PAGES 4 à 7 Mobilisation générale chez les

INVENTER
INNOVER
À SUIVRE
Une journée avec le patron du
pôle de compétitivité Cap Digital,
P. 12-13
Stéphane Distinguin.
Le tour du monde des idées
insolites qui pourraient changer
CARTE P. 14-15
la donne.
Exemple de la France industrielle
en marche : le data center de FullSave,
P. 17
que préside Laurent Bacca.
ENTREPRISES
QUAND LE
DIGITAL DEVIENT
SENSIBLE
Plus de clavier ni
de souris, les appareils
numériques se dotent
d’interfaces sensorielles
P. 8-9
interactives.
MÉTROPOLES
LISBONNE,
CAPITALE VERTE
L 15174 - 86 - F: 3,00 €
LA TRIBUNE
FLOTTE
D’ENTREPRISE
Mobilisation
générale
chez les
constructeurs
CHIFFRE
L’IMPACT DE LA FISCALITÉ
La hausse de la TVA et celle de la taxe
sur les véhicules de société, autant de
mesures qui vont avoir une incidence
P. 8
sur le coût global des flottes.
DOSSIER
L’ESSOR DE LA LLD
FLOTTE D’ENTREPRISE
Alors qu’elle joue un rôle de plus
en plus important pour les
immatriculations, la LLD veut
maintenant séduire les PME-TPE.
P. 10
MOBILISATION
GÉNÉRALE
Tous les
constructeurs sans
exception vont
chercher à séduire
les entreprises en
2014. Ils sont
toujours plus
nombreux à déployer
des réseaux
spécialisés et ils ne
cessent d’étoffer
leurs gammes de
véhicules Business.
Les secrets
de l’entreprise
2.0
ANALYSE
CROWDFUNDING
À LA FRANÇAISE
Le nouveau régime
pour la finance
participative pourrait
faire de la France un
modèle de l’économie
P. 21
alternative.
PORTRAIT
RONAN PELLOUX
Visioconférence, réseaux sociaux, chat… Le Web collaboratif prend pied
dans l’entreprise. En facilitant le partage d’informations, il fait gagner en
efficacité. À une condition : laisser plus d’autonomie aux salariés.
PAGES 4 à 7
Son agence fédère déjà
une communauté de
50 000 designers. À
29 ans, il vise la première
P. 26
place mondiale.
© STUDIOVISION/ISTOCK
« LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. »
Voitures électriques,
énergie renouvelable…
La ville aux sept collines
met le développement
durable au cœur de
P. 19
sa stratégie.
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Gamme Audi A4 Advanced : consommation en cycle mixte (l/100 km) : 4,5 - 5,3. Rejets de CO2 (g/km) : 117 - 138.
I 3
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
SIGNAUX FAIBLES
ÉDITORIAL
Une information indépendante
pour une économie innovante
PAR PHILIPPE
CAHEN
PROSPECTIVISTE
DR
@SignauxFaibles
La ferme verticale
PAR JEANCHRISTOPHE
TORTORA
DIRECTEUR
DE LA
PUBLICATION
@jc_Tortora
DR
L’idée d’une ferme verticale a une
quinzaine d’années. Elle est développée
par le professeur de l’université Columbia
à New York, Dickson Despommier.
La première ferme verticale (Sky Green)
a ouvert à Singapour (automne 2012).
Pourquoi une ferme verticale ? La terre
arable devient rare, les villes grandissent,
les transports polluent, le personnel
est rare à la campagne. Produire le plus
proche de la ville assure la fraîcheur
des produits, la juste production
et consommation, l’économie de carbone
en transport, raccourcit la chaîne du froid
et limite les besoins de stockage. En zone
urbaine, la surface au sol coûte cher,
la verticalité est une solution. Depuis de
nombreuses années, les cultures de fraises,
tomates, laitues, etc., sont faites hors-sol,
en culture hydroponique, et les serres
produisent des produits propres, mûrs
à temps contrôlé.
Une ferme verticale est donc une serre
verticale. Sa hauteur peut être équivalente
à 10, 20 ou 40 étages. De telles tours sont
des ressources d’énergies éolienne et
solaire. Il faut prendre en considération
le volume ainsi créé et l’occuper
verticalement par des « étagères » fixes
ou mobiles qui tournent verticalement
et captent la lumière solaire. L’intérêt
d’une ferme verticale est de contrôler tous
les intrants. L’eau, les nutriments et
les insecticides sont distribués en juste
quantité. Les déchets biodégradables
sont recyclés. Certains projets intègrent
la présence d’animaux (poules, porcs,
poissons). Les végétaux produits sont
préparés sur place, frais ou transformés.
Une ferme verticale consommerait 40 fois
moins d’eau et produirait 10 fois plus qu’un
équivalent traditionnel. C’est une
production répondant aux critères
du développement durable.
1954
NAISSANCE DE LA TVA.
Maurice Lauré, haut
fonctionnaire des finances,
invente un impôt indirect qui
pèse sur le consommateur final.
À l’issue de discussions houleuses
à l’Assemblée nationale, la TVA
est adoptée le 10 avril, il y a
soixante ans. L’idée sera un
élément moteur du redressement
de la France et sera copiée dans
tous les grands pays.
des tarifs élevés imposés par le groupe G7.
La thèse de Nicolas Colin, qui lui appartient,
est que la résistance de G7, qui fait un
lobbying intense pour imposer une loi
obligeant les VTC à respecter un délai de
quinze minutes pour prendre un client
(finalement suspendue pour l’instant par le
Conseil d’État), est en quelque sorte l’incarnation d’une France frileuse face à l’innovation. Aurions-nous donc dû censurer Nicolas Colin pour plaire à Nicolas Rousselet!?
La Tribune est un média économique indépendant, qui promeut l’innovation, l’entreprise et le développement des territoires.
Notre journal vit lui-même dans un écosystème bousculé par de nouveaux acteurs
disruptifs sur Internet. Notre réponse a été
d’innover en basculant au format numérique (ce qui a démultiplié le nombre de nos
lecteurs, 1,8 million de visiteurs uniques
dans la dernière enquête Médiamétrie) et
en cherchant un nouveau modèle économique. Pas en réclamant à Google un délai
avant de référencer nos articles!!
Présent dans de nombreuses régions françaises, notre média plaide autant pour la
liberté d’entreprendre que pour des formes
nouvelles d’économie alternative et pour
une régulation qui tienne compte de l’intérêt des consommateurs et des citoyens. Sa
liberté de ton et l’ouverture constante de
ses colonnes au débat d’idées l’ont toujours
distingué dans le paysage de la presse économique. Cela peut irriter certains dirigeants, mais ce choix est – et restera – à la
150
LA FUITE DES CAPITAUX
de Russie pourrait atteindre
150 milliards de dollars en 2014,
selon la Banque mondiale, si la
crise ukrainienne s’aggrave.
Moscou a abaissé sa prévision
de croissance pour 2014 de
2,5 % à un taux allant de 0,5 %
à 1,1 %. Pour la Banque mondiale,
une récession de 1,8 % est
possible même cette année, si
les tensions se poursuivent.
10 %
base des valeurs de sa rédaction et de sa
ligne éditoriale. Depuis sa création en 1985,
La Tribune a toujours été en faveur d’une
information économique pertinente, mais
au ton impertinent. Notre site a été à l’origine de la naissance du mouvement des
« pigeons » contre la surtaxation des plusvalues mobilières dans le PLF 2013. À ce que
l’on sache, François Hollande n’a pas porté
plainte…
La réaction du patron de G7 ne peut que
renforcer nos convictions et inciter notre
rédaction à poursuivre son travail. Ce sera le
cas en particulier dans le domaine de la ville
intelligente, un secteur passionnant et riche
en opportunités, qu’il s’agisse de G7, de ses
concurrents VTC ou de tous les nouveaux
business naissant dans ces écosystèmes
changeants que sont les métropoles. Dans
une période incroyablement difficile pour la
presse et où est remise en question la survie
d’une information indépendante de qualité,
elle nous rappelle l’importance de la mission
d’informer et d’encourager les acteurs de
l’économie à innover, que ce soit avec ou
contre ceux qui, dans les périodes de changement, pensent leur entreprise comme une
forteresse assiégée. Q
1. http://bit.ly/1iwl5tp
2. Nicolas Colin est entrepreneur, coauteur
de L’Âge de la multitude (éd. Armand Colin)
et membre de Futurbulences, de Renaissance
numérique, du Club du 6 mai et de la commission
« services » du pôle de compétitivité Cap Digital.
PLUS D’INFORMATIONS SUR LATRIBUNE.FR
DU BRUT MONDIAL est
produit par les États-Unis,
3e producteur mondial et sans
doute 1er dès 2015, devant
l’Arabie saoudite et la Russie,
grâce à l’essor des pétroles non
conventionnels. Selon l’Agence
internationale de l’énergie, la
concentration des ressources
(Texas, Dakota, Montana) laisse
supposer qu’ils ne garderont
cette place que pendant dix ans.
120
MILLIONS D’EUROS sont
dépensés chaque année par
l’industrie financière en actions
de lobbying à Bruxelles, selon le
think tank Corporate Europe
Observatory. La finance emploie
1 700 lobbyistes dans la capitale
belge, ce qui en fait le secteur le
plus représenté. L’action la plus
efficace vient de la City. Sur les
700 groupes d’intérêt recensés,
140 sont issus d’Albion…
L’HISTOIRE
© KAZUHIRO NOGI/AFP
L’ouvrage le plus récent de Philippe Cahen :
Les Secrets de la prospective par les signaux
faibles, éditions Kawa, 2013.
P
ublier une opinion dont le
ton et la forme déplaisent
à une entreprise peut
encore conduire un média
français devant la justice.
La Tribune en a fait l’expérience la semaine dernière.
Une remarquable tribune de Nicolas Colin
consacrée à l’innovation dans le secteur des
taxis, publiée d’abord sur son blog puis sur
latribune.fr!1, a suscité l’ire de Nicolas Rousselet, patron du groupe G7, qui a attaqué
notre média et obtenu la mise en examen
pour diffamation de son directeur, ainsi que
de l’auteur du texte!2.
Cette réaction peut étonner de la part du
fils d’André Rousselet, homme de presse et
innovateur qui a fondé le quotidien
InfoMatin, Canal+… et le groupe G7, à la tête
duquel il a installé son fils, Nicolas, en
2006. Mais elle en dit long sur la nervosité
de ce dirigeant et sur sa répugnance à laisser s’ouvrir un débat sur la concurrence
dans son secteur. En position dominante à
Paris depuis la reprise de Taxis bleus, souffrant d’une mauvaise image chez les clients
français et étrangers, le groupe G7 découvre
ces temps-ci les joies de la concurrence sur
deux fronts : celle des nouvelles sociétés de
VTC, comme Uber, filiale de Google, et
celle des start-up qui proposent des applications mobiles permettant aux chauffeurs
et clients de se mettre en contact facilement et – horreur!! – gratuitement. De quoi
réjouir les taxis indépendants sous le joug
BALISES
L’avancement des projets de fermes
verticales se fait en Amérique du Nord,
dans les pays fortement urbanisés d’Asie,
les pays du Golfe, voire les pays en
développement d’Afrique. La France y a
des opportunités formidables du fait de sa
compétence dans les végétaux (Vilmorin)
et de sa réputation gastronomique. D’autre
part, 50 % des hypermarchés ont plus de
35 ans et sont donc de grandes surfaces
devenues urbaines. Ils peuvent
potentiellement abriter des fermes
verticales qui compenseraient leur
détestable image d’usines à vendre.
Il ne faudrait pas voir que les aspects
négatifs de la ferme verticale, qui existent.
L’agriculture urbaine individuelle est
en plein développement que ce soit les
toitures végétalisées, le « home farming »,
le mouvement Re:Farm the City. Lorsque
son modèle économique sera prouvé,
son développement sera fulgurant.
Je repars en plongée. Rendez-vous
la semaine prochaine… pour démontrer
l’inverse.
TENDANCES
LE CHÔMAGE FRAPPE AUSSI LES ROBOTS… Toyota, numéro 1
mondial de l’automobile, a remplacé, dans une de ses usines japonaises,
ses robots par des êtres humains. « On ne peut pas simplement dépendre
des machines qui répètent inlassablement les mêmes gestes. Pour être le
maître de la machine, vous devez avoir la connaissance et les compétences
pour apprendre à la machine », a justifié le chef du projet, Mitsuru Kawai.
Le secteur automobile est pourtant connu pour sa rapide automatisation.
Le Japon est même le deuxième pays le plus robotisé, derrière la Corée du
Sud. Le géant japonais, fondateur d’un mode de production à flux tendu,
le toyotisme, n’agit pas pour des raisons philosophiques. Plutôt que d’avoir
une horde de travailleurs moyens, les robots, Toyota veut voir émerger
des talents parmi les hommes. Et cela porte ses fruits : le remplacement de
robots par des êtres humains sur cent postes de travail a permis de réduire
les gaspillages de 10 % dans la production de vilebrequins et de raccourcir
la chaîne de montage. De quoi faire sourire Charlie Chaplin…
4 I
L’ÉVÉNEMENT
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
Le travail collaboratif à
l’heure des entreprises 2.0
LES FAITS. Des réseaux sociaux d’entreprises aux wikis en passant par les systèmes
de chat ou de visioconférence, les usages du Web participatif prennent pied dans l’entreprise.
LES ENJEUX. En mettant en réseau les collaborateurs, ces outils permettent de gagner
en efficacité et de doper l’innovation. Mais leur utilisation optimale se heurte encore à une culture
de la hiérarchie qui laisse peu d’autonomie aux employés.
C
ostume noir et cravate
bleue, il sourit sur fond
de ciel nuageux. Sous
@pmaniere
cette photo, une
colonne de profil apparaît : « Deputy CEO &
Chief Operating Officer »,
lit-on, avant de basculer
sur les coordonnés de l’intéressé. Au milieu,
un mur d’actualité. Les contributions aux
hashtags fournis s’enchaînent, avec ses lots
de commentaires et de « likes ». On se croirait sur Facebook… Mais il n’en est rien. Il
s’agit de la « page » d’Alexandre Ricard – qui
prendra les rênes de Pernod Ricard en janvier 2015 – sur Pernod Ricard Chatter. Sur ce
réseau social interne
lancé fin 2012, les
18"800 collaborateurs
du champion mondial des vins et spiritueux sont mis en
réseau. Et ce quels
c’est la croissance sur un an
que soient leur
du marché français du réseau social
branche, leur secteur
d’entreprise en mode SaaS, passé
d’activité, leur pays
de 26 M€ en 2012 à 40 M€ en 2013.
ou position hiérarchique.
Alexandre Ricard mise beaucoup sur cette
plate-forme. Lui qui a très activement soutenu l’initiative voit dans ces échanges directs
un levier pour travailler bien plus efficacement. L’outil concerne en particulier les comPAR PIERRE
MANIÈRE
La multiplication
des outils
mobiles
individuels
permet
de partager très
facilement
expériences
et informations,
à tout moment
et où que l’on
soit, en binôme
comme sur
les réseaux
d’entreprise.
55 %
© SYDA PRODUCTIONS/
SHUTTERSTOCK.COM
merciaux. Répartis à travers le monde, ceuxci se connectent pour « partager leurs bonnes
pratiques » en matière « de promotions, de
dégradation de prix ou encore de merchandising », souligne Olivier Cavil, le directeur de
la communication du groupe.
À travers ce réseau, Pernod Ricard s’inscrit
dans une dynamique récente : l’ère du travail
« collaboratif ». C’est d’ailleurs ce qui caractérise les entreprises estampillées « 2.0 »,
dont l’expression est en vogue ces dernières
années. Il faut dire que, de plus en plus, les
outils du Web participatif prennent pied
dans les sociétés et chambardent les habitudes de travail. Au quotidien, des milliers
d’employés twittent, commentent et
« likent » les messages de leurs collègues sur
des réseaux sociaux d’entreprise. Ils
recourent au chat, travaillent ensemble sur
le même document via Microsoft SharePoint
LENTE CONVERSION DU CAC 40 AUX RÉSEAUX SOCIAUX
L
es outils séduisent, mais
leur mise en place
s’avère difficile. Depuis
2008 et l’éclosion des
réseaux sociaux d’entreprise,
les groupes du CAC 40
s’intéressent de près
à ces nouveaux outils
collaboratifs. Mais ils peinent
à les utiliser correctement.
« Les réseaux sociaux
d’entreprise tiennent-ils leurs
promesses ? » s’interroge,
dans une note, l’Institut de
l’entreprise. Plus des trois
quarts des sociétés du
CAC 40 disposent déjà
d’un ou de plusieurs réseaux
sociaux d’entreprise. Sachant
que 60 % de ces platesformes ont été déployées
depuis deux ans, d’après une
étude publiée fin janvier par
Lecko, un cabinet de conseil
en organisation et TIC.
Mais, côté utilisateurs,
le résultat n’est pas encore
satisfaisant. Selon Lecko,
seulement 30 % des
entreprises jugent l’outil
significatif en matière de
« réseau ». Ce qui signifie
que peu de collaborateurs
interagissent régulièrement.
D’après les responsables
sondés par Lecko, 60 %
des groupes font état
de « difficultés à s’exprimer
sur des espaces ouverts »
et de « craintes des fuites
d’informations ». Enfin,
près de 70 % d’entre eux
évoquent des « difficultés
à exposer son identité
et son activité sur le
réseau », ainsi que des
« pertes de repères dans
l’accès à l’information ».
Dans ces grandes structures,
l’usage des réseaux patine.
Arnaud Rayrole, le patron
de Lecko, temporise :
« Certains ont cru qu’en
mettant en place ces outils
tout le monde allait vite les
adopter et devenir actif. » De
fait, ces outils collaboratifs
s’opposent au management
traditionnel, avec des salariés
bridés par des hiérarchies qui
ne favorisent guère
l’échange. « Ainsi déployée,
la dynamique de ces réseaux
internes ne repose que sur
les personnes les plus
motivées », constate Arnaud
Rayrole. Or « ces
collaborateurs volontaires
ne représentent que 10 %
à 15 % des effectifs ».
« On se trouve dans une
situation d’apprentissage »,
poursuit Arnaud Rayrole.
D’après lui, le réseau social
d’entreprise n’est que
le « catalyseur » d’un
« changement culturel »
vers une nouvelle forme
d’organisation plus
participative. Malgré tout,
ces solutions 2.0 ont le vent
en poupe. En France,
le marché des solutions
de réseau social d’entreprise
en mode SaaS (installées sur
des serveurs et non sur les
ordinateurs) a progressé
de 55 % en 2013, à
40 millions d’euros, contre
26 millions en 2012. Q
P.M.
et alimentent des wikis internes, de véritables encyclopédies participatives en ligne.
Ces nouveaux outils permettent des
échanges autrefois impossibles. « À l’heure de
la mondialisation, beaucoup d’entreprises répartissent leurs équipes aux quatre coins de la planète. Un projet peut être commencé en Inde,
repasser à une équipe européenne et être terminé
par une équipe américaine », souligne CharlesHenri Besseyre des Horts, professeur au sein
du groupe de recherche et d’études en gestion de HEC. En résumé, « ces nouvelles technologies permettent d’abord à l’entreprise d’aller
beaucoup plus vite », poursuit-il en pointant
par exemple les avantages de la visioconférence, qui se substitue aux réunions physiques, difficiles à organiser.
PARTAGER L’INFORMATION
PAR « COMMUNAUTÉS »
Les entreprises de l’Hexagone ont vite
compris les bénéfices qu’elles pouvaient
retirer de ces usages nouveaux. Dans une
enquête de l’institut de l’entreprise 2.0 de
l’école de management de Grenoble publiée
en juin 2012, plus de 90"% d’entre elles
disaient avoir lancé ou préparé un « projet
2.0 ». C’est notamment le cas d’Albéa, le
leader mondial des emballages de produits
cosmétiques. Vice-président des systèmes
d’information de cette multinationale de
16"000 collaborateurs, Éric Lafarge explique
avoir mené un projet pilote en septembre 2011 : « À l’époque, une équipe commerciale travaillait pour un gros client. Elle
était totalement éclatée à travers le monde,
mais avait besoin de partager des informations
et des documents de référence sans que per-
I 5
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
SIEMENS A SA BOÎTE
À IDÉES PARTICIPATIVE
C
ourant 2012, Alistair Gammie, cadre
de Siemens au Royaume-Uni, s’apprête à
signer un contrat de 11 millions d’euros auprès
d’une société brésilienne de matériel de diagnostic
médical. Mais en visitant l’usine, il déchante
vite en s’apercevant d’un problème de lecture
de codes-barres. Selon le directeur de l’usine,
un million d’entre eux sont imprimés chaque mois
et vérifiés visuellement par des employés. Mais
d’après lui, des erreurs d’impression passent parfois
à travers les mailles du filet. Alistair Gammie
se retrouve donc dans l’impasse : d’un point
de vue logistique, ces erreurs sont source
de gros problèmes, puisque certains produits
pharmaceutiques pourraient alors être envoyés
à la mauvaise personne.
sonne ne soit lésé. » L’idée d’utiliser un
réseau social d’entreprise est née. Et s’est
imposée. Depuis janvier, « nos 5"000 collaborateurs disposant d’un PC peuvent s’y
connecter via l’intranet du groupe.
Aujourd’hui, la moitié y sont connectés, et plus
d’une centaine de communautés par secteur,
projet ou métier ont vu le jour ». Toutefois,
tout le monde ne s’est pas converti au
réseau social, puisque « moins de 800 collaborateurs y sont vraiment actifs pour l’instant ». Parmi les avantages de l’outil, la
possibilité pour les salariés d’y centraliser
des documents. Ceux-ci sont ainsi accessibles à tous les membres d’une même
communauté.
Éric Lafarge y voit un gage d’efficacité. « Le
temps où on lisait tous ses e-mails, c’est fini,
constate-t-il. En outre, à moins de mettre
40 personnes en copie, tout le monde n’a pas
accès à toutes les conversations. Sachant qu’il
est laborieux de retrouver une information deux
mois plus tard. »
RÉUSSIR UNE FUSION
OU UN RAPPROCHEMENT
Utiles pour fédérer de petites équipes, les
réseaux sociaux d’entreprise s’imposent
surtout lorsqu’il s’agit de partager des informations au sein d’une vaste communauté.
C’est le défi auquel a été confronté Solvay.
En septembre 2011, le chimiste belge
rachète son homologue français Rhodia
pour 3,4 milliards d’euros. Avec près de
30#000 employés répartis dans 55 pays, la
nouvelle entité double presque ses effectifs.
La société est réorganisée, des équipes sont
constituées. Mais la direction est confrontée
à un problème : comment mettre en place
une culture d’entreprise commune pour
que l’intégration se déroule sans
encombre#? Et surtout, sans imposer ses
vues de manière unilatérale#?
À la tête de la communication interne,
Martial Tardy se rappelle : « La nouvelle
structure devait démarrer le 1er janvier 2013.
Pour la finaliser, nous avons réuni 600 cadres
du groupe pour une convention le mois précédent. Mais celle-ci devait durer deux jours. Ce
n’était pas suffisant, d’autant que la plupart de
ces cadres ne se connaissaient pas du tout… »
À six semaines de cette grand-messe, le
groupe lance alors le réseau social « Engage »
à destination des participants. L’objectif#?
Amorcer en amont des débats et discussions sur des thèmes de travail et d’organisation. « Nous avons utilisé la solution de
l’éditeur américain Jive Software, poursuit
Martial Tardy. Nous l’avions déjà expérimentée dans certains services, notamment au sein
d’une usine de recyclage de produits
chimiques. »
Pour le chef de la communication interne,
l’initiative est un succès : « Certains cadres
n’ont pas hésité à interpeller la direction sur des
sujets épineux… » L’étiquette « activité
cyclique » accolée à certaines filiales a ainsi
fait débat. Et pour cause : comme en
témoigne la cession de Solvay Indupa, le
premier producteur de PVC au Brésil, en
décembre 2012, la direction veut diminuer
la part de ces actifs « énergivores » et trop
peu orientés vers les marchés en croissance.
« Certains responsables de ce type d’activités
nous ont dit : “avec une telle dénomination,
comment voulez-vous que je motive mes
troupes"?” » se souvient Martial Tardy.
DOPER L’INNOVATION AVEC
DES INCUBATEURS D’IDÉES
Surtout, les outils collaboratifs apparaissent
comme une solution miracle pour doper
l’innovation, perçue comme un catalyseur de
la croissance. Charles-Henri Besseyre des
Horts le rappelle : « Avec l’essor des pays émergents, on ne peut plus lutter sur les coûts. La
seule façon de se battre, c’est de jouer la carte de
la différenciation. Or la différenciation, c’est
l’innovation. » En introduisant de la transversalité entre les cerveaux des différentes
branches de l’entreprise, les technologies
participatives apparaissent donc comme des
incubateurs d’idées neuves.
Les projets en ce sens fourmillent. Parmi les
précurseurs, Siemens a lancé en 1999, bien
avant Facebook et Twitter, sa plate-forme
TechnoWeb pour mettre en réseau ses milliers de chercheurs et d’ingénieurs (lire encadré ci-contre). Plus récemment, la branche de
financement et d’investissement CIB de BNP
Paribas a lancé une plate-forme collaborative
dédiée à l’innovation. Et ce en toute discrétion : seuls quelques blogs relatent brièvement l’initiative sur la Toile. Chose rare
– sans doute pour éviter de donner des idées
à la concurrence –, la banque n’a pas souhaité
répondre à nos questions. Suite p. 6 s
Ne sachant que faire et pressé par le temps,
Alistair Gammie jette une bouteille à la mer :
il expose son problème un vendredi soir via
la fonction « demande urgente » de TechnoWeb,
la plate-forme collaborative dédiée aux nouvelles
technologies de Siemens. Le lendemain matin,
en plein week-end, il découvre pas moins
de 23 messages dans sa boîte e-mail venus
de collègues allemands, indiens et américains.
Grâce à cette aide, il parvient à trouver une
solution en deux jours pour automatiser
l’inspection des codes-barres. Et décroche
finalement son contrat.
Le recours à TechnoWeb est solidement enraciné
dans la culture de Siemens. Le géant allemand
des hautes technologies – présent dans l’industrie,
l’énergie et la santé – a lancé cette plate-forme
interne en 1999, bien avant les succès de Facebook
ou de Twitter. « Au début, l’outil n’était destiné
qu’aux chercheurs et ingénieurs de la branche
recherche-développement, explique Michael
Heiss, du département Corporate Technology
du groupe. Nous avons étendu l’outil, qui compte
37 000 utilisateurs, à tous les départements
du groupe en 2009. »
Siemens voit dans cette mise en réseau
des cerveaux un catalyseur de l’innovation.
À côté de la fonction « demande urgente »
– qui permet de mobiliser les experts de domaines
différents via un système de mots-clés –,
TechnoWeb se présente visuellement comme
une page Facebook. Une fois connecté, on y trouve
son profil, son fil d’actualité, ses communautés,
ses centres d’intérêt et ses hashtags favoris.
« Chacun peut créer une communauté ou
un sujet dédié à une technologie », détaille
Michael Heiss. Si personne ne répond, le sujet
passe à la trappe. C’est seulement s’il suscite
débats et commentaires qu’il démontre son intérêt.
Et peut ainsi remonter en haut lieu. Q
P.M.
CHEZ SIMPLY MARKET, DES SALARIÉS AU CŒUR DE L’INNOVATION
À
Installée depuis 2010 dans les supermarchés
Simply Market, la tête de gondole à roulettes
a été conçue par un employé et sa photo postée
sur le réseau social du groupe, où elle a été
repérée par un responsable. © PASCAL SITTLER/REA
la rentrée 2010,
un mobilier nouveau fait
son apparition dans
les supermarchés Simply Market
du groupe Auchan. Il s’agit
d’une tête de gondole à roulettes
au format inclinable. Elle permet
de mettre en avant « l’affaire
du jour » des rayons fruits et
légumes. « En fin de semaine, cela
permet de faire une opération
massive, sans qu’on se retrouve
les autres jours avec un rayon
vide lorsqu’il y a moins de débit »,
explique Béatrice Javary,
directrice de la communication
de l’enseigne. Mais la particularité
de cette innovation, c’est qu’elle
émane directement… d’un salarié.
C’est l’employé d’un supermarché
de Brive qui a eu cette idée
de mobilier, l’a lui-même construit,
avant d’en faire fait part sur
Mysimplymarket.fr, le réseau social
du groupe. « Il a posté une photo
de son invention, poursuit Béatrice
Javary. Au siège, le responsable
de la politique commerciale
des fruits et légumes du groupe
l’a aperçue. Il s’est rendu sur place
avec un technicien, et a finalement
décidé d’étendre l’usage du
mobilier aux autres magasins. »
Sans le réseau social, cette
innovation n’aurait probablement
jamais vu le jour. Lancé
en novembre 2009, celui-ci
rassemble 2 400 membres, soit
20 % des effectifs, avec un taux
de participation de 50 %.
« Au mois de janvier, nous avons
totalisé 141 000 visites et
230 000 pages vues », précise
la directrice de la communication.
Conjugué à une volonté forte de
la direction d’impliquer davantage
les salariés dans la bonne marche
et la croissance de l’entreprise, cet
outil permet d’abolir les barrières
hiérarchiques et géographiques.
Accessible par smartphone ou
ordinateur personnel, le réseau
fonctionne sur la confiance.
Les employés, jusqu’alors présents
sous pseudos (mais ils seront
bientôt contraints d’afficher leur
identité), y sont complètement
libres. Ils peuvent y partager
idées, revendications, photos
et documents. Des communautés
de métiers (boucherie, pain et
viennoiserie…) sont apparues.
L’avantage ? Permettre des
discussions entre des employés
qui font le même métier mais
ne se voient physiquement jamais
puisqu’ils sont cantonnés dans
leurs magasins respectifs. Pour
Béatrice Javary, l’enseigne a tout
à y gagner. « Nos employés
peuvent désormais échanger leurs
pratiques sur la manière de mener
certaines opérations commerciales,
comme une foire aux vins. » Q P.M.
6 I
L’ÉVÉNEMENT
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
Les outils
du Web
participatif
prennent pied
dans les sociétés
et chambardent
les habitudes
de travail en
permettant
des échanges
autrefois
impossibles.
© ANDREY POPOV/
SHUTTERSTOCK.COM
Directeur du cabinet de
conseil en organisation et nouvelles technologies Lecko, Arnaud Rayrole s’est toutefois
longuement épanché sur son blog sur cette
initiative lancée fin 2012.
Sur cette plate-forme baptisée « Jump »,
tous les collaborateurs déclarent d’abord
leurs domaines de compétence, et peuvent
poster des idées. Pour chacune d’entre elles,
le système détermine 50 experts parmi les
membres. Ceux-ci ont alors dix jours pour
discuter de la proposition avec son porteur,
qui décide, en fin compte, de l’enterrer ou
de la poursuivre en fonction des retours.
Selon leur participation, les experts
récoltent une monnaie virtuelle, les
« Jump $ », qu’ils investissent sur les idées
ou projets auxquels ils croient.
Ici, le pseudonymat est la règle : à sa première connexion, le collaborateur choisit un
pseudo, sans obligation d’afficher son identité réelle. But de la manœuvre#? Développer
les discussions sans crainte, par exemple,
de critiquer les dires d’un supérieur hiérarchique. Selon Jérôme Dubois, le manager de
BNP Paribas CIB à l’origine du projet et cité
par Arnaud Rayrole, en un an, quelque
11#000 collaborateurs se sont inscrits (45#%
des employés), 700 idées ont été traitées, et
une dizaine sont remontées au comité d’innovation pour une mise en œuvre.
s Suite de la p. 5
ATOS ET SA CROISADE ANTICOURRIELS
S
es déclarations ont fait
le tour du monde.
En février 2011, Thierry
Breton déclare vouloir bannir
les courriels du quotidien
d’Atos. Objectif « zéro e-mail »
avant 2014, lance-t-il avec
fracas. Aujourd’hui,
le discours est plus prudent
et les 75 000 collaborateurs
du groupe continuent
pourtant d’y recourir. Il faut
dire que la plupart des clients
de l’entreprise de services
informatiques sont rompus
à l’usage des courriels…
Difficile, donc, de s’en passer.
Mais au sein de la société,
ceux-ci sont effectivement
de moins en moins utilisés.
« En trois ans, le nombre
d’e-mails internes a chuté
de 60 %, précise Philippe
Mareine, le secrétaire général
du groupe. En 2011, nos
employés en envoyaient
une centaine par semaine,
contre une quarantaine
aujourd’hui. »
On peut d’ailleurs y lire
directement ses e-mails, qui
apparaissent sous la forme
d’un flux d’informations.
Pour fluidifier les échanges,
des outils de chat et de
visioconférence ont été
greffés à la plate-forme. Les
communications sont ainsi
aussi importantes qu’avant,
mais plus efficaces et mieux
organisées. « Au sein de
blueKiwi, nous avons plus de
6 000 communautés, explique
Philippe Mareine. Celles-ci
épousent à la fois
l’organisation de l’entreprise,
avec la communauté
des financiers ou des juristes.
Beaucoup sont consacrées
aux projets de nos clients
et certaines sont thématiques,
liées au développement
durable ou à une technologie
pointue. »
À travers ces outils,
c’est toute l’organisation
de l’entreprise et sa manière
Pourquoi cette chasse aux
e-mails ? « Parce qu’ils sont
source d’inefficacité, sont
envahissants et génèrent une
forme de pollution, poursuit
le secrétaire général. Nos
études ont révélé que nos
employés passaient entre dix
et quinze heures par semaine
à les ouvrir, sachant que
seuls 15 % d’entre eux leur
étaient directement utiles
au travail. » Pour diminuer
aussi drastiquement les
courriels, les employés se
sont convertis au réseau
social d’entreprise de
blueKiwi, dont Atos a racheté
la société au printemps 2012.
Les employés d’abord !
Tel est le credo de Vineet Nayar. Dans son ouvrage Les
employés d’abord, les clients ensuite : comment renverser
les règles du management (éditions Diateino, 2011),
cet ancien PDG de HCL Technologies, poids lourd indien
de l’informatique, explique pourquoi redonner le pouvoir
aux collaborateurs permet de surperformer. Ses résultats
parlent pour lui : son groupe, qui pèse 4,2 milliards
de dollars, a presque triplé son CA en quatre ans.
de travailler qui a été
repensée de manière plus
transversale, collaborative…
« Et moins militarohiérarchique », ajoute
le secrétaire général.
Désormais, « les
collaborateurs peuvent
“challenger” leurs
managers » lorsqu’ils ne
sont pas d’accord avec eux.
Pour éviter que ceux-ci
ne prennent la mouche face
à cette nouvelle manière de
travailler, le groupe organise
des formations spécifiques.
« L’objectif, c’est de leur
montrer qu’on peut gagner
en efficacité. » Un exemple ?
« Là où il fallait avant
quarante-huit heures pour
mobiliser le bon expert sur un
problème précis, ça ne nous
prend plus qu’une heure. » De
même, « on peut réunir plus
rapidement les compétences
pour répondre à un appel
d’offres, ce qui accroît nos
chances de gagner ». Q
P.M.
Thierry Breton,
le PDG d’Atos,
a mobilisé dès
2011 l’entreprise
mondiale
de services
informatiques
dans un projet
« zéro e-mail ».
Le réseau social
de l’entreprise,
blueKiwi, a permis
depuis d’en
réduire fortement
le nombre, mais
pas de s’en passer
totalement.
© ROSE SERRA/ATOS
563 millions de dollars
C’est le poids du marché de la vidéoconférence
dans le monde au premier trimestre 2013,
selon le cabinet de recherche et de conseil IDC.
Toutefois, celui-ci recule de 13,2 % sur un an.
Si la situation économique pèse sur ces investissements,
l’engouement des clients pour les communications
en temps réel depuis un navigateur Web explique
aussi cette dégradation.
IMPLIQUER ET MOTIVER
LES SALARIÉS
Ces plates-formes participatives ont un
autre avantage : en impliquant les salariés
dans le développement de l’entreprise, elles
favorisent son engagement et son sentiment d’appartenance. Or, à ce niveau-là, la
France fait pâle figure. D’après le dernier
rapport Gallup sur l’engagement des salariés, la France se situe au 18e rang européen
avec un piètre 9#% de collaborateurs « engagés » et proactifs au travail, contre 21#% au
Danemark. Selon cette étude publiée l’année dernière, 65#% des actifs français sont
démotivés et viennent au travail en traînant
les pieds. Surtout, ils sont 26#% à être catalogués « désengagés actifs ». En d’autres
termes, ces collaborateurs manifestent un
sentiment négatif, voire hostile vis-à-vis de
leur entreprise.
86 %
C’est la proportion des internautes
qui sont inscrits sur un réseau
social (Facebook, Twitter, Google+,
Instagram, YouTube…) en 2013,
d’après l’observatoire des réseaux
sociaux de l’Ifop. Une progression
fulgurante,sachant qu’ils étaient 77 %
en 2009 et seulement 20 % en 2007.
Chez GT Location, la démocratisation du
réseau social interne SeeMy en février 2013
a largement été un facteur de « mieux-être »
dans l’entreprise. Forte de 1#300 personnes,
cette société basée à Bassens (Gironde) loue
des véhicules industriels avec conducteurs.
Ses conducteurs transportent aussi bien des
matériaux pour Lafarge que des animaux
vivants. « Tous les conducteurs peuvent se
connecter au réseau social via leur smartphone
ou un ordinateur personnel pour faire part de
conseils aux plus jeunes, débattre de la stratégie
métier, du camion le mieux adapté pour tel type
de marchandise, organiser leurs congés ou
même se plaindre des notes de frais », explique
Patrice Bonte, directeur de l’école de management du groupe.
D’après lui, certains conducteurs n’hésitent
pas à interpeller directement Michel Sarrat,
le patron du groupe, pour lui faire part de
leurs problèmes. Si Patrice Bonte ne dispose pas de chiffres sur l’engagement des
salariés, il constate toutefois que, certains
dimanches, « une trentaine de conducteurs
sont “loggés” sur le réseau"! ». Pour lui, le
réseau social interne permet de souder les
troupes. Dispersés sur toutes les routes de
l’Hexagone, ses conducteurs ne se rendent
que rarement au siège et ne se côtoient parfois jamais.
UNE NOUVELLE CULTURE
DE MANAGEMENT
Quel que soit le secteur d’activité considéré, l’usage des outils collaboratifs n’est
toutefois efficace que si la société donne
davantage d’autonomie à ses salariés. Ce
qui implique de bousculer la culture
d’entreprise et ses méthodes de management, comme le souligne Isaac Getz,
professeur de leadership et de management
à l’ESCP Europe (lire son interview page 7).
Tous les spécialistes le disent : à quoi bon
mettre en place des outils participatifs si
les salariés ne sont que de bons petits soldats, bridés par des managers « donneurs
d’ordres » et peu désireux de partager les
informations qui légitiment leur pouvoir#?
Pour Charles-Henri Besseyre des Horts,
« les managers doivent accepter de déléguer
leur pouvoir. Il s’agit d’une vraie révolution
en matière d’organisation ». En outre, les
technologies collaboratives favorisent discussions et débats, et acceptent de facto un
droit à l’erreur des salariés.
Or, « en France, nous avons dans notre ADN
la culture de la sanction, constate CharlesHenri Besseyre des Horts. Cela suppose donc
un changement de mentalité. Mais la nouvelle
génération, née avec le Net, devrait nous amener à évoluer ».
Certains patrons sondés par La Tribune
sont d’ailleurs souvent étonnés de voir que
leurs jeunes recrues boudent parfois
l’e-mail au profit d’un recours massif aux
réseaux sociaux. Ceux-ci vont-ils s’imposer
comme LE moyen de communication au
travail des prochaines années#? Pourquoi
pas#! Ray Tomlinson, l’inventeur de l’e-mail
en 1971, n’avait-il pas dit à un collègue en
lui présentant sa trouvaille : « N’en parle à
personne. Nous ne sommes pas censés travailler là-dessus. » Q
PLUS D’INFORMATIONS
SUR LATRIBUNE.FR
10 minutes, 10 ans…
Pour Arnaud Rayrole, à la tête du cabinet de
conseil en organisation et nouvelles technologies
Lecko, les réseaux sociaux d’entreprise mettront
des années avant d’être totalement apprivoisés.
« Il faut dix minutes pour comprendre l’interface,
dix jours pour déployer l’outil, dix mois pour
en retirer de la valeur. Mais il faudra probablement
dix ans pour que la société se transforme. »
I 7
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
L’ÉVÉNEMENT
INTERVIEW
Isaac Getz, professeur de leadership et d’innovation à l’ESCP Europe
« La vision de l’entreprise en tant
que forteresse, c’est révolu »
Isaac Getz promeut le concept d’« entreprise libérée » permettant de doper la rentabilité en misant
sur l’initiative et la responsabilisation des collaborateurs. Mais pour lui, la mise en place de
technologies collaboratives ne sert pas à grand-chose si l’on ne change pas la manière de travailler.
C’est-à-dire ?
Les entreprises fonctionnent avec des
formes de management héritées du
XIXe siècle. La division du travail par
métiers, par fonctions, a cloisonné les collaborateurs. On a la fonction logistique d’un
côté et la fonction commerciale de l’autre…
En outre, les employés sont déresponsabilisés : tout doit être validé par un chef,
perçu comme plus intelligent, à tous les
étages de la pyramide. Ce modèle de hiérarchie bureaucratique couplé à la multiplication des procédures fait que l’intelligence
des collaborateurs n’est pas respectée. On
ne leur fait pas confiance. On leur demande
d’effectuer une tâche spécifique et d’appliquer la procédure. Pas de réfléchir.
Isaac Getz,
coauteur de
Liberté & Cie.
Quand la liberté
des salariés
fait le bonheur
des entreprises
(éd. Flammarion,
2013).
© ALAIN ELORZA
LA TRIBUNE – Les technologies
participatives favorisent-elles vraiment
l’émergence d’une intelligence
collective et l’innovation ?
ISAAC GETZ – Oui et non. Ces outils facilitent la collaboration et il est plus aisé de
communiquer, de partager des informations,
de discuter des opportunités de nouvelles
affaires… Alors qu’avant, ces démarches se
faisaient au rythme de réunions à répétition
et au gré des feux verts de la hiérarchie. Avec
ces technologies, tout peut se faire de
manière plus horizontale et plus rapide.
Encore faut-il toutefois que les collaborateurs veuillent bien les utiliser et y voient
un avantage"! Et cela ne dépend pas de l’outil, mais de la manière dont l’entreprise est
organisée. L’entreprise traditionnelle fonctionne à l’opposé de la collaboration. Elle
est bureaucratique, cloisonnée « en silos »
et dispose d’un long arbre de décision hiérarchique. Cela décourage implicitement les
collaborateurs de prendre des initiatives et
de s’organiser entre eux pour faire émerger
cette intelligence collective.
Dans bien des cas, l’usage des outils
collaboratifs pâtit de la réticence des
managers à partager des informations
avec leurs subordonnés…
De fait, pourquoi partager la connaissance
si elle est synonyme de pouvoir"? Encore
une fois, l’entreprise n’est absolument pas
organisée pour encourager les collaborateurs à partager des informations. Les
outils ont beau être de plus en plus intéressants et de plus en plus puissants,
comme les réseaux sociaux internes, ils ne
servent à rien si on ne donne pas d’autonomie de décision aux salariés.
D’après vous, ce modèle
de management cher à Ford
et Taylor est donc révolu
avec l’essor du numérique,
où c’est la réactivité qui prime ?
Ce modèle managérial a très bien marché
pendant deux siècles : il a permis les économies d’échelle, l’explosion de la productivité… En Occident, on a multiplié
par vingt le niveau de vie. Mais cette
organisation atteint aujourd’hui ses
limites. Le monde évolue tellement rapidement que ceux qui aperçoivent les
« signaux faibles » liés à un problème, à
un changement ou à une innovation sont
les collaborateurs de première ligne, en
contact direct avec les clients, les fournisseurs et les partenaires de l’entreprise.
Mais ces signaux faibles remontent trop
lentement via la pyramide hiérarchique.
Et l’entreprise se retrouve incapable
d’agir tout de suite.
clients communiquent avec eux via ce
canal de manière ouverte et transparente.
Il n’y a pas de cloison ni de séparation
entre l’entreprise et son écosystème. Tony
Hsieh, son patron, est connu pour son
livre L’Entreprise du bonheur 1. Pour lui, à
l’heure des réseaux sociaux, on ne peut
plus barrer les flux d’informations en mettant des garde-fous à la communication
interne ou externe. La vision de l’entreprise en tant que forteresse, c’est révolu.
Cela fait penser à la chute de Nokia,
dont la direction n’a pas cru à la
révolution des smartphones malgré
les avertissements de ses ingénieurs…
La lenteur de son appareil hiérarchique,
embourbé dans des couches
de management intermédiaires,
a par la suite été très critiquée…
Mais si cela fonctionne dans
des sociétés moyennes et dans
le secteur des nouvelles technologies,
ces modes d’organisation ouverts
et collaboratifs ne sont-ils pas
trop difficiles à mettre en œuvre
dans les grandes entreprises ?
C’est un exemple emblématique. En 2008,
Qualcomm, un développeur de circuits
pour la téléphonie mobile, s’était notamment adressé à Nokia pour leur proposer
une technologie bien plus rapide pour les
portables de prochaine génération. Nokia
a mis neuf mois pour répondre, alors que
cette technologie était déjà devenue obsolète… Ses concurrents ont répondu bien
plus rapidement. Et aujourd’hui, Nokia a
disparu du paysage de la téléphonie
mobile.
Le Web participatif fait-il pression sur
ces anciens modèles de management
au profit des salariés ?
C’est manifeste. Regardez l’exemple de
Zappos.com. Rachetée par Amazon en
2009, cette start-up de vente de chaussures en ligne est passée de zéro à 1 milliard de chiffre d’affaires en huit ans. Chez
eux, tous les salariés ont un compte
Twitter et sont considérés comme des
porte-parole de l’entreprise. Tous les
Beaucoup d’entreprises du CAC 40 se
posent des questions et ont conscience
des enjeux. Certaines ont d’ailleurs
décidé de passer ce cap. C’est le cas
d’Auchan en septembre dernier" 2. Mais
étant donné la taille du groupe, le changement d’organisation prend du temps et
se fait progressivement, hypermarché
après hypermarché. Q
PROPOS RECUEILLIS PAR
PIERRE MANIÈRE
(1)
Dans L'Entreprise du bonheur, (2011,
éditions Leduc.s), Tony Hsieh explique
sa réussite par un modèle singulier fondé
sur le bonheur des employés et des clients.
Dans certains hypermarchés, Auchan a
mis en place un système permettant aux
vendeurs de régler eux-mêmes les problèmes
avec les clients. Pour gagner du temps,
le groupe leur permet notamment
d’interpeller l'entreprise et ses cadres sans
passer par leurs managers directs.
(2)
CHEZ CHRONO FLEX, LES SALARIÉS PRENNENT LE POUVOIR
son patron ? Il veille au respect
des budgets de ses équipes. Et
surtout, à ce que la « vision »
de l’entreprise soit respectée.
Celle-ci repose notamment
sur « la performance par
le bonheur », « l’amour du
client ». En outre, le patron
s’assure que l’autonomie et la
liberté offertes à ses salariés
sont bien respectées.
crise s’est invitée. « Nous
avons pris une porte en pleine
figure, poursuit le patron.
Le chiffre d’affaires a chuté
de 34 % et nous avons été
contraints de licencier
des personnes qu’on voulait
garder. » En interne, ce revers
est très mal vécu. Et Alexandre
Gérard songe à changer
l’organisation du travail.
Mais pourquoi avoir
chambardé de la sorte son
organisation ? « Jusqu’en
2009, les affaires étaient au
beau fixe », raconte Alexandre
Gérard. En moins de dix ans
d’existence, son entreprise
comptait alors 260 salariés
pour un chiffre d’affaires de
22 millions d’euros. Mais la
Lors d’une conférence,
il rencontre Jean-François
Zobrist, patron de 1971 à 2009
du sous-traitant automobile
Favi, en Picardie. Avec succès,
celui-ci a mis en place une
nouvelle méthode de
management, fondée sur le
bien-être au travail, l’autonomie
et la responsabilisation des
salariés ainsi que « l’amour »
du client. Pour ce faire, il
a diminué fortement
les contrôles en taillant dans
la hiérarchie intermédiaire.
Séduit par l’initiative, Alexandre
Gérard reprend cette
philosophie à son compte.
Il décide de transformer
son propre « paquebot »
d’entreprise en une « armada
de speed boats » régionaux,
avec des équipes autogérées.
Le 7 janvier 2012, il lance
la transformation. Depuis,
l’entreprise s’est largement
redressée. « Cette année,
on table sur un chiffre
d’affaires de 18 millions
d’euros. C’est certes inférieur
à ce que nous réalisions
© DR
C
hez eux, la pyramide
hiérarchique n’est plus.
Ou plutôt, elle s’est
renversée. Fondé en 1995
à Saint-Herblain (LoireAtlantique), Chrono Flex est le
leader français du dépannage
de flexibles hydrauliques.
Sa particularité ? Depuis
janvier 2012, ses 240 salariés
choisissent eux-mêmes leurs
managers. Ils déterminent les
primes, recrutent leurs pairs
et prennent même des
décisions liées aux affaires
ou aux investissements. À eux,
par exemple, de renégocier
les contrats de téléphonie
ou l’achat d’ordinateurs. En
clair, ils décident de la marche
et de la vie de l’entreprise.
Et Alexandre Gérard (photo),
avant la crise. Malgré tout,
le résultat sera meilleur »,
assure-t-il, en prévoyant
d’embaucher 70 personnes
cette année. Q
P.M.
8 I
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
ENTREPRISES
INVENTER
Ils obéissent au doigt,
à l’œil… et à la pensée
D
eux milliards de
dollars, c’est le
montant déboursé
le 25 mars dernier
@ErickHaehnsen
par Facebook pour
racheter Oculus VR.
@elianekan
Cette start-up américaine qui avait
recouru au crowdfunding sur Kickstarter a
développé l’Oculus Rift, le casque immersif
qui entend révolutionner les jeux vidéo et
la réalité virtuelle. Sur son blog personnel,
Mark Zuckerberg, le patron du réseau social,
explique qu’il veut transformer nos rapports
sociaux ainsi que nous permettre de partager des expériences et aventures avec nos
amis. Il est donc temps de s’intéresser de
près aux interactions sensorielles avec les
mondes digitaux.
Minority Report, Iron Man, Avatar… certains
films avaient déjà suggéré une informatique
complètement affranchie de la souris, du
clavier et parfois même de l’écran. Miroirs
connectés, vitres transparentes, écrans tactiles, reconnaissance et synthèse vocales,
caméras à reconnaissance gestuelle, commande par ondes cérébrales, dialogue par
vibrations, objets connectés… Les interfaces
entre l’homme et la machine se sont multipliées pour solliciter nos sens et surtout
donner naissance à de nouvelles interactions numériques. Comme piloter un
smartphone par vibrations tactiles, théâtraliser la vente en magasin avec un écran tactile ou gérer davantage d’informations sans
perdre de vue la route…
L’innovation en interaction numérique n’a
jamais connu une telle accélération. « Cette
accélération a démarré
avec l’iPhone en 2007.
Le smartphone d’Apple
a sacralisé les applications tactiles », se souvient Sacha Cayre, DG
d’Insign Mobility, une
agence marketing spéKing Jouet disposent d’écrans
tactiles géants. Cet appareillage
cialisée dans les intestimule les ventes, de 5 à 10 %.
ractions avec les équipements mobiles.
« “Swipe” [faire défiler],
“expand” [zoomer en écartant le pouce et l’index], “pinch” [rapprocher le pouce et l’index
pour dézoomer]… la culture du gestuel s’est
imposée. À savoir celle du geste, sur une surface
tactile, associé aux icônes graphiques permettant
de lancer de manière intuitive un très grand
nombre d’applications à partir d’un tout petit
écran. » Sept ans après l’introduction de
l’iPhone, les réflexions se renouvellent.
« Aujourd’hui, en fait, le tactile apparaît très
limité car le seul retour qui lui est associé provient des icônes graphiques de l’écran », constate
PAR ERICK
HAEHNSEN
ET ÉLIANE
KAN
50
magasins
Magie virtuelle
Moulla Diabi, magicien et ingénieur, organise des spectacles dans
le monde entier : « Nous créons des illusions numériques. Par exemple :
je prends le téléphone d’un spectateur, je le jette dans l’écran géant et il
devient virtuel. Je peux voir ses photos, accéder à ses contacts… comme
si je l’avais dans la main. Sauf qu’il fait 4 mètres de haut. » Magique !
Grâce aux écrans tactiles et multipoints, aux objets connectés
ou aux ondes cérébrales, les appareils numériques se dotent
d’interfaces qui nous affranchissent du clavier et de la souris.
L’affichage en
temps réel sur
écran de l’activité
cérébrale
de la personne,
une étape vers
la possibilité
de stimuler
ou d’inhiber des
zones précises
et choisies
du cerveau.
© MENSIA TECHNOLOGIES
Nicolas Roussel, directeur de recherche en
interactions homme-machine à l’établissement lillois de l’Inria (Institut national de
recherche en informatique et automatique).
Il participe au programme de recherche
Touchit (7,2 millions d’euros), labellisé par
le pôle de compétitivité Minalogic de
Grenoble où l’on retrouve, entre autres, le
CEA, STMicroelectronics et Orange.
Objectif : industrialiser des composants
microélectroniques capables de vibrer à
très haute fréquence et très faible amplitude. Destiné aux tableaux de bord de voiture, smartphones ou tablettes, ce procédé
« piézoélectrique » engendre un coussin
d’air entre la dalle de l’écran et le doigt.
Lequel procure, sur certaines parties de
l’écran, la sensation de toucher une surface
rugueuse. « Cela pourrait servir à interagir
avec des boutons, voire des icônes tactiles qui
lanceraient des applications “yeux libres”. Par
exemple, pour sélectionner un numéro de téléphone ou appeler la personne quand on
regarde la route au lieu d’un écran. »
De son côté, l’américain Garmin, célèbre
pour ses GPS et systèmes de navigation,
Fenêtre interactive
combine pour son prototype K2 un écran
central de 10 pouces, des capteurs infrarouges et un système de visée tête haute
(HUD, head-up display) présenté au dernier
CES de Las Vegas en janvier.
« L’INFORMATION NUMÉRIQUE
REDEVIENT PHYSIQUE »
« L’écran central affiche l’information détaillée, notamment les cartes routières, tandis que
la visée tête haute se contente d’informations
synthétiques. Pour activer la navigation, la
téléphonie, voire la lecture d’e-mails ou de
SMS… des capteurs infrarouges détectent le
geste d’approche de la commande au volant,
sur la planche de bord ou en partie centrale.
L’intérêt, c’est de gérer plus d’informations
tout en gardant les yeux fixés sur la route »,
décrit Marc Douay, responsable des relations avec les constructeurs automobiles
chez Garmin France qui, depuis septembre 2013, vend en seconde monte un
hub qui se branche sur l’allume-cigare et
fonctionne de concert avec une application
À l’occasion du salon LeWeb 2013, Sensorit a réalisé pour France
Télévisions une fenêtre interactive dotée d’un écran transparent
qui, grâce aux objets connectés de Netatmo, indiquait la météo,
le taux d’humidité extérieure ainsi que le taux intérieur de CO2. Et
en fermant le store, on pouvait bien sûr regarder la télé.
mobile à télécharger. « Ici, nous proposons
une version en première monte plus intégrée. »
Laquelle fait l’objet de réponses aux appels
d’offres lancés par les grands constructeurs
automobiles pour une éventuelle mise sur
le marché à partir de 2017.
Pour sa part, Tangible Display, créé en 2010
à Montreuil (Seine-Saint-Denis), mise sur
le créneau de la consultation sociale de
contenus. « Nous concevons et fabriquons des
murs ou tables tactiles multipoints mesurant
jusqu’à 4 mètres de long qui peuvent accueillir
25 personnes pour des musées ou des grands
comptes, indique Jimmy Hertz, le PDG de
cette start-up qui a réalisé en 2013 un
chiffre d’affaires de 150#000 euros avec
4 salariés et 7 associés. Les gens utilisent
ainsi le même ordinateur de façon collective.
Par ailleurs, en tournant des objets connectés
sur l’écran, ils accèdent à des contenus de plus
en plus pointus. Avec ce type d’interaction,
l’information numérique redevient physique. »
Fort de son expérience en écrans fabriqués
à façon, Tangible Display baisse le prix de
l’écran tactile grand format avec l’américain PQ Labs, qui fabrique des cadres dotés
Juke-box sensoriel
Sensovery, start-up basée à Compiègne (60), développe un juke-box
sensoriel. L’appareil dispose d’un anneau qui fait office de manette.
Suivant la force avec laquelle on l’actionne, il diffusera un répertoire
musical plus ou moins endiablé. Originalité, ce juke-box puise
les morceaux dans les smartphones des convives connectés par WiFi.
I 9
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
d’émetteurs et récepteurs LED infrarouges
capables de rendre tactile n’importe quel
écran pour quatre fois moins cher – dès
8"000 euros pour 60 pouces. De son côté,
sous le vocable de « Phygital », contraction
de « physique » et de « digital », la start-up
Improveeze (450"000 euros de chiffre d’affaires 2013, avec 8 personnes), créée fin
2010 à Tourcoing (Nord), théâtralise la
cérémonie de la vente en magasin grâce à
des écrans tactiles multipoints. « Le client
et le vendeur sont debout, côte à côte. Grâce à
des interfaces tactiles développées avec l’Inria,
le vendeur arrive au même niveau de connaissance que le client qui s’est informé au préalable, explique Mickael Durand, le responsable marketing. Il peut vérifier si le produit
est en stock dans le magasin ou s’il sera
livrable en e-commerce. L’écran augmente virtuellement la taille du magasin sans rompre le
parcours d’achat. » Déployé dans 50 magasins King Jouet, ce procédé ferait gagner
de 5 à 10"% de ventes supplémentaires.
Analyser le parcours clients, adapter les
contenus du Web à l’interface tactile,
déployer et maintenir des écrans multipoints standards… Improveeze montre
comment le business des interactions
numériques s’industrialise.
CASQUE DE CAPTAGE ET
LOGICIELS DE DIAGNOSTIC
La commande sensorielle intéresse aussi
les applications de sécurité. En témoigne
la start-up française Novitact, qui s’apprête
à lancer les premiers bracelets vibratoires
d’urgence. En cas de danger, il suffit d’appuyer sur le bracelet FeelTact. « En retour,
l’utilisateur recevra des vibrations, selon un
code prédéfini, qui lui indiqueront que sa
demande a été reçue et dans combien de temps
les secours arriveront », indique Thibaud
Severini, cofondateur et président de
Novitact, créé en octobre dernier près de
Compiègne.
Les développements de ce bracelet ont été
menés entre 2011 et 2013 au sein de l’UTC,
qui a accueilli dans son centre d’innovation
le porteur de projet, co-inventeur du brevet avec un enseignant-chercheur du laboratoire Costech de l’UTC. Sur le plan financier, le dirigeant a levé des fonds sous
forme de subventions et de prêts pour
réaliser des prototypes. En quête de bêtatesteurs, Thibaud Severini prévoit de com-
Tangible Display
a réalisé
ce mur-écran
interactif
de 4 mètres
de long pour
la Cité des
sciences et
de l’industrie
de la Villette,
à Paris.
© TANGIBLE DISPLAY
mercialiser le FeelTact début 2015. Des
déclinaisons grand public sont envisagées
dans le divertissement, la domotique, etc.
La palette d’outils s’enrichit avec l’arrivée
d’applications pilotées par les ondes
cérébrales. « L’Inria a développé un logiciel
baptisé OpenViBE, qui sert essentiellement à
naviguer et à contrôler des ordinateurs par la
pensée », commente Jean-Yves Quentel, le
président de Mensia Technologies. Créée
en 2012, cette start-up rennaise de 10 personnes a eu l’idée d’acquérir une licence
du célèbre institut, non pas pour piloter
des ordinateurs, mais pour développer des
applications médicales. L’objectif vise ainsi
à aider des patients, notamment des
enfants affectés par des troubles de l’attention, à prendre en compte l’état de leur
cerveau en captant leurs ondes cérébrales
et en les affichant à l’écran. « Ils voient ainsi
en temps réel quelles sont les zones du cerveau qu’ils doivent stimuler ou inhiber,
explique le dirigeant, qui a levé près de
700"000 euros pour développer son offre
de solutions neurophysiologiques qui fonctionnent en temps réel. D’ici deux à trois
ans, nous lancerons auprès des hôpitaux des
solutions globales comprenant un casque pour
capter les ondes cérébrales et des logiciels de
diagnostic et de rééducation pour un coût de
plusieurs dizaines de milliers d’euros. » Q
LE CLAVIER RÉINVENTÉ
C
spécifiques – permet de
réduire la taille du clavier
virtuel. Et donc de consacrer
une plus grande surface à
l’application. » Par ailleurs,
en faisant appel à la mémoire
musculaire (kinesthésie),
on passe de 100 à
300 caractères saisis
à la minute. AlphaUi compte
commercialiser son interface
dorsale à 129 euros TTC dès
l’automne prochain. Q
E.K.
hacun de nous a pesté
contre le clavier virtuel
de son smartphone
ou de sa tablette : on tape
trop souvent sur le mauvais
caractère…
Présenté au dernier CES de
Las Vegas, le clavier Twiky de
la start-up parisienne AlphaUi
veut changer la donne.
Sa première particularité
est de se clipser au dos du
smartphone ou de la tablette.
des applications ou des jeux
vidéo, pour naviguer ou
écrire, explique Patrice Jolly,
le PDG de cette entreprise
créée en 2008, et qui
emploie cinq collaborateurs
dont deux chercheurs.
Comme on conserve le retour
visuel, puisqu’on est face à
l’écran, notre logiciel pour
Android et Windows Phone
– Apple, seulement pour
quelques applications
La seconde, c’est qu’on
l’utilise sans voir ce qu’on
fait exactement avec les
8 doigts sollicités. La
troisième, c’est que les
touches ne sont pas réparties
en AZERTY ou QWERTY.
« On se sert de cette
interface dorsale pour
bénéficier de “raccourcis
clavier” bien utiles lorsque
l’on veut lancer rapidement
Cette interface dorsale permet d’interagir avec l’équipement mobile en
agrandissant la surface accordée à l’application sur l’écran. © ALPHAUI
INNOVONS ENSEMBLE, AVEC
ET
En juin prochain, Formulaction fêtera ses vingt ans. Cette
société basée en Haute-Garonne emploie 20 salariés, dont
deux dans sa filiale aux Etats-Unis, et a réalisé 4 millions
d’euros de chiffre d’affaires en 2013. C’est surtout à
l’international qu’elle vend ses instruments d’analyse des
particules en milieu liquide, qu’elles soient solides, liquides
ou gazeuses. Ces petits scanners optiques sont utilisés
dans treize domaines d’application, notamment dans
l’industrie pharmaceutique, cosmétique et agro-alimentaire.
«Nous aidons les formulateurs à détecter très tôt les
phénomènes de déstabilisation de leurs nouvelles
«recettes», ce qui permet de réduire de un an à six mois la
phase de mise au point de la formule, et ainsi de réduire les
coûts de recherche», indique Gérard Meunier, le président
de Formulaction. Il compte parmi ses clients 300 des 1000
plus grands groupes industriels du monde. Formulaction
travaille à mettre au point de nouveaux instruments : l’un
permettra de mesurer la viscosité sans moyen mécanique,
et l’autre sera une station micro-fluidique d’autoformulation,
permettant de modifier la composition d’un produit tout en
mesurant ses propriétés physiques. «Pour notre programme
de recherche sur les cinq prochaines années, je vais
solliciter Bpifrance, qui nous accompagne depuis la
création de la société, notamment avec des avances
remboursables à taux zéro très avantageuses, et avec un
prêt bancaire qui nous a permis de financer 50% de la
recherche sur le projet microfluidique», indique Gérard
Meunier. «Les équipes de Bpifrance voient au-delà du
compte de résultat. Elles ont une bonne compréhension des
technologies et des marchés innovants.» Formulaction
entend renforcer sa présence sur ses marchés phares à
l’étranger, en ouvrant des bureaux en Allemagne, en Chine
et au Japon. Et elle prévoit de multiplier par trois son chiffre
d’affaires d’ici à cinq ans.
Entrepreneurs, Bpifrance vous soutient en prêt et capital, contactez Bpifrance de votre région : bpifrance.fr
Gérard Meunier,
président de Formulaction.
© Formulaction
FORMULACTION AUSCULTE LES PARTICULES
10 I
ENTREPRISES
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
CRÉER
Biocon, la biopharma indienne
qui défie les big pharmas
Située non loin de la Silicon Valley indienne de Bangalore,
cette société de biopharmacie a pour objectif d’offrir des thérapies
moins chères pour des maladies chroniques et auto-immunes.
PAR
MATHILDE
ESLIDA
À BANGALORE
P
endant trente ans, Kiran
Mazum dar-Shaw et Nilima
Rovshen ont été les meilleures
amies du monde. Aussi, quand
Nilima s’est vu diagnostiquer
un cancer du sein, Kiran a tenu à l’accompagner. « J’ai vu le combat qu’elle a mené, le
fardeau financier que cela représentait, le traitement, la maladie en tant que telle. Tout cela
était affreux. Et je me suis juré d’agir », se
remémore Kiran. Nilima est finalement
décédée en 2002. Une histoire banale
comme, hélas, des milliers d’autres. Pas du
tout : Kiran est une femme d’affaires
influente en Inde. Et aujourd’hui elle a plus
qu’honoré sa promesse.
Après des années de recherche, sa société
de biopharmacie, Biocon, vient en effet de
mettre sur le marché un anticancéreux du
sein à un prix défiant toute concurrence. Il
s’agit d’un « biosimilaire » (un médicament
biologique qui se veut comparable à un
médicament déjà commercialisé) de Trastuzumab, un traitement produit par la
firme suisse Roche. Son coût : 25"% moins
cher que l’original.
Si elle la touche davantage, l’oncologie n’est
cependant pas la seule cause dans laquelle
s’est engagée Kiran, qui s’attaque aussi au
diabète et aux maladies auto-immunes. Via
sa société, cette femme de 61 ans que le
magazine Forbes classe parmi les plus riches
de l’Inde se bat sur bien des terrains, avec
chaque fois la farouche intention de lancer
des médicaments moins onéreux. « J’ai beaucoup d’idées et je n’aurai sans doute pas le temps
de toutes les appliquer, mais le plus important
pour moi aujourd’hui reste que chaque citoyen
dans ce pays puisse se soigner, insiste la femme
d’affaires. Or c’est sans fin, la population est
énorme, les besoins aussi, et, à mon sens, la seule
façon d’y parvenir c’est d’innover… »
« NOUS AVONS
UN BLOCKBUSTER ! »
Contrairement à d’autres qui se cantonnent
à l’imitation et à la fabrication de génériques,
Biocon – dont le campus est situé à deux pas
d’Electronic City, la Silicon Valley de Bangalore – a longtemps mis un point d’honneur à
investir 10"% de son chiffre d’affaires dans la
R&D. Seules les nouvelles réglementations
visant à encadrer les essais cliniques en Inde
– à la suite des nombreuses dérives du secteur – l’ont contrainte en décembre dernier
à réduire la voilure.
« La situation en Inde est compliquée en ce
moment. Plusieurs de nos essais ont dû être
gelés et il nous a fallu en réaliser d’autres à
l’étranger afin de ne pas interrompre notre
développement, reconnaît la patronne de
Biocon. Une telle délocalisation en Europe et
aux États-Unis majore de 10 à 20 fois les coûts
de développement. »
L’important,
pour Kiran
Mazumdar-Shaw,
PDG de Biocon :
« Que chaque
citoyen indien
puisse se
soigner. »
© BIOCON
Alors, que faire"? « Se battre et continuer »,
insiste Kiran. Ce qu’elle a fait depuis la création de son groupe, en 1978. Major de sa promotion en biologie, cette descendante de
brahmane, qui s’imaginait médecin, va vite
déchanter : l’université ne veut pas d’elle. Elle
envisage alors d’être brasseur, comme son
père. Mais cette fois, c’est le milieu macho
de la profession qui la rejette. Qu’à cela ne
tienne, Kiran part en Écosse pour travailler
dans le whisky. C’est là que la rattrape une
entreprise irlandaise en quête d’un partenaire
indien pour fabriquer des enzymes industriels à partir de pépins de papaye.
L’aventure Biocon commence. La microsociété voit le jour dans un garage, avec une
poignée de roupies en guise de capital de
départ. Aujourd’hui, son groupe pèse plus de
250 millions de dollars de chiffre d’affaires,
compte 5"000 employés et… plusieurs médicaments maison à son actif.
« Les vingt premières années ont porté sur l’innovation des enzymes. Puis, début 2000, nous avons
fait évoluer ce business vers les biopharmaceutiques », se remémore sa fondatrice. En 2004,
Biocon lance une insuline jetable fabriquée
selon un procédé original et bon marché.
Deux ans plus tard, elle commercialise un
traitement contre les cancers « de la tête et
du cou ». Enfin l’été dernier, elle met sur le
marché Alzumab, un traitement contre le
psoriasis 50"% moins cher que les médicaments similaires. Une nouvelle victoire. « Le
procédé de découverte qui a présidé à la naissance de ce médicament pourrait s’appliquer à
un spectre plus large de maladies autoimmunes », estime la présidente.
Selon elle, le marché des thérapies pour
traiter le psoriasis, l’arthrite et les multiples scléroses représente « plus de 20 milliards de dollars ». Biocon est d’ailleurs
actuellement à la recherche de partenaires
pour développer la commercialisation de
sa thérapie dans le monde entier. « Cette
fois, assure-t-elle, pas de doute, nous avons
un “blockbuster” entre nos mains#! » Q
À SUIVRE
Quand le marketing écolo
éphémère vise… le long terme
La start-up lyonnaise Biodegr’AD bouscule le marketing avec de la publicité écolo
sur le sol, le clean tag (« tag propre ») et le clay tag (craie ou peinture biodégradable).
PAR
MAXIME
HANSSEN,
À LYON,
ACTEURS DE
L’ÉCONOMIE
@HanssenMaxime
La bonne idée :
des marquages
au sol vraiment
écolos, car
ils s’effacent
d’eux-mêmes
au bout d’une
semaine environ.
© ÉMERIC MOUILLOT
B
iodegr’AD veut lutter contre la
pollution visuelle des panneaux
publicitaires. La jeune start-up
lyonnaise s’est donc spécialisée
dans le marketing écologique
par le clean tag et le clay tag, des procédés
de marquage au sol réalisés à la craie ou par
projection d’eau à travers un pochoir ou de
la peinture biodégradable.
À l’origine de cette aventure, trois jeunes
étudiants passionnés de street art qui, s’inspirant d’un concept né aux États-Unis,
décident de mettre en commun leurs compétences artistiques, entrepreneuriales et
leur fibre écologique pour bousculer le
monde de la communication. En créant un
contraste entre la propreté et la saleté, les
clean tags réalisés à des endroits stratégiques
offrent de fait une visibilité moyenne de
sept jours, puis s’estompent naturellement"!
Émeric Mouillot, Guillaume Pâris de Bollardière et Tanguy Bard de Coutance ont
aussi vite compris que, en quelques années,
le clean tag s’est déjà imposé dans les
grandes villes européennes. Les trois
jeunes entrepreneurs ont donc investi
10"500 euros dans le capital de départ,
financé par un prêt familial et un prêt à la
création d’entreprise (PCE). Pour leur premier exercice, en 2013, ils ont réalisé un
chiffre d’affaires de 110"000 euros, porté
par une quarantaine de campagnes, pour
une facturation moyenne de 2"700 euros.
Ses premiers clients"? Kia, Vinci, SFR,
Samsung, Nespresso, UGC, Casino, etc.
LE VIDE JURIDIQUE FACILITE
L’ESSOR DU CLEAN TAG
Pour 2014, Biodegr’AD espère réaliser un
CA cinq fois supérieur (500"000 euros), un
objectif « optimiste mais réalisable », estime
Guillaume. Profitant du dispositif Inovizi,
piloté par Rhône Développement Initiative,
mis en place par la région, Biodegr’AD a
levé environ 50"000 euros (prêt d’honneur)
et 50"000 euros (crédit-bail) auprès de la
Société générale via le principe 1 euro
public/1 euro privé. Un emprunt, à taux
zéro, qu’ils devront commencer à rembourser dans six mois. Biodegr’AD accueillera
bientôt deux nouveaux salariés (une chargée de projet, un commercial), en CDI, et
envisage de porter son effectif à 15 personnes d’ici à la fin 2014. Car, aux yeux des
fondateurs, l’emploi est essentiel pour la
réalisation de leur business plan, afin d’occuper vite le terrain, prendre des parts de
marché et être en mesure de régler le problème des concessions. Pour l’instant, la
start-up profite d’un vide juridique qui lui
permet de marquer les sols publics sans
autorisation préalable.
Déjà présente dans sept villes françaises
(Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes,
Lille et Metz), l’entreprise souhaite mettre
des équipes en place à l’échelle nationale,
ce qui lui permettrait de proposer aux
annonceurs des campagnes de communication d’envergure et simultanées. Q
I 11
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86- WWW.LATRIBUNE.FR
Accélérateur de start-up :
un coup de jeune pour Orange
INVENTER
L’opérateur historique a récemment dévoilé sa sélection des sept start-up françaises
qui intégreront son Orange Fab. Une initiative déclinée en Espagne, en Pologne et en Israël,
qui illustre l’ouverture de l’entreprise à l’innovation afin de s’adapter à l’ère Internet.
C
’
est le PDG d’Orange qui a
présenté en personne les
sept start-up françaises
@DelphineCuny
sélectionnées par son programme d’accélérateur
Orange Fab. « Une initiative symbolique,
illustrant ce que je souhaite faire au cours de
mon nouveau mandat, a expliqué Stéphane
Richard, qui venait d’être reconduit dans
ses fonctions. Ce programme n’est cependant
qu’un élément d’un dispositif d’open innovation : c’est une des grandes priorités de notre
stratégie consistant à devenir l’opérateur télécoms le plus avancé à l’ère Internet. »
L’accélérateur Orange Fab a été lancé en
2013 dans la Silicon Valley : six start-up
américaines avaient d’ailleurs présenté
leurs innovations lors du show Hello, organisé par l’opérateur en novembre dernier.
Le programme, lancé en février à Paris,
dure trois mois pendant lesquels les startup sélectionnées bénéficient d’un soutien
financier ( jusqu’à 15"000 euros en obligations convertibles), d’un accompagnement
matériel (ressources informatiques à disposition), d’un parrainage d’experts
spécialisés chez
l’opérateur et d’un
accès facilité à ses
240 millions de
C’est la durée pendant laquelle
clients dans le
les start-up sélectionnées
monde. Orange Fab
bénéficieront d’un soutien financier, sera lancé bientôt en
d’un accompagnement matériel
Pologne et en
et d’un parrainage d’experts.
Espagne, et probablement en Israël,
peut-être en collaboration avec Deutsche Telekom. Ce programme permet d’organiser « la rencontre
entre ces innovateurs et les grands groupes
comme nous, en respectant leur liberté et leur
besoin d’oxygène. Orange doit devenir une
entreprise plus ouverte, vers les jeunes et l’innovation », a insisté Stéphane Richard.
La première start-up présentée, Afrimarket, vient concurrencer Western Union en
proposant « la première solution de transfert d’argent en cash-to-goods » pour les
diasporas africaines, qui leur permet de
s’assurer de l’utilisation des fonds envoyés.
Ceux-ci sont convertis en crédits sur téléphone mobile, utilisables par exemple dans
des pharmacies, des supérettes, etc. La
start-up a déjà levé 1,5 million d’euros l’an
dernier auprès de divers business angels,
dont… Xavier Niel (Free), via son fonds
Kima Ventures, et Jacques-Antoine Granjon (Vente-privée). Lancé dans 15 villes de
Côte d’Ivoire, du Bénin et du Sénégal, Afrimarket compterait quelques milliers de
clients récurrents, selon sa présidente et
cofondatrice, Rania Belkahia. Le marché
visé est important : 60 milliards de dollars
seraient envoyés par les diasporas africaines à leurs proches chaque année.
Autre start-up dans le paiement « sans
cash », MyBee a conçu une sorte de portemonnaie électronique pour l’événementiel,
servant à régler des consommations dans
des festivals, soirées, tournois, etc., sous la
PAR DELPHINE
CUNY
3 mois
forme d’une carte ou d’un bracelet, et bientôt d’un téléphone, équipés de la technologie sans contact NFC, un des axes de développement d’Orange. Les supports sont
réutilisables et peuvent être personnalisés
aux couleurs d’un sponsor. Plus de sécurité
et de rapidité au bar, et une mine d’or de
données de consommation collectées.
« Orange Fab, ce n’est pas un accélérateur, c’est
un propulseur photonique"! » se sont enthousiasmés les cofondateurs de MyBee, JeanRémi Kouchakji et Bertrand Sylvestre, qui
ont bénéficié de l’aide d’OBS, la filiale entreprises d’Orange, pour rencontrer de grands
comptes intéressés.
DU MEETIC POUR ANIMAUX À
LA RÉÉDUCATION PAR LE JEU
Les Bordelais de l’agence Web Octopepper,
finalistes du prix La Tribune du jeune entrepreneur en Aquitaine, ont présenté leur
réseau social pour animaux de compagnie
Yummypets, qui aurait 200"000 membres
actifs. La start-up a déjà levé 1,5 million
d’euros auprès de Newfund en 2012 et voudrait récolter de l’ordre de 1 million d’euros
de plus pour lancer en Allemagne et au
Royaume-Uni son site à la Facebook. Quand
son concurrent américain Pet360 joue la
carte de l’e-commerce et du portail d’info,
Yummypets mise sur la dimension communautaire, au point de se présenter comme
« le Meetic des animaux » : « On a validé
l’idée que l’animal est un prétexte à la rencontre, notamment entre seniors », fait valoir
Matthieu Glayrouse, cofondateur et gérant
associé. L’équipe a pu « pitcher » devant Iris
Capital, qui gère un fonds créé par Orange
et Publicis. Si son modèle est fondé sur la
publicité et l’affiliation (avec un comparateur de prix), Yummypets travaille aussi sur
un prototype de collier connecté pour ne
pas perdre son animal et suivre son activité.
« L’impression de photos devrait être gratuite »,
considèrent quant à eux les fondateurs de
VivaPics, qui espèrent développer un
modèle de financement de l’impression et
de l’expédition par la publicité. Faute d’annonceurs en assez grand nombre, leur application mobile propose pour l’instant l’envoi
de seulement trois photos gratuites, issues
de son smartphone, de Facebook ou d’Instagram, imprimées sur papier Kodak, avec
au choix un logo de marque au bas du cliché,
sur la marge, ou une photo publicitaire. La
start-up, qui a levé 80"000 euros, en cherche
500"000 de plus, alors que son concurrent
américain, qui l’aurait copiée, Flag, vient
d’empocher 170"000 dollars sur la plateforme de financement participatif Kickstarter. VivaPics revendique 50"000 photos
envoyées mais doit évangéliser les annonceurs sur ce nouveau support publicitaire
tout en grossissant sa base d’utilisateurs…
Les Montpelliérains de NaturalPad ont,
eux, développé un « jeu sérieux » de rééducation fonctionnelle et posturale, Hammer
and Planks, en collaboration avec un
ergothérapeute, au départ pour des patients
Reconduit à
la tête d’Orange,
Stéphane Richard
veut faire de
son programme
d’accélérateur
de start-up
une initiative
symbolique de
son nouveau
mandat.
© STÉPHANE FOULON
POUR ORANGE
hémiplégiques. En bêta test, le jeu, qui
consiste à contrôler les mouvements d’un
bateau de pirates, peut se jouer avec la
Kinect de Microsoft ou la Wii Board de
Nintendo, avec une manette Xbox, un PC
ou une tablette. La version prête pour la
commercialisation est prévue en septembre.
Visant le marché à la mode de la silver économie, NaturalPad espère recruter des utilisateurs via les kinés, qui constituent le
maillon avant le retour à domicile des
patients, et cherche des business angels.
OPEN INNOVATION ET BIG
DATA DANS LA LIGNE DE MIRE
Sérieux aussi, le projet des Toulousains de
Pixience, qui ont conçu un « dermoscope
numérique », C-Cube, un appareil de la
taille d’un sèche-cheveux qui prend des
photos zoomées de haute qualité selon une
technologie en cours de brevetage : le but
est d’effectuer à distance un diagnostic de
mélanome, la photo étant prise par exemple
par un généraliste, voire une infirmière en
maison de retraite. Sur les conseils des
experts de la branche santé d’Orange, la
start-up a complètement redéfini son
modèle économique.
Jean-Michel Durocher, fondateur de l’éditeur de logiciel de géolocalisation Webraska,
revendu à Sanef en 2007, a présenté TimeTonic, une solution de communication pour
les professionnels « pour rester organisé et
connecté avec son équipe. C’est un organizer
personnel, un coffre-fort numérique doublé d’un
espace collaboratif, dans notre cloud sécurisé »,
a-t-il expliqué. Le logiciel, qui s’utilise sur
smartphone et PC, permet de créer des
« carnets » privés thématiques qui apparaissent en page d’accueil sous la forme
d’une sorte de tableau de bord en vignettes
colorées (tâches, notes de frais à enregistrer,
etc.), et des espaces de travail partagés sur
invitation, avec de la messagerie instantanée
ou par e-mail. Présenté comme « un mélange
d’Evernote, WhatsApp, MS Project, Excel et
Pinterest », TimeTonic vise le marché des
professionnels, autoentrepreneurs et TPE.
Visiblement enthousiaste devant ces projets,
Stéphane Richard a voulu en tirer un message
positif : « La France est très en pointe dans ces
domaines. Nous avons des créateurs, des innovateurs, une agilité, un appétit et une énergie très
impressionnants si on les compare à l’Allemagne
ou à l’Europe du Sud. Notre pays a une carte
extraordinaire à jouer dans cette révolution
numérique. » Orange devrait renforcer ses
actions et annoncer de « nouveaux outils »
dans l’accompagnement des start-up : l’open
innovation et les big data devraient se trouver
au cœur du futur plan stratégique que le PDG
dévoilera en mai prochain. Q
12 I
ENTREPRISES
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
INVENTER
24 heures avec un patron
de pôle de compétitivité
Un pied dans le privé, l’autre dans le public, c’est la vie des patrons de pôles de compétitivité qui
doivent faire passer idées et innovations d’un monde à l’autre. Une journée dans la vie numérique
de Stéphane Distinguin, président fondateur de Fabernovel et président de Cap Digital.
³ 8 heures.
Paris, place de la
Bastille. Le Café Français, décoré par le
fameux architecte d’intérieur India
Mahdavi, lieu chic programmé pour être
bientôt très branché. Sur un coin du bar,
les équipes de Fabernovel font tourner
une imprimante 3D MakerBot Replicator,
déposent des Google Glass sur les canapés, testent le prototype des lunettes
d’immersion d’Oculus Rift et regrettent
que les thermostats Nest soient restés
coincés à Roissy par un douanier tatillon.
L’univers est geek, mais on est là pour
comprendre. Stéphane Distinguin, le
patron fondateur de l’une des belles réussites françaises du conseil en innovation
et en design d’entreprise, reçoit ce matin
des clients, actuels ou potentiels, de
Fabernovel. Il est calme, chaleureux,
attentif, ponctuel. Pendant deux heures il
va orchestrer une
série de présentations. Il parle peu,
pas de show à
l’américaine, les
gens sont là pour
réfléchir et les
intervenants pour
« Être entrepreneur c’est faire
violence à son impatience. La seule
séparer le pertinent
chose que les entrepreneurs ont
du nouveau. Il a
en commun, c’est leur impatience. »
l’élégance de ne
rien imposer.
L’exposé sur le
bitcoin de Cyril Vart, le responsable
stratégie de Fabernovel, est clair, précis,
philosophique, technique, critique… ça
vole haut. Fabernovel se garde d’avis
« éthique », ne tombe pas dans les polémiques sur le bien ou le mal, mais parle
des usages et cherche à savoir si telle ou
telle innovation est « plutôt utile » ou
« plutôt pas utile ».
Le credo Fabernovel : personne « ne peut
rien contre l’usage ». On décortique le
modèle business d’Uber et de quelques
PAR
JEAN-PIERRE
GONGUET
très petit milieu qui a acquis une influence
énorme à cause de son immense aptitude à la
discussion. Ces gens ont une capacité fabuleuse
à construire des choses. Avec une nuance, je
crois : être parisien, être français nous invite
à avoir une approche un peu particulière, plus
élégante, peut-être plus esthétique. »
³ 12 heures. Déjeuner de travail
Selon Stéphane
Distinguin,
« le numérique,
le “small is
beautiful”,
l’approche par
les écosystèmes
d’innovation,
ce sont
les meilleurs
outils pour
inverser
la courbe
du chômage ».
10 h 15
C’est au Café
Français, haut
lieu geek
parisien, que
Stéphane
Distinguin,
patron fondateur
de Fabernovel,
reçoit volontiers
clients et
prospects.
© BRUNO LEVY
© BRUNO LEVY
entreprises de l’everything on demand, on
explique les ratages des copieurs et de
tous les « Uberlike » de la planète. C’est
vif, jamais pédant, c’est pro, et le client en
sort un peu plus intelligent qu’il n’y est
entré. Toutes les sociétés de conseil ne
rendent pas forcément le même service.
D’ailleurs évoquant le philosophe Bernard
Stiegler, qui réfléchit sur le digital,
Stéphane Distinguin laissera échapper :
« Stiegler, c’est comme un ostéopathe, on ne
comprend pas forcément ce qu’il dit ni ce qu’il
fait, mais ça fait vraiment du bien"! »
³ 10 h 15. Dans ses locaux, derrière la
place de la République, Stéphane Distinguin
suit le travail de la ruche Fabernovel. Toujours calme, car il a beaucoup pris sur lui.
« Être entrepreneur c’est faire violence à son
impatience. La seule chose que les entrepreneurs ont en commun, c’est leur impatience.
Moi, cela m’a fait un bien énorme d’extérioriser, de m’impliquer dans la vie de la cité. »
Il a en effet toujours eu un pied dans le
privé et l’autre dans le public, une manière
de mieux respirer professionnellement.
D’un côté, le privé : Fabernovel a grandi,
ouvert des filiales à San Francisco, New
York ou Moscou, et se retrouve en concurrence avec les grands du secteur, les
McKinsey et autres. C’est dur. Mais
Fabernovel, avec les cent personnes qui y
travaillent, continue sa jolie croissance. De
l’autre côté, le public : Stéphane Distinguin
a toujours travaillé collectif. Président de
Silicon Sentier pendant sept ans, il a été
l’un des précurseurs de la mise en place de
cet écosystème pour start-up et a adoré
« l’ambiance MJC du Camping ».
« C’est un monde qui débat, papote et discute
énormément. C’est très symptomatique de ce
détendu chez Yamamoto, excellent
quoique très petit restaurant japonais derrière la Bibliothèque nationale. Le patron
d’un pôle de compétitivité se doit d’aller
glaner des idées chez les plus performants
du privé. Il déjeune avec Xavier Lazarus,
autre quadra, dont l’étonnante particularité est d’être le seul patron d’un fonds
d’investissement dans les start-up qui
puisse suivre et comprendre les cours de
n’importe quel titulaire de médaille Fields
et y prendre un intense plaisir. Il est
normalien, agrégé de mathématiques, et
l’un des rares docteurs français en
arithmétique.
Reconverti dans le capital-risque en
fondant Elaia Partners en 2000, il est
sympathique, curieux, (très) brillant et
terriblement rationnel surtout lorsqu’il
discute business et stratégie. Au menu, un
projet encore secret lancé par Cap Digital,
Fast Track. L’idée : accompagner les entreprises sortant de l’adolescence qui n’ont
pas les compétences internes pour passer
à l’âge adulte.
Xavier Lazarus les connaît toutes : « Elles
sont dans des parcours du combattant. Si
elles ont fait fonctionnaire deuxième langue,
elles s’en tirent. Mais elles sont trop souvent
larguées et rêvent rapidement de quitter la
France pour un pays où l’État les laisse vivre.
L’État français est très gentil avec les petites
entreprises, mais il est féroce dès qu’elles
grossissent et les traite toutes comme Total
ou Bouygues. »
Or ces entreprises en hypercroissance
(Criteo, qui a explosé en deux ou trois
ans, en est le parfait exemple) n’ont pas
eu le temps de se doter des structures
financières, juridiques, comptables ou RH
des grandes entreprises. Elles sont perdues et Bercy les prend pour des adultes
alors qu’elles ont encore de l’acné juvénile. « Les Américains ont eux parfaitement
compris, confirme Xavier Lazarus. Pour
eux, la valeur créée à terme est toujours plus
importante que l’immédiate récupération
fiscale. Donc ils arrangent tous les coups. Je
ne pense pas qu’il faille du dérogatoire en
France, mais l’accompagnement de ces croissances rapides est essentiel si on ne veut pas
les perdre. »
³ 15 heures. Stéphane Distinguin
prend le métro, direction la Défense, un
client l’attend, mais à 18 heures il est à
Cap Digital en réunion avec les viceprésidents du pôle. Philippe Herbert, du
fonds d’investissement Banexi, est en
I 13
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
Dans les locaux
de Fabernovel,
Stéphane
Distinguin et
l’une de ses
collaboratrices,
Sarah Nokry,
chargée
de projet.
© BRUNO LEVY
charge de Fast Track et évoque le travail
en cours avec la BPI sur la mise en place
de ce guichet unique pour entreprises en
hypercroissance. Distinguin l’appuie :
« Cap Digital est pionnier. Et honnêtement,
c’est une petite révolution. Si notre idée est
retenue, cela veut dire que le discours de
Bercy ou de la BPI va changer. Ils vont désormais dire à ces entreprises : “Nous allons
courir avec vous plutôt que de vous courir
après. Dites-nous ce dont vous avez besoin,
nous nous en occupons. Il ne faut surtout pas
que vous vous arrêtiez tous les 30 mètres pour
vous ravitailler dans votre course. Allez-y, on
vous suit…” »
Un patron de pôle de compétitivité est un
passeur. Il doit savoir transmettre la bonne
idée du privé dans la sphère du public, faire
bouger le public à la vitesse du privé tout
en faisant admettre au privé que le public
souhaite vraiment créer l’écosystème dont
il rêve. Joli challenge pour un pôle de compétitivité qui a pour ambition de faire de
Paris la deuxième place internationale du
numérique après la Silicon Valley.
Une réunion des VP de Cap Digital a d’ailleurs un petit côté start-up. La parole y est
libre, beaucoup plus libre en tout cas que
dans les entreprises d’où viennent ces
mêmes VP. On y analyse l’évolution du
pôle, on s’aperçoit que certaines entreprises ne font plus rien dans les instances
dirigeantes et qu’il faudrait en faire monter
d’autres. Stéphane Distinguin glisse qu’il
demandera un deuxième mandat, mais
« certainement pas de troisième ».
³ 18 h 50. Benoît Thieulin, de la
Netscouade, passe dans le couloir. On
l’arrête pour papoter cinq minutes, puis
retour à la réunion ou on se loue de l’adhésion de GDF Suez – « ils sont venus à 40
pour qu’on leur explique Cap Digital, et ils
étaient parfaitement contents… » – et du
retour de Casino via Cdiscount.
Cap Digital innove et grandit, le privé y
est de plus en plus présent, les financements publics diminuent, ça marche et ça
ne se sait pas.
« On pourrait peut-être peaufiner notre discours et faire une conférence de presse pour
expliquer comment on a évolué », suggère le
président Distinguin. Il réfléchit, regarde
la jeune femme qui s’occupe de Futur en
Seine, la manifestation la plus emblématique de Cap Digital, et suggère : « Et si on
lançait un concours avec les start-up et qu’on
fasse gagner des petits déjeuners avec
Stéphane Richard ou Gérard Mestrallet"? »
³ 19 h 15. C’est le moment de la réunion où se pose la récurrente et passionnante question : « Mais au fait, qui fait quoi
dans le numérique public"? »
On essaie de faire le point sur l’évolution
des priorités du conseil régional dont
dépend Cap Digital"; on se penche sur les
très administratives demandes du minis-
Avec ses 40 ans,
Stéphane
Distinguin était
le plus vieux
de Fabernovel,
le matin, à la
réunion du Café
Français ;
mais le plus
jeune de
l’assemblée,
le soir, à
la réunion des
vice-présidents
de Cap Digital
(ci-contre).
tère du Redressement productif pour la
nomination des responsables de ses
34 plans (le dictionnaire français-fonction
publique ne suffit plus là pour comprendre
les subtiles nuances entre les « plans », les
« filières » ou les « priorités » annoncés
dans le plus parfait désordre par Bercy)";
on se félicite de la French Tech de Fleur
Pellerin, mais on est troublé par quelques
plans nationaux divers et mal identifiés
sur le numérique. Bref, les « professionnels de la profession » ont du mal à
suivre…
© BRUNO LEVY
³ 20 heures.
Depuis le matin,
Stéphane Distinguin est passé plusieurs
fois du monde du privé à celui du public.
Il n’est pas tout à fait le même dans les
deux mondes : avec ses 40 ans, il était le
plus vieux de Fabernovel le matin au Café
Français, mais le plus jeune le soir à la
réunion de Cap Digital.
« Chez Fabernovel, nous, les jeunes, nous
sommes écoutés car nous sommes légitimes
sur nos sujets, explique Karla Macedo, qui
a passé deux ans dans la filiale de San
Francisco. Si nous avons une bonne intuition, Stéphane nous laisse la bride sur le cou.
Il est terriblement exigeant sur les résultats,
mais il nous laisse faire. »
À Cap Digital c’est plus lourd : il y a
encore des industriels qui se méfient du
pôle, des grands du secteur qui pourraient
s’impliquer plus, des idées qui n’aboutissent pas, mais, comme le dit Xavier
Lazarus : « Nous regardons tous les projets
labellisés par Cap Digital car on sait que ce
ne seront pas forcément des météores. » En
quelques petites années, la labellisation
Cap Digital est devenue importante pour
les investisseurs.
La grande entente privé-public a quand
même un petit bout de chemin devant
elle. En fin de matinée, Stéphane
Distinguin avait par exemple appris qu’il
accompagnait François Hollande à San
Francisco dans sa découverte du monde
merveilleux du numérique. Il en reviendra
très heureux, avec l’idée que la France
peut devenir une « start-up Republic ».
« Le numérique, le “small is beautiful”, l’approche par les écosystèmes d’innovation, ce
sont les meilleurs outils pour inverser la
courbe du chômage, explique-t-il. J’ai discuté avec Sheryl Sandberg [Facebook] ou
Jack Dorsey [Twitter] et j’ai vu que l’écart se
réduit entre nos deux pays. »
Il a échangé quelques mots (deux fois"!)
avec Barack Obama"! Mais s’il adore San
Francisco, il préfère Paris où, il en est persuadé, « the future is already here… » Q
PLUS D’INFORMATIONS
SUR LATRIBUNE.FR
LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE EN MARCHE
C
ap Digital a été créé
en 2006 et ne cesse
de grossir depuis.
Aujourd’hui le pôle compte
703 entreprises privées
adhérentes et 90 publiques.
Ce sont les grandes
entreprises et les Epic qui,
en pourcentage, ont les
adhésions qui progressent le
plus : « Il y a, je pense,
pour elles, la prise en compte
de leur part de la
transformation numérique
comme le souhait de trouver
dans les PME ou les start-up
autour de Cap Digital les
compétences dont elles ont
besoin, explique Patrick
Cocquet, le délégué général.
Sanofi, L’Oréal, Voyages
SNCF ou GDF Suez,
qui viennent d’adhérer,
sont dans ce schéma-là. »
On peut aussi noter dans
ce sens-là que beaucoup
d’investisseurs adhèrent car
ils ont compris que Cap
Digital savait identifier les
sociétés à fort potentiel.
« Je pense qu’on a
actuellement une dizaine
de sociétés en
hypercroissance qui ont
besoin de notre soutien,
continue-t-il, et que chaque
année on identifie
au moins une vingtaine de
sociétés à fort potentiel. »
C’est d’ailleurs pour cela
que Cap Digital a pour la
première fois recensé les
levées de fonds opérés par
des adhérentes : 20 levées
en 2013 pour un montant de
33,14 millions, c’est plutôt un
joli résultat. Elles sont pour
l’essentiel dans le BtoB,
mais de nouvelles levées
devraient apparaître dans
les secteurs auxquels s’ouvre
le pôle et sur lesquels des
fonds d’investissement
sont en train de se créer :
l’e-santé et le bien-être
(silver économie en tête),
ou l’e-tourisme.
La marque Cap Digital est
en train de s’affirmer et,
surtout, le pôle prend de
plus en plus une orientation
business. La nouvelle édition
de Futur en Seine, la
manifestation phare du pôle,
quitte le 104, un peu trop
décentré (et surtout sans
trop de restaurants
alentours pour les déjeuners
d’affaires), pour s’implanter
dans le cœur de Paris à Arts
et Métiers, au Cnam et à la
Gaîté lyrique (un dîner
d’affaires dans le musée
du Cnam, à côté du pendule
de Foucault, cela peut être
effectivement assez classe).
C’est aussi pour attirer
de plus en plus une clientèle
internationale que Cap
Digital, qui commence à
avoir un nom, installe Futur
en Seine dans le temple
de l’innovation industrielle
de Paris. Q
Patrick Cocquet,
délégué général
de Cap Digital :
« Chaque année
on identifie
au moins
une vingtaine
de sociétés
à fort potentiel. »
© BRUNO LEVY
14 I
LE TOUR DU MONDE DE L’INNOVATION
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
Du bracelet Madame Irma
à la bouteille qui se mange
Chaque semaine, La Tribune vous propose de partir à la découverte
des petites et grandes innovations qui annoncent l’avenir.
GRANDE-BRETAGNE – Londres
Le chromosome artificiel
de la levure
La bouteille d’eau
comestible
Biologie. C’est une avancée majeure
pour la science. Un groupe de chercheurs
internationaux de l’université de New York
a réussi à créer un chromosome artificiel de
la levure. Le résultat de sept ans de recherche.
Selon la revue Science, cette avancée
ouvre la voie à la conception de nouveaux
médicaments, de nutriments ou encore
de biocarburants. « Notre recherche a fait
passer la biologie synthétique de la théorie
à la réalité », estime Jef Boeke, directeur de
l’institut des systèmes génétiques au centre
médical Langone de l’université de New York.
Grâce à une technique de réassemblage du
chromosome, ces scientifiques vont pouvoir
manipuler le génome
de la levure pour fabriquer
des médicaments rares
ou produire certains vaccins,
dont celui contre l’hépatite B.
Environnement. Et si nous arrêtions de jeter
les bouteilles en plastique!? Trois étudiants
londoniens en design industriel ont imaginé
Ooho, une bouteille d’eau entièrement
biodégradable et comestible, inspirée des
techniques de la cuisine moléculaire. Une
innovation rendue possible grâce au concept
de la sphérification, popularisée par le chef
espagnol Ferran Adrià. Cette technique
consiste à donner à une préparation liquide une
forme de sphère. L’eau est
protégée par une paroi gélifiée
obtenue grâce à l’utilisation
d’alginate de sodium. Il suffit
de la percer pour boire le liquide.
La cafétéria
pour imprimantes 3D
BRÉSIL – Rio de Janeiro
Le réseau social
des consommateurs
Conso. Difficile de trouver des avis éclairés
et suffisamment nombreux sur des boutiques,
des restaurants, des salles de concert… Pour
ne pas avoir de mauvaise surprise en testant
un nouvel endroit, les Brésiliens Roberto
Riccio et João de Paula ont créé Glio. Ce
réseau social disponible sur mobile permet
à ses membres d’échanger leurs expériences
d’utilisateurs. Tous les lieux de vie et de
sortie peuvent être répertoriés : bars,
cinémas, restaurants, boutiques, piscines…
Lancé de manière confidentielle mi-2012,
Glio connaît une croissance de 40!% par mois
et atteint, en 2014, 100!000 utilisateurs. Si
bien que les deux entrepreneurs
ont reçu le soutien financier
de 26 investisseurs pour
développer Glio dans toute
l’Amérique du Sud.
© HEIKE SCHURICHT
La voiture à trois roues
écolo et économique
©ELIO MOTORS
ESPAGNE – Barcelone
3D. Il fallait créer un endroit pour mettre
des imprimantes 3D à la disposition du grand
public. C’est chose faite à Barcelone, avec
l’ouverture du premier FabCafé d’Europe.
Cette formule, inventée par le japonais
Loftwork, consiste à combiner laboratoire
de création numérique et cafétéria. Les
habitants de la cité catalane peuvent
désormais imprimer des objets
tout en dégustant des
pâtisseries. Il s’agit du troisième
FabCafé dans le monde, après
celui de Tokyo et de Taipei.
ÉTATS-UNIS – Phoenix
Automobile. 93!% des Américains
se rendent seuls au travail en voiture.
Pourquoi, alors, utiliser des véhicules à
quatre places!? Paul Elio, le fondateur d’Elio
Motors, a créé une auto au design futuriste.
À mi-chemin entre la moto et la voiture,
Elio a trois roues, elle dispose de tous
les équipements nécessaires : deux sièges,
radio, airbags… Commercialisée 6!800 dollars
(près de 5!000 euros), cette voiture serait
capable de parcourir plus de 1!000 km avec
un seul plein d’essence. Soit l’équivalent d’un
trajet de Paris à Barcelone… L’objectif :
limiter les dépenses et les
émissions de C02!. Reste à
convaincre les Américains
d’abandonner leurs légendaires
grosses voitures polluantes…
© OOHO
ÉTATS-UNIS – New York
PLUS D'ACTUALITÉS
ET D'INFOGRAPHIES
SUR LATRIBUNE.fr
II 15
ÉNERGIE… TRANSPORTS DU FUTUR… INTERNET… BIOTECH…
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
SUISSE – Berne
La pile rechargeable
à l’eau en cinq minutes
ISRAËL – Tel-Aviv
Énergie. Écologiques, économiques
et pratiques, les piles AquaCell pourraient
rapidement se tailler une place au soleil.
Inventées par le Néerlandais Niels Bakker,
elles se rechargent à l’eau par électrolyse.
Il suffit de dévisser l’embout en plastique
de maïs, de plonger la pile dans l’eau
et de la laisser stimuler les ions négatifs et
positifs qui sont à l’intérieur sous forme de
poudres organiques non toxiques. La pile est
chargée après cinq minutes environ. Utilisée
tous les jours, dans une télécommande, par
exemple, une pile dure deux ans, assure son
concepteur. Disponible depuis
mi-janvier en Suisse, l’AquaCell
sera commercialisée en France
dans le courant de l’année au
prix de 5 euros le pack de quatre.
Future Control, le bracelet
connecté qui prédit l’avenir
sociaux, etc.) : « Prends tes affaires d’entraînement, tu auras sans doute envie de jouer au basket aujourd’hui », « Ta petite amie risque d’être
triste, passe lui chercher des fleurs ». Future
Control donne ainsi un aperçu de ce que
pourrait devenir Google Now. L’assistant personnel intelligent développé par la firme de
Mountain View proposera lui
aussi une série de recommandations aux mobinautes en s’appuyant sur toutes les données
issues de leurs activités.
© AQUACELL
© CAPTURE D’ÉCRAN VIMEO/DEZEEN
I
maginé par le designer israélien Dor Tal,
le concept Future Control semble tout
droit sorti d’un film de science-fiction.
Le dispositif, qui repose sur un bracelet
connecté et un miniprojecteur, entend
tout simplement prédire l’avenir de ses utilisateurs. La vidéo de présentation met en
scène un homme qui reçoit tout au long de la
journée des informations situées à la frontière
entre les suggestions et les prédictions, grâce
aux informations récoltées à partir de ses
données personnelles (e-mails, réseaux
CORÉE DU SUD – Séoul
Le patch intelligent
pour maladies chroniques
Santé. Ne vaudrait-il pas mieux recevoir
exactement la dose de médicament dont
on a besoin, au moment adéquat, plutôt
que d’ingérer des pilules à heure fixe$?
C’est l’idée du patch intelligent développé
par une équipe de chercheurs sud-coréens
de l’université nationale de Séoul. Composé
de nanoparticules de silice, ce patch
rectangulaire est capable de surveiller
l’activité musculaire d’un patient et de lui
délivrer la dose de médicaments nécessaire
à un moment précis. Un dispositif
particulièrement adapté pour
aider les personnes souffrant
de la maladie de Parkinson, ou
encore de diabète. Il pourrait
être commercialisé d’ici cinq ans.
CHINE – Pékin
L’encyclopédie collective
du cloud
Internet. Partout dans le monde, des
internautes stockent des documents en accès
libre dans le cloud. Mais il n’existe aucun
moteur de recherche pour accéder à ces
millions – bientôt milliards – de données.
Un entrepreneur togolais, Tiyab Konlambigue,
a eu l’idée de créer Cloud Kite, une plateforme accessible via Google pour explorer
les ressources du cloud. Il suffit d’installer
l’application pour accéder à une barre de
recherche qui permet de trouver les documents
en accès libre sur différents services (Google
Drive, Dropbox, OneDrive, Box, Evernote).
Il est aussi possible d’ajouter le document
à son propre Google Drive
et de contacter le propriétaire.
Enfin, l’auteur peut favoriser
la visibilité de son document
en y associant des mots-clés.
Téléphonie. Si les smartphones ne cessent
de gagner du terrain sur les téléphones
portables classiques, leur prix élevé en fait un
produit non accessible aux classes sociales
les moins aisées. Xiaomi (« petit riz », en
mandarin) a décidé de changer de modèle
économique pour conquérir l’immense classe
moyenne chinoise. Son credo : des
smartphones aussi performants que ceux
d’Apple et de Samsung, mais à des prix
nettement inférieurs. Pour y parvenir, Xiaomi
annonce ne tirer que 10$% de marge nette de
profit pour chaque téléphone vendu, loin des
marges de ses concurrents. La
stratégie est payante. Deux ans
et demi seulement après son
lancement, la start-up a vendu
18,5 millions de smartphones.
©XIAOMI
TOGO – Lomé
Le pari réussi
du smartphone à petit prix
SÉLECTION RÉALISÉE
PAR SYLVAIN ROLLAND
@SylvRolland
16 I
ENTREPRISES
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
INVENTER
Epsilon 3D aborde le monde
réel du nautisme
D’abord positionnée sur l’immobilier puis diversifiée dans le BTP, la PME spécialisée
dans l’expertise conseil en média 3D mise sur un nouvel axe fort : l’ingénierie navale.
PAR
PASCALE
PAOLILEBAILLY,
À RENNES
@pplmedia35
F
orte d’une première diversification dans l’ingénierie industrielle
il y a quatre ans, la PME rennaise
Epsilon 3D s’ouvre au secteur
nautique. Jusqu’alors spécialisée
dans la modélisation 3D de projets immobiliers et industriels, l’entreprise a entamé une
collaboration avec les chantiers JFA Yachts
à Concarneau et avec l’agence Dixon Yachts
Architecture pour réaliser un film d’animation présentant un projet de motor yacht de
164 pieds. Epsilon 3D a aussi produit les
illustrations 3D du projet BFM 44 des chan-
tiers Piriou, portant sur un navire d’intervention et de formation pour l’armée. Fin
2012, le secteur nautique représentait 10#%
de l’activité de la société, il comptera pour
20#% à 22#% à la fin de cette année, et pour
40#% en 2016.
Ces prévisions s’inscrivent dans la montée
en puissance globale d’Epsilon 3D qui, dix
ans après sa création, affiche une croissance
annuelle de 10 à 15#%. La société prévoit une
hausse de 40#% de son chiffre d’affaires d’ici
à 2016 (1 M€ en 2013 pour 300 projets) et
envisage sept embauches supplémentaires.
« L’activité bateaux de travail – chalutiers,
thoniers ou remorqueurs – est aussi partie
prenante de cette diversification qui doit nous
permettre d’aborder le marché international,
notamment l’Europe et l’Asie, assure JeanCharles Bigot, fondateur et gérant de l’entreprise. Pour passer leader en 2017 dans ce
domaine en tant que prestataire français, nous
devons prouver notre savoir-faire. »
Epsilon 3D, qui prévoit l’entrée au capital
d’un investisseur d’ici à 2015, assoit cette
nouvelle activité sur ce qui fait sa spécificité : vendre une solution technique en
© DR
ÉVOLUER
Cemi ou la nouvelle vie du casque
Avec son porte-casque séchant, désodorisant et parfumant, cette PME a remporté la médaille
d’or du Salon international des inventions de Genève et trouvé sa voie pour sortir de la crise.
@FrdericThual
UN FILM D’ANIMATION
POUR UN CONTRAT À 140 M¤
La modélisation en 3D, en film d’animation ou sur support web des plans architecturaux des projets immobiliers,
demeure cependant le cœur de métier de
la PME. Ses contrats avec Bouygues
Immobilier (Ouest et Sud-Ouest), avec
des promoteurs locaux et des collectivités
représentent 60#% de l’activité. Sa solution, Managimmo.fr, un applicatif dédié à
l’achat immobilier, est intégrée à 70 minisites de promoteurs.
Depuis 2010, Epsilon 3D s’adresse aussi aux
grands comptes du BTP. La signature en
début d’année d’un contrat-cadre avec la
Sicra, une des filiales franciliennes de Vinci
Construction, lui assure même la montée en
puissance de son activité d’ingénierie industrielle. La société travaille sur cinq dossiers
du groupe, dont l’appel d’offres, toujours en
cours, lié aux travaux de rénovation du
Théâtre de Chaillot. En 2012, son film d’animation présentant le projet de réhabilitation
du Ritz avait aussi permis à Bouygues Bâtiment Île-de-France de remporter ce contrat
de 140 M€ signé par Mohamed al-Fayed, le
célèbre homme d’affaires britannique. Q
Le BFM 44,
navire
d’intervention
pour l’armée,
a été construit
par la société
Piriou avec l’aide
des modélisations
d’Epsilon 3D.
PAR
FRÉDÉRIC
THUAL,
À NANTES
mettant en avant une prestation de service. « L’innovation 3D est quelque chose
d’usuel, nous privilégions donc le conseil aux
clients. Epsilon 3D est partie intégrante de
chaque projet et fabrique, avec ses clients, la
solution adaptée au besoin », ajoute JeanCharles Bigot. Outre son studio 3D, la
société emploie la moitié de ses effectifs,
soit 7 personnes sur 15, dans son pôle
conseil et commercial.
«
A
vant, on était transparents.
Aujourd’hui, les journalistes
m’appellent. Les salariés sont
fiers de leur entreprise. Le
regard des gens a changé… Je
me suis trouvé des vocations », raconte Thierry
Bonneau, 50 ans, patron de la société Cemi
(12 personnes), spécialisée dans l’injection
thermoplastique, à La Montagne, dans la
région nantaise. Durant vingt-neuf ans, il a
fourni les secteurs de l’automobile, du jouet,
de l’éclairage, de l’électricité… « Tous les ans,
on nous demandait de baisser les prix de 5"%,
10"%… », soupire-t-il, à l’instar de la plupart
des sous-traitants.
Avec la crise de 2009, le chiffre d’affaires
plonge de 40#%. Intenable. Jusqu’à ce que ses
enfants, de retour d’un stage de scooter,
laissent traîner leurs casques trempés au
milieu du salon. « Je me suis renseigné autour
de moi. Rien n’existait. » L’idée du ZEF, porte-
casque séchant, désodorisant et parfumant,
est partie de là. Ce sera le point de départ
d’une nouvelle vie pour cette modeste PME
jusque-là brinquebalée au gré des aléas de
la sous-traitance. La trouvaille de Thierry
Bonneau rencontre son public. « Ça concerne
la moto, le vélo, l’équitation… et, cette année,
nous allons cibler les stations de ski à l’international », explique-t-il.
APRÈS LE PORTE-CASQUE, LA
LAMPE À LED INTELLIGENTE
Présenté, en 2013, au Salon international
des inventions de Genève, le ZEF reçoit la
médaille d’or et le diplôme du salon dans
le domaine sport et loisirs. Les distributeurs (Cdiscount, Tecnoglobe, Dafy
moto, etc.) le référencent. « Depuis, on en
vend 3"800 par mois », indique le patron de
Cemi, qui estime le potentiel à 10#000 unités par mois.
Le virage n’a cependant pas été facile à
prendre. « Nous avons vécu quatre mois sans
ressources, se souvient-il. Pour la R&D et
pour créer un stock, il a fallu trouver des financements. » La région des Pays de la Loire,
Bpifrance et la CCI le soutiennent. Il bénéficie d’aides remboursables (125#000 euros)
et intègre plusieurs dispositifs d’accompagnement (Déclic, Dinamic Entreprises,
Atlantique Initiatives Développement…)
pour structurer, valider et professionnaliser la démarche. « Sans eux, nous n’y serions
pas arrivés », reconnaît le dirigeant.
« Nous avons investi 300"000 euros dans un logiciel de modélisation 3D et dans un centre d’usinage de moules, maintenu l’emploi de douze
salariés, créé deux emplois directs pour le développement de produits et du réseau commercial.
Et nous faisons travailler une dizaine de per-
sonnes chez les distributeurs et sous-traitants. »
Depuis, Cemi multiplie les inventions. La
dernière en date s’appelle Proled : une
lampe à LED intelligente et orientable dont
l’intensité varie en fonction de la luminosité, capable de détecter une présence et
donc d’économiser l’énergie, connectable
à un ordinateur ou à un smartphone.
Pensée pour l’univers avicole, elle est
déclinée pour une utilisation de bureau.
L’orientation vers les produits propres
génère aujourd’hui 30#% de l’activité de
Cemi et devrait atteindre 50#% en fin d’année. Du coup, l’entreprise vient de lancer
son propre site d’e-commerce, baptisé
Lanouveauté.fr, et cherche à financer le
développement d’un vélo pliable, compact,
tout en plastique. Inédit.
À l’équilibre en 2013, le CA devrait
atteindre 1,40 M€ en 2014 et permettre de
dégager des profits, l’objectif étant d’atteindre 1,70 M€ en 2015 et 3 M€ en 2017.
« Autrefois, il nous fallait un mois pour gagner
100"000 euros en trois-huit"; aujourd’hui, nous
mettons une semaine », précise Thierry
Bonneau, qui, grâce à Proled, vient de
mettre un pied à l’export, sur les marchés
avicoles marocains et algériens. Cerise sur
le gâteau, de grands groupes industriels
sollicitent la PME pour ses capacités d’innovation. Q
I 17
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
En cas de
surchauffe,
les data centers
tombent en
panne. Outre son
système de
refroidissement
novateur, le point
fort du TLSoo
bientôt
en service
à Toulouse sera
sa capacité
à continuer
de fonctionner
même en cas
de panne.
© MISCHA KEIJSER/
CULTURA CREATIVE/AFP
Les data centers de FullSave
relocalisent en France
À SUIVRE
Pour héberger les données numériques, les usines du futur fleurissent dans la « nouvelle
France industrielle ». C’est notamment le cas à Toulouse, qui vient de se doter d’un centre
de données TLSoo, moins énergivore, plus efficace et à l’abri des pannes de climatisation.
C
’
est l’angoisse des chefs
d’entreprise. À l’heure du
tout numérique, une perte
des données ou l’interruption d’un site Internet
peuvent engendrer de graves consé@Hugodumez
quences économiques. Pour se protéger,
les entreprises hébergent leurs serveurs à
l’intérieur de centres de données entièrement sécurisés. Sans pour autant être à
l’abri de la panne ou de la congestion.
Par exemple, relayé sur les réseaux
sociaux le 9 mars dernier, l’hébergeur
mondial Telehouse annonçait un problème de climatisation sur l’un de ses data
centers parisiens, nœud important du
Web français… Conséquence immédiate,
l’augmentation de la température avait
entraîné la coupure de plusieurs serveurs,
gênant ainsi plusieurs opérateurs et
acteurs importants du Net, avant le rétablissement du système de climatisation.
Pour pallier tout
risque
de
congestion, les
data centers historiquement
. C’est
concentrés sur
la durée de fonctionnement en autarcie
la région paridu data center TLSoo, en cas de panne.
sienne tissent
Un argument fort pour les SSII.
désormais progressivement
leur toile sur l’ensemble du territoire.
Tout en proposant des infrastructures de
nouvelle génération qui innovent en
matière de système de refroidissement ou
de mesure de la consommation.
« Avant d’être un élément clé de l’économie
numérique, le data center est d’abord un outil
industriel », insiste Laurent Bacca, PDG de
l’entreprise toulousaine FullSave. Cet
hébergeur vient de construire dans le
nord-ouest de Toulouse un centre de données de nouvelle génération, d’une puis-
PAR HUGUESOLIVIER
DUMEZ,
À TOULOUSE,
OBJECTIF
NEWS
72
heures
sance de 2 mégawatts et d’une superficie
de 1"600 m2. Un investissement de 5 millions d’euros, soit deux fois le chiffre
d’affaires actuel de FullSave. « Nous pourrons ainsi héberger les serveurs d’entreprises
régionales dont les données sont actuellement
centralisées à Paris, voire à l’étranger, souligne l’entrepreneur. L’enjeu est d’abord de
maîtriser les infrastructures pour que le trafic local s’échange au niveau local sans passer
par le nœud parisien. »
JUSQU’ALORS, TOULOUSE
ÉTAIT SOUS-ÉQUIPÉ
Dans sa dernière cartographie des data
centers en France, le magazine spécialisé
Global Security Mag comptabilisait ainsi
plus d’une cinquantaine d’usines à données
en Île-de-France contre uniquement trois
à Toulouse. Le Sud-Ouest semble particulièrement à la traîne : à l’extrême opposé,
la métropole lilloise comptabilise déjà plus
d’une dizaine de centres.
« Le maillage territorial des data centers est
fondamental, non seulement pour conserver
les données à proximité, mais surtout pour
renforcer l’écosystème numérique au niveau
local, insiste encore Laurent Bacca. On le
voit avec le développement de la ville intelligente. Les collectivités locales ont besoin d’augmenter leur capacité de stockage des données
afin d’optimiser l’éclairage public, les transports publics ou de proposer de nouveaux services aux administrés. »
Encore faut-il offrir les meilleures conditions d’hébergement, et en particulier la
garantie de résilience. C’est-à-dire la capacité d’une architecture réseau de continuer de fonctionner en cas de panne.
Justement le point fort du nouveau centre
de données toulousain, baptisé TLS00,
construit dans le quartier des Minimes.
Le choix du lieu est avant tout stratégique, puisqu’il est à proximité des voies
de communication permettant de faire
passer la fibre optique et à côté du point
d’accès de l’électricité produite à la centrale nucléaire de Golfech. La peinture
n’est pas encore sèche, les 260 baies,
formes d’étagères à serveurs, ne sont pas
encore déployées mais, déjà, Laurent
Bacca loue les mérites de ce tout nouveau
centre de données nouvelle génération.
« Les data centers ont la réputation d’être
énergivores, prévient-il. Et en cas de panne
de climatisation, la température gagne au
moins dix degrés par heure. Ici, c’est l’usine
du futur. La chaleur produite par le data
center va être isolée au sein d’un circuit fermé
puis refroidie par l’intermédiaire de cinq
échangeurs thermiques propageant de l’eau
glacée. Par ailleurs, le data center est protégé
par un système anti-incendie utilisant un
brouillard d’eau, une technologie dont la
maintenance est moins coûteuse que le gaz
inerte utilisé d’habitude. »
LE RAPATRIEMENT, UN BESOIN
LÉGITIME DE SÉCURITÉ
Autre approche innovante, les clients
hébergés dans ce nouveau centre de données pourront mesurer en temps réel la
consommation énergétique du serveur.
L’objectif étant bien sûr de quantifier son
empreinte carbone dans une démarche de
certification environnementale.
« Avec ce système de refroidissement, nous assurons une optimisation énergétique par rapport
aux traditionnels moyens de climatisation,
ajoute Laurent Bacca. Et cette économie est
mesurée en temps réel afin d’offrir une meilleure
visibilité à nos clients concernant l’empreinte
carbone. C’est même l’une des principales innovations de ce data center nouvelle génération. »
Lors de la visite de cet ancien entrepôt de
radiateurs en fonte, entièrement réhabilité, pas question de noyer ses interlocuteurs dans le jargon du cloud computing.
Laurent Bacca emploie des mots d’industriel : « Héberger des serveurs ou sécuriser
les données numériques, c’est d’abord en réalité de l’infrastructure#! » Et de mettre l’accent sur la présence de quatre entrées
d’adduction télécom, au lieu de deux en
général, afin de permettre le raccordement à différents opérateurs.
« Ce n’est pas anodin, explique Laurent
Bacca. Dans les chantiers de BTP, il n’est pas
rare de voir une tractopelle arracher des
fibres et perturber momentanément le réseau
d’un opérateur télécom. Quatre entrées d’adduction, cela permet d’assurer la pérennité
du fonctionnement. »
Autre facteur clé pour la résilience, le data
center dispose de deux réseaux électriques,
deux transformateurs et deux groupes électrogènes. De quoi se mettre à l’abri d’une
panne et fonctionner en autarcie pendant
plus de soixante-douze heures. Un
ensemble d’arguments qui ont déjà séduit
plusieurs dirigeants toulousains, à l’image
de Patrick Dubois d’Enghien, PDG de la
société de services informatiques Agiciel,
qui développe des applications pour
Danone ou Airbus Group. Le chef d’entreprise prévoit de transférer la totalité des
données actuellement hébergées à Dallas
vers ce nouveau centre de données TLS00.
« Ce rapatriement est motivé par de nombreuses raisons, explique ainsi Patrick
Dubois d’Enghien. La première est technique,
car il est infiniment plus rapide de faire transiter des données de Toulouse à Toulouse sans
devoir transiter par les États-Unis… Il y a
ensuite un besoin légitime de sécurité, de proximité et de résilience : TLS00 utilise les
dernières technologies et permet à Toulouse
d’être ainsi à la pointe du progrès. » Q
18 I
MÉTROPOLES
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
FRANCE
En soutenant les secteurs émergents et en favorisant le rayonnement de ses centres
universitaires et de recherche, la capitale bretonne veut faire rimer économie avec innovation.
Objectif : rendre le territoire plus compétitif, créateur d’emplois et plus ouvert sur le monde.
L’agglomération rennaise
veut changer d’ère
Créée il y a trente ans, la technopole représente aujourd’hui 19"000 emplois privés.
Membre des quatre pôles de compétitivité
bretons dont Images & Réseaux et Valorial,
c’est un des moteurs économiques de l’agglomération. Elle jouxte le nouvel institut
de recherche technologique B-Com – spécialisé dans l’image, les réseaux fixes et
mobiles ultra-haut débit et l’e-santé –, ainsi
que la future pépinière dédiée aux technologies de l’information et de la communication. Cette dernière accueillera notamment le siège de Thomson Video Networks
en 2015.
Pour la croissance des entreprises, mais
aussi dans les modes de consommation ou
de transport, l’excellence numérique
rennaise représente un important levier.
S’appuyant sur un tissu d’entreprises dynamiques, la politique rennaise associe aussi
les acteurs de l’enseignement supérieur et
de la recherche.
Le Biopôle,
à Rennes,
une pépinière qui
accueille, à partir
d’avril, une
dizaine de jeunes
entreprises
spécialisées
dans la santé,
l’agroalimentaire
et les matériaux
de demain
© PÉRIPHÉRIQUES
ARCHITECTES
PAR PASCALE
PAOLILEBAILLY,
À RENNES
@pplmedia35
A
«
ujourd’hui, la bataille des
territoires se joue sur un
terrain mondial!; l’isolement, c’est la mort.
Rennes s’est bien mis en
mouvement. » Emmanuel Thaunier, président de la CCI de Rennes, ne se fait pas
prier pour saluer la démarche proactive de
l’agglomération rennaise en matière d’économie et de rayonnement territorial. Selon
lui, la nouvelle stratégie de Rennes Métropole pour le développement économique,
l’enseignement supérieur et la recherche
est désormais sur les rails et sur une bonne
voie. Adoptée au printemps 2013 et inscrite
dans le cadre du projet de territoire de
l’agglomération, elle accélère même la
cadence des années précédentes en mettant l’accent sur la diversification de son
tissu économique et l’internationalisation.
Cette stratégie, qui avait trouvé un écho
plutôt consensuel parmi les candidats aux
récentes municipales, s’appuie sur une réalité : les piliers tels l’agroalimentaire et
l’industrie automobile, sur lesquels Rennes
Métropole a fondé son développement, ont
été mis à mal par le contexte économique.
Entre 2008 et 2009, le territoire a ainsi
perdu 6"000 emplois industriels. Puis, la
situation s’est de nouveau dégradée depuis
2011. Pourtant, selon l’Insee, le bassin rennais, qui compte 43 communes, reste le
troisième territoire en matière de croissance de l’emploi en France. En dix ans, le
nombre d’emplois a progressé de plus de
13"%, pour atteindre 231"000. Si l’agglomération rennaise, forte de 416"000 habitants
et d’un solde de 1"000 entreprises créées
par an, continue d’attirer et de se développer, elle doit toutefois tirer son activité
économique vers le haut.
NAISSANCE D’UN PÔLE DÉDIÉ
AUX BIOTECHNOLOGIES
Au-delà des grands chantiers publics (quartier de la gare EuroRennes, ligne à grande
vitesse, seconde ligne de métro, centre de
congrès), Rennes s’est mis en ordre de
marche pour saisir tous les leviers de croissance dans son domaine de prédilection que
sont l’informatique et les TIC, mais aussi
dans de nouveaux secteurs susceptibles
d’accompagner les restructurations des activités industrielles en croisant les filières.
DE LA FOURCHE À LA FOURCHETTE
A
ller de la demande
vers l’offre : c’est
la démarche innovante
adoptée par le Centre culinaire
contemporain, ouvert il y a
un an dans un bâtiment de
3 500 m2 sur la ZAC AtalanteChampeaux. Cette plateforme d’ingénierie culinaire
est un lieu de recherche
gastronomique pour
les professionnels
de la chaîne alimentaire,
du producteur à l’industriel.
Laboratoire « d’usages et de
cocréation », il a pour objectif
d’imaginer la cuisine de
demain. Il est aussi accessible
aux « consom’acteurs », via
une école de cuisine Gault et
Millau et un restaurant d’essai.
Cette réalisation de 6 M€,
soutenue à hauteur de
1,65 M€ par l’État et
les collectivités territoriales,
compte une centaine
d’adhérents : marques,
interprofessions, centres
de recherche, organismes
de formation… Q
P.-P.L.
Les écoactivités sont ainsi considérées
comme un filon prometteur et de nature à
faire évoluer la filière de l’automobile vers
la mobilité décarbonée, et celle du bâtiment
vers l’écoconstruction.
« Tout en renforçant nos piliers, il faut soutenir
les innovations, notamment dans les domaines
des biotechnologies, du numérique, de l’e-santé,
de la mobilité ou encore de la silver économie,
qui marie domotique et bâtiment. Accompagner
les entreprises dans leurs mutations, c’est
déployer une logique d’usage en partant de la
demande pour créer une nouvelle offre. Rennes
a l’ambition d’attirer les entreprises au-delà de
son territoire », ajoute Emmanuel Thaunier.
Le dirigeant a d’ailleurs activement participé à l’élaboration de cette politique d’investissement dans l’emploi de demain aux
côtés d’autres acteurs du territoire tels que
les entreprises, la technopole Rennes
Atalante, ou encore les établissements
d’enseignement supérieur. Métropole éminemment universitaire dotée de plusieurs
laboratoires de recherche fondamentale et
forte de 63"000 étudiants, Rennes veut
aujourd’hui aller un peu plus loin dans sa
démarche business.
Pour soutenir les biotechnologies, Rennes
Métropole, avec l’aide de la région, du
département et de l’État, achève la
construction du Biopôle (9 millions d’euros de budget), une pépinière qui
accueille, à partir d’avril, une dizaine de
jeunes entreprises spécialisées dans la
santé, l’agroalimentaire, les matériaux de
demain. Situé dans un quartier voué à la
recherche dans l’agrisanté et l’environnement, le Biopôle doit créer une synergie
entre les start-up et les laboratoires.
« L’objectif est de faire naître de nouveaux secteurs d’activité à l’image de ce que Rennes a
effectué dans le domaine des nouvelles technologies avec Rennes Atalante », assurent les élus
de la majorité municipale.
57 MILLIONS D’EUROS
POUR LA RECHERCHE EN 2013
Pour rayonner à l’échelle internationale face
à la concurrence, elle veut mettre en avant
l’université et ses travaux en renforçant la
qualité de la recherche, dans les secteurs
émergents identifiés, par exemple, et par la
notoriété des formations. « Un territoire qui
veut faire de l’innovation un moteur de développement doit également offrir aux entreprises et
aux établissements de recherche les conditions
d’expérimentations auxquelles ils aspirent »,
assure la métropole. C’est dans cette optique
qu’elle construit la Cité internationale
(3,9 millions d’euros), qui accueillera en 2015
des chercheurs et doctorants étrangers venus
collaborer avec les laboratoires locaux. Située
sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, elle sera
aussi le siège de l’université européenne de
Bretagne (UEB) et du centre de mobilité
internationale.
La recherche et l’enseignement supérieur
font partie des postes prioritaires qui ont
bénéficié l’an passé d’un investissement
global de 57 millions d’euros. Les dépenses
d’équipement de Rennes Métropole ont aussi
concerné les transports urbains (réalisation
de la ligne B du métro, notamment), la future
LGV vers la Bretagne, via une participation
au financement de 10,8 millions d’euros, et
le développement économique (construction
du centre de congrès pour 9,2 millions d’euros). Sur un budget global de 572 millions
d’euros (421 millions d’euros pour la Ville de
Rennes), l’agglomération a quasiment multiplié par deux ses dépenses d’équipement
entre 2008 et 2012 (+ 98"%, à 162 millions
d’euros en 2012). Tandis que Rennes veut
accroître son attractivité en France et à l’international, les entreprises attendent aussi
que le territoire crée les conditions leur assurant un développement pérenne et sans fracture (énergie, mobilité, numérique). Q
I 19
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
PORTUGAL
Voitures électriques,
espaces verts à
profusion, réduction
des émissions de CO2 ,
énergies renouvelables,
notamment
photovoltaïque, pistes
cyclables, vélos
électriques solaires…
la capitale portugaise
a placé le concept
de durabilité au cœur
de sa stratégie.
PAR MARIE-LINE DARCY,
À LISBONNE
Lisbonne, future capitale
verte de l’Europe
D
ans le centre de Lisbonne,
l’immense place Terreiro do
Paço, dite « du commerce »,
s’ouvre largement sur le Tage.
Depuis quelques années, la
ville retrouve peu à peu son fleuve majestueux et les efforts de dépollution se
révèlent payants. « Il ne manque plus grandchose pour qu’il retrouve toute sa biodiversité », assure José Sá Fernandes, adjoint au
maire (PS) chargé de l’environnement, des
espaces verts et du domaine public.
José Sá Fernandes reçoit dans son bureau
du bâtiment officiel de la mairie, non loin
du fleuve et de la magnifique place. Connu
pour son côté non conformiste, cet architecte de formation est un passionné de
développement durable. Entre deux bouffées de vapoteuse, il développe sa vision de
la Lisbonne du futur. « Une capitale avec très
peu de voitures, où il sera possible de circuler
d’un espace vert à un autre en utilisant la bicyclette ou des voitures électriques. Des trains et
des gares fonctionnels, et des jonctions intermodales développées. » Sa préoccupation est
réelle : 400#000 véhicules entrent et sortent
chaque jour de la capitale. L’objectif est
donc de réduire de 50#% ce flux automobile.
L’une des stratégies possibles pour enrayer
ce va-et-vient, c’est de fixer la population
grâce à l’emploi et de rendre la ville plus
accessible et plus « amie de l’environnement ». Sur le chemin de cet avenir radieux,
il y a déjà des réalisations concrètes : des
« couloirs verts », zones aménagées, paysagées voire cultivées, qui suivent les vallées
naturelles de la région de Lisbonne.
Autres faits d’armes dont José Sá Fernandes
n’est pas peu fier : la « boucle » des pistes
cyclables qui sera bientôt terminée – plus
d’une centaine de kilomètres – et dont certaines fractions urbaines sont aménagées.
Et puis la ville a remplacé son parc automo-
bile traditionnel par des voitures électriques (une cinquantaine aujourd’hui).
Mais Lisbonne veut aller plus loin. La ville
présente son idée du futur dans le document « Lisboa/Europa 2020 », destiné à
obtenir des financements auprès de l’Union
européenne (budget 2014-2020). Teresa
Almeida est la coordinatrice de la mission
pour l’élaboration de ce document. Dans
son open space du bâtiment administratif de
la mairie, à Campo Grande, Teresa Almeida
est contente : « L’Europe s’intéresse à la politique urbaine. Ça tombe bien, nous aussi »,
explique cette architecte d’un ton posé.
Une trentaine d’entités – les services de la
mairie, des entreprises privées et des universités – ont élaboré 400 projets structurants autour de trois axes principaux : plus
de gens, plus d’emplois, une ville meilleure.
Une première à Lisbonne.
PIONNIÈRE DANS LA GESTION
DES RISQUES SISMIQUES
L’agglomération de la capitale abrite 20#%
de la population portugaise et concentre
40#% du PIB du pays. Mais la métropole
s’essouffle, confrontée au vieillissement de
sa population, à l’exode vers les périphéries
et aux difficultés à maintenir un patrimoine
urbain certes de grande valeur, mais inadapté à la vie moderne. Le document
« Lisboa/Europa 2020 » place le concept
de durabilité au cœur de la stratégie : efficacité énergétique, réduction des émissions de CO2#, mobilité et économie d’énergie#; accessibilité pour les piétons, pour les
touristes – principale ressource économique – ainsi que pour les personnes à
mobilité réduite.
Sans doute plus surprenant, mais au
nombre des recommandations de
Bruxelles, Lisbonne s’intéresse aussi de
près à la gestion des risques. « En 1755,
notre ville a été dévastée par un tremblement
de terres suivi d’un tsunami. Nous avons dû
reconstruire, en appliquant des normes antisismiques pionnières dans le monde. Nous
voulons nous servir de cette expérience pour
proposer à nos partenaires des instruments de
prévention des risques adaptés à nos villes
modernes », précise Teresa Almeida. La
création d’un observatoire antisismique,
des recherches sur les structures métalliques, sur de nouveaux matériaux et sur
de nouvelles formes de bâtiments sont les
pistes à suivre.
Tous les interlocuteurs municipaux le
disent : la Lisbonne de l’avenir sera solaire.
Bien qu’elle dispose d’un nombre d’heures
d’ensoleillement parmi le plus important
d’Europe, la ville est très en retard dans
l’application des énergies renouvelables,
notamment solaires. Pour Miguel Águas,
directeur technique au sein de l’agence
urbaine E-Nova, la ville doit impérativement investir dans ce domaine, que ce soit
en matière de recherche pure ou d’application de modèles grandeur nature, et travailler sur l’efficacité énergétique.
Dans son bureau de la Baixa (ville basse),
quartier entièrement reconstruit après le
séisme de 1755, Miguel Águas détaille :
« Nous avons dressé une carte des édifices
urbains pouvant supporter des panneaux
photovoltaïques : c’est le cas d’au moins 30"%
d’entre eux. À l’heure actuelle, nous travaillons
à une modélisation à partir de la centrale
solaire urbaine de l’université de Lisbonne.
Aujourd’hui, le photovoltaïque sert à alimenter
l’édifice, et l’énergie supplémentaire est fournie
au réseau. Mais nous, nous voulons que l’énergie propre soit utilisable par tout le monde. »
Le gouvernement vient d’accepter de
modifier la législation, restrictive en la
matière, et il faudra mettre en place les
changements techniques, comme le net
metering, mesures « intelligentes » de la
production et de la consommation d’électricité. À terme, Lisbonne espère réduire
de 20#% l’émission de CO2 et fournir 17#%
de l’énergie propre à la ville. « Nous travaillons au sein du projet Besos, dans le cadre du
projet européen des Smart Cities. Il s’agit de
créer une plate-forme intelligente destinée à
gérer les données de la consommation énergétique. L’application pilote démarrera en 2015
à Lisbonne et à Barcelone », précise Miguel
Águas. Qui cite d’autres exemples : l’installation de compteurs « intelligents » qui
permettent de calculer toutes les quinze
minutes la consommation chez 250 habitants volontaires. Ou encore une expérience d’économies d’énergie à faire dans
le quartier d’intervention sociale Boavista,
zone « sensible » s’il en est, mais où l’adhésion à l’efficacité énergétique est totale.
Lisbonne se tient prête pour répondre aux
appels d’offres européens, ceux d’Europe
2020, mais aussi ceux d’Horizon 2020
(Commission/États membres) et de Smart
Cities (inclusion, bonne gouvernance).
Dans la ville, les projets sont sous le signe
du réalisme et de la prudence : un port de
croisières pour attirer plus de touristes et
donc créer des emplois#; des jardins accueillants et sûrs#; des ascenseurs pour faciliter
le déplacement dans la ville aux sept collines#; des vélos électriques alimentés par
des cellules photovoltaïques#; le partage des
véhicules… Et même la réintroduction des
trams : plus de 150 km de lignes il y a cent
ans, à peine quelques dizaines aujourd’hui.
Des ambitions sans doute pharaoniques.
Mais, tout en tirant sur sa cigarette électronique, José Sá Fernandes l’affirme le
plus sérieusement du monde : « En 2020,
Lisbonne sera la capitale verte de l’Europe"! » Q
Le quartiervillage de l’Alfama
est l’un des plus
anciens et des
plus typiques
de Lisbonne,
réputé pour
ses restaurants
et ses bars
où l’on chante
le traditionnel
fado.
© TURISMO DE LISBOA/
WWW.VISITLISBOA.COM/
ARTURCABRAL
I 8
L’EXPERT
COMMUNIQUÉ
LA TRIBUNE - VENDREDI 6 DÉCEMBRE 2013 - N 70!01!"!???@6789:;<=>@A9
- WWW.LATRIBUNE.FR
67"89:;<=>!"!#$%&'$&(!))!*#'(+!,-).!"!%
O /
Entretien exclusif avec Daniel Martin, Président d’Aerial
!"#$%&'"'()*"&%'"+,-).'"%)/%$0".$"1-)-+%1%)*"
(,+-)23$%"4"5
Daniel Martin préside Aerial, une société de conseil de
direction qui aide les entreprises à traquer leurs gisements
de croissance.
Aerial est une société de conseil
de direction que j’ai relancée
avec mes associés après une
longue carrière dans le conseil
aux grandes entreprises. Nous
réalisons, aujourd’hui, 3,5
millions d’euros de chiffre
d’affaires avec une quinzaine de
consultants et anciens dirigeants opérationnels. Nous
apportons une approche
innovante du management,
fruit d’un savoir-faire qui s’est
affiné avec le temps. Notre
credo est la recherche de la
« productivité générale », à ne
pas confondre avec la productivité, issue de la simple réduction des coûts. Notre méthode
repose sur l’exploitation de tous
les leviers et gisements qui
existent dans l’entreprise. En les
identifiant puis en les activant,
nous sommes capables d’améliorer le compte d’exploitation
d’une activité de 20% en deux à
trois ans, sans plan social et
sans résistance particulière au
changement. Nous avons
regroupé ce savoir-faire, unique
sur le marché du conseil, sous le
terme de « management
organique ».
Pourquoi organique ?
Par référence aux deux formes
de croissance possibles pour
une entreprise : l’organique, et
l’externe - par acquisition(s).
Cela signifie que l’on va aider
l’entreprise à tirer les performances de son propre fonctionnement, plutôt que s’acheter de
la croissance « sur étagère », ce
qui marche rarement,
quoiqu’on en dise. Avec le
management organique, on ne
touche pas aux structures. On
ne remet en cause ni les
organigrammes, ni les process,
ni les outils… Ce n’est pas le
sujet d’autant que les outils du
management traditionnel ne
font généralement que le
constat du passé de l’entreprise :
on pilote « au rétroviseur ».
L’entreprise s’en sert pour
restituer ce qu’elle vient de
faire. C’est pourquoi on peut les
laisser en place sans problème
quand on intervient. Notre rôle
consiste surtout à se doter de
moyens d’agir sur le présent.
Comment procédez-vous pour
conduire le changement, dont
on sait que c’est la chose la plus
difficile à mettre en œuvre dans
l’entreprise?
En travaillant sur ce que l’on
appelle dans notre langage les
« événements » de l’entreprise,
les dizaines voire les centaines
de faits, a priori anodins, que
l’on peut observer sur le terrain.
Ces faits orphelins, qui n’intéressent pas toujours les grands
cabinets de conseil ou l’encadrement, nos consultants les
recueillent et les capturent de la
façon la plus neutre et la plus
brute possible, puis nous les
analysons et les restituons au
plus haut niveau de l’entreprise.
Vous vous concentrez sur des
informations qui autrement,
seraient perdues ?
Absolument. Prenez le cas d’un
conducteur de Fenwick qui, sur
son quai de chargement, n’arrive
plus à entrer avec sa machine
par la porte latérale d’une
semi-remorque. Il va pester, jurer
contre le transporteur. Il va se
plaindre à son patron de quai,
lequel, se sentant perturbé, va
botter en touche. L’information
va se perdre et on finira par
charger le camion à la main. Or,
il est vital de pouvoir conserver
ce type d’information. Car en
creusant, on va s’apercevoir que
des problèmes du même type
peuvent surgir à d’autres
endroits, sur d’autres quais, dans
d’autres antennes. Et que cela
concerne toujours un certain
type de transporteurs, qu’il
existe un lobbying auprès de la
Commission européenne pour
changer des normes et ainsi de
suite. En disposant de cette
information, le management de
l’entreprise va pouvoir agir
rapidement.
Est-ce une façon d’apporter au
top management une meilleure
connaissance de son entreprise
au quotidien?
Cela bouleverse effectivement
beaucoup de choses même si ça
crée forcément des vibrations.
Le PDG va apprendre des choses
qui lui étaient inconnues. Nous
faisons en sorte que l’encadrement intermédiaire puisse voir
remonter ces informations
brutes mais sans avoir d’influence immédiate sur elles,
contrairement à 99% des
entreprises, ou la remontée de
l’information se fait via les
couches successives de l’encadrement. La plupart des outils
mis en place avec les cabinets
spécialisés raffinent, couche par
couche, étape par étape, le
reporting du management
intermédiaire. Cela ne présente
que peu de valeur ajoutée. Ce
management n’est utilisé que
comme une courroie de
transmission de l’information
sans apport objectif. Il va donc,
en bonne conscience, la ralentir
pour l’enrichir, la modifier, la
présenter. Du coup, la tête ne
pilote qu’avec une représentation retardée et déformée de la
réalité, sans réactivité.
Cela signifie qu’il faut supprimer
le management intermédiaire ?
Non, bien au contraire, c’est une
©Aerial
Comment se positionne Aerial
sur son marché ?
!"#$%&'(")*$#+',)-.$/%#*'/01%)$"&
ressource expérimentée mais
sous-exploitée qui ne doit plus
passer 80% de son temps à
travailler sur la représentation
de l’entreprise – le reporting
traditionnel- et seulement 20%
sur son activité opérationnelle.
C’est au sens propre du
gaspillage ! Le management
organique inverse ce ratio en
douceur mais de façon radicale. Bien que cher, le reporting traditionnel reste utile
pour mesurer les tendances. Il
faut prendre conscience que
l’entreprise a basculé dans un
monde de pur flux. Plus un
cadre prend de galons et plus
il va ressentir le besoin de
contrôler son territoire devenu
instable. On va aider l’entreprise à alléger ces besoins de
justification en lui offrant le
temps de se repositionner sur
son cœur de métier. C’est aussi
le savoir-faire de nos consultants. Au lieu de courir après
l’information à reporter et faire
les couloirs avec ses collègues,
un chef des ventes prendra
conscience qu’il peut délibérément retourner vers ses clients,
produire des propositions,
prendre le temps de lire le
terrain, de faire de la veille,
bref, activer, avec son expérience, des leviers plus puissants pour augmenter le
chiffre d’affaires de ses
équipes.
Chaque entreprise est différente. Comment réussissezvous à capitaliser sur les
bonnes pratiques du management organique ?
Nous avons beaucoup investi,
depuis quatre ans, dans un
outil, Sensoris ©, qui fonctionne
comme une très puissante base
de connaissance numérique
que l’on peut interroger
simplement. Sensoris© permet
de capitaliser dans des outils
numériques les bonnes
pratiques du management
organique. Avant, nos consultants étaient seuls à pouvoir
identifier, capter, remonter et
traiter l’information évènementielle. Les salariés de l’entreprise
ont désormais à disposition une
adresse mail, Sensoris ©, sur
leur téléphone, tablette ou
terminal mobile pour recueillir
loyalement tous les « faits »
constatés dans l’entreprise.
Incidemment, c’est, selon nos
clients internationaux, le
premier système d’exploitation
des informations non structurées. Chacun peut naviguer
dans les thèmes du moment,
les questionner… Un directeur
commercial pourra interroger
préalablement Sensoris© sur
des questions sur lesquelles il
peut être challengé lors d’un
comité de direction. Il va
pouvoir sortir les seuls tableaux
de bord et résultats pertinents… L’outil a été mis au
point avec une soixantaine de
dirigeants et testé par une
dizaine d’entreprises. Le Centre
de recherche public Henri
Tudor, au Luxembourg, l’utilise,
par exemple, pour ses activités
de recherche sur l’industrie des
services.
Vous évoquiez cette pratique
du tout reporting dans l’entreprise ? Est-ce que la crise a
permis d’améliorer les choses ?
Non, la crise a plutôt poussé à
la sophistication des outils de
reporting traditionnel. On voit
arriver les premières tentatives
pour aller chercher des informations non structurées mais
l’approche, très technologique,
est encore poussée par des
fournisseurs d’outils. Le « Big
Data », dont on parle beaucoup,
décrit en fait deux choses bien
distinctes : l’ensemble des
informations structurées
qu’une entreprise peut accumuler sur des thèmes précis ;
elles ne l’aideront pas à
conquérir de nouveaux marchés ou compétences. Et l’autre
« Big Data », celui de l’information non structurée, sur lequel
elle devra réellement s’appuyer
pour survivre dans le monde
toujours plus rapide des
affaires. C’est ce que nous
avons anticipé depuis quatre
ans en créant Sensoris © pour
apporter une réponse aux
besoins fonctionnels et globaux
de l’entreprise.
I 21
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
VISIONS
ANALYSE
Vers un modèle de financement
participatif à la française
L’audacieuse réglementation du crowdfunding orchestrée par Fleur Pellerin n’a rien à envier
à ses cousines anglo-saxonnes. Elle a de quoi faire de la France un modèle de l’économie alternative…
L
© DR
© DR
e crowdfunding,
qui consiste en la
rencontre (quasi)
directe entre l’épargnant et l’entrepreneur, en écartant les
intermédiaires traditionnels du financement, est-il en passe de devenir un
nouveau catalyseur de croissance et
de développement!? Les prévisions de
croissance de ce secteur laissent penser qu’il dépassera le cadre de la seule
finance solidaire et pourrait redéfinir
les fondements des modes de financement de l’économie réelle. Ce phénomène récent accentue le foisonnement
des projets innovants, paradoxal mais
logique en période de crise : les jeunes
talents, boudés par les grandes sociétés en réduction d’effectifs, s’expriment dans l’entrepreneuriat.
PAR
MEHDI
OUCHALLAL
ET
STÉPHANIE
ROY
AVOCATS SPÉCIALISÉS
EN CAPITALINVESTISSEMENT
L’EFFET DE LA CRISE ET DE
LA PRESSION DES PME 2.0
La période de crise que les pays
occidentaux traversent a vu grandir une double défiance : d’une part,
celle des épargnants envers les offres
classiques d’épargne, dont les acteurs
sont souvent jugés responsables de
la crise!; d’autre part, celle des acteurs classiques et monopolistiques
de la finance, dépositaires officiels
de l’épargne, envers les PME jugées
trop risquées.
Une impressionnante montée du
phénomène crowdfunding a alors été
observée : poussées à contourner les
circuits traditionnels de financement,
les start-up et PME, en mode 2.0,
sollicitent directement l’épargne via
Internet. Certaines y ont trouvé non
seulement les financements recherchés, mais aussi, par un effet collatéral
vertueux, un vecteur marketing de leur
projet entrepreneurial : l’investisseur
d’aujourd’hui sera le client de demain.
D’aucuns parlent même de ce phénomène comme ayant transformé la
consommation : autrefois passive, elle
peut désormais être active.
Ce contournement par le Web, naturel
dans de nombreux secteurs de l’économie, s’est heurté en matière financière à de puissants obstacles réglementaires dont les régulateurs de la
finance sont les gardiens. La banque et
la finance sont des métiers à risque qui,
selon la réglementation en vigueur,
doivent être réservés à des experts
agréés, le plus souvent sous peine de
sanctions pénales. Ainsi en est-il de
l’exercice pour les plates-formes de
l’activité d’établissement de paiement,
de prestataire de services de paiement
ou d’intermédiaire financier en placement de titres financiers, mais également de la violation du monopole bancaire pour les prêteurs, et de l’offre au
public de titres financiers sans visa du
régulateur pour les entreprises levant
des fonds en capital. Autant dire qu’en
pratique toutes ces opérations sont
strictement réservées aux professionnels de la banque et de la finance.
Nous avons alors assisté en peu de
temps à une poussée des acteurs du
crowdfunding, relayée par une presse
attentive qui s’est fait l’écho de la
cause de la finance participative et de
ses vertus, principalement en matière
de création d’emplois et de richesses,
dans une période où les courbes de la
croissance et du chômage n’esquissent
aucun sourire. Cet effet médiatique, en
plus de nourrir le flux d’investisseurs
internautes, a fini par bénéficier d’une
oreille favorable de la part des responsables politiques. Aux États-Unis, au
Royaume-Uni, en Italie et, enfin, en
France, des travaux ont été amorcés
sur ce sujet pour offrir au crowdfunding
un espace de développement.
En France, faisant suite aux Assises
de l’entrepreneuriat en avril 2013 et à
une consultation publique pour une
nouvelle réglementation, Fleur Pellerin [alors ministre déléguée aux PME,
à l’Innovation et à l’Économie numérique, ndlr] a annoncé, le 14 février
2014, les principes d’un nouveau régime pour la finance participative, instaurant des statuts spécifiques allégés
pour les plates-formes et autorisant les
entreprises à lever via cet outil jusqu’à
1 million d’euros par an : ces assouplissements constituent une véritable
brèche dans la réglementation bancaire et financière.
Les acteurs traditionnels de la banque
et de la finance ont accordé peu d’intérêt à ces récents développements,
beaucoup d’entre eux jugeant les volumes d’investissements peu significatifs et leurs marchés non concernés
par ce nouvel outil de financement,
assimilé à du microcrédit. Le phénomène du crowdfunding, désormais systémique en ce sens qu’il établit une
connexion directe de l’économie avec
l’épargne, va toutefois rapidement acquérir ses lettres de noblesse auprès
de ces acteurs traditionnels, dans un
cadre réglementaire favorisé et encore
en évolution, avec un soutien politique
marqué et d’attractifs et florissants
projets à financer.
FRANCE, TERRE PROMISE
DU CROWDFUNDING ?
Le crowdfunding est à ce jour bien
moins développé en France que dans
les pays anglo-saxons, mais plusieurs
indices laissent penser que la France
constituera un espace géographique
favorable à l’essor de cette nouvelle
finance. Tout d’abord, les Français sont
les champions de l’épargne et les PME
françaises tiennent un rang plus qu’ho-
Le 14 février
dernier, Fleur
Pellerin, alors
ministre déléguée
aux PME,
à l’Innovation
et à l’Économie
numérique, posait
les bases d’un
nouveau régime
pour la finance
participative.
© ÉRIC PIERMONT/AFP
norable dans les secteurs innovants. La
réforme sur le crowdfunding aura ainsi
pour vertu de permettre la connexion
entre ces deux mondes.
Par ailleurs, il existe en France une
culture institutionnelle de l’investissement en PME, accentuée par l’incitation
fiscale à investir en PME instaurée par
la loi dite Tepa (travail, emploi, pouvoir
d’achat). Les sociétés de capital-risque
françaises sont parmi les plus foisonnantes et performantes en Europe. De
même, certaines banques et sociétés
d’assurances mutualistes françaises affichent leur politique de proximité avec
le tissu des PME. La mise en place de
synergies pourra apporter leurs expertises sectorielles aux secteurs de l’equity
crowdfunding (plates-formes d’investissements en actions) et du lending
crowdfunding (plates-formes d’investissements en prêts), notamment en
matière d’analyse de rentabilité et de
risques dans la sélection de dossiers à
présenter aux internautes ainsi qu’en
matière de savoir-faire dans la relation
entre l’entrepreneur et ses prêteurs ou
investisseurs actionnaires, auxquels il
faudra apprendre à vivre ensemble au
sein du capital d’une société.
De leur côté, les fonds de capitalinvestissement et les banques de proximité sauront une fois de plus s’adapter
à l’économie de demain et aux besoins
de ses acteurs. En effet, leur positionnement privilégié dans le financement
et le refinancement des PME les place
en première ligne pour identifier bon
nombre des projets ainsi que les synergies qu’ils recèlent. La mise en place
d’un cadre économique et juridique de
qualité satisfaisant aux équilibres entre
les intérêts et les risques des investisseurs, des PME et des plates-formes
sera un gage de développement de partenariat pérenne en la matière. De ces
synergies pourrait découler un modèle
de crowdfunding à la française.
Enfin, la réforme telle qu’annoncée
par le gouvernement français est en
elle-même la plus audacieuse, tant en
Europe que dans le reste du monde.
Tout en imposant des garde-fous tenant
à la transparence en matière de frais, la
bonne information de l’épargnant sur
les risques encourus et la modélisation
d’un processus interactif permettant
de guider l’investisseur dans son choix
en fonction de ses objectifs et de sa situation personnelle, c’est la réglementation qui posera le moins de barrières
à l’entrée pour l’investisseur (aucun
plafonnement d’investissement exigé
selon les ressources de l’internaute,
contrairement à ce qui sera prévu aux
États-Unis ou au Royaume-Uni), pour
l’entreprise qui souhaite lever des fonds
(aucune condition d’activité cantonnée
à certains secteurs, contrairement à
ce qui est prévu en Italie) et pour les
plates-formes de crowdfunding (aucun
minimum en fonds propres requis,
hors cas spécifiques d’encaissement de
fonds). Il en ressort qu’il est fort probable, non sans que cela ne soulève de
nouvelles problématiques réglementaires transfrontalières, que la France
attire tant les entreprises que les épargnants étrangers, la particularité bien
connue d’Internet étant d’ignorer les
frontières.
Faire de la France un pays pionnier
du financement participatif, tel était
l’objectif affiché par Bercy le 14 février
dernier. Ce positionnement avant-gardiste s’inscrit sans surprise dans une
certaine culture française qui nourrit l’espoir de bâtir un modèle économique et financier alternatif fondé sur
un subtil équilibre entre le développement de l’esprit entrepreneurial, la
participation et la solidarité. Q
22 I
VISIONS
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
IDÉES
Paris doit redevenir un point de
ralliement pour jeunes inventeurs
Entretien avec Mario Polèse et Richard Shearmur, auteurs, avec Laurent Terral,
de La France avantagée, un essai qui porte (enfin) un regard antidécliniste sur la France.
R
ichard Shearmur
et Mario Polèse,
deux Canadiens,
et Laurent Terral!1, un Français,
dévoilent dans
leur dernier essai!2 un territoire
beaucoup moins déséquilibré économiquement qu’on ne le pense et avec
un fort potentiel. À condition de ne
pas prendre le Grand Paris pour la
locomotive qui va tout entraîner.
© DR
En lançant le Grand Paris puis
Paris Métropole, Nicolas Sarkozy
JEAN-PIERRE puis François Hollande ont-ils pris
le risque de déséquilibrer un
GONGUET
territoire national qui, selon vous,
RÉDACTEUR EN CHEF
semble enfin avoir trouvé son
DE LA TRIBUNE
DU GRAND PARIS
équilibre économique ?
MARIO POLÈSE – C’est peu probable. Pour une raison qui ne plaira
pas forcément aux promoteurs du
Grand Paris : les défis économiques
de la région parisienne ne se résument
pas à des questions de métro régional
ou de transports urbains. À lui seul,
le Grand Paris, en l’absence d’autres
réformes économiques, ne suffira
pas pour modifier sensiblement la
trajectoire de l’économie parisienne.
Le Grand Paris doit déclencher une
réflexion plus large sur l’économie
parisienne, être le début d’un processus, pas la fin. Des économistes, des
géographes, des politiques plaident
pour que l’investissement se fasse
dans la métropole parisienne, dans
une « ville-monde » capable de jouer
dans la mondialisation et créant plus
sûrement de la richesse que les autres
métropoles ou villes moyennes.
Êtes-vous réticent à l’idée
de considérer Paris comme
« locomotive » de la France ?
Fortement réticent. La France est un
espace économique intégré, beaucoup
plus équilibré que ce que pensent les
Français. Ôtez les régions et Paris rétrécira comme une peau de chagrin!!
Prétendre que Paris tire la croissance
des régions, ou l’inverse, est un débat
inutile. Les investissements de l’État
doivent aller là où ils sont utiles, et
rien ne dit qu’ils le sont systématiquement plus à Paris. Pour aider l’exportation, des investissements dans le
port du Havre ou dans des liaisons
transalpines peuvent être plus prioritaires. La prétention de la grande ville
à être la « locomotive » de l’économie nationale est une rengaine partagée. Montréal a la même prétention,
au Québec. Mais l’idée ne tient pas
la route. L’Angleterre fournit un joli
contre-exemple, car si le dynamisme
de la région londonienne ne se dément
pas, il n’est d’aucun secours pour le
nord de l’Angleterre, qui continue à
sombrer dans le chômage. À l’inverse,
où est la ville « locomotive » de l’Allemagne!? La vieille notion de pôle de
croissance est tout aussi désuète que
celle de « Paris et le désert français ».
Vous estimez que l’innovation
comme facteur de croissance
locale est une fausse idée. Ce qui
importe, c’est le développement
de ces innovations. Là, la
métropole a un avantage possible,
mais vous n’en êtes pas sûr ?
RICHARD SHEARMUR – Non, c’est
très complexe. Le lien entre innovation (dans une localité ou une région)
et croissance (de cette localité ou de
cette région) présuppose que les retombées de l’innovation sont nécessairement locales. Or rien – hormis le
désir des collectivités locales – ne nous
permet de stipuler qu’elles le seront.
Parfois, les raisons sont évidentes :
au Canada, il existe une multitude de
villes spécialisées dans l’aluminium,
le papier, la forêt, qui perdent des emplois au fur et à mesure que les entreprises locales innovent et deviennent
plus productives. La perte d’emploi
y est attribuable au fait que les villes
ne sont pas capables d’internaliser les
processus de destruction créative :
certains emplois y sont détruits, mais
les nouvelles activités économiques
sont créées ailleurs, car ces villes n’ont
pas la capacité interne pour générer
des alternatives.
LQWHUYHQDQWVGXPRQGHHQWLHU
SRXUG«GUDPDWLVHUOȇ«FKHFHQWUHSUHQHXULDO
)DLO&RQȊ6WRSEHLQJDIUDLGRIIDLOXUHDQGVWDUWHPEUDFLQJLWȋ
$YULO
0LQ LVW ªUHG HOȇ(FR Q R PLHHW G HV) LQ DQ FHV%HUF\3 DULV
ΖQVFULSWLRQVXUIUDQFHWKHIDLOFRQFRP
De manière générale, les entreprises
innovent dans tous les types de territoires. Ce n’est pas un phénomène urbain. En revanche, le marketing et la
croissance de l’entreprise si elle a besoin de main-d’œuvre, par exemple,
passent souvent par la grande ville :
on y ouvre des succursales, on est racheté par une plus grosse entreprise
qui nous déménage, ou alors on collabore avec des prestataires de services
qui sont en ville, et on contribue donc
à la croissance urbaine, même si on
demeure en région.
OÙ MIEUX SE
RENCONTRER QUE
DANS UN CAFÉ
PARISIEN? VOILÀ LA
CHANCE DE PARIS…
En fait, tout le monde se focalise sur
« l’introduction » de l’innovation.
Or la croissance économique ne provient pas de l’introduction d’une innovation, mais du développement de
l’entreprise qui intervient à la suite
de l’innovation. La vraie question de
développement régional n’est donc
pas « de quelle région proviennent
les innovations!? », mais plutôt « dans
quelles régions ont lieu les processus
de croissance qui interviennent à la
suite de l’innovation ». La réponse à
la première question est complexe,
et il n’est pas certain que « la grande
ville » soit une réponse convenable.
En revanche, la réponse à la seconde
question, pour des raisons liées à la
centralité des villes, aux économies
d’agglomération, à l’accessibilité des
marchés globaux, etc., est très probablement urbaine.
Vous montrez dans votre livre
que les territoires gagnent
en se spécialisant et que les
villes-mondes comme New York
ou Los Angeles ne sont pas
les plus innovantes. Quelle
« spécialisation » pensez-vous
possible pour Paris, une « villeagora » potentielle ?
MARIO POLÈSE – Le terme de « villeagora » a été choisi pour exprimer
l’idée de la grande ville comme point
de rencontre et d’échange d’idées.
Paris, s’il veut retrouver sa place sur
l’échiquier économique mondial,
doit redevenir un point de ralliement
naturel pour de jeunes inventeurs,
penseurs et entrepreneurs (pas seulement Français) à l’avant-garde de
la nouvelle économie. Le fait est,
comme nous le constatons dans l’ouvrage, que Paris joue un rôle, comme
centre économique, bien en deçà de
ce que commanderait sa taille. Comment donc entrevoir l’avenir de Paris
dans un monde où, il faut bien l’admettre, il se trouve en marge de la
culture dominante des grands acteurs
économiques!? Or, vu de l’extérieur,
le grand atout de Paris est « Paris »,
en soi une image de marque qui n’a
pas besoin de plus pour se démarquer. Paris continue à exercer une
attraction toute spéciale. Pour un
Canadien ou un Américain, dire qu’il
a vu l’Europe sans avoir vu Paris est
inconcevable. Le danger – nous ne
sommes pas les premiers à le dire –
est que cette attractivité se limite
au tourisme et aux activités de passage (colloques, conférences, expositions…) pour, à la longue, transformer Paris en vaste parc d’attractions.
La bonne nouvelle, d’où l’idée de
« ville-agora », est que la nouvelle
économie repose, plus encore que
l’économie industrielle jadis, sur des
rencontres, des échanges d’idées et la
proximité physique des acteurs. Et où
mieux se rencontrer que dans un café
parisien!? Voilà la chance de Paris, à
condition qu’il sache la saisir. À New
York, c’est dans les vieux quartiers
de Manhattan que ça se passe, des
quartiers entiers envahis et revitalisés par de jeunes startupers technos qui dirigent les futurs Google
et Microsoft. Ces jeunes entreprises
recherchent des milieux urbains que
seule la grande ville peut offrir. Paris
l’a déjà, il n’a pas besoin de l’inventer.
Là où le bât blesse, c’est dans l’autre
moitié de l’équation : un milieu économique et social propice aux jeunes
entrepreneurs. Pourquoi des milliers
de jeunes Français s’exilent-ils à New
York, Londres ou Montréal pour se
lancer en affaires!? Ce n’est pas, je
pense, parce que Paris manque de
monuments ou d’infrastructures. Q
(1) Mario Polèse est professeur en
économie urbaine et régionale à l’Institut
national de recherche scientifique
de Montréal ; Richard Shearmur est
professeur de géographie à la School of
Urban Planning de l’université McGill de
Montréal ; Laurent Terral est chercheur
à l’Institut français des sciences et
technologies des transports,
de l’aménagement et des réseaux.
(2) La France avantagée. Paris
et la nouvelle économie des régions,
de Mario Polèse, Richard Shearmur
et Laurent Terral, 224 pages,
éd. Odile Jacob, 23,90 €.
De haut en bas :
Mario Polèse,
Richard
Shearmur
et Laurent Terral.
© CHRISTIAN FLEURY
POUR L’INRS
I 23
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
ANALYSE
Le grand jeu des hydrocarbures
Quelle indépendance énergétique pour l’Europe entre crise russo-ukrainienne à l’est
et difficultés d’importation de gaz naturel liquéfié américain à l’ouest ?
© DR
D
SÉBASTIEN
LAYE
HEC, IEP,
INVESTISSEUR
ET BANQUIER
D’AFFAIRES
RETROUVEZ-LE SUR
LATRIBUNE.FR
DANS LE BLOG
« LA TRIBUNE
DES EXPATS »
ans son roman
Kim, publié en
1901, Rudyard
Kipling,
évoquant les
rivalités entre
grandes puissances (principalement la Russie et le Royaume-Uni)
pour le contrôle de l’Asie centrale,
introduira une expression appelée à
faire florès en géopolitique, celle du
« Grand Jeu ». À cet égard, même si la
Russie est une nouvelle fois au cœur de
ces tensions conflictuelles, force est de
reconnaître qu’au XXIe siècle, plus que
la question de la puissance politique
ou celle des capacités militaires, c’est
bien la maîtrise des hydrocarbures qui
circonscrira les ambitions des uns et
l’influence des autres.
Si maints observateurs ont noté
comme une évidence la question
des hydrocarbures dans cette crise
– au premier chef les pressions exercées par la Russie sur l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine –, rares
sont ceux qui ont explicité à l’opinion
publique, française en particulier, les
nécessaires reconfigurations de notre
diplomatie et alliances engendrées
par ce renouveau de tension sur la
frontière est de l’Europe.
Les chiffres attestent de la symbiose
existant entre le complexe énergétique russe et l’industrie européenne,
en particulier allemande. Moscou
fournit un tiers du pétrole consommé en Europe (soit 4,5 millions de
barils par an) et 27#% de son gaz (soit
133 milliards de mètres cubes par
an). L’Allemagne en absorbe un tiers,
certains États baltes ou la Finlande
sont dépendants à quasiment 100#%
de leurs besoins. Une grande partie
– 85 milliards de mètres cubes – arrive
via l’Ukraine, le reste par les gazoducs
Nord Stream, Yamal et Blue Stream,
qui contournent tous l’Ukraine.
Cette relation est bien sûr chirographaire et Moscou aurait du mal à faire
abstraction de son principal client :
réorienter les flux de livraison vers
l’Asie et la Chine par exemple demanderait des années de construction de
nouveaux pipelines. On estime que, en
cas d’embargo européen sur les hydrocarbures russes, Moscou ne pourrait
que réorienter la moitié des ressources
actuellement vendues à l’Europe
et verrait son PIB amputé de 3,7#%.
Acteur prépondérant du marché des
hydrocarbures, la Russie n’est cependant pas assez prolifique pour changer
la donne en matière d’approvisionne-
ment, et son économie de rente serait
laminée si son brut ne trouvait plus
preneur, en particulier si les courtiers
en produits pétroliers (Vitoil, Trafigura, Mercuria) se voyaient directement
visés par Washington pour leurs liens
avec la Russie (Gunvor en ayant déjà
fait les frais).
La France, malgré un mix énergétique
bien diversifié au-delà des hydrocarbures (part importante du nucléaire,
mais refus pour l’instant d’explorer
gaz et pétrole de schiste), continue
à importer 14#% de son pétrole de
Russie (les autres fournisseurs étant
la Norvège, l’Arabie saoudite et le
Kazakhstan), ainsi que 13#% de son gaz
(les autres options venant d’Algérie,
du Qatar, d’Égypte et des Pays-Bas).
Afin de s’extraire de l’emprise russe
sur cette question des hydrocarbures – et de forger ainsi des bases
plus saines pour la future diplomatie
européenne –, les Européens, qui de
facto redoutent encore plus d’être
dépendants du Moyen-Orient, n’ont
comme solution logique que de se
tourner vers le grand frère américain, béni depuis quelques années
par un renouveau de sa production
d’hydrocarbures par des méthodes
dites non conventionnelles : ces nouvelles techniques d’extraction et de
fracturation hydrauliques, désormais
sévèrement encadrées par un président Obama soucieux des questions
environnementales, ont donné une
seconde jeunesse aux champs du
Dakota du Nord (Bakken), du Texas
(Eagle Ford, Permian, Woodbine) ou
de Pennsylvanie.
LE PARTENARIAT
TRANSATLANTIQUE,
MEILLEURE OPTION
POUR LA SÉCURITÉ
ÉNERGÉTIQUE
DE L’EUROPE ?
Côté européen, on a ainsi vu Manuel
Barroso demander la libéralisation
des licences d’exportation de gaz, et
François Hollande semble sérieusement étudier la question alors que
les récentes crises l’ont rapproché de
Washington.
Une autre option de plus long terme
serait de relancer l’exploration sur
la présence de gaz (et de pétrole) de
schiste en Europe même. Alors que les
champs polonais semblent moins prolifiques et plus complexes que prévu,
demeure la question des véritables ressources dans les Balkans ou en France.
Mais faute de tests sérieux, le gouvernement français n’a pas les données
scientifiques pour jauger ce potentiel.
Cependant, outre la sortie des Verts
du gouvernement, une nouvelle ligne
Valls-Montebourg, moins hostile aux
pétroliers et consciente des handicaps
de notre industrie, qui fonctionne avec
des coûts énergétiques élevés, pourrait
inaugurer la relance de la recherche en
ce domaine : en tout état de cause, une
production sérieuse en France ne pourrait avoir lieu avant un horizon de six,
sept ans, étant donné le stade préliminaire où les tests furent arrêtés en 2011.
Le pétrole – classique ou de schiste –
ne présente pas les mêmes difficultés
de transport que le gaz, dont la version
liquéfiée (GNL) – la seule véritablement transportable – demanderait de
nouvelles infrastructures (terminaux
portuaires) aux États-Unis. Traditionnellement, le complexe énergétique
américain n’est pas tourné vers l’exportation. Les exportations d’hydrocarbures n’y sont pas libres et soumises
à l’approbation des parlementaires,
avec deux exceptions : dérogation expresse du président, pour des raisons
de sécurité nationale#; exportation vers
un pays ayant conclu un accord de
libre-échange avec les États-Unis.
Dans ce contexte de tension avec
les Russes, mais aussi avec une
part croissante du Moyen-Orient
(Iran, Syrie) et potentiellement de
l’Afrique du Nord, les Européens
souhaiteraient obtenir une dérogation permanente. Or réorienter
les flux d’hydrocarbures du marché
domestique vers l’Europe sera un
travail de longue haleine et demandera des investissements colossaux
en pipelines et infrastructures portuaires. Les Européens devraient
eux-mêmes investir ce terrain et
se soucier désormais des conditions permettant aux industries
pétrolières et gazières américaines
d’acheminer leurs excédents vers
l’Europe, sachant que les Européens
entreront en la matière en concurrence frontale avec les Asiatiques,
qui certes possèdent du gaz mais à
un prix deux fois plus élevé que les
Américains du fait de la dichotomie
locale entre la demande et l’offre.
Le meilleur cadre qui s’offre aux
Français et aux Européens pour
résoudre ce problème de sécurité
des approvisionnements en hydrocarbures, c’est celui du partenariat
transatlantique pour le commerce et
l’investissement (TTIP). Le TTIP autorisera de facto la réorientation des
flux américains vers une zone ayant
signé un accord de libre-échange avec
les États-Unis : il devrait doper l’économie européenne de 120 milliards
d’euros par an. Nul doute que les
quelques différends qui demeurent
sur les OGM ou le cinéma pèseront
peu face aux enjeux du… Grand Jeu. Q
!"!#$%$#&
Une plate-forme
pétrolière près
de Williston, dans
le Dakota
du Nord.
L’extraction du
pétrole de schiste
par fracturation
hydraulique
(interdite
en France)
a transformé
cette région
froide
et désertique
en un nouvel
eldorado.
© MATT NAGER/
REDUX/REA
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avant le 20.05.2014
La responsabilité du chef d’entreprise face aux risques nouveaux ou en croissance :
Ris q ue d’ im a ge, ris q ue e nvironne m e nta l, cybe r ris q ue, ris q ue p én al ...
Jeudi 22 mai 2014 de 9h00 à 10h30 CCI de Strasbourg et du Bas-Rhin, salle Wenger Valentin. 10, place Gutenberg - Strasbourg
UN ÉVÉNEMENT
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24 I
VISIONS
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
IDÉES
Le modèle social français
dans l’étau de la croissance faible
À quelques jours de la remise du plan détaillé d’économies de 50 milliards
d’euros promis pour la mi-avril, l’adaptation du fameux modèle social français
apparaît comme une clé incontournable d’une maîtrise des comptes publics.
©DR
C
PIERREFRANÇOIS
GOUIFFÈS
63/>>1IJ./@B
MAÎTRE DE
CONFÉRENCES
À SCIENCES-PO.
AUTEUR DE L’ÂGE
D’OR DES DÉFICITS.
40 ANS DE POLITIQUE
BUDGÉTAIRE
FRANÇAISE,
LA DOCUMENTATION
FRANÇAISE.
et État providence à la française, c’est un
ensemble de
solidarités institutionnelles
et obligatoires
entre des Français et d’autres Français : des actifs
vers les personnes âgées et les jeunes,
des bien portants vers les malades,
des actifs au travail vers les chômeurs,
des riches vers les pauvres… Ces solidarités sont organisées en prestations
en argent (retraites, assurance chômage, minima sociaux) ou en services
gratuits (santé), plus exactement des
prestations ou des services payés
non pas par leurs usagers mais par
l’ensemble des contribuables présents
ou futurs via les prélèvements obligatoires ou la dette provenant des déficits des comptes sociaux.
On constate de la part du gouvernement un propos plutôt défensif
consistant à justifier le discours sur
les économies de dépenses publiques
à venir, justement pour « sauver le
modèle français » et non pas le fragiliser, l’éroder ou le détruire pour préserver la justice sociale. L’impératif
de la préservation du modèle social a
encore été rappelé par le président de
la République lors de son allocution
du 31 mars dernier.
Mais d’autres prises de parole récentes
sont beaucoup plus tranchantes, voire
pessimistes. L’historien Pierre Nora
considère que le modèle social français
incluant une forte dose de providentialisme est atteint en profondeur. Le
grand spécialiste des questions sociales
Raymond Soubie, ancien conseiller
social de Nicolas Sarkozy, a récemment déclaré dans La Tribune (lire La
Tribune Hebdo no 84) que notre modèle
social hérité de la Libération ne pourra
pas surmonter une période durable
de croissance inférieure à 2"%, niveau
indispensable pour financer les coûts
toujours plus importants d’un système
de santé, de retraite, d’éducation et de
chômage parmi les plus onéreux du
monde. Pascal Lamy arrive aux mêmes
conclusions en considérant que « la redistribution se bloque en deçà d’un rythme
de croissance d’environ 2"% ».
Pendant longtemps ce modèle a été
soutenable, mais cette croissance n’a
jamais été atteinte depuis plusieurs
années et semble un objectif plutôt
élevé dans les années à venir, au vu des
prévisions de croissance potentielle.
Enfin, les économistes Yann Algan,
Pierre Cahuc et André Zylberberg
considèrent que la France est devenue
une « société de défiance », crispée
notamment du fait de son État providence organisé de façon non universaliste (mêmes prestations pour tout le
monde) mais corporatiste et segmenté
conduisant chacun, prisonnier de sa
case institutionnelle, à considérer que
toute réforme se fait nécessairement à
ses dépens.
RECORDS DE DÉPENSES
BATTUS CHAQUE ANNÉE
Des propos de remise en question
radicale sont également entendus
auprès de certains de nos partenaires
européens. Le président de la BCE,
Mario Draghi, n’avait pas hésité à
déclarer à l’occasion de sa prise de
fonction de 2011 que « le modèle social
européen est déjà mort, voyez le taux de
chômage des jeunes qui prévaut dans certains pays », tandis que la chancelière
allemande, Angela Merkel, considère
que « l’Europe ne peut continuer à assurer 50"% des dépenses sociales mondiales
alors qu’elle ne représente que 7"% de la
population mondiale et ne produit que
25"% de la richesse mondiale ».
Le roi des Pays-Bas, Willem-Alexander, lisant en septembre dernier le discours rédigé par le Premier ministre
Mark Rutte, a pris acte de la transformation lente mais sûre de l’État providence classique en une « société de
participation », dans laquelle chacun
prend ses responsabilités pour sa vie
et son entourage. Dans la même veine,
David Cameron, le Premier ministre
conservateur britannique, a construit
sa victoire de 2010 en s’appuyant
sur le thème de la « Big Society » : la
société providence, constituée des
communautés qui préexistaient à
l’État providence de Beveridge, doit
contribuer à régler les maux sociaux
sans renforcement de l’État ou de la
dépense publique. Les critiques de
la « société de participation » ou de
la « Big Society » remarquent d’ailleurs que de telles approches accom-
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pagnent un désengagement au moins
partiel de l’État, mais ces approches
mettent clairement sur la table l’articulation entre les solidarités institutionnelles et obligatoires incarnées
par l’État et des approches plus locales, plus volontaires ou plus participatives de la solidarité ainsi que les
comportements individuels.
Le modèle social français, c’était,
en 2012, les 664 milliards d’euros
des lignes « santé » et « protection
sociale » des dépenses publiques
suivant la classification CFAP, représentant le tiers du PIB et 58"% des
dépenses publiques. Depuis 1995,
ces dépenses sociales augmentent
chaque année de 0,8 point de plus
que le PIB : le modèle social français, à dépense structurellement
dynamique du fait du vieillissement
de la population, explique la totalité de l’augmentation des dépenses
publiques rapportées au PIB et bat
année après année de nouveaux records : « seulement » 342 milliards en
1995, plus de 400 en 2001, plus de 500
en 2005, plus de 600 en 2009… Série
en cours. En revanche, la somme de
tous les autres segments de dépenses
publiques a baissé en proportion du
PIB : la dynamique de la dépense est
dans le social et nulle part ailleurs.
L’ADAPTATION DU MODÈLE,
PRIX DE LA CRÉDIBILITÉ
La France détient le record d’Europe
et de l’OCDE des dépenses sociales
publiques, désormais nettement devant l’ensemble des pays scandinaves
considérés traditionnellement comme
très généreux en matière d’État providence. Certes on peut objecter que
d’autres pays recourent à des dépenses privées obligatoires pour les
fonctions centrales du modèle social
que sont la santé et la retraite, mais au
final l’OCDE conclut que la France a
de toute façon les dépenses sociales
totales (publiques et privées obligatoires) les plus élevées.
Ce niveau élevé des dépenses publiques sociales est la composante
principale de l’écart de dépenses
publiques entre la France et ses pairs,
sachant que l’expérience grecque a
démontré que des niveaux massifs de
transferts sociaux pouvaient entraîner une perte de contrôle des budgets
publics.
Pour financer cette hausse ininterrompue aboutissant à un très haut
niveau de dépenses, la France a déplafonné les cotisations sociales, puis
créé la CSG, puis créé la CRDS, puis
créé des prélèvements additionnels…
mais cela n’a pas suffi. S’est donc
constituée depuis le début des années
1990 une dette sociale via l’ingénierie
de la Cades (Caisse d’amortissement
de la dette sociale) à laquelle ont été
transférés depuis 1996 pas moins de
265 milliards. Au total, les déficits sociaux ont induit une dette sociale représentant 211 milliards et plus de 10"%
du PIB contre quasiment rien en 1990,
le signe d’une tension de financement
croissante. La tension croissante sur
les recettes que l’on constate autant
dans les discours – ras-le-bol fiscal,
pause fiscale – que dans les chiffres
– des prélèvements obligatoires substantiellement moins élevés que prévu
en 2013 – renvoie à la question de la
croissance et à sa capacité de résilience
en cas de faible croissance durable.
Dans un environnement dans lequel
la maîtrise des dépenses publiques,
pour ne pas dire le terme tabou d’austérité, devient en quelque sorte « le
nouveau normal », qu’on le souhaite
ou qu’on le déplore, la protection
sociale constitue naturellement un
terrain majeur d’action tant du fait de
la taille de son périmètre (le tiers du
PIB et 58"% des dépenses publiques)
que de la dynamique de ses dépenses.
Bref, pas de maîtrise structurelle et
crédible des dépenses publiques sans
adaptation significative du modèle
social français. Q
En 2012, les
lignes « santé »
et « protection
sociale »
représentaient
58 % des
dépenses
publiques.
Chaque année,
elles augmentent
de 0,8 point de
plus que le PIB.
© PHILIPPE HUGUEN/AFP
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I 25
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
VU DE BRUXELLES
AU CŒUR DE L’INNOVATION
Comme une
histoire de famille
FLORENCE
AUTRET
CORRESPONDANTE
À BRUXELLES
RETROUVEZ SUR
LATRIBUNE.FR SON
BLOG « VU
DE BRUXELLES »
DE « LA VALEUR
POUR L’ACTIONNAIRE »
À LA « VALEUR POUR
L’ENTREPRISE »
La roue avait déjà commencé à
tourner. Elle a à présent accompli
sa révolution : le nouveau
leitmotiv de la Commission
pourrait s’appeler « la valeur
pour l’entreprise ». Après des
décennies où l’anonymat de
propriétaires uniquement guidés
par le rendement de leurs titres
était vu comme une incitation
nécessaire à la bonne gestion,
Bruxelles veut faire en sorte que
les entreprises y voient clair sur
l’identité de leurs actionnaires.
Les gestionnaires doivent savoir
pour qui ils travaillent. Et en
retour, les propriétaires doivent
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La Tribune
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Téléphone : 01 76 21 73 00.
Pour joindre directement votre correspondant,
composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres
mentionnés entre parenthèses.
SOCIÉTÉ ÉDITRICE
LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S.
au capital de 3 200 000 euros.
Établissement principal :
2, rue de Châteaudun - 75009 Paris
Siège social : 10, rue des Arts,
31000 Toulouse. SIREN : 749 814 604
Président,
directeur de la publication
Jean-Christophe Tortora.
se sentir responsables de leur
bien et exercer leurs droits, ne
pas seulement « gérer leur propre
argent » mais se sentir à leur
tour comptables. Y compris – et
c’est sans doute la raison pour
laquelle ce texte met si longtemps
à sortir – en contrôlant de près la
rémunération des administrateurs,
autrement dit de leurs propres
représentants.
Ce n’est donc pas un hasard si la
Commission s’intéresse à présent
aux entreprises familiales, et pas
seulement sur un mode suspicieux
en cherchant à montrer du doigt
les risques de népotisme ou de
mauvaise gestion inhérents au
mélange entre propriété et gestion.
Réunis à Bruxelles, leurs
représentants en ont profité pour
défendre leur cause. Laissez-nous
en paix"! clament-ils en chœur.
Nous savons gérer nos propres
affaires. Comme si, en l’espèce,
la (loi de la) famille, sans être
une alternative au droit, devait
pouvoir garder toute sa place. Ils
ont quelques arguments. Prenez
l’archétype de la (très) grande
société familiale : au hasard, un
très grand distributeur « nordiste ».
Faire partie du cercle des 500 et
quelques actionnaires ne s’y résume
pas à une rente. Loin s’en faut. Les
règles internes de l’affectio societatis
familial ont été écrites pour écarter
la tentation d’agir en passager
clandestin. S’il le faut, les membres
de la famille invités à faire partie
d’un ou plusieurs conseils de
surveillance des filiales du groupe
ne sont pas juste triés sur le volet,
leur rôle est proportionné à leur
compétence, cela dût-il provoquer
quelques grincements de dents
lors des déjeuners dominicaux. La
jeune génération se voit prestement
encouragée à faire ses classes
dans les rayons des « hypers »,
histoire que « le lien se noue et que
l’on ne bascule pas dans une logique
de fonds de pension », indique une
source « maison ». Et quand Gérard
Mulliez, le fondateur, a voulu, une
seconde fois, en 2006, déroger à
la limite d’âge fixée dans la charte
familiale, cette même famille
qu’il a enrichie au-delà de toute
espérance l’a pourtant gentiment
poussé vers la sortie. En somme,
la Commission, gardienne du droit
et défendeuse des principes de
l’économie de marché, redécouvre
que l’entreprise, pour être bien
gérée, est un peu comme une
histoire de famille. Le bon sens,
en somme. Q
RÉDACTION
Directeur adjoint de la rédaction
Philippe Mabille, éditeur de La Tribune Hebdo.
Rédacteur en chef Robert Jules,éditeur
de latribune.fr
( Économie Rédacteur en chef adjoint :
Romaric Godin. Jean-Christophe Chanut,
Fabien Piliu. ( Entreprise Rédacteur en chef :
Michel Cabirol. Rédacteurs en chef adjoints :
Delphine Cuny, Fabrice Gliszczynski.
Alain-Gabriel Verdevoye.
( Finance Rédacteur en chef adjoint : Ivan
L
© DR
V
ous n’y aviez peutêtre pas pensé
mais… « gérer votre
propre argent est
différent de gérer
celui des autres ».
Telle est une des conclusions
radicales à laquelle a abouti
une récente table ronde sur
la gouvernance des entreprises
familiales organisée par
la Commission européenne. Cette
« différence », justement, est
par ailleurs au centre d’un projet
de directive de la Commission
européenne sur la gouvernance
des entreprises, qui attend depuis
quelques semaines l’imprimatur
du collège. Le pari de la société
anonyme consiste justement
à réconcilier les intérêts des
actionnaires (votre propre argent)
avec celui des gestionnaires (celui
des autres). Et la tâche est tout
sauf évidente. Pendant quelques
décennies, la grande question a été
de rendre les gestionnaires un peu
plus responsables du bien d’autrui.
La « valeur pour l’actionnaire »
était l’alpha et l’oméga. Le
prédécesseur de Michel Barnier,
le commissaire au Marché intérieur
et aux Services – un Irlandais
libéral en diable qui aurait aimé
tordre le cou aux golden shares –
avait finalement quitté Bruxelles
sans avoir réussi à toucher à ces
titres de propriété qui rompent
l’égalité entre actionnaires.
Des millions
pour Las Vegas
FRANCIS
PISANI
CHRONIQUEUR,
AUTEUR, EXPERT
INTERNATIONAL
EN INNOVATION,
CONFÉRENCIER.
SON BLOG :
FRANCISPISANI.NET
ET SUR LATRIBUNE.FR
SON BLOG
« AUX CŒURS DE
L’INNOVATION »
@francispisani
a ville – toutes les
villes, et le défi
de les rendre plus
vivables et moins
dispendieuses –
est sans doute la
prochaine « frontière », terme
familier aux conquérants de
l’Ouest américain. Aucun individu
ne l’illustre mieux que Tony
Hsieh, fondateur de Zappos – la
première entreprise à réussir
à vendre sérieusement des
chaussures online – et animateur
de Downtown Las Vegas. Il a tout
simplement décidé de transformer
le centre de Sin City (« la ville
du péché », comme disaient les
médias bien-pensants) en modèle
de cité intelligente, innovante et
durable. « Les campus de Google et
de Twitter sont trop insulaires », m’a
expliqué Kim Schaefer, une des
responsables (personne n’a de titre
précis) du Downtown Project. La
référence est le campus, ouvert, de
l’université de New York, au cœur
de Manhattan. « Nous préférons
que nos employés se promènent dans
la ville », ajoute-t-elle comme un
pied de nez aux grands de la Silicon
Valley qui font monter les prix
immobiliers à San Francisco
sans contribuer à sa vraie vie.
« Les interactions accroissent la
créativité et les innovations de
l’entreprise en même temps qu’elles
bénéficient à la communauté
locale », souligne-t-elle.
Las Vegas ayant déversé ses
banlieues autour de centres
commerciaux dispersés, le centreville était en pleine décrépitude.
Immeubles pourris, chômage
et crimes le décrivaient mieux
que les lumières scintillantes
du « strip », la zone des casinos.
« Nous voulons changer ça et misons
sur l’entrepreneuriat pour diversifier
l’économie. Mieux vaut un petit
restaurant qu’un mont-de-piété »,
m’a expliqué Kim Schaefer. Pour
inviter les gens à s’amuser et
à rester, ils créent des festivals,
des pièces de théâtre et ont même
monté un « parc de conteneurs »
plein de cafés, de boutiques,
d’activités musicales et de vie.
Et, dans le même temps, ils
transforment de vieux casinos en
espaces de coworking ou en centres
communautaires.
Le Dowtown Project établit
des partenariats avec les petits
commerçants et les aide à trouver
des crédits. C’est le cas, par
exemple, de Eat, lancé par une
Best. Christine Lejoux, Mathias Thépot.
( Correspondants Florence Autret (Bruxelles).
( Rédacteur en chef La Tribune Hebdo
Jean-Louis Alcaïde.
( Rédacteur en chef La Tribune du
Grand Paris Jean-Pierre Gonguet.
RÉALISATION RELAXNEWS
( Direction artistique Cécile Gault.
( Graphiste Elsa Clouet.
( Rédacteur en chef édition Alfred Mignot.
( Secrétaire de rédaction Sarah Zegel.
(
(
(
jeune chef qui, faute de moyens
envisageait d’aller s’installer
ailleurs, ou de Moveline.com,
qui facilite les déménagements
avec des vidéos. Attirées par
« l’attractivité » de l’initiative,
68 start-up ont démarré ici,
ou se sont installées depuis
le lancement, en janvier 2012.
35 petits commerces et près de
600 emplois ont été créés.
Mais une ville, ça n’est pas que
des commerçants, même aux
États-Unis. Le transport a donné
lieu à une initiative spectaculaire,
le Project 100. Il permet le partage
de bicyclettes, de véhicules avec
chauffeur et de 100 Tesla, ces
voitures de demain créées par Elon
Musk et mises à la disposition
du public sur le modèle Zipcar.
Une école privée qui accorde une
grande place aux neurosciences
et à l’entrepreneuriat a été créée.
« On y apprend différemment », dès
le jardin d’enfants.
Tony Hsieh, qui a vendu Zappos
pour plus de 900 millions
de dollars à Amazon, a mis
350 millions dans le projet. Pour
les petits commerces, le fonds
pour les start-up, l’éducation et
l’achat de terrains et d’immeubles.
Le magazine Wired a consacré un
long article au projet en janvier et
se demande comment un individu
peut se lancer dans la revitalisation
d’une ville, une affaire complexe et
sérieuse. Il s’agirait d’un big gamble.
Pas sûr. Tony Hsieh a tout pour
réussir… pas nécessairement là où
on l’attend.
Il joue cartes sur table, mais
celles qu’il montre ne sont
pas nécessairement celles qui
comptent le plus. Avec une partie
de son argent, il donne vie à une
nouvelle communauté innovante
faite de start-up qui échouent
dans 90"% des cas. Avec le reste, il
rachète terrains et immeubles du
centre-ville qui ne valent encore
pas grand-chose. Une valeur plus
sûre, à long terme.
On ne peut que lui souhaiter bonne
chance. Il montre en effet qu’on
peut être riche et prendre des
risques avec une partie importante
de sa fortune. Et surtout, il a
compris que les projets innovants
partent de communautés
innovantes. Son mérite est de
contribuer à les créer en pariant
sur la diversité, la passion
d’entreprendre et une bonne
dose de fun. On peut sans doute y
arriver avec moins d’argent… Q
Révision Colin Porcile.
Iconographie Sandrine Sauvin. Cathy Bonneau.
Infographies ASKmedia.
ACTIONNAIRES
Groupe Hima, Laurent Alexandre,
JCG Medias, SARL Communication Alain
Ribet/SARL, RH Éditions/Denis Lafay.
MANAGEMENT
Vice-président métropoles et régions
Jean-Claude Gallo. Directrice Stratégie et
Développement Aziliz de Veyrinas (73 26).
Directeur pôle Live Média Max Armanet.
Directeur nouveaux médias
Thomas Loignon (73 07).
Conseiller éditorial François Roche.
Abonnements ventes au numéro
Aurélie Cresson (73 17).
Distribution MLP
Cette édition comprend un supplément gratuit,
LA TRIBUNE DE L’AUTOMOBILE.
Imprimeries IPS, ZA du Chant des Oiseaux,
80800 Fouilloy. No de commission paritaire :
0514 C 85607. ISSN : 1277-2380.
26 I
GÉNÉRATION
LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR
RONAN PELLOUX
« L’important,
c’est de
participer »
À 29 ans, le cofondateur de l’agence de design
« crowdsourcé » Creads revendique le fair-play olympien.
Mais il entend bien devenir leader mondial avec sa plateforme, qui fédère déjà 50 000 designers dans le monde.
PAR PERRINE CREQUY
A
vec une telle stature
et ses mouvements
lestes, on se dit que
Ronan Pelloux aurait
pu être basketteur. À
juste titre. Quand il
avait 16 ans, le cofondateur de l’agence de design participative
Creads jouait au niveau national et s’apprêtait à embrasser une carrière professionnelle.
Mais le jour de son match test pour entrer à
l’Asvel, le club de Lyon-Villeurbanne qui
dominait alors le championnat de France,
il ne parvient pas à convaincre. « L’ambiance
était à couteaux tirés entre les joueurs, et savoir
que les examinateurs me notaient chaque fois
que je touchais le ballon était déstabilisant »,
se souvient cet ancien premier de la classe
qui a obtenu son baccalauréat avec un an
d’avance. « J’ai toujours été un gentil », sourit
l’entrepreneur. Aujourd’hui, à 29 ans, il codirige une équipe de 35 salariés, et son agence
de design « crowdsourcé » fédère une communauté de 50"000 designers à travers le
monde. À la suite du fabricant de meubles
Woodeos et de la Fédération française des
voituriers, plus de 2000 clients ont fait appel
à ses concours d’idées pour trouver le logo
ou le nom de leur entreprise. « Pour notre
premier client, nous avons reçu 70 propositions
de graphismes en une semaine. Nous avons
tout de suite compris que notre business model
était le bon. »
« LA PRÉSENCE
DES FEMMES
ME MANQUAIT »
Début avril, Ronan Pelloux a annoncé avoir bouclé une première levée de
fonds pour accélérer le développement
de Creads à l’international, après avoir
ouvert les marchés japonais et espagnol.
Il a convaincu CM-CIC d’investir 3 millions d’euros. Signer un premier deal de
cette envergure en France, c’est un peu
comme marquer un panier du milieu du
terrain : peu commun et remarquable.
Pour autant, Ronan Pelloux n’en fait pas
grand cas. « Depuis la création de Creads
en 2008, nous nous sommes développés sur
fonds propres, car les investisseurs que nous
avions rencontrés ne partageaient ni notre
philosophie ni notre ambition », commente
simplement cet entrepreneur dont on
dit qu’il « aime gagner ». « Ronan est
humble dans la victoire. Il est un homme
droit, fiable, solide. Il est sérieux dans le
travail et il sait faire sortir le meilleur des
gens qui travaillent avec lui, dans une bonne
ambiance », confie Marc Fournier, managing partenaire chez Serena Capital et
directeur scientifique du master « Innover et entreprendre » à l’ESCP.
C’est dans cette formation que Ronan
Pelloux a rencontré son indissociable
associé, Julien Mechin. « Ronan et moi
formons un bon duo, animé par un esprit sportif, estime Julien Mechin. Nous
ne sommes pas toujours d’accord sur les
recrutements à faire ou non, les fonctionnalités à développer, telle ou telle dépense
à engager… Nous en débattons sans jamais
nous disputer. Ainsi, nos choix sont toujours réfléchis. »
Le tandem s’est réparti les domaines
d’expertise : Ronan Pelloux affûte sa
vision et gère la communication, tandis
que Julien Mechin s’occupe de la technique et du design de la plate-forme.
Certes, Ronan Pelloux sait coder lui
aussi. Au lycée déjà, il s’amusait à envoyer des virus sur les écrans d’ordinateur de ses camarades de classe quand
le prof avait le dos tourné. Puis il s’est
fait la main en créant des premières
plates-formes, lors de sa formation à
l’école d’ingénieur ECE. « Quand je repense au design de mon premier site, Bar
à Paris, j’ai honte"! J’avais mis des éclairs
partout… »
Développant des idées à la pelle et au
gré de ses centres d’intérêt du moment,
il passe rapidement à un autre concept
avec Parisat. « Nous voulions géolocaliser les restaurants à Paris et leur attribuer une note, notamment en fonction de
la quantité de nourriture dans l’assiette.
Nous avions développé une plate-forme en
Java, et nous avions demandé une carte
de Paris à l’IGN, qui voulait bien nous la
fournir pour 70"000 euros. Nous n’avions
évidemment pas cette somme. Nous nous
sommes débrouillés en récupérant des
images satellites libres de droits sur Inter-
© MARIE-AMÉLIE JOURNEL
@PerrineCrequy
Zone d’influence : #crowdsourcing, #informatique,
#design, #innovation
net… Le site a tout de suite eu un certain
succès, et Alloresto nous a contactés pour y
afficher une bannière de publicité. J’en étais
tellement heureux que je la leur ai offerte. »
Mais six mois plus tard, Google lançait
Google Maps, rendant Parisat obsolète. « Google Maps proposait une fonction
zoom que nous n’avions pas », relativise
Ronan Pelloux, bon joueur. Son associé
de l’époque, Minh Loïc Hoang-Xuan,
devenu directeur de la stratégie de
Creads, souligne « la capacité de Ronan à
prendre des décisions, et à les assumer quoi
qu’il arrive ».
En 2007, Ronan Pelloux décide d’acquérir des compétences en business.
Il choisira le master « Innover et entreprendre » à l’ESCP. « J’ai hésité un
temps avec un master de marketing. J’avais
envie d’acquérir de nouvelles compétences,
et aussi de sortir de cet univers très mas-
MODE D’EMPLOI
›F“c\i\eZfeki\i6 Dans le quartier
Montorgueil : « Je travaille, je fixe
mes rendez-vous et je réside dans
ce quartier parisien que j’adore. »
›:fdd\ekcÊXYfi[\i6« Je ne
repousse jamais quelqu’un qui vient
me parler. Venez me rencontrer sans
hésiter, je suis gentil ! »
›À„m`k\iÊtre envahissant. « Je
peine toujours à interrompre une
conversation, même quand celle-ci
m’ennuie. Alors, s’il vous plaît, évitez
de me suivre pendant une soirée
entière… » Et ne l’invitez pas
pour un café, il n’en boit jamais.
culin de l’école d’ingénieurs. La présence
de femmes me manquait », sourit-il. À
l’ESCP, il rencontre Arbia Smiti, la fondatrice de Carnet de mode, qu’il a épousée l’été dernier. Il a conçu pour elle un
premier site Internet. Ils réseautent ensemble, en toute discrétion. Il y a un an,
tous deux ont participé à l’édition moscovite du G20 Young Entrepreneurs’
Alliance (YEA). « Ils ont été sélectionnés
indépendamment, chacun pour ses qualités
d’entrepreneur, et c’est au retour du voyage
que nous avons appris qu’ils allaient se
marier », s’étonne Jean-Louis Grégoire,
managing directeur de l’association
Citizen Entrepreneurs et sherpa de la
délégation française du G20 YEA. Ils
participeront en duo à la prochaine édition, à Sydney, de ce forum qui réunit
des entrepreneurs de moins de 40 ans
venus de tous les pays du monde pour
plancher sur des pistes de croissance
qu’ils transmettent aux gouvernements
à l’issue de leurs débats.
« Ronan est toujours souriant, avenant.
Il est force de proposition tout en restant
à l’écoute des propositions des autres. Il se
nourrit de ce qu’on lui dit et partage son
expérience volontiers. » Notamment pour
avertir les aspirants entrepreneurs des
erreurs à ne pas commettre. « Creads
aurait pu mourir au moins dix fois. Autant
permettre à d’autres d’éviter de tomber
dans les mêmes pièges. » Lui-même sait
qu’il lui reste beaucoup à apprendre. Il
a su créer un marché, innover, et son
entreprise a généré 1,3 million d’euros
de chiffre d’affaires en 2013. Mais il a
conscience que la concurrence s’organise outre-Atlantique et que, pour exister durablement, un réseau social de
talents créatifs comme Creads ne peut
être que premier sur son marché. La
compétition ne fait que commencer. Q
TIME LINE
Ronan Pelloux
Janvier 1985
Naissance en
Bourgogne
2000
Basketteur sélectionné
au niveau national
2001
Obtient son bac,
manque sa sélection
pour devenir
basketteur
professionnel à l’Asvel
2007
Diplômé de l’école
d’ingénieur ECE,
enchaîne avec le
master « Innover et
entreprendre » à l’ESCP.
2008
Confonde Creads avec
Julien Mechin
2014
Lève 3 millions d’euros
2016
Ouvre des bureaux
en Allemagne,
au Royaume-Uni,
aux États-Unis,
au Brésil et pourquoi
pas en Russie. Emploie
100 personnes.
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