le concert des
grandes nations, la France a le devoir de
relancer ce processus avec des initiatives
plus ambitieuses.
Cette exigence démocratique s’exprime
aujourd’hui au-delà des frontières parti-
ier, l’Assemblée nationale a entamé
l’examen de la Loi de programmation militaire (LPM) qui fixe les
orientations de la France en matière
de défense pour la période 2014-2019. Ce
texte, qui s’inscrit dans la continuité de
l’exercice précédent, confirme notamment
le maintien d’une force de dissuasion nucléaire qui coûtera à l’Etat 23,3 milliards
d’euros d’ici à 2019. Or, cette décision majeure n’a fait l’objet d’aucun véritable débat
démocratique.
Les dispositions contenues dans la LPM
sont-elles le fruit d’un consensus ? Résultent-elles d’une consultation équilibrée,
menée dans le cadre du nouveau Livre blanc
sur la Défense et la Sécurité nationale ?
A l’évidence, non. La composition du collège
d’experts désignés sur décret présidentiel
pour repenser notre stratégie de défense
–dans l’immense majorité, des partisans du
statu quo – n’a en effet pas permis que soit
menée une véritable discussion sur la question de la bombe atomique. Les participants
ont disposé d’autant moins de latitude que
le chef de l’Etat avait, avant même l’ouverture des travaux, «confirmé le maintien de
la stratégie de dissuasion nucléaire». Les jeux
étaient déjà faits.
Cette confiscation démocratique repose sur
trois arguments. Le cercle des décideurs veut
nous faire croire que, dans son interprétation
littérale, l’article 15 de la Constitution – qui
dispose que «le Président est le chef des
armées» – rendrait impossible toute mise
en cause de la gestion personnalisée
de la politique de défense. Il brandit A lui seul l’entretien de nos forces
par ailleurs le dogme de «l’assuranaériennes stratégiques et de leur
ce-vie» : le maintien en l’état de
l’arme atomique dans ses deux com- environnement mobilise entre 200
posantes serait indispensable, et donc et 400 millions d’euros par an.
non négociable, pour assurer la sécurité du territoire. Enfin, il fait état de sanes. En 2011, un groupe de travail réuni
la grande technicité de ce dossier qui inter- autour de l’avionneur Serge Dassault avait
dirait aux personnes ne disposant pas des conclu que le contexte économique pouvait
«compétences technologiques nécessaires» appeler une rationalisation de notre force de
de l’aborder.
dissuasion. Plus récemment, le député UMP
Cette rhétorique alarmiste et excluante n’est et ancien ministre Pierre Lellouche a déploré
pas acceptable. La pensée nucléaire ne peut que la France se retrouve contrainte de
plus être «le parent pauvre de la réflexion «choisir entre forces de dissuasion et forces de
stratégique», selon l’expression du général projection».
Desportes, ancien directeur de l’Ecole A l’Assemblée nationale, lors des échanges
de guerre. Le niveau des dépenses mobilisées en commission sur la Loi de programmation
par la France dans le secteur de la défense militaire qui ont eu lieu la semaine dernière,
–32 milliards d’euros par an, soit le troisième les amendements sur la dissuasion nucléaire
budget de l’Etat – commande que tous ont tous été repoussés sans la moindre
les acteurs politiques, quels que soient leur discussion. S’il ne se saisit pas de ce débat
bord et leurs convictions, soient associés lors de la séance de mardi, le Parlement
au débat de fond. Il en va de la démocratie et manquera un rendez-vous crucial. Ce n’est
de la légitimité de notre action.
pas un service rendu au président de
Plusieurs questions méritent d’être posées. la République, ni à la Défense nationale.
En premier lieu, celle de la pertinence de Notre majorité, élue sur le thème du channotre stratégie atomique. Depuis que gement, ne saurait se résoudre à être
cette dernière a été mise en place à la fin des celle du statu quo sur les questions
années 50 par le général De Gaulle, le monde militaires.
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LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
Directoire
Nicolas Demorand
Philippe Nicolas
Directeur de la publication
Nicolas Demorand
Directeur de la rédaction
Fabrice Rousselot
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du sud-ouest à l'est, avec un risque neigeux en limite du lioral méditerranéen.
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chutes de neige à basses altitudes pourront se produire.
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CULTURE
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
CARAÏBES
Le festival
de La Havane
a révélé une scène
en plein renouveau,
irrévérencieuse
et inventive.
Ana en el Trópico, de Nilo Cruz, mise en scène par Carlos Diaz, réunit pour la première fois des comédiens vivant à Cuba et d’autres exilés aux Etats­Unis.
Le théâtre cubain
lève le rideau de fer
Par RENÉ SOLIS Envoyé spécial à La Havane
Photos MICHEL POU
Magnifique, le spectacle est d’une implacable
tristesse. Le roman de Tolstoï a été transposé
en pantomime par la chorégraphe et metteuse
our Ana Karenina, présenté par le en scène Angelica Kholina. La sobriété du déthéâtre Vakhtangov de Moscou, le cor – trois lustres et quelques chaises – renTeatro Nacional de La Havane est force l’élégance d’un procédé qui restitue
plein à craquer. Et l’annonce deman- l’essence du roman, sans que jamais un mot
dant d’éteindre les portables est faite d’abord ne soit prononcé. Le suicide d’Anna – un
en russe. La machine à remonter
grincement de roues et un coup de
le temps est en marche. Avec son
REPORTAGE vent qui fait voler des feuilles
grand rideau plissé marron et ses
mortes– vient clore une deuxième
murs jaunâtres, la salle monumentale a des partie où, vêtus de noir, tous les interprètes
allures 100% soviétiques. Drôles de retrou- portent d’avance le deuil de l’amour manqué.
vailles: la majorité des jeunes comédiens de Et le frisson glacé qui étreint à cet instant la
la troupe du Vakhtangov n’ont pas connu le salle ne doit rien à l’air conditionné soufflant
communisme et le voyage à Cuba constitue au maximum.
pour eux une excursion à l’époque de leurs Rien ne change à Cuba, surtout pas l’impresparents. Les spectateurs cubains de plus de sion du temps suspendu, comme si le deuil
40 ans ont pour leur part presque tous appris de la révolution n’en finissait pas. Et pourle russe au lycée.
tant… Le festival de théâtre de La Havane qui
P
s’est tenu du 25 octobre au 5 novembre (lire
ci-contre) a multiplié les signes d’une évolution encore impensable il y a peu.
L’héroïne de Tolstoï est aussi l’affiche du
Trianón, l’un des nombreux théâtres qui bordent Línea, l’une des principales avenues du
Vedado, le quartier qui concentre une bonne
part de la vie culturelle de La Havane.
LIBERTÉ. Pièce de Nilo Cruz, auteur américain d’origine cubaine écrivant en anglais,
Anna in the Tropics a obtenu en 2003 un prix
Pulitzer pour le théâtre. L’œuvre a pour cadre
une manufacture de tabac en Floride dans les
années 30 et raconte l’arrivée d’un homme
embauché par des travailleurs pour leur faire
la lecture à haute voix pendant les heures de
travail. Les ouvriers écoutent donc des pages
d’Anna Karénine, tandis que la famille propriétaire de l’usine se déchire. L’intérêt du
spectacle réside d’abord dans ses conditions
de production: après sa création à La Havane,
fin octobre, cette version d’Ana en el Trópico
vient d’être présentée, du 22 au 24 novembre,
au Colony Theater de Miami, et la distribution rassemble des acteurs vivant à Cuba et
d’autres installés aux Etats-Unis. Un cas de
figure qui illustre le comblement progressif
du fossé entre Cubains «du dehors» et du
«dedans». Ce soir-là, les actrices Mabel
Roch et Lilian Rentería, qui ont quitté l’île
depuis vingt ans, sont ovationnées au moment du salut et nul n’aurait l’idée de les
traiter de gusanas («vers de terre» –entendre «vermine»–, le mot qui désigne les Cubains ayant quitté l’île).
A l’affiche avec elles, Osvaldo Doimeadiós vit
toujours à La Havane. Célèbre pour ses rôles
dans des telenovelas et ses émissions humoristiques, Doime, comme tout le monde l’ap-
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
CULTURE
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Le Teatro Raquel­Revuelta, l’une des nombreuses salles qui bordent Línea, le «Broadway» de La Havane, et le Teatro Nacional.
pelle, a été invité en 2010 à animer une émission sur Mega TV, une chaîne américaine en
espagnol basée à Key West, en Floride : «A
Cuba, tout le monde était persuadé que j’allais
rester là-bas. Mais je ne voyais pas pourquoi il
fallait que je choisisse entre un pays ou l’autre.
La guerre froide est finie! Il y a quelques années,
combiner les deux aurait été impensable.
Aujourd’hui, les artistes peuvent faire des choses sans attendre les décisions politiques. Les
temps changent.»
Un «changement» qu’illustre aussi l’étonnante liberté de ton, tant sur le fond que sur
la forme, de plusieurs spectacles. Dans Fichenla, si Pueden («Chopez là si vous pouvez»), adaptation de la Putain respectueuse de
passent ici et maintenant sans même avoir besoin de dire: “Ça, c’est Cuba.” C’est une stratégie relativement subtile. Le théâtre dispose d’un
espace de dialogue que n’ont pas le cinéma ou
la télévision. Nous profitons de cette brèche.»
La metteuse en scène Nelda Castillo, fondatrice en 1996 de la compagnie El Ciervo Encantado («Le cerf enchanté»), n’y va pas non
plus avec le dos de la cuillère. Dans la chapelle
désaffectée qui abrite son théâtre, elle est du
genre à veiller sur les spectateurs comme sur
des enfants potentiellement turbulents
(«toute sortie est définitive»). Solo interprété
par Mariela Brito, Rapsodia Para el Mulo
(«Rhapsodie pour la mule», titre inspiré d’un
poème de Lezama Lima) est un spectacle au
premier degré d’une rare violence. Nue, harnachée et entra«Le théâtre dispose d’un espace
vée comme un véritable anide dialogue que n’ont pas le cinéma ou la
mal, l’actrice tourne en rond
télévision. Nous profitons de cette brèche.» pendant une heure en traînant
une carriole, Mère Courage
Carlos Celdrán metteur en scène
muette et harassée fouillant
Sartre, le metteur en scène Carlos Celdrán, dans les poubelles de la révolution, au pied
fondateur de l’Argos Teatro, transpose la d’une silhouette du Che en ombre chinoise
pièce dans le Cuba d’aujourd’hui et met les et d’un slogan, «Del combate diario a la victodeux pieds dans plusieurs sujets brûlants: ra- ria segura» («Du combat quotidien à la viccisme, arbitraire policier et corruption politi- toire assurée»). Combat et victoire résumés
que, le spectacle tourne au brûlot d’actualité. par ce personnage à l’état de bête, qui accuPar sa rigueur, son intensité et la qualité des mule ses «richesses», tomes dépareillés des
interprètes, la pièce est cousine des produc- œuvres de Marx, Engels et Lénine, plateauxtions argentines de Daniel Veronese et repas en étain cabossé, cartes de rationneClaudio Tolcachir, qu’on a pu voir ces derniè- ment déchirées, panneaux de «tâches révolures années en France, notamment au Festival tionnaires» maculés de rouille et de boue. Le
d’automne. Metteur en scène expérimenté, tout au rythme d’une bande-son pimpante:
Carlos Celdrán sait très exactement jusqu’où des extraits d’émissions de Radio Enciclopepousser le bouchon: «Je monte des textes qui dia, station culturelle grand public, égrenant,
permettent de dialoguer avec la réalité urbaine au gré d’un jingle stressant, des «infos» façon
d’aujourd’hui. Que ce soit Ibsen, Strindberg, Sélection du Reader’s Digest: «Les fourmis ne
Beckett, Sartre, ou Virgilo Piñera [poète «fon- dorment jamais»; «Les éléphants sont les seuls
dateur» du théâtre contemporain cubain mis mammifères incapables de sauter». Et pour
à l’index dans les années 70 et mort en solde final des lendemains qui chantent, l’ac1979, ndlr]. Il s’agit toujours pour les acteurs trice s’arrête pour uriner sous elle. Impossible
de parler d’eux-mêmes et du présent. Quand on d’être plus explicite.
sort les textes de leur contexte original –lieu ou La nouvelle génération a l’irrévérence plus léépoque–, on peut donner la sensation qu’ils se gère. Dans La Mujer de Carne y Leche («La
INVITATION à la projection
du film suivie d’une masterclass
avec Yann Dédet, monteur,
à la Fémis, 6 rue Francoeur 75018 Paris
JEUDI 28 NOVEMBRE À 18H30
femme de chair et de lait»), les jeunes artistes
du collectif MCL, réunis autour de Leire Fernandez, partent à l’assaut de quelques incontournables de la culture nationale – notamment le machisme–, via des micros-trottoirs
aussi édifiants qu’hilarants, la gaîté n’occultant pas une forme de colère sourde.
FIL. Dans la même veine, en plus déjanté et
plus écrit, Perros que Jamás Ladraron («Chiens
qui n’ont jamais aboyé»), du jeune dramaturge Rogelio Orizondo, s’inspire de témoignages – souvenirs d’enfance, expériences
amoureuses– souvent glaçants de ses acteurs.
Et les insère dans un show interactif avec le
public (invité à envoyer des SMS à l’un des
acteurs, qui les lit en direct). Le tout dans un
bordel qui revendique sa filiation avec le
«théâtre allemand contemporain».
L’autre fil suivi par les jeunes dramaturges
cubains passe par un retour aux héros du
théâtre grec. Ils s’inscrivent en cela dans la
lignée de Virgilio Piñera, dont Electra Garrigó (1948) constitue l’une des œuvres majeures du théâtre cubain du XXe siècle. Un retour
aux classiques qui est aussi un raccourci vers
l’actualité que certains ont payé cher. Tels
Antón Arrufat, auteur en 1968 d’une réécriture jugée «contre-révolutionnaire» des Sept
contre Thèbes d’Eschyle, qui lui valut mise en
accusation et interdiction professionnelle, ou
José Triana, auteur de Médée dans le miroir,
qui vit à Paris depuis plus de trente ans.
L’époque n’est plus aux procès staliniens et
les deux Antigone présentées au festival ne
font l’objet d’aucune censure. Antigona de
Yerendy Fleites transforme Créon en bureaucrate borné et fait d’Antigone une jeune fille
d’aujourd’hui : les enjeux du texte original
–l’enterrement du corps de Polynice, le défi
d’Antigone à Créon, la punition – sont
comme dilués dans une société où règne
l’ennui, encore plus que l’arbitraire.
Plus ambitieux et maîtrisé, Antigonón de Rogelio Orizondo (l’auteur de Perros que Jamás
Ladraron) part d’Antigone pour passer en revue certains héros de l’histoire cubaine,
comme José Marti, le père de l’indépendance, dont les bustes et les représentations
sont encore plus nombreux à Cuba que ceux
de Che Guevara. Le metteur en scène Carlos
Díaz (celui d’Ana en el Trópico) déploie tout
son savoir faire et son sens de l’humour, dans
un spectacle aussi réjouissant visuellement
–avec des clins d’œil appuyés au cabaret de
travestis– que pertinent théâtralement, sur
le fil entre dérision et poésie, dans un enchaînement de questions qui en appellent toujours d’autres. Une façon, comme dit Carlos
Díaz, de «repousser les limites». «La nouvelle
génération, ajoute-t-il, se fiche de la vieille rhétorique. Elle se situe déjà demain.» Un demain
qui ne chante pas, mais auquel le théâtre cubain commence à donner une voix. •
UN FESTIVAL, SOIXANTE SPECTACLES
Dédié au 150e anniversaire de la naissance de Constantin Stanislavski, le 15e festival
international de théâtre de La Havane, qui s’est tenu du 25 octobre au 5 novembre,
a proposé une soixantaine de spectacles dont un gros tiers de productions cubaines
–de loin la part la plus intéressante de la programmation. Le festival, qui se tient tous les
deux ans, alterne avec une autre manifestation, organisée dans la ville de Camagüey, et
exclusivement consacré au théâtre cubain. Plusieurs des spectacles présentés pendant le
festival restent à l’affiche de théâtres locaux. Parmi eux, Fichenla si Pueden, l’adaptation
de la Putain respectueuse de Jean­Paul Sartre (Argos Teatro); Antigonón (au Trianón)
et Rapsodia Para el Mulo (El ciervo encantando).
Un film de la sélection cinéma France Culture — Libération
Inscription et réservation* par mail à
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*dans la limite des places disponibles
Un événement France Culture et Libération,
en partenariat avec La Fémis
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LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
CULTURE
HISTOIRE Une exposition au musée de l’Armée, à Paris, retrace, en mêlant costumes, estampes, documents
écrits et audiovisuels, la colonisation française en Extrême-Orient et la guerre qui y mit un terme.
Les Invalides refont l’Indochine
Parachutage sur Diên Biên Phu, 1954. Image attribuée au photographe militaire Daniel
Camus. PHOTO RMN­GRAND PALAIS. IMAGE MUSÉE DE L’ARMÉE
près l’Algérie l’an
dernier, au tour de
l’Indochine. Désireux
de sortir de la naphtaline, le
musée de l’Armée, installé
aux Invalides, continue de
revisiter les pages douloureuses de la colonisation et
de la décolonisation à la
française. Près de soixante
Après la tragédie algérienne,
le second volet de ce dyptique prêtait a priori moins à
polémique. C’était compter
sans Laurent Fabius.
Colère. En apprenant, début octobre, la mort à 102 ans
du général Giap, le célèbre
vainqueur de Diên Biên Phu,
le ministre des Affaires
THÉâTRE / MUSIQUE / DANSE
masculin/
féminin
© Pierre et Gilles : la sirène et le marin, 1997
A
ans après la défaite de Diên
Biên Phu (en mai 1954), qui
accéléra la fin de cette aventure extrême-orientale, une
exposition retrace la conquête de la «Cochinchine»,
son éphémère colonisation
(1856-1954), puis le repli des
Français dans le fracas des
armes.
étrangères a rendu un hommage appuyé à un «un grand
patriote vietnamien». Cette
déclaration a suscité la colère
des anciens combattants,
mais aussi d’une partie de
l’armée qui n’a pas oublié le
sort réservé aux prisonniers
de guerre, soumis à des mauvais traitements entre les
mains du Vietminh. Preuve
que le sujet demeure encore
sensible : des responsables
vietnamiens sont venus discrètement en reconnaissance
aux Invalides, histoire de vérifier que l’ambassadeur
d’Hanoi à Paris pourrait visiter l’exposition sans se fourvoyer.
Celle-ci raconte comment la
France de Napoléon III, puis
de la Troisième République,
a jeté son dévolu, durant la
seconde moitié du XIXe siècle, sur ce bout d’Asie coincé
entre les Indes britanniques
et la Chine.
Devoir. Mêlant costumes,
estampes et documents
écrits, la première partie de
l’expo retrace la conquête au
son du canon, puis la colonisation de territoires situés à
quelque 15000 kilomètres de
la France. Une entreprise
qui, à la fin du XIXe, suscita
des débats passionnés à l’Assemblée nationale, Jules
Ferry invoquant le «devoir
des races supérieures» d’édifier les «races inférieures»,
pendant que Georges Clémenceau dénonçait des
«crimes atroces» commis au
nom de l’héritage des Lumières. Un échange qui a
trouvé un lointain écho,
en 2005, avec la controverse
suscitée par un projet de loi
(finalement enterré) vantant
les «bienfaits» de la colonisation !
L’exposition retient davantage l’attention lorsqu’elle
aborde, avec des documents
audiovisuels saisissants, la
du 12 novembre au 7 décembre 2013
02 32 10 87 07
automne-en-normandie.com
montée de la revendication
d’indépendance en Indochine, la période trouble de
l’Occupation, puis la guerre
contre le Vietminh. On
(re)découvre ainsi que le régime de Vichy du maréchal
Pétain pactisa avec le Japon
pour garder le contrôle de la
péninsule. Après la Libération, on entend la voix –à la
fois timide et déterminée –
d’Hô Chi Minh rendre hommage au «grand peuple» de
France qui «a levé l’étendard
«monde libre». Sur un film
d’époque, un vice-président
américain au visage poupin
visite la cuvette de Diên Biên
Phu : un dénommé Richard
Nixon – l’homme qui, deux
décennies plus tard, signera
les accords mettant fin à la
seconde guerre du Vietnam.
Cadavres. Tournées en 1953
par un jeune militaire promis
à bel avenir de cinéaste,
Pierre Schœndœrffer, d’autres images montrent la
guerre telle qu’on ne la voit
plus aujourd’hui :
les tirs d’artillerie,
Après la Libération, on
le vacarme asentend la voix d’Hô Chi
sourdissant des
Minh rendre hommage au
canons, les cada«grand peuple» de France. vres défigurés de
l’ennemi. Le tout
des valeurs de liberté, d’égalité sur fond de musique dramaet de fraternité». Un éloge en tique et accompagné d’une
forme de baiser qui tue pour voix off martiale.
mieux justifier le combat à En toute fin d’expo, deux pévenir.
pites: une conversation surAprès une vaine tentative de réaliste entre deux hauts
négociation entre la France gradés enregistrée juste
gaullienne et le dirigeant avant la chute de Diên Biên
communiste vietnamien, Phu, et un film amateur
en 1946, la péninsule bascule tourné après les accords de
dans la guerre. Contraire- Genève (1954) par un sousment au conflit algérien, dé- officier montrant des milinoncé par les Etats-Unis taires français embarquant à
comme un prurit colonial, bord du bateau qui va les ral’Oncle Sam soutient à bout mener dans l’Hexagone.
de bras son allié français en Sous l’œil impassible des
Indochine, vue comme un vainqueurs, les jeunes soldomino qu’il faut maintenir dats du Vietminh.
à tout prix dans le giron du
THOMAS HOFNUNG
OPÉRATION DÉPOUSSIÉRAGE
Le Louvre, le musée d’Orsay, Beaubourg et… le musée de
l’Armée. Créé en 1905, cet établissement mal connu est
pourtant l’un des musées les plus fréquentés de France
avec 1,4 million de visiteurs annuels. Situé dans la cour
d’honneur des Invalides, à Paris, il est vrai qu’il bénéficie
d’un emplacement exceptionnel. Les touristes, attirés par
le tombeau de Napoléon, en profitent pour aller admirer
les collections permanentes du musée, et notamment le
vaste département des armes et armures.
Conscients que la chose militaire occupe une place de
moins en moins importante dans la société française, le
directeur du musée, le général Christian Baptiste, et son
adjoint David Guillet (un ex du ministère de la Culture)
s’emploient à dépoussiérer l’image du lieu.
En 2012, ils ont ainsi organisé la seule exposition
consacrée dans un musée national à l’Algérie, cinquante
ans après les accords d’Evian. Le projet a suscité les
inquiétudes du Quai d’Orsay, soucieux de ménager les
susceptibilités d’Alger. Mais au finale, les réactions les
plus virulentes ont émané de vétérans, outrés qu’on
évoque dans un tel lieu la question de la torture. Le
général Baptiste assume, expliquant que son musée a un
rôle citoyen: celui d’embrasser toute l’histoire de France,
y compris ses pages les plus sombres, pour mieux
réconcilier le pays avec son passé. Après l’Indochine, un
peu de légèreté avec au printemps prochain une expo sur
les mousquetaires du roi. Avant celle consacrée, cent ans
après son déclenchement, aux représentations de la
guerre de 14­18.
T. H.
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
L’HISTOIRE
CHATEAUBRIAND
RATTRAPÉ
PAR LA MANCHE
In extremis, une copie
manuscrite des Mémoires
d’outre­tombe de Cha­
teaubriand, qui devait être
mise aux enchères hier à
Paris, a été directement
acquise par la Bibliothèque
nationale de France après
une négociation de gré
à gré avec le propriétaire.
Le manuscrit, composé
de 3514 pages reliées
en dix volumes, avait été
estimé entre 400000 et
500000 euros. Le montant
de l’acquisition n’a pas été
révélé. Il n’existe pas de
manuscrit autographe des
Mémoires, Chateaubriand,
qui avait l’habitude de
dicter son texte à un secré­
taire, ayant brûlé la plupart
de ses brouillons. Le
manuscrit, réalisé par des
assistants et signé en 1847
de la main de l’écrivain, est
la seule copie intégrale con­
nue du texte et, souligne le
ministère de la Culture, «la
seule qui permette de com­
prendre l’architecture de
l’œuvre telle que l’a voulue
l’auteur, la BNF en possé­
dant une autre copie mais
très partielle». Ces élé­
ments ont justifié la recon­
naissance du manuscrit
comme «trésor national» et
son achat. Ce manuscrit
venait du descendant
d’un notaire parisien,
Me Cahouët, qui l’avait reçu
en dépôt, en 1847, comme
une sorte de copie témoin.
«Il ne s’agissait pas d’une
minute notariale, qui aurait
dû dans ce cas revenir
aux Archives nationales»,
avait précisé la maison
de ventes.
MÉMENTO
Melanie de Biasio Indie jazz
en apesanteur de la Belge en
trio avec son 2e album, No Deal
Institut culturel italien, 73, rue
de Grenelle, 75007. Ce soir, 20h.
Jacky Terrasson Pianiste en trio
avec invités le jour de son
anniversaire New Morning, 7/9,
rue des Petites­Ecuries, 75010.
Ce soir, 21h.
Médéric Collignon et Yvan
Robilliard Battle de deux feux
follets (cornet de poche­piano)
du jazz Triton, 11, rue du Coq­
Français, Les Lilas (93). Jusqu’au
30 novembre, 19h30.
Roberto Fonseca Pianiste cubain
en solo au festival World Stocks
Bouffes du Nord, 37 bis, rue de
la Chapelle, 75018. Ce soir, 20h.
ARTS VISUELS Avec «Exhibit B», au CentQuatre,
le Sud-Africain s’attaque au racisme blanc en Afrique.
La colon scopie
de Brett Bailey
qui correspond du reste au
but ex pl icite de la
manœuvre. En une succession de tableaux vivants,
Brett Bailey recrée l’indicible
abomination que suggèrent
les zoos humains tels qu’ils
existaient encore il n’y a pas
si longtemps, insistant de la
sorte sur «les chambres sombres de notre imaginaire collectif hantées par de fausses
représentations silencieuses et
des configurations tordues de
l’altérité». Allemand, Français, Belge ou Hollandais, le
colonisateur blanc a commis
sur le continent africain les
pires atrocités, tantôt au nom
de l’impérialisme économique, tantôt sur la base de
théories racistes poussant
l’infamie dans ses ultimes
retranchements.
Décapités. Des «comédiens» se tiennent donc là,
mutiques, statiques, sur des
podiums aux allures de catafalques renforcées par
l’atmosphère de pénombre
et les accents élégiaques de
l’accompagnement musical.
Autour d’eux, d’autres
Des «comédiens» mutiques et statiques. ANKE SCHUETTLER
«trophées» : têtes d’antilopes empaillées, crânes,
lacardée en plusieurs feste de formuler, sinon éva- photographies d’indigènes
endroits, dans la petite cuer, l’émotion ressentie.
décapités. Et puis des textes,
pièce qui sert de sas Exhibit B a été l’un des temps qui égrènent le nom de chaavant qu’on entre dans le vif forts du dernier Festival que installation (Age d’or
du sujet, la précision ne peut d’Avignon (Libération du néerlandais, 1730…) et coméchapper à personne : «Ex- 17 juillet). Pourtant, le projet pilent des témoignages
hibit B est une exposition, pas ne circule pas si facilement, d’époque.
un spectacle théâtral. Prenez à croire que sa teneur malai- Comme cette description,
votre temps devant chaque sante crée certains blocages: formulée sur un ton neutre,
installation. Ne vous sentez le Festival d’automne, à Pa- de «nègres rôtis vivants sur un
pas pressé par les personnes ris, n’en a pas voulu, alors feu doux et torturés avec des
derrière vous.»
qu’il vient de programmer le pinces brûlantes». Et ainsi de
Alors on prend son temps,
suite, jusqu’à cet
même si la visite tient plus de En une succession
homme entravé,
l’immersion que de la flâ- de tableaux vivants, Brett
bloqué sur un faunerie. Les organisateurs du
teuil d’avion, ocBailey
recrée
l’indicible
CentQuatre, qui accueille
casion de redire
abomination
que
suggèrent
jusqu’à demain soir à Paris
que, ces dernières
Exhibit B, de Brett Bailey, les zoos humains.
années, 28 peravaient imaginé un temps de
sonnes (dont sont
parcours moyen d’environ cabaret House of the Holy mentionnés les noms, le pays
vingt à trente minutes.
Afro, du même auteur. A d’origine et celui où ils ont
«Altérité». Lundi, au terme Avignon, il était présenté succombé) ont péri en tende la première soirée, ils ont dans l’église des Célestins. tant de résister à leur expulrevu leurs estimations à la Autre cadre idoine, les an- sion. Tout au long du parhausse : les gens– qui ren- ciennes écuries du Cent- cours, le visiteur contemple
trent un à un– y restent plu- Quatre, dans les tréfonds du ainsi ces hommes et femmes
tôt dans les trois quarts gigantesque bâtiment, hé- exhibés. Soutenir durabled’heure ; plus longtemps bergent désormais l’«expo- ment leur regard fixe relève
même pour ceux, assez nom- sition» du Sud-Africain, de la mission quasi impossibreux, qui répondent favora- «deuxième partie d’une série ble. A la réflexion, cela aurait
blement à la proposition de de présentations centrées sur même quelque chose d’inlaisser un témoignage écrit à l’histoire occultée du racisme convenant.
la sortie. Lequel, chez cer- et les jeux de pouvoir comGILLES RENAULT
tains, ne tient pas tant du li- plexes entre l’Europe et l’Afri- «Exhibit B», de Brett Bailey,
vre d’or usuel, où l’on com- que de la fin du XVIIIe siècle à CentQuatre, 5, rue Curial,
75019. Ce soir, 19h ­22h30,
plimente l’artiste en quelques aujourd’hui».
demain, 17h­22h.
lignes, que de la litanie, tra- Le propos est aussi simple à A Strasbourg (le Maillon),
duisant là un besoin mani- résumer qu’éprouvant – ce du 3 au 7 décembre.
P
CULTURE
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27
« On oublie souvent qu’il a écrit beaucoup
de films, et que c’est important pour lui.»
Jason Statham superstar britannique, à propos
de Homefront, narco thriller sorti aux Etats­Unis
et scénarisé par Sylvester Stallone
Le rappeur tunisien Men-Ay condamné
Le rappeur tunisien Men-Ay (Aymen Fekhi) a été condamné
lundi à quatre mois de prison avec sursis pour outrage à
fonctionnaires. Un autre artiste hip-hop, Mustapha Fakhfakh, alias Mister Mustapha, a été relaxé. «C’est une
victoire», selon l’avocat, arguant qu’ils risquaient un an et
six mois de prison.
Ryan O’Neal devant la justice
L’acteur américain Ryan O’Neal est en procès cette semaine
à Los Angeles. Il est accusé du vol d’un portrait de son excompagne Farrah Fawcett, signé Andy Warhol, après une
plainte, datant d’août 2011, de l’université du Texas, où a
étudié feue la star.
LES GENS
MATHILDE MONNIER
MÈNE LA DANSE
À PANTIN
La chorégraphe Mathilde Monnier, directrice du Centre
chorégraphique national de Montpellier depuis 1994,
est nommée à la direction du Centre national de la danse
(CND) de Pantin, établissement public. Elle succède
à Monique Barbaroux, qui a assuré deux mandats
de trois ans assez mouvementés, notamment lors de
la récente fusion de la Cinémathèque de la danse avec
le CND. Centre de ressources ouvert à toutes les danses
depuis sa création, en 1998, le CND a de nombreuses
missions qui vont de la formation à l’édition, du patri­
moine à l’accompagnement des danseurs professionnels.
Mathilde Monnier, dont on ne doute pas qu’elle saura
insuffler un esprit nouveau, a tout à la fois la dimension
politique et artistique nécessaire au développement de
cet outil unique. PHOTO SÉBASTIEN CALVET
THÉÂTRE
10-20 DÉCEMBR
E
OM
PAUL STGORRIEOS OTBO
10-1
TOWNSHIP
c.
dé
0
-2
17
RHETORICAL
4 déc.
villette.com
2 spectacles choc !
Par le «Tarantino»
du théâtre sud-africain…
28
•
ECRANS&MEDIAS
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
SMARTPHONE Une application permet aux internautes désœuvrées et peu soucieuses
WEB Le plus vieux
du respect de la vie privée de noter les hommes selon des critères arbitraires.
pure player de
France a 15 ans.
Avec Lulu, les filles
se tapent la fiche
note un fast-food. En leur appliquant à peu près les mêmes critères (Est-il propre? Bien construit?
Accueillant ? Bien fréquenté ?
Servi chaud?), on fait ainsi bénéficier de notre avis éclairé toutes
les autres utilisatrices intéressées
par ce bon plan – qu’il s’agisse
d’un ami d’enfance, d’un ex-boyfriend ou de papi Albert, puisque
tout ce qui porte un prénom peut
faire l’objet d’une fiche sur Lulu.
Chargée, la fiche.
Non contente de réclamer une
note sur 10 pour chaque trait de
Trop sale? Trop froid? Trop poilu? Dézinguez­le sur Lulu. PHOTO DR
l faut imaginer une internaute
désœuvrée dans la jungle du
Web 2.0 : après avoir mis
5 étoiles à un salon de coiffure sur
Yelp, jugé «médiocre» le gîte de
ses vacances sur TripAdvisor et
offert un généreux 9/10 à une
bande dessinée sur Senscritique,
elle n’a toujours pas assouvi sa soif
de notes. Elle s’ennuie. Elle a be-
I
soin d’un nouveau réseau social,
de nouveaux contacts avec qui
partager son passionnant avis sur
son fascinant quotidien. Elle a besoin de Lulu.
Neuneus. C’est sans doute ainsi
qu’ont raisonné les pros du marketing à l’origine de cette affligeante application gratuite où les
filles notent les mecs comme on
du Guardian, pas tellement : sur
Facebook, une appli utilisée par
un membre a le droit de récupérer
les coordonnées de tout son cercle
d’«amis», mais pas de les diffuser
publiquement.
Lulu a depuis corrigé le tir pour
respecter les (très souples) règles
de Facebook en matière de vie
privée. Tout ce cirque illustre en
tout cas le peu de contrôle qu’ont
les utilisateurs de Facebook sur
leurs propres données. Chez Lulu,
les hommes n’ont qu’un droit :
réclamer la suppression de leur
fiche a posteriori.
L’appli pousse ses agents
Et comment
sont-ils censés
de renseignements à lister tous
savoir si leur boles vilains petits défauts des
bine et leur vie
victimes, voire à les faire passer
privée traînent
pour de complets malotrus à coups
sur une application dont ils sont
de questionnaires stéréotypés.
bannis ? Facile,
caractère (humour, manières, explique la foire aux questions :
ambitions, engagement, appa- «Demandez à une amie de vérifier
rence…), l’appli anglophone à votre place.»
pousse ses agents de renseigne- «Changer». Lancé fin 2011 en
ments bénévoles à lister tous les version site web sous le nom de
vilains petits défauts des victimes «Luluvise», Lulu a changé de nom
(«fume comme un pompier», «est et investi les plateformes mobiles
obsédé par sa mère»), voire à en février 2013 avec 2,5 millions
les faire passer pour de complets de dollars (1,8 million d’euros) et
malotrus à coups de questionnai- une trentaine d’employés. Quelres stéréotypés, sexistes, vieux jeu ques articles dans la presse amériet neuneus. Ainsi, un garçon ayant caine (jusqu’au New York Times ce
«d’autres priorités» que sa relation mois-ci) viennent de lui donner
amoureuse ne vaut rien sur un nouveau coup de fouet, et Lulu
l’échelle de l’engagement, tandis se vante aujourd’hui de compter
qu’«offrir des fleurs à sa belle-mère un million d’utilisatrices sur iOS
pour son anniversaire» représente et Android.
le plus haut échelon possible La fondatrice de l’application,
pour impressionner une fille. Un la Britannique Alexandra Chong,
point bonus s’il aime les bébés. semble toujours persuadée que
Véridique.
diffamer ses copains sur smartLes individus ainsi catalogués ont phone est une idée saine aux rede bonnes chances de n’en jamais tombées forcément positives: «Si
rien savoir: ils ne reçoivent ni mail un mec n’a pas une bonne note dans
ni notification quand leur fiche est une certaine catégorie, il peut chancréée par une admiratrice ou une ger son comportement», expliprétendante déçue. Ils ne peuvent quait-elle à Buzzfeed au début
pas non plus s’opposer à la créa- de l’année. On lui souhaite un
tion de ladite fiche. Tout juste peu- succès tel qu’il faille envisager
vent-ils craindre le pire s’ils pos- d’étendre son public et créer
sèdent un compte Facebook, une version masculine, pour
puisque l’appli n’autorise que la que les serial-noteuses se renotation d’internautes inscrits sur trouvent jugées à leur tour… sur
le réseau tout bleu.
leurs compétences en cuisine ou
C’est d’ailleurs là qu’elle allait, à leur tolérance aux matchs de foot,
ses débuts en 2011, piocher à leur par exemple. Dira-t-on encore
insu leur photo de profil, prénom que les filles mal notées n’ont qu’à
et nom de famille ainsi que leur changer leur comportement pour
ville de résidence. En avait-elle rehausser leur attrait sur le
seulement le droit? Comme le re- marché ?
marquait à l’époque un journaliste
CAMILLE GÉVAUDAN
Balkans
avec vue
sur l’info
e premier pure player de
France, c’est lui, lancé sur
Internet il y a quinze ans
pile (1): le Courrier des Balkans
qui informe, en français et de
l’Adriatique à la mer Noire, sur
l’actualité de l’Europe du SudEst, compte 300000 pages vues
par mois, un bon score pour un
site spécialisé.
En 1997, quand l’idée lui vient,
et en 1998, quand il la réalise,
Jean-Arnault Dérens, son fondateur, vit au Monténégro. Au
cœur des événements, puisqu’il
est à quelques heures en voiture
du Kosovo où s’annoncent les
premières lueurs de la guerre qui
débouchera en 1999 sur l’intervention de l’Otan. La carte géopolitique, remodelée par l’explosion de l’ex-Yougoslavie
communiste en 1991, n’est pas
encore achevée. Le Monténégro
ne se séparera de la Serbie
qu’en 2006, et le Kosovo, à l’état
de semi-protectorat pendant
des années, ne proclamera son
indépendance qu’en 2008.
Malgré cette actualité, l’idée
qu’un média, dont les textes
sont des traductions d’articles
de la presse locale des Balkans,
puisse trouver suffisamment
d’abonnés pour subsister, paraissait alors tenir du défi. Or, il
a subsisté. Les amoureux des
Balkans et les isolés de la diaspora y trouvent, outre l’actualité, des livres, de la musique, et
mille annonces utiles (cinéma,
théâtre, nourriture).
Les subventions du ministère
français de la Culture et de l’Organisation internationale de la
francophonie (OIF), qui lui ont
permis d’éclore, ont peu à peu
laissé place à un financement
plus classique basé sur les abonnements payants aux archives
(75% des ressources), une boutique en ligne et une activité de
consulting (études et interprétariat). Les traductions forment
toujours la majorité des textes
proposés, mais le site emploie
désormais des correspondants
dont le rôle est de rendre accessible des informations illisibles
sans leur contexte.
L
HÉLÈNE DESPIC-POPOVIC
http://balkans.courriers.info
(1) Ce sera l’occasion d’une soirée,
le 29 novembre, à la Bellevilloise
à Paris.
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
1,22
million de dollars
(900000 euros) de dom­
mages et intérêts contre
l’AFP et Getty Images
pour avoir violé les droits
d’auteur d’un photogra­
phe haïtien. La sanction
a été prononcée par
un jury de Manhattan.
Lors du séisme de 2010
en Haïti qui avait fait
250000 morts, un photo­
graphe, Daniel Morel, avait
pris plusieurs clichés, que
s’est ensuite appropriés
un certain Lisandro Suero,
les postant sur son compte
Twitpic. C’est là que l’AFP
et Getty ont récupéré les
photos avant de les retirer
du circuit sitôt connu leur
véritable auteur. Mais, pour
le tribunal américain, il y a
bel et bien eu violation
des droits d’auteur.
Libération est habilité aux annonces légales
et judiciaires pour le département 75 en vertu
de l’arrêté préfectoral du 27 décembre 2012
1115796
Par décision de l’associé unique en date
du 22 novembre 2013, il a été constitué
une société présentant les caractéristiques
suivantes :
Dénomination :
FAST FOR WORD
Forme juridique : EURL
Capital social : 3 000 €
Siège social : 57, rue Saint-Fargeau,
75020 Paris
Objet : Traduction, interprétation
Durée : 99 ans à compter de son
immatriculation au RCS de Paris
Gérant : M. Bamiyan SHIFF, demeurant
57, rue Saint-Fargeau, 75020 Paris, nommé pour une durée indéterminée.
1115823
Par acte SSP en date du 22/11/2013, il a
été constitué une société présentant les
caractéristiques suivantes :
Forme : SAS
Dénomination :
DIX NEUF CENT
QUATRE VINGT SIX
Capital : 1 000 Euros
Siège social : 67 rue de Tocqueville,
75017 Paris.
Objet : Exercice de la profession d’architecte
Durée : 99 ans.
Président : Gaudemet Mathilde, 67 rue de
Tocqueville, 75017, Paris
Directeur général : Ozenne Arthur, 20
rue Truffaut, 75017, Paris
Conditions d’admission aux assemblées
: Tout actionnaire peut participer aux
assemblées quel que soit le nombre de
ses actions.
Exercice du droit de vote : Chaque action
donne droit à une voix.
Cession des actions : Les actions ne
peuvent être cédées qu’avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins les deux tiers des parts
sociales.
La société sera immatriculée au R.C.S de
Paris.
1115793
Par acte SSP en date du 19/11/2013, il a
été constitué une société présentant les
caractéristiques suivantes :
Forme : SAS
Dénomination :
Centaurée
Capital : 2 000 €
Siège social : 92 rue de Clignancourt,
75018 PARIS.
Objet : conseil en relations publiques et
communication
Durée : 99 ans.
Président : BON Anaïs, 92 rue de Clignancourt 75018 PARIS
Conditions d’admission aux assemblées
: La société est constituée d’une associée
unique.
Exercice du droit de vote : La location
d’actions n’étant pas autorisée, l’associée
unique vote seule aux assemblées.
Cession des actions : La cession des actions de l’associée unique est libre.
La société sera immatriculée au R.C.S de
Paris.
ECRANS&MEDIAS
L’HISTOIRE
LE CSA VOUDRAIT PRENDRE
LES VIDÉOS DANS SA TOILE
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’a pour
le moment qu’une autorité très limitée sur Internet.
Mais il aimerait bien y grignoter du terrain, si l’on en
croit sa récente tentative de mettre sous son autorité
les sites de radio, de plus en plus amenés à diffuser de
la vidéo. Selon l’Expansion, il a demandé cet été aux
radios de se déclarer comme des «services multimédias
à la demande», et à ce titre soumis à une partie des obli­
gations applicables aux éditeurs de télévision, notam­
ment en matière de déontologie, de protection des
mineurs et de production et promotion des œuvres,
souvent différentes de celles qui incombent aux radios.
Pour ces dernières, c’est hors de question. La station
RTL a même déposé un recours contre cette demande,
estimant ne diffuser que de la radio filmée, soit l’équiva­
lent de ce qui passe sur ses ondes. Le débat naissant
pourrait bien s’élargir aux sites d’information en ligne qui
produisent leurs propres vidéos. Pour le moment,
les plateformes de partage comme YouTube ou
Dailymotion ne sont pas concernées par ces obliga­
tions. S.Gin.
Philippe Hersant pourrait
se désengager de «Nice-Matin»
Le patron de presse Philippe Hersant envisagerait le désengagement de son Groupe Hersant Média (GHM) du groupe
Nice-Matin, s’il ne parvient pas à trouver un co-investisseur
pour le recapitaliser, selon Mediapart. Lors d’un comité d’entreprise fin novembre, il a évoqué la recherche d’un «partenaire» capable d’apporter «10 à 20 millions d’euros», rapporte
le site. Hersant préparerait également un plan social dans son
pôle Antilles et Guyane, qui concernerait une cinquantaine
d’emplois.
Lagardère retire sa plainte
contre «la Tribune»
D’après la lettre confidentielle Presse News, Arnaud Lagardère va se désister de sa plainte pour diffamation déposée
en août 2011 contre le quotidien économique la Tribune et
deux de ses journalistes. Dans un article titré «Arnaud dirige-t-il encore Lagardère ?», la Tribune, qui n’existe plus
aujourd’hui que sous la forme d’un site et d’un hebdo, s’interrogeait sur la crédibilité d’Arnaud Lagardère à la tête du
grand groupe industriel. L’article évoquait notamment
l’idylle entre Arnaud Lagardère et le mannequin belge Jade
Foret.
LES GENS
VINCENT BOLLORÉ
PREND LA TÊTE D’UN
VIVENDI RECENTRÉ
SUR LES MÉDIAS
C’est confirmé, la présidence du futur groupe Vivendi,
recentré sur les contenus et les médias, sera confiée
à l’homme d’affaires breton Vincent Bolloré, par ailleurs
actionnaire du groupe. Le conseil de surveillance de
Vivendi a validé le projet de scission entre ses activités
d’opérateur et ses activités médias qui devrait débou­
cher sur l’introduction en Bourse de SFR. Le conseil
a de plus nommé Arnaud de Puyfontaine, issu
du groupe de médias américain Hearst, directeur géné­
ral des activités médias et contenus de Vivendi à comp­
ter de début 2014. «Ce groupe répondrait pleinement
aux nouveaux modes de consommation numérique dans
les univers de la musique et des images, et poursuivrait
son développement sur des marchés à forte croissance»,
indique Vivendi. Le projet de scission doit encore
être soumis aux instances représentatives du personnel
de la société et aux autorités réglementaires. PHOTO
REUTERS
•
29
A LA TELE CE SOIR
TF1
FRANCE 2
FRANCE 3
CANAL +
20h50. Esprits
criminels.
Série américaine :
Le poids des mots,
Numéro 6,
Je sais ce que j’ai à faire.
Avec Shemar Moore,
Thomas Gibson.
23h25. Dr House.
Série américaine :
4 épisodes.
Avec Hugh Laurie,
Robert Sean Leonard.
2h45. 50 mn inside.
Magazine.
20h45. La famille Katz.
Série française :
Joyeux noël,
Bonne année.
Avec Julie Depardieu,
Serge Hazanavicius.
22h25. Un jour /
un destin.
Mireille Darc,
blessures intimes.
Documentaire
présenté par
Laurent Delahousse.
23h55. Grand public.
Magazine.
20h45. L’ombre
d’un doute.
Fontainebleau,
la demeure des rois.
Documentaire
présenté par
Franck Ferrand.
22h35. Réflections.
22h45. Grand Soir 3.
23h40. Les chansons
d’abord.
Musique.
0h30. En quête
de preuves.
Série.
20h45. Football :
PSG / Olympiakos.
Champions league.
Sport.
22h50.
Looking
for Athènes.
Documentaire.
23h45. Taken 2.
Film.
1h15. Tunnel.
2 épisodes.
Série.
2h50. Gebo et l’ombre.
Film.
ARTE
M6
FRANCE 4
FRANCE 5
20h50. Bardot,
la méprise.
Documentaire.
22h45. L’Europe
des écrivains.
L’Espagne de
Juan Goytisolo,
Manuel Rivas et
Bernardo Atxaga.
Documentaire.
23h45. Michel
Petrucciani.
Documentaire.
1h25. Traque en série.
Série.
20h50. Ice show.
Divertissement
présenté par
Stéphane Rotenberg.
23h15. Ice after show.
Divertissement.
0h25. Absolument
Céline Dion.
Documentaire.
1h25. M6 Music.
Musique
2h40. Météo.
2h45. European poker
tour.
Jeu.
20h45. L’auberge
espagnole.
Comédie française de
Cédric Klapisch, 120mn,
2002.
Avec Romain Duris,
Cécile De France.
22h40. Les poupées
russes.
Comédie française de
Cédric Klapisch, 125mn,
2004.
Avec Romain Duris.
0h45. La première fois.
Documentaire.
20h40. La maison
France 5.
Magazine présenté par
Stéphane Thebaut.
21h25. Silence,
ça pousse !
Magazine.
22h10. Écho-logis.
Documentaire.
22h39. Consomag.
22h40. C dans l’air.
Magazine présenté
par Yves Calvi.
23h45. Dr CAC.
23h55. Entrée libre.
LES CHOIX
La famille barjot
Les stars salchow
La femme Bardot
France 2, 20h45
M6, 20h50
Arte, 20h50
Oh, une série à base de
famille dysfonctionnelle:
la Famille Katz (Julie Depar­
dieu, Serge Hazanavicius)
débarque pour 6 épisodes.
Ah, une télé­réalité à base
de patin: Ice Show, c’est
Danse avec les stars sur
des lames. Et les stars
c’est, heu, Clara Morgane.
Drôle d’objet que
ce Bardot, la méprise :
de belles images inédites
de l’actrice, mais un ton
nombriliste et chichiteux.
PARIS 1ERE
TMC
W9
GULLI
20h40. Vegas.
Série américaine :
Hollywood ending,
Le dessous des cartes,
Vies antérieures,
Un ennemi commun,
Les fils du Nevada,
Mascarade.
Avec Dennis Quaid,
Michael Chiklis.
1h45.
Paris dernière.
Magazine.
2h45. Programmes
de nuit.
20h45. Coucou,
c’est toujours nous !
Divertissement
présenté par
Christophe
Dechavanne et
Patrice Carmouze.
0h50.
Fan des années 80.
Années 1988 & 1985.
Divertissement.
2h35. TMC Météo.
2h40. Trio dangereux.
Téléfilm.
20h50. Enquêtes
criminelles :
Le magazine
des faits divers.
2 reportages.
Magazine présenté
par Sidonie Bonnec et
Paul Lefèvre.
22h55. Enquêtes
criminelles :
Le magazine des faits
divers.
2 reportages.
Magazine.
1h15. Météo.
20h45. L’instit.
Téléfilm français :
Terre battue,
Avec Gérard Klein.
22h20. L’instit.
L’Angelus du corbeau.
Téléfilm.
23h55. L’instit.
Touche pas à mon
école.
Téléfilm.
1h25. G ciné.
Magazine.
1h30. Fish’n chips :
rien ne les arrête.
NRJ12
D8
NT1
D17
20h50. Le super
bêtisier de l’année.
Divertissement
présenté par
Clara Morgane et
Stéphane Jobert.
0h30. Chauve-souris :
la vengeance
carnivore.
Téléfilm.
2h10. Poker.
Jeu.
3h25. Programmes
de nuit.
20h50. En quête
d’actualité.
Loto casinos,
jeux en ligne :
à qui profite le jackpot ?
Documentaire
présenté par
Guy Lagache.
22h40. En quête
d’actualité.
Documentaire.
0h50. Football :
PSG / Olympiakos.
Sport.
20h45. Baby boom Saison 3.
Camelia.
Documentaire.
22h05. Baby Boom.
Liés à jamais La première fois.
Documentaire.
0h40. Obèses : perte
de poids extrême.
Mélissa.
Documentaire.
2h15. Tous différents.
Magazine.
20h50. Piège
à haut risque.
Téléfilm de Dean
Semler.
Avec Steven Seagal,
Gailard Sartain.
22h25. Hard luck Middleman.
Téléfilm de Mario Van
Peebles.
Avec Wesley Snipes,
Cybill Shepherd.
0h10. Programmes de
nuit.
30
•
GRAND ANGLE
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
Par HÉLÈNE DESPIC­POPOVIC
Envoyée spéciale à Akura, Telavi
et Tbilissi (Géorgie)
L
a statue se dresse, martiale, devant le monument aux morts de la
Seconde Guerre mondiale qui domine la ville
de Telavi. Soixante ans
après sa mort, le «généralissime» Staline,
dont l’effigie avait progressivement disparu de toutes les bourgades de Géorgie, y compris, en 2010, de sa ville natale de Gori, revient subrepticement. En
pied, comme à Telavi, ou en buste,
comme à Akura, place forte de la Géorgie viticole, à une centaine de kilomètres de la capitale, Tbilissi.
Cette réapparition est d’abord l’œuvre
des vétérans, fort âgés, qui voient en
Staline le vainqueur de la Seconde
Guerre mondiale. Mais elle est aussi le
fruit d’un mouvement de retour à la
tradition qui a émergé après la victoire
des populistes du Rêve géorgien aux législatives de 2012 et qui pourrait s’accentuer avec l’élection à la présidence,
le 27 octobre, du candidat de ce parti,
Gueorgui Margvelachvili. La fonction
était occupée depuis dix ans par le réformateur pro-occidental Mikhaïl Saakachvili.
A Akura, les vignerons, qui viennent
d’achever leurs vendanges, se retrouvent le soir dans le petit parc du centreville où Staline a élu domicile avec l’accord tacite de la mairie. «C’est l’homme
qui a fait trembler le monde entier, dit
Kakha, un jeune paysan qui, bonnet sur
la tête et cigarette au bec, essaie d’expliquer son admiration pour l’ancien
dictateur soviétique responsable de
millions de morts. Et puis, il était religieux. Pas comme Saakachvili qui a voulu
nous enlever nos traditions.» A Telavi
comme à Akura, les statues sont recouvertes d’une étrange peinture brune qui
dissimule les taches rouges dont elles
avaient été barbouillées, symboles du
sang versé par le dictateur. Mais cette
action, apprendra-t-on plus tard, est à
mettre au crédit d’une escouade de jeunes venus de nuit de Tbilissi, et non
d’une révolte locale.
Musulmans interdits
de prière
L’étranger de passage à Akura s’étonne
de cette admiration pour Staline, mais
autour de Kakha, les villageois acquiescent bruyamment. Le jeune homme ne
fait qu’exprimer une opinion qui a déjà
cours au sein de l’Eglise orthodoxe
géorgienne et que le patriarche Ilia II a
lui-même développée dans un entretien, cet été, sur la chaîne russe RT, Nadezhda Kevorkova. «Staline était une
personnalité éminente, comme il n’en naît
que rarement. Et il était croyant, surtout
à la fin. C’est ce que je pense», a déclaré
le hiérarque qui s’est rendu plusieurs
fois cette année en Russie, rencontrant
même à deux reprises le président Vladimir Poutine.
Seul trait d’union avec Moscou et vecteur de son influence comme dans la
plupart des ex-républiques soviétiques
de tradition orthodoxe, l’Eglise géor-
Géorgie
gienne joue désormais un rôle de premier plan dans la vie du pays, imposant
sans ménagement ses thèmes et ses valeurs, au nom du droit de la majorité religieuse. En août, à Tchela, dans le sudouest du pays, des orthodoxes ont exigé
et obtenu le retrait du minaret que les
musulmans du village étaient allés
acheter en Turquie. A Nigvziani, un
autre bourg de la même région, des
groupes de fidèles, pope en tête, ont
empêché pendant des mois des musulmans de se rendre chaque semaine dans
une salle de prière privée. Enfin mi-mai,
à Tbilissi, entre 20 000 et 30 000 personnes emmenées par des popes en colère ont agressé une poignée de jeunes
urbains qui défilaient lors de la Journée
internationale contre l’homophobie.
Dans chacun de ces cas, l’Etat a laissé
faire, n’osant pas affronter une Eglise
qui dit représenter 84% de la population
et un patriarche de 85 ans dont le taux
d’approbation s’élève à 94%. Les minorités, qu’elles soient ethniques, religieuses ou sexuelles, n’ont aux yeux des traditionalistes le droit de subsister que si
elles vivent cachées.
Avec ses briques rouges, ses reproductions de fresques dont on est allé chercher les motifs jusqu’en Serbie et son
pimpant presbytère, Sainte-Mariné,
Staline,
pope star
Depuis la victoire électorale des populistes,
l’Eglise orthodoxe monte en puissance.
Trait d’union avec la Russie et pivot du
nationalisme, elle soutient la réhabilitation
du Petit Père des peuples, un enfant du pays.
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
•
31
sexuels avaient le droit de manifester,
mais cela n’a pas été suivi d’effet, souligne l’ancien enfant de chœur du patriarche. A chaque conflit, c’est l’Eglise
qui a gagné.»
L’Eglise est retournée dans les écoles
par la bande. Les dernières études sociologiques, datant de 2011, montrent
qu’en Géorgie, les jeunes sont les religieux les plus fervents. C’est dans les
régions proches de la Turquie, dans le
sud-ouest du pays, où les musulmans
sont issus des populations locales islamisées à l’époque de la domination ottomane, que la pression est la plus forte.
«A Nigvziani, où les orthodoxes ont empêché les musulmans d’utiliser leur salle
de prière, les enseignants interrompaient
leurs cours et allaient avec leurs élèves assister à ces manifs, raconte Beka Mindiachvili, expert en questions religieuses. S’il y avait des petits musulmans dans
la classe, ils leur disaient qu’ils devaient
se convertir à l’orthodoxie car c’était la
religion de leurs ancêtres.»
Pour cet ancien séminariste, l’Eglise
géorgienne est une courroie de transmission des intérêts politiques de la
Russie, avec qui elle a conservé des
liens spécifiques datant de l’époque où
elle était noyautée par le KGB, comme
toute l’Eglise russe. L’animateur Levan
Soutidzé souligne que le patriarche
Ilia II «évite autant qu’il peut de parler
d’occupation» quand il évoque les territoires géorgiens perdus (Abkhazie, Ossétie du Sud) lors de la guerre de 2008
contre la Russie.
Montrer à l’Europe
son «identité propre»
Un Géorgien
célèbre le
60e anniversaire
de la mort de
Staline dans une
église de Gori,
ville natale
du dictateur.
PHOTO SHAKH
AIVAZOV.AP
Baptême devant
l’église orthodoxe
de Mtskheta.
PHOTO DAVID
MDZINARISHVILI.
REUTERS
dans la banlieue de Tbis’ils étaient d’accord
Telavi
RUSSIE
lissi, fait partie de ces
pour laisser construire
OSSÉTIE
DU SUD
ABKHAZIE
églises rénovées, ou
un minaret, et ils ont dit
plutôt reconstruites à
non. Nous faisons la
Mer
l’emplacement d’un
même chose, nous deNoire
Tbilissi
ancien édifice cultuel
mandons aux gens d’exTURQUIE
AZ
transformé en silo penprimer leur opinion. De
ARM
dant la période soviétimême, si une personne
que. On n’y plaisante
veut devenir homo50 km
Akura
pas avec les traditions,
sexuelle, c’est son afcomme dans toutes les
faire. Mais si elle s’affiéglises du pays aujourd’hui. A l’entrée, che, cela irrite les nerfs des croyants car
des femmes portant foulard, drapées pour l’Eglise, l’homosexualité est une dédans de longues jupes noires, tiennent gradation de l’être humain. L’Eglise ne
une boutique d’objets religieux où l’on veut pas faire de politique, mais elle aura
vend des bougies, mais aussi des livres toujours une position sur les dossiers qui
et des CD. Les visiteuses sont priées de touchent aux valeurs de la société.» Ainsi,
cacher épaules, cheveux et pantalons. le patriarche ne s’est pas privé d’assimiler l’avortement à un génocide.
L’avortement assimilé
L’Eglise en veut à Mikhaïl Saakachvili
à un génocide
– l’ancien héros de la «révolution des
A la tête de la puissante Union des pa- roses» qui a exercé deux mandats de
rents orthodoxes, le père David Issa- président de cinq ans– d’avoir, en 2005,
kadzé, de l’église de Sainte-Mariné, ne expulsé le catéchisme de l’école et,
comprend pas pourquoi l’attitude du en 2011, voté une loi donnant aux conpatriarcat orthodoxe serait répréhensi- fessions minoritaires le statut de relible: «Nous ne voulons pas que l’affirma- gions constituées. Même si, en contretion d’autres religions menace l’identité de partie, l’Etat a continué de financer
notre petit pays. Beaucoup de mosquées largement l’Eglise orthodoxe, lui accoront été construites chez nous ces dernières dant chaque année 25 millions de dolannées par la Turquie et l’Iran. La Suisse lars (18,5 millions d’euros) et maintea demandé par référendum à ses citoyens nant ses privilèges fiscaux. De fait, on
C’est peu après la résurgence de ce conflit datant du début des années 90 que la
dernière statue de Staline encore en
place, à Gori, avait été déboulonnée par
les partisans de Saakachvili. Aux yeux
des pro-Occidentaux, qui ont calqué
leur attitude sur celle des Baltes ou des
Polonais, Staline n’a plus été considéré
que comme le dirigeant d’une Union soviétique russifiée. Originaire, par hasard, de Géorgie. Aujourd’hui plus populaire en Géorgie qu’en Russie, son
ne compte plus les églises neuves cons- mythe a changé de nature. «Les gens
truites sur tout le territoire, y compris pensent: certes, nous étions colonisés par
à Tbilissi où le clergé, selon un archi- les Russes, mais c’était un enfant de chez
tecte de la mairie, commence à bâtir des nous qui dirigeait ce pays», résume l’hisédifices religieux sans aucun permis, en torien Lacha Bakradzé qui se réfère à une
sachant très bien que les autorités étude sociologique réalisée l’an dernier
n’oseront pas les détruire. De même, le montrant que ce mythe n’est «pas lié au
gouvernement géorgien n’a jamais osé communisme, à la nostalgie de l’URSS ou
s’attaquer aux dispositions qui, après la au souvenir de la Seconde Guerre mondiale». Il est en revanche,
comme l’Eglise, un «symbole
«Staline a fait trembler le monde
de l’anti-occidentalisme et de
entier. Et puis il était religieux.
deux cartes
Pas comme Saakachvili, qui a voulu l’antilibéralisme»,
que joue la Russie.
nous enlever nos traditions.»
Au soir de la manifestation
orthodoxe du 17 mai contre
Kakha paysan d’Akura à propos de l’ex­président
le défilé des antihomophogéorgien, pro­Occidentaux
bes, un haut responsable de
chute du communisme, ont octroyé au l’Eglise soulignait que la Géorgie avait
patriarcat orthodoxe toutes les églises montré à l’Europe qu’«elle avait son
de Géorgie, fussent-elles catholiques ou identité propre». «Le nationalisme géorarméniennes. Mais malgré ces conces- gien avait toujours été orienté vers l’Occisions, Saakachvili, le modernisateur, dent, constate Beka Mindiachvili. Mais
reste aux yeux des plus traditionalistes le patriarcat a créé un nouveau nationasynonyme d’antéchrist.
lisme, prorusse et anti-occidental.» Les
«L’Eglise est plus forte que l’Etat», cons- minorités ethniques, religieuses et
tate amèrement Levan Soutidzé, ani- sexuelles sont donc priées de quitter
mateur de l’émission «Parler de reli- l’espace public. Et Staline, l’enfant du
gion», diffusée sur la télé d’opposition pays arrivé à la tête de l’URSS – vue
Tabula. «Elu en 2012, le nouveau Premier aujourd’hui comme une Russie élarministre Bidzina Ivanichvili, qui est laïc, gie –, peut reprendre sa place au pana prêché la tolérance et a dit que les homo- théon des conservateurs. •
LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013
PORTRAIT HUZEIFA EDREES
Aujourd’hui
réfugié
au Liban,
ce pharmacien
syrien a dirigé
l’un des
centres
de premiers
soins à
Bab Amro,
l’épicentre de
la révolution.
Humain dans l’horreur
Par JEAN­PIERRE PERRIN
Photo PAUL ASSAKER
C’
est peut-être lui l’incarnation de l’humanité
en Syrie, cette minuscule lueur qui perdure quand
tout a sombré dans la nuit, quand tout est perdu,
quand les chiens errants rôdent autour du sépulcre
à la mauvaise haleine de ce qui fut une rue, un quartier,
une ville.
Lui, c’est Huzeifa Edrees, le petit pharmacien du quartier de
Bab Amro, à Homs, qui, au plus fort de la tempête d’acier de
février 2012, vous invitait à boire le thé dans son bureau et
vous emmenait loin de Bab Amro, de Homs, de la Syrie, de
ces horreurs qui vous assèchent la gorge en vous racontant
son adoration pour… la famille royale britannique.
Ce 16 février 2012, dans le petit dispensaire, une infirmière,
à bout de nerfs, vient d’éclater en sanglots. Le médecin,
Mohammed al-Mohammed, l’un des rares toubibs du quartier
assiégé depuis sept mois, craque à son tour. Avec une pince
de chirurgie, il arrache avec violence un shrapnel planté dans
l’œil d’un blessé, constate qu’il a cessé de respirer et jette
l’éclat d’acier et l’instrument au beau milieu de la pièce en
hurlant des imprécations, avec une haine sauvage, à l’adresse
de Bachar al-Assad. A côté des autres blessés, dont on ne sait
s’ils vivent encore, une mère s’est mise à hurler. Dehors,
les bombardements se sont encore rapprochés du petit centre
de soins, simple appartement au rez-de-chaussée d’une maison dont le second étage a déjà été foudroyé par une roquette
qui a détruit la citerne d’eau. Et malgré ce désastre général,
ce sentiment de naufrage absolu qui pèse sur Bab Amro, alors
cœur battant de la révolution syrienne et dont la chute apparaît imminente, le pharmacien et directeur du dispensaire,
avec une voix douce que l’on entend à peine dans l’orage de
plomb, tient à parler de son affection pour la famille royale
britannique. Il aime tout: le tralala des cérémonies, les carrosses, Buckingham, les histoires, Diana… «Mais c’est surtout
la reine que j’aime.» Soudainement, il tend un chewing-gum:
«Prenez-le ! C’est le dernier de Bab Amro.»
Une dizaine de jours plus tard, le quartier tombe entre
les mains des troupes loyalistes. Depuis, le petit pharmacien,
âgé de 42 ans, avait disparu. Avait-il été tué, arrêté et torturé ? Non, il a survécu et a réussi, avec sa famille, à gagner
Tripoli, au Liban, où il apprend la chirurgie de guerre dans
un hôpital. «Avec cinq infirmières du centre, on est passé entre
les lignes des soldats. On était habillé tout en noir. On a marché
de minuit à cinq heures du matin sans faire le moindre bruit. Nous
étions épuisés. Peut-être que les soldats nous ont entendus mais
ils n’ont pas tiré. Quelque 3000 personnes sont sorties ainsi du
quartier. Sinon, les shabiha [milices de voyous aux ordres du
régime, chargées des basses besognes, ndlr], qui sont arrivées
après les soldats, les auraient égorgées. Maintenant, Bab Amro
est totalement détruit. Il n’y a plus que des vieux qui y vivent.»
Hormis sa famille proche, le pharmacien a tout perdu.
«Mon père a été égorgé, un cheik a vu son cadavre dans
une mosquée, à côté de beaucoup d’autres. Mon frère, Oussama,
qui s’était fait ambulancier, a été tué par une bombe. Le frère de
ma mère, mort lui aussi. Les shabiha ont cherché ma pharmacie
et ma maison pour les piller et les brûler. Mes chemises,
mes souliers, on les trouve dans les souks des quartiers
pro-régime où l’on vend tout ce qui a été volé.»
Après sa fuite de Bab Amro, Edrees se réfugie dans une maison
près de Damas. «Quand elle m’a revu, ma mère, qui me croyait
mort, s’est évanouie.» Il n’a pas l’intention de quitter son pays
mais, un soir, à la télévision, il découvre Ce qu’on ne vous a
pas dit sur Bab Amro, un programme de délation mis en place
par le régime dans le cadre duquel il est recherché pour avoir
aidé des blessés. Sur la photo, ses yeux d’un bleu intense,
ne passent pas inaperçus. «Alors, je me suis habillé le plus élégamment possible et, avec ma femme et mes enfants, on a filé en
voiture vers le Liban. Les soldats n’ont pas imaginé qu’un EN 4 DATES
homme si bien habillé avec sa
famille pouvait être traqué.»
1971 Naissance à Homs.
Jusqu’au soulèvement de 4 février 2012 Début du
Homs, Edrees était un phar- pilonnage de Bab Amro.
macien sans histoire qui ga- 22 février Mort de la
gnait bien sa vie. Il était journaliste américaine Mary
Colvin et du photographe
membre du parti Baas, au
français Rémy Ochlik.
pouvoir, et de l’Union des S’occupe des blessés
pharmaciens. Donc, un no- français et britanniques.
table. C’est la répression 1er mars 2012 L’armée
féroce des manifestations prend le contrôle du
pacifiques qui le font rejoin- quartier, réduit à un champ
dre la rébellion et diriger l’un de ruines. Il réussit à fuir
des deux centres de premiers au Liban.
soins de Bab Amro, cœur
battant de la révolution. Il n’a pourtant aucune compétence
particulière. «Excepté le docteur Mohammed, aucun de ceux
qui travaillaient dans ce dispensaire n’avait jamais fait de médecine.» Pour la première fois, il se met à porter des jeans :
«C’était plus pratique pour me faufiler entre les tirs des snipers.»
Car, si les infirmiers et le médecin dorment sur place pour
limiter les risques, lui, l’homme tranquille, se refuse à coucher dans un lit de fortune. Il tient coûte que coûte à rejoindre
sa famille chaque soir pour s’assurer que tout va bien, la rassurer aussi, quitte à s’exposer, à courir en rasant les murs.
«A la maison, quand les bombes tombaient, il fallait quand même
que je rie devant ma fille. Raghad a aujourd’hui 4 ans. Mais,
elle sait qui a tué son grand-père. Et ce qu’est une 12,7 ou
un RPG-7. Nos enfants sont devenus comme ça.» A présent,
il parle des derniers jours de Bab Amro. «On aurait dit que
c’était notre dispensaire que le régime haïssait le plus et
qu’il cherchait à tout prix à écraser sous les bombes. Si un combattant rebelle est fait prisonnier, il peut survivre en prison. Si
c’est un médecin ou un journaliste, il n’a aucune chance.»
Après l’attaque chimique contre les faubourgs de Damas,
le pharmacien a espéré que l’Amérique et la France iraient
bombarder le régime. Grande déception. «Désormais, le peuple syrien croit que vous vous servez de la Syrie comme d’un théâtre. Il faut que vous frappiez pour que nous soyons convaincus
du contraire, pour nous montrer que vous êtes bien des pays libres. Nous sommes en train de mourir avec ou sans gaz. Vous
dites que vous êtes les amis des Syriens mais les amis sont là
quand on a besoin d’eux.» Mais il n’a pas cessé pour autant
d’admirer la reine Elizabeth. Elle est l’incarnation d’un rêve,
celui de la démocratie. «Songez que les Anglais peuvent lui demander des comptes sur l’argent qu’elle dépense pour ses tenues.
Bachar, lui, peut tuer tous ceux qu’il veut et personne ne peut
rien lui demander.» Il insiste : «La liberté, pour nous, c’est de
pouvoir avoir la même vie que vous, les Occidentaux, celle qu’on
voit à la télé.»
Mais la Syrie dont il rêve, coincée entre les forces du régime
et les formations jihadistes qui ne cessent de se renforcer,
n’en est pas là. Le pharmacien en convient. «Nous n’acceptons pas que des étrangers viennent faire de la politique chez
nous. Après la révolution, il nous faudra sans doute faire une autre
révolution pour les chasser.» Après avoir appris la chirurgie
de guerre, il pense regagner son pays. Il a laissé à Homs sa
petite chatte qu’il affectionne. «Si jamais Bachar la trouve,
il va la tuer. Il est capable de l’accuser d’être responsable de la
révolution.» •