La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles n°16 octobre 2014 Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques « Dans le Phédon, Platon pose que la construction de la science est la seule vraie réponse que l’on puisse faire à l’opinion (doxa). La mise en œuvre du savoir est en même temps la preuve de sa validité. Le Philodoxe se laisse fasciner par la perception, le philosophe accepte l’idée que connaître, ce n’est pas seulement percevoir, mais également accéder au réel qui n’est pas que perçu… » ASBL 153, boulevard de la Constitution B - 4020 LIÈGE XLIème Colloque des Hôpitaux de jour 11 et 12 octobre 2013 Président Dr Christian MONNEY BREST Centre Thérapeutique de Jour Rue de l’Hôpital, 14 CH-1920 MARTIGNY SUISSE Le travail avec les familles en hôpital de jour Téléphone : 41 (0) 2 77 21 08 00 Télécopie : 41 (0) 2 77 21 08 08 Courriel : [email protected] Secrétariat général Pr Jean BERTRAND Hôpital de jour universitaire “La Clé” Bd de la Constitution, 153 B-4020 LIEGE BELGIQUE Téléphone : 32 (0) 4/342 65 96 – 344 34 91 Télécopie : 32 (0) 4/342 22 15 Courriel : [email protected] Secrétariat français Pr Bernard KABUTH Service de pédopsychiatrie Rue du Morvan 54511 Vandœuvre les Nancy FRANCE Téléphone : 00 33 (0)3 15 45 53 Télécopie : 00 33 (0)3 83 15 45 57 Courriel : [email protected] Secrétariat SUISSE Dr Christian MONNEY courriel : [email protected] URL : www.ghjpsy.be Comité scientifique Docteur P. ALARY Professeur J. BERTRAND Professeur W. BETTSCHART Docteur H. BOOREMANS Madame M.-F. CHARON Docteur J.-Y. COZIC Docteur M.-F. DESSEILLES Docteur Ph. GOOSSENS Docteur Ph. GUIGNARD Monsieur B. HUNZIKER Docteur M. JADOT Docteur G. JONARD Professeur B. KABUTH Monsieur M. KYNDT Madame M.-C. LEFEBVRE Docteur P. LISIN Docteur Ch. MONNEY Monsieur J.-F. PINCHARD Docteur Ch. PLUMECOCQ Madame M. REBOH-SERERO Professeur J.-M. TRIFFAUX © La Pau Liège Crissier Bruxelles Liège Bohars Beaufays Bruxelles Corsier sur Vevey Lausanne Verviers Namur Nancy Verviers Saint-Lô Liège Martigny Liège Lille Lausanne Liège Dans la conception du projet de soins en hôpital de jour, l’alliance avec la famille, partenaire incontournable, doit être recherchée. La prise en charge en hôpital de jour inscrite dans la durée, le plus souvent à distance de la crise, facilite l’installation de cette alliance soit dans le cadre de rencontres individuelles, soit dans celui de groupes de parole qui nous permettent aussi d’exprimer nos limites tant au regard de l’origine des manifestations pathologiques que dans leur résolution. Pour que l’institution hôpital de jour soit thérapeutique les dimensions du transfert et du contretransfert sont l’axe autour duquel les différentes interventions s’articulent. La réflexion, l’élaboration de ces dimensions, permettent de limiter l’écueil de la rivalité ou des projections réciproques entre famille et équipe. S’il est important de donner une place à la famille, il ne faut pas que cela se fasse au détriment de celle du patient qui doit demeurer l’interlocuteur essentiel. Il nous revient, à l’écoute du patient et de sa famille, de discerner qui porte le symptôme, qui en souffre, qui s’en plaint et parfois qui en tire profit. Dans le processus thérapeutique n’est-il pas en effet fréquent d’observer des résistances à ce qui risquerait de bouleverser un fonctionnement familial figé ? Bien souvent, grâce à l’alliance thérapeutique avec la famille, le patient peut évoluer favorablement et la culpabilité des parents se voit allégée. Parfois l’alliance thérapeutique est difficile à installer. Ne faut-il pas alors se garder de conclure hâtivement que les liens familiaux sont trop pathologiques pour envisager des soins ? Les concepts d’aliénation, de séparation-individuation tels qu’ils ont été définis par la psychanalyse éclairent la réflexion qui accompagne le processus de soins ainsi que d’autres modèles théoriques qui depuis plusieurs années enrichissent les réflexions et les pratiques. Le travail avec les familles prend nécessairement en compte les questions que nous venons d’évoquer mais aussi les dimensions sociales et éducatives et ce de façon différente selon qu’il s’agit d’enfants, d’adolescents, d’adultes ou de personnes âgées. Le retentissement que peut avoir au sein d’une famille la présence d’un malade n’aura pas les mêmes effets en fonction de la nature du lien et du degré de parenté. Comment vit-on le fait d’avoir un enfant malade, un conjoint, un membre de la fratrie ou un parent souffrant ? L’approche psychothérapeutique du patient et de sa famille ne trouve-t-elle pas là toute sa place ? Dans plusieurs pays nous assistons à l’adoption de dispositions modifiant le statut de la famille dans les décisions relatives aux soins. Quelles en sont les incidences sur les prises en charge en hôpital de jour ? Il nous faut de plus prendre en compte les profonds remaniements des configurations familiales : familles monoparentales, familles recomposées, familles homoparentales, familles adoptives. Ici, les travaux sociologiques et ethnologiques sur les structures familiales peuvent nous éclairer. C’est à l’ensemble de ces questions que nous vous invitons à réfléchir. Dr Jean-Yves COZIC, psychiatre, Dr Maria SQUILLANTE, pédopsychiatre C.H.R.U. de BREST - Hôpital de BOHARS Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles ISSN 2112-6798 est éditée par Le Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques ASBL – juillet 2014 – Liège BELGIQUE Imprimée par - Perspective Imprimerie 64160 Morlaàs FRANCE Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 1 © La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles ISSN 2112-6798 Le travail avec les familles en hopital de jour .............................................. 1 Dr Jean-Yves COZIC, Dr Maria SQUILLANTE Allocution de bienvenue ................................................................................... 5 Comité de lecture BELGIQUE :Pr J. BERTRAND, Liège Pr M. ANSSEAU, Liège Dr M.-F. DESSEILLES, Beaufays Dr M. JADOT, Verviers Pr J.-M. TRIFFAULT, Liège Dr Jean-Yves COZIC Transmission : allocution d’ouverture du colloque ...................................... 6 Docteur Christian MONNEY L’identification dans le travail avec les familles, réflexion clinique ........ 8 FRANCE : Dr P. ALARY, Pau Dr J.-Y. COZIC, Brest Pr B. KABUTH, Nancy Dr Ch. PLUMECOCQ, Lille SUISSE : SOMMAIRE Professeur Alain MALCHAIR De la famille cabossée à la famille suffisamment bonne ........................... 12 Dresse Alessandra DUC MARWOOD Pr W. BETTSCHART, Crissier Dr Ph. GUIGNARD, Corsier sur Vevey Dr Ch. MONNEY, Martigny Soins en hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : évolution des pratiques et des relations avec les familles ......................... 17 Professeur Jean-Philippe RAYNAUD Rédacteur en chef de la Revue Portraits de famille : L’accompagnement des familles par le Centre Ressource “Famille & troubles psychotiques” ............................................. 21 Dr Patrick ALARY, Pau David LEVOYER, Laurence RENOUX Le travail avec les familles, entre mythe et réalite sociale ........................ 25 Dr Alice MUSELLE, Mireille CLOSE, Pr Jean-Marc TRIFFAUX Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles n° 16 La famille s’agrandit...................................................................................... 32 Annie DELAETERE-BRULOIS, Fabian GILLE, Geneviève JADOUL, Betty LUST ISSN 2112-6798 Wanted : famille idéale .................................................................................. 38 octobre 2014 Dr Arménio BARATA, Dr Léonie DOBLER, Dr Gilles SIMON, Jeanine GLAUS, Delphine SCHLUMPF Rédacteur en chef adjoint pour ce volume Soins aux familles : sens, portage, pilotage................................................. 45 Arthur DELEPINE, Jennifer GILSON, Philippe KINOO, Marguerite VAN DEN BERGH Dr Jean-Yves COZIC, Brest Histoire de famille ou le lien familial revisité de façon ludique… .......... 51 Organisation locale du colloque Responsables : Jean-Yves COZIC Maria SQUILLANTE Jacques CIROLO Sophie LE BORGNE C.H.R.U. de BREST Hôpital de BOHARS 29820 BOHARS FRANCE téléphone : 33(0)2 98 01 51 09 [email protected] Secrétariat pour ce numéro de la Revue Dr Eugène BAJYANA SONGA, Ameline DE SCHRYVER, Gwendolyn HUSTINX 75 ans d’internat thérapeutique à Lausanne : contre vents et marées ?.. 55 Hélène CHAPPUIS, Alix VANN-NICOLLIER, Christophe SUARNET, Laurence BOURIEZ, Laurent PORTENSEIGNE Famille je t’hais-M .......................................................................................... 62 Marie-Olive CHAPUIS, Fiona PARMENTIER, Paulina REQUENA, Jamel BRAHIM Mes enfants, ma maladie et moi .................................................................... 66 Sophie CORNET, Elodie SPOTTO, Xavier DE LONGUEVILLE Les proches aidants : une consultation au fil du temps ............................ 71 Sylvie CAJOT, Virginie DE VEVEY, Jean BIGONI, Patricia BUTHEY Maryse PICHON, Brest Métamorphose d’un vilain petit canard : traitements parallèles mèreLes numéros antérieurs peuvent être commandés au secrétariat enfants .............................................................................................................. 75 général du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques Sophie LESEULTRE, Jean-Paul LECLERCQ sous réserve de leur disponibilité. Tous droits de reproduction strictement réservés. Hôpital de jour, grande famille ?.................................................................. 81 Toute reproduction d’article à des fins de vente, de location, de publicité ou de promotion est réservée au Groupement des Dr Laurent HOLZER, M. Frédéric LAMBELET, Mme Aurélia MONNEY Hôpitaux de Jour Psychiatriques. La thérapie familiale dans l’institution et l’institution dans la thérapie Toute reproduction d’article dans un autre support (papier, internet, etc.) est interdite sans l’autorisation préalable de la familiale ........................................................................................................... 87 rédaction de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et Paul ASTRE, Brigitte KAMMERER, Annie MANDROU des Thérapies Institutionnelles. Les articles sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs. Christopher, Juliette : rencontres avec l’autisme ....................................... 92 Dr Jacques CIROLO, Michèle CREVEUIL, Johann DREVILLON Pour un accompagnement précoce des familles à l’hôpital de jour géronto-psychiatrique dans le contexte de troubles cognitifs émergents 97 Sophie LE BORGNE, Marie-Hélène TRITSCHLER-LE MAITRE, Olivia BREMOND, Catherine CHARLES, Yann CRAMONE, Brigitte LE LAY Travailler avec les familles en présence des patients : les séances infofamilles dans le cadre d’ateliers psycho-éducatifs ................................... 102 Christelle LEJEUNE et Christiane KEMPENEERS 2 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Sommaire Quel cadre pour la rencontre avec les familles ? ...................................... 105 Muriel REBOH SERERO, Vanessa VEZ De l’information des familles à la transformation des pratiques .......... 108 Muriel EXBRAYAT, Viviane LOMBART, Latifa MACHKOURI Parents hésitants face au “STIGMA”, comment les faire venir ? ............ 111 Olga SIDIROPOULOU, Françoise BONOMI- LAGE, Véronique DELETROZ Place de la famille d’une personne âgée dans la prise en soins : un équilibre parfois difficile entre la demande du patient, ses besoins et ceux de la famille .......................................................................................... 117 Isis VAN DE MAELE, Dr Anne LOTT Création d’un nouveau programme de jour : dispositif et enjeux du travail avec les familles ............................................................................... 122 Nathalie BERGEON, Camille BESANCON-CHENE, Yvan BESSARD, Dr Jean-Pierre BACCHETTA Corps et familles : la maladie comme un moment significatif d’une histoire ........................................................................................................... 127 Christelle MEKUI, Michèle CHARTRIN, Laura FRAMBATI, Karine PIEMONTESI, Karinne PLUCHART, Moïra RODRIGUEZ, Eric VERGER, Kerstin WEEK-ENDBER, Alessandra CANUTO Synthèse du Colloque .................................................................................... 131 Bernard HUNZIKER « Le dieu qu’on nomme liberté » : anorexies et addictions ....................... 133 Docteur Patrick ALARY XLIème colloque des hôpitaux de jour psychiatriques au-delà du symptôme… La porte du soin en hôpital de jour....................................... 144 Dr Xavier De LONGUEVILLE Le Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques ... …………………..145 La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles…146 Bulletin de demande d’adhésion ................................................................. 147 Bulletin de renouvellement d’adhésion...................................................... 148 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 3 La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles Déjà parues n° 1 : Entre idéal thérapeutique et réalité(s) économique(s) : quel avenir pour les hôpitaux de jour ?, Martigny, 1999 n° 2 : Violences et hôpital de jour, Nancy, 2000 n° 3 : Place, magie et réalité du médicament à l’hôpital de jour pour enfants, adolescents et adultes, Namur, 2001 n° 4 : Comprendre et (re)construire à partir de l’hôpital de jour, Brest, 2002 n° 5 : Évolution des structures de soins : rivalité ou partenariat ?, Montreux, 2003 n° 6 : Actualités des psychothérapies institutionnelles pour l’hôpital de jour ?, Lille, 2004 n° 7 : Quels projets aujourd’hui pour l’hôpital de jour... de demain ?, Liège, 2005 n° 8 : Sorties, à quelles adresses ?, Grenoble, 2006 n° 9 : diversite-hyperspecificite@hôpital de jour psy.lu, Luxembourg, 2007 n° 10 : Entre bouée et corset : devenirs de l’étayage à l’hôpital de jour, Champéry, 2008 n° 11 : Dépendances - d’une autonomie à l’autre, le risque de l’altérité, Bruxelles, 2009 n° 12 : Du sexe à l’hôpital de jour : place du pulsionnel dans la vie institutionnelle, Nancy, 2010 n° 13 : Émotions, résonance émotionnelle et hôpital de jour, Verviers, 2011 n° 14 : Dessine-moi un mouton… Cadre, permanence et temporalité à l’hôpital de jour, Saint Lô, 2012 n° 15 : Le modèle dans tous ses états, Lausanne, 2013 n° 16 : Le travail avec les familles en hôpital de jour, Brest, 2014 4 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 ALLOCUTION DE BIENVENUE C.H.R.U. de BREST Hôpital Psychiatrique de BOHARS 29820 BOHARS FRANCE [email protected] Monsieur le Maire, Monsieur le Directeur Général, Monsieur le Président et Cher Christian, Monsieur le Chef de Pôle et Cher Michel, Monsieur les Présidents d’Honneur du Groupement, Mesdames, Messieurs, Au nom de toute l’équipe qui a préparé le colloque, je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue et un bon séjour à Brest. Le travail avec les familles en hôpital de jour, tel est le titre et le thème auquel nous avons décidé de vous proposer de réfléchir. Si je repense à l’attitude à l’égard des familles lorsque j’ai commencé mon internat, au siècle dernier il est vrai, je me dis que les choses ont évolué. Dans les années 80 encore, excepté pour ceux qui étaient d’orientation systémique, les familles étaient souvent tenues à l’écart comme si leur présence risquait de porter atteinte à l’asepsie du champ institutionnel. Parfois même on parlait de famille pathogène, il est vrai qu’il en existe quelques-unes. Depuis nous avons appris, volens nolens, à donner aux familles de nos patients une plus juste place. Dans la prise en charge en hôpital Dr Jean-Yves COZIC Psychiatre hospitalier – Chef de Secteur de jour, l’alliance avec la famille doit toujours être recherchée et c’est sans doute moins difficile que dans un service d’aigus car l’on dispose de temps, d’une part, et que le patient, du moins dans la plupart des hôpitaux de jour à la française, est le plus souvent à distance de la crise d’autre part. Bien entendu, il n’est pas question de sombrer dans l’angélisme et de dire que tout cela est simple. Je crois qu’il est aussi essentiel que le patient demeure l’interlocuteur privilégié des soignants qui doivent s’employer à ce que l’entourage familial ne prenne pas la place du sujet en soins, ne parle pas non plus à sa place. Comme nous l’écrivions dans l’argument du colloque, il nous revient, à l’écoute du patient et de sa famille, de discerner qui porte le symptôme, qui en souffre, qui s’en plaint et, parfois, qui en tire profit. Je continue à penser aussi que pour que des soins en hôpital de jour soient efficients, les dimensions du transfert et du contre-transfert sont incontournables et que l’analyse de ces deux dimensions permet d’éviter que ne s’installent durablement et ne s’amplifient les rivalités entre famille et équipe ; cela permet aussi de lutter contre des résistances inconscientes voire pré-conscientes à ce qui risquerait de provoquer des bouleversements d’un fonctionnement familial habituel. Bien entendu le travail avec les familles prend aussi en compte des dimensions sociales et éducatives et ce de manière différente selon les âges de la vie, qu’il s’agisse d’enfants, d’adolescents, d’adultes ou de vieillards. Nous assistons actuellement dans plusieurs pays européens à l’adoption de dispositions modifiant le statut de la famille dans les décisions relatives aux soins. Ceci a des incidences sur les prises en charge en hôpital de jour. Nous assistons également à des modifications profondes des structures familiales avec les familles monoparentales, les familles recomposées, les familles homoparentales et, depuis plus longtemps, les familles adoptives. C’est souvent l’alliance thérapeutique avec la famille qui fait que le patient peut évoluer vers l’apaisement de sa souffrance mais aussi que la famille éprouver moins de culpabilité. Voilà quelques pistes auxquelles je vais me limiter pour l’instant car nous n’allons pas conclure le colloque avant qu’il n’ait vraiment débuté ! Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 5 TRANSMISSION… ALLOCUTION D’OUVERTURE DU COLLOQUE Centre Thérapeutique de Jour Rue de l’Hôpital, 14 CH 1920 MARTIGNY SUISSE [email protected] Chers Amis, « Le modèle dans tous ses états », thème du colloque de l’année dernière à Lausanne, avait donné quelques frissons à l’équipe lausannoise lors de sa préparation en raison des risques d’affrontements que pourraient susciter des confrontations théoriques d’horizons divers. En réalité il n’en fut rien et les échanges fructueux et riches se sont déroulés, comme c’est du reste devenu la tradition de notre Groupement, de façon conviviale et en parfaite harmonie… peut-être du fait que nous nous trouvions sur les rives paisibles du Lac Léman… Pourtant les rives du lac n’avaient pas toujours été aussi calmes ! Pour celles et ceux qui s’en souviennent, le premier colloque à Lausanne -qui était du reste le premier à se tenir en SUISSE- avait eu lieu les 7 et 8 octobre 1983 sur le thème : « Les hôpitaux de jour et leurs modalités de travail thérapeutique avec les familles ». Deux conférences principales étaient la tradition il y a 30 ans. Quelle aubaine pour mettre en tension les courants théoriques qui s’affrontaient à l’époque de façon bien moins aimable dans et entre les institutions ! C’était en effet la période de l’éclosion des théories systémiques en Europe, issues en particulier de l’école dite de Palo Alto, qui venait heurter -et le mot est faible- les habitudes psychanalytiques. C’était donc bien courageux de la part des organisateurs de l’époque de lancer ce thème pour la “première sortie” du Groupement “à l’étranger”, comme la Dresse Marie-Hélène Fankhauser, alors médecin-chef du Centre de Traitement Psychiatrique de Jour de Lausanne, avait qualifié ce colloque. Le Dr Daniel Masson, qui avait été le premier médecin-chef du Centre de Traitement Psychiatrique de Jour de Lausanne -et qui vous fait ses amitiés au passage-, systémicien déjà chevronné à l’époque, avait donné l’éclairage systémique par la première conférence qui avait pour titre : « Des familles, pourquoi ? » (en un mot !). Ce sont le Prof. Pierre Geissmann et le Dr Claudine Geissmann de l’Hôpital de Jour “Les Pins Verts” de Bordeaux qui appor- 6 Docteur Christian MONNEY Psychiatre hospitalier, Président du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques tèrent l’éclairage psychanalytique avec leur conférence : « Psychothérapie des familles des psychotiques traités en hôpitaux de jour : considérations cliniques et psychanalytiques ». La meilleure façon de vous donner un aperçu de l’ambiance de l’époque est de vous livrer quelques extraits de la superbe synthèse du colloque effectuée par le Dr Jean-Pierre Delisle, à l’époque chef de service au Centre hospitalier Spécialisé de Châlons-sur-Marne (Secteur Reims 2). Je cite : « … en réfléchissant à une possible synthèse entre les conférences introductives, je me suis rendu compte que cela était impossible. Et j’avancerais même qu’elles soutiennent des positions qui sont inconciliables, mais non opposables. Vous avez reconnu ici une partie de la définition du paradoxe telle que Racamier a pu la proposer. Non opposables, et c’est ce qu’ont tenté de faire au cours de la discussion qui a suivi les exposés, leurs auteurs ; sans succès, puisque les seuls points de conciliation étaient extrêmement partiels et uniquement pratiques. » Plus loin : « Venons-en donc aux modalités, en hôpital de jour, du travail thérapeutique avec des familles. « Ces modalités posent d’emblée la question de l’organisation de la structure d’une interface : celle qui existe nécessairement entre l’espace intra-institutionnel et l’espace extra-institutionnel, dont fait partie la famille. « Mais dès lors, en hôpital de jour, à quel espace le patient appartient-il ? Aux deux apparemment, mais est-ce possible ? « On voit tout de suite que cette question d’appartenance à un espace est conflictuelle : le fait même qu’un patient entre dans l’institution crée un conflit d’appartenance entre ces deux espaces intra et extra-institutionnels. » Plus loin enfin, en paraphrasant Racamier en conclusion de la synthèse : « Une heure peut suffire pour comprendre une famille de psychotiques, mais il faut plus de 20 ans pour s’apercevoir qu’on n’y comprend pas grand-chose ou, pour le dire autrement, ce qui compte n’est pas notre savoir, mais ce qui nous reste à apprendre », fin de citation. A côté de la virulence des passes d’armes qui pouvaient avoir lieu à l’époque au sein ou entre les institutions entre les protagonistes des camps retranchés de ces appartenances théoriques, les échanges qui avaient eu lieu lors de ce colloque étaient presque agréables ! Ce qui dénote bien l’esprit d’ouverture et de convivialité qui a régné dès les origines du Groupement et ceci malgré des divergences de vues parfois profondes. Depuis lors une autre voie psychothérapeutique a pris son essor, venant jouer les trublions dans l’establishment amourhaine théorique établi : cette voie est bien entendu celle des approches cognitivocomportementales. Il en a été question pour la première fois de façon approfondie dans notre Groupement lors du colloque de Luxembourg en 2006. Au fil des années, la psychothérapie est ainsi devenue une sorte de ménage à trois, au point qu’afin de tenter d’y mettre de l’ordre – du moins pour la SUISSE, qui aime l’ordre comme vous le savez -les organes de certification des formations médicales ont décidé depuis environ une dizaine d’années que les médecins candidats au titre de spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (titre encore double et indivisible en SUISSE, avec une formation spécifique dans les deux domaines) devaient choisir un axe psychothérapique préférentiel parmi les trois reconnus au cours de leur 3ème année de formation post-graduée après que l’examen théorique de spécialiste ait été réussi. De ce fait nous trouvons dans pratiquement toutes nos équipes travaillant en hôpital de jour des médecins se formant ou ayant été formés dans les trois axes, ce qui est indéniablement un enrichissement, mais ne manque pas de complexifier le travail des équipes soignantes… Personnellement, j’ai encore eu le privilège de me former en parallèle dans les approches psychanalytique et écosystémique puis de prendre le train des approches cognitivo-comportementales en route. C’est très certainement grâce à l’enseignement et à l’expérience du Professeur Ivan Boszormenyi-Nagy que je n’ai pas fait un melting-pot des différents concepts théoriques en veillant en permanence à bien être attentif aux lunettes que je porte et en le précisant avec les équipes que je côtoie. Dans mon expérience de Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Transmission : allocution d’ouverture du Colloque cette dernière décennie, et compte tenu des modifications intervenues dans le cursus de formation de nos futurs psychiatres-psychothérapeutes que j’ai évoquées, le plus difficile a sans conteste été de faire comprendre que voir une famille n’implique pas une formation écosystémique ni ne veut dire qu’on doit la prendre en thérapie ! C’est toute la différence entre une thérapie familiale au sens strict et un accompagnement thérapeutique des familles des patients dont nous avons la responsabilité de la prise en soins… Ainsi, après que le thème des modèles ait été abordé sous divers angles l’année dernière de façon passionnante et enrichissante, le fait que nos amis Bretons Anne Abiven, Françoise Cam, Jacques Cirolo, Jean-Yves Cozic, Maria Squillante, Johann Drevillon, Isabelle Jeannes, Sophie Le Borgne, Maryse Pichon et Éric Roudaut se soient dits qu’il était temps de venir revisiter la façon d’aborder les familles dans nos pratiques en hôpital de jour me réjouit personnellement beaucoup et je leur en suis très reconnaissant au nom du comité scientifique du Groupement. Bien d’autres changements se sont produits durant les 30 dernières années dans nos sociétés y compris, et en particulier, dans nos organisations familiales. Nous avons de plus en plus à composer avec des familles recomposées ou monoparentales, sans omettre les aspects multiculturels et les problèmes de migrations qui viennent souvent compliquer notre travail dans un premier temps par les aspects linguistiques puis par les questions d’intégration ou d’appropriation. Ces questions nous rapprochent également de celles de l’adoption en passant par celles des secrets de famille potentiellement trahis ou explosés par des interventions extérieures intempestives non réfléchies, ni prévisibles ni imaginables il y a 30 ans, tels des tests ADN sauvages par exemple, venant chambouler les certitudes de filiations en cassant toute possibilité de fantasmatisation par une irruption inappropriée d’une forme de réalité, parfois démentie par la suite… Sans compter que le recours à la soi-disante science ou à internet vient encore compliquer le tout… Mais je m’aventure là sur un terrain dans lequel les hôpitaux de jour n’ont pas le monopole des soucis !!! Je crois que pour la première fois de son histoire, notre colloque aura pour ses conférences plénières une teinte davantage pédopsychiatrique. Je le vois personnellement comme un enrichissement, une façon de remonter aux origines, de prendre un peu plus de temps qu’habituellement pour s’intéresser aux fondements de la famille par un chemin qui ne préjuge pas des modèles théoriques. Pour ma part, j’ai toujours regretté de ne pas avoir pris suffisamment de temps, durant ma formation, pour m’intéresser aux premières années de développement de façon clinique. Je suis persuadé que vous ne nous en voudrez pas d’avoir fait cette exception, d’autant que la richesse et la diversité des ateliers proposés cette année encore vous comblera, j’en suis certain, par une multitude d’échanges fructueux d’expériences et de pratiques. Je tiens donc à remercier très chaleureusement nos amis Bretons pour ce magnifique programme et de nous donner à nouveau l’occasion, tant physiquement que symboliquement, de porter notre regard à l’horizon sur l’océan, 12 ans après notre dernière visite. Je vous souhaite un excellent et agréable colloque ! BIBLIOGRAPHIE 1. DELISLE J.-P., Synthèse, XIèmes Journées des Hôpitaux de Jour, Lausanne, 1983, 87-95 2. BOSZORMENYI-NAGY I., Invisible Loyalties, Brunner/Mazel, 1984 3. HEIREMAN M., Du côté de chez soi – La thérapie contextuelle d’Ivan BoszormenyiNagy, Esf Editeur, 1989 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 7 L’IDENTIFICATION DANS LE TRAVAIL AVEC LES FAMILLES, RÉFLEXION CLINIQUE Centre de Santé Mentale Enfants-Parents Rue Lambert-le-Bègue, 16 B4000 LIEGE BELGIQUE [email protected] Professeur Alain MALCHAIR Psychiatrie infanto-juvénile – Université de Liège Le travail avec les familles est indispensable en pédopsychiatrie, qu’il s’agisse de thérapie familiale ou d’accompagnement familial. Dans cette communication, nous réfléchissons à la place de l’identification projective dans toute rencontre thérapeutique avec une famille en souffrance, sur base d’un travail clinique avec des parents dont un des enfants est handicapé par le syndrome de Prader Willi. Actuellement, l’identification projective est considérée comme un mécanisme normal et important du fonctionnement des parents et des thérapeutes. La clinique du handicap nous montre la grande difficulté des parents à entrer dans ce processus lorsque leur enfant réel est si loin de l’enfant attendu. Mots-clefs : Travail familial, identification projective, handicap, Prader-Willi Identification in work with families, clinical thinking Working with families is essential in child psychiatry, whether family therapy or family counselling. In this paper, we consider instead of projective identification in any therapeutic encounter with a family in distress, based on clinical work with parents whose a child is infected with Prader Willi syndrome. Currently, projective identification is considered a normal and important mechanism functioning as parents and therapists. Clinical disability shows the great difficulty of parents to enter into this process when their real child is so far from the expected child. Keywords: family work, projective identification, disability, Prader-Willi INTRODUCTION Le travail avec les familles est indispensable en pédopsychiatrie, qu’il s’agisse de thérapie familiale proprement dite ou d’accompagnement familial au sens large et que le référentiel théorique soit d’ordre systémique ou psychodynamique. La présente communication a pour objectif de réfléchir à la place de l’identification projective dans toute rencontre thérapeutique avec une famille en souffrance, sur base d’un travail clinique avec des parents dont un des enfants est gravement handicapé, s’agissant d’un syndrome de Prader-Willi. Deux questions vont nous accompagner : -Suis-je à chaque moment dans un travail psychothérapeutique et sur quoi est-il fondé ? -Qu’est ce qui nourrit le mécanisme d’identification projective dans cette situation ? Cette notion d’identification projective -ô combien classique- subit une profonde évolution depuis son introduction princeps par Mélanie Klein en 1946. Elle s’est notamment étendue à l’analyse du travail psychothérapeutique comme mécanisme contre-transférentiel central. Comme nous le verrons dans la description clinique, nous sommes confrontés à l’identification projective des parents à l’égard de leurs enfants, mais aussi celle 8 qui nous relie à chaque parent et à l’enfant. Nous précisons “chaque” parent car la présentation fréquente “des” parents ne signifie rien ici, le mécanisme s’appliquant différemment dans notre relation à chaque personnalité. Parler de contre-transfert suppose par définition une réflexion sur notre implication personnelle au-delà de la neutralité bienveillante classique. Je préfère l’idée d’une “gestion professionnelle des émotions” qui repose, en direct, sur l’analyse et l’explicitation aux patients de notre travail d’identification. Une précaution s’impose à ce stade, à propos de cette implication personnelle, à la fois dans le travail clinique en général et la présente réflexion: il s’agit de ma manière de travailler, utilisant des notions classiques de façon non classique, dans une “boîte à outils” clinique. Je demande donc l’éventuelle indulgence du lecteur. UNE PSYCHOTHÉRAPIE ? Dans un article de 2007, consacré une psychothérapie mère/bébé, G. Diatkine répond à B. Golse s’interrogeant sur les possibilités de parler d’une psychothérapie psychanalytique avant que le patient n’ait acquis le langage. Ce qu’il nomme le « minimum requis » pour un bébé me paraît convenir parfaitement à la situation d’un enfant gravement handicapé. Pour G. Diatkine, « il faut qu’il ait au moins, du côté du patient, un enchaînement d’événements qui fasse sens pour l’analyste et du côté de l’analyste, une activité interprétative tels que ces événements donnent un sens après coup à des évènements antérieurs, puis à nouveau du côté du patient, un changement de régime associatif qui confirme l’interprétation en l’enrichissant ». Nous verrons que c’est exactement ce qui se passe dans notre exemple clinique, lorsque l’enfant entendant une interprétation de sa relation conflictuelle avec sa mère, va radicalement modifier son comportement, bouleversant l’interaction affective entre elle. Dès lors, citons encore Diatkine: « la réponse ou l’absence de réponse du patient reste le seul gage de l’exactitude de l’interprétation chez le nourrisson comme chez l’enfant qui utilise le langage. Un bébé ne va pas répondre par “oui” ou par “non”, mais sa production prélangagière va se modifier, son interaction à l’adulte va s’enrichir… » Il me paraît essentiel d’accorder aux enfants handicapés la capacité de nous entendre, de nous comprendre, et d’interagir en conséquence, si nous accueillons en nous leur vécu inconscient. L’IDENTIFICATION PROJECTIVE La définition classique proposée par Laplanche et Pontalis (1967,1997) dans le Vocabulaire de la Psychanalyse est, pour rappel : « Terme introduit par Mélanie Klein pour désigner un mécanisme qui se traduit par des fantasmes où le sujet introduit sa propre personne en totalité ou en partie à l’intérieur de l’objet, pour lui nuire, le posséder et le contrôler ». L’identification projective présente donc un couple de termes associés au sens où il s’agit d’une modalité de la projection, mais aussi d’une identification puisque c’est la personne ou une partie d’ellemême (ses mauvais objets clivés par exemple) qui est projetée. Il s’agit de désigner « une forme particulière d’identification qui établit le prototype d’une relation d’objet agressive ». Bion (1966), et à sa suite Meltzer (1980), vont faire évoluer considérablement cette notion pour en élargir le champ bien au- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 L’identification dans le travail avec les familles, réflexion clinique delà de la dimension agressive, et l’intégrer comme élément essentiel de la communication, singulièrement pour le bébé et le patient, ce qui nous concerne précisément ici. On parlera alors d’identification projective normale et identification projective pathologique. Ainsi Meltzer, s’appuyant sur Bion, écritil en 1984: « Lorsque le bébé - ou le patient - se trouve dans un état de confusion et d’incapacité à penser au sujet de l’expérience émotionnelle qu’il est en train de vivre, il clive et projette cette partie de lui-même qui se trouve dans un état chaotique et confus. « En recevant cette partie de la personnalité du bébé - ou du patient - qui se trouve en état de détresse et de chaos, la mère ou le thérapeute - contient cette partie et, avec ce que Bion a appelé "rêverie" commence le processus de formation de symboles et de la pensée. A certain point de ce processus, le bébé -ou le patientdevient alors capable de réintégrer cette partie de lui-même et de poursuivre le processus de pensée ». Dans cette perspective, Bion évoque un travail de « détoxification » et nous verrons combien la maman de notre exemple peut être sensible à ce travail, mais avec quelle difficulté ! Si nous poursuivons notre regard sur l’évolution historique de l’identification projective, nous rencontrons Cramer et Palacio Espasa (1993) qui en parlent comme d’un « mécanisme naturel du fonctionnement parental » et ils précisent « entre les différentes fonctions décrites chez les parents et notamment chez la mère, contribuant à la structuration et au développement psychique chez l’enfant, la “fonction d’identification” par la mère tient ici une place essentielle. La mère commence à “identifier” à partir de ce qui lui est connu -ses objets internes et les aspects d’elle-même en tant qu’enfant- ce que le bébé représente d’étranger et d’énigmatique ». Nous verrons, dans les petits scénarios fictifs proposés plus loin combien cette réflexion est utile pour la compréhension de l’identification projective “positive”. Rapprochons nous davantage encore de la clinique des familles, A. Ciccone nous présente comme quasi incontournable une réflexion et un usage de l’identification projective (1997 et 2013 ; 1999 et 2012) en affirmant « Je considère l’identification projective comme une modalité centrale d’interaction psychique constitutive de toutes transactions intersubjectives produisant une transmission inconsciente ». Dans la Transmission Psychique Inconsciente, il nous livre un remarquable chapitre sur la Clinique du Handicap que nous évoquerons plus loin, notamment à propos de « l’empiètement imagoïque ». Enfin, plus récemment, dans le Divan Familial en 2011, A. Rissone s’appuie sur les réflexions de Ciccone pour expliquer « L’identification projective apparaît encore aujourd’hui comme un concept riche et fécond en raison de sa double fonction de mécanisme de défense et de vecteur de communication. Elle permet de se débarrasser de sentiments déplaisants, de contrôler certains aspects du psychisme de l’autre, d’éviter la séparation, les sentiments de dépendance et de perte, de colère et d’envie, elle permet aussi la communication et l’empathie. « Ce deuxième aspect implique un caractère communicatif intersubjectif et dans la réalité (le patient fait quelque chose à l’analyste et l’analyste fait quelque chose au patient) ». Ces différents apports théoriques, chacun largement illustré par la clinique de leurs auteurs, nous permettent à présent de nous interroger sur notre propre pratique et d’analyser comment ils peuvent l’enrichir. Le but essentiel me paraît être de “débloquer” certaines situations familiales lorsque les membres en sont enfermés dans une impasse de pensée qui répète à l’infini le conflit, et la souffrance qui en résulte. La souffrance face au handicap d’un enfant est particulièrement illustrative d’un tel blocage. DE LA PÉDAGOGIE PAR SCÉNARIO ? Afin d’illustrer de façon sans doute quelque peu caricaturale les concepts évoqués jusqu’ici, ainsi que leur implication clinique, je propose ci-dessous plusieurs scénarios fictifs qui leur correspondent. La projection Je lui en veux, Non ce n’est pas moi qui lui en veux, c’est lui qui m’en veut, Donc je peux lui en vouloir. L’identification projective de base Je ne m’aime pas, je me sens très agressif, Non, c’est lui qui ne m’aime pas et qui est agressif, Donc je ne l’aime pas et j’ai le droit d’être agressif envers lui. Relation parents-enfant Identification projective annexante C’est mon enfant, Je sais ce qui est bon pour moi, et donc ce qui est bon pour lui, Il doit être comme je veux, Je vais ainsi être un bon parent. Identification projective expulsante Je n’étais pas méchant, j’étais gentil, Mes parents étaient bien injustes d’être méchants avec moi. Mais mon enfant, lui, il est méchant, Et moi, je suis juste de le punir. Je dois le faire pour me protéger, sinon il va me détruire comme mes parents m’ont détruit Identification projective annexante et expulsante Je suis un bon parent comme j’ai été un bon enfant, Je sais ce qui est bon pour moi, donc ce qui est bon pour mon enfant. Il sera (bon) comme je le veux, et je serai un bon parent. Mais il n’est pas comme je veux, donc il est méchant. Mes parents étaient injustes parce qu’ils croyaient que j’étais méchant, J’aurais pu (voulu) les détruire de me traiter comme ça, Je dois me fâcher sur mon enfant qui est vraiment méchant, lui, sinon il va me détruire. Scénario positif Identification projective externalisante Je m’aime comme bonne mère (et j’ai été un bon enfant aimé de ses parents), Il m’aime comme bonne mère, Je l’aime comme mon enfant. Autre scénario positif Il est comme moi, je connais ses besoins, Il me le signifie, je le vois bien, Je vais y répondre. Et encore Mon enfant est en plein désarroi, Je le sens, c’est mon enfant, Je vais l’apaiser, Et il va à nouveau jouer (penser!) Remplaçons à présent enfant par patient dans ces scénarios positifs, et nous arrivons à notre travail thérapeutique, et à notre sujet ! SITUATION CLINIQUE a. Anamnèse et premier entretien Les parents de Florence (8 ans et demi) me sont envoyés par la pédiatre endocrinologue qui suit cette famille pour un syndrome de Prader-Willi. Le problème particulier vient de ce que, contrairement à la règle de l’hyperphagie, Florence est quasi anorexique et présente un retard staturopondéral marqué. Florence est une petite fille plutôt souriante, légèrement dysmorphique. Elle ne parle pas, sauf quelques onomatopées comprises par les parents. Par contre, elle s’explique par gestes de désignation et d’approbation/refus ainsi que par rappro- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 9 Le travail avec les familles en hôpital de jour chement physique (réassurance, câlin ou petit coup). Elle obéit plus ou moins. Le retard intellectuel est plus sérieux que la règle... Fait particulier, elle est “scotchée” à son père, chaque comportement exploratoire se terminant par le rapprochement physique avec ce dernier qui se montre assez neutre dans son attitude. Dès le premier entretien, la maman évoque cette situation qui l’interpelle bien davantage que l’anorexie : le papa est tout, elle n’est rien ; plus encore elle est comme le frère ainé (11), la cible d’une grande agressivité de Florence (frapper, mordre, etc, …). Ce problème va occuper l’ensemble des entretiens. La maman exprime la plus grande souffrance à ce propos ; elle pleure, ne comprenant pas le pourquoi de cette hostilité. Le papa opine sans guère parler : il n’en peut rien, ne veut pas ça. Le pire est quand il part car alors, Florence hurle, se roule par terre, trépigne … sans pouvoir être calmée. Le couple est clairement en difficulté. La maman a fait une grave dépression à l’annonce du diagnostic, avec une tentative de suicide ; cette annonce a eu lieu environ un mois après la naissance, ce qui correspondrait au début des troubles de Florence (?, un peu tôt sans doute, mais c’est le scénario familial). Sa culpabilité est absolue. Les interrogeant sur la responsabilité génétique du papa, les parents m’expliquent savoir que l’anomalie vient de lui, et cela très vite après l’annonce. Syndrome de Prader-Willi Maladie génétique rare liée à une anomalie du chromosome 15, entraînant un dysfonctionnement de l’hypothalamus. Cliniquement, les symptômes majeurs sont: - hypotonie néonatale sévère, - hyperphagie majeure avec développement fréquent d’une obésité morbide, - retard psychomoteur, - déficience intellectuelle légère à modérée, - hypogonadisme - troubles divers du comportement, tels que, humeur variable, contrôle difficile des émotions, entêtement… Etiologie Problème (surtout absence) au niveau d’une région du chromosome 15 paternel, par 3 mécanismes possibles, - 70% impliquant uniquement le père, - 20% impliquant les deux parents, - 5% par non expression de cette ré- 10 gion En “scientifique”, comme il se décrit luimême, le papa sait qu’il n’en peut rien ; il ne se montre pas rigide (mais peu actif) en expliquant qu’il voudrait que sa femme soit moins malheureuse. Pendant ce temps, Florence a des mouvements positifs envers sa mère, repart, revient… Si celle-ci l’accueille avec réticence, elle manifeste cependant une réelle envie de se laisser aller à accepter ces mouvements. Nous avons affaire à une quasi concordance chronologique qui s’établit dans l’enchainement suivant : annonce du diagnostic, effondrement dépressif de la maman, responsabilité du papa, trouble du comportement de Florence. Vu le contexte empathique installé (Florence toujours près de sa maman), je leur propose une hypothèse que je leur qualifie d’“un peu folle” qu’ils peuvent rejeter mais que je crois plausible. Cette hypothèse repose sur une triple identification, à chaque parent, et aussi à Florence, et elle est basée tant sur mon analyse directe de la situation que, sans doute, sur mes propres modèles internes. L’annonce du diagnostic a provoqué l’effondrement dépressif de la maman qui, “comme toutes les mamans”, se sent coupable de ce qui arrive à son enfant, même si elle n’en est pas responsable ; spécialement ici, c’est le papa qui est responsable (mais pas coupable) du problème génétique et du handicap de sa fille ; de ce fait il est pourtant aussi “responsable” de la grave dépression de son épouse. Que faire quand on est un époux et un père “responsible” ? (au sens positif du terme cette fois), on répare, on compense et on s’occupe beaucoup de sa fille, d’autant plus que la maman dépressive ne le pouvait plus. Après un détour théorique par l’attachement au donneur de soins, je propose l’idée que Florence se soit alors massivement attachée à lui en réponse, mais surtout, qu’à présent, elle-même se soit approprié le scénario, et qu’elle le maintienne à tout prix, comme garantie de sa sécurité. A ce moment, la maman pleure sans rien dire et le père remarque, « je veux bien, mais c’est inconscient quand même » signant par là sa probable acceptation. Florence est à présent “collée” à sa mère qui rit en pleurant, « elle n’a jamais fait ça », mais elle me regarde (et pas sa fille), sans oser se laisser aller, « vous pensez que ça ne va pas durer » dis-je. Florence continue pourtant, va vers son père et revient, en souriant largement à sa mère qui ne peut répondre, « Je n’y arrive pas ». Toujours active, Florence revient encore vers elle, la caresse, et la maman répond enfin. Soudain, Florence frappe (légèrement) le bras de sa mère, « Vous voyez ! Ça recommence ». Mais elle se reprend aussitôt et reconnaît qu’elle exagère ; la scène se termine par un “jeu de nez” où chacune prend beaucoup de plaisir manifeste, « ça n’est jamais arrivé ». Lors des entretiens ultérieurs, la maman revient à chaque fois sur le constat que « tout recommence » parce que Florence répète ses comportements agressifs à son égard et d’attachement excessif à l’égard de son père. Je dois poser explicitement la question pour “découvrir” qu’en réalité, si les comportements négatifs existent encore, ils ne sont plus seuls, et sont accompagnés de mouvements très positifs comme ceux de la séance alors que, rappelons-le, ces comportements n’apparaissaient jamais auparavant. « Elle ne le voit pas » constate le papa qui encourage Florence à se rapprocher de sa maman. Au stade actuel, le travail est chaque fois à recommencer, pour dépasser ce mécanisme de répétition traumatique sur lequel nous reviendrons au dernier chapitre. b. Réflexion En ce qui concerne le père, j’ai projeté mes propres mécanismes défensifs, concordant avec ses propos, le scientifique responsable, mais pas coupable, qui veut réparer et protéger. Ce faisant, je tente de le sortir du rôle passif qu’il présente, pour endosser un rôle actif et responsable, mais en le positivant dans sa démarche. Pour la maman, au-delà de la projection d’une image de mère, j’ai accueilli ses angoisses, son sentiment de persécution par Florence, et l’hostilité évidente (et coupable) qu’elle lui porte en retour ; je l’ai ainsi “détoxifiée”: « ce qui se passe entre vous et Florence, et ce que vous ressentez ne font pas de vous une mauvaise mère ». Enfin, en le lui disant, j’ai officialisé le rôle actif de Florence qui a repris le scénario à son compte ; ce faisant, elle renouvelle le scénario en le changeant car c’est elle qui ira vers sa mère: « elle vous dit que ce n’est pas vrai tout cela, qu’elle vous aime ». Enfin, les trois temps proposés par Diatkine pour établir le minimum requis dans une psychothérapie me paraissent atteints: l’enchainement des événements à fait sens pour moi, mes interprétations ont donné sens après coup aux événements antérieurs, et les patients ont repris et modifié le scénario (surtout Florence !). LA CLINIQUE DU HANDICAP Le titre est explicitement reproduit du chapitre de Ciccone dans son ouvrage, La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 L’identification dans le travail avec les familles, réflexion clinique Transmission Psychique Inconsciente (1999 et 2012) sur lequel nous reviendrons plus loin. Un sous-titre pourrait être, “Comment passer de l’enfant imaginaire, attendu, à l’enfant réel ? » En 2012, F. Grasso nous propose une très intéressante réflexion sur « les effets posttraumatique du handicap sur le système perceptif et sur le psychisme des parents », réflexion qui me paraît particulièrement éclairante pour l’approche thérapeutique de l’ensemble des parents d’enfants handicapés, et singulièrement pour la famille qui nous occupe ici. L’enfant attendu repose sur une prévision concrète, “perceptive” d’un modèle d’enfant, surtout lorsqu’il n’est pas l’aîné. Ici, ce processus est complètement effracté. Le processus d’identification narcissique est bloqué par l’effarement, la confusion et l’absence d’expériences spécifiques à quoi se référer. Comme l’indique encore Grasso : « Dans le processus de substitution, ou pour mieux dire de transfiguration de l’enfant du désir (l’enfant idéalisé) en enfant réel, on retrouve une identification projective type narcissique. La mère projette sur l’enfant réel tous les désirs relatifs à son enfance ou mieux tous les désirs concernant la façon dont elle aurait voulu être aimée pendant son enfance, comme un enfant parfait est désiré par ses parents ». Rappelons que dans l’identification narcissique, il ne s’agit pas seulement de s’aimer soi-même mais de s’identifier à l’autre (l’objet), qui aime le sujet (soi). Ce mouvement psychique rappelle celui qui a lieu chez la mère par rapport à l’enfant. Dans le contexte du handicap, l’accordage affectif est anormal, voire impossible, et la maman de notre cas clinique le montre assez ! L’enfant handicapé n’envoie pas les signaux qui permettent l’échange identificatoire. Notre situation clinique permet d’élaborer le petit scénario suivant pour illustrer l’enfermement de la maman dans une identification projective négative : C’est mon enfant, je veux l’aimer (je l’aime ?) Elle est si différente de moi (comment estce possible ?) Elle ne m’aime pas (elle m’en veut d’être handicapée ?) Je lui en veux d’être injuste avec moi, en me « disant » que je suis une mauvaise mère (peut-être que je le suis ?) J’ai peur d’elle, elle me mord, elle me frappe (elle me punit ?) Et il en sera toujours ainsi… La déception traumatique bloque l’espoir de la rencontre ; elle crée chez la mère les conditions d’une répétition, traumatique cette fois encore, et chez l’enfant, le rejet de l’approche maternelle, une disqualification de son attitude par incrédulité. Mon effort thérapeutique est alors de soutenir la partie blessée de chacune, et de montrer la pertinence d’un effort de rapprochement, comme dans la séance du “jeu de nez”. On a vu que la répétition perdure malgré tout, Florence est captive de son propre comportement, et sa mère, de l’attente de ce comportement. Plus grave, la maman devient victime, elle quitte le rôle d’agresseur autoattribué par culpabilité sur le handicap, pour devenir, par le mécanisme de l’identification projective, l’objet persécuté de sa fille. Ici encore, Ciccone peut guider notre réflexion via « l’empiètement imagoïque » dont il nous dit que « c’est un processus qui peut être activé par la transformation d’un objet idéal (l’enfant rêvé, attendu, porteur du narcissisme parental) en un objet persécuteur (l’enfant abimé, décevant, endommageant les objets internes parentaux) ». Pour comprendre cette notion d’empiètement imagoïque, il faut considérer qu’une image parentale (objet psychique du parent) est imposée comme objet d’identification de et pour l’enfant : -“de” : réincarnation pour la maman dans ses yeux (il y a quelque chose de mauvais en moi, d’où le handicap) ; -“pour” : dans les propres yeux de l’enfant (oui je suis mauvais). Chacun est ainsi piégé dans le besoin de confirmer, les parents comme l’enfant, captifs de cette projection. C’est exactement ce que vivent Florence et sa maman. CONCLUSION Comment passer de l’enfant imaginaire à l’enfant réel ? Comment sauvegarder l’intégralité narcissique des parents, tout en s’attaquant à l’exclusion défensive des parties “différentes” (décevantes) de la réalité, c’est-àdire l’enfant handicapé ? Le recours à l’identification projective positive est sans doute une “voie royale” (Ciccone) pour accéder à la souffrance des parents , il s’agit alors de partir de la représentation parentale, même erronée, pour tenter de créer une base de réalité partagée, par ce mécanisme d’identification projective, mais aussi une « base perceptive commune » (Grasso) entre patients et nous-mêmes thérapeutes. BIBLIOGRAPHIE 1. CICCONE A., La transmission psychique inconsciente, Dunod, Paris, 2012 2. CICCONE A., Empiètement imagoïque et fantasme de transmission, in Le générationnel (A. EIGUER), Dunod, Paris, pp 151-185, 2013 3. DIATKINE G., Les représentations inconscientes dans les psychothérapies mère/fille, Psychiatrie de l’enfant, L, 2, 2007, pp 373379. 4. GRASSO F., Effets post-traumatiques du handicap sur le système perceptif et sur le psychisme des parents. Analyse et nouvelle proposition d’accompagnement des parentalités difficiles, Psychiatrie de l’Enfant, LV, 2, 2012, pp 397-484 5. KLEIN M., A propos de l’identification, trad. franc. in Envie et Gratitude et autres Essais, Gallimard, Paris, 1967 6. LAPLANCHE J., PONTALIS J.-B., Vocabulaire de la Psychanalyse, 1997, PUF, Paris 7. MELTZER D., Les concepts d’identification projective (Klein) et de contenant-contenu (Bion) en relation avec la situation analytique, Revue Francophone de Psychanalyse, 2, 99, 541-549,1984 8. RISSONE A., Identification projective psychanalyse de la famille, in Le Divan familial, Revue de thérapie familiale psychanalytique 27, 2011, pp 165-173 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 11 DE LA FAMILLE CABOSSÉE À LA FAMILLE SUFFISAMMENT BONNE CHUV Les Boréales Avenue Recordon 40 CH-1004 LAUSANNE, SUISSE [email protected] Dresse Alessandra DUC MARWOOD Médecin-responsable de l’Unité les Boréales et de l’Unité d’Enseignement du Centre d’Etude de la Famille, Lorsqu’une famille accompagne l’un de ses membres en hôpital de jour, elle a déjà vécu de nombreux contacts avec des professionnels. Ces expériences ont un impact important sur l’image que la famille a d’elle-même et sur le regard qu’elle porte sur l’aide. Tout ce vécu interfère avec la relation qui pourra s’établir entre le patient, la famille et les intervenants en hôpital de jour. Le propos de cette conférence aura pour but d’ouvrir une réflexion sur comment puiser dans ces expériences multiples pour aider les familles éprouvées par le long parcours que leur impose la maladie à devenir des familles suffisamment confiantes en elles et donc confiantes en les professionnels pour pouvoir accompagner la démarche en hôpital de jour. En d’autres termes, les faire passer du statut de famille cabossée à celle de famille suffisamment bonne. Mots-clefs : parentalité, expérience, demande, père, mère, famille From battered Family to good enough Family When a family accompanies a member hospital day she has lived many contacts with professionals. These experiences have a significant impact on the image of the family itself and the way she sees help. All lived interferes with the relationship can be established between the patient, family and stakeholders in day hospital. The purpose of this conference is intended to open a debate on coming to tap into these multiple experiences to help families affected by the long-course that imposes the disease to become confident enough families in them and therefore confident in professionals to be able to accompany the process in a day hospital. In other words to make them go from being battered family than good enough family. Keywords: parenthood, experience, application, father, mother, family INTRODUCTION Si en tant qu’adulte on peut quasiment vivre incognito dans une ville, dès que l’on se lance dans l’aventure de la parentalité on est soudain exposé à de multiples regards, et ceci dès la grossesse. La société va poser mille questions comme : comment la mère se plie-t-elle aux exigences de la grossesse : contrôles, alimentation saine, vie équilibrée, préparation de ce qui sera nécessaire après la naissance ? Comment le père se prépare-t-il à son futur rôle, comment soutient-il son épouse : engagement moral, présence lors des échographies, participation aux cours de préparation à l’accouchement ? L’exposition explose au moment de la naissance. Une analyse du fonctionnement du service de maternité a montré qu’une femme qui accouche au CHUV (Centre Hospitalier Universitaire Vaudois) est, pendant les quatre jours qui suivent l’accouchement, mise en présence de 30 professionnels différents. Chaque professionnel se sent investi de la mission de donner des conseils, aider la jeune mère. Mais les conseils donnés ne sont pas, et de loin, toujours homogènes. Les parents vivent alors une expérience très douloureuse que la fable de la Fontaine « Le Meunier son fils et l’âne » illustre parfaitement (1). 12 Cette fable raconte l’histoire d’un meunier qui part à l’aube vendre sa farine au marché. Il charge sur le dos de son âne les sacs et se met en marche, son fils à ses côtés. La première passante qu’ils croisent les aborde en ces termes : « Comment est-ce possible de faire marcher un si jeune garçon de si bon matin ? Un âne ne peut-il pas porter l’enfant aussi ? » Après un instant de réflexion, le meunier trouve que la femme a raison et il installe son fils sur le dos de l’âne. Un peu plus tard ils croisent deux hommes d’un certain âge qui les regardent interloqués. « Mais où va le monde ! Un jeune garçon vaillant se fait porter par l’âne alors que le père qui se tue à la tâche doit en plus marcher ! » Le meunier trouve cette remarque pleine de bon sens. Il fait descendre son fils de l’âne et s’y installe. Quelques temps plus tard, ils croisent un berger qui, en les voyant s’approcher, s’exclame : « Mais vous allez tuer cette pauvre bête ! Nigauds que vous êtes de tant la charger. Chacun devrait porter un sac de farine et marcher ». A ces mots le meunier prend conscience des signes d’épuisement de sa bête et fait ce que propose le berger. C’est à l’occasion d’une nouvelle rencontre que tout d’un coup le meunier réalise que tout le monde a de bonnes raisons de lui proposer telle ou telle manière de faire mais que, finalement, on ne peut contenter tout le monde. Il vaut mieux dès lors agir comme bon nous semble. Comme le Meunier, une jeune mère qui commence à allaiter sera très réceptive aux conseils des professionnels. Si l’allaitement est difficile, chaque soignant apportera son aide en expliquant comment elle doit s’y prendre. Elle percevra combien chaque proposition est pleine de bon sens et s’y conformera. Si les problèmes continuent, elle se sentira incompétente, nulle, incapable de bien suivre les conseils pertinents des autres. Sa détresse suscitera chez les professionnels l’envie de l’aider plus. Peu à peu la jeune femme ne saura plus qui croire, quoi faire. D’autre part, toutes les familles n’arrivent pas, comme le meunier, à prendre conscience à un moment donné, de la multiplicité des points de vue. Envahies par des informations contradictoires, incapables de se positionner, elles vont soit totalement déléguer aux professionnels toutes les compétences, soit se fermer totalement à toute intervention sur un mode plus oppositionnel et de repli sur soi. Après le passage en maternité, les parents continueront d’être exposés intensément aux regards des autres : pédiatres, enseignants, spécialistes, mais aussi voisins, autres mères à la place de soi. A chaque exposition, l’enfant est comparé à la norme. Ainsi, lorsque l’enfant pose problème chacun va prodiguer des conseils aux parents, leur expliquant quelle attitude adopter pour que l’enfant aille mieux. Si l’enfant ne va pas mieux la réaction des professionnels ira dans deux directions : celle de donner plus de conseil aux parents pour que cela se passe mieux (les parents sont d’ailleurs souvent demandeurs) et celle de professionnaliser la prise en charge de l’enfant en ajoutant des spécialistes et donc en fragilisant la position parentale. Certains parents vont adopter une attitude totalement collaborative avec les professionnels. Ils vont mettre en pratique à la lettre ce que les professionnels leur demandent, au risque de faire comme Epaminondas. Epaminondas est un petit garçon qui vit dans un village d’Afrique. Un jour, sa Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 De la famille cabossée à la famille suffisamment bonne mère lui annonce que sa tante qui est en fin de grossesse a besoin d’aide. Epaminondas va chez elle et lui rend mille menus services. A la fin de la journée, elle lui donne un morceau de gâteau à la noix de coco. Il projette de le mettre dans son sac pour le ramener à la maison mais sa tante lui propose, pour qu’il ne s’abîme pas, de le tenir bien serré dans sa main. Epaminondas est un enfant très obéissant. Sur le chemin du retour, il fait bien attention à serrer ses doigts autour du gâteau. Lorsqu’il arrive à la maison, la pâtisserie est en miettes. Sa mère lui explique qu’il aurait dû l’envelopper dans du papier et le mettre dans son chapeau. Le lendemain, Epaminondas retourne chez sa tante. En fin de journée elle lui offre une motte de beurre. Toujours très fidèle à ce que les adultes lui disent, il enveloppe le beurre dans du papier et le met sous son chapeau sur sa tête. Lorsqu’il arrive à la maison, le beurre a fondu et dégouline sur son visage. Sa mère s’attriste de voir que son fils manque tant de bon sens. Elle lui explique qu’il aurait dû l’envelopper dans de larges feuilles et le tremper en chemin à chaque point d’eau. Lorsque le lendemain sa tante lui offre un adorable petit chiot, il fait exactement ce que sa mère lui a dit. Arrivé au village, il est triste de voir que l’animal est à moitié inanimé. La fin de cette histoire relate qu’Epaminondas va voir un vieux sage qui lui intime l’ordre de recourir à son bon sens lorsqu’il doit décider comment agir. A qui pourront s’adresser des parents qui ont fait exactement ce que les professionnels ont proposé et qui pourtant ont toujours mal fait ? Qui sera le vieux sage ? Nous verrons ci-dessous que les remettre en lien avec leur capacité à évaluer ce qui est utile ou pas leur permet de retrouver le vieux sage qui est en eux et nous permet, à nous les professionnels, d’avoir la certitude que nos interventions ne mettront pas en péril les familles. D’autres parents, plus fragiles, vont se protéger du sentiment d’insuffisance en ne collaborant pas du tout avec les donneurs de conseils lorsque ces conseils échouent ou qu’ils se sentent incapables d’y répondre. L’enfant va alors rapidement se retrouver dans une situation proche du syndrome d’aliénation parentale : les parents ne peuvent plus donner leur confiance aux professionnels et les professionnels ne peuvent donner leur confiance aux parents. Même bien contenues, ces émotions agissent sur l’enfant ou l’adulte fragilisé par sa maladie, qui ne peut plus se fier vraiment à personne ! Dans les deux cas, à chaque nouvelle expérience d’aide par des professionnels, les parents perdent espoir un peu plus. Cette perte d’espoir est fortement amplifiée lorsque les nouveaux intervenants prennent peu en considération ce qui a déjà été essayé et proposent des solutions qui ont déjà échoué. Une mère me dit un jour, parlant de son fils adolescent accueilli en hôpital de jour, « Ils ont décidé de lui prescrire de la Risperidone, il en a déjà eu deux fois et cela a empiré son état. Mais je ne l’ai pas dit au nouveau médecin, de toutes façons, il aurait eu mille arguments pour ressayer, je l’ai déjà vu avec les autres ». Les exemples sont nombreux de ces familles qui baissent les bras en démissionnant ou en résistant à toute aide. Tous, en tant que professionnels, lorsque nous intervenons, nous le faisons avec la sincère et authentique envie d’aider, la conviction que nous saurons faire, que nous sommes particulièrement compétents dans le domaine pour lequel les familles consultent. Comme, de surcroît, chaque intervenant sollicité dans une situation donnée est un peu plus expert dans la pathologie du patient (au début d’un problème, il y a consultation d’un psychiatre ou pédo-psychiatre généraliste, d’intervenants éducatifs tout venant puis, progressivement, on choisit des “spécialistes” parce que le diagnostic devient plus clair ou par élimination lorsque rien ne fonctionne), il se doit d’être d’emblée à la hauteur des attentes qui pèsent sur ses épaules. Mais il est important de se rappeler que la famille que nous recevons a déjà vu nombre de personnes compétentes comme nous, qu’elle vit les échecs à répétition comme le signe qu’elle est mauvaise. Ce dont elle a besoin, c’est qu’on lui redonne confiance en ses compétences. La création de l’espace thérapeutique selon le modèle d’Edith Tilmans-Ostyn, psychologue et psychothérapeute Belge, propose un modèle de construction active par les intervenants ou thérapeutes de la relation d’aide, restituant à la famille la compétence de dire si un conseil, une attitude thérapeutique a déjà été essayée, d’évaluer sa pertinence et, le cas échéant, d’indiquer au soignant qu’il y a lieu d’y réfléchir avant de se lancer sur une piste d’aide incertaine. Mettre la famille dans cette position nécessite un travail fait dès la rencontre sur le vécu qui précède la rencontre. Cette phase de travail peut être introduite par cette phrase : « Vous arrivez aujourd’hui en consultation chez nous pour ce problème. Nous avons besoin que vous nous aidiez à vous aider. Ainsi nous allons essayer d’apprendre avec vous, de vos diverses expériences, des expériences de votre entourage, comment nous pourrions peut-être vous être utiles ». Ainsi nous allons explorer : 1. La demande de l’envoyeur 2. Les expériences thérapeutiques antérieures 3. Ce que l’entourage de la famille en consultation pense de la consultation. Deux autres dimensions sont à considérer, toutefois la liberté de choix pour une famille consultant en hôpital de jour étant relative, nous les mentionnons surtout pour que chaque intervenant sache qu’elles existent. 4. Qui vient en consultation ? 5. Quel lieu de consultation ? Les deux oiseaux représentent le système qui vient consulter et le système thérapeutique, les barreaux les 5 dimensions susmentionnées. 1. LA DEMANDE DE L’ENVOYEUR Personne ne s’adresse spontanément à l’hôpital de jour. Donc, pour chaque demande d’admission, il y a un envoyeur. Il est important de savoir ce qu’il attend des intervenants en hôpital de jour. En effet, il a transmis un certain nombre d’informations au patient et à sa famille, informations qui vont orienter les attentes de ces derniers. Inviter l’adresseur au premier entretien pour clarifier ce qu’il attend est donc essentiel. Les questions qui sont abordées dans cet entretien sont : -Vous avez souhaité notre intervention, pourriez-vous nous dire ce que vous attendez de nous ? -Quelle place garderez-vous dans cette situation? -Comment communiquerons-nous et en présence de qui ? La famille assiste à cette discussion. Le premier point a pour objectif de nommer de manière précise les attentes. Il est essentiel de ne pas hésiter à aller dans les détails : une plainte de l’envoyeur, une demande floue (nous avons besoin que vous interveniez dans cette situation sinon nous devrons faire appel à l’autorité de protection de l’enfant, au juge pour que ce jeune adulte soit mis sous curatelle, par exemple) ne permet pas de préciser en quoi les compétences professionnelles que nous avons peuvent être utiles dans cette situation. En revanche une réponse comme « nous aimerions d’une part que ce jeune puisse profiter d’un cadre psycho-éducatif plus serré dans le but de mieux comprendre sa problématique psychique et d’augmenter l’encadrement, puis qu’une équipe encadre les parents dans l’éducation » permet aux intervenants de se positionner précisément par exemple en répondant : « nous sommes bien un centre qui s’occupe de la prise en charge psycho-éducative du jeune et pour cela nous collaborons régulièrement avec les parents. En revanche le soutien à Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 13 Le travail avec les familles en hôpital de jour l’éducation par les parents n’est pas de notre compétence. Si cette intervention est importante, alors nous devrions collaborer avec … » Le second point est essentiel pour éviter de reproduire ce que nous évoquions en parlant de la maternité : si les domaines d’intervention de divers professionnels dans une même situation ne sont pas clairement définis, alors les patients seront exposés à des discours différents sur les mêmes sujets. Prendre du temps pour clarifier qui intervient dans tel ou tel registre permet d’éviter les chevauchements et permet aussi à chaque professionnel de renvoyer la famille à l’autre si les questions à aborder concernent l’autre. En ce qui concerne le troisième point, il est essentiel que nous clarifiions à quoi serviront les rencontres entre divers professionnels. Préciser qu’il peut y avoir des rencontres sans la famille et le patient lorsqu’il s’agit de parler de la coordination au sein du réseau. Evoquer le fait que des rencontres en présence de tout le monde permettront de réfléchir à l’utilité pour le patient et la famille de ce qui est mis en œuvre, et de fixer des objectifs. 2. LES EXPERIENCES THÉRAPEUTIQUES ANTÉRIEURES Nous savons tous que la première fois que l’on tombe amoureux, on est certain que ce sera pour la vie. Après la première déconvenue, lorsqu’on envisage de se remettre en couple, nos pensées sont habitées par le fait qu’en tous cas, dans la nouvelle relation, il y a un certain nombre de choses que nous ne voulons pas revivre et d’autres que nous aimerions absolument retrouver. Ainsi une famille qui arrive en hôpital de jour est une famille qui a déjà vécu des moments de belles collaborations avec les intervenants et des moments d’échec. Ce qui est intéressant pour un nouvel intervenant est de prendre connaissance de ce qui est utile à la famille. Pour tels patients, les conseils se sont toujours révélés utiles et leur ont permis d’avancer alors que pour d’autres, pouvoir comprendre ce qui se passe a été central dans leur évolution. Pour certains, l’aide individuelle est indispensable, pour d’autres, seuls les entretiens de famille ont porté des fruits. Chaque système familial qui consulte est capable de nous restituer ce qui pour lui est efficace. Apprendre de leur part comment les aider facilite les interventions ultérieures. Ensuite il est intéressant de se pencher sur ce qui a fait du mal dans les interventions antérieures. Comme intervenants, quelle que soit notre identité profession- 14 nelle, nous avons une palette assez semblable d’outils pour intervenir. Nous sommes donc tous à risque de reproduire le même type d’intervention, ceci d’autant plus qu’une part de notre attitude sera induite par les patients. Nous pouvons prendre un temps pour comprendre ce qui a blessé ou blesse nos interlocuteurs. Ainsi tel père pourra dire que chaque fois qu’on lui pose des questions sur lui, il se sent sur le banc des accusés, et une mère évoquer que chaque fois qu’on lui fournit une explication incompréhensible, elle se sent totalement nulle. Tel patient évoquera que, parfois, il a eu l’impression que lorsque ses symptômes ne diminuaient pas, les thérapeutes pensaient qu’il le faisait exprès, il se sentait alors disqualifié. Ce travail sur ce qui a fait du mal a pour objectif de travailler sur le droit à la parole des patients. Après avoir énuméré ce qui a blessé, nous pouvons voir comment ils ont essayé de parler de leur mal-être aux professionnels qui sont intervenus avant nous. « Je sais par mon expérience que je suis à risque de commettre les mêmes erreurs que mes collègues, le seul moyen que cela se passe différemment est que vous acceptiez de m’aider et de me signaler chaque fois que je vous fais souffrir » dirons-nous ensuite à nos patients. Suite à cela, nous allons construire avec eux un espace où ils pourront déposer la souffrance que notre intervention pourrait causer. Ainsi Timéon, un jeune schizophrène, a choisi de m’envoyer une lettre lorsque j’étais inadéquate alors que Cléya m’amène un dessin avec ce qui la fait souffrir dans mon attitude au début de l’entretien suivant. Tel père me met un carton jaune, telle mère me demande un entretien à deux pour en parler. Edith Tilmans-Ostyn propose à ses patients un travail qui leur permet de s’adresser aux intervenants antérieurs pour leur faire part de ce qui a fait mal. Je n’aborde pas cette dimension dans cette présentation car dans le contexte sur lequel nous réfléchissons les intervenants antérieurs à nous sont souvent encore actifs dans la situation et les prérequis pour ce travail ne me sont pas remplis. 3. CE QUE L’ENTOURAGE PENSE DE NOTRE INTERVENTION Charles-Henri arrive à l’Hôpital de jour quelques années après que son père se soit suicidé. A ma demande de ce que sa famille pense de son suivi, il répond : « Mon père s’est suicidé à l’hôpital, j’ai une tante qui est dans un home parce que les médicaments ne l’ont jamais aidée. Alors ma mère et moi, on sait bien qu’en venant chez vous, je suis le même chemin. C’est le début de la fin ». Comment pou- vons-nous imaginer que Charles-Henri puisse investir notre aide ? Avec cette construction, s’il accepte les soins, il se condamne à mourir ou vivre en home et s’il refuse les soins, il est victime de ses symptômes. Si nous poursuivons notre questionnement, nous allons découvrir dans son entourage d’autres regards sur la psychiatrie. Charles-Henri a une amie qui a suivi une psychothérapie à l’adolescence qui l’a beaucoup aidée, elle pense que pour son ami, ce serait salutaire de pouvoir faire cette démarche, même en hôpital de jour. Avec Charles-Henri, nous allons alors parler de ce qu’il vit à l’intérieur de lui, lui qui est pris entre des représentations très différentes de l’utilité du soin. Alors que le travail sur les expériences thérapeutiques antérieures aura déjà ouvert certains possibles, le travail sur les loyautés à la famille peut permettre d’approfondir la possibilité de pouvoir se sentir en sécurité dans le suivi. 4. PERSONNES PRÉSENTES À LA CONSULTATION Comme professionnels, nous nous intéressons souvent aux raisons qu’ont les absents de ne pas s’être présentés à l’entretien. Nous proposons au contraire de nous intéresser aux raisons qui ont poussé les personnes présentes à venir. Cela permet de découvrir les rôles que chacun joue autour de la maladie. Une mère est-elle présente car elle veut contrôler ce que les intervenants vont faire à son enfant, ou vient-elle parce que c’est le dernier moyen qu’elle a de se sentir une bonne mère ? Un père vient-il pour éviter une crise de couple ou parce qu’il n’a aucune confiance dans le fait que son fils, même adulte, saura communiquer sa souffrance aux intervenants ? En systémique, pour choisir qui nous inviterons aux diverses séances, nous le faisons souvent sur les critères suivant : si la souffrance, les symptômes et la demande sont portés par une seule personne, nous pouvons intervenir en individuel. Si en revanche la demande est portée par une personne, la souffrance par une seconde et les symptômes par une troisième, alors nous convions en séance la famille. Donc, si un père appelle car son épouse pleure toute la journée et est à bout depuis que leur fils s’enferme jour et nuit pour jouer à des jeux d’ordinateur, on voit que la demande est portée par le père, la souffrance par la mère et les symptômes par le fils. Dans ce contexte, si on reçoit le fils seul il dira qu’il va bien, est content de sa vie et ne voit pas en quoi nous pourrions l’aider. Si on reçoit la mère, elle dira que s’il n’y avait pas le problème de son fils tout irait bien, nous Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 De la famille cabossée à la famille suffisamment bonne priant ainsi de nous occuper du fils. Finalement, si nous convions le père expliquera qu’il n’a fait la demande que pour soulager sa femme qui se porte fort mal. 5. LE LIEU DE CONSULTATION Cette dimension, plus utile lorsqu’une famille choisit le lieu auquel elle s’adresse, permet de se faire une idée de la compréhension que les patients ont du problème. Voient-ils dans les symptômes d’un enfant la gravité de leur conflit de couple, ce qu’ils nous signifient en consultant un thérapeute de couple quand l’enfant va mal, ou préfèrent-ils hospitaliser un membre de la famille plutôt que de penser les relations conflictuelles dans la famille ? CONCLUSION Par nos propos nous avons tenté de vous sensibiliser au fait que toute rencontre thérapeutique advient dans une histoire d’aide. Rendre visibles les fantômes qui entourent nos patients permet de dynamiser le travail thérapeutique, de renforcer l’alliance dans les moments difficiles. Les familles se sentent partenaires du processus de guérison et prêtes à collaborer plus activement, même dans la reconnaissance que tout le monde est impuissant face à certaines pathologies psychiatriques. Ce qui enfermait devient support pour permettre le travail dans une collaboration constructive entre système consultant et soignants. BIBLIOGRAPHIE 1. Le Meunier, son fils et l’âne, Fables de La Fontaine 2. Epaminondas, Les Grands classiques du père Castor, Flammarion, 2013 3. LABAKI C., DUC MARWOOD A., La création de l’espace thérapeutique, in Langages métaphoriques dans la rencontre : en thérapie et en formation, sur les traces d’Edith TILMANS OSTYN, Erès, 2012 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 15 Le travail avec les familles en hôpital de jour 16 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 SOINS EN HÔPITAL DE JOUR DE PSYCHIATRIE DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT ÉVOLUTION DES PRATIQUES ET DES RELATIONS AVEC LES FAMILLES Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent Hôpital La Grave Place Lange TSA 60033 31059 TOULOUSE cedex 9 FRANCE [email protected] Professeur Jean-Philippe RAYNAUD Psychiatre hospitalier pour enfants et adolescents, professeur des universités Le paysage de la pédo-psychiatrie, singulièrement en hôpital de jour, a beaucoup évolué au cours des 20 dernières années. Ces changements touchent à la population des enfants eux-mêmes, présentant des troubles sévères et complexes, aux références cliniques et théoriques, objets de polémiques ou de stigmatisation singulièrement dans le domaine de l’autisme. Les approches sont désormais, de ce fait multidimensionnelles ce qui pose d’autres questions, notamment dans le domaine de la formation des professionnels et celui de ce que l’on qualifie aujourd’hui de “bonnes pratiques”. Mais ces évolutions touchent les familles elles-mêmes, profondément remaniées dans leurs typologies et leurs exigences, dans leur information aussi. Ces familles, plus inquiètes, plus fragiles, plus en demandes mais moins disponibles, doivent être associées aux prises en charge, pour expliquer les approches, les contenus du soin, les articulations. Mais aussi leur permettre d’exprimer leurs attentes, leurs craintes, leurs incompréhensions… Et, surtout, maintenir le lien pour mieux construire notre capacité “à tenir ensemble”… Mots-clefs : hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, autisme, psychanalyse, thérapies institutionnelles, soins intensifs multidimensionnels, famille, lien social, transparence, recommandations Care in psychiatric day hospitals dedicated to children and adolescents Changing in practices and relationships with families The landscape of child psychiatry, particularly in day hospital, has evolved over the past 20 years. These changes affect the population of children themselves, with severe and complex disorders, clinical and theoretical references, objects of controversy or stigma especially in the area of autism. Approaches are now, therefore multidimensional which raises other issues, including in the field of professional training and of what are now called “best practices”. But these changes affect families themselves, radically reworked in their compositions and requirements in their information too. These families, more worried, more fragile, more complainant but less available, should be associated with supported to explain approaches, content of care, articulations. But also allow them to express their expectations, fears, misunderstandings... And, above all, maintain the link to better build our capacity “to hold together”... Keywords: day hospital psychiatry child and adolescent, autism, psychoanalysis, institutional therapies, multidimensional intensive care, family, social ties, transparency, recommendations INTRODUCTION Cela fait plus de 15 ans que j’exerce mon activité clinique principale au sein d’un hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, qui fait partie d’un secteur. Nous y proposons une approche intégrative (ou complémentariste) incluant une dimension psychodynamique, dans une unité de soins intensifs de jour pour enfants1. C’était déjà le cas avant mon arrivée et nous n’avons fait, avec l’équipe, qu’affiner et théoriser cette ap- 1 Raynaud J.-P. Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, psychopathologie et handicap. In Psychopathologie et handicap de l’enfant et de l’adolescent : Approches cliniques. Sous la direction de Raynaud J.-P. et Scelles R., Eres, Toulouse, 2013. proche, qui à l’époque était un peu atypique et mal comprise. En France, avec les polémiques sur l’autisme, les hôpitaux de jour sont régulièrement critiqués et c’est pourquoi j’ai souhaité témoigner ici d’une pratique qui est celle de l’hôpital jour dit “des grands” du CHU de Toulouse. Conformément au thème qui m’avait été proposé, je mettrai surtout l’accent sur les relations avec les familles. Pour cela, avant de venir à Brest pour ce colloque, j’ai mené des entretiens sur ce thème avec les membres de mon équipe. Je les remercie de leur aide. Un hôpital de jour aujourd’hui se doit d’intégrer des changements, des évolutions, les données scientifiques récentes quand elles sont utiles, certaines nouvelles demandes “sociales” et recommandations quand elles sont raisonnables et éthiquement acceptables2. Notre unité de jour est organisée sur la base de références théoriques éclectiques. Des références à la psychanalyse et aux thérapies institutionnelles qui, historiquement, ont fondé ces dispositifs : ce sont en premier lieu ce que nous appelons les « fonctions soignantes » de l’institution. Mais aussi des références complémentaires, qui associent les thérapies cognitives et comportementales, en particulier dans leurs dimensions émotionnelles, et la théorie de l’attachement. QUELS ENFANTS ACCUEILLONSNOUS ? Nous accueillons des enfants de tous les âges, dans différentes unités. Ils présentent les caractéristiques suivantes : des troubles sévères et complexes, évalués comme pouvant être mobilisés par le soin, affectant sérieusement différentes dimensions de leur développement et de leur adaptation, et qui sont incompatibles avec leur maintien permanent dans les écoles et les lieux de socialisation ordinaires sans des adaptations et un suivi spécifiques et intensifs. L’hôpital de jour est avant tout pour nous un lieu où les enfants passent une partie de leur temps. Il a été spécifiquement pensé et structuré par une équipe d’êtres humains. Il constitue un temps bien différencié de la maison et de l’école, où les enfants vivent en groupe avec d’autres personnes que leurs parents et leur fratrie, où peuvent se développer des relations avec une équipe de soin et des groupes d’enfants. Les temps de soins en groupe alternent avec des temps de soin individuels. Un projet est élaboré, reposant sur les fonctions et les contenus du soin. Un programme de soins intensifs multidimensionnels coordonnés et régulièrement réajustés 2 Raynaud J.-P. Pour une pédopsychiatrie française dynamique et ouverte. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence 2012, 60:6, 413. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 17 Le travail avec les familles en hôpital de jour présentations sur la maladie et le handicap, sur l’hôpital de jour, la psychiatrie, la psychanalyse, le soin, le projet de vie, etc. Puis, une fois que l’accord sur l’admission est établi avec les parents, les liens vont progressivement être “institutionnalisés”. Nous demandons à la famille un engagement, tout comme nous nous engageons. Cet engagement comprend un certain nombre de repères, qui sont pour nous autant de médiations : entretiens, rencontres parentsprofessionnels, réunions d’équipes éducatives avec le milieu scolaire, rédaction et remises d’écrits : projet de l’hôpital de jour, projet individuel, synthèses (Réunion de concertation pluri professionnelles ou RCP), certificats pour l’obtention d’une compensation du handicap, règles concernant les productions des enfants… Avec une place Integrative multidimensional coordinated program for particulière pour les “prescripchildren with ASD in a day care unit. tions” que nous sommes ameRauna S., Marchand-Hérissou G., Raynaud J.-P. nés à formuler : médicaments, mais aussi examens, orientaapproches théoriques et des compétences tions… ouvertes, complémentaires et compaNous observons alors une grande diffétibles ; de structurer et organiser des soins rence de positionnement entre ce que coordonnés. Ces soins incluent une évaj’appellerais « les parents du dedans » et luation et une réévaluation régulière, la « les parents du dehors ». Avec, notamformalisation du projet de soin et du ment, un contraste net entre un discours, cadre, des partenariats, des échanges avec repris, véhiculé par les médias (« Les pales parents tenant compte de leur projet de rents refusent les dimensions psychodyvie pour leur enfant. Enfin, il est sans namique et institutionnelle » ; « Les doute important de rappeler que nous parents aspirent, demandent, revendiessayons aussi de faire avec la réalité de quent d’être plus présents, impliqués, ce qui est possible en termes de moyens, associés à la prise en charge de leurs de disponibilité, d’adhésion à nos propoenfants ») et la réalité observée sur le sition... terrain depuis 20 ans environ : les refus et Nous nous appuyons sur les supports du les ruptures restent très rares et globalesoin, qui constituent une sorte de “palette ment les parents se montrent de moins en de fondamentaux” à partir de laquelle moins disponibles pour venir nous composons : la formation des pro“s’entretenir” avec nous au sujet de leurs fessionnels, les médiations, les temps et enfants. les supports pour penser ensemble, la continuité, la permanence, la stabilité, la SOMMES-NOUS “CONFORMES” fiabilité, l’attention partagée aux mouveAUX RECOMMANDATIONS ? ments psychiques du jeune patient, de ses C’est une question qui nous est parfois parents et des différents intervenants, la posée par les parents. Mais c’est surtout narration. une question que l’équipe se pose régulièrement. Elle a entrainé des remises en LES PARENTS ET L’HÔPITAL DE questions, des évolutions souvent anticiJOUR pées, un travail d’évaluation et Avant l’hôpital de jour, tout un travail d’amélioration des pratiques. Elle a condevra être fait par les professionnels qui duit à un travail continu pour une meilnous adressent les enfants. Ce travail va leure visibilité/lisibilité des se poursuivre au cours du processus de interventions éducatives et thérapeupréadmission (consultations, semaine tiques. A titre d’exemple, nous comd’observation, attente active pendant le plétons depuis quelques années l’emploi délai d’admission). Ce travail porte en du temps remis aux parents en début grande partie sur les représentations, plus d’année, par un petit “lexique” des activiou moins remaniées par les médias : reLe schéma ci-dessous est tiré d’une communication que nous avons présentée en 2012 au congrès mondial de psychiatrie de l’enfant, car il nous semble important d’expliquer à nos collègues internationaux comment nous essayons de travailler, et d’en discuter avec eux. Il montre que les grands principes du soin dans nos hôpitaux de jour sont de favoriser la scolarisation, l’intégration sociale et l’autonomie ; de s’appuyer sur des 18 tés thérapeutiques : chaque atelier, chaque médiation, y est décrite, avec ses objectifs et les supports utilisés. C’est indubitablement l’une des améliorations de la communication avec les parents qui a été le plus appréciée ces dernières années, alors que nous étions convaincus que la transmission orale suffisait et que notre discours de professionnels était suffisamment compris. Concernant l’évaluation de notre travail, nous avons effectué une importante enquête sur la scolarisation des enfants accueillis dans les hôpitaux de jour de notre département3. Contrairement aux idées reçues, cette enquête, élargie aux 3 secteurs de pédopsychiatrie de la HauteGaronne, a montré que la quasi-totalité des enfants et adolescents soignés en hôpital de jour bénéficiaient d’une scolarisation. Et que cet effort des équipes de pédopsychiatrie avait commencé avant la loi de 2005. UNE DEMANDE DE TRANSPARENCE Les parents attendent de nous davantage d’informations, davantage de transparence. Ils sont sans doute influencés par internet, par les associations, mais aussi par le modèle de rapport au milieu médical qui se généralise actuellement, fait à la fois d’exigences, de méfiance et d’un certain désir de maitrise. Là aussi, nous essayons d’avoir en tête en permanence un certain nombre de fondamentaux concernant l’information et l’échange avec les parents, que nous associons à une réflexion en équipe permanente et “tranquillement réactive”. Il nous serait impossible de toute façon de renoncer à un minimum de travail sur les espaces et les mécanismes psychiques qui sont à l’œuvre de part et d’autre, notamment sur la dynamique emprise / sentiment d’impuissance. Nous avons le souvenir assez amer de ce que l’on appelait il y a longtemps « l’asepsie verbale » : il fallait communiquer a minima pour protéger les professionnels et préserver l’espace intime de l’hôpital de jour, où les enfants pouvaient se montrer différents. Il s’agissait le plus souvent d’éléments théoriques mal compris ou mal interprétés. Le rapport direct avec les parents est un progrès indéniable, et l’espace du soin reste malgré tout le support de tous les fantasmes et de toutes les projections. 3 Panis V., Çabal-Berthoumieu S., Tardy M., Raynaud J.-P., Scolarisation, handicap psychique sévère et hôpital de jour : 5 ans après la loi de 2005. L’Information Psychiatrique 2013, 89:54957. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Soins en hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : évolution des pratiques et des relations avec les familles Toujours est-il que nous observons des comportements nouveaux de “consommation” de soins ou de services. Les parents voudraient davantage de services, de facilités. Parfois, la demande peut aller jusqu’à une substitution : par exemple, puisqu’il est soigné en hôpital de jour, occupez-vous aussi de ses soins somatiques. Certains parents sont à la recherche de l’immédiateté, de solutions “clés en main”, alors que nous sommes ceux qui veulent absolument les “faire penser”. Dans ce domaine aussi, ils nous ont conduits à davantage de formalisation et chacun a pu/du faire des compromis. En fait la vie d’une institution, c’est comme la vie psychique. On notera que si dans l’institution et dans le discours des parents qui nous font confiance les associations de parents ont une présence assez “floue”, certaines attaques par les professionnels ont pu être vécues comme une blessure. En référence à Melanie Klein, nous avons pu observer ainsi des mouvements d’angoisse projective en miroir, où chacun, parents et équipes, ont pu alternativement se sentir menacés ou disqualifiés4. Cela nous confirme que rien ne vaut la relation interpersonnelle et l’histoire partagée, qui constituent justement la base de notre travail de soin. Le rapport des soignants référents avec les parents s’est progressivement modifié. La notion de référent de l’enfant a évolué : après une longue réflexion, nous avons préféré attribuer aux quatre éducateurs et infirmiers qui sont en contact permanent avec les enfants, le rôle de référents transversaux. Tous les soignants ont ainsi mission de prendre soin de tous les enfants et de les avoir en tête. La narrativité et la capacité de transmission au sein de l’équipe prennent alors tout leur sens. Par ailleurs un professionnel (psychiatre, psychologue ou assistante sociale) est clairement désigné comme le tiers qui accompagne les parents au sein de l’institution. Les réunions de concertation pluri professionnelles (RCP) ou réunions de synthèse, et les réunions de fonctionnement, ont alors une véritable fonction régulatrice. On échange, on se coordonne, on se transmet des informations, des ressentis, mais chacun, parents compris, conserve des lignes de fuites : il y a toujours des exceptions, des transgressions, des actes manqués, qui finalement traduisent la vitalité et la malléabilité du dispositif et de ses “usagers”. 4 Lauret M., Raynaud J.-P., Melanie Klein, une pensée vivante. Presses Universitaires de France, Paris. 2008. Etonnamment, nous observons au fil des ans une moindre participation des parents aux “réunions parents professionnels” que nous organisons chaque année un peu après la rentrée, et qui nous semblent si importantes pour les informer, leur présenter des différents professionnels qui rencontrent leurs enfants, expliquer les approches, les contenus du soin, les articulations. Mais aussi leur permettre d’exprimer leurs attentes, leurs craintes, leurs incompréhensions… Cette moindre participation est-elle à mettre sur le compte d’une sorte de déception, d’une difficulté à être confrontés à d’autres parents, aux autres enfants ? Sans doute touchons-nous là à la question de l’intime, qui s’accommode mieux du colloque singulier. DES FAMILLES PLUS FRAGILISÉES Depuis quelques années nous sommes frappés par le nombre croissant de familles qui présentent des difficultés financières. Les familles qui nous confient leurs enfants représentent un éventail moins étendu, moins varié de niveaux sociaux. La mixité sociale est moins importante que quelques années en arrière. De plus en plus de familles sont en situation de précarité : chômage, isolement, situation interculturelle, endettement, suivi par les services sociaux et de protection de l’enfance,... Les situations “complexes” sont plus nombreuses, et ce sont autant d’effractions de la réalité dans l’espace du soin. Il en découle la nécessité de développer des partenariats et d’activer les ressources et les soutiens quand ils existent. Les changements dans les structures familiales sont essentiellement constitués par une augmentation des familles monoparentales, davantage de pères absents, des beaux-pères et belles-mères qui revendiquent leur place, davantage d’isolement et de ruptures par rapport à la famille élargie, un rapport plus sensible de l’équipe soignante avec les mères. Ce rapport, qui peut rapidement être empreint de rivalité, nécessite en permanence d’être régulé. Dans le même ordre d’idée de “complexité”, nous observons une augmentation des situations où existe une psychopathologie parentale avérée. Notre équipe estime que cela peut concerner de 30% à 80 % des familles que nous accompagnons. Cette surreprésentation est à mettre sur le compte de plusieurs facteurs : évolution de la psychiatrie d’adultes ; influence des médias qui éloigneraient de nos dispositifs les familles plus informées et moins envahies par les difficultés ; de nouvelles façons de tra- vailler de nos partenaires (libéral, social, médico-social), qui réservent au service public hospitalier les situations les plus complexes ; de nouvelles inquiétudes qui ont émergé ces dernières années, concernant la génétique des troubles mentaux par exemple... Nous observons en parallèle une évolution des revendications des parents, en lien avec des informations anxiogènes, mal maitrisées, délivrées à l’emportepièce par les médias et notamment les réseaux sociaux. Certaines familles se réapproprient des revendications piochées ici ou là, mais qui ont essentiellement une valeur de conflictualisation de la relation. Ce sont davantage des prétextes que des raisons profondes de conflits, auxquels répond un travail, assez “classique” mais plus difficile qu’à l’ordinaire, sur les mouvements de projection, déni, clivage. Un certain nombre de ces familles nous semble également de plus en plus submergées/entravées par les difficultés de leurs enfants. Insistons bien ici sur le fait qu’il ne s’agit pas là d’un jugement de valeur, mais d’un constat, et que nous pouvons nous identifier à ces parents et comprendre leurs difficultés. Les enfants peuvent devenir une gêne dans leur vie, et nous sommes parfois confrontés à une tendance à vouloir les confier en permanence alors que le soin à temps partiel s’est énormément développé5. Ce sont des enfants difficiles, qui “coûtent” beaucoup en temps, en rendez-vous, en organisation, en adaptations, en remises en question. Et certains parents sont en difficulté pour faire face au quotidien, y compris pour des choses apparemment simples, comme organiser un loisir pour leur enfant. Le risque est alors double : voir des familles se replier sur elles-mêmes et voir se mettre en place des formes nouvelles de “carences” éducatives, par défaut de stimulation et d’ouverture. Du côté des professionnels, ce n’est pas simple non plus. On peut s’interroger sur les formations actuelles car les jeunes professionnels expriment de plus en plus de difficultés à travailler avec des enfants souffrant de troubles psychiques et avec leurs parents. Sont-ils bien préparés ? Ils ont en tout cas, toutes professions confondues, de réelles difficultés à passer de la formation théorique à la pratique, dans un contexte où les fondements théoriques du soin sont régulièrement mis à mal. De même, certains professionnels chevronnés ont beaucoup de mal à faire face aux re- 5 Déthieux J.-B., Fabre S., Raynaud J.-P., Du temps plein de la fusion à celui de l’individuation : égrener du temps partiel. Empan, Eres, 2008, 69:1, 50-56. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 19 Le travail avec les familles en hôpital de jour mises en question et aux exigences d’adaptation théorico-cliniques. CONCLUSION En guise de conclusion, j’insisterai tout d’abord sur le rôle majeur que jouent les entretiens avec les parents. Et j’emprunterai à Jean-Patrick Grycan, psychologue dans notre unité, la remarque suivante : « le signifiant “s’entretenir” est judicieux de par l’équivoque qu’il recèle ». Quant à ce que qualifierai d’évolutions “sociales”, notre hypothèse est que le rapport au soin que mettent en place les parents est à mettre en regard avec le délitement du lien social constaté depuis 20 ans environ : faire lien social c’est la capacité “à tenir ensemble”. BIBLIOGRAPHIE Quelques autres publications et contributions de l’équipe 1. ANDANSON J., POURRE F., RAYNAUD J.-P., Les groupes d’entraînement aux habiletés sociales pour enfants et adolescents avec syndrome d’Asperger : revue de la littérature. Archives de Pédiatrie, 2011, 18:5, 589-96. 2. ANSORGE J., SUDRES J.-L., RAYNAUD J.-P., JEUNIER B., Le poney comme médiateur thérapeutique auprès d’enfants atteints de Troubles Envahissants du Développement : essai d’évaluation clinique et perspective. Confinia Psychopathologica 2012, 1 :2, 121147. 20 3. BURSZTEJN C., RAYNAUD J.-P., MISES R., Autisme, psychose précoce, troubles envahissants du développement. Annales Médico-Psychologiques, 2011, 169(4):256-259. 4. CHILAND C., RAYNAUD J.-P., Cerveau, psychée et Développement. Odile Jabob, Paris, 2014. 5. COINÇON Y., DURAND B., MISES R., BOTBOL M., BURSZTEJN C., GARRABE J., GARRET-GLOANEC N., GOLSE B., PORTELLI Ch., RAYNAUD J.-P., SCHMIT G., THEVENOT J.-P., Le transcodage de l’axe 2 : une avancée utile Annales Médico-Psychologiques, 2011, 169(4): 260-264. 6. DELOBEL M., VAN BAKEL M. E., KLAPOUSZCZAK D., VIGNES C., MAFFRE T., RAYNAUD J.-P., ARNAUD C., CAN C., Prévalence de l’autisme et autres troubles envahissants du développement : données des registres français de population. Générations 1995-2002. Neuro-psychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence 2012, 61 :1, 23-30. 7. MISES R., BOTBOL M., BURSZTEJN C., COINÇON Y., DURAND B., GARRABE J., GARRET-GLOANEC N., GOLSE B., PORTELLI C., RAYNAUD J.-P., SCHMIT G., THEVENOT J.-P., La classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent - La révision 2012. Correspondances et transcodages avec la CIM-10. La Lettre de Psychiatrie française, mai 2012, 208, 2. 8. MISES R., BURSZTEJN C., BOTBOL M., COINCON Y., DURAND B., GARRABE J., GARRET-GLOANEC N., GOLSE B., PORTELLI C., RAYNAUD J.-P., SCHMIT G., THEVENOT J.-P., Une nouvelle version de la classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent : la CFTMEA R 2012, correspondances et transcodages avec l’ICD 10. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence 2012, 60:6, 414-18. 9. MISES R., BURSZTEJN C., BOTBOL M., GARRABE J., GARRET-GLOANEC N., GOLSE B., RAYNAUD J.-P., SCHMIT G., COINCON Y., DURAND B., PORTELLI Ch., THEVENOT J.-P., La CFTMEA R2010, présentation des modifications de l’axe 1. Annales Médico-Psychologiques, 2011, 169(4):248-255. 10. POURRE F., AUBERT E., ANDANSON J., RAYNAUD J.-P., SociaBillyQuizz, un jeu pour l’entraînement aux habiletés sociales chez l’enfant et l’adolescent : étude exploratoire. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence 2012, 60 :155-159. 11. POURRE F., AUBERT E., ANDANSON J., RAYNAUD J.-P., Le syndrome d’Asperger dans les œuvres de fictions actuelles. L’Encéphale 2012, 38 :6, 460-466. 12. RAYNAUD J.-P., SCELLES R., Psychopathologie et handicap de l’enfant et de l’adolescent : Approches cliniques. Eres, Toulouse, 2013. 13. RAYNAUD J.-P., « Ce qui reste et n’a pas été pris en compte » : les TED-NOS. L’Information Psychiatrique, 2011, 87 :5, 387-92. 14. WHITE-KONING M., GAYRALTAMINH M., LAUWERS-CANCÈS V., GRANDJEAN H., RAYNAUD J.-P., Assessing the quality of life of children with mental disorders using a computer-based selfreported generic instrument (KidIQoL). Open Journal of Psychiatry, 2011,1:8-14 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 PORTRAITS DE FAMILLE L’ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES PAR LE CENTRE RESSOURCE “FAMILLE & TROUBLES PSYCHOTIQUES” Centre Ressource Familles & Troubles psychotiques Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie générale Centre Hospitalier Guillaume Régnier RENNES FRANCE David LEVOYER, Laurence RENOUX Le travail avec et auprès des familles, outre son obligation déontologique qui incombe à chaque soignant, relève d’une conviction personnelle profonde, d’une lente appropriation de leur vécu, d’une écoute attentive et respectueuse de leur savoir, d’un positionnement juste et justifié face à leurs interrogations, d’un accueil bienveillant de leurs peurs. Il nécessite, pour le soignant qui accompagne, d’être rodé, souvent formé, toujours sensibilisé à l’expression authentique de leur subjectivité. Quatre principes de base constitue l’accompagnement des familles : 1) les familles accompagnées sont avant tout des familles ; 2) toutes possèdent des compétences, qu’il faut souvent ré-entraîner ; 3) l’accompagnement des familles nécessite d’être attentif aux émotions que suscitent en nous leurs histoires ; 4) les familles et les soignants s’enrichissent à partager ensemble des savoirs expérientiels. Ces quatre principes sont illustrés à travers quatre portraits emblématiques de famille. Mots-clefs : Familles, Accompagnements, Soins, Psychoses, Schizophrénie Family’s portraits Various services and psychological care for families by the Resource Center of families and psychotics disorders (Rennes, FRANCE) Work with and near the families is an ethical obligation of each psychiatric care worker. It means a major personal conviction, a slow appropriation of their emotional felt, an attentive and respectful listening of their knowledge. The psychiatric care worker must be formed and be fully receptive with their subjectivity. Four basic principles constitutes the support and the various services for families ; 1) the supported families are really families ; 2) the families have competences and skills, which often should be trained ; 3) we feel emotions by listening to the family’s histories ; 4) the families and the psychiatric care workers share knowledge and experiments. We illustrate these four principles by four emblematic portraits of family Keywords: Families, various Services, Care, Psychoses, Schizophrenia INTRODUCTION A la manière d’un album-photo familial, dans lequel se nichent bien souvent quantités de souvenirs heureux, nous souhaitons, à la manière d’un avant-après représentatif, extraire quelques vignettes cliniques emblématiques de l’accompagnement possible auprès des familles. Celles-ci seront prétextes à exposer la philosophie du soin qui structure la démarche du Centre Ressource Familles & Troubles psychotiques (CReFaP) de Rennes, comme de l’organisation qui en découle (1, 2, 3). Au travers de quatre situations familiales de détresses ordinaires, ce sont quatre rencontres fortes et singulières qui ont eu lieu, quatre évolutions durables et exemplaires qui se sont inscrites, et quatre principes de base que nous en avons tiré. QUATRE SITUATIONS, QUATRE RENCONTRES, QUATRE ÉVOLUTIONS Portrait 1 Monsieur H., veuf, a un fils qui souffre d’une schizophrénie associée à des symptômes obsessionnels et compulsifs enva- hissants, et qui est en soins sous contrainte depuis de longs mois. Ce premier cliché familial montre un homme à la fois fermé et usé. Usé par l’invalidante maladie de son fils auprès duquel il est continuellement présent ; fermé tout autant par la pénible disqualification qu’il subit de la part des soignants dans son rôle de père. La colère l’a progressivement envahi, elle anime tous ses faits et gestes quotidiens. Il est désabusé et prêt à tout, y compris à porter plainte contre la maltraitance soignante dont il fait l’objet. Dans un ultime sursaut, il demande secours auprès du CReFaP, et nous crie sa défiance absolue envers les soins psychiatriques, comme il nous émeut par sa perte vitale d’estime de soi. Une seule urgence : prendre son temps, écouter l’homme qu’il dit avoir été et qu’il n’est plus, entendre sa colère, accueillir son histoire de père meurtri. Deux années plus tard, après avoir pris le temps de l’accompagner, nouveau cliché : Monsieur H. affiche un bien-être radieux, va allègrement témoigner, pour la seconde fois, de son parcours lors d’une Bibliothèque Vivante organisée dans le cadre de la Semaine d’Information sur la Santé Mentale. Il regarde, ému et dubitatif, le cliché antérieur : « Que de changements ! Je suis méconnaissable ! » Monsieur H. a repris en main le gouvernail, sa vie est incomparablement plus sereine, la concrétisation de projets professionnels foisonne. Son fils a manifestement suivi son exemple : l’apaisement du père a nourri le fils. Portrait 2 Madame K., menue et fatiguée, nous reçoit dans l’appartement familial du centre-ville. Son sourire, un peu triste, anime malgré tout son regard volontaire. Elle nous expose avec pudeur l’histoire de la famille, histoire émaillée de drames multiples telles la guerre, l’expatriation, la vie de menaces vitales répétées et de clandestinité, et la survenue de la maladie psychotique du fils aîné, alors même que la sécurité familiale avait pu enfin se réinstaller. Une histoire que l’on écoute silencieusement, en respectant l’atmosphère feutrée qui règne dans le logement. La chaleur humaine est partout présente et il en émane une demande d’aide très forte : « Notre fils de 16 ans est déscolarisé depuis 18 mois, il ne quitte plus du tout sa chambre, et a des préoccupations incessantes sur l’histoire des peuples, son poids, la religion… Il est parfois très agressif, inaccessible aux personnes extérieures, qu’il s’agisse des soins, des services éducatifs ou de l’école… Tous ont baissé les bras. Pas nous, mais on ne sait plus quoi faire ! » Madame K. explique que la dernière hospitalisation a pu avoir lieu car, face au refus agressif de son fils et à l’abandon des soignants, elle a négocié celle-ci en se délestant d’une somme conséquente d’argent qu’elle lui a donné. Le fils est sorti au bout de deux jours au motif qu’il ne demandait rien. Trois mois plus tard, même cliché en apparence, mais le fils est présent sur la photo de famille. Il a accepté de nous rencontrer, après nouage de liens progressifs à travers la porte de sa chambre, et l’échange s’installe précautionneusement, de son côté comme du nôtre. Au bout de quelques visites, nous nous écoutons mu- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 21 Le travail avec les familles en hôpital de jour tuellement, installés dans le salon familial, et sa venue dans les locaux du Centre Ressource lui apparaît possible, même si la finalité lui échappe. Il a par ailleurs repris sa place à la table familiale midi et soir pour les repas. La famille se surprend ainsi à imaginer qu’elle peut espérer un avenir pour lui comme pour elle. Portrait 3 Un autre portrait photographique marqué par le diktat intrafamilial de la maladie psychotique : celui de Monsieur et Madame P., venus accompagnés de deux de leurs trois enfants. Une photo de famille que Monsieur P. a pris l’habitude de toucher car il ne peut la voir (il est en effet non-voyant depuis qu’enfant, un éclat d’obus l’a privé de la vue au Viet Nam). A ce handicap s’est ajouté celui du déracinement puisqu’il a dû fuir avec les boatpeople des années 1975. Madame P. connaît depuis son enfance la vie familiale recluse, du fait de deux tabous familiaux et sociétaux : son frère et sa mère souffrent de deux formes différentes de schizophrénie ; sa famille élargie comprend quantité d’unions mixtes. L’aînée des trois enfants de Monsieur et Madame P. présente une déficience intellectuelle légère (avec symptômes psychotiques) nécessitant des aménagements pour son autonomie et son avenir professionnel. Les deux autres enfants se portent physiquement bien, et c’est pour eux et avec eux que la famille sollicite le CReFaP, car la tyrannie de leur fille aînée suscite beaucoup d’appréhension : l’anxiété parentale face à la différence de disponibilité vis-à-vis de leurs enfants ; et la déception profonde du cadet et de la benjamine qui se vivent abandonnés voire exclus. Rapidement dès notre première rencontre, les parents et les deux plus jeunes enfants vont pouvoir échanger sur leurs valeurs, leurs peurs, leurs vécus respectifs, leurs nombreux savoir-faire face avec le handicap, leurs envies, leurs ressources, les capacités et limites de chacun. Avec notre accompagnement, cette famille a vite su retrouver la manière de se mobiliser, pour réinstaller un équilibre positif, respectueux, valorisant pour tous. Il nous a suffi d’écouter chacun, de comprendre l’écologie familiale, pour leur proposer de regarder la photo de famille sous un autre angle de vue, complémentaire des leurs. Ensemble, la famille a pu se saisir, de nouveau, de ses compétences propres car elle a su se rappeler rapidement qu’elle savait faire. Les capacités parentales étaient évidemment présentes mais si peu soutenues depuis longtemps qu’elles avaient été oubliées. 22 Portrait 4 Monsieur et Madame S. sont tous deux assis dans le bureau du Centre Resource, affolés et dans l’incompréhension vis-àvis du comportement de leur fils. Il souffre de schizophrénie, ont-ils entendu entre deux portes lors d’une hospitalisation. Depuis, plus rien : « Et pourtant, on aurait des choses à dire à l’équipe de soin, aux éducateurs du foyer, sur son enfance et sur ce qui se passe lorsqu’il vient à la maison », explique la maman anéantie. Le papa, masquant ses émotions, ajoute que leur inquiétude parentale est grande car leur fils dépense tout son argent, y compris le leur, dans des soirées au bar ou en boîtes de nuit. « Quand on souhaite lui en parler, car c’est nous qui comblons les trous auprès de la banque, il nous rejette en disant que ce n’est pas vrai… On voudrait bien être aidé pour lui parler et pour comprendre ce qu’il a… ». Tous deux acceptent que le CReFaP les soutienne. Il leur est proposé de rencontrer d’autres familles touchées par cette même maladie. C’est ainsi qu’ils s’inscrivent au groupe d’échange et d’entraide Partageons Nos Savoirs, puis l’année suivante au groupe de psychoéducation ProFamille. Le second cliché des parents S. est incroyablement différent : l’énergie vitale a réinvesti leur quotidien ; la maman a pris la présidence d’une association de familles de malades mentaux. Ce soir, elle participe à l’élaboration collective d’un guide destiné au grand public afin de faire mieux connaître toutes les formes de handicaps, notamment ceux d’origine psychique, et de contribuer à diminuer les préjugés et autres idées reçues sur les maladies mentales. Le papa, lui, profite de sa retraite, il n’en espérait pas tant. Et les autres familles, ces deux cents vingt familles que le CReFaP accompagne, comment vont-elles ? Elles vont, pour la très grande majorité d’entre elles, mieux, beaucoup mieux qu’à leur arrivée vers nous ; elles respirent, vivent plus sereinement et ont quitté le mode de la résignation fataliste. Car l’accompagnement personnalisé leur a permis de sortir de l’ornière. Nous pourrions multiplier les exemples ; tous disent la même chose : s’intéresser, accompagner et aider les familles a d’innombrables effets positifs directs comme indirects. QUATRE PRINCIPES DE BASE DE L’ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES A défaut d’être de vrais portraitistes, nous sommes deux professionnels du soin (une infirmière psychiatrique et un médecin psychiatre) depuis longtemps investis auprès des familles touchées par la mala- die psychique d’un proche. Nous sommes non seulement convaincus de l’intérêt thérapeutique d’une telle démarche mais aussi défenseurs acharnés des valeurs humanistes qui sous-tendent notre quotidien professionnel. Il y a près de quinze ans, nous avons créé un groupe intersectoriel d’information pour l’entourage familial ayant un proche souffrant de maladie schizophrénique, en nous appuyant sur les liens de qualité qui existaient déjà entre notre secteur psychiatrique et l’association UNAFAM (Union Nationale des Amis et Familles de Malades mentaux). Au fil des années s’est construit et installé un certain nombre d’accompagnements et de dispositifs en direction des familles, qui ont contribué, en 2012, à l’acte de naissance du CReFaP (Centre Ressource Familles & Troubles psychotiques). Cette structuration était nécessaire, ont dit les familles, pour leur faire connaître plus facilement les dispositifs existants et pour leur favoriser, à toutes, la lisibilité d’accès à cet éventail d’accompagnements Chaque parcours que nous effectuons avec les familles est individualisé, personnalisé dans les moyens mis en œuvre : soutien individuel et/ou par le moyen du groupe, rencontre du proche malade ou de l’équipe de soin, déplacement à domicile, travail systémique, évaluation fonctionnelle et au besoin neuropsychologique, psycho-éducation et éducation thérapeutique. Et ces accompagnements durent aussi longtemps que la famille le ressent comme nécessaire car, bien souvent, l’écoute, l’échange, le partage de savoirs, le respect, l’alliance, le partenariat réconfortent et ouvrent de précieux espaces de liberté. Aujourd’hui, le CReFaP accompagne et soutient plus de deux cents vingt familles. Elles viennent de la région Bretagne, quelquefois de plus loin encore. Pour une très grande majorité, l’un ou plusieurs de leurs enfants sont atteints de troubles psychotiques, le plus souvent sévères et persistants. Et tous vivent des détresses insoupçonnées, tel cet époux qui s’est entendu dire que c’était une erreur qu’il puisse connaître le nom des symptômes de la maladie de sa femme, alors qu’il les vit au quotidien , tels ces parents qui n’ont pas su, après plusieurs jours d’hospitalisation de leur fils, qu’ils ne pourraient lui apporter de réconfort ni lui souhaiter son anniversaire (ses dix-huit ans qu’il était en train de passer dans une chambre d’isolement) , telles ces familles dont les besoins de base (place et reconnaissance de leur rôle) ne sont plus ni vus ni entendus : « Vous savez, quand tout est fait pour vous oublier comme famille, Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Portraits de famille l’accompagnement des familles par le centre ressource “famille & troubles psychotiques” vous finissez par vous oublier aussi ! », résume l’une d’entre elles. Au fil des accompagnements des familles, nous avons tiré de nombreux enseignements, qui peuvent être regroupés dans quatre principes de base. Premier principe : les familles que nous accueillons sont avant tout des familles… …que nous devons d’abord recevoir comme telles. Une famille est un système avec un équilibre, une communication, des frontières, des valeurs, une histoire qui lui sont propres. Elle fait aussi face à ce qu’il est communément dénommé les cycles de vie (la rencontre, l’union, les naissances, le départ des enfants,… la retraite, etc.) et à des évènements finalement courants (séparation, deuil, chômage,…). Ces éléments, aussi triviaux soient-ils, doivent pourtant être au cœur de l’accompagnement de toute famille. Notre premier rôle est d’accueillir la parole, d’écouter de manière active, avec empathie, à distance de tout jugement, en clarifiant ce qui doit l’être, en laissant flotter certains flous ou non-dits , à la manière d’un photographe qui, baignant ses clichés dans les bacs de la chambre noire, révèle au fur et à mesure le paysage. Il s’agit de faire connaissance, de repérer ce qui amène une famille. En premier lieu, les problèmes car ce sont toujours eux qui sont évoqués d’emblée : qui vient, qui souffre, qui demande de l’aide ? Mais aussi ce qui semble aller correctement pour la famille. Car s’il ne s’agit pas de vouloir à tout prix rassurer des personnes qui ont toute raison d’être inquiètes, il s’avère nécessaire de valider, parallèlement à la souffrance exprimée, les périodes où elles vivent des évènements comme tout un chacun, les solutionnent correctement à leur manière. Il s’agit pour nous de valider qu’elles possèdent des ressources supplémentaires pour avoir su faire face jusqu’à présent aux contraintes imposées par la maladie de leur proche. Cet exercice d’affiliation, qui demande du temps, parfois même de l’abnégation, est indispensable, avant même de demander à la famille si elle souhaite que nous l’aidions et comment elle souhaite que nous le fassions. Il s’agit avant tout de personnaliser l’accompagnement à travers l’écoute. Cette écoute fait souvent défaut aux familles : « Au mieux on nous entend, au pire on ne nous écoute pas ! » Deuxième principe : les familles que nous accompagnons sont compétentes… …à nous alors de jouer le rôle du révélateur photo, de rendre plus net le négatif, et de mettre ainsi en lumière les compétences enfouies. Les familles se présentent très souvent disqualifiées, perdues dans un processus de deuil de ce que la vie sans la maladie ou sans ce proche aurait pu être, avec l’idée qu’elles ne pourront plus jamais rien faire comme avant. Elles sont souvent envahies au point que la maladie floute l’ensemble des photos et devient un redoutable étendard. Ces familles, toutes sans exception, ont perdu toute conscience qu’elles disposent de capacités d’adaptation hors norme. Elles vivent l’inattendu puis l’indicible sur la durée ; elles sont sans cesse dans la lutte avec, mais aussi contre, leur proche malade, leurs autres proches, l’environnement, les soignants tour à tour aidants et hostiles… Elles connaissent la solitude, le rejet, elles fuient, s’épuisent… Qui d’autres pourraient avoir développé autant de savoir-faire sans y avoir été ni préparés, ni soutenus, ni informés ? A terme, la famille dysfonctionne très souvent, non par incompétence, mais du fait qu’elle doit faire face durablement à une situation complexe lui demandant de mettre en œuvre résistance, patience, inventivité, humilité. Le prix qu’elle paie est une souffrance psychique, physique, émotionnelle, affective et narcissique. Restituer aux familles des champs de compétences –leurs compétences– concoure à leur mieux-être. Troisième principe : nous ressentons des émotions à l’écoute de ces familles… …et il est important pour nous de prendre le temps d’en tenir compte. Celles qui viennent à notre rencontre peuvent parfois être désespérées ou dans des attentes irréalistes par rapport à leur proche et aux soignants, ou encore dans le déni. Aussi nous posons-nous toujours, en premier lieu, la question de nos ressentis émotionnels : quelles sont nos émotions ? Sommes-nous capables, dans le déroulé de la rencontre, de faire preuve d’empathie ? Les émotions ressenties sont-elles en lien avec l’histoire de la famille ou la nôtre, ou l’histoire similaire d’une autre famille ? Nous ressentonsnous capables d’accompagner la famille ? Avons-nous besoin d’aide pour la soutenir ? Tout comme nous ne disqualifions pas les familles, nous ne disqualifions pas les professionnels du soin (ou les partenaires) alors même qu’ils peuvent nous être présentés de la pire manière qui soient par les familles. Il arrive bien évidemment, dans certaines situations, que nos préjugés nous assaillent : nous les livrons impérativement, et le plus rapidement possible, en équipe afin qu’ils ne parasitent pas le travail que nous souhaitons mener ensemble. Loin de nous l’idée, par exemple, de remettre en cause telle prise en charge, de demander à une équipe de soins ou une équipe médico-sociale de changer son fonctionnement. Nous accompagnons la famille pour qu’elle se réapproprie ses capacités à demander de l’information ou à en donner à qui elle le jugera nécessaire, pour qu’elle développe les habiletés adaptatives aux contraintes auxquelles elle est soumise. Quatrième principe : nous partageons ensemble un savoir… …pour lequel chacun a droit de citer. Le CReFaP offre un espace de communication où sont non seulement échangés du vécu, des émotions, des informations, mais aussi du savoir et des connaissances. Savoir scientifique et savoir profane se rencontrent et se complètent, avec leurs vérités et leurs différences. Le secret réside sans doute dans le dosage de ce que l’on partage, dans le moment choisi pour le faire, dans le respect mutuel. Le CReFaP n’est pas un lieu d’expertise, encore moins d’experts. Nous ne savons pas mieux que les familles ce qui est ou serait bon pour elles, et nous ne savons pas non plus à l’avance. Nous ne prodiguons pas de conseils, surtout s’ils ne sont pas demandés. En revanche, nous répondons aux questions auxquelles nous pouvons répondre, et nous engageons à chercher des réponses aux questions posées pour lesquelles nous pressentons qu’il puisse exister des réponses. CONCLUSION Les quatre principes ci-dessus explicités (famille avant tout ; compétences familiales présentes , écoute émotionnellement active , partage de savoirs) constituent le PGCD (Plus Grand Commun Dénominateur) du Centre Ressource Familles & Troubles psychotiques. Ils permettent le premier changement observé, à savoir l’amélioration de la santé des membres de la famille, tant psychique que physique ; et collatéralement, celle du proche malade. Le CReFaP, bien souvent, offre aux familles la possibilité d’une parenthèse dans laquelle elles pourront voir leurs connaissances et leurs compétences reconnues, leur confiance restaurée, leur bien-être amélioré, leur libre-arbitre recouvré. Ainsi, chaque famille se réapproprie ses envies, ses besoins, ses valeurs, prend de nouveau soin d’elle et de son quotidien. Et s’intéresse à son proche malade comme à un individu et non comme uniquement à un malade. Légitimement, elle voudra savoir ce qui se passe pour lui, et forcément continuera à Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 23 Le travail avec les familles en hôpital de jour poser des questions aux soignants, en adaptant formes et fonds des questions. C’est pourquoi notre présence est inscrite sur un temps que la famille définit, avec la règle explicite que notre accompagnement conduira à un relais et que nous sommes disponibles aussi souvent et aussi longtemps qu’elle le souhaite. 24 C’est ainsi s’enrichissent… que les portraits BIBLIOGRAPHIE 1. LEVOYER D., RENOUX L., ANNEIX M.C., DRAPIER D., MILLET B., Un centre de ressource pour les familles, Santé Mentale, 2011, 159 : 52-56. 2. LEVOYER D., RENOUX L., Vous n’allez pas nous laisser tomber ?, Santé Mentale, 2011, 159 : 57-60. 3. LEVOYER D., Partageons nos savoirs avec les familles, Place publique, 2011, 12 : 110111. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 LE TRAVAIL AVEC LES FAMILLES ENTRE MYTHE ET RÉALITE SOCIALE Hôpital de jour universitaire « La Clé » 153 boulevard de la Constitution 4020 LIEGE BELGIQUE [email protected] Dr Alice MUSELLE, Mireille CLOSE, Pr Jean-Marc TRIFFAUX Le travail avec les familles des patients et l’intégration de ces dernières dans notre approche thérapeutique fait partie de notre quotidien à l’hôpital de jour. Le présent article fait l’objet de notre réflexion concernant d’une part, la mutation de la société qui nous amène à travailler avec une multitude de constellations familiales et, d’autre part, la transmission familiale avec notamment la notion de mythe familial. En lien avec ces observations, un atelier groupal intitulé « Cartographie relationnelle » a pris naissance. Par le biais d’un outil métaphorique, il permet d’approcher l’image et la représentation que le patient se fait non seulement de sa famille mais aussi de l’ensemble de son réseau relationnel. Mots-clefs : systémique, famille, mutation sociétale, transmission familiale, mythe, réseau social, génogramme, cartographie relationnelle Working with family: between myth and reality Working with the patients’ families and integrating them in our therapeutic approach is our everyday lives at the day hospital. The topic of this article is, on the one hand, a reflection on the transformation of our society which leads us to work with a multitude variety of family constellations and on the other hand, the consideration of the family transmission and in particular the notion of the family myth. In relation to these observations, a workshop group called “Relational Mapping System” has been created. Through a metaphoric tool, it enables to getting closer to the image and representation the patient has of his own family but also of its entire relational network. Keywords: systemic, family, societal transformation, family transmission, myth, social network, genogram, relational mapping system INTRODUCTION Notre pratique psychothérapeutique à l’hôpital de jour consiste en un travail individuel et groupal. Néanmoins, il est important, selon nous, de tenir compte de l’entourage familial et social avec lesquels nos patients tissent des relations. Parfois la famille est perçue comme une alliée, un soutien, parfois comme un frein voire une agression. Les familles, ellesmêmes, ont une conception du rôle qui leur revient dans la prise en charge. Elles possèdent chacune leur mythe concernant la famille d’une part et la psychiatrie d’autre part. L’institution possède également ses propres mythes concernant la famille et le travail effectué avec elle. Au travers de deux cas cliniques, nous décrirons notre façon d’intégrer les familles dans nos prises en charge et la façon dont s’affrontent, s’intègrent ou se combinent les différents mythes en présence. Dans ce questionnement face à l’intégration des familles, nous sommes confrontés au changement du modèle familial lié à une mutation sociétale. Nous pouvons désormais être amenés à travailler avec une multitude de constellations familiales : familles monoparentales, familles recomposées, familles adoptantes, absence d’entourage familiale, etc. C’est au travers de notre outil métaphorique, « Cartographie relationnelle », que nous investiguerons le réseau relationnel – quelquefois complexe – de nos patients. ASPECTS THÉORIQUES 1. Désinstitutionalisation de la famille et mutation sociétale Nous vivons actuellement une période de transformation profonde de la conception de la famille, des valeurs et des normes au sein de la société occidentale. Nous assistons à « la dissociation normative et concrète qui s’instaure progressivement entre vie de couple et vie familiale, entre sexualité et procréation et entre engendrement et filiation » (Descarries & Corbeil, 2004, p. 5-6) et, par ailleurs, à « la diffusion des valeurs de la démocratie comme principe de gestion de la sphère privée » (Neyrand, 2010, p. 1). Si, jusqu’au XXème siècle, la famille relevait essentiellement de facteurs économiques (protection de la descendance, agrandissement, conservation et transmission du patrimoine), nous sommes progressivement arrivés à une famille principalement fondée sur l’amour-passion et les sentiments exclusifs de deux partenaires (Terrisse, Kalubi & Larivee, 2007). Les conséquences vi- sibles de ces transformations sont la baisse des unions par mariages, l’augmentation des naissances hors mariage, la multiplication des types d’union, la multiplication des types de structures familiales (familles avec moins d’enfant, monoparentalité, familles décomposée ou recomposées, familles adoptantes, etc). L’institution familiale perd de son importance, au profit de la réalisation de soi. On parle de désinstitutionalisation de la famille. Gaillard (2007) parle d’« adolescent mutants ». Il explique que nous assistons à une rupture radicale qui entraine que « le façonnement psycho sociétal des enfants et adolescent de moins de 18 ans n’est plus le même que celui qui façonnait jusqu’à lors les générations successives ». Jusqu’à cette mutation actuelle, l’identité de l’individu se construisait sur l’appartenance (familiale, groupale, culturelle…). Dans cette conception, le couple était alors la matrice de la famille. Actuellement, l’identité se construirait plutôt sur l’autonomie, le développement personnel et l’individualisme. Cela ne veut pourtant pas dire que la famille meurt ; le modèle évolue, change, se transforme. 2. La transmission familiale Selon Neuburger (1995), la famille peut être définie comme une unité fonctionnelle donnant confort et hygiène, un lieu de communication, matrice relationnelle pour l’individu, un lieu de stabilité de pérennité malgré ou grâce aux changements que le groupe peut opérer. C’est aussi un lieu de constitution de l’identité individuelle et de transmission intergénérationnelle par la filiation. Au sein de la famille une transmission va se faire. Une partie de cet héritage provient de la famille maternelle, une autre de la famille paternelle, mais cet héritage provient aussi de la création de l’espace familial commun conçu par les parents. Cet héritage sera également intimement lié à la transformation actuelle de la société et la famille devra faire preuve de créativité. « Pour que cette création opère, la famille doit reconnaitre son héritage, se l’approprier pour le transformer en y intégrant les éléments puisés Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 25 Le travail avec les familles en hôpital de jour dans l’environnement social » (Courtois, 2003, p. 86). L’identité familiale se constitue de son héritage, de ce qui est transmis. Les véhicules de cette transmission sont les mythes, les rituels, les scripts et les affects. Neuburger (1995) définit le mythe familial comme un système de représentations et de valeurs intégrées et partagées par les membres de la famille concernant chacun d’eux et qui organise les rôles et fonctions des membres de la famille au long de leur vie : interdits, autorisations, rôles sexuels, positions générationnelles, sociales, fonctions affectives, tout en conférant à ces représentations une cohérence. C’est l’identité, la personnalité, le ciment familial. Par rapport au mythe, chaque membre est confronté à un double message : le conformisme et la différenciation. Le rituel est la voie d’accès au mythe, il renforce le lien d’appartenance. Neuburger (1995, p. 24) le définit comme « des conduites répétitives qui ont pour fonctions de renforcer le pôle mythique du groupe ». Selon Courtois (2003, p. 91), « une famille dynamique arrive à modifier ses rituels, à introduire des éléments nouveaux au sein de leur structure immuable ». Le script est à l’interface du mythe et du rite. « Il donne des lignes directrices larges et prescrit les séquences relationnelles » (Courtois, 2003, p. 93). Ils impliquent les membres de la famille dans les différentes interactions. Enfin, les affects sont les émotions partagées par la famille. Ils font également partie de la mémoire familiale. La transmission familiale des mythes, des rituels, des scripts et des affects va constituer l’identité familiale. La construction individuelle du sujet se fera entre appartenance et différenciation. Les scripts, les mythes et les rites, vont s’inspirer du passé en tenant compte du présent. « La mémoire familiale s’organise autour de deux grands axes, un vertical, qui est celui de la transmission des savoirs d’une génération à l’autre, un horizontal qui relie la microculture familiale à son écosystème socio-culturel » (Rey, 2000, p. 143). Les mythes présents au sein de la famille vont être confrontés à d’autres mythes : ceux de la société et ceux des institutions. Il faut alors que les différents mythes en présence puissent s’intégrer ; la difficulté naîtra si un des mythes devient une réalité absolue, un idéal rigide et immuable. l’émancipation, peut être un moment compliqué pour le jeune et s’accompagner de difficultés psychiques. Le contact avec l’extérieur, par exemple avec l’hôpital de jour, va entraîner la rencontre d’un autre système, d’un autre cadre comprenant d’autres mythes, d’autres rituels, d’autres règles. « L’enfant s’ancre à la manière d’un bateau dans son port d’attache (sa famille), un jour l’enfant s’en va à la recherche d’autres ports, d’autres ancrages, de nouvelles appartenances, emportant dans sa mémoire des traces indélébiles de ce premier ancrage » (Segers-Laurent, 1997, p. 131). Les institutions et les thérapeutes qui y travaillent peuvent être perçus par la famille comme les représentants de l’ordre social. Cette place peut revêtir un rôle primordial, peut-être encore plus si l’on se trouve dans des périodes d’émancipation d’un jeune. Or, l’institution elle-même se trouve au carrefour de diverses influences : les mythes personnels de chaque intervenant, les mythes de l’institution et la mutation sociétale. En ce qui concerne les mythes des thérapeutes, il faut être attentif à nos propres idéaux et conceptions pour ne pas se retrouver dans une position jugeante avec comme projet de soin « une norme de la bonne famille ». En cas de demande d’aide d’une famille, le danger est de répondre de façon non spécifique en fonction de mythes sociaux sans prendre en compte la dimension mythique de la famille (Neuburger, 1995). La mythique normative décrite par Neuburger est une famille conjugale, avec des tâches partagées, un accord sur l’éducation des enfants et une séparation de la cellule familiale de celle des grands parents. Il arrive que sans s’en rendre compte, nous regardions les situations à travers de « ces lunettes normatives ». Ce modèle familial n’est pas un mauvais modèle, mais il n’y a pas de raison qu’il soit un idéal. Enfin, d’autres mythes sont encore en présence : les mythes institutionnels. Ils constituent l’identité de l’institution dans laquelle on travaille, ses valeurs fondatrices et la dynamique institutionnelle. Les mythes institutionnels se constituent dès la création de l’institution, selon le contexte, l’idéologie, les intervenants. Ils définiront donc la façon dont est perçu, d’une part, le travail avec les familles et, d’autre part, l’approche systémique. rencontrer son entourage au cours d’une hospitalisation. Même si cette rencontre n’a pas systématiquement lieu, le simple fait de l’envisager fera exister la famille dans le suivi et manifestera notre intérêt à l’égard de l’entourage du patient. Ce dernier n’est alors pas exclu de la prise en charge. Si un entretien se met en place avec la famille, il ne s’agira pas pour autant d’une thérapie familiale mais bien d’une rencontre autour du patient. En effet, le travail psychothérapeutique est celui du sujet, tandis que l’entourage constitue un allié dans l’aide que l’on souhaite lui apporter. « L’institution est un coffre à outils dont les familles ont la clé » (Ausloos, 1995, p. 27). Les thérapeutes se sentent parfois accusés par les familles qui appellent, s’inquiètent, se questionnent. Ils peuvent se fermer à ces inquiétudes et la famille entend « qu’on n’a pas besoin d’elle » ou même qu’elle est nocive, voire toxique. Le cercle vicieux va alors s’accentuer et conduire à une rupture. Le fait de rapidement travailler de concert permet de casser ces mythes. Canevaro (2012) décrit les avantages de l’incorporation directe des membres significatifs de la famille dans les thérapies individuelles d’orientation systémique. Il décrit notamment les apports de la famille dans la compréhension de la situation, des malentendus, des mythes, des secrets. Il explique que ces rencontres permettront de favoriser la réconciliation ce qui peut permettre un travail individuel personnel plus important. Dans notre pratique, l’intégration de la famille pourra se faire à des moments différents de la prise en charge, l’important étant de ne pas ignorer l’existence de la famille et de travailler en tenant compte de cette réalité. Le but est d’élargir le champ, de trouver des nouveaux outils, des nouveaux alliés. Il est primordial de rechercher les « compétences familiale » (Ausloos, 1995), les ressources, plutôt que de vouloir corriger ce qui aurait été mal fait. « Collaborer, c’est travailler ensemble, avec nos compétences, nos valeurs, nos responsabilités respectives, mais aussi nos insuffisances, en sachant qu’il n’y a pas de vérité en éducation, seulement un processus d’essais et d’erreurs dans lequel on peut cheminer et grandir » (Ausloos, 1995, p. 161). Pour cela, il faut tenter de s’éloigner du modèle médical qui cherche souvent à chercher ce qui va mal et non à utiliser ce qui va bien. 3. Quelle place pour l’hôpital de jour ? Chaque individu va sans cesse naviguer entre l’appartenance à sa famille et la différenciation par rapport à celle-ci. Dans le début de l’âge adulte, 4. Intégration des familles Nous travaillons selon un modèle dans lequel l’approche individuelle est privilégiée. Néanmoins, il nous semble important de pouvoir proposer au patient de CAS CLINIQUES 26 1. La situation de Léonard Il s’agit d’un jeune homme de vingt ans, adressé par la consultation de Cyberdépendance pour une problématique de dé- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Le travail avec les familles entre mythe et réalité sociale crochage scolaire, d’isolement et de jeu sur l’ordinateur. Léonard présente une symptomatologie dépressive importante avec une thymie abaissée, de la fatigue, de l’irritabilité et de l’impulsivité, des difficultés de concentration et des compulsions mentales de comptage. On note également des consommations massives d’alcool. Par ailleurs, le jeune homme mentait à ses parents, prétendant aller au cours et réussir alors qu’il avait complètement décroché. a. Situation et histoire familiale Léonard est fils unique. Il vit seul la semaine -en ville, pour ces études- et rentre le week-endek-end à la campagne, chez ses parents. Il nous fait part de sa vision mythique de sa famille, en expliquant avoir été un enfant très attendu et que le projet familial pour les deux parents était d’avoir un seul enfant. Le couple parental se connait depuis l’école primaire. Pour le fils, il existe depuis toujours des tensions au sein du couple, mais il n’a jamais été question de séparation. La mère a fait une tentative de suicide, quelques années auparavant dans un contexte de burn out. Le patient explique que son père poussait sa mère à reprendre le travail avant cette tentative. Ce dernier est décrit comme travaillant excessivement, rarement présent et communiquant peu. Le couple des grands-parents paternels est décrit comme intrusif. Le patient dit entretenir des contacts superficiels avec ces derniers. Ils ont longtemps refusé le mariage des parents et les contacts ont repris depuis quelques années. Selon Léonard, son père n’a pas été désiré et a été élevé par ses propres grands-parents. Il ajoute que son oncle a toujours été plus gâté. b. Génogramme Cf. Figure 1. c. Entretiens familiaux Un premier entretien a lieu uniquement avec le patient et sa mère, lors de la préadmission. Il existe une grande complicité entre eux. Ils ne se contredisent pas, parlent l’un pour l’autre. Il existe durant cette première consultation, un moment d’échange entre eux concernant la tentative de suicide de la mère. A ce momentlà, Léonard fait part du fait qu’il reste aujourd’hui très touché ; de cela, elle se montre étonnée et émue, s’en sentant coupable. Durant l’hospitalisation trois entretiens de famille ont lieu. Ces rencontres avec les deux parents ont été rapidement prévues dans l’hospitalisation, d’une part, parce que la symptomatologie de Léonard apparait dans un moment familial important d’émancipation et, d’autre part, parce qu’un premier entretien avec uniquement la mère a eu lieu et qu’il semble nécessaire de “rééquilibrer” les choses et d’inclure le père. De plus, avant la rencontre familiale, le père téléphone à l’hôpital pour faire part de ses inquiétudes concernant son fils (alcool, passivité, tristesse, études). Durant les entretiens familiaux, le clivage entre père et mère-fils est important. Le père décrit des sentiments de colère face aux mensonges de son fils. La mère, quant à elle, livre des sentiments de culpabilité à l’égard de la situation. La famille se décrit au travers de l’image de leur propre famille en vacances : « Chacun fait ce qui lui plait la journée et, à midi et le soir, ils se retrouvent systématiquement en famille pour manger et partager un bon moment. Ils sont alors juste eux trois et il n’y a pas de pressions extérieures ». Nous voyons dans cette image le souhait de chacun de pouvoir naviguer sereinement entre leur appartenance à la famille et la différenciation de chaque membre, ainsi que le souhait de s’éloigner des intrusions extérieures comme celles des grands-parents, par exemple. d. Evolution A l’hôpital de jour, Léonard sociabilise beaucoup et il ne présente plus d’affect dépressif. Il éprouve des difficultés à se mettre au travail en vue des examens qu’il veut passer. Au niveau familial, il dit de sa mère qu’elle prend davantage soin d’elle et qu’elle est rassurée par les entretiens familiaux. Quant à son père, il le décrit comme plus communicatif et plus affectueux. e. Discussion Cette situation est celle d’un enfant unique, constellation familiale qui comme nous l’avons vu- est de plus en plus fréquente dans notre société. Dans ce trio familial, la période d’émancipation est compliquée. L’hôpital de jour intervient dans ce contexte et constitue un nouveau lieu d’ancrage avec d’autres mythes. La rencontre familiale a permis l’intégration des deux parents et une diminution du clivage familial. Le problème de Léonard, au départ, et les entretiens en famille, ensuite, ont permis un rapprochement du couple parental. Cela a aussi permis d’atténuer la vision négative que le père se faisait de la psychiatrie. Le message qu’il a envoyé en téléphonant paraissait, au départ, agressif et les rencontres ont permis d’y voir l’inquiétude. Ces entretiens ont favorisé l’échange et la circulation d’informations concernant la tentative de suicide de la mère. Cette dernière a dès lors peu à peu pu sortir de la culpabilité qui l’engluait et s’inscrire dans une relation “plus aidante” pour son fils. De plus, les entretiens de famille ont probablement permis au patient de faire son propre chemin à l’hôpital de jour, au cours d’un travail individuel. Dans cette situation, il s’agit d’une famille dynamique et non rigide. Tous trois étaient capables d’intégrer de nouveaux éléments à leur héritage familial. L’hôpital de jour a offert au jeune homme un moyen de différenciation sans pour autant perdre son appartenance. 2. La situation de Damien Il s’agit d’un jeune homme d’une vingtaine d’année également, suivi en psychiatrie depuis son adolescence alors qu’il refusait une greffe rénale et disait vouloir mourir. Damien a accepté l’hospitalisation dans un contexte de recrudescence des idées suicidaires et d’affect dépressifs majeurs. Il est alors dans un moment où il accepte le monde extérieur proposé par son thérapeute. a. Situation et histoire familiale Le jeune homme est atteint d’une maladie rénale depuis l’enfance ayant conduit à une greffe. La première greffe rénale s’étant soldée d’un rejet, une seconde eut lieu à l’âge de 17 ans. Les parents sont séparés depuis qu’il a deux ans et Damien a été élevé par sa mère avec laquelle il vit actuellement. Il n’a plus de contact avec son père. La scolarité s’est interrompue en troisième secondaire. Avant cela, le parcours est ponctué de nombreux déménagements liés à des conflits de voisinage et de changements d’école. La mère présente une dépression récurrente. Du côté maternel, Damien connait uniquement ce qu’elle lui a rapporté. Il explique que la grand-mère était très dure avec elle qui était l’aînée de la fratrie. La mère est célibataire, ce qu’elle reproche à son fils. Le patient ne connait rien du côté paternel, mis à part une vision diabolisée par la mère. La relation mère-fils est extrêmement tendue. Les fluctuations d’humeur de Damien dépendent énormément des conflits entre eux. A plusieurs moments de l’hospitalisation, elle fait “irruption” dans la prise en charge (téléphone, interpellation des infirmières, lettre, mails). Dans le suivi somatique, la mère prend également beaucoup de place ; elle s’est fâchée avec plusieurs médecins jusqu’à porter plainte contre certains. Dans la prise en charge, elle se montre très ambivalente. Elle reproche à Damien ses progrès et lui en veut de vouloir faire des activités avec d’autres qu’elle. Durant l’hospitalisation, elle fait plusieurs fois des menaces et des passages à l’acte suicidaire. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 27 Le travail avec les familles en hôpital de jour b. Génogramme Cf. Figure 2. c. Entretiens familiaux Des entretiens incluant la famille sont rapidement proposés. Pour Damien, la seule personne possible à faire venir est la mère. L’entretien est accepté après un mois. Au premier entretien mère-fils, cette dernière dit avoir toujours été demandeuse d’entretiens de famille. L’entretien est fait des reproches et des plaintes de la mère, les échanges sont tendus. Néanmoins un point important ressort : il est difficile pour la mère de voir Damien avancer “sans elle”. Elle se manifeste par des courriers et des appels et elle propose et annule plusieurs autres rencontres. Une deuxième entrevue peut finalement être fixée. Durant cet entretien, la mère parle à nouveau énormément. Elle explique se sentir seule, critique Damien, disant qu’il ne fait aucun projet ou encore dit vouloir “divorcer” de ses fils. Pourtant, après la rencontre, on apprend que mère et fils se sont pris dans les bras dans la salle d’attente. Dans les suites de cet entretien, Damien adresse une lettre à sa mère dans laquelle il lui écrit tout ce qu’elle a fait pour lui et l’en remercie. Pour le patient, la devise de la famille est : « Les choses n’ont pas besoin d’être dites, on est censé connaitre l’autre comme soi-même ». Cette devise traduit bien la difficulté de différenciation entre mère et fils. Enfin, l’image proposée par le patient pour illustrer sa famille est : « Je suis un petit feu qu’elle essaie d’éteindre avec de l’eau, elle ajoute tantôt du bois tantôt de l’eau… » On peut y voir toute l’ambivalence entre mère et fils par rapport à l’émancipation. d. Evolution Globalement, au niveau de la symptomatologie dépressive et de l’idéation suicidaire, Damien évolue favorablement. Il parvient à sociabiliser rapidement avec d’autres patients au sein de l’hôpital. Néanmoins lorsque l’humeur fluctue, il l’attribue systématiquement aux disputes et aux reproches entretenus avec sa mère. Ces conflits sont récurrents et se répercutent, par moment, sur l’hospitalisation (la mère refuse de conduire son fils à l’hôpital, demande puis refuse des entretiens). Damien réalise un travail personnel évoluant petit à petit vers un besoin d’indépendance. Néanmoins, il se montre ambivalent par rapport à son envie et à sa capacité à s’émanciper. Après l’hospitalisation, le patient reprendra finalement une formation et pour ce 28 faire, il prendra un appartement durant la semaine et rentrera chez sa mère le weekendek-end (c’est mère et fils qui trouvent cette solution, beau compromis entre la prise d’indépendance et le fait de rester au domicile familial). e. Discussion Il s’agit ici aussi d’une constellation familiale “nouvelles”. L’hôpital de jour se trouve ici face à un duo familial rigide. La rencontre familiale a permis de ne pas exclure une mère qui aurait pu susciter notre rejet. Grâce à son intégration, elle a assoupli un mythe selon lequel le monde médical est dangereux pour la famille. Elle a exprimé le sentiment de dévalorisation d’une mère qui, seule, n’a pu accompagner son fils dans son autonomie et qui fait appel à la médecine alors qu’elle n’a pas confiance dans l’institution médicale. L’ambivalence de la mère et du fils dans le processus d’émancipation, d’autonomie a pu être discutée et l’information a circulé. Damien a écrit une lettre à sa mère après un des entretiens familiaux. Dans cette lettre, il mettait en mot la dette qu’il avait envers elle quant aux “sacrifices” qu’elle avait faits pour lui. Dans cette famille, le temps s’était arrêté et le cadre de la famille rigidifié. Les étrangers en étaient exclus. Or, l’hôpital de jour va créer une faille énorme avec l’extérieur. Lentement, le couple mère-fils s’est ouvert. Les entretiens ont été peu nombreux mais les contacts avec la mère d’une importance cruciale (courrier, téléphone…), bien que parfois violents pour que le monde extérieur puisse côtoyer le monde intrafamilial. PRÉSENTATION DE L’ATELIER 1. D’une définition de la famille « La famille, souvent vue comme unité de base de toute société, fait partie de ces évidences, que tout le monde croit connaître sans parvenir à les définir précisément » (Jonas, 2007, p. 10). Effectivement, au début du siècle dernier, le sociologue Parsons (cité par Jonas) envisageait la famille sous la forme conjugale : un homme et une femme mariés qui vivent avec leurs enfants sous le même toit, jusqu’à ce que ces derniers aient accédé à une certaine autonomie financière. Assurément, d’après Halpern (1987, cité par Bouchard, 1991), la famille traditionnelle n’est plus une réalité pour bon nombre d’entre nous. « Une famille sur cinq ne correspond plus au schéma classique d’un homme et une femme élevant leurs enfants, et leurs enfants seulement. Nous avons affaire, de plus en plus, à des réseaux relationnels complexes, à des parentés plurielles » et « à des filiations multiples […] allant de la parenté du sang à la parenté du cœur » (Fize, 2005, p.24, p.60). 2. Vers une définition du réseau relationnel Jusqu’il y a peu, bon nombre de sociétés traditionnelles se fondaient essentiellement sur la famille au sens premier du terme ; les meilleurs amis, les confidents faisaient indubitablement partie de la parenté voire de la parenté élargie. Aujourd’hui, la famille d’en temps, “pivot” des relations de sociabilité et d’entraide, se voit peu à peu substituée à la parenté élargie, au voisinage, aux associations ou encore aux amis et connaissances. Fortin qualifie cette nouvelle instance de « grande famille sociologique » (Fortin & al., 1985). Le soin psychiatrique en hôpital de jour se trouve au cœur du soin relationnel en étroite interaction avec ces changements structurels. En effet, le réseau sociofamilial du patient s’avère fréquemment être une ressource éclairante pour le psychothérapeute, que ce soit en termes informatifs (ex. hétéro-anamnèse) comme en terme de soutien actif en extrahospitalier. Au travers de la fonction symbolique du langage, la valeur thérapeutique de la parole peut émerger au sein d’une nouvelle aire transitionnelle “suffisamment bonne” entre le sujet, le groupe d’où il provient et l’équipe soignante possédant elle-même une histoire individuelle et collective. Le terme “réseau” provient du mot latin “retiolus”, diminutif de “retis”, qui signifie “filet”. En sciences humaines, un réseau social est un ensemble d’entités (personnes, groupes ou institutions) qui entretiennent des liens créés et vécus lors d’interactions sociales. Le réseau se manifeste par des relations entre personnes dans le cadre de relations de proximité, d’amitié, de collaboration professionnelle ou scientifique, ou encore d’aide et de soins. On soulignera également l’effervescence du réseautage social promue par le Net. Le réseau social contient non seulement les parents consanguins mais aussi les amis intimes, piliers affectifs incontournables, les copains, voisins, collègues, compagnons de route, soit toute personne ayant croisé et marqué le patient sur son parcours de vie. 3. La famille comme système versus réseau-système La famille-système est envisagée sous l’angle d’une unité globalisante organisée d’interrelations entre individus (Morin cité par Dessoy, 2003), dont l’équilibre provisoire garantit son évolution voire sa survie. Ses membres sont unis par un lien dit d’attachement. Dans ce milieu, des « lois familiales organisationnelles » se Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Le travail avec les familles entre mythe et réalité sociale conjuguent à des « lois personnelles », garantie de l’identité et de la singularité de chacun des membres. Elles permettent de rechercher ensemble un certain équilibre des forces en tension et de les orienter vers un état stable. Les circonstances de la vie modifient constamment cet équilibre instable. Chaque nouvel état de désorganisation nécessite des interactions et des stratégies nouvelles afin de renverser l’état de désorganisation et ainsi tendre vers un nouveau niveau de réorganisation (Bouchard, 1991). On parle dans ce cas d’homéostasie du système. Ce regard systémique porté sur la famille offre donc la possibilité de cerner davantage les adaptations opérées par le système familiale en quête de polarisation des forces antagonistes et complémentaires internes ou externes, ceci, dans l’optique d’entretenir leur équilibre tout en respectant les lois d’unité et d’autonomie (Dessoy, 2003). Comme il importe d’envisager la famillesystème, il nous semble intéressant d’investiguer le réseau-système. 4. Représentation graphique de la famille-système Les génogrammes ou encore génosociogrammes sont fréquemment utilisés en thérapie familiale. Variantes de l’arbre généalogique classique, ils se distinguent de ce dernier par leur approche psychologique transgénérationnelle, étudiant un minimum de trois générations. Ils visent l’étude des liens unissant le patient symptôme à ses ancêtres. « Les génogrammes permettent d’obtenir une image rapide des modèles familiaux complexes. Ils constituent une source riche d’hypothèses quant à la manière dont un problème clinique peut se voir relié au contexte familial ainsi qu’à l’évolution à la fois du problème et de son contexte » (Mc Goldrick & Gerson, 1990, p. 19). 5. Vers une représentation graphique du réseau- système : Présentation de l’atelier « Cartographie relationnelle » a. Objectif L’objectif thérapeutique de cet atelier groupal est d’aborder de façon originale la question des relations interpersonnelles en intra comme en extrahospitalier, question incontournable au vu d’un projet de réinsertion sociale voire professionnelle. A cette fin, nous proposons un outil métaphorique permettant d’aborder l’image et la représentation que le patient se fait non seulement de sa famille, mais également de l’ensemble de son réseau relationnel : une “carte géographique”. Le patient réalise cette carte en y plaçant ses différentes relations comme s’il s’agissait de villes. b. Modalités pratiques L’atelier se déroule sur deux plages d’une heure et demie. Selon une approche psycho-artistique, la première séance est consacrée à la réalisation de la carte. La seconde, quant à elle, offre la possibilité aux participants de présenter leur production et de s’exprimer quant aux émotions qui les ont traversés au cours de cet atelier. C’est pourquoi, afin de favoriser les échanges, nous limitons le nombre de participants à huit. La dynamique relationnelle, de par sa nature, est en constante évolution. Aussi, il arrive qu’au cours de son hospitalisation, le patient soit invité à nuancer voire retravailler sa cartographie relationnelle. Enfin, le caractère groupal de l’atelier ne permet pas d’investiguer certains points plus personnels en profondeur. Le patient est donc libre d’approfondir davantage ce support au cours de sa thérapie individuelle avec son psychiatre. c. Consignes relatives à la réalisation de la carte Cf. Tableau 1. d. Apports de l’atelier La cartographie relationnelle permet d’aborder de façon originale le récit de vie de nos patients ; elle est un support intéressant pour amorcer la thérapie individuelle. Cet exercice permet de décharger beaucoup de choses sur le plan affectifémotionnel. « Déposer graphiquement l’historique de son réseau socialefamiliale sous la forme d’une cartographie relationnelle permet de prendre un temps du recul », nous confie J.B.. Construire sa cartographie relationnelle, « c’est aussi s’octroyer un temps de libération de la parole, un temps d’acceptation de ce qui a été, de ce qui est, de son appartenance. C’est pouvoir poser un regard nouveau sur la complexité de son réseau, remettre en perspective les difficultés traversées, surmontées ou non par chaque entité » (Ancelin Schützenberger, 2009). Comme le génogramme, cet outil permet de souligner les filiations, les ruptures de liens, les répétitions, les comportements de dépendance, les vulnérabilités, les nondits, etc. Il montre comment les différents rôles et les diverses règles qui ont cours dans un réseau-système donné influencent les relations entre les différents membres. Cet outil permet d’identifier les processus de transmission de valeurs, des croyances, les processus de destructions en œuvre comme ceux de création. En effet, l’utilisation de la cartographie relationnelle nous a permis de mettre en évi- dence, certains modes de fonctionnement propres à chacun de nos patients. C’est ainsi que « ce voyage dans le temps invite à comprendre comment notre histoire personnelle, nos petites histoires -nos difficultés et nos drames- s’inscrivent dans la grande histoire et dans les évolutions sociales » (Ancelin Schützenberger, 2009). Cette photographie de nos relations permet de jeter un regard sur la dynamique de nos relations. Cet état des lieux du réseau relationnel permet d’identifier les piliers affectifs – pilier ressources ou de prendre conscience de leur absence. Qu’en est-il de leur stabilité ? Quel est le rôle respectif de chacun ? Quelle relation mérite d’être travaillée ? Quid de mes objectifs thérapeutiques sur le plan relationnel ? Enfin, certains patients ont évoqué leur crainte de ne pas figurer sur la cartographie d’autres patients. Cela permet d’aborder la réciprocité de la relation. Cet atelier s’avère aussi un outil précieux quant à l’évaluation de la dynamique de groupe intra-hospitalière. CONCLUSION A la lumière des deux cas cliniques et de l’atelier « cartographie relationnelle », nous avons tenté de vous faire part de nos réflexions face à la mutation sociétale et à la désinstitutionalisation de la famille. Parallèlement, nous avons tenté d’attirer votre attention sur l’impact des mythes du patient et de sa famille, ceux de la société, ceux de l’institution ou encore des nôtres ; ces derniers forment un réseau complexe indissociable de notre prise en charge. Au vu de ces observations, doit-on parler de pratiques thérapeutiques en mutation ? BIBLIOGRAPHIE 1. SCHÜTZENBERGER A., Aïe, mes aïeux ! : liens transgénérationnels, secrets de famille, syndrome d’anniversaire, transmission des traumatismes et pratique du génosociogramme, Paris, Desclée De Brouweek-endr, 2009 2. AUSLOOS G., La compétence des familles, Toulouse, Eres, 1995 3. BOUCHARD J.-M., Famille anti-crise, in COURTOIS J.-P., Innovation en éducation familiale, Bruxelles, De Boeck Université 1991, pp. 17-34 4. CANEVARO A., Convocation directe des membres significatifs de la famille durant la Psychothérapie individuelle d’un adulte. Communication présentée au Séminaire d’étude, Lausanne, 2012 5. 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LAHAYE (Dir.), Penser la famille, numéro spécial thématique, La matière et l’esprit, 2007, 7 (2), 11-18. Figure 1 : Génogramme de Léonard Figure 2 : Génogramme de Damien 30 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Le travail avec les familles entre mythe et réalité sociale Tableau 1 : Consignes de l’atelier "Cartographie relationnelle" M. CLOSE, HJU La Clé (2013) Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 31 LA FAMILLE S’AGRANDIT Centre orthogénique 30 rue du Mayeuri 6032 MONT-SUR-MARCHIENNE BELGIQUE [email protected] Annie DELAETERE-BRULOIS, Fabian GILLE, Geneviève JADOUL, Betty LUST Le Ricochet (centre résidentiel pour jeunes) est né ! Vous font part de cet heureux événement La Direction et l’équipe du Centre Orthogénique, ses Parents La Direction et l’équipe du Centre André Focant, son grand frère Les fondateurs du Centre Orthogénique, ses grands parents Oui mais…. - après quel type de grossesse ? désirée ? nerveuse ? à risque ? - en réponse à l’échec ? (ou à la réussite ?) du travail avec les familles en centre de jour ? - afin de profiter de la richesse transgénérationnelle ? Trois représentants de l’accompagnement familial (un par structure) et le pédopsychiatre, vont essayer de dégager à la lueur de vignettes cliniques, leurs doutes, découragements, révoltes et échecs mais aussi leurs joies, réussites et espérances quant à ce travail. Il s’agira aussi de repérer en quoi le travail avec les familles dans notre centre de jour, vieux de 36 ans, interpelle, nourrit, perturbe, nuance et enrichit le travail famille en résidentiel et réciproquement. Mots-clefs : centre de jour, centre résidentiel, enfants, adolescents / adultes, accompagnement familial, échec / réussite, richesse / entrave transgénérationnelle An addition to the family Ricochet (residential Centre for young People) is born! Are pleased to announce this happy event The Management and team of the Orthogenic Centre, its Parents The Management and team of the André Focant Centre, its older brother The founders of the Orthogenic Centre, its grandparents Yes, but… - what was the pregnancy like? - wanted? tense? risky? - a response to the failure (or the success) of working with families at the day centre? - in order to make the most of cross-generational assets? Three family support representatives (one per structure) and the infant and juvenile psychiatrist will endeavour, with the help of clinical thumbnails, to express their doubts, despondency, rebellions and failures, but also their joys, successes and hopes about this work. The way in which the work with families in our day centre, set up 36 years ago, challenges, nourishes, disrupts and enriches the work with families in residential care and vice versa will also be explained. Keywords: day centre / residential centre, children, adolescents / adults, family support, failure / success, assets / cross-generational obstacle I. INTRODUCTION Le Centre Orthogénique, centre de jour, existe depuis 36 ans. Nous y soignons 28 enfants et adolescents de 3 à 18 ans atteints de troubles envahissants du développement (TED). Nous y accompagnons leurs familles dans l’espoir, souvent rencontré, parfois déçu, d’un partenariat. Comme présenté dans notre faire-part, nous avons donné le jour à deux autres structures, le Centre André Focant, service résidentiel pour adultes (24 ans aujourd’hui), et le Ricochet, service résidentiel pour jeunes (22 mois) qui ont la particularité d’être des hébergements et donc de proposer l’éloignement familial. Le centre André Focant est à ce jour un adulte autonome et en bonne santé et plein de projets. La nature d’un de ces projets est l’accompagnement de nos résidents et/ou de leurs familles, plus parti- 32 culièrement de leurs parents, dans la vieillesse et la mort. Les “parents” que nous sommes au Centre Orthogénique se préoccupent plus et beaucoup du petit dernier, « Le Ricochet », qui se débat depuis sa conception jusqu’à ce jour pour sa survie… Il héberge néanmoins 22 jeunes et nous vous ferons partager le parcours périlleux de deux d’entre eux. Mais plus fondamentalement, c’est quoi ce besoin de créer ? Après avoir réfléchi aux raisons conscientes et inconscientes de ce besoin de créer de nouvelles institutions et aux mythes qui sous-tendent nos actions et qu’il serait trop long de développer ici nous proposons de nous focaliser sur le travail “familles”. L’ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES AU CENTRE ORTHOGENIQUE L’accompagnement des familles au Centre Orthogénique, c’est toute une histoire ! Nous allons tenter d’en dégager la trame. Si les modalités pratiques de cet accompagnement ainsi que ses objectifs ont pu évoluer constamment au fil du temps, les valeurs qui la sous-tendent et qui ont été énoncées par le Fondateur du centre sont restées bien présentes, à savoir Amour, Respect, Humilité et Authenticité. (Et oui ! nous osons parler d’amour… ! pas très scientifique tout ça… !). Ainsi, et dès l’ouverture du Centre, une importance primordiale a été accordée à la place des parents en les impliquant dès le diagnostic posé. Conscients de l’énorme difficulté à accepter un diagnostic aussi lourd, c’est à un cheminement vers une certaine forme d’acceptation que nous les invitons afin qu’ils puissent adhérer à la prise en charge de leur enfant. En effet, faute d’un minimum de consensus et donc de reconnaissance du bien-fondé des traitements proposés, il y aurait grand risque que l’enfant se trouve écartelé entre l’institution et sa famille. Dès le début également, il a toujours été clairement signifié aux parents que notre structure avait pour mission de soigner leur enfant et non pas ses parents. Si, avec les enfants malades, nous sommes dans le soin, relation de type thérapeutique, avec leurs parents, nous nous positionnons clairement dans un autre registre, relation de type partenariat. Ceci est parfaitement cohérent avec le principe du centre de jour, les parents continuant à assumer pleinement leurs responsabilités comme acteurs principaux de l’éducation de leur enfant au quotidien. C’est fort de cette reconnaissance mutuelle qu’un contrat de collaboration peut s’établir entre l’institution et les parents, afin d’œuvrer ensemble et complémentairement au bienêtre et à la meilleure évolution possible des enfants qui nous sont confiés. Concrètement le travail avec les familles se décline aujourd’hui selon un canevas d’entretiens bien balisés. A côté de ces entretiens formalisés, l’équipe familles offre sa disponibilité aux familles qui peuvent la solliciter en fonction de leurs Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 La famille s’agrandit besoins de même que les familles peuvent être sollicitées par l’équipe pour venir échanger sur une problématique particulière rencontrée avec leur enfant. Ce fonctionnement sous forme de partenariat a permis de diminuer le sentiment de culpabilité des familles au profit d’un accroissement de leurs responsabilités. Il faut encore mentionner tous les contacts informels avec les parents lorsqu’ils viennent déposer leur enfant le matin et le reprendre après la journée. Nous avons toujours été particulièrement attentifs à la qualité de l’accueil lors de ces moments car c’est souvent là que les parents, au travers d’une parole, d’une attitude, nous feront passer des messages importants. Parlant de l’histoire de l’accompagnement des familles au Centre Orthogénique, il faut ici relayer une prise de conscience qui s’est imposée à l’équipe dans les années 80. Les premiers enfants accueillis atteignent à ce moment l’âge adulte et leurs parents se retrouvent sans solution de prise en charge pour eux. En effet, force est de constater qu’après l’âge de 18 ans, il n’existe rien comme solution d’hébergement en dehors de l’asile psychiatrique à cette époque ! Il faudra 7 ans et 8 ministres pour obtenir l’autorisation d’ouvrir le Centre André Focant qui accueillera ses premiers résidents en 1989. C’est la non acceptation de l’inacceptable qui aura été le moteur de la création d’une nouvelle structure. Nous sommes depuis une petite dizaine d’années interpellés par le constat alarmant d’une précarisation et d’une dégradation de l’état des familles en lien, notamment, avec la dégradation socioéconomique de la région dans laquelle notre structure est implantée. Nous sommes confrontés de plus en plus souvent à des familles monoparentales, à des familles touchées par la maladie mentale, la toxicomanie et la pauvreté, et qui, aux prises avec ces graves problèmes, n’arrivent plus à assumer leurs responsabilités. De tous ces constats est née une réflexion qui a abouti finalement à la création du Ricochet, structure d’hébergement de nuit et de week-endek-end dédiée spécialement à des enfants souffrant de problématiques psychiatriques et dont la plupart des parents ne peuvent plus assumer la prise en charge. Cette nouvelle institution a permis à plusieurs enfants du Centre Orthogénique d’éviter une rupture dans la continuité des soins, et donc du lien, au contraire d’une hypothétique réorientation de ces enfants vers un internat pédopsychiatrique (où il n’y a de toute façon jamais de place avant 2 ans… quand tout va bien !). LES VIGNETTES CLINIQUES 1. Thibaut La première concerne un enfant qui n’a de lien ni avec le Centre André Focant ni avec le Ricochet et qui, après 3 ans et demi de prise en charge au Centre, vient d’être réorienté vers un internat pédopsychiatrique. La plupart des enfants sortent de la psychiatrie au terme de leur prise en charge chez nous soit en intégrant ou en réintégrant l’école, soit en intégrant une structure de jour pour enfants avec handicap dont ils pourront bénéficier jusqu’à l’âge adulte sans contrainte de limite dans la durée. L’objectif de cette vignette est de montrer que, loin de devoir être considérée comme un échec, une telle orientation vers un Internat pédopsychiatrique peut constituer un véritable projet thérapeutique en soi. “Thibaut”, âgé de 6 ans et atteint d’autisme, est le 2ème enfant d’une fratrie de 3 garçons. A 2 ans et demi, il est orienté vers un hôpital de jour où il restera 3 ans, ce qui correspond à la limite de temps imposée par l’INAMI, l’organisme subsidiant. Au terme de cette première prise en charge, Thibaut devait être orienté vers une école spécialisée dans une classe TEACCH1, mais les parents ne le sentant pas prêt, ont opté pour une structure où leur fils pourrait bénéficier encore de soins psychiques. C’est ainsi qu’il entre chez nous à l’âge de 6 ans, cette orientation étant appuyée par un Centre de Référence Autisme (CRA). Les premiers contacts avec les parents sont chaleureux. Ils sont collaborants et ouverts à partager leur souffrance d’avoir un enfant autiste. Au fil du temps une réelle relation de confiance s’installe. Même si, dès le premier entretien, nous abordons la sortie de l’enfant, c’est 18 mois après son entrée que les parents abordent pour la 1ère fois la question de l’internat. Thibaut se montre de plus en plus impulsif voire agressif avec ses frères, et c’est pour préserver ceux-ci que les parents envisagent éventuellement la solution de l’internat. Il faut dire qu’eux aussi sont épuisés par l’énergie dépensée pour gérer les crises de Thibaut. La maman est d’ailleurs en arrêt de travail tellement elle est épuisée par le manque de sommeil… Quelques temps après, les parents sollicitent un entretien pour nous demander explicitement de nous positionner en équipe sur le bien-fondé ou pas, pour Thibaut d’aller dans un internat thérapeutique. Ils ne nous cachent pas que cette 1 Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped CHildren éventualité génère chez eux et surtout chez la maman énormément de culpabilité… Nous abordons donc en réunion la question de l’orientation future de Thibaut à la lueur de l’idée d’internat. Après réflexion, l’équipe émet un avis favorable à l’internat. En effet, l’école n’est toujours pas envisageable pour Thibaut et, d’autre part, la famille est vraiment mise à mal par ses comportements. Néanmoins les parents, loin de se reposer sur notre avis, restent très investis et soucieux du bien-être et de l’avenir de leur fils. Il est donc proposé de les accompagner dans ce projet, à leur rythme et en restant nous aussi investis auprès de l’enfant afin qu’il puisse vivre au mieux cette période de transition. En février de cette année, le papa nous informe de leurs démarches. Ils ont choisi la structure qui leur semblait la plus adéquate pour poursuivre les traitements de Thibaut, sont allés la visiter avec lui et l’y ont inscrit pour une rentrée possible en septembre. En avril, nous revoyons encore une fois les parents. Cette fois, la date d’entrée à l’internat est fixée au début du mois de septembre. La maman ne cache pas toutes ses peurs. De son côté, Thibaut manifeste un nouveau comportement : il saute et se laisse tomber… Veut-il lui aussi nous exprimer sa peur de ce changement à venir ? C’est en effet un fameux saut à faire en passant d’un hôpital de jour à un internat ! A nous, institution et parents, de lui garantir la contenance qui lui permettra de franchir cette étape importante de sa vie sans tomber dans le vide. Nous osons croire que ce nouveau projet, mis en place autant pour lui que pour sa famille, lui permettra de poursuivre son chemin d’humanité et de vie. 2. Massimo Cette deuxième vignette concerne un adolescent de 15 ans, “Massimo” qui, grâce à l’existence du Ricochet, a pu poursuivre sans rupture sa prise en charge chez nous au moment où une mesure de placement a été prise pour lui il y a un peu plus d’un an. Dès 2010, au Centre Orthogénique, les réflexions autour de “Kevin” et “Harry” aboutissent au constat qu’il n’existe pour ces enfants aucune structure spécifique adaptée qui peut les prendre en charge. Leurs familles ne peuvent assumer leur maladie et handicap lourds, que faire ? Doit-on se résigner et laisser l’état de ses enfants se dégrader ? L’idée de créer le Ricochet est née. Nos impératifs et logiques socio-médicopsychologiques s’opposent alors à certaines logiques financières. Sous l’impulsion fortuite d’“Abdel” (un enfant Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 33 Le travail avec les familles en hôpital de jour de 9 ans en “perdition”), le projet reçoit un feu vert administratif tout à fait inespéré et c’est donc au cœur de l’hiver 2011 que les portes du Ricochet s’ouvrent, avec un statut néanmoins très précaire (qui le reste encore à ce jour. Un tandem thérapeutique, infirmier-psychologue, se forme dont la mission est de créer et animer l’espace “familles”. En moins de 6 mois, la structure Ricochet est remplie et les demandes continuent d’affluer. Le travail s’annonce ardu. L’espace famille au sein du Ricochet, ce sont avant tout des visites encadrées les mardis soir, les mercredis après-midi et les samedis matin, des contacts téléphoniques avant et après chaque retour en week-endekend, des réunions avec les parents, des entrevues avec les enfants pour leur parler des décisions prises par l’autorité judiciaire, des réunions avec les écoles, les centres de jour afin d’optimaliser nos forces, sans oublier l’importance des réunions d’équipe et notre participation aux réunions avec les Services de Protection Judiciaire (SPJ) et les Juges de la Jeunesse. Bien que 80% des enfants confiés au Ricochet le soient par le Service de Protection Judiciaire, l’admission au Ricochet est toujours pensée afin d’amorcer et/ou maintenir un lien avec les parents, les informer et donc les rassurer quant la prise en charge et les assurer de notre bienveillance. Mais revenons à Massimo. Massimo est entré au Centre Orthogénique il y a 3 ans, alors qu’il avait 12 ans, avec un diagnostic de trouble envahissant du développement non spécifié. En fait il fréquentait à ce moment une école spécialisée et a commencé à avoir des hallucinations visuelles et auditives, ce qui a alerté les enseignants et le centre PsychoMédico-Social. Il est alors hospitalisé en psychiatrie où un diagnostic de prépsychose sur climat familial délétère (conflit pour la garde des enfants) est posé. Le pédopsychiatre qui suit Massimo, vu ce contexte familial extrêmement conflictuel, préconise un internat pédopsychiatrique. Le père s’opposant farouchement à cette proposition, la mère fait intervenir le Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ) pour que Massimo puisse recevoir les soins dont il a besoin. Vu le refus de collaboration du papa, le Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ) transfère le dossier au Service de Protection Judiciaire (SPJ). C’est ainsi que le Centre Orthogénique est proposé comme solution de compromis, en attendant qu’une place se libère en internat (liste d’attente de 2 ans !). A ce moment, Massimo passe la semaine chez sa maman et le week-end chez son papa. 34 Dès nos premiers contacts avec le papa, celui-ci veut nous faire intervenir dans ses soucis de garde de ses enfants. Il nous apparaît d’emblée comme très démuni intellectuellement et mentalement, incapable de comprendre et de se faire comprendre du corps médical et de la Justice. De son côté, la maman a entamé une procédure judiciaire pour obtenir la garde exclusive de ses enfants. Massimo a une sœur cadette en grande souffrance psychique elle aussi. Un mois après l’entrée de son frère au Centre Orthogénique, et alors qu’elle n’a que 9 ans, elle téléphone à plusieurs reprises au Centre Orthogénique en se faisant passer de manière étonnamment crédible pour la mère d’un enfant autiste qui cherche une place pour lui ! Elle est actuellement prise en charge dans un internat pédopsychiatrique. Mais revenons à Massimo et surtout à son contexte familial. Les 2 parents se disent certes conscients que leurs problèmes conjugaux ont fortement perturbé leurs 2 enfants. Néanmoins, Monsieur a beaucoup de mal à admettre la maladie psychiatrique de Massimo. Il reste persuadé que son fils n’aurait pas dû être hospitalisé en psychiatrie, que cela lui a fait beaucoup de tort. De même il n’a jamais accepté que ses enfants soient orientés, comme lui, dans l’enseignement spécial. Cette réalité le renvoie probablement trop à sa propre histoire dont il souffre toujours actuellement. Il a une peur panique de l’internat pour ses enfants, ayant luimême vécu cette expérience de manière très négative et comme un abandon… De son côté, Madame insiste lourdement sur les incompétences de son ex-mari : il ne comprend rien, ne prend pas une place de père auprès de ses enfants dont il essaye plutôt d’être le copain. Elle semble ne pas pouvoir se remettre en question et parle de la situation de manière très désaffectisée et manipulatoire. Entretemps, Massimo a pu déposer dans les espaces thérapeutiques tout son malêtre et sa souffrance d’être continuellement tiraillé entre ses 2 parents. Il arrive même à mettre des mots et il dit qu’il ne peut pas choisir entre son père et sa mère, que ce n’est pas possible pour lui ! Malgré toutes nos interpellations aux parents de Massimo pour qu’ils arrêtent de se servir de leurs enfants pour régler leurs conflits, ils persistent dans leur fonctionnement. Face à cet échec et vu la dégradation psychique de Massimo, nous décidons de dénoncer la situation au Service de Protection Judiciaire (SPJ) en demandant clairement qu’une mesure soit prise pour protéger Massimo de ce contexte toxique pour lui. Le Service de Protection Judiciaire (SPJ) entend notre appel et Massimo est placé au Ricochet en mai de l’année passée… Le 25 mai 2012, nous invitons donc Massimo et ses parents à rencontrer l’équipe du Ricochet, à visiter les lieux, à prendre connaissance de nos rythmes, des activités proposées…, seule la maman et Massimo assisteront à ce rendez-vous. Le papa refuse de venir : pour lui, il s’agit d’une forme d’emprisonnement de son fils, pour lui, la décision judiciaire représente une négation de son autorité paternelle. Nous refusons de nous retrancher uniquement derrière la décision judiciaire pour répondre aux demandes et questions incessantes du papa. Différents rendezvous lui sont fixés afin de lui expliquer ce que vit Massimo, ses difficultés, mais aussi ses progrès, les projets que Massimo construit, les capacités dont il fait preuve. Le centre de jour a certes déjà tenté ce travail et nous sommes rapidement nous aussi face au mur. La maman, bien que moins envahissante certes, n’est pas en reste pour ses demandes fort similaires à celles du papa. Les contacts avec les parents lors des retours de week-end sont très succincts. Ils semblent vivre nos questions sur les activités du week-end comme une violation de leur intimité et n’hésitent pas à nous le faire savoir. Les informations que nous leur transmettons sur le quotidien de Massimo sont pour eux des mensonges. Comment Massimo pourrait-il prendre du plaisir loin de sa famille ? Massimo nous expliquera par la suite que papa crie beaucoup, et est très sévère. Il ne s’agit pas ici de violence physique, non mais des réactions d’un papa qui doit “rattraper” le temps perdu la semaine, d’un papa qui doit à tout prix démontrer que nous nous trompons. Pour ce faire, il est assez exigent avec Massimo pour « lui apprendre à être sage ». Nous avertissons l’autorité judicaire. Celle-ci se positionne et les retours chez le papa sont suspendus et remplacés par des visites encadrées d’1h un week-end sur deux. Nous avons donc ainsi répondu à une demande de protection de cet adolescent mais les choses ne sont pas pour autant plus simples : comment faire comprendre à ce papa que son fils l’aime, a besoin de lui, mais ne souhaite pas nécessairement rentrer le week-end chez lui et que le cadre des visites encadrées doit leur permettre de parler de leur relation en toute sécurité. Cette notion de cadre sécurisant est très peu intégrée par le papa, ce qui ne nous étonne pas vraiment, les premières visites sont difficiles, il dépose son mécontentement, sa frustration par rapport à la situa- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 La famille s’agrandit tion, oublie la présence de son fils. Massimo vit mal les choses, souffrant d’une réelle culpabilité. Il nous le dit, ses déclarations, ses paroles, ses mots ont puni son papa qui est très malheureux depuis. La maman quant à elle profite de l’entêtement du papa pour se dédouaner : tout est la faute du papa. Avec le temps et en utilisant des médias (tels que la musique et un projet de pêche, activité encadrée mais extérieure au Ricochet et qui procure au père et au fils du plaisir partagé), nous avons réussi à diminuer un peu les plaintes et revendications du papa et améliorer les moments de rencontres avec son fils. Cependant, les choses restent compliquées pour Massimo, il est toujours bien plongé dans un conflit de loyauté, il vit douloureusement la peine de son papa. Il adopte des discours et des comportements très clivés (joie extrême, mélancolie extrême, passe de la sérénité à la colère sans éléments causaux directement identifiables. L’équipe doit sans cesse se questionner, pour ne pas elle-même tomber dans ce clivage. (Faut-il favoriser le retour en week-end chez le père c’est-à-dire revenir à l’ancienne situation ? Ou rester inébranlablement sur la position actuelle ? Ou… ?). Dans la recherche d’un nouvel équilibre, nous revenons à l’idée d’une matinée de pêche encadrée. Mais fin septembre, Massimo fugue plus de 12 heures (après avoir détruit un châssis de fenêtre) ce qui nous oblige à mettre en branle un dispositif important de recherche (police, Child Focus, brigade canine). Suite à cela, Massimo est hospitalisé dans une aile pédopsychiatrique d’un hôpital psychothérapeutique de la région. L’objectif est qu’il puisse se reposer, sortir de ces tensions permanentes dans lesquelles il est pris et qui l’empêchent de se mobiliser sur une chose qui lui tient à cœur : développer ses compétences dans le travail du bois afin d’en faire éventuellement un métier. Aujourd’hui plus que jamais, l’équipe de l’hôpital, l’équipe du Ricochet, l’équipe du Centre Orthogénique, et bien sûr les parents si possible et leurs substituts, ont le devoir d’aider Massimo à croire en lui et en l’adulte afin de réaliser son projet d’avenir. 3. Jennie En janvier 2012, nous sommes contactés par le Service de l’Aide à la Jeunesse afin de prendre en charge une jeune fille alors âgée de 16 ans et 7 mois. Elle souffre du syndrome de Cornelia De Lange et de troubles de l’attachement. Lors de nos premiers contacts avec les Services de l’Aide à la Jeunesse, nous découvrons une histoire familiale drama- tique : des parents empêtrés dans leurs propres difficultés n’en peuvent plus des crises à incessantes de Jennie et de son frère jumeau. Ils sont à bout et ne veulent plus des enfants. Dans un premier temps, les Services de l’Aide à la Jeunesse ont opté pour placer Jennie et son jumeau dans une famille d’accueil, mais Jennie s’en est rapidement faite éjecter, oui éjecter, car c’est le terme qui convient. Les paroles de la famille d’accueil sont cruelles : elle porte la bêtise sur son visage, ce n’est qu’une handicapée qui ne comprend rien. C’est dans ce contexte que nous intervenons. Nous faisons la connaissance de l’adolescente. Nous prenons contact avec les intervenants de son école et, pour la première fois depuis la prise de connaissance du dossier, nous entendons parler positivement de Jennie. Ses professeurs nous disent que malgré des crises fréquentes et importantes, Jennie peut profiter de l’encadrement scolaire si celui-ci est clair et rassurant. La décision est prise, Jennie visite le Ricochet et y rentre quelques jours plus tard. Dans le mois de son entrée, le papa décédera brutalement. Un nouveau drame pour Jennie. Il est impossible de parler des visites encadrées pour Jennie, la maman est venue en tout et pour tout 1h30 au Ricochet en plus de deux ans. Faire entrer des enfants dans une maison où, indéniablement, ils laisseront une trace, c’est les préparer d’ores et déjà à leur sortie. La difficulté est d’autant plus grande lorsqu’il s’agit d’enfant victime de troubles de l’attachement. C’est pour cela que dès le processus d’admission, les mots sont déjà posés clairement, « aujourd’hui, tu rentres au Ricochet, tu y laisseras une trace comme nous en laisserons une dans ta vie, mais un jour tu sortiras, pas parce que c’est fini mais parce que tu partiras pour réaliser un projet qui te permettra de grandir, de rebondir. Ce projet nous allons le construire avec toi ». La phrase est facile en soi, sa mise en œuvre nécessite par contre beaucoup d’énergie, surtout dans le cas de Jennie pour qui l’échéance de la majorité est déjà proche lors de son entrée. Rapidement, nous nous rendons compte que personne, dans la vie de Jennie ne peut nous dire quels sont ses goûts, ses compétences. Les discours s’arrêtent souvent au fait qu’elle peut entrer en crise d’une seconde à l’autre et que cela peut être fort violent. Grâce à la collaboration avec les enseignants qui nous aident à mieux cerner les compétences de Jennie, nous apprenons qu’elle peut s’atteler à l’activité cuisine et y prendre plaisir. C’est donc après de nombreuses réunions que nous élaborons un projet : Jennie devrait bénéficier d’un accueil en Service Résidentiel pour Adultes (SRA) tout en pouvant conserver une activité “professionnalisante” à l’extérieur. Le projet sur papier a l’air simple mais en Belgique, la situation est telle que trouver un Service Résidentiel pour Adultes (SRA) est une véritable gageure. Pas moins de 70 services contactés, 50 dossiers d’admissions envoyés, des rencontres dans une dizaine de ceux-ci afin de voir si le profil de Jennie leur convient. Cependant, à force de tenir bon et d’y croire, nous avons pu trouver chaussure à son pied : Jennie peut bénéficier d’un service résidentiel de nuit pour adultes, un transport vers son école. La journée, elle participe à un stage en entreprise (d’une cuisine de collectivité dans une école primaire). Pour les congés et week-ends, elle peut participer aux activités d’un Accueil en Milieu Ouvert (AMO) de la région dans laquelle elle se trouve. Ce projet ne pourra hélas durer que 3 ans mais espérons que cela permette de trouver un service qui verra les progrès et l’évolution, les compétences de Jennie et ne la résumera plus à ses crises (qui sont d’ailleurs en très nette diminution). Il faut préciser qu’un projet de sortie du Ricochet n’a pas lieu systématiquement à la majorité de la personne et n’est pas nécessairement un Service Résidentiel pour Adultes (SRA) comme présenté dans cette vignette. Cela peut être une réorientation vers une famille d’accueil, un autre centre infantile spécialisé ou non, un projet d’appartement supervisé, un projet d’autonomie, un retour en famille aménagé. Quoi qu’il en soit, un projet de sortie (plutôt d’avenir) se doit de prendre en compte les capacités réelles de l’enfant ou jeune adulte, ses goûts, ses envies. La construction de ce projet se doit d’être la conjugaison des forces en présence et du jeune lui-même, de l’ensemble de ses familiers quels que soient leurs rôles et fonctions. Dans le cas de Jennie, malgré l’absence totale de mobilisation de la maman, il a fallu trouver un moyen de maintenir une place à cette maman afin que le projet d’avenir de Jennie ne soit pas vécu comme une rupture de plus mais bien comme un ricochet. C’est ainsi que depuis peu, les contacts entre Jennie et sa maman se font uniquement par téléphone et par décision de Jennie afin de ne pas surinvestir un lien plus que fragile mais ne pas non plus le couper et, si un jour il devait s’estomper voire s’arrêter, cela viendrait peut-être de la volonté de Jennie, qui ne subirait pas une nouvelle fois la séparation. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 35 Le travail avec les familles en hôpital de jour 4. Parlons maintenant du grand frère Le Centre André Focant (CAF), Service résidentiel pour adultes, existe depuis un peu plus de 24 ans. A sa création, 8 résidents sont accueillis. Notons qu’un seul venait directement du Centre Orthogénique “Simon” !! A l’heure actuelle, Le CAF accueille 20 résidents belges, pour lesquels il a un Agrément de l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées, et 6 français qui viennent de l’Essonne, des Yvelines, du Val de Marne … mais aucun du Département du Nord. Sur ces 26 résidents, seulement 6 ont connu un passage par le Centre Orthogénique et un total de 8 résidents sur les 46 résidents passés par notre structure “adultes”. Le Centre Orthogénique n’est donc pas notre “fournisseur” principal ! Notons que le travail avec les résidents passés par le Centre Orthogénique et leurs familles a été facilité car la notion de confiance est beaucoup plus rapide étant donné notre philosophie de travail identique et notre histoire commune. Ce fut le cas pour Simon. Simon est né en 1965, il souffre d’un syndrome autistique associé à de la débilité mentale sévère. Simon présente également une épilepsie stabilisée sous médication. Dès sa plus tendre enfance (15-16 mois), Simon est pris en charge par ses grands-parents paternels. En septembre 1976, il intégrera le Centre Orthogénique. Son grand-père fut d’ailleurs le premier président du Conseil d’Administration. Le soir, il rentre chez ses grands-parents. Le lien qu’il entretient avec eux est très fort, voire fusionnel avec la grand-mère. Durant toute la durée de son séjour au Centre Orthogénique, des rencontres mensuelles ont été mises en place avec la famille. Une réelle relation de confiance a vu le jour entre les grands-parents de Simon et l’équipe. Combiné à la prise en charge thérapeutique de Simon, cela a permis à celui-ci d’évoluer, d’être moins agressif, … Les parents ne s’impliqueront pas dans l’histoire de Simon. L’âge limite de prise en charge de Simon au Centre Orthogénique approchant, la direction et les grands-parents se mirent en recherche d’une structure adéquate pour sa prise en charge d’adulte. Cependant, ils furent confrontés à l’absence de structure adéquate pour personnes autistes adultes. L’idée de la création d’une structure adulte adaptée germera dans la tête de la direction et du Conseil d’administration du Centre Orthogénique. Après de nombreux tumultes, le Centre André Focant ouvre ses portes en 1989 et Simon y est accueilli. Cette entrée au Centre André Focant (CAF) sera pour lui et ses grands-parents, significative de 36 grands changements. Le passage d’une structure de jour pour enfant vers une structure d’hébergement pour adultes signifie une séparation entre Simon et sa famille. Cela ne s’est pas fait sans difficultés. C’est à cette époque que nous verrons Simon pleurer pour la première fois. Simon retourne chez ses grands-parents tous les week-ends. Au fil du temps, il finira par trouver un rythme de vie au Centre André Focant (CAF) et un épanouissement voire une ouverture (participation à certaines activités, prononciation de quelques mots). En 1999, un événement très important est survenu dans la vie de Simon. Son grandpère décède. Il a fallu beaucoup de temps mais Simon, prenant conscience peu à peu de la situation, a commencé à nous exprimer sa souffrance et son désarroi. De plus, les parents de Simon ont été amenés à reprendre une place plus importante dans la vie de leur fils, ne fut-ce qu’administrativement ou matériellement pour assurer les retours en week-end. De ce fait, tout ce qu’il a connu durant sa petite enfance, les tiraillements entre ses grands-parents et ses parents, s’est rejoué. Cela ne l’a pas aidé durant cette période si douloureuse pour lui. Etant donné les difficultés de Simon, celles-ci s’exprimant par de cris, de l’agitation, des insomnies, un amaigrissement important, il a été décidé, en accord avec la famille, de modifier les rythmes des retours. Il retournera alors une journée tous les 15 jours ce qui semble l’aider et le rassurer. En février 2003, la maman de Simon décédera. Son papa viendra dès lors lui rendre visite au Centre tous les 15 jours. De notre côté, nous allons avec Simon rendre visite à sa grand-mère tous les mois et demi. Petit à petit, le papa de Simon reprend son rôle de père. Il est de plus en plus présent dans la vie de son fils et les rencontres entre eux sont même chargées d’émotions. La grand-mère de Simon a quant à elle été placée en maison de repos. Les quelques visites que nous lui faisons avec Simon ont permis de travailler la séparation. Simon sera néanmoins très touché par le décès de celle-ci en novembre 2006. A l’heure actuelle, Simon a fait son petit Bonhomme de chemin. Les contacts avec son papa ont lieu tous les quinze jours, une fois une visite, l’autre fois un retour, le papa est très présent, il interpelle l’équipe quand besoin est et participe aux fêtes. Des réunions avec l’équipe famille (composée d’un intervenant extérieur et d’un infirmier) sont prévues à intervalle régulier. Cela reste primordial car pour Simon, il est important de voir et d’entendre que l’on échange à son sujet (même quand tout va bien). Ces ren- contres soulignent une certaine cohérence entre sa famille et l’équipe du Centre André Focant (CAF). De plus, il y a également les rendez-vous synthèse qui permettent aux familles de connaître le quotidien de leur enfant, les activités, les projets… A l’heure actuelle, nous sommes de plus en plus souvent amenés à parler avec les familles de leur vieillissement, de ce qu’ils mettent en place pour l’“après eux”. En ce qui concerne Simon, le frère de celui-ci semble être la personne désignée par le papa pour la suite mais cela devra encore être notifié de façon “officielle”. Le vieillissement de nos résidents et de leur famille est un thème qui nous tient à cœur. En effet, nous avons longuement réfléchi à comment maintenir le lien entre eux. Nous avons donc souhaité mettre à la disposition des familles et des résidents un espace intime sous forme d’un appartement pour des visites et des courts séjours. En effet, à un certain moment, pour x raisons, certaines familles ne peuvent plus accueillir leur enfant pour un week-end à la maison. Elles ont alors la possibilité de passer du temps avec lui dans cet appartement et donc de partager des moments intimes dans un cadre sécurisant, les tâches “lourdes” qu’impliquent un retour en famille (toilettes, soins…) étant laissées aux soins des éducateurs du Centre. De plus, en cas d’hospitalisation d’un résident, les familles qui sont éloignées peuvent bénéficier de ce logement pour être plus souvent auprès leur enfant. En guise de conclusion, nous pouvons attester qu’au-delà de nos différences, nos expériences réciproques nous enrichissent. Cela parait a priori plus évident quand il s’agit pour les plus jeunes de profiter de l’expertise des plus anciens mais cela est loin d’être faux dans l’autre sens. Nous sommes donc bien à la recherche de ce lien intergénérationnel enrichissant, ce qui n’exclut pas néanmoins certains conflits voire crises intergénérationnelles. - Les adultes du Centre André Focant et leurs familles nous ont montré qu’il est toujours possible d’évoluer et souvent d’accéder à une forme de bonheur et de paix, que les liens familiaux, bien mis à mal, comme tous les liens d’ailleurs, dans ces pathologies, peuvent souvent tenir, surtout s’ils sont soutenus et que même s’ils ont lâché à un moment, ils peuvent parfois se recréer si on laisse le temps et l’espoir à chacun. - Les enfants du Ricochet et leurs familles nous ont appris que nous devons être capables dans certaines situations de proposer l’éloignement plus ou moins long d’un milieu familial déstructurant Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 La famille s’agrandit et/ou maltraitant. Certes le lien se travaille différemment quand l’enfant vit ou non en famille, avec ou sans mesure de protection judiciaire, mais il est toujours à priori travaillable. - Les enfants du Centre Orthogénique et leurs familles nous montrent que la nature du lien qui les unit n’est pas toujours dépendante de la présence quotidienne de l’enfant en famille et qu’un hébergement peut être l’aboutissement positif de notre travail avec eux. En effet, un externat peut par exemple entretenir une fusion pathologique ou mettre trop à mal un système familial (dont la fratrie) ce qui n’est jamais constructif pour le patient. Néanmoins dans la plus grande majorité des cas (±70%), enfants et familles démontrent notre postulat de départ : la famille reste le milieu de vie idéal au bon développement d’un enfant, parents, frères et sœurs, grands-parents…, forment le terreau le plus propice à la construction d’une personne fût-elle atteinte d’un Trouble Envahissant du Développement. L’hôpital de jour reste donc une bonne solution pour eux et garde tout son sens sur l’échiquier des propositions thérapeutiques. Chaque situation reste donc unique, comme chaque sujet, et nous devons nous méfier de toute idéologie généralisante. Rester ouverts, souples, confiants sans excès dans les possibilités de tous (patients, familles, soignants) et dans l’impact d’évènement de vie… Même dans des situations aussi lourdes, il reste de la “vivance” quelque part… In fine, nous tenons à rendre à César ce qui est à César. Chaque centre a été créé au départ d’un patient et de sa famille. Le Centre Orthogénique à la faveur d’une rencontre, celle de Michel Hannard et de Fabio, un enfant autiste qui ne fréquentera pourtant jamais le centre. Le Centre André Focant pour répondre à l’absence de solution humainement acceptable pour Simon, adulte de 18 ans, et ses grands-parents. Le Ricochet pour accueillir des enfants rejetés de partout car n’ayant leur place nulle part, comme Abdel. Ce sont eux qui ont réussi à mobiliser (et nous ne pouvons que nous en réjouir) médecins et autres soignants, services sociaux, juges de la jeunesse, administrations et politiques…Les vrais bâtisseurs ce sont eux et c’est à eux que nous dédions notre travail. BIBLIOGRAPHIE 1. BERGER M., Les séparations à but thérapeutiques, Dunod, Paris, 1997, 224 pages 2. BERGER M., L’enfant et la souffrance de séparation (divorce, adoption, placement), Dunod, Paris, 1997, 176 pages 3. DALLA PIAZZA S., Handicap congénital et vieillissement, De Boeck, 2005, 140 pages 4. DEMOURES G., L’avancée en âge des personnes handicapées mentales, Revue Réadaptation, 2004, n°431, pp16-21 5. GABBAÏ P., Les équipes éducatives et soignantes face au vieillissement des personnes handicapées mentales, Les cahiers de l’actif, 2002, n°312-313, pp27-33 6. GABBAÏ P., Autisme, psychose infantiles et vieillissement, Revue La santé mentale, 2008, n°131, pp30-36 7. L’observatoire, Handicap mental et vieillissements, revue d’action sociale et médicosociale, 2000, n° 26 8. MANCIAUX M., TERRENOIRE G., Les personnes handicapées mentales. Etique et droit, Fleurus, 2004, Paris, 459 pages 9. MEYNCKENS-FOUREZ M., VANDER BORGHT C., KINOO P., Eduquer et soigner en équipe – Manuel de pratiques institutionnelles, De Boeck, 2011, 416 pages 10. RUYSSEN M., Le Centre Orthogénique, Mayeuri, 2000, 208 pages Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 37 WANTED : FAMILLE IDÉALE Centre médico-psychologique pour enfants et adolescents Hôpital de jour “Villa Blanche” 16 rue Thurmann 2900 PORRENTRUY SUISSE [email protected] Dr Arménio BARATA, Dr Léonie DOBLER, Dr Gilles SIMON, Jeanine GLAUS, Delphine SCHLUMPF À partir d’une enquête catamnestique réalisée auprès des familles et au travers d’une réflexion théorique et de cas cliniques, nous discutons la dimension contre-transférentielle institutionnelle autour des diverses pratiques de prise en charge familiale en hôpital de jour. Dans certaines situations familiales complexes, la prise en charge globale est souvent questionnée et remise en question. Quelles sont les possibilités thérapeutiques? Quelles sont les limites à prendre en compte ? Peut-on travailler à n’importe quel prix ? Que doit-on accepter de perdre pour espérer gagner ? Ces questions de base nous semblent essentielles à l’heure du western du XXIème siècle, temps de changements et de transitions, où la responsabilité de l’individu et de la famille dans les décisions thérapeutiques prend le devant de la scène. La conquête de la famille idéale s’avère souvent utopique et la tendance à se substituer en tant que “meilleurs parents” apparaît plus que jamais un risque inhérent à nos pratiques institutionnelles. Mots-clefs : pratiques institutionnelle, entretiens familiaux, contre-transfert, évolution sociétale Wanted: Ideal Family! From a catamnestic survey of families, and through both theoretical review and clinical cases, we discuss the institutional countertransference dimension around various family treatments in a day hospital. In some complex family situations, overall patient care is often questioned and challenged. What are the treatment options? What are the limits to take into account? Can we work at any price? What should we be willing to lose and hope to succeed? These basic questions are essential in our time of changes and transitions, where the responsibility of the individual and the family in treatment decisions now take a central role. Achieving the ideal family is often a utopian goal, and the tendency to substitute us as “better parents” is more than ever an inherent risk of our institutional practices. Keywords: institutional practices, family treatments, countertransference, social evolution INTRODUCTION Le thème des parents est souvent abordé lors de nos réunions d’équipe et il n’est pas rare d’attribuer la cause des comportements particuliers et des problématiques des enfants à leur situation familiale. Par ailleurs, les commentaires reçus de parents lors d’un questionnaire de catamnèse nous ont interpelés. L’Hôpital de Jour “Villa Blanche”, par l’hétérogénéité de la population accueillie peut être qualifié de “généraliste”, il offre 24 places à plein temps à des enfants âgés entre 2 et 18 ans qui ont des troubles psychiques graves et variés. La plupart de ces enfants ont besoin d’une pédagogie spécialisée dont ils bénéficient au sein de l’institution. Depuis la création de l’hôpital de jour en 1993, le travail mis en place avec les familles de nos patients a considérablement évolué. Dans les premières années, les parents des 8 enfants accueillis ont un entretien tous les 15 jours avec le médecin-assistant, les difficultés de leur enfant y sont abordées et, selon la formation et la personnalité du médecin en place, les objectifs travaillés avec l’enfant et les options thérapeutiques 38 prises sont plus ou moins transmises aux parents. Au fil des ans, la capacité d’accueil augmente et l’équipe pluridisciplinaire s’étoffe. Les parents sont alors rencontrés par le médecin ou le psychologue à un rythme tenant compte des besoins et des particularités familiales. Certains parents n’ayant pas ou peu de demandes, on attend d’eux qu’ils viennent aux entretiens qu’on leur propose. Les éducateurs-infirmiers ont peu de liens avec les parents hormis quelques contacts téléphoniques et rencontres informelles. Ce peu de contact découle de l’idée sousjacente que l’équipe soignante doit se concentrer sur la relation avec l’enfant sans être influencée par ce qui se passe dans la sphère familiale. Cependant, les éducateurs/infirmiers ont besoin d’être informés de ce qui est travaillé avec les parents et les objectifs du travail avec les parents sont donc discutés lors des réunions de synthèse. Une critique émerge de la part de certains parents: ils ont le ressenti que ce qui est fait avec leur enfant est tenu “secret”. En 2004, les parents d’un patient demandent à être associés au travail en participant notamment aux réunions de synthèse de leur enfant. Ces parents quelque peu “dérangeants” nous remuent et nous font réfléchir. Nous répondons à cette demande en mettant en place, pour ces parents spécifiquement, une double synthèse, l’une se déroulant entre professionnels et la seconde, ensuite, avec les parents et une délégation de professionnels. En 2007, une autre famille nous bouscule. Ces parents-là luttent contre le cadre stipulant que les enfants doivent être présents le mercredi après-midi, congé scolaire habituel, ainsi qu’une grande partie des vacances scolaires. Ils se sentent dépossédés de leur enfant et de leur autorité parentale. Notre cadre est mis à mal mais face à la ténacité de ces parents, nous acceptons des aménagements d’horaire pendant les vacances scolaires. D’autres encore déplorent le manque de contacts avec les thérapeutes qui suivent leur enfant. Ils ne savent pas ce qui se passe dans les thérapies et souhaitent davantage de transparence. Notre conception du travail avec les parents continue d’évoluer et notre fonctionnement prend un nouveau tournant : désormais après chaque synthèse entre professionnels, une séance de restitution de synthèse est faite avec les parents, y participent le médecin ou psychologue référent, les thérapeutes si possible et l’éducateur/infirmier référent. En parallèle, le médecin ou le psychologue continue de voir les parents régulièrement en entretien. Les liens entre éducateurs/infirmiers et parents s’intensifient (téléphones, cahiers de transmission). Des contacts plus réguliers sont aussi organisés au niveau du suivi scolaire. Dans ces différentes rencontres, les parents deviennent davantage des partenaires, les objectifs sont le plus souvent discutés avec eux et leur avis est pris en compte. En 2009, l’institution bénéficie d’une formation traitant des stratégies éducatives adaptées aux enfants autistes, dans le but de se sensibiliser à d’autres modèles et d’accroître l’éventail des outils de travail. Ces nouveaux modèles et notamment des moyens de communications alternatifs au langage (téléthèses, pictogrammes) exigent une collaboration plus soutenue avec les parents concernés qui Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Wanted : famille idéale deviennent alors partenaires du projet qui se construit. Ainsi, depuis 2012, nous allons à domicile (médecin, éducateur, logopédiste) pour deux familles. S’il s’agissait au départ de leur transmettre l’application d’un moyen alternatif de communication, rapidement d’autres aspects sont abordés lors de ces rencontres, cela a permis, dans l’une des situations, de mettre en place une alliance thérapeutique qu’il n’avait pas été possible de construire pendant les deux premières années de suivi. Actuellement nous avons conscience plus que jamais que les parents, s’ils ont des devoirs, ont aussi des droits. Ils doivent non seulement être informés de ce qui se passe avec leur enfant, mais ils ont aussi le droit d’être des partenaires dans le projet mis en place. Cette évolution s’est faite en partie grâce à certains parents. En nous bousculant, ils ont alimenté notre réflexion et nous ont permis d’améliorer notre façon de travailler. FAMILLES RENCONTRÉES EN CLINIQUE : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE Peut-être doit-on partir d’une définition de ce qu’est un entretien de famille pour appréhender la notion de ce que serait la famille idéale ? Citons P. Marciano [3] qui aborde spécifiquement la question du travail avec les parents, le décrivant comme indispensable et faisant partie du fonctionnement d’un hôpital de jour : « la teneur de ce travail est fonction de la situation économique des parents sur le plan psychique, de leur regard porté sur l’enfant, de leurs attentes manifestes et latentes. Il dépend aussi de leurs rapports et de leurs relations avec le monde extérieur dont les professionnels font partie, de leur regard porté sur la psychologie de l’enfant, de leur confiance et de leur croyance en une possible évolution. » M. Berger [1] aborde le but fondamental des entretiens familiaux qui doit, selon lui, « aboutir à ce que chaque membre de la famille ait en lui un équilibre entre les parties Moi et non-Moi de son psychisme. C’est cette condition qui permettra à l’enfant de retrouver le bien-être psychique dans sa famille (…) », il parle également de « démêlage des psychés des membres de la famille » [2]. In [1], il ajoute : « l’outil des entretiens familiaux consiste en un cadre sur-mesure, adapté au niveau de difficultés du groupe familial et permettant l’accès à la compréhension de la logique éducative et à l’histoire des deux parents. Le rétablissement d’une temporalité intergénérationnelle et d’un miroir identificatoire rend possible une mobilisation des psychismes de chacun, dans le sens à la fois de la restructuration d’un contrat narcissique satisfaisant et d’une différenciation sans rupture ». Le thème de notre atelier nous amène à énumérer des qualités qui faciliteraient le travail auprès des familles. On pourrait dès lors naïvement imaginer que des critères concrets, comme par exemple la situation socio-économique de la famille (insertion sociale et professionnelle des parents, trajectoire migratoire de la famille, niveau de vie, etc) seraient des conditions donnant une valeur qualitative au travail avec les familles. Cet aspect-là, loin d’être négligeable, nous apparaît toutefois insuffisant pour expliquer à lui seul un idéal thérapeutique familial. D’emblée, nous devons faire le constat suivant : la famille, en acceptant que son enfant soit hospitalisé dans une institution (pédo)-psychiatrique, approuve déjà, dans tous les cas implicitement, l’idée de vivre une séparation. Selon P. Marciano, « il est indispensable qu’un minimum de distance puisse s’instaurer entre les parents et l’enfant (…) dans une séquence -absences et retrouvailles- qui d’une part permet un avènement des territoires propres, et d’autre part laisse l’occasion aux parents et à l’enfant de se présenter différemment à chaque fois » [2]. Les parents d’un enfant en souffrance psychique vivent « dans une contiguïté compacte avec leur enfant, où l’on assisterait à une véritable invasion et à un authentique siège de leur psyché par les objets internes à l’enfant, si bien qu’ils ne parviendraient plus à activer leur mécanisme de penser » [2], d’où l’impossibilité d’avoir une représentation globale de leur enfant. P. Marciano, dans ce processus dynamique, introduit le concept d’une phase réfractaire qui se produit quand la psyché parentale est submergée par les symptômes et les comportements problématiques de l’enfant qui donnent une représentation parcellaire de l’enfant à ses parents. Cette phase réfractaire implique « que l’enfant ne croise rien dans le monde interne parental et qu’il échoit dans une sorte de vide (…) ». Selon P. Marciano, la séparation et la distance -et par la suite l’instauration d’une aire transitionnelle institutionnelle naissante- « permettrait aux parents et à l’enfant d’amoindrir leur phase réfractaire respective et de vivre ainsi une meilleure empathie ». De ce fait, un travail d’élaboration pourrait s’effectuer et rendre l’absence représentable, l’enfant pouvant alors être perçu dans sa globalité. Vignette clinique Un soignant de l’hôpital de jour rencontre G. et ses parents lors d’une sortie privée. La mère aborde spontanément ce dernier : « G. est content d’être dans sa nouvelle école (…), il demande à y aller tout le temps, même le week-end ! » L’enfant s’exprime et tend son bras au thérapeute : « le bras, le bras cassé ! ». G. est un enfant de 5 ½ ans qui présente un “trouble envahissant du développement non spécifié”. Le soignant est surpris en bien du fait que l’enfant puisse à ce moment-là le reconnaître, tant dans sa personne que dans son identité (il se trouve que ce dernier a effectué un examen médical sommaire suite à une chute récente). La mère termine l’échange par ces propos : « on se verra donc à la réunion de l’école (référence à un groupe de parents au sein de l’hôpital de jour) ». Le thérapeute sera surpris et troublé par cette rencontre. L’enfant n’est hospitalisé que depuis quelques semaines, mais les parents relèvent déjà une évolution alors même qu’avant l’hôpital de jour personne ne semblait pouvoir accueillir et “supporter” l’enfant (crèche, école, parents). Pourtant, les parents semblent à priori dans une autre réalité et temporalité -scolaire- qui évincent à elles seules l’identité thérapeutique du soignant et de l’institution (qui serait confondue avec une école). Toutefois, ce constat ne semble pas entraver certains processus et mobilisations psychiques évidentes, chez l’enfant du moins et peut-être également chez les parents déjà (qui peuvent “voir” leur enfant autrement). Le paradoxe est d’emblée là lorsque l’on questionne le sens des entretiens familiaux dans l’institution : l’hôpital de jour confondu avec une école, ce qui déculpabiliserait les parents, mais peut-être aussi les thérapeutes ! Dans l’immédiat, l’inconfort pourrait se situer du côté du psychiatre : il devrait être en mesure de justifier son indication, son action thérapeutique, son identité. Pour citer J. Hochmann qui évoque ce qu’il entend comme un malentendu culturel : « en arrivant dans une institution de soins, les parents pénètrent (…) dans une culture étrangère dont le langage, les croyances et les rites leur sont encore inconnus. (…) Faute de connaître les arrière-plans théoriques qui justifient une pratique ou une parole, ils peuvent les percevoir comme une brusque mise en cause de la manière dont ils exercent leur rôle de parents. (…) De plus, si tous les parents ont eu une expérience scolaire (…), s’ils peuvent donc s’identifier à leur enfant sur les bancs de la classe (…), rares sont ceux qui ont été en psychothérapie (…). D’où leur perplexité, leur fuite ou leur agressivité qui les conduisent, dans les cas extrêmes, à réclamer la proscription de tout esprit psychothérapique au profit des conduites éducatives qui leur sont plus familières. (…) Les soignants, face à la culture familiale, sont eux aussi en position d’étrangers. (…) Eux aussi doivent donc se décentrer, éviter de condamner Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 39 Le travail avec les familles en hôpital de jour au nom de leurs propres expériences » [4]. Dans les prémices du travail thérapeutique avec les familles, une condition devrait, dans les préconceptions du thérapeute, se déployer idéalement : la demande de la famille. Dans une grande partie des situations pourtant, elle n’est pas d’emblée là, et apparaît au mieux au décours de la prise en charge, parfois ne s’en dégage pas du tout malgré les efforts consentis de part et d’autre pour tenter d’en cerner précisément les frontières. Nous n’avons pas toujours à faire à des familles exprimant une souffrance, malgré ce que la psychopathologie de l’enfant pourrait avoir comme répercussions sur le fonctionnement familial. Une demande impliquerait un changement qui, par ailleurs, représenterait un risque trop grand pour certaines familles prises dans un fonctionnement qui leur est propre. Abordant la thématique de la construction du cadre des entretiens familiaux, M. Berger explique que « certaines familles savent d’emblée utiliser les objets. Elles peuvent donc profiter immédiatement de l’espace de jeu et du cadre prédéterminé proposé par le thérapeute » [2]. Dans d’autres familles, par exemple celles qui sont dites rigides par les systémiciens, « l’accès à la transitionnalité ne s’est pas encore fait, et leur proposer un cadre préconçu (…) n’a aucun sens pour elles ». M. Berger poursuit : « un projet thérapeutique modeste mais essentiel, pour quiconque aborde ces familles, ne serait-il pas le maintien et la gestion du cadre ? » Selon cet auteur en effet, un aménagement du cadre des entretiens familiaux est forcément nécessaire : il faut tout d’abord renoncer à utiliser un cadre préétabli, préférer un cadre surmesure pour chaque famille, avec par exemple un rythme adapté de la fréquence des entretiens à discuter avec ces derniers. Le cadre doit être réinventé avec chaque famille. Pour faire le lien avec notre argument, la famille idéale serait-elle, ou plutôt pourrait-elle advenir idéale avec nous, en notre présence ? Et en faisant une analogie avec ce que D. W. Winnicott [5] avait appelé « la capacité d’être seul en présence de l’autre », la famille pourrait-elle ainsi devenir capable de fonctionner et jouer seule en notre présence ? Pour M. Berger, « le but de cet aménagement du cadre est double : premièrement, créer un espace transitionnel, d’illusion, où il n’y ait pas à choisir entre réalité et non-réalité. Deuxièmement, par la construction commune de ce cadre, permettre à la famille, aux parents en particulier, d’acquérir la capacité d’utiliser les objets ». P. Marciano [3] adopte des propos similaires et précise à ce titre que « le 40 dispositif du travail avec les parents ne se décrète pas. (…) On doit tenir compte du tempo parental, des périodes réfractaires et des zones psychiques momentanément aveugles que l’on ne peut immédiatement solliciter, au risque de submerger durablement les capacités parentales de métabolisation ». L’alliance que le thérapeute pourra établir avec les parents paraît à son tour un élément essentiel pour arriver à un travail de qualité suffisamment satisfaisant avec la famille. Toutefois, P. Marciano nous rappelle à ce titre qu’il est indispensable de réfléchir à la place que les parents nous assignent. Il est intéressant de constater que nous pouvons être inclus dans la dynamique familiale, avec comme conséquence un déplacement des fonctions : « nous pouvons tenir une sorte de fonction paternelle ou maternelle (…) au risque de voir les parents déshabiter leur place ». (…) Il s’agit d’être attentifs aux mouvements auxquels nous sommes soumis entre une “suffisamment bonne alliance” selon le modèle winnicottien, et une certaine captation, voire fascination des uns par les autres, (…) venant précisément contrarier ce travail dont l’un des principaux ressorts serait le repérage des différences, le marquage de cette altérité et son rigoureux respect ». L’auteur évoque également, en parallèle à une alliance parents-professionnels, la nécessité d’un « alliage respectueux » entre père et mère. Mais, il est intéressant de rappeler que s’il n’existe pas d’emblée, celui-ci peut advenir dans le soin : « (…) parfois, le père comme la mère s’identifient à la démarche particulièrement respectueuse des soignants ». Pour finir ces quelques réflexions subjectives, il nous semble important de rappeler un concept capital pour appréhender un travail thérapeutique familial : il doit reposer sur des capacités d’empathie suffisamment bonnes de la part des parents vis-à-vis de leur enfant, et ceci témoignerait de leur faculté à pouvoir se représenter une vie psychique chez ce dernier. Cet élément nous semble central et précieux, il pourrait signifier que l’on se trouverait face à une famille suffisamment idéale pour un travail thérapeutique. Rappelons, comme le mentionne M. Berger que « les parents qui consultent pour leur enfant présentent souvent une difficulté à se représenter l’enfant en soi » [2]. R. Roussillon ajoute à ce propos: « (…) lorsqu’un parent consulte pour son enfant et non pour lui-même, on se trouve fréquemment devant un fonctionnement en dédoublement mis à la place d’un fonctionnement réflexif : l’adulte vient dire que l’enfant va mal, ce qui signifie que l’enfant réel est ici le miroir de l’enfant qui va mal dans le parent. Cette façon de poser le problème montre la difficulté pour cet adulte de se livrer à une ré-flexion, c’està-dire à un retour de la pensée sur soi pour s’entendre, voir, se sentir, agir et penser. » DES FAMILLES ET DES EXTRÈMES… Sans enfermer les familles dans des catégories purement et strictement nosographiques, nous présentons ci-dessous trois exemples caricaturaux de types familiaux à travers lesquels il serait imaginable de tisser un continuum dans lequel chaque famille aurait sa place. Les “moins” Nous pourrions inclure dans cette catégorie les familles présentant des aspects carencés, leur prise en charge étant parsemée d’éléments ou de signes évoquant le manque, la négligence, parfois même la maltraitance (morale ou physique). Ce type de famille prend une grande place dans nos discussions d’équipe. Diverses hypothèses pourraient expliquer ce fait. Notons d’abord que la carence mobilise pleinement notre attention, comme si le manque et son ombre venaient tomber sur le moi institutionnel (pour paraphraser S. Freud) et sur-occuper -éclairer en son contraire- le devant de la scène. L’équipe se mobilise, souvent de manière unie face aux effets avérés ou supposés de la carence chez l’enfant. En faisant le raccourci entre souffrance psychique de l’enfant et effets des carences familiales, l’équipe institutionnelle aurait tendance à se placer en arbitre du litige, demandant implicitement et parfois explicitement des comptes à l’autorité médicale, réclamant un signalement de maltraitance ou d’autres mesures agies dans le contre-transfert et/ou la réalité. Même si ces revendications sont justifiées, elles devraient être élaborées dans une discussion plus large, en tenant compte de la psychopathologie familiale et personnelle de l’enfant et de ses répercussions contre-transférentielles. Vignette clinique L. a 6 ans au moment de son entrée à l’hôpital de jour, il présente un diagnostic de « trouble mixte des conduites et des émotions » (CIM-10) et présente, d’un point de vue psychopathologique, une problématique anxio-dépressive avec une grande agitation psychomotrice, impulsivité et difficultés dans l’élaboration du jeu symbolique (ceci entrant probablement dans le cadre d’un trouble limite de l’enfance selon la classification de Misès). L’enfant s’intègre très rapidement, trouvant des repères rassurants auprès des adultes de référence et s’adaptant également très facilement aux autres enfants. Le travail avec les parents s’avère com- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Wanted : famille idéale pliqué dès le départ : dans une attitude passive, ils sont “sans demande”. Les rendez-vous sont manqués, non excusés. Les parents évoquent des difficultés organisationnelles pour les déplacements, ils manquent de disponibilités. On perçoit également un déni important des difficultés de L., le père les attribuant au “caractère” de son fils, les angoisses de L. ne sont pas entendues. Lors de la dernière année à l’hôpital de jour, un élément capital entre en jeu : L. apparaît avec des hématomes sur le corps. L’équipe soignante est choquée et se sent alors légitimée à mobiliser l’équipe médicale, appelant cette dernière à prendre ses responsabilités. Le médecin référent, qui jusque-là n’avait pas une alliance idéale avec les parents demande un entretien en urgence. La mère ne nie pas qu’elle a « dû lui donner un coup de ceinture », elle n’arrivait « plus à faire » avec les troubles du comportement de L. Elle ajoute : « j’aimerais pouvoir faire autrement, je n’y arrive pas ». D’emblée, les parents s’ouvrent à un échange, ce qui n’a jusque-là jamais été réellement possible. La question de l’internat est discutée, les parents sont preneurs du projet, sans pour autant se désolidariser de leur enfant ou en démissionner. Au contraire, ils semblent percevoir leur fils sous un nouveau jour. Le père fait pour la première fois des liens avec sa propre histoire. Il évoque un passé d’internat dans son enfance, en valorise même certains aspects thérapeutiques. Dès ce jour-là, les parents se montrent présents comme jamais dans la prise en charge de leur enfant. L’équipe arrive à avoir un autre regard sur l’enfant et ses parents. On peut même ressentir une empathie restaurée chez certains soignants. Rappelons-nous en regard de cette illustration les propos de J. Hochmann parlant des différents types de “malentendus” culturels et psychologiques pouvant survenir dans une prise en charge avec les familles. C. Aussilloux [1] décrit ces dysfonctionnements de l’alliance parentsprofessionnel en d’autres termes : il y a des « décalages entre parents et professionnels au vu des expériences accumulées de chaque côté, mais aussi inadéquation des moyens mis en œuvre, dans une tentative de standardiser les soins offerts à chaque enfant ». Ces dysfonctionnements peuvent se traduire par une « mésalliance, définie comme une acceptation de ce qui est proposé comme un pis-aller ». Dans d’autres situations encore, les propositions sont refusées et la famille trouve des solutions personnelles. D’ailleurs, selon C. Aussilloux [1], « les situations les plus dangereuses sont celles où les parents subissent sans conviction ce qu’ils vivent comme imposé pour le bien de leur enfant, sans pouvoir s’en approprier certains aspects ou les discuter pour arriver à un compromis acceptable ». Il ajoute : « dans d’autres cas, l’alliance ne se noue pas car les professionnels n’ont pas confiance en la famille », ce qui entraîne une disqualification sociale, des perceptions des difficultés parentales à l’extrême, les parents étant alors mis « sous haute surveillance » avec davantage de recours aux internats pour l’avenir des enfants. Les “neutres” Nous pensons ici à la famille parfaite de prime abord. Conciliante, elle se présente bien, se rend aux entretiens assidûment, ne réclame jamais rien, évite les problèmes et ne formule aucune plainte. Très vite, ce climat non conflictuel se charge d’une tonalité de lourdeur. On peine à saisir la souffrance, la demande s’évanouit avec le temps. Les parents, l’enfant, acceptent le “tout venant” des décisions : les traitements ne sont presque jamais contestés, et de cette relative aisance familiale transparaît le peu d’élaboration et d’introspection du discours parental. Comme le mentionne M. Berger, certains enfants représentent des enfants-fonction dans le groupe famille : « l’enfant-fonction est ici le porteur du désir de vie des parents. On comprend (alors) à quel point demander à un enfant-fonction de changer est une démarche aberrante ». Dans ces situations, les parents -la plupart du temps à leur insu- doivent maintenir l’isomorphie du groupe familial, afin d’en garantir la survie. « L’aspect isomorphique de la famille est donc à respecter soigneusement, et sa non-prise en compte explique l’échec fréquent des tentatives de soins individuels ». La demande paradoxale fondamentale que certaines de ces familles font au thérapeute pourrait se traduire ainsi : « aidez-nous à ne pas changer » ou « nous voulons la guérison sans changer le mode de fonctionnement psychique qui a sauvegardé l’équilibre du groupe familial jusqu’à maintenant et qui a préservé ses membres de souffrances redoutées ». M. Berger poursuit : « il est vital dans cette coexistence au niveau des fonctions qu’aucun membre ne réussisse à se rendre autonome. Il détruirait l’équilibre fonctionnel de la famille, et emporterait avec lui la partie de la psyché familiale dont il est le porteur ». Les “plus” Ce sont des familles qui pourraient se montrer “toute-puissantes” dans leur fonctionnement. Elles s’assignent volontiers en tant que co-soignantes et peuvent s’ingérer dans le travail de l’équipe institutionnelle, revendiquant -parfois à juste titre- une place dans les décisions et les discussions dont elles s’estiment être en partie exclues. Ces familles se placent de fait -et peut-être à leur insu- dans un rapport de rivalité face à l’équipe soignante, ce qui peut contre-transférentiellement faire vivre un certain nombre de difficultés dans la prise en charge de l’enfant, notamment par rapport à la capacité d’accueil et d’écoute des soignants, mettant à mal l’alliance entre parents et professionnels. Revenons à J. Hochmann et à la notion de malentendus psychologiques : « Toute entreprise thérapeutique avec un enfant (…) développe chez les parents (…) un inéluctable fantasme de vol d’enfant. Il n’est pas simple de sentir s’éveiller chez son enfant (…) un attachement envers son ou ses thérapeutes. (…) Il peut s’ensuivre pour les parents un sentiment conscient ou inconscient que l’enfant a été victime d’une séduction et, par conséquent, un besoin de contrôler ce qui se passe dans la séance de psychothérapie ou dans l’institution. (…) Parfois, ils prolongent (…) les moments des accompagnements, réclament davantage d’entretiens avec les soignants, paraissent même, dans certains cas, vouloir prendre la place de l’enfant en thérapie ou multiplient les reproches à la mesure de leur déception ». Par ailleurs, un autre point soulevé par J. Hochmann évoque les sentiments négatifs que l’enfant (autiste ou psychotique) suscite dans le transfert qui ne sont parfois pas identifiables pour les soignants, et sont déviés vers l’extérieur (rejet de la famille, refus de travailler avec celle-ci ou par formation réactionnelle trop de précipitation vers elle au détriment du soin à l’enfant). Dans notre pratique institutionnelle, il est essentiel de dépasser ces malentendus (tant culturels que psychologiques) pour que le soin puisse advenir. Selon J. Hochmann, « les parents sont dépositaires de l’histoire de l’enfant, et le soin, qui vise à inscrire l’enfant dans son histoire et à l’aider à se réapproprier cette histoire, est tributaire de l’apport inestimable représenté par le récit de ses proches ». Toujours selon cet auteur, divers abords peuvent être utiles pour tenter de dépasser ces malentendus et inaugurer un partenariat fécond. Ces méthodes comprennent différentes modalités de rencontre avec les parents, que ce soit par « la multiplication des rencontres informelles entre parents et soignants, qui favorisent les identifications mutuelles et une certaine restitution », que par des rencontres plus formalisées qui peuvent dans certains cas évoluer vers une thérapie familiale, ou encore par des réunions de groupes de parents au sein de l’institution. Nous terminerons notre propos par deux points qui nous paraissent importants Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 41 Le travail avec les familles en hôpital de jour pour la compréhension des difficultés propres à certains fonctionnements familiaux entrant dans ce dernier type de famille décrite. Le premier est développé par M. Berger [2], qui en fait une des règles préalables pour le thérapeute : reconnaître sa haine. Haine envers la famille qu’il doit accepter de reconnaître en lui-même, « (…) envers les parents qui malmènent leur enfant d’une façon qui est parfois à la limite du soutenable si l’on s’identifie à lui, (…) l’enfant étant soumis à un système éducatif délirant où les doubles liens surgissent plus vite que leur ombre, ne recevant aucune réponse cohérente à ses demandes désespérées, ne pouvant pas s’éloigner de ses parents de plus de quelques pas sans un rappel l’ordre (…) ». Mais aussi haine envers l’enfant lorsque celui-ci manipule son entourage et « désigne d’office le thérapeute comme méchant, effrayant, intrusif ». Haine envers la fratrie également, qui « bien à l’abri de l’enfant-fonction, le laisse entièrement remplir son rôle nécessaire à l’équilibre familial (…) ». Il est essentiel de reconnaître ces différents types de haine, sans les retransmettre directement aux parents et à l’enfant bien entendu, afin de « permettre le passage à une autre attitude interne ». Le deuxième point concerne les formes de violences que nous sommes toutes et tous amenés à vivre dans un rapport de soignant à soigné avec certaines familles. Le pédiatre et psychanalyste D. W. Winnicott a développé il y a quelques années déjà un concept original demeurant d’une actualité réjouissante, qui amène à penser la violence et la destruction ressentie dans la relation d’un point de vue développemental et évolutif par rapport à l’utilisation de l’objet. Ce postulat, émis dans le cadre du développement de l’enfant, peut probablement être déplacé à un niveau familial et institutionnel. Avant la constitution d’une aire transitionnelle à part entière, se produit un changement du mode de relation aux objets. Au « sujet qui se relie à l’objet » succède « le sujet qui détruit l’objet ». Le nourrisson met à mal son environnement, il le mord, déchire, lui fait mal. Ainsi, il fait l’expérience et teste la résistance des objets à ses attaques. En lui résistant, l’enfant fait le constat qu’il n’est plus tout-puissant, puisque les objets n’ont pas été totalement endommagés par sa violence, ensuite apparaît une certaine désillusion chez l’enfant. Pour reprendre M. Berger : « pour certains patients, tant que, dans le cadre de la thérapie, l’activité destructrice maximale n’aura pu s’exercer, sur un objet non protégé, l’utilisation de l’objet ne pourra pas être acquise (…) ». Pour conclure : « (…) les changements ne dépendent pas à ce mo- 42 ment-là du travail interprétatif, mais de la capacité qu’a l’analyste de survivre aux attaques sans représailles ». SONDAGE ET COMMENTAIRES Comme les parents, qui ont un vécu scolaire et s’identifient à leur enfant comme élève plutôt que comme patient, les intervenants ont une histoire familiale qui favorise leur identification à l’enfant dans sa famille plutôt que comme patient. Cette identification nous met dans une position de recherche de parents idéaux. Nous cherchons peut-être également à être des parents idéaux pour les enfants dont nous nous occupons. A travers le questionnaire que nous avons élaboré, nous avons cherché à savoir quelles sont les caractéristiques attribuées à de bons parents par l’équipe soignante, toutes professions confondues. Nous nous sommes aussi intéressés à leur vision d’une collaboration idéale avec les familles. Il résulte de ce sondage, de manière assez évidente, que pour la majorité des personnes consultées, il est plus aisé de collaborer avec des parents qui ont davantage de temps et qui peuvent venir régulièrement aux entretiens et qu’il est difficile de mettre en place une bonne collaboration lorsqu’il y a des conflits entre les parents. On attend des parents qu’ils viennent régulièrement et qu’ils s’intéressent à ce qui se passe pour leur enfant, qu’ils nous confient leurs soucis, leurs craintes et leurs attentes, on est souvent déçus des rencontres lorsqu’un échange à ce sujet-là n’a pu être réalisé. On aime bien aussi que l’enfant nous raconte ses pensées, elles font partie des éléments importants à partir desquels on peut travailler avec l’enfant et peut-être est-ce aussi valorisant pour l’intervenant qu’un enfant puisse se confier. S’il fallait décrire des parents idéaux, ils seraient prioritairement bienveillants, compréhensifs et stimulants pour leur enfant. On a davantage de problèmes lorsque les parents ont eux-mêmes une psychopathologie, on attend alors d’eux qu’ils soient dans leur rôle de parents et non de patients bien qu’on aime qu’ils nous confient leurs soucis. A relever tout de même qu’une majorité de personnes pensent qu’il n’y a pas de parents idéaux, qu’ils ont tous des qualités et des défauts, et qu’ils font de leur mieux. Quant aux parents totalement inadéquats (parents peu fiables, parents présentant une psychopathologie importante, parents ne sachant pas reconnaître les besoins et les souffrances de leur enfant, parents maltraitants et/ou dénigrant notre travail), tous les soignants s’accordent pour relever les difficultés à travailler avec eux. L’AVIS DES PARENTS Nous avons questionné les parents sur la qualité du travail effectué avant l’entrée à l’Hôpital de Jour et pendant l’hospitalisation (bilans, diagnostics, explications et informations fournies, traitements mis en place, etc. …). Les parents pouvaient aussi dire si leurs inquiétudes et les problèmes de leur enfant avaient été suffisamment pris en compte. A partir des commentaires et critiques reçus des parents lors de l’étude catamnèstique, nous avons dégagé quelques thèmes récurrents. Le diagnostic Les commentaires attestent des difficultés qu’ont certains parents à entendre, comprendre et accepter les diagnostics qui leurs sont transmis. Quelques-uns ont déploré avoir été confrontés à des diagnostics contradictoires (pédiatres, neuropédiatres, pédopsychiatres, etc.). Par rapport au handicap, au hors norme, certains parents sont démunis et expriment le manque de soutien qu’ils ont ressenti et la difficulté à envisager un avenir sans solutions ni perspectives. L’environnement pédopsychiatrique Les commentaires mettent en évidence la difficulté qu’ont certains parents à comprendre et appréhender notre façon de travailler : ils décrivent un déséquilibre entre ce qu’ils donnent et ce qu’ils reçoivent, en d’autres mots, ils doivent répondre à des questions mais sont en manque d’informations, d’explications, de réponses à leurs questions. Ils ont l’impression de devoir constamment répéter leur histoire et relèvent un manque de vision et de prise en compte de la réalité extérieure (scolaire notamment). Il est apparemment plus facile pour les parents d’accepter les troubles instrumentaux de leur enfant et par conséquent de s’approprier des approches pédagothérapeutiques et pédago-éducatives. Les difficultés à accepter dans les faits la priorité du thérapeutique sur l’école sont exprimées à plusieurs reprises. L’hôpital de jour Plusieurs parents relèvent l’insuffisance de la préparation à l’entrée à l’hôpital de jour ; ils ont accepté cette indication parce qu’ils n’avaient pas le choix (forcés par l’école, pas d’autre alternative, etc.). Se séparer de l’enfant une journée entière est aussi exprimé comme quelque chose de douloureux. Le ressenti des parents Voici quelques phrases qui sont apparues dans les commentaires des parents qui nous interpellent et nous amènent à réfléchir : « il faudrait donner une plus grande place aux parents et le corps médical Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Wanted : famille idéale devrait avoir un peu d’humilité ». « On se sent lâché dans un drôle de monde qu’on ne connaît pas et peu soutenu par l’entourage et les médecins ». « À ce jour, on n’a toujours pas compris le passage de notre enfant à l’hôpital de jour ». CONCLUSIONS Au moins deux pistes de réflexion semblent se dessiner au fil de ce travail ; la première où notre question initiale viendrait s’inscrire dans une dimension plus globale d’évolution sociétale autour de la place de la souffrance psychique ; une seconde, plus singulière, où cette même question pourrait être analysée sous l’éclairage de la nature du contre-transfert que la question parentale sollicite nécessairement (massivement), que ce soit à l’échelon individuel et/ou collectif. Ensuite, quelques idées pourraient être envisagées dans la perspective de mieux appréhender ce que l’on appelle “le travail avec les parents”. Première perspective : l’évolution sociétale La reprise de l’historique (sur 20 ans) des relations parents/hôpital de jour permet de mettre en évidence, au risque d’être schématique, le passage progressif d’une interface (membrane) hôpital de jour/parents “étanche” (le strict minimum est transmis aux parents) vers un système diamétralement opposé, “transparent” cette fois, où les parents auraient accès à “tout” ce qui se passe à l’Hôpital de Jour. Avec du recul, on imagine qu’un système trop étanche, dépourvu de tout fondement théorique consistant, a pu engendrer un vécu très culpabilisant pour les parents, comme un rejet de notre part, c’était implicitement leur signifier qu’ils étaient à l’origine et/ou partie prenante dans la genèse et/ou la pérennisation des troubles de leur enfant, ce qui, chacun en conviendra, est inacceptable. Quant au second système, qualifié de “transparent”, il traduit un glissement vers un partenariat, c’est-à-dire vers un fonctionnement où tout ce qui est développé pour un enfant donné au sein de l’Hôpital de Jour devrait être restitué intégralement à ses parents. A titre d’hypothèse, on pourrait avancer que l’avènement de ce “partenariat” serait en quelque sorte une “réponse” au “dogmatisme initial”, mais on peut avancer aussi que l’un et l’autre s’étayent sur des bases relevant plus de l’idéologie que d’une authentique conception dynamique de la psychopathologie de l’enfant, de sa famille, de son environnement. En d’autres termes, l’un et l’autre sont peu propices aux échanges ou à d’éventuels assouplissements et risquent de nous conduire à des impasses. Au-delà du caractère forcément simpliste et caricatural de cette présentation, cette tendance recoupe de façon plus générale une évolution sociétale qui voit opérer différents réaménagements articulés autour du déplacement de la notion de maladie psychique vers celui (du statut) de handicap (auparavant on soignait, maintenant on répare et on compense). Par un effet de cascade, articulé à cette opération de déplacement, voire de substitution on peut mentionner, sans être pour autant exhaustif, l’abandon de la démarche clinique au profit de la classification, la marginalisation des troubles de la personnalité ou autres psychoses au profit des TED ou TSA, l’adhésion à une prise en charge se transformant en un partenariat où les parents sont en situation de négocier/moduler nos diverses interventions, et le fait que le soin psychique laisse place à des méthodes dites pédago-éducatives. En allant encore plus loin dans le raisonnement, quitte à faire de la politique fiction, ou à faire preuve d’un pessimisme exagéré, on peut redouter qu’à terme l’Hôpital de Jour ne soit plus qu’une sorte de “plateforme de prestations” dont l’utilisation serait régulée par les parents, devenus les promoteurs quasi exclusifs de la prise en charge de leur enfant. Si cette perspective se développait, ce serait au prix d’un affaiblissement des multiples lieux de soin qui, à l’instar des hôpitaux de jour, postulent qu’un travail psychique est possible, quelle que soit la pathologie de l’enfant. Mentionnons au passage qu’il existe une voie médiane, qui serait celle de la “membrane poreuse”, fondée sur la recherche d’une forme “d’alliance thérapeutique” qui s’appuierait sur l’adhésion des parents, leur investissement pour la prise en charge et des échanges “bilatéraux” avec l’institution. Seconde perspective : l’importance du contre-transfert institutionnel (CTI) A partir du moment où l’on reçoit des enfants dans une institution, la réalité du contre-transfert s’impose à nous. La question des parents, de la place de l’enfant au sein de sa famille, des effets de la souffrance psychique, l’ensemble de ces paramètres ne peut qu’interpeller chacun d’entre nous au gré de sa propre histoire, de sa sensibilité, de son “équipement psychique” comme de son vécu institutionnel et générer des réactions bien au-delà de ce que l’on peut en saisir consciemment. A ce titre, le CTI semble échapper à l’évolution sociétale mentionnée cidessus, un peu comme un invariant. Précisons au passage que si le CTI nous permet d’accéder aux arcanes de la psychopathologie de l’enfant, il charrie en même temps des effets collatéraux qu’il faudrait, idéalement, inlassablement mettre “en travail”, que ce soit à l’échelon individuel ou dans une vision plus institutionnelle des situations cliniques. En guise d’illustration, on peut s’attarder quelques instants sur les effets que peut produire l’admission de l’enfant, que ce soit du côté de l’institution ou de celui des parents. Du côté de l’institution, cela amène un contre-transfert par “anticipation” : la manière de présenter l’enfant, sa famille, son histoire ou son environnement, lors des réunions préalables va “convoquer” un certain nombre de représentations, très variables selon les personnes. La référence à une situation antérieure, une association personnelle, bref, la conjonction de ressentis va conférer à l’ambiance institutionnelle une tonalité particulière, propre à la famille en question, tonalité qui peut perdurer sous forme de reliquats bien longtemps après. Du côté des parents, la catamnèse et les diverses réunions avec les parents nous montrent comment cette anticipation est aussi à l’œuvre chez eux, souvent alimentée par des éléments péjoratifs liés à l’image de la psychiatrie, de la maladie mentale, du diagnostic redouté qui se trouverait validé par cette admission, par des effets de répétition avec un aléa dans l’une des deux lignées parentales, etc. Ainsi, les premières rencontres parents/hôpital de jour (et les suivantes) peuvent se dérouler dans une atmosphère totalement saturée par des représentations, plus ou moins imaginaires, alimentées des deux côtés, et générer alors des malentendus, des tensions, voire des conflits plus ou moins larvés, peu accessibles, qui interfèrent inévitablement dans le travail avec l’enfant. Cela nous montre combien la question du CTI est centrale et la nécessité impérieuse qu’il y aurait à la construire ensemble même si cela n’est pas toujours aussi évident sur le terrain. La manière dont nous avons formulé notre question de base sur la “famille idéale” peut être appréhendée comme un déplacement (renversement) de notre difficulté à nous atteler à cette question. Pour paraphraser W. Bion, comment se dégager de ces « calcifications institutionnelles » ? Autrement dit, comment dépasser ces résistances, ces impasses, ces obstacles qui encombrent et empêchent nos capacités à interroger nos modalités de travail avec les parents ? Quelques pistes de réflexion vers une “institution idéale” ? Objectif Ce qui est visé finalement serait moins la recherche d’une famille idéale que ce qui pourrait délimiter un cadre nécessaire pouvant garantir l’engagement et la poursuite d’un travail psychique avec l’enfant. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 43 Le travail avec les familles en hôpital de jour “Prérequis” Quelles seraient les conditions minimales permettant de faire accueil à toute situation familiale, quel que soit son fonctionnement et ses modalités d’expression ? On pourrait, individuellement et institutionnellement, s’imprégner des hypothèses avancées au cours de ce travail, pour n’en retenir qu’une, on rappellera les propos de M. Berger : selon lui, la première condition pour pouvoir “bien travailler” serait de reconnaître sa propre haine, vis-à-vis de la famille, des parents, de la maladie, de l’enfant. Modalités Déployer au sein de l’institution suffisamment de lieux permettant à la parole de pouvoir s’exprimer de la manière la plus fluide possible, en-deçà de tout jugement moral, débarrassée de toute anticipation théorique, historique ou réduc- 44 réductrice, ces espaces doivent permettre à la parole d’être tamisée, filtrée, “décortiquée”, reformulée, examinée avec l’ensemble des outils conceptuels, c’est-àdire élaborée au plus près de la psychopathologie de l’enfant et des enjeux familiaux qui peuvent y être attachés. A y regarder de plus près, rien d’original à tout cela puisque l’on retrouve en filigrane les grands principes de la psychothérapie institutionnelle, selon des modalités théorisées par P. Delion, avec le triptyque fonction phorique, sémaphorique et métaphorique. Nous défendons enfin l’importance d’avoir une interface hôpital de jour/parents qui soit “poreuse”, fondée sur la recherche d’une forme “d’alliance thérapeutique” s’appuyant sur l’adhésion des parents, leur investissement pour la prise en charge et des échanges “bilatéraux” avec l’institution. Pour conclure, nous sommes donc passés de la question de la recherche d’une famille idéale à celle de l’institution idéale… BIBLIOGRAPHIE 1. AUSSILLOUX Ch. et LIVOIR-PETERSEN M.-Fr., Collectif : L’autisme cinquante ans après Kanner, Ramonville SaintAgne, éditions Erès, 1994. 208 p. 2. BERGER M., Le travail thérapeutique avec la famille, Paris, Dunod, 1995, 254 p. 3. BERGER M., La construction du cadre des entretiens familiaux, Bibliothèque Sigmund Freud, Paris, 1996, pp. 169-178 4. MARCIANO P., L’hôpital de jour pour enfants, Toulouse, Erès, 1999, 343 p. 5. MISES R. et GRAND Ph., Parents et professionnels devant l’autisme, CTNERHI, 1997, 446 p. 6. WINNICOTT D. W., Jeu et réalité, Folio essais, 1971 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 SOINS AUX FAMILLES SENS, PORTAGE, PILOTAGE Cliniques universitaires Saint-Luc Le KaPP Avenue Hippocrate 10 1200 BRUXELLES BELGIQUE [email protected] Arthur DELEPINE, Jennifer GILSON, Philippe KINOO, Marguerite VAN DEN BERGH Qu’est-ce que le « soin aux familles » ? L’analyse de notre pratique nous a fait repérer trois dimensions : la recherche du sens (comprendre), le pilotage (élaborer et décider) et le portage (accueillir et soutenir). Les trois dimensions sont illustrées par des interventions des membres de l’équipe : travailleur social, éducateur et psychologue. Un lien est fait ensuite avec des concepts amenés par Pierre Delion : fonction phorique et portage ; fonction sémaphorique et pilotage, fonction métaphorique et recherche de sens. Mots-clefs : enfant, famille, psychothérapie institutionnelle, sens, pilotage, portage, fonction phorique, fonction sémaphorique, fonction métaphorique Family care. Sense, piloting, holding What is « family care »? Analysing our practices, we notice three dimensions: to seek sense (understanding), to pilote (elaborating and deciding) and to hold (welcoming and sustaining). These three dimensions are illustrated with team members’ interventions: a social worker, an educator and a psychologist. Then, a link is made with concepts brought by Pierre Delion: metaphoric function as seeking sense, phoric function as holding, semaphoric function as piloting. Keywords: child, family, institutionnal psychotherapy, sense, piloting, holding, phoric function, metaphoric function, semaphoric function. LE CADRE Le KaPP est un hôpital de jour pédopsychiatrique où sont accueillis vingt-cinq enfants de 0 à 13 ans. L’essentiel du fonctionnement est en centre de jour mais quelques enfants (quatre à cinq) peuvent être hospitalisés à temps complet. Ils “dorment” dans le service de pédiatrie des Cliniques, où un éducateur les prend en charge dès 7 h le matin, et les accompagne le soir entre 17 et 22 h (ou davantage s’il y a des problèmes d’angoisses, des troubles du comportement,…). Environ la moitié des enfants restent dans notre centre pour un “long terme” : c’està-dire un à deux ans (enfants psychotiques, jeunes enfants autistes). Les autres situations sont des “moyen terme” (troubles psychosomatiques, anorexies, troubles du comportement, phobies…), des urgences (maltraitance, décompensation individuelle ou familiale,…) ou des “bilans d’observation/action” (mise au point diagnostique et thérapeutique lors d’un séjour de cinq semaines dans des situations particulièrement complexes lorsque les prises en charge ambulatoires ou résidentielles se trouvent dans l’impasse). L’essentiel du travail se fait en ateliers, animés par les éducateurs, les enseignants, la psychomotricienne, la logopède, l’animateur sportif, l’animatrice de l’atelier créatif. Participent aussi au travail l’infirmière, l’aide-soignante, les deux assistantes sociales, la coordinatrice, le secrétaire, les deux psychologues, les deux médecins. Les psychologues proposent des entretiens individuels, orientés par la psychanalyse, et font des “bilans”, avec des tests projectifs et des examens cognitifs. Des entretiens avec les parents sont assurés par le médecin pédopsychiatre et le psychologue référent en associant, selon les besoins ou la demande, l’éducateur ou l’assistante sociale référente ou une autre compétence de l’équipe. Le travail avec les familles est d’orientation systémique. Plus largement, les activités et la vie quotidienne se réfèrent à la psychothérapie institutionnelle adaptée aux enfants, ensemble de dispositifs où les médiats thérapeutiques servent de base à la construction du travail relationnel des enfants entre eux et des enfants avec les adultes, et visent un développement “global” de l’enfant1. Ayant toujours veillé à travailler en collaboration avec les parents, outre les entretiens avec eux, nous soignons l’accueil, matin et soir, qui leur est destiné, et tout naturellement nous est venue l’idée d’ouvrir certains ateliers constituant la trame de la psychothérapie institutionnelle, aux parents eux-mêmes. Et, pour préparer cette contribution, nous nous sommes posé la question suivante : 1 Tout ceci est développé dans le livre « Psychothérapie institutionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP », éditions Erès, et dans « Eduquer et soigner en équipe. Manuel de pratiques institutionnelles », éditions De Boeck. « En fait, en quoi consiste notre “soin aux familles” »? PREMIER CHAMP DU SOIN : LE SENS Premier champ, celui qui vient le plus souvent à l’esprit lorsqu’on parle du soin psychique, c’est le champ du sens. L’intervenant cherche, avec la famille, à comprendre le sens des difficultés de l’enfant, le sens des dysfonctionnements familiaux. « Qui porte le symptôme, qui souffre, qui allègue ? » comme nous l’a appris Robert Neuburger dans « L’autre demande ». Et pourquoi ? Quelles sont les (fausses) pistes thérapeutiques ? Bref, réfléchir et échanger, rien que du bien connu par les “psys”. DEUXIÈME CHAMP DE SOIN : LE PILOTAGE Bien comprendre ne suffit pas. Après avoir compris, il faut voir quoi faire. Quelles sont les objectifs du soin ? Quels sont les outils éducatifs et rééducatifs nécessaires ? Quels sont les attitudes relationnelles adéquates ? Quels sont les aspects émotionnels à modifier ? Faut-il un médicament ? Quelles attitudes psychoéducatives adopter en famille ? Quelle orientation scolaire ou thérapeutique, quel soin ambulatoire ou résidentiel ? L’intervenant, suite à l’analyse avec les parents, va donc faire des propositions mais ce sont les parents qui restent les “décideurs”, in fine, pour l’acceptation ou non du plan thérapeutique. C’est le parent qui veillera à ce que le plan puisse être appliqué, plus ou moins précisément, même si, bien évidemment, l’application du plan concerne également l’intervenant. C’est cela que nous proposons d’appeler la fonction, ou le champ du pilotage. Pour cette fonction, le pilote responsable est le parent et, pour rester dans la métaphore, l’intervenant serait le copilote. Ce dernier donne des indications au pilote, prend éventuellement les commandes si le pilote a besoin d’aide, mais même alors, il reste bien en position seconde. Dans le concret des prises en charge thérapeutiques, le pilotage ne suit pas nécessairement la recherche du sens. Certaines décisions doivent être prises avant d’avoir tout compris. Il s’agit plus d’une articulation, d’un processus de construction de Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 45 Le travail avec les familles en hôpital de jour plan thérapeutique “sens/pilotage”, que d’une chronologie linéaire. TROISIÈME CHAMP DU SOIN : LE PORTAGE Cette dimension peut se déployer beaucoup plus largement dans les prises en charge en centre de jour que dans l’ambulatoire ou même dans le soin résidentiel. En effet, par la proximité souvent quotidienne avec les familles (lorsque les parents conduisent et/ou recherchent leur enfant à l’hôpital, comme c’est le cas au KaPP), notre relation avec eux peut permettre un soulagement du poids qu’ils portent, poids lié à la pathologie de leur enfant. Habituellement, avant l’entrée à l’hôpital de jour, les parents vivent avec le poids de la honte et de l’angoisse. Honte des comportements aberrants de leur enfant dans le métro ou le grand magasin. Peur de ce que va dire l’institutrice ou la directrice de l’école. Gêne lors des fêtes de famille. Angoisse de l’avenir à long terme, et même à court terme : y a-til un lieu qui peut prendre en charge mon enfant ? Dès l’arrivée à l’hôpital de jour, notre intervention peut commencer à les soulager. C’est ce que nous proposons d’appeler le champ du portage. Comment soulager la famille d’une part du poids que représente la pathologie de leur enfant ? Quelles aides financières ? Mais tout simplement surtout, quelle sympathie vont-ils trouver auprès de nous ? Comment allons-nous soigner l’accueil lors de la procédure d’admission ? Comment les mettre à l’aise lors des contacts formels et informels ? Au KaPP, nous avons souvent l’impression que cette qualité d’accueil permet un réel portage, entrainant un soulagement dans la famille, ce qui nous fait constater que, souvent, la famille va mieux avant même que l’enfant ne change. Pour être complet, nous devrions ajouter que, malheureusement, par la suite, l’enfant change plus vite que la famille. Mais ceci est une autre histoire. DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS EN LIEN AVEC CES TROIS CHAMPS Quelques dispositifs institutionnels “kappiens” sont intéressants à préciser pour illustrer nos interventions dans ces trois champs. L’accueil du matin et du soir En Belgique, il n’existe pas de service “ramassage” organisé pour conduire les enfants à l’hôpital. Au mieux, on peut trouver des “taxis médico-sociaux”, mais il s’agit de services privés payants. Donc, ce sont les parents eux-mêmes qui 46 s’arrangent, éventuellement avec un grand-parent, ou le grand frère, la tante,… Et nous avons ainsi l’occasion d’avoir deux contacts quotidiens avec un membre de la famille, à 8h et à 16h. Nous avons dès lors organisé cet accueil avec deux intervenants le matin, et deux le soir. La procédure d’admission La première étape (après une demande adressée au secrétariat), c’est un coup de fil de notre part au demandeur (parent ou professionnel) pour lequel nous dégageons un temps suffisant pour nous permettre d’aller le plus loin possible dans la recherche des critères de (non-)indication. Ensuite, nous organisons le “préaccueil I” avec les deux parents, l’enfant et l’envoyeur. Ce pré-accueil confirmera, 95 fois sur 100, l’indication d’hospitalisation pressentie lors de la discussion téléphonique. Cet entretien, d’une durée d’une bonne heure, laisse un court temps à l’énonciation de la plainte (environ 10 min), puisque cela a déjà été exploré en partie lors du contact téléphonique. Ensuite, nous visons à construire avec la famille les objectifs attendus de l’hospitalisation : « Qu’est-ce que vous souhaitez que nous tentions de changer ou d’améliorer chez votre enfant ? », « Qu’est-ce que tu aimerais qui puisse changer pour toi ou pour ta famille ? » Les réponses sont habituellement assez classiques : être plus sociable, avoir moins de colères, se débloquer pour ses apprentissages,… En résumé, « grandir le mieux possible ». Même si ce sont des thèmes “bateaux”, l’important c’est que la famille et l’enfant nous perçoivent moins comme des spécialistes du problème que comme des spécialistes dans la recherche et l’application de solutions. Ceci nous permet aussi d’impliquer les parents dans le projet thérapeutique, en signalant que nous aurons besoin de leur aide pour la mise en place des améliorations visées (ce qui est moins stigmatisant et plus constructif que de les confronter à la cause du problème). Ce pré-accueil I est assuré par la coordinatrice, un psychologue et un médecin. Il sera suivi, la semaine avant l’entrée effective de l’enfant au KaPP, d’un “préaccueil II”. Celui-ci sera assuré par les mêmes médecin et psychologue, rejoints cette fois par l’éducateur référent et par une assistante sociale. L’assistante sociale y jouera, le cas échéant, un rôle important pour le “portage”, comme nous le verrons plus loin. Les « ateliers avec parent(s) » Enfin, il y a les “ateliers avec parent(s)”. Il s’agit d’un dispositif que nous trouvons, pour certaines situations, extrêmement puissant. L’un et/ou l’autre parent(s) sont invités à participer à un atelier avec leur enfant : “atelier repas” pour les troubles alimentaires, “ateliers psychomotricité” pour les troubles du développement, mais aussi les troubles de l’attachement (par un travail sur le lien et la distance relationnelle), “atelier escalade” ou “piscine” (en groupe d’enfant), pour un papa psychotique, un peu paumé dans la relation avec son fils,… Passons maintenant à quelques illustrations concrètes de nos interventions. L’ASSISTANTE SOCIALE, LES PARENTS ET LE SOIN L’entrée en matière - L’assistante sociale participe au deuxième entretien de pré-accueil. Lors de cet entretien, nous reprenons avec la famille ce qui a été discuté lors du premier entretien, précisons la demande et les objectifs, et questionnons l’organisation nécessaire. Quelles sont les attentes des uns et des autres dans la famille, à l’école,… ? Quels investissements les parents sont-ils prêts à consacrer ? Comment la famille va-t-elle s’organiser ? Les questions sont multiples. Le but n’est pas nécessairement d’y répondre tout de suite mais d’ouvrir des perspectives et des pistes possibles. - L’assistante sociale va expliquer tous les aspects pratiques, administratifs et financiers que recouvre l’hospitalisation. Elle va s’assurer que cela soit praticable pour les parents et, sinon, essayer de trouver des dispositifs d’aide. - Dès le départ, l’assistante sociale a donc une approche individuelle familiale mais s’inscrit aussi dans le projet collectif institutionnel : Par rapport à l’approche familiale individuelle : l’accueil, le soutien et le soin - L’assistante sociale va donc essayer, dans la mesure du possible, que la famille bénéficie de toutes les aides sociales auxquelles elle pourrait prétendre. Cela se fera lors d’entretiens individuels entre l’assistante sociale et le(s) parent(s) (droits aux allocations familiales majorées, si difficulté financière, prendre le temps avec la famille examiner avec elle les différents services qui pourraient lui venir en aide ; si nécessité de soins de santé physique, aider à trouver une maison médicale, etc.) - Le soutien et l’accompagnement dans différentes démarches sociales peuvent faciliter le travail thérapeutique avec le jeune et sa famille. Par exemple, si une famille rencontre trop de difficultés pour assurer le transport de son enfant, nous allons essayer de mettre des aides en place afin que ces trajets soient possibles ou encore, si au cours de l’hospitalisation Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Soins aux familles : sens, portage, pilotage de son enfant, une maman seule nous fait part de ses problèmes financiers, nous la mettons en contact avec un service qui a pour objectif d’aider temporairement des familles avec de jeunes enfants confrontées à la pauvreté. De plus, si cette maman a droit à une pension alimentaire que le papa de l’enfant ne paie pas, nous ferons appel avec elle au service compétent afin d’essayer de débloquer la situation. Ces démarches sociales faites avec les familles favorisent la création d’un lien de confiance, ce qui facilitera l’alliance thérapeutique. - L’assistante sociale est régulièrement présente à l’accueil du matin. Ceci favorise aussi le lien et corollairement la relation de confiance. - Le travail d’accompagnement social nous amène parfois à nous rendre à domicile pour des entretiens ou pour des “ateliers avec parents”. On peut alors se rendre compte autrement de ce que la famille vit. Ces visites, ainsi que des démarches sociales accomplies avec les familles, nous amènent parfois à mieux percevoir la situation de détresse dans laquelle se retrouve la famille ou encore à recevoir certaines inquiétudes des parents, des confidences de leur part. Dans un cas comme dans l’autre, pour l’assistante sociale, revenir vers son équipe est important pour témoigner tant des difficultés rencontrées que des compétences mises en œuvre par la famille. Ensuite, si besoin ou nécessité, cela pourra être repris par les collègues intervenants lors d’entretiens avec la famille. Par rapport à l’approche institutionnelle collective : le pilotage - Durant toute l’hospitalisation de l’enfant, l’assistante sociale va essayer de mettre les différents membres de l’équipe du KaPP (en fonction de leur fonction) en lien avec les systèmes qui gravitent autour de l’enfant et de la famille, bref, travailler avec le réseau. L’assistante sociale va coordonner les “plans de sortie” avec ses collègues et les mettre en lien avec les autres intervenants du système gravitant autour de la famille. - Pour ces contacts, dans la mesure du possible, il est intéressant de le faire avec un autre membre de l’équipe afin d’avoir plusieurs regards sur le fonctionnement du réseau et le rôle des partenaires. - L’assistante sociale assure le lien entre l’école de l’enfant et le KaPP, habituellement avec l’instituteur, l’éducateur, le psychologue, et/ou le médecin. Ces différents contacts se font en partie par téléphone mais, dans la mesure du possible, nous essayons d’organiser des rencontres. Les liens avec certains parte- naires peuvent aussi être assurés via une invitation des enseignants pour une réunion de synthèse au KaPP. - Phillipe Bivort décrit la fonction de l’assistante sociale comme une « position d’interface ». Quand on a recours à une institution, soit par un système client, soit par un envoyeur, cela va créer entre ces deux systèmes des interactions particulières. C’est l’assistante sociale qui prend habituellement la place de trait d’union entre le dedans et le dehors, soutenant la continuité pour éviter les ruptures. Le recours à une institution n’est pas une fin en soi, il y a toujours une perspective après l’hospitalisation (« Eduquer et soigner en équipe », p. 179). - Il est important aussi d’assurer la continuité du fonctionnement réseau à la sortie de l’enfant. En effet, à la fin de l’hospitalisation, et même après, les intervenants du réseau peuvent continuer de faire appel à l’assistante sociale ou à un autre membre de l’équipe du KaPP. Nous pouvons ainsi garder un lien soutenant auprès des familles lorsque c’est nécessaire. Par exemple, après une hospitalisation, nous pouvons être sollicités lors d’une réunion au Service Accueil Jeunes, ou dans une école. Le réseau peut recontacter le KaPP quand des intervenants se sentent en difficulté par rapport aux outils thérapeutiques, par exemple quand il y a réapparition de certains symptômes. - En conclusion, la position d’interface de l’assistante sociale entre le dedans (l’institution où elle travaille) et le dehors (la famille et/ou le réseau) favorise l’alliance thérapeutique nécessaire entre la famille et l’institution. Le travail social participe à redonner une sécurité de base nécessaire au soin : il s’agit de (re)créér du lien, (re)donner confiance, permettre et participer à l’alliance thérapeutique. L’ÉDUCATEUR, LES PARENTS ET LE SOIN Le petit Ali est arrivé au KaPP à l’âge de 5 ans. Il présentait un retard de développement important avec cependant un bon niveau verbal pour son âge. Il était souriant avec une tendance à être dans son monde et pouvait montrer des intérêts répétés et particuliers pour les animaux et les dessins animés. Au début de son hospitalisation, Ali s’opposait de façon très théâtrale, il criait « Au secours, à l’aide » à la moindre frustration. Il n’était pas propre, refusait la toilette, s’opposait fortement en famille lors des tentatives de ses parents pour le laver. Il était très sélectif sur le plan alimentaire. De façon générale, alors que leur fille (un an plus âgée qu’Ali) était éduquée sans problème, les parents étaient complètement dépassés sur le plan éducatif avec ce garçon. Après une période d’acclimatation, nous avons mis en place le travail suivant avec les parents. Dans un premier temps, le travail s’est fait lors de rencontres informelles dans le hall d’accueil. Un échange s’est mis en place autour de l’enfant et de ses comportements au KaPP et à la maison. Quelques pistes sont données aux parents tels que le renforcement positif ou la co-intervention des parents. Cependant, ces parents avaient un besoin de soutien plus important, or les entretiens “classiques” avec le médecin et la psychologue n’apportaient aucune évolution à la dynamique familiale. C’est lors d’“ateliers avec parents” qu’ils ont pu trouver ce soutien plus adapté à leurs besoins. Pour Ali et ses parents, nous avons d’abord mis en place des ateliers “repas”. Ces ateliers se déroulaient au KaPP en présence de la psychologue, de l’éducateur référent et des parents (il nous arrive également d’inviter la fratrie). Les objectifs visés étaient la diversification de l’alimentation d’Ali et surtout le respect du cadre pendant les repas (heures et lieux fixes, rester “posé” à table un temps suffisant, utiliser les couverts,…). Pendant le premier atelier, les parents avaient des difficultés à contraindre leur fils surtout à cause des oppositions toujours très expressives d’Ali. Après trois à quatre ateliers, les parents avaient bien progressé par rapport au cadre et Ali a pu diversifier son alimentation à chaque fois un peu plus, avec à chaque fois des attitudes de plus en plus correctes. Ensuite les référents d’Ali (psychologue et éducateur) ont accompagné l’enfant et ses parents au supermarché. Ali faisaient des crises (toujours très démonstratives) dans le but d’obtenir ce qu’il voulait. L’autorité conjointe des quatre adultes (parents et professionnels) a été une étape intéressante dans la bataille pour l’autorité parentale en famille. Le soutien, la visualisation des résultats, et la diminution des oppositions d’Ali, ont permis petit à petit aux parents de se sentir plus à l’aise avec le cadre à maintenir, d’abord au KaPP, puis en famille. Yves est arrivé au KaPP car des troubles du comportement rendaient sa scolarisation impossible, même en enseignement spécialisé. Les difficultés d’Yves se manifestent par une hyper-sensibilité et des réactions démesurées à la frustration. Les parents nous ont également rapporté de grosses difficultés concernant les règles familiales, comme par exemple le rangement de la chambre de leur fils. Ils étaient bien conscients du problème, mais Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 47 Le travail avec les familles en hôpital de jour se sentaient impuissants à mettre en place les solutions. En accord avec eux, et pour amorcer le début de la bataille pour la convivialité en famille, nous avons organisé un “atelier à domicile” avec l’objectif de ranger la chambre avec l’enfant. Sabrina -deux ans et demi, atteinte d’autisme- et sa famille arrivent au KaPP tout juste dix minutes après l’annonce du diagnostic au CRA (Centre de Ressources Autisme des Cliniques Saint Luc avec lequel nous travaillons). Les deux aînés de la fratrie sont eux aussi atteints d’autisme. Ils sont arrivés avec le médecin pédopsychiatre du CRA et un entretien avec la famille a été improvisé en présence de la coordinatrice et d’un éducateur. L’annonce du diagnostic est toujours une épreuve difficile pour les parents. Ici, ce fut particulièrement dramatique. L’accueil des parents dans ces circonstances bouleversantes a cependant permis d’établir un climat de confiance essentiel au travail qui sera mis en place par la suite. Cet accueil fut un espace de parole et d’écoute ou, plus simplement encore, de sympathie proposé aux parents. C’est lors d’un deuxième entretien avec les parents que l’importance de ce premier contact nous a été relatée. Les parents de Sabrina se sont sentis simplement bien accueillis par l’équipe du KaPP. Ceci nous rappelle l’adage : « On n’a jamais deux fois l’occasion de faire une bonne première impression. » Amine est atteint d’autisme et arrive au KaPP à l’âge de 4 ans. Il le quittera à l’âge de 7 ans. Pendant ce long séjour (pour le KaPP, trois années, c’est un séjour exceptionnellement long), des entretiens structurés ont été fixés à intervalles réguliers. Mais à côté de ces entretiens, des rencontres informelles quotidiennes auront lieu dans le couloir pendant l’accueil du matin ou du soir. Ces rencontres permettent d’échanger des informations autour de l’enfant, de la famille et autour de ce qui se passe au KaPP. « Comment l’enfant a-t-il dormi / mangé ? » « Comment s’est passé l’hippothérapie ? » « Le papa ou la maman est-il/elle rentré de vacances ou de déplacement professionnel ? » « Comment se passe la grossesse de la maman? A-t-elle accouché ? » « Quels sont les progrès ou les régressions de l’enfant ces jours-ci ? », « Est-ce que tel ou tel trouble du comportement est toujours présent ? A quelle fréquence ? ». Certaines de ces informations peuvent paraîtres futiles, mais elles permettent au jour le jour d’alimenter le lien entre les parents et les professionnels, entre le domicile et l’hôpital. Pour ces parents particulièrement, ces moments étaient 48 importants. Ils étaient fort anxieux, très perfectionnistes. Ces quelques minutes matin et soir étaient utiles comme antianxieux, et comme soulagement. Ils se rassuraient par ce bref contact quotidien. DIGRESSION “PIERRE DELION” Pierre Delion nous a apporté les concepts de « fonctions phorique, sémaphorique et métaphorique ». En super-résumé, voici un extrait de Pierre Delion lui-même, qui reprend ces notions (Thérapeutiques institutionnelles (2001) in EMC-Psychiatrie, 37-930-G10). « La fonction phorique est un concept tiré du « Roi des Aulnes » de Michel Tournier, qui concerne tout ce qui de l’homme, le met ou le laisse dans un état de dépendance tel qu’il a un besoin incontournable de l’autre pour être porté par lui, soit physiquement,- c’est le cas du bébé qui ne peut encore marcher tout seul -, soit psychiquement, et c’est le cas de beaucoup de personnes psychotiques qui ont longtemps, voire toujours, besoin de portage pour pouvoir suivre leur destin pulsionnel. C’est donc une des missions des institutions de proposer de tels praticables (Oury) comme cadre phorique sur lesquels vont venir se jouer les autres fonctions sémaphoriques et métaphoriques ». Cette fonction phorique, nous pouvons clairement la retrouver dans notre lien de portage avec les familles. « Les signes étant exprimables quelque part, dans quelque lieu, vont pouvoir se polariser vers un appareil psychique disposé à les recevoir et à les organiser. Cet appareil psychique de plusieurs soignants constitue en quelque sorte la feuille d’assertion, celle dont M. Balat nous dit qu’elle est le lieu sémaphorique de ce qui est à interpréter ». « Recevoir et organiser les signes », cela pourrait se rattacher à notre fonction de pilotage. A propos de la fonction métaphorique, il dit ceci : « Il s’agit donc bien d’un travail d’interprétation. Mais ce travail d’interprétation, s’il ne peut se faire que dans le cadre du contre-transfert institutionnel, c’est-à-dire en situation d’élaboration et de perlaboration de la constellation transférentielle, va se trouver confronté à la validité de ses hypothèses, non pas sur un plan structural synchronique, puisque c’est en quelque sorte ce qui en fait tout l’intérêt, mais sur le plan de leurs articulations avec la diachronie de l’histoire familiale. C’est pourquoi il semble tout à fait essentiel de lier ces hypothèses structurales avec la dynamique historique familiale… ». Et nous sommes ici dans la recherche de sens nouveau, notre premier champ. Il y a de toute évidence une similitude entre ces concepts utilisés pour définir certaines facettes du soin « individuel », avec ce que nous tentons de présenter pour le soin aux familles. Le parallélisme est particulièrement marqué pour portage/phorique et pour sens/métaphorique. Pour pilotage/sémaphorique, il y a plus de différences, dans la mesure où nous y incluons non seulement “l’échange des signes”, mais aussi la prise de décision et l’évaluation du suivi de ces décisions. Et autres concepts associés Encore quelques pistes pour des associations possibles dans nos trois champs. - Dans “portage”, nous l’avons déjà évoqué, nous pouvons associer les notions de “soutien”, et même tout simplement “d’accueil”. - Dans “pilotage”, on l’a vu, on retrouve la notion de “guidance parentale psychoéducative” ou encore de “repères communs” entre famille et intervenants (ce qui se rapproche du « sémaphorique » de Pierre Delion). Le fait de devoir chercher des repères communs, des objectifs communs, suppose qu’il puisse y avoir une identité suffisamment commune, un processus d’identification réciproque des parents et des intervenants : voir ce que l’un et l’autre peuvent apporter ensemble à l’enfant. - Dans le champ du “sens” par contre, chacun doit reprendre son identité, ce qui implique une capacité de différenciation. Il faut accepter les différences, les désaccords éventuels, pouvoir les aborder, avant de voir comment une décision (de pilotage) peut être prise en tenant compte du contexte de désaccord/différence éventuel. Cet exercice est par exemple bien difficile mais indispensable dans le travail avec les familles d’origine culturelle différente : « Qu’est-ce que le trouble de développement de votre enfant signifie dans votre famille/pays/culture, et que signifie-t-il dans notre approche médicopsychologique occidentale ? » Tout ce qui précède peut se résumer dans le schéma 1. LA JEUNE PSYCHOLOGUE ET LE PORTAGE DE L’ÉQUIPE Voici la situation d’un enfant que nous nommerons Axel. Axel a deux ans et demi. Il arrive au KaPP pour des troubles du développement et de l’alimentation. Issu d’une famille originaire d’un pays de l’Est, ses parents ne parlent pas le français et la situation familiale est complexe. Les parents ont des difficultés de couple et décident, il y a peu, de mettre fin à leur relation. Le père d’Axel retourne vivre dans son pays d’origine tandis qu’Axel et sa maman restent en Belgique. Cette séparation soudaine a été compliquée à gé- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Soins aux familles : sens, portage, pilotage rer pour Axel, que nous voyons depuis lors régresser dans ses apprentissages. Préoccupés par la situation, l’équipe a proposé à la maman la mise en place, à domicile, de séances de vidéo-conférence par Internet, avec le papa. Cette idée a été soumise afin de permettre à Axel de garder un contact avec son père. Les parents ont bien accueilli l’idée, mais la mise en pratique de ces séances s’est avérée compliquée à gérer pour ceux-ci. Il leur était en effet difficile de mettre de côté leurs différends, ce qui créait un climat de violence verbale permanent autour de l’enfant durant les conversations vidéo dédiées à Axel et son papa. Le KaPP fait alors quelques nouvelles propositions aux parents. D’abord, lors des retours du père tous les quinze jours, un suivi chez une psychothérapeute parlant leur langue maternelle, afin qu’ils puissent communiquer au sujet de leurs problèmes de couple. Ensuite, un consensus a pu être établi entre les parents pour que leurs communications “adultes” ne s’effectuent pas en présence de l’enfant. Néanmoins, les “séances Internet” pèreenfants à la maison restaient compliquées et accablaient fortement la maman de par leur nombre, puisque le papa, désireux de contacts avec son fils, en réclamait davantage. Afin de soulager les parents par rapport à leurs besoins respectifs, le KaPP propose alors d’ouvrir un espace de vidéoconférence en son sein. Ainsi, à raison d’une fois par semaine, s’effectuent des séances par Skype pour permettre à Axel et son papa de garder le contact. Ce dialogue peut alors s’élaborer dans un milieu neutre qui vient mettre du tiers, permettant aux parents d’y déposer une situation difficile qu’ils ne pouvaient pas porter seuls. L’élaboration de cet espace, qui constitue la première réalisation de ce genre au KaPP, n’a pu être mise en place que grâce à l’intervention de l’équipe qui a su entendre les difficultés parentales, chercher une thérapeute, un traducteur, installer le réseau de communication par Internet et ainsi soutenir cette famille. Cette situation nous parait être un bel exemple de portage, de soutien. Ce portage n’est possible que s’il émane d’une équipe, ou dit autrement, le portage de l’équipe est une base pour l’initiative de chacun des intervenants. Ce portage institutionnel permet de fournir un étayage aux familles qui, elles-mêmes soulagées, peuvent alors reproduire cet étayage au sein de leur propre système de fonctionnement. Il serait en effet compliqué, en tant que professionnel, d’apporter à la famille une base sur laquelle elle peut venir prendre appui si nous-mêmes, nous ne disposions pas de cet étayage. Nous retrouvons cet étayage, ce portage, au sein de l’ensemble de l’équipe, auprès de laquelle chaque intervenant peut venir se ressourcer et chercher le soutien nécessaire au travail avec les familles. Le développement de cette situation montre que l’impact du portage par une équipe, ainsi que la mise en sens et la compréhension des situations, constituent les ressources nécessaires à mettre rapidement en place des mécanismes de soutien auprès des familles. Ainsi, l’ensemble du dispositif explicité cidessus est le résultat de deux semaines de collaboration autour de cette famille. Cette collaboration a été réalisée avec la psychologue référente -qui expose ce té- moignage- alors qu’elle venait à peine d’arriver dans l’équipe. Cette rapidité d’action n’a été possible pour elle que par l’induction au portage de l’ensemble de l’équipe. CONCLUSION Ces illustrations montrent comment les interventions vont nouer les trois champs du portage, du sens et du pilotage pour avancer dans le soin. Ali illustre que même si des parents ont du mal à faire un travail sur le sens, on peut avancer avec eux dans le pilotage et dans le portage. Yves nous a montré que même si ses parents semblent avoir compris bien des choses dans le champ du sens, il faut du portage pour avancer dans le pilotage. Sabrina illustre l’effet de l’accueil sur le portage et l’amorce d’une alliance thérapeutique. Et, dit plus simplement, que la dimension “humaine” est la base de notre action thérapeutique professionnelle. Les interventions de l’assistante sociale en témoignent également. Et enfin, Axel nous apprend que pour bien “porter les familles” (et “piloter”, et “mettre du sens”), le portage de chaque intervenant par l’équipe, est une force bien utile. BIBLIOGRAPHIE 1. DELION P., Thérapeutiques institutionnelles, EMC-Psychiatrie, 37-930-G10, 2001 2. MEYNCKENS M., KINOO Ph. et VANDER BORGHT C., Eduquer et soigner en équipe. Manuel de pratiques institutionnelles, Coll. Carrefour des psychothérapies, Editions De Boeck, 2011 3. KINOO Ph., (sous la direction de), Psychothérapie institutionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP, Empan, Ed. Erès, 2012 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 49 Le travail avec les familles en hôpital de jour Pilotage « Fonction sémaphorique » Guidance Repères Identification Portage « Fonction phorique » Accueil Soutien Figure 1 : Les trois champs du travail avec les familles 50 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 HISTOIRE DE FAMILLE OU LE LIEN FAMILIAL REVISITÉ DE FAÇON LUDIQUE… Centre psychothérapeutique de jour « Le Canevas » (Asbl Sanatia) 55 rue du collège 1050 BRUXELLES BELGIQUE [email protected] Dr Eugène BAJYANA SONGA, Ameline DE SCHRYVER, Gwendolyn HUSTINX Outre la (ré) acquisition d’habiletés fonctionnelles et sociales, la réhabilitation psychosociale est aussi un temps opportun pour analyser au sens large ce qui fait lien social pour le sujet que nous rencontrons. En effet, nous ne sommes pas censés ignorer que la souffrance que nous entendons n’est pas le seul fait d’événements critiques. Le plus souvent, ces événements viennent toucher leurs protagonistes dans des pans de leur constitution psychique aussi sensibles qu’ignorés. Il nous semble donc indispensable de penser le lien social tel qu’il s’est inscrit dans le développement psychique du sujet, avec ses clartés et ses zones d’ombre. En ce sens, le questionnement sur l’histoire familiale prend tout son sens. Le jeu « Histoire de famille », créé il y a quelques années au centre de jour ‘Le Canevas’, se penche sur ce dernier axe de manière originale et ludique. Nous nous proposons ici de vous décrire cette activité née de l’expérience clinique et de notre cheminement institutionnel. Nous soulignerons aussi quelques aspects fondamentaux de ce qui, selon nous, rend cette activité opérante dans la réflexion que nous souhaitons humblement susciter. Nous discuterons enfin des limites éprouvées dans notre façon d’aborder ce sujet. Mots-clefs : lien, social, histoire, famille, jeu, constitution psychique, sens “Family background” or the family bond seen from an entertaining point of view... In addition to the (re-)acquisition of functional and social skills, the psychosocial rehabilitation is also an appropriate time to conduct a broad analysis of what makes the social bond for the subject we meet. Indeed, we know that the pain we hear doesn’t only come from critical events. Most frequently, those events affect their subjects in various parts of their psychic makeup that are sensitive and unknown. Therefore we think it’s essential to consider the social bond as a part of the subject’s psychic development, with its bright and dark sides. In that sense, questioning the family background takes on its full meaning. The game ‘Family background’, which was created a few years ago at the ‘Le Canevas’ day centre, focuses on this latter aspect in an original and entertaining way. This activity, which was born from the clinical experience and our institutional progression, will be described to you here. We will highlight some fundamental aspects of what we think makes this activity effective in the reflection that we humbly wish to foster. Finally, we will discuss the limits we encountered in the way we approached this issue. Keywords: social, bond, family, background, game, psychic makeup, meaning INTRODUCTION Notre centre de jour s’offre à toute personne exprimant une souffrance psychique en lien avec une problématique d’inscription sociale. Cette indication reste aussi large que possible mais touche le plus souvent des personnes situées dans le champ nosographique de la psychose, que celle-ci soit décompensée ou non, qu’elle renvoie à des symptômes patents ou non. Notre mandat de soin est celui de la réhabilitation psychosociale. Celui-ci évoque la (ré) acquisition d’habilités de base favorisant le rétablissement d’une vie sociale satisfaisante. Nos références théoriques (psychanalyse et psychothérapie institutionnelle), nous incitent aussi à questionner les racines de ce défaut d’inscription sociale. Le temps du séjour au centre permet ainsi d’interroger les sens et non-sens de ce qui fait “lien social” pour l’usager. Cette réflexion est alimentée par la vie communautaire elle-même. Nous insistons sur le “vivre ensemble”, où se rejouent des fragments du lien tels qu’ils sont mobilisés chez chacun. Ces formes de transfert sont variées, positives, négatives, et suscitent des réactions contretransférentielles que nous tentons de repérer, d’analyser, et de retravailler avec les usagers, sous des formes diverses. Plutôt que de simplement “recoller” le lien social brisé par un vécu de crise, nous tentons de remobiliser les trames psychiques de ce lien, souvent rigidifiées. Bien des obstacles s’opposent à cette volonté de soin. Ils vont de l’incapacité à sortir de la crise, pour s’orienter vers une analyse plus profonde du lien. Ils passent par les “ratages” du processus d’historicisation. Ils renvoient parfois aux risques de réactualisation du symptôme, voire de décompensation induite par le seul processus du récit. Pour être complet, ces résistances vont de pair avec celles de l’institution. Il nous arrive aussi de participer aux répétitions mortifères qui se rejouent dans la vie communautaire sans forcément y amener le recul nécessaire, avant d’en souffrir…et de se demander ce qui s’y reproduit. Au fil de notre développement, il nous apparut donc nécessaire d’innover dans les voies permettant de se questionner sur le vécu social. L’abord familial en constitue un de ses accès et le jeu « Histoire de famille » est né de ce mouvement. HISTORIQUE Initialement, nous intervenions plus in vivo auprès des familles des usagers. Des entretiens familiaux et des interventions à domicile étaient proposés de façon routinière, sous l’impulsion de thérapeutes systémiciens. Cette activité fut progressivement abandonnée. Elle décentralisait largement nos soins qui ne portaient plus assez sur le patient lui-même ; elle posait en outre des questions de disponibilité. La famille a dès lors été pensée autrement, comme un partenaire extérieur au soin qui puisse être interpellé ponctuellement mais plus de manière systématique. Parallèlement, le cadre d’activités du centre de jour a ouvert un espace pour “penser” la famille, l’idée était de permettre au patient de l’évoquer, de la décrire et même de l’analyser hors du contact réel. Ainsi s’amorçait la notion du « ni tout à fait dehors, ni tout à fait dedans », plus adapté à nos moyens et nos références. Cet espace se matérialisa d’abord sous forme d’un groupe d’expression avec constitution d’un génogramme, déjà appelé « Histoire de famille ». Les séances étaient libres, ponctuelles et partaient d’un thème décidé en début de séance. Au fil du temps, certains intervenants ont souhaité y amener une touche originale. Il apparaissait en effet que les groupes de parole, plutôt que de mobiliser la pensée des participants, les ramenaient un peu trop aux seuls aspects douloureux de leur vécu familial. C’est ainsi que naquit la dernière mouture de cette activité, devenue le jeu « Histoire Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 51 Le travail avec les familles en hôpital de jour de famille ». Celui-ci diffère des essais précédents par le fait qu’il se déroule avec un groupe restreint, sur plusieurs séances offrant un temps prolongé, et surtout sur un mode ludique. Nous pourrions dire que ces choix visaient plusieurs objectifs, notamment : - analyser, au travers de questions de complexité croissante et d’un génogramme, des recoins de l’histoire familiale, - permettre au participant d’y repérer certains points d’achoppement entre le vécu subjectif et l’histoire familiale où elle s’inscrit (par exemple des répétitions transgénérationnelles, des non-dits insoupçonnés,…), et de se la réapproprier, - favoriser l’expression de chaque participant et le déploiement de sa pensée par étalement des séances, - la création d’une dynamique ludique permettant un peu plus de recul sur des sujets sensibles, dans un cadre sécurisant et respectueux, - l’opportunité de se laisser traverser par les questions et réponses adressées à/par les autres participants, laissant émerger parfois un autre entendement et une autre mobilisation des représentations familiales de départ. PRÉSENTATION DU JEU Le jeu « Histoire de famille » se présente sous la forme d’un plateau de jeu, style « Trivial pursuit ». Ainsi la case centrale, appelée “naissance”, correspond à la case départ. De là partent sept branches de six cases. Chaque branche correspond à un type de relation. Et sur chaque case, le joueur est amené à répondre à une question piochée au hasard dans la série correspondante par les animateurs du jeu. Sur chaque branche se trouve deux cases spéciales. La première est symbolisée par une “spirale” et la deuxième par un “?”. Lorsqu’un joueur tombe sur la case “spirale”, il choisit un autre joueur à qui il demande de lui poser une question. Quand un joueur est sur la case “?” la question qui lui est posée l’est également pour tous les autres participants. Nous proposons un module de cinq séances de 1h30 à 2h. Chaque groupe est constitué de cinq participants. Le groupe se compose en fonction des demandes des usagers ou des propositions de l’équipe. Nous veillons à ce qu’il y ait un équilibre hommes-femmes, au niveau des âges, des compétences d’élaboration et des affinités. Nous nous posons également la question de l’adéquation pour chaque personne de participer à ce jeu. En effet cela demande un investissement important tant dans leur engagement personnel que vis-à-vis du groupe. 52 Avant de commencer le jeu à proprement parler, nous invitons chaque joueur à réaliser le noyau de base de son génogramme, qu’on complètera au fur et à mesure de ses réponses. De même nous leur proposons de commencer une feuille de route où ils peuvent inscrire leurs craintes, leurs attentes par rapport à ce groupe. Ils sont libres de revenir sur cette feuille quand ils le souhaitent. Le groupe est animé par deux ou trois personnes, quels que soient leur profession. Une personne est dans l’interaction des questions et des réponses. La deuxième prend des notes afin d’avoir une trace, de faire mémoire de ce qui se dit. La dernière complète le génogramme de chacun au fur et à mesure des réponses données. Voici le déroulement d’une séance. Nous proposons un tour de parole en début et en fin de séance. Ensuite, le jeu peut commencer : chacun à son tour lance le dé, choisit la branche du thème relationnel sur lequel il a envie de se diriger et se retrouve sur la case indiquée. Un des animateurs pioche au hasard une question correspondant au thème. Le joueur est alors libre d’y répondre comme il le souhaite, jusqu’où il le souhaite. Un joker est présent, et peut être utilisé à tout moment. La dernière séance a quant à elle une trame un peu différente. En effet, l’idée est de retracer le chemin parcouru par chacun, de clôturer ensemble, ce groupe qui nous aura réunis plusieurs semaines. Ainsi, nous proposons un dernier tour de question. Ensuite nous leur demandons de se choisir la question qu’ils auraient aimée recevoir mais qui ne s’est pas présenté. Enfin, il y a un temps où chacun a la possibilité de compléter son propre génogramme, mais aussi de lui donner un titre, un nom, quelques mots, une citation pour représenter le travail parcouru par chacun. Nous proposons à chaque participant de faire le tour des autres génogrammes et de leur donner également un titre. Ce geste fait souvent l’effet d’un cadeau. Nous les réinvitons une dernière fois à prendre un temps pour eux, de se recentrer sur leur vécu, leur évolution, via leur feuille de route. Pour terminer un dernier tour de parole est proposé, où chacun est libre de partager avec l’ensemble du groupe ce qu’il désire. VIGNETTE CLINIQUE Jean a une trentaine d’années. Dans les premiers temps de son séjour, il ne situe sa problématique qu’à travers le spectre professionnel. Jean a travaillé dans plusieurs organismes financiers, en tant qu’analyste. Au début de sa carrière, il a changé trois fois d’employeur parce qu’il n’était pas satisfait des performances de ses collaborateurs. Dans son dernier emploi, il se voit charger par le directeur… de surveiller les activités de son supérieur direct, ce qu’il fera quelques temps avant de sombrer progressivement dans la dépression, nous dit-il. Il parle d’états de profonde tristesse, d’envies suicidaires, de burnout. Il nomme aussi le réveil d’un deuil, celui de son père, décédé en 2000. Jean quitte son boulot, mais ne se relance plus. Il reste chez lui, à ne rien faire, fumant du cannabis. Il finit par entamer une thérapie, avant de s’adresser à nous. Sa demande initiale est de sortir de ce marasme dans lequel il a plongé et ne se reconnaît pas. Durant son séjour, Jean occupe d’emblée une position de savoir dans la communauté. Il a un avis sur beaucoup de choses, reprend les gens, amène ses suggestions, “donne un peu la leçon”. Jean semble effacer l’asymétrie soignant-soigné à tel point qu’il sera plusieurs fois confondu avec les membres d’équipe. A l’inverse, il ne parvient pas à rentrer dans le cadre des activités, par manque de créativité, ratages successifs (retards conséquents, absence). Nous constatons qu’il alterne des moments de présence éclatante et d’absence douloureuse. Mais dès son retour, il ne nous laisse pas approcher ce dernier point et repart sur le mythe de l’autogestion, ce qui nous coupe l’herbe sous le pied. C’est dans ce contexte mitigé que le jeu « Histoire de famille » lui fut proposé, ce qu’il accepta. Partant d’une position initiale encore fort contenue, il y décrivit sa situation familiale. Jean est le cadet d’une fratrie de quatre enfants, à laquelle il rajoute… son père. Il décrit celui-ci froidement, comme un assisté, obèse, immature. Toute la famille est passée au spectre du couple fort-fragile. D’un côté, sa mère, sa sœur aînée et lui, qui gèrent le ménage. De l’autre, son frère aîné, sa sœur et son père, fragiles et assistés. Jean, pour sa part, s’occupait du budget familial à la demande de sa mère. Son père décède alors qu’il n’a que seize ans. Cet événement est vécu comme soulageant, dit-il, tant il était ressenti comme un poids. Au fur et à mesure du jeu, Jean quitte cette description opératoire de son positionnement familial, pour se questionner sur celui-ci. Des questions sur des souvenirs d’enfance le font replonger dans un rôle de “chef faisant fonction”, et ce aussi en dehors de la cellule familiale. Il se demande si telle était bien sa place de se substituer aux figures d’autorité, que ce soit à la demande de sa mère ou de ses enseignants. Jean apparaît plus proche de ses émotions quand il y perçoit les racines Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Histoire de famille ou le lien familial revisité de façon ludique… de son sentiment de “décalage”. Peut-être n’a-t-il pas choisi cette place d’où il critique ses pairs, comme s’il était au-dessus d’eux ? Peut-être en souffre-t-il ? Pour notre part, nous entendons autrement le fonctionnement institutionnel de Jean. Nous y repérons une forme de répétition qui trouve ses origines probables dans des schémas méconnus de l’histoire familiale. Il en est question dans son rapport à l’autorité déchue de son père, et au fait de le supplanter quelque peu à son adolescence. Le décès du père peut y être entendu comme l’aboutissement d’un “parricide” déjà agi dans les responsabilités familiales de Jean. Au fil du jeu, Jean y associera bien d’autres expériences similaires de “calife à la place du calife”. Ces souvenirs ainsi ordonnés laissent apparaître des affects agressifs latents, que nous éprouvions bien malgré nous dans nos positions institutionnelles. Jean évoque aussi ouvertement la culpabilité. Comment ne pas saisir autrement le déclenchement de son burnout dans la mission qu’il eut de surveiller son supérieur ? Toutefois, nous ne profiterons pas de l’espace du jeu pour abattre toutes ses interprétations auprès de notre interlocuteur. Nous respectons les amorces de parallélismes que Jean nous a laissé voir, estimant que le jeu reste le jeu. Ultérieurement, un temps de réflexion en équipe reprend l’essentiel de ces constatations. Dans le cas de Jean, cela permit un nouveau départ dans les entretiens de référence et dans la vie institutionnelle. DISCUSSION Le jeu « Histoire de famille » résulte d’une trajectoire à la fois originale, mais aussi très familière au domaine des psychothérapies. En effet, c’est l’expérience clinique et les questions qu’elle suscite qui ont poussé notre équipe sur la voie de la création de cet atelier original. Reprenons ici quelques constats et quelques repères théoriques qui permettent de mieux comprendre ce processus. En introduction, nous soulignions le primum movens de notre activité, à savoir la réhabilitation psychosociale. Envisager une réinscription de nos usagers dans la vie courante implique deux niveaux de soins. Il consiste à la fois dans une stabilisation de la problématique psychique intégrée, à la (re-)création d’assises sociales le plus souvent rompues. Concernant le premier degré énoncé, notre centre se situe en aval du soin aigu, le plus souvent alloué à l’espace hospitalier. Le deuxième degré revient plus particulièrement aux structures dites intermédiaires, dont nous faisons partie. Nous nous appuyons pour ce faire sur différents concepts émanant de la psychanalyse et des thérapies institutionnelles. Nous nous basons notamment sur la définition spécifique que Jean Oury (1) donne au lien dans la psychose : « Un principe essentiel, sur lequel s’appuie notre praxis, est l’abord multidimensionnel de la psychose.(...) L’éclatement, la “dissociation” des psychoses schizophréniques implique une multiréférence en corrélation avec de multi- investissements partiels.(...) le respect d’une multiréférentialité exige une hétérogénéité des personnes responsables des “soins”, ainsi qu’une grande diversité́ des “lieux d’existence” ». Autrement dit, il convient de développer des voies originales et multiples permettant à nos usagers d’exprimer leur souffrance, ici dans le champ du lien social. Outre la vie communautaire, nous tentons donc de développer des ateliers d’expression divers, verbaux, corporels, créatifs, sur des thématiques approchant de près ou de loin le sujet qui nous concerne. « Histoire de famille » en est un exemple. En quoi ce sujet peut-il nous aider ? Se penser à travers la famille... Dans son récit, la personne en souffrance décrit souvent les éléments qui ont conduit à la crise, la rupture. Il convient pourtant de repérer, en filigrane de ce discours, son fonctionnement psychique et en quoi celui-ci a pu être mis à mal dans l’événement déclencheur. Panser le lien social équivaut pour nous tant à le soigner qu’à en appréhender les racines. Le jeu « Histoire de famille » nous permet d’en remonter le fil. Il met l’accent de manière indirecte sur une forme de préhistoire du lien social pour lui, dans ce qu’il connaît des interactions familiales et dans la manière dont il les commente. Il aborde également les singularités qui lient sa famille à un cadre social plus large. Cette voie détournée de réflexion permet aussi de relancer des associations parfois grippées dans le travail thérapeutique. Concernant Jean, nous partions initialement d’une énigme : comment comprendre son mal-être à destituer l’autorité professionnelle, lui qui semblait s’amuser à répéter le même schéma parmi nous ? Fr. Davoine et J-M. Gaudillère nous enseignent que le complexe de répétition peut être le livre ouvert d’une « catastrophe (qui) a en fait déjà eu lieu, mais n’a pas pu s’inscrire dans le passé comme passé, car le sujet de la parole, sur ce point, n’était pas là. » (2) Cette réflexion fait écho aux propos de Jean sur le décès de son père. A son admission, il disait n’en avoir ressenti le deuil que suite à sa position professionnelle singulière. Comme si la répétition latente d’un schéma familial à son insu avait réveillé après-coup les affects passés sous silence lors du décès. Jean prenait alors conscience d’un trait animant nombre de ses interactions sociales au sens large. Cellesci renvoyaient à la manière dont il avait été investi par la mère, au détriment du père bien avant son décès. Elles laissaient apparaître des affects négatifs vis-à-vis de ce dernier, ainsi qu’une culpabilité restée silencieuse jusqu’il y a peu. « Un représentant de la lignée, à son corps défendant, et au prix souvent de la perte de sa place dans la société, se trouve chargé de cette quête de la vérité : il est en quête, il est enquête, très exactement. » (3) La notion de jeu Après vous avoir décrit les enjeux de créer des espaces de soin faisant appel à des thématiques diverses, nous aimerions terminer ce commentaire sur l’importance du jeu dans la dynamique de l’atelier « Histoire de famille ». Florence Calicis, thérapeute et formatrice en thérapie systémique, évoque ce vecteur souvent sous-estimé dans la recherche d’un effet thérapeutique. Parlant des jeux systémiques, elle évoque sa « surprise de l’impact de ces actes en séance. Dans ces moments d’activité et de créativités souvent fortes chargées en émotion, une autre ambiance se dégageait. » (4) Certains psychanalystes, comme René Roussillon, en ont également souligné l’importance, ici comme alternative au modèle du rêve en cure-type, voie exploratoire classique de la psyché : « la suspension de la motricité et de la perception peut échouer à promouvoir les fonctions symboligènes sur le modèle du rêve et même provoquer des accès de destructivité dé-symbolisant, (...) » (5). Nous pourrions dire qu’il en va de même de nos tentatives d’interprétation auprès de certains de nos usagers, concernant ce qu’il laisse à voir et qui pourtant ne leur parle pas, semble leur faire violence. Dès lors un autre abord doit être pensé. R. Roussillon insiste tout de même sur certaines modalités nécessaires à ce déplacement : « l’idée d’un jeu comme modèle du travail psychique, implique plutôt la conception d’un travail de reprise et de transformation par et dans le jeu ; elle implique l’idée que, à travers le jeu manifeste, se masque et se révèle tout à la fois un autre jeu, un autre enjeu, que se trame, comme dans le rêve et selon le terme de Freud une “autre scène” ». Que retenir de ces deux références dans notre pratique ? D’une part, la création d’une ambiance propice à autre chose. Le Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 53 Le travail avec les familles en hôpital de jour temps imparti, étalé sur plusieurs séances, le nombre restreint et l’intimité qu’il offre, les modalités ludiques offrent aux participants des conditions susceptibles de les mettre à l’aise pour penser à eux autrement que dans les conditions classiques de thérapie. De l’autre, nous notons tous les jeux de miroir offerts par l’atelier « Histoire de famille ». Plusieurs dialectiques s’ouvrent dans son fonctionnement, du génogramme initial à sa relecture en fin de module, des réponses du participant aux interpellations de ses pairs, des parallèles réalisés au départ de son expérience propre ou de celle des autres, etc... En ce qui nous concerne, et contrairement à R. Roussillon, le devenir de ce qui est dit et produit dans le jeu ne fait pas pour autant l’objet d’une interprétation systématique. L’idée reste de susciter une mobilisation des représentations psychiques 54 de ce qui fait lien pour le sujet, pas d’en forcer une mise en sens. C’est un choix discutable. Mais celui-ci garantit aussi une aire de l’intime pour le participant. Un résumé succinct peut toutefois être présenté en équipe, reprenant les lignes majeures de l’atelier et la reprise de certains éléments reste possible tant pour les participants que pour leurs référents. CONCLUSION Au fur et à mesure de cet article, nous avons voulu vous témoigner d’une manière d’aborder le lien social d’un sujet donné dans ses racines familiales. Nous avons décrit en quoi notre cadre de travail et ses limites nous ont amené à mobiliser les représentations s’y référant, plutôt que de convoquer la cellule familiale de nos usagers. Le jeu « Histoire de famille » découle de ces constats, ainsi que d’une culture de l’originalité dans les modalités de soin que nous proposons. Nous espérons que la vignette clinique, ainsi que les repères théoriques commentés, vous permettront d’en apprécier les enjeux. BIBLIOGRAPHIE 1. OURY J., Psychanalyse, psychiatrie et psychothérapie institutionnelles, Vie sociale et traitements, VST, 2007, Vol. 3, n° 95, pp. 110-125 2. DAVOINE Fr., GAUDILLERE J.-M., Histoire et trauma, la folie des guerres, Stock, Paris, 2006, pp.78 et 79 3. CALICIS Fl., Intérêt de l’utilisation des objets flottants dans l’approche des pans les plus douloureux de l’histoire des patients et de leur famille, Thérapie familiale, 2006/4, Vol. 27, pp. 339-359 4. ROUSSILLON R., Le jeu et le potentiel, Revue française de psychanalyse, 2004/1, Vol. 68, pp. 79-94 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 75 ANS D’INTERNAT THÉRAPEUTIQUE À LAUSANNE : CONTRE VENTS ET MARÉES ? SUPEA 5 avenue de la Chablière 1004 LAUSANNE SUISSE [email protected] Hélène CHAPPUIS, Alix VANN-NICOLLIER, Christophe SUARNET, Laurence BOURIEZ, Laurent PORTENSEIGNE Créé il y a 75 ans, l’internat du Centre Psychothérapeutique de Lausanne offre une prise en charge à des enfants souffrant de troubles envahissants du développement. Au travers de l’évolution de la pédopsychiatrie et des différents mouvements institutionnels, cette prise en charge en internat a pris un sens différent sans pour autant disparaître. Les indications ont évolué et les enfants fréquentent en parallèle un centre de jour. Ils passent un minimum de 3 nuits par semaine dans le cadre familial et le travail avec les familles s’est intensifié. L’internat permet de travailler autour de la séparation et parfois de dégager l’enfant d’aspects symbiotiques sous tendus par des identifications projectives contraignantes. Ce type de prise en charge induit par ailleurs inévitablement des mouvements de rivalité entre professionnels et famille. Comment permettre aux enfants d’expérimenter et de s’appuyer dans le quotidien sur des relations structurantes sans se mettre en rivalité avec les parents? Comment élaborer ces rivalités pour que l’enfant puisse bénéficier de la thérapie institutionnelle proposée ? Nous nous proposons d’aborder ces questions en les illustrant par une vignette clinique. Mots-clefs : Internat, famille, rivalité professionnels-famille, séparation 75 years of special needs’boarding school in Lausanne: come hell or high water? Created 75 years ago, the psychotherapeutic center of Lausanne offers a residential treatment for children with pervasive developmental disorders. Throughout the evolution of children psychiatry and institutional changes, our residential treatment changed as well but did not disappear. The indications for treatment have been in constant evolution and the children benefit from daycare as well. Beside the residential treatment, they are spending a minimum of three nights per week at home and the partnership with parents is more intensive. The residential centre allows to elaborate the problematic of separation and sometimes to release the child from contraining projections as well. This type of treatement frequently leads to rivalry between professionals and families. How can we allow children to experiment and build on structuring relationships without the parents feeling to much rivalry with professionnals? How can we work these rivalries out so that the child can benefit from the special needs’boarding school? We will focus on these questions and illustrate our thinking with a clinical situation. Key words: special needs’boarding school, family, professionals-family rivalry, separation INTRODUCTION « Le modèle dans tous ses états »… Dans cet article, nous allons nous pencher sur trois conceptions différentes du mot “modèle”, telles qu’elles s’envisagent au Centre Thérapeutique de Jour pour Adolescents (CTJA), à Lausanne. La référence à la notion de “modèle théorique” en tant que cadre de référence conceptuel ponctuera le texte dans son ensemble. En effet, divers courants de pensée coexistent dans un élan de complémentarité au sein de l’hôpital de jour qui se veut éclectique. La systémique, la psychodynamique et les thérapies cognitivo-comportementales dialoguent en permanence au CTJA et viennent enrichir l’offre de soins dans un but constructif visant au rétablissement des patients. Cette “plurimodalité” va-t-elle de soi ? Quels sont les ingrédients nécessaires au maintien de l’équilibre, à la santé de l’équipe et donc aux patients ? L’accent est également porté sur le programme rythmé du CTJA, les ateliers, les groupes thérapeutiques afin de mettre en évidence à quel point ceux-ci font fonction de point de repère essentiel, de modèle “éducatif” pour une population telle que celle accueillie au CTJA. La classe, l’ergothérapie, le dessin, la musique, les habiletés sociales et bien d’autres activités encore sont autant de modèles différents que nos adolescents s’efforcent de suivre, d’intégrer, puis de s’approprier durant leur séjour au CTJA et au-delà. Enfin, le “modèle artistique” constitue le 3ème volet abordé dans ces lignes. Par le biais de productions que les adolescents ont réalisées en suivant le modèle de l’artiste, différentes vignettes cliniques sont présentées, mettant en relief toute la complexité et l’interdisciplinarité du soin offert au CTJA. Le Centre thérapeutique de Jour pour Adolescents à Lausanne est à la fois un hôpital de jour rattaché au SUPEA (Service Universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent) et une école spécialisée reconnue par le SESAF (Service de l’enseignement spécialisé et de l’appui à la formation) accueillant 18 adolescents, du lundi au vendredi, en journée. Mais à quoi peut bien ressembler ce lieu de soin ? Et si l’on considère l’analogie du jardin, de quel type de jardin s’agit-il ? Jardin français ? Jardin anglais ? Jardin japonais ? Pour le découvrir, une brève présentation des lieux s’impose. Le CTJA peut s’apparenter à un vaste jardin de 500 m2 de locaux situés dans les hauts de Lausanne, sur deux niveaux, avec 5 pièces principales au rez-de-chaussée, dans lesquelles se déroulent les activités quotidiennes d’environ 18 adolescents de 13 à 18 ans en provenance de tout le Canton de Vaud. Un jardin dans lequel d’habiles jardiniers, tous d’orientations diverses, mettent leurs compétences au service de projets thérapeutiques pour des adolescents en difficulté psychique, tant cognitive, affective, que relationnelle. Voici le contexte architectural de ce jardin : - Un bureau de réception où un travail important de secrétariat se fait, ainsi qu’un accueil des familles et du réseau. Des travaux réalisés en atelier d’ergothérapie y sont exposés, démarche valorisant les compétences des jeunes. - Un atelier, lieu où se déroulent des séances d’ergothérapie en groupe, ainsi que les activités créatrices comme le dessin. - Une infirmerie est à la disposition des jeunes. Ce lieu leur permet de s’isoler le temps d’un moment si le contexte du groupe leur est trop pénible ou pour tout soin technique et/ou psychiatrique. C’est avant tout un lieu d’écoute, où le jeune peut bénéficier d’une attention toute particulière en individuel avec un soignant. Les traitements y sont administrés principalement par les infirmiers et les plaies y sont pansées, qu’elles soient visibles ou non. -Une salle de classe, contenant 9 bureaux et qui accueille les jeunes sur 50% de leur temps de présence au CTJA. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 55 Le travail avec les familles en hôpital de jour En plus de ce jardin “couvert”, les jeunes bénéficient également d’une terrasse où sont organisées régulièrement des activités de jardinage axant le travail sur la dimension communautaire, le soin à cet environnement partagé. Cette terrasse est le lieu où les jeunes se retrouvent durant les pauses, pour échanger et mettre en pratique les compétences relationnelles qu’ils acquièrent au CTJA. Cette vie communautaire est souvent mouvementée et les jeunes se trouvent parfois confrontés aux mêmes difficultés que celles rencontrées à l’école ou dans leur environnement personnel. Par le biais de l’intégralité de la prise en charge offerte à ces jeunes au CTJA et de l’encadrement qui leur est offert, ils parviennent progressivement à resocialiser. Au CTJA, les jeunes sont répartis en deux groupes, ceux encore en âge de scolarité obligatoire de 13 à 15 ans et demi, puis ceux de 15 à 18 ans, s’orientant vers un projet professionnel. Y sont accueillies des pathologies aussi diverses qu’encore peu définies pour certaines : première décompensation ou parcours psychiatrique déjà chargé, psychoses, troubles envahissants du développement, troubles de l’humeur, troubles anxieux ou encore troubles du comportement. D’origines socio-culturelles variées, tous niveaux cognitifs confondus, au-delà de l’hétérogénéité des âges, la diversité clinique des situations rencontrées au CTJA nécessite un continuel questionnement et un perpétuel ajustement, doublés d’une importante souplesse de la part de l’équipe pluridisciplinaire. Les objectifs de prise en charge sont ainsi nécessairement individualisés pour chacun des jeunes, en fonction des difficultés présentées, mais également des ressources mobilisables et des progrès observés. Les durées de séjour sont par conséquent elles aussi extrêmement variables et largement liées à la sévérité des éléments cités plus haut (de 4 mois à plus de 2 ans). Malgré l’importante variabilité sémiologique, la souffrance lie ces adolescents. Chacun souffre dans son registre, chacun est en panne dans son développement et cherche les moyens de relancer un processus favorable. C’est à cela que veille l’équipe de jardiniers du CTJA. Elle est composée de : - un médecin adjoint, psychiatre responsable de l’unité, au bénéfice d’une formation initiale en psychodynamique puis en thérapie cognitivo-comportementale, - un médecin chef de clinique, psychiatre psychodynamicien, qui a récemment repris le flambeau d’une systémicienne, - une médecin assistante en formation. 56 - une psychologue associée formée aux thérapies cognitivo-comportementales et en neuropsychologie, - une psychologue assistante en formation cognitivo-comportementale, - deux éducateurs sociaux, le premier ayant une formation de spécialiste en TCC, le second en systémique, - une ergothérapeute ayant une formation d’intervenante en toxicomanies, - deux infirmiers, l’un en cours de formation de Thérapie Cognitive et Comportementale (TCC), la seconde, responsable de l’équipe soignante, au bénéfice d’une formation de management, - une assistante sociale coordonnant les démarches extérieures et le travail avec le réseau, - trois enseignants spécialisés assurant un enseignement individualisé, des bilans scolaires et le lien avec les écoles, - des stagiaires des différentes professions. - deux secrétaires. Un trio constitué d’un thérapeute, un enseignant et un soignant coordonne un programme thérapeutique individualisé pour chaque patient et assure le travail avec les familles. Ce programme n’est pas soumis à un modèle théorique particulier mais conjointement construit en réunion d’équipe, à partir des références de chacun. Si les approches psychodynamique et cognitivo-comportementale sont les courants essentiellement représentés au CTJA, il va sans dire que la réflexion systémique s’intègre aux différentes prises en charge. Dans la mesure où il s’agit de prise en charge de mineurs, le patient n’arrive jamais seul au CTJA, l’équipe compose logiquement avec la famille et le réseau sur un mode systémique. Bien que ces différents modèles soient chacun précieux et utiles à différents niveaux et pour divers aspects, il n’en demeure pas moins que l’essentiel de l’énergie de l’équipe est investie dans la thérapie institutionnelle intégrée qui occupe le devant de la scène. Dans une telle optique, les différents modèles constituent des espaces de réflexion distincts mais toujours complémentaires et sans domination hiérarchique de l’un sur l’autre. Et dans la mesure où l’équipe dialogue en permanence et partage buts et objectifs, il ne s’agit pas non plus d’une simple juxtaposition mais de l’intégration de différents modèles horizontaux plutôt que verticaux, exempts de rivalité. Toutes ces compétences sont mises au service du jeune patient dont l’intérêt est toujours placé au centre des préoccupations, de la réflexion multidisciplinaire. Le projet thérapeutique qui en découle est un programme individualisé, “sur mesure”, tenant compte aussi bien des difficultés, limites, que des ressources du patient. Un soutien spécifique pourra ainsi être déployé à partir d’une “boîte à outils” particulièrement fournie. La thérapie institutionnelle est impossible sans la conviction qu’un ensemble de fonctions et de rôles différents sont indispensables, à parts égales, pour construire un projet thérapeutique commun : le travail “psy”, le travail : “famille”, le travail éducatif, le travail scolaire, les multiples apprentissages, l’expression, émotionnelle ou artistique… tout a sa place dans le dispositif et permet le succès du projet. Les compétences psychanalytiques, systémiques, éducatives, corporelles, cognitivo-comportementales, pédagogiques… sont toutes essentielles et constituent chacune une partie d’un tout qu’aucune d’elle, prise isolément, ne suffit à maîtriser en entier. Mais la somme de ces multiples fonctions suffit-elle à constituer un ensemble cohérent et efficace? Trois citations de Philippe Kinoo [10] en guise de réponse à cette interrogation : « Il ne suffit pas, dans une institution, d’avoir le meilleur thérapeute familial, le meilleur psychanalyste, … et éducateurs, etc. Il faut aussi pouvoir travailler ensemble. Et pas seulement dans le respect des différences, mais aussi dans une réelle intégration des apports différents de chacun… C’est plus essentiellement la capacité de collaboration, d’écoute réciproque, d’enrichissement mutuel dans la perception de l’enfant et dans le travail avec lui qui est nécessaire à ce niveau, bien plus que la compétence individuelle de chacun dans sa fonction ». Et enfin : « Une équipe qui travaille vraiment bien ensemble, ce n’est pas une équipe où chacun travaille bien l’un après l’autre, mais où chacun travaille bien et réellement avec l’autre ». Mais comment réguler et assurer à une équipe d’une vingtaine de personnes, d’horizons aussi multiples que variés, de pouvoir travailler avec l’autre et non pas simplement à côté, avant ou après l’autre ? Quels sont les garants d’un précieux équilibre ? - Les temps institutionnels d’équipe tels que les transmissions quotidiennes, le colloque général hebdomadaire sont des temps bloqués, formalisés, incompressibles, des espaces d’échanges entre les différentes fonctions professionnelles dans lesquels la parole de chacun compte et est entendue, indépendamment de toute position hiérarchique au sein de l’équipe. Un temps d’intervision clôt la semaine et permet à chacun d’évacuer la charge émotionnelle accumulée. D’autres Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 75 ans d’internat thérapeutique à Lausanne : contre vents et marées ? espaces, davantage informels ou improvisés tels que les discussions de couloirs, les pauses café ou débriefing post entretiens sont autant de moments privilégiés propices au maintien de l’équilibre émotionnel de chacun. - La présence conjointe des trois référents (thérapeute/soignant/enseignant) de la situation clinique en entretien permet de multiplier les observations, de relayer certaines informations afin de rendre compte, aussi fidèlement et objectivement que possible, de la situation actuelle du jeune patient. - La co-animation d’un maximum d’ateliers permet de partager, entre professionnels d’horizons différents, un savoir-faire, une compréhension du champ d’action de son collègue et privilégie l’échange. Inviter l’autre dans son jardin et se laisser inviter dans le jardin de l’autre signent une saine ouverture d’esprit, une humble curiosité, un désir d’apprendre pour mieux comprendre et mieux faire. - Un cadre, une structure claire pour chacun contribue à l’équilibre de fond : les temps, les lieux, les règles doivent être définies, compris et respectés de tous. - Un colloque de Direction hebdomadaire contribue à la régulation du service par le désamorçage de certaines situations qui y sont relayées. Il traite le flux des patients et permet également de transmettre ou rappeler la mission institutionnelle de base et ses valeurs. - Malgré l’évidence de la richesse du modèle horizontal, un chef présent, attentif, veille au grain et guide l’institution lorsque les avis divergent. - Travailler en institution, collaborer autour d’un projet thérapeutique commun c’est rester en tout temps disponible, ouvert, curieux... c’est prendre le temps nécessaire pour échanger. Le récurrent “manque de temps” est le poison de la thérapie institutionnelle, à plus long terme de la santé de l’équipe. Il mène au saucissonnage thérapeutique et perd de vue l’action commune. C’est lorsque ces différents éléments sont réunis, préservés, que l’équipe est efficiente et sert elle-même de modèle, d’engrais, aux patients qu’elle accueille. Tant de différentes formations, de professions, tant d’outils thérapeutiques sont ainsi mis au service des adolescents qui, en fonction de leur problématique ou leurs besoins, vont pouvoir, toujours à l’image de fleurs poussant dans un jardin, absorber les substances qui leur seront nécessaires. En terme de substances nutritives, de “modèle éducatif”, différents ateliers sont proposés aux adolescents, certains s’appuyant sur un modèle théorique pré- cis, d’autres se basant sur leur modèle propre, tous pouvant être assimilés à des engrais particuliers qui permettent à l’adolescent de croître. Ces ateliers constituent le complément du temps scolaire (50% des activités). Essentiellement menés par les soignants, certains d’entre eux sont co-animés par des thérapeutes. L’ergothérapie, en stimulant la mobilisation psychique au travers des activités manuelles et créatrices, permet aux jeunes de travailler autour de la conception, de la planification et de la réalisation d’un projet visant au développement de leur autonomie. L’objet réalisé constitue une base concrète d’auto-évaluation sur laquelle des critères objectifs sont posés. Par la réalisation d’un objet valorisant, le jeune acquiert une meilleure estime de lui. L’activité est aussi un espace transitionnel et l’objet devient un médiateur par lequel la relation peut se construire. Les jeunes sont accompagnés pour aller jusqu’au bout de leur projet, et c’est cet aboutissement qui favorisera à son tour l’amélioration de l’estime de soi. Le sport en groupe, au-delà de la notion de santé physique, permet de travailler sur plusieurs aspects de la vie de groupe, tels que l’esprit d’équipe, la notion de solidarité et la nouveauté. Les jeunes y expérimentent également les notions de persévérance, le dépassement de soi, et parfois aussi la peur, celle de perdre la partie ou la face. La notion du plaisir retrouvé à pratiquer l’activité sportive est primordiale et constitue souvent un défi important. Les adolescents du CTJA ont souvent un vécu traumatique du sport à l’école. Par ailleurs, les notions de respect y sont aussi travaillées. Le respect de soi par une hygiène correcte, une tenue adéquate, et le respect des autres dans le jeu et dans le lieu qui parfois peut être public, ainsi que le respect du cadre, le cadre horaire, et le cadre géographique. En classe, les branches principales telles que le français, les langues, les mathématiques, l’informatique et une période de biologie y sont enseignées. Les méthodes pédagogiques utilisées sont l’apprentissage sans erreur, l’apprentissage par projet [2] [10], l’enseignement stratégique [12], l’enseignement individualisé (respecter le rythme de connaissance de chaque élève et adapter le travail à ses compétences individuelles). L’enseignement coopératif [6] [8] est une approche interactive de l’organisation du travail qui met l’accent sur le travail d’équipe, le respect de soi et de l’autre, la solidarité, et qui favorise les relations interpersonnelles permettant au plus faible de travailler avec le plus fort. Peu importe l’approche ou le modèle que l’enseignant aura choisi, il devra tenir compte de l’état psychique dans lequel l’élève se trouve, d’où l’importance d’avoir des enseignants d’une grande flexibilité. Une évaluation du niveau scolaire réel du jeune se fait dans un premier temps et ceci en faisant face à la fragilité psychique du jeune sur le moment. L’enseignant doit faire en sorte que l’élève maintienne, puis consolide ses acquis, dans la mesure du possible. L’acquisition de nouvelles connaissances se fera ou non ultérieurement selon l’évolution de la symptomatologie de chaque jeune. Les enseignants sont en lien avec les écoles, afin d’assurer une réintégration dans les meilleures conditions possibles. Le travail de réseau et de collaboration est essentiel. La classe dans ce milieu psychiatrique est assimilée par les jeunes comme étant le lien avec la “normalité”. L’activité “médias” permet un travail de recherche et d’organisation autour d’un thème donné. Cet atelier stimule l’adolescent à travailler de manière autonome, ou à solliciter l’adulte en cas de difficulté et pousse le jeune à l’acquisition de compétences organisationnelles et planificatrices dans son travail. Le jeune y exerce également ponctuellement la prise de parole dans un groupe et l’argumentation. Fondé sur des stratégies et principes de Thérapies cognitivo-comportementales, l’atelier “habiletés sociales” est un entraînement constitué de 5 modules qui vise un processus d’affirmation de soi, en apportant des techniques de résolution de problème, et où les jeunes y pratiquent des jeux de rôle leur permettant de modéliser des pratiques. L’atelier “métacognition” est un module qui a été adapté du modèle adulte pour les adolescents et qui propose deux types de démarches : - Le « Michael’s game » [9] est un jeu qui se pratique en groupe et dont l’objectif principal est d’entraîner les jeunes au raisonnement hypothétique et à la méta-cognition (capacité de penser nos propres processus mentaux), qui se base sur les TCC en ciblant les erreurs cognitives communes et les biais de résolution de problèmes associés à la psychose. Ces erreurs et biais pouvant, à eux seuls ou combinés, conduire au développement et au maintien de fausses croyances pouvant mener jusqu’au délire. Le programme poursuit le but de rendre les patients conscients de ces distorsions, de les entraîner à les voir de façon critique, et de compléter ou changer leur répertoire en matière de résolution de problèmes. - Les “jeux dramatiques” [3], d’inspiration psychodynamique, sont proposés Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 57 Le travail avec les familles en hôpital de jour sur indication médicale à certains jeunes. Ils visent à rejouer des situations de vie amenées par ces derniers. Chacun s’y voit attribuer un rôle qu’il est libre d’interpréter en fonction de son vécu interne. Dans cette activité, tous les participants se retrouvent au même niveau et les impératifs sociaux disparaissent au profit du jeu. Les ateliers “musique” et “dessin” permettent aux jeunes de développer leur sens artistique et de partager avec les adultes leur univers d’adolescents. Deux moyens d’expression très appréciés par les jeunes qui investissent avec intérêt ces activités. Il existe encore d’autres activités comme des ateliers de cuisine où les jeunes entraînent leurs compétences d’organisation et travaillent sur leur autonomie. Ceci se fait en petit groupe et permet d’interagir entre pairs autour d’un projet commun. Le repas est préparé pour l’entier du groupe et c’est une activité valorisante pour ceux qui l’ont cuisiné. D’autres activités dites “décadrées” ont lieu durant l’année. Nous accompagnons les jeunes à la découverte de nouveaux horizons, que ce soit au travers de balades ou d’activités sportives en plein air telles que le ski, la grimpe, le tennis ou la voile. Nous faisons également des visites d’expositions et de musées ou salon des métiers et toute autre activité permettant aux jeunes d’ouvrir leur horizon d’intérêt. Le champ des compétences et des modèles au centre de jour ressemble à un verger si vaste que nous proposons d’en illustrer ci-dessous quelques vignettes cliniques structurées autour de productions artistiques. De ces tableaux, nous tenterons d’illustrer le sens de mêler des réflexions à la fois psychodynamiques, cognitives, comportementales et systémiques au vécu des patients. VIGNETTES CLINIQUES (Les prénoms cités ci-dessous dans les vignettes cliniques sont fictifs). Au CTJA, une exposition institutionnelle valorisante a présenté les peintures réalisées par les jeunes dans l’atelier dessin, favorisant de nombreux échanges entre l’équipe pluridisciplinaire et les patients, ainsi que des réflexions plurimodales sur les processus adolescentaires et les contextes de vie de nos patients. L’atelier dessin est pensé comme une occasion de se centrer sur une activité créatrice et de transmettre de l’intérêt pictural tissant des liens plaisants et pulsionnels entre différents niveaux : la réalité, l’imaginaire et le symbolique. Evoquons Philippe Gutton [7] qui introduit le processus de sublimation pubertaire, qui pourrait être « … ce processus d’illumination qui élève cer- 58 tains objets à la dignité de choses. Maître processus de la création adolescente, la sublimation y serait organisée par la pulsion d’emprise du Moi et de ses idéaux tels qu’ils se remanient entre infantile et adolescence. » [7] Vignette 1 Parmi les différentes œuvres, l’exposition présente un tableau de Marie avec qui nous traversons ses épreuves, soignant les attaques à son corps. Au CTJA, et parallèlement à l’atelier dessin, Marie reprend peu à peu une meilleure hygiène de vie. Elle peint sur son tableau une vache remplie de nuages qui vole dans un ciel étoilé en prenant comme modèle l’artiste René Magritte. Ce travail surréaliste est accompagné de sourires. Ce tableau est un beau cadeau car elle ne l’a pas détruit. Vignette 2 Plus loin, un tableau réalisé par Carole illustre les rameaux d’un arbre qui se sont simplifiés, décantés et abstratisés s’inspirant de Piet Mondrian. Elle a insisté sur l’encre noire, comme si des oiseaux étaient venus dans son arbre. Carole souffre d’anorexie. Elle n’aime pas le dessin, mais découvre progressivement au fil des séances, un souffle intérieur, créateur et productif. L’atelier s’inscrit parmi ce qu’elle a utilisé pour se soigner et se réalimenter, libérée de l’emprise et du contrôle maternel, trouvant du plaisir à peindre. Au CTJA, elle a travaillé sur le deuil de son père, elle y a trouvé des amies en préparant un certificat de fin d’étude. Vignette 3 Encore plus loin, un tableau de Céline s’inspire de Pierre Soulages qui travaille sur les diverses textures du noir : « Chez Soulages, … Si l’on ne voit que du noir, c’est qu’on ne regarde pas la toile. Si en revanche on est plus attentif, on aperçoit la lumière réfléchie » [4]. Céline est en situation de refus scolaire. A son admission, elle vit avec sa mère et n’a aucun contact avec son père qui a reconstruit une famille. Suite au premier entretien de famille, Céline est impatiente de montrer son tableau à son père, ce dernier n’y verra que le noir et l’expression du côté sombre de sa fille. Sa mère à l’inverse, l’a couverte de compliments, elle installera le tableau dans un beau cadre. Depuis, Céline a quitté notre centre thérapeutique intégrant une structure de formation professionnelle. Céline a bénéficié du suivi thérapeutique qui lui a été offert pour nuancer l’image sombre que sa mère lui avait transmis de son père. Elle s’est réconciliée avec son père, sa belle-mère, et s’occupe régulièrement de sa demi-sœur. Vignette 4 Mathieu peint en s’inspirant de Gilles Elvgren, exagérant de manière hyperréaliste la longueur des jambes et la poitrine de sa pin-up, ce qui nous rappelle toutes les transformations hormonales, les enjeux libidinaux et la sexualisation de la pensée à l’adolescence. Mathieu a pu investir l’atelier dessin et réaliser, autour d’une rencontre pédagogique, ce tableau inachevé dont il était fier mais qu’il n’est jamais venu chercher. Très stigmatisé par sa problématique de polytoxicomane, il a été difficile de lui faire confiance. Il a quitté l’institution dans un mouvement de rupture, en quête de plaisir immédiat. Vignette 5 Adam est un jeune homme dont le processus de sublimation pubertaire [7] était visible au fil de la prise en charge institutionnelle. Issu d’un milieu favorisé, il aimait comme son père Henri Julien Félix Rousseau, dit le douanier Rousseau. Perturbé dans un premier temps par le cubisme, Adam réalisera un tableau nommé « guitare farfelues » grâce au modèle de Pablo Picasso et à quelques conseils techniques. Il s’inspirera ensuite de Vincent Van Gogh et abordera ses impressions émotionnelles pour parler de son travail avec douceur et sérénité. Adam, par la suite, s’est mis à produire dans l’atelier de manière spontanée, émerveillé par son propre style et par la découverte de son instinct créateur. Adam nous est arrivé suite à une sévère décompensation psychotique, avec des traits autistiques. Il a profité de tout ce qui lui a été offert dans la prise en charge. Sa thérapeute a rythmé la prise en charge, l’a accueilli avec douceur dans toute sa fragilité psychique. Notons la grande écoute humaniste inhérente à son modèle, ainsi que la catharsis [3] dans l’espace des jeux dramatiques qu’elle animait. A ce temps de la prise en charge, sa thérapeute analyste sollicite un membre de l’équipe soignante pour des interventions cognitives et comportementales ciblées. Adam a beaucoup progressé dans le groupe d’entraînement aux habiletés sociales, il s’est affirmé. Il a utilisé les ateliers de métacognition, de relaxation et a suivi un programme de remédiation cognitive. Un accompagnement individuel lui a été offert pour l’aider au quotidien sur le plan de ses attaques de paniques et de sa phobie des transports. Une technique de focalisation sur les hallucinations auditives lui a été proposée. Adam a appris à identifier les déclencheurs du monologue intérieur, et à faire taire le symptôme par une lecture à voix haute, réalisant ainsi la nature psychotique de cette voix que son cerveau fatigué avait construit. Cette voix qui Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 75 ans d’internat thérapeutique à Lausanne : contre vents et marées ? l’invitait à abuser sexuellement des femmes devenait un phénomène qu’il s’agissait d’observer sans y attacher quelconque importance. La psychothérapie extérieure à l’institution, pensée en mode bifocal, était le lieu propice pour aborder la culpabilité dans le domaine intra psychique. Un collègue infirmier a travaillé avec lui la question de la sexualité à l’adolescence. Aujourd’hui, Adam est en formation d’employé de commerce dans une structure adaptée. Il fréquente toujours ses amis et ses amies rencontrés au CTJA et a encore besoin de venir nous remercier régulièrement pour l’aide reçue. Vignette 6 Eve, gravement entravée dans son processus de sublimation pubertaire [7], a refusé tout modèle pour réaliser une sculpture peu investie et inachevée durant l’atelier dessin, ceci à l’image de son fonctionnement psychique. Sa famille était fâchée contre l’institution, les tentatives de rescolarisation furent soldées par des échecs depuis l’enfance. Le traitement médicamenteux n’a pas obtenu les résultats escomptés, les entretiens de famille filmés et leur analyse n’ont pu se poursuivre. Ni la neurologie, ni les hospitalisations ne sont parvenues à la soigner, leur fille souffrait toujours à sa place de bouc émissaire. Le fait de nier leurs graves difficultés familiales ainsi que les souffrances de leur fille entrave le processus de guérison. Suite à un signalement fait pour négligence auprès du Service de Protection de la Jeunesse, les parents entament un suivi systémique parallèlement au CTJA pour soigner la violence familiale, la situation laissant un goût amère à l’alliance thérapeutique avec le CTJA. C’est dans ce contexte essoufflant que la thérapeute analyste a demandé à un membre de l’équipe soignante la mise œuvre d’un suivi individuel centré sur l’identification émotionnelle. Ainsi, l’utilisation d’un outil, classant divers sentiments autour des émotions de base pour exprimer de manière socialement acceptable tous les “états” d’Eve, s’est avéré utile. Les problèmes qu’elle vivait au quotidien ont été abordés en développant des stratégies de résolution, tant sur le plan émotionnel, cognitif que comportemental. La thérapeute guidera un travail sur la notion d’ambivalence et l’importance d’aider Eve à nuancer ses propos. Les informations obtenues sur l’évolution de ce travail seront transmises à la thérapeute qui informera l’équipe que du dialogue était progressivement réapparu dans ses entretiens. Eve a donc profité de l’investissement éducatif au travers de ces analyses fonctionnelles, dans un contexte où l’équipe éprouvait un sentiment d’épuisement durant cette longue prise en charge. Comparaison des processus de soin (vignettes 5 & 6) En collaboration avec l’équipe de recherche, l’Unité de Recherche au Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent (SUPEA) située au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), un psychologue, Monsieur Sébastien Urben, accompagne l’équipe du CTJA dans l’évaluation de la prise en charge institutionnelle sous la responsabilité du Docteur Laurent Holzer. En effet, cette recherche aborde l’influence d’un entrainement aux habilités sociales sur l’assertivité [15]. Cette dernière notion d’assertivité consiste à se montrer apte à résoudre un problème interpersonnel de manière affirmée, dans le respect de soi et d’autrui tel que Gisèle Georges le conçoit dans le soin de la timidité chez l’enfant et l’adolescent Les questionnaires d’autoobservation Rathus [12], BVAQ [1] et RCADS [5] sont remplis par les patients au début de leur prise en charge. Dans un premier temps, nous parlons de (T1). Au terme de la prise en charge ces mêmes questionnaires sont à nouveau soumis aux patients. Dans ce deuxième temps, nous parlons alors du T2. Adam et Eve sont comparés à un groupe de 15 patients. Grâce à cette échelle, il est possible de déterminer trois niveaux d’assertivité : un groupe d’inhibés (<104 points), un groupe d’assertifs (de 104 à 125 points) et un groupe d’assertifs agressifs (>125 points). Sur le plan de l’affirmation de soi (graphique 1) [11], le groupe de patients s’améliore en assertivité, à savoir la capacité à se montrer plus apte à se faire respecter dans le respect des autres. Adam a beaucoup investi le groupe d’entraînement aux habiletés sociales et passe d’un statut d’adolescent inhibé, pathologiquement timide, à celui d’assertif agressif. Eve s’améliore un peu mais reste peu affirmée. Au niveau de l’identification émotionnelle (graphique 2) [1], Adam ainsi que le groupe restent relativement stables. Eve se distingue fortement dans la mesure où ses difficultés d’identification émotionnelle étaient considérables. Les progrès effectués lui permettent de formuler une demande d’aide au niveau du soutien individuel cognitif et comportemental qu’elle recevra par la suite, centré sur l’identification de ce qu’elle pouvait ressentir dans des situations concrètes de son quotidien. Sur le plan de l’anxiété de séparation (Graphique 3) [5], il est intéressant de voir une amélioration globale dans le groupe. Adam et surtout Eve partent avec une problématique importante en fonction de cet item en comparaison au groupe. Sans doute, l’énergie plurielle de la prise en charge les a aidés à évoluer dans ce domaine. D’une manière générale, (graphique 4) [5] la dimension anxieuse d’Adam et d’Eve est supérieure comparativement au groupe. La prise en charge institutionnelle, selon les dires des patients, semble agir favorablement sur les troubles anxieux. Eve s’approche du niveau d’amélioration comparativement à celui du groupe. Elle a su assouplir les traits d’un trouble envahissant du développement particulièrement handicapant et évoluer vers un fonctionnement davantage adapté et efficient. Quand à Adam, il s’améliore, mais l’anxiété semble s’inscrire davantage dans une composante avec laquelle il devra vivre. Au CTJA, nous travaillons ensemble autour des patients pour leur offrir des soins psychiatriques, au-delà de nos modèles, au-delà de nos expériences, car nous admettons tous que les adolescents souffrant de troubles psychiatriques sont également les magnifiques artistes de leur existence. A la fin de sa vie, l’artiste Claude Monet s’est excusé d’avoir continué à peindre ses jardins, car il souffrait d’une maladie altérant sa manière de voir les couleurs, en réalisant des œuvres parmi ses plus belles. La peinture est appréciable au travers des différents courants de l’histoire de l’art et la psychiatrie, elle, s’enrichit du plurimodal. CONCLUSION Six thérapeutes, six soignants, trois enseignants, deux secrétaires, au total dix-sept jardiniers composent l’équipe du CTJA. Autant de secrets différents à mettre ensemble crée la richesse du lieu et permet l’éclosion de dix-huit jardins d’adolescents aussi variés qu’inattendus. Mais pour qu’autant de jardiniers aux méthodes différentes puissent travailler en collaboration au service d’un objectif commun, chacun doit garder l’humilité de considérer le secret de son voisin comme tout aussi précieux que le sien. C’est lorsque l’on perd de vue que l’Autre peut également œuvrer au bien-être du patient que l’équilibre entre jardiniers se rompt. C’est lorsque je cesse de douter de mon modèle, lorsque je pense détenir seul les clés de la réussite de mon patient que je lui nuis, que je m’attaque à la dynamique d’équipe et que je perds de vue le travail intégratif institutionnel. Ce n’est qu’en mélangeant nos pinceaux sans se mélanger les pinceaux, en combi- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 59 Le travail avec les familles en hôpital de jour nant nos savoirs, que nous parvenons à créer un tableau. BIBLIOGRAPHIE 1. 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Graphique 3 Graphique 4 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 61 FAMILLE JE T’HAIS-M Service universitaire de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent SUPEA Centre d’intervention thérapeutique pour enfants (CITE) 5 avenue de la Chablière 1004 LAUSANNE SUISSE [email protected] Marie-Olive CHAPUIS, Fiona PARMENTIER, Paulina REQUENA, Jamel BRAHIM Le CITE est une structure de soins pédopsychiatriques qui accueille des enfants présentant des troubles psychiques dans une situation de crise et / ou dans une impasse thérapeutique, pédagogique et / ou sociale. Ce travail institutionnel rend indispensable le travail auprès des parents et la prise en compte de la parentalité souvent ébranlée par la découverte d’un trouble pédopsychiatrique chez leur enfant. De même la rivalité narcissique, les sentiments ambivalents à l’égard des soignants lors de la construction de l’alliance thérapeutique sont autant d’éléments à prendre en compte dans la relation soignante. Pour ce faire, un certain nombre d’espaces de réflexion et de temps au sein de l’institution sont dévoués aux familles. Certains sont individualisés et peuvent se réaliser sur la forme d’une guidance parentale, d’entretiens familiaux, etc…. D’autres espaces institutionnels plus ouverts et collectifs ont été formalisés (café contact) permettant de créer un espace transitionnel entre le dedans et le dehors, l’institution et la famille, l’autonomisation et l’être ensemble. Ce sont ces espaces coconstruits avec les familles qui nous permettent aussi de mener un travail thérapeutique individuel avec l’enfant. Mots-clefs : Espace, lieux, moment, transfert, contre-transfert, entretien de famille, guidance parental, equipe, espace transitionnel, architecture. “Famille je t’hais-M1” The CITE is an institution of pedopsychiatric care that admits children with psychological troubles during a crisis period and/or when there is an arrest of thérapeutic, social or pedagogic progression. This institutional therapeutic approach is indispensable of the co-operational effort from the parents, and should take into account the undermined parenthood when a child with pedopsychiatric problems is revealed. At the same time, narcissic rivalries and ambivalent sentiments towards the caretakers should be taken into consideration, when building a therapeutic alliance. To facilite this, there is inside the institution, protected space for reflection and allocated time, dedicated to the families. Certain interventions are individualized and include parental guiding and family consultations, etc… There are other institutional setting which are more open and social, and were created (social contact in the coffee)in order to facilitate the transition from the inside to the outside world, from the institution tot he family. Those setting are created with the help of the family, wich allows us to realize an individual, therapeutic work with the child. Keywords: Space, places, moment, transfer, conter-transfer, family consultations, parental guiding, team, transitional space, architecture. 1 In French, a joke between “haine” (hate) and “aime” (love) translating the ambivalent feelings “love-hate” observed amongst children and adolescents or parents Lors du Colloque, la présentation s’accompagnait d’un film d’animation, réalisé par Fiona Parmentier, éducatrice au CITE. Ce film a permis de se plonger au cœur même du CITE et de découvrir les lieux, les espaces, les passages. INTRODUCTION Le travail avec les familles est une des composantes majeures de nos prises en charge au CITE, qu’il soit mené sous forme de “guidance parentale” ou d’entretiens familiaux », tous 2 instants formels, ils sont la pierre angulaire de l’architecture de notre mandat de soins. Pour autant, nous avons dû adapter et redoubler d’imagination pour offrir des espaces différents, moins formalisés, aux familles. C’est ainsi qu’est né le « café ou 62 goûter contact ». Mais nous avons surtout dû accepter que des espaces, des lieux et des instants, non conformes, soit requis par les familles comme lieux d’expression de leurs doutes, de leurs angoisses mais également de leurs émotions. C’est donc tout naturellement que nous avons souhaité présenter notre travail avec les familles à Brest, et bien que répondant au thème, nous sommes sortis des sentiers battus pour emprunter les chemins de traverses et présenter un travail pluridisciplinaire sur les lieux, les espaces, les instants, formels ou informels, conformes ou non conformes, qui nous permettent au quotidien cet enrichissant travail avec les familles. PRÉSENTATION DU CENTRE D’INTERVENTION THÉRAPEUTIQUE POUR ENFANTS Le Centre d’Intervention Thérapeutique pour Enfants (CITE) est une unité du Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent (SUPEA) du Centre Hospitalier Universitaire à Lausanne (CHUV). Le CITE est un espace de soins qui accueille des enfants de la naissance à 13 ans, répartis en 2 groupes distincts : celui des 0-7 ans et celui des 8-13 ans. Initialement le CITE s’appelait Centre de soins pédopsychiatriques, crée en 1989, il voit son mandat redéfini en 2003 et il s’oriente dès lors vers la crise, comme conceptualisée par Nicolas de Coulon (« la crise » stratégies d’intervention thérapeutique en psychiatrie, 1999, édition Gaétan Morin). Le CITE offre des soins pédopsychiatriques intensifs et donne à l’enfant, à sa famille et au réseau, la possibilité d’une reprise évolutive par la construction d’un projet de soins, pédagogique et/ou social. Le CITE est un lieu d’observation et d’évaluation permettant d’offrir la compréhension du fonctionnement de l’enfant, de sa famille et du réseau, mais également la compréhension des ressources de chacun. CADRE DE NOTRE PRATIQUE Le CITE fonctionne sur le modèle d’un hôpital de jour et accueille les enfants toute l’année. Selon les indications définies par les cadres de soins, ils seront pris en charge suivant trois modalités. Sur un mode ambulatoire, 2 jours par semaine pendant 3 mois, Sur un mode d’hospitalisation complète pendant 3 semaines, Sur un mode ambulatoire intensif jusqu’à 5 jours par semaine. A noter que lors d’une hospitalisation complète, les enfants sont accueillis et pris en charge par le service de pédiatrie de l’hôpital de l’enfance et par le service de liaison pédopsychiatrique du SUPEA. Cliniquement nous accueillons une grande diversité de « tableaux cliniques » et il n’y a pas de restriction « pathologique », mis à part les troubles du com- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Famille, je te hais-m portement alimentaire. Les enfants présentent ainsi des troubles du comportement, de la communication, du langage, des refus scolaire, des tableaux d’hyperactivité, des dépressions…Ils appartiennent au registre des troubles du spectre autistique, des pathologies limites, dysharmoniques et des troubles de l’humeur ou alors n’appartiennent à aucun registre. Les demandes de prise en charge sont adressées au cadre infirmier du service, qui peut ainsi centraliser et coordonner les demandes. Elles sont ensuite examinées et triées par le cadre infirmier et le chef de clinique selon un rapport indications/missions du CITE. Le cadre infirmier dans son rôle de coordinateur peut écarter des demandes pour lesquelless le CITE ne pourrait pas répondre, du fait de critères tel que l’âge ou d’indications hors mandat. Le soin au CITE est conceptualisé comme un travail d’équipe. C’est l’intervention groupale coordonnée qui est thérapeutique, tout le monde participe au soin, indépendamment des activités, ateliers ou moyens de médiation et de rencontre. L’efficience au CITE réside dans une équipe pluridisciplinaire qui réunit médecins, psychologue, infirmiers, éducateurs, enseignant spécialisé et cuisinière. Dans l’introduction, nous parlons de l’importance des lieux, des espaces, des temps, formels ou informels, que les parents et les enfants investissent tout au long de leur prise en charge et pour une compréhension plus juste nous nous permettons de donner, ici, notre définition de ces termes. Entretien de famille Ils ont lieux au 1er étage du CITE, dans les bureaux médico-psy, ils sont menés conjointement par un binôme composé d’un référent médico-psy et un référent soignant. Ils ont lieux de façon hebdomadaire pour les hospitalisés et à quinzaine pour les ambulatoires. Guidance parentale Soutien apporté aux parents, assuré par une psychologue, sans la présence de l’enfant, dans un lieu différencié de l’entretien de famille. Café ou goûter contact Espaces offerts aux parents en début et en fin de journée, qui permettent un échange d’information entre les soignants/parents. Selon que les échanges se fassent le matin ou le soir, le flux d’information entre le matin et le soir se trouve inversé. Le café ou goûter contact, est un espace formel mais non médicalisé ; il met l’équipe soignante en première ligne. Espace formel Cadre spatial et temporel déterminé à l’avance avec une équipe ou un binôme également déterminé à l’avance. Espace informel Espaces interstitiels prévu pour le flux, les passages, couloirs, escaliers,… détournés de leur fonction principale, utilisés par les parents comme lieux d’expression de leur problème. PRÉSENTATION DES VIGNETTES CLINIQUES 1ère vignette : Paul Paul, 8 ans, nous est adressé pour une hospitalisation au CITE en raison de troubles du comportement sévères avec opposition, intolérance à la frustration avec des réactions de colère hétéroagressive. Ces troubles du comportement étaient caractérisés par des morsures, des coups de poing, des coups de pieds envers les adultes. Ces comportements ont entrainés une déscolarisation complète mais transitoire, un mois avant son arrivée au CITE. Paul nous est adressé également dans un contexte d’épuisement maternel avec demande de décharge transitoire. Paul est scolarisé en 2ème primaire, équivalent CE1, il est fils unique. Les parents se sont séparés quand il avait 9 mois, la mère serait partie en raison des crises de violence du père. Paul ne voit son père que très épisodiquement. Son père est sorti de prison récemment. Il semblerait qu’il y ait des troubles dépressifs chez la mère, jamais traité auparavant. Elle est actuellement sans emploi et vit seule avec son fils. Dans ses antécédents médicaux, Paul présente une épilepsie généralisée pharmacorésistante, qui a été découverte à l’âge de 1 an. Cette épilepsie sévère a été équilibrée pendant 6 mois avant son hospitalisation. C’est à ce moment qu’apparaissent les troubles du comportement, grande impulsivité, gestes hétéro-agressifs qui rendent impossible son maintien en milieu scolaire. En ce qui concerne l’hospitalisation, au début de celle-ci, Paul refusait tout entretien, il était ouvertement dans une attitude d’opposition avec des passages à l’acte violents, fréquents, une impulsivité lors des frustrations ou lors de changement de lieux suscitant de grandes angoisses. Paul ne parvenait à exprimer ses affects qu’au travers d’un agir comportemental impulsif au détriment de la parole. L’étayage soignant et institutionnel, la reprise de contact avec le père, l’introduction d’un traitement et les soins apportés à la mère ont aidé Paul à progressivement exprimer ses affects dépres- sifs et ses angoisses autrement que par un recours à l’agir impulsif. Actuellement Paul est en internat thérapeutique et il retourne chez sa mère tous les week-ends, avec une relation nettement plus apaisée et sécure. Les troubles du comportement ne sont plus au premier plan même s’il persiste une intolérance à la frustration et parfois une dimension impulsive du comportement. Le travail avec les parents Au fil de la prise en charge, les parents ont été rencontrés dans différents espaces dans lesquels ont été déposés divers éléments/contenus qui ont fait osciller/fluctuer nos ressentis/émotions et ont fait évoluer le contre-transfert. Il y avait deux référents, médecin, psychologue, et une infirmière référente. Le premier lieu où ils ont été invités était le bureau A. Il s’agissait d’un entretien de pré-admission où Madame était accompagnée par le réseau demandant la prise en charge. Elle est alors demandeuse d’aide pour son fils exclusivement et se présente de manière sur-adaptée, dans un besoin de maitrise où elle prend des notes et se dit prête à contacter les différents membres du réseau. Lors de l’entretien d’admission, en l’absence du réseau mandataire, Madame nous apparaît beaucoup plus fragile, cela dans un contexte de séparation imminente avec son fils sur le point d’être hospitalisé. Ceci nous incite à lui proposer d’emblée un soutien individualisé avec la psychologue, ce qui implique par la suite le décrochage de la psychologue qui investira désormais un autre espace avec Madame. La psychologue rencontre Madame à trois reprises. Dès la première séance, elle livre son passé et dit vouloir se faire hospitaliser, elle aussi, ne se sentant plus la force de mener à bien son quotidien maintenant que son fils n’est plus là tous les jours. Cette demande d’hospitalisation revient de séance en séance pour finir par aboutir. Madame restera hospitalisée deux semaines. Madame entamera à la suite de l’hospitalisation un suivi avec un psychiatre en consultation privée et bien que demandeuse de poursuivre le travail avec la psychologue, elle n’arrivera plus à investir cet espace. Pendant la prise en charge les entretiens de famille ont eu lieu dans un autre espace le bureau B, en présence du médecin et de l’infirmière référente de la situation. Au début l’infirmière référente est très touchée par l’histoire de Madame puis au fur et à mesure des séances, les sentiments de la soignante évoluent et Madame est ressentie comme peu fiable, dans une attitude de prestance mise en Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 63 Le travail avec les familles en hôpital de jour place pour garder la face. Peu après le début de l’hospitalisation de Paul, le père d’abord injoignable mais intervenant impulsivement hors cadre (visites intempestives) participe finalement à des entretiens de famille dans le même bureau que Madame mais sur des temps différents. Dans cet espace, le père peut déposer sa colère, son désaccord et son désarroi tout en faisant preuve de fiabilité. De façon systématique, si l’un était présent le matin, l’autre manquait son rendez-vous de l’après-midi. Lors des passages de piquet dans ce troisième espace qu’est l’hôpital, les soignants rencontrent une mère adéquate dans la relation à son fils, pouvant se montrer rassurante et contenante. Dans d’autres espaces moins formels comme les goûters et les repas, Madame se montrait suradaptée, dans une relation copaincopain avec Paul, apparaissant alors comme peu authentique. C’est grâce à la variété des espaces imaginés et proposés tout au long de cette prise en charge, parfois en dehors des sentiers battus, qu’ont pu se vivre, à la fois pour les soignants et pour la famille, des sentiments variés, contradictoires, fluctuants et ambivalents. Les contenus ont été différents selon les espaces et on constate que dans cette situation, les espaces informels ont été peu investis par les parents. A l’inverse l’investissement des espaces formels a permis de faire évoluer favorablement la situation. 2ème vignette : Rémi Rémi est âgé de 3 ans et demi lorsqu’il est adressé au CITE par la CSDP (Consultation Spécialisé en Développement et Pédopsychiatrie), en septembre 2012 pour des troubles envahissants du développement. Rémi est le fils unique, désiré, d’un couple de trentenaires. Bébé, Rémi est décrit comme un enfant tonique et hyper vigilant avec lequel ils disent avoir eu des difficultés à être en lien et à se réaliser en tant que parents. Début septembre 2012, lors de l’entretien de pré-admission nous rencontrons Rémi et ses parents. Rémi est très dispersé, passant brutalement d’une agitation psychomotrice au calme, il crie dès que nous tentons de le contraindre et se débat. Les parents eux se disent épuisés. La maman verbalise son désir de mettre de la distance entre elle et son fils. Le père admet lui aussi se sentir débordé mais peu encore relater les moments de plaisir qu’il arrive à partager avec son fils. Le réseau socio-familial et scolaire est également épuisé au point que Rémi se retrouve exclu de la garderie. 64 Rémi commence sa prise en charge au CITE fin septembre 2012, il vient les mardi et vendredi de 10h à 16h15. L’intégration se fait de façon progressive afin de permettre à Rémi de s’adapter au nouveau contexte et à la séparation, la maman, d’ailleurs les premières fois, passera un moment sur le groupe. Au bout d’un mois Rémi reste seul sur le groupe, il ne manifeste pas d’anxiété pendant la journée en réponse à l’absence de sa mère et ne pleure pas lors des séparations. Pourtant au bout d’un mois, Rémi commence à réclamer sa mère, les séparations deviennent difficiles, il s’agite, crie, fait du bruit. Nous avons dû adapter notre prise en charge et trouver des alternatives à la perte. Mettre en place un rituel au moment du départ de la maman a beaucoup aidé Rémi à supporter la séparation. Au cours de sa prise en charge, Rémi a pu privilégier une relation particulière avec une soignante du groupe acceptant d’elle d’être consoler. Les autres adultes du groupe étant utilisés comme un prolongement de lui-même quand il a besoin de quelque chose (fonction adhésive). Pour les enfants du groupe, soit il ne les supporte pas trop près et alors il devient difficile, soit il se cramponne à eux. Pendant les moments de jeux, nous observons de rares moments où il est en lien avec les autres mais le plus souvent il est débordé par tous les stimuli sonores et visuels, il s’agite alors, sautille, papillonne et finit par lancer les objets en criant. Nous devons alors le mettre seul dans une salle avec un soignant et limiter le nombre de jeux, il peut alors amorcer une ébauche de jeux symboliques, solliciter l’adulte, imiter, jouer du dedans/dehors sur de cours instants, pour finir par quitter la salle en fanfare, accaparant alors l’espace du couloir comme lieu d’expression de son anxiété. Au CITE, le comportement de Rémi alterne entre des moments de calme et de grande agitation, des moments où il semble présent et des moments où il semble absent. Rencontre avec les parents au CITE Dès le 1er entretien de famille les parents ont pu exprimer leur difficulté à être les parents de Rémi. Ils ont toujours eu un discours positif par rapport à Rémi, ils n’ont jamais douté de son intelligence, Madame dira d’ailleurs qu’elle considère que son fils est en avance et qu’il a même pu faire certaines acquisitions précocement puis qu’il a oublié. Elle décrit son fils comme un aventurier, un explorateur de la vie. Lors des différents entretiens de famille, les parents ont pu parler des différents diagnostics évoqués pour Rémi, pour ne retenir que le fait que leur fils présente des traits autistiques. Ils disent avoir accepté l’idée de différer leur accès à une vie de parents “normale”. Les parents se séparent très rapidement au début de la prise en charge, mais ils continuent de venir ensemble aux entretiens de famille, c’est donc bien en tant que parents qu’ils ont pu livrer leurs craintes, leurs angoisses et leur éprouvés par rapport au devenir de leur fils. Ils ont su utiliser cet espace commun et formel que sont les entretiens de famille. Cet espace dédié, toujours le même, avec le même binôme référent a permis une continuité malgré la séparation du couple, cet espace rassurant pour eux a permis la liberté de parole. La maman de Rémi a pu investir d’autres espaces lors de ses venues au CITE. Le matin quand elle arrive, lors du « café contact », elle est toujours prête à nous parler de Rémi, de ses progrès, de ses journées. Elle prend le temps, se pose, se livre et se délivre de ses doutes, de ses angoisses en tant que mère. L’après-midi, lors du « goûter contact », elle vient entendre parler de son fils, elle nous questionne, elle vient non plus se livrer mais chercher la parole du soignant comme un baume réparateur, elle opère ici un transfert d’affect sur le soignant référent. Le soignant est vécu comme une “bonne mère” pour elle et pour son fils. Sur ces deux moments de la journée, le flux d’information prend un sens différent, soit il vient de la mère, famille/institution, soit il vient du soignant, institution/famille. Ces espaces formels, « café et goûter contact » mettent le soignant en première ligne, ils permettent une expression plus spontanée, moins maitrisée, par le soignant que lors des entretiens de famille. La mère vit ces moments-là comme une reprise du contrôle de la situation. Au cours de la prise en charge d’autres espaces ont étés utilisés par la maman. Cette maman alternait régulièrement entre des moments de grande déprime ou elle se mettait à pleurer, parlant de son épuisement et des moments de grande euphorie ou elle pouvait essayer de faire copain/copain avec le soignant. Couloirs et escaliers sont les témoins de ces moments où elle a pu se livrer sans retenue, n’attachant plus d’importance à la distance. Au cours de la prise en charge, l’utilisation par les parents, notamment par la mère, d’espaces formels et informels, variés et différenciés, ont permis à la famille et aux différents soignants de se rencontrer. Lors des colloques d’équipe nous avons pu constater que les événements surve- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Famille, je te hais-m nant pendant les moments interstitiels étaient les plus fréquemment évoqués. L’utilisation par la maman des espaces tels que les couloirs ou les escaliers, détournés de leur fonction première (passage) a obligé les soignants à renoncer au cadre et au contenu habituel. Nous avons dû nous adapter à ces excès souvent avec un fort sentiment d’ambivalence (je t’aime, moi non plus). Nous avons compris que pour avancer dans le travail avec cette mère ou cette famille, il nous faudrait sortir des sentiers battus. Ces couloirs -passages- nous ont ouverts une voie privilégiée dans la compréhension de Rémi. L’irritation que nous ressentions à l’égard de cette mère lorsqu’elle se déversait sans plus de retenue et de distance, nous a permis de comprendre d’une certaine façon les sentiments ambivalents qu’elle avait pu manifester à l’égard de son fils, son sentiment de “haine” à l’égard de son conjoint ou des professionnels incapables, et qu’elle était venue nous confier en début de prise en charge. Pour Rémi les espaces interstitiels ont catalysés ses débordements comportementaux, il a pu reconquérir une certaine existence pour l’autre en se montrant hyper présent, il a pu imprimer sa marque au CITE. Après neuf mois de prise en charge, Rémi a pu intégrer une classe d’enseignement spécialisée et bénéficier d’un traitement. Les parents, eux, dans l’incapacité de faire face à la blessure narcissique et à la culpabilité, ont mis un terme à leur vie de couple dans un premier temps, par la suite, dans l’après coup, par ce qu’ils ont vécus, ils ont pu réinterroger leur histoire. Ils ont pris la décision de retenter l’aventure en tant que couple et parents de Rémi. CONCLUSION Au début de notre travail, nous avons choisis les vignettes cliniques de Paul et de Rémi en fonction du ressenti contre transférentiel de l’équipe vis à vis de situations psycho-sociales et familiales complexes et douloureuses. Au fur et à mesure de notre élaboration des cas cliniques présentés, la dimension institutionnelle spatio-temporelle est apparue comme incontournable mais chacune avec leur singularité. Pour Paul, les espaces formels ont étés investis par la famille, ceci a permis une reprise évolutive favorable. La dynamique transféro/contre transférentielle a pu se déployer dans un temps soignant correspondant aux entretiens de famille, à la guidance, et aux goûters contacts. Pour Rémi, à l’inverse ce sont les espaces informels, couloirs, escaliers, qui ont été investis notamment par la mère. Dès lors le transfert ou déplacement d’affect c’est déployé hors cadre, dans un temps plus bref et discontinus, rendant plus difficile sa compréhension et les interactions. Ce qui advient dans ces moments interstitiels provoque en nous une telle émulsion psychique qu’il n’est possible, ni souhaitable, de laisser les situations en l’état. Ce sont ces moments repérés comme féconds, propices à une fonction de reprise dans l’après coup, dans le cadre des colloques cliniques, qui permettent aux soignants de s’appuyer sur l’appareil psychique, collectif, bienveillant. Le travail de métabolisation en équipe permet de relier ces temps discontinus, d’appréhender et de donner sens à ces déplacements d’affects. Ces deux situations posent la question de la transitionnalité qui vient démarquer le dedans/dehors, le formel/informel, la famille /l’institution. Une autre question est mise en évidence au travers des situations. Quelles sont donc ces familles qui ont du mal à investir notre cadre de pratique, classique et qui reste cantonnées à la périphérie dans ces espaces informels ? BIBLIOGRAPHIE 1. ANSERMET F., MORAND DUBEY D., Un centre de soins psychiques en hôpital pédiatrique, Nervure, 1995 2. BION W. R., Une théorie de l’activité de pensée, In Réflexion faite, P.U.F, 1ère édition, 1986, 135 pages 3. BLEANDONU G., Le soutien thérapeutique aux parents, Dunod, Paris, 2001, 169 pages 4. DE COULON N., La crise, stratégies d’intervention thérapeutique en psychiatrie, Gaétan Morin, Paris, 1999, 190 pages 5. MARCELLI D., Psychopathologie de l’enfant, 4ème édition, Masson, 1993, 546 pages 6. MUCCHIELLI R., Le travail en équipe, ESF, Issy les Moulineaux, 2009, 203 pages 7. MUCCHIELLI R., La dynamique des groupes, ESF, Issy les Moulineaux, 2004, 220 pages Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 65 MES ENFANTS, MA MALADIE ET MOI Nouvel hôpital de jour, Hôpital psychiatrique Beau Vallon 502 rue de Bricgniot 5002 Namur BELGIQUE [email protected] Sophie CORNET, Elodie SPOTTO, Xavier DE LONGUEVILLE Les patientes fréquentant le Nouvel Hôpital de jour de l’Hôpital psychiatrique Beau-Vallon sont souvent des mères. L’équipe soignante s’interroge sur les difficultés psychiques des enfants de ces patientes souffrant de troubles psychiatriques chroniques. Nous proposons une réflexion concernant l’héritabilité des troubles, et l’intérêt des psychiatres adultes pour la souffrance psychique des enfants mineurs de leurs patients. Ces réflexions nous ont amenés à organiser un groupe de parole sur le thème de la maladie mentale en lien avec les questions de parentalité dans le but de donner une place au vécu des enfants de nos patientes. Mots-clefs : Relation parents-enfants, parentalité, troubles psychiques chroniques, transmission, vulnérabilité, groupe de paroles My children, my disease and me Patients attending the psychiatric day hospital are often mothers. The paramedical team examines the psychological problems of children of these patients with chronic psychiatric disorders. We offer a reflection on the heritability of the disorders, and ask if psychiatrists for adults give interest in mental suffering of the minor children of their chronic patients. These considerations led us to organize a discussion group on the topic of mental illness in connection with parenting issues in order to give a place to the experiences of children in our patients. Keywords: Parent-child relationship, parenthood, chronic mental disorder, transmission, vulnerability, speaking group INTRODUCTION Le nouvel hôpital de jour (NHJ) de l’hôpital psychiatrique du Beau-Vallon à Namur accueille des femmes souffrant d’une pathologie psychiatrique stabilisée. Elles sont adressées après un séjour résidentiel en hôpital psychiatrique ou général, ou bien directement par leur psychiatre traitant. Les patientes, après un entretien d’admission et une période d’essai d’une semaine ont la possibilité de fréquenter jusqu’à cinq fois par semaine l’hôpital de jour. La prise en charge pluridisciplinaire est essentiellement centrée sur la thérapie de groupe. L’équipe est constituée d’un psychiatre, de deux infirmières (l’une est coordinatrice), de deux psychologues, de deux ergothérapeutes, d’un kinésithérapeute. Les activités proposées sont discutées et choisies en concertation entre l’équipe et la patiente après sa période d’essai. Ces activités sont de quatre types : activités d’art thérapie, activités de mise en mouvement, groupes de paroles et créativité. La grille hebdomadaire de quatre activités par jour permet le choix entre deux activités pour chaque période. L’équipe et la patiente veillent à une répartition variée durant les périodes de fréquentation. Au cours des groupes de parole, durant les activités et lors des réunions d’équipe, la question de la place symbolique des enfants des patientes du NHJ a éveillé dans l’équipe un questionnement quant à 66 la pertinence d’organiser des activités en lien avec ces questions de parentalités. Nous postulons que les enfants souffrent de répercussions plus ou moins graves des troubles de leurs parents. Parfois ils ont été hospitalisés dans des unités mèrebébé, ils ont été témoins de leurs crises et comportement aberrants. Ils peuvent aussi devenir des soutiens pour leur parent malade (4). L’équipe s’est questionnée également quant à l’attitude à tenir vis-à-vis des enfants d’une patiente dont la symptomatologie s’exacerbe. Les questions de répercussion de la maladie sur la parentalité, de la transmission de la maladie mentale, de la souffrance psychique des enfants des patientes animent fréquemment les réunions d’équipe. C’est ainsi qu’est née l’idée d’organiser un groupe de parole intitulé « mes enfants, ma maladie et moi » dont l’objectif principal était d’amener le vécu des enfants des patientes au sein de l’hôpital de jour. Avant de détailler les objectifs, le déroulement, l’évaluation et les perspectives de ce groupe de parole, nous résumerons de façon succincte les données actuelles concernant la transmission ou l’influence des troubles mentaux des parents sur la santé mentale des enfants. Nous proposerons également une réflexion quant à l’intérêt des psychiatres adultes pour les difficultés des enfants de leurs patients. TROUBLES PSYCHIATRIQUES DES PARENTS EN LIEN AVEC LA SANTÉ MENTALE DES ENFANTS La question de la transmission des troubles mentaux n’est pas nouvelle, une abondante littérature s’intéresse aux liens entre l’environnement, la pathologie des parents et la pathologie des enfants. La conception organique (héritabilité avec transmission de facteurs de vulnérabilité, principalement génétiques) et la conception environnementale (influence du développement dans l’interaction parentsenfants) peuvent actuellement toute deux être dépassées par des notions telles que le tempérament et l’épigénétique que nous ne détaillerons pas ici. Ces notions nous invitent à la prudence dans l’interprétation des résultats et dans l’appréciation des mécanismes psychopathologiques en jeu. En effet, tant la génétique que l’environnement sont en interaction avec les patterns relationnels parents-enfants, avec l’expression des vulnérabilités héritées génétiquement, et avec les conditions environnementales. (1) Passons néanmoins en revue les données actuelles concernant les principaux troubles psychiatriques adultes et le lien éventuel avec les troubles psychiques des enfants de ces patients. Le trouble bipolaire Le trouble bipolaire de type 1 est rare chez l’adolescent (3/1000), mais il est quatre fois plus fréquent chez les enfants de parents ayant un trouble bipolaire. Un enfant sur deux ayant un parent bipolaire présente d’autres troubles psychiatriques aspécifiques comme des troubles du comportement, des troubles des conduites ou des pathologies dépressives. (1) Le risque génétique est indéniable, même si la plupart des enfants de parents bipolaires ne développeront pas de troubles bipolaires à l’âge adulte. Il est donc nécessaire d’identifier des signes prémorbides afin de reconnaître des groupes d’enfants à risque et de faciliter une intervention préventive. Dans une recherche qualitative, une étude récente propose une description en sept axes sémiologiques d’un « tempérament maniaque bipo- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Mes enfants, ma maladie et moi laire ». L’expressivité présente une évolution développementale au fil des années selon l’âge mais cette clinique reste identifiable chez l’adulte et est présente la vie entière. Il s’agit d’enfants présentant les signes cliniques suivants : forme superénergétique, une réduction du temps de sommeil, un mal être en situation d’être seul, des couleurs affectives expressives (sentiments exprimés avec beaucoup d’emphase, hyperlabilité émotionnelle), une excitabilité et une désinhibition, une prépondérance à l’attention divergente, une tendance à l’hyperactivité. (6) Les troubles anxieux Les troubles anxieux représentent les troubles psychiatriques les plus fréquents à l’adolescence (9% des adolescents). Leur héritabilité est de 30%, avec un risque relatif quatre à cinq fois supérieur à celui de la population générale en fonction des troubles, les plus transmissibles étant le trouble obsessionnel compulsif et le trouble de panique. Avoir des parents anxieux est un facteur de risque de dépression ou d’alcoolisme. L’anxiété dans l’enfance ou l’adolescence est également un terrain de vulnérabilité pour d’autres pathologies psychiatriques comme la dépression, le trouble bipolaire ou la schizophrénie. L’impact du comportement parental surprotecteur comme facteur pouvant jouer un rôle pathogénique est souligné dans la genèse de l’anxiété chez l’enfant. (1) Troubles dépressifs La dépression est fréquente à l’adolescence (environ 5%), moins dans l’enfance (1%) et son héritabilité des parents vers l’enfant est de 15 à 20%. Les formes les plus précoces sont les formes les plus familiales et le risque est le plus important si l’épisode des parents (principalement de la mère) est actuel. Le risque de la dépression dans l’enfance est multifactoriel, la dépression des parents n’est pas un facteur de risque unique. Les troubles anxieux, les addictions, les troubles du comportement des parents, leurs difficultés sociales ou leurs attitudes éducatives jouent un rôle essentiel (1). Troubles psychotiques L’autisme et la schizophrénie sont les pathologies les plus clairement familiales mais du fait de leur gravité, les facteurs génétiques et environnementaux sont particulièrement intriqués. Des études sur des jumeaux homozygotes mettent en évidence une concordance de 48%. Avoir deux parents schizophrènes indique un risque de 40% de présenter une schizophrénie. (5) Avoir des parents schizophrènes augmente le risque de troubles psychiatriques en général (schizophrénie, trouble bipolaire). La dépression maternelle postnatale, perturbant les interactions précoces est un facteur favorisant de schizophrénie chez l’enfant. Le mécanisme psychopathologique est lié au mode relationnel perturbé, les périodes de faible portage succèdent à des moments envahissants. La relation est marquée par cette discontinuité dont l’enfant peut se défendre par des mécanismes affectant son développement psychique. Alcoolisme L’héritabilité s’élève de 52 à 64%. Cette concordance familiale importante n’est pas la preuve d’une transmission génétique. Il existe également une transmission culturelle, ainsi qu’une transmission de nature psychique. Finalement, le comportement addictif est un comportement appris résultant des représentations individuelles elles-mêmes influencées par les processus physiologies et génétiques ainsi que par les expériences personnelles et familiales. Conclusions sur la transmission des pathologies parentales Pour conclure au sujet de la transmission des pathologies psychiatriques, on peut retenir l’hypothèse de la « théorie des deux coups ». Elle fait appel à la combinaison d’une vulnérabilité génétique et de facteurs environnementaux en tant que base de nombreux troubles psychiatriques. Les vulnérabilités génétiques représentent « le premier coup », le risque de manifester réellement la maladie est modulé par le « second coup » de type environnemental. Il ne s’agit dès lors pas d’un déterminisme absolu, les mesures de prévention, de prise en charge précoce, les choix personnels, la psychothérapie peuvent transformer un destin apparemment néfaste en destinée plus favorable. (3) Soulignons la nécessité d’intervention précoce pour les enfants et les programmes d’actions destinés aux familles. Ces interventions passent nécessairement par le renforcement des échanges du secteur de la psychiatrie adulte et du secteur de la psychiatrie infanto-juvénile. Il est parfaitement établi qu’une prise en charge précoce des problèmes psychiatriques permet de minimiser les risques de dégradation grave, mais la question du suivi et de la prévention précoce des troubles chez les enfants est une question délicate. En effet, est-il justifié d’organiser un suivi, et le cas échéant, par quel intervenant, pour les enfants uni- quement en raison de la maladie mentale de leur parent. Dans ce cas, comment identifier les troubles réactionnels aux difficultés familiales ou des prodromes d’une atteinte plus endogène nécessitant une médication ou une psychothérapie ? Il semblerait dès lors plus judicieux de proposer un suivi aux enfants présentant des signes d’appels de souffrance psychique (troubles externalisés du comportement, anxiété, inhibition…). Mais cela est valable également pour les enfants n’ayant pas de parents identifiés comme malade mental. Il va de soi que ces questions relèvent de l’éthique et méritent une réflexion plus approfondie sur la place de chaque professionnel, du secret médical, du libre arbitre des parents. COMMENT LES PSYCHIATRES D’ADULTES SOUFFRANT DE TROUBLES PSYCHIQUES CHRONIQUES PRENNENT-ILS EN COMPTE LA SOUFFRANCE PSYCHIQUE DES ENFANTS MINEURS DE LEURS PATIENTS ? Bien que la préoccupation ne soit pas absente, les psychiatres adultes éprouvent des difficultés à se préoccuper des enfants mineurs de leurs patients. Plusieurs hypothèses peuvent être formulées pour expliquer cette difficulté à aborder la relation parent-enfant. Le psychiatre serait en proie à un conflit de valeur entre les intérêts de son patient et ceux de ses enfants dans le cadre d’une relation thérapeutique centrée sur le patient. Plutôt que des personnes potentiellement en souffrance, la famille serait considérée comme un support au patient. Aborder la souffrance des enfants ferait courir le risque d’aggraver la faille narcissique des patients, de majorer de façon iatrogène leur culpabilité. Or ceci représente une contradiction, car la spécificité de la psychiatrie est justement de tenir compte de la globalité du patient, d’ailleurs les psychiatres interrogent facilement le lien de son patient avec ses propres parents… Le manque de connaissance des mécanismes psychopathologiques de développement, le manque de familiarité avec la clinique de la psychiatrie infanto-juvénile peuvent aussi justifier cette difficulté à identifier la souffrance psychique des enfants. (2) Le développement de pratique de groupe de réflexion éthique ainsi que la réflexion au sujet de la formation des psychiatres d’adultes sont certainement des pistes à suivre afin d’encourager la prise en compte de la souffrance psychique des enfants. Ces pistes pourraient renforcer la collaboration entre le secteur de la psy- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 67 Le travail avec les familles en hôpital de jour chiatrie infanto-juvénile et la psychiatrie adulte. GROUPE DE PAROLE AU NOUVEL HÔPITAL DE JOUR En lien avec les demandes des patientes, avec les questionnements de l’équipe et avec les notions théoriques développées ci-dessus, nous créons une activité dont la finalité est de faire entrer les enfants des patientes au nouvel hôpital de jour en donnant une place à leur vécu. Plus précisément, nous souhaitons, en proposant ce groupe de parole, inviter les patientes à identifier les compétences parentales intactes et celles atteintes par la maladie mentale. Par la suite, faire de ces fragilités, non pas un lieu de résignation, mais un lieu d’intervention et de réflexion. Nous décidons que l’activité la plus adaptée pour déployer ces objectifs est un groupe de parole hebdomadaire. Nous le proposons durant quatre mois, pour un maximum de douze patientes. Le critère d’inclusion est d’être mère, que les enfants soient encore mineurs ou déjà adultes, les grands-mères sont donc les bienvenues ! Le groupe est co-animé par la psychologue du service et l’assistante en psychiatrie, ou par l’ergothérapeute. La durée de chaque séance est d’1h30. La séance est prolongée par une activité d’art thérapie d’1h30 directement en lien avec le thème du jour abordé lors du groupe de parole. Onze patientes s’inscrivent, six d’entre elle sont alcoolo-dépendantes, une présente un trouble psychotique, quatre patientes sont dépressives, la dernière présente un trouble de personnalité de type borderline. Elles fréquenteront en alternance l’atelier pour former en moyenne un groupe de six patientes. Lors du premier groupe de parole, nous recueillons les attentes des patientes : elles souhaitent que le groupe les aide à recréer, restaurer le lien avec leurs enfants, avec leurs petits-enfants, elles souhaitent être rassurées sur le lien existant. D’autres attentes sont formulées : pouvoir parler de leur maladie en termes adaptés à leurs enfants, trouver un réconfort narcissique dans leur fonction maternelle, aborder les difficultés d’éducation. Cette première séance est aussi l’occasion de recueillir leurs appréhensions à s’inscrire. Elles craignent d’être confrontées à un débordement d’émotion, tant de leur part, que de celle des autres participantes. Elles ont en effet bien conscience de la charge émotionnelle véhiculée lorsqu’on parle d’un sujet aussi sensible que celui des enfants. Quant à la difficulté à se dévoiler, à verbaliser ses failles, ses souffrances, si certaines le craignent, la 68 plupart sont familières des groupes de parole et l’ont déjà surmonté. Lors de certains groupes, nous introduisons les thèmes au moyen d’un média tel que le photo-langage ou par une activité d’écriture. A d’autres moments, le sujet de discussion est proposé tel quel. La discussion s’amorce toujours facilement. Au fil des mois, nous abordons des thèmes divers… Que représente le terme de “bonne mère” ? La plupart des patientes idéalisent le rôle de mère, véhiculant l’idée qu’une mère doit être disponible, attentive, généreuse, à l’écoute, joyeuse, patiente, aidante. Elle doit apporter de l’amour, de la sécurité affective, être attentive aux besoins de ses enfants et s’y adapter au fil du temps. Certaines peuvent nuancer les propos en indiquant la possibilité d’ouvrir au monde, de développer l’autonomie en s’appuyant sur des relais comme le père, ou les autres personnes en charge de l’éducation des enfants. Elles soulignent la nécessité d’être garantes des règles (non-violence, politesse, sécurité…) et d’inculquer des valeurs telles que le respect de soi et des autres. Des représentations telles que « une mère doit toujours montrer que tout va bien » ouvrent la discussion sur l’inévitable imperfection de chacune, qu’elle soit en lien avec la maladie ou non. Compétences affectées par la maladie Les représentations de la fonction maternelle idéalisée par nos patientes les amènent inévitablement à constater l’ampleur du fossé entre ces représentations et les compétences qu’elles ne peuvent développer dans la réalité ou dans leur imaginaire, ou que la maladie les empêche temporairement d’acquérir. Les émotions sont intenses lorsqu’on aborde la question, elles expriment de l’angoisse, de la fatigue psychique. Elles font le lien entre les manifestations de la maladie et les conséquences sur la fonction parentale affectée : une anxiété débordante empêche d’affirmer des limites claires à son enfant, ou au contraire avoir un comportement extrêmement contrôlant empêche le développement de l’autonomie de l’enfant. La dépression ou les épisodes alcooliques sont ponctués par des absences suscitant chez les enfants des sentiments d’abandon. L’irritabilité, symptôme de dépression entraine des comportements agressifs, maltraitants physiquement ou psychologiquement. En cas d’alcoolisme, elles constatent la rupture entre les valeurs censées être véhiculées par leur fonction maternelle, et la réalité d’une image dégradée, négligée, sans respect pour elles-mêmes. Fonction de la maladie dans la relation Le fait de souffrir d’une maladie psychiatrique a des conséquences sur la dynamique relationnelle qui s’installe entre le parent et son enfant. Lorsque nous abordons ce thème, plusieurs patientes alcooliques expriment des attentes vis-à-vis de leurs enfants : soutien, encouragement, motivation à arrêter de consommer. D’autres patientes réagissent, soulignent dès lors le risque de parentification de ces enfants. Nous faisons le lien entre ces attentes et les représentations de la fonction maternelle. Le fait d’être malade implique des hospitalisations et des séparations avec les enfants. La famille se réorganise durant ces absences, lors du retour, il n’est pas facile de reprendre sa place. La connotation péjorative de l’hôpital psychiatrique, de la maladie alcoolique ont dégradé l’image des patientes, elles se sentent stigmatisées, leur avis est moins entendu, elles se disent “sur la touche”. Pour d’autres, la maladie légitimise l’impossibilité de réaliser certaines activités avec les enfants, comme cette patiente empêchée d’accompagner ses filles à la piscine en raison de sa fibromyalgie. Nous pouvons aborder, lors de ce thème, la notion de parentalité partielle et reconnaitre les parties saines de ces mères. Nous pouvons aussi réfléchir à la possibilité d’exprimer ses préférences, d’avoir le droit de ne pas apprécier toutes les activités avec les enfants, en dehors de toute référence à une maladie sans affecter la relation parent-enfant. Manifestation de souffrance des enfants Les enfants de nos patientes ont été témoin des hospitalisations, des crises, ils ont été confrontés à leurs comportements aberrants. Les patientes identifient les signes de souffrance de leurs enfants : sentiment d’abandon, troubles externalisés du comportement, anxiété, dépression, repli sur soi, obésité, comportements de protection vis-à-vis du parent. Nous mettons en lien ces signes avec les difficultés rencontrées dans l’exercice de la parentalité. D’autres enfants mènent une vie qui semble équilibrée, soulignant leur capacité de résilience. Un bel exemple de sublimation est illustré par la fille d’une patiente qui exprime le projet de devenir pédopsychiatre, une autre souhaitant devenir psychologue ! Identification du vécu des enfants Nous leur demandons à ce stade du groupe de parole d’essayer d’identifier Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Mes enfants, ma maladie et moi les émotions de leurs enfants au travers un exercice d’écriture. Les textes seront ensuite partagés en groupe. Des vécus tels que le sentiment d’abandon, la colère, l’inquiétude, la peur de la mort du parent, le désarroi d’être impliqué dans les confidences, la honte. L’amour, la loyauté vis-à-vis du parent restent présents, ce qui plonge les enfants dans un mélange et une ambivalence de ressentis différents. Sur le sentiment d’abandon, nous pouvons aller plus loin grâce au récit de patientes ayant elles-mêmes vécu avec des parents souffrant d’alcoolisme ou de dépression. Ces patientes nous expriment leurs ressentis de petites filles et expliquent de quelle façon elles se sont attribué cet abandon, pensant qu’elles n’étaient pas suffisamment intéressantes aux yeux de leurs parents. La souffrance psychique des patientes est parfois telle qu’elles ne peuvent s’en dégager pour accéder à celle de leurs enfants. Le thème du groupe de parole dans ces situations nous a permis de les aider à verbaliser leur vécu d’enfant souffrant. Ce faisant, d’autres mères plus âgées ont pu accéder au vécu similaire de leurs enfants. Au travers des dires, des souffrances racontées et des difficultés énoncées sur le sujet de la maternité, ce sont aussi les conflits infantiles non résolus, les traumas ou encore les blessures non reconnues qui résonnent et font entrave à la parentalité. Donner une place symbolique à l’enfant, au sein du cadre de soin de la mère, c’est une manière de dégager l’enfant des projections mortifères de celle-ci. Le groupe « ma maladie, mes enfants et moi » est un lieu intermédiaire dont la fonction contenante a permis l’expression de sentiments d’angoisse, de honte et de culpabilité, tout en essayant de renforcer l’assise narcissique de la mère, de la femme adulte ainsi que ses potentialités à être parent. Médiation artistique En deuxième partie d’atelier, l’utilisation de médias artistiques avait pour objectif de figurer, transformer, intégrer et accepter les diverses émotions de culpabilité, de honte ou de colère qui ont émergés dans la partie groupe parole. Les médias artistiques n’assistent pas le thérapeute comme un déclencheur de la parole mais revêtent ici une fonction d’accompagnement symbolique des émotions et des représentations du sujet. Au travers de la peinture, de la photo et de l’écriture, les mères se disent et racontent leur famille, sans employer le “je” ou le “nous”. Elles deviennent dès lors “Sujet” d’une création en côtoyant, dans un même mouvement, leurs problématiques profondes. Espace de liaison entre l’enfant symbolique et leur ressenti de mère, entre l’identité familiale et l’identité personnelle, cet atelier est aussi une aire d’oscillation entre la culpabilité et la déculpabilisation ou encore entre la présence et l’absence. Les thèmes de la famille et sa représentation par l’arbre, de la transmission et des prénoms ont été proposés lors des séances thérapeutiques avec médias artistiques. Les séances sur l’arbre familial Par sa forme métaphorique, l’arbre permet de figurer des relations psychiques difficilement exprimables en mots. L’arbre exige de s’inscrire dans une lignée, il renvoie aux origines et à la descendance, il questionne l’histoire familiale. Les séances sur les prénoms Se recentrer sur le prénom donné à l’enfant est une invitation à l’individualiser, à être à l’écoute de son ressenti, de ses besoins et de sa sensibilité. Les séances sur la transmission Les liens familiaux trouvent leur origine dans les transmissions générationnelles qui participent à la construction de l’identité du groupe familial. Si certaines transmissions familiales perturbées génèrent des troubles et des souffrances psychiques qui témoignent de la pathologie des liens, d’autres modes de transmissions et de secrets ont des conséquences plus positives et parfois contribuent à la stimulation de la créativité. (7) Evaluation du groupe de paroles Nous avons défini quelques indicateurs nous permettant d’évaluer le groupe de travail. Le succès de l’activité Parmi les patientes-mères susceptibles de s’inscrire, il est faible. Parmi les patientes inscrites, cinq ont fréquenté de façon régulière le groupe, six l’ont fréquenté de façon très irrégulière ou ne se sont plus présentées après deux ou trois séances. En lien avec ce qui a été dit précédemment, nous pensons que le thème du groupe représente une difficulté pour les patientes fragilisées dans leur narcissisme à se confronter à leurs failles. Nous l’avons constaté lors de moments d’émotion intense. Pour d’autres patientes, différencier sa souffrance de celle de leurs enfants, différencier leur vécu de celui de leurs enfants, identifier des besoins différents des leurs est impossible. Le déni et la résistance font partie de la symptomatologie des pathologies psychiatriques, accepter de reconnaitre la maladie, d’en parler, d’envisager les conséquences sur l’entourage représente la suite d’un chemin qui n’est pas encore entamé pour certaines patientes. Enfin, d’autres patientes ne sont plus en lien avec leurs enfants, après une mise à distance protectrice mise en place par ceux-ci ou contraintes par les services de protection de la jeunesse, d’autres selon leur volonté. Elles ont probablement fait le deuil de la relation avec leurs enfants et ne souhaitent pas raviver une douleur qui pourrait être trop intense. La dynamique de groupe Elle est un critère particulièrement intéressant. Réunir deux générations de patientes a donné accès aux patientes plus âgées au vécu de “petite fille” de patientes ayant eu elles-mêmes des parents alcooliques ou dépressifs. Il était probablement plus acceptable de l’entendre d’une autre bouche que de celles de leurs propres enfants. Les patientes plus jeunes ont entendu les regrets, les conseils des patientes plus âgées vis-à-vis de leurs enfants. Le partage du sentiment de culpabilité, du sentiment d’échec, la verbalisation de ressentis comme la honte a procuré de l’apaisement. Reconnaitre les parties saines de sa relation avec les enfants a permis de restaurer l’image de soi de certaines patientes. Les participantes ont élargi leurs connaissances au sujet des ressources possibles autour de l’éducation des enfants (SAJ, aides familiales, relais vers la famille, place donnée au père des enfants). L’évaluation positive du contenu des échanges, des interactions entre les patientes, de l’intérêt pour le thème nous encourage à poursuivre les échanges sur la thématique et à poursuivre la réflexion quant à l’intérêt de prendre en compte le vécu des enfants lors de la maladie mentale de leur parent. Le développement d’ateliers conjoints mère-enfants, la mise en place de groupes de parole “multifamilles” pourraient à ce titre faire suite à cette première expérience positive. CONCLUSION Les patientes souffrant d’une maladie psychiatrique présentent en général un appauvrissement de leur vie sociale, elles se sentent stigmatisées, ont une estime d’elle-même affectée, particulièrement dans leur rôle de mères. Elles décrivent devoir développer une lutte supplémentaire pour continuer à “faire partie du jeu”. Elles développent dès lors une culpabilité importante. Certaines se protègent de leurs fragilités parentales en attribuant ces fragilités à la maladie. Notre groupe de parole a permis de regarder en face les fragilités en lien avec la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 69 Le travail avec les familles en hôpital de jour maladie psychiatrique, les conséquences sur le vécu des enfants et les signes de souffrance, notamment par les exercices d’empathie. Il a été possible également d’établir des liens entre la souffrance actuelle des enfants et l’origine des fragilités dans un vécu d’enfant souffrant. En ce sens, les fragilités ne sont pas un lieu de résignation mais bien un lieu d’intervention permettant l’identification progressive des besoins propres des enfants, différents de ceux de leurs mères. Enfin, la souffrance vécue par les enfants de ces patientes ne doit pas être minimisée. Elle doit nous alerter et nous inciter à identifier ou solliciter des relais et des aides appropriées. Le renforcement des interactions entre le secteur de la psychia- 70 trie adulte et de la psychiatrie infantojuvénile prend ici tout son sens. Cela doit également nous pousser à mener plus loin la réflexion sur la place des familles et des enfants dans l’hospitalisation de jour et à inventer des modes de prise en charge qui pourraient satisfaire aux besoins de nos patients et de leurs enfants. BIBLIOGRAPHIE 1. BONNOT O., Troubles psychiatriques des parents et santé mentale de l’enfant, EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatriepédopsychiatrie, 37-204-G-10, 2007 2. FAORO-KEIT B., Les enfants et l’alcoolisme parental, ERES, La vie de l’enfant, 2011 3. 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Recherche sémiologique : continuum développemental de la petite enfance à l’âge adulte et diagnostic différentiel, La psychiatrie de l’enfant, 2012/1, Vol 55, p 125195 ANAUT M., Transmissions et secrets de famille : entre pathologie et créativité, La revue internationale de l’éducation familiale, 2/2007 (n° 22), p. 27-42 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 LES PROCHES AIDANTS : UNE CONSULTATION AU FIL DU TEMPS CPA – Consultation pour proches aidants Service universitaire de l’Age avancé Centre Hospitalier Universitaire Vaudois 16 chemin de Mont Paisible 1011 LAUSANNE SUISSE [email protected] Sylvie CAJOT, Virginie DE VEVEY, Jean BIGONI, Patricia BUTHEY Le vieillissement démographique va en croissant. Selon l’Association Alzheimer Suisse, en 2050, une personne de plus de 65 ans sur huit sera atteinte de démence. Il semble alors urgent de mettre en place des stratégies pour faire face à cette « épidémie ». Les proches qui s’occupent de leurs parents malades sont une ressource inestimable pour notre société. En effet, les soins « gratuits » qu’ils prodiguent à leur proche malade constituent une économie massive pour les coûts de la santé. Par ailleurs, les proches aidants sont particulièrement vulnérables sur les plans psychiques et physique et ce dû à la charge importante de travail que leur confère leur statut. Nous devons donc prendre soin de ces précieux collaborateurs. La Consultation psychologique pour Proches Aidants a été mise sur pied à cet effet. Suite à une brève présentation de notre consultation, nous illustrerons notre pratique au travers de trois vignettes cliniques correspondant à trois moments-clés de la maladie : l’annonce du diagnostic de démence, la vie au quotidien avec le malade, et l’entrée en maison de retraite. Mots-Clefs : Proche aidant, aidant naturel, aidant informel, Alzheimer, Démence, Soutien psychologique, Conseil, Prévention, Psychothérapie Family caregiver, counseling during time The aging of the population is increasing. The Swiss Alzheimer’s Association (Association Alzheimer SUISSE) predicts that in 2050 every eighth person over sixty-five will suffer from dementia. It seems thus imperative to set up strategies to face this « epidemic ». Caregivers that look after their ill family member represent an unestimated resource for our society. Indeed, the « free » help they dispense to their ill close one constitutes massive savings for our society’s healthcare costs. Furthermore, caregivers are particularly vulnerable on psychological and physical levels due to the important workload their special status confers on them. Therefore, we must take care of these invaluable collaborators. The Caregivers’ Psychological Consultation was set up for this purpose. After a brief presentation of our consultation, we will illustrate our work through three clinical vignettes matching three key moments throughout the illness: the dementia diagnosis, everyday life with an ill family member, and entering a nursing home. Keywords: Caregiver, Family caregiver, Friend caregiver, Natural caregiver, Informal caregiver, Alzheimer’s desease, Dementia, Psychological support, Counseling, Prevention, Psychotherapy INTRODUCTION La maladie d’Alzheimer et les autres pathologies apparentées représentent un important défi en termes de santé publique. On évalue à 8 000 le nombre de personnes atteintes de démence uniquement dans le canton de Vaud en Suisse. Les patients étant souvent entourés de proches, le nombre de personnes concernées s’élève à 30 000. En 2007, les coûts globaux pour ces pathologies sont estimés à 6,3 milliards de francs pour la Suisse. De par les perspectives démographiques attendues, ces chiffres devraient encore évoluer de manière préoccupante. Selon l’Association Alzheimer Suisse, en 2050, une personne de plus de 65 ans sur huit sera atteinte de démence (Service de la santé publique, 2010). Dans ce sens, un « Programme Alzheimer » a été mis en place au niveau cantonal en 2010. Ce dernier est chapeauté et largement financé par le SASH (Service des Assurances Sociales et de l’Hébergement). Notre Consultation psy- chologique pour Proches Aidants (ciaprès CPA) née en 2007 au sein du Service Universitaire de Psychiatrie de l’Âge Avancé (SUPAA) a pu trouver un nouvel élan au travers du soutien du SASH à partir de 2010. Les missions principales de la CPA sont notamment : d’offrir à tout proche aidant désireux, un soutien psychologique et psychothérapeutique, d’offrir des prestations de type « conseil spécialisé » de manière à développer les compétences des proches aidants, et de proposer ponctuellement à des prestataires de soins un accompagnement quant à certaines situations complexes au travers d’une réflexion sur les dynamiques du système « soignant – soigné – famille ». Il existe plusieurs termes pour qualifier les personnes s’occupant d’un malade. Nous avons choisi d’utiliser le terme proche aidant car il est, à notre sens, plus représentatif du rôle joué par l’entourage intime, qui ne correspond ni à quelque chose de naturel, ni au qualificatif d’informel, le travail fourni par les proches soulageant considérablement la société (en moyenne 50 heures de travail actif1 par semaine, soit plus d’un travail à temps plein) (Association Vaudoise d’Aide et de Soins à Domicile, 2012). Selon plusieurs auteurs (Bocquet et Andrieu, 1999 , Tyrrell, 2004 , Zarit et Edwards, 1996), le stress éprouvé par le proche aidant peut être conditionné par trois éléments : son contexte de vie comprenant ses ressources psychologiques, familiales, sociales et financières , les facteurs de stress primaires, regroupant les éléments liés à l’aide apportée au malade (temps, nature des soins, agressivité du malade pouvant se sentir infantilisé par certains gestes) et les facteurs de stress secondaires qui se rapportent aux conséquences de l’aide fournie au malade (isolement social, diminution voire absence de loisirs et de temps pour soi, fatigue, conflits familiaux, répercussions sur l’activité professionnelle). Dans notre consultation, nous ciblons l’ensemble de ces facteurs de stress : nous pouvons, par exemple, proposer au proche de travailler sur ses résistances à déléguer des soins à des professionnels afin de préserver la qualité de sa relation avec son parent et de s’accorder quelques heures durant lesquelles il pourra s’adonner à ses occupations. Ainsi les objectifs de la CPA sont d’offrir un lieu d’écoute et de soutien psychologique aux proches. Ceci de manière à mobiliser et développer leurs ressources ainsi que leur permettre de reconnaître leurs limites afin qu’euxmêmes ne tombent pas malades. Comme déjà évoqué plus haut, notre consultation est inscrite au sein d’un Service Universitaire de Psychiatrie de l’Âge Avancé et en ce sens intervient de manière transverse, d’une part en ayant une activité au sein des différentes unités du Service (hôpital de jour, consultation psychiatrique ambulatoire, équipe mobile, unité de liaison psychiatrique, …), et d’autre part en collaborant étroitement 1 Ces 50 heures ne comprennent pas le temps de présence ni celui de vigilance que les proches doivent également assumer Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 71 Le travail avec les familles en hôpital de jour avec d’autres institutions de santé (médecins traitants, consultations mémoire, autres départements de l’hôpital universitaire : gériatrie, urgences, …) ou d’hébergement (des Centres MédicoSociaux d’aide et de soins à domicile, des Structures de Préparation et d’Attente à l’Hébergement en maisons de retraite (SPAH), des Etablissements MédicoSociaux (EMS), …). Pour faciliter ces collaborations, nous nous déplaçons régulièrement dans les différentes structures ou au domicile de proches qui ne peuvent pas venir sur notre lieu de consultation principal. Cette mobilité est parfois nécessaire afin d’établir un premier lien lors d’une demande hésitante. Toujours dans ce sens, nous demandons aux professionnels de la santé avec lesquels nous collaborons de nous présenter aux proches et de leur demander leur accord pour que nous les contactions. En effet, nous avons constaté que les proches aidants ne sont pas aisément enclins à demander de l’aide, et ce même lorsqu’ils se retrouvent en grande détresse. Seulement une minorité des proches en possession de nos coordonnées nous contacte spontanément. Actuellement, forts de ce constat, nous appelons les proches pour fixer un éventuel premier entretien. Si ces derniers ne ressentent pas le besoin de venir de suite, nous leur proposons alors de reprendre de leurs nouvelles dans les mois qui suivent. De cette façon, le lien est maintenu et les proches se sentent libres de disposer de ce soutien. Finalement, nous nous engageons à communiquer avec le professionnel qui nous a adressé la demande et de lui transmettre, avec l’accord du proche, les informations qui nous semblent importantes. Au sein des unités hospitalières et de l’hôpital de jour, les équipes infirmières apprécient généralement la collaboration avec la CPA. En effet, la création d’un espace spécifiquement destiné au soutien des proches aidants permet aux équipes soignantes de prendre une certaine distance avec des situations familiales complexes et ainsi de se consacrer plus sereinement aux soins directs du patient. Il y a de ce fait une répartition des rôles qui se révèle fructueuse. De plus, lorsqu’un suivi des proches aidants a pu se faire en amont d’une éventuelle hospitalisation, ces derniers sont souvent mieux informés au moment de la prise en soins du patient. Ceci diminue considérablement l’anxiété de l’entourage voire du patient lui-même, de manière indirecte, avec très souvent une régression des SCPD2. La CPA, comme évoqué plus 2 Symptômes comportementaux et psychologiques de la démence 72 haut, intervient également sur demande auprès des équipes soignantes pour des situations qui se révèlent touchantes et difficiles. Maintenant que nous avons décrit quelques aspects concrets de notre consultation, nous allons développer les prestations à proprement parler que nous proposons aux proches aidants. CAS CLINIQUES Bien que les craintes et la souffrance induites par un processus démentiel soient omniprésentes tout au long de l’évolution de la maladie, chaque stade de cette dernière occasionne certaines plaintes et demandes spécifiques des proches. Ainsi les problématiques travaillées en entretien avec les proches varient selon le stade de l’évolution de la maladie. Nous allons présenter trois vignettes cliniques qui ne sont pas représentatives de toutes les problématiques rencontrées, mais qui ont l’avantage d’illustrer en partie notre travail. Nous vous proposons de nous suivre dans l’accompagnement de ces proches que nous avons rencontrés lors de moments charnières de l’évolution du processus dégénératif du patient. Après les symptômes qui amènent à la première consultation, faite la plupart du temps auprès du médecin généraliste, débute souvent une démarche auprès de structures médicales spécialisées. Celle-ci débouchera sur une annonce de diagnostic. Ce dernier est souvent difficile à établir de par la complexité des tableaux. De plus, il est généralement annoncé en plusieurs fois et avec des informations qui ne sont pas toujours intelligibles ou assimilables affectivement pour les patients et les proches qui les accompagnent. En effet, la temporalité de la procédure de diagnostic n’est souvent pas la même que la temporalité nécessaire au patient et aux proches pour entrer dans un processus d’acceptation. On a en tête, ici, les étapes de deuil décrites par Kübler-Ross (2009) (déni, colère, marchandage, dépression, acceptation). Cela peut donc engendrer une grande souffrance qui mérite d’être accompagnée et partagée. Ceci peut diminuer le développement de problématiques surajoutées comme une dépression prolongée par exemple. Cette première étape est évidemment vécue de manière très différente par chacun, avec toutefois des questionnements et de l’anxiété qui se retrouvent dans de nombreux entretiens : « Mon conjoint change, mais je ne comprends pas pourquoi », « Je refuse cette maladie », « Vais-je réussir à supporter les troubles de mon conjoint et à l’accompagner ? » Suite à l’annonce du diagnostic arrive une deuxième étape : le processus dégénératif provoque irrémédiablement une péjoration de l’état du patient, amenant de nouveaux troubles. Ce déclin nécessite de constantes réadaptations et réaménagements au quotidien. Les symptômes devenant de plus en plus manifestes, ils impliquent une charge de travail conséquente. Parallèlement, cette adaptation doit s’accompagner d’un travail affectif de la part du proche. Que lui renvoie la maladie du patient ? Que cela signifie-t-il pour lui ? Les rôles relationnels doivent être redéfinis (« Je ne peux plus m’appuyer sur mon mari »). Cette souffrance est fréquemment accompagnée d’agressivité au sein de la dyade patientproche. Le proche, seul, angoissé et fatigué décharge une certaine amertume contre ce conjoint qui ne remplit plus son rôle. Le patient peut, quant à lui, avoir de la difficulté à accepter sa dépendance et se sentir infantilisé par le soutien que le proche lui fournit. Cette étape est souvent marquée par un questionnement et une culpabilité ; il n’est pas rare qu’une demande d’aide de la part du proche soit perçue par lui-même comme une équivalence de détachement ou d’abandon. Dans un troisième temps, la gravité des symptômes et l’épuisement du proche rendent inévitable un placement en maison de retraite. Après avoir passé tant d’années ensemble, la séparation peut être difficile à vivre. Elle annonce, à nouveau, de manière évidente la future perte de l’être aimé. Une fois le patient placé, le proche se retrouve face à un énorme changement dans l’organisation de son quotidien, changement souvent difficile à accepter. Une préoccupation quotidienne laisse place à un grand vide temporel, social et affectif. « Je lui consacrais tout mon temps, je ne sais plus quoi faire » ; « Je vais tous les jours lui rendre visite à l’EMS » , « Je me sens coupable de me sentir soulagée » , « J’ai peur, l’EMS, on en sort que les pieds en avant ». Mme T. ou l’acceptation du diagnostic Mme T. nous a été adressée par le Centre Leenaards de la Mémoire (CLM). Son mari venait de recevoir le diagnostic de démence précoce d’Alzheimer à 51 ans. Suite à cette annonce, Mme T. était dans un profond désarroi : perdue, elle était en recherche de sens et d’explications. M. T., ancien co-directeur d’une PME, licencié depuis peu, n’était plus capable de travailler en raison de ses pertes de mémoire. Cette situation a engendré des problèmes financiers, une réorganisation du quotidien, une angoisse face à l’avenir, de l’incompréhension et des conflits de couple. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Les proches aidants : une consultation au fil du temps Il a été difficile pour Mme T. de recevoir le diagnostic. D’une part, la précocité des troubles rendait l’annonce d’autant plus inacceptable et d’autre part madame avait une représentation de la maladie qui ne correspondait pas à la symptomatologie débutante observable alors chez son mari. En effet, bien qu’il se soit fait licencié, le patient pouvait encore assumer son rôle de mari et les changements de son comportement au quotidien ne semblaient que débuter. Mme T. expliquait qu’elle doutait du fait que son époux oublie vraiment certaines choses ou n’arrive plus à s’organiser et se demandait par conséquent s’il n’y avait pas un manque de volonté de sa part. Elle se trouvait devant un véritable dilemme interne : accepter la maladie représentait alors l’annonce assurée d’un deuil lent et douloureux et ne pas l’accepter l’amenait à se demander comment comprendre ces changements chez son mari. Le déni, comme mécanisme de défense, même s’il représente une phase normale et attendue du processus d’acceptation, a cependant un “coût” : il confrontait, à ce moment, Mme T. à un manque de sens, des doutes et de l’anxiété (« S’il fait exprès, c’est qu’il n’aime plus notre couple », « À chaque fois qu’il déplace ce que je viens de ranger, j’ai l’impression qu’il cherche à me provoquer »). Le déni a bien évidemment une fonction protectrice, mais s’avère rapidement dysfonctionnel. Pour amener Mme T. à accepter la maladie diagnostiquée, nous avons commencé par lui décrire les symptômes de la démence, ceci afin de l’aider à faire des liens entre ces derniers et ce qu’elle pouvait observer tous les jours. Il a fallu pour cela respecter la temporalité nécessaire à la digestion de l’annonce. Une fois la maladie de son époux comprise, il lui a alors été possible de prendre conscience de nouvelles émotions et de les nommer (tristesse, frustration, sentiment d’impuissance). Mme T. a progressivement pu amener en séance les troubles qu’elle observait chez son mari et ses propres manières de réagir, sur lesquelles nous avons pu réfléchir. Il a également été possible d’aborder ses représentations de la maladie et de son évolution, ce qui a permis une meilleure compréhension et une diminution globale de l’anxiété et des conflits de couple. Mme L. ou l’évolution de la maladie Mme L. nous a été adressée par une consultation mémoire suite à l’annonce d’un diagnostic de troubles cognitifs légers chez son mari. Nous avons accompagné durant quatre ans Mme L. qui avait des difficultés à s’adapter aux changements imposés par la maladie de son époux. Les relations de couple étaient mises à mal par la passivité de monsieur. Passivité incomprise par Mme L. qui souffrait beaucoup des refus de son mari pour toutes activités communes. Ses tentatives pour le stimuler restaient sans effet. Mme était frustrée et agacée. Quant à M. L., il exprimait, lui aussi, son irritation. De plus, en dépit de ces nombreuses difficultés, Mme L. refusait toute aide. La maladie progressait et un diagnostic de démence a été posé. Une chute à domicile a entrainé l’hospitalisation de monsieur et l’acceptation par madame, alors dépassée par la situation, de mettre en place un réseau de soins pour son mari. Mme L. avait constaté une péjoration de l’état de son mari depuis l’annonce du diagnostic. Elle devait lui rappeler de faire sa toilette chaque jour, l’aider pour s’habiller, lui remémorer qu’il avait déjà mangé son repas de midi. Il devenait de plus en plus dépendant d’elle pour les activités du quotidien. Mme L., de son côté, se sentait seule responsable du bienêtre de son époux et anticipait ses moindres besoins, ce qui la mettait dans un constant état d’alerte et de tension. Paradoxalement, elle était par moment très exigeante avec lui, lui demandant d’assumer toutes les choses qu’il faisait encore par le passé (qu’il tienne une discussion, qu’il prenne des initiatives). À force d’être toujours après lui, elle finissait par le surstimuler et avait tendance à n’accorder aucun moment de répit ni à elle, ni à son mari. Après avoir mis en évidence la fatigue engendrée par son hypervigilance, Mme L. a pu reconnaître son épuisement, ce qui permis d’essayer de comprendre pourquoi elle se mettait dans une telle situation. Mme L. a finalement pu donner un sens à ses comportements apparemment contradictoires. D’une part, elle entretenait ainsi un secret espoir de prévenir la péjoration des symptômes de son mari et d’autre part, elle a abordé un autre point qui nous semblait très important : elle avait peur que son mari ne la reconnaisse plus et l’oublie. Nous avons en tête ici les propos de Jacqueline Schaeffer sur l’investissement narcissique au féminin « chez les femmes c’est leur corps tout entier qui est investi, mais celui-ci est dépendant de la réassurance du regard de l’autre (…) le besoin de reconnaissance du narcissisme phallique c’est d’être admiré, celui du narcissisme féminin est d’être désirée (…) elle construit son objet libidinal sur le désir d’être désirée ». Nous avons souligné l’impact de cette inquiétude dans son quotidien : être constamment après son époux s’avérait être à son sens une bonne stratégie pour rester présente dans sa mémoire et maintenir une intégrité narcissique. Cet état d’hypervigilance a également amené M. L. à se sentir infantilisé. Il vivait mal que son épouse puisse faire les choses à sa place et n’acceptait pas qu’elle lui parle parfois comme à un enfant. Les entretiens ont permis à madame de reconnaître et de se centrer sur des compétences et des aspects de son mari que la maladie n’avait pas affecté. Nous avons également réfléchi ensemble à la manière de valoriser ce que son conjoint pouvait toujours faire seul et sans surveillance, par exemple regarder une émission de télévision. Mme L. a pu progressivement s’ajuster aux besoins constamment en redéfinition de son mari. Cette élaboration lui a également permis de se décentrer et d’avoir un regard sur ses attentes, ses craintes et ses comportements, ce qui a eu un effet bénéfique sur les mouvements agressifs qu’elle manifestait dans un premier temps (ton agressif, infantilisation, gestes brusques). Par ailleurs, cette prise de distance l’a amenée à prendre conscience des efforts fournis, des deuils nécessaires et ainsi de métaboliser la culpabilité en lien avec ses mouvements agressifs. Elle a ainsi pu identifier qu’elle était triste et en colère d’avoir perdu le soutien de son époux. Par la suite, Mme L. a réalisé la nécessité de se repositionner dans la relation à son mari. En effet, la dépendance grandissante du malade impliquait une remise en question de la dynamique du couple avec une redéfinition des rôles de chacun. Elle n’était plus seulement une épouse, mais ne se réduisait pas non plus à une soignante. Dans l’optique de rétablir un certain équilibre dans le couple, nous avons proposé à Mme L. de déléguer en partie ses tâches de soignante afin qu’elle puisse se consacrer à son rôle d’épouse. Suite à un refus initial des aides proposées, nous avons travaillé avec Mme L. sur ses résistances. Consentir à la mise en place d’un soutien impliquait pour elle de reconnaître ses limites et de s’y confronter : « Si je confie mon mari à quelqu’un d’autre, cela signifie que je ne suis pas capable de prendre soin de lui comme il faut ». Petit à petit, Mme L. a pu admettre la lourdeur de certaines tâches, comme la toilette intime de son mari qui était devenue une situation gênante pour l’un comme pour l’autre. Nous l’avons alors encouragée à se centrer sur des activités leur conférant du plaisir à tous les deux, comme les promenades par exemple. Mme L. avait également fait des promesses à son mari : « Je lui ai juré de prendre soin de lui jusqu’au bout ». Il s’agissait dès lors de lui faire prendre conscience des conflits de loyauté qui la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 73 Le travail avec les familles en hôpital de jour travaillaient. Nous l’avons aidé à réaliser qu’en acceptant une aide, elle ne laissait pas tomber son mari mais qu’au contraire, elle mettait tout en œuvre pour tenir cette promesse. En évitant de s’épuiser, elle pourrait le garder plus longtemps auprès d’elle à domicile. Finalement, madame a pris conscience de la lourde responsabilité et des risques inhérents à sa situation. En effet, en restant l’unique soutien de son mari, elle les exposait à de grandes difficultés en cas de problème : de son état de santé dépendait la prise en charge de son mari. « Je ne peux pas tomber malade ! S’il m’arrive quelque chose, qu’adviendra-t-il de lui ? ». Le moindre souci de santé devenait anxiogène et problématique. La crainte d’être oubliée de son mari à l’introduction d’aides externes (« S’il va en centre d’accueil la journée, me reconnaîtra-t-il à son retour à la maison ? ») a pu être raisonnée et Mme L. a réalisé l’importance de mettre en place un réseau d’aide avant d’être confrontée à une urgence. Le réseau de soin a finalement été accepté et dans les faits a été vécu comme un grand soulagement. Mme L. a même exprimé le regret de ne pas l’avoir mis en place plus tôt. Mme J. ou l’adaptation à la nouvelle vie en EMS Mme J. a contacté spontanément la CPA car elle vivait difficilement le placement récent de sa mère en maison de retraite. En effet, outre la tristesse de voir sa mère entrer en maison de retraite, Mme J. assistait impuissante à l’aggravation des troubles cognitifs de cette dernière avec comme conséquence principale une diminution de sa capacité à communiquer. Mme J., depuis toujours très proche de sa mère, était obnubilée par cette distance progressivement croissante imposée par l’aggravation de la maladie. Elle faisait donc son possible pour lui rendre régulièrement visite en dépit d’un emploi à plein temps aux horaires irréguliers. Peu à peu amenée à un important état d’épuisement, elle a finalement choisi de s’interroger sur sa manière de faire. Epuisée, Mme J. a décidé en accord avec son médecin de famille de placer sa mère en maison de retraite. Après le placement, Mme J. continuait à s’investir considérablement dans l’accompagnement de celleci. En effet, ses visites quotidiennes ne lui permettaient pas de profiter du répit que cette nouvelle situation aurait dû lui apporter. Nous avons donc essayé de comprendre l’ambivalence de Mme J. par 74 rapport à l’aide mise en place. Elle nous a d’abord confié ressentir un vide important depuis le placement de sa mère: « Je lui consacrais chaque moment où je n’étais pas au travail, et maintenant je ne sais plus quoi faire de mon temps libre ». Elle a également évoqué la culpabilité de se sentir soulagée de ne plus avoir à s’occuper autant de celle-ci. Ainsi, venir la trouver quotidiennement à la maison de retraite lui permettait de se rassurer et de combler le vide ressenti. Nous avons alors relevé le paradoxe du comportement de Mme J. qui mettait en échec les mesures qu’elle avait elle-même accepté d’établir pour se ménager. Lorsque nous avons questionné la raison de son attitude, Mme J. a décrit avoir toujours eu une relation de type fusionnel avec sa mère. Elle a ensuite réalisé que l’ampleur de son investissement auprès de cette dernière était une entrave à la possibilité de se séparer sereinement. En effet, en se dévouant entièrement à sa mère, elle serait confrontée à un vide d’autant plus insupportable lors de son décès. Par ailleurs, Mme J. a confié avoir une représentation négative de la vie en maison de retraite qui constituait à ses yeux le dernier lieu de vie d’une personne. Au fil des entretiens, elle s’est rendue compte que le placement était une étape dans l’évolution de la maladie de sa mère et marquait concrètement la fragilité de cette dernière. Elle a pu ainsi verbaliser sa peur de la voir mourir. Le suivi de Mme J. est toujours en cours. Elle réfléchit à son attachement et à la manière dont elle pourrait assouplir ce lien afin de se permettre d’investir autre chose et de s’adapter au mieux à la future disparition de sa mère. Si de nouveaux investissements ne sont pas encore apparus, le travail psychique, lui, est en cours. CONCLUSION L’accompagnement d’un parent souffrant d’une démence entraine une charge de travail conséquente et exige une adaptation continue à l’évolution de la maladie. Notre consultation pour proches aidants a pour objectif de les accompagner dans cette épreuve en adaptant son action aux besoins spécifiques de ces derniers. Nous tenons compte des ressources et des limites de chacun ainsi que des problématiques soulevées par le stade de la maladie auquel le proche est confronté. À travers la présentation de ces vignettes, nous avons souhaité souligner que les proches sont dans un premier temps généralement envahis par le choc du diagnostic et que les questions pratiques liées à la maladie prennent le dessus. Le “comment faire” ne laisse que peu de place à l’expression de leur ressenti. À ce stade, notre consultation vise à offrir un lieu où les proches peuvent se sentir pris en charge et épaulés. Nous les amenons progressivement à évoquer également leurs préoccupations quant à eux-mêmes et non plus uniquement celles concernant la maladie et/ou le malade. Ainsi, la pensée peut se libérer et l’émotion prend petit à petit sa place aux côtés du “faire”. Que ce soit pour se confier, prendre le temps de réfléchir à certaines questions, ou se remémorer des souvenirs, certains proches aidants ont besoin d’une écoute attentive et bienveillante. En effet, même en étant bien entouré, il est parfois difficile d’aborder certains sujets avec sa famille ou ses amis. Nous pensons ici aux sentiments de colère vis-à-vis du patient ou l’envie de parfois tout lâcher et penser à ses besoins. Prendre le temps de venir parler de son vécu de la maladie est une première étape vers l’acceptation de la mise en place d’un réseau d’aide plus étendu. Par nos illustrations, nous avons voulu montrer l’importance d’accepter de l’aide ainsi que la manière dont nous essayons d’engager les proches dans ces démarches et d’abaisser leur culpabilité à le faire. Prendre soin de soi, c’est prendre soin de l’autre. BIBLIOGRAPHIE 1. ASSOCIATION VAUDOISE D’AIDES ET DE SOINS À DOMICILE, Rapport : Evaluation de la charge et des besoins des proches aidants, 2012 2. BOCQUET H., & ANDRIEU S., Le burden : un indicateur spécifique pour les aidants familiaux, Gérontologie et Société, 1999, 89, 155-166 3. KÜBLER-ROSS E., Sur le chagrin et le deuil : trouver un sens à sa peine à travers les cinq étapes du deuil, Paris, JC Lattès, 2009 4. SCHAEFFER J., Désir à deux. Encore fautil qu’on soit deux ! Le risque de l’autre, Le Carnet PSY, 2013, pp. 59-61 5. SERVICE DE LA SANTÉ PUBLIQUE, Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : Politique de santé mentale : Programme 6, 2010 6. TYRREL J., L’épuisement des aidants familiaux : Facteurs de risque et réponses thérapeutiques, in GAUCHER J., RIBES G., & DARNAUD T., Alzheimer et l’aide aux aidants : Une nécessaire question éthique, Lyon, Editions Chronique Sociale, 2004 7. ZARIT S. H., & EDWARD A. B., Family cargiving: research and clinical intervention. In B. Woods & L. Clare ed. Handbook of the Clinical Psychology of Ageing, 2nd ed., Chichester: Wiley, 2008, 333-367 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 MÉTAMORPHOSE D’UN VILAIN PETIT CANARD TRAITEMENTS PARALLÈLES MÈREENFANTS Centres de Réadaptation Ambulatoire « Le Saule » 56, rue du Saulchoir 7540 KAIN BELGIQUE « Le Cep » 41, rue du Crampon 7500 TOURNAI BELGIQUE [email protected] Sophie LESEULTRE, Jean-Paul LECLERCQ Cet article raconte l’histoire thérapeutique d’une mère psychiquement invalidée par des démons transgénérationnels. Il démontre les bénéfices du profond et durable engagement relationnel de la mère et de la thérapeute dont elle avait fait le choix. Cette relation thérapeutique a permis l’épanouissement personnel de cette mère mais aussi celui de ses enfants autistes. Les enfants dont le psychisme se structure dans les interactions précoces avec le psychisme de leur figure d’attachement ont bénéficié du mieux-être psychique de leur mère. L’épanouissement de leur mère a ainsi permis de maximaliser le bénéfice tiré par ces enfants de leurs traitements individuels menés parallèlement. Mots-clefs : Autisme ; Handicap ; Transgénérationnel ; Inceste ; Intrication psychique ; Traitements Parallèles mère/enfants ; Emotion empathique ; Orthodoxie du cadre. Metamorphose of a naughty ugly duck (Parallel treatments mother – children) This article tells a mother’s therapeutic story who was psychically invalidated by transgenerational devils. It demonstrates the profits of the profound and sustainable relational between the mother and the therapist she had chosen. This therapeutic relation allowed the mother’s self-fulfillment but also that of her autistic children. The children whose psyche forms itself in the premature interactions with the psyche of their figure of attachment has took advantages of the psyche well-being of their mother. Their mother’s self-fulfillment allowed in this way the maximization of the derived profits for these children coming from their individual treatments led in parallel. Keywords: Autism, handicap, transgenerational, incest, psyche intricacy, parallel treatments mother / children, empathic emotion, frame orthodoxy. INTRODUCTION Notre dispositif thérapeutique Voici quelques années, nos centres de réadaptation fonctionnelle Psy (C.R.F. Psy) ont été rebaptisés Centres de Réadaptation Ambulatoire (C.R.A.). Cette nouvelle appellation traduit mal la spécificité de notre travail psychothérapeutique. Elle met par contre l’accent sur notre modalité de travail ambulatoire, modalité qui nous différencie du fonctionnement d’un Hôpital de jour. Les enfants et adolescents soignés dans nos C.R.A. y bénéficient de traitements au rythme de deux à quatre séances hebdomadaires. Chacune de ces séances a une durée de 1 à 2 heures, le plus souvent 1H30. En dehors de ces temps thérapeutiques, les enfants et adolescents sont scolarisés dans des écoles ordinaires ou spécialisées. Les enfants et adolescents soignés sont affectés de pathologies psychiques de gravité variable. L’Hôpital de jour le plus proche de nos centres se situe à plus de 80 kilomètres. Ceci explique que nous soignons également des enfants affectés de pathologies psychiques très lourdes, d’enfants qui, dans d’autres régions, fréquentent des Hôpitaux de jour psychiatriques. En dehors de certains moments limités, les vacances scolaires par exemple, nos centres n’organisent pas de groupes de vie communautaire. La majeure partie du travail se réalise en séances individuelles. En fonction des obligations de notre convention avec l’I.N.A.M.I. (pendant belge de la sécurité sociale), chaque enfant bénéficie d’un traitement dans un minimum de deux disciplines thérapeutiques. L’équipe thérapeutique de base est constituée de logopèdes (orthophonistes), ergothérapeutes, kinésithérapeutes, psychomotriciens, thérapeutes du développement psychomoteur et psychologues. Cette “équipe thérapeutique de base” est soutenue par des médecins (pédopsychiatres et neuropédiatre), par une assistante sociale, un éducateur et une infirmière. Une équipe logistique et administrative complète le cadre. Notre projet thérapeutique vise à structurer au mieux la personnalité de nos jeunes patients en utilisant les médiations thérapeu- tiques que constituent les formations spécifiques de chaque professionnel. Chaque thérapeute avec ses outils spécifiques, avec ses techniques rééducatives, travaille à deux niveaux complémentaires. Il travaille ainsi les aspects instrumentaux sans oublier que le temps, l’espace, le rythme et les apprentissages constituent aussi des instruments de l’identité. A travers les techniques rééducatives, il travaille également la relation par laquelle un enfant construit et structure son psychisme. A cet effet, les thérapeutes bénéficient d’une supervision hebdomadaire en petits groupes de deux ou trois. Cette supervision a pour projet une analyse des relations transférentielles et contretransférentielles que nouent enfants et thérapeutes (le contre-transfert est ici conçu comme les réactions que suscite le mode d’être de l’enfant. Il ne vise pas les éléments plus personnels et intimes du thérapeute). Outre l’appui et l’éclairage de cette supervision, l’interdisciplinarité constitue un soutien important pour assumer un travail thérapeutique parfois éprouvant. Le ciment de l’interdisciplinarité unifie le travail thérapeutique et, par ricochet, les enfants qui en bénéficient. Le ciment de l’interdisciplinarité gît dans les réunions d’équipe mais également dans la richesse de la vie d’équipe et dans les nombreux contacts interstitiels. Enfin, pour être complet, je mentionne que tout processus thérapeutique commence par une période de bilans d’un maximum de trois mois. Une réunion de synthèse clôture cette période de bilans et permet d’affiner le diagnostic et de tracer les pistes et objectifs thérapeutiques. Ces pistes et objectifs font alors l’objet d’un échange et d’une proposition aux parents de l’enfant. LE RÉSEAU La mode actuelle est aux réformes. Les soins de santé mentale pour enfants et adolescents n’y échappent pas. Les sept Ministres de la Santé (!) compétents pour cette matière au sein de l’architecture Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 75 Le travail avec les familles en hôpital de jour institutionnelle compliquée de la Belgique accélèrent actuellement une réforme articulée autour des notions de réseau et de circuits de soins. Associé en qualité d’“expert” à la réflexion de cette réforme, je n’ai de cesse de rappeler que le travail en réseau est consubstantiel aux soins de Santé Mentale pour enfants et adolescents. De même, je ne manque aucune occasion de rappeler que ce travail ne souffre aucun formatage administratif ou informatique. Ce travail en réseau doit pouvoir garder sa souplesse d’activation et garantir la singularité du “réseau” propre à chaque enfant. Pour signifier la vivacité d’un tel réseau, je lui préfère le terme de “tissu sociétal”. Ce terme me paraît mieux rendre compte de la nécessaire adaptation des collaborations qu’imposent la compréhension clinique d’un enfant et la réflexion des soutiens dont il a besoin. En fonction de la singularité de chaque enfant, appel sera fait aux professionnels des divers champs sociétaux (le social, le pédagogique, le judiciaire, le psycho-médical, ...) sans, bien évidemment, oublier la famille. En cohérence avec mon propos, il me faut donc maintenant vous présenter le Tissu sociétal singulier dans lequel évoluent les deux enfants autistes de la mère dont on vous parlera plus loin. Le Service de Santé Mentale (S.S.M.) Cette structure est un lieu de consultation ambulatoire dont le fonctionnement est proche de celui d’un Centre MédicoPsychologique Français. L’aîné des enfants dont nous vous parlerons a bénéficié au sein de ce S.S.M. d’une thérapie de développement psychomoteur au rythme de deux séances mensuelles. Cette thérapeute a conseillé à la mère de prendre contact avec notre C.R.A., afin d’intensifier le rythme des traitements. Le pédopsychiatre qui assume les supervisions au sein de notre C.R.A. travaillait également au sein de ce S.S.M. Il y rencontrait la mère des enfants, en compagnie de la thérapeute du développement. L’école spécialisée Les deux enfants dont nous vous parlerons fréquentent la même école d’enseignement spécialisé implantée à une petite dizaine de kilomètres de notre C.R.A. Cette école fondamentale (maternelle et primaire) accueille des enfants affectés de débilités modérées et sévères, mais également des enfants affectés de handicaps physiques ou d’autisme. 76 Le « SUSA » Ce « Centre de référence autisme » a développé des services qui interviennent dans les différents milieux de vie des enfants autistes. Ses références sont principalement cognitivo-comportementales. En l’occurrence, il est peu intervenu dans la famille. Par contre, il a développé une collaboration privilégiée avec l’école spécialisée fréquentée par les deux enfants. Cette collaboration s’articule surtout autour de la méthode TEACH. Le service d’aide précoce C’est un service subsidié par l’Agence Wallonne de la Personne Handicapée (AWIPH). Il intervient surtout à domicile pour aider les parents à assumer l’irruption traumatisante du handicap et y adapter leur éducation. La Pédopsychiatre stagiaire Déjà diplômée en pédopsychiatrie, elle poursuivait au sein de nos centres, une “surspécialisation” en réadaptation. Voilà donc brossé le cadre institutionnel et le contexte dans lequel s’est inscrit le travail clinique au bénéfice d’une mère et de ses deux enfants. UNE MÉTAMORPHOSE Au regard de la fonction d’assistante sociale, le travail réalisé avec Madame D. s’est avéré très particulier. Durant de très longs mois, il a suscité nombre de questions et de réflexions relatives au cadre, à la fonction et à aux limites. Mes rencontres avec Madame D. ne dépassaientelles pas ces limites ? Avaient-elles une pertinence ? Correspondaient-elles à mon rôle ? Avais-je les compétences pour mener ce travail thérapeutique ? Madame D. n’aurait-elle pas dû consulter un Psy ? Je n’étais pas la seule à me poser cette dernière question. D’autres professionnels rencontrés par Madame D., dans d’autres services, lui ont suggéré de consulter un Psychiatre d’adulte. Elle suivit ce conseil mais cette tentative de rencontre Psy avorta rapidement. Madame D. revînt, s’accrocha à moi comme une naufragée à une bouée. Je fis donc le choix de me laisser entraîner dans les chemins tortueux dans lesquels elle m’entraînait. Dans le décours de ce travail, se posa la question d’une supervision par le pédopsychiatre du centre. Sans doute, cela m’aurait-il aidée à me raccrocher à une élaboration théorique. Celle-ci m’aurait rassurée dans les profonds moments de doutes qui m’assaillaient. J’ai pris le risque de poursuivre mes éprouvantes rencontres avec Madame D., dans une certaine solitude. D’une part, il me répugnait de partager avec d’autres l’intimité de Madame D. J’aurais eu la désagréable impression de la trahir, même en faisant appel à la notion du secret partagé. D’autre part, il me semblait impossible de parler de Madame D. avec un superviseur qui la rencontrait dans un autre contexte, celui du Service de Santé Mentale où il exerçait également. Tout au long de mon travail avec Madame D., j’ai eu l’intuition qu’il était important d’éviter une contamination de ses différents interlocuteurs. Il me semblait important qu’elle puisse différencier ses interlocuteurs et sa relation avec eux, qu’elle puisse cloisonner les endroits où elle les rencontrait pour conforter ses propres limites identitaires. Honnêtement, il me faut cependant convenir qu’il m’est arrivé, dans mes moments de plus grand doute, de recourir à une collègue pour me rassurer. Des échanges furent parfois nécessaires et d’un grand secours pour retrouver un peu de lumière au bout du tunnel dans lequel je m’étais laissé entraîner. Le travail avec Madame D. témoigne, à mon sens, de la nécessaire prise de risque à laquelle nous confrontent les choix de nos patients. Le “pari d’une rencontre” nous amène parfois à sortir des sentiers battus de l’orthodoxie de la fonction et du cadre. Les premiers entretiens Ma première rencontre avec Madame D. date de janvier 2003. Elle est adressée à notre C.R.A. par une thérapeute du développement psychomoteur qui traite son fils aîné dans un Service de Santé Mentale. Cette thérapeute a donné mon nom comme personne de référence afin que Madame D. sollicite pour son fils aîné un suivi thérapeutique. Patrick, âgé de 3 ans 3 mois, présente une pathologie du spectre autistique. Lors d’un contact, la thérapeute du développement m’avait parlé de Madame D. comme d’une dame très fragile, une « petite fille » qu’il fallait sécuriser. De fait, dès le contact téléphonique avec Madame D., pour une prise de rendez-vous, je perçois sa fragilité, son immense manque d’assurance. Je garde cette impression lorsqu’elle se présente au premier rendez-vous. Elle est accompagnée de Patrick mais également de Philippe, puîné, âgé de 13 mois, et de sa propre mère. D’emblée, dès que j’aperçois Madame D., sa physionomie me fait penser à une “mongolienne”. Ultérieurement, j’observerais encore le facies débilisé de Madame D. dans toutes les situations de déliaison. Il en était ainsi lorsqu’elle conduisait ses enfants à l’école, lorsqu’elle était sous la domination de sa mère ou sous le pouvoir de son compagnon. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Métamorphose d’un vilain petit canard traitements parallèles mère-enfants Rapidement, dans le cadre du premier entretien, cette impression de débilité s’estompe. Madame D. m’apparaît métamorphosée lorsqu’elle sourit, lorsque son visage s’anime dans une grande mobilité. Reconnue dans un lien signifiant et valorisant, elle offre une image au contraste saisissant. Alors que nous sommes consultés pour Patrick, l’aîné, je suis également interpellée par mes observations concernant son frère cadet. D’une part, il présente un facies dysmorphique et un défaut de contact. D’autre part, il me semble victime d’une contention inadéquate agie par sa grand-mère. Alors qu’il en est au début de la marche, il est maintenu fermement sur les genoux de sa grand-mère. Je m’opposerai quelque peu à cette grandmère par trois interventions successives pour qu’elle consente enfin à le laisser explorer le local et les armoires contenant des jeux. Quelques semaines plus tard, Madame D. se présente au second entretien préliminaire avec son compagnon, père des deux enfants. Je mène cet entretien conjointement avec une psychologue du service. En fin d’entretien, celle-ci évoquera la prochaine rencontre avec les parents : cette rencontre ultérieure se tiendra après la période de bilan et nous prendrons alors position concernant un éventuel suivi thérapeutique de Patrick. Le doute ainsi émis concernant le suivi thérapeutique du fils aîné provoque une énorme détresse que je lis dans le regard de Madame D. Emue par cette détresse, je m’oppose quelque peu à ma collègue en assurant Madame D. d’un suivi qui, tenant compte de la pathologie de Patrick, ne fait pour moi aucun doute. Un programme thérapeutique Lors de la réunion de synthèse clôturant la période de bilan, nous décidons : un traitement interdisciplinaire au profit de Patrick, un suivi neuropédiatrique des deux enfants par le Médecin consultant en notre C.R.A, une proposition aux parents d’entretiens réguliers avec la pédopsychiatre stagiaire et une psychologue, le soutien aux rencontres mensuelles de Patrick et de sa mère au Service de Santé Mentale avec la thérapeute du développement psychomoteur, accompagnée du pédopsychiatre lors des rencontres où le père était présent. L’élaboration d’une demande Deux semaines plus tard, je croise Madame dans les couloirs du C.R.A. alors qu’elle conduit son fils à son traitement. Elle sollicite un rendez-vous pour compléter un formulaire d’allocations fami- liales. Je lui fixe un rendez-vous la semaine suivante. Lorsque je la reçois, elle a oublié le formulaire des allocations familiales et ne se souvient même plus qu’elle avait utilisé ce prétexte une semaine plus tôt. Par contre, au cours de cet entretien, elle me dit tous les espoirs qu’elle met dans les rencontres avec la pédopsychiatre stagiaire et la psychologue. Elle espère que son compagnon parlera ! (Plus tard, ces entretiens tourneront court sans que je ne sache pourquoi). Au cours de cet entretien durant lequel je la rencontre seule, pour la première fois, elle émet surtout le souhait de rencontres régulières. Je comprends que c’était le vrai motif de sa demande. Je continue à m’interroger sur les motifs qui ont amené cette femme à me témoigner une telle confiance. Un élément de réponse réside sans doute dans le cadeau qu’elle me fît, à l’approche de la fête des mères, d’une boîte de pralines « Mon Chéri ». Elle souhaitait me remercier, disait-elle, de l’aide que je lui apportais et de la patience dont je témoignais à son égard. Que ce cadeau soit intervenu à l’approche de la fête des mères témoigne sans doute du fait que je représentais pour elle une image maternelle, voire “maternante”. A ce sujet, il me faut ici anticiper quelque peu l’histoire de ma rencontre avec Madame D. pour signaler combien les relations de Madame D. avec sa propre mère me sont ultérieurement apparues pathogènes. Dans ce contexte, je pose l’hypothèse que mon opposition à la grand-mère des enfants visant à libérer Philippe de son emprise physique a constitué pour Madame D. un modèle. Ai-je ainsi initié ou fortifié un mouvement psychique visant à ce que Madame D. se libère de l’emprise psychique de sa mère et des fantômes du passé ? De mon côté, avais-je senti la vitalité psychique de cette femme, marquée par son apparence “mongolienne” pour ainsi avoir l’audace de reculer les limites de ma fonction et de mon cadre de travail. Simple assistante sociale, je me risquais à un travail thérapeutique avec une adulte au sein d’un centre subsidié et dédicacé aux traitements d’enfants. Un cocon symbiotique Pendant plus de deux ans, mes entretiens avec Madame furent émotionnellement très chargés. A peine assise sur sa chaise, Madame s’effondrait. Ma simple question « Comment allez-vous ? » déclenchait un torrent de larmes. A cette époque, j’ai très souvent éprouvé un terrible sentiment d’impuissance. Je nourrissais également une énorme angoisse de ne pas trouver les mots justes et suffisamment contenants que pour permettre à Madame de repartir un tant soit peu construite. La logorrhée et le caractère répétitif du discours de Madame allongeaient les rencontres. Je prévoyais toujours une heure et demie d’entretien et il arrivait très régulièrement que nous débordions de cet horaire. Elle éprouvait d’énormes difficultés à partir, continuait à parler dans le couloir,... tout en s’excusant mille fois de me retenir. A cette époque, je sentais un tel “gouffre” chez Madame que je lui proposais deux rendez-vous mensuels, avec une permanence de cadre, spatial et temporel. Les entretiens avaient toujours lieu le vendredi et, après un changement, se tinrent toujours dans le même local. Cette modification de local s’imposa à moi pour que Madame puisse bénéficier d’un lieu pare excitant. J’avais perçu son besoin d’un bureau “calfeutré”, à l’abri des bruits de la vie du centre. La moindre intrusion la déstabilisait. Je me devais d’être “tout à elle”, un peu dans un état de “préoccupation maternelle primaire”. Durant ces premières années, le contenu des entretiens tournait essentiellement autour de ses difficultés de couple, du handicap de Patrick, de son énorme culpabilité et de ses relations à sa mère. Ses relations de couple étaient telles que son compagnon n’était pas au courant de nos rencontres. Il n’était pas rare qu’il téléphone à sa compagne durant nos entretiens. Dans ce cas, Madame se liquéfiait sur sa chaise. Durant cette “période symbiotique”, plusieurs événements ont déstabilisé Madame et amplifié sa souffrance et sa culpabilité. Il en fût ainsi lors de l’entrée en enseignement spécialisé de Patrick, suivie un an et demi plus tard, par celle de Philippe, dans le même établissement. Il en fût ainsi lors de l’entame des études génétiques visant à rechercher la cause éventuelle d’une pathologie autistique frappant ses deux enfants (à noter que Philippe bénéficiait également depuis quelques mois d’un suivi thérapeutique en notre centre). Il en fût ainsi lors de son mariage, organisé par son compagnon dans la précipitation lorsque Madame fût rayée du chômage. Ce mariage, pour lequel elle avait été incapable de décider quoi que ce soit, ne ressemblait en rien à ses rêves romantiques. Il en fût ainsi lors du déni de sa mère quand elle tenta de lui parler des abus sexuels dont, jeune, elle avait été victime de la part d’un beaupère. Un transgénérationnel incestueux Pour faciliter la compréhension d’une histoire transgénérationnelle compliquée, il nous a semblé important de dresser un génogramme partiel des acteurs familiaux Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 77 Le travail avec les familles en hôpital de jour importants pour la mère (voir figure 1 en fin d’article). Ce génogramme nous permet de pointer les “répétitions” traumatisantes qui émaillent l’histoire familiale. Madame D. a un passé d’abus sexuels par son beau-père et de maltraitances actives par sa mère. Elle est en outre rongée de culpabilité pour s’être mise en couple avec le dernier compagnon de sa mère... même si c’est avec la “bénédiction” de cette dernière. Son compagnon, devenu ultérieurement son mari, est 11 ans plus âgé qu’elle. Les angoisses qui la paralysent et la tétanisent en toutes circonstances paraissent liées à cette histoire qui la laisse sans défense, ni agressivité aucune, avec un énorme manque de confiance en elle. Après cinq ans d’entretiens, Madame osera avec succès réinterroger sa mère sur l’histoire de sa lignée maternelle. Elle apprendra alors que sa mère, la grandmère maternelle des enfants, a elle-même été abusée par un compagnon de sa propre mère, grand-mère de Madame, arrière-grand-mère des enfants. Elle apprendra aussi que sa mère s’en était ouverte à sa propre mère qui ne l’a pas crue ! Elle apprendra encore que sa grand-mère, arrière-grand-mère des enfants, a été très amoureuse du futur père de Madame et aurait entretenu une relation avec ce représentant de la génération suivante. A l’époque, la mère de Madame était âgée de 13 ans et fréquentait un garçon de 17 ans que sa mère aurait séduit ! L’extrême porosité de la barrière des générations dont témoignent ces quelques bribes de l’histoire maternelle a-t-elle compliqué l’accès au symbolique et au langage des enfants ? La question mérite d’être posée. Elle sort de sa chrysalide Après plus de deux ans d’entretiens, je repère chez Madame la première amorce d’évolution psychique. Elle se pose clairement la question du lien entre le retard de langage de ses enfants et sa situation conjugale. Cette question sera suivie de l’élaboration et de l’expression d’un premier mouvement d’agressivité. Il faudra ensuite encore attendre six mois pour que, à la sortie d’une réunion avec les thérapeutes des enfants, elle ose critiquer son mari. Elle lui reproche certaines paroles alors qu’auparavant elle restait sans réaction, victime de son ironie. Au même moment, elle arrive à l’un de nos entretiens en m’annonçant trois questions : Qui sait quoi de son histoire personnelle ? (Le secret a-t-il été trahi ?) Suis-je encore disposée à la recevoir ? (la thérapeute de développement lui a resuggéré de consulter ailleurs !). “Accepterais- 78 je d’être son amie ?” est sa troisième question qu’elle oublie de poser et formule avec difficulté après que je lui rappelle qu’elle m’annonçait trois questions. En fait, elle avait rencontré une thérapeute dans une grande surface et celle-ci l’avait ignorée, avait feint de ne pas la voir. Elle avait été blessée dans son besoin de reconnaissance et manifestait une certaine colère vis-à-vis de cette professionnelle. A travers sa question, dont elle n’attendît aucune réponse, elle me demandait implicitement si j’étais faite du même bois, si, moi aussi, je l’ignorerais et risquais plus tard de l’oublier. A cette époque, après trois ans d’entretiens bimensuels, je sens Madame suffisamment forte que pour réduire le rythme des entretiens. Je lui propose de nous rencontrer une fois par mois. Le contenu des entretiens se modifie. Madame se positionne clairement en mère, elle pose des questions sur l’éducation et l’avenir de ses enfants, sur sa place et celle de son mari auprès des enfants, leurs fonctions parentales. Ses relations de couple trouvent également un nouvel équilibre. Plutôt que de craindre son mari, elle commence à s’en plaindre dans les entretiens. Monsieur sera même parfois amené à l’interroger sur l’image qu’elle offre de lui (Pour quoi vais-je passer ?). Il finira par lui confirmer « tu as changé ». La métamorphose Le “changement” évoqué par son mari se poursuit et se matérialise à différents niveaux. Elle réalisera qu’elle a toujours eu peur de la violence de son mari mais, qu’en fait, il ne l’a jamais frappée. Elle me dira que sa crainte était induite par sa mère. Dès lors, elle laissera son mari prendre progressivement sa place auprès de ses enfants, soutenue, dira-t-elle, par ma suggestion de lui accorder sa confiance. Parallèlement à l’évolution de ses relations maritales, elle ose s’affirmer face à sa belle-famille. Elle ose s’opposer à sa belle-mère. A son mari qui se plaint de cette attitude en disant qu’elle devient agressive, elle répond qu’elle ne comprend pas son absence de réaction face aux méchancetés de la grand-mère paternelle envers ses enfants. En fait, elle affirme son existence ce qui aboutira quelques semaines plus tard à une rupture d’avec sa belle-famille. Cette évolution interroge la surdétermination de l’histoire de la lignée maternelle par celle de la lignée paternelle. Cette dimension de l’histoire familiale n’a pas été explorée. Sa relation à ses enfants se modifie également. Contre l’avis des professionnels, elle entreprend l’éducation à la propreté sphinctérienne de ses enfants. Elle réussit à leur faire acquérir la propreté non seulement diurne mais également nocturne. J’ai alors perçu toute l’importance de l’évolution psychique de cette mère pour l’autonomisation de ses enfants. Loin de répondre à un “dressage”, les enfants avaient acquis la propreté en percevant que leur mère acceptait qu’ils se séparent d’elle et s’autonomisent. Secondairement, cette réussite constituera aussi un renforcement narcissique de sa qualité de “bonne mère”, renforcement d’autant plus important que les professionnels ne croyaient pas à la réussite de son entreprise. A cette époque, nos entretiens abordent nombre de thèmes relatifs à ses enfants. Nous parlons des attitudes éducatives qui devraient leur permettre de grandir et de préparer au mieux leur avenir. Nous échangerons notamment à propos de sa rigidité quand elle minute, à la seconde près, le temps de brossage des dents. Elle avait pris au premier degré les conseils médiatisés d’un brossage qui doit durer trois minutes, ce qui en fait s’avère très long ! Sa rigidité éducative est également mise à mal par les velléités d’autonomie du cadet, Philippe. Nous parlons notamment de la crise de ce dernier quand il s’oppose à sa mère pour le choix d’un pyjama de sa couleur préférée. A cet égard, je signale l’évolution conjointe du fils et de la mère. L’affirmation existentielle de sa mère a-telle permis l’autonomisation de Philippe ? Et inversement, l’opposition de son fils la confortait-elle dans son souhait de s’affirmer ? Dans une causalité circulaire, l’autonomisation de Philippe procure également un renforcement narcissique à sa mère. Elle est soutenue et confortée dans ses intuitions et sa compétence maternelle par le progrès de son fils cadet. Après avoir acquis la parole, il enrichit régulièrement son vocabulaire (Bien plus tard, il acquerra la lecture). Mais bien évidemment, les modifications relationnelles de Madame s’enracinent dans le changement profond de son mode d’être à elle-même. Elle se sent mieux dans sa tête. Elle a acquis une position de sujet de sa vie, assumant ses sentiments et émotions. Elle me dira « je suis en colère ». Elle affirme également « je veux profiter de la vie et ne plus attendre des autres ». Parallèlement, elle commence à s’occuper de son corps. Elle arrive enfin à soutenir un régime et perd 30 Kg après s’être posée la question existentielle « je veux vivre ou mourir ? » Cette question était survenue après un accident de circulation dont les circons- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Métamorphose d’un vilain petit canard traitements parallèles mère-enfants tances l’interpellaient, un accident dont elle cherchait le sens. Avait-elle perdu contact avec la réalité car perdues dans ses pensées ? Et quelles pensées ? Pensait-elle inconsciemment au suicide ? Rêvait-elle plutôt à un prince charmant ? Ne sont-ce pas là les deux côtés d’une même pièce ? Du côté pile, il y aurait les pensées suicidaires renvoyant à la pulsion de mort et à la dépression. Du côté face, il y aurait les rêves amoureux d’une sexualisation antidépressive renvoyant à la pulsion de vie. A cette époque, elle clôturera un entretien par l’affirmation « La vie est belle. Jamais, je n’aurais pensé dire cela un jour. Avant, j’étais trop romantique ! » La séparation Patrick évoluait beaucoup moins vite que Philippe. Plus âgé, il avait sans doute perdu une partie de sa plasticité psychique. Nous pensions même qu’il avait une influence négative sur le développement de son frère cadet. Après quatre ans de rencontre avec Madame D., nous avions décidé de suspendre le traitement de l’aîné. Madame D. avait vécu cette suspension comme un abandon. Cela avait ravivé ses angoisses et sa culpabilité. A cette époque, lors d’un entretien, je l’avais retrouvée pareille à celle que j’avais rencontrée quatre ans plus tôt. Elle s’était effondrée, en larmes, acceptant difficilement l’évocation par le pédopsychiatre d’une orientation future de Patrick, l’aîné, en service résidentiel. Empathique, je m’étais demandé si nous mesurions toujours l’impact psychique de nos paroles sur nos patients. Ce souvenir restait vivace au moment où, trois ans plus tard, nous avons réfléchi l’arrêt du traitement de Philippe. Je craignais l’impact de l’annonce de cet arrêt prévu six mois plus tard. Cela signifiait également l’arrêt de mes rencontres avec Madame. Durant ces six mois, j’ai travaillé à digérer la séparation pour éviter un vécu de rupture déstructurante. Madame se sentait de nouveau “abandonnée”. Elle craignait cet arrêt, consciente de sa fragilité et de son besoin d’échanger à propos de l’éducation de ses enfants. Elle manifestait son souhait de poursuivre nos entretiens encore un an ou deux. Enfin, arriva l’heure de notre dernière rencontre. Lors de celle-ci, Madame me surprend. Je suis époustouflée de l’entendre me dire, d’entrée de jeu : « Bon, si j’ai bien compris, c’est la dernière fois que nous nous voyons ! » Elle poursuivra en réévoquant notre parcours, ses pleurs, ses difficultés conjugales. Elle me fera le magnifique cadeau de me dire : « Même si je sais que ce n’est pas possible, j’aurais voulu vous avoir comme maman et le pédopsychiatre comme papa. Mais on ne choisit pas sa famille ! » J’aurais pu lui répondre que si l’on ne choisit pas sa famille, on peut s’appuyer sur des parents psychiques, ceux qu’intérieurement l’on considère comme ses père et mère symboliques. Avec son mari, pour la première fois, ils ont des projets de vacances en Espagne ! Pas pour y construire des châteaux, pour s’y retrouver en famille ! CONCLUSION Nos conclusions intègrent également l’une ou l’autre idée débattue avec les participants à l’atelier, à la suite de notre présentation. Nous remercions les participants de l’enrichissement de notre réflexion. Considérations cliniques Nos conclusions nous amènent d’abord à quelques considérations cliniques sur le plan diagnostique. Des hypothèses divergentes furent lancées concernant la structure de personnalité de Madame D. Certains évoquèrent la psychose en se référant notamment au concept de psychose ordinaire. D’autres, frappés par la rigidité de certaines défenses obsessionnelles, évoquèrent des enclaves psychotiques. D’autres encore soulignèrent certains vécus persécutifs de cette femme. Ce diagnostic structurel fût battu en brèche par d’autres participants. Le vieux concept de débilité psycho-affective paraissait notamment mieux rendre compte des difficultés de l’organisation de la personnalité de Madame D. A la réflexion, le débat renvoie sans doute à la question des frontières entre certaines débilités et la psychose, celle qui fait dire que certaines débilités sont des psychoses infantiles enkystées. Mieux vaut se débiliser pour se protéger d’une souffrance psychique insupportable. Par rapport à cette question, Madame D. peut apparaître être restée dans un “No man’s land diagnostic”.Elle n’a pas renoncé à son énergie vitale protégée par une façade débilisée d’apparence “mongolienne”. Elle témoigne de sa vitalité psychique par l’animation et la mobilité de son visage quand elle bénéficie d’une relation signifiante. Bloquée très précocement dans sa capacité d’opposition -affirmation, elle reste “une petite fille” insécurisée qui aura besoin de se ressourcer dans un cocon fusionnel pour reprendre son évolution. Peut-être faut-il parler d’une personnalité limite ? Peut-être devons-nous rester dans un certain inconfort et garder la souplesse d’une question ouverte ? Dans le cas présent, garder cette question ouverte n’a pas altéré la qualité du travail thérapeutique de l’assistant sociale. Que du contraire. Cela aurait par contre empêché de remplir les petites cases statistiques. Mais est-ce là notre mission première ? Trois enseignements relatifs aux dispositifs Notre présentation clinique nous amène sur un second plan à dégager trois enseignements relatifs aux dispositifs et politiques de Santé Mentale : Les professionnels ont tendance à pousser les familles d’enfants handicapés à s’ouvrir sur le monde surtout quand les familles, à l’image de celle-ci, apparaissent socialement très isolées. Les rencontres avec l’assistante sociale ont fait comprendre à Madame Leseultre combien ce souhait d’intégration pouvait être inadéquat. Ce souhait des professionnels, pour louable qu’il soit, peut négliger la souffrance des parents confrontés au regard des autres sur le handicap. Ce regard blesse les parents dans leur narcissisme et leur demande un courage important pour répondre à certains conseils, voire injonctions. Les professionnels devraient se souvenir de l’importance de respecter le rythme des parents. La multiplication des services d’aide “proposés” aux parents découle d’une bonne intention. Ce peut être une bonne intention dont est pavé l’enfer quand cette proposition d’aide est perçue par les parents comme un renforcement de leur sentiment d’incompétence. Dans ce cas, le sentiment de nullité des parents les empêche de s’opposer aux propositions. Dans ce cas, comme par hasard, l’intervention de ces services se dilue pour, finalement, se dissoudre. Le travail mené par l’assistante sociale conforte l’idée que les soins en santé mentale s’appuient sur la responsabilité individuelle du professionnel, surtout si celui-ci est choisi par un patient. La responsabilité collective, à laquelle certains font appel, concerne, à nos yeux, l’organisation des dispositifs sociosanitaires. Le parcours de cette mère témoigne à suffisance de l’importance primordiale de respecter les principes structurant un travail en santé mentale. Ce parcours est aussi éclairant pour penser la réforme, en cours en Belgique, des soins de Santé Mentale pour enfants et adolescents. Ce parcours nous amène à affirmer la nécessaire adaptabilité des processus thérapeutiques aux besoins de nos patients. En l’occurrence, loin des formatages administratifs, l’assistante sociale a pris le risque de sortir des sentiers convenus : Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 79 Le travail avec les familles en hôpital de jour elle a soigné une adulte, une mère, alors que notre structure s’occupe d’enfants et adolescents. Elle nous a démontré par l’absurde que l’envoi rationnel vers un partenaire du réseau plus habilité à ce travail thérapeutique avec un adulte était inopérant. Elle a mené, dans la permanence, un long travail de plus de 7 ans alors que le concept de “circuit de soins” vise à faire voyager le patient, à organiser le “transfert de patient” plutôt qu’à favoriser le transfert du patient. Quand le courant passe, les efforts devraient converger pour éviter les ruptures d’un court-circuit ! Elle a surtout démontré combien le travail thérapeutique s’appuyait sur l’importance incontournable du relationnel. Arr. Gd-Père Oser cette rencontre humaine, cette expérience d’humanité, dans un engagement réciproque ouvre la voie d’un enrichissement mutuel, de l’intégration psychique d’une trace, d’un souvenir, qui continuera d’habiter et de soutenir patient pour la vie et thérapeute pour sa carrière... et aussi un peu sa vie ! En l’occurrence, le risque pris de sortir des sentiers convenus, fussent-ils “conseillés” par l’administration a été payant. Il l’a été pour la patiente, pour la thérapeute, pour la société. Grâce à l’audace de Madame Leseultre, une mère et son fils ont cheminé conjointement vers l’autonomie et la citoyenneté. Puissent les politiques et l’administration prendre exemple sur Madame Leseultre. Compagnon Arr. Gd-Mère Abus ?? Grand-Père Puissent-ils également prendre le risque calculé d’abandonner les formatages stériles et dispendieux ! Puissent-ils, à l’image de l’assistante sociale, abandonner l’illusion de la maîtrise et adopter l’humilité nécessaire à l’adaptabilité. L’administration invoque cette adaptabilité pour convaincre les professionnels du bien-fondé d’une réforme. Nous les remercions d’adopter la même attitude pour entendre les enseignements de la clinique. La vie est imprévisible. L’homme est complexe. Laissons place à la surprise pour cultiver sans réductionnisme la vitalité psychique de nos concitoyens et de notre société. Abus Compagnon 1 Grand-mère Abus Compagnon 2 Mr D. Me D. PATRICK PHILIPPE Figure 1 : Génogramme 80 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 HÔPITAL DE JOUR, GRANDE FAMILLE ? Centre Thérapeutique de Jour pour Adolescents Av. Beaumont 48 1011 LAUSANNE SUISSE Dr Laurent HOLZER, M. Frédéric LAMBELET, Mme Aurélia MONNEY Lorsqu’un adolescent arrive à l’hôpital de jour, il arrive avec sa famille aussi. Et les questions familiales s’y rejouent en écho. Partager le quotidien des patients nous amène-t-il à nous considérer nous, l’équipe pluridisciplinaire, comme une famille de substitution ? La “famille CTJA” est parfois supposée comme meilleure que l’originelle. À d’autres moments, c’est l’urgence de la séparationindividuation qui prédomine, et l’adulte, surtout celui qui est vécu comme trop proche, est attaqué, ou du moins mis à distance. Les référents du jeune patient font office, consciemment ou non, de substituts parentaux. L’institution devient “nid familial”, d’où il est difficile de laisser s’envoler le jeune sans un projet considéré comme suffisamment bon. Nous penser comme une grande famille nous pousse également à examiner la question des liens entre les soignants et les parents. Une certaine rivalité est sans doute inévitable, souvent en début de prise en charge, quand les parents font la démarche difficile de venir témoigner, parfois dans un mouvement ambivalent, qu’ils “n’y arrivent plus” avec leur enfant. Mais les soignants ne sont ni des parents de substitution, ni des experts tout-puissants, et l’accompagnement dans le processus de parentalité passe par la mise en place d’une collaboration à la fois soutenue et indispensable. Ces adolescents vivent un coup de frein dans leur développement en raison de difficultés psychiques invalidantes. Les parents sont les co-thérapeutes qui vont essayer, avec les professionnels, de favoriser une reprise évolutive pour leur enfant. Ce travail de collaboration a lieu principalement dans les murs de l’institution, mais prend aussi la forme d’interventions dans le milieu… dans la famille. Mots-clefs : Adolescence ; famille ; trouble anxieux ; refus scolaire ; thérapie cognitivocomportementale ; guidance parentale. Day hospital, like a big family? When an adolescent arrives at the Adolescent Day Care Unit (CTJA) his family comes along and the familial issues echo back. Does sharing the patient’s daily life make the team a family substitute? The CTJA family is sometimes considered better than the original one. At other time, the separationindividuation need prevails, and the adult, considered by the patient as being too close, is attacked and distanced. The professionals responsible for the young person are, conscious and unconscious, parental substitutes. The institution has become a “nest” and it is difficult for the team to let the adolescent leave without a “good enough” project. The relations between the professionals and the parents need to be examined. A certain amount of rivalry is inevitable, particularly in the beginning of the treatment when the parents are confronted with the difficulty, and ambivalence, of revealing their incapacity to deal with their child. In fact, the professionals aren’t parental substitutes, neither allpowerful experts. The parental guidance has to come along with an essential and intensive collaboration. The disabling mental difficulties act as a brake on the adolescent development. Parents should be co-therapists who, together with the professionals, contribute to their child recovery. This partnership takes place mostly within the day care center, but there are also home based interventions… within the family context. Keywords: Adolescence, family, anxiety disorder, school refusal, cognitive and behavioral therapy, parental guidance. INTRODUCTION L’hôpital de jour, comme une grande famille. Lorsque nous avons dû réfléchir au thème, c’est la représentation de l’organisation de l’équipe de l’hôpital de jour comme une grande famille qui s’est imposée à notre esprit. La nuance de taille est certainement qu’on choisit, au moins en partie, sa famille professionnelle, et qu’il est théoriquement plus facile de s’en défaire. Mais on ne choisit pas toujours ses collègues et il est parfois difficile de se libérer des attaches institutionnelles. La famille professionnelle ne se crée pas sur les mêmes bases affectives avec les mêmes finalités de survie de l’espèce, mais elle s’en rapproche à certains égards. Les relations entre collègues ne sont pas censées durer “pour toute la vie”, mais elles sont empreintes d’affectivité, de sympathie ou d’antipathie et des liens dans le registre familial ne sont pas exclus. Ne parle-t-on pas de “confrères” ? Si l’hôpital de jour n’a pas vocation à transmettre la vie et préserver des gènes, sa finalité n’est cependant pas si éloignée des moyens que se fixe une famille pour atteindre ses objectifs : accueillir, apporter des soins, transmettre, accompagner, structurer, encadrer… La famille est un concept simple, familier et pourtant porteur de différentes acceptions qui recouvrent plusieurs réalités. La famille est le premier lieu de socialisation, elle constitue la référence incontournable lorsqu’il s’agit de penser le processus de socialisation. C’est très souvent dans ce domaine de la socialisation que nos adolescents fréquentant l’hôpital de jour sont en panne, c’est donc naturellement que la question de la famille et de ses valeurs émerge dans nos prises en charge. Identité familiale, appartenance, structuration, mythes, liens, valeurs, secrets, verticalité, horizontalité, soudure... sont autant d’éléments qui se rejouent sur la scène institutionnelle. Avant de considérer les effets de la problématique individuelle des patients qui se déploient et se transposent dans l’espace institutionnel, regardons les parallèles qui peuvent exister entre une équipe de professionnels et une famille. Identité – Appartenance Une équipe de professionnels travaillant ensemble huit heures par jour acquiert une identité. Identité fondée par la profession, mais aussi par celle de l’unité, imprégnée par celle du service, de la pédopsychiatrie publique, des hôpitaux de jour, de la santé mentale. Les différents professionnels œuvrant au sein d’une même unité ajoutent richesse et complexité à la notion d’identité professionnelle avec des risques d’indifférenciation ou de surspécialisation. Structuration La verticalité générationnelle familiale se rejoue dans la hiérarchie des postes et des fonctions (axe hiérarchique vertical qui s’accompagne généralement d’une composante d’ancienneté). L’horizontalité qui caractérise la fratrie se retrouve dans les axes de collaboration au quotidien et dans le fonctionnement de l’équipe soignante. Les rivalités fraternelles, les conflits de génération, la mésentente parentale constituent des mouvements d’équipe très fréquents. Ces liens structuraux posent la question des liens fonctionnels. Liens L’hôpital de jour peut-il être considéré comme une famille soudée ? C’est un impératif dans les moments difficiles où les liens doivent se resserrer afin que le rôle de contenance puisse être efficace. L’hôpital doit cependant tolérer une certaine élasticité des liens et des positions de chacun de ses membres afin que l’hôpital de jour ne soit pas un “bloc” idéologique et qu’il acquière une certaine malléabilité. Cette souplesse qui permet une forme de respiration doit se dérouler Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 81 Le travail avec les familles en hôpital de jour dans un esprit de “collégialité” qui garantit à chacun des membres le statut de collègue et qui place la notion de cadre professionnel au-dessus des autres interactions qui se déploient au sein de l’institution. Cela permet une clarification des liens affectifs qui nous unissent entre collègues, tempérés par la notion de professionnalisme. Valeurs Las valeurs qui participent à l’identité des soignants rejoignent celles de la famille d’une manière générale. Les valeurs humanistes se déclinent avec la notion d’accueil inconditionnel (ou presque) de nos patients et de la souffrance psychique. Accueil qui s’appuie sur les dispositions empathiques de l’ensemble de l’équipe, condition nécessaire aux soins et qui constitue un des objectifs premiers de la relation thérapeutique. Le Modèle théorique partagé contribue au développement d’une culture commune au sein de laquelle des différences de points de vue et de positions peuvent exister, pour autant qu’une base clinique partagée et explicite constitue un ciment renforçant le fonctionnement au quotidien. Il s’agit probablement là d’un des mythes fondateurs du Centre Thérapeutique de Jour pour Adolescents de Lausanne où la clinique du quotidien organise le fonctionnement de l’unité qui s’appuie sur les activités de groupe et la scolarité, et appelle des modes de faire et des réponses communes aux différents modèles théoriques. Les modèles théoriques peuvent coexister dans la mesure où ils organisent la compréhension psychopathologique et orientent la prise en charge individuelle et familiale psychothérapeutique, sans rivalité excessive ou visée hégémonique de chacun d’entre eux. Secrets Autorisés par la notion de secret médical, ils existent au sein d’une institution et au sein d’une équipe. Leurs effets sont à géométrie variable (rétention d’information, prise de pouvoir, protection, intrigue, différenciation des espaces et des contenus) et ils sont malgré tout nécessaires au fonctionnement “sain” de l’institution pour autant qu’ils ne desservent pas des objectifs de manipulation et de luttes de pouvoir. Vie de famille Pour terminer avec les parallèles qui existent avec la famille, nous nous pencherons sur la question de la “vie de famille”. Se sentir accueilli, en “famille”, aussi bien pour les patients que pour les membres de l’équipe constitue un milieu protecteur propre à assurer une vie équili- 82 brée et également la survie. En effet, une famille doit se préoccuper également de survie, notamment psychique lorsqu’elle est confrontée à la pathologie mentale grave. Le climat émotionnel qui entoure ces pathologies graves peut devenir contaminant et c’est sur une dynamique d’échanges à tonalité fraternelle où l’humour et la prise de distance qu’une équipe doit pouvoir compter pour s’en dégager quelque peu. L’homéostasie des groupes composant l’institution est également une dimension à l’œuvre qui se rapproche de l’homéostasie familiale qui ne peut cependant constituer un objectif en soi (ce sont les changements et les mouvements qui sont attendus, au moins pour les patients de l’hôpital de jour). Et si au sein de la famille institutionnelle il n’est pas question de reproduction sexuée, le projet de pérennisation du concept de soin et de reconduction des missions de l’institution est au cœur des objectifs de “transmission”. LE CENTRE THÉRAPEUTIQUE DE JOUR POUR ADOLESCENTS Le Centre Thérapeutique de Jour pour Adolescents (CTJA) est à la fois un hôpital de jour psychiatrique accueillant des adolescents de 13 à 18 ans et un Service de l’Enseignement Spécialisé et de l’Aide à la Formation (SESAF). Le CTJA fait partie du Service Universitaire de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA). Le CTJA offre aux dix-huit jeunes présents, des périodes de classe, en demi-groupes et en alternance avec des périodes d’activités diverses, allant du dessin au sport en passant par de l’entraînement aux habiletés sociales, des jeux dramatiques, des ateliers de prévention, de l’ergothérapie ainsi que des ateliers corporels. Toutes ces activités sont animées par l’équipe soignante et enseignante et certaines activités par les thérapeutes, psychologues et psychiatres. Pour le travail avec les familles, nous restons en liens permanent avec le réseau (Service de la protection de la jeunesse, pédopsychiatre ou thérapeute adresseur, lieux de soins, foyers). Vignette clinique : Travail avec Nolan et sa famille Motif d’admission Nolan est un jeune adolescent de 13 ans et demi, qui fait plus jeune que son âge. Au moment de se rendre à l’école, Nolan présente différentes manifestations anxieuses, plus ou moins intenses, telles que des douleurs abdominales et des troubles du comportement avec opposition au moment de quitter le domicile. La Figure 1 représente l’analyse fonctionnelle syn- chronique de la problématique de ce jeune avec la situation du départ pour l’école. Nolan ne fréquente plus l’école depuis 6 mois. Son pédopsychiatre qui nous l’adresse. L’objectif de la prise en charge est une réinsertion sociale et scolaire. Anamnèse personnelle et familiale La grossesse et l’accouchement sont sans particularité. Nolan est décrit comme un bébé joyeux, souriant, posant peu de problèmes. Il est soudainement séparé de sa mère pendant plusieurs semaines à la naissance du petit frère, en raison de problème de santé de celui-ci. Nolan a présenté des angoisses liées à la séparation depuis son entrée dans la scolarité. Il peut tout de même se rendre à l’école et les difficultés sont d’abord limitées au milieu familial, à travers des comportements d’opposition. Avec le passage à l’école secondaire à 11 ans, il peine à s’intégrer à sa nouvelle école. Il perd son cercle d’amis et a du mal à faire de nouvelles connaissances dans sa nouvelle classe. Une perte d’étayage qui le désécurise au point qu’il commence alors à présenter des somatisations sous forme de maux de ventre avec des flatulences. Au fil du temps, la situation se péjore de plus en plus, à tel point que Nolan ne fréquente plus l’école depuis avril 2012. La mère travaille à temps partiel. Elle a souffert d’une conduite alcoolique chronique dans le passé, dans le cadre d’une dépression. Elle se dit très proche de sa propre mère. Le père de la mère est décédé en 2001 suite à une attaque cérébrale. La relation avec lui semblait complexe et caractérisée par une attitude très autoritaire et surprotectrice de la part de son père envers elle. Actuellement, elle se décrit comme anxieuse et reconnaît une attitude protectrice à l’égard son fils. Le père exerce la profession de monteur sanitaire. En raison de son travail et de son engagement comme entraîneur de football, il est souvent absent de la maison. Le père décrit que sa petite enfance et son adolescence ont été marquées par un besoin d’autonomisation rapide. Il rapporte que la préoccupation quasi-exclusive de ses parents sur son petit frère qui présentait une psychopathologie importante et énonce la méfiance à l’encontre des soins pédopsychiatriques qui en découle. Nolan a un petit frère, Tim, âgé de 10 ans, qui semble parentifié. En effet, il est décrit par ses parents comme un jeune garçon faisant preuve d’une maturité étonnante pour un enfant de son âge. Tim adopte un rôle protecteur avec ses parents, consolant sa mère par exemple, quand celle-ci se retrouve triste et démunie face aux difficultés de son aîné. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Hôpital de jour : une grande famille ? La problématique du refus scolaire L’expression symptomatique du refus scolaire est simple. Par contre, il est important d’identifier le ou les troubles psychiatriques qui se manifestent par ce refus scolaire. Comme souligné par Holzer et Halfon, « le refus scolaire par sa nature extrême, manifeste et publique, essentiellement contre-adaptative, se situe clairement dans le champ de la pathologie ». (Holzer et Halfon, 2006, p. 1254). Il n’apparaît pas en tant que diagnostic en tant que tel dans les différentes classifications diagnostiques pédopsychiatriques et peut être rattaché à plusieurs types de problématique. Souvent, et c’est le cas pour Nolan, le refus scolaire est l’un des symptômes contribuant au diagnostic d’Anxiété de séparation. De plus, sa problématique remplit aussi, sur le plan diagnostique, les critères pour une phobie sociale. Les recommandations du cadre et des modalités de traitement pour la prise en charge des refus scolaires anxieux sévères ont été décrites par Holzer et Halfon, ainsi que Martin-Guehl. Le cadre est une prise en charge en hôpital de jour en cas d’échec des traitements ambulatoires, la reprise d’une scolarité dans le cadre hospitalier permettant un déconditionnement. Les modalités de traitement comprennent, entre autres, les Thérapies cognitivo-comportementales, l’Intervention auprès des familles, la Médication, et finalement, l’Intervention auprès de l’école (Holzer et Halfon, 2006 , Martin-Guehl, 2006). Dans le cas de Nolan, le travail avec le milieu scolaire ordinaire se fera dans une étape ultérieure. gatives et risquent d’aggraver la situation (Dumas, 2005) Concernant la motivation à changer d’une part, Lyse Turgeon rappelle que les enfants ne consultent pas d’eux-mêmes, et qu’ils perçoivent plus difficilement les bénéfices à long terme associés au changement. D’autre part, elle souligne la participation indispensable des parents pour l’efficacité de l’intervention. Finalement, les difficultés éventuelles des parents doivent faire l’objet d’une investigation et les liens entre les comportements parentaux et le problème cible doivent être évalués afin de savoir dans quelle mesure ils jouent un rôle dans le développement et le maintien du problème observé chez l’enfant (Turgeon & Parent, 2012). Le travail avec les parents de l’enfant anxieux Jean Dumas émet trois grandes recommandations aux parents et aux adultes qui accompagnent un enfant anxieux. Premièrement, il faut éviter de le rassurer constamment et contribuer au développement d’un sentiment de maitrise en l’encourageant à une gestion plus autonome de ses craintes (le renvoyer aux stratégies de gestion de l’anxiété enseignées), ainsi qu’en le valorisant après chaque succès. Deuxièmement, il recommande d’éviter d’être trop directif. Il ne faut pas faire pour l’enfant ce qu’il doit apprendre à faire lui-même, et donc ne pas parler et faire les choses à sa place, ou toujours lui dire quoi faire. Troisièmement, il encourage les parents à ne pas se montrer impatients. Les accès de colère qui visent à pousser l’enfant anxieux sont à éviter, tout comme les commentaires critiques, qui sont autant d’intentions né- Partir de la maison Au début de la prise en charge les temps de départ du domicile sont complexes à gérer. En effet, la mère souffrait le martyr pour quitter le domicile et amener son fils au centre. Par exemple, Nolan refuse de sortir de la maison ou du véhicule, empêchant sa mère de l’amener au centre. En offrant un café en salle d’équipe à Madame, désespérée, il a été possible de la réconforter, alors qu’en parallèle d’autres collègues tentent à deux de sortir Alan du véhicule, à l’image d’un accouchement aux forceps. Un relais fut offert à la mère. Durant six semaines, un membre de l’équipe soignante est allé chercher Nolan à son domicile, favorisant ainsi un processus de séparation durant ces moments compliqués. Relevons les émotions fortes ressenties par notre infirmière responsable d’équipe lorsque le jeune homme menaça de se jeter par la porte en roulant sur l’autoroute, ce qui devait être à l’image du type de chantage affectif que Nolan Prise en charge Le lieu de réintégration est dans un premier temps le CTJA lui-même. Quatre sous-objectifs peuvent être déclinés. Ils sont : parvenir à quitter la maison pour venir au Centre, travailler l’autonomie dans les trajets pour s’y rendre, prendre part à l’entier des activités de son programme, même celles qui sont redoutées, de par leur dimension sociale et réintégrer progressivement le milieu scolaire ordinaire. Sortir du confort familial et séparation Nolan est intégré au CTJA à temps partiel dans le cadre d’une collaboration avec son référent infirmier de l’unité hospitalière dans laquelle il a séjourné. La première fois que l’équipe pluridisciplinaire rencontre Nolan est spectaculaire, notre collègue infirmier devant le contenir physiquement afin qu’il parvienne à passer la porte du CTJA. faisait vivre à sa famille. Ajoutons également que le fait de se rendre à domicile offre un autre regard sur la dynamique familiale et le comportement de ce jeune. Des activités thérapeutiques à la famille Nolan a profité d’un ensemble d’activités orientées par les apports des thérapies cognitives et comportementales. Premièrement, les séances d’une heure et demie hebdomadaire d’entraînement aux habiletés sociales. Elles consistent en un groupe d’affirmation de soi et de résolution de problèmes interpersonnels. Ce groupe permet l’intégration d’une boîte à outils relationnels, et, par la mise en place de jeux de rôles modélisés, vise le développement de compétences tant cognitives, émotionnelles que comportementales, permettant l’acquisition de meilleures habiletés sociales. De plus, Nolan a profité du module hebdomadaire d’entraînement métacognitif de Stephen Moritz, consistant en une psychoéducation sur les processus de pensée, et divers biais cognitifs. Il est également utile pour faire face aux difficultés quotidiennes vécues par les adolescents en termes de fonctions cognitives comme la mémoire, la concentration et les apprentissages. Ajoutons que Nolan a également bénéficié du groupe de relaxation, proposant des méthodes centrées sur la respiration, les techniques de Jacobson et Schultz, ou encore le « body scan ». Plus tard, Nolan utilisera ces techniques de gestion de l’anxiété dans le milieu scolaire. Les effets concrets dans la famille sont une meilleure ouverture relationnelle, une meilleure affirmation et estime de lui-même dans l’expression de ses difficultés envers ses parents, ainsi qu’une meilleure confiance en lui au domicile. Ajoutons que Nolan est parvenu à mieux gérer ses crises de colères, au moment de quitter le domicile ou lors de frustrations liées aux tâches domestiques. Le dessin est une branche scolaire ayant laissé d’amers souvenirs à Nolan. Au CTJA, dans cet atelier, Nolan est parvenu à réaliser des travaux créatifs, grâce à un accompagnement éducatif intensif, acceptant progressivement de donner une valeur positive à ses productions. Il parviendra même au terme de la prise en charge à offrir à sa mère ainsi qu’à sa grand-mère différents tableaux qui furent exposés au CTJA lors d’un vernissage institutionnel, ce qui selon les parents, n’était jamais arrivé auparavant. En ce qui concerne l’approche corporelle, les périodes de sport proposées au CTJA ont été des espaces ressourçant pour Nolan. Les compétences de ce dernier étaient en effet mises en lumière. Un travail motivationnel a pu se faire concernant, la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 83 Le travail avec les familles en hôpital de jour capacité à oser jouer en groupe et en y intégrant peu à peu la meilleure gestion de situations de compétition. De plus, une offre de sport en duo avec un autre patient lui a été proposée et a conduit au fait que les deux adolescents aillent jouer, de manière autonome, dans un club de badminton. Avant l’hospitalisation, manifestant de fortes crises d’angoisse, Nolan avait cessé le football. Notons la nature privilégiée de la relation que Nolan a entretenue avec un infirmier de l’équipe qui, comme son père était fan de football, et qui a fortement accompagné les succès réalisés durant la prise en charge. Vers la fin de la prise en charge, Nolan, mobilisé et remotivé par son père, parvient à réintégrer une équipe de football. D’autre part, Nolan a participé à deux séances d’ergothérapie hebdomadaires d’une heure trente chacune, pour lutter contre les effets démobilisateurs de son trouble psychique et promouvoir sa réintégration dans un programme scolaire. L’évaluation et le traitement s’opère par exemple au travers d’activités manuelles comme la poterie, le travail sur bois ou la gravure sur verre, mais aussi la cuisine et les jeux de société. En outre, les activités ont en elles-mêmes des propriétés thérapeutiques qui permettent de se structurer dans l’espace et le temps, de développer des alternatives face à une difficulté ou d’augmenter le sentiment de valeur personnelle. Ainsi, suite aux séances, Nolan s’est montré davantage autonome et a commencé à faire des tâches domestiques à domicile. Il parvient aussi à mieux s’exprimer face aux amis des parents mais aussi à mieux accepter les consignes exigées de ses parents. Coaching individuel vers l’école Un coaching d’orientation cognitive et comportementale s’est effectué avec Nolan. Suite aux diverses expositions progressives dans les transports, en collaboration avec son éducateur référent et les parents, pour Nolan, le fait de traverser la cour de l’école et de se rendre au secrétariat semblait encore un effort insurmontable à fournir. L’éducateur s’est inspiré des propos de Boris Cyrulnik, lorsqu’il s’agissait que Nolan puisse « Dépasser ses peurs et découvrir le trésor caché en soi, celui de savoir vivre et de jouir du temps qui passe…» (1) En effet, un entraînement à traverser la cour d’école pour se rendre au secrétariat et saluer son enseignant avait pu se faire. L’étape suivante visait à ce qu’il se rende seul en classe. Le premier jour d’intégration dans sa classe fut difficile, Nolan s’est mis dans un état de crise spectaculaire refusant de sortir du véhicule. L’éducateur a dû énergiquement deman- 84 der à Nolan de focaliser sur les avantages inhérents au fait de s’y rendre, tant pour lui que pour sa famille. Il lui a été dit qu’il s’agissait de parvenir à se libérer de son angoisse envahissante, comme de ses anticipations anxieuses. Malgré l’ampleur de la crise d’angoisse typique de ce que racontait la mère dans ses douloureuses expériences vécues, son éducateur est resté ferme, directif, soutenant et exigent à la fois. Il est parvenu à maintenir son cadre éducatif, puis, contre toute attente, Nolan est sorti du véhicule parvenant à retourner en classe de manière autonome. Comme l’évoque encore Cyrulnik, « Peut-être l’éducation consiste-t-elle a simplement apprendre à un enfant comment affronter ce mal-être, à vivre en équilibre, à contrôler sans cesse l’oscillation entre l’engourdissement psychique et l’alerte anxieuse ? » (1) Notons que sur ce modèle, la mère de Nolan a repris les accompagnements à l’école à son compte, dépassant ses propres craintes et restant ferme, ce qui a conduit Nolan à reprendre la classe à 100%, fier de ses nouvelles compétences et acquis. Suite à cette intervention émotionnellement éprouvante, un débriefing de la psychologue fut offert à l’éducateur. Cet apport constitue un exemple favorisant l’identité professionnelle et des liens contenants et souples à la fois au sein de l’équipe. Entretiens thérapeutiques Les principes de prise en charge des thérapies cognitives et comportementales sont au cœur des entretiens thérapeutiques également. Les entretiens individuels sont hebdomadaires et se font en co-référence (avec psychologue, éducateur, ainsi qu’enseignante spécialisée). Nous travaillons avec Nolan pour l’aider à dépasser ses difficultés anxieuses, à travers la psychoéducation, la relaxation, l’exposition progressive (aux trajets seuls en transports publics, ainsi qu’au centre et à ses activités, puis au milieu scolaire ordinaire via une reprise progressive). Sous la Figure 2 est la hiérarchisation des situations, définie en séance avec Nolan et qui sert de base pour l’exposition progressive aux transports publics. Le pourcentage définit le niveau de peur initiale pour chacune des situations. Nolan ne voit pas toujours les bénéfices à long terme d’affronter ses peurs. Tout comme il est important de le récompenser, il faut aussi parfois l’inciter à s’exposer en insistant à certaines occasions. À noter, en ce qui concerne la gestion des contingences et l’utilisation des renforcements positifs, que Nolan est autorisé à rentrer un peu plus tôt chez lui lorsque les étapes sont réussies. La pro- gression de Nolan est régulière et après environ six semaines, il est autonome, pour repartir du Centre dans un premier temps, puis pour Les entretiens thérapeutiques familiaux ont lieu avec Nolan et ses parents toutes les trois semaines environ, dix au total au fil de la prise en charge. Lors de ces séances une psychoéducation est faite sur la nature du refus scolaire et les différents mécanismes en jeu. Souvent, certains comportements parentaux jouent un rôle dans le développement et le maintien du problème observé chez l’enfant. Nous réfléchissons avec les parents sur ces aspects. Ils sont encouragés à profiter au quotidien des occasions pour favoriser l’autonomisation de Nolan. Une information est donnée également sur les différents aspects de l’intervention cognitivocomportementale. Les parents en sont les co-thérapeutes : ils apprennent également la relaxation de Jacobson, ils sont les garants d’une partie des expositions effectuées par Nolan. La gestion des contingences de renforcement est aussi abordée lors de ces entretiens. Nous veillons à garder un équilibre entre les renforcements positifs (récompenses) et aversifs (punitions). Nous nous efforçons aussi de transmettre à Nolan que lorsque ses parents se montrent fermes et insistants c’est qu’ils croient en ses ressources et veulent, grâce à la preuve par la réalité qu’offre le travail par exposition, faire fructifier ces forces. Ajoutons un épisode important de la prise en charge où, supervisé par notre Chef de clinique Lacanien, l’effort s’est centré sur un travail visant à aider les parents à abandonner la chaise d’enfant que Nolan utilisait dans la voiture, similairement à son petit frère. Autour de cet exemple, les parents ont appris à distinguer les attentes et les exigences de leurs enfants, en fonction de leurs âges respectifs. Nous relevons ainsi l’importance des fonctions, des rôles et des identités de chacun dans notre équipe, tout comme la structure institutionnelle qui, dans cet exemple permet au sein de la famille le rétablissement d’une hiérarchie, mais aussi un apport d’efficience par l’intégration plurimodale des valeurs de chacun. Classe et réinsertion scolaire Suite à l’échec dans un premier établissement scolaire, les parents souhaitent un changement d’établissement. Au CTJA, Nolan profite d’un enseignement spécialisé. Le premier projet de post-cure hospitalière avait débouché sur le refus d’un deuxième établissement scolaire. Ceci qui a permis aux parents de mesurer l’importance d’un environnement sécurisant pour leur fils d’une part, et de mieux Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Hôpital de jour : une grande famille ? comprendre la nécessité d’une prise en charge en centre thérapeutique, favorisant ainsi l’alliance incluant un projet de soins et un programme individualisé. L’enclassement au CTJA, à raison de 50% du programme offert, a permis aux parents de réapprendre l’importance de valoriser et d’encourager la tâche scolaire, la classe étant vécue comme les prémices d’un lien à la normalité. Ces acquis précieux ont probablement participé au succès de l’intégration scolaire du troisième établissement scolaire, de même que la qualité de la collaboration avec celui-ci. En conséquence de cela, au cœur de la famille s’est opéré un véritable soulagement. Nolan a enfin recouvré une identité scolaire d’élève “normal” et la fierté a pu émerger de cette intégration. Une reprise scolaire progressive a lieu après sept mois de prise en charge au CTJA. La reprise est complète après dix mois, lors de la rentrée de la fin du mois d’août. Cela signe la fin de la prise en charge au CTJA. Le mot de la fin à la famille Nous avons informé Nolan et ses parents de notre participation à ce colloque, ainsi que de sa thématique. Au sujet du “travail avec [leur] famille”, les parents ont apprécié que les professionnels puissent prendre le relais à des moments où ils n’y arrivaient plus. Ils apprécient aussi d’avoir pu apprendre des nouvelles manières de réagir avec leurs enfants. Lors de moment d’opposition par exemple ils savent mieux être à l’écoute, tout en restant fermes. Ils savent aussi mieux comment rester calmes. De plus, ils ont aussi des outils pour aider leur fils à l’autonomisation. Ils estiment avoir rencontré une équipe de professionnels qui leur a permis de recevoir des mots pour expliquer les difficultés psychologiques de leur fils. La notion de collaboration et la possibilité de s’entendre sur de mêmes objectifs était précieuse. Finalement, ils relèvent que faire le pas de demander de l’aide n’a pas été facile (pour le père en raison de son histoire familiale notamment), mais que maintenant ils en parlent avec des proches, donnent des conseils et parlent de l’aide qui leur a été apportée. Ils estiment que ce type d’aide devrait être plus généralisée, afin d’aider des enfants plus jeunes qui ont ce type de problème. Nous voyons au travers de ces propos, comment la qualité des transmissions, le jeu relationnel, la juste distance d’une équipe pluridisciplinaire a pu porter ses fruits, au-delà des secrets de famille, en s’appuyant sur l’établissement des liens de confiance, ramenant une forme d’homéostasie dans cette famille. CONCLUSION Pour conclure sur le thème de l’hôpital de jour comme grande famille, cette vignette nous permet d’illustrer comment un patient peut profiter de la prise en charge pour se forger, au sein de la famille CTJA, une identité d’élève, ainsi qu’une appartenance à la normalité par un travail de mise en lien et de structuration. Les valeurs institutionnelles et pluridisciplinaires permettent le passage à une hiérarchisation familiale plus adaptée aux rôles attendus de ses membres. D’autre part, l’alliance avec la famille illustrée dans cette vignette, bien présente dès les premiers temps de la prise en charge, a permis de dépasser un mythe familial, conception collective et pourtant bien ancrée au sujet de la qualité soignante ou non des soins pédopsychiatriques. Tant nos spécificités professionnelles que notre coordination amènent de l’efficience. Toutefois, divers exemples de résonnances émotionnelles vécues par l’ensemble des professionnels sont autant d’occasions des prises de conscience, de reflets à la famille, leur permettant ainsi de continuer à avancer. Dans le même ordre d’idée, les différents niveaux d’analyse, ainsi que l’intervision et la supervision permettent de prendre du recul, de mettre les choses en perspective et de gérer parfois les rivalités réciproques. En plus des référents, de nombreux collaborateurs sont impliqués dans la prise en charge. Ils s’organisent autour du patient, permettant ainsi beaucoup de souplesse grâce à cette possibilité de relais possible en tout temps. Soulignons l’importance de la distance affective et professionnelle comme facteur central favorisant un pro- jet thérapeutique cohérent. De plus, les valeurs institutionnelles (communes) et les valeurs de chaque professionnel (liées au parcours de chacun) s’incarnent dans chaque temps et espace de la prise en charge. À ce propos, la capacité du système CTJA d’intégrer, de manière consciente, les points de vue divergents et les valeurs plurielles, peut constituer un modèle utile au système familial et doit donc être divulgué dès que possible. Il est à noter que la qualité des liens entretenus dans la famille illustrée par cette vignette a permis à l’équipe, en miroir sans doute, de travailler avec confiance, plaisir et transparence. Nous relevons l’authenticité et la véritable volonté de participer au projet de soin de la famille, qui a trouvé dans l’hôpital de jour une “grande famille” accueillante et avec laquelle il a été possible de construire une histoire thérapeutique partagée à travers un lien aux allures familiales, favorisant ainsi son issue heureuse. BIBLIOGRAPHIE 1. CYRULNIK B., Préface in DUMAS J., L’enfant anxieux : Comprendre la peur de la peur et redonner courage, Bruxelles, De Boeck Université, 2005 2. DUMAS J., L’enfant anxieux : Comprendre la peur de la peur et redonner courage. Bruxelles, De Boeck Université, 2005 3. HOLZER L. & HALFON O., Le refus scolaire, Archives de pédiatrie, 2006, 13, 12521258 4. MARTIN-GUEL C., Refus scolaire anxieux : description clinique et principes de la prise en charge, La Lettre du Psychiatre, 2006, 6-7, 210-213 5. NOLLET D., & THOMAS J., Dictionnaire de psychothérapie cognitive et comportementale, Paris, Ellipses, 2001 6. TURGEON L., MAYER-BRIEN S. & BROUSSEAU L., L’intervention cognitivocomportementale auprès d’enfants présentant un trouble d’anxiété de séparation in TURGEON L. & PARENT S., Intervention cognitivo-comportementale auprès des enfants et des adolescents, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012 7. TURGEON L. & PARENT S., Intervention cognitivo-comportementale auprès des enfants et des adolescents : Tome 1, Troubles intériorisés, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 85 Le travail avec les familles en hôpital de jour Figure 1 : Analyse fonctionnelle synchronique du refus scolaire de Nolan Figure 2 : Hiérarchisation sur post-it de l’exposition aux transports publics 86 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 LA THÉRAPIE FAMILIALE DANS L’INSTITUTION ET L’INSTITUTION DANS LA THÉRAPIE FAMILIALE S.P.A.S.M. 31 rue de Liège 75008 PARIS FRANCE [email protected] Paul ASTRE, Brigitte KAMMERER, Annie MANDROU En Hôpital de Jour, groupe institutionnel et infirmier référent se proposent comme supports tranférentiels. Cela suppose un préalable qui permette l’entrée dans les soins : que le patient puisse à minima sortir d’un désaveu d’existence qui le maintient dans un collage, une identification adhésive à ses objets. Quand ce n’est pas possible, l’accès à un minimum de transitionnalité doit souvent passer par la présence effective du groupe familial avec lequel nous puissions dialoguer. Nous différencions, dans l’accueil que nous faisons des familles, ce que nous appellons, d’une part la « guidance familiale », souvent utile pour que la famille nous autorise à soigner le patient et, d’autre part la « thérapie familiale » qui prend parfois la forme d’un « psychodrame familial », comme nous en avons maintenant l’expérience depuis quelques années. Nous nous proposons ici de développer et expliciter cette clinique des familles en articulation et résonnance avec le travail institutionnel. Mots-clefs : Institution, famille, thérapie familiale Family therapy in the institution and institution in family therapy In daycare hospitals, the institutional group and the nurse referent stand as a transferantial support. This implies a prerequisite before the patient’s care can begin: he/she has to be at least able to get out of a disavowal of existence that keeps him in a sticking, adhesive identification to his/her objects. When this is not possible, the access to a minimum of transitionality for the patient often requires the actual presence of the family members with whom the caregivers can dialog. When it comes to families’ reception, we differentiate what we call "family guidance", which helps us to get the family to allows us to treat the patient, from "family therapy" which sometimes takes the shape of a ‘family psychodrama’, as we have experimented for the past few years. We propose here to develop and explain this families’ clinic in articulation and resonance with the institutional work. Key words: Institution, family, family therapy INTRODUCTION Le « Centre de Traitement et de Réadaptation » de la SPASM, à Paris, reçoit du lundi au samedi, des patients adultes souffrant pour la plupart de troubles psychotiques. L’objectif du Centre est de leur permettre de devenir acteur de leurs soins et de leur insertion dans le social. C’est un hôpital de jour largement inspiré des principes de la psychothérapie institutionnelle, articulant les dimensions individuelles et groupales d’un accueil au quotidien devant permettre au sujet d’y déployer ses troubles et au collectif soignant d’en proposer une lecture porteuse de sens. Nous y avons, depuis une dizaine d’années, expérimenté une pratique d’entretiens familiaux, voire de thérapies familiales, dans certaines situations cliniques bien particulières, quand les patients nous paraissent pris dans des dysfonctionnements familiaux, ne pouvant qu’entraver leur engagement et leur progression dans les soins. Les patients que nous recevons en hôpital de jour, et pour qui nous pouvons penser à une thérapie familiale, n’ont pas eu d’accès à une véritable relation d’objet. Ils sont collés à ceux-ci dans une identification adhésive au sein de laquelle ils n’en sont pas différenciés, aucune solution de continuité n’étant tolérée. Les familles sont souvent des familles à “transaction paradoxale” au sein de laquelle la reconnaissance de l’altérité est difficile, la confusion est un mode de défense fréquent, et les relations sont établies sur le mode de l’emprise réciproque. Notre hypothèse est que, parce que le lien familial est vécu sur un mode indifférencié et adhésif, le patient ne peut, dans certains cas, véritablement entrer dans l’institution de soin. C’est donc ce lien que nous nous proposons d’explorer et de mettre au travail. Ainsi, nous accueillons ces patients avec leur environnement familial, en constatant avec B. Penot, que « les secteurs où leur pensée s’arrête correspondent bel et bien à des zones problématiques pour leur famille et au premier chef pour leurs parents », témoignant alors du fait que « la famille a échoué à fabriquer suffisamment de mythe, dans le sens de permettre les liaisons de sens indispensables à une existence subjective prenant en compte les données de son héritage historique ». Notre projet pourrait être de permettre à nos patients de passer d’une « non différenciation » à une possibilité de subjectivation, de « personnation » au sens de Racamier (acquisition du sentiment d’être une personne propre, autonome et continue). Pour cela, nous proposons de prendre en compte au travers du jeu, des approches corporelles, des approches familiales, ce qui se répète, s’agit, au niveau individuel ou groupal et, de fait avec les soignants dans l’institution. B. Penot évoque le « déplacement dans le collectif thérapeutique de rapports existentiels ayant pu présider à la genèse première du cas dans son milieu matriciel originaire ». Nous différencions dans l’accueil que nous faisons des familles, ce que nous pourrions appeler d’une part “guidance familiale”, rendez-vous ponctuels espacés dans le temps, premier niveau de travail dans lequel, par sa présence, la famille nous autorise à soigner le patient et, d’autre part la “thérapie familiale” proprement dite. LA “GUIDANCE FAMILALE” Dans ce cas, les entretiens familiaux sont souvent une façon de se reconnaître mutuellement, d’établir une alliance thérapeutique. Le patient semble suffisamment différencié de son groupe familial pour que nous puissions directement travailler avec lui et pour que son entrée dans un établissement de soin ait un sens. Ces entretiens semblent surtout constituer un sorte de mise en continuité d’“états des lieux” successifs, ils peuvent permettre d’évaluer les capacités familiales à une adaptation à un cadre minimal et enfin surtout les capacités “auto thérapeutiques” de la famille. Ils sont organisés autour du patient “en soin”. Ils peuvent aussi constituer un préalable à une proposition de “thérapie familiale” que ce soit dans ou hors les murs. L’infirmier référent est impliqué dans ce travail et participe avec la famille et un tiers, souvent psychologue ou psychiatre de l’équipe soignante, à la mise en place d’un espace commun de réflexion et Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 87 Le travail avec les familles en hôpital de jour d’élaboration, le plus souvent à partir d’éléments de la réalité matérielle et organisationnels de la cure. L’entretien familial est conçu comme un espace tiers dans la relation souvent conflictuelle et/ou fusionnelle entre parents et enfant, souvent reproduite dans le transfert entre référent et patient. L’étayage de la famille sur les entretiens familiaux, la personne du référent et l’institution permet une première délimitation d’un espace de pensée et de réflexivité au sein duquel nous tentons de décoller d’une réalité traumatique, souvent ramenée au premier plan. Cas clinique Pour illustrer ce que nous entendons par “guidance familiale”, prenons le cas de Caroline, une jeune femme de 28 ans, plutôt jolie, qui a connu des difficultés psychiques depuis le collège, alternant périodes d’anorexie et périodes de boulimie. Elle n’a pas pu passer son baccalauréat, mais a néanmoins réussi à mener à bien une formation d’aide puéricultrice, sans pour autant pouvoir travailler durablement dans ce domaine. En entrant à l’hôpital de jour, elle est donc sans emploi, en attente de toucher le Revenu de Solidarité Active1 et vit dans un studio appartenant à ses parents. Son quotidien est fait de nombreux passages à l’acte, elle se met en danger de multiples façons : drogues, prostitution, surdosage ou arrêt du traitement. Au début de son hospitalisation dans notre structure, quand elle arrive à venir, c’est en fin d’après-midi, évoquant comme excuse ses nuits occupées... Une entrée plutôt difficile quand, parfois, seul le téléphone permet de garder un semblant de lien. D’ailleurs ce n’est pas elle qui veut être là, elle préfèrerait trouver du travail, elle ne fait que répondre à l’insistance de ses parents pour qu’elle se soigne et soit en sécurité. Nous proposons alors rapidement un, puis plusieurs, entretiens familiaux pour tenter de trouver quelques repères et possibilités de “rencontre” avec la patiente. Apparait très vite toute l’inquiétude parentale suscitée par cette vie “hors limite”, ce logement “en bordel” squatté par des individus “louches” se livrant au trafic de stupéfiants et abusant de Caroline. Cette situation provoque de multiples interven1 Le revenu de solidarité active (RSA) est destiné à assurer aux personnes sans ressource ou disposant de faibles ressources un niveau minimum de revenu variable selon la composition de leur foyer. Le RSA est ouvert, sous certaines conditions, aux personnes âgées d’au moins 25 ans et aux personnes âgées de 18 à 24 ans si elles sont parents isolés ou justifient d’une certaine durée d’activité professionnelle. 88 tions des équipes de secteur et de la famille, pour régler les problèmes du quotidien et, en retour un renforcement du vécu persécutif de la patiente. De nombreuses absences, une longue hospitalisation pour cause de désintoxication à la cocaïne, sont concomitantes de la mise en place de ce que nous appelons à l’hôpital de jour “la référence”, engagement d’un infirmier dans le suivi et l’accompagnement du parcours de soin. De nombreux mois furent nécessaires pour que la passation, de la psychologue l’ayant accueillie à son entrée, à son infirmier référent ...ni psychologue, ni femme et plutôt de l’âge de son père, puisse véritablement avoir lieu. Un changement peu évident à réaliser lorsque une relation de confiance s’est nouée à grand peine et qu’il faut changer d’interlocuteur, se raconter à nouveau. Le début du travail entre Caroline et son référent infirmier a été très laborieux. Etait-ce elle qui l’évitait dans l’espoir de conserver le lien précédent, était celui qui ne savait comment s’y prendre pour la rencontrer ? Le blocage a duré plusieurs mois. Ce qui se passait dans sa vie, en dehors de l’hôpital de jour, en particulier avec les hommes, la drogue…, son référent ne l’apprenait que par des tiers extérieurs, les collègues du Centre MédicoPsychologique, la psychiatre, la famille. Il fallut attendre un séjour à Londres et le hasard des attributions de place dans le TGV, qui les avait placés côte à côte, un peu à l’écart du groupe, pour que la rencontre puisse enfin avoir lieu. Il fallut aller à Londres pour pouvoir parler de ce qui se passait pour elle à Paris et ainsi profondément changer la perception que son référent avait de la situation et la relation. Grâce à ce voyage réussi, nous avons pu réaliser une véritable alliance thérapeutique avec Caroline, mais aussi avec sa famille et l’expérience a permis de réorienter tout le travail de référence auprès d’elle. Lorsque l’horizon s’est à nouveau assombri, lorsque les passages à l’acte ont à nouveau occupé le devant de la scène, il était maintenant possible d’en parler directement avec elle, lors d’entretiens programmés auxquels elle venait. Etablir une alliance thérapeutique est une chose, la faire fonctionner en est une autre. En remontant le fil de l’histoire de Caroline dans l’hôpital de jour, s’est peu à peu imposée l’idée qu’elle avait sûrement encore besoin de sa “référente de l’entrée”. A partir de ce constat, se sont mis en place des entretiens familiaux plus réguliers incluant psychologue et référent infirmier. Ces entretiens ont permis à Caroline, mais aussi à son référent de sortir du “qu’avons-nous fait”, ou plutôt du “qu’avons-nous raté ces derniers temps” à “que pouvons-nous penser de ce qui s’est passé”. Cela a contribué à ouvrir d’autres possibles dans le champ de la pensée, pensée de la patiente déjà... mais aussi pensée de celui qui s’était proposé pour l’accompagner en tant que référent infirmier, le temps de son inscription à l’hôpital de jour. LA THÉRAPIE FAMILIALE Dans d’autres cas, cette minimale différenciation n’existe pas ou plus et, c’est en amont que nous devons travailler en reconnaissant cette dépendance et cette impossible individuation. C’est alors le cadre de “thérapie familiale”, que nous mettons en place, façon pour nous d’accueillir le groupe familial, en constituant un “néo groupe” dans lequel nous nous laissons “modeler” par le mode de lien familial. C’est le groupe familial dans son ensemble qui s’engage dans un processus de soin, dans une “thérapie familiale” au sein de laquelle la fantasmatique familiale sera au cœur de nos préoccupations et interventions. Nous devons dans ce cadre, être capables de nous laisser modeler, sans nous laisser détruire, par ce que nous percevons et éprouvons parfois dans notre corps des projections liées à la pulsion de mort. L’adaptation du cadre spécifique de la thérapie familiale psychanalytique à l’institution, dans cette perspective, pose bien sûr quantité de questions. Il ne saurait être question de négliger le cadre institutionnel dans lequel nous travaillons. Au contraire, nous devons accepter et maintenir cette ambiguïté que l’institution est un lieu pour le patient, qui peut et doit aussi pour ce faire, pouvoir proposer un lieu d’accueil et de traitement pour le groupe familial, dont celui-ci ne peut se différencier. Par ailleurs, pour les thérapeutes, si possible formés à la thérapie familiale psychanalytique, s’appuyer sur les collègues, distinguer les rôles et les fonctions, pouvoir mettre en place des “clivages techniques”, ce que nous appelons trivialement “changer de casquette”, reste nécessaire et indispensable, comme par ailleurs dans le reste de notre pratique en institution, quelle qu’y soit notre fonction. Les deux espaces thérapeutiques, individuels et familiaux, semblent pouvoir exister conjointement dans un rapport d’étayage et non de clivage de l’un à l’autre, ce qui nous demande bien sûr de pouvoir le tolérer. Cela pose la question d’espaces distincts à l’intérieur de l’institution et de notre possibilité Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 La thérapie familiale dans l’institution et l’institution dans la thérapie familiale d’accueil de transferts différenciés. Pour ce faire nous privilégions des espaces différenciés -un lieu pour la thérapie familiale un peu à l’écart des espaces investi par le patient dans l’hôpital de jour- et mettons en place une équipe qui n’inclut pas le soignant référent. Nous pouvons ici parler d’un transfert familial, qui est autant un transfert sur le cadre -dans un emboîtement de ceux-ci : la thérapie familiale dans l’institution, l’institution dans l’établissement- qu’un transfert sur les thérapeutes engagés dans ce travail, et enfin sur l’objet famille luimême et le processus. Reprenons quelques règles essentielles de la thérapie familiale : - Nécessité d’entretiens fréquents et réguliers avec le groupe familial. - Recevoir une famille une fois par mois semble un bon rythme pour un travail possible et l’établissement d’un transfert. Cela exige de la part de l’équipe soignante d’accepter ce travail à la marge, sans se sentir envahie, ni dépossédée. - La mise en place d’entretiens familiaux réguliers et répétés introduit la notion de rythmicité, et par là même un contenant à la fois spatial et temporel. L’interprétation du transfert sur le cadre Elle devient ainsi légitime et partie prenante du travail. Règle d’association libre Nous invitons les familles à parler librement, à exprimer ce qui a été pensé, imaginé, rêvé. Nous avons souvent remarqué que la proposition « Qu’avez-vous pensé depuis la dernière fois ? » était une formulation exigeante pour des familles poussées à nous parler de “ce qui s’est passé” ou “ne s’est pas passé”. Cette exigence de mise en fantasme, de mise en représentation, quand nous insistons sur les pensées, là ou souvent les familles voudraient privilégier l’évènement et l’acte, introduit déjà, dans sa formulation même, un écart avec les rencontres qu’ils ont déjà pu avoir avec des soignants autour de leur enfant ou leur parent malade. Règle bi-générationnelle C’est ce que nous proposons aux familles et aux patients, avec une certaine souplesse. Le sujet de l’entretien reste le groupe familial, sa dynamique, et non tel ou tel de ses membres. Règle d’abstinence C’est une règle bien difficile à tenir dans une institution et l’emboîtement des cadres fait penser qu’on ne peut mettre totalement de côté les éléments de réalité. C’est un travail aux limites, dans une articulation incessante interne-externe, sans perdre de vue que notre objectif est néanmoins de permettre une circulation fantasmatique renouvelée, un espace de pensée. Il ne saurait donc être question, encore une fois, d’en rester à des questions d’organisation et au factuel, comme certaines familles veulent nous y entraîner. Nous avons également, à titre expérimental proposé à quelques familles un cadre de “thérapie familiale avec psychodrame”, mensuel, dans lequel interviennent trois thérapeutes, un meneur de jeu qui ne joue pas et deux thérapeutes acteurs. Les membres de la famille sont invités à faire part de leurs pensées, de leurs rêves, puis un jeu est décidé en commun et les différents rôles définis, répartis entre les personnes présentes, meneur de jeu excepté. Les règles énoncées sont celles du psychodrame, tel que nous en avons par ailleurs l’expérience -on fait semblantavec toutefois un aménagement majeur : personne ici ne joue son propre rôle. Comme au psychodrame, un espace spécifique appelé “aire de jeu” est dédié au jeu. Nous proposons enfin dans ces différents dispositifs de thérapie familiale, la médiation d’un “arbre généalogique” élaboré et dessiné au cours d’une ou plusieurs séances et auquel nous nous référons régulièrement dans un aller et retour entre ce qui se dit, ce qui se joue et ce qui est tracé. La représentation qu’ont les membres de la famille de leur propre généalogie peut évoluer, ce qui peut donner lieu à plusieurs arbres successifs au fil des séances. Cas clinique Jean-Marc, jeune patient psychotique est pris en charge à l’hôpital de jour depuis cinq ans. Il a été adressé par un Centre pour Adolescent où il a été suivi pendant plusieurs années. Sa première décompensation à l’âge de 13 ans l’a conduit à une hospitalisation suite à des violences, notamment envers son père. A son arrivée, nous rencontrons un jeune homme poli, voire policé, qui parle peu et qui semble être pris dans des angoisses psychotiques majeures. C’est auprès de son infirmière référente qu’il va déposer une version de sa vie psychique. Il décrit une boule de feu remplie d’armes qu’il situe dans son ventre et qu’il doit contrôler sans cesse. S’il ne prend pas son traitement celle-ci va s’ouvrir et entrainer une catastrophe, beaucoup de personnes vont être tuées, notamment son père. Il décrit par ailleurs des impulsions contre lesquelles il lutte, celles de pousser les gens sous le métro. Dans la porte de son placard, il a une liste d’anciens camarades de classe qu’il regarde tous les jours avant de quitter l’appartement familial, ce sont des camarades qui l’ont harcelé, violenté pendant ses années de collège. C’est dans l’espace privilégié qu’est l’entretien avec sa référente que Jean-Marc va déposer sa souffrance, nul autre membre de l’équipe ne sera dépositaire de cette part de sa vie psychique. Après quelques mois de suivi à l’hôpital de jour, les parents ont été reçus par l’infirmière référente et la psychologue ayant suivi ce patient durant la période d’accueil. Elles ont d’emblée été frappées par le déni de la famille devant les souffrances de Jean-Marc. Le père décrit son fils comme l’enfant idéal, qui ne pose pas de problème, contrairement à son jeune frère Laurent, étudiant dans une école d’ingénieur, avec lequel il a connu divers conflits. C’est suite à ces premiers entretiens familiaux, devant la force du déni et la paradoxalité repérée, qu’une indication de thérapie familiale avec psychodrame a été posée. La thérapie est dirigée par un meneur de jeu et deux co-thérapeutes acteurs qui donnent la réplique aux membres de la famille dans les scènes qu’ils proposent. L’infirmière engagée dans ce travail rencontre Jean-Marc dans différent espaces de l’hôpital de jour, la cafétéria, les couloirs etc, et plus particulièrement dans l’atelier d’écriture qu’elle anime et auquel Jean Marc participe avec assiduité depuis plusieurs années. Pour des raisons d’organisation, la thérapie a lieu une fois par mois, cinq minutes après la fin de l’atelier d’écriture, ce qui demande de changer de lieu, d’espace et de temps. En effet, dans l’atelier, est partagé un imaginaire, un espace ludique, au sein de l’hôpital de jour. De façon volontairement différenciée, l’espace de la thérapie familiale avec psychodrame se situe dans un autre lieu du même bâtiment, et nous allons dans ce cadre aborder la vie fantasmatique de la famille. Cela demande de “changer de casquette”, de changer de position. Un cadre interne comme un cadre externe définis à l’avance sont indispensables, pour pouvoir passer de la réalité ou des réalités rencontrées à l’hôpital de jour à un autre lieu où, nous rencontrons la famille comme entité, dans un travail qui vise à mettre à jour la vie fantasmatique. Par exemple, quand il s’agira de parler d’un projet de foyer pour Jean-Marc, les parents demanderont un entretien au médecin chef, auquel participera l’infirmière référente. Par ailleurs, dans le cadre du travail que nous effectuons avec la famille, seront abordées les craintes inconscientes qui vont pouvoir se mettre en scène et se figurer dans l’espace de jeu. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 89 Le travail avec les familles en hôpital de jour Jean-Marc, au début de ce travail, entre dans la salle de psychodrame sans saluer l’infirmière co-thérapeute, passe devant elle sans un regard. Au bout de quelques mois, il lui dira « Bonjour » en détournant la tête, aujourd’hui il lui dit « on s’est déjà vu ». C’est certainement pour lui une manière de différencier les lieux et les espaces. Voici quelques liens, tels que nous avons pu les établir entre l’atelier d’écriture et les scènes de psychodrame familial. En effet, rencontrer Jean-Marc dans ces deux espaces nous a permis d’effectuer quelques rapprochements entre l’histoire familiale et la psychopathologie du patient. Dans l’atelier d’écriture, nous constatons que, dans les textes de Jean-Marc, il n’y a peu ou pas de figure féminine, que cette part maternelle est souvent portée par un personnage masculin, ce que nous retrouvons dans le psychodrame familial. Au cours d’une année dans l’atelier, nous travaillons sur la création d’un personnage qui accompagne chaque participant dans différentes formes d’écriture. JeanMarc va créer son personnage : un artiste peintre du XVIème siècle vivant dans une grande demeure cachée dans les bois. Il y vit avec son père, lui-même artiste. Beaucoup de textes écrits par Jean-Marc s’attacheront à la relation d’étayage existant entre ces deux personnages. La transmission des techniques de peintures se fera de l’un à l’autre. On retrouve souvent dans ces textes, un père vieillissant soutenu par un fils lui apprenant de nouvelles formes de création picturale, un fils qui pourrait être le bâton de vieillesse du père. Le fils prend une position maternelle, il fait le repas pour le père, s’en occupe comme d’un enfant, le rassure quant à ses capacités créatrices, etc. Nous apprendrons au cours des séances de psychodrame, qu’au début de sa retraite, Monsieur écrivait des histoires qu’il donnait à lire à Jean-Marc à son retour au domicile familial. Nous découvrons une mère souvent opératoire, qui “gère” la vie organisationnelle de la famille. Elle nous semble plus dans une fonction paternelle, ou du moins masculine. La référente de Jean-Marc nous dira à plusieurs reprises qu’elle ressent cette mère comme une femme froide, sans affects. D’où notre surprise quand, dans le cadre du psychodrame, nous ressentons pour elle de l’empathie, la trouvant exclue du couple formé par le père et le fils. Le père, à plusieurs reprises, exprime des émotions très fortes, allant jusqu’à pleurer quand est jouée la culpabilité d’avoir un enfant malade et d’avoir éliminé son propre père. A l’évocation de la relation de Monsieur à son père, qui a quitté sa 90 famille, et que Monsieur n’a revu que sur son lit de mort, nous évoquons les différentes ruptures violentes qui ont eu lieu à différentes générations. Monsieur aura alors plusieurs mouvements corporels, notamment une sortie de scène pour aller, dos tourné, se mettre en retrait dans un coin de la pièce. Jean-Marc, quant à lui, n’a de cesse de “consoler” son père. Dans les scènes il n’est pas rare de le voir prendre celui-ci dans ses bras. Monsieur dira que Jean-Marc est celui qui fait le lien dans la famille. Il se réfère à lui dans la construction de l’arbre généalogique pour s’assurer des prénoms, dans le récit de tel ou tel évènement ou la précision des dates. Jean-Marc ne se trompe jamais, même quand il s’agit d’événements ayant eu lieu avant sa naissance. Serait-il le porteur et l’historien de la famille ? Il se présente souvent comme prévenant et attentif aux mouvements émotifs de son père et nous avons pu nous demander à plusieurs reprises si Jean-Marc ne se mettait pas en position de père pour son père. Il aurait cette fonction étayante afin de lui éviter un effondrement dépressif. Lors de la dernière séance de psychodrame, Madame a pu évoquer les ruptures dans sa propre famille. Jusqu’alors, elle nous avait plutôt fait part des décès, ce qui avait valu à Monsieur cette phrase « Chez Les Basques, on se fâche, chez les Solognots on ne se dit rien, mais il y a plus souvent des pendus aux poutres ! » Madame nous raconte une fête organisée pour les 60 ans de mariage de ses parents. Elle y a retrouvé des cousins qu’elle n’avait pas vus depuis longtemps et d’autres dont elle a fait connaissance. Elle nous fait part d’une rupture à la génération de ses grands-parents autour de l’héritage de la ferme familiale. Suite à une reprise concernant la difficulté de chacun des parents à s’appuyer sur sa famille respective, Monsieur associe sur l’importance des conflits et des ruptures dans la sienne. Il exprime des envies de meurtre, ce que nous jouerons dans une scène où nous tentons de figurer les parties clivées de Jean-Marc. Nous mettons en scène les deux familles. Le meneur envoie un des co-thérapeutes figurer ce que Jean Marc vit à l’intérieur de son corps : une boule remplie d’armes qu’il contrôle afin d’éviter les meurtres. A la reprise, Madame fait le lien avec la façon dont ses deux fils se sont construits, chacun à sa manière. Laurent a quitté la famille, allant s’installer à l’étranger (Il est souvent dit que c’est celui qui ressemble le plus au grand-père paternel) et Jean-Marc ayant des difficultés à se séparer, est celui qui maintient la famille unie. En début de séance, Monsieur avait évoqué le fait que, malgré sa tristesse à ce sujet, sa femme et lui-même ont reparlé de l’idée d’un foyer ou d’un appartement thérapeutique pour Jean-Marc, ils sont d’accord pour ce projet. Projet que la référente de Jean-Marc interrogeait quelques heures auparavant, se demandant quoi faire : « fallait-il mettre en place des démarches, sachant que le patient n’évoque jamais la question ? » Ce travail institutionnel à plusieurs, dans des places différentes, nous permet de rencontrer le patient dans différents lieux de sa vie psychique, nous permet de le penser dans une totalité, là où il dépose des bribes de sa réalité interne en chacun de nous. Ce travail de liaison nous est nécessaire pour pouvoir penser le fonctionnement psychique, faire des ponts entre les parties clivées. Ce travail de thérapie familiale avec psychodrame est un outil qui apporte un matériel conséquent mais, n’a lieu d’être qu’en lien avec les autres espaces institutionnels fréquentés et investis par le patient. CONCLUSION Le cadre que nous proposons est ainsi, nous semble-t-il, “un cadre sur-mesure” au sens que Maurice Berger donne à ce terme c’est-à-dire « celui d’un objet oral qui s’adapte aux besoins du sujet », lorsque celui-ci souffre d’une problématique trop éloignée du registre névrotique, pour supporter un « cadre prêt à porter ». C’est un cadre qui ne doit être ni trop influençant, ni trop influençable pour pouvoir maintenir une capacité à être un lieu d’élaboration et de réverbération, pour permettre aux différents membres de la famille de se sentir, se voir, s’entendre, quand cette capacité de réflexivité n’existe pas ou pas suffisamment. Concernant les soignants, notre souci demeure qu’ils privilégient la réceptivité, l’attention aux expériences émotionnelles, qu’elles soient verbales ou non verbales, et de l’ordre de la “rêverie”, que ce soit dans le cadre des entretiens familiaux ou dans les différents espaces institutionnels. La mise en commun de ces “rêveries” dans des temps d’élaboration groupale, doit pouvoir favoriser le tissage d’une enveloppe institutionnelle, qui permette un tant soit peu d’échapper au piège des projections et de déjouer les contre attitudes et les contre agirs. Pouvoir, un temps, se déconnecter du vécu institutionnel semble indispensable à maintenir une capacité de penser et la possibilité de prêter notre appareil psychique au patient pour établir des liens avec ce qui se passe pour lui, dans et hors l’institution. En tant que thérapeutes familiaux et soignants dans l’institution, nous sommes Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 La thérapie familiale dans l’institution et l’institution dans la thérapie familiale donc placés à ce carrefour privilégié d’observation et de mise en sens des éléments familiaux et institutionnels, que ce soit dans une dimension actuelle, ou historique et transgénérationnelle. Nous sommes témoins privilégiés avec le patient de ce qui se vit et se revit, transférentiellement parlant et pouvons ainsi en proposer une lecture, que ce soit dans le cadre des entretiens familiaux ou dans l’institution. Une enveloppe se tisse où la dimension métaphorique prend toute sa place, rapportée au sémaphorique. Notre cadre interne doit ainsi être particulièrement solide pour pouvoir entendre à plusieurs niveaux : - le vécu individuel du patient dans sa relation à son référent, et dans l’ensemble de l’institution, - le vécu familial et groupal dans l’appareil psychique familial, - la place de la thérapie familiale à l’intérieur de l’institution, - la place de l’institution dans la thérapie familiale. Ainsi, nous distinguons nécessairement les effets de transferts individuels (le référent), groupaux (thérapie familiale) et institutionnels et sommes conscients de la nécessité de différencier le métacadre, correspondant à la partie institutionnelle du dispositif thérapeutique des différents espaces thérapeutiques portés par d’autres thérapeutes, dont la thérapie familiale. BIBLIOGRAPHIE 1. AUBERTEL F., Commentaire à propos du texte de F. BARUCH : Comment on accède à la thérapie familiale psychanalytique ou le temps de la préparation, Le divan familial, n° 1, 1998, pp 99-104 2. KAMMERER B., Rêver et jouer en famille, Le divan familial, 29, automne 2012, pp 99110 3. BERGER M., Des entretiens familiaux à la représentation de soi, Paris, Apsygée, 1990 4. SEFCICK R., L’institution, sa place dans la psyché. L’instituel et le métacadre, Le divan familial, n°1, 1998, pp 173-192 5. PENOT B., Travailler psychanalytiquement à plusieurs en hôpital de jour. La reprise d’un temps premier du processus subjectivant www.spp.asso.fr, repris dans : F. RICHARD, S. WAINRIB, La subjectivation, Paris, Dunod, 2006, pp 179-191 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 91 CHRISTOPHER, JULIETTE… RENCONTRES AVEC L’AUTISME Hôpitaux de Jour Saint-Saëns/Langevin, 51 rue du Professeur Langevin 29200 BREST FRANCE [email protected] Dr Jacques CIROLO, Michèle CREVEUIL, Johann DREVILLON L’arrivée à l’hôpital de jour d’une jeune fille atteinte du syndrome d’Asperger a suscité de nombreux questionnements au sein de l’équipe soignante. Par la pertinence de la clinique qu’il contient, la lecture du roman « Le bizarre incident du chien pendant la nuit » a nourri notre réflexion et guidé la prise en charge de Juliette et de sa famille. Nous avons retenu de cet écrit : la particularité du rapport au signifiant, la défaillance de l’opération d’aliénation-séparation et l’importance de la fonction défensive du bord autistique tel que le décrit le psychanalyste J.-C. Maleval. Partant de ces constats nous avons d’autant mieux défini les axes à développer dans le projet thérapeutique proposé à Juliette et à ses parents. Le respect des solutions autothérapiques du sujet autiste et les exigences éthiques qui en découlent sur pour nous essentielles. Mots-clefs : Autisme d’Asperger, signifiant, aliénation-séparation, bord autistique, psychanalyse. Christopher, Juliette… Meetings with autism When a girl suffering from Asperger Syndrome arrived at the day hospital, many questions arose amongst the medical and nursing staff. Due to the relevance of its clinic description, Mark Haddon’s novel “The Curious Incident of the Dog in the Night-Time” helped us think about the care of Juliette and her family. What did we retain from this text? A particular relation to the signifier, the failure of the operation of alienation-separation, and the importance of the defensive function of the autistic border as described by analyst J.-C. Maleval. With these notions in mind, we could better define the lines to be elaborated in the therapy plan that we proposed to Juliette and her parents. The respect of the self-therapeutic solutions of the autistic subject and the subsequent expected ethics are indispensable to us. Keywords: Asperger autism, signifier, alienation-separation, autistic border, psychoanalysis INTRODUCTION A l’hôpital de jour de BREST, nous y accueillons majoritairement des adultes psychotiques, souvent schizophrènes mais le service est ouvert à d’autres types de pathologies : Troubles du Comportement Alimentaires, névroses sévères, syndromes dépressifs chroniques… Depuis quelques mois, nous prenons en charge une jeune fille atteinte d’un syndrome d’Asperger dont la clinique, inhabituelle pour nous, ne cesse de nous interroger voire de nous déconcerter. Aussi avonsnous décidé de consacrer notre atelier à cette jeune patiente en nous centrant plus particulièrement sur la question de ses relations intrafamiliales. Avant de vous parler plus spécifiquement de Juliette, nous allons commencer par quelques notions cliniques puis psychanalytiques sur l’autisme. Nous avons choisi de prendre comme point de départ un roman de Mark Haddon « Le bizarre incident du chien pendant la nuit ». Il s’agit d’une fiction biographique, racontée à la première personne, dont le héros est un jeune homme de 15 ans, atteint du syndrome d’Asperger, on repère très vite ses troubles de la relation à l’Autre, son mode de pensée si particulier et ses capacités intellectuelles intactes voire exacerbées. 92 Rappelons que les autistes d’Asperger sont dits autistes de haut niveau. La clinique de l’autisme illustrée par Christopher Au début du roman Christopher vit seul avec son père et l’on comprend que sa mère est décédée depuis deux ans. Ses relations sociales, en dehors de l’école, sont inexistantes. Une jeune fille l’aide dans la vie quotidienne, notamment en classe, où ses résultats sont manifestement très bons. Les jours se suivent et pour Christopher, dans le monde qu’il s’est construit, doivent se ressembler. On peut déjà souligner les notions de « Sameness », désir de préservation à l’identique, et d’« Aloneness », solitude extrême, telles qu’elles ont été décrites par Leo Kanner en 1943 dans son tableau de l’Autisme infantile précoce. La description de Hans Asperger date également de 1943. Il parle, quant à lui, de psychopathie autistique de l’enfance et souligne « le manque d’empathie, la conversation unidirectionnelle et la forte préoccupation vers des intérêts spéciaux », il appelle ces enfants « Les petits professeurs » en raison de leur capacité à parler de leur sujet favori avec beaucoup de détails. Retour à Christopher qui découvre un matin Wellington, le chien des voisins, mort, une fourche plantée dans le ventre : à partir de cet instant Christopher décide de mener l’enquête « Qui a tué Wellington ? », à la façon d’un détective. Il s’identifie à Sherlock Holmes, son idole et son double ; à partir de là, l’intrigue va plus ou moins se dérouler comme celle d’un roman policier. Nous allons vous en proposer une sélection d’extraits qui nous placent au cœur du monde de l’autiste et de sa famille, extraits qui illustrent par ailleurs de façon quasi exemplaire des concepts psychanalytiques tels que ceux élaborés par Rosine et Robert Lefort ou Jean-Claude Maleval, notamment quatre d’entre eux. Primat du signe Voici comment se présente Christopher : « Je m’appelle Christopher John Francis Boone. Je connais tous les pays du monde avec leurs capitales et tous les nombres premiers jusqu’à 7 507 ». Quelques pages plus loin il nous explique qu’il a horreur de la métaphore et choisit l’exemple de l’expression : « Il fait un temps de chien » « Un chien, nous dit-il, ça n’a rien à voir avec le temps… ça me fait m’embrouiller et après je ne me souviens plus de ce que l’on était en train de dire ». La blague de Père : « Ses traits étaient tirés mais pas ses rideaux » « Trois sens en même temps (tiré = tracé - crispé de fatigue - mis en travers d’une fenêtre), c’est comme si j’entendais trois morceaux de musique différents à la fois ; c’est gênant et déconcertant ». Christopher est à mille lieux du discours tel que Jacques Lacan le théorise dans les Ecrits : « Mais il suffit d’écouter de la poésie… pour que s’y fasse entendre une polyphonie et que tout discours s’avère s’aligner sur les plusieurs portées d’une partition ». A propos du mensonge, Christopher déclare : « Je ne mens pas » «Mère disait que c’est parce que je suis quelqu’un de bien. Mais ce n’est pas pour ça. C’est parce que je ne sais pas mentir ». Ces différentes déclarations mettent certes en évidence « l’intelligence autistique » Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Christopher, Juliette… Rencontres avec l’autisme mais surtout la difficulté pour Christopher à développer une chaîne signifiante et à y occuper une position d’énonciation, c’est ce que Maleval dénomme carence d’énonciation. L’autiste reste sous le primat du signe. Pour lui, le mot n’est pas le meurtre de la chose et il va donc s’atteler à une tentative de codage du monde. En effet, pas de métaphore, pas de double sens, pas de jeux de mots, autant de figures langagières qui peuvent susciter angoisse voire colère chez l’autiste. Incapable d’accéder à la fluidité du signifiant, l’autiste est en quête de signification absolue ; ce qui lui importe c’est de rester maître du langage. Dans son entreprise de codage, il va recourir à des signes, essentiellement des icônes (Par exemple, les images d’un homme et d’une femme sur les portes des toilettes). Christopher a recours aux icones, notamment pour les émotions : « triste… c’est ce que j’ai ressenti en trouvant le chien mort » « content … c’est quand je suis encore réveillé à 3 ou 4 heures du matin et que je me promène dans la rue en faisant comme si j’étais le seul être humain au monde ». Les icônes maintiennent un lien avec la chose qu’il désigne alors que le signifiant est quant à lui totalement détaché de la chose qu’il représente. Le signifiant possède une valeur essentiellement différentielle (chaque signifiant est ce que les autres ne sont pas) et non pas une valeur de désignation. Pour l’autiste, le trait unaire, première marque de l’inscription du sujet dans le signifiant fait défaut et l’identification primordiale qui permet au sujet d’entrer dans l’ordre du signifiant ne se produit donc pas. Il existe une métaphore particulière pour Christopher, son prénom, qui signifie celui « qui porte le Christ » : « mère disait que c’est un joli prénom parce que c’est l’histoire de quelqu’un de gentil et de serviable, mais je ne veux pas que la signification de mon prénom soit l’histoire de quelqu’un de gentil et de serviable. Je veux que la signification de mon prénom (S1) ce soit moi ». Pour Christopher, pas de polyphonie, pas de polysémie, et surtout pas pour son prénom : en effet pas question pour Christopher d’être représenté par un signifiant qui pourrait représenter quelqu’un d’autre que lui. Et c’est toute l’organisation signifiante « Le signifiant (S1) c’est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant (S2) » qui ne se met pas en place. L’aliénation, opération qui habituellement résulte de l’assujettissement de l’être humain à l’ordre du signifiant ne se produit donc pas. Lorsque Christopher déclare « Je veux que la signification de mon prénom ce soit moi » nous comprenons qu’il reste en amont de cette opération: pas de S1 donc pas de possibilité de mise en relation entre S1 et S2. Clivage a/S1 : concept développé par les Lefort Tout d’abord, qu’est-ce que l’Objet (a) chez Lacan ? Objet cause du désir : il appartient à la catégorie du Réel, il n’est ni symbolisable ni spécularisable. C’est l’objet irrémédiablement perdu, impossible à saisir, si ce n’est à travers le fantasme. L’objet (a) possède une consistance logique (postulat d’un vide structural dans le sujet) et des substances épisodiques (orale, anale, scopique, vocale). Quelle que soit sa forme, l’objet (a) renvoie au a privatif grec ; dans tous les cas quelque chose se détache du corps, c’est sans doute plus facilement repérable pour l’objet oral et l’objet anal mais il en va de même le pour la voix qui doit se détacher des organes phonatoires et de sa matérialité sonore et pour le regard qui doit se détacher de l’œil en tant qu’organe visuel. Dans tous les cas, on retrouve la notion césure corporelle : ce qui se détache du corps se loge dans le vide de l’Autre, s’articule avec les signifiants de son désir et la position désirante du Sujet se construit ainsi. Pour l’autiste, l’inscription dans le signifiant n’étant pas opérante (pas de S1), l’objet ne se détache pas, il ne se produit pas d’articulation entre l’objet a et le signifiant : c’est ce que les Lefort dénomme le clivage a/S1. S’il ne se produise pas d’extraction de l’objet (a) le sujet reste envahi par la jouissance de l’Autre, cela s’illustre particulièrement dans la clinique de l’autisme, notamment pour le regard et pour la voix qui deviennent persécuteurs. La voix ne se coupe pas de son support sonore, « Les mots restent enchâssés dans l’onde sonore ». Le chemin qui va du cri à l’appel, à la demande puis au désir et à la parole ne se constitue pas. La parole ne fait pas taire la voix qui reste encombrante, inquiétante : « Les autistes s’entendent eux-mêmes » écrira Lacan. Mutisme, ton monocorde, écholalie et psittacisme sont autant de moyen que l’autiste utilise pour se protéger de la jouissance vocale. Voyons comment Christopher se protège de la voix : « Alors je me suis bouché les oreilles avec les mains pour empêcher le bruit de rentrer et pour arriver à réfléchir ». De la même manière, l’œil, organe de la vue, n’est pas le regard animé par le désir : voir ce n’est pas regarder. La pulsion scopique fait de l’œil, non plus seulement la source de la vision, mais aussi une des sources de la libido. S’il ne se détache pas de son support visuel, le regard reste menaçant, envahissant ce qui se traduit cliniquement par le regard fuyant, impossible à capter de l’autiste ou par son soulagement lorsqu’il échappe au regard de l’autre : « Il ne me regardait pas en me disant ça. Il regardait toujours par la fenêtre. En général les gens vous regardent quand ils vous parlent…moi j’ai trouvé ça agréable que Père me parle sans me regarder ». Aliénation / Séparation Afin de mener son enquête sur la mort de Week-endllington, Christopher consigne dans un livre tous les éléments qu’il recueille en interrogeant les voisins. Découvrant les investigations de son fils, le père de Christopher s’emporte et confisque le livre. Alors que son père n’est pas encore rentré du travail, Christopher se met à la recherche de son livre et découvre dans un placard de la chambre de son père, un coffret contenant des lettres que sa mère lui écrit depuis deux ans. Le mensonge de Père « Mère n’avait pas eu de crise cardiaque. Mère n’était pas morte. Mère avait été vivante tout le temps. Et père m’avait menti ». La lecture du contenu des lettres bouleverse le monde de certitude que s’est bâti Christopher , il ne lui est pas possible de penser que son père mente et encore moins que ce mensonge vienne révéler quelque chose qui concernerait le désir de ce dernier. La séparation (deuxième versant de l’opération d’aliénationséparation) : de l’intervalle entre les signifiants auxquels le sujet s’est aliéné, émerge l’énigme du désir de l’Autre « Tu me dis ça mais qu’est-ce que tu me veux ? » « Quel est l’objet de ton désir? ». L’énigme pour Christopher ne se situe pas du côté du désir , il s’en tient à : « Qui a tué Week-endllington » non pas « Quelle est cette affaire de désir entre papa et maman ? » « Pourquoi maman est-elle partie ? » « Pourquoi a-t-elle quitté papa pour Mr Shears ? » « Qu’est ce que cela a fait à papa ? » « Quelle est ma place dans tout cela ? ». Autant de questions oedipiennes qui auraient pu faire de Christopher un sujet sexué, pris dans la dialectique du désir, mais qui sont pour lui forcloses. Christopher se cantonne à des termes relatifs à une enquête policière , il reste totalement imperméable aux explications que son père tente de lui donner et conclue qu’il est lui-même en danger et qu’il lui faut partir. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 93 Le travail avec les familles en hôpital de jour Les défenses dans l’autisme : le bord autistique Les défenses du sujet autiste sont essentiellement destinées à le protéger d’une jouissance envahissante. Maleval les désigne sous le terme de bord autistique et les subdivise en trois éléments qui en réalité s’interpénètrent : l’objet autistique, le double et l’ilot de compétence. L’utilisation d’une compétence particulière permet par exemple à Christopher de métaboliser une émotion qui le submergerait: « J’ai calculé des puissances de 2 dans ma tête parce que ça me calme. Je suis arrivé à 33 554 432, c’est-à-dire 2 puissance 35, ce qui n’est pas beaucoup parce que je suis déjà arrivé à 2 puissance 45, mais mon cerveau ne fonctionnait pas très bien ». Dans la perspective d’une filiation qui va du Dupin d’Edgar Poe à Christopher, en passant par Hercule Poirot ou Arsène Lupin, nous pouvons saisir la fonction de double jouée par Holmes. Quant à l’objet on peut le repérer dans le code que Christopher se constitue à partir des couleurs des voitures ou également dans le roman qu’il écrit. Nous allons voir à présent comment tout cela se met en place pour Juliette. La clinique de l’autisme à l’hôpital de jour : Juliette L’orientation en hôpital de jour Avant d’être admise dans notre hôpital de jour Juliette était scolarisée en classe de première dans un lycée de la région. Comme Christopher elle était accompagnée par une auxiliaire de vie scolaire. Malgré ce soutien, Juliette prend la parole devant l’équipe pédagogique pour dire qu’elle éprouve des difficultés scolaires dans différentes matières sauf en anglais et en arts plastiques, et elle ajoute qu’elle a atteint ses limites au niveau du lycée. La famille de Juliette est en recherche depuis plusieurs mois d’un nouveau partenariat et d’une autre orientation pour leur fille. Une admission à l’hôpital de jour est alors envisagée. Eléments biographiques Juliette a 18 ans, elle est la 2ème enfant d’une fratrie de 3. Elle a une sœur de 21 ans, étudiante en soins infirmiers et un frère de 16 ans avec lequel Juliette rencontre des difficultés relationnelles. Son père est technicien électricien. Elle en parle peu, voire pas du tout. Sa mère est aide-soignante en maison de retraite. A l’image de la mère de Christopher, celle de Juliette est en souffrance, comme en témoignent ses nombreux arrêts de travail pour de multiples plaintes somatiques qui 94 s’expriment par des maux de dos, des entorses à répétitions… La famille, entrave ou soutien, se séparer, s’en servir La famille de Juliette a été très présente dès le début de la prise en charge, particulièrement sa mère sans laquelle aucune décision ne semble pouvoir être prise. L’enfant, objet de projections narcissiques, déçoit toujours les exigences de ses parents et c’est même à cette condition qu’il devient sujet. Lorsque l’enfant est autiste, cette déception peut prendre une autre ampleur, surtout si les parents sont influencés par le discours actuel qui promeut toujours plus la performance, pousse à l’hyper stimulation et à la normalisation. Ces impératifs de succès renforçant la figure d’insupportable que revêt la maladie. Faire le deuil de l’enfant imaginé, accepter de renoncer à ses idéaux de réussite n’est pas une chose aisée. C’est ce dont témoignent les parents de Juliette lorsqu’ils la poussent toujours plus vers la réussite, y compris dans ses passions, dans une demande constante d’évolution qui se heurte au « refus de grandir » de Juliette. Juliette fait référence continuellement à sa mère, ne pouvant dissocier sa parole propre du discours maternel. Leur relation illustre le paradoxe du désir de protection décrit par Freud. Le lien entre elles porte l’ambivalence même du terme, c’est à la fois un lien de tendresse, un attachement, mais aussi un lien qui emprisonne, et contraint. Cette ambivalence pose la question de comment protéger l’autre tout en lui ménageant une place. A l’image du père de Christopher qui utilise le mensonge pour protéger son fils, la mère de Juliette, très présente, cherche ce qui est le mieux pour sa fille. « Je passe ma vie à gommer les angles » nous avoue-t-elle. Nous allons le voir, elle s’inscrit dans une lutte constante qui se heurte à un irréductible. Elle entretient ainsi l’espoir constamment déçu d’une guérison. La mère de Juliette situe son combat contre les instances de soin dans un besoin de contrôle qui apparait comme le reflet de l’immuabilité de sa fille, mais c’est bien l’effet d’un déplacement, car c’est face au réel de la maladie qu’elle se bat. Relations familiales Durant de longues années, les parents de Juliette ont mené un combat permanent pour qu’elle puisse s’intégrer au mieux socialement. Ils parlent d’épuisement physique et moral, d’énergie dilapidée pour toutes ses démarches et des vaines précautions prises pour protéger leur en- fant. L’avenir de leur fille les angoisse au plus haut point. Des entretiens médicaux en présence de la famille sont mensuellement fixés, ainsi que des rencontres dans le cadre du “groupe famille” où seule la mère de Juliette est présente. Lors de cette seule participation à ce groupe, la mère de Juliette, sans rien partager avec les autres parents présents, vient ainsi délivrer dans un témoignage de son parcours, son savoir absolu et la “recette” de l’acceptation de la maladie, sans ouverture possible sur un questionnement. Durant les entretiens Juliette adopte une attitude renfrognée et s’anime uniquement lorsqu’elle évoque l’univers du dessin, domaine dans lequel elle excelle. Estimant que ses dessins sont trop enfantins la famille de Juliette lui demande maintenant d’évoluer vers un graphisme plus élaboré. Le cadre de l’entretien nous a permis d’expliquer à la mère de Juliette la fonction de bord que le dessin remplit pour Juliette. La famille de Juliette s’est fixé comme objectif pour cette année qu’elle puisse accéder à une formation à visée professionnelle dans le domaine du livre, bibliothécaire, documentaliste… L’aliénation à travers la relation mèrefille Dans les récits d’autistes, la mère tient le plus souvent une place prépondérante, ce que l’histoire de Juliette nous confirme. Reprenons ici les concepts d’aliénationséparation sous un autre angle, celle de la relation de dépendance dans laquelle se situe d’emblée le petit humain. L’enfant est d’abord dans une relation de dépendance à l’Autre, la mère le plus souvent. C’est elle qui donne au cri de l’enfant la valeur d’appel, elle attribue du sens aux sensations brutes de l’enfant et met fin à l’état de tension corporelle qu’il ressent. Dans cet état de « détresse initiale » (l’« Hilflosichkeit » freudienne), l’enfant se constitue dans un monde où l’Autre sait mieux que lui ce qui lui arrive. La mère est habituellement « le premier agent de l’humanisation et de la socialisation de l’enfant » nous dit C. Soler, mais entre elle et l’enfant, un point de séparation est nécessaire et c’est ce que Lacan appelle le Nom-du-Père. La mère de Juliette identifie les difficultés de sa fille à un handicap avant tout social. Elle se bat pour l’intégration de sa fille. Son désir de normalisation se traduit par une volonté de lui enseigner les standards de la vie sociale à travers des impératifs, commandements, normes et interdits. L’humanisation est autre chose, elle se distingue du conformisme social. Elle est ce qui assure le lien entre le nouage du registre pulsionnel et les conditions du Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Christopher, Juliette… Rencontres avec l’autisme vivre ensemble. Pour Juliette une faille se dévoile en deçà de l’apprentissage des codes sociaux. La mère de Juliette incarne cet « Autre du commandement », tour à tour rassurant et tyrannique. Elle est prisonnière du discours maternel. Sa mère apparait à la fois comme décodeur entre elle et les autres et comme frein à son autonomie, ce qui illustre le paradoxe du désir de protection. Mensonges et secrets, figure de la séparation Le mensonge est associé à la structure même de la parole. Le signifié court toujours sous le signifiant, et la vérité ne peut-être que « mi-dite », du fait de l’inconscient, qui divise le sujet. De ne pas être entré dans l’aliénation signifiante, l’autiste entretient un rapport de fixité entre signifiant et signifié et ne peut accéder au mensonge. L’impossible séparation se manifeste pour Juliette sous les traits de l’impossibilité du secret. Selon Tausk, le premier secret met fin à la pensée selon laquelle les parents savent tout. « La lutte pour le droit de posséder des secrets à l’insu des parents est un des facteurs les plus puissants de la formation du moi, de la délimitation et de la réalisation d’une volonté propre ». C’est donc une étape indispensable pour qu’advienne un sujet. Juliette ne peut rien cacher à cet Autre maternel, figure surmoïque féroce et terrifiante. Elle s’impose de lui rendre compte de toutes ses activités, et ce, non sans angoisse. Mais cette position, elle la revendique, « Je ne veux pas grandir », ditelle souvent. Le monde des adultes lui fait peur, elle ne veut pas renoncer à son monde infantile, peuplé de personnage de dessins animés et de jeux vidéo. L’injonction parentale de grandir est paradoxale puisqu’ils ne lui laissent pour autant que peu de possibilité d’émerger en tant que sujet désirant. Observations à l’hôpital de jour Juliette fait une entrée remarquée en s’adressant de manière individuelle à chaque patient. Elle leur débite d’une voix forte et totalement dépourvue de modulation en leur tendant la main un « Bonjour, vous êtes malades, quel est votre handicap ?… Moi je suis autiste Asperger »… un peu comme si elle récitait une litanie désincarnée. A l’hôpital de jour nous constatons que Juliette a besoin d’un environnement dépourvu de changement et d’imprévus. Nous tentons par ailleurs de lui faire prendre conscience de l’environnement social en lui apprenant à décrypter la communication non verbale des autres personnes et à tenir compte de leurs avis. Elle cherche à s’imposer et si ses choix ne sont pas retenus, elle s’insurge en disant qu’elle se sent soumise. Elle peut alors se montrer violente et jeter des objets au travers de la pièce. Quand elle parvient à se calmer Juliette vient s’excuser auprès de l’équipe, se dit désolée de s’être emportée, craignant que nous informions sa mère de l’incident, nous suppliant de ne pas la contacter par téléphone. Comme chaque patient à l’hôpital de jour, Juliette a une l’infirmière référente, terme qu’elle n’arrive pas à mémoriser, et qu’elle traduit par « infirmière téméraire ». Lorsque cette dernière est absente, elle demande au reste de l’équipe collègues de ne pas lui rapporter ses débordements. Juliette présente des difficultés à établir des liens sociaux, elle ne saisit pas les codes qui régissent les comportements, ne comprend pas le second degré inhérent à toute conversation, se dit victime de moqueries de la part des autres. Juliette dit ne plus vouloir venir à l’hôpital de jour car elle ne supporte pas la plupart des patients, cette situation lui fait penser aux « années collège », où, mise à l’écart des élèves elle avait envisagé le suicide. En mettant un terme à sa scolarité, Juliette dit avoir gâché sa vie et empiré sa situation en venant à l’hôpital de jour, elle dit s’y trouver comme en prison et exprime fréquemment des idées noires. Elle reçoit et ressent nos demandes comme intrusives et menaçantes. Nos remarques sont perçues comme des reproches, voire des agressions à son encontre. Elle considère que les autres patients sont plus malades qu’elle, les qualifie « d’impolis, de schizophrènes idiots, de gros porcs », elle dira d’eux qu’ils sont sales, elle communique peu avec eux, s’isole, est en difficulté pour s’intégrer dans le groupe. Elle montre peu d’intérêt pour l’autre. Nous observons un décalage important entre sa manière d’être et de penser par rapport aux autres patients du service. Un des patients du service l’impressionne tout particulièrement, sa voix provoquant chez elle un état d’angoisse important, au point de redouter d’être violée par lui dans les toilettes. A l’inverse, elle parle d’un « type » accueilli également dans le service. C’est un patient psychotique très dissocié mais par ailleurs très à l’aise dans la relation à l’autre. Elle l’aime bien parce qu’il lui parle calmement, la rassure, elle dit qu’il va lui apprendre à avoir de bonnes relations avec les gens. Peutêtre fait-il alors office de double pour Juliette dans le sens où l’entend J.-C. Maleval. Le bord autistique Comme le démontre Christopher, il y a nécessité pour le sujet autiste de préserver et maintenir l’immuabilité par l’intermédiaire d’une barrière protectrice contre l’Autre menaçant. Voyons comment Juliette a recours « bord autistique » et quel aménagement cela lui permet. De nombreux autistes et auteurs ont décrit l’importance des objets et plus particulièrement ceux porteurs de signifiants organisés (calendriers, annuaires…) qui permettent de donner cohérence au monde environnant en mettant à distance l’imprévisibilité et l’incertitude. C’est le cas de Christopher qui se construit un code lui permettant de donner un sens au monde, c’est également le cas pour Juliette qui accorde une grande importance au planning qu’elle consulte dès son arrivée à l’hôpital de jour et qui trouve par ailleurs à travers le dessin, un objet autistique offrant la possible d’une relation plus apaisée à l’Autre. La défaillance de ce bord peut pousser à l’automutilation, morcellement ou à l’isolement. C’est ce dont témoigne Christopher à quelques reprises dans le roman. De la même façon, les défenses érigées par Juliette pour se protéger de l’Autre cèdent parfois, ou se révèlent insuffisantes, ce qui se traduit par le passage à l’acte. Le dessin comme objet et support du double Comme évoqué précédemment, les objets (a) tels que la voix et le regard lorsqu’ils ne font pas le joint entre le sujet et l’Autre, deviennent des objets angoissants. La présence des autres se révèle problématique pour Juliette. Ils sont perçus comme imprévisibles et inquiétants, et la cohabitation est difficile, voire impossible. Elle se replie alors dans un monde sécurisé où elle peut reprendre une position de contrôle. Selon Kanner, le chemin du succès se trouve dans la capacité à faire carrière d’une obsession autistique. A défaut d’ouvrir une carrière pour Juliette, le dessin lui permet à la fois de se protéger et d’entrer en relation avec un Autre maintenu à distance. Elle crée des fans-fictions dont le principe repose dans le fait de s’inspirer de l’univers d’une série, BD ou jeu-vidéo pour en réécrire l’histoire. Elle peut ainsi décider du sort de chaque personnage. Cet objet dessin lui apporte un apaisement dans un travail visant à contenir la jouissance mais n’est toutefois pas sans risque Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 95 Le travail avec les familles en hôpital de jour de débordement. Ses parents, visiblement choqués par certaines de ses productions lui interdisent alors le dessin pendant quelque temps. L’image du double et traitement du regard Juliette se façonne des doubles par le dessin, principalement sous deux formes : - à travers les personnages inventés qui la représentent - par l’intermédiaire de son pseudo, puisqu’elle est inscrite sur un site de dessin où plusieurs membres mettent en commun leurs créations. Elle crée différents personnages qu’elle peut utiliser et se met en scène dans des bandes dessinées dont elle est l’héroïne et dont elle maitrise le scénario se créant ainsi un point d’où elle peut se voir aimable, elle qui a subi les moqueries de ses camarades de classe ou de son frère. Par le dessin elle met « à distance l’objet pulsionnel en le cadrant dans l’objet autistique », le regard ne se porte non plus sur elle mais sur ses créations, son double, l’image qu’elle présente à l’autre. Aménagement du lien à l’autre grâce au pseudo, traitement de la voix La proximité des autres, la présence de leur voix, de leur regard est angoissante pour Juliette. Par le biais d’un site de partage de dessin, elle échange en utilisant un pseudo. Elle a ainsi rencontré un jeune vivant à l’étranger avec qui elle entretient des relations par internet. Cette connexion à des autres virtuels préserve l’isolement. Ce type de relation n’engage pas la dimension du corps, excluant la présence du regard et de la voix si problématique pour Juliette. La dimension libidinale du lien est mise à distance, à la différence de sa présence à l’hôpital de jour où la présence réelle des corps l’angoisse. Comme expliqué précédemment, Juliette est terrorisée par un patient, par sa façon de parler ce qui se traduit par un retour traumatique de la dimension sexuelle, insuffisamment symbolisée, et non pas prise dans les rets du fantasme. Elle est alors horrifiée par la présentification de l’objet vocal, détaché du contenu du dire, la voix elle-même l’angoisse. Elle n’est pas seulement déconcertée, mais interprétative, façon paranoïaque de répondre à la question du désir de l’Autre. Elle se sent objet de la jouissance de l’Autre imaginant que ce patient veut la soumettre sexuellement, la violer. On peut l’entendre comme ce qui forclos du symbolique, ne peut se constituer comme désir et fait retour dans le réel. Elle illustre le fait (par ses propos sur son vagin « je ne veux pas y introduire de corps étran- 96 gers » parlant aussi bien du pénis que des tampons) que « sans secours d’un discours établi », la fonction des organes peut faire problème. Son corps n’est pas le support de son désir, à travers les zones érogènéisées, mais un lieu qu’il faut protéger de la jouissance intrusive de l’Autre. Juliette, qui a intégré que l’hôpital de jour devait l’aider à être plus “relationnelle” pense que le dessin peut l’y aider. Ses dessins pourraient intéresser les autres patients qui lui demandent parfois même de leur dessiner des choses. Ses activités à l’hôpital de jour Dans le cadre des activités thérapeutiques nous repérons les troubles de la relation à autrui tels que nous les avons décrits, mais aussi les stratégies défensives élaborées par Juliette. Elle participe à la danse, la pâtisserie, et la piscine mais refuse certaines activités comme les jeux de société. Son manque de flexibilité est évident. Cette année nous lui proposons de participer à l’activité théâtre, elle dit d’emblée « nous avons décidé que j’y participerai », « ma mère et moi avons décidé ». Axes de travail Nous sommes encore dans le cadre d’une prise en charge débutante. A partir des observations que nous avons déjà pu faire, différents axes de travail se dégagent : l’autonomie, le rapport à l’autre, le développement des liens sociaux Dans une telle prise en charge, le versant éducatif est inévitable mais l’accompagnement ne peut s’y réduire. C’est là que le soin trouve toute sa dimension : soutenir une place de sujet pour Juliette, en la libérant du joug maternel. Les résistances familiales quant aux soins se manifestent notamment par le fait que l’hôpital de jour n’apparait pas pour eux comme un projet en lui-même mais plutôt comme un pis-aller avant de trouver autre chose, une formation ou un emploi. Il n’y a pas pour le moment véritablement d’alliance thérapeutique de la part de la famille. Afin de soutenir Juliette dans sa construction subjective notre rôle peut être de contrecarrer l’impériosité des exigences familiales. CONCLUSION Bettelheim : « L’amour ne suffit pas ». Maleval : « L’éducatif ne suffit pas ». Pour incarner ce débat que nul ne saurait trancher, laissons la parole à Donna Williams, autiste d’Asperger devenue célèbre notamment par son ouvrage « Si on me touche je n’existe plus ». Voici ce qu’elle écrit en voyant une jeune autiste aux prises deux éducateurs « J’étais malade de les voir envahir son espace personnel avec leurs corps, leur haleine, leurs odeurs, leurs rires, leurs mouvements et leurs bruits. Quasiment fous, ils agitaient des hochets et des objets devant elle comme deux sorciers trop zélés espérant exorciser l’autisme. Selon eux apparemment, il lui fallait une overdose d’expériences que leur infinie sagesse du monde savait lui apporter. S’ils avaient pu utiliser un levier pour forcer l’ouverture de son âme et la gaver du monde ils l’auraient sans doute fait sans même remarquer la mort de leur patient sur la table d’opération. La petite fille criait et se balançait, se bouchant les oreilles avec ses bras pour amortir le bruit et louchant pour occulter le matraquage de la détonation visuelle… « Ces chirurgiens opéraient avec des outils de jardinage et sans anesthésie… » BIBLIOGRAPHIE 1. COLLECTIF, La Cause Freudienne, Des autistes et des psychanalystes, Paris, Seuil, 2011 2. Sir CONAN DOYLE A., Le chien des Baskerville, Larousse, Paris, 2011 3. Sir CONAN DOYLE A., Silver Blaze and other adventures of Sherlock Holmes, Gallimard, Paris, 2005 4. FABRE D., Autisme et Suppléance, Revue de psychanalyse, Pli n°2, 2007 5. FRAYSSINET M., Autisme et schizophrénie, thèse, 2012, non publiée 6. FREUD S., La naissance de la psychanalyse, PUF, Paris, 1996 7. 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En effet, une maladie neurodégénérative n’est pas sans évoquer le risque de devenir fou ou de ne plus être maître de ses pensées ou de ses actes ; elle signe la menace d’une mort psychique, d’une perte d’identité. Nous accueillons à l’hôpital de jour des patients pour lesquels les troubles psychiatriques initiaux qui avaient motivé une prise en charge psychiatrique s’accompagnent de troubles cognitifs qui persistent, ce qui pose la question d’une maladie neurodégénérative sous-jacente à investiguer. La prise en charge à l’hôpital de jour consiste à accompagner le patient et sa famille dans cet entre-deux lourd de conséquences pour eu. L’annonce d’un diagnostic se profile, telle une épée de Damoclès. Naissent alors une inquiétude et des questions quant au présent et à l’avenir. De plus, le système familial se sent menacé. La prise en charge des familles précocement à l’hôpital de jour nous apparait essentielle pour préserver leur santé et leur qualité de vie, mais aussi pour réduire les troubles psycho-comportementaux du patient et pour favoriser son maintien à domicile. Les relations au sein d’une famille, d’un couple peuvent être profondément transformées par l’émergence de la maladie. Un travail sur le lien semble alors essentiel ainsi qu’une mise en mots qui permette d’inscrire la maladie dans une histoire familiale où chacun puisse rester sujet. Mots-clefs : maladie d’Alzheimer ; famille ; hôpital de jour ; annonce ; accompagnement ; attente ; incertitude ; troubles cognitifs émergents ; écoute. The accompaniment of the families at an early stage in a geronto-psychiatric day centre when cognitive disorders appear The announcement of Alzheimer’s disease or a related one has a traumatic impact on the patient and on his family. In fact, a neurodegenerative disease implies that you may become insane or be unable to control your thoughts or your actions anymore. It then threatens your mind with a psychic death or you may lose your identity. We take care of patients at our day centre who have first received treatment for their psychiatric disorders but who have also showed cognitive disorders that are still persisting, thus questionning about a subjacent neurodegenerative disease which would require a thorough examination. Our work consists of being with the patients and the families during this period in between, which is often with far-reaching consequences. The disclosure of a diagnosis is looming like the sword of Damocles. Great concern and questions are emerging about the present and the future and the family circle is under threat. That is why we believe it is essential to accompany and support families at this early stage so as to help them to preserve their health and their quality of life, to reduce the patient’s psychological behavioural disorders and finally to enable him to stay at home for as long as possible. The relationships within a family or a couple may deeply change with the onset of the disease. It is thus necessary to work on the emotional bonds and to give the family the opportunity to discuss about the problem so that what is happening becomes part of the family history in which each member can remain a subject. Key words : Alzheimer’s disease ; family ; day centre ; disclosure ; accompaniment ; waiting ; doubts ; emergent cognitive disorders ; listening. INTRODUCTION Nous accueillons à l’hôpital de jour des patients de plus de 65 ans. Certains nous sont adressés dans les suites d’une hospitalisation complète pour un épisode anxio-dépressif plus ou moins sévère, parfois associé à des idées délirantes et à des troubles cognitif. Il arrive que des troubles cognitifs (troubles de la mémoire, apathie, troubles des fonctions exécutives, difficulté à se repérer, troubles des praxies, manque du mot, …) persistent alors même que la symptomatologie anxio-dépressive s’améliore, cela nous laisse parfois perplexes quant à l’existence ou non d’une pathologie neurodégénérative sous-jacente. Nous évoquerons tout à l’heure le cas d’un de nos patients qui illustre bien nos interrogations. Il va sans dire que les familles de ces patients sont dans la même interrogation que nous : « Docteur, est-ce que c’est la maladie d’Alzheimer ? » et avec cette question, surgissent plusieurs sentiments : l’incrédulité, l’inquiétude, la révolte, un sentiment d’injustice, la peur de l’avenir et de l’inconnu. Commence alors un accompagnement du patient et de sa famille dans cette attente du diagnostic. LE PATIENT “ALZHEIMER” La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative qui se caractérise par une détérioration progressive des fonctions cognitives conduisant à une dépendance dans les actes de la vie quotidienne. Le patient Alzheimer est confronté à la perte progressive de ses outils cognitifs et, même si l’anosognosie (non conscience des troubles) est décrite, il est fréquent que des patients confrontés depuis peu à des troubles cognitifs expriment une plainte à ce sujet. Cette conscience de la maladie va de pair avec une baisse de l’estime de soi, une perte de confiance, une peur de l’échec. Le patient a peur de perdre le contrôle de son existence, de perdre son autonomie, et aussi de perdre son identité. Certains ont pu exprimer la peur de ne plus être un jour entendus en tant que sujets. Face à ses troubles, le patient va parfois développer des comportements d’hypervigilance pour tenter d’éviter des mises en échec répétées, parfois, il aura tendance à se replier sur lui-même et à éviter des situations de la vie sociale. La dépression et l’angoisse, si elles sont parfois les premiers symptômes qui conduisent à la découverte d’une maladie d’Alzheimer ou d’un syndrome apparenté, sont bien sûr aussi les conséquences de cette maladie. Nous rencontrons parfois à l’hôpital de jour un patient dont nous constatons que les troubles cognitifs perdurent, nous pouvons observer des difficultés dans certaines des activités proposées ou au cours des différents moments qui rythment la journée (temps d’échange à l’accueil, repas, ….). A ce moment-là, nous faisons généralement état au patient de ces constatations, ce qui permet d’évaluer sa conscience ou non de ses troubles. Nous lui proposons d’effectuer à l’hôpital de jour quelques tests cognitifs (MMSE, Dubois, horloge, BREF, …) afin d’objectiver plus précisément nos impressions cliniques. Il peut arriver que le patient refuse ces tests, refus que bien sûr nous respectons et qui nous signifie aussi une attitude défensive qu’il conviendra d’élaborer avec lui. Quand les tests confirment nos doutes, nous nous orientons régulièrement vers un bilan neuropsychologique effectué par une psychologue du CHU centre de consultation mémoire) et vers une imagerie cérébrale. Nous en informons le patient et sa famille au cours d’un entretien. Même si nous nous situons en amont du Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 97 Le travail avec les familles en hôpital de jour diagnostic, cette rencontre est importante car il s’agit souvent de la première fois où l’on aborde la possibilité d’une maladie d’Alzheimer ou d’un syndrome apparenté, bien sûr en choisissant ses mots et en restant dans le questionnement, non dans l’affirmation . C’est souvent l’occasion pour la famille de nous faire part de leurs observations dans la vie quotidienne à domicile, des difficultés rencontrées et de leurs questionnements sur une éventuelle pathologie neurodégénérative. Ces entretiens sont souvent chargés émotionnellement. C’est souvent l’occasion, pour nous soignants, de mieux connaitre l’histoire du patient et de sa famille, d’observer les liens tissés entre les membres de cette famille, de pressentir les non-dits, les conflits existants, les évènements du passé qui résonnent toujours dans l’histoire actuelle du patient et de sa famille. La possibilité de l’existence de la maladie d’Alzheimer chez notre patient constitue une menace tant pour lui que pour sa famille. Nous avons évoqué le ressenti du patient tout à l’heure face à la maladie. Pour sa famille, les craintes sont similaires : peur de “perdre” son parent, de ne plus le reconnaître dans ce qui a toujours fait son identité, peur de l’inconnu, peur de la dépendance à venir, … En l’absence de traitements médicamenteux réellement efficaces, une prise en charge globale associant l’application de thérapies médicamenteuses et non médicamenteuses est généralement préconisée au cours de la maladie d’Alzheimer. Plusieurs recommandations (1), (2), (5) vont dans le sens d’une attention particulière portée aux aidants informels, c’est-àdire la famille, les proches, ceux qui vivent au quotidien avec le malade Alzheimer et qui doivent gérer non seulement la perte d’autonomie du patient mais aussi ses troubles cognitifs (mémoire, attention, jugement, …) et parfois ses troubles du comportement (agitation, agressivité, apathie, …). La charge de travail estimée en lien avec le rôle d’aidant est de plus de six heures par jour pour 70 % des conjoints, selon le résultat de l’étude PIXEL réalisée en 2002 (6). *** L’entourage proche du malade Alzheimer a un rôle-clé dans la prise en charge globale du patient (7), que ce soit dans la mise en place d’aides adaptées au domicile, dans les démarches vers les institutions et surtout dans la possibilité d’un maintien à domicile du patient . La famille est aussi une personne ressource pour les soignants car elle a une connaissance de la personne malade, de son parcours de vie, de ses goûts et de ses 98 compétences. Elle va aussi contribuer à l’évaluation des symptômes, que ce soit dans le niveau d’autonomie ou dans la survenue de troubles du comportement à domicile. Du fait de leurs multiples sollicitations, les aidants sont à risque tant sur le plan de leur santé physique que psychique. Des études ont montré une surmortalité et un risque accru de développer des maladies coronariennes, une hypertension artérielle, des épisodes anxio-dépressifs, des troubles du sommeil et une surconsommation de psychotropes (8). L’échelle de ZARIT *** (10) permet de dépister l’épuisement des aidants, de mesurer la répercussion de l’aide sur leur qualité de vie. L’accompagnement des familles, leur soutien psychologique, leur information sur la maladie (9) apparaissent essentiels pour à la fois améliorer leurs compétences face à la maladie et aussi pour préserver leur qualité de vie et celle du patient. Le soutien de la famille nous apparait essentiel à l’hôpital de jour dès que l’hypothèse d’une maladie d’Alzheimer ou d’un syndrome apparenté se dessine. Il s’agit d’aider la famille à passer d’un équilibre familial sans la maladie à un nouvel équilibre où la maladie est incluse et acceptée. En effet, sur le plan systémique, l’émergence d’une maladie d’Alzheimer est un changement qui menace le système familial, qui le remet en question. Il est important que le malade Alzheimer puisse être étayée par son entourage pour l’aider à communiquer et à vivre en relation avec son environnement. Pour cela, il faut que le système familial s’adapte à ce changement qui bouscule les interactions entre les différents membres de la famille, qu’il s’agisse du couple ou des relations parentenfant (avec parfois une inversion des rôles). Il apparait important que les soignants puissent anticiper ce changement avec la famille avant même l’annonce du diagnostic. Il s’agit d’accompagner le patient et sa famille en les informant à leur rythme, en mesurant leur souffrance, en les aidant à exprimer leur ressenti, mais aussi en respectant leurs défenses et leur capacité à entendre ou non un tel diagnostic grave de conséquences. Notre rôle est aussi de rassurer quant à notre présence et notre soutien dans l’avenir, de déculpabiliser, de solliciter leur savoir et leurs compétences. Il faut pouvoir évaluer les capacités de cette famille à s’adapter à ce changement. Pour cela, la notion de temps est primordiale. Il nous faut prendre le temps avec le patient et sa famille de mettre une ré- flexion en mouvement, d’examiner avec eux les différentes possibilités. Il s’agit d’ouvrir un espace thérapeutique où chacun puisse évoluer à son rythme. Il s’agit de permettre à chacun de continuer à se construire malgré l’existence de la maladie. MONSIEUR Y. Mr Y., pris en charge à l’hôpital de jour “Trielen” au CHRU de Brest, est âgé de 69 ans, est marié et vit à domicile. Il a deux enfants installés dans la région. Ouvrier à la retraite, Mr Yannick avait une vie sociale dynamique. Au regard de ce que rapporte sa famille, on peut évoquer quelques éléments de personnalité obsessionnelle. Un été Mr Y. est hospitalisé en service de géronto-psychiatrie, pour un syndrome dépressif, des ruminations anxieuses et des hallucinations (en bricolant au domicile, il pense avoir coupé l’électricité dans toute la ville). Ce tableau clinique évoque alors une mélancolie délirante. A cela s’ajoutent des idées suicidaires, une perte de poids et diverses plaintes somatiques (constipation).Au début de l’hiver suivant, il est à nouveau hospitalisé pour syndrome dépressif avec des troubles du sommeil, une perte de l’élan vital, des idées délirantes et des hallucinations très angoissantes (il voyait un rayon laser et pensait avoir un micro dans sa chaussette). Lors de ce séjour, des TMS (stimulation magnétique transcranienne) sont réalisées avec peu de résultats. Le patient évoque une mémoire qui flanche, le MMS est côté à 29/30. A la sortie de l’hôpital, Mr Y. bénéficiera d’une prise en charge pluridisciplinaire. Compte-tenu des risques et en lien avec la symptomatologie dépressive, une prise en soin à l’hôpital de jour lui est proposée avec l’accord de la famille à raison d’une journée par semaine. L’état de Mr Y. s’aggrave, son apathie se majorant, une 2ème journée à l’hôpital de jour lui est proposée. Des visites à domicile par l’équipe mobile de l’Intersecteur de Psychiatrie de la Personne Agée (IPPA) sont mises en place. A des fins diagnostiques, Mr Y. bénéficiera d’un bilan neuropsychologique, d’une consultation neurologique et d’une scintigraphie cérébrale. Le neurologue évoquera l’hypothèse d’une pathologie neuro-dégénérative. Notre observation de Mr Y. à l’hôpital de jour a mis en lumière ses symptômes les plus invalidants et les plus contraignants : apathie-émoussement affectif, troubles alimentaires, incontinence urinaire et fécale, irritabilité voire sthénicité. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Pour un accompagnement précoce des familles à l’hôpital de jour géronto-psychiatrique dans le contexte de troubles cognitifs émergents Nous l’accueillons tous les lundis depuis plusieurs mois. Sa présentation apparaît adaptée : il serre la main aux autres patients et s’adresse aux soignants en les appelant par leurs prénoms, les fonctions de la mémoire semblent conservées. Après le café d’accueil, nous proposons un programme pour la journée élaboré avec le groupe. Mr Y. semble écouter mais ne participe pas à la conversation, son visage est peu expressif mais ne paraît pas angoissé. Une activité pâtisserie est organisée, les autres patients s’installent, Mr Y. reste sur sa chaise et attend notre sollicitation. Lors de l’atelier “pâtisserie”, la confection d’un far breton est décidée par le groupe, ce qui nous permettra d’évaluer d’éventuels troubles praxiques chez Mr Y.. Il reste figé et dans l’incapacité de commencer la recette. Dès que les ingrédients et les ustensiles sont posés devant lui, sa réaction est immédiate, il “prend la main” et réussit la préparation de la pâte. Son visage se détend, il paraît content et son comportement reste adapté durant l’activité. En fin de matinée, Mme Y. téléphone, l’état de son mari l’inquiète, elle est en demande d’aide psychologique : nous lui proposons un entretien en fin de journée. A l’heure du déjeuner, Mr Y. s’installe spontanément à table. Sans tenir compte de l’environnement, il s’alimente de manière compulsive au risque de se mettre en danger (fausse-route, brûlure de la langue). Il reste peu accessible à nos remarques. Devant cette attitude dispersée et incohérente, nous lui proposons un repas thérapeutique individuel afin de canaliser ses troubles du comportement. Après un temps de pause, nous l’informons de la venue de sa famille pour un entretien, il réagit avec une angoisse qu’il ne peut pas verbaliser. Une activité de bien-être avec massage du visage et des mains lui est alors proposée, cette communication non verbale l’apaise et favorise un “lâcher prise”. Nous nous installons avec ses proches dans une pièce de l’hôpital de jour, lieu d’écoute, d’échange et de réassurance, Mr Y. nous rejoindra dans un second temps. Son épouse nous confie ses difficultés et son incompréhension face aux attitudes inadaptées de son mari, elle nous demande : « Qu’est-ce que je peux faire quand mon époux reste sur son lit tout l’après-midi et refuse de partager le diner avec moi ? Il ne parle presque plus quand les enfants sont présents et leur demande de partir ». Le fils rajoute : « Dans ces moments-là, je ne reconnais plus mon père, il est en retrait par rapport aux petits-enfants et ne supporte plus la convivialité, il s’isole de plus en plus ». Après la sortie de son fils, Mme Y, au bord des larmes, s’effondre en évoquant l’incontinence urinaire et fécale récente de Mr Y., elle souhaiterait des réponses pratiques afin de faire face au quotidien. En fin d’entretien, Mr Y. se joint à nous. Cet entretien est une illustration de notre travail au quotidien qui nous amène à nous interroger sur l’accompagnement à proposer à Mr Y. et à son entourage, et à notre positionnement en tant que soignant. Nous avons un rôle relationnel. Il s’agit de proposer : - un soutien psychologique, une réassurance et une disponibilité (contacts téléphoniques et entretiens) - une écoute de l’aidant pour lui permettre de s’exprimer sans jugement, - un respect de la parole telle qu’elle est entendue pour favoriser le travail de deuil Il s’agit de : - garder une distance relationnelle, pour nous permettre d’être thérapeutiques - canaliser les émotions de l’aidant - prendre en compte le parcours de vie du patient afin de mieux comprendre le symptôme. Nous sensibilisons la famille au fait que l’expression de la maladie peut être différente à domicile et dans un lieu de soin, nous l’aidons à gérer au mieux à domicile les troubles psycho-comportementaux de son époux. Cet accompagnement suscite un questionnement permanent : Que représente la maladie pour le patient et ses proches ? La confirmation d’un diagnostic modifiera-t-elle notre prise en soins ? Comment la famille vit-elle l’hospitalisation de jour ? Au sein d’un hôpital de jour chaque professionnel a son rôle, son approche et nous nous efforçons de coordonner, d’articuler les différentes réalités qui s’y découvrent. Les propos précédents nous montrent qu’il semble essentiel d’accompagner la famille d’un proche que nous accueillons. Elle nous parle de son esprit, de sa vie, de son univers et de sa survie dans ce temps avant l’annonce, un temps d’accablement. Accabler est en effet l’action de renverser à terre, ce qui n’est peut-être pas si éloigné de ce que ressent une famille dont un membre présente les symptômes d’une pathologie neurodégénérative. N’est-elle pas alors accablée par le contrecoup d’une crise, par une souffrance morale vive, une grande tristesse, la fatigue, la perte d’espoir, la solitude ? Ce temps d’attente d’un diagnostic concerne une équipe soignante et une famille qui au travers de rencontres vont tisser des liens et établir une confiance qui va retentir sur la façon dont les proches vont vivre ce temps flou et sombre. Nous l’accompagnons dans l’apprivoisement d’une réalité “sauvage” et la mise en place d’une future réorganisation de son existence aux niveaux médical, social et psychique. Naviguer en eaux troubles (avancer sans vraiment savoir où l’on va), voilà ce qu’évoque ce temps avant l’annonce d’un diagnostic d’une pathologie probablement neurodégénérative dont les symptômes ont progressivement envahi le champ du quotidien, une pathologie masquée, camouflée, sournoise qui s’annonce à bas bruit. Comment alors ne pas se sentir menacé et comment comprendre ce qui vous arrive ? Comment ne pas vouloir savoir ? C’est une première pour la famille : les premiers signes se confondent dans les aléas de la vie quotidienne. Ce sont des oublis, des défaillances, des changements dans le comportement et la personnalité. Emergent alors les premières inquiétudes car le désarroi psychique s’associe aux désordres cognitifs et comportementaux du proche. L’existence s’en trouve déréglée, déstabilisée, bouleversée, morcelée. Rien n’est plus cohérent dans un parcours de vie qui semblait pourtant tracé, un projet de vie qui se voulait élaboré, particulièrement dans la situation de Mr Y. qui présente une importante fluctuation de ses symptômes. Qu’allons-nous devenir ? Que se passe-t-il ? L’homéostasie familiale s’en trouve fortement ébranlée. Dans ces eaux troubles, il est aisé de perdre pied, on n’y distingue pas grand-chose : « Que nous arrive-t-il ? », que du flou, et on s’y égare rapidement. Se pose ainsi la question de l’identité qui se voit mise en danger, les assises narcissiques malmenées. Qui suis-je pour l’autre ? Que puisje faire pour lui ? Culpabilité, impuissance apparaissent. Comment alors se représenter soi-même à l’autre ? Ce temps du perçu, du ressenti, du vécu représente un moment de grande fragilisation. De quoi sont faites ces eaux troubles ? D’incertitudes, de doutes, de plaintes, d’interrogations, d’impressions, de craintes, de peurs, de colère, d’agacement, d’incompréhension. Le proche est taraudé, torturé par le doute qui devient rapidement plus insupportable que l’inquiétude. Mme Y. se sent « attaquée », « assaillie » par les symptômes invalidants, impuissante, ce qui fait d’elle une personne angoissée avec des ressources internes qui s’amenuisent et une souffrance psychique, morale qui se majore au fil des jours. Elle a peur de se noyer, de s’enfoncer, de se perdre ellemême. Elle se sent envahie dans son espace vital et son temps personnel ainsi que dans son réalité intérieure où ne règne guère plus de sérénité. Le souci d’un quotidien difficile, d’un avenir incertain, de l’absence (lorsque son époux est à Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 99 Le travail avec les familles en hôpital de jour l’hôpital de jour, elle s’interroge sur ce qu’il fait) et, finalement, le souci pour elle-même grandit chaque jour. Il y a alors urgence, il faut agir, fournir des réponses, expliquer: que cesse ce plus comme avant, cette étrangeté. Cependant : comment décider de prendre une initiative avec l’enjeu important que cela représente, à savoir le risque d’une entrée dans une pathologie chronique, dégénérative et irréversible. Certes, le diagnostic libèrera du poids de l’ignorance et les eaux deviendront plus transparentes : « je retrouverai la réalité » dit-elle. Mais quelle réalité ? Au prix de quelle angoisse ? D’où une ambivalence dans la demande que nous devons accepter et respecter, faite du désir de savoir mais également teintée de la peur de ne pouvoir faire face. Nommer la pathologie peut signifier le pire à venir et le pire avenir. C’est le temps de l’objectivation, de la mise à distance de la pathologie. Le diagnostic va faire effraction et valider la désorganisation d’une existence. Il faudra se résigner. MADAME Y. Lors de la première rencontre, Mme Y. était déjà fatiguée physiquement et moralement, très angoissée et craignant une « rechute » de la dépression. Elle se sentait « seule ». Lors des rencontres suivantes, outre sa demande de compréhension des symptômes actuels, sa préoccupation récurrente se situait davantage dans ce que ces symptômes auguraient. Privilégier la parole : écouter ce que la famille sent, vit, attend, dévoiler les affects qui la submergent, convoquer le vécu phénoménologique. Elle qui vit dans le doute craint ce que nous pouvons dire sur ce qu’elle redoute, la possible vérité. Comment s’autoriser à en parler ? Comment accéder à une intimité qui n’ose pas se dire ? Comment proposer au proche de se livrer pour se sentir soulagé? Lui dire qu’il peut oser ? Il s’agit de faire circuler la parole, même douloureuse, les souffrances, les espoirs, pour que puissent s’exprimer les sentiments contradictoires, pour permettre la survie psychique de la famille. La parole autorise un accès à une réalité menaçante certes, mais surtout à la pensée et à une probable élaboration. La famille doit se sentir accueillie dans ce qu’elle peut exprimer de ce qui se joue et doit sentir qu’elle peut s’autoriser à révéler. C’est ce qui nous permet de cibler les ressources de la dynamique familiale, de désamorcer le travail de culpabilité, d’apaiser les tensions internes et d’accompagner dans la recherche de compréhension. Voici quelques propos 100 tenus par Mme Y. qui au fil des entretiens évoque son angoisse à l’idée de vivre avec quelqu’un de différent, qui est agacée : « j’ai l’impression de vivre en boîte », « c’est moi qui m’enferme ici ». Ce qui se passe lors de ces premières rencontres détermine la qualité de l’accompagnement ultérieur. Ces rencontres se situent en effet dans un contexte délicat, intime et incertain. Elles inaugurent le parcours de soin. Il s’agit de déterminer si possible la position de chacun, de décoder les enjeux qui se dessinent. Vont ensuite se rencontrer le langage médical, objectivant et l’expression profane qui caractérise toute la subjectivité de la situation. Tout au long de l’accompagnement nous tentons de les harmoniser en construisant la relation avec la famille : en effet « Pour la médecine, la maladie d’Alzheimer est la maladie des déficits, tandis que pour la famille, c’est la maladie de la perte du parent » ainsi que l’évoque Thierry Darnaud (3). A l’hôpital de jour, nous sommes riches d’une équipe pluridisciplinaire qui va permettre à la famille de se tourner vers différents interlocuteurs et lui donner ainsi l’opportunité non seulement de recevoir un soutien, une écoute attentive et bienveillante qui les enveloppe et les apaise, mais également d’échanger différemment suivant l’expertise de chacun. Il importe par ailleurs, dans nos échanges avec la famille, de mettre l’accent sur l’impact des troubles émergents liés à la pathologie au niveau de l’identité. En effet, les changements, qu’ils soient d’ordre cognitif ou comportemental font vaciller l’idéal du moi, l’intégrité identitaire du proche mais aussi du système familial atteint dans son intimité (intrusion des équipes soignantes, crainte de regard d’autrui…). Nous nous attachons à la restaurer et œuvrons à sa réparation et consolidation alors qu’elle tente de se reconstituer après avoir été fortement ébréchée. Quel rôle le proche va-t-il tenir dorénavant auprès du parent malade : soignant ? Aidant ? Accompagnant ? Aimant ? Comment continuer à aimer comme une épouse quand son mari se comporte comme un enfant ? Quand celui avec qui on a tant partagé pendant des années se dérobe et affole ? Mme Y. évoque sa difficulté à « être moi » et, face au changement de personnalité de son époux elle ajoute : « ce n’est plus le même homme, quelle est ma place ? ». Il semble par conséquent important de faire preuve de prudence, de précaution, de vigilance, d’attention à l’égard de l’entourage familial et de mener régulièrement une réflexion en équipe afin de faire une lecture de ce que la famille nous dit et nous montre dans son besoin d’aide et de compréhension. Devenir un “aidant” est-il si naturel ? N’y a-t-il pas parfois un risque de “statufier” cet aidant qui n’est pas forcément prêt à tenir ce rôle ? Autant d’interrogations durant ce temps avant l’annonce auxquelles nous soumettons notre réflexion lors de notre réunion d’équipe hebdomadaire et lors des transmissions journalières. Le questionnement permanent qui caractérise notre pratique se trouve d’autant plus prégnant et fondamental dans cette navigation en eaux troubles puisque nous nous trouvons également dans une position inconfortable de “non savoir” de ce qui se joue, cela qui pourrait inquiéter la famille si nous n’y prenions garde. Nous sommes engagés et avons une responsabilité d’être honnête en ce qui concerne les effets attendus tout en maintenant de l’espoir. Si le temps du soignant peut présenter une certaine objectivité, avec un parcours de soin balisé dont il a l’habitude et des étapes relativement bien définies (recueil de l’histoire des troubles, évaluation, tests neuropsychologiques, examens médicaux…) le temps des proches apparaît quant à lui un temps psychique singulier, subjectif, éprouvé à reconnaître et à ajuster (attente de résultats, de l’annonce, de l’effet d’un traitement….). N’est-il pas par conséquent essentiel de laisser du temps, d’en donner pour leur permettre de choisir comment ils souhaitent se positionner? Des aides formelles trop rapidement proposées donnent-elles le choix au proche de faire autrement que de devenir un aidant ? Outre qu’elles font ressentir au proche des sentiments de culpabilité : « je ne suis pas à la hauteur », d’impuissance et un vécu d’abandon (Mme Y. a dans un premier temps décliné notre suggestion d’augmenter le nombre de jours dans notre structure, arguant : « vous allez avoir l’impression que je l’abandonne »), elles révèlent par-là la baisse de son estime de soi et la représentation négative qu’elle se fait d’elle même en tant qu’aidante principale potentielle. Des aides trop précocement offertes ne la mettraient-elles pas dans l’impossibilité de ne pas tenir son rôle d’aidant alors que l’épuisement la guetterait ? Il faut aider coûte que coûte. Mme Y. est actuellement épuisée et éprouvée par des troubles récents de son époux (incontinence, syndrome dysexécutif et clinophilie sévère). Elle refuse malgré tout nos propositions d’aides à domicile et répète fréquemment : « il faut que ça aille ». C’est pourtant elle qui nous a récemment sollicités pour augmenter le nombre de jours en disant : « je suis vidée ». La demande est alors sienne et spontanée. Si l’aide de sa famille s’avère cruciale pour le proche Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Pour un accompagnement précoce des familles à l’hôpital de jour géronto-psychiatrique dans le contexte de troubles cognitifs émergents malade se pose la question du respect du temps psychique et du sens de nos actions dans notre accompagnement: réfléchir est nécessaire afin d’être pertinent dans nos réponses. N’y a-t-il, par ailleurs, un rythme à respecter, un temps à prendre dans ce que nous pouvons révéler et de veiller à distiller nos informations en considérant leur impact sur les proches ? Trouver le moment opportun où une information va être accueillie sans provoquer trop de dommages affectifs, psychiques (pour Mme Y. : que nous pensons qu’il ne s’agit peut-être pas que d’une dépression) : au choc du néon froid avec sa couleur blanche qui aveugle et peut perturber notre capacité à penser ne doit-on pas préférer une douce lumière tamisée qui dévoile progressivement une vérité redoutée ? Ne pas trop en dire trop vite mais peut-être éclairer le savoir profane du proche sans désirer le professionnaliser, progressivement, à son rythme, l’objet de la volonté de savoir évoluant avec le temps. On pouvait observer que Mme Y. en sentait plus qu’elle n’en savait, « je sais que ça va être long », et cette intuition qui fait que les doutes pourraient devenir des certitudes l’angoisse, elle pressent un futur qui l’effraie : « je sens que ça se dégrade », « comment vivre à côté de la vie ? », « il est comme cassé, perdu, où est passé le Mr Y. d’avant ? », « il faut que je sorte, il faut que je m’échappe ». Françoise, l’héroïne de Simone de Beauvoir (4) dans son roman intitulé L’invitée, évoque l’amour qu’elle porte à son compagnon Pierre. Elle dit : « C’est vrai que nous ne faisons qu’un, pensa-t-elle avec un élan d’amour. C’était Pierre qui parlait, c’était sa main qui se levait, mais ses attitudes, ses accents faisaient partie de la vie de Françoise autant que de la sienne, ou plutôt il n’y avait qu’une vie, et au centre un être dont on ne pouvait dire ni lui, ni moi, mais seulement nous. Pierre était sur la scène, elle était dans la salle et cependant pour tous deux, c’était la même pièce qui se déroulait, dans un même théâtre. Leur vie, c’était pareil, ils ne la voyaient pas toujours sous le même angle, à travers ses désirs, ses humeurs, ses plaisirs, chacun en découvrait un aspect différent : ça n’en était pas moins la même vie. Ni le temps, ni la distance ne pouvaient la scinder, sans doute il y avait des rues, des idées, des visages qui existaient d’abord pour Pierre et d’autres existaient d’abord pour Françoise, mais ces instants épars, ils les rattachaient fidèlement à un ensemble unique, où le tien et le mien devenaient indiscernables ». Ne s’agit-il pas finalement, pour l’entourage, dans ce temps avant l’annonce d’un diagnostic d’apprendre tout doucement à aimer autrement ? CONCLUSION Finalement nous nous interrogeons sans cesse pendant ce temps avant l’annonce sur : comment aider la famille à inscrire ce qui se déploie dans son récit de vie personnel ? À continuer de vivre ensemble et à articuler un présent difficile avec un passé révolu et un avenir incertain ? (Que va-t-on devenir ?) Car avant l’annonce d’un diagnostic existe déjà une histoire de la pathologie qu’il faut raccrocher à l’histoire du proche et de sa famille. Nous sommes sans doute privilégiés à l’hôpital de jour puisque nous pouvons donner ce temps à l’élaboration et à l’acceptation de ces troubles qui viennent bouleverser un quotidien qu’il s’agit de reconquérir. Sans oublier l’importance d’un temps à donner pour entamer un travail de renoncement à des rêves et projets, des illusions, à un idéal de couple, de famille, d’existence et surtout un renoncement à l’autre tel qu’on l’a connu et aimé. Nous pouvons assurer un suivi et ce travail de lien à l’hôpital de jour s’inscrit dans la durée, au travers d’une communication continue. BIBLIOGRAPHIE : 1. AL ALOUCY M.-J., ROUDIER M., Impact de la prise en charge en hôpital de jour des patients déments sur l’état psychologique des aidants familiaux, Neurologie, Psychiatrie, Gériatrie, Année 4, Septembre-Octobre 2004, pp. 54-57 2. AMIEVA H. et al., Attentes et besoins des aidants de personnes souffrant de maladie d’Alzheimer, Revue d’Epidémiologie et de Santé Publique, 60, 2012, pp. 231-238 3. DARNAUD T., La maladie d’Alzheimer et ses victimes, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 31, 2003/2 4. DE BEAUVOIR S., L’invitée, Folio Gallimard, Paris, 1943, 503 p, p 61-62 5. HAZIF THOMAS C., THOMAS P., Dire la maladie d’Alzheimer : une annonce paradigmatique, Neurologie-Psychiatrie-Gériatrie, 2012, 12, pp. 261-266 6. HAZIF THOMAS C. et al., Influence de la déambulation et des comportements moteurs inadéquats sur la prise en charge des déments à domicile pour des aidants informels. L’étude PIXEL, Annales Médico Psychologiques 161, 2003, pp. 666-673 7. HAZIF THOMAS C., THOMAS P., TRITSCHLER-LE MAITRE M.-H., WALTER M., Limites et ambiguïtés juridiques du rôle des aidants, L’Encéphale, 2012, 38, pp. 411-417 8. KERHERVE H. et al., Santé psychique et fardeau des aidants familiaux de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de syndrômes apparentés, Annales Médico Psychologiques, 166, 2008, pp. 251-259 9. PANCRAZI M.-P., Education pour la santé des proches de patients atteints de la maladie d’Alzheimer, Neurologie, Psychiatrie, Gériatrie, 2008, 8, pp. 22-26 10. SAIGNE A. et al., Evaluation par l’échelle de Zarit d’une prise en charge psychologique des aidants de patients atteints de syndrome démentiel, Neurologie, Psychiatrie, Gériatrie, Année 4, Janvier-Février, 2004, pp. 15-19 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 101 TRAVAILLER AVEC LES FAMILLES EN PRÉSENCE DES PATIENTS : LES SÉANCES INFO-FAMILLES DANS LE CADRE D’ATELIERS PSYCHO-ÉDUCATIFS C.H.S Notre-Dame des Anges Rue Emile Vandervelde, 67 4000 LIEGE BELGIQUE [email protected] Christelle LEJEUNE et Christiane KEMPENEERS Les séances « info-famille », organisées au sein de la clinique Notre-Dame des Anges, visent à réunir, au sein d’un même groupe entourage et patients, afin de mieux comprendre la maladie bipolaire et la schizophrénie. Cette porte d’entrée de la psycho-éducation permet une rencontre entre intervenants, proches et patients. Il s’agit avant tout d’un échange autour du vécu de chacun, porteur de la maladie ou non, qui peut s’il le désire, trouver une place dans le monde de la santé mentale, partager son expérience et se vivre comme partenaire de soin. Au travers de cet article, nous partageons nos réflexions sur ce travail avec les familles et les particularités de celui-ci. Mots-clefs : groupe, famille- patients, psycho-éducation, hôpital de jour Working with families in presence of the patient: an experience of our “information to families” sessions as part of psycho-educational workshops about the bipolar disease and schizophrenia The “information to families” sessions, taking place in the Notre-Dame des Anges’ clinic, intend to gather within a group close relations and patients, in order to understand better the bipolar disease and the schizophrenia. This introduction to the psycho-education allows a meeting between stakeholders, close relations and patients. The aim is mostly an exchange words on the personal history of each person, ill or not, who has the possibility to find a place in the mental health world, to share some experiences, and to live as a care partner. Throughout this article, we are sharing our thoughts on this work with the families and its features. Key words: group, family-patients, psycho-education, day clinic CONTEXTE DE TRAVAIL La Clinique Notre-Dame des Anges est un centre hospitalier spécialisé en psychiatrie, à Liège en Belgique. Le travail qui y est proposé s’inscrit dans un cadre plus large que celui de l’hôpital de jour. En effet, nous pouvons y rencontrer des personnes en hospitalisation résidentielle, en post-cure (projet élaboré en collaboration avec l’équipe pluridisciplinaire de l’hospitalisation résidentielle et le patient, qui offre la possibilité de bénéficier de certaines activités, pour une durée de 3 mois, renouvelable 1 fois), en hospitalisation de jour (programme thérapeutique élaboré en collaboration avec l’équipe pluridisciplinaire et le patient, pour une ou plusieurs journées, avec une présence de 7 h. Ce programme est revu au fur et à mesure de la prise en charge en fonction des besoins du patient) ou encore de l’extérieur par le biais de la policlinique. C’est donc dans ce cadre que nous animons deux ateliers psycho-éducatifs : l’un destiné aux patients schizophrènes et l’autre destiné aux patients bipolaires. 102 NOS ATELIERS PSYCHOÉDUCATIFS Nos ateliers se font en pluridisciplinarité, caractéristique du travail proposé au sein de notre institution. De manière générale, un psychologue et un infirmier animent l’atelier. Par la suite, certains intervenants viennent se greffer à l’équipe suivant les thèmes abordés (définition, symptômes, traitements, hygiène de vie, communication, …), médecin, assistant social, kinésithérapeute, … Ce travail en pluridisciplinarité permet d’avoir une vision plus globale de la maladie et du soin et de mieux appréhender, selon les spécificités, les besoins de la personne et de ses proches. Ces deux ateliers à coloration psychoéducative offrent la possibilité aux patients d’échanger entre eux sur leur expérience et leur vécu dans l’ici et maintenant, mais également de participer avec ou sans leur famille aux séances infos familles, organisées tous les deux mois. Comme nous l’explique SIMILES nous identifions trois grandes raisons d’ouvrir la porte aux familles dans notre travail de psychoéducation : pouvoir prendre en compte leur connaissance de la situation et leur expertise vécue qui en font des alliés du soignant, être à l’écoute et faire une place à leur souffrance par rapport à la situation qu’elles vivent et enfin profiter de leur présence au quotidien qui peut faciliter la réinsertion dans le milieu de vie. Comme nous l’avons mentionné plus haut, nous ne travaillons pas uniquement avec des patients de l’hôpital de jour, Cela permet à chacun de sentir le moment opportun pour participer à ces ateliers que ce soit pour le patient mais aussi pour sa famille. En effet, certains patients ne sont pas toujours prêts à entendre et partager leur vécu autour de la maladie. Certains patients qui étaient dans un premier temps réticents à nos ateliers, sont aujourd’hui preneurs et même demandeur de ces espaces. Ils peuvent dans ces lieux, faire partager leur expérience et l’évolution de leur regard sur la maladie, ils sont devenus une ressource pour le groupe. De même, les familles ne sont pas toujours prêtes à partager leur expérience. Certaines ont parfois besoin de se protéger en prenant une certaine distance avec le monde du soin. C’est le cas par exemple de familles dans le déni, de familles qui acceptent de parler de symptomatologie dépressive mais pas de maladie bipolaire ou de schizophrénie, de certaines familles de patients schizophrènes qui voyaient dans les symptômes des manifestations religieuses, croyances irrationnelles, (télépathie, paranormal, …). Elles n’étaient donc pas prêtes à entrevoir une autre vision de la maladie et à concevoir un traitement thérapeutique et médicamenteux, c’est le cas également des proches qui se sentent coupables de n’avoir pu déceler plutôt les signes d’une maladie mentale. Ainsi, il nous semble primordial de respecter le rythme de chacun et de pouvoir les accueillir et les accompagner tout au long de leur réflexion. Cette question du rythme rejoint la notion du « temps du processus » dont nous parle Guy Ausloos. En tant que thérapeute, il nous semble indispensable de faire preuve de patience et de pouvoir attendre que les personnes soient prêtes à travailler avec nous et sur Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Travailler avec les familles en présence des patients : les séances info-familles dans le cadre d’ateliers psycho-éducatifs elles-mêmes. Cette rencontre avec des personnes qui se trouvent dans des vécus et moments différents permet d’enrichir les échanges et offre à chacun la possibilité de témoigner de son vécu. C’est l’occasion pour certains d’entrevoir un futur possible, qui bien souvent jusque-là, paraissait sans espoir. Pour d’autres, c’est l’occasion de mettre des mots sur un vécu douloureux (notamment lors de rechutes et de moments de crise), non dévoilé par honte, peur, culpabilité, … LE CHOIX D’UN TRAVAIL AVEC LES PROCHES EN PRÉSENCE DES PATIENTS Ce choix de travailler aux côtés de nos patients permet de favoriser et de préserver un lien de confiance, établi tout au long du parcours de soin. De plus, cela permet d’entendre le vécu de chacun et d’être sensibilisé à la souffrance partagée par tous les membres de la famille, malades ou non. Rencontrer simultanément des patients et des proches, qui ne sont pas directement de leur famille, permet d’appréhender les réactions, attitudes de chacun, avec plus de recul et davantage de nuances. Enfin, cela permet de dédramatiser le vécu familial, de se dégager des sentiments de colère, honte, injustice, … et de prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls, confrontés aux mêmes difficultés. Ils peuvent ainsi partager différentes pistes afin d’améliorer leur qualité de vie. Que ce soit patient ou proche, chacun devient ainsi une ressource pour l’autre. Pour rejoindre Carl Rogers, nous faisons l’expérience d’ateliers où « le climat de sécurité qui règne dans le groupe permet peu à peu de croître la liberté d’expression et de diminuer les “défenses”. Une atmosphère de confiance réciproque se crée à partir de cette liberté que l’on s’accorde mutuellement d’exprimer ses sentiments réels, positifs ou négatifs… Une fois que les individus sont moins inhibés par la rigidité de leurs défenses, il leur paraît moins menaçant de modifier leurs attitudes personnelles, leurs comportements, leurs méthodes professionnelles, leur style de commandement et leurs relations d’autorité. Grâce à la réduction de leurs défenses, les individus peuvent davantage s’écouter les uns les autres, ils peuvent davantage apprendre les uns des autres. » LES OBJECTIFS POURSUIVIS (TANT POUR LES PROCHES QUE POUR LES PATIENTS) Informer et avoir une meilleure compréhension de la maladie. Cette maladie leur “tombe dessus”, il est important d’être à l’écoute et d’éclairer les questions que chacun se pose, dans un souci de prévention et de stabilisation. En effet, les personnes viennent souvent avec des demandes très concrètes, « Comment faire pour réagir, pour éviter qu’une crise arrive, … », témoignant d’un vécu d’impuissance et d’attentes par rapport à une manière idéale de faire ou d’agir. Ainsi, l’objectif poursuivi n’est pas d’enfermer les personnes sous une étiquette diagnostique et de fournir des réponses théoriques “toutes prêtes” mais bien de pouvoir aborder la symptomatologie de la maladie, l’impact de celle-ci sur le milieu de vie et par conséquent, le vécu de chacun. Nous insistons sur l’importance du traitement médicamenteux, qui n’est pas suffisant à lui seul. Comprendre le parcours de soin et son utilité Fréquemment, les familles se sentent non reconnues et exclues du milieu des soins, et particulièrement des relations entre leurs proches et l’équipe thérapeutique (médecin, équipe thérapeutique, psychologue). Par la présence des membres de l’équipe thérapeutiques (infirmier, kiné, psychologue) et du médecin que nous invitons lors de certaines séances, nous essayons de donner du sens à ces relations “privilégiées”. C’est l’occasion pour les proches d’exprimer leur ressenti et d’avoir des explications en direct sur les questions qu’ils se posent. Malgré ce choix thérapeutique de travailler en priorité avec le patient, le médecin et l’hôpital restent ainsi accessibles aux proches et à leur questionnement. Cela permet de démystifier le monde de la psychiatrie et de favoriser une meilleure collaboration du patient et de la famille. En effet, il peut arriver que certains proches entravent le bon déroulement du parcours thérapeutique. C’est le cas de certaines familles qui sont opposées ou mettent en doute l’utilité d’un traitement médicamenteux, ou encore trouvent qu’il y a « trop de médicaments », certaines familles ont l’impression d’être en rivalité avec le médecin et encouragent leur proche à ne plus aller aux consultations : « Pourquoi lui parles-tu à lui ? On te connaît mieux ! On sait mieux ce qui est bon pour toi ». De même certains patients en comprenant mieux leur parcours de soin, pourront revoir leur position et inviter leur entourage aux infos familles, en prenant conscience de l’importance d’un travail en collaboration, sur le long terme. Familiarisés avec le monde du soin, proches et patients sont plus au clair avec ce qu’ils vivent. Ils peuvent alors se dégager des “étiquettes” et “clichés” et se sentir moins la cible du regard et jugement des autres. Ils peuvent se repositionner et prendre de la distance par rapport à la maladie mentale et parler de leurs difficultés qui peuvent être communes à d’autres maladies chroniques telles que le diabète. Ils se sentent alors plus à l’aise pour aborder leur vécu et pour se considérer comme partenaire dans le parcours thérapeutique. Favoriser la meilleure qualité de vie possible Nous envisageons la crise mais aussi, le sortir de la crise et nous imaginons ce qui peut être mis en place pour une meilleure stabilisation possible. Nous proposons de réfléchir ensemble, avec les autres participants, aux différentes pistes possibles afin d’améliorer le quotidien de chacun. Suivant le vécu de la personne et de son entourage, il s’agit de les aider à trouver leurs propres solutions, leurs outils, les moyens les plus adaptés afin de vivre au mieux leur quotidien (horaire de travail, ex : mi-temps médical , type de travail, ex : travail de nuit , contrat de prévention (favorisant la communication avec les proches) , administrateur de biens , structuration de journée, ex : activités permettant de se mettre en route , …). Permettre à chacun d’exprimer son vécu Ces séances sont l’occasion d’être à l’écoute de chacun, de sensibiliser chacun au vécu de l’autre et au bouleversement provoqué par la maladie, via notamment l’utilisation de supports (collage, littérature, film …). Certaines émotions telles que la colère, la honte ou la tristesse peuvent être élaborées et nous pouvons travailler la notion de deuil. Chacun est amené à remettre en question ses représentations et à les assouplir en fonction de ce qu’il vit. Informer sur les ressources disponibles dans le réseau Bien que nous soyons en contact avec des personnes dans un cadre hospitalier, notre souci est de faire exister le réseau et les ressources présentes dans le milieu de vie. Nous le faisons notamment par l’invitation ou la présentation d’Asbl de proches comme « SIMILES », de groupement de patients, par la présentation d’alternatives aux hospitalisations souvent craintes par les patients : équipe mobile de soins à domicile, centre de revalidation fonctionnelle, continuité d’un suivi thérapeutique de groupe ou individuel, … Différentes observations nous amènent à constater que l’évolution de nos groupes va dans le sens de nos objectifs : Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 103 Le travail avec les familles en hôpital de jour - Nos séances infos familles sont devenues un espace d’échanges. Nous sommes passés d’une approche psychoéducative plus stricte, à un espace de paroles, où en plus des informations, chacun peut exprimer son vécu par rapport à son propre parcours. - Les proches qui y participent, peuvent se faire une représentation d’eux-mêmes en tant que partenaires de soin s’ils le souhaitent et ainsi être actifs dans le processus thérapeutique. - Les séances contribuent à soutenir chaque participant tout en gardant à l’esprit notre mission « tremplin » vers l’extérieur. Pour la famille comme pour le patient, notre rôle est d’être à l’écoute afin de fournir des relais dans le réseau. Notre intervention est davantage centrée sur l’extérieur dans un souci de réinsertion, ce qui permet aux patients et à ses proches de jouer un rôle actif dans le processus de soin avec un accompagnement adapté en fonction des besoins de chacun. RÉFLEXION SUR NOTRE EXPÉRIENCE DE GROUPE En présentant notre travail lors de ce colloque, nous nous sommes rendu compte de l’importance de prendre en considération les spécificités des besoins des personnes que nous rencontrons. Bien que nous animions des ateliers semblables, les demandes suivant les populations sont très différentes. Cela nécessite d’adapter le cadre et le fonctionnement de nos ateliers afin d’être au plus proche du vécu spécifiques des personnes que nous rencontrons. Nous avons également pu mettre en avant que la psycho-éducation reste une porte d’entrée facilitant l’accès aussi bien pour les patients que pour les proches, à un groupe d’échange et de réflexion autour des vécus. Cependant, nous 104 gardons bien à l’esprit que les familles ont besoin de leur propre espace d’échanges entre elles et de leur propre travail thérapeutique, tout comme nos patients ont besoin de leur place dans nos ateliers en dehors de leur propre famille. Elles ne peuvent pas toujours s’exprimer de la même manière en présence de leur proche (peur de blesser, du conflit, …). Par conséquent, notre atelier permet d’amorcer un travail dont la poursuite va se dérouler en dehors de notre groupe. Il nous semble également important de préciser que chacun qu’il soit professionnel, patient, proche contribue à ce travail, de par son expertise et le partage de son vécu et son regard sur la maladie. Lors du débat, l’accent a été mis sur l’importance d’être au clair dans son rôle dans la rencontre avec les familles. En effet, nous n’intervenons pas comme médiateurs mais bien en tant qu’intervenant présent et disponible pour être à l’écoute de chacun, nous leur proposons un espace de réflexion et non de décision. Cette expérience met également en avant la puissance des groupes de pairs, où chacun devient une ressource pour les autres en accompagnant et contribuant à la réflexion de chacun. Enfin, travailler avec les familles demande de considérer la famille que la personne choisit : les personnes importantes pour lui dans son quotidien, susceptibles de jouer un rôle et de contribuer à une meilleure qualité de vie (parents, voisins, aide-familiale, intervenant, …). Nous rejoignons la définition de la famille de SIMILES dans son guide des bonnes pratiques : « toute personne concernée et jouissant de la confiance du patient peut faire partie de l’entourage proche, sans qu’il n’y ait de hiérarchie naturelle à respecter ». Cela signifie que nous ne rencontrons pas toutes les familles de nos patients : certaines familles ne sont pas rencontrées quand les patients ne le désirent pas et certaines familles ne se sentent pas concernées par cette réflexion, estimant que ce ne sont pas elles qui ont des difficultés. CONCLUSION Notre travail plus spécifique avec les familles en présence des patients nous permet de favoriser et de maintenir une relation de confiance parfois établie au cours de plusieurs années avec nos patients. Cela nous permet également d’être plus sensibles au vécu de chacun (proches et patients), et d’avoir une meilleure compréhension de ce que chacun vit. En considérant chacun dans sa souffrance, chacun peut se reconnecter à sa place, sans son rôle,… en tant que membre d’une même famille et non en termes de malade ou non-malade. Chacun, qu’il soit proche ou patient, peut entrevoir l’utilité d’un espace thérapeutique, où il se sent libre de venir échanger autour de son vécu, où il devient une ressource pour les autres, et où il peut s’assimiler à un partenaire au même titre que les professionnels. Ainsi le travail de groupe avec les familles en présence des patients nous semble générateur d’une dynamique thérapeutique intéressante de par les échanges autour de l’expertise de chacun. BIBLIOGRAPHIE 1. AUSLOOS G., La compétence des familles, Temps, chaos, processus, Eres, 2010, p.1-36 2. ROGERS C., Les groupes de rencontres, Dunod, 2002, p.7 3. SIMILES, Les familles comme partenaires de soins en santé mentale, guide pratique à l’usage des soignants, ASBL Similes Wallonie, 2012 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 QUEL CADRE POUR LA RENCONTRE AVEC LES FAMILLES ? Fondation Institut Maïeutique, 4 rue Sainte-Beuve, 1005 Lausanne, SUISSE [email protected] Muriel REBOH SERERO, Vanessa VEZ Dans notre pratique, la famille a toujours sa place. A l’image de la prise en charge thérapeutique personnalisée du patient, le travail avec la famille est un accompagnement à trouver-créer au carrefour de la problématique du patient, de sa demande et de celle de la famille, de la dynamique familiale et de notre indication thérapeutique. Cet accompagnement s’articule dans des cadres de prise en charge différents tels que les réseaux de soins, les entretiens de soutien, et les entretiens de famille psychothérapeutiques. Bien que différents, ces cadres sont toujours là pour soutenir la psychothérapie institutionnelle du patient. De manière générale, le patient qui vient en hôpital de jour vit dans sa famille. Ses difficultés psychiques mettent à mal le processus d’individuation et de construction de son identité. Paradoxalement, réunir les membres de la famille au sein de l’hôpital devrait leur permettre de mieux se séparer. A travers des vignettes cliniques, nous questionnerons les rencontres avec la famille. Quelles sont leurs demandes par rapport à l’hôpital de jour ? Comment investissentelles cette prise en charge ? Et pour nous soignants, quels sont nos contre-attitudes et résonances dans ces relations souvent complexes ? Mots-clefs : hôpital de jour, famille, cadre thérapeutique, trouvé-créé, résonance, alliance, idéal thérapeutique, réseau, créativité, compétence familiale What kind of therapeutic setting for families? Our personalized approach to patient management and support involves working together with the family to find and create from what lies at the heart of the patient’s difficulties, addressing the expectations of both the patient and the family, and our proposed therapeutic approach. This support is built upon a therapeutic alliance comprising of professional care networks, support meetings, and family therapy meetings. These therapeutic settings are a constant support for the patient during their time within institutionalized therapy. In general the patients who visit our day hospital still live with their families. Their psychological difficulties lead to complications within the process of individuation and healthy identity construction. Paradoxically, reuniting the family within the day hospital environment should allow both the patient and the family to better enter into the necessary process of separation and individuation. Looking beyond clinical labels, we question just what resonance this has for the family. What are their expectations as regards the care offered by our day hospital? How do they experience the support that this provides? And for us caregivers, what of our prejudices and emotional responses in regards to these often complex relationships? Keywords: Day hospital, family, therapeutic setting, profesional networks, therapeutic ideal, creativity, family habilities, resonance, therapeutic alliance INTRODUCTION Lorsqu’on prépare une intervention, on se demande toujours comment faire pour traduire la complexité de notre pratique en hôpital de jour. Le colloque des hôpitaux de jour nous propose chaque année un argument à partir duquel nous définissons un axe. Dans notre atelier, nous avons proposé de partager notre réflexion d’équipe sur le travail avec les familles en hôpital de jour. Nous avons abordé comment la dynamique familiale nous a amené vers un setting plutôt qu’un autre. L’Institut Maïeutique est un hôpital de jour, créé à Lausanne dans les années 50. La famille a toujours eu une place, mais historiquement, il s’agissait principalement d’axer l’intervention thérapeutique sur le patient avec la collaboration des parents sur un mode d’échange d’informations. L’évolution des pratiques en psychiatrie, mais aussi l’arrivée des droits des patients, a ramené la nécessité de clarifier la place de la famille. D’autre part depuis plusieurs années, la population de notre hôpital de jour a rajeuni et nous accueillons des jeunes dès seize ans avec une majorité entre 18 et 25 ans. Lors de cette période de vie, la question de l’individuation et de la séparation au sein de la famille est sensible. Les troubles psychiques viennent mettre à mal, faussent ce processus du développement et entravent la construction de l’identité. En tant que structure intermédiaire, nous ne sommes jamais en première ligne dans l’historique des soins. Comme l’évoque Serge Gauthier dans son article « Rencontre avec les parents et les proches des malades psychotiques », « le travail avec les familles peut être rendu difficile du fait de l’âge et de la pathologie mais également, la plupart du temps, les patients ont déjà bénéficié d’un suivi pendant l’adolescence et voir de l’enfance qui les a déjà mis largement à contribution ». LA RENCONTRE AVEC LES FAMILLES DANS LES RÉSEAUX La plupart du temps, la première rencontre avec les familles se passe à l’occasion du premier entretien d’admission ou dans le cadre des réseaux réunissant les différents professionnels s’occupant d’un même patient. En lien avec l’âge de nos patients, la pratique de réseau est devenue tout à fait nécessaire et courante dans notre clinique. Comme nos collègues l’ont évoqué lors du dernier Colloque des Hôpitaux de Jour, il y a une complexité des prises en charge et un travail collectif des équipes institutionnelles avec d’autres réseaux de soins. Les intervenants autour d’un patient peuvent être nombreux ; identifier la place et le rôle de chacun est parfois délicat pour les professionnels et encore d’avantage pour le patient et sa famille. Cependant, bien que les réseaux permettent de rencontrer les familles, ce cadre ne permet pas un travail avec la famille, les intervenants étant trop nombreux et les objectifs centrés sur le patient et sur la prise de décision. LES ENTRETIENS DE FAMILLE Les familles nous ont guidés vers la mise en place d’entretiens de famille. Entre les rencontres de réseaux, nous étions sollicités régulièrement par les familles angoissées par les symptômes et la maladie. Jeanne Jeanne est une jeune fille de 16 ans au moment de son intégration. Elle a été adoptée et souffre dès le début de son adolescence d’un trouble de la personnalité. Au quotidien, Jeanne présente de nombreux passages à l’acte qui inquiètent ses parents. Ces derniers nous sollicitent régulièrement dans l’attente que nous puissions intervenir auprès de leur fille pour la raisonner. Les parents nous investissent comme leur prolongement pour contrôler les actes de leur fille. Nous sommes pris dans l’urgence car quand Jeanne passe à l’acte, tous les Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 105 Le travail avec les familles en hôpital de jour membres de la famille s’alarment. Pour pallier à ces appels quotidiens et inquiets des parents, nous leur proposons des entretiens réguliers en présence de la référente de Jeanne, personne qui coordonne au sein de l’équipe les différentes interventions et informations pour la prise en charge. Ces entretiens sont l’occasion de sortir de notre fonction de pompier et donner du sens, avec la famille, aux agissements de Jeanne. Ces rencontres sont dans premier temps liées aux comportements de la patiente et se font généralement dans l’urgence, le dernier passage à l’acte de Jeanne prenant alors toute la place de l’entretien. Cependant, peu à peu, Jeanne et ses parents peuvent profiter de ces entretiens comme un espace pour penser, ce qui permet de sortir de la crise et de l’urgence. Clara Clara, une jeune fille de 17 ans, présente des troubles du comportement majeurs avec des menaces suicidaires quasi quotidiennes. Les parents bien que séparés sont en conflit sur comment gérer les manifestations et provocations sans limite de leur fille. Les parents sont à la fois épuisés, fascinés et n’arrivent pas à mettre des limites qui soient respectées. Toute tentative de l’un est disqualifiée par l’autre et Clara fait monter les enchères. Comme à notre habitude, nous convions les deux parents au réseau d’intégration. Comme dans la situation de Jeanne, nous souhaitons éviter de rencontrer les parents seulement lorsque cela va mal et être réduites à la position d’urgentiste. Cependant nous nous sommes questionnées sur le cadre dans lequel nous allions rencontrer Clara et ses parents étant donné qu’ils sont divorcés. Faut-il les voir séparément, en raison de leur conflit, ou au contraire ensemble pour marquer la différence entre le couple parental et conjugal ? Finalement, nous proposons de rencontrer les parents ensemble une fois par mois avec Clara. Les entretiens sont la plupart du temps centrés sur les comportements de Clara. Notre travail consiste essentiellement à verbaliser les agissements et donner la possibilité à Clara de se raconter devant ses parents et aux parents de revenir sur leur propre histoire et celle qu’ils ont vécu ensemble ainsi que sur la séparation. Comme le note Chantal Diamante dans son article, ces entretiens ont deux fonctions essentielles : contenir la violence générée par l’angoisse et donner des repères, faire des liens. Néanmoins, nous avons le sentiment avec cette famille que le retour aux préoccupations du quotidien est une fuite pour ne 106 pas aborder des vécus émotionnels douloureux. De plus, la présence du référent incarne et renforce la gestion d’éléments de réalité. À LA QUÊTE DE L’IDÉAL THÉRAPEUTIQUE Notre priorité est de préserver un espace thérapeutique, avec l’idée de séparer plus clairement le concret du symbolique. En quelque sorte s’éloigner du concret, c’est atteindre un certain idéal thérapeutique. Nous proposons des entretiens de famille en co-thérapie. Henri Henri, un jeune patient de 17 ans, adopté, avec un retard de développement, a nécessité un parcours d’enseignement spécialisé tout au long de sa scolarité. Les parents d’Henri sont très investis dans le parcours de leur fils. Ils interpellent les différents soignants de l’équipe individuellement pour demander des rapports sur les compétences d’Henri et sur le pronostic quant à une possible réinsertion scolaire. Le passage du scolaire aux soins est vécu douloureusement. Ils essaient eux-mêmes de coordonner le travail d’équipe. Nous leur proposons donc un espace de paroles, en-dehors des réseaux. Dans cette situation, nous avons tenté de proposer une prise en charge performante, ceci également au niveau des entretiens de famille. Nous avons ainsi défini des rôles très clairs, formalisé la différence entre l’espace réseau et celui des entretiens. Malgré tout, au sein des entretiens, il apparaît que la demande des parents est la guérison d’Henri et la mise en place d’une formation. Nous restons cependant avec notre indication d’entretiens thérapeutiques de famille. Un malentendu se crée entre les attentes de la famille et le cadre posé, on voulait une performance dans l’élaboration et la famille une performance des compétences de leur fils. Dans cette situation, le travail sur nos résonances (Mony Elkaim) a permis de sortir de cette symétrie autour de la performance. Comme le souligne Francine AndreFustier, la souffrance familiale est à voir dans une logique de survie. Il faut penser notre dispositif en ce qu’il peut faire vivre aux familles. La demande des familles n’est pas qu’on s’occupe d’eux mais du patient malade et le cadre psychothérapeutique formel peut être parfois trop centré sur le groupe famille. Nous avons pu avec Henri désamorcer cette dynamique en s’alliant aux parents dans leur position qu’ils viennent pour leur fils et en réévaluant notre cadre. Pablo Pablo, un garçon qui nous est référé par l’hôpital suite à un grave épisode dépressif, illustre cet accordage sensible entre la famille et les thérapeutes de l’hôpital de jour. A la sortie de l’hôpital, il retourne vivre chez ses parents, où il ne vivait plus depuis plusieurs années. Peu après son intégration à l’hôpital de jour, les parents nous appellent régulièrement pour prendre des nouvelles de la prise charge et de l’évolution de leur fils. Par ailleurs, l’histoire personnelle des parents est envahissante pour le patient, histoire parcourue de traumatismes. Pablo peine à trouver sa place et se plaint également de ses parents qui lui demandent de faire un point avec lui quotidiennement. Nous leur proposons, avec l’accord de Pablo, de les rencontrer en-dehors des entretiens de réseau. Lors du premier entretien, tout le monde est collaborant, chacun peut s’exprimer, dire les difficultés rencontrées et les souhaits pour l’avenir. Les parents aimeraient avoir des réponses quant à la possibilité de leur fils à reprendre des études universitaires. Tout le monde semble être d’accord pour la mise en place des entretiens où la présence de chacun est souhaitée. Mais, peu après les deux premiers entretiens avec ses parents, Pablo commence à venir de manière irrégulière. Après les vacances estivales, Pablo ne vient plus malgré une sollicitation régulière de notre part. Les parents sont inquiets et craignent un retour des symptômes dépressifs. Nous proposons un rendez-vous avec Pablo et ses parents. Le père arrive seul, démoralisé, inquiet pour son fils et en colère contre nous, estimant ne pas voir les résultats de notre travail. Nous parvenons finalement à rencontrer Pablo qui nous informe avoir trouvé un travail et souhaite y mettre la priorité sur les soins. Nous nous sommes interrogées si l’espace de l’hôpital de jour ouvert à la famille a fait obstacle à la prise en charge de Pablo. Il y a ainsi une perméabilité entre l’espace individuel et l’espace familial. L’équilibre à trouver entre les deux est sensible. L’hôpital de jour est avant tout l’espace du patient et nous voyons toujours les familles avec l’accord de ce dernier. La place donnée à la famille peut être une ressource comme être intrusive pour le patient. CONCLUSION Nous rencontrons des familles qui sont à la recherche du bon médicament, du meilleur psy, du bon modèle de soins ou intervention et nous comprenons cela comme une quête de la guérison. Nous Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Quel cadre pour la rencontre avec les familles ? avons cherché vainement ces dernières années le setting idéal, le plus petit dénominateur commun des familles des patients fréquentant l’hôpital de jour. Cette recherche a pu mettre en évidence parfois la triple désignation « famille disqualifiée, enfant à problèmes, soignants super compétents », évoquée par Jean Pierre Bruniaux et Michel Maestre. Lors de cet atelier, nous avons présenté une palette d’interventions au-delà d’une procédure qui s’appliquerait à toutes les familles. Ceci se résume assez simplement par l’importance de la rencontre, un cadre trouvé-créé, qui se définit en interaction avec chaque famille. Cette rencontre peut se faire dans des entretiens de famille, dans les réseaux et également dans des entretiens d’investigation anamnestique. Comme le note Chantal Diamante, prendre du temps avec les familles, c’est permettre la création d’un lien, un vécu partagé, alors que souvent pour ces familles leur vécu est caractérisé par la discontinuité. Elle ajoute que le maintien d’un lien peut permettre l’émergence de l’activité de penser. Parfois, notre tâche est modeste, à savoir verbaliser dans l’ici et maintenant ce que nous percevons des actes et de l’infraverbal. Nous ne pouvons pas toujours compter sur des associations libres car cela suppose un matériel en partie symbolisé. D’autre part, la Drsse Duc Marwood, lors de sa conférence, a souligné l’importance de reconnaître que les ressources et l’estime des familles consultantes sont affaiblies. Selon elle, l’accompagnement des familles doit permettre la mobilisation de la pensée et des compétences. Comme le montre nos illustrations, il est difficile d’aborder de front les difficultés du patient car cela peut faire résonner le sentiment d’échec, de culpabilité. A travers l’histoire des intervenants rencontrés dans le parcours de soins, en pensant l’aide reçue, on peut mobiliser les familles et définir ce qu’on pourrait faire ensemble. Pour cet atelier, nous avons souligné la thématique du cadre au sein d’entretiens de famille. Les soins de l’hôpital de jour dépassent pourtant les espaces d’entretien, la rencontre avec les familles se fait dans des espaces et des temps divers et variés. Par exemple, Mike arrive décompensé avec sa mère. Nous les recevons pour un entretien et signifions la nécessité d’une hospitalisation pour Mike. La mère dit qu’elle a préféré venir à l’hôpital de jour pour discuter et, précise-t-elle, cela peut être soit la secrétaire soit le psychothérapeute. Cette situation illustre comment les différents interlocuteurs peuvent être investis par la famille. La mère de Mike investit principalement les soins à travers le secrétariat et les cuisiniers. Cet investissement indique à la fois un lien avec l’hôpital de jour et une résistance aux espaces de parole et d’élaboration. Nos collègues du KaPP à Bruxelles sous la direction de Philippe Kinno évoquent l’importance de l’accueil quotidien des familles dans leur livre « Psychothérapie institutionnelle d’enfants ». Dans notre pratique, c’est ce que nous avons vécu avec Sarah à travers une poignée de main dans la rue entre sa mère et une personne de l’équipe. Au début, seules une ou deux personnes de l’équipe pouvaient être ce liant sécurisant la fille et la mère, « La poignée semble peu à peu prendre confiance, devenir acceptation, lâcher prise, communication, verbalisation. » Au fil du temps, cela s’agrandit à l’équipe entière, puis elle peut venir seule de la voiture. A l’approche de ses 25 ans, cette jeune femme qui ne veut pas en être une, traverse une période très difficile, où la séparation avec la mère se rejoue très fortement tous les matins. Des entretiens de famille ainsi que des réseaux sont organisés. La situation est verbalisée mais Sarah reste dans sa position. Jusqu’à un matin, où Sarah refuse de sortir de la voiture. Nous soutenons la mère pour qu’elle puisse partir. Les intervenants se succèdent alors dans la voiture pour parler à Sarah qui finira par sortir. La mère vient à la fin de la journée récupérer sa fille et sa voiture ! Sarah fête par la suite ses 25 ans paisiblement. C’est probablement la complémentarité entre le formel et l’informel qui aura permis le changement. Il y a également la situation de David, un jeune homme de 20 ans souffrant de schizophrénie. Des entretiens de famille sont proposés mais refusés par les parents qui préfèrent les faire en dehors de l’hôpital de jour et qui ne souhaitent aucun contact entre nous et la thérapeute. Les parents sont méfiants envers les soins, les médicaments, les différents professionnels. Néanmoins, à travers des moments informels comme nos soirées où nous invitons des conférenciers nous avons pu tisser un lien de confiance. Espaces Informels ? Entretiens de famille ? Psychothérapie de famille ? Entretien de soutien ? Quelle terminologie ? Quelle différence pour les familles ? Estce que ce ne sont pas là des préoccupations de professionnels ? Notre responsabilité de professionnel est de penser le cadre mais quel qu’il soit… n’est-il pas là pour soutenir la psychothérapie individuelle institutionnelle du patient ? BIBLIOGRAPHIE 1. ANDRE-FUSTIER F., L’accompagnement psychique des familles en institution: les enjeux du lien famille/institution, 2012 2. BRUNIAUX J.-P. et MAESTRE M., Peuton éviter le processus de triple désignation: famille disqualifiée, enfant à problèmes, éducateurs super-compétents, Résonnances n° 7, 1995, p. 33-37 3. DIAMANTE C., Entrez, des psychanalystes écoutent: accueillir et soigner des familles en difficultés, Dialogue 4/2003, n°162, pp. 2534. 4. ELKAÏM M., L’expérience personnelle du psychothérapeute : approche systémique et résonance, Psychothérapies 3/2004 (Vol. 24), pp. 145-150 5. GAUTHIER S., Rencontres avec les parents et les proches des malades psychotiques, Erès, 2006, pp. 209-232 6. KINOO P., Psychothérapie institutionnelle d’enfants : l’expérience du KaPP, Erès, 2012 7. LABAKI C. et DUC MARWOOD A., Langages métaphorique dans la rencontre en formation et en thérapie: sur les traces d’Edith TILMANS-OSTYN, Erès, 2012 8. LANGOUX I. et JAQUES-COTTET N., Multiplicité des regards et identité institutionnelles, XLème Colloque des hôpitaux de jour, 2012, pp. 68-73 9. WINNICOTT D. W., Jeu et réalité, Folio essais, 1971 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 107 DE L’INFORMATION DES FAMILLES À LA TRANSFORMATION DES PRATIQUES C.H.S Notre-Dame des Anges Rue Emile Vandervelde, 67 4000 LIEGE BELGIQUE [email protected] Muriel EXBRAYAT, Viviane LOMBART, Latifa MACHKOURI De l’information des familles à la transformation des pratiques orientées vers les soins en milieu de vie, l’importante réforme (Psy 107) de la Santé Mentale en BELGIQUE s’est associée au soutien des associations de patients et de proches de patients. Cette volonté politique engage les professionnels à collaborer avec les familles comme partenaires du soin et à organiser le relais de leur structure vers d’autres, moins « psychiatrisées ». Aujourd’hui, les professionnels apprennent à penser et soutenir les liens préexistants à une hospitalisation de jour et à orienter leurs accompagnements en concertation avec le réseau personnel (familles, entourage) et le réseau professionnel (médecin généraliste, …), afin de permettre à la personne de quitter le milieu psychiatrique des délais toujours plus brefs. Dans ce cadre en transformation et pour tenir compte de cette catégorie de besoins que nous qualifions de “systémiques”, dans le sens de “en relation avec”, l’hôpital de jour a mis en œuvre des modalités de travail en réseau pour les personnes qui présentent un problème avec leur consommation d’alcool : - un atelier d’information sur l’alcoolisme pour les familles et l’entourage, - un travail en réseau d’associations de proches, - un travail de concertation autour de situations de personnes alcooliques à pathologie complexe, avec la personne et sa famille. Mots-clefs : famille- coordination- concertation- réseau- information From the family information to the transformation of the habits Oriented towards the cares in the daily environment, the important Mental Health’ reform (Psy 107) in Belgium joined the support of the associations of the patients and their close relations. This political will commits the professionals to collaborate with the families as care partners and to organize the link between their structures and other ones, less psychiatric. Nowadays, the professionals learn to think and support the pre-existing links to a day clinic and to guide their cares in correlation with the close relations (family circle, relatives) and the professional network (family doctor,…), to allow the person to leave the psychiatric environment within the shortest lead-time possible. In the framework of this transformation and to take into account this category of needs called “systemic”, in the sense of “in relation with”, the day clinic settled network work methods for the persons who have a problem with their alcohol consummation: - A workshop to explain the alcoholism for the families and relatives; - A network work of some close relation associations; - A consultation work on accurate situations of alcoholic persons suffering of complex pathologies, together with the person and its family. Keywords: family-coordination-consultation-network-information INTRODUCTION De 2007 à 2010, la clinique Notre-Dame des Anges, à Liège, a coordonné une approche thérapeutique autour de l’alcoolisme (projet 100) fondée sur un travail de concertation entre partenaires, qui réunissaient la personne concernée, ses proches et les différents professionnels qui gravitaient autour d’elle. Cela permettait aussi bien au patient, à ses proches et aux professionnels de bénéficier du soutien de chacun. Ainsi en plus de ce travail de concertation nous aurons l’occasion d’exposer la réforme en soins de santé mentale en Belgique et de réfléchir sur son implication dans notre pratique. LA CONCERTATION La concertation a pour objectif de favoriser les collaborations et le travail en ré- 108 seau entre partenaires de santé mentale pour des pathologies chroniques et complexes afin de garantir la continuité du soin et d’assurer des soins sur mesure, c’est-à-dire adaptés aux besoins de la personne et de son réseau. Elle suppose donc la confrontation entre les parties, l’échange d’arguments, l’explication du point de vue de chacun (que ce soit la personne concernée, la famille ou les intervenants). Elle nécessite aussi l’animation des échanges. En effet ce travail de concertation demande tout un travail de coordination. Ainsi, un intervenant de la clinique a été chargé de cette mission, en restant en contact avec les différents partenaires et en leur offrant la possibilité de participer une fois tous les trois mois à une réunion de concertation. LE TRAVAIL EN RÉSEAU Ainsi, cette expérience nous a amené à travailler en réseau, c’est-à-dire travailler avec l’ensemble des personnes qui sont en liaison et qui travaillent autour et avec la personne. Ce travail en réseau nous a amené à réfléchir sur plusieurs questions afin de définir notre cadre de travail : « Comment organiser et penser les invitations à la famille ? Qui invite ? Qui prend la décision d’inviter ou non ? Quand inviter et cesse d’inviter? Quel est l’impact de la présence de la famille en réunion de concertation que ce soit pour les familles, pour les patients et pour les professionnels ? » Dès lors il nous semblait important que le patient puisse réfléchir avec nous à ces questions et, par sa participation aux réunions de concertation, qu’il devienne acteur à part entière de sa prise en charge thérapeutique. Il pouvait ainsi décider d’inviter les personnes qu’il souhaitait voir à ses côtés dans l’élaboration de son projet de vie. Notre hôpital de jour s’inscrit lui aussi dans ce contexte de travail, en laissant la possibilité aux personnes et à leurs proches de participer aux séances “info famille” qui sont organisées sur l’alcoolisme, la maladie bipolaire et la schizophrénie. Ces séances qui sont ouvertes non seulement aux personnes de l’hôpital de jour mais aussi aux personnes de l’hôpital résidentiel et de l’extérieur permettent une continuité des soins. Elles permettent également à chacun de se vivre comme partenaire de soins, s’il le souhaite. INTÉRÊT DU TRAVAIL EN RÉSEAU AVEC LES FAMILLES Lors de nos séances “info famille”, nous avons eu l’occasion de travailler avec les familles en leurs donnant des informations sur les personnes qui présentaient des problèmes avec l’alcool ou autres dépendances. La première difficulté était de mobiliser ces familles. En effet peu de famille était présente lors de nos séances. A travers nos échanges avec les différents partenaires, nous nous sommes rendus compte Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 De l’information des familles à la transformation des pratiques que cette difficulté était rencontrée dans d’autres groupements d’entraide pour les familles dont un proche a une consommation problématique avec l’alcool ou une autre substance. C’est donc dans ce cadre que fût créée l’association GEPTA, cette association nous permet en tant que professionnel des mises en commun de nos expériences et vécus rencontrés dans les différents groupes. Ce travail et les réflexions associées ont donc bousculé nos pratiques. Actuellement et dans un tout autre ordre, le projet 107 nous amène également à remettre en question nos plans de soins. LA RÉFORME EN SOINS DE SANTÉ MENTALE EN BELGIQUE ET IMPLICATION DANS NOTRE INSTITUTION Depuis le début 2010, l’Etat Fédéral, les Régions, les Communautés ont décidé d’une réforme concernant les soins en psychiatrie. Le but de ce changement étant de créer, via des projets pilotes (107), des circuits et réseaux de soins associant les structures hospitalières et ambulatoires en vue d’une prise en charge différente des patients. Ce réseau offre à la population concernée une palette de soins couvrant au maximum ses besoins pour toutes les pathologies et à tous les stades de leur évolution (de l’urgence à la réhabilitation, du milieu de vie à l’hébergement). Ce réseau correspond à 5 fonctions : - 1ère fonction : information, prévention, diagnostic précoce, première orientation. - 2ème fonction : 2 équipes mobiles, de crise et de soins chroniques - 3ème fonction : réhabilitation pour l’insertion - 4ème fonction : soins aigus hospitaliers - 5ème fonction : hébergement alternatif C’est la raison pour laquelle notre institution réfléchit à un réaménagement des fonctions hospitalières pour les rapprocher du projet global de la réforme. Deux services distincts seront créés avec des équipes et des soins spécifiques : l’hôpital de jour intensif, l’hôpital de jour semi-intensif. L’HÔPITAL DE JOUR INTENSIF L’hôpital de jour intensif s’inscrit comme nouvel outil de la fonction IV, unité de traitement intensif, pouvant délivrer une observation diagnostique et une intervention thérapeutique, lorsque l’encadrement semi résidentiel est possible. Il s’agit donc d’une alternative à l’hospitalisation résidentielle, permettant au patient de rester dans son milieu de vie. Ce service, au même titre que les unités résidentielles intensives, dispose d’une unité de lieu, d’équipe, et d’un cadre temporel, qui lui sont propres. Son intervention est volontairement limitée dans le temps. L’HÔPITAL DE JOUR SEMIINTENSIF Parallèlement à l’implémentation d’un service intensif à l’hôpital de jour, le CHS N.D. des Anges a décidé de l’implémentation d’un service semi intensif de jour qui complètera son offre. Ce service s’inscrit dans l’offre de soins de la fonction III (réhabilitation) du réseau de soins du projet Fusion Liège, en conformité avec les lignes de force du projet dit 107 « Guide vers de meilleurs soins en santé mental par la réalisation de circuits et de réseaux de soins ». Le service accueillera des patients dont la symptomatologie est stabilisée ou en voie de l’être, et capables d’un vécu à domicile avec aide. Le projet hospitalier se concentrera sur un encadrement médicopsycho-social en vue d’accroître leur autonomie malgré le déficit persistant, et de favoriser leur réinsertion et/ou leur maintien à domicile. Ainsi l’hôpital de jour semi-intensif s’inscrit naturellement dans un trajet de soins en aval des unités intensives de la fonction IV, résidentielles ou non. Il permettra aussi de restreindre la durée d’hospitalisation dès que la symptomatologie est suffisamment stabilisée. CONCLUSION Que ce soit dans le cadre de la concertation ou du projet 107, nous avons pris conscience de l’importance et de l’intérêt du travail en équipe et du travail en réseau avec le patient comme partenaire. En effet, il semble indispensable de pouvoir tenir compte dans notre travail de la réalité de terrain et de l’expertise de chacun. Ainsi ce travail demande de la souplesse afin d’offrir à chacun, qu’il soit patient, proche ou professionnel, un soutien adapté à leurs besoins et demande également de pouvoir sans cesse remettre en question l’utilité de nos pratiques. BIBLIOGRAPHIE 1. LOTTIN T., Alcoolisme : Multiplier ses dépendances pour sortir de l’autarcie relationnelle, Revue des Hôpitaux de Jour psychiatriques, octobre 2008, n°11, pp. 10-13 2. GEPTA : www.gepta.be,[email protected] 3. EXBRAYAT M., Retour d’expériences avril 2007- mars 2012 : Projet Pilote Thérapeutique 100, Alcoolisme chronique à pathologie complexe de longue durée, 2012 4. Guide vers de meilleurs soins en santé mentale par la réalisation de circuits et de réseaux de soins, projet de constitution d’un réseau de soins, Fusion Liège, 2010 5. KEMPENEERS J.-L., SCHENA A., Réflexions sur la Réforme au C.H.S. NotreDame des Anges à Liège, Belgique, 2013 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 109 Le travail avec les familles en hôpital de jour Annexe 1 Réhabilitation CRF HôpitalPerte de jour d’autonomie Service de santé mentale Milieu de vie Soutien Psychosocial Familles Hôpital de jour semiintensif Première ligne Maison médicale M.T. SISD S.S.M. SPAD SPAD Traitement intensif à domicile Postcure Urgence Crise Traitement en lien assertif Hôpital Hospi. Intensive Hospi. Aigüe Hôpital de jour Hébergements spécialisés Annexe 2 : Les outils du CHS Notre Dame des Anges - Fonction III Perte d’autonomie Psychopathologie stabilisée Autonomie satisfaisante Hôpital de jour semiintensif Capacité professionnelle inenvisageable CRF Capacité professionnelle envisageable Offre occupationnelle Postcure Annexe 3 : Les outils du CHS Notre Dame des Anges - Fonction I Consultations ambulatoires Problématique patient Ateliers de psychoéducation Atelier bipolaire Atelier « Sésame » 110 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 PARENTS HÉSITANTS FACE AU “STIGMA” COMMENT LES FAIRE VENIR ? CTJE Rue du Bugnon 23b CHUV 1011- LAUSANNE SUISSE [email protected] Olga SIDIROPOULOU, Françoise BONOMI- LAGE, Véronique DELETROZ Nous représentons le Centre Thérapeutique de Jour pour Enfants, une structure associant les soins pédopsychiatriques à l’enseignement spécialisé. Le travail avec les parents occupe une place centrale dans notre orientation. Dans un contexte où les familles élaborent leur rapport au “spécialisé” et donc affrontent une certaine crainte de stigmatisation, les attitudes thérapeutiques classiques contiennent le risque d’être interprétées en tant que forçage à la conformité ou à la normalisation, chose qui renforce les contre-attitudes parentales. Nous allons montrer que le “stigma”, signifiant d’une étiquette discriminante, est le reflet de projections parentales fondamentales rigides plutôt qu’une simple crainte dans le processus du “deuil de l’enfant normal”. Le point de rencontre avec ces familles est souvent hors du cadre que nous nous sommes créés, un cadre qui nous sert finalement plutôt de représentation, de lien commun au sein de l’équipe. C’est dans l’après-coup que nous faisons le constat d’un lien qui se crée après une certaine subversion du cadre dans les situations les plus compliquées. Cette souplesse du cadre, motivée par la contingence de la rencontre, opère un déplacement des représentations des deux parties et permet ainsi un lien thérapeutique libéré des idéaux contraignants. Mots-clefs : projections parentales, cadre, spécialisé, stigmatisation, stigma, pédopsychiatrie Hesitating parents in front of the “stigma”, how to make them come to us? We represent the CTJE, a structure associating infant psychiatric care and special education. Working with the parents is essential to our orientation. In a context where they develop their notion of the “special” and so are facing the fear of a certain stigmatization, the classic therapeutic attitudes contain the risk of being interpreted as forcing to conformity or normalization, which can strengthen the parental counter - attitudes. We will present that the “stigma”, signifier of a discriminative sign, is mostly a reflection of rigid parental fundamental projections, rather than a simple fear within the process of mourning over the “normal child”. The meeting point with these families is frequently placed out of the therapeutic frame we have created, a frame which serves us finally rather as mutual representation of a bond within the team. It’s only afterwards that we come to realize that the connection to the families grows post a certain alteration of the therapeutic frame in the most complicated situations. This flexibility of the therapeutic frame, induced by the coincidence of the encounter, operates a relocation of representations of both parties, resulting to a therapeutic relation free from binding ideals. Key words: parental projections, therapeutic frame, special, stigmatization, stigma, infant psychiatry INTRODUCTION Nous représentons ici le CTJE, (le Centre Thérapeutique de Jour pour Enfants), une structure de type hôpital de jour, associant les soins pédopsychiatriques à l’enseignement spécialisé. Nous proposons une prise en charge précoce et à plein temps d’enfants âgés de 4 à 6 ans au moment de leur admission, pour une durée de deux ans. L’objectif est la réintégration à l’école ordinaire ce qui implique une certaine préservation des compétences intellectuelles. La population concernée du point de vue diagnostic s’inscrit plutôt dans les troubles envahissants du développement non spécifiques, y incluant donc des dysharmonies du développement avec des troubles instrumentaux et perceptifs souvent associés à des troubles émotionnels et du comportement. Nous faisons partie du Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent (SUPEA) dans le Centre Hospitalier Universitaire Vaudois à Lausanne. Les enfants bénéficient de théra- pies individuelles et groupales, en psychomotricité, orthophonie, jeux dramatiques, activités de socialisation. LE TRAVAIL AVEC LES PARENTS Le travail avec les parents occupe une place centrale dans notre orientation. Nous tenons spécialement aux suivis de familles et à l’accompagnement de l’enfant par les parents au moins une fois par semaine. Ils s’engagent à venir afin d’avoir un contact informel mais régulier avec l’équipe pédago-éducative, pour procurer un sentiment de sécurité aux jeunes enfants avec des angoisses de séparation. Nous les rencontrons régulièrement pour des entretiens de guidance parentale, un groupe de parole ouvert est aussi mis en place. Nos débriefings d’équipe réguliers permettent la transmission des informations entre les enfants, l’équipe et les parents. Les synthèses bisannuelles des enfants sont restituées aux parents par l’équipe médico-psycho-sociale, les bi- lans des différents spécialistes leur sont resitués dans nos entretiens. En parallèle, l’équipe pédago-éducative invite les parents officiellement 3 fois par année en classe pour faire le bilan de l’évolution de leur enfant sur le plan scolaire et éducatif. Les contacts informels avec les parents sont fréquents : lors des arrivées et des départs des enfants, au travers de l’agenda de l’élève, lors des fêtes qui rythment l’année scolaire. Ces moments informels sont souvent riches en informations, en observations, en partage. Les éducateurs et enseignants sont en effet souvent témoins des interactions parents-enfants mais aussi le réceptacle des soucis, des plaintes ou reproches des parents. L’enfant lui-même, à son insu, livre beaucoup de son vécu familial en classe. Une histoire, un dessin, une activité quelconque peut l’amener à parler de ce qu’il vit à la maison. Nous partageons donc tous la même préoccupation à les faire venir, les écouter, nouer un lien, établir une relation de confiance, dans le but de leur permettre d’accepter le cadre de nos consultations, d’investir la structure. Nous espérons ainsi partager le même discours sur la problématique de leur enfant. Notre souhait est de parvenir à médiatiser la relation parents-enfant, l’alléger des exigences démesurées, de sa charge fantasmatique éventuelle, de sorte que chaque individu dans la famille retrouve sa place dans les générations, dans le partage émotionnel. Nous serons porte-parole de l’enfant quand il formule une demande d’aide, nous soutiendrons l’autorité parentale quand elle peine à s’établir. Nous sommes conscients du fait que le pronostic d’une prise en charge d’un enfant dépend souvent de la collaboration et du lien de confiance que nous avons pu construire avec les parents. Or, ceux-ci sont en position difficile avec à priori un premier transfert négatif, ils doivent traverser le deuil de l’enfant dit “normal” après l’annonce du besoin de l’enseignement “spécialisé”, notre structure accueillant des enfants jeunes en première intégration scolaire. Etant ceux qui acceptent et confirment ce diagnostic, qui annoncent une prise en charge intensive et multidisciplinaire de leur enfant, Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 111 Le travail avec les familles en hôpital de jour nous faisons écran à des projections parentales diverses allant jusqu’à leur propre enfance et leurs vécus autour de la pédagogie et l’éducation, impliquant des sentiments d’échec et des réactions négatives. Comme le souligne d’ailleurs Carel lors du congrès du CPGF (Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale) en octobre 2011, reprenant Racamier, « l’institution suffisamment bonne équivaut une institution créative en dépit des et grâce aux multiples turbulences générées par sa tâche primaire, c’est-à-dire soigner des patients difficiles et leurs familles ». Notre expérience a montré que la solution dans cette relation difficile à contourner, ne vient pas au travers de maniements simples de transmission de savoir, d’empathie ou de soutien, auxquels les parents s’attendent et qui correspondent à leurs représentations de la pédagogie et de la psychiatrie classiques. Dans un contexte où ils élaborent leur rapport au “spécialisé”, les attitudes classiques contiennent le risque d’être interprétées en tant que forçage à la conformité ou à la normalisation, chose qui renforce les contre-attitudes parentales. Nous allons montrer au travers de vignettes cliniques que nos entretiens avec les parents se font pratiquement dans des settings individualisés au cas par cas, notre analyse des situations portant surtout sur deux axes : les projections parentales rigides témoignant d’une parentalité compliquée et les aménagements du cadre qui ont été alors nécessaires dans chaque suivi familial. Le point de rencontre avec les parents dans chacune des situations s’est avéré être hors du cadre que nous nous sommes créés, un cadre qui nous sert finalement plutôt de représentation de lien commun au sein de l’équipe alors qu’avec les familles, c’est l’enfant et ses parents qui nous montrent le type de lien possible. C’est donc dans l’après-coup que nous faisons le constat d’un lien qui se crée après une certaine subversion du cadre dans les situations les plus compliquées. Cette souplesse du cadre, motivée par la contingence de la rencontre, opère un déplacement des représentations des deux parties et permet ainsi un lien thérapeutique libéré des idéaux contraignants. PREMIÈRE VIGNETTE CLINIQUE : ANTOINE, 7 ANS ET DEMI Motif de la prise en charge Quand nous accueillons Antoine, il a cinq ans et demi. Il nous a été adressé par une consultation ambulatoire, consultation motivée en raison d’un refus alimentaire concernant la nourriture solide. La famille avait interrompu ce suivi après quelques 112 consultations pour faire retour quelques mois plus tard où la mère acceptait de parler des difficultés de son fils : Antoine aurait été souvent dans son monde, il aurait un comportement agité et aurait voulu tout commander. En groupe il aurait été peu en contact avec les enfants, il se retirerait dans son monde ou provoquerait la bagarre. Eléments anamnestiques Antoine est le fils unique du couple. Les parents se connaissent depuis l’adolescence. Ils ont essayé pendant plusieurs années d’avoir un bébé sans résultat si bien que Madame a su qu’elle était enceinte à trois mois de grossesse. Le couple s’est séparé quand l’enfant avait 4 ans, l’autorité et la garde sont partagées. La mère se présente comme quelqu’un de fragile, sensible et souvent au bord des larmes, probablement déprimée. Elle est toujours très affectée par les difficultés de nourriture de son fils, elle a l’impression d’avoir tout essayé sans résultat, ce qui la renvoie probablement à son incapacité d’être “une bonne mère”. Elle semble avoir peu de soutien et peu d’entourage proche à qui elle pourrait se confier, par ailleurs elle n’a pas de famille en SUISSE et sa belle-famille refuse de la voir depuis la séparation. Son fonctionnement est masochique dans la relation à l’autre ce qu’elle perçoit, elle peut dire que déjà enfant sa mère lui faisait remarquer qu’elle était trop gentille. Le père est très défendu dans la relation, attentif à ses mots, préfère banaliser la situation familiale et les difficultés de son fils. Il décrit son fils comme intelligent, têtu, malin et capricieux. Les parents parlent d’un désaccord important quant à l’éducation de leur enfant. Après la naissance d’Antoine, les difficultés se sont succédées : problèmes financiers, problèmes professionnels du père, soucis de santé pour les deux parents, crises de panique pour la mère, troubles de l’humeur pour le père. Les parents ont évoqué la naissance de leur fils et la petite enfance où selon eux tout allait bien. Antoine avait une certaine avidité pour la nourriture jusqu’à ses deux ans. A cette période, Antoine est confié à une nounou car Madame reprend le travail. C’est toujours cet épisode de séparation partagé par les parents qui explique pour eux les difficultés alimentaires. Lorsque nous faisons connaissance, au vu des relations difficiles entre les parents, nous proposons la prise en charge familiale suivante : la mère sera reçue par la psychologue une fois par mois, le père par la pédopsychiatre et, environ tous les 3 mois, la pédopsychiatre et l’assistante sociale recevront les parents et Antoine. Observations de l’enfant au centre A son arrivée, Antoine est un enfant souriant, de bonne humeur. Il se montre motivé et intéressé pour l’apprentissage de la lecture mais ne peut travailler seul. Son comportement avec les autres enfants reste problématique. Il cherche souvent à s’isoler, se barricader avec les paravents de manière rigide et obsessionnelle, si un enfant intruse son espace, il s’effondre. Régulièrement, il se met à crier et quitte la classe. Ses colères sont toujours disproportionnées par rapport à l’événement selon les enseignants. Au dîner, Antoine ne mange rien à part une biscotte ou des biscuits au fromage, il ne veut boire que de l’eau gazeuse dans un gobelet jetable. Le lavage des dents est un moment très compliqué pour lui, il pose des serviettes en papier pour éviter de toucher directement les objets. SUIVI DE FAMILLE ET AMÉNAGEMENTS DU CADRE Le trouble alimentaire est au cœur de la problématique psychique d’Antoine. Nous sommes frappés par la résistance d’Antoine dans la persistance de son refus alimentaire. Habituellement, lorsque nous rencontrons un enfant avec des troubles alimentaires importants, nous aménageons le moment repas, observons ce qui peut le mieux convenir à l’enfant, rester en groupe ou prendre le repas seul avec un professionnel ou participer à l’atelier cuisine. Nous allons proposer à la mère d’Antoine de venir manger dans notre structure. Ainsi, régulièrement Antoine et sa mère prennent le repas avec la psychologue qui assure le suivi de la mère. Lors des repas pris dans la structure, la psychologue observe la mise en scène d’Antoine autour du repas où il montre des angoisses d’empoisonnement, ainsi que la notion “d’antidotes” nécessaires pour le soulager (il évoque différentes sauces et substances). Antoine semble dégoûté par la nourriture, il n’aime pas le goût, il a mal au ventre quand il mange. Cependant, il peut également instaurer un jeu, il sert sa mère et la psychologue, prend du plaisir à donner à manger et la mère prend du plaisir à être nourri par son fils et par l’institution. Nous avons constaté chez Madame une détente, un soulagement de partager dans la réalité, la problématique de son fils. Quelques interventions sont rendues possibles avec la mère car elle vient régulièrement chercher son fils afin de l’accompagner à sa thérapie. Elle arrive souvent avec des demandes de changements Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Parents hésitants face au “STIGMA”, comment les faire venir ? d’horaires dans un contexte de conflit sous-jacent avec le père où chacun revendique plus de temps avec son enfant, arrivant au point où ils préfèrent garder l’enfant chez eux avec une assistante maternelle que de le rendre à l’autre parent. Antoine se trouve souvent perdu et désorienté sans savoir où il rentre ou qui le récupérera à la sortie. Cela nous a amené à convoquer les deux parents afin de régler les problèmes de garde et à nous retrouver tels des avocats ou des juges à prendre le calendrier pour déterminer les jours de garde de la semaine, ou les vacances d’Antoine. De même nous avons dû intervenir car Antoine avait trois babysitters différentes qui intervenaient auprès de lui. Evolution enfant et famille En ce qui concerne Antoine nous observons une certaine évolution au niveau de ses défenses rigides. Il fait des progrès scolaires. L’autre existe plus dans la relation. Il peut se montrer adéquat dans la relation quoique la dimension phobique et l’évitement soient toujours perceptibles. Au niveau des repas, Antoine mange toujours peu. Cependant, il prend plaisir à l’atelier cuisine auquel il participe depuis plusieurs mois. Il semble moins dégoûté. Avec ses pairs, les relations sont toujours compliquées. Pour les parents, en ce qui concerne la garde d’Antoine, cela se passe mieux entre eux, ils arrivent à se parler, demander à l’autre de l’aide. Ils reconnaissent les difficultés de leur fils et se disent d’accord pour essayer une médication. Une relation de confiance a pu se mettre en place petit à petit. DEUXIÈME VIGNETTE CLINIQUE : WILLY, 6 ANS ET DEMI Motif de la prise en charge Willy avait cinq ans et demi à son admission au CTJE. Il nous a été adressé par une pédopsychiatre. Willy lui avait été adressé pour une évaluation dans le contexte de crises de colères fréquentes et violentes. La garderie qu’il fréquentait bénéficiait d’une mesure de soutien éducatif supplémentaire pour lui ; cependant elle a mis un terme à sa prise en charge 3 mois avant la rentrée scolaire compte tenu de son comportement. Eléments anamnestiques La mère est Suissesse et a été élevée dans un milieu traditionnel : sa mère était au foyer et s’occupait de ses trois filles, son père est décrit comme colérique, nerveux, taciturne , elle présente ses parents comme déprimés , sa grand-mère paternelle était alcoolique, un de ses oncles maternels s’est suicidé. Elle nous raconte avoir été toxicomane pendant 10 ans alors qu’elle n’a jamais arrêté de travailler. Elle qualifie sa toxicomanie de “toxicomanie sociale”, et pense aujourd’hui que c’était une automédication. Elle a suivi un traitement à la méthadone dont le sevrage a été pour elle difficile, elle parle d’une période de deuil. Le père est camerounais, il a été élevé chez sa grand-mère dans un milieu carencé et autoritaire. Willy est allé une fois au Cameroun à l’âge d’un an, il a beaucoup pleuré, refusait d’être pris dans les bras par les membres de la famille du père. Lors des premiers entretiens, la mère nous dit que son fils serait « né en colère ». Selon elle, nourrisson, Willy présentait des crises, il restait hypertendu dans les bras, par la suite Willy se mettait en colère dès qu’il n’arrivait pas à faire quelque chose. Il a commencé à marcher à 16 mois ; avant, il aurait refusé selon les parents. A la maison, Willy se calmait avec sa lolette qu’il garde toujours au coucher. Les parents ont remarqué que lorsqu’ils sont tous les trois ensemble c’est compliqué, Willy et son père sont en conflit, alors que cela va bien si Willy est seul avec son père. Le père dit s’être occupé beaucoup de Willy lorsqu’il était bébé, moins depuis que Willy est plus autonome. Observations de l’enfant au centre A son arrivée, Willy fait des crises de colère violentes, il s’agrippe à l’autre, l’attaque dans l’impossibilité de lâcher sa prise. Il lui arrive de crier le contraire de ce qui se passe dans la réalité, par exemple « ouvre-moi » alors qu’il s’enferme dans une pièce en bloquant la porte. Il semble se retrouver dans une impasse dans ces moments-là, en lien avec des angoisses de séparation majeures. Cette même attitude est observée lors de la séparation d’avec sa mère où il ne la lâche pas ; dans ces moments la mère se montre ambivalente, se laisse tenir, ne prend pas sur elle pour aider leur séparation. Quand il s’apaise, il est capable d’élaborer un récit, de s’expliquer ou de s’excuser en s’appuyant sur l’adulte. Par ailleurs, il est souvent persécuté par les autres enfants, il se sent facilement visé, attaqué. Suivi de famille et aménagements du cadre Le début du travail avec la famille a été rude. En effet, la famille était en crise, le père menaçait de partir de la maison. Il reprochait à la mère de céder à Willy facilement. Au Cameroun, les enfants respecteraient les aînés qu’ils soient de la famille ou non. Il ne comprend pas pour- quoi son fils est comme cela. Lors de cet entretien particulièrement difficile, Willy tient tête à son père alors que celui-ci menace de le frapper et finit par l’attraper et le secouer. Le père prédit que soit lui, soit Willy va se retrouver en prison. La mère a l’air embarrassé mais n’intervient pas. Willy est en pleine crise, il sort du bureau avec sa mère pour se calmer alors que le père reste dans le bureau avec la pédopsychiatre. Nous assistons à une scène familiale comme ils ont pu nous en décrire à la maison : le père résiste à son premier mouvement de partir, de s’enfuir, de laisser Willy et son épouse. Il dit s’être senti soutenu. Cet entretien de crise a permis l’instauration d’un lien de confiance entre les parents et nous. Un autre jour Willy est en pleine crise dans sa classe suite à une frustration survenant à l’heure du départ, il crie, pleure et tape de manière diffuse. Il refuse de quitter la classe, griffe les intervenants, déchire le pull d’une collègue. Il crie « lâche-moi » tout en s’agrippant. Nous appelons la mère qui se retrouve en classe, témoin de cette scène en présence des collègues. Elle semble pourtant détachée de la scène, impuissante à intervenir. Toutefois, sa présence calme finalement Willy et permet peut-être une réparation du clivage des espaces entre la maison et l’école. Cette colère, cette confrontation reste quand même un lien présent pour l’enfant et nous pouvons partager ce moment avec sa mère. Elle dit de son fils qu’il veut le pouvoir, veut commander tout le monde. Elle nous apprend alors que lors de crises importantes de Willy à la maison, le père préfère partir dans sa chambre et passer toute la soirée seul, écoutant de la musique puis s’endort et ne réapparaît que le lendemain matin. Il laisse donc toute la place à Willy qui est ainsi l’homme de la maison, l’homme de sa mère comme l’enfant lui-même peut dire. La mère de Willy travaille en face du CTJE et prend ses poses cigarettes près de notre portail. Nous lui avons demandé si elle entendait son fils depuis son bureau car lorsque Willy se met à hurler il agite tout le quartier. Elle répond en présence de Willy qu’elle ne peut pas l’entendre car son bureau serait à l’arrière du bâtiment, d’une manière qui nous paraît étrange, nous avions d’ailleurs fait l’expérience de l’entendre depuis l’hôpital qui est beaucoup plus loin. Nous avons ainsi sélectivement répété l’expérience de faire venir cette mère pendant certaines crises où Willy n’arrivait pas à se reprendre, afin de la faire agir, réagir, ou bien la rendre présente dans la réalité de cette colère qu’elle autorise dans son discours adressé à l’enfant. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 113 Le travail avec les familles en hôpital de jour Evolution enfant et famille Après plusieurs mois de prise en charge, Willy s’est montré capable d’une certaine verbalisation. Les crises, les cris, les pleurs, les coups ont globalement diminué. Il peut accepter les excuses des autres enfants, voire même s’excuser, chose que nous encourageons par ailleurs sans l’imposer, dans un but d’offrir une voie de sortie par la réparation et calmer ainsi les angoisses de persécution. Toutefois, la difficulté de séparation d’avec la mère, les transitions dans la vie quotidienne et le manque d’autonomie persistent. Depuis la rentrée scolaire, Willy est souvent convaincu qu’il est attaqué, insulté par les autres. Nous prenons du temps pour régler ce qui s’est passé avec les autres enfants. Lors du dernier entretien de famille, une année donc après notre première rencontre, la mère nous annonce en partant qu’elle a pensé mettre son fils en internat l’année prochaine. Nous sommes sidérées par cette annonce hors du moment que nous venons de passer ensemble. Ce projet n’a jamais été évoqué dans nos entretiens. Nous constatons la labilité de la mère, sa facilité surprenante à parler de l’éloignement de son fils alors que la difficulté de séparation est toujours là. Il s’agit probablement d’un recours aux extrêmes pour arriver à se séparer. Malgré cela, ils repartent tous trois assez tranquillement nous laissant avec nos questions. TROISIÈME VIGNETTE CLINIQUE : DAVID, 7 ANS ET DEMI Motif de la prise en charge Les parents ont consulté en ambulatoire forcés par la situation catastrophique à l’école, après deux tentatives de suivis déjà interrompues, où ils dénonçaient l’incompétence des différents psychiatres et psychologues de l’enfance. David arrive donc à l’âge de cinq ans et demi avec des difficultés comportementales et relationnelles majeures. Dès la rentrée scolaire, nous relevons chez David des difficultés sociales se manifestant par un manque d’appétence et une maladresse dans les relations aux pairs, auxquelles s’ajoutent des conflits avec des gestes agressifs envers les autres. Il est aussi noté un manque de partage des intérêts des enfants de son âge, dû aux intérêts à la fois poussés et restreints. Les parents le décrivent comme très actif mais aussi opposant, voire provocateur. Ils évoquent aussi le décalage entre certaines de ses performances cognitives et le développement affectif pressenti. 114 Eléments anamnestiques David est le fils unique du couple parental. Les parents sont en couple depuis sept ans. Les grands-parents maternels sont décédés avant la naissance de David. Les grands-parents paternels s’investissent auprès de leur petit-fils. Le papa de David relate des épisodes de troubles psychiques chez sa mère. Observations de l’enfant au centre David est un enfant qui a surinvesti le langage, un langage précoce avec une acquisition de la lecture à 4 ans, il serait « autodidacte » selon ses parents. Trouvant donc appui sur son langage adultomorphe, il recherche plus la discussion avec l’adulte que le jeu avec d’autres enfants. Cette relation à l’adulte semble compenser un défaut majeur de socialisation avec ses pairs, qu’il invite dans le contact par des agressions en répétition. Il nous teste en permanence par des mouvements brusques de destruction pour savoir jusqu’où nous allons tenir mais surtout à quel moment nous allons l’abandonner, le rejeter… Il est très cru dans ses propos, met peu d’affects. Il aime nous dire qu’il a envie de tuer les pigeons en les écrasant avec son pied, qu’il aimerait aussi étrangler les chats ou, parfois, il nous menace de nous tuer. Du point de vue de sa scolarité, il n’y a aucune difficulté particulière, David a même de l’avance sur son âge si ce n’est au niveau du graphisme et de la motricité fine. Lors du bilan psychologique, une intelligence supérieure à la norme est mise en évidence. Cependant, lors du bilan projectif, des angoisses archaïques sur les thématiques du lien et de l’affection sont apparues au premier plan. La pédopsychiatre reçoit David en entretien individuel hebdomadaire dès le début de la prise en charge. D’emblée, il a montré une difficulté à développer le jeu symbolique s’associant à un langage surinvesti, parfois fonctionnel et plaqué avec le plaisir de prononcer des mots compliqués. Au fur et à mesure de son suivi et conjointement avec une psychothérapie mise en place en privé, David développe un jeu symbolique répétitif et fragmenté: « un enfant tue sa mère ou une mère tue son enfant, en boucle, histoire sans fin ». Cette scène s’enrichit au fil du temps: le père ou d’autres enfants s’y introduisent pour se battre avec leurs épées ou à l’aide de robots. Le bébé robot fait du bruit en pleurant mais sa mère peut descendre le volume avec un bouton. Quand elle lui demande de donner une fin à son histoire, David répond que toute la famille tombe dans un trou noir. Dans sa vie au centre, David présente des particularités transi- toires, nous dirions des tentatives d’organisation autour d’un objet phobique ou obsessionnel qui échouent : il a donc présenté par périodes le dégoût pour la nourriture, allant de la sélectivité alimentaire au manque d’appétit pour revenir à ses habitudes ultérieures, passant au dégoût des pieds (de l’objet réel jusqu’au mot “pied”) puis, à un dégoût pour son prénom, préfère des noms proposés par les autres enfants. Suivi de famille et aménagements du cadre Le lien thérapeutique avec les parents tient grâce à des interventions de soutien alors qu’une grande fragilité ou des contre-attitudes apparaissent quand nous relatons nos observations sur les troubles de David. Quand la mère nous explique sa manière de se fâcher contre lui en égalité où l’agressivité et la rivalité sont mises un jeu sans refoulement, des troubles de l’attachement dans la relation nous sont tout aussi évidents dans le verbal que dans le non-verbal. Le père semble avoir plus de mouvements d’identification à son enfant mais ses troubles psychiatriques personnels d’allure narcissique avec anxiété et déprime font obstacle, notamment, concernant la pose des limites. Les parents ont un sentiment d’exclusion par rapport à leur enfant depuis longtemps. Madame s’effondre en larmes et nous livre ses projections : « je me dis souvent que j’élève un tueur en série ». La relation de confiance est toujours délicate avec les parents de David. Ils peuvent facilement nous suspecter de contrôle, nous rejeter, annuler les rencontres médico-psy, se tenir à distance à la sortie de l’école. Durant une longue période, le suivi de famille s’est fait sur le pas de porte. C’est alors l’équipe pédagoéducative qui a maintenu le lien, profitant de ces moments pour leur faire des transmissions, alors que la mère avait l’air intéressée et cherchait le contact. Quand le couple est revenu finalement aux entretiens médico-psy, la mère nous transmet sa fragilité et menace de passage à l’acte où d’effondrement si elle continue à apprendre les actes agressifs du quotidien de son fils. Elle communique alors clairement l’insupportable de la réalité de son fils. Le père propose donc de prendre le relais auprès de son épouse et d’un accord commun se décide que toute transmission se fera désormais seulement au père, alors que son épouse en sera épargnée, il n’y aura pas de transmission sur la situation du fils formelle ou informelle jusqu’à ce qu’elle nous en fasse la demande. Le pas-de-porte avec elle qui Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Parents hésitants face au “STIGMA”, comment les faire venir ? continue à venir le chercher devient ainsi un moment embarrassant. Nous devons nous retenir de lui donner des informations dans le respect de ce qui a été discuté. Quand le père vient chercher son fils, il se prête à écouter mais, il a souvent l’air alcoolisé. Un jour, il ne vient d’ailleurs pas chercher son fils créant l’inquiétude de tous. Il nous apprendra par la suite qu’il était resté endormi dans son bain. Le père fait donc un certain effort pendant quelques semaines, se rendant disponible au téléphone, imposant les limites à son fils à la maison selon ses dires. Néanmoins, il succombe à la charge à la fois de la responsabilité parentale, de son sentiment d’être dénigré sur son lieu de travail, du deuil d’un ami d’enfance et sa santé psychique se fragilise rapidement. Il démissionne, demande l’assuranceinvalidité et consulte un psychiatre que la pédopsychiatre du centre lui a suggéré. Une hospitalisation s’organise pour lui, chose que David nous apprend dans la classe le jour même. Le père ne s’est dit pas prêt pour un entretien de famille après sa sortie de l’hôpital. Se déroule donc devant nos yeux la situation inverse : la mère revient vers nous de bonne humeur, souriante et intéressée, le pas-de-porte reprend avec elle alors que le père reste dans la voiture et nous évite du regard. Il est arrivé que nous allions jusqu’à la voiture pour le saluer afin de maintenir un lien sans non plus le persécuter. En réflexion d’équipe, nous relatons que dans ce couple il y a toujours un parent qui tient quand l’autre s’effondre et que faisant appel aux deux, les incitant à partager l’autorité parentale au sens fonctionnel du terme, nous les menions à une impasse, à des agissements. Evolution enfant et famille D’une manière globale, David est maintenant très a”dapté au cadre du centre et contrôle mieux son excitation. Il reçoit un neuroleptique depuis une année avec une nette diminution de l’agressivité et de l’impulsivité. Dans son jeu, il introduit des tentatives de réparation, l’enfant peut devenir ainsi sauveur de sa famille (au travers de pouvoirs magiques) ou d’aider sa mère à accoucher d’un autre enfant. Il reste difficile pour David de verbaliser les émotions des personnages, de jouer un dialogue entre les membres de la famille, de faire des liens, de nuancer. Dans la classe, David peut mieux entrer dans les activités scolaires, il accepte de laisser des traces, ne sabote plus son travail. Le père a récupéré de son état dépressif quand il a été admis en hôpital de jour, tout comme son fils dirions-nous. Ils ont pu accepter une médication de neurolep- tique pour David grâce au nouveau lien de confiance qui a pu se construire. Ils participent à nouveau aux entretiens de guidance parentale, disent qu’ils se sentent enfin au calme après une année compliquée. Toutefois, ils demandent à l’équipe médico-psy d’espacer les séances. Quand nous nous retrouvons actuellement sur le pas-de-porte, ils semblent contents presque étonnés de voir que ce n’est plus David qui met l’équipe en difficulté dans les transitions. CONCLUSION Dans les trois situations présentées, ce que nous appelons le deuil de l’enseignement “normal”, étape souvent traumatisante et attendue au début d’une prise en charge institutionnelle, semble manquer, ou bien a été vite recouverte par autre chose. En effet, nous n’avons pas développé ici les hésitations de parents quant à l’institution, ni le discours sur cette stigmatisation sociale présumée qui sont par ailleurs des éléments toujours présents lors de nos entretiens préliminaires à l’admission. Néanmoins, nous avons été vite amenés au-delà de cette frustration première, à être d’emblée confrontés aux projections parentales rigides. Nous nous sommes donc interrogés sur ce qui peut se cacher derrière la notion de la stigmatisation, notion originaire du mot latin “stigma”, signifiant la marque. Nous avons trouvé intéressant que, dans les associations parentales, ce qui émerge déjà dans les premiers entretiens sera ce qui fait “stigma” pour eux chez leur enfant, ce qui fait tâche pour la famille, ce qui se présente mêlé à la symptomatologie de leur enfant et motive inconsciemment leur parentalité. Ainsi, dans la situation d’Antoine nous sommes confrontés à la projection principale d’un enfant qui aurait été avide par le passé devenu l’enfant qui ne mange rien, qui angoisse sa mère et la soumet à une interrogation constante sur ses capacités maternelles. Une parentalité de type masochique selon les travaux de Palacio Espasa sur la place de la parentalité dans les processus d’organisation et la désorganisation psychique chez l’enfant, que nous serions appelés d’assouplir et de renforcer au niveau de l’autorité parentale alors que, par rapport à la place de l’enfant parmi ce couple parental séparé et en conflit, il faudrait le dégager de la position d’objet des revendications. Dans les aménagements du cadre, nous avons donc permis une transgression de la frontière de la structure par le parent, en invitant la mère à déjeuner chez nous, partager un repas avec son enfant et la thérapeute. L’enfant dépasse en partie son dégoût et prend acte pour donner à manger à sa mère dans ces moments, mettant en scène le deuxième temps dans le circuit de la pulsion comme l’a décrit Freud, dans son œuvre « Pulsions et destins des pulsions » où la pulsion se renverse de la passivité en activité. Est-ce finalement la mère et non pas l’enfant qui a besoin d’être nourrie ? Est-ce que nous allons arriver à fermer la boucle et qu’Antoine accepte de se faire nourrir ? Cela reste à suivre. Si nous reprenons la situation de Willy de la même manière, il s’agit de l’enfant dit « né en colère », raisonnant avec un père souvent envahi par sa propre colère et une mère se présentant plutôt détachée, avec une expressivité émotionnelle très limitée, voire ce qui se caractérise comme un émoussement affectif en psychiatrie. Cette mère dit souvent à son fils dans nos entretiens : « t’as le droit d’être en colère, tout le monde peut être en colère », par contre, il n’y a apparemment pas de recette pour l’après, quand cette colère envahit l’enfant et prend sa place dans le réel. Nous nous sommes demandé comment nous pourrions faire en sorte que cette mère rencontre son enfant dans ce réel, qu’un déplacement puisse se faire, qu’elle puisse se mobiliser et prendre acte. C’est ainsi que nous décidons de faire appel lors d’une crise et de la faire venir dans la classe pour qu’elle fasse le constat de la scène et qu’elle puisse prendre appui sur nous pour essayer de la gérer. Du côté du père, il a été clair dès le début qu’il s’agissait d’une position assumée de père exclu de la dyade mère-enfant, position fantasmatique prise contre l’enfant en tant que son rival. Dans une incapacité de verbaliser la colère, ce père s’isolait en chambre pour mettre la famille à l’abri de sa violence. Dans l’entretien où la mère et l’enfant sont obligés de quitter mon bureau à cause de son excès de colère et que ma collègue les accompagne, je reste à côté de lui. Il est immuable, le visage grimaçant, le regard fixé là où l’enfant s’était assis avant. Je lui fais remarquer qu’il adresse un regard de haine à son enfant qui me surprend beaucoup et qui semble l’obséder. Il a réagi par une véritable prise de conscience et un soulagement, faisant le lien avec son enfance lors de la séance suivante. Le plus important pour nous dans ces aménagements du cadre c’est l’espace qui est offert à chaque parent de manière spontanée, sur le seuil du bureau, l’entrée de la classe etc., les introduisant dans l’institution pour offrir à chacun quelque chose de l’ordre du contenant, avec l’objectif de remettre l’enfant réel au centre de la famille. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 115 Le travail avec les familles en hôpital de jour Dans la troisième situation, celle de David, la projection de l’enfant agresseur a été la projection centrale, il n’est pas du tout banal d’entendre une mère comparer son enfant à un tueur en série. Cette parentalité que nous qualifierions de narcissique, demande un travail délicat, une certaine acceptation des actings des parents alors que le lien thérapeutique peut basculer du positif au négatif très facilement. De la même manière, l’investissement inconscient de l’enfant par les parents peut être massif et destructeur. Au niveau des aménagements du cadre, nous mettons cette situation à l’opposé des deux autres où il s’agissait de faire venir les parents dans les lieux de collectivité, car le cadre ici s’est subverti à travers le besoin parental important d’une mise à distance. Le contrat de collaboration avec les parents tombe après que les parents l’ont attaqué avec menaces d’effondrement et de passage à l’acte. Ils n’ont tenu qu’un lien indifférencié avec l’institution utilisant en alternance l’espace médico-psy ou le rapport à l’équipe pédago-éducative, alors qu’au sein du couple, ils s’échangeaient le rôle de l’interlocuteur de l’institution. Cependant, nous avons créé un espace de refus possible, comme le souligne Carel dans 116 l’ouvrage « Le générationnel » où il propose des indications aux thérapeutes de famille, tout en rajoutant que cela ne peut se produire si le thérapeute ne s’autorise un tel espace pour lui-même. Dans notre situation, c’est l’équipe pédago-éducative qui a dû finalement refuser en quelque sorte la transmission quotidienne à la mère afin de la protéger et de rester en cohésion avec ce qu’elle apportait dans les entretiens médico-psy. Nous pensons que ces aménagements de cadre, ainsi que l’investissement important de l’enfant à la structure, ont permis aux parents de maintenir dans leur couple une assise narcissique suffisante pour continuer à fonctionner avec les hauts et les bas sans se séparer et sans passer à l’acte comme ils l’ont souvent sous-entendu. Dans tous les cas, c’est à partir de la demande amenée par les parents que nous allons reconstruire le cadre, demande liée à l’angoisse qu’ils peuvent vivre. Les parents pensent souvent que cette angoisse est provoquée par le comportement de l’enfant. Dans l’expérience clinique du suivi des familles, nous constatons que cette angoisse relève de la position idéale infantile parentale, position qui renvoie chacun des parents à sa propre castration. Dans notre cas, en tant qu’institution as- sociée à l’éducation, la fonction symbolique du savoir et de la loi sociale se mélangent avec l’aspect thérapeutique et se révèlent être un facteur de stress tant chez les enfants que chez leurs parents. Notre présence active dans le lien thérapeutique ainsi que la souplesse dans les aménagements du cadre ont été nos outils qui ont permis d’alléger l’institution de son poids symbolique, pour rendre possible la relation thérapeutique avec les familles. BIBLIOGRAPHIE 1. EIGNER A., CAREL A., ANDREFUSTIER F., AUBERTEL F., CICCONE A., KAËS R., Le générationnel, Dunod, Paris, 1997, pp.86-89 2. CAREL A., Dynamique et Souffrances Institutionnelles, 15-16 octobre 2011, intervention lors du congrès du CPGF, www.cpgf.fr 3. FREUD S., Pulsions et destins des pulsions, Paris, Presses Universitaires de FRANCE, 1915-1968, pp.28-29 4. GAFFLOT F., Dictionnaire latin français, Paris, Hachette stigma, 1934 5. PALACIO ESPASA F., La place de la parentalité dans les processus d’organisation et la désorganisation psychique chez l’enfant, Psychologie clinique et projective n° 6, Toulouse, Erès, 2000, pp.15-29 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 PLACE DE LA FAMILLE D’UNE PERSONNE ÂGÉE DANS LA PRISE EN SOINS UN ÉQUILIBRE PARFOIS DIFFICILE ENTRE LA DEMANDE DU PATIENT, SES BESOINS ET CEUX DE LA FAMILLE Unité Thérapeutique de Jour Centre de Compétences en Psychiatrie et Psychothérapie Rue de l’Hôpital 14 1920 MARTIGNY SUISSE [email protected] Isis VAN DE MAELE, Dr Anne LOTT Nous avons la chance d’avoir en soins des personnes âgées qui ont généralement un entourage familial bien présent, qui les connait de longue date, souvent très impliqué auprès de leur proche souffrant. Cet entourage familial souffre souvent lui-même de la situation. Il est inquiet, parfois démuni, voire épuisé, lui-même porteur d’une demande pas si rarement différente de celle du patient. Toutefois, cet entourage, représente également des ressources importantes et précieuses. Dans une prise en soin complexe en hôpital de jour, le travail d’alliance ne s’arrête ainsi pas au patient, mais implique, à un autre niveau, l’accompagnement, l’écoute, la collaboration et l’ajustement à la famille. Chaque membre de la famille a sa propre perception de la situation de son proche et doit co-évoluer avec le patient, mais à son propre rythme. Une vignette clinique illustre notre travail d’alliance avec le patient âgé, mais aussi l’importance de l’intégration de l’entourage dans ce travail d’alliance et dans le projet thérapeutique qui sera progressivement élaboré et mis en place. Plusieurs facteurs interviennent dans le travail d’alliance avec un patient, notamment l’accord entre ce dernier et les soignants quant aux objectifs de la prise en soins à l’hôpital de jour. Mots-clefs : Alliance thérapeutique, famille, personne âgée What is the role of a family of an elderly patient in a therapeutic day hospital? A balance is often difficult to find between the request and needs of the patient and the one of the family It’s a great luck to be able to care for elderly patients when surrounded by a devoted family, who has a long term relationship with him/her and is committed to supporting the patient in their suffering. The members of those families often suffer themselves in this situation they are worried, often time at a loss, even exhausted, with demands not so different from the ones of the patient. And at the same time, they are important and precious resources. In a complex treatment in a Day Hospital, the work necessary to create a therapeutic alliance doesn’t limit itself at the patient but involves at different levels, the support, the listening, the collaboration and the adjustment to the family. Each members of the family has a different perception of the situation and need to co evolve with the patient at their own rhythm. This clinical vignette demonstrates how we approach the therapeutic alliance with an elderly patient, as well as the importance of integrating the surrounding family in this work of alliance and in the therapeutic project create and implemented progressively. Different factors are included in supporting the alliance with a patient, specifically the agreement between the patient and the caregivers on the objectives of the treatment in the Unit. Keywords: Therapeutic alliance, Family, Elderly INTRODUCTION Parmi les valeurs énoncées dans le concept d’établissement du Département de Psychiatrie et Psychothérapie (DPP) de l’Hôpital du Valais, un accent particulier est mis sur la qualité des liens interpersonnels entre soignants et soignés, notamment l’instauration de l’alliance thérapeutique. Y est également mentionnée « la reconnaissance de ses liens naturels et de leurs compétences (du patient) ». Ce qui nous amène naturellement à la question de la place faite aux proches dans une prise en soin en hôpital de jour. NOTRE CONTEXTE DE TRAVAIL Le Département de Psychiatrie dans lequel nous travaillons a établi un concept d’établissement 2012-2017 auquel sont soumises toutes les structures qui en dépendent. Dans ce concept sont notamment inscrites les valeurs du Département : « L’activité clinique, telle qu’elle est conçue et pratiquée dans toutes les structures du Département repose sur une dynamique centrée sur le patient. Cette dynamique est envisagée selon une perspective bio-psycho-sociale avec la prise en compte simultanée de l’ensemble des dimensions factuelles, perceptives et relationnelles de la personne soignée. Il est aussi mentionné que le déterminant le plus significatif en matière de santé men- tale réside dans la qualité des liens interpersonnels entre soignants et soignés, notamment dans l’instauration de l’alliance thérapeutique. » D’où l’exigence, pour le personnel soignant du DPP, de respecter une éthique relationnelle fondée sur la convivialité et de se conformer à un certain nombre de valeurs énoncées dont la reconnaissance de ses liens naturels et leurs compétences (du patient). Du point de vue infirmier, l’approche thérapeutique est basée sur les soins intégraux : « Pour chaque patient, une personne de référence est nommée afin d’assurer son accueil dans le service et son suivi pendant toute la durée du séjour. Grâce au processus de soins, l’infirmière de référence entretient une relation soutenue avec le patient et ses proches et assure une continuité de la prise en soins. Cette prise en soins est individualisée et interdisciplinaire, elle est convenue avec le patient et son entourage ». Un accent particulier est mis sur le travail de l’alliance thérapeutique. En effet, les études s’accordent à considérer l’alliance thérapeutique comme le meilleur facteur prédictif du pronostic de nombreuses formes de traitements psychiatriques (Despland). L’alliance thérapeutique en serait même vraisemblablement le facteur commun. Plus spécifiquement encore ce serait l’alliance initiale, c’est-à-dire l’alliance naissant durant les premiers entretiens qui permettrait de prédire le mieux les résultats d’un traitement. L’Unité Thérapeutique de Jour (UTJ) Les UTJ sont “multifonctionnelles”. Elles privilégient une approche généraliste et pragmatique au cas par cas, sans limitation de temps préétablie, et dans laquelle l’indication est davantage liée au statut clinique du patient plutôt qu’à la présence d’un diagnostic psychiatrique précis. Elles sont ouvertes aux personnes de tout Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 117 Le travail avec les familles en hôpital de jour âge y compris aux adolescents, dès seize ans. Leurs objectifs généraux sont : - Proposer une alternative à l’hospitalisation en milieu psychiatrique. - Permettre au patient de réintégrer dès que possible son milieu de vie naturel. - Assurer des activités thérapeutiques individuelles et groupales. - Préparer le patient à retrouver la place et le rôle qu’il est en mesure d’occuper dans son milieu familial, social et/ou professionnel compte tenu de son état de santé. - Faciliter et organiser les réseaux entre l’ensemble des acteurs professionnels et non professionnels en vue d’aider le patient à retrouver la meilleure autonomie possible au-delà de l’UTJ. La fréquence de venue est variable, pouvant aller d’une présence complète de 5 jours par semaine, à 1 ou 2 demi-journées en fin de prise en charge. Les prises en soin sont pilotées conjointement par un médecin chef de clinique et un ICUS (Infirmier Chef d’une Unité de Soin). L’équipe y est pluridisciplinaire. Le déroulement et les étapes du traitement de jour Chaque traitement se déroule en principe selon une succession d’étapes qui commence par la demande du médecin prescripteur auprès du médecin-chef de clinique de l’UTJ et qui aboutit à l’entretien final, en passant par des entretiens de bilan intermédiaires. Comme déjà évoqué, le travail de l’alliance thérapeutique est au centre de notre approche. L’alliance signifie le fait de s’unir par un engagement mutuel, qui nécessite un ajustement réciproque sans, néanmoins, perdre son individualité. Il y a donc une notion de partenariat, de collaboration, avec une volonté d’engagement. La grande majorité de nos patients, spécialement en psychiatrie de la personne âgée, ont un entourage familial très présent. Ainsi, la notion d’alliance doit s’élargir à l’ensemble d’un réseau familial ou soignant. L’alliance avec la famille est essentielle : c’est d’abord souvent la famille qui est demandeuse d’aide et qui est en souffrance, bien qu’un patient soit désigné. Par ailleurs, tout au long de ce processus, nous portons une attention particulière à tout le “réseau existentiel” du patient, dans un souci de continuité de son histoire, de ne pas le couper de ses ressources extérieures, mais au contraire de les conserver ou, le cas échéant, de l’accompagner vers la reconstitution d’un tel réseau. 118 La demande. L’indication à la prise en soin à l’UTJ est discutée et posée de façon conjointe par le médecin prescripteur du traitement de jour et le médecin chef de clinique de l’UTJ. Le premier contact (préadmission) est fixé par l’ICUS sur la base des informations transmises par le médecin chef de clinique. Le but de ce premier rendezvous est de permettre au patient et à ses proches de se forger une représentation concrète de l’environnement physique et humain de l’UTJ, d’établir les premiers jalons de l’alliance thérapeutique. Lors d’une prise en soin d’un patient âgé, voir rapidement la famille permet de tenir compte des liens qui existent entre le patient et sa famille, et de ce que représente la séparation induite par la venue à l’UTJ, tant pour lui que pour sa famille. Souvent, le rôle de l’entourage est essentiel pour la continuité des soins. La journée-découverte est organisée par l’équipe soignante de l’UTJ. Elle est censée permettre au patient et aux proches de prendre les décisions quant au suivi à l’UTJ, en connaissance de cause. Le processus de soins continue ensuite par une période de 2-4 semaines d’évaluation clinique et de renforcement de l’alliance thérapeutique. Nous déterminons alors la fréquence de venue à l’UTJ et les principaux groupes auxquels le patient devra prendre part. L’entretien d’admission réunit le patient, ses proches, s’ils sont impliqués dans la prise en soin, le chef de clinique, le médecin prescripteur (dans la mesure du possible), ainsi que l’infirmier référent qui synthétise l’ensemble des observations recueillies. Les premiers objectifs thérapeutiques sont alors définis. Ils seront réajustés à l’occasion d’entretiens médico-infirmiers ultérieurs. Les entretiens de bilan “médicoinfirmiers” sont des entretiens planifiés à l’avance, à intervalles de 2-3 mois. Ils réunissent le patient et souvent les proches, le médecin chef de clinique, le médecin prescripteur, le référent et certains intervenants du réseau dont la présence a été discutée et souhaitée par le patient lors des entretiens individuels. Les entretiens de bilan permettent de faire le point sur les objectifs fixés et les résultats obtenus, d’apporter les ajustements nécessaires, voire de poser de nouveaux objectifs pour la suite. Ils permettent d’anticiper et de préparer la fin du traitement de jour. Les bilans sont toujours précédés d’entretiens individuels (éventuellement de couple, de famille ou de réseau) préparatoires effectués par l’infirmier référent ou par le thérapeute individuel. En effet, une des difficultés en se liant avec la famille, est de ne pas perdre la confiance du patient. Pour cela il faut prévenir les mouvements intrusifs de la famille et préserver la confidentialité. L’entretien de fin de traitement médicoinfirmier. La fin de traitement est décidée d’un commun accord entre le patient, ses proches, s’ils sont impliqués dans la prise en charge, et les soignants. VIGNETTE CLINIQUE : M. A. L’annonce L’annonce est faite par le chef de clinique de l’Unité hospitalière de psychiatrie et psychothérapie de la personne âgée. Il s’agit d’un patient âgé de 53 ans, hospitalisé dans leur service depuis huit mois, après un séjour de trois semaines en médecine interne, à l’hôpital de Martigny. En médecine, une cirrhose hépatique avec anémie macrocytaire, thrombopénie sur hypersplénisme et ascite modérée a été diagnostiquée, compliquée en cours d’hospitalisation d’une péritonite bactérienne spontanée, traitée par antibiotique. En parallèle au sevrage alcoolique, un traitement diurétique pour évacuation des œdèmes avait été instauré et une ponction évacuation de l’ascite avait été nécessaire. Une consultation neurologique avait révélé une altération cognitive frontomnésique, un syndrome cérébelleux statique et cinétique et une ataxie proprioceptive sur polyneuropathie des membres inférieurs, l’ensemble d’origine toxicocarentielle. Le scanner cérébral ne montrait pas d’hémorragie, mais une atrophie cortico-sous-corticale modérée, sus et sous-tentorielle. Après consultation de notre collègue de liaison, M. A avait accepté un transfert en milieu psychiatrique. Ce transfert s’est fait dans un service de psychiatrie et psychothérapie de la personne âgée, en raison des troubles cognitifs majeurs mis en évidence qui nécessitaient clairement une prise en soin spécialisée. L’hospitalisation en milieu psychiatrique M. A. n’a pas repris sa consommation d’alcool durant l’hospitalisation en milieu psychiatrique. Le tableau clinique était tout d’abord marqué par une apathie majeure et une anosognosie. Un énorme travail de stimulation a été nécessaire afin que M. A. se mobilise et commence à adhérer aux soins. Au niveau somatique également, M. A. a présenté une bonne évolution avec récupération de l’insuffisance hépatocellulaire et résorption de l’ascite. Par ailleurs, une prise en charge physiothérapeutique a été centrée sur un reconditionnement et une remise en activité. Sur le plan thymique, M. A. a transitoirement présenté des idées suici- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Place de la famille d’une personne âgée dans la prise en soins un équilibre parfois difficile entre la demande du patient, ses besoins et ceux de la famille daires dans un contexte de confrontation aux troubles cognitifs. L’évolution a été favorable avec des entretiens de soutien et sous traitement antidépresseur de Mirtazapine. Au niveau cognitif, comme déjà évoqué, M. A. présentait des troubles de l’orientation, des oublis à mesure, ainsi qu’une apathie d’origine frontale plutôt que thymique. Un examen neuropsychologique effectué mettait en évidence des troubles mnésiques antérogrades sévères, une amnésie rétrograde suivant un gradient temporel, un léger fléchissement exécutif caractérisé par une baisse de l’incitation et des difficultés de programmation motrice et, enfin, des difficultés attentionnelles. Les fonctions instrumentales et le raisonnement étaient conservés. En parallèle, tout un travail de reconditionnement et de motivation de M. A. a été effectué par l’équipe hospitalière qui a rencontré à plusieurs reprises la famille de M. A. Alors que dans un premier temps, jusqu’en février environ, au vu de la gravité de la situation, un placement se discutait, M. A. a exprimé son opposition à un tel projet et la demande d’un essai de retour à domicile a émergé. Il n’était toutefois clairement pas envisageable que M. A. vive seul. C’est ainsi, en étroite collaboration avec M. A. et sa famille, qu’un projet de retour à domicile chez sa maman a été élaboré. C’est dans ce contexte que l’équipe hospitalière sollicite l’appui de l’UTJ. Anamnèse personnelle de M. A. M. A. est né le 28 mai 1959. Il a fait un apprentissage de viniculture et vinification puis a obtenu une maîtrise fédérale. Il a repris le domaine familial et a construit une cave. Il est devenu vinificateur en plus de vigneron. En 1984, M. A. s’est marié. En 1986, un fils est issu de cette union. En 1990, alors qu’il avait 25 ans, le frère cadet de M. A. se suicide avec son arme de service. En 1991, son épouse décède brutalement d’une rupture d’anévrisme cérébral. Elle avait 31 ans, ils étaient en couple depuis quatorze ans. C’est M.A. qui la retrouve morte à la maison. M. A. la décrit comme l’amour de sa vie ! Ils partageaient des projets, notamment celui de construire ensemble une cave. Les parents de M.A. se montrent très soutenants durant cette période. En 1991 toujours, M. A. ouvre sa cave avec l’aide et le soutien d’un de ses amis. Toute sa famille l’entoure également. Pendant longtemps, pour vaincre sa timidité, il boit un verre avant de recevoir des clients à la cave. Il précise qu’à l’époque, il notait tous les jours ce qu’il avait bu pour pouvoir faire le point à la fin du mois. En 1993, il rencontre la maîtresse d’école de son fils, celle qui deviendra son épouse. En 1996, ils ont une fille. En 2011, ils se séparent. M. A. décrit une relation tendue : son ex-épouse ne supportait pas son travail et l’investissement qu’il y mettait, dit-il. Cette même année, son père décède à l’âge de 81 ans, lors d’une chute dans leurs vignes. M. A. entretenait un bon contact avec son père, très soutenant. Ils travaillaient ensemble. M. A. ne peut pas du tout préciser quand il a commencé à perdre le contrôle de sa consommation d’alcool. Son fils dit qu’il s’occupe quasiment seul de l’entreprise depuis au moins 3 ans avant l’hospitalisation de son père, celui-ci passant ses journées entre le canapé, la cave et le bar. Actuellement, M. A. vit avec sa maman âgée de 78 ans, dans la maison familiale. Sa mère est très active. Son fils gère la cave depuis que M. A. est malade. M. A. entretient un très bon contact avec lui, ils se voient régulièrement et s’entendent bien. Depuis l’hospitalisation de M. A., son fils s’est toujours montré présent. Il s’assure qu’il soit toujours bien entouré et occupé. Il est attentif à ses difficultés, à ses problèmes d’alcool et à ses pertes de mémoire. M. A. n’a quasiment plus de contacts avec son ex-épouse, bien qu’ils habitent le même village. Par contre sa fille, qui vit avec sa mère, vient lui rendre visite environ une fois par semaine. Situation professionnelle Il a créé deux sociétés : une pour les domaines et l’autre pour la cave et les bâtiments, les SA sont aux noms de son fils, de sa fille et de lui-même. Il est donc le propriétaire-fondateur d’une cave mais n’y exerce plus qu’en tant qu’aide. Depuis 3 ans en tout cas, c’est son fils qui a repris la gestion des deux sociétés. M. A. bénéficie d’une rente de l’Assurance Invalidité. Mise en place de la prise en soin à l’UTJ M. A. est dès lors adressé à l’UTJ dans le contexte d’une volonté de retour à domicile, dans une situation qui semblait précaire. Ceci n’était envisageable que grâce à un soutien important de l’entourage étant donné qu’une grande partie de l’encadrement nécessaire à domicile allait reposer sur la famille à laquelle s’ajoutaient des interventions du CMS (centre médico-social). Une des difficultés qui apparaissait au premier plan était la collaboration difficile avec un patient demandeur et motivé pour un retour à domicile, mais qui banalisait totalement ses difficultés et suresti- mait clairement ses capacités. Dans un premier temps, il ne voyait aucune nécessité « d’impliquer sa famille dans ses affaires » et un énorme travail avait déjà été réalisé par l’équipe hospitalière pour que M. A. accepte l’implication de sa famille dans le projet de retour à domicile. Plusieurs congés à domicile, de un ou deux jours, avaient finalement pu être organisés et s’étaient bien passés, avec l’appui de la famille et du CMS. Ainsi, la préadmission et la journée Découverte ont été regroupées et organisées depuis l’hôpital. Ce premier lien établi, plusieurs congés à domicile avec venue à l’UTJ ont été organisés, toujours en collaboration étroite avec la famille et le CMS. Afin de consolider ce travail, de poser clairement le cadre et dans un esprit de continuité, un réseau a ensuite été organisé à l’hôpital avant la sortie, réseau auquel ont participé le patient, son fils, une infirmière du CMS, les médecins et un infirmier de l’hôpital ainsi que nous, médecin et infirmier de l’UTJ. Nous voulions avoir un premier contact avec la famille, avec deux objectifs: ébaucher une alliance avec elle autour de M. A. et les rassurer quant à la continuité de la prise en soin. Cet entretien de réseau a, en quelque sorte, également été un entretien d’admission étant donné que M. A. était déjà venu à plusieurs reprises à l’UTJ. Les premiers objectifs y ont été posés: retour à domicile avec maintien de l’abstinence et d’un rythme de vie régulier. Le cadre de la prise en soin a été défini : 1) M.A. vit chez sa mère qui assure une présence permanente avec le fils, elle s’occupe des repas et gère le ménage. 2) Suppression de tout alcool à domicile, M.A. ne va à la cave que accompagné de son fils. 3) Le service médico-social vient tous les matins pour aider M.A. à se préparer pour venir à l’UTJ et deux fois par jour, les week-ends, pour la médication. 4) UTJ, 5 jours par semaine, il y vient avec Transport-Handicap. 5) Contacts réguliers avec le médecin généraliste pour le suivi somatique. 6) L’Autorité de Protection de l’Enfant et de l’Adulte est informée de la situation, le fils est en lien avec eux. 7) Demande faite à l’assurance invalidité. La famille de M. A. était clairement une ressource sans laquelle un retour à domicile n’aurait pu être envisagé. Nous envisagions toutefois plusieurs difficultés susceptibles de se présenter : une certaine crainte quant à la réaction de M. A. à domicile face à son fils qui se devait d’être relativement directif envers lui et Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 119 Le travail avec les familles en hôpital de jour dans une difficile inversion des rôles. Crainte également d’une surcharge de ce fils, jeune, responsable de toute l’entreprise plus, désormais, d’une partie de la prise en charge de son père. M. A. allait retourner vivre chez sa maman. Contrairement au fils qui était parfois très confrontant, Mme A. ne semblait pas consciente de l’ampleur des difficultés de son fils. Elle les banalisait, semblait convaincue que tout allait “rentrer dans l’ordre” dès que M. A. serait chez elle. Premier bilan à l’UTJ : rassurer tout le monde Un premier bilan à l’UTJ a été fixé assez rapidement au vu de notre inquiétude pour cette situation. Nous avions besoin de nous assurer que tout se passait bien à domicile. Par ailleurs, il nous semblait primordial d’avoir un contact avec la maman qui jouait un rôle essentiel, mais que nous n’avions pas encore rencontrée. A cela s’ajoutait le fait que nous avions senti un fort besoin de la part de la famille d’avoir l’assurance de ne plus se trouver seul face à cette situation. De même l’équipe du CMS signalait qu’elle se sentait désécurisée par la lourdeur de la situation. Ce bilan permettait également d’appuyer notre volonté de partenariat et de collaboration avec la famille et les intervenants externes. Lors de ce premier bilan surtout, mais également tout au long des bilans qui ont suivi, une de nos difficultés a été de respecter les différentes personnalités et perception de la situation tant de M. A. que de son fils et de sa mère. Cette famille, de toute évidence, était très solidaire et engagée autour de M. A., mais toutefois peu enclins à la parole et à l’expression des sentiments. Ils nous sont apparus soudés par le « faire ensemble », mais avec beaucoup de non-dits. Ils parlent peu et surtout guère devant des non-membres de la famille. Nous étions inquiets de la réaction de M. A. face à l’inversion des rôles entre lui et son fils. Il l’a toutefois plutôt bien supporté. Il a exprimé à quelques reprises le fait que « cela n’est pas facile », mais semblait en même temps rassuré par ce rôle de son fils. C’est plutôt la confrontation à ses limites qui blessait M. A. Toutefois, M. A. a fait une bonne évolution et des progrès pouvaient être mis en évidence lors de la plupart des bilans ce qui a favorisé son soutien narcissique. Par ailleurs, il a progressé dans la prise de conscience de ses difficultés, il les minimise toujours, mais il peut occasionnellement en parler spontanément avec certains membres de l’équipe avec lesquels il se sent plus en confiance. Il re- 120 connait un peu mieux son besoin d’aide et de soutien. Le fils était très direct, directif « sans prendre de gants » et parfois très confrontant avec son père. Il nous paraissait très dur dans sa façon d’exprimer les choses et de les clarifier, avec des paroles “crues” qui nous choquaient parfois. Ceci induisait dans un premier temps une forte contre-attitude de notre part. Afin de ne pas être dans le jugement face à la dureté de ce fils, nous avons dû bien nous remémorer la solitude du fils confronté très jeune à une histoire de vie difficile et qui a dû affronter quasiment seul pendant des mois la déchéance de son père avant l’hospitalisation. La mère de M. A. était dans une tout autre dynamique. Elle était très contente car son fils avait très bien récupéré durant son hospitalisation. Elle ne remettait pas directement en question sa lourde prise en soin, mais minimisait grandement les difficultés de son fils et ne comprenait visiblement pas le pourquoi d’une telle prise en charge, notamment les interventions du CMS à domicile. Surtout, elle ne supportait guère que les difficultés de son fils soient nommées, visiblement très inquiète de la réaction de celui-ci et cherchant à le protéger face à cette difficile situation. Cela concerne autant les troubles cognitifs que la gravité de l’alcoolisme de son fils et des conséquences sur sa santé. Ce sujet reste difficile à aborder, mais malgré cela, Mme a su adapter ses habitudes comme ne plus mettre d’alcool dans les sauces et ne plus maintenir d’alcool à domicile. La conséquence de ces réactions très différentes, entre elle et son petit-fils, était d’importantes tensions entre eux, ressenties durant les entretiens. Il s’agissait de laisser un espace à chacun, de les entendre et de valider le vécu de chacun, sans prendre parti ni juger. Il fallait cependant nommer les difficultés afin de pouvoir en tirer les conséquences concrètes. La prise en soin de M. A. à l’UTJ Ergothérapie M. A. a débuté sa prise en charge ergothérapeutique avec des séances individuelles (5 au total). A la fin des 5 séances, il commençait à prendre des points de repères, mais ces derniers restaient peu efficaces. Mise en place d’un plan journalier afin d’aider M. A. à prendre des repères lors de ses journées UTJ ainsi qu’à la maison. Le plan journalier devenant difficile à effectuer de façon efficace, nous sommes passés à la mise en place d’un agenda thérapeutique. M. A. était vu par l’ergothérapeute une fois par semaine afin d’effectuer un plan hebdomadaire sur son agenda, en y incluant les activités effectuées lors des journées à domicile. Après 5 mois d’utilisation, M. A. est capable de se servir de son agenda de façon autonome, il l’utilise de manière systématique pour y inscrire tous ses rendez-vous et le consulte régulièrement. M. A. intègre les consignes données mais peine à les appliquer, cependant lorsqu’il se retrouve face à une difficulté, il est capable de trouver de lui-même une solution à son problème. Soins infirmiers M. A. s’est rapidement intégré aux différents groupes. Pour le groupe cuisine et pâtisserie, M. A. a toujours besoin d’une guidance orale, mais contrairement au début de la prise en charge, il prend plus d’initiatives, il a moins tendance à éviter les situations qui lui sont difficiles. Lors des sorties M. A. peine à s’orienter dans l’espace. Cependant, lorsqu’il se trouve dans des lieux connus, il ne rencontre pas de difficultés. M. A. minimise ces difficultés à s’orienter dans l’espace, il lui est parfois difficile d’accepter de rester en groupe, car il a le sentiment d’être infantilisé. Lors de stress ou d’anxiété, M. A. présente plus de persévérations. D’une manière globale, les difficultés de M. A. sont toujours présentes, mais il met en place plusieurs stratégies afin d’y pallier. Avec l’aide de l’équipe, il a surtout développé des stratégies d’adaptation. Les troubles de la mémoire sont par exemple encore bien présents. Son fils s’est toujours montré très impliqué et présent, sans donner signe d’épuisement. C’est lui qui organise et planifie les journées afin qu’il soit toujours accompagné dans les activités. De surcroît, il vérifie le déroulement des journées. Il gère aussi les finances de son père. Toutefois, il a su adapter le contrôle qu’il exerçait sur son papa, le laissant progressivement organiser lui-même ses journées avec sa maman. Il est attentif à ce que son père puisse toujours avoir une activité sur son domaine, toutefois il refuse qu’il se présente à la cave. Par contre, il le prend régulièrement avec lui pour des livraisons. Sa maman est aussi très présente dans la situation. Depuis sa sortie de l’hôpital M. A. vit toujours avec elle dans la maison familiale. Elle gère tous les aspects de la vie quotidienne comme les repas, la lessive et le ménage, mais M. A. est de plus en plus impliqué pour l’aider. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Place de la famille d’une personne âgée dans la prise en soins un équilibre parfois difficile entre la demande du patient, ses besoins et ceux de la famille Le CMS n’intervient actuellement plus qu’une fois par semaine pour préparer le semainier. Les journées hebdomadaires passées à l’UTJ ont également été progressivement diminuées. Au fur et à mesure que M. A. retrouvait plus d’initiatives et de repères, elles ont été remplacées par des journées d’activité à l’extérieur toujours encadrées de près ou de loin par son fils. Actuellement, M. A. se pose la question de son avenir lorsque sa prise en charge à l’UTJ sera terminée. Il envisage de travailler à la vigne et d’aider sa maman dans les travaux quotidiens du ménage. La question de l’après UTJ et de la nécessité de notre point de vue pour M. A. d’avoir une activité structurée et organisée à long terme, a été progressivement retravaillée avec lui. M. A. s’oppose à une activité protégée invoquant le travail sur le domaine. Le fils est alors très clair avec son père : lui et la maman sont du même avis que nous : une activité extérieure régulière est primordiale pour l’avenir, sans l’UTJ. Suite à ce bilan, M. A. a accepté d’aller visiter les différents ateliers proposés. Il était accompagné d’un membre de l’équipe et de son fils. Il a rencontré l’assistante sociale en vue des inscriptions. Nous n’avons eu aucun contact ni avec l’ex-femme de M. A., qui était présente durant l’hospitalisation, ni avec sa fille, alors qu’il voit celle-ci régulièrement. M. A. est très réticent à ce que nous la rencontrions, il n’en voit pas l’utilité. L’histoire de vie de M. A. et de sa famille nous touche beaucoup. La communication entre les membres de la famille est pauvre. Leur histoire est très lourde, avec plusieurs décès très douloureux, dont les deuils n’ont vraisemblablement pas pu être faits. Idéalement, dès le début, nous aurions souhaité pouvoir élaborer autour de ses questions qui n’ont guère pu être abordées. Tout au long des entretiens individuels avec M. A. ou avec sa famille, il nous a fallu être attentif à “nommer les choses, mais pas trop”, sans insister, dans une sorte d’accord plus ou moins tacite et résister à la tentation de vouloir en faire trop… ce qui aurait vraisemblablement mobilisé toute la famille contre nous. Peut-être un jour cela sera-t-il possible, mais à distance de leurs blessures encore fraiches. Le respect du rythme de chacun y compris de la famille nous parait primordial. A signaler toutefois que lors du dernier bilan, en début d’entretien, nous avons redit combien nous étions touchés par leur histoire familiale douloureuse, par les deuils qui ont jalonné leur vie, par la solidarité que l’on sentait entre eux. Pour la première fois, le fils de M. A. s’est montré sous un autre jour, visiblement touché par nos paroles. Il a alors montré plus d’émotions, son ton était plus doux, il était plus accessible. CONCLUSION Pour accompagner une famille, son consentement est indispensable. Dans le contexte de la personne âgée, il est en général facile de l’obtenir. Il s’agit ensuite de gagner sa confiance, de se faire accepter par la famille, c’est-àdire surtout trouver la bonne distance psychologique et affective. Une attitude trop froide ou neutre (position verticale, vision de spécialiste ou de juge) amène à ce que la famille ne se sente pas comprise. Un engagement émotionnel trop intense fait battre en retraite une famille. Une prise de parti pour l’un ou l’autre exacerbe les triangulations, les jeux d’alliance et de coalition. Un rôle de médiateur est une position fatigante et souvent peu productive (Salem parle d’être un fusible), qui conduit fréquemment à l’insatisfaction générale et à une alliance commune contre le thérapeute. -Evaluation de la souffrance dans son contexte global. - Accordage affectif (se fait aussi avec le groupe familial). - Définition avec la famille des problèmes et des objectifs souhaités. - Repérage des compétences organisationnelles de la famille et de chacun de ses membres. - Position basse du thérapeute visant à faire émerger de nouvelles possibilités de fonctionnement, tout en laissant à la famille le choix de la solution. L’alliance avec la famille est du côté de la constitution d’un lien bien sûr, mais aussi d’une lecture commune d’une situation. Elle implique la création d’une atmosphère détendue, permettant à chacun de déverser ses sentiments, ses soucis, ses doutes, le repérage et le respect des règles interactives ainsi que des modalités communicationnelles du groupe. Il s’agit de s’adapter à la réalité du système. Une attitude de leadership avec volonté et compétence pour le pilotage de la rencontre : favoriser le dialogue et l’échange d’informations, en manifestant le même degré d’intérêt ou la même intensité de préoccupation pour chacun, à tour de rôle. Le thérapeute inclut aussi dans ses préoccupations les membres absents, sans jamais prendre position contre eux. En valorisant ainsi le rôle de chacun, le thérapeute renforce sa crédibilité aux yeux de la famille et participe à une alliance constructive et solide. BIBLIOGRAPHIE 1. DESPLAND J.-N., DE ROTEN Y., L’alliance thérapeutique : un concept empirique, Médecine & Hygiène, 2000, vol. 58, pp. 1877-1880 2. SALEM G., L’approche thérapeutique de la famille, Paris, Masson, 3ème édition, 2001, 207 p. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 121 CRÉATION D’UN NOUVEAU PROGRAMME DE JOUR DISPOSITIF ET ENJEUX DU TRAVAIL AVEC LES FAMILLES Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie Intégrées (CAPPI) Hôpitaux Universitaires de Genève Service de Psychiatrie Générale 67, rue de Lausanne 1202 GENEVE SUISSE [email protected] Nathalie BERGEON, Camille BESANCON-CHENE, Yvan BESSARD, Dr Jean-Pierre BACCHETTA Le programme de jour du Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie intégrées (CAPPI) du Secteur Pâquis a débuté en janvier 2013. Il accueille des patients adultes présentant des troubles psychiques avec comme point commun un déficit d’intégration psychosociale. La prise en soins proposée est essentiellement groupale, l’accent est mis sur la mobilisation et la reprise du lien social. L’article vient illustrer la manière dont nous avons créé et organisé ce nouveau programme. Au cours de cette aventure le concept de rétablissement s’est imposé à nous et la notion d’accueil a pris toute son importance. Par ailleurs, L’Echelle Lausannoise d’Autoévaluation des Difficultés Et des Besoins (ELADEB) que nous utilisons lors de l’évaluation d’entrée nous a permis de mettre en évidence les problématiques liées aux proches du patient et de souligner l’importance de l’étayage familial. A travers l’histoire d’une rencontre nous retracerons le parcours thérapeutique d’un patient et de son entourage au sein du programme de jour. Mots-clefs : Programme, psychosocial, groupe, mobilisation, lien social, créer, rétablissement, accueil, famille, rencontre Creation of a new day care program: Settings and stakes of the work done with relatives The day care program of the Ambulatory Center of Psychiatry and Integrated Psychotherapy (Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie intégrées; CAPPI) of the Pâquis sector has started in January 2013. This program takes in adult outpatients with psychic trouble and psychosocial issues. The day care program proposed is essentially based on group activities. The main focus is on mobilization and social rehabilitation. This article illustrates the way we thought, created and organized this new program. Over this adventure, the concept of recovery became essential and the notion of “hosting” crucial. Besides, the Lausanne Scale called “Echelle Lausannoise d’Autoévaluation des Difficultés Et des Besoins (ELADEB)” that we use for the initial assessment highlighted the problematic associated with the relatives of the patients and underlined the relevance of the family scaffolding. Through the story of an encounter, we retrace the therapeutic course of a patient and his wife within this day care program. Keywords: Program, psychosocial, group activities, mobilization, social network, to create, recovery, “hosting”, family, encounter INTRODUCTION Les centres ambulatoires de psychiatrie et psychothérapie intégrées (CAPPI) ont été créés sur la base des dispositifs ambulatoires existants au sein des quatre secteurs géographiques établis selon les secteurs socio-sanitaires du canton de Genève. Leurs objectifs principaux sont de garantir un accès facile et des soins de qualité à la population genevoise en assumant toutes les intensités de soins allant de la crise, au suivi au long cours et aux programmes de jour. Leurs ambitions sont de personnaliser l’offre médico-soignante, d’inscrire leurs interventions dans une logique de réseau dans la communauté et faire valoir les potentialités de chaque patient en fonction de sa trajectoire de vie. C’est à partir de ce postulat que nous créons le programme de jour du CAPPI Pâquis en janvier 2013. L’aventure dé- 122 marre quelques mois auparavant avec des réunions de réflexion visant à conceptualiser le programme, déterminer la population cible et définir les axes thérapeutiques avec une prédominance groupale. C’est à ce moment-là qu’une équipe pluridisciplinaire se construit, à partir de soignants appartenant déjà à la structure. Nous allons à la rencontre des acteurs psychosociaux (institutions/associations de référence de la cité). Dès décembre 2012, le chef de clinique et une infirmière évaluent les premiers patients et les intègrent à l’espace accueil. En janvier 2013, l’équipe dans sa totalité débute les prises en soins. Nous aménageons un bureau infirmier, des espaces patients, enclaves dans un service existant voué à la crise. Comme le dit J.-P. Desanti (philosophe français) à propos du Moi, « On pourrait comparer cet espace à une île, l’insularité comme l’unité d’un en- fermement et d’une ouverture. L’eau, la mer, le fleuve l’enveloppe et elle est aussi le chemin vers l’ailleurs, un chemin qui ouvre et ferme l’accès à un ailleurs. Sur une île, il faut prendre pied, s’y trouver mais aussi, il faut y prendre essor, et s’en aller. A la fois s’en aller et rester. Et plus vous vous en irez, plus le voisinage viendra avec vous. Vous êtes obligé, à ce moment-là, de penser ce rapport. L’insularité vous donne à penser». L’île renvoie à la contenance, au contour, à la sécurité nécessaire au voyage. Emergent alors les notions d’appartenance et de territoire : quelle place occuper ? Comment se l’approprier ? Questions inaugurales des soignants et des patients à la mise en place et au balisage du programme, encore d’actualité. Changements d’occupations des lieux à plusieurs reprises (salle à manger, puis petits salons et salle d’attente), ajustements par petites touches discrètes qui tels l’effet papillon peuvent générer des séismes. Comment exister avec cette nouvelle identité de soignants qui quittent un pôle dédié aux prises en soins de crise pour prendre en soin des patients “chroniques”… bref, notre petite communauté (soignants et patients) se soude pour trouver ses marques. Nous prenons conscience que nous sommes co-auteurs d’un projet de soins qui nous tient à cœur. Jour après jour nous allons construire des liens, rassembler des idées, modifier nos postures, créer des ponts vers l’extérieur, connaître de grandes émotions. Ces considérations “géopolitiques” nous amènent à un questionnement sur nos limites, sur notre champ d’action, sur les chevauchements entre les différents pôles du CAPPI… Nous expérimentons des remaniements au même titre que nos patients, à un rythme différent, avec des allers-retours. Nous acceptons d’être bousculés, d’être créatifs et d’amorcer un processus de changement, ce qui interpelle les patients au niveau de leur propre processus de changement. L’élaboration de cet article Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Création d’un nouveau programme de jour dispositif et enjeux du travail avec les familles nous permet d’avoir un regard distancié sur le chemin parcouru et de nous questionner sur les améliorations possibles impliquant entre autres la famille. PRÉSENTATION DU PROGRAMME DE JOUR Le programme de jour s’inscrit dans la réorganisation des structures ambulatoires du service de psychiatrie générale. Le canton de Genève compte actuellement quatre Centres ambulatoires de Psychiatrie et de Psychothérapie Intégrée (CAPPI), chacun correspondant à un secteur géographique du canton de Genève comprenant environ 100 000 habitants. Le Programme de Jour du secteur Pâquis a débuté le 7 janvier 2013. Il est ouvert du lundi au vendredi de 9h à 17h. Il s’articule avec les deux pôles déjà existants : le pôle Crise et la Consultation. Ces trois équipes fonctionnent en interelation, le patient peut être suivi simultanément ou successivement dans plusieurs pôles, en fonction de ses besoins et de son état clinique. Il peut faire appel 24h/24 à l’équipe crise et bénéficier de nuits de soutien au CAPPI. L’équipe du programme de jour est composée d’infirmier(e)s, d’un médecin chef de clinique, d’un psychologue, d’une ergothérapeute, d’une psychomotricienne et d’une assistante sociale, travaillant tous à temps partiel et engagés pour la plupart également sur les autres pôles de soins. Ce programme s’adresse à des patients de 18 ans à 64 ans souffrant de troubles psychiatriques au long cours (troubles dépressifs récurrents, troubles de l’humeur, troubles psychotiques, troubles de la personnalité etc.) avec d’importantes répercussions sur le plan psychosocial. Ils sont adressés par le pôle Crise, la Consultation, l’Hôpital ou les médecins privés. La file active est actuellement d’une trentaine de patients. La prise en soins est personnalisée, individualisée. Elle correspond à des objectifs mis en place lors de la réalisation de l’Echelle Lausannoise d’Auto-évaluation des Difficultés Et des Besoins (ELADEB). Sur la base d’une activité de tri de cartes, le patient va pouvoir expliciter ses propres priorités. Cela va permettre la mise en place d’un programme de soins adapté et motivant, et un réel partenariat avec le patient. Un bilan d’évaluation est effectué à 3 et 6 mois, il permet d’évaluer l’atteinte des objectifs, et le cas échéant de les ajuster. Les prises en soins proposées sont essentiellement groupales. Le patient peut également bénéficier d’interventions individuelles (entretiens médico-infirmiers, infirmiers, psychothérapeutiques, inter- ventions sociales et ergothérapeutiques), d’entretiens de famille et de réunions de réseau. Nous proposons également un suivi mobile intensif ponctuel pour des patients en rupture de suivi afin d’éviter l’hospitalisation. Nous nous appuyons sur le modèle Hollandais « Flexible Assertive Community Treatment » (FACT). Les groupes proposés s’articulent selon trois axes : la ré-acquisition de compétences sociales (« Pas à Pas » et « Repas extérieur »), la mobilisation (« Groupe Sortie », « Psychomotricité », « Alimentation Santé », « Gym Urbaine »), l’expression (« Création », « Entendeurs de Voix », « Echanges », « Paroles », « Préparation et Retour Week-end », « Ecoute Musicale »). Chaque groupe peut mobiliser des compétences appartenant à plusieurs de ces axes. Un groupe nous semble représentatif du Programme de Jour, le groupe « Pas à Pas », car il valorise l’exploration à l’extérieur du programme, dans un cadre sécurisant. Il a pour objectif de rompre avec l’isolement et tout ce qu’il induit dans le quotidien, de permettre un ancrage sur l’extérieur, de relancer une démarche d’activité, de recréer un réseau social, d’améliorer le confort de vie, à terme, de se rendre seul dans les différentes structures de la cité. Il se déroule sur deux séances, un temps de préparation et un temps de visite. Les lieux visités sont des structures adaptées aux personnes souffrant d’un trouble psychique, répertoriées dans le carnet d’adresse Genevois du Groupe de Réflexion et d’Echange en Santé Psychique (GREPSY). Nous réalisons également des sorties culturelles (visites d’expositions, concerts, spectacles) choisies et organisées avec les patients. CONCEPTS Dans notre pratique, nous accordons une importance particulière à l’accueil et nous nous appuyons sur le modèle de référence théorique du rétablissement. L’accueil « Reconnaître l’homme qui est là, avant de penser aux symptômes » Guy Baillon L’accueil est plus qu’un acte banal de la vie quotidienne, plus qu’un rituel social. Ce qui se passe au moment de l’arrivée d’un patient est particulier. C’est pour lui un temps fort, un moment d’imprégnation où il est sensible et vulnérable et où il a besoin de se raccrocher à quelqu’un. La personne qui le reçoit prend alors une figure importante et à cet instant, le patient reçoit l’image, la mesure de la relation qui pourra fleurir dans ce milieu. Dès ce moment, sa perception de la qualité des soins prend forme. Nous considérons cette démarche comme un point de départ essentiel du soin. Selon Guy Baillon, « Nous cherchons à réaliser “une rencontre”, une vraie rencontre humaine, solide, dense , indispensable si nous voulons que la personne qui vient seule ou accompagnée puisse peu à peu aborder ce qu’elle vit comme les raisons de sa souffrance, raisons qu’elle ne sait même pas identifier, et dont l’éventuelle nature psychique l’effraie. » Tous les matins nous accueillons les patients à partir de 10 h, d’autres membres de l’équipe peuvent être présents (psychologue, assistante sociale, médecin). Celui ou celle qui accueille se rend disponible, à l’écoute, avec la simplicité d’évoquer le quotidien et d’installer la rencontre. Ce cadre convivial et rassurant permet aux patients de retrouver un rythme horaire, de se rencontrer de manière libre et informelle. C’est un premier contact, un “accrochage” progressif, c’est aussi le lieu qui donne une idée de l’humeur de chacun, de l’humeur du groupe et qui permet à de nouveaux projets de prendre forme. M. T., patient du programme de jour, écrit dans une lettre qu’il nous adresse : « … tous les matins c’est l’espace accueil nous nous rencontrons devant un café, nous discutons de plein de choses, c’est un moment agréable, mais surtout ce qui me plaît c’est que ça me pousse à sortir de chez moi, ce qui me fait énormément du bien… » Le rétablissement « - Tout est perdu, il n’y a plus d’espoir ! « - Certainement pas ! » Un patient et un soignant Ce sont d’abord les personnes qui ont vécu la maladie mentale qui ont pensé le rétablissement dans les années 19801990. En 1993, William Anthony dit : « C’est une démarche personnelle et unique visant à changer l’attitude, les valeurs, les sentiments, les objectifs, les capacités et/ou les rôles de chacun. C’est la façon de vivre une vie satisfaisante et utile, où l’espoir a sa place malgré les limites imposées par la maladie. Pour guérir, le malade doit donner un nouveau sens à sa vie, et passer outre aux effets catastrophiques de la maladie mentale. » Après avoir étudié les récits personnels des patients, Andresen et al. les définisse comme la réalisation d’une vie pleine et significative, d’une identité positive fondée sur l’espoir et l’autodétermination. Le rétablissement implique quatre éléments clés illustrés ici par les écrits de M. T., patient du programme de jour : Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 123 Le travail avec les familles en hôpital de jour Trouver l’espoir « … Il y a des jours où j’en ai marre, où j’en peux plus mais ce que je peux dire depuis que je viens au programme de jour je ressens de l’espoir à nouveau, petit à petit je vois enfin le bout du tunnel et pourquoi pas le jour, le soleil… » « … pendant des années je ne sortais plus de chez moi les stores fermés et dans le noir complet, mais avec la volonté et la force de m’en sortir, avec l’aide des soignants, j’ai vu enfin le bout du tunnel, parfois je voulais arrêter, ne plus revenir, mais j’ai tenu bon… » Redéfinir l’identité «… être à nouveau actif et non en marge de la société, pas facile quand on a été longtemps seul, dans la souffrance, la maladie psychologique, pas facile de se faire des nouveaux amis, il faut beaucoup de courage et de persévérance pour sortir de cette longue souffrance et de cette impasse de désespoir… » Trouver un sens à la vie « J’ai eu des gros soucis avec mes enfants que je vois plus depuis longtemps, je leur ai écrit et j’ai même envoyé quelque chose pour ma petite fille. » Quelques mois plus tard… « J’ai recontacté ma fille et mon fils nous nous voyons de temps en temps, je suis allé au parc avec ma petite fille…» Prendre la responsabilité du rétablissement « Il y a eu plein de fois où je voulais tout arrêter et ne plus y retourner mais j’ai tenu bon il y a fallu que je prenne sur moi ». En pratique… Un projet de soins individualisé est établi avec le patient, il tient compte de ses difficultés et de ses besoins, de son système de référence et de sa qualité de vie. Nous utilisons l’Echelle Lausannoise d’Auto évaluation des Difficultés Et des Besoins (ELADEB). Le patient va expliciter ses propres priorités, ce qui permettra la mise en place d’un programme de soins motivant dont il est acteur. Ce projet s’articule autour d’interventions diversifiées. La prise en compte d’un potentiel de changement et d’évolution insuffle de l’espoir. Ces changements s’effectuent par étapes et des bilans réguliers sont effectués. Nous validons des idées, remarques, projets pour l’amélioration du programme. Les patients sont ainsi acteurs dans l’élaboration du programme. Nous facilitons l’intégration vers d’autres structures afin de promouvoir l’ouverture la plus large possible et valorisons l’exploration à l’extérieur par des sorties accompagnées en groupe ou individuellement. Les an- 124 ciens encouragent les nouveaux, la personne aidante trouve un rôle gratifiant, ceci peut-être un levier pour retrouver une place dans la société. Certains patients ayant quitté le programme reviennent spontanément témoigner de leur parcours. Deux patients se sont inscrits à la formation “pairs aidants” proposée par l’association Romande Pro Mente Sana. Cette formation s’adresse à des personnes en cours de rétablissement. Ils peuvent d’une part apporter leur expertise de “soignés” à leurs collègues et d’autre part un message d’espoir à leurs “pairs aidés”. La famille et les proches sont intégrés dans le processus de soins où il convient de limiter les tensions intrafamiliales, de reconnaître le rôle d’aidant, de créer de nouvelles relations et d’éviter l’isolement. Les proches, la famille et le rétablissement « L’aspect le plus difficile de la maladie mentale est le sentiment de toujours prendre des autres, qui sont toujours en train de vous donner quelque chose, qu’ils vous soutiennent constamment… me rétablir à consister à voir comment je pouvais redonner aux personnes qui sont importantes pour moi… » Propos d’un patient La famille et les proches, par leurs attitudes et leurs comportements peuvent contribuer au rétablissement. Le fait de reconnaître l’autonomie du proche, son parcours, sa capacité d’agir (empowerment) et de lui faire confiance a un impact certain sur le processus de rétablissement. C’est en acceptant de réaménager les rôles de chacun que le lien se retisse autrement. Le chemin n’est pas linéaire, il peut y avoir des avancées et des retours en arrière. Selon le Sainsbury Centre for Mental Health, de Londres, « La famille et les amis doivent aussi relever le défi de leur propre rétablissement. Eux aussi doivent réévaluer leurs vies, en essayant de comprendre ce qui s’est passé et en faisant les ajustements nécessaires. Les membres de la famille, les aidants et les amis doivent trouver de nouvelles sources de valeurs et de sens pour eux même, dans leur vie propre et dans leurs relations avec leur proche. Trop souvent les aidants naturels voient leur propres réseaux sociaux, leurs contacts et leurs possibilités diminuer et constatent qu’ils sont eux aussi victimes de stigmatisation et d’exclusion sociale. » Nous avons aussi constaté l’importance de valider la fatigue voir l’épuisement de l’entourage en proposant un “sas de décompression” sous forme de nuits hors du lieu familial et d’entretiens où l’écoute est privilégiée. Il nous paraît fondamental de ne pas déposséder les proches d’un rôle endossé depuis parfois très longtemps en prenant le contrôle de la situation, nous ne sommes pas détenteurs de la vérité ou de solutions toutes faites. C’est en rassurant, en informant, en maintenant le contact que nous créons une relation de confiance avec les proches. Dans ce même état d’esprit, nous tenons compte des décisions prises par la famille et nous essayons autant que possible de l’informer rapidement des changements, aménagements ou orientations thérapeutiques. Le continuum dans la communication permet à la famille et aux soignants d’assouplir les échanges, de désamorcer les conflits ou quiproquos latents. Cela permet ainsi de construire un projet commun comprenant des valeurs et des objectifs liés au mieux-être du patient et de sa famille. Dans la pratique, chaque famille nécessite des interventions spécifiques, des suivis psychothérapeutiques peuvent se mettre en place avec une différenciation des intervenants (le médecin qui suit le patient individuellement est différent de celui qui suit le couple), l’enjeu n’étant pas de supprimer les symptômes coûte que coûte mais de développer des potentialités, en tenant compte des forces, des fragilités, du rythme et du projet de vie de chacun. Apprendre à faire connaissance avec chaque partenaire et avec le style d’échange de la famille, réclame du temps et nécessite de la flexibilité autant que de la créativité. VIGNETTE CLINIQUE Pour représenter et illustrer concrètement notre activité au programme de jour, nous avons choisi de raconter l’histoire de Charles. Cette vignette retrace le parcours de ce patient qui s’articule autour des différents pôles du CAPPI, dans une prise en soins qui a impliqué son épouse en tant qu’aidant naturel. Histoire de la première rencontre La première fois que Charles se présente au programme de jour, c’est avec son épouse Louise, ils viennent pour avoir des informations sur le programme. Je les reçois en entretien infirmier. Le patient est assis, il ne parle pas, il écoute. Je l’observe, il a un visage triste, il est très bien habillé, son allure est celle d’un “gentleman”, il donne le change en consultant son agenda, en validant de la tête les propos de son épouse. Quant à elle, elle a besoin de parler, parler d’elle, de ce qu’elle vit, du parcours de soins de son mari (l’hôpital psychiatrique, les services spécialisés, etc.), de sa colère par rapport aux soignants, de l’injustice de la vie. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Création d’un nouveau programme de jour dispositif et enjeux du travail avec les familles Le programme de jour n’est pas encore ouvert, j’évoque avec elle ce qui se profile au sein de ce programme : les groupes thérapeutiques, les entretiens etc. Intuitivement, je perçois qu’au-delà de la maladie de Charles, le couple est en souffrance, Louise est épuisée par la situation qui dure. Ils partent avec l’espoir pour l’épouse qu’enfin son mari puisse aller mieux dans cette nouvelle structure… Son histoire Charles est né à Londres. A l’âge d’un an ses parents se séparent, lui et sa mère s’installent en Suisse. Charles n’aura pratiquement pas connu son père. Il effectue sa scolarité en Suisse, après la maturité (baccalauréat) il se rend à Londres où il effectue une licence de langues (Italien et Espagnol). Dès son retour en Suisse se succèdent des périodes d’activités professionnelles et de chômage. Il travaille dans plusieurs établissements en qualité de vendeur. En raison de la faillite de l’entreprise de vêtements au sein de laquelle il travaille, il est remercié fin 2009. Depuis novembre 2011, le patient perçoit une rente d’invalidité à 100% en raison de ses troubles psychiques. La mère du patient est décédée en 2008 à l’âge de 88 ans. Fils unique, Charles rapporte toutefois l’existence d’une demi-sœur et d’un demi-frère qu’il n’a jamais rencontré. L’histoire de sa maladie Charles est connu de longue date pour un trouble bipolaire de type I. En effet, il est hospitalisé une première fois à l’âge de dix-sept ans suite à une décompensation maniaque. Plusieurs autres hospitalisations suivront. Toutefois, il restera stable pendant quinze ans sous Lithium jusqu’en 2009, date à laquelle son médecin traitant détecte une insuffisance rénale et interrompt le traitement. Instable depuis, il est à nouveau hospitalisé suite à une tentative de suicide en novembre 2012. A sa sortie d’hôpital Charles est ensuite suivi au CAPPI des Pâquis. Depuis fin 2011, son épouse observe des symptômes de nature différente : des oublis, des troubles du comportement, un discours décousu, des idées fixes sur des questions peu importantes, des gestes incongrus, un appauvrissement progressif au niveau de ses compétences sociales, relationnelles et des troubles langagiers avec voix monocorde. Les modifications du comportement/personnalité rapportées ne ressemblent pas du tout, selon l’épouse, à la personnalité de son mari. C’est dans ce contexte que Charles intègre le programme de jour. A l’arrivée, il présente un état dépressif, des pensées incohérentes, un comportement désorganisé, un ralentissement psychomoteur, un sentiment de solitude et d’abandon. L’histoire du couple Louise est professeur de piano, c’est une femme pleine d’énergie, coquette, avenante, chaleureuse. Ils se rencontrent à l’hôpital, elle vient visiter un ami. En 1997 le couple décide de se marier, ils n’auront pas d’enfant. Ce que nous savons du couple nous est relaté par Louise, Charles parle peu de leur histoire. Néanmoins, il nous lit un jour les poèmes d’amour qu’il lui écrit. Il dit ce jour-là être très amoureux de sa femme. Quant à elle, depuis cinq ans, elle évoque une vie compliquée avec lui en lien avec l’évolution de la maladie, le regard que les “autres” portent sur leur couple car Charles peut lui faire honte, il présente parfois un comportement inadéquat en société. Elle dit un jour qu’ils n’ont plus de relations sexuelles. Par ailleurs, il y a un décalage au niveau des horaires dans le quotidien, elle travaille et a besoin de sommeil alors que lui a des difficultés pour aller se coucher. Cela génère de fortes tensions et certains soirs, elle peut le frapper. C’est Louise qui évoque spontanément ces moments de violence, ces moments où les mots ne comptent plus. Charles n’en parle pas, mais certains matins lorsqu’il vient, nous sentons que quelque chose s’est passé à la maison. C’est arrivé rarement, Louise explique qu’elle ne se reconnaît pas mais qu’elle n’éprouve pas de culpabilité, elle est juste épuisée... Nos considérations.... Le patient présente une pathologie atypique du fait de ses troubles de l’humeur et du tableau clinique qu’il présente depuis environ deux ans, c’est à dire une péjoration de son état cognitif. La difficulté est de savoir sur quel tableau clinique s’appuyer : une entrée dans une pathologie démentielle ou des phases de désorganisation ou de dépression en lien avec les troubles de l’humeur. Au-delà du symptôme, nous avons décidé de prendre en compte la souffrance du couple, de permettre au patient d’avoir un espace pour lui au sein du programme, de le soutenir, d’essayer de comprendre ce qui se joue dans son comportement, où se situent ses difficultés et dans quels domaines il a besoin d’aide. Pour ce faire nous utilisons l’échelle d’autoévaluation des difficultés et des besoins : Quel est actuellement le problème le plus important pour vous ? - « Trouver une activité pour m’occuper » répond Charles… - Le besoin d’aide : tâches administratives, santé physique, santé psychique, sexualité. - Le besoin prioritaire : « Etre occupé professionnellement » pour Charles. A partir de là... les objectifs Pour le patient - Reprise d’une activité - Amélioration de l’estime de soi - Eviter les hospitalisations à répétition - Diminuer les symptômes - Favoriser l’autonomie Pour l’épouse - Tenir compte de l’épuisement de l’épouse - Soutenir l’épouse - Informer l’épouse - Valoriser le rôle d’aidant naturel - L’encourager pour un suivi individuel Pour le couple - Rétablir un processus de communication efficace au sein du couple - Accepter la maladie - Imaginer un avenir commun La prise en soin Une prise en soin groupale est mise en place à travers les groupes « Préparation Week-end », « Psychomotricité », « Pas à Pas » et « Ecoute musicale ». Tous les matins, Charles vient à l’espace accueil, il entre souvent discuter avec nous dans le bureau, il nous téléphone. Il bénéficie d’entretiens individuels (infirmiers et médico-infirmiers) Un bilan neuropsychologique mettra en évidence un dysfonctionnement exécutif massif ainsi que des troubles mnésiques. L’hypothèse d’une démence mixte (fronto-temporale et vasculaire) sera évoquée. Concernant le couple, Louise a un suivi psychothérapeutique. Des entretiens de couple sont programmés. Nous planifions aussi des nuits au pôle crise pour son mari. Nous les soutenons pour un projet de départ en vacances ensemble. Le couple voit l’assistante sociale afin d’obtenir de l’aide (demande de rente d’impotence, aide à domicile). Bilan à trois mois - Participation régulière aux groupes. - Comportement perturbateur dans les groupes - L’angoisse moins présente - Autonomie suffisante pour se rendre au CAPPI - Les symptômes présents sont : thymie dépressive, désorganisation, troubles cognitifs (mnésique) - Bon lien avec l’équipe soignante, bon investissement du programme - Relation de couple fluctuante Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 125 Le travail avec les familles en hôpital de jour - Une seule hospitalisation de 10 jours (lien conservé avec le CAPPI) Bilan à six mois - Autonomie suffisante pour visiter des structures extérieures, prend le train pour retrouver son épouse en vacances - Participation plus adéquate aux groupes - Persistance des symptômes dépressifs (expression de la tristesse), troubles cognitifs fluctuants, l’angoisse moins présente, comportement plus adapté. - Amorce d’un processus d’acceptation de la maladie par le couple. - L’épouse du patient téléphone moins, ils partent tous les week-ends, meilleures relations de couple - Pas d’hospitalisation Aujourd’hui Charles est calme, les angoisses sont fluctuantes. Il présente toujours des troubles cognitifs, sans aggravation. Son épouse a fait des démarches avec l’assistante sociale afin que son mari puisse être mieux encadré à domicile et lors des transports, et il va intégrer un foyer de jour spécialisé dans l’accueil de personnes présentant des atteintes cognitives apparentées à des troubles démentiels. Nous allons faciliter son intégration en nous rendant avec lui dans ce centre afin de définir une stratégie d’intégration progressive. Charles peut continuer de venir au programme de jour et nous allons amorcer un processus de séparation à son rythme. De son côté Louise dit…. « Vivre des moments de douceur » « Nous allons au lit avec le sourire ». Ils redeviennent un couple de longue durée qui, avec le temps, comme dans la chanson de Léo Ferré, a appris à « laisser faire et c’est très bien ». A travers cette histoire, nous observons que le couple traverse des moments de crise au cours desquels se modifient les statuts et les rôles en lien avec la maladie de Charles, cela a impliqué une transformation des fonctions, une acceptation de la maladie, un travail sur un nouveau projet de vie. 126 CONCLUSION « Flash-back on regarde en arrière », retour sur la première scène, Charles et Louise arrivent au programme de jour... la colère, le sentiment d’impuissance de Louise, le silence de Charles, leur tristesse, les questionnements sur leur avenir et la violence qui s’installe… Autre séquence autre scène, cet univers, cette atmosphère presque suffocante nous renvoie aux dialogues et aux images du film de Haneke, « Amour ». Ce film évoque l’histoire d’un couple et sa descente aux enfers, lorsque Georges, joué par Jean-Louis Trintignant, en mari aimant, accepte la requête de sa femme malade de ne pas être hospitalisée. Il prend alors le rôle de garde malade et construit autour d’eux un mur d’intransigeance : « Quand on aime il faut aimer jusque-là, jusqu’au bout ». L’amour et la haine se juxtaposent, l’incompréhension face à la maladie, l’absence de réponses, la perte progressive d’échanges. A contrario, Charles et Louise trouvent les ressources pour sortir de cet “enfermement” et demander de l’aide. Valider leur souffrance, respecter leur vision de la situation, a été un préalable essentiel et constitutif d’une véritable relation de confiance. Cela a permis de faire renaître l’espoir et d’envisager les bases d’un nouveau projet. Selon J. Miermont, « Plutôt que de se focaliser sur les problèmes et leur résolution, les interventions centrées sur la solution considèrent que les choix déjà effectués par les personnes ou la famille sont les bons, et qu’il est plus pertinent de renforcer leurs choix et leurs solutions ». Ce processus réflexif, basé sur le concept de rétablissement, nous conduit maintenant à envisager un soutien aux familles. Nous avons pris conscience peu à peu de la nécessité d’une telle démarche mais aussi de sa complexité, les contacts, discussions, réflexions entreprises se sont enrichis au cours de ces derniers mois et notamment lors des débats et présentations au Colloque des Hôpitaux de Jour à Brest. Elles se poursuivent aujourd’hui avec nos patients que nous incluons dans notre projet. Notre idée de départ de créer un groupe multifamilial au sein du CAPPI s’est transformé progressivement, de part ces échanges et en lien avec la philosophie du Programme de Jour : favoriser les échanges vers l’extérieur. Pour cela, nous prenons contact avec les Associations Genevoises telles que le Relais (Association de Proches), Biceps (Association des enfants dont les parents souffrent de troubles psychiques), Pro Famille (groupe de psychoéducation pour les proches), Pro Mente Sana (association pour les personnes souffrants de troubles psychiques et les proches) etc.… Dans un premier temps, il s’agit de se “familiariser” avec les différents modes d’interventions, de bien comprendre les besoins et attentes de ces associations et de créer des synergies avec nos patients et leurs familles. Notre souci constant étant de proposer aux patients et leurs familles des espaces accueillants et bienveillants et d’assurer une liaison entre l’intérieur et l’extérieur. BIBLIOGRAPHIE 1. ANDRESEN R., OADES L., CAPUTI P., The experience of recovery from schizophrenia: towards an empirically validated stage model, Aust N Z J Psychiatry, 2003 2. ANTHONY W. 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Afin d’en tenir compte dans chaque étape de traitement, les proches des patients sont inclus dans la pensée et la concrétisation du projet de soin de chaque patient à l’hôpital de jour des Espaces de soins pour les troubles du comportement alimentaire (ESCAL) aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Dès le premier contact, la famille a sa place, que ce soit par sa présence ou son absence. Elle peut participer concrètement à l’entretien d’évaluation, puis être abordée symboliquement dans les différents groupes thérapeutiques. Son influence s’observe indirectement, mais clairement au moment des repas thérapeutiques. Les entretiens de famille visent concrètement à établir un partenariat solide avec les proches afin de les impliquer comme partenaires de soins. Le groupe multi-familles aide les familles à travailler la tolérance du comportement des patients, diminue la stigmatisation associée à la maladie, et favorise la communication avec et au sein de l’équipe. Mots-clefs : Hôpital de jour, groupe multi-familles, troubles du comportement alimentaire, anorexie, boulimie Body and family: the disease as a significant moment in one’s history According to James Hillman, we are born exactly in that family that allows us to realize our vocation in life. In order to include the family within each treatment step, patients’ proxies are given thought and are actively included in the treatment plan of all patients followed at the day hospital of the “Espaces de soins pour les troubles du comportement alimentaire (ESCAL)” in the Geneva University Hospitals. Inclusion of the family members starts at the first contact, whether it is by its absence or its presence. Members can actively take part in the assessment interview, and will be symbolically addressed in the different therapeutic groups. The family’s influence can be observed indirectly, yet clearly, during the therapeutic meals. Regular interviews including the family allow creating a solid partnership with the proxies, who feel engaged as treatment associates. The multi-family group offers the opportunity to learn tolerance of patients’ behaviours, to decrease stigmatization associated with eating disorders, and to promote efficient communication with and within the caring team. Keywords: Day hospital, Multi-family group, eating disorders, anorexia, bulimia INTRODUCTION Penser la famille amène très souvent à se poser la question des origines: d’où vienton? Où va-t-on? Pourquoi moi? Pourquoi cette famille? La maladie peut être un moment propice à ce questionnement. Dans la pratique de la médecine en général et de la psychiatrie en particulier, il semble communément établi que nous sommes en grande partie le résultat de nos gènes, de notre environnement, et de notre disposition psychologique. Selon ce modèle bio-psycho-social, les interactions avec la famille sont primordiales. Ce qui pourrait partiellement expliquer le fantasme enraciné selon lequel chacun de nous est l’enfant de ses propres parents. En d’autres termes, le comportement de ces derniers, leur présence ou leur absence sont l’instrument premier de notre destin. Le destin de l’âme serait ainsi le fruit de notre arbre généalogique. Ce positionnement peut sans doute être rassu- rant, déculpabilisant voire déresponsabilisant sur notre propre existence, mais peut aussi nous confiner dans une position d’impuissance en reflet avec une toutepuissance conférée aux parents. Or, l’éducation et la génétique n’expliquent pas tout. Hillman (1996) défend une théorie alternative, selon laquelle chacun de nous vient au monde avec une vocation, chacun de nous porte en soi dès la naissance une unicité qui demande à être vécue. Selon cette perspective, c’est la nécessité de notre existence qui rend le choix et l’union de nos parents indispensables. Les enfants sont influencés par l’espoir qu’ils mettent dans le monde de l’adulte, et non l’inverse. Hillman s’inspire du mythe d’Er raconté par Platon, selon lequel à l’âme de chacun de nous est attribué un démon (daimon) unique avant la naissance, qui a choisi une image ou un modèle que nous incarnons sur terre. C’est en fonction de ce choix que les âmes viennent au monde sous telle ou telle forme et dans telle ou telle famille, ceci bien entendu en étant passées par le Léthé (Plaine de l’oubli). Au regard de cette perspective, nous offrons une compréhension alternative à nos patients et leurs familles: reconnaître la vocation comme une donnée fondamentale de l’existence, accorder la vie sur cette vocation et enfin comprendre que les accidents de la vie (telles que la maladie) et le choix de nos parents sont nécessaires à ceci et à sa réalisation. Quelle que soit notre référence de pensée sur la question, que la famille soit considérée comme responsable ou vecteur de notre devenir, s’il est un point où tous s’accordent, c’est que la famille est importante pour le patient tant par sa présence que son absence. En psychiatrie plus précisément, l’importance qui lui accordée n’est plus à démontrer, quel que soit le modèle de pensée. Les définitions des familles ont également évolué à travers le temps et les civilisations, on peut y voir une communauté de personnes réunies par des liens de filiation. On constate également que la notion de famille se retrouve dans toutes les sociétés humaines. Penser la famille tout comme penser le groupe conduit à réfléchir sur l’individualité et vice versa. A l’hôpital de jour des Espaces de Soins pour les troubles du Comportement Alimentaire (ESCAL) des Hôpitaux Universitaires de Genève, bien que ce ne soit pas un lieu dédié aux soins des familles, celles-ci sont présentes et se déclinent à travers les différents espaces de soins. LA FAMILLE TOUT AU LONG DE L’HISTOIRE ESCAL est un programme de soins pour les personnes adultes (16+ ans) présentant des troubles du comportement alimentaires, avec plusieurs modalités de prise en charge selon les intensités de soins. Ainsi, l’hôpital de jour permet d’offrir une prise en charge ambulatoire intense sur plusieurs demi-journées par semaine, sur le modèle de la communauté théra- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 127 Le travail avec les familles en hôpital de jour peutique (Jones, 1972). Les interventions autour des familles sont présentes dans tous les espaces de soins et vont être mises en relief dans les paragraphes suivants au travers du circuit du patient dans le cadre de sa prise en charge à l’hôpital de jour, du premier contact au groupe multi-familles en passant par les espaces groupaux (psychomotricité, psychothérapie, ergothérapie, thérapie par le jeu de sable) et les entretiens individuels. LE PREMIER CONTACT Les patients, dans le cadre de leur prise en charge à ESCAL, peuvent soit être adressés par les médecins-traitants (internistes, généralistes ou psychiatres), soit être adressés par d’autres intervenants du réseau (psychologue scolaire, diététicienne...), soit encore venir d’eux-mêmes et, dans certaines situations, ils peuvent être adressés par les familles. La famille du patient est ainsi présente dès le premier contact. Ainsi, la sœur d’une patiente nous contacte la première, nous parle de sa sœur, Mme C., âgée de 40 ans. Elle est inquiète pour cette dernière, se renseigne sur les modalités de prise en charge et les problématiques abordées, elle souhaite même prendre rendez-vous pour sa sœur, nous lui proposons de discuter de tout ceci avec la patiente elle-même et, quelques jours plus tard, la patiente nous appelle, se présentant comme étant Mme C., sœur de... Nous lui proposerons une première évaluation et c’est ainsi que débutera sa prise sa charge. Dans une autre situation, une fille de 19 ans trouve nos coordonnées sur Internet, elle souhaite une évaluation pour son propre trouble alimentaire. Un rendezvous est pris, et après cette première évaluation elle conseille ESCAL à sa mère qui souffre d’un important surpoids dans le contexte d’une hyperphagie, si bien que cette dernière commence le suivi à l’hôpital de jour. A travers ces exemples cliniques, nous voyons que les familles se présentent à nous de diverses façons et prennent souvent une place importante concrète ou symbolique dans la prise en charge de patients à l’hôpital de jour. Une prise en compte de cette dimension nous permet de rester attentifs aux interactions et aux relations interpersonnelles pendant la prise en charge. Selon les deux premiers exemples, c’est la famille qui, soit s’inquiète, soit se voit attribuer le rôle de “demandeur de soins”. L’un des enjeux de la prise en charge est de continuer de penser le patient au centre des soins tout en tenant compte de la famille comme alliée qui peut être trop ou pas assez présente. Dans la prise en 128 charge des troubles du comportement alimentaire, l’intérêt pour les familles a toujours été très présent (Birot et al, 2006 ; Bruch, 1973), notamment pour les parents et, de manière encore plus spécifique, la mère. Ces derniers sont souvent vus tantôt comme des partenaires de soins, tantôt comme vecteurs de la maladie et tenus à distance selon les settings thérapeutiques, tantôt interrogées dans leurs relations avec le patient ou leur fonctionnement propre, avec une injonction de suivi pour eux-mêmes. L’ENTRETIEN D’ÉVALUATION Lors de l’entretien, nous sommes attentifs à clarifier la demande de soins et la symptomatologie clinique dans le but de faire une bonne orientation du patient. Très souvent, la demande de soins n’est pas formulée par le patient, qui doit nécessairement être présent lors de cette première évaluation. Souvent, le patient pressentant un trouble du comportement alimentaire est peu demandeur d’aide. Il accepte plus ou moins formellement la demande formulée par le tiers, quand il ne s’y oppose pas clairement. Le tiers parent, conjoint, fratrie, amis ou réseau de soins semble à ce moment porter l’inquiétude et est validé dans ce rôle par le patient. Dans notre expérience clinique, même si la famille n’est pas présente physiquement, elle reste très présente dans le discours du patient, notamment lorsque la symptomatologie alimentaire est abordée. La famille peut ainsi être vécue comme ne comprenant pas les difficultés alimentaires du patient et ne prêtant ainsi aucune attention à la qualité des aliments ou des repas proposés au patient. Pour d’autres patients, on peut y voir la revendication d’une attention particulière qui masque une demande tout autre. Dans d’autres situations, la famille est complètement adaptée à l’exigence alimentaire qualitative ou quantitative du patient, et est aussi, demandeuse de conseils et de soutien, car elle a le sentiment de ne pas réellement faire ce qu’il faudrait. Autant dans l’entretien d’évaluation, il nous semble important de faire une bonne évaluation clinique de la problématique du patient, autant dans cette évaluation il est important de se faire une idée de la nature des liens familiaux. Ceci nous semble d’autant plus vrai que les soins en hôpital de jour s’adressent à des personnes vivant au domicile et nécessitant une élaboration des liens avec l’environnement de manière plus large et la famille de manière plus spécifique. Les entretiens d’évaluation sont effectués par un “couple” de soignants, ce qui favorise également les projections des uns et des autres dans ce premier entretien avec la structure de soins. Par la suite, pour les patients dont l’indication d’un suivi à l’hôpital de jour est posée, ils vont bénéficier d’un programme groupal selon plusieurs axes, prenant en charge la personne dans sa globalité et de manière multidisciplinaire, complété par un suivi individuel selon leur objectif de soin personnalisé. LES ESPACES DE GROUPE Indépendamment de l’intensité de son programme hebdomadaire, chaque patient participe sans exception aux différents espaces groupaux. L’espace corporel Le corps revêt une place importante dans la problématique des patients présentant un trouble du comportement alimentaire. La littérature sur la prise en charge de cette problématique par les approches corporelles abonde. La symptomatologie dans les troubles du comportement alimentaire et surtout dans l’anorexie implique une perturbation de l’image corporelle. Cette perturbation est souvent en lien avec un trouble de la perception du schéma corporel, qui elle-même va entraîner une difficulté à se positionner dans la relation à l’autre. Entre désorganisation du schéma corporel et désorganisation du schéma familial, les influences sont réciproques. Et c’est ainsi que la famille ou les proches s’invitent ou sont interrogés à travers le corps dans les séances groupales de psychomotricité. Dans le groupe de psychomotricité, Mme C. décrit une perception morcelée du corps, et dans le miroir elle ne voit pas son corps en entier, mais des parties de corps les unes à côté des autres. Elle éprouve par ailleurs du plaisir à s’arracher de petits bouts de peau autour des ongles après un coup de soleil. Son père lui donnait de l’argent pendant son adolescence en fonction des kilos perdus. Et la patiente, elle, donnait de l’argent à sa sœur pour que cette dernière lui arrache des bouts de peau ; le mari de la patiente a tendance également à lui offrir des cadeaux luxueux, lorsqu’elle arrive à s’abstenir de vomir pendant une période donnée. Ces éléments ont été abordés dans le cadre du travail dans l’espace corporel et, tout au long de la prise en charge, ont permis d’interroger le rapport au corps, et ont pu conduire à aborder les relations au sein de la famille et les difficultés dans ce contexte pour la patiente de se représenter son propre schéma corporel. Une autre patiente, en difficulté pour faire des exercices de respiration, fait le lien avec son père qui, lors des punitions où Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Corps et familles : la maladie comme un moment significatif d’une histoire elle devait rester assise sans bouger, lui disait « que je ne t’entende pas respirer ». Elle exprimera ne pas aimer son corps, voudrait qu’il disparaisse. Elle évoquera alors les violences subies dans le passé. Mme D. porte des vêtements amples pour masquer la forme de son corps. Depuis le suivi, elle n’est plus satisfaite de son style vestimentaire, se cherche un nouveau style. Ses enfants réagissent, ils ne la reconnaissent plus, ils découvrent son corps et ils tentent de l’approcher. Le travail effectué dans l’espace corporel a pour but d’aider les patients à améliorer la perception de leur propre schéma corporel, ce qui, au vu de ce qui précède, a aussi un impact fort sur la structure familiale et sur la qualité de vie du patient. L’espace verbal Dans le groupe de psychothérapie, les proches sont souvent évoqués à travers des anecdotes, des patients d’âge et de situations familiales très différentes s’interrogeant et comparant l’importance de leur rôle et de leur place au sein de la famille. Mme C. arrive en retard à nouveau. Elle s’excuse plusieurs fois, elle s’intéresse à rattraper la discussion manquée. Les autres s’agacent, las de « devoir lui apprendre les bonnes manières ». Mme C. se met alors à parler de ses parents qui se font vieux, qui ne seront plus là éternellement pour veiller à son éducation. Mme N., 42 ans, dit avoir lu que l’anorexie serait liée au refus de grandir, de s’émanciper, de s’autonomiser. Elle interroge Mme V., 17 ans, aimerait savoir si c’est vrai ? Puis elle parle de ses préoccupations pour l’alimentation de son fils, 8 mois, qu’elle n’allaite pas, contrairement à sa mère. Mme D. organise, rassemble, dirige et materne le groupe lorsqu’il se retrouve dans un moment de flottement « comme à la maison avec ses enfants et son mari... » Elle prend conscience qu’elle analyse/compte en permanence les échanges pour vérifier que personne n’est oublié. Elle peut faire le lien entre son attitude dans le groupe et son fonctionnement avec sa famille. Le groupe comme microcosme permet de reproduire des schémas comportementaux et relationnels connus, et ainsi d’expérimenter de nouveaux schémas alternatifs, notamment quant à la résolution de conflits et quant à la communication autour de la maladie. L’espace créatif Dans le groupe de la thérapie par le jeu de sable, les patients choisissent l’espace de leur création (sable sec ou mouillé) et avec ou sans figurines, ils représentent une émotion, un sentiment, une difficulté, un rêve, une envie, un cauchemar, etc., selon leur envie. Le monde intérieur peut être symbolisé. Là où les mots font défaut, les images peuvent être plus parlantes. Les créations peuvent se réaliser seul ou à plusieurs. Les histoires individuelles se rencontrent et l’histoire commune naît. Ainsi les familles réelles et fantasmatiques peuvent être pensées, l’image servant de pont entre les deux. Madame N. représentera les différents membres de sa famille en illustrant le lien avec chaque personne par différents objets et matières. Elle utilisera pour ce faire tantôt une échelle, un pont, une corde ou un ruban. Une autre patiente, Mlle V., au cours du groupe, fera une production au sein de laquelle elle représente sa mère en forme de squelette et pose à côté un biscuit. Le reste du groupe intervient et lui propose de changer le squelette contre un personnage plus neutre qui peut s’asseoir à côté d’elle, la rassurer et être un soutien ; la patiente accepte et finalement retire le biscuit de la production, car elle se rend compte qu’il n’est plus utile. Mme W., se représentera avec sa famille, et dans sa représentation d’elle-même elle mettra côte à côte, un squelette, un fantôme et la boulimie, en plus des membres de la famille elle mettra un autre personnage plutôt magique Aladin avec sa lampe merveilleuse. Le groupe la questionnera sur le miracle que pourrait faire Aladin et la patiente perplexe pourra interroger son ambivalence face aux soins, et sa difficulté avec le changement. L’environnement Le groupe d’ergothérapie, est tourné vers l’extérieur, et interroge le réseau et les difficultés d’être en lien avec autrui, la gestion du quotidien, avec les loisirs et/ou les contraintes y associées. Il favorise le travail autour des ressources personnelles, et souvent les patients font à l’hôpital de jour des essais, qu’ils tentent d’appliquer ensuite à la maison avec la famille. Le projet de Mme N. était de commencer par prendre les sushis tous les jeudis avec son infirmière et, au bout de quelques fois, elle a spontanément décidé d’inviter une amie et de ne plus solliciter l’infirmière. Quant à Mme D., souffrant d’anorexie mentale restrictive, le groupe l’a aidé à planifier ses courses pour les repas en famille, son mari et ses trois enfants. Au début, il lui fallait plusieurs menus pour chaque personne de la famille et, progressivement, il n’en faudra plus que deux et puis plus qu’un menu unique. Le lien avec la maladie Ce groupe conduit par un médecinpsychiatre et un infirmier permet aux patients d’amener leurs questions autour de la maladie dans sa dimension psychopathologique, les traitements et autres idées. Les informations sur la maladie, les visions des uns et des autres sur la nature des symptômes voire le sens qui y est donné, sont échangés. Ceci dans le but non seulement d’améliorer la connaissance mais aussi de confronter son vécu de la maladie à celui d’autrui et, au-delà du diagnostic CIM ou DSM, et de partager les similitudes et différences dans la lecture des symptômes et de la souffrance. Les patients peuvent évoluer dans leur positionnement par rapport aux autres patients, changer de rôle. Certains pourront face à la souffrance de l’autre vouloir soutenir, être irrité, vivre l’impuissance, ce qui dans le cadre groupal amène parfois à se positionner comme proche d’autres patients et expérimenter ainsi le vécu de proche ou d’aidant. Dans ce groupe également, la mort est souvent évoquée, le groupe fait aussi l’expérience que tout n’est pas explicable et compréhensible et, parfois, la contradiction devient partie intégrante et fondamentale au changement. Le groupe peut faire l’expérience que la compréhension, aussi vaste soit-elle, n’est pas la donne première ou une garantie pour qu’un changement ait lieu. Les repas thérapeutiques Les repas à l’hôpital de jour d’ESCAL sont pris en groupe, patients et soignants ensemble, selon des indications thérapeutiques individuelles, et discutées avec chaque patient, en définissant des objectifs personnalisés. Les patients sont libres de manger les repas proposés par l’hôpital ou d’apporter leur propre plat. De même, ils définissent eux-mêmes le choix et la quantité des aliments. Au-delà des objectifs individuels, propre à chaque patient selon sa situation clinique, le but du repas est également et surtout de se retrouver autour de la table, de partager un repas ensemble et de passer un moment de convivialité, l’alimentation étant également un vecteur émotionnel. La famille est également souvent présente, à travers la crainte des repas de famille par exemple. Les repas pris à l’hôpital de jour favorisent un questionnement autour de la bonne éducation nutritionnelle de sa famille « regardez, il mange de tout », phrase qu’une patiente a prononcé au sujet de son enfant, qui était présent ce jour au repas à l’hôpital de jour. Ainsi, ce repas thérapeutique dans un espace communautaire offre la possi- Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 129 Le travail avec les familles en hôpital de jour bilité d’un apprentissage interpersonnel, l’expérience de ne pas être seul. LES ENTRETIENS DE FAMILLE Le positionnement des soignants vis-à-vis des familles des patients présentant des troubles alimentaires a évolué au fil du temps et selon les modèles théoriques de prise en charge. Pour les approches systémiques, au XIXème siècle, les parents étaient jugés responsables de l’anorexie de leur fille adolescente à travers une relation précoce défaillante, encourageant l’enfant à satisfaire les besoins de la mère au lieu des siens. Au XXème siècle ont émergés des théories qui véhiculent une vision pathologique de la famille entière. Le symptôme servirait à détourner l’attention familiale de la mésentente parentale et de protéger la famille de la séparation. Les pratiques thérapeutiques consistaient soit à tenir la famille à l’écart, soit à l’impliquer dans un travail familial destiné à réparer ses défaillances. Or, ces pratiques entrent en résonance avec le doute et la culpabilité des familles, renforcent une atmosphère d’inquiétude et d’incompétence peu propice à la mobilisation des ressources de la famille. Actuellement, la famille est considérée non pas comme cause de la maladie, mais avec des capacités à s’adapter et organiser autour d’une maladie potentiellement mortelle. Le trouble du comportement alimentaire est hors contrôle du patient, mais le patient a la responsabilité de reprendre le contrôle de sa vie. Les proches sont invités à être soutenant afin de redonner la responsabilité de sa vie au patient. Au lieu de rechercher un problème familial à réparer, il s’agit de construire un partenariat solide. Les soins ont évolué de la « parentectomie » vers l’implication des proches comme partenaires de soins (p.ex. Locke & Le Grange, 2002). Dans notre expérience clinique, il n’existe pas une seule description, une seule typologie de famille avec patient présentant un trouble alimentaire. Et réduire le patient uniquement à l’expression d’un dysfonctionnement de la famille serait aussi lui enlever son individualité, son originalité, voire le déposséder de son destin. À l’hôpital de jour, notre prise en charge sur le modèle de la communauté thérapeutique offre des soins au patient, et dans ce contexte propose aussi des espaces pour les proches et les familles, sans pour autant être un lieu de thérapie familiale. Les espaces proposés ainsi aux familles passent de l’entretien de famille individuel au 130 groupe multi-familles. Ainsi le travail avec les familles, notamment les entretiens de famille, aide les familles à trouver un espace de parole autour de la difficulté qui peut être la leur, à exister, à s’adapter et à se développer dans ce contexte de maladie du proche. LE GROUPE MULTI-FAMILLES Le groupe multi-familles proposé aux proches et aux patients suivis à ESCAL se veut transversal, incluant ainsi les suivis à l’hôpital de jour et à la Consultation. Il s’agit d’un groupe ouvert à fréquence mensuelle. Chaque patient peut nommer ses proches, qui recevront un courrier d’invitation adressé par l’équipe soignante. Toute l’équipe participe au groupe. La proposition d’un groupe multifamilial n’est pas spécifique à la problématique des troubles alimentaires. Les premières expériences de groupe multifamilles décrites dans le but de créer une communauté soignante reviennent à Laqueur, qui dès les années 1960, a exploré l’intérêt de ces approches dans le traitement des troubles psychiques tels que la schizophrénie (Cook-Darzens, 2007a). Le groupe multi-familles favorise un échange d’idées et d’informations avec d’autres familles, est une source d’informations, mais aussi un soutien, et facilite ainsi une ouverture à d’autres modes d’adaptation avec la maladie. Il combine les approches psycho-éducatives, de thérapie familiale et de thérapie de groupe dont il s’inspire (Cook-Darzens, 2007b). Il vise ainsi un double but : améliorer les pratiques institutionnelles et lutter contre l’isolement du patient en favorisant ainsi la communication inter- et intra-familiale. Les familles peuvent aussi, à travers ce groupe, se sentir soulagées, se sentir comprises, après s’être senties rejetées ou incomprises. Le fardeau imposé par la maladie de chaque patient semble ainsi divisé par le nombre de participants, et non pas multiplié par le nombre de patients dans le groupe. La validation des compétences des familles en tant que famille et l’expression de leurs souffrances sont des conditions propices à l’installation d’une atmosphère permettant la mobilisation des ressources des uns et des autres. Les thérapies multifamiliales aident les familles à tolérer les comportements perturbés du patient, réduisent le sentiment de stigmatisation du patient associé aux soins, mettent en lumière des interdépendances pathogènes et introduisent une communication plus efficace au sein de l’équipe (Garcia Badaracco, 1999). CONCLUSION Dans les troubles du comportement alimentaire, plusieurs auteurs ont écrit sur la famille, chacun mettant en avant l’importance de cette dernière. Importance qui n’est plus à démontrer si l’on considère que l’alimentation est l’un des vecteurs des relations interpersonnelles. Ainsi, une perturbation autour du lien à l’alimentation va nécessairement avoir un retentissement sur les relations et, pour certains auteurs, ces relations interpersonnelles vont à leur tour déterminer en quelque sorte cette alimentation. Plusieurs auteurs s’accordent à dire que ce n’est pas tel ou tel aspect du comportement au sein du groupe familial qui est responsable d’une évolution saine ou anormale, mais plutôt les interactions dynamiques entre les membres d’une famille et les rôles qu’ils sont amenés à jouer l’un vis-à-vis de l’autre (Bruch, 1994). La prise en charge des troubles du comportement alimentaire dans notre hôpital de jour ESCAL, propose des soins en groupe et en individuel sur le modèle de la communauté thérapeutique. Ce travail intensif en ambulatoire permet ainsi d’aborder les difficultés du patient dans son environnement et d’être au cœur des difficultés du patient qui, souvent, peuvent être masquées ou difficilement approchées lors d’un séjour hospitalier. Il permet ainsi au patient de développer les ressources face aux difficultés liées à sa problématique, et d’expérimenter ainsi à l’hôpital de jour, dans un environnement thérapeutique les modalités relationnelles qui peuvent être appliqués à l’extérieur. BIBLIOGRAPHIE 1. BIROT E., CHABERT C., JEAMMET P., Soigner l’anorexie et la boulimie : Des psychanalystes à l’hôpital. 1ère éd., Paris, Presses universitaires de FRANCE, 2006, 237 p. 2. BRUCH H., Les yeux et le ventre : l’obèse, l’anorexique, Paris, Payot, 1994, 444 p. 3. COOK-DARZENS S., Les premiers développements de la thérapie multifamiliale, Relations, 2007, pp.19-32 4. COOK-DARZENS S., La situation actuelle : familles multiples, réalités multiples, Relations, 2007, pp. 33-56 5. GARCIA BADARACCO J. E., La communauté thérapeutique psychanalytique à structure multifamiliale, Paris, PUF, 1999, 371 p. 6. HILLMAN J., Le code caché de votre destin, Paris, Robert Laffont, 1996, 350 p. 7. JONES M., Au-delà de la communauté thérapeutique, Villeurbanne, Simep éditions, 1972, 147 p. 8. LOCK J., LE GRANGE D., Treatment manual for anorexia nervosa: a family-based approach. New York: Guildford Publications, 2002, 270 p. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 SYNTHÈSE DU COLLOQUE Centre Hospitalier Universitaire Vaudois Département de Psychiatrie SUPEA Rue de Bugnon 23 A 1011 LAUSANNE SUISSE [email protected] C’est à moi que revient la tâche complexe de nouer la gerbe de ce XLème colloque des Hôpital de jour. Et c’est pour cela que certains m’ont vu passer plus ou moins brièvement dans les ateliers de cette journée. Je tiens à remercier le comité d’organisation de Brest et en particulier, les Drs. Maria Squillante, Jean-Yves Cozic et Jacques Cirolo pour cet argument si intéressant qui a permis des réflexions passionnantes. Et je remercie aussi tout le reste de l’équipe qui a magnifiquement organisé ce colloque. Ces colloques annuels n’existeraient pas si une équipe de passionnés ne travaillait années après années pour continuer de faire vivre ces moments de réflexion et d’échange dans une atmosphère faite de rigueur et d’ouverture : mes remerciements vont donc également au comité scientifique du Groupement. Je vais tout d’abord relever un élément central de ces colloques du Groupement des hôpitaux de jour : Le travail y est partagé entre deux types de savoirs : d’une part les conférences plénières, construites par des experts, une transmission de savoir très construite, à la recherche d’un niveau méta, avec un excellent niveau de théorisation. Ce niveau nous est à tous absolument nécessaire pour penser, nous nourrir de concepts riches, nouveaux, réorganisés, correspondant à l’époque. Et il y a aussi les ateliers : 24 ateliers, 24 équipes qui se sont mises au travail depuis des mois pour penser les pratiques, les décrire, les lier à la théorie et cela en plus du travail quotidien. Et dans ces ateliers, ce qui est décrit, ce sont les pratiques réelles, j’insiste sur ce terme et ce n’est pas souvent que l’on essaie de décrire le quotidien… Ces pratiques réelles sont bien différentes des pratiques prescrites : mais prescrites par qui ? Par nos parlements et administrations au travers de multitudes de lois et règlements ? Par les juristes qui établissent des règlements de bonnes pratiques, souvent impraticables, mais qui couvrent juridiquement l’institution en cas de problème ? Par les responsables des services Bernard HUNZIKER Psychologue qui cherchent à améliorer les pratiques… ou à les rendre moins couteuses ? Par les praticiens et cadres qui tentent de définir les bonnes pratiques et de les figer dans des règles à appliquer ? Elles sont aussi différentes des pratiques idéales, troisième forme après les pratiques réelles et pratiques prescrites : elles sont une forme surmoïque, parfois culpabilisante, que nous portons en nous et qui nous dicte quel idéal nous devrions atteindre, idéal souvent très élevé, trop élevé, paralysant, impossible. Ce colloque, avec ces ateliers qui parlent des pratiques réelles, permet d’aborder en sécurité, j’insiste sur ce mot et j’espère que ça a été le cas, d’aborder en sécurité une réflexion sur nos pratiques réelles avec leurs décalages par rapport aux théories, aux pratiques prescrites et aux pratiques idéales. Les pratiques des soins en hôpital de jour que vous avez présenté sont des créations, des créations qui ont tenu compte des buts de nos institutions, du réel des moyens mis à disposition et des personnalités des collègues qui y travaillent comme nous l’a magnifiquement montré le Pr Raynaud dans sa conférence, mais aussi par le réseau d’envoyeur qui nous situe autrement que ce que nous nous étions représenté l’institution à laquelle nous participons. Ces pratiques sont aussi et surtout cocréées par les patients que nous accueillons, ces patients qui transforment nos projets de soins par leur personnalité, par leur complexité, par leurs besoins, par le réel de leur vie. Le progrès, l’adaptation aux changements proviennent parfois du réel des pratiques, parfois de la théorisation. Ces colloques, en réunissant les deux approches, créent un niveau scientifique élevé entre théories et pratiques. La question de la place de la famille dans notre société, dans toutes les sociétés est un sujet des plus complexes. L’individu n’existe-t-il par et pour lui-même ? Ou ne prend-il sa place que dans sa famille, son clan, son environnement ? Cette question doit être abordée en psychiatrie, dans nos pratiques d’Hôpital de Jour, et ce d’autant plus que c’est justement la construction de l’individu dans son environnement qui pose question dans les pathologies qui émergent. Et qui nous permet de relire d’une autre manière ce rapport si particulier d’être soi par le lien aux autres. C’est dans ce sens que le thème du travail avec les familles en hôpital de jour doit être repris à chaque époque, à chaque évolution culturelle pour le resituer dans sa place actuelle : qu’attribue-t-on respectivement à l’individu, à sa famille ou encore à l’époque ? A ce titre-là, je voudrais citer le livre du sociologue Alain Ehrenberg qui a écrit il y a plus de 10 ans « La fatigue d’être soi ». Il aborde la problématique d’une nouvelle définition culturelle de l’individu qui émerge en occident sous deux aspects que sont l’autonomie et la responsabilité. Thème repris dans l’un des ateliers ce matin. Ce changement de paradigme de ce qu’est l’Homme contemporain ne modifie pas seulement en profondeur les liens que nous avons avec les patients mais également la forme des pathologies qui émergent actuellement. Vous me permettrez, j’espère, un moment de théorisation pour vous décrire le référentiel duquel je vais me situer pour commenter certains aspects ayant émergés au cours de ce colloque : petit détour par l’inconscient, l’ethnopsychiatrie et la sociologie. Nous avons tous un sentiment d’exister par nous-mêmes, nous avons une représentation de nous-mêmes complète et l’impression de pouvoir décider de passablement de choses dans notre vie. Mais cette impression a au moins deux limites : d’une part notre inconscient, personnel ou familial, transgénérationnel, etc. dont nous savons tous les effets qu’il peut avoir sur notre vie. Nous en repérons certains éléments grâce à notre travail sur nous-mêmes et parfois dans le cadre de supervisions. Mais il y a aussi tout ce qui nous détermine dans la culture : la représentation de nous-mêmes, comme individu, est très marquée par l’époque et le contexte. Pensez à ce qu’aurait pu être la représentation que vous auriez de vous à une autre époque ou dans un autre environnement culturel ! Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 131 Le travail avec les familles en hôpital de jour Et c’est en tenant compte ces deux axes, l’inconscient dans sa version classique et du non conscient culturel, que je vais donc vous proposer maintenant quelques points qui m’ont marqué. Je ne reprendrai pas le contenu des conférences ni des ateliers que vous avez tous pu suivre. Je vais plutôt tenter d’en tirer quelques fils rouges, de relever certaines pointes qui sont peut-être des pistes de réflexions ou encore des points dont l’absence m’a frappé. Je ne saurais, hélas, rendre hommage à toutes les idées, créations, concepts que vous avez eu l’occasion d’exprimer, ces éléments seront dans la revue de ce colloque. Tout d’abord sur le changement d’ambiance de ce colloque de Brest avec le premier colloque de Lausanne en 1983 qui portait également sur la question des familles et dont nous a parlé en introduction le Dr Alary : cette fois la guerre des modèles autour des familles n’a pas eu lieu ! Elle a fait place à une nouvelle forme d’articulation : psychodynamique et systémique sont devenus complémentaires, mutuellement enrichissant sans avoir besoin de passes d’armes ; ces deux modèles se sont mutuellement enrichis et cela permet une collaboration riche. Le modèle TCC existe, il cohabite dans un certain nombre d’Hôpitaux de Jour ; il semble apporter des réponses thérapeutiques intéressantes pour les patients et les équipes même si le vocabulaire commun, la complémentarité n’est pas encore bien articulée : il coexiste. Les professionnels paraissent bien ancrés dans leur modèle respectif et peuvent dès lors dialoguer avec les tenants d’autres modèles sans risquer une trahison ou ne viser qu’une OPA inamicale pour prendre une image de la haute finance. Je relève une tendance de fond dans ce colloque : l’augmentation des pratiques objectivantes, informations aux familles dont un membre souffre d’un trouble psychotique, guidance parentale, échelle d’évaluation, sondage auprès des familles et des collègues, consultation pour proches aidants et j’en passe. Cette tendance propose de l’aide aux familles en partageant un savoir. Ces pratiques variées n’empêchent visiblement pas ceux qui les pratiquent d’offrir en parallèle des psychothérapies familiales analytiques ou systémiques alors que ces dernières représentaient l’offre principale aux patients il y a encore peu de temps. Oui, en Hôpital de jour, nous sommes pluridisciplinaires, nous travaillons avec nos patients sur plusieurs approches pour tenter de faire avec le tout. Mais il manque souvent la dimension du temps : 132 avant son arrivée, le patient a vécu des liens avec d’autres professionnels, bons ou mauvais, a bénéficié de soins variés, adaptés ou non à leurs besoins. C’est la Dresse Duc Marwood qui nous a proposé de mieux écouter cette histoire contée par les patients. Et ainsi de nous éviter de tomber dans les mêmes pièges que d’autres collègues avant nous avec ce patient ou cette famille. Pire encore : nous risquons d’interpréter comme pathologique une attitude ou un comportement qui a été proposé par un autre professionnel si nous n’avons pas questionné patient et famille sur l’histoire telle qu’ils la racontent. Et quitte à ne pas être politiquement correct, nous savons tous que n’offrons pas toujours des réponses adéquates à nos patients, ceci en relation entre autre avec la complexité des institutions et les différentes crises qu’elles traversent. La variété des champs de travail avec la famille : impressionnant ! Au fil des conférences et des ateliers, j’ai entendu une série de termes que je vais tenter de classer dans une hiérarchie progressive : rencontrer, informer, guider, s’entretenir, accompagner, famille comme cothérapeute, famille en psychothérapie, et bien d’autres. Les équipes d’Hôpital de jour offrent souvent des prestations à plusieurs de ces niveaux soit dans le même temps soit successivement. Et j’ai admiré les efforts de tous pour ne pas aligner ces prestations mais bien les articuler entre elles. Et les efforts pour que patients et familles profitent de ces différentiations d’espaces. La question de l’identification projective en lien avec famille et équipes, brillamment expliquée déjà en conférence plénière par le Professeur Malchair au travers d’un cas clinique. Reprise ensuite dans quelques ateliers qui ont pu décrire ses effets et les moyens de dépasser les blocages qu’elle engendrait : oui, nous sommes toujours soumis à ce mécanisme complexe aux effets parfois douloureux, et nous le rappeler était nécessaire mais nous avons aussi entendu en filigrane que ce mécanisme universel est également à l’œuvre chez les professionnels et les équipes qui peuvent parfois annexer ou expulser des parties d’eux-mêmes dans les patients afin de protéger leur identité de “bon” thérapeute ou de “bonne” équipe. Certes, la supervision devrait aider à révéler ces mécanismes mais y faisons-nous suffisamment attention ? Une autre réflexion qui a émergé au cours de ce colloque : comment intégrer le droit, les juridictions qui modifient les droits et devoirs des patients, des familles et les nôtres et qui sont en évolution à la fois importante et rapide ? Notre ami Jean-Yves Cozic en a parlé lors de l’ouverture de ce colloque. Ce droit va vers une plus grande autonomie et responsabilité du patient et / ou de ses proches et cela dans nos 3 pays. Les patients et les familles devraient pourvoir être plus actif dans le choix de leur traitement grâce à un « consentement éclairé ». Mais qu’est-ce qu’un consentement éclairé lorsqu’on souffre d’une maladie psychique ? La maladie psychiatrique réduit-elle la capacité de décider ? Et si oui de combien ? Qu’est-ce qu’un consentement éclairé dans une famille ellemême dysfonctionnelle ? Quelles en sont les limites ? Et qui déciderait de ces limites ? Et si les informations sur les traitements viennent de forum sur internet ? Cette question était au travail dans plusieurs équipes et visiblement un travail plus partenarial s’installe progressivement dans nos Hôpitaux de Jour avec d’importants succès. Dernier fil rouge que je vais relever ici : les changements importants dans les formes sociales des familles dans nos pays. La famille adoptive elle, est bien connue, mais toujours aussi complexe ; la famille monoparentale, très classique mais dont les conséquences ne sont pas toujours relevées : très souvent des femmes, avec un fort risque de paupérisation, des difficultés parfois à reconstruire un couple, etc. La famille recomposée, un classique : mais le travail est tendu entre les pôles du droit, qui va vers la filiation du sang et celui du lien, qui va vers les attachements aux nouveaux beaux-parents, demi-frères ou demi-sœurs, voir pas même demi, avec qui la vie se fait au quotidien. Les familles migrantes dont les particularités sont non seulement culturelles mais proviennent également des adaptations de leur organisation dans nos pays, et qui nous laissent souvent démunis. Les familles d’accueil qui offrent souvent un fort investissement pas toujours simple mais jamais reconnu en termes de droit. Familles homoparentales dont le débat fait rage au niveau politique et nous surprend lorsqu’il apparaît dans la clinique. Tous ces thèmes sont au travail dans nos Hôpitaux de Jour. Nous inventons des pratiques au plus proche de nos patients et de leur situation réelle toujours en évolution. Ces pratiques s’étayent sur les théories, et ces théories se renouvellent sur les pratiques inventives proposées. Ce colloque est certainement un pas de plus vers des ajustements ou des révolutions en marche concernant les familles en Hôpital de jour. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Il manquait quelques pages pour l’imprimeur… L’occasion de revisiter un texte traitant d’anorexie et d’anorexiques, de familles, aussi… « LE DIEU QU’ON NOMME LIBERTÉ » ANOREXIES ET ADDICTIONS Centre Hospitalier des Pyrénées BP 1504 29, avenue du Général Leclerc 64039 Pau cedex France [email protected] Docteur Patrick ALARY Psychiatre hospitalier Un regard onirique sur l’œuvre d’Ibn Sina, Avicenne, mène l’auteur dans les méandres de l’anorexie mentale dans ses dimensions addictives, biologiques, environnementales, passionnelles, mystiques et familiales. Anorexies et anorexiques se croisent dans le rêve, l’ascèse, l’extase, le refus du besoin, le père idéal, Dieu, souvent, le pouvoir, la lutte contre l’esclavage du besoin, la jouissance et la mort. Dans la quête du soulagement d’un désir en souffrance, d’un corps enfin réinvesti par les pulsions. Mots-clefs : Avicenne, anorexie mentale, addiction, passion, mystique, ascèse, extase, mort, désir, corps, jouissance “The god we called freedom” Anorexia and addictions A dreamlike reflection on Ibn Sina’s work, Avicenna, leads the author through the maze of anorexia nervosa in biological, addictive, environmental, passionate, mystical and familial dimensions. Anorexia and anorexics intersect in dream, asceticism, ecstasy, denial of need, perfect father, God often, power, fight against slavery need, pleasure and death. In the quest for relief from a desire suffering, body finally reinvested by the impulses. Keywords: Avicenna, anorexia, addiction, passion, mysticism, asceticism, ecstasy, death, desire, body, pleasure INTRODUCTION Aristote, au début de ses Topiques, explique qu’il faut suivre les plus sages et, parmi les plus sages, les plus illustres. Avicenne, admirateur d’Aristote, traducteur d’Hippocrate et de Galien, est un parfait exemple de cette sagesse mêlant universalité des connaissances et qualité des écrits. Il a marqué l’histoire de la science et de la philosophie et son “Canon”, manuel de référence de la médecine, a fait autorité dans les universités d’Orient aussi bien que d’Occident jusqu’au XVIIème siècle. Il faudra attendre que Léonard de Vinci en rejette l’anatomie et que Paracelse le brûle pour que l’aura de l’œuvre diminue. Avicenne, Abu ‘Ali al-Husayn Ibn Abd Allah Ibn Sina dit Ibn Sinna, est un médecin philosophe et mystique araboislamique. Il vécut en Perse de l’an 980 à 1037 et il est l’un des premiers à décrire l’anorexie mentale telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pour mesurer l’apport d’Avicenne à l’histoire des sciences médicales, et avant de revenir à l’anorexie, il faut préciser que le Canon de la Médecine ne se limite aucunement à une compilation de prescriptions et de recettes. A cette époque, la division du savoir est loin d’être achevée. « La séparation introduite à l’époque moderne entre théologie, philosophie, sciences exactes, sciences de la nature, est absente de l’univers intellectuel de l’homme médiéval », rappellent Danielle Jacquart et Françoise Micheau (1), dans leur ouvrage consacré à la réception de la médecine arabe dans l’occident médiéval. Véritable encyclopédie médicale en cinq Livres, al-Qanun fi al-Tibb, le Canon, emprunte à ses prédécesseurs mais le contenu hippocratique et galénique repris par Avicenne est encadré dans un horizon proprement philosophique : « L’intérêt, voire la nouveauté, de cette encyclopédie est à chercher dans l’effort pour penser la médecine comme science rationnelle, recourir constamment aux règles de la logique, appliquer systématiquement les principes que le philosophe a posés ailleurs ». Avicenne se démarque dans les domaines de l’ophtalmologie, de la gynéco-obstétrique et de la psychologie. Comme les médecins qui l’ont précédé1, il s’attache beaucoup à la systématisation dans la description des pathologies, décrivant toutes les maladies répertoriées à l’époque, y compris celles relevant de la psychiatrie. On relève à cette époque une préoccupation pour les causes, le travail de recherche sur les maladies s’attache à l’explication des phénomènes, la création 1 860 : Abou al-Hassan Ali Ibn Sahl Rabban alTabari qui écrit Firdous al-Hikmah (Paradis de la Sagesse) et prône la psychothérapie. Al Razi (865-925), adepte de la médecine scientifique basée sur les faits et d’une médecine hospitalière associant clinique scientifique, formation universitaire et souci de santé publique. d’Ecoles de médecine et d’hôpitaux2, une évaluation des compétences des médecins et des infirmières, l’utilisation de personnel féminin “laïque”, infirmières et médecins y compris étrangers, chrétiens, juifs et autres minorités au nom d’une “éthique” qui impose également de traiter les patients de toutes les religions, de toutes les ethnies. Pour Ibn-Sina, la médecine est préventive avant d’être curative. Elle s’attache à la diététique, l’hygiène et la prophylaxie tiennent une place importante : choisir une alimentation mesurée, s’assurer l’évacuation des excréments, maintenir la pureté de l’air respiré et de l’eau bue, se préserver des infections, éviter les excès en matière de veille et de sommeil, pratiquer la culture physique, préférer un habitat aéré et ensoleillé, mener une vie sexuelle équilibrée. Il insiste sur l’importance des relations humaines dans la conservation d’une bonne santé mentale et somatique : l’art médical devient art de bien vivre, et même art d’aimer, nous y reviendrons. Enfin, s’appuyant sur les recherches du chimiste Geber Ibn Ayan, il utilise de nombreuses préparations, dont certaines figurent encore dans nos pharmacopées, pour soigner les maladies nerveuses et mentales (aconit, jusquiame, pavot…) (2). LE RÊVE, SON INTERPRÉTATION ET LA “POTION MAGIQUE” Cette maladie s’appelle l’amour… Les nombreuses découvertes médicales d’Avicenne valent à elles seules sa renommée millénaire. Mais il y a beaucoup plus. Avicenne a non seulement compilé et classé des traitements et des médicaments, mais il a aussi expérimenté une manière de soigner qui répond à une logique dont tous les aspects n’ont pas encore été mis à contribution. Ses deux ouvrages encyclopédiques, le Qânûn et le Shifâ’, constituent deux énormes corpus dont la notoriété conjuguée n’a peut-être pas d’équivalent dans l’histoire des idées. Avicenne nous sert encore à guérir mais surtout à réfléchir sur l’acte médical, sur 2 modèles pour l’Europe après les Croisades (Quinze-Vingts, Paris, 1254, Saint Louis). Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 133 Le travail avec les familles en hôpital de jour la santé et sur le processus de guérison. « La médecine est l’art de conserver la santé et, éventuellement, de guérir la maladie survenue dans le corps ». Comment Avicenne aborde-t-il l’anorexie ?... Rêvons (3)… À Ispahan, la fille du Sultan se languit. Elle est faible, pâle, communique peu et ne parle pas. Son père s’inquiète et craint de la perdre. Ibn Sina est réputé, on lui demande conseil. Il s’assied auprès de la jeune alitée, longtemps silencieuse. Puis elle parle et Avicenne comprend que sa langueur est due à un chagrin. L’anorexie, pour lui, entre dans le cadre d’une dépression. Elle ne s’aime plus, n’aime plus son corps, ne sait plus comment le percevoir, comment le réinvestir, l’habiter. Plus de représentation, plus de pulsion, plus de sensation. Le vide. Dans la quête homéostatique, la jouissance n’est jamais loin de la pulsion de mort. L’addiction joue un rôle de pareexcitation, crée l’illusion du contrôle de la relation à l’autre, à soi, l’illusion de sa propre existence apaisée des tensions pulsionnelles et libidinales. Devant ce mal, il a volontiers recours à la thériaque d’Andromaque l’Ancien, à base de baies de laurier et comprenant trois autres ingrédients ainsi que du miel, ou celle d’Andromaque le Jeune, perfectionnée par Galien, composée de 76 drogues et présentant 91 indications thérapeutiques. La principale innovation attribuée à Andromaque le Jeune est l’introduction de la chair de vipère, dont ce médecin avait remarqué de manière fortuite l’efficacité comme contrepoison. Il la conseillait également pour améliorer la perception sensuelle, la clarté d’esprit, stimuler l’appétit, faciliter la respiration, diminuer l’intensité des palpitations, arrêter les hémorragies et faciliter le travail des reins et de la vessie, aider à la dissolution des calculs rénaux et biliaires, prévenir l’apparition des ulcères... Alors qu’on était en bonne santé, pour Avicenne, la prise régulière de thériaque d’Andromaque annulait l’efficience des poisons, aidait à protéger des maladies et des épidémies. Pendant des siècles, la thériaque d’Andromaque a été utilisée dans bien des indications, anorexie, nausées, aigreurs, gastrites, crampes et douleurs d’estomac, flatulences et constipations, colopathies fonctionnelles. Réputée comme véritable antipoison, elle a aidé à l’élimination des toxines, des métaux lourds et de tous agents nocifs. On l’a aussi utilisée pour la mémoire et les migraines en compresses sur la tête et les vertèbres cervicales, pour les troubles de la vue en compresses sur les yeux fermés, en cas de rhumatisme, de 134 goutte et de sciatique, sur les brûlures légères et les bosses en cas de choc, sur les corps aux pieds, en cas d’anémie, de mauvaise circulation, d’insomnie, mélancolies et dépressions, d’ivresse et, bien sûr, comme fortifiant... Polysémies des indications, comme les modernes psychotropes… Mais, pour la fille du Sultan, la thériaque ne suffit pas. Avicenne lui fait raconter ses rêves, lui en révèle la signification et, alors, la potion d’Andromaque fait merveille... « Elle souffre d’une maladie aussi sacrée que la science que je pratique. Elle frappe sans discrimination princes et mendiants, adolescents et vieillards... Cette maladie s’appelle l’amour... » Science, éthique, scientisme Dès le début du XIXème siècle, François Magendie, le maître de Claude Bernard, préconisait la subversion de la médecine hippocratique par le discours scientifique. Cette mutation du discours médical a permis de prodigieuses avancées dans les champs de la physiologie et de la biologie de l’homme malade. « Il n’en reste pas moins que le dire du sujet en souffrance s’y trouve réduit au signe clinique objectif et son symptôme abstrait de la parole singulière et l’histoire particulière où il s’est structuré » (4). Cette évolution n’est pas sans poser de nouvelles questions, éthiques notamment. Il y a peu, le médecin tenait son prestige incontesté de la pratique de son art clinique, alors que le rôle des machines à capter le savoir de l’organisme était secondaire. Le rapport de force s’est inversé. Mais la machine fait-elle moins mourir que le médecin ? Le scientisme rode, renforçant les impasses de la civilisation contemporaine, car il rejette la singularité. La « science médicale est plus vulnérable aux idiosyncrasies, aux opinions personnelles non universalisables… Nous devons faire attention à l’impact des idéologies, de la foi et des croyances qui déterminent largement l’attitude de chaque individu face à la maladie, sa compréhension de la “santé” et d’une “normalité” souhaitable ». (5) Au nom d’une scientificité sans cesse accrue (4), « le savoir médical s’est progressivement déplacé du macrocosme vers l’exploration du microcosme. [… ] Parallèlement, on observe une évolution dans la langue telle que l’abandon progressif des éponymies et des métaphores dans la dénomination des pathologies, des techniques et des instruments, au profit d’une terminologie précise, concise et fine à l’image de cette médecine du troisième millénaire. Ainsi, les maladies émergentes sont à présent appelées par le nom de leur agent pathogène. » ADDICTIONS On appelle conduites addictives (en français l’assuétude) un ensemble de conduites de dépendance. Le terme addiction est d’étymologie latine, ad-dicere “dire à”, et exprime une appartenance en terme d’esclavage. Au Moyen Âge, être ad dicté, c’était être l’objet d’une ordonnance d’un tribunal obligeant le débiteur qui ne pouvait rembourser sa dette à payer son créancier par son travail. Le terme va revenir par les anglo-saxons. Initialement, l’addiction est un acte de soumission, d’un apprenti à son maître et, peu à peu, la dépendance à des passions moralement répréhensibles. Aujourd’hui, dans le langage courant, être addicté, c’est être “accro”, comme sous l’emprise d’une drogue. Les troubles du comportement alimentaire s’inscrivent-ils dans cette logique ? Sachant que des drogues comme la cocaïne, les amphétamines ou l’ecstasy réduisent ou coupent l’appétit de ceux qui les consomment, des chercheurs du CNRS3 et de l’Inserm ont comparé les circuits neuronaux impliqués dans l’action de ces drogues avec ceux de l’anorexie. Valérie Compan (CNRS, Montpellier) et ses collègues (6) soupçonnent l’anorexie de passer par les mêmes circuits de la récompense que les drogues. Longtemps, on a pensé que l’hypothalamus était responsable de l’anorexie. Désormais on sait que, au cœur du noyau accumbens, l’une des régions de notre cerveau, se trouvent un grand nombre de récepteurs à la sérotonine, un neurotransmetteur délivré en plus grande quantité lors de la prise de produits psychostimulants (cocaïne, amphétamines, ecstasy, etc). Valérie Compan constaté que l’activation des récepteurs à la sérotonine 5-HT4 chez les souris entraînait une baisse de leur appétit et la production importante d’un peptide, le CART (Cocaine and Amphetamine Regulated Transcript). Lorsque les chercheurs ont augmenté les taux de CART chez les souris, elles ont boudé leur repas. A l’inverse lorsqu’ils ont bloqué l’action du peptide elles ont mangé davantage. L’équipe de Valérie Compan a ensuite créé des souris privées des récepteurs 5-HT4 et a observé qu’elles n’étaient plus sensibles à l’effet coupe-faim de l’ecstasy, montrant que ces récepteurs étaient importants dans la régulation de l’appétit liée à la prise de drogue. 3 Centre national de la recherche scientifique Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 « Le Dieu qu’on nomme liberté » : anorexies et additions Des taux élevés du peptide CART ont été détectés par plusieurs études chez des consommateurs de psychostimulants et au moins par une étude chez des femmes atteintes d’anorexie. Les chercheurs suggèrent que l’anorexie pourrait déclencher un processus de récompense similaire à la drogue, créant une addiction à cette dangereuse spirale de privation. Les récepteurs 5-HT4 pourraient offrir une nouvelle cible d’attaque pour traiter cette maladie. Une autre piste est celle du cortex orbitofrontal dont l’activité cérébrale des anorexiques, face à un plat appétissant, diffère à la fois de celle de personnes normales et de celle des personnes obèses. Chez les anorexiques, elle est hyperactive, chez les obèses, elle est hypoactive (7). Or, le cortex orbito-frontal fait partie d’un circuit neuronal activé par le plaisir, notamment alimentaire. Au sein de ce circuit, son rôle est généralement d’aider la personne à maîtriser son comportement dans la perspective d’un plaisir intense. Les anorexiques, dont le cortex orbito-frontal est hyperactif, seraient dans une posture de contrôle strict face à la tentation. Un autre point de vue concerne les modifications du système de récompense qui pourraient entraîner une incapacité générale à éprouver le contentement lié aux plaisirs simples de la vie, comme la nourriture, ou l’activité sexuelle En ce sens, l’anorexie présenterait certains traits communs avec les dépendances aux drogues mais avec une différence notable, c’est l’absence de nourriture qui agirait comme une drogue addictive pour ces personne, une addiction à la faim en quelque sorte. Selon le Pr Michel Reynaud, « toutes les addictions sont une dérégulation de mécanismes naturels de prise de plaisir et de contrôle de la souffrance », sachant que « les plaisirs naturels peuvent devenir excessifs et se transformer alors en anorexie-boulimie, addiction sexuelle, jeu pathologique ou encore achat maniaque » (8). Il souligne que « les addictions aux produits correspondent à une dérégulation brutale de ces mécanismes de gestion des plaisirs et des émotions par la dépendance à l’alcool, au tabac, au cannabis. Le mécanisme de l’addiction est la recherche du plaisir et l’irruption de la souffrance si l’objet de l’addiction quel qu’il soit vient à manquer. Il est normal de prendre du plaisir mais les plus vulnérables (…) risquent d’être dépassés, de perdre le contrôle, sachant que le plaisir devient une addiction quand la source de plaisir devient le principal objet de motivation et que la vie ne finit par ne tourner qu’autour de cela. Les mécanismes sont assez bien établis, les situations agréables, stimulant la production de neuro-hormones qui font cracher de la dopamine, l’hormone du plaisir par excellence ». Quand on arrête une addiction, la vie est triste. Cela conduit parfois au suicide. ANOREXIES Le Dr Richard Morton donne, en 1689, la première définition médicale de l’anorexie. Il s’agit d’une forme de dépérissement physique d’origine nerveuse. C’est seulement à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle que le terme d’anorexie acquiert le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. Deux médecins (l’un français, Lasègue, l’autre anglais, Gull) donnent, dans les années 1870, les deux premières descriptions cliniques de cas d’anorexie, descriptions qui sont encore aujourd’hui d’actualité. Mais, même s’ils conçoivent l’anorexie comme un trouble d’origine psychique, la médecine la considérera et le traitera pendant des années plutôt comme un problème physique (insuffisance hypophysaire, notamment). Charcot, en 1885, proposera l’isolement dans un but thérapeutique. Janet en 1903 classera l’anorexie mentale dans les troubles de l’alimentation d’origine névropathique. Aujourd’hui, l’anorexie est regardée comme une pathologie multifactorielle ce qui n’en facilite ni la compréhension ni la prise en charge. Elle dépend de facteurs génétiques et psychologiques, interagissant avec des facteurs environnementaux, familiaux et socio-culturels. Ainsi, si l’on sait que des gênes sont concernés, il n’est pas aisé de les déterminer avec précision. Une région du chromosome 1 (9) ? Mais, selon Klump et al. (10), les caractéristiques génétiques ne sont responsables que de 50% de la susceptibilité d’une personne à l’anorexie… Ascèses Au Moyen Âge, l’anorexie est vécue comme une ascèse de la jeune fille pour nombre de mystiques et des réformatrices de l’Église. Catherine de Sienne, Véronique Giuliani, Sainte Thérèse d’Avila et ses extases mystiques et Marguerite de Crotone sont les plus connues (11). Comme l’anorexique du XXème siècle qui comptabilise chaque calorie ingérée, la recherche éperdue de la minceur entre dans une démarche de jeûne qui vise à se libérer d’une famille et d’une société patriarcale. Il s’agit pour les anorexiques de conquérir leur autonomie en fonction de critères idéaux définis par leurs cultures : la minceur et la fermeté pour la première, la pureté spirituelle pour la seconde. Au moment de sa conversion, Marguerite de Crotone décide d’offrir son corps en sacrifice à Dieu. Elle se flagelle à l’aide d’une corde nouée, se donne des gifles et des coups, s’abstient d’abord de viande, ne se sert bientôt plus que d’un peu d’huile d’olive pour tout condiment, ne consomme ni œufs ni fromages... Elle se concentre sur la méditation et le travail et non sur la nourriture. Parfois, œuvre du diable, elle se sent réellement faible et affamée. Une fois, elle céda aux figues mais sentit rapidement le poids de son péché et ne pût prier de la nuit. Dieu alors l’autorisa à suivre un régime plus riche à condition qu’elle perde complètement le sens du goût. Bientôt, la nourriture eût un goût de terre et elle fût incapable de manger, répétant sa confession générale chaque huitaine. « Cher Père, comme il ne doit jamais y avoir de trêve entre mon âme et mon corps, je suis décidée à ne pas épargner ce dernier ; laissez-moi le déchirer, le mater jusqu’au dernier moment de ma vie où je me verrai enfin séparée de lui... Ô mon corps, pourquoi ne m’aides-tu pas à servir ton Créateur et ton rédempteur. Cesse tes lamentations, cesse de simuler la mort... » (11) Saintetés Catherine de Sienne a la volonté de maîtriser les exigences de son corps qu’elle perçoit comme une « entrave abjecte à sa sainteté ». Chez certains primitifs, on peut littéralement « être grosse », c’est-à-dire être enceinte -être sainte... être ceinte- en mangeant. C’est un fantasme infantile, comme le baiser qui féconde. Alors, à l’adolescence, les jeunes filles qui ressentent les signes biologiques et sociaux du début de la phase génitale du développement physique et psychique régressent pour retrouver le confort apparent de la phase orale d’où la reviviscence des désirs de fécondation orale, entraînant un sentiment de culpabilité, un refus de se nourrir et un amaigrissement parfois fatal, tout cela représentant le renversement des pulsions meurtrières infantiles envers la mère. (12) L’anorexique souffre d’un conflit insupportable entre la dépendance envers un besoin interne, la faim, et un objet externe, la nourriture (12). « Biberon, enfant, dégoût, si j’y pense, piqûres, l’idée que quelque chose se déverse en moi, dans ma bouche ou dans mon vagin me rend folle, intégrité me vient à l’esprit, intouchable... ce corps n’est pas obligé de porter un enfant ?... il n’a besoin ni de recevoir ni de donner »... Hilde Bruch (12) ajoute : « les anorexiques luttent contre le fait d’être réduites en esclavage, exploitées, et de ne pas mener la vie de leur choix. Elles préfèrent se priver de nourriture plutôt que Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 135 Le travail avec les familles en hôpital de jour de continuer une vie de compromis. Au cours de cette recherche aveugle de leur identité et du sentiment d’elles-mêmes, elles n’acceptent rien de ce que leurs parents ou le monde autour d’eux peuvent offrir... l’anorexique mentale authentique typique lutte pour acquérir la maîtrise d’elle-même, de son identité, devenir compétente et efficace »... Elle sera une personne, et non une fille ou une élève. Comment soutenir son identité dans une société individualiste qui élève la performance et l’efficacité au rang de culte, le narcissisme au rang de Sujet ? Restent l’image, l’identité de substitution qui évite l’autre comme dans les jeux vidéos où tout est virtuel, identité, groupe (la “guilde”), mort... ANOREXIQUES L’anorexique ne cherche pas à harceler ses parents pour qu’ils s’opposent à elle. Elle se réfugie dans le silence, la dissimulation, les secrets, le mensonge délibéré. Elle va docilement chez le docteur expliquer calmement que tout va bien, accepte non moins docilement tout ce qu’on lui demande. Elle est récompensée quand elle mange avec appétit, admet les punitions si elle en laisse trop dans son assiette. Mais, aux toilettes, elle s’enfonce les doigts dans la gorge et vomit discrètement pour ne déranger personne. Sainte Thérèse d’Avila, la mystique qui incarna la Réforme catholique, utilisait une tige d’olivier pour se faire vomir et, ainsi, recevoir l’hostie sans craindre de la rejeter. Marie Marie a vécu sa prime enfance en Bolivie. En altitude, perdre l’appétit est chose banale. Sa mère est une bonne mère, ouverte et cultivée. Son père est un coopérant ambitieux, mobile, énergique et il participe à l’élaboration des normes domestiques. Dans cette famille, on parle ouvertement de tout et on mange équilibré. Marie est une élève lumineuse, choyée par ses professeurs, mûre, aime la musique, la danse, la flûte... Mais un jour, elle renonce aux sucreries et aux graisses, préférant le céleri en branches... C’est à l’hôpital, bien plus tard, qu’elle comprendra, devant un petit pois, seul dans son assiette. Le bol y vit... Petite, là-bas, ce n’est pas sa mère, trop occupée, ou son père, très pris, qui lui donnent le biberon. Et, quand naît la petite sœur, c’est la nourrice qui alimente les bébés, et la nourrice ne mange que des féculents... Ida L’anorexie a une parenté avec les exercices spirituels de l’ascèse et du jeûne, 136 pratiques religieuses fondées sur l’exigence de purification et l’appel du sacré. Ainsi émerge la singularité d’une alliance d’emprise spéculaire entre l’anorexique et sa mère, qui semble destinée à maintenir cette dernière dans le statut d’objet absolu de la jouissance. « Ida prétendait qu’en étant maigre, elle se sentait bien. Elle prenait des laxatifs, des diurétiques, de grandes quantités d’extraits thyroïdiens. Elle avait des activités sportives intenses, natation, course à pied, tennis, escrime. Son poids avoisinait les 31 kg. Sa famille lui avait donné beaucoup d’atouts. Son seul malheur était d’avoir perdu brutalement son père à 12 ans. Mais, pour sa mère et son dévouement, Ida n’avait pas le droit de se plaindre. Elle ne pensait pas mériter tout ce qu’elle avait reçu, n’était pas digne d’avoir autant de chance dans la vie. Elle était gênée de causer tant de soucis à sa mère... » (12) L’anorexie comme passion Pour Jésus, toutes les nourritures sont pures et, selon saint Luc, au paradis, les disciples iront le rejoindre pour manger et boire à la même table. L’Eucharistie est la scène fondatrice de la chrétienté. Le sang et le corps du Christ... un trait d’union, une communion, communio, être “uni avec”… L’anorexie échappe ainsi à toute explication rationnelle. La passion amoureuse ne diffère de la passion mystique que par l’être aimé qu’elle vise, de la passion du toxicomane ou du joueur par son produit ou son objet. Chacune affiche la même indifférence à toute mesure ordinaire de préservation, la vie s’exalte à mesure de son immersion dans la mort. « La passion est cet instant suprême où la totale jouissance est de sombrer. Ce n’est pas un appauvrissement. On vit davantage, plus dangereusement, plus magnifiquement. L’approche de la mort est l’aiguillon de la sensualité. Elle aggrave, au plein sens du terme, le désir » (13). Au IVème siècle, Saint Grégoire de Nysse croit que le corps est composé de deux paires d’éléments opposés, froid et chaud, humide et sec. Le laxisme de la chair et les mortifications excessives peuvent rompre l’équilibre de ces éléments et entraver la recherche de la perfection de l’âme. Pourtant, Jésus ne demandait pas à ses disciples de jeûner et, à deux reprises dans le Nouveau Testament, il est accusé d’être glouton et de boire du vin. Lorsque ses disciples rompirent le sabbat en cueillant des épis de maïs parce qu’ils avaient faim, Jésus les défendit. Il nie formellement que la nourriture ou le fait de manger avec des mains impures aient un pouvoir contaminant. Pour lui, ce qui entre par la bouche va dans le ventre, sort dans les latrines et laisse le cœur intact... Contrairement à ce processus de “déchetisation” qui guette l’alcoolique, au narcissisme tellement malmené et déliquescent qu’il n’a plus d’identité, qu’il n’est plus rien qu’un poivrot, qu’alcoolique est son nom, un déchet, un résidu qui, lui aussi, vomit quand il en a trop pris... Dissolution de l’identité, Thanatole (14)... Comment soutenir une identité dans une société centrée sur l’individu, son narcissisme et ses performances, mesurées à l’aune d’évaluations obsessionnelles sous tendues par le mythe du risque “0”, de la performance absolue, d’un idéal du moi qui plonge le moi réel dans les affres de l’insuffisance et de l’incomplétude, archaïsme de l’humain et de l’humanité… restent les identités de substitution, virtuelles, alcoolo, toxico, cheep leader, pseudos “Meetic” ou des guildes, pour rencontrer ou appartenir, à nouveau, à un groupe de pairs… Toutes les passions finissent comme des tragédies. Bataille donna à l’érotisme les formes de l’expérience intérieure ou mystique. Cette vie, qui se jouit en se risquant aux frontières de son abolition est celle que nous reconnaissons comme mystère au cœur du projet mystique de l’anorexie. « L’approbation de la vie jusque dans la mort est un défi. L’approche de la continuité, l’ivresse de la continuité dominent la considération de la mort. Au-delà de l’ivresse ouverte à la vie juvénile, le pouvoir nous est donné d’aborder la mort en face et d’y voir enfin l’ouverture à la continuité inintelligible, inconnaissable qui est le secret de l’érotisme. La vie se mêlant à la mort, abolissant tout écart, pour une incandescence arrachée à son étreinte, une jouissance... » (15) Julia Kristeva (16) montre comment Thérèse d’Avila vit une « expérience extravagante, qu’on appelle mystique. […] Fille d’une “ christiana vieja” et d’un “converso », Thérèse est témoin, dans son enfance, du procès intenté à sa famille paternelle acculée à prouver qu’elle est vraiment chrétienne et non pas juive ; le “cas” de Thérèse elle-même, comme moniale pratiquant l’oraison, c’est-à-dire la prière mentale de fusion amoureuse avec Dieu qui la conduiront à ses extases, sera soumis à l’Inquisition. […] La Foi chrétienne est une confiance inébranlable en l’existence d’un Père Idéal, et un amour absolu pour ce Père aimant, qui serait tout simplement le fondement du sujet parlant, lequel n’est autre que le sujet de la parole amoureuse. […] Père d’Agapé ou d’Amor donc, qui n’est pas Eros. “ J’aime parce que je suis aimé/e, donc je suis ”, tel pourrait être le Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 « Le Dieu qu’on nomme liberté » : anorexies et additions syllogisme du croyant, que Thérèse met en scène dans ses visions et extases. […] L’alternance idéalisation-désexualisation -resexualisation et vice-versa transforme l’amour pour le Père Idéal en une violence pulsionnelle sans frein, en une passion pour le Père qui se révèle être une père-version sadomasochique. Jeûnes éprouvants, pénitences, flagellations -y compris à l’aide de bouquets d’orties sur des plaies à vif, convulsions, et jusqu’aux comas épileptiques, qui profitent des fragilités neuronales ou hormonales : quelques-unes des extravagances sadomasochiques qui jalonnent la suite des “ exils du moi ” dans Lui (pour reprendre une expression de Thérèse), ses transferts dans l’Autre (pour utiliser mon langage). […] L’incitation à la souffrance s’apaise dans le christianisme par une satisfaction orale, l’eucharistie réconcilie le croyant avec le Père battu et, davantage encore, elle adjoint au corps de cet Homme de douleur que “je” deviens moimême en avalant l’Autre, les attributs mêmes de la bonne mère nourricière. « Thérèse est non seulement consciente de cette oralité essentielle de son amour pour l’Epoux doté d’attributs maternels, mais elle la revendique avec force, et franchit avec une désarmante ingénuité le pas qui conduit ce Dieu à mamelles au plaisir de dire, le plaisir de téter à la sublimation verbale : “ L’âme disait qu’elle savourait le lait coulant du sein de Dieu ”, écrit la sainte dans ses Pensées sur l’amour de Dieu (5 :5). » Antigone Antigone, face à Créon, méprise, comme l’anorexique, la vie tissée de besoins, celle qui fait fi de la parole. Comme dans la relation thérapeutique sans cesse remise en cause, le contrat sans cesse accepté et bafoué, Créon, en place de médecin, entend imposer sa loi, se substituer au surmoi cruel qui commande Antigone. S’il a proclamée la loi dans son discours politique, il change d’avis après l’avertissement de Tirésias et se range à celui d’Antigone. Il modifie sa sentence face à elle qui n’a cessé de le défier. Antigone récuse la raison d’Etat qui veut le bien de tous et fait le partage entre les bons et les mauvais. C’est au nom d’une autre loi qu’elle se détermine, la loi qui perpétue la mémoire. L’ambiguïté des mots, des valeurs, de la condition humaine se repère dans le tragique malentendu qui persiste entre le discours de l’anorexique et celui du médecin ou de la société qu’il représente. L’anorexique constate le vide de sa vie, un vide tel qu’il ne reste aucune place pour “vivre”. De cette vie-là, elle ne veut à aucun prix et sa lutte avec les médecins ne peut qu’être placée sous le signe de la méprise puisque se référant à une autre loi que celle de la médecine. L’anorexique refuse que son amaigrissement soit signe de maladie. Jamais elle ne se plaint, n’est malade. Mais, quoi qu’elle en dise, son corps fonctionne comme un signifiant, il témoigne du discours qui l’habite. Ce que les autres décrivent comme une maladie n’est rien d’autre que son mode d’exister, son besoin de désirer. C’est l’aspiration à la liberté, si caractéristique de l’adolescence. Liberté ou libre arbitre ? Cadre ou absence illusoire de contrainte ? Surmoi structurant ou surmoi cruel ? Prométhée, Adam et Eve sont frères et sœur. Tant qu’ils se soumettent au sacré qui existe en eux, qu’ils respectent la loi divine, ils sont libres. Mais dès lors qu’ils accèdent à la connaissance ou volent le feu, découvrent leur corps, leur humanité, ils sont perdus, voués au libre arbitre et à assumer leur simple condition d’humains et de mortels. L’anorexique nous rappelle le rapport mystérieux de la passion et du pouvoir. Judith Butler montre comment Antigone défie la loi pour vivre son deuil, celui de Polynice, malgré l’interdiction de son père Créon. Nous sommes « attachés passionnellement » au pouvoir auquel nous aspirons ou auquel nous nous opposons. Antigone est bien sûr prise dans les rets de la parenté, « elle est en même temps en dehors de ces normes ». Elle « s’approprie l’attitude et la langue de celui auquel elle s’oppose ». Cette attitude est selon Butler (18) d’une actualité brûlante. Elle questionne notre époque, « un temps où les enfants, du fait des divorces et des remariages, vont d’une famille à l’autre, d’une famille à plus de famille, d’une absence de famille vers une famille à l’intérieur de laquelle ils vivent psychiquement à la croisée des familles, […] un temps dans lequel la parenté est devenue fragile, poreuse, et dilatée. » « Nous sommes constitués comme des lieux de désir et de vulnérabilité physique, à la fois affirmatifs et vulnérables dans l’espace public. Je ne suis pas sûre de pouvoir dire à quel moment un deuil a été accompli ou à partir de quand un être humain a été suffisamment pleuré. Je suis cependant certaine que cela ne signifie pas que l’on ait oublié la personne ou qu’elle ait été remplacée. Je ne pense pas que les choses fonctionnent ainsi. Je pense plutôt que l’on est en deuil lorsque l’on accepte le fait que cette perte nous changera, peut-être pour toujours. Etre en deuil, c’est accepter de subir une transformation dont nous ne pouvons connaître le résultat à l’avance. Il y a donc la perte et l’effet transformateur de la perte, qu’on ne peut ni prévoir ni planifier. « L’anorexique, parce qu’elle est aussi le produit de deuils successifs, «ne se conforme pas à la loi du symbolique », comme Antigone. En cela, elle vient nous interroger sur notre époque, « un temps où les enfants, du fait des divorces et des remariages, vont d’une famille à l’autre, d’une famille à plus de famille, d’une absence de famille vers une famille à l’intérieur de laquelle ils vivent psychiquement à la croisée des familles […] un temps dans lequel la parenté est devenue fragile, poreuse, et dilatée. » De ce point de vue, et toujours si l’on suit Judith Butler, l’anorexique est un défi au « vivre bien ». « Hannah Arendt, dans son ouvrage La Vie de l’esprit [1971, PUF, 1981] mettait l’accent sur la distinction cruciale entre le désir de vivre et le désir de vivre bien, ou plutôt le désir de mener une vie bonne. Pour Arendt, la survie n’était pas, et ne devait pas être un objectif en soi puisque la vie elle-même n’était pas intrinsèquement un bien. Seule la vie bonne fait que la vie mérite d’être vécue ». (19) Camille La femme est au carrefour de la vie et de la mort. C’est une femme, une prostituée, qui découvre le tombeau vide de Jésus (13). Comment, avec Camille, ne pas penser au secret de famille, ce disparu réel ou imaginaire. Ce qui est su et/ou tu, qui tue. « La mort est toujours là, jamais réalisée... Quelle est ma place ? » Le mort n’est pas mort puisque personne n’en parle. A-t-il même été vivant ? Rien n’est plus réel que la mort. Sauf la mort qui ne se dit pas ce qui rend impossible deuil, le renoncement à perdre une chose, un être. Alors, l’anorexie présentifie, incarne le fantasme parental centré sur le corps mort et la survie. Isis, sœur et femme, a rassemblé les morceaux d’Osiris mort. La médecine s’est longtemps constituée autour de l’étude du corps mort, d’où un système théorique qui présente de nombreuses discontinuités, des difficultés théoriques dues au développement autonome et simultané des spécialités. Antigone est le produit d’un inceste entre le fils et la mère. En enterrant son frère, Antigone fait un acte déterminé par une nécessité, un retour dans le réel de la mort, tout comme certains suicides peuvent être mis en rapport avec l’ignorance, l’exclusion de la mort dans le discours de l’Autre. Quelques jours avant sa mort, à 34 ans, Simone Weil écrit « l’humilité c’est le Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 137 Le travail avec les familles en hôpital de jour consentement à la mort qui fait de nous un néant inerte », à l’image (21) du Christ mourant comme un condamné de droit commun. « Le Dieu de Simone Weil serait-il ce “Dieu obscur” (Lacan) affamé de sacrifice humain ? “de chair nue, inerte et sanglante au bord d'un fossé, sans nom dont personne ne sait rien” comme elle l’écrit… » (22) Que je serais heureuse de briser toute entrave De rompre tout lien. Ah ! Si je plainais librement avec toi, là-haut, Au firmament éternellement bleu ; Combien je louerais avec joie Le dieu que l’on nomme liberté. Combien vite j’oublierais ma misère, L’amour ancien, l’amour nouveau… CONCLUSION Au terme du traitement, une anorexique n’est pas forcément guérie au sens médical du terme. Guérir, dit Ginette Rimbault, « ne signifie pas sortir de l’isolement psychiatrique pour se trouver tout aussi isolée dans la société, conforme mais brisée. Obtenir la guérison biologique est possible. Arriver à la délivrance d’un désir en souffrance chez ce sujet enfermé dans un quiproquo dramatique et obscène reste une entreprise ardue et incertaine ». (23) Le médecin, le psychiatre, n’ont pas vocation au chamanisme. Mais ils doivent écouter le chaman qui leur dit que la souffrance de l’homme ne se réduit pas à son symptôme, que l’homme ne se réduit pas à son corps, qu’il n’est qu’un des éléments du monde, lui-même fragment de cosmos. Et ne jamais oublier que toute souffrance demande de la parole, des mots énoncés pour éloigner les maux et leur donner un sens… Faire face à l’anorexie, à l’alcoolisme, à la toxicomanie, aux addictions... Faire face à la discontinuité, à la rupture, à la répétition, aux incessants changements, assurer l’autre, souffrant, de sa permanence, être là dans la durée, être consistant… Laissons, pour finir, la parole à Amélie Nothomb : « L’esprit humain souffre d’une carence intellectuelle fondamentale : pour qu’il comprenne la valeur d’une chose, il faut l’en priver »... Adieu, les arbres chenus, Et les arbustes petits et grands. Quand vous viendrez à reverdir, Je serai loin de ce château. Le titre de cet article est emprunté à Elisabeth d’Autriche dite Sissi (24). Ô hirondelle ! Prête-moi tes ailes, Emmène-moi au pays lointain ; 138 Adieu, salles de silence, Adieu, ô vieux château, Et vous, premiers rêves d’amour, Dans le sein du lac doucement reposez ! BIBLIOGRAPHIE 1. 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ELISABETH D’AUTRICHE, Le Journal poétique de Sissi, Le Félin, Les marches du temps, Paris, 2009 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 L’Extase de Saint Thérèse d’Avila Albert L’Huillier Rome, Chapelle Cornaro de l’Eglise santa Maria della Vittoria Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 139 Le travail avec les familles en hôpital de jour XLIème COLLOQUE DES HÔPITAUX DE JOUR PSYCHIATRIQUES SYNTHÈSE DES QUESTIONNAIRES INDIVIDUELS D’ÉVALUATION Questionnaires rendus : 93 I - Quelles étaient vos attentes avant le Colloque ? oui non Pas de réponse un perfectionnement professionnel 75 3 15 un perfectionnement personnel 50 17 26 un échange d’expériences interprofessionnel 92 0 1 oui non Pas de réponse 91 0 2 II - Le contenu de la formation a-t-il répondu à vos attentes ? Commentaires Echanges exceptionnels Re-questionnement des pratiques professionnelles Frustration de ne pouvoir assister à plus d’ateliers Grande richesse des échanges durant les ateliers Conférences plénières riches, accessibles et stimulant la réflexion III - Les apports de connaissance vous ont-il semblé adaptés non Plus ou moins 86 0 2 Commentaires Les présentations et les ateliers apportent connaissances, réflexions et rappellent bon nombre de points importants auxquels être plus attentifs pour améliorer nos interventions professionnelles Trop de théorie, pas assez de pratique Vignettes cliniques illustrées. IV - Le travail effectué au cours des ateliers a-t-il répondu à vos attentes ? oui non en partie seulement 79 0 13 Commentaires Richesse des contenus et des discussions Echanges trop courts Un peu trop de théorie pour certains ateliers Excellent niveau V - Les échanges avec les autres participants vous ont-il paru ? très satisfaisants satisfaisants insuffisants 51 39 1 Commentaires Rencontre avec d’autres professionnels 140 Anciens et nouveaux modèles d’intervention Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Echanges des concepts avec les différents professionnels au moment des repas Présentation trop longue, pas assez d’échanges VI - Retirez-vous de cette formation un enrichissement professionnel ? oui non Pas de réponse 90 0 3 Commentaires Source de réflexion professionnelle Importance du respect humain VII - Ce Colloque vous permettra-t-il d’introduire des évolutions dans votre travail habituel ? oui non 88 4 Commentaires Idées de mise en place d’ateliers Plus de réflexion vers les familles et sur le travail au quotidien Elargissement des points de vue, repenser la façon de travailler en tenant compte de ce qui a été dit, expérimenté, créé par les autres Permettre une autre réflexion sur le travail avec les familles, avoir aussi une autre approche VIII - Envisagez-vous de sensibiliser votre entourage professionnel ? oui non Pas de réponse sur ce que vous avez appris 90 1 2 sur ce que vous avez vécu 86 4 3 Comment ? Echanges avec les autres participants Transmission d’informations en réunion d’équipe Partage des écrits et des outils Remise en question de notre méthodologie Discussion et entretien avec l’institution afin de soutenir et mettre en place un dispositif de travail avec les familles IX - Pour vous quels sont les points forts de cette formation ? Intervention du Docteur DUC MARWOOD Echanges et enrichissement des pratiques professionnelles Francophonie Convivialité – soirée extra Actualisation des connaissances Abords différents de la maladie Qualité des intervenants Sortir de la théorie et bénéficier du partage des expériences vécues Grand respect du patient et de sa famille à travers les pratiques X - Pour vous quels sont les points faibles à améliorer ? Moins de théorisation Longueur des conférences plénières Locaux et plan d’accès au site Temps d’échange trop court dans certains ateliers Horaires à respecter Trop d’ateliers par rapport à la durée du colloque Ateliers simultanés sur les mêmes pratiques, frustration vis-à-vis du choix XI - Cette formation va-t-elle influencer votre pratique ? oui non 89 8 si oui, de quelle manière ? Repenser l’accompagnement des familles Interrogation du fonctionnement habituel Proposition de nouveaux outils de travail Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 141 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2012 - n° 14 Réfléchir à la manière d’inclure les familles dans notre accompagnement Faire évoluer les pratiques si non, pourquoi ? XII - Les conditions matérielles de cette formation vous ont-elles paru ? très satisfaisantes satisfaisantes moyennes insuffisantes 37 45 9 0 Commentaires Difficile de se repérer Disponibilité de l’équipe d’accueil Visite Océanopolis et repas de gala très appréciés Belle alliance entre travail et temps de pause Quelques petits problèmes techniques XIII - Avez-vous trouvé la durée de cette formation ? adaptée trop longue trop courte 78 0 15 Commentaires Organisation du colloque sur deux journées entières afin d’assister à plus d’ateliers Echanges post-ateliers un peu courts XIV - Le nombre de participants vous a-t-il paru ? trop important satisfaisant insuffisant 1 88 1 Commentaires On déplore le peu de nombre d’ateliers présentés par les équipes françaises XV - Quels thèmes souhaitez-vous voir traiter lors de nos prochains colloques ? Les nombreux rôles de l’infirmière à l’hôpital de jour Réhabilitation psycho-sociale en hôpital de jour Education thérapeutique Le travail avec le réseau, la collaboration Hospitalisation de jour et la réforme des soins Comment articuler les hôpitaux de jour avec les équipes de psychiatrie de liaison ? Institutions menacées dans l’avenir : comment préserver les structures ? XVI - Remarques et suggestions complémentaires Merci pour la qualité de ce colloque : contenu et organisation Merci pour les apports de connaissance et le partage d’expériences qui « rebooste » le travail au quotidien et l’élaboration clinique Peut-on imaginer qu’il puisse exister à l’avenir la présence des familles et des patients ainsi que des partenaires du réseau associatif dans ces colloques ? 142 Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Remerciements Nous remercions les orateurs et les équipes qui sont intervenus. Nous remercions bien évidemment : - Monsieur Pierre MAILLE, Président du Conseil Général - Monsieur François CUILLANDRE, Maire de Brest - Monsieur Philippe EL SAIR, Directeur Général du C.H.R.U. de Brest - Monsieur Jean URVOIS, Directeur de l’Hôpital Psychiatrique - Le Professeur Michel WALTER, Chef du Pôle de psychiatrie Nous remercions également : - les secrétariats et les équipes des hôpitaux de jour du C.H.R.U. de Brest et tout particulièrement Madame Isabelle JEANNES, Cadre de Santé - la MACSF en la personne de Madame LE BERRE - le service communication du C.H.R.U. de Brest - Madame BERNARD du secrétariat de la Faculté des Sciences de Brest - Pauline MARIOLLE qui a assuré avec Maryse PICHON la préparation de la revue - Maxime GOURMELEN & Benjamin BUTON qui ont élaboré le site - Madame Valérie LASSAUGE, secrétaire au siège de l’Association Française de Psychiatrie. Cette manifestation est également possible grâce aux laboratoires AstraZeneca, Janssen et Lundbeck. Merci aussi à Messieurs Raymond LE MENN et Philippe FER qui ont mis à disposition leurs photographies. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 143 XLIIème COLLOQUE DES HÔPITAUX DE JOUR PSYCHIATRIQUES 10 et 11 octobre 2014 Namur, BELGIQUE AU-DELÀ DU SYMPTÔME… LA PORTE DU SOIN EN HÔPITAL DE JOUR Hôpital de jour du Beau Vallon Rue de Bricgniot, 205 5002 Saint-Servais BELGIQUE Quand une patiente fibromyalgique nous avance sa douleur, quand un patient alcoolique se présente en état d’ivresse, quand un enfant nous perturbe par ses troubles du comportement, quand une personne âgée ne nous donne à travailler que son appel à la mort, nous devons aller au-delà du symptôme : il permet au patient de trouver la porte de l’hôpital de jour mais, réduit à lui-même, le symptôme ne mène nulle part. Dans une psychiatrie de plus en plus normative, le symptôme ne doit pas nous faire oublier la subjectivité : il se situe dans une histoire, personnelle, familiale et, dès lors, institutionnelle et systémique. Derrière chaque symptôme, il y a une souffrance qu’il convient de symboliser, de métaboliser, de sublimer ou simplement d’apaiser. 144 Dr Xavier De LONGUEVILLE Face à l’émergence de la souffrance dans le réel, nos capacités de symbolisation sont mises à mal. Le symptôme à l’origine du soin, ou qui surgit lors de la prise en charge, est un empêcheur de soigner en rond. En ce sens, il est toujours à comprendre et à élaborer, surtout lorsqu’il interrompt le processus thérapeutique. Quand le symptôme interroge la subjectivité du patient, quand il perturbe ou fait souffrir la famille, quand il malmène le collectif parce que trop saillant, il questionne les subjectivités multiples des soignants. Notre formation, nos a priori, notre façon d’être au monde vont influencer la lecture du symptôme. Pour qu’il s’élabore, l’hôpital de jour, comme institution, doit être un lieu d’échanges et de cohérence dans la diversité des approches. A chaque moment de nos existences, le symptôme questionne nos réalités, de l’enfant rejeté à l’homéostasie perdue du vieillard. Il demande une réflexion permanente, une remise en question, un dynamisme sans faille, une recherche continue de nouvelles idées, de nouvelles façons de l’appréhender. C’est la fonction même de l’hôpital de jour. Autour de ce travail spécifique et polyphonique, qui veut aller au-delà du symptôme pour accompagner et subjectiver une souffrance que le patient pourra s’approprier, nous vous proposons de débattre lors de ce quarante-deuxième colloque des hôpitaux de jour, pour que chacun puisse contribuer, selon ses pratiques, mais aussi ses difficultés, à cette réflexion : qu’est-ce que le symptôme nous dit du patient, mais aussi de nos institutions… Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques - ASBL – www.ghjpsy.be BREF RAPPEL HISTORIQUE À la fin des années 60, quelques années après la France, la Belgique ouvre une nouvelle structure thérapeutique au sein du Département de Psychologie Médicale et de Médecine Psychosomatique de l’Université de Liège. Elle sera appelée “Hôpital de jour Universitaire La Clé” en référence à ce qui avait été antérieurement créé au Canada. L’hôpital de jour est pour nous une unité thérapeutique à temps partiel où sont dispensés des soins intensifs variés. Dans cette unité, le patient est pris en charge par une équipe multidisciplinaire. Le but recherché est bien sûr adapté aux problèmes mis en évidence au début de la prise en charge. Très rapidement, le besoin s’est fait sentir d’organiser des rencontres entres équipes soignantes de Belgique et de France pour réfléchir à nos actions, notre place et notre spécificité comme unité de soins dans la trajectoire psychiatrique du patient. Ces rencontres ont évolué ensuite vers des échanges autour d’un thème général stimulant et l’on a rapidement constaté une participation nombreuse et de plus en plus interactive des équipes à l’occasion de ces colloques. Il fallait une structure juridique pour informer les pouvoirs publics et la société de l’existence voire de la pertinence de ce modèle de prise en charge. En 1979, le Groupement ainsi que son Comité Scientifique se réunissent pour la première fois de manière officielle à Liège, à l’occasion du VIIème colloque. Le Luxembourg et la Suisse s’associant à ce Groupement, le Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques Belgique - France - Suisse, sous la forme qu’on lui connaît actuellement, est créé en 1986. Le premier président, fondateur du Groupement et de l’association, est le Professeur Jean Bertrand. De 2000 à 2012, le flambeau a été transmis au Docteur Patrick Alary. L’un et l’autre sont aujourd’hui présidents d’honneur et, depuis le 6 octobre 2012, le président est le Dr Christian Monney. MEMBRES DU GROUPEMENT - membres institutionnels : ce sont les hôpitaux de jour psychiatriques de Belgique, de France, de la Suisse et du Luxembourg. - membres individuels : ils se répartissent en membres effectifs, ce sont les divers professionnels des structures sus-nommées, et membres adhérents, tout professionnel de la santé mentale qui montre un intérêt particulier pour les activités de l’association. OBJECTIFS DU GROUPEMENT - favoriser les relations entre les différentes structures “Hôpital de jour psychiatrique”. - faciliter la diffusion des travaux réalisés au sein du Groupement. - organiser des conférences, des réunions, des colloques. - coordonner et promouvoir les échanges et la formation continue de ses membres. - être un centre de diffusion de l’école de psychothérapie institutionnelle en hôpital de jour. - coordonner les contacts avec les personnalités et les pouvoirs, publics ou privés, du monde médical et scientifique aux niveaux nationaux et international. Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 145 La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles RECOMMANDATIONS AUX AUTEURS DES ACTES À LA REVUE… De 1973 à 1997, les actes des colloques ont été régulièrement édités sous forme de monographies. Les textes des présentations en séance plénière et en ateliers et ceux des discussions sur ces présentations ont été rassemblés par l’organisateur de chaque colloque. Depuis 1998, les actes sont publiés dans la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles. La Revue des Hôpitaux de jour psychiatriques et des thérapies institutionnelles est éditée à l’occasion de chaque Colloque des Hôpitaux de jour. Elle publie les actes du Colloque de l’année précédente et des textes concernant l’activité des Hôpitaux de jour psychiatriques et les thérapies institutionnelles. COMITÉ DE LECTURE Les propositions de texte sont soumises à un comité de lecture composé de membres du comité scientifique du groupement des hôpitaux de jour psychiatriques. Il est le garant de la qualité des publications et peut refuser certains textes, en particulier lorsque les règles éditoriales n’ont pas été respectées. Il prend contact, s’il y a lieu, avec les auteurs, pour les modifications qui lui paraissent opportunes. Les décisions du comité de lecture sont sans appel. CONDITIONS DE PUBLICATION Les manuscrits sont rédigés en langue française et doivent être dactylographiés en corps 10. Ils seront adressés à l’organisateur du colloque de préférence par courriel. En cas d’envoi sur support papier, ils doivent l’être en trois exemplaires. Un CD (en précisant la version Word utilisée) doit accompagner l’envoi. Dès réception, deux exemplaires seront adressés par l’organisateur du colloque concerné l’un au rédacteur en chef de la revue l’autre à l’un des membres du comité de lecture. L’organisateur du colloque communique la réponse du comité de lecture à l’auteur principal de l’article. Si des changements sont demandés, l’article, une fois modifié, est relu par l’organisateur du colloque avant toute acceptation définitive. DÉLAIS DE PUBLICATION Après chaque Colloque : 146 • les textes doivent être adressés au plus tard le 30 novembre suivant le Colloque, • l’avis du Comité de lecture sera donné au plus tard le 31 décembre suivant le Colloque, • en cas de demande de modifications par le Comité de lecture, le texte définitif doit parvenir à l’organisateur du Colloque le 31 mars de l’année suivant le Colloque. PRÉSENTATION La première page comporte en haut : • le titre de l’article (court, explicatif, facile à répertorier dans les index, éventuellement suivi d’un sous-titre succinct), • le nom du (des) auteur(s), en majuscules, précédé du (des) prénom(s), en minuscules en dehors des initiales et de la fonction, • l’adresse de l’auteur. Puis : • le résumé, en français, 15 lignes au maximum, • le titre de l’article en anglais, • le résumé, en anglais, 15 lignes au maximum, • les mots-clés, en français et en anglais, 10 au maximum. En l’absence de ces éléments, les articles ne seront pas publiés. Les manuscrits doivent comporter 25 lignes par page, recto seulement, en double interligne, avec une marge de 5 cm à gauche et une numérotation des pages. TEXTE Les textes ne doivent pas dépasser 20 pages dactylographiées, bibliographie comprise. Ils doivent commencer par une introduction et se terminer par une conclusion. ILLUSTRATIONS ET TABLEAUX Leur nombre doit être limité. Ils doivent être numérotés (en chiffres arabes pour les graphiques, en chiffres romains pour les tableaux) et correspondre à un appel précis dans le texte. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Elles doivent être classées par ordre alphabétique d’auteur, numérotées et dactylographiées, en double interligne, sur une page séparée. Il ne sera fait mention que des références appelées dans le texte ou dans les tableaux ou figures. Leur nombre maximum est de 30. Elles doivent être conformes aux normes internationales. • pour un article : - nom des auteurs, suivi des initiales des prénoms en majuscules, - titre intégral dans la langue de publication, - titre de la revue (abrégé selon les normes internationales) en italique, - année de parution, éventuellement, série, - volume, - numéros des première et dernière pages. • pour un livre : - nom des auteurs, suivi des initiales des prénoms en majuscules, - titre intégral dans la langue de publication, - nom de l’éditeur, - ville, - année de parution, - le nombre de pages, - numéros des pages concernées par la citation. ABRÉVIATIONS, SIGLES, UNITÉS DE MESURES Pour les unités de mesure et les sigles, elles doivent être conformes aux normes internationales. Pour les noms, l’abréviation doit être indiquée dès son premier emploi, entre parenthèses. Si le nombre d’abréviations est important, leur signification doit être fournie sur une page séparée. NOTES DE BAS DE PAGE Elles doivent être limitées. Elles seront désignées uniquement par des chiffres, sans se répéter d’une page à l’autre, et doivent correspondre à un appel précis dans le texte. OBLIGATIONS LÉGALES Les manuscrits originaux ne doivent pas avoir fait l’objet d’une publication antérieure, ni être en cours de publication dans une autre revue. Les opinions exprimées dans l’article ou reproduite dans les analyses n’engagent, sur le plan scientifique, que leurs auteurs. Tout article est une œuvre de l’esprit, il est donc à ce titre protégé par le droit d’auteur. En soumettant son article au Comité de lecture de la Revue, l’auteur autorise de facto sa publication dans la Revue. Il peut, avant la publication, retirer à tout moment son texte s’il n’en souhaite plus la publication. Dès lors que l’article est publié, l’auteur est réputé avoir transféré ses droits à l’éditeur à qui devront être adressées les demandes de reproduction. TIRÉS À PART Actuellement, il n’est pas édité de tirés à part. Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques - ASBL – BULLETIN DE DEMANDE D’ADHÉSION Vous souhaitez devenir membre du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques : à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous complété. La cotisation annuelle vous donne droit : à être tenu régulièrement au courant de nos activités à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de l’équipe) à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles (cotisation institutionnelle = 2 exemplaires) à une voix à l’Assemblée Générale statutaire ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………..… ……..………… Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat national dont vous dépendez accompagné de votre règlement : À TITRE INDIVIDUEL NOM : PRÉNOM : FONCTION : ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) : ADRESSE PROFESSIONNELLE : TÉLÉPHONE PERSONNEL : TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL : TÉLÉCOPIE :E-MAIL : Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique : DATE : SIGNATURE : À TITRE INDIVIDUEL NOM DE L’INSTITUTION : NOM DU MEDECIN RESPONSABLE : ADRESSE : TÉLÉPHONE : TÉLÉCOPIE : e-mail : Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique : DATE : SIGNATURE : Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16 147 Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques - ASBL – BULLETIN DE RENOUVELLEMENT D’ADHÉSION Vous souhaitez renouveler votre adhésion au Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques : à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous complété. La cotisation annuelle vous donne droit : à être tenu régulièrement au courant de nos activités à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de l’équipe) à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles (cotisation institutionnelle = 2 exemplaires) à une voix à l’Assemblée Générale statutaire Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat national dont vous dépendez accompagné de votre règlement : ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………………….……….. ………… À TITRE INDIVIDUEL NOM : PRÉNOM : FONCTION : ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) : ADRESSE PROFESSIONNELLE : TÉLÉPHONE PERSONNEL : TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL : TÉLÉCOPIE : COURRIEL : Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique : DATE : SIGNATURE : À TITRE INSTITUTIONNEL NOM DE L’INSTITUTION : NOM DU MÉDECIN RESPONSABLE : ADRESSE : TÉLÉPHONE : TÉLÉCOPIE : COURRIEL : Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique : DATE : 148 SIGNATURE : Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
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