octobre 2014 Dr Jean-Yves COZIC, psychiatre, Dr Maria

La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
et des Thérapies Institutionnelles n°16
octobre 2014
Groupement des Hôpitaux
de Jour Psychiatriques
« Dans le Phédon, Platon pose que la construction de la science est la seule vraie réponse
que l’on puisse faire à l’opinion (doxa). La mise en œuvre du savoir est en même temps la
preuve de sa validité. Le Philodoxe se laisse fasciner par la perception, le philosophe accepte l’idée que connaître, ce n’est pas seulement percevoir, mais également accéder au
réel qui n’est pas que perçu… »
ASBL
153, boulevard de la Constitution
B - 4020 LIÈGE
XLIème Colloque des Hôpitaux de jour
11 et 12 octobre 2013
Président
Dr Christian MONNEY
BREST
Centre Thérapeutique de Jour
Rue de l’Hôpital, 14
CH-1920 MARTIGNY
SUISSE
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Téléphone : 41 (0) 2 77 21 08 00
Télécopie : 41 (0) 2 77 21 08 08
Courriel : [email protected]
Secrétariat général
Pr Jean BERTRAND
Hôpital de jour universitaire “La Clé”
Bd de la Constitution, 153
B-4020 LIEGE
BELGIQUE
Téléphone : 32 (0) 4/342 65 96 – 344 34 91
Télécopie : 32 (0) 4/342 22 15
Courriel : [email protected]
Secrétariat français
Pr Bernard KABUTH
Service de pédopsychiatrie
Rue du Morvan
54511 Vandœuvre les Nancy
FRANCE
Téléphone : 00 33 (0)3 15 45 53
Télécopie : 00 33 (0)3 83 15 45 57
Courriel : [email protected]
Secrétariat SUISSE
Dr Christian MONNEY
courriel : [email protected]
URL : www.ghjpsy.be
Comité scientifique
Docteur P. ALARY
Professeur J. BERTRAND
Professeur W. BETTSCHART
Docteur H. BOOREMANS
Madame M.-F. CHARON
Docteur J.-Y. COZIC
Docteur M.-F. DESSEILLES
Docteur Ph. GOOSSENS
Docteur Ph. GUIGNARD
Monsieur B. HUNZIKER
Docteur M. JADOT
Docteur G. JONARD
Professeur B. KABUTH
Monsieur M. KYNDT
Madame M.-C. LEFEBVRE
Docteur P. LISIN
Docteur Ch. MONNEY
Monsieur J.-F. PINCHARD
Docteur Ch. PLUMECOCQ
Madame M. REBOH-SERERO
Professeur J.-M. TRIFFAUX
© La
Pau
Liège
Crissier
Bruxelles
Liège
Bohars
Beaufays
Bruxelles
Corsier sur Vevey
Lausanne
Verviers
Namur
Nancy
Verviers
Saint-Lô
Liège
Martigny
Liège
Lille
Lausanne
Liège
Dans la conception du projet de soins en hôpital de jour, l’alliance avec la famille, partenaire
incontournable, doit être recherchée. La prise en charge en hôpital de jour inscrite dans la durée,
le plus souvent à distance de la crise, facilite l’installation de cette alliance soit dans le cadre de
rencontres individuelles, soit dans celui de groupes de parole qui nous permettent aussi
d’exprimer nos limites tant au regard de l’origine des manifestations pathologiques que dans leur
résolution.
Pour que l’institution hôpital de jour soit thérapeutique les dimensions du transfert et du contretransfert sont l’axe autour duquel les différentes interventions s’articulent. La réflexion,
l’élaboration de ces dimensions, permettent de limiter l’écueil de la rivalité ou des projections
réciproques entre famille et équipe.
S’il est important de donner une place à la famille, il ne faut pas que cela se fasse au détriment
de celle du patient qui doit demeurer l’interlocuteur essentiel. Il nous revient, à l’écoute du patient et de sa famille, de discerner qui porte le symptôme, qui en souffre, qui s’en plaint et parfois qui en tire profit. Dans le processus thérapeutique n’est-il pas en effet fréquent d’observer
des résistances à ce qui risquerait de bouleverser un fonctionnement familial figé ? Bien souvent,
grâce à l’alliance thérapeutique avec la famille, le patient peut évoluer favorablement et la culpabilité des parents se voit allégée. Parfois l’alliance thérapeutique est difficile à installer. Ne
faut-il pas alors se garder de conclure hâtivement que les liens familiaux sont trop pathologiques
pour envisager des soins ?
Les concepts d’aliénation, de séparation-individuation tels qu’ils ont été définis par la psychanalyse éclairent la réflexion qui accompagne le processus de soins ainsi que d’autres modèles théoriques qui depuis plusieurs années enrichissent les réflexions et les pratiques.
Le travail avec les familles prend nécessairement en compte les questions que nous venons
d’évoquer mais aussi les dimensions sociales et éducatives et ce de façon différente selon qu’il
s’agit d’enfants, d’adolescents, d’adultes ou de personnes âgées. Le retentissement que peut
avoir au sein d’une famille la présence d’un malade n’aura pas les mêmes effets en fonction de
la nature du lien et du degré de parenté. Comment vit-on le fait d’avoir un enfant malade, un
conjoint, un membre de la fratrie ou un parent souffrant ? L’approche psychothérapeutique du
patient et de sa famille ne trouve-t-elle pas là toute sa place ?
Dans plusieurs pays nous assistons à l’adoption de dispositions modifiant le statut de la famille
dans les décisions relatives aux soins. Quelles en sont les incidences sur les prises en charge en
hôpital de jour ? Il nous faut de plus prendre en compte les profonds remaniements des configurations familiales : familles monoparentales, familles recomposées, familles homoparentales,
familles adoptives. Ici, les travaux sociologiques et ethnologiques sur les structures familiales
peuvent nous éclairer.
C’est à l’ensemble de ces questions que nous vous invitons à réfléchir.
Dr Jean-Yves COZIC, psychiatre, Dr Maria SQUILLANTE, pédopsychiatre
C.H.R.U. de BREST - Hôpital de BOHARS
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
et des Thérapies Institutionnelles
ISSN 2112-6798
est éditée par
Le Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques ASBL
– juillet 2014 – Liège
BELGIQUE
Imprimée par
- Perspective Imprimerie 64160 Morlaàs
FRANCE
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
1
©
La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
et des Thérapies Institutionnelles
ISSN 2112-6798
Le travail avec les familles en hopital de jour .............................................. 1
Dr Jean-Yves COZIC, Dr Maria SQUILLANTE
Allocution de bienvenue ................................................................................... 5
Comité de lecture
BELGIQUE :Pr J. BERTRAND, Liège
Pr M. ANSSEAU, Liège
Dr M.-F. DESSEILLES, Beaufays
Dr M. JADOT, Verviers
Pr J.-M. TRIFFAULT, Liège
Dr Jean-Yves COZIC
Transmission : allocution d’ouverture du colloque ...................................... 6
Docteur Christian MONNEY
L’identification dans le travail avec les familles, réflexion clinique ........ 8
FRANCE : Dr P. ALARY, Pau
Dr J.-Y. COZIC, Brest
Pr B. KABUTH, Nancy
Dr Ch. PLUMECOCQ, Lille
SUISSE :
SOMMAIRE
Professeur Alain MALCHAIR
De la famille cabossée à la famille suffisamment bonne ........................... 12
Dresse Alessandra DUC MARWOOD
Pr W. BETTSCHART, Crissier
Dr Ph. GUIGNARD, Corsier sur Vevey
Dr Ch. MONNEY, Martigny
Soins en hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent :
évolution des pratiques et des relations avec les familles ......................... 17
Professeur Jean-Philippe RAYNAUD
Rédacteur en chef de la Revue
Portraits de famille : L’accompagnement des familles par le Centre
Ressource “Famille & troubles psychotiques” ............................................. 21
Dr Patrick ALARY, Pau
David LEVOYER, Laurence RENOUX
Le travail avec les familles, entre mythe et réalite sociale ........................ 25
Dr Alice MUSELLE, Mireille CLOSE, Pr Jean-Marc TRIFFAUX
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des
Thérapies Institutionnelles n° 16
La famille s’agrandit...................................................................................... 32
Annie DELAETERE-BRULOIS, Fabian GILLE, Geneviève JADOUL, Betty LUST
ISSN 2112-6798
Wanted : famille idéale .................................................................................. 38
octobre 2014
Dr Arménio BARATA, Dr Léonie DOBLER, Dr Gilles SIMON, Jeanine GLAUS, Delphine SCHLUMPF
Rédacteur en chef adjoint pour ce volume
Soins aux familles : sens, portage, pilotage................................................. 45
Arthur DELEPINE, Jennifer GILSON, Philippe KINOO, Marguerite VAN DEN BERGH
Dr Jean-Yves COZIC, Brest
Histoire de famille ou le lien familial revisité de façon ludique… .......... 51
Organisation locale du colloque
Responsables :
Jean-Yves COZIC
Maria SQUILLANTE
Jacques CIROLO
Sophie LE BORGNE
C.H.R.U. de BREST
Hôpital de BOHARS
29820 BOHARS
FRANCE
téléphone : 33(0)2 98 01 51 09
[email protected]
Secrétariat pour ce numéro de la Revue
Dr Eugène BAJYANA SONGA, Ameline DE SCHRYVER, Gwendolyn HUSTINX
75 ans d’internat thérapeutique à Lausanne : contre vents et marées ?.. 55
Hélène CHAPPUIS, Alix VANN-NICOLLIER, Christophe SUARNET, Laurence BOURIEZ, Laurent
PORTENSEIGNE
Famille je t’hais-M .......................................................................................... 62
Marie-Olive CHAPUIS, Fiona PARMENTIER, Paulina REQUENA, Jamel BRAHIM
Mes enfants, ma maladie et moi .................................................................... 66
Sophie CORNET, Elodie SPOTTO, Xavier DE LONGUEVILLE
Les proches aidants : une consultation au fil du temps ............................ 71
Sylvie CAJOT, Virginie DE VEVEY, Jean BIGONI, Patricia BUTHEY
Maryse PICHON, Brest
Métamorphose d’un vilain petit canard : traitements parallèles mèreLes numéros antérieurs peuvent être commandés au secrétariat enfants .............................................................................................................. 75
général du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
Sophie LESEULTRE, Jean-Paul LECLERCQ
sous réserve de leur disponibilité.
Tous droits de reproduction strictement réservés.
Hôpital de jour, grande famille ?.................................................................. 81
Toute reproduction d’article à des fins de vente, de location, de
publicité ou de promotion est réservée au Groupement des Dr Laurent HOLZER, M. Frédéric LAMBELET, Mme Aurélia MONNEY
Hôpitaux de Jour Psychiatriques.
La thérapie familiale dans l’institution et l’institution dans la thérapie
Toute reproduction d’article dans un autre support (papier,
internet, etc.) est interdite sans l’autorisation préalable de la familiale ........................................................................................................... 87
rédaction de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et Paul ASTRE, Brigitte KAMMERER, Annie MANDROU
des Thérapies Institutionnelles.
Les articles sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs. Christopher, Juliette : rencontres avec l’autisme ....................................... 92
Dr Jacques CIROLO, Michèle CREVEUIL, Johann DREVILLON
Pour un accompagnement précoce des familles à l’hôpital de jour
géronto-psychiatrique dans le contexte de troubles cognitifs émergents 97
Sophie LE BORGNE, Marie-Hélène TRITSCHLER-LE MAITRE, Olivia BREMOND, Catherine
CHARLES, Yann CRAMONE, Brigitte LE LAY
Travailler avec les familles en présence des patients : les séances infofamilles dans le cadre d’ateliers psycho-éducatifs ................................... 102
Christelle LEJEUNE et Christiane KEMPENEERS
2
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Sommaire
Quel cadre pour la rencontre avec les familles ? ...................................... 105
Muriel REBOH SERERO, Vanessa VEZ
De l’information des familles à la transformation des pratiques .......... 108
Muriel EXBRAYAT, Viviane LOMBART, Latifa MACHKOURI
Parents hésitants face au “STIGMA”, comment les faire venir ? ............ 111
Olga SIDIROPOULOU, Françoise BONOMI- LAGE, Véronique DELETROZ
Place de la famille d’une personne âgée dans la prise en soins : un
équilibre parfois difficile entre la demande du patient, ses besoins et
ceux de la famille .......................................................................................... 117
Isis VAN DE MAELE, Dr Anne LOTT
Création d’un nouveau programme de jour : dispositif et enjeux du
travail avec les familles ............................................................................... 122
Nathalie BERGEON, Camille BESANCON-CHENE, Yvan BESSARD, Dr Jean-Pierre BACCHETTA
Corps et familles : la maladie comme un moment significatif d’une
histoire ........................................................................................................... 127
Christelle MEKUI, Michèle CHARTRIN, Laura FRAMBATI, Karine PIEMONTESI, Karinne
PLUCHART, Moïra RODRIGUEZ, Eric VERGER, Kerstin WEEK-ENDBER, Alessandra CANUTO
Synthèse du Colloque .................................................................................... 131
Bernard HUNZIKER
« Le dieu qu’on nomme liberté » : anorexies et addictions ....................... 133
Docteur Patrick ALARY
XLIème colloque des hôpitaux de jour psychiatriques au-delà du
symptôme… La porte du soin en hôpital de jour....................................... 144
Dr Xavier De LONGUEVILLE
Le Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques ... …………………..145
La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles…146
Bulletin de demande d’adhésion ................................................................. 147
Bulletin de renouvellement d’adhésion...................................................... 148
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
3
La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
et des Thérapies Institutionnelles
Déjà parues
n° 1 : Entre idéal thérapeutique et réalité(s) économique(s) : quel avenir pour les hôpitaux de jour ?,
Martigny, 1999
n° 2 : Violences et hôpital de jour, Nancy, 2000
n° 3 : Place, magie et réalité du médicament à l’hôpital de jour pour enfants, adolescents et adultes, Namur, 2001
n° 4 : Comprendre et (re)construire à partir de l’hôpital de jour, Brest, 2002
n° 5 : Évolution des structures de soins : rivalité ou partenariat ?, Montreux, 2003
n° 6 : Actualités des psychothérapies institutionnelles pour l’hôpital de jour ?, Lille, 2004
n° 7 : Quels projets aujourd’hui pour l’hôpital de jour... de demain ?, Liège, 2005
n° 8 : Sorties, à quelles adresses ?, Grenoble, 2006
n° 9 : diversite-hyperspecificite@hôpital de jour psy.lu, Luxembourg, 2007
n° 10 : Entre bouée et corset : devenirs de l’étayage à l’hôpital de jour, Champéry, 2008
n° 11 : Dépendances - d’une autonomie à l’autre, le risque de l’altérité, Bruxelles, 2009
n° 12 : Du sexe à l’hôpital de jour : place du pulsionnel dans la vie institutionnelle, Nancy, 2010
n° 13 : Émotions, résonance émotionnelle et hôpital de jour, Verviers, 2011
n° 14 : Dessine-moi un mouton… Cadre, permanence et temporalité à l’hôpital de jour, Saint Lô, 2012
n° 15 : Le modèle dans tous ses états, Lausanne, 2013
n° 16 : Le travail avec les familles en hôpital de jour, Brest, 2014
4
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
ALLOCUTION DE BIENVENUE
C.H.R.U. de BREST
Hôpital Psychiatrique de BOHARS
29820 BOHARS
FRANCE
[email protected]
Monsieur le Maire,
Monsieur le Directeur Général,
Monsieur le Président et Cher Christian,
Monsieur le Chef de Pôle et Cher Michel,
Monsieur les Présidents d’Honneur du
Groupement,
Mesdames, Messieurs,
Au nom de toute l’équipe qui a préparé
le colloque, je suis très heureux de vous
souhaiter la bienvenue et un bon séjour à
Brest.
Le travail avec les familles en hôpital
de jour, tel est le titre et le thème auquel
nous avons décidé de vous proposer de
réfléchir.
Si je repense à l’attitude à l’égard des
familles lorsque j’ai commencé mon internat, au siècle dernier il est vrai, je me
dis que les choses ont évolué. Dans les
années 80 encore, excepté pour ceux qui
étaient d’orientation systémique, les familles étaient souvent tenues à l’écart
comme si leur présence risquait de porter atteinte à l’asepsie du champ institutionnel. Parfois même on parlait de
famille pathogène, il est vrai qu’il en
existe quelques-unes. Depuis nous avons
appris, volens nolens, à donner aux familles de nos patients une plus juste
place. Dans la prise en charge en hôpital
Dr Jean-Yves COZIC
Psychiatre hospitalier – Chef de Secteur
de jour, l’alliance avec la famille doit
toujours être recherchée et c’est sans
doute moins difficile que dans un service
d’aigus car l’on dispose de temps, d’une
part, et que le patient, du moins dans la
plupart des hôpitaux de jour à la française, est le plus souvent à distance de la
crise d’autre part.
Bien entendu, il n’est pas question de
sombrer dans l’angélisme et de dire que
tout cela est simple. Je crois qu’il est
aussi essentiel que le patient demeure
l’interlocuteur privilégié des soignants
qui doivent s’employer à ce que
l’entourage familial ne prenne pas la
place du sujet en soins, ne parle pas non
plus à sa place. Comme nous l’écrivions
dans l’argument du colloque, il nous revient, à l’écoute du patient et de sa famille, de discerner qui porte le symptôme, qui en souffre, qui s’en plaint et,
parfois, qui en tire profit.
Je continue à penser aussi que pour
que des soins en hôpital de jour soient
efficients, les dimensions du transfert et
du contre-transfert sont incontournables
et que l’analyse de ces deux dimensions
permet d’éviter que ne s’installent durablement et ne s’amplifient les rivalités
entre famille et équipe ; cela permet aussi de lutter contre des résistances inconscientes voire pré-conscientes à ce qui
risquerait de provoquer des bouleversements d’un fonctionnement familial habituel.
Bien entendu le travail avec les familles prend aussi en compte des dimensions sociales et éducatives et ce de
manière différente selon les âges de la
vie, qu’il s’agisse d’enfants, d’adolescents, d’adultes ou de vieillards.
Nous assistons actuellement dans plusieurs pays européens à l’adoption de
dispositions modifiant le statut de la famille dans les décisions relatives aux
soins. Ceci a des incidences sur les
prises en charge en hôpital de jour. Nous
assistons également à des modifications
profondes des structures familiales avec
les familles monoparentales, les familles
recomposées, les familles homoparentales et, depuis plus longtemps, les familles adoptives.
C’est souvent l’alliance thérapeutique
avec la famille qui fait que le patient
peut évoluer vers l’apaisement de sa
souffrance mais aussi que la famille
éprouver moins de culpabilité.
Voilà quelques pistes auxquelles je vais
me limiter pour l’instant car nous
n’allons pas conclure le colloque avant
qu’il n’ait vraiment débuté !
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
5
TRANSMISSION…
ALLOCUTION D’OUVERTURE DU COLLOQUE
Centre Thérapeutique de Jour
Rue de l’Hôpital, 14
CH 1920 MARTIGNY
SUISSE
[email protected]
Chers Amis,
« Le modèle dans tous ses états », thème
du colloque de l’année dernière à Lausanne, avait donné quelques frissons à
l’équipe lausannoise lors de sa préparation en raison des risques d’affrontements
que pourraient susciter des confrontations
théoriques d’horizons divers. En réalité il
n’en fut rien et les échanges fructueux et
riches se sont déroulés, comme c’est du
reste devenu la tradition de notre Groupement, de façon conviviale et en parfaite
harmonie… peut-être du fait que nous
nous trouvions sur les rives paisibles du
Lac Léman…
Pourtant les rives du lac n’avaient pas
toujours été aussi calmes ! Pour celles et
ceux qui s’en souviennent, le premier
colloque à Lausanne -qui était du reste le
premier à se tenir en SUISSE- avait eu
lieu les 7 et 8 octobre 1983 sur le thème :
« Les hôpitaux de jour et leurs modalités
de travail thérapeutique avec les familles ».
Deux conférences principales étaient la
tradition il y a 30 ans. Quelle aubaine
pour mettre en tension les courants théoriques qui s’affrontaient à l’époque de
façon bien moins aimable dans et entre
les institutions ! C’était en effet la période
de l’éclosion des théories systémiques en
Europe, issues en particulier de l’école
dite de Palo Alto, qui venait heurter -et le
mot est faible- les habitudes psychanalytiques. C’était donc bien courageux de la
part des organisateurs de l’époque de lancer ce thème pour la “première sortie” du
Groupement “à l’étranger”, comme la
Dresse Marie-Hélène Fankhauser, alors
médecin-chef du Centre de Traitement
Psychiatrique de Jour de Lausanne, avait
qualifié ce colloque.
Le Dr Daniel Masson, qui avait été le
premier médecin-chef du Centre de Traitement Psychiatrique de Jour de Lausanne
-et qui vous fait ses amitiés au passage-,
systémicien déjà chevronné à l’époque,
avait donné l’éclairage systémique par la
première conférence qui avait pour titre :
« Des familles, pourquoi ? » (en un
mot !).
Ce sont le Prof. Pierre Geissmann et le Dr
Claudine Geissmann de l’Hôpital de Jour
“Les Pins Verts” de Bordeaux qui appor-
6
Docteur Christian MONNEY
Psychiatre hospitalier, Président du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
tèrent l’éclairage psychanalytique avec
leur conférence : « Psychothérapie des
familles des psychotiques traités en hôpitaux de jour : considérations cliniques et
psychanalytiques ».
La meilleure façon de vous donner un
aperçu de l’ambiance de l’époque est de
vous livrer quelques extraits de la superbe
synthèse du colloque effectuée par le Dr
Jean-Pierre Delisle, à l’époque chef de
service au Centre hospitalier Spécialisé de
Châlons-sur-Marne (Secteur Reims 2). Je
cite : « … en réfléchissant à une possible
synthèse entre les conférences introductives, je me suis rendu compte que cela
était impossible. Et j’avancerais même
qu’elles soutiennent des positions qui sont
inconciliables, mais non opposables.
Vous avez reconnu ici une partie de la
définition du paradoxe telle que Racamier
a pu la proposer. Non opposables, et c’est
ce qu’ont tenté de faire au cours de la
discussion qui a suivi les exposés, leurs
auteurs ; sans succès, puisque les seuls
points de conciliation étaient extrêmement partiels et uniquement pratiques. »
Plus loin : « Venons-en donc aux modalités, en hôpital de jour, du travail thérapeutique avec des familles.
« Ces modalités posent d’emblée la question de l’organisation de la structure
d’une interface : celle qui existe nécessairement entre l’espace intra-institutionnel
et l’espace extra-institutionnel, dont fait
partie la famille.
« Mais dès lors, en hôpital de jour, à quel
espace le patient appartient-il ? Aux deux
apparemment, mais est-ce possible ?
« On voit tout de suite que cette question
d’appartenance à un espace est conflictuelle : le fait même qu’un patient entre
dans l’institution crée un conflit
d’appartenance entre ces deux espaces
intra et extra-institutionnels. »
Plus loin enfin, en paraphrasant Racamier
en conclusion de la synthèse :
« Une heure peut suffire pour comprendre
une famille de psychotiques, mais il faut
plus de 20 ans pour s’apercevoir qu’on
n’y comprend pas grand-chose ou, pour
le dire autrement, ce qui compte n’est pas
notre savoir, mais ce qui nous reste à
apprendre », fin de citation.
A côté de la virulence des passes d’armes
qui pouvaient avoir lieu à l’époque au
sein ou entre les institutions entre les protagonistes des camps retranchés de ces
appartenances théoriques, les échanges
qui avaient eu lieu lors de ce colloque
étaient presque agréables ! Ce qui dénote
bien l’esprit d’ouverture et de convivialité
qui a régné dès les origines du Groupement et ceci malgré des divergences de
vues parfois profondes.
Depuis lors une autre voie psychothérapeutique a pris son essor, venant jouer les
trublions dans l’establishment amourhaine théorique établi : cette voie est bien
entendu celle des approches cognitivocomportementales. Il en a été question
pour la première fois de façon approfondie dans notre Groupement lors du colloque de Luxembourg en 2006. Au fil des
années, la psychothérapie est ainsi devenue une sorte de ménage à trois, au point
qu’afin de tenter d’y mettre de l’ordre –
du moins pour la SUISSE, qui aime
l’ordre comme vous le savez -les organes
de certification des formations médicales
ont décidé depuis environ une dizaine
d’années que les médecins candidats au
titre de spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (titre encore double et indivisible en SUISSE, avec une formation
spécifique dans les deux domaines) devaient choisir un axe psychothérapique
préférentiel parmi les trois reconnus au
cours de leur 3ème année de formation
post-graduée après que l’examen théorique de spécialiste ait été réussi. De ce
fait nous trouvons dans pratiquement
toutes nos équipes travaillant en hôpital
de jour des médecins se formant ou ayant
été formés dans les trois axes, ce qui est
indéniablement un enrichissement, mais
ne manque pas de complexifier le travail
des équipes soignantes…
Personnellement, j’ai encore eu le privilège de me former en parallèle dans les
approches psychanalytique et écosystémique puis de prendre le train des approches cognitivo-comportementales en
route. C’est très certainement grâce à
l’enseignement et à l’expérience du Professeur Ivan Boszormenyi-Nagy que je
n’ai pas fait un melting-pot des différents
concepts théoriques en veillant en permanence à bien être attentif aux lunettes que
je porte et en le précisant avec les équipes
que je côtoie. Dans mon expérience de
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Transmission : allocution d’ouverture du Colloque
cette dernière décennie, et compte tenu
des modifications intervenues dans le
cursus de formation de nos futurs psychiatres-psychothérapeutes que j’ai évoquées, le plus difficile a sans conteste été
de faire comprendre que voir une famille
n’implique pas une formation écosystémique ni ne veut dire qu’on doit la prendre en thérapie ! C’est toute la différence
entre une thérapie familiale au sens strict
et un accompagnement thérapeutique des
familles des patients dont nous avons la
responsabilité de la prise en soins…
Ainsi, après que le thème des modèles ait
été abordé sous divers angles l’année dernière de façon passionnante et enrichissante, le fait que nos amis Bretons Anne
Abiven, Françoise Cam, Jacques Cirolo,
Jean-Yves Cozic, Maria Squillante, Johann Drevillon, Isabelle Jeannes, Sophie
Le Borgne, Maryse Pichon et Éric Roudaut se soient dits qu’il était temps de
venir revisiter la façon d’aborder les familles dans nos pratiques en hôpital de
jour me réjouit personnellement beaucoup
et je leur en suis très reconnaissant au
nom du comité scientifique du Groupement.
Bien d’autres changements se sont produits durant les 30 dernières années dans
nos sociétés y compris, et en particulier,
dans nos organisations familiales. Nous
avons de plus en plus à composer avec
des familles recomposées ou monoparentales, sans omettre les aspects multiculturels et les problèmes de migrations qui
viennent souvent compliquer notre travail
dans un premier temps par les aspects
linguistiques puis par les questions
d’intégration ou d’appropriation. Ces
questions nous rapprochent également de
celles de l’adoption en passant par celles
des secrets de famille potentiellement
trahis ou explosés par des interventions
extérieures intempestives non réfléchies,
ni prévisibles ni imaginables il y a 30 ans,
tels des tests ADN sauvages par exemple,
venant chambouler les certitudes de filiations en cassant toute possibilité de fantasmatisation
par
une
irruption
inappropriée d’une forme de réalité, parfois démentie par la suite… Sans compter
que le recours à la soi-disante science ou
à internet vient encore compliquer le
tout… Mais je m’aventure là sur un terrain dans lequel les hôpitaux de jour n’ont
pas le monopole des soucis !!!
Je crois que pour la première fois de son
histoire, notre colloque aura pour ses conférences plénières une teinte davantage
pédopsychiatrique. Je le vois personnellement comme un enrichissement, une
façon de remonter aux origines, de prendre
un
peu
plus
de
temps
qu’habituellement pour s’intéresser aux
fondements de la famille par un chemin
qui ne préjuge pas des modèles théoriques. Pour ma part, j’ai toujours regretté
de ne pas avoir pris suffisamment de
temps, durant ma formation, pour
m’intéresser aux premières années de
développement de façon clinique. Je suis
persuadé que vous ne nous en voudrez
pas d’avoir fait cette exception, d’autant
que la richesse et la diversité des ateliers
proposés cette année encore vous comblera, j’en suis certain, par une multitude
d’échanges fructueux d’expériences et de
pratiques.
Je tiens donc à remercier très chaleureusement nos amis Bretons pour ce magnifique programme et de nous donner à
nouveau l’occasion, tant physiquement
que symboliquement, de porter notre regard à l’horizon sur l’océan, 12 ans après
notre dernière visite.
Je vous souhaite un excellent et agréable
colloque !
BIBLIOGRAPHIE
1. DELISLE J.-P., Synthèse, XIèmes Journées
des Hôpitaux de Jour, Lausanne, 1983, 87-95
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3. HEIREMAN M., Du côté de chez soi – La
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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
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L’IDENTIFICATION DANS LE TRAVAIL AVEC
LES FAMILLES, RÉFLEXION CLINIQUE
Centre de Santé Mentale Enfants-Parents
Rue Lambert-le-Bègue, 16
B4000 LIEGE
BELGIQUE
[email protected]
Professeur Alain MALCHAIR
Psychiatrie infanto-juvénile – Université de Liège
Le travail avec les familles est indispensable en pédopsychiatrie, qu’il s’agisse de thérapie familiale
ou d’accompagnement familial.
Dans cette communication, nous réfléchissons à la place de l’identification projective dans toute
rencontre thérapeutique avec une famille en souffrance, sur base d’un travail clinique avec des parents dont un des enfants est handicapé par le syndrome de Prader Willi.
Actuellement, l’identification projective est considérée comme un mécanisme normal et important du
fonctionnement des parents et des thérapeutes.
La clinique du handicap nous montre la grande difficulté des parents à entrer dans ce processus
lorsque leur enfant réel est si loin de l’enfant attendu.
Mots-clefs : Travail familial, identification projective, handicap, Prader-Willi
Identification in work with families, clinical thinking
Working with families is essential in child psychiatry, whether family therapy or family counselling.
In this paper, we consider instead of projective identification in any therapeutic encounter with a
family in distress, based on clinical work with parents whose a child is infected with Prader Willi
syndrome.
Currently, projective identification is considered a normal and important mechanism functioning as
parents and therapists.
Clinical disability shows the great difficulty of parents to enter into this process when their real child
is so far from the expected child.
Keywords: family work, projective identification, disability, Prader-Willi
INTRODUCTION
Le travail avec les familles est indispensable en pédopsychiatrie, qu’il s’agisse
de thérapie familiale proprement dite ou
d’accompagnement familial au sens large
et que le référentiel théorique soit d’ordre
systémique ou psychodynamique.
La présente communication a pour objectif de réfléchir à la place de
l’identification projective dans toute rencontre thérapeutique avec une famille en
souffrance, sur base d’un travail clinique
avec des parents dont un des enfants est
gravement handicapé, s’agissant d’un
syndrome de Prader-Willi.
Deux questions vont nous accompagner :
-Suis-je à chaque moment dans un travail
psychothérapeutique et sur quoi est-il
fondé ?
-Qu’est ce qui nourrit le mécanisme
d’identification projective dans cette situation ?
Cette notion d’identification projective -ô
combien classique- subit une profonde
évolution depuis son introduction princeps par Mélanie Klein en 1946. Elle s’est
notamment étendue à l’analyse du travail
psychothérapeutique comme mécanisme
contre-transférentiel central.
Comme nous le verrons dans la description clinique, nous sommes confrontés à
l’identification projective des parents à
l’égard de leurs enfants, mais aussi celle
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qui nous relie à chaque parent et à
l’enfant. Nous précisons “chaque” parent
car la présentation fréquente “des” parents ne signifie rien ici, le mécanisme
s’appliquant différemment dans notre
relation à chaque personnalité.
Parler de contre-transfert suppose par
définition une réflexion sur notre implication personnelle au-delà de la neutralité
bienveillante classique. Je préfère l’idée
d’une “gestion professionnelle des émotions” qui repose, en direct, sur l’analyse
et l’explicitation aux patients de notre
travail d’identification.
Une précaution s’impose à ce stade, à
propos de cette implication personnelle, à
la fois dans le travail clinique en général
et la présente réflexion: il s’agit de ma
manière de travailler, utilisant des notions
classiques de façon non classique, dans
une “boîte à outils” clinique. Je demande
donc l’éventuelle indulgence du lecteur.
UNE PSYCHOTHÉRAPIE ?
Dans un article de 2007, consacré une
psychothérapie mère/bébé, G. Diatkine
répond à B. Golse s’interrogeant sur les
possibilités de parler d’une psychothérapie psychanalytique avant que le patient
n’ait acquis le langage. Ce qu’il nomme le
« minimum requis » pour un bébé me
paraît convenir parfaitement à la situation
d’un enfant gravement handicapé.
Pour G. Diatkine, « il faut qu’il ait au
moins, du côté du patient, un enchaînement d’événements qui fasse sens pour
l’analyste et du côté de l’analyste, une
activité interprétative tels que ces événements donnent un sens après coup à des
évènements antérieurs, puis à nouveau du
côté du patient, un changement de régime
associatif qui confirme l’interprétation en
l’enrichissant ».
Nous verrons que c’est exactement ce qui
se passe dans notre exemple clinique,
lorsque l’enfant entendant une interprétation de sa relation conflictuelle avec sa
mère, va radicalement modifier son comportement, bouleversant l’interaction affective entre elle.
Dès lors, citons encore Diatkine: « la réponse ou l’absence de réponse du patient
reste le seul gage de l’exactitude de
l’interprétation chez le nourrisson comme
chez l’enfant qui utilise le langage. Un
bébé ne va pas répondre par “oui” ou
par “non”, mais sa production prélangagière va se modifier, son interaction à
l’adulte va s’enrichir… »
Il me paraît essentiel d’accorder aux enfants handicapés la capacité de nous entendre, de nous comprendre, et d’interagir
en conséquence, si nous accueillons en
nous leur vécu inconscient.
L’IDENTIFICATION PROJECTIVE
La définition classique proposée par Laplanche et Pontalis (1967,1997) dans le
Vocabulaire de la Psychanalyse est, pour
rappel : « Terme introduit par Mélanie
Klein pour désigner un mécanisme qui se
traduit par des fantasmes où le sujet introduit sa propre personne en totalité ou
en partie à l’intérieur de l’objet, pour lui
nuire, le posséder et le contrôler ».
L’identification projective présente donc
un couple de termes associés au sens où il
s’agit d’une modalité de la projection,
mais aussi d’une identification puisque
c’est la personne ou une partie d’ellemême (ses mauvais objets clivés par
exemple) qui est projetée.
Il s’agit de désigner « une forme particulière d’identification qui établit le prototype d’une relation d’objet agressive ».
Bion (1966), et à sa suite Meltzer (1980),
vont faire évoluer considérablement cette
notion pour en élargir le champ bien au-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
L’identification dans le travail avec les familles, réflexion clinique
delà de la dimension agressive, et
l’intégrer comme élément essentiel de la
communication, singulièrement pour le
bébé et le patient, ce qui nous concerne
précisément ici.
On parlera alors d’identification projective normale et identification projective
pathologique.
Ainsi Meltzer, s’appuyant sur Bion, écritil en 1984: « Lorsque le bébé - ou le patient - se trouve dans un état de confusion
et d’incapacité à penser au sujet de
l’expérience émotionnelle qu’il est en
train de vivre, il clive et projette cette
partie de lui-même qui se trouve dans un
état chaotique et confus.
« En recevant cette partie de la personnalité du bébé - ou du patient - qui se trouve
en état de détresse et de chaos, la mère ou le thérapeute - contient cette partie et,
avec ce que Bion a appelé "rêverie"
commence le processus de formation de
symboles et de la pensée. A certain point
de ce processus, le bébé -ou le patientdevient alors capable de réintégrer cette
partie de lui-même et de poursuivre le
processus de pensée ».
Dans cette perspective, Bion évoque un
travail de « détoxification » et nous verrons combien la maman de notre exemple
peut être sensible à ce travail, mais avec
quelle difficulté !
Si nous poursuivons notre regard sur
l’évolution historique de l’identification
projective, nous rencontrons Cramer et
Palacio Espasa (1993) qui en parlent
comme d’un « mécanisme naturel du
fonctionnement parental » et ils précisent
« entre les différentes fonctions décrites
chez les parents et notamment chez la
mère, contribuant à la structuration et au
développement psychique chez l’enfant, la
“fonction d’identification” par la mère
tient ici une place essentielle. La mère
commence à “identifier” à partir de ce
qui lui est connu -ses objets internes et les
aspects d’elle-même en tant qu’enfant- ce
que le bébé représente d’étranger et
d’énigmatique ». Nous verrons, dans les
petits scénarios fictifs proposés plus loin
combien cette réflexion est utile pour la
compréhension de l’identification projective “positive”. Rapprochons nous davantage encore de la clinique des familles, A.
Ciccone nous présente comme quasi incontournable une réflexion et un usage de
l’identification projective (1997 et 2013 ;
1999 et 2012) en affirmant « Je considère
l’identification projective comme une
modalité centrale d’interaction psychique
constitutive de toutes transactions intersubjectives produisant une transmission
inconsciente ». Dans la Transmission
Psychique Inconsciente, il nous livre un
remarquable chapitre sur la Clinique du
Handicap que nous évoquerons plus loin,
notamment à propos de « l’empiètement
imagoïque ».
Enfin, plus récemment, dans le Divan
Familial en 2011, A. Rissone s’appuie sur
les réflexions de Ciccone pour expliquer
« L’identification projective apparaît
encore aujourd’hui comme un concept
riche et fécond en raison de sa double
fonction de mécanisme de défense et de
vecteur de communication. Elle permet de
se débarrasser de sentiments déplaisants,
de contrôler certains aspects du psychisme de l’autre, d’éviter la séparation,
les sentiments de dépendance et de perte,
de colère et d’envie, elle permet aussi la
communication et l’empathie.
« Ce deuxième aspect implique un caractère communicatif intersubjectif et dans la
réalité (le patient fait quelque chose à
l’analyste et l’analyste fait quelque chose
au patient) ».
Ces différents apports théoriques, chacun
largement illustré par la clinique de leurs
auteurs, nous permettent à présent de
nous interroger sur notre propre pratique
et d’analyser comment ils peuvent
l’enrichir.
Le but essentiel me paraît être de “débloquer” certaines situations familiales lorsque les membres en sont enfermés dans
une impasse de pensée qui répète à
l’infini le conflit, et la souffrance qui en
résulte. La souffrance face au handicap
d’un enfant est particulièrement illustrative d’un tel blocage.
DE LA PÉDAGOGIE PAR
SCÉNARIO ?
Afin d’illustrer de façon sans doute
quelque peu caricaturale les concepts
évoqués jusqu’ici, ainsi que leur implication clinique, je propose ci-dessous plusieurs scénarios fictifs qui leur
correspondent.
La projection
Je lui en veux,
Non ce n’est pas moi qui lui en veux, c’est
lui qui m’en veut,
Donc je peux lui en vouloir.
L’identification projective de base
Je ne m’aime pas, je me sens très agressif,
Non, c’est lui qui ne m’aime pas et qui est
agressif,
Donc je ne l’aime pas et j’ai le droit
d’être agressif envers lui.
Relation parents-enfant
Identification projective annexante
C’est mon enfant,
Je sais ce qui est bon pour moi, et donc ce
qui est bon pour lui,
Il doit être comme je veux,
Je vais ainsi être un bon parent.
Identification projective expulsante
Je n’étais pas méchant, j’étais gentil,
Mes parents étaient bien injustes d’être
méchants avec moi.
Mais mon enfant, lui, il est méchant,
Et moi, je suis juste de le punir.
Je dois le faire pour me protéger, sinon il
va me détruire comme mes parents m’ont
détruit
Identification projective annexante et
expulsante
Je suis un bon parent comme j’ai été un
bon enfant,
Je sais ce qui est bon pour moi, donc ce
qui est bon pour mon enfant.
Il sera (bon) comme je le veux, et je serai
un bon parent.
Mais il n’est pas comme je veux, donc il
est méchant.
Mes parents étaient injustes parce qu’ils
croyaient que j’étais méchant,
J’aurais pu (voulu) les détruire de me
traiter comme ça,
Je dois me fâcher sur mon enfant qui est
vraiment méchant, lui, sinon il va me détruire.
Scénario positif
Identification projective externalisante
Je m’aime comme bonne mère (et j’ai été
un bon enfant aimé de ses parents),
Il m’aime comme bonne mère,
Je l’aime comme mon enfant.
Autre scénario positif
Il est comme moi, je connais ses besoins,
Il me le signifie, je le vois bien,
Je vais y répondre.
Et encore
Mon enfant est en plein désarroi,
Je le sens, c’est mon enfant,
Je vais l’apaiser,
Et il va à nouveau jouer (penser!)
Remplaçons à présent enfant par patient
dans ces scénarios positifs, et nous arrivons à notre travail thérapeutique, et à
notre sujet !
SITUATION CLINIQUE
a. Anamnèse et premier entretien
Les parents de Florence (8 ans et demi)
me sont envoyés par la pédiatre endocrinologue qui suit cette famille pour un
syndrome de Prader-Willi. Le problème
particulier vient de ce que, contrairement
à la règle de l’hyperphagie, Florence est
quasi anorexique et présente un retard
staturopondéral marqué.
Florence est une petite fille plutôt souriante, légèrement dysmorphique. Elle ne
parle pas, sauf quelques onomatopées
comprises par les parents. Par contre, elle
s’explique par gestes de désignation et
d’approbation/refus ainsi que par rappro-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
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Le travail avec les familles en hôpital de jour
chement physique (réassurance, câlin ou
petit coup). Elle obéit plus ou moins. Le
retard intellectuel est plus sérieux que la
règle...
Fait particulier, elle est “scotchée” à son
père, chaque comportement exploratoire
se terminant par le rapprochement physique avec ce dernier qui se montre assez
neutre dans son attitude.
Dès le premier entretien, la maman
évoque cette situation qui l’interpelle bien
davantage que l’anorexie : le papa est
tout, elle n’est rien ; plus encore elle est
comme le frère ainé (11), la cible d’une
grande agressivité de Florence (frapper,
mordre, etc, …).
Ce problème va occuper l’ensemble des
entretiens. La maman exprime la plus
grande souffrance à ce propos ; elle
pleure, ne comprenant pas le pourquoi de
cette hostilité. Le papa opine sans guère
parler : il n’en peut rien, ne veut pas ça.
Le pire est quand il part car alors, Florence hurle, se roule par terre, trépigne …
sans pouvoir être calmée. Le couple est
clairement en difficulté.
La maman a fait une grave dépression à
l’annonce du diagnostic, avec une tentative de suicide ; cette annonce a eu lieu
environ un mois après la naissance, ce qui
correspondrait au début des troubles de
Florence (?, un peu tôt sans doute, mais
c’est le scénario familial). Sa culpabilité
est absolue.
Les interrogeant sur la responsabilité génétique du papa, les parents m’expliquent
savoir que l’anomalie vient de lui, et cela
très vite après l’annonce.
Syndrome de Prader-Willi
Maladie génétique rare liée à une
anomalie du chromosome 15, entraînant
un
dysfonctionnement
de
l’hypothalamus.
Cliniquement, les symptômes majeurs
sont:
- hypotonie néonatale sévère,
- hyperphagie majeure avec développement
fréquent d’une obésité
morbide,
- retard psychomoteur,
- déficience intellectuelle légère à
modérée,
- hypogonadisme
- troubles divers du comportement,
tels que, humeur variable, contrôle
difficile des émotions, entêtement…
Etiologie
Problème (surtout absence) au niveau
d’une région du chromosome 15 paternel, par 3 mécanismes possibles,
- 70% impliquant uniquement le père,
- 20% impliquant les deux parents,
- 5% par non expression de cette ré-
10
gion
En “scientifique”, comme il se décrit luimême, le papa sait qu’il n’en peut rien ; il
ne se montre pas rigide (mais peu actif)
en expliquant qu’il voudrait que sa femme
soit moins malheureuse.
Pendant ce temps, Florence a des mouvements positifs envers sa mère, repart,
revient… Si celle-ci l’accueille avec réticence, elle manifeste cependant une réelle
envie de se laisser aller à accepter ces
mouvements.
Nous avons affaire à une quasi concordance chronologique qui s’établit dans
l’enchainement suivant : annonce du diagnostic, effondrement dépressif de la maman, responsabilité du papa, trouble du
comportement de Florence.
Vu le contexte empathique installé (Florence toujours près de sa maman), je leur
propose une hypothèse que je leur qualifie
d’“un peu folle” qu’ils peuvent rejeter
mais que je crois plausible.
Cette hypothèse repose sur une triple
identification, à chaque parent, et aussi à
Florence, et elle est basée tant sur mon
analyse directe de la situation que, sans
doute, sur mes propres modèles internes.
L’annonce du diagnostic a provoqué
l’effondrement dépressif de la maman
qui, “comme toutes les mamans”, se sent
coupable de ce qui arrive à son enfant,
même si elle n’en est pas responsable ;
spécialement ici, c’est le papa qui est responsable (mais pas coupable) du problème génétique et du handicap de sa
fille ; de ce fait il est pourtant aussi “responsable” de la grave dépression de son
épouse. Que faire quand on est un époux
et un père “responsible” ? (au sens positif
du terme cette fois), on répare, on compense et on s’occupe beaucoup de sa fille,
d’autant plus que la maman dépressive ne
le pouvait plus.
Après un détour théorique par
l’attachement au donneur de soins, je
propose l’idée que Florence se soit alors
massivement attachée à lui en réponse,
mais surtout, qu’à présent, elle-même se
soit approprié le scénario, et qu’elle le
maintienne à tout prix, comme garantie de
sa sécurité. A ce moment, la maman
pleure sans rien dire et le père remarque,
« je veux bien, mais c’est inconscient
quand même » signant par là sa probable
acceptation.
Florence est à présent “collée” à sa mère
qui rit en pleurant, « elle n’a jamais fait
ça », mais elle me regarde (et pas sa fille),
sans oser se laisser aller, « vous pensez
que ça ne va pas durer » dis-je. Florence
continue pourtant, va vers son père et
revient, en souriant largement à sa mère
qui ne peut répondre, « Je n’y arrive
pas ». Toujours active, Florence revient
encore vers elle, la caresse, et la maman
répond enfin. Soudain, Florence frappe
(légèrement) le bras de sa mère, « Vous
voyez ! Ça recommence ». Mais elle se
reprend aussitôt et reconnaît qu’elle exagère ; la scène se termine par un “jeu de
nez” où chacune prend beaucoup de plaisir manifeste, « ça n’est jamais arrivé ».
Lors des entretiens ultérieurs, la maman
revient à chaque fois sur le constat que
« tout recommence » parce que Florence
répète ses comportements agressifs à son
égard et d’attachement excessif à l’égard
de son père.
Je dois poser explicitement la question
pour “découvrir” qu’en réalité, si les
comportements négatifs existent encore,
ils ne sont plus seuls, et sont accompagnés de mouvements très positifs comme
ceux de la séance alors que, rappelons-le,
ces comportements n’apparaissaient jamais auparavant. « Elle ne le voit pas »
constate le papa qui encourage Florence à
se rapprocher de sa maman.
Au stade actuel, le travail est chaque fois
à recommencer, pour dépasser ce mécanisme de répétition traumatique sur lequel
nous reviendrons au dernier chapitre.
b. Réflexion
En ce qui concerne le père, j’ai projeté
mes propres mécanismes défensifs, concordant avec ses propos, le scientifique
responsable, mais pas coupable, qui veut
réparer et protéger.
Ce faisant, je tente de le sortir du rôle
passif qu’il présente, pour endosser un
rôle actif et responsable, mais en le positivant dans sa démarche.
Pour la maman, au-delà de la projection
d’une image de mère, j’ai accueilli ses
angoisses, son sentiment de persécution
par Florence, et l’hostilité évidente (et
coupable) qu’elle lui porte en retour ; je
l’ai ainsi “détoxifiée”: « ce qui se passe
entre vous et Florence, et ce que vous
ressentez ne font pas de vous une mauvaise mère ».
Enfin, en le lui disant, j’ai officialisé le
rôle actif de Florence qui a repris le scénario à son compte ; ce faisant, elle renouvelle le scénario en le changeant car
c’est elle qui ira vers sa mère: « elle vous
dit que ce n’est pas vrai tout cela, qu’elle
vous aime ».
Enfin, les trois temps proposés par Diatkine pour établir le minimum requis dans
une psychothérapie me paraissent atteints:
l’enchainement des événements à fait
sens pour moi, mes interprétations ont
donné sens après coup aux événements
antérieurs, et les patients ont repris et
modifié le scénario (surtout Florence !).
LA CLINIQUE DU HANDICAP
Le titre est explicitement reproduit du
chapitre de Ciccone dans son ouvrage, La
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
L’identification dans le travail avec les familles, réflexion clinique
Transmission Psychique Inconsciente
(1999 et 2012) sur lequel nous reviendrons plus loin.
Un sous-titre pourrait être, “Comment
passer de l’enfant imaginaire, attendu, à
l’enfant réel ? »
En 2012, F. Grasso nous propose une très
intéressante réflexion sur « les effets posttraumatique du handicap sur le système
perceptif et sur le psychisme des parents », réflexion qui me paraît particulièrement éclairante pour l’approche
thérapeutique de l’ensemble des parents
d’enfants handicapés, et singulièrement
pour la famille qui nous occupe ici.
L’enfant attendu repose sur une prévision
concrète, “perceptive” d’un modèle
d’enfant, surtout lorsqu’il n’est pas l’aîné.
Ici, ce processus est complètement effracté. Le processus d’identification narcissique est bloqué par l’effarement, la
confusion et l’absence d’expériences spécifiques à quoi se référer.
Comme l’indique encore Grasso : « Dans
le processus de substitution, ou pour
mieux dire de transfiguration de l’enfant
du désir (l’enfant idéalisé) en enfant réel,
on retrouve une identification projective
type narcissique. La mère projette sur
l’enfant réel tous les désirs relatifs à son
enfance ou mieux tous les désirs concernant la façon dont elle aurait voulu être
aimée pendant son enfance, comme un
enfant parfait est désiré par ses parents ».
Rappelons que dans l’identification narcissique, il ne s’agit pas seulement de
s’aimer soi-même mais de s’identifier à
l’autre (l’objet), qui aime le sujet (soi). Ce
mouvement psychique rappelle celui qui a
lieu chez la mère par rapport à l’enfant.
Dans le contexte du handicap, l’accordage
affectif est anormal, voire impossible, et
la maman de notre cas clinique le montre
assez ! L’enfant handicapé n’envoie pas
les signaux qui permettent l’échange
identificatoire.
Notre situation clinique permet d’élaborer
le petit scénario suivant pour illustrer
l’enfermement de la maman dans une
identification projective négative :
C’est mon enfant, je veux l’aimer (je
l’aime ?)
Elle est si différente de moi (comment estce possible ?)
Elle ne m’aime pas (elle m’en veut d’être
handicapée ?)
Je lui en veux d’être injuste avec moi, en
me « disant » que je suis une mauvaise
mère (peut-être que je le suis ?)
J’ai peur d’elle, elle me mord, elle me
frappe (elle me punit ?)
Et il en sera toujours ainsi…
La déception traumatique bloque l’espoir
de la rencontre ; elle crée chez la mère les
conditions d’une répétition, traumatique
cette fois encore, et chez l’enfant, le rejet
de l’approche maternelle, une disqualification de son attitude par incrédulité.
Mon effort thérapeutique est alors de soutenir la partie blessée de chacune, et de
montrer la pertinence d’un effort de rapprochement, comme dans la séance du
“jeu de nez”.
On a vu que la répétition perdure malgré
tout, Florence est captive de son propre
comportement, et sa mère, de l’attente de
ce comportement.
Plus grave, la maman devient victime,
elle quitte le rôle d’agresseur autoattribué par culpabilité sur le handicap,
pour devenir, par le mécanisme de
l’identification projective, l’objet persécuté de sa fille.
Ici encore, Ciccone peut guider notre réflexion via « l’empiètement imagoïque »
dont il nous dit que « c’est un processus
qui peut être activé par la transformation
d’un objet idéal (l’enfant rêvé, attendu,
porteur du narcissisme parental) en un
objet persécuteur (l’enfant abimé, décevant, endommageant les objets internes
parentaux) ».
Pour
comprendre
cette
notion
d’empiètement imagoïque, il faut considérer qu’une image parentale (objet psychique du parent) est imposée comme
objet d’identification de et pour l’enfant :
-“de” : réincarnation pour la maman dans
ses yeux (il y a quelque chose de mauvais en moi, d’où le handicap) ;
-“pour” : dans les propres yeux de
l’enfant (oui je suis mauvais).
Chacun est ainsi piégé dans le besoin de
confirmer, les parents comme l’enfant,
captifs de cette projection. C’est exactement ce que vivent Florence et sa maman.
CONCLUSION
Comment passer de l’enfant imaginaire à
l’enfant réel ?
Comment sauvegarder l’intégralité narcissique des parents, tout en s’attaquant à
l’exclusion défensive des parties “différentes” (décevantes) de la réalité, c’est-àdire l’enfant handicapé ?
Le recours à l’identification projective
positive est sans doute une “voie royale”
(Ciccone) pour accéder à la souffrance
des parents , il s’agit alors de partir de la
représentation parentale, même erronée,
pour tenter de créer une base de réalité
partagée,
par
ce
mécanisme
d’identification projective, mais aussi une
« base perceptive commune » (Grasso)
entre patients et nous-mêmes thérapeutes.
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27, 2011, pp 165-173
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
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DE LA FAMILLE CABOSSÉE À LA FAMILLE
SUFFISAMMENT BONNE
CHUV
Les Boréales
Avenue Recordon 40
CH-1004 LAUSANNE, SUISSE
[email protected]
Dresse Alessandra DUC MARWOOD
Médecin-responsable de l’Unité les Boréales et
de l’Unité d’Enseignement du Centre d’Etude de la Famille,
Lorsqu’une famille accompagne l’un de ses membres en hôpital de jour, elle a déjà vécu de nombreux
contacts avec des professionnels.
Ces expériences ont un impact important sur l’image que la famille a d’elle-même et sur le regard
qu’elle porte sur l’aide. Tout ce vécu interfère avec la relation qui pourra s’établir entre le patient, la
famille et les intervenants en hôpital de jour.
Le propos de cette conférence aura pour but d’ouvrir une réflexion sur comment puiser dans ces
expériences multiples pour aider les familles éprouvées par le long parcours que leur impose la maladie à devenir des familles suffisamment confiantes en elles et donc confiantes en les professionnels
pour pouvoir accompagner la démarche en hôpital de jour. En d’autres termes, les faire passer du
statut de famille cabossée à celle de famille suffisamment bonne.
Mots-clefs : parentalité, expérience, demande, père, mère, famille
From battered Family to good enough Family
When a family accompanies a member hospital day she has lived many contacts with professionals.
These experiences have a significant impact on the image of the family itself and the way she sees
help. All lived interferes with the relationship can be established between the patient, family and
stakeholders in day hospital.
The purpose of this conference is intended to open a debate on coming to tap into these multiple experiences to help families affected by the long-course that imposes the disease to become confident
enough families in them and therefore confident in professionals to be able to accompany the process
in a day hospital. In other words to make them go from being battered family than good enough family.
Keywords: parenthood, experience, application, father, mother, family
INTRODUCTION
Si en tant qu’adulte on peut quasiment
vivre incognito dans une ville, dès que
l’on se lance dans l’aventure de la parentalité on est soudain exposé à de multiples regards, et ceci dès la grossesse. La
société va poser mille questions comme :
comment la mère se plie-t-elle aux exigences de la grossesse : contrôles, alimentation saine, vie équilibrée, préparation de
ce qui sera nécessaire après la naissance ?
Comment le père se prépare-t-il à son
futur rôle, comment soutient-il son
épouse : engagement moral, présence lors
des échographies, participation aux cours
de préparation à l’accouchement ?
L’exposition explose au moment de la
naissance. Une analyse du fonctionnement du service de maternité a montré
qu’une femme qui accouche au CHUV
(Centre Hospitalier Universitaire Vaudois) est, pendant les quatre jours qui
suivent l’accouchement, mise en présence
de 30 professionnels différents. Chaque
professionnel se sent investi de la mission
de donner des conseils, aider la jeune
mère. Mais les conseils donnés ne sont
pas, et de loin, toujours homogènes. Les
parents vivent alors une expérience très
douloureuse que la fable de la Fontaine
« Le Meunier son fils et l’âne » illustre
parfaitement (1).
12
Cette fable raconte l’histoire d’un meunier qui part à l’aube vendre sa farine au
marché. Il charge sur le dos de son âne les
sacs et se met en marche, son fils à ses
côtés. La première passante qu’ils croisent les aborde en ces termes : « Comment est-ce possible de faire marcher un
si jeune garçon de si bon matin ? Un âne
ne peut-il pas porter l’enfant aussi ? »
Après un instant de réflexion, le meunier
trouve que la femme a raison et il installe
son fils sur le dos de l’âne. Un peu plus
tard ils croisent deux hommes d’un certain âge qui les regardent interloqués.
« Mais où va le monde ! Un jeune garçon
vaillant se fait porter par l’âne alors que
le père qui se tue à la tâche doit en plus
marcher ! » Le meunier trouve cette remarque pleine de bon sens. Il fait descendre son fils de l’âne et s’y installe.
Quelques temps plus tard, ils croisent un
berger qui, en les voyant s’approcher,
s’exclame : « Mais vous allez tuer cette
pauvre bête ! Nigauds que vous êtes de
tant la charger. Chacun devrait porter un
sac de farine et marcher ». A ces mots le
meunier prend conscience des signes
d’épuisement de sa bête et fait ce que
propose le berger. C’est à l’occasion
d’une nouvelle rencontre que tout d’un
coup le meunier réalise que tout le monde
a de bonnes raisons de lui proposer telle
ou telle manière de faire mais que, finalement, on ne peut contenter tout le
monde. Il vaut mieux dès lors agir comme
bon nous semble.
Comme le Meunier, une jeune mère qui
commence à allaiter sera très réceptive
aux conseils des professionnels. Si
l’allaitement est difficile, chaque soignant
apportera son aide en expliquant comment elle doit s’y prendre. Elle percevra
combien chaque proposition est pleine de
bon sens et s’y conformera. Si les problèmes continuent, elle se sentira incompétente, nulle, incapable de bien suivre les
conseils pertinents des autres. Sa détresse
suscitera chez les professionnels l’envie
de l’aider plus. Peu à peu la jeune femme
ne saura plus qui croire, quoi faire.
D’autre part, toutes les familles n’arrivent
pas, comme le meunier, à prendre conscience à un moment donné, de la multiplicité des points de vue. Envahies par des
informations contradictoires, incapables
de se positionner, elles vont soit totalement déléguer aux professionnels toutes
les compétences, soit se fermer totalement
à toute intervention sur un mode plus oppositionnel et de repli sur soi.
Après le passage en maternité, les parents
continueront d’être exposés intensément
aux regards des autres : pédiatres, enseignants, spécialistes, mais aussi voisins,
autres mères à la place de soi. A chaque
exposition, l’enfant est comparé à la
norme. Ainsi, lorsque l’enfant pose problème chacun va prodiguer des conseils
aux parents, leur expliquant quelle attitude adopter pour que l’enfant aille
mieux. Si l’enfant ne va pas mieux la réaction des professionnels ira dans deux
directions : celle de donner plus de conseil aux parents pour que cela se passe
mieux (les parents sont d’ailleurs souvent
demandeurs) et celle de professionnaliser
la prise en charge de l’enfant en ajoutant
des spécialistes et donc en fragilisant la
position parentale.
Certains parents vont adopter une attitude
totalement collaborative avec les professionnels. Ils vont mettre en pratique à la
lettre ce que les professionnels leur demandent, au risque de faire comme Epaminondas.
Epaminondas est un petit garçon qui vit
dans un village d’Afrique. Un jour, sa
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
De la famille cabossée à la famille suffisamment bonne
mère lui annonce que sa tante qui est en
fin de grossesse a besoin d’aide. Epaminondas va chez elle et lui rend mille menus services. A la fin de la journée, elle
lui donne un morceau de gâteau à la noix
de coco. Il projette de le mettre dans son
sac pour le ramener à la maison mais sa
tante lui propose, pour qu’il ne s’abîme
pas, de le tenir bien serré dans sa main.
Epaminondas est un enfant très obéissant.
Sur le chemin du retour, il fait bien attention à serrer ses doigts autour du gâteau.
Lorsqu’il arrive à la maison, la pâtisserie
est en miettes. Sa mère lui explique qu’il
aurait dû l’envelopper dans du papier et le
mettre dans son chapeau. Le lendemain,
Epaminondas retourne chez sa tante. En
fin de journée elle lui offre une motte de
beurre. Toujours très fidèle à ce que les
adultes lui disent, il enveloppe le beurre
dans du papier et le met sous son chapeau
sur sa tête. Lorsqu’il arrive à la maison, le
beurre a fondu et dégouline sur son visage. Sa mère s’attriste de voir que son
fils manque tant de bon sens. Elle lui explique qu’il aurait dû l’envelopper dans
de larges feuilles et le tremper en chemin
à chaque point d’eau. Lorsque le lendemain sa tante lui offre un adorable petit
chiot, il fait exactement ce que sa mère lui
a dit. Arrivé au village, il est triste de voir
que l’animal est à moitié inanimé.
La fin de cette histoire relate
qu’Epaminondas va voir un vieux sage
qui lui intime l’ordre de recourir à son
bon sens lorsqu’il doit décider comment
agir. A qui pourront s’adresser des parents qui ont fait exactement ce que les
professionnels ont proposé et qui pourtant
ont toujours mal fait ? Qui sera le vieux
sage ? Nous verrons ci-dessous que les
remettre en lien avec leur capacité à évaluer ce qui est utile ou pas leur permet de
retrouver le vieux sage qui est en eux et
nous permet, à nous les professionnels,
d’avoir la certitude que nos interventions
ne mettront pas en péril les familles.
D’autres parents, plus fragiles, vont se
protéger du sentiment d’insuffisance en
ne collaborant pas du tout avec les donneurs de conseils lorsque ces conseils
échouent ou qu’ils se sentent incapables
d’y répondre. L’enfant va alors rapidement se retrouver dans une situation
proche du syndrome d’aliénation parentale : les parents ne peuvent plus donner
leur confiance aux professionnels et les
professionnels ne peuvent donner leur
confiance aux parents. Même bien contenues, ces émotions agissent sur l’enfant
ou l’adulte fragilisé par sa maladie, qui ne
peut plus se fier vraiment à personne !
Dans les deux cas, à chaque nouvelle expérience d’aide par des professionnels, les
parents perdent espoir un peu plus. Cette
perte d’espoir est fortement amplifiée
lorsque les nouveaux intervenants prennent peu en considération ce qui a déjà été
essayé et proposent des solutions qui ont
déjà échoué. Une mère me dit un jour,
parlant de son fils adolescent accueilli en
hôpital de jour, « Ils ont décidé de lui
prescrire de la Risperidone, il en a déjà
eu deux fois et cela a empiré son état.
Mais je ne l’ai pas dit au nouveau médecin, de toutes façons, il aurait eu mille
arguments pour ressayer, je l’ai déjà vu
avec les autres ». Les exemples sont
nombreux de ces familles qui baissent les
bras en démissionnant ou en résistant à
toute aide.
Tous, en tant que professionnels, lorsque
nous intervenons, nous le faisons avec la
sincère et authentique envie d’aider, la
conviction que nous saurons faire, que
nous sommes particulièrement compétents dans le domaine pour lequel les familles consultent. Comme, de surcroît,
chaque intervenant sollicité dans une situation donnée est un peu plus expert
dans la pathologie du patient (au début
d’un problème, il y a consultation d’un
psychiatre ou pédo-psychiatre généraliste,
d’intervenants éducatifs tout venant puis,
progressivement, on choisit des “spécialistes” parce que le diagnostic devient
plus clair ou par élimination lorsque rien
ne fonctionne), il se doit d’être d’emblée
à la hauteur des attentes qui pèsent sur ses
épaules.
Mais il est important de se rappeler que la
famille que nous recevons a déjà vu
nombre de personnes compétentes comme
nous, qu’elle vit les échecs à répétition
comme le signe qu’elle est mauvaise. Ce
dont elle a besoin, c’est qu’on lui redonne
confiance en ses compétences.
La création de l’espace thérapeutique
selon le modèle d’Edith Tilmans-Ostyn,
psychologue et psychothérapeute Belge,
propose un modèle de construction active
par les intervenants ou thérapeutes de la
relation d’aide, restituant à la famille la
compétence de dire si un conseil, une
attitude thérapeutique a déjà été essayée,
d’évaluer sa pertinence et, le cas échéant,
d’indiquer au soignant qu’il y a lieu d’y
réfléchir avant de se lancer sur une piste
d’aide incertaine. Mettre la famille dans
cette position nécessite un travail fait dès
la rencontre sur le vécu qui précède la
rencontre.
Cette phase de travail peut être introduite
par cette phrase : « Vous arrivez aujourd’hui en consultation chez nous pour
ce problème. Nous avons besoin que vous
nous aidiez à vous aider. Ainsi nous allons essayer d’apprendre avec vous, de
vos diverses expériences, des expériences
de votre entourage, comment nous pourrions peut-être vous être utiles ».
Ainsi nous allons explorer :
1. La demande de l’envoyeur
2. Les expériences thérapeutiques antérieures
3. Ce que l’entourage de la famille en
consultation pense de la consultation.
Deux autres dimensions sont à considérer,
toutefois la liberté de choix pour une famille consultant en hôpital de jour étant
relative, nous les mentionnons surtout
pour que chaque intervenant sache
qu’elles existent.
4. Qui vient en consultation ?
5. Quel lieu de consultation ?
Les deux oiseaux représentent le système
qui vient consulter et le système thérapeutique, les barreaux les 5 dimensions susmentionnées.
1. LA DEMANDE DE L’ENVOYEUR
Personne ne s’adresse spontanément à
l’hôpital de jour. Donc, pour chaque demande d’admission, il y a un envoyeur. Il
est important de savoir ce qu’il attend des
intervenants en hôpital de jour. En effet, il
a
transmis
un
certain
nombre
d’informations au patient et à sa famille,
informations qui vont orienter les attentes
de ces derniers. Inviter l’adresseur au
premier entretien pour clarifier ce qu’il
attend est donc essentiel. Les questions
qui sont abordées dans cet entretien sont :
-Vous avez souhaité notre intervention,
pourriez-vous nous dire ce que vous attendez de nous ?
-Quelle place garderez-vous dans cette
situation?
-Comment communiquerons-nous et en
présence de qui ?
La famille assiste à cette discussion.
Le premier point a pour objectif de nommer de manière précise les attentes. Il est
essentiel de ne pas hésiter à aller dans les
détails : une plainte de l’envoyeur, une
demande floue (nous avons besoin que
vous interveniez dans cette situation sinon
nous devrons faire appel à l’autorité de
protection de l’enfant, au juge pour que ce
jeune adulte soit mis sous curatelle, par
exemple) ne permet pas de préciser en
quoi les compétences professionnelles
que nous avons peuvent être utiles dans
cette situation. En revanche une réponse
comme « nous aimerions d’une part que
ce jeune puisse profiter d’un cadre psycho-éducatif plus serré dans le but de
mieux comprendre sa problématique psychique et d’augmenter l’encadrement,
puis qu’une équipe encadre les parents
dans l’éducation » permet aux intervenants de se positionner précisément par
exemple en répondant : « nous sommes
bien un centre qui s’occupe de la prise en
charge psycho-éducative du jeune et pour
cela nous collaborons régulièrement avec
les parents. En revanche le soutien à
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
13
Le travail avec les familles en hôpital de jour
l’éducation par les parents n’est pas de
notre compétence. Si cette intervention est
importante, alors nous devrions collaborer avec … »
Le second point est essentiel pour éviter
de reproduire ce que nous évoquions en
parlant de la maternité : si les domaines
d’intervention de divers professionnels
dans une même situation ne sont pas clairement définis, alors les patients seront
exposés à des discours différents sur les
mêmes sujets. Prendre du temps pour
clarifier qui intervient dans tel ou tel registre permet d’éviter les chevauchements
et permet aussi à chaque professionnel de
renvoyer la famille à l’autre si les questions à aborder concernent l’autre.
En ce qui concerne le troisième point, il
est essentiel que nous clarifiions à quoi
serviront les rencontres entre divers professionnels. Préciser qu’il peut y avoir des
rencontres sans la famille et le patient
lorsqu’il s’agit de parler de la coordination au sein du réseau. Evoquer le fait que
des rencontres en présence de tout le
monde permettront de réfléchir à l’utilité
pour le patient et la famille de ce qui est
mis en œuvre, et de fixer des objectifs.
2. LES EXPERIENCES
THÉRAPEUTIQUES
ANTÉRIEURES
Nous savons tous que la première fois que
l’on tombe amoureux, on est certain que
ce sera pour la vie. Après la première
déconvenue, lorsqu’on envisage de se
remettre en couple, nos pensées sont habitées par le fait qu’en tous cas, dans la
nouvelle relation, il y a un certain nombre
de choses que nous ne voulons pas revivre et d’autres que nous aimerions absolument retrouver.
Ainsi une famille qui arrive en hôpital
de jour est une famille qui a déjà vécu des
moments de belles collaborations avec les
intervenants et des moments d’échec. Ce
qui est intéressant pour un nouvel intervenant est de prendre connaissance de ce
qui est utile à la famille. Pour tels patients, les conseils se sont toujours révélés
utiles et leur ont permis d’avancer alors
que pour d’autres, pouvoir comprendre ce
qui se passe a été central dans leur évolution. Pour certains, l’aide individuelle est
indispensable, pour d’autres, seuls les
entretiens de famille ont porté des fruits.
Chaque système familial qui consulte est
capable de nous restituer ce qui pour lui
est efficace. Apprendre de leur part comment les aider facilite les interventions
ultérieures.
Ensuite il est intéressant de se pencher sur
ce qui a fait du mal dans les interventions antérieures. Comme intervenants,
quelle que soit notre identité profession-
14
nelle, nous avons une palette assez semblable d’outils pour intervenir. Nous
sommes donc tous à risque de reproduire
le même type d’intervention, ceci d’autant
plus qu’une part de notre attitude sera
induite par les patients. Nous pouvons
prendre un temps pour comprendre ce qui
a blessé ou blesse nos interlocuteurs. Ainsi tel père pourra dire que chaque fois
qu’on lui pose des questions sur lui, il se
sent sur le banc des accusés, et une mère
évoquer que chaque fois qu’on lui fournit
une explication incompréhensible, elle se
sent totalement nulle. Tel patient évoquera que, parfois, il a eu l’impression que
lorsque ses symptômes ne diminuaient
pas, les thérapeutes pensaient qu’il le faisait exprès, il se sentait alors disqualifié.
Ce travail sur ce qui a fait du mal a pour
objectif de travailler sur le droit à la parole des patients. Après avoir énuméré ce
qui a blessé, nous pouvons voir comment
ils ont essayé de parler de leur mal-être
aux professionnels qui sont intervenus
avant nous. « Je sais par mon expérience
que je suis à risque de commettre les
mêmes erreurs que mes collègues, le seul
moyen que cela se passe différemment
est que vous acceptiez de m’aider et de
me signaler chaque fois que je vous fais
souffrir » dirons-nous ensuite à nos patients. Suite à cela, nous allons construire
avec eux un espace où ils pourront déposer la souffrance que notre intervention
pourrait causer. Ainsi Timéon, un jeune
schizophrène, a choisi de m’envoyer une
lettre lorsque j’étais inadéquate alors que
Cléya m’amène un dessin avec ce qui la
fait souffrir dans mon attitude au début de
l’entretien suivant. Tel père me met un
carton jaune, telle mère me demande un
entretien à deux pour en parler.
Edith Tilmans-Ostyn propose à ses patients un travail qui leur permet de
s’adresser aux intervenants antérieurs
pour leur faire part de ce qui a fait mal. Je
n’aborde pas cette dimension dans cette
présentation car dans le contexte sur lequel nous réfléchissons les intervenants
antérieurs à nous sont souvent encore
actifs dans la situation et les prérequis
pour ce travail ne me sont pas remplis.
3. CE QUE L’ENTOURAGE PENSE
DE NOTRE INTERVENTION
Charles-Henri arrive à l’Hôpital de jour
quelques années après que son père se
soit suicidé. A ma demande de ce que sa
famille pense de son suivi, il répond :
« Mon père s’est suicidé à l’hôpital, j’ai
une tante qui est dans un home parce que
les médicaments ne l’ont jamais aidée.
Alors ma mère et moi, on sait bien qu’en
venant chez vous, je suis le même chemin.
C’est le début de la fin ». Comment pou-
vons-nous imaginer que Charles-Henri
puisse investir notre aide ? Avec cette
construction, s’il accepte les soins, il se
condamne à mourir ou vivre en home et
s’il refuse les soins, il est victime de ses
symptômes. Si nous poursuivons notre
questionnement, nous allons découvrir
dans son entourage d’autres regards sur la
psychiatrie. Charles-Henri a une amie qui
a
suivi
une
psychothérapie
à
l’adolescence qui l’a beaucoup aidée, elle
pense que pour son ami, ce serait salutaire
de pouvoir faire cette démarche, même en
hôpital de jour. Avec Charles-Henri, nous
allons alors parler de ce qu’il vit à
l’intérieur de lui, lui qui est pris entre des
représentations très différentes de l’utilité
du soin. Alors que le travail sur les expériences thérapeutiques antérieures aura
déjà ouvert certains possibles, le travail
sur les loyautés à la famille peut permettre d’approfondir la possibilité de
pouvoir se sentir en sécurité dans le suivi.
4. PERSONNES PRÉSENTES À LA
CONSULTATION
Comme professionnels, nous nous intéressons souvent aux raisons qu’ont les
absents de ne pas s’être présentés à
l’entretien. Nous proposons au contraire
de nous intéresser aux raisons qui ont
poussé les personnes présentes à venir.
Cela permet de découvrir les rôles que
chacun joue autour de la maladie. Une
mère est-elle présente car elle veut contrôler ce que les intervenants vont faire à
son enfant, ou vient-elle parce que c’est le
dernier moyen qu’elle a de se sentir une
bonne mère ? Un père vient-il pour éviter
une crise de couple ou parce qu’il n’a
aucune confiance dans le fait que son fils,
même adulte, saura communiquer sa souffrance aux intervenants ?
En systémique, pour choisir qui nous inviterons aux diverses séances, nous le
faisons souvent sur les critères suivant : si
la souffrance, les symptômes et la demande sont portés par une seule personne,
nous pouvons intervenir en individuel. Si
en revanche la demande est portée par
une personne, la souffrance par une seconde et les symptômes par une troisième, alors nous convions en séance la
famille. Donc, si un père appelle car son
épouse pleure toute la journée et est à
bout depuis que leur fils s’enferme jour et
nuit pour jouer à des jeux d’ordinateur, on
voit que la demande est portée par le père,
la souffrance par la mère et les symptômes par le fils. Dans ce contexte, si on
reçoit le fils seul il dira qu’il va bien, est
content de sa vie et ne voit pas en quoi
nous pourrions l’aider. Si on reçoit la
mère, elle dira que s’il n’y avait pas le
problème de son fils tout irait bien, nous
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
De la famille cabossée à la famille suffisamment bonne
priant ainsi de nous occuper du fils. Finalement, si nous convions le père expliquera qu’il n’a fait la demande que pour
soulager sa femme qui se porte fort mal.
5. LE LIEU DE CONSULTATION
Cette dimension, plus utile lorsqu’une
famille choisit le lieu auquel elle
s’adresse, permet de se faire une idée de
la compréhension que les patients ont du
problème. Voient-ils dans les symptômes
d’un enfant la gravité de leur conflit de
couple, ce qu’ils nous signifient en consultant un thérapeute de couple quand
l’enfant va mal, ou préfèrent-ils hospitaliser un membre de la famille plutôt que de
penser les relations conflictuelles dans la
famille ?
CONCLUSION
Par nos propos nous avons tenté de vous
sensibiliser au fait que toute rencontre
thérapeutique advient dans une histoire
d’aide. Rendre visibles les fantômes qui
entourent nos patients permet de dynamiser le travail thérapeutique, de renforcer
l’alliance dans les moments difficiles. Les
familles se sentent partenaires du processus de guérison et prêtes à collaborer plus
activement, même dans la reconnaissance
que tout le monde est impuissant face à
certaines pathologies psychiatriques.
Ce qui enfermait devient support pour
permettre le travail dans une collaboration
constructive entre système consultant et
soignants.
BIBLIOGRAPHIE
1. Le Meunier, son fils et l’âne, Fables de La
Fontaine
2. Epaminondas, Les Grands classiques du père
Castor, Flammarion, 2013
3. LABAKI C., DUC MARWOOD A., La
création de l’espace thérapeutique, in Langages métaphoriques dans la rencontre : en
thérapie et en formation, sur les traces d’Edith
TILMANS OSTYN, Erès, 2012
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
15
Le travail avec les familles en hôpital de jour
16
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
SOINS EN HÔPITAL DE JOUR DE
PSYCHIATRIE DE L’ENFANT ET DE
L’ADOLESCENT
ÉVOLUTION DES PRATIQUES ET DES
RELATIONS AVEC LES FAMILLES
Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de
l’Adolescent
Hôpital La Grave
Place Lange
TSA 60033
31059 TOULOUSE cedex 9
FRANCE
[email protected]
Professeur Jean-Philippe RAYNAUD
Psychiatre hospitalier pour enfants et adolescents, professeur des universités
Le paysage de la pédo-psychiatrie, singulièrement en hôpital de jour, a beaucoup évolué au cours des
20 dernières années.
Ces changements touchent à la population des enfants eux-mêmes, présentant des troubles sévères et
complexes, aux références cliniques et théoriques, objets de polémiques ou de stigmatisation singulièrement dans le domaine de l’autisme. Les approches sont désormais, de ce fait multidimensionnelles
ce qui pose d’autres questions, notamment dans le domaine de la formation des professionnels et
celui de ce que l’on qualifie aujourd’hui de “bonnes pratiques”.
Mais ces évolutions touchent les familles elles-mêmes, profondément remaniées dans leurs typologies
et leurs exigences, dans leur information aussi. Ces familles, plus inquiètes, plus fragiles, plus en
demandes mais moins disponibles, doivent être associées aux prises en charge, pour expliquer les
approches, les contenus du soin, les articulations. Mais aussi leur permettre d’exprimer leurs attentes, leurs craintes, leurs incompréhensions…
Et, surtout, maintenir le lien pour mieux construire notre capacité “à tenir ensemble”…
Mots-clefs : hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, autisme, psychanalyse, thérapies institutionnelles, soins intensifs multidimensionnels, famille, lien social, transparence, recommandations
Care in psychiatric day hospitals dedicated to children and adolescents
Changing in practices and relationships with families
The landscape of child psychiatry, particularly in day hospital, has evolved over the past 20 years.
These changes affect the population of children themselves, with severe and complex disorders, clinical and theoretical references, objects of controversy or stigma especially in the area of autism. Approaches are now, therefore multidimensional which raises other issues, including in the field of
professional training and of what are now called “best practices”.
But these changes affect families themselves, radically reworked in their compositions and requirements in their information too. These families, more worried, more fragile, more complainant but less
available, should be associated with supported to explain approaches, content of care, articulations.
But also allow them to express their expectations, fears, misunderstandings...
And, above all, maintain the link to better build our capacity “to hold together”...
Keywords: day hospital psychiatry child and adolescent, autism, psychoanalysis, institutional therapies, multidimensional intensive care, family, social ties, transparency, recommendations
INTRODUCTION
Cela fait plus de 15 ans que j’exerce mon
activité clinique principale au sein d’un
hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant
et de l’adolescent, qui fait partie d’un
secteur. Nous y proposons une approche
intégrative (ou complémentariste) incluant une dimension psychodynamique,
dans une unité de soins intensifs de jour
pour enfants1. C’était déjà le cas avant
mon arrivée et nous n’avons fait, avec
l’équipe, qu’affiner et théoriser cette ap-
1
Raynaud J.-P. Psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent, psychopathologie et handicap. In
Psychopathologie et handicap de l’enfant et de
l’adolescent : Approches cliniques. Sous la direction de Raynaud J.-P. et Scelles R., Eres, Toulouse, 2013.
proche, qui à l’époque était un peu atypique et mal comprise.
En France, avec les polémiques sur
l’autisme, les hôpitaux de jour sont régulièrement critiqués et c’est pourquoi j’ai
souhaité témoigner ici d’une pratique qui
est celle de l’hôpital jour dit “des grands”
du CHU de Toulouse. Conformément au
thème qui m’avait été proposé, je mettrai
surtout l’accent sur les relations avec les
familles. Pour cela, avant de venir à Brest
pour ce colloque, j’ai mené des entretiens
sur ce thème avec les membres de mon
équipe. Je les remercie de leur aide.
Un hôpital de jour aujourd’hui se doit
d’intégrer des changements, des évolutions, les données scientifiques récentes
quand elles sont utiles, certaines nouvelles demandes “sociales” et recommandations quand elles sont raisonnables et
éthiquement acceptables2. Notre unité de
jour est organisée sur la base de références théoriques éclectiques. Des références à la psychanalyse et aux thérapies
institutionnelles qui, historiquement, ont
fondé ces dispositifs : ce sont en premier
lieu ce que nous appelons les « fonctions
soignantes » de l’institution. Mais aussi
des références complémentaires, qui associent les thérapies cognitives et comportementales, en particulier dans leurs
dimensions émotionnelles, et la théorie de
l’attachement.
QUELS ENFANTS ACCUEILLONSNOUS ?
Nous accueillons des enfants de tous les
âges, dans différentes unités. Ils présentent les caractéristiques suivantes : des
troubles sévères et complexes, évalués
comme pouvant être mobilisés par le soin,
affectant sérieusement différentes dimensions de leur développement et de leur
adaptation, et qui sont incompatibles avec
leur maintien permanent dans les écoles
et les lieux de socialisation ordinaires
sans des adaptations et un suivi spécifiques et intensifs.
L’hôpital de jour est avant tout pour nous
un lieu où les enfants passent une partie
de leur temps. Il a été spécifiquement
pensé et structuré par une équipe d’êtres
humains. Il constitue un temps bien différencié de la maison et de l’école, où les
enfants vivent en groupe avec d’autres
personnes que leurs parents et leur fratrie,
où peuvent se développer des relations
avec une équipe de soin et des groupes
d’enfants. Les temps de soins en groupe
alternent avec des temps de soin individuels. Un projet est élaboré, reposant sur
les fonctions et les contenus du soin.
Un programme de soins intensifs multidimensionnels coordonnés et régulièrement réajustés
2
Raynaud J.-P. Pour une pédopsychiatrie française dynamique et ouverte. Neuropsychiatrie de
l’Enfance et de l’Adolescence 2012, 60:6, 413.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
17
Le travail avec les familles en hôpital de jour
présentations sur la maladie et le handicap, sur l’hôpital de jour, la psychiatrie, la
psychanalyse, le soin, le projet de vie, etc.
Puis, une fois que l’accord sur
l’admission est établi avec les parents, les
liens vont progressivement être “institutionnalisés”. Nous demandons à la famille
un engagement, tout comme nous nous
engageons. Cet engagement comprend un
certain nombre de repères, qui sont pour
nous autant de médiations : entretiens,
rencontres
parentsprofessionnels,
réunions
d’équipes éducatives avec
le milieu scolaire, rédaction et remises d’écrits :
projet de l’hôpital de jour,
projet individuel, synthèses
(Réunion de concertation
pluri professionnelles ou
RCP), certificats pour
l’obtention d’une compensation du handicap, règles
concernant les productions
des enfants… Avec une place
Integrative multidimensional coordinated program for
particulière pour les “prescripchildren with ASD in a day care unit.
tions” que nous sommes ameRauna S., Marchand-Hérissou G., Raynaud J.-P.
nés à formuler : médicaments,
mais aussi examens, orientaapproches théoriques et des compétences
tions…
ouvertes, complémentaires et compaNous observons alors une grande diffétibles ; de structurer et organiser des soins
rence de positionnement entre ce que
coordonnés. Ces soins incluent une évaj’appellerais « les parents du dedans » et
luation et une réévaluation régulière, la
« les parents du dehors ». Avec, notamformalisation du projet de soin et du
ment, un contraste net entre un discours,
cadre, des partenariats, des échanges avec
repris, véhiculé par les médias (« Les pales parents tenant compte de leur projet de
rents refusent les dimensions psychodyvie pour leur enfant. Enfin, il est sans
namique et institutionnelle » ; « Les
doute important de rappeler que nous
parents
aspirent, demandent, revendiessayons aussi de faire avec la réalité de
quent
d’être
plus présents, impliqués,
ce qui est possible en termes de moyens,
associés à la prise en charge de leurs
de disponibilité, d’adhésion à nos propoenfants ») et la réalité observée sur le
sition...
terrain depuis 20 ans environ : les refus et
Nous nous appuyons sur les supports du
les ruptures restent très rares et globalesoin, qui constituent une sorte de “palette
ment les parents se montrent de moins en
de fondamentaux” à partir de laquelle
moins
disponibles
pour
venir
nous composons : la formation des pro“s’entretenir”
avec
nous
au
sujet
de
leurs
fessionnels, les médiations, les temps et
enfants.
les supports pour penser ensemble, la
continuité, la permanence, la stabilité, la
SOMMES-NOUS “CONFORMES”
fiabilité, l’attention partagée aux mouveAUX RECOMMANDATIONS ?
ments psychiques du jeune patient, de ses
C’est une question qui nous est parfois
parents et des différents intervenants, la
posée par les parents. Mais c’est surtout
narration.
une question que l’équipe se pose régulièrement. Elle a entrainé des remises en
LES PARENTS ET L’HÔPITAL DE
questions, des évolutions souvent anticiJOUR
pées, un travail d’évaluation et
Avant l’hôpital de jour, tout un travail
d’amélioration des pratiques. Elle a condevra être fait par les professionnels qui
duit à un travail continu pour une meilnous adressent les enfants. Ce travail va
leure
visibilité/lisibilité
des
se poursuivre au cours du processus de
interventions éducatives et thérapeupréadmission (consultations, semaine
tiques. A titre d’exemple, nous comd’observation, attente active pendant le
plétons depuis quelques années l’emploi
délai d’admission). Ce travail porte en
du temps remis aux parents en début
grande partie sur les représentations, plus
d’année, par un petit “lexique” des activiou moins remaniées par les médias : reLe schéma ci-dessous est tiré d’une communication que nous avons présentée en
2012 au congrès mondial de psychiatrie
de l’enfant, car il nous semble important
d’expliquer à nos collègues internationaux comment nous essayons de travailler, et d’en discuter avec eux. Il montre
que les grands principes du soin dans nos
hôpitaux de jour sont de favoriser la scolarisation,
l’intégration
sociale
et
l’autonomie ; de s’appuyer sur des
18
tés thérapeutiques : chaque atelier, chaque
médiation, y est décrite, avec ses objectifs et les supports utilisés. C’est indubitablement l’une des améliorations de la
communication avec les parents qui a été
le plus appréciée ces dernières années,
alors que nous étions convaincus que la
transmission orale suffisait et que notre
discours de professionnels était suffisamment compris.
Concernant l’évaluation de notre travail,
nous avons effectué une importante enquête sur la scolarisation des enfants accueillis dans les hôpitaux de jour de notre
département3. Contrairement aux idées
reçues, cette enquête, élargie aux 3 secteurs de pédopsychiatrie de la HauteGaronne, a montré que la quasi-totalité
des enfants et adolescents soignés en hôpital de jour bénéficiaient d’une scolarisation. Et que cet effort des équipes de
pédopsychiatrie avait commencé avant la
loi de 2005.
UNE DEMANDE DE
TRANSPARENCE
Les parents attendent de nous davantage
d’informations, davantage de transparence. Ils sont sans doute influencés par
internet, par les associations, mais aussi
par le modèle de rapport au milieu médical qui se généralise actuellement, fait à la
fois d’exigences, de méfiance et d’un
certain désir de maitrise. Là aussi, nous
essayons d’avoir en tête en permanence
un certain nombre de fondamentaux concernant l’information et l’échange avec
les parents, que nous associons à une réflexion en équipe permanente et “tranquillement réactive”. Il nous serait
impossible de toute façon de renoncer à
un minimum de travail sur les espaces et
les mécanismes psychiques qui sont à
l’œuvre de part et d’autre, notamment sur
la dynamique emprise / sentiment
d’impuissance.
Nous avons le souvenir assez amer de ce
que l’on appelait il y a longtemps
« l’asepsie verbale » : il fallait communiquer a minima pour protéger les professionnels et préserver l’espace intime de
l’hôpital de jour, où les enfants pouvaient
se montrer différents. Il s’agissait le plus
souvent d’éléments théoriques mal compris ou mal interprétés. Le rapport direct
avec les parents est un progrès indéniable,
et l’espace du soin reste malgré tout le
support de tous les fantasmes et de toutes
les projections.
3
Panis V., Çabal-Berthoumieu S., Tardy M.,
Raynaud J.-P., Scolarisation, handicap psychique
sévère et hôpital de jour : 5 ans après la loi de
2005. L’Information Psychiatrique 2013, 89:54957.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Soins en hôpital de jour de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : évolution des pratiques et des relations avec les familles
Toujours est-il que nous observons des
comportements nouveaux de “consommation” de soins ou de services. Les parents
voudraient davantage de services, de facilités. Parfois, la demande peut aller
jusqu’à une substitution : par exemple,
puisqu’il est soigné en hôpital de jour,
occupez-vous aussi de ses soins somatiques.
Certains parents sont à la recherche de
l’immédiateté, de solutions “clés en
main”, alors que nous sommes ceux qui
veulent absolument les “faire penser”.
Dans ce domaine aussi, ils nous ont conduits à davantage de formalisation et
chacun a pu/du faire des compromis. En
fait la vie d’une institution, c’est comme
la vie psychique.
On notera que si dans l’institution et dans
le discours des parents qui nous font confiance les associations de parents ont une
présence assez “floue”, certaines attaques
par les professionnels ont pu être vécues
comme une blessure. En référence à Melanie Klein, nous avons pu observer ainsi
des mouvements d’angoisse projective en
miroir, où chacun, parents et équipes, ont
pu alternativement se sentir menacés ou
disqualifiés4. Cela nous confirme que rien
ne vaut la relation interpersonnelle et
l’histoire partagée, qui constituent justement la base de notre travail de soin.
Le rapport des soignants référents avec
les parents s’est progressivement modifié.
La notion de référent de l’enfant a évolué : après une longue réflexion, nous
avons préféré attribuer aux quatre éducateurs et infirmiers qui sont en contact
permanent avec les enfants, le rôle de
référents transversaux. Tous les soignants
ont ainsi mission de prendre soin de tous
les enfants et de les avoir en tête. La narrativité et la capacité de transmission au
sein de l’équipe prennent alors tout leur
sens.
Par ailleurs un professionnel (psychiatre,
psychologue ou assistante sociale) est
clairement désigné comme le tiers qui
accompagne les parents au sein de
l’institution.
Les réunions de concertation pluri professionnelles (RCP) ou réunions de synthèse,
et les réunions de fonctionnement, ont
alors une véritable fonction régulatrice.
On échange, on se coordonne, on se
transmet des informations, des ressentis,
mais chacun, parents compris, conserve
des lignes de fuites : il y a toujours des
exceptions, des transgressions, des actes
manqués, qui finalement traduisent la
vitalité et la malléabilité du dispositif et
de ses “usagers”.
4
Lauret M., Raynaud J.-P., Melanie Klein, une
pensée vivante. Presses Universitaires de France,
Paris. 2008.
Etonnamment, nous observons au fil des
ans une moindre participation des parents
aux “réunions parents professionnels” que
nous organisons chaque année un peu
après la rentrée, et qui nous semblent si
importantes pour les informer, leur présenter des différents professionnels qui
rencontrent leurs enfants, expliquer les
approches, les contenus du soin, les articulations. Mais aussi leur permettre
d’exprimer leurs attentes, leurs craintes,
leurs incompréhensions… Cette moindre
participation est-elle à mettre sur le
compte d’une sorte de déception, d’une
difficulté à être confrontés à d’autres parents, aux autres enfants ? Sans doute
touchons-nous là à la question de
l’intime, qui s’accommode mieux du colloque singulier.
DES FAMILLES PLUS
FRAGILISÉES
Depuis quelques années nous sommes
frappés par le nombre croissant de familles qui présentent des difficultés financières. Les familles qui nous confient
leurs enfants représentent un éventail
moins étendu, moins varié de niveaux
sociaux. La mixité sociale est moins importante que quelques années en arrière.
De plus en plus de familles sont en situation de précarité : chômage, isolement,
situation interculturelle, endettement,
suivi par les services sociaux et de protection de l’enfance,... Les situations “complexes” sont plus nombreuses, et ce sont
autant d’effractions de la réalité dans
l’espace du soin. Il en découle la nécessité
de développer des partenariats et d’activer
les ressources et les soutiens quand ils
existent.
Les changements dans les structures familiales sont essentiellement constitués par
une augmentation des familles monoparentales, davantage de pères absents, des
beaux-pères et belles-mères qui revendiquent leur place, davantage d’isolement et
de ruptures par rapport à la famille élargie, un rapport plus sensible de l’équipe
soignante avec les mères. Ce rapport, qui
peut rapidement être empreint de rivalité,
nécessite en permanence d’être régulé.
Dans le même ordre d’idée de “complexité”, nous observons une augmentation des
situations où existe une psychopathologie parentale avérée. Notre équipe
estime que cela peut concerner de 30% à
80 % des familles que nous accompagnons. Cette surreprésentation est à
mettre sur le compte de plusieurs facteurs : évolution de la psychiatrie
d’adultes ; influence des médias qui éloigneraient de nos dispositifs les familles
plus informées et moins envahies par les
difficultés ; de nouvelles façons de tra-
vailler de nos partenaires (libéral, social,
médico-social), qui réservent au service
public hospitalier les situations les plus
complexes ; de nouvelles inquiétudes qui
ont émergé ces dernières années, concernant la génétique des troubles mentaux
par exemple...
Nous observons en parallèle une évolution des revendications des parents, en
lien avec des informations anxiogènes,
mal maitrisées, délivrées à l’emportepièce par les médias et notamment les
réseaux sociaux. Certaines familles se
réapproprient des revendications piochées
ici ou là, mais qui ont essentiellement une
valeur de conflictualisation de la relation.
Ce sont davantage des prétextes que des
raisons profondes de conflits, auxquels
répond un travail, assez “classique” mais
plus difficile qu’à l’ordinaire, sur les
mouvements de projection, déni, clivage.
Un certain nombre de ces familles nous
semble également de plus en plus submergées/entravées par les difficultés de
leurs enfants. Insistons bien ici sur le fait
qu’il ne s’agit pas là d’un jugement de
valeur, mais d’un constat, et que nous
pouvons nous identifier à ces parents et
comprendre leurs difficultés. Les enfants
peuvent devenir une gêne dans leur vie, et
nous sommes parfois confrontés à une
tendance à vouloir les confier en permanence alors que le soin à temps partiel
s’est énormément développé5. Ce sont des
enfants difficiles, qui “coûtent” beaucoup
en temps, en rendez-vous, en organisation, en adaptations, en remises en question. Et certains parents sont en difficulté
pour faire face au quotidien, y compris
pour des choses apparemment simples,
comme organiser un loisir pour leur enfant. Le risque est alors double : voir des
familles se replier sur elles-mêmes et voir
se mettre en place des formes nouvelles
de “carences” éducatives, par défaut de
stimulation et d’ouverture.
Du côté des professionnels, ce n’est pas
simple non plus. On peut s’interroger sur
les formations actuelles car les jeunes
professionnels expriment de plus en plus
de difficultés à travailler avec des enfants
souffrant de troubles psychiques et avec
leurs parents. Sont-ils bien préparés ? Ils
ont en tout cas, toutes professions confondues, de réelles difficultés à passer de
la formation théorique à la pratique, dans
un contexte où les fondements théoriques
du soin sont régulièrement mis à mal. De
même, certains professionnels chevronnés
ont beaucoup de mal à faire face aux re-
5
Déthieux J.-B., Fabre S., Raynaud J.-P., Du
temps plein de la fusion à celui de l’individuation
: égrener du temps partiel. Empan, Eres, 2008,
69:1, 50-56.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
19
Le travail avec les familles en hôpital de jour
mises en question et aux exigences
d’adaptation théorico-cliniques.
CONCLUSION
En guise de conclusion, j’insisterai tout
d’abord sur le rôle majeur que jouent les
entretiens
avec
les
parents.
Et
j’emprunterai à Jean-Patrick Grycan, psychologue dans notre unité, la remarque
suivante : « le signifiant “s’entretenir”
est judicieux de par l’équivoque qu’il
recèle ».
Quant à ce que qualifierai d’évolutions
“sociales”, notre hypothèse est que le
rapport au soin que mettent en place les
parents est à mettre en regard avec le délitement du lien social constaté depuis 20
ans environ : faire lien social c’est la capacité “à tenir ensemble”.
BIBLIOGRAPHIE
Quelques autres publications et contributions de
l’équipe
1. ANDANSON J., POURRE F., RAYNAUD
J.-P., Les groupes d’entraînement aux habiletés sociales pour enfants et adolescents avec
syndrome d’Asperger : revue de la littérature.
Archives de Pédiatrie, 2011, 18:5, 589-96.
2. ANSORGE J., SUDRES J.-L., RAYNAUD
J.-P., JEUNIER B., Le poney comme médiateur thérapeutique auprès d’enfants atteints de
Troubles Envahissants du Développement :
essai d’évaluation clinique et perspective.
Confinia Psychopathologica 2012, 1 :2, 121147.
20
3. BURSZTEJN C., RAYNAUD J.-P., MISES
R., Autisme, psychose précoce, troubles envahissants du développement. Annales Médico-Psychologiques, 2011, 169(4):256-259.
4. CHILAND C., RAYNAUD J.-P., Cerveau,
psychée et Développement. Odile Jabob, Paris, 2014.
5. COINÇON Y., DURAND B., MISES R.,
BOTBOL M., BURSZTEJN C., GARRABE J., GARRET-GLOANEC N.,
GOLSE B., PORTELLI Ch., RAYNAUD
J.-P., SCHMIT G., THEVENOT J.-P., Le
transcodage de l’axe 2 : une avancée utile
Annales
Médico-Psychologiques,
2011,
169(4): 260-264.
6. DELOBEL M., VAN BAKEL M. E., KLAPOUSZCZAK D., VIGNES C., MAFFRE
T., RAYNAUD J.-P., ARNAUD C., CAN
C., Prévalence de l’autisme et autres troubles
envahissants du développement : données des
registres français de population. Générations
1995-2002. Neuro-psychiatrie de l’Enfance et
de l’Adolescence 2012, 61 :1, 23-30.
7. MISES R., BOTBOL M., BURSZTEJN C.,
COINÇON Y., DURAND B., GARRABE
J., GARRET-GLOANEC N., GOLSE B.,
PORTELLI
C.,
RAYNAUD
J.-P.,
SCHMIT G., THEVENOT J.-P., La classification française des troubles mentaux de
l’enfant et de l’adolescent - La révision 2012.
Correspondances et transcodages avec la
CIM-10. La Lettre de Psychiatrie française,
mai 2012, 208, 2.
8. MISES R., BURSZTEJN C., BOTBOL M.,
COINCON Y., DURAND B., GARRABE
J., GARRET-GLOANEC N., GOLSE B.,
PORTELLI
C.,
RAYNAUD
J.-P.,
SCHMIT G., THEVENOT J.-P., Une nouvelle version de la classification française des
troubles mentaux de l’enfant et de
l’adolescent : la CFTMEA R 2012, correspondances et transcodages avec l’ICD 10.
Neuropsychiatrie de l’Enfance et de
l’Adolescence 2012, 60:6, 414-18.
9. MISES R., BURSZTEJN C., BOTBOL M.,
GARRABE J., GARRET-GLOANEC N.,
GOLSE B., RAYNAUD J.-P., SCHMIT G.,
COINCON Y., DURAND B., PORTELLI
Ch., THEVENOT J.-P., La CFTMEA R2010, présentation des modifications de l’axe
1. Annales Médico-Psychologiques, 2011,
169(4):248-255.
10. POURRE F., AUBERT E., ANDANSON J.,
RAYNAUD J.-P., SociaBillyQuizz, un jeu
pour l’entraînement aux habiletés sociales
chez l’enfant et l’adolescent : étude exploratoire. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de
l’Adolescence 2012, 60 :155-159.
11. POURRE F., AUBERT E., ANDANSON J.,
RAYNAUD J.-P., Le syndrome d’Asperger
dans les œuvres de fictions actuelles.
L’Encéphale 2012, 38 :6, 460-466.
12. RAYNAUD J.-P., SCELLES R., Psychopathologie et handicap de l’enfant et de
l’adolescent : Approches cliniques. Eres, Toulouse, 2013.
13. RAYNAUD J.-P., « Ce qui reste et n’a pas
été pris en compte » : les TED-NOS.
L’Information Psychiatrique, 2011, 87 :5,
387-92.
14. WHITE-KONING
M.,
GAYRALTAMINH M., LAUWERS-CANCÈS V.,
GRANDJEAN H., RAYNAUD J.-P., Assessing the quality of life of children with
mental disorders using a computer-based selfreported generic instrument (KidIQoL). Open
Journal
of
Psychiatry,
2011,1:8-14
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
PORTRAITS DE FAMILLE
L’ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES PAR
LE CENTRE RESSOURCE “FAMILLE &
TROUBLES PSYCHOTIQUES”
Centre Ressource Familles & Troubles
psychotiques
Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie générale
Centre Hospitalier Guillaume Régnier
RENNES
FRANCE
David LEVOYER, Laurence RENOUX
Le travail avec et auprès des familles, outre son obligation déontologique qui incombe à chaque soignant, relève d’une conviction personnelle profonde, d’une lente appropriation de leur vécu, d’une
écoute attentive et respectueuse de leur savoir, d’un positionnement juste et justifié face à leurs interrogations, d’un accueil bienveillant de leurs peurs. Il nécessite, pour le soignant qui accompagne,
d’être rodé, souvent formé, toujours sensibilisé à l’expression authentique de leur subjectivité. Quatre
principes de base constitue l’accompagnement des familles : 1) les familles accompagnées sont avant
tout des familles ; 2) toutes possèdent des compétences, qu’il faut souvent ré-entraîner ; 3)
l’accompagnement des familles nécessite d’être attentif aux émotions que suscitent en nous leurs
histoires ; 4) les familles et les soignants s’enrichissent à partager ensemble des savoirs expérientiels.
Ces quatre principes sont illustrés à travers quatre portraits emblématiques de famille.
Mots-clefs : Familles, Accompagnements, Soins, Psychoses, Schizophrénie
Family’s portraits
Various services and psychological care for families by the Resource Center of families and psychotics disorders (Rennes, FRANCE)
Work with and near the families is an ethical obligation of each psychiatric care worker. It means a
major personal conviction, a slow appropriation of their emotional felt, an attentive and respectful
listening of their knowledge. The psychiatric care worker must be formed and be fully receptive with
their subjectivity. Four basic principles constitutes the support and the various services for families ;
1) the supported families are really families ; 2) the families have competences and skills, which often
should be trained ; 3) we feel emotions by listening to the family’s histories ; 4) the families and the
psychiatric care workers share knowledge and experiments. We illustrate these four principles by
four emblematic portraits of family
Keywords: Families, various Services, Care, Psychoses, Schizophrenia
INTRODUCTION
A la manière d’un album-photo familial,
dans lequel se nichent bien souvent quantités de souvenirs heureux, nous souhaitons, à la manière d’un avant-après
représentatif, extraire quelques vignettes
cliniques
emblématiques
de
l’accompagnement possible auprès des
familles. Celles-ci seront prétextes à exposer la philosophie du soin qui structure
la démarche du Centre Ressource Familles & Troubles psychotiques (CReFaP)
de Rennes, comme de l’organisation qui
en découle (1, 2, 3).
Au travers de quatre situations familiales
de détresses ordinaires, ce sont quatre
rencontres fortes et singulières qui ont eu
lieu, quatre évolutions durables et exemplaires qui se sont inscrites, et quatre
principes de base que nous en avons tiré.
QUATRE SITUATIONS, QUATRE
RENCONTRES,
QUATRE ÉVOLUTIONS
Portrait 1
Monsieur H., veuf, a un fils qui souffre
d’une schizophrénie associée à des symptômes obsessionnels et compulsifs enva-
hissants, et qui est en soins sous contrainte depuis de longs mois. Ce premier
cliché familial montre un homme à la fois
fermé et usé. Usé par l’invalidante maladie de son fils auprès duquel il est continuellement présent ; fermé tout autant par
la pénible disqualification qu’il subit de la
part des soignants dans son rôle de père.
La colère l’a progressivement envahi, elle
anime tous ses faits et gestes quotidiens.
Il est désabusé et prêt à tout, y compris à
porter plainte contre la maltraitance soignante dont il fait l’objet. Dans un ultime
sursaut, il demande secours auprès du
CReFaP, et nous crie sa défiance absolue
envers les soins psychiatriques, comme il
nous émeut par sa perte vitale d’estime de
soi. Une seule urgence : prendre son
temps, écouter l’homme qu’il dit avoir été
et qu’il n’est plus, entendre sa colère,
accueillir son histoire de père meurtri.
Deux années plus tard, après avoir pris le
temps de l’accompagner, nouveau cliché :
Monsieur H. affiche un bien-être radieux,
va allègrement témoigner, pour la seconde fois, de son parcours lors d’une
Bibliothèque Vivante organisée dans le
cadre de la Semaine d’Information sur la
Santé Mentale. Il regarde, ému et dubitatif, le cliché antérieur : « Que de changements ! Je suis méconnaissable ! »
Monsieur H. a repris en main le gouvernail, sa vie est incomparablement plus
sereine, la concrétisation de projets professionnels foisonne. Son fils a manifestement suivi son exemple : l’apaisement
du père a nourri le fils.
Portrait 2
Madame K., menue et fatiguée, nous reçoit dans l’appartement familial du
centre-ville. Son sourire, un peu triste,
anime malgré tout son regard volontaire.
Elle nous expose avec pudeur l’histoire de
la famille, histoire émaillée de drames
multiples telles la guerre, l’expatriation,
la vie de menaces vitales répétées et de
clandestinité, et la survenue de la maladie
psychotique du fils aîné, alors même que
la sécurité familiale avait pu enfin se réinstaller. Une histoire que l’on écoute
silencieusement,
en
respectant
l’atmosphère feutrée qui règne dans le
logement. La chaleur humaine est partout
présente et il en émane une demande
d’aide très forte : « Notre fils de 16 ans
est déscolarisé depuis 18 mois, il ne quitte
plus du tout sa chambre, et a des préoccupations incessantes sur l’histoire des
peuples, son poids, la religion… Il est
parfois très agressif, inaccessible aux
personnes extérieures, qu’il s’agisse des
soins, des services éducatifs ou de
l’école… Tous ont baissé les bras. Pas
nous, mais on ne sait plus quoi faire ! »
Madame K. explique que la dernière hospitalisation a pu avoir lieu car, face au
refus agressif de son fils et à l’abandon
des soignants, elle a négocié celle-ci en se
délestant d’une somme conséquente
d’argent qu’elle lui a donné. Le fils est
sorti au bout de deux jours au motif qu’il
ne demandait rien.
Trois mois plus tard, même cliché en apparence, mais le fils est présent sur la
photo de famille. Il a accepté de nous
rencontrer, après nouage de liens progressifs à travers la porte de sa chambre, et
l’échange s’installe précautionneusement,
de son côté comme du nôtre. Au bout de
quelques visites, nous nous écoutons mu-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
21
Le travail avec les familles en hôpital de jour
tuellement, installés dans le salon familial, et sa venue dans les locaux du Centre
Ressource lui apparaît possible, même si
la finalité lui échappe. Il a par ailleurs
repris sa place à la table familiale midi et
soir pour les repas. La famille se surprend
ainsi à imaginer qu’elle peut espérer un
avenir pour lui comme pour elle.
Portrait 3
Un autre portrait photographique marqué
par le diktat intrafamilial de la maladie
psychotique : celui de Monsieur et Madame P., venus accompagnés de deux de
leurs trois enfants. Une photo de famille
que Monsieur P. a pris l’habitude de toucher car il ne peut la voir (il est en effet
non-voyant depuis qu’enfant, un éclat
d’obus l’a privé de la vue au Viet Nam).
A ce handicap s’est ajouté celui du déracinement puisqu’il a dû fuir avec les boatpeople des années 1975. Madame P. connaît depuis son enfance la vie familiale
recluse, du fait de deux tabous familiaux
et sociétaux : son frère et sa mère souffrent de deux formes différentes de schizophrénie ; sa famille élargie comprend
quantité d’unions mixtes. L’aînée des
trois enfants de Monsieur et Madame P.
présente une déficience intellectuelle légère (avec symptômes psychotiques) nécessitant des aménagements pour son
autonomie et son avenir professionnel.
Les deux autres enfants se portent physiquement bien, et c’est pour eux et avec
eux que la famille sollicite le CReFaP, car
la tyrannie de leur fille aînée suscite
beaucoup d’appréhension : l’anxiété parentale face à la différence de disponibilité vis-à-vis de leurs enfants ; et la
déception profonde du cadet et de la benjamine qui se vivent abandonnés voire
exclus.
Rapidement dès notre première rencontre,
les parents et les deux plus jeunes enfants
vont pouvoir échanger sur leurs valeurs,
leurs peurs, leurs vécus respectifs, leurs
nombreux savoir-faire face avec le handicap, leurs envies, leurs ressources, les
capacités et limites de chacun. Avec notre
accompagnement, cette famille a vite su
retrouver la manière de se mobiliser, pour
réinstaller un équilibre positif, respectueux, valorisant pour tous. Il nous a suffi
d’écouter chacun, de comprendre
l’écologie familiale, pour leur proposer de
regarder la photo de famille sous un autre
angle de vue, complémentaire des leurs.
Ensemble, la famille a pu se saisir, de
nouveau, de ses compétences propres car
elle a su se rappeler rapidement qu’elle
savait faire. Les capacités parentales
étaient évidemment présentes mais si peu
soutenues depuis longtemps qu’elles
avaient été oubliées.
22
Portrait 4
Monsieur et Madame S. sont tous deux
assis dans le bureau du Centre Resource,
affolés et dans l’incompréhension vis-àvis du comportement de leur fils. Il
souffre de schizophrénie, ont-ils entendu
entre deux portes lors d’une hospitalisation. Depuis, plus rien : « Et pourtant, on
aurait des choses à dire à l’équipe de
soin, aux éducateurs du foyer, sur son
enfance et sur ce qui se passe lorsqu’il
vient à la maison », explique la maman
anéantie. Le papa, masquant ses émotions, ajoute que leur inquiétude parentale
est grande car leur fils dépense tout son
argent, y compris le leur, dans des soirées
au bar ou en boîtes de nuit. « Quand on
souhaite lui en parler, car c’est nous qui
comblons les trous auprès de la banque, il
nous rejette en disant que ce n’est pas
vrai… On voudrait bien être aidé pour lui
parler et pour comprendre ce qu’il a… ».
Tous deux acceptent que le CReFaP les
soutienne. Il leur est proposé de rencontrer d’autres familles touchées par cette
même maladie. C’est ainsi qu’ils
s’inscrivent au groupe d’échange et
d’entraide Partageons Nos Savoirs, puis
l’année suivante au groupe de psychoéducation ProFamille.
Le second cliché des parents S. est incroyablement différent : l’énergie vitale a
réinvesti leur quotidien ; la maman a pris
la présidence d’une association de familles de malades mentaux. Ce soir, elle
participe à l’élaboration collective d’un
guide destiné au grand public afin de faire
mieux connaître toutes les formes de handicaps, notamment ceux d’origine psychique, et de contribuer à diminuer les
préjugés et autres idées reçues sur les
maladies mentales. Le papa, lui, profite
de sa retraite, il n’en espérait pas tant.
Et les autres familles, ces deux cents vingt
familles que le CReFaP accompagne,
comment vont-elles ? Elles vont, pour la
très grande majorité d’entre elles, mieux,
beaucoup mieux qu’à leur arrivée vers
nous ; elles respirent, vivent plus sereinement et ont quitté le mode de la résignation fataliste. Car l’accompagnement
personnalisé leur a permis de sortir de
l’ornière. Nous pourrions multiplier les
exemples ; tous disent la même chose :
s’intéresser, accompagner et aider les
familles a d’innombrables effets positifs
directs comme indirects.
QUATRE PRINCIPES DE BASE DE
L’ACCOMPAGNEMENT DES
FAMILLES
A défaut d’être de vrais portraitistes, nous
sommes deux professionnels du soin (une
infirmière psychiatrique et un médecin
psychiatre) depuis longtemps investis
auprès des familles touchées par la mala-
die psychique d’un proche. Nous sommes
non seulement convaincus de l’intérêt
thérapeutique d’une telle démarche mais
aussi défenseurs acharnés des valeurs
humanistes qui sous-tendent notre quotidien professionnel.
Il y a près de quinze ans, nous avons créé
un groupe intersectoriel d’information
pour l’entourage familial ayant un proche
souffrant de maladie schizophrénique, en
nous appuyant sur les liens de qualité qui
existaient déjà entre notre secteur psychiatrique et l’association UNAFAM
(Union Nationale des Amis et Familles de
Malades mentaux). Au fil des années s’est
construit et installé un certain nombre
d’accompagnements et de dispositifs en
direction des familles, qui ont contribué,
en 2012, à l’acte de naissance du CReFaP
(Centre Ressource Familles & Troubles
psychotiques). Cette structuration était
nécessaire, ont dit les familles, pour leur
faire connaître plus facilement les dispositifs existants et pour leur favoriser, à
toutes, la lisibilité d’accès à cet éventail
d’accompagnements
Chaque parcours que nous effectuons
avec les familles est individualisé, personnalisé dans les moyens mis en œuvre :
soutien individuel et/ou par le moyen du
groupe, rencontre du proche malade ou de
l’équipe de soin, déplacement à domicile,
travail systémique, évaluation fonctionnelle et au besoin neuropsychologique,
psycho-éducation et éducation thérapeutique. Et ces accompagnements durent
aussi longtemps que la famille le ressent
comme nécessaire car, bien souvent,
l’écoute, l’échange, le partage de savoirs,
le respect, l’alliance, le partenariat réconfortent et ouvrent de précieux espaces de
liberté.
Aujourd’hui, le CReFaP accompagne et
soutient plus de deux cents vingt familles.
Elles viennent de la région Bretagne,
quelquefois de plus loin encore. Pour une
très grande majorité, l’un ou plusieurs de
leurs enfants sont atteints de troubles psychotiques, le plus souvent sévères et persistants. Et tous vivent des détresses
insoupçonnées, tel cet époux qui s’est
entendu dire que c’était une erreur qu’il
puisse connaître le nom des symptômes
de la maladie de sa femme, alors qu’il les
vit au quotidien , tels ces parents qui
n’ont pas su, après plusieurs jours
d’hospitalisation de leur fils, qu’ils ne
pourraient lui apporter de réconfort ni lui
souhaiter son anniversaire (ses dix-huit
ans qu’il était en train de passer dans une
chambre d’isolement) , telles ces familles
dont les besoins de base (place et reconnaissance de leur rôle) ne sont plus ni vus
ni entendus : « Vous savez, quand tout est
fait pour vous oublier comme famille,
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Portraits de famille l’accompagnement des familles par le centre ressource “famille & troubles psychotiques”
vous finissez par vous oublier aussi ! »,
résume l’une d’entre elles.
Au fil des accompagnements des familles,
nous avons tiré de nombreux enseignements, qui peuvent être regroupés dans
quatre principes de base.
Premier principe : les familles que nous
accueillons sont avant tout des
familles…
…que nous devons d’abord recevoir
comme telles. Une famille est un système
avec un équilibre, une communication,
des frontières, des valeurs, une histoire
qui lui sont propres. Elle fait aussi face à
ce qu’il est communément dénommé les
cycles de vie (la rencontre, l’union, les
naissances, le départ des enfants,… la
retraite, etc.) et à des évènements finalement courants (séparation, deuil, chômage,…). Ces éléments, aussi triviaux
soient-ils, doivent pourtant être au cœur
de l’accompagnement de toute famille.
Notre premier rôle est d’accueillir la parole, d’écouter de manière active, avec
empathie, à distance de tout jugement, en
clarifiant ce qui doit l’être, en laissant
flotter certains flous ou non-dits , à la
manière d’un photographe qui, baignant
ses clichés dans les bacs de la chambre
noire, révèle au fur et à mesure le paysage.
Il s’agit de faire connaissance, de repérer
ce qui amène une famille. En premier
lieu, les problèmes car ce sont toujours
eux qui sont évoqués d’emblée : qui vient,
qui souffre, qui demande de l’aide ? Mais
aussi ce qui semble aller correctement
pour la famille. Car s’il ne s’agit pas de
vouloir à tout prix rassurer des personnes
qui ont toute raison d’être inquiètes, il
s’avère nécessaire de valider, parallèlement à la souffrance exprimée, les périodes où elles vivent des évènements
comme tout un chacun, les solutionnent
correctement à leur manière. Il s’agit pour
nous de valider qu’elles possèdent des
ressources supplémentaires pour avoir su
faire face jusqu’à présent aux contraintes
imposées par la maladie de leur proche.
Cet exercice d’affiliation, qui demande du
temps, parfois même de l’abnégation, est
indispensable, avant même de demander à
la famille si elle souhaite que nous
l’aidions et comment elle souhaite que
nous le fassions. Il s’agit avant tout de
personnaliser l’accompagnement à travers
l’écoute. Cette écoute fait souvent défaut
aux familles : « Au mieux on nous entend,
au pire on ne nous écoute pas ! »
Deuxième principe : les familles que
nous accompagnons sont
compétentes…
…à nous alors de jouer le rôle du révélateur photo, de rendre plus net le négatif, et
de mettre ainsi en lumière les compétences enfouies. Les familles se présentent très souvent disqualifiées, perdues
dans un processus de deuil de ce que la
vie sans la maladie ou sans ce proche
aurait pu être, avec l’idée qu’elles ne
pourront plus jamais rien faire comme
avant. Elles sont souvent envahies au
point que la maladie floute l’ensemble des
photos et devient un redoutable étendard.
Ces familles, toutes sans exception, ont
perdu toute conscience qu’elles disposent
de capacités d’adaptation hors norme.
Elles vivent l’inattendu puis l’indicible
sur la durée ; elles sont sans cesse dans la
lutte avec, mais aussi contre, leur proche
malade,
leurs
autres
proches,
l’environnement, les soignants tour à tour
aidants et hostiles… Elles connaissent la
solitude, le rejet, elles fuient, s’épuisent…
Qui d’autres pourraient avoir développé
autant de savoir-faire sans y avoir été ni
préparés, ni soutenus, ni informés ?
A terme, la famille dysfonctionne très
souvent, non par incompétence, mais du
fait qu’elle doit faire face durablement à
une situation complexe lui demandant de
mettre en œuvre résistance, patience, inventivité, humilité. Le prix qu’elle paie
est une souffrance psychique, physique,
émotionnelle, affective et narcissique.
Restituer aux familles des champs de
compétences –leurs compétences– concoure à leur mieux-être.
Troisième principe : nous ressentons
des émotions à l’écoute de ces
familles…
…et il est important pour nous de prendre
le temps d’en tenir compte. Celles qui
viennent à notre rencontre peuvent parfois
être désespérées ou dans des attentes irréalistes par rapport à leur proche et aux
soignants, ou encore dans le déni. Aussi
nous posons-nous toujours, en premier
lieu, la question de nos ressentis émotionnels : quelles sont nos émotions ?
Sommes-nous capables, dans le déroulé
de la rencontre, de faire preuve
d’empathie ? Les émotions ressenties
sont-elles en lien avec l’histoire de la famille ou la nôtre, ou l’histoire similaire
d’une autre famille ? Nous ressentonsnous capables d’accompagner la famille ?
Avons-nous besoin d’aide pour la soutenir ?
Tout comme nous ne disqualifions pas les
familles, nous ne disqualifions pas les
professionnels du soin (ou les partenaires)
alors même qu’ils peuvent nous être présentés de la pire manière qui soient par les
familles. Il arrive bien évidemment, dans
certaines situations, que nos préjugés
nous assaillent : nous les livrons impérativement, et le plus rapidement possible,
en équipe afin qu’ils ne parasitent pas le
travail que nous souhaitons mener ensemble. Loin de nous l’idée, par exemple,
de remettre en cause telle prise en charge,
de demander à une équipe de soins ou une
équipe médico-sociale de changer son
fonctionnement. Nous accompagnons la
famille pour qu’elle se réapproprie ses
capacités à demander de l’information ou
à en donner à qui elle le jugera nécessaire,
pour qu’elle développe les habiletés adaptatives aux contraintes auxquelles elle est
soumise.
Quatrième principe : nous partageons
ensemble un savoir…
…pour lequel chacun a droit de citer. Le
CReFaP offre un espace de communication où sont non seulement échangés du
vécu, des émotions, des informations,
mais aussi du savoir et des connaissances.
Savoir scientifique et savoir profane se
rencontrent et se complètent, avec leurs
vérités et leurs différences. Le secret réside sans doute dans le dosage de ce que
l’on partage, dans le moment choisi pour
le faire, dans le respect mutuel.
Le CReFaP n’est pas un lieu d’expertise,
encore moins d’experts. Nous ne savons
pas mieux que les familles ce qui est ou
serait bon pour elles, et nous ne savons
pas non plus à l’avance. Nous ne prodiguons pas de conseils, surtout s’ils ne sont
pas demandés. En revanche, nous répondons aux questions auxquelles nous pouvons répondre, et nous engageons à
chercher des réponses aux questions posées pour lesquelles nous pressentons
qu’il puisse exister des réponses.
CONCLUSION
Les quatre principes ci-dessus explicités
(famille avant tout ; compétences familiales présentes , écoute émotionnellement
active , partage de savoirs) constituent le
PGCD (Plus Grand Commun Dénominateur) du Centre Ressource Familles &
Troubles psychotiques. Ils permettent le
premier changement observé, à savoir
l’amélioration de la santé des membres de
la famille, tant psychique que physique ;
et collatéralement, celle du proche malade. Le CReFaP, bien souvent, offre aux
familles la possibilité d’une parenthèse
dans laquelle elles pourront voir leurs
connaissances et leurs compétences reconnues, leur confiance restaurée, leur
bien-être amélioré, leur libre-arbitre recouvré. Ainsi, chaque famille se réapproprie ses envies, ses besoins, ses valeurs,
prend de nouveau soin d’elle et de son
quotidien. Et s’intéresse à son proche
malade comme à un individu et non
comme uniquement à un malade. Légitimement, elle voudra savoir ce qui se
passe pour lui, et forcément continuera à
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
23
Le travail avec les familles en hôpital de jour
poser des questions aux soignants, en
adaptant formes et fonds des questions.
C’est pourquoi notre présence est inscrite
sur un temps que la famille définit, avec
la règle explicite que notre accompagnement conduira à un relais et que nous
sommes disponibles aussi souvent et aussi
longtemps qu’elle le souhaite.
24
C’est
ainsi
s’enrichissent…
que
les
portraits
BIBLIOGRAPHIE
1. LEVOYER D., RENOUX L., ANNEIX M.C., DRAPIER D., MILLET B., Un centre de
ressource pour les familles, Santé Mentale,
2011, 159 : 52-56.
2. LEVOYER D., RENOUX L., Vous n’allez
pas nous laisser tomber ?, Santé Mentale,
2011, 159 : 57-60.
3. LEVOYER D., Partageons nos savoirs avec
les familles, Place publique, 2011, 12 : 110111.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
LE TRAVAIL AVEC LES FAMILLES
ENTRE MYTHE ET RÉALITE SOCIALE
Hôpital de jour universitaire « La Clé »
153 boulevard de la Constitution
4020 LIEGE
BELGIQUE
[email protected]
Dr Alice MUSELLE, Mireille CLOSE, Pr Jean-Marc TRIFFAUX
Le travail avec les familles des patients et l’intégration de ces dernières dans notre approche thérapeutique fait partie de notre quotidien à l’hôpital de jour. Le présent article fait l’objet de notre réflexion concernant d’une part, la mutation de la société qui nous amène à travailler avec une
multitude de constellations familiales et, d’autre part, la transmission familiale avec notamment la
notion de mythe familial.
En lien avec ces observations, un atelier groupal intitulé « Cartographie relationnelle » a pris naissance. Par le biais d’un outil métaphorique, il permet d’approcher l’image et la représentation que le
patient se fait non seulement de sa famille mais aussi de l’ensemble de son réseau relationnel.
Mots-clefs : systémique, famille, mutation sociétale, transmission familiale, mythe, réseau social,
génogramme, cartographie relationnelle
Working with family: between myth and reality
Working with the patients’ families and integrating them in our therapeutic approach is our everyday
lives at the day hospital. The topic of this article is, on the one hand, a reflection on the transformation of our society which leads us to work with a multitude variety of family constellations and on
the other hand, the consideration of the family transmission and in particular the notion of the family
myth.
In relation to these observations, a workshop group called “Relational Mapping System” has been
created. Through a metaphoric tool, it enables to getting closer to the image and representation the
patient has of his own family but also of its entire relational network.
Keywords: systemic, family, societal transformation, family transmission, myth, social network, genogram, relational mapping system
INTRODUCTION
Notre pratique psychothérapeutique à
l’hôpital de jour consiste en un travail
individuel et groupal. Néanmoins, il est
important, selon nous, de tenir compte de
l’entourage familial et social avec lesquels nos patients tissent des relations.
Parfois la famille est perçue comme une
alliée, un soutien, parfois comme un frein
voire une agression. Les familles, ellesmêmes, ont une conception du rôle qui
leur revient dans la prise en charge. Elles
possèdent chacune leur mythe concernant
la famille d’une part et la psychiatrie
d’autre part. L’institution possède également ses propres mythes concernant la
famille et le travail effectué avec elle.
Au travers de deux cas cliniques, nous
décrirons notre façon d’intégrer les familles dans nos prises en charge et la façon dont s’affrontent, s’intègrent ou se
combinent les différents mythes en présence.
Dans ce questionnement face à
l’intégration des familles, nous sommes
confrontés au changement du modèle
familial lié à une mutation sociétale. Nous
pouvons désormais être amenés à travailler avec une multitude de constellations
familiales : familles monoparentales, familles recomposées, familles adoptantes,
absence d’entourage familiale, etc. C’est
au travers de notre outil métaphorique,
« Cartographie relationnelle », que nous
investiguerons le réseau relationnel –
quelquefois complexe – de nos patients.
ASPECTS THÉORIQUES
1. Désinstitutionalisation de la famille
et mutation sociétale
Nous vivons actuellement une période de
transformation profonde de la conception
de la famille, des valeurs et des normes au
sein de la société occidentale. Nous assistons à « la dissociation normative et concrète qui s’instaure progressivement entre
vie de couple et vie familiale, entre sexualité et procréation et entre engendrement
et filiation » (Descarries & Corbeil, 2004,
p. 5-6) et, par ailleurs, à « la diffusion des
valeurs de la démocratie comme principe
de gestion de la sphère privée » (Neyrand, 2010, p. 1). Si, jusqu’au XXème
siècle, la famille relevait essentiellement
de facteurs économiques (protection de la
descendance, agrandissement, conservation et transmission du patrimoine), nous
sommes progressivement arrivés à une
famille principalement fondée sur
l’amour-passion et les sentiments exclusifs de deux partenaires (Terrisse, Kalubi
& Larivee, 2007). Les conséquences vi-
sibles de ces transformations sont la
baisse des unions par mariages,
l’augmentation des naissances hors mariage, la multiplication des types d’union,
la multiplication des types de structures
familiales (familles avec moins d’enfant,
monoparentalité, familles décomposée ou
recomposées, familles adoptantes, etc).
L’institution familiale perd de son importance, au profit de la réalisation de soi. On
parle de désinstitutionalisation de la famille.
Gaillard (2007) parle d’« adolescent mutants ». Il explique que nous assistons à
une rupture radicale qui entraine que « le
façonnement psycho sociétal des enfants
et adolescent de moins de 18 ans n’est
plus le même que celui qui façonnait
jusqu’à lors les générations successives ».
Jusqu’à cette mutation actuelle, l’identité
de l’individu se construisait sur
l’appartenance (familiale, groupale, culturelle…). Dans cette conception, le couple
était alors la matrice de la famille. Actuellement, l’identité se construirait plutôt sur
l’autonomie, le développement personnel
et l’individualisme. Cela ne veut pourtant
pas dire que la famille meurt ; le modèle
évolue, change, se transforme.
2. La transmission familiale
Selon Neuburger (1995), la famille peut
être définie comme une unité fonctionnelle donnant confort et hygiène, un lieu
de communication, matrice relationnelle
pour l’individu, un lieu de stabilité de
pérennité malgré ou grâce aux changements que le groupe peut opérer. C’est
aussi un lieu de constitution de l’identité
individuelle et de transmission intergénérationnelle par la filiation.
Au sein de la famille une transmission va
se faire. Une partie de cet héritage provient de la famille maternelle, une autre
de la famille paternelle, mais cet héritage
provient aussi de la création de l’espace
familial commun conçu par les parents.
Cet héritage sera également intimement
lié à la transformation actuelle de la société et la famille devra faire preuve de
créativité. « Pour que cette création
opère, la famille doit reconnaitre son
héritage, se l’approprier pour le transformer en y intégrant les éléments puisés
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
25
Le travail avec les familles en hôpital de jour
dans l’environnement social » (Courtois,
2003, p. 86).
L’identité familiale se constitue de son
héritage, de ce qui est transmis. Les véhicules de cette transmission sont les
mythes, les rituels, les scripts et les affects. Neuburger (1995) définit le mythe
familial comme un système de représentations et de valeurs intégrées et partagées
par les membres de la famille concernant
chacun d’eux et qui organise les rôles et
fonctions des membres de la famille au
long de leur vie : interdits, autorisations,
rôles sexuels, positions générationnelles,
sociales, fonctions affectives, tout en conférant à ces représentations une cohérence. C’est l’identité, la personnalité, le
ciment familial. Par rapport au mythe,
chaque membre est confronté à un double
message : le conformisme et la différenciation.
Le rituel est la voie d’accès au mythe, il
renforce le lien d’appartenance. Neuburger (1995, p. 24) le définit comme « des
conduites répétitives qui ont pour fonctions de renforcer le pôle mythique du
groupe ». Selon Courtois (2003, p. 91),
« une famille dynamique arrive à modifier
ses rituels, à introduire des éléments nouveaux au sein de leur structure immuable ».
Le script est à l’interface du mythe et du
rite. « Il donne des lignes directrices
larges et prescrit les séquences relationnelles » (Courtois, 2003, p. 93). Ils impliquent les membres de la famille dans les
différentes interactions.
Enfin, les affects sont les émotions partagées par la famille. Ils font également
partie de la mémoire familiale.
La transmission familiale des mythes, des
rituels, des scripts et des affects va constituer l’identité familiale. La construction
individuelle du sujet se fera entre appartenance et différenciation. Les scripts, les
mythes et les rites, vont s’inspirer du passé en tenant compte du présent. « La mémoire familiale s’organise autour de deux
grands axes, un vertical, qui est celui de
la transmission des savoirs d’une génération à l’autre, un horizontal qui relie la
microculture familiale à son écosystème
socio-culturel » (Rey, 2000, p. 143).
Les mythes présents au sein de la famille
vont être confrontés à d’autres mythes :
ceux de la société et ceux des institutions.
Il faut alors que les différents mythes en
présence puissent s’intégrer ; la difficulté
naîtra si un des mythes devient une réalité
absolue, un idéal rigide et immuable.
l’émancipation, peut être un moment
compliqué
pour
le
jeune
et
s’accompagner de difficultés psychiques.
Le contact avec l’extérieur, par exemple
avec l’hôpital de jour, va entraîner la rencontre d’un autre système, d’un autre
cadre comprenant d’autres mythes,
d’autres
rituels,
d’autres
règles.
« L’enfant s’ancre à la manière d’un bateau dans son port d’attache (sa famille),
un jour l’enfant s’en va à la recherche
d’autres ports, d’autres ancrages, de
nouvelles appartenances, emportant dans
sa mémoire des traces indélébiles de ce
premier ancrage » (Segers-Laurent, 1997,
p. 131).
Les institutions et les thérapeutes qui y
travaillent peuvent être perçus par la famille comme les représentants de l’ordre
social. Cette place peut revêtir un rôle
primordial, peut-être encore plus si l’on
se
trouve
dans
des
périodes
d’émancipation
d’un
jeune.
Or,
l’institution elle-même se trouve au carrefour de diverses influences : les mythes
personnels de chaque intervenant, les
mythes de l’institution et la mutation sociétale.
En ce qui concerne les mythes des thérapeutes, il faut être attentif à nos propres
idéaux et conceptions pour ne pas se retrouver dans une position jugeante avec
comme projet de soin « une norme de la
bonne famille ». En cas de demande
d’aide d’une famille, le danger est de répondre de façon non spécifique en fonction de mythes sociaux sans prendre en
compte la dimension mythique de la famille (Neuburger, 1995). La mythique
normative décrite par Neuburger est une
famille conjugale, avec des tâches partagées, un accord sur l’éducation des enfants et une séparation de la cellule
familiale de celle des grands parents. Il
arrive que sans s’en rendre compte, nous
regardions les situations à travers de « ces
lunettes normatives ». Ce modèle familial
n’est pas un mauvais modèle, mais il n’y
a pas de raison qu’il soit un idéal.
Enfin, d’autres mythes sont encore en
présence : les mythes institutionnels. Ils
constituent l’identité de l’institution dans
laquelle on travaille, ses valeurs fondatrices et la dynamique institutionnelle.
Les mythes institutionnels se constituent
dès la création de l’institution, selon le
contexte, l’idéologie, les intervenants. Ils
définiront donc la façon dont est perçu,
d’une part, le travail avec les familles et,
d’autre part, l’approche systémique.
rencontrer son entourage au cours d’une
hospitalisation. Même si cette rencontre
n’a pas systématiquement lieu, le simple
fait de l’envisager fera exister la famille
dans le suivi et manifestera notre intérêt à
l’égard de l’entourage du patient. Ce dernier n’est alors pas exclu de la prise en
charge. Si un entretien se met en place
avec la famille, il ne s’agira pas pour autant d’une thérapie familiale mais bien
d’une rencontre autour du patient. En
effet, le travail psychothérapeutique est
celui du sujet, tandis que l’entourage
constitue un allié dans l’aide que l’on
souhaite lui apporter. « L’institution est
un coffre à outils dont les familles ont la
clé » (Ausloos, 1995, p. 27).
Les thérapeutes se sentent parfois accusés
par
les
familles
qui
appellent,
s’inquiètent, se questionnent. Ils peuvent
se fermer à ces inquiétudes et la famille
entend « qu’on n’a pas besoin d’elle » ou
même qu’elle est nocive, voire toxique.
Le cercle vicieux va alors s’accentuer et
conduire à une rupture. Le fait de rapidement travailler de concert permet de casser ces mythes.
Canevaro (2012) décrit les avantages de
l’incorporation directe des membres significatifs de la famille dans les thérapies
individuelles d’orientation systémique. Il
décrit notamment les apports de la famille
dans la compréhension de la situation, des
malentendus, des mythes, des secrets. Il
explique que ces rencontres permettront
de favoriser la réconciliation ce qui peut
permettre un travail individuel personnel
plus important. Dans notre pratique,
l’intégration de la famille pourra se faire à
des moments différents de la prise en
charge, l’important étant de ne pas ignorer l’existence de la famille et de travailler en tenant compte de cette réalité. Le
but est d’élargir le champ, de trouver des
nouveaux outils, des nouveaux alliés. Il
est primordial de rechercher les « compétences familiale » (Ausloos, 1995), les
ressources, plutôt que de vouloir corriger
ce qui aurait été mal fait. « Collaborer,
c’est travailler ensemble, avec nos compétences, nos valeurs, nos responsabilités
respectives, mais aussi nos insuffisances,
en sachant qu’il n’y a pas de vérité en
éducation, seulement un processus
d’essais et d’erreurs dans lequel on peut
cheminer et grandir » (Ausloos, 1995, p.
161). Pour cela, il faut tenter de s’éloigner
du modèle médical qui cherche souvent à
chercher ce qui va mal et non à utiliser ce
qui va bien.
3. Quelle place pour l’hôpital de jour ?
Chaque individu va sans cesse naviguer
entre l’appartenance à sa famille et la
différenciation par rapport à celle-ci.
Dans le début de l’âge adulte,
4. Intégration des familles
Nous travaillons selon un modèle dans
lequel l’approche individuelle est privilégiée. Néanmoins, il nous semble important de pouvoir proposer au patient de
CAS CLINIQUES
26
1. La situation de Léonard
Il s’agit d’un jeune homme de vingt ans,
adressé par la consultation de Cyberdépendance pour une problématique de dé-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Le travail avec les familles entre mythe et réalité sociale
crochage scolaire, d’isolement et de jeu
sur l’ordinateur.
Léonard présente une symptomatologie
dépressive importante avec une thymie
abaissée, de la fatigue, de l’irritabilité et
de l’impulsivité, des difficultés de concentration et des compulsions mentales de
comptage. On note également des consommations massives d’alcool. Par ailleurs, le jeune homme mentait à ses
parents, prétendant aller au cours et réussir alors qu’il avait complètement décroché.
a. Situation et histoire familiale
Léonard est fils unique. Il vit seul la semaine -en ville, pour ces études- et rentre
le week-endek-end à la campagne, chez
ses parents. Il nous fait part de sa vision
mythique de sa famille, en expliquant
avoir été un enfant très attendu et que le
projet familial pour les deux parents était
d’avoir un seul enfant. Le couple parental
se connait depuis l’école primaire. Pour le
fils, il existe depuis toujours des tensions
au sein du couple, mais il n’a jamais été
question de séparation.
La mère a fait une tentative de suicide,
quelques années auparavant dans un contexte de burn out. Le patient explique que
son père poussait sa mère à reprendre le
travail avant cette tentative. Ce dernier est
décrit comme travaillant excessivement,
rarement présent et communiquant peu.
Le couple des grands-parents paternels est
décrit comme intrusif. Le patient dit entretenir des contacts superficiels avec ces
derniers. Ils ont longtemps refusé le mariage des parents et les contacts ont repris
depuis quelques années. Selon Léonard,
son père n’a pas été désiré et a été élevé
par ses propres grands-parents. Il ajoute
que son oncle a toujours été plus gâté.
b. Génogramme
Cf. Figure 1.
c. Entretiens familiaux
Un premier entretien a lieu uniquement
avec le patient et sa mère, lors de la préadmission. Il existe une grande complicité
entre eux. Ils ne se contredisent pas, parlent l’un pour l’autre. Il existe durant cette
première consultation, un moment
d’échange entre eux concernant la tentative de suicide de la mère. A ce momentlà, Léonard fait part du fait qu’il reste
aujourd’hui très touché ; de cela, elle se
montre étonnée et émue, s’en sentant
coupable.
Durant l’hospitalisation trois entretiens de
famille ont lieu. Ces rencontres avec les
deux parents ont été rapidement prévues
dans l’hospitalisation, d’une part, parce
que la symptomatologie de Léonard apparait dans un moment familial important
d’émancipation et, d’autre part, parce
qu’un premier entretien avec uniquement
la mère a eu lieu et qu’il semble nécessaire de “rééquilibrer” les choses et
d’inclure le père. De plus, avant la rencontre familiale, le père téléphone à
l’hôpital pour faire part de ses inquiétudes
concernant son fils (alcool, passivité, tristesse, études).
Durant les entretiens familiaux, le clivage
entre père et mère-fils est important. Le
père décrit des sentiments de colère face
aux mensonges de son fils. La mère,
quant à elle, livre des sentiments de culpabilité à l’égard de la situation. La famille se décrit au travers de l’image de
leur propre famille en vacances : « Chacun fait ce qui lui plait la journée et, à
midi et le soir, ils se retrouvent systématiquement en famille pour manger et partager un bon moment. Ils sont alors juste
eux trois et il n’y a pas de pressions extérieures ». Nous voyons dans cette image
le souhait de chacun de pouvoir naviguer
sereinement entre leur appartenance à la
famille et la différenciation de chaque
membre, ainsi que le souhait de s’éloigner
des intrusions extérieures comme celles
des grands-parents, par exemple.
d. Evolution
A l’hôpital de jour, Léonard sociabilise
beaucoup et il ne présente plus d’affect
dépressif. Il éprouve des difficultés à se
mettre au travail en vue des examens qu’il
veut passer.
Au niveau familial, il dit de sa mère
qu’elle prend davantage soin d’elle et
qu’elle est rassurée par les entretiens familiaux. Quant à son père, il le décrit
comme plus communicatif et plus affectueux.
e. Discussion
Cette situation est celle d’un enfant
unique, constellation familiale qui comme nous l’avons vu- est de plus en
plus fréquente dans notre société. Dans ce
trio familial, la période d’émancipation
est compliquée. L’hôpital de jour intervient dans ce contexte et constitue un
nouveau lieu d’ancrage avec d’autres
mythes.
La rencontre familiale a permis
l’intégration des deux parents et une diminution du clivage familial. Le problème
de Léonard, au départ, et les entretiens en
famille, ensuite, ont permis un rapprochement du couple parental. Cela a aussi
permis d’atténuer la vision négative que
le père se faisait de la psychiatrie. Le
message qu’il a envoyé en téléphonant
paraissait, au départ, agressif et les rencontres ont permis d’y voir l’inquiétude.
Ces entretiens ont favorisé l’échange et la
circulation d’informations concernant la
tentative de suicide de la mère. Cette dernière a dès lors peu à peu pu sortir de la
culpabilité qui l’engluait et s’inscrire dans
une relation “plus aidante” pour son fils.
De plus, les entretiens de famille ont probablement permis au patient de faire son
propre chemin à l’hôpital de jour, au
cours d’un travail individuel.
Dans cette situation, il s’agit d’une famille dynamique et non rigide. Tous trois
étaient capables d’intégrer de nouveaux
éléments à leur héritage familial.
L’hôpital de jour a offert au jeune homme
un moyen de différenciation sans pour
autant perdre son appartenance.
2. La situation de Damien
Il s’agit d’un jeune homme d’une vingtaine d’année également, suivi en psychiatrie depuis son adolescence alors qu’il
refusait une greffe rénale et disait vouloir
mourir.
Damien
a
accepté
l’hospitalisation dans un contexte de recrudescence des idées suicidaires et
d’affect dépressifs majeurs. Il est alors
dans un moment où il accepte le monde
extérieur proposé par son thérapeute.
a. Situation et histoire familiale
Le jeune homme est atteint d’une maladie
rénale depuis l’enfance ayant conduit à
une greffe. La première greffe rénale
s’étant soldée d’un rejet, une seconde eut
lieu à l’âge de 17 ans. Les parents sont
séparés depuis qu’il a deux ans et Damien
a été élevé par sa mère avec laquelle il vit
actuellement. Il n’a plus de contact avec
son père.
La scolarité s’est interrompue en troisième secondaire. Avant cela, le parcours
est ponctué de nombreux déménagements
liés à des conflits de voisinage et de
changements d’école.
La mère présente une dépression récurrente. Du côté maternel, Damien connait
uniquement ce qu’elle lui a rapporté. Il
explique que la grand-mère était très dure
avec elle qui était l’aînée de la fratrie. La
mère est célibataire, ce qu’elle reproche à
son fils. Le patient ne connait rien du côté
paternel, mis à part une vision diabolisée
par la mère.
La relation mère-fils est extrêmement
tendue. Les fluctuations d’humeur de
Damien dépendent énormément des conflits entre eux. A plusieurs moments de
l’hospitalisation, elle fait “irruption” dans
la prise en charge (téléphone, interpellation des infirmières, lettre, mails). Dans le
suivi somatique, la mère prend également
beaucoup de place ; elle s’est fâchée avec
plusieurs médecins jusqu’à porter plainte
contre certains. Dans la prise en charge,
elle se montre très ambivalente. Elle reproche à Damien ses progrès et lui en
veut de vouloir faire des activités avec
d’autres qu’elle. Durant l’hospitalisation,
elle fait plusieurs fois des menaces et des
passages à l’acte suicidaire.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
27
Le travail avec les familles en hôpital de jour
b. Génogramme
Cf. Figure 2.
c. Entretiens familiaux
Des entretiens incluant la famille sont
rapidement proposés. Pour Damien, la
seule personne possible à faire venir est la
mère. L’entretien est accepté après un
mois.
Au premier entretien mère-fils, cette dernière dit avoir toujours été demandeuse
d’entretiens de famille. L’entretien est fait
des reproches et des plaintes de la mère,
les échanges sont tendus. Néanmoins un
point important ressort : il est difficile
pour la mère de voir Damien avancer “sans elle”.
Elle se manifeste par des courriers et des
appels et elle propose et annule plusieurs
autres rencontres. Une deuxième entrevue
peut finalement être fixée. Durant cet
entretien, la mère parle à nouveau énormément. Elle explique se sentir seule,
critique Damien, disant qu’il ne fait aucun
projet ou encore dit vouloir “divorcer” de
ses fils. Pourtant, après la rencontre, on
apprend que mère et fils se sont pris dans
les bras dans la salle d’attente. Dans les
suites de cet entretien, Damien adresse
une lettre à sa mère dans laquelle il lui
écrit tout ce qu’elle a fait pour lui et l’en
remercie.
Pour le patient, la devise de la famille
est : « Les choses n’ont pas besoin d’être
dites, on est censé connaitre l’autre
comme soi-même ». Cette devise traduit
bien la difficulté de différenciation entre
mère et fils.
Enfin, l’image proposée par le patient
pour illustrer sa famille est : « Je suis un
petit feu qu’elle essaie d’éteindre avec de
l’eau, elle ajoute tantôt du bois tantôt de
l’eau… » On peut y voir toute
l’ambivalence entre mère et fils par rapport à l’émancipation.
d. Evolution
Globalement, au niveau de la symptomatologie dépressive et de l’idéation suicidaire, Damien évolue favorablement. Il
parvient à sociabiliser rapidement avec
d’autres patients au sein de l’hôpital.
Néanmoins lorsque l’humeur fluctue, il
l’attribue systématiquement aux disputes
et aux reproches entretenus avec sa mère.
Ces conflits sont récurrents et se répercutent, par moment, sur l’hospitalisation (la
mère refuse de conduire son fils à
l’hôpital, demande puis refuse des entretiens).
Damien réalise un travail personnel évoluant petit à petit vers un besoin
d’indépendance. Néanmoins, il se montre
ambivalent par rapport à son envie et à sa
capacité à s’émanciper.
Après l’hospitalisation, le patient reprendra finalement une formation et pour ce
28
faire, il prendra un appartement durant la
semaine et rentrera chez sa mère le weekendek-end (c’est mère et fils qui trouvent
cette solution, beau compromis entre la
prise d’indépendance et le fait de rester au
domicile familial).
e. Discussion
Il s’agit ici aussi d’une constellation familiale “nouvelles”. L’hôpital de jour se
trouve ici face à un duo familial rigide.
La rencontre familiale a permis de ne pas
exclure une mère qui aurait pu susciter
notre rejet. Grâce à son intégration, elle a
assoupli un mythe selon lequel le monde
médical est dangereux pour la famille.
Elle a exprimé le sentiment de dévalorisation d’une mère qui, seule, n’a pu accompagner son fils dans son autonomie et qui
fait appel à la médecine alors qu’elle n’a
pas confiance dans l’institution médicale.
L’ambivalence de la mère et du fils dans
le processus d’émancipation, d’autonomie
a pu être discutée et l’information a circulé. Damien a écrit une lettre à sa mère
après un des entretiens familiaux. Dans
cette lettre, il mettait en mot la dette qu’il
avait envers elle quant aux “sacrifices”
qu’elle avait faits pour lui.
Dans cette famille, le temps s’était arrêté
et le cadre de la famille rigidifié. Les
étrangers en étaient exclus. Or, l’hôpital
de jour va créer une faille énorme avec
l’extérieur. Lentement, le couple mère-fils
s’est ouvert. Les entretiens ont été peu
nombreux mais les contacts avec la mère
d’une importance cruciale (courrier, téléphone…), bien que parfois violents pour
que le monde extérieur puisse côtoyer le
monde intrafamilial.
PRÉSENTATION DE L’ATELIER
1. D’une définition de la famille
« La famille, souvent vue comme unité de
base de toute société, fait partie de ces
évidences, que tout le monde croit connaître sans parvenir à les définir précisément »
(Jonas,
2007, p.
10).
Effectivement, au début du siècle dernier,
le sociologue Parsons (cité par Jonas)
envisageait la famille sous la forme conjugale : un homme et une femme mariés
qui vivent avec leurs enfants sous le
même toit, jusqu’à ce que ces derniers
aient accédé à une certaine autonomie
financière. Assurément, d’après Halpern
(1987, cité par Bouchard, 1991), la famille traditionnelle n’est plus une réalité
pour bon nombre d’entre nous. « Une
famille sur cinq ne correspond plus au
schéma classique d’un homme et une
femme élevant leurs enfants, et leurs enfants seulement. Nous avons affaire, de
plus en plus, à des réseaux relationnels
complexes, à des parentés plurielles » et
« à des filiations multiples […] allant de
la parenté du sang à la parenté du cœur »
(Fize, 2005, p.24, p.60).
2. Vers une définition du réseau relationnel
Jusqu’il y a peu, bon nombre de sociétés
traditionnelles se fondaient essentiellement sur la famille au sens premier du
terme ; les meilleurs amis, les confidents
faisaient indubitablement partie de la parenté voire de la parenté élargie. Aujourd’hui, la famille d’en temps, “pivot”
des relations de sociabilité et d’entraide,
se voit peu à peu substituée à la parenté
élargie, au voisinage, aux associations ou
encore aux amis et connaissances. Fortin
qualifie cette nouvelle instance de
« grande famille sociologique » (Fortin &
al., 1985).
Le soin psychiatrique en hôpital de jour
se trouve au cœur du soin relationnel en
étroite interaction avec ces changements
structurels. En effet, le réseau sociofamilial du patient s’avère fréquemment
être une ressource éclairante pour le psychothérapeute, que ce soit en termes informatifs (ex. hétéro-anamnèse) comme
en terme de soutien actif en extrahospitalier. Au travers de la fonction symbolique
du langage, la valeur thérapeutique de la
parole peut émerger au sein d’une nouvelle aire transitionnelle “suffisamment
bonne” entre le sujet, le groupe d’où il
provient et l’équipe soignante possédant
elle-même une histoire individuelle et
collective.
Le terme “réseau” provient du mot latin
“retiolus”, diminutif de “retis”, qui signifie “filet”. En sciences humaines, un réseau social est un ensemble d’entités
(personnes, groupes ou institutions) qui
entretiennent des liens créés et vécus lors
d’interactions sociales. Le réseau se manifeste par des relations entre personnes
dans le cadre de relations de proximité,
d’amitié, de collaboration professionnelle
ou scientifique, ou encore d’aide et de
soins.
On
soulignera
également
l’effervescence du réseautage social promue par le Net. Le réseau social contient
non seulement les parents consanguins
mais aussi les amis intimes, piliers affectifs incontournables, les copains, voisins,
collègues, compagnons de route, soit
toute personne ayant croisé et marqué le
patient sur son parcours de vie.
3. La famille comme système versus
réseau-système
La famille-système est envisagée sous
l’angle d’une unité globalisante organisée
d’interrelations entre individus (Morin
cité par Dessoy, 2003), dont l’équilibre
provisoire garantit son évolution voire sa
survie. Ses membres sont unis par un lien
dit d’attachement. Dans ce milieu, des
« lois familiales organisationnelles » se
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Le travail avec les familles entre mythe et réalité sociale
conjuguent à des « lois personnelles »,
garantie de l’identité et de la singularité
de chacun des membres. Elles permettent
de rechercher ensemble un certain équilibre des forces en tension et de les orienter vers un état stable.
Les circonstances de la vie modifient
constamment cet équilibre instable.
Chaque nouvel état de désorganisation
nécessite des interactions et des stratégies
nouvelles afin de renverser l’état de désorganisation et ainsi tendre vers un nouveau niveau de réorganisation (Bouchard,
1991). On parle dans ce cas
d’homéostasie du système.
Ce regard systémique porté sur la famille
offre donc la possibilité de cerner davantage les adaptations opérées par le système familiale en quête de polarisation
des forces antagonistes et complémentaires internes ou externes, ceci, dans
l’optique d’entretenir leur équilibre tout
en respectant les lois d’unité et
d’autonomie (Dessoy, 2003).
Comme il importe d’envisager la famillesystème, il nous semble intéressant
d’investiguer le réseau-système.
4. Représentation graphique de la
famille-système
Les génogrammes ou encore génosociogrammes sont fréquemment utilisés
en thérapie familiale. Variantes de l’arbre
généalogique classique, ils se distinguent
de ce dernier par leur approche psychologique transgénérationnelle, étudiant un
minimum de trois générations. Ils visent
l’étude des liens unissant le patient symptôme à ses ancêtres. « Les génogrammes
permettent d’obtenir une image rapide des
modèles familiaux complexes. Ils constituent une source riche d’hypothèses quant
à la manière dont un problème clinique
peut se voir relié au contexte familial ainsi qu’à l’évolution à la fois du problème
et de son contexte » (Mc Goldrick & Gerson, 1990, p. 19).
5. Vers une représentation graphique
du réseau- système : Présentation de
l’atelier « Cartographie
relationnelle »
a. Objectif
L’objectif thérapeutique de cet atelier
groupal est d’aborder de façon originale
la question des relations interpersonnelles
en intra comme en extrahospitalier, question incontournable au vu d’un projet de
réinsertion sociale voire professionnelle.
A cette fin, nous proposons un outil métaphorique permettant d’aborder l’image
et la représentation que le patient se fait
non seulement de sa famille, mais également de l’ensemble de son réseau relationnel : une “carte géographique”. Le
patient réalise cette carte en y plaçant ses
différentes relations comme s’il s’agissait
de villes.
b. Modalités pratiques
L’atelier se déroule sur deux plages d’une
heure et demie. Selon une approche psycho-artistique, la première séance est consacrée à la réalisation de la carte. La
seconde, quant à elle, offre la possibilité
aux participants de présenter leur production et de s’exprimer quant aux émotions
qui les ont traversés au cours de cet atelier. C’est pourquoi, afin de favoriser les
échanges, nous limitons le nombre de
participants à huit.
La dynamique relationnelle, de par sa
nature, est en constante évolution. Aussi,
il arrive qu’au cours de son hospitalisation, le patient soit invité à nuancer voire
retravailler sa cartographie relationnelle.
Enfin, le caractère groupal de l’atelier ne
permet pas d’investiguer certains points
plus personnels en profondeur. Le patient
est donc libre d’approfondir davantage ce
support au cours de sa thérapie individuelle avec son psychiatre.
c. Consignes relatives à la réalisation de
la carte
Cf. Tableau 1.
d. Apports de l’atelier
La cartographie relationnelle permet
d’aborder de façon originale le récit de
vie de nos patients ; elle est un support
intéressant pour amorcer la thérapie individuelle.
Cet exercice permet de décharger beaucoup de choses sur le plan affectifémotionnel. « Déposer graphiquement
l’historique de son réseau socialefamiliale sous la forme d’une cartographie relationnelle permet de prendre un
temps du recul », nous confie J.B.. Construire sa cartographie relationnelle, « c’est
aussi s’octroyer un temps de libération de
la parole, un temps d’acceptation de ce
qui a été, de ce qui est, de son appartenance. C’est pouvoir poser un regard
nouveau sur la complexité de son réseau,
remettre en perspective les difficultés
traversées, surmontées ou non par chaque
entité » (Ancelin Schützenberger, 2009).
Comme le génogramme, cet outil permet
de souligner les filiations, les ruptures de
liens, les répétitions, les comportements
de dépendance, les vulnérabilités, les nondits, etc. Il montre comment les différents
rôles et les diverses règles qui ont cours
dans un réseau-système donné influencent
les relations entre les différents membres.
Cet outil permet d’identifier les processus
de transmission de valeurs, des croyances,
les processus de destructions en œuvre
comme ceux de création. En effet,
l’utilisation de la cartographie relationnelle nous a permis de mettre en évi-
dence, certains modes de fonctionnement
propres à chacun de nos patients. C’est
ainsi que « ce voyage dans le temps invite
à comprendre comment notre histoire
personnelle, nos petites histoires -nos
difficultés et nos drames- s’inscrivent
dans la grande histoire et dans les évolutions sociales » (Ancelin Schützenberger,
2009).
Cette photographie de nos relations permet de jeter un regard sur la dynamique
de nos relations. Cet état des lieux du
réseau relationnel permet d’identifier les
piliers affectifs – pilier ressources ou de
prendre conscience de leur absence.
Qu’en est-il de leur stabilité ? Quel est le
rôle respectif de chacun ? Quelle relation
mérite d’être travaillée ? Quid de mes
objectifs thérapeutiques sur le plan relationnel ?
Enfin, certains patients ont évoqué leur
crainte de ne pas figurer sur la cartographie d’autres patients. Cela permet
d’aborder la réciprocité de la relation. Cet
atelier s’avère aussi un outil précieux
quant à l’évaluation de la dynamique de
groupe intra-hospitalière.
CONCLUSION
A la lumière des deux cas cliniques et de
l’atelier « cartographie relationnelle »,
nous avons tenté de vous faire part de nos
réflexions face à la mutation sociétale et à
la désinstitutionalisation de la famille.
Parallèlement, nous avons tenté d’attirer
votre attention sur l’impact des mythes du
patient et de sa famille, ceux de la société,
ceux de l’institution ou encore des
nôtres ; ces derniers forment un réseau
complexe indissociable de notre prise en
charge.
Au vu de ces observations, doit-on parler
de pratiques thérapeutiques en mutation ?
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In W. LAHAYE (Dir.), Penser la famille,
numéro spécial thématique, La matière et
l’esprit, 2007, 7 (2), 11-18.
Figure 1 : Génogramme de Léonard
Figure 2 : Génogramme de Damien
30
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Le travail avec les familles entre mythe et réalité sociale
Tableau 1 : Consignes de l’atelier "Cartographie relationnelle"
M. CLOSE, HJU La Clé (2013)
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
31
LA FAMILLE S’AGRANDIT
Centre orthogénique
30 rue du Mayeuri
6032 MONT-SUR-MARCHIENNE
BELGIQUE
[email protected]
Annie DELAETERE-BRULOIS, Fabian GILLE, Geneviève JADOUL,
Betty LUST
Le Ricochet (centre résidentiel pour jeunes) est né !
Vous font part de cet heureux événement
La Direction et l’équipe du Centre Orthogénique, ses Parents
La Direction et l’équipe du Centre André Focant, son grand frère
Les fondateurs du Centre Orthogénique, ses grands parents
Oui mais….
- après quel type de grossesse ? désirée ? nerveuse ? à risque ?
- en réponse à l’échec ? (ou à la réussite ?) du travail avec les familles en centre de jour ?
- afin de profiter de la richesse transgénérationnelle ?
Trois représentants de l’accompagnement familial (un par structure) et le pédopsychiatre, vont essayer de dégager à la lueur de vignettes cliniques, leurs doutes, découragements, révoltes et échecs
mais aussi leurs joies, réussites et espérances quant à ce travail.
Il s’agira aussi de repérer en quoi le travail avec les familles dans notre centre de jour, vieux de 36
ans, interpelle, nourrit, perturbe, nuance et enrichit le travail famille en résidentiel et réciproquement.
Mots-clefs : centre de jour, centre résidentiel, enfants, adolescents / adultes, accompagnement familial, échec / réussite, richesse / entrave transgénérationnelle
An addition to the family
Ricochet (residential Centre for young People) is born!
Are pleased to announce this happy event
The Management and team of the Orthogenic Centre, its Parents
The Management and team of the André Focant Centre, its older brother
The founders of the Orthogenic Centre, its grandparents
Yes, but…
- what was the pregnancy like?
- wanted? tense? risky?
- a response to the failure (or the success) of working with families at the day centre?
- in order to make the most of cross-generational assets?
Three family support representatives (one per structure) and the infant and juvenile psychiatrist will
endeavour, with the help of clinical thumbnails, to express their doubts, despondency, rebellions and
failures, but also their joys, successes and hopes about this work.
The way in which the work with families in our day centre, set up 36 years ago, challenges, nourishes,
disrupts and enriches the work with families in residential care and vice versa will also be explained.
Keywords: day centre / residential centre, children, adolescents / adults, family support, failure /
success, assets / cross-generational obstacle
I. INTRODUCTION
Le Centre Orthogénique, centre de jour,
existe depuis 36 ans. Nous y soignons 28
enfants et adolescents de 3 à 18 ans atteints de troubles envahissants du développement (TED). Nous y accompagnons
leurs familles dans l’espoir, souvent rencontré, parfois déçu, d’un partenariat.
Comme présenté dans notre faire-part,
nous avons donné le jour à deux autres
structures, le Centre André Focant, service résidentiel pour adultes (24 ans aujourd’hui), et le Ricochet, service
résidentiel pour jeunes (22 mois) qui ont
la particularité d’être des hébergements et
donc de proposer l’éloignement familial.
Le centre André Focant est à ce jour un
adulte autonome et en bonne santé et
plein de projets. La nature d’un de ces
projets est l’accompagnement de nos résidents et/ou de leurs familles, plus parti-
32
culièrement de leurs parents, dans la vieillesse et la mort.
Les “parents” que nous sommes au Centre
Orthogénique se préoccupent plus et
beaucoup du petit dernier, « Le Ricochet », qui se débat depuis sa conception
jusqu’à ce jour pour sa survie… Il héberge néanmoins 22 jeunes et nous vous
ferons partager le parcours périlleux de
deux d’entre eux.
Mais plus fondamentalement, c’est quoi
ce besoin de créer ?
Après avoir réfléchi aux raisons conscientes et inconscientes de ce besoin de
créer de nouvelles institutions et aux
mythes qui sous-tendent nos actions et
qu’il serait trop long de développer ici
nous proposons de nous focaliser sur le
travail “familles”.
L’ACCOMPAGNEMENT DES
FAMILLES AU CENTRE
ORTHOGENIQUE
L’accompagnement des familles au
Centre Orthogénique, c’est toute une histoire ! Nous allons tenter d’en dégager la
trame.
Si les modalités pratiques de cet accompagnement ainsi que ses objectifs ont pu
évoluer constamment au fil du temps, les
valeurs qui la sous-tendent et qui ont été
énoncées par le Fondateur du centre sont
restées bien présentes, à savoir Amour,
Respect, Humilité et Authenticité. (Et
oui ! nous osons parler d’amour… ! pas
très scientifique tout ça… !). Ainsi, et dès
l’ouverture du Centre, une importance
primordiale a été accordée à la place des
parents en les impliquant dès le diagnostic
posé. Conscients de l’énorme difficulté à
accepter un diagnostic aussi lourd, c’est à
un cheminement vers une certaine forme
d’acceptation que nous les invitons afin
qu’ils puissent adhérer à la prise en
charge de leur enfant. En effet, faute d’un
minimum de consensus et donc de reconnaissance du bien-fondé des traitements
proposés, il y aurait grand risque que
l’enfant se trouve écartelé entre
l’institution et sa famille.
Dès le début également, il a toujours été
clairement signifié aux parents que notre
structure avait pour mission de soigner
leur enfant et non pas ses parents. Si, avec
les enfants malades, nous sommes dans le
soin, relation de type thérapeutique, avec
leurs parents, nous nous positionnons
clairement dans un autre registre, relation
de type partenariat. Ceci est parfaitement
cohérent avec le principe du centre de
jour, les parents continuant à assumer
pleinement leurs responsabilités comme
acteurs principaux de l’éducation de leur
enfant au quotidien. C’est fort de cette
reconnaissance mutuelle qu’un contrat de
collaboration
peut
s’établir
entre
l’institution et les parents, afin d’œuvrer
ensemble et complémentairement au bienêtre et à la meilleure évolution possible
des enfants qui nous sont confiés. Concrètement le travail avec les familles se décline aujourd’hui selon un canevas
d’entretiens bien balisés. A côté de ces
entretiens formalisés, l’équipe familles
offre sa disponibilité aux familles qui
peuvent la solliciter en fonction de leurs
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
La famille s’agrandit
besoins de même que les familles peuvent
être sollicitées par l’équipe pour venir
échanger sur une problématique particulière rencontrée avec leur enfant. Ce fonctionnement sous forme de partenariat a
permis de diminuer le sentiment de culpabilité des familles au profit d’un accroissement de leurs responsabilités. Il
faut encore mentionner tous les contacts
informels avec les parents lorsqu’ils viennent déposer leur enfant le matin et le
reprendre après la journée. Nous avons
toujours été particulièrement attentifs à la
qualité de l’accueil lors de ces moments
car c’est souvent là que les parents, au
travers d’une parole, d’une attitude, nous
feront passer des messages importants.
Parlant de l’histoire de l’accompagnement
des familles au Centre Orthogénique, il
faut ici relayer une prise de conscience
qui s’est imposée à l’équipe dans les années 80. Les premiers enfants accueillis
atteignent à ce moment l’âge adulte et
leurs parents se retrouvent sans solution
de prise en charge pour eux. En effet,
force est de constater qu’après l’âge de 18
ans, il n’existe rien comme solution
d’hébergement en dehors de l’asile psychiatrique à cette époque !
Il faudra 7 ans et 8 ministres pour obtenir
l’autorisation d’ouvrir le Centre André
Focant qui accueillera ses premiers résidents en 1989. C’est la non acceptation de
l’inacceptable qui aura été le moteur de la
création d’une nouvelle structure.
Nous sommes depuis une petite dizaine
d’années interpellés par le constat alarmant d’une précarisation et d’une dégradation de l’état des familles en lien,
notamment, avec la dégradation socioéconomique de la région dans laquelle
notre structure est implantée. Nous
sommes confrontés de plus en plus souvent à des familles monoparentales, à des
familles touchées par la maladie mentale,
la toxicomanie et la pauvreté, et qui, aux
prises avec ces graves problèmes,
n’arrivent plus à assumer leurs responsabilités.
De tous ces constats est née une réflexion
qui a abouti finalement à la création du
Ricochet, structure d’hébergement de nuit
et de week-endek-end dédiée spécialement à des enfants souffrant de problématiques psychiatriques et dont la plupart
des parents ne peuvent plus assumer la
prise en charge.
Cette nouvelle institution a permis à plusieurs enfants du Centre Orthogénique
d’éviter une rupture dans la continuité des
soins, et donc du lien, au contraire d’une
hypothétique réorientation de ces enfants
vers un internat pédopsychiatrique (où il
n’y a de toute façon jamais de place avant
2 ans… quand tout va bien !).
LES VIGNETTES CLINIQUES
1. Thibaut
La première concerne un enfant qui n’a
de lien ni avec le Centre André Focant ni
avec le Ricochet et qui, après 3 ans et
demi de prise en charge au Centre, vient
d’être réorienté vers un internat pédopsychiatrique.
La plupart des enfants sortent de la psychiatrie au terme de leur prise en charge
chez nous soit en intégrant ou en réintégrant l’école, soit en intégrant une structure de jour pour enfants avec handicap
dont ils pourront bénéficier jusqu’à l’âge
adulte sans contrainte de limite dans la
durée.
L’objectif de cette vignette est de montrer
que, loin de devoir être considérée
comme un échec, une telle orientation
vers un Internat pédopsychiatrique peut
constituer un véritable projet thérapeutique en soi.
“Thibaut”, âgé de 6 ans et atteint
d’autisme, est le 2ème enfant d’une fratrie
de 3 garçons. A 2 ans et demi, il est orienté vers un hôpital de jour où il restera 3
ans, ce qui correspond à la limite de
temps imposée par l’INAMI, l’organisme
subsidiant. Au terme de cette première
prise en charge, Thibaut devait être orienté vers une école spécialisée dans une
classe TEACCH1, mais les parents ne le
sentant pas prêt, ont opté pour une structure où leur fils pourrait bénéficier encore
de soins psychiques. C’est ainsi qu’il
entre chez nous à l’âge de 6 ans, cette
orientation étant appuyée par un Centre
de Référence Autisme (CRA).
Les premiers contacts avec les parents
sont chaleureux. Ils sont collaborants et
ouverts à partager leur souffrance d’avoir
un enfant autiste. Au fil du temps une
réelle relation de confiance s’installe.
Même si, dès le premier entretien, nous
abordons la sortie de l’enfant, c’est 18
mois après son entrée que les parents
abordent pour la 1ère fois la question de
l’internat. Thibaut se montre de plus en
plus impulsif voire agressif avec ses
frères, et c’est pour préserver ceux-ci que
les parents envisagent éventuellement la
solution de l’internat. Il faut dire qu’eux
aussi sont épuisés par l’énergie dépensée
pour gérer les crises de Thibaut. La maman est d’ailleurs en arrêt de travail tellement elle est épuisée par le manque de
sommeil…
Quelques temps après, les parents sollicitent un entretien pour nous demander
explicitement de nous positionner en
équipe sur le bien-fondé ou pas, pour
Thibaut d’aller dans un internat thérapeutique. Ils ne nous cachent pas que cette
1
Treatment and Education of Autistic and related
Communication handicapped CHildren
éventualité génère chez eux et surtout
chez la maman énormément de culpabilité… Nous abordons donc en réunion la
question de l’orientation future de Thibaut à la lueur de l’idée d’internat. Après
réflexion, l’équipe émet un avis favorable
à l’internat. En effet, l’école n’est toujours pas envisageable pour Thibaut et,
d’autre part, la famille est vraiment mise à
mal par ses comportements. Néanmoins
les parents, loin de se reposer sur notre
avis, restent très investis et soucieux du
bien-être et de l’avenir de leur fils. Il est
donc proposé de les accompagner dans ce
projet, à leur rythme et en restant nous
aussi investis auprès de l’enfant afin qu’il
puisse vivre au mieux cette période de
transition.
En février de cette année, le papa nous
informe de leurs démarches. Ils ont choisi
la structure qui leur semblait la plus adéquate pour poursuivre les traitements de
Thibaut, sont allés la visiter avec lui et l’y
ont inscrit pour une rentrée possible en
septembre.
En avril, nous revoyons encore une fois
les parents. Cette fois, la date d’entrée à
l’internat est fixée au début du mois de
septembre. La maman ne cache pas toutes
ses peurs. De son côté, Thibaut manifeste
un nouveau comportement : il saute et se
laisse tomber… Veut-il lui aussi nous
exprimer sa peur de ce changement à venir ? C’est en effet un fameux saut à faire
en passant d’un hôpital de jour à un internat ! A nous, institution et parents, de lui
garantir la contenance qui lui permettra de
franchir cette étape importante de sa vie
sans tomber dans le vide. Nous osons
croire que ce nouveau projet, mis en place
autant pour lui que pour sa famille, lui
permettra de poursuivre son chemin
d’humanité et de vie.
2. Massimo
Cette deuxième vignette concerne un adolescent de 15 ans, “Massimo” qui, grâce à
l’existence du Ricochet, a pu poursuivre
sans rupture sa prise en charge chez nous
au moment où une mesure de placement a
été prise pour lui il y a un peu plus d’un
an.
Dès 2010, au Centre Orthogénique, les
réflexions autour de “Kevin” et “Harry”
aboutissent au constat qu’il n’existe pour
ces enfants aucune structure spécifique
adaptée qui peut les prendre en charge.
Leurs familles ne peuvent assumer leur
maladie et handicap lourds, que faire ?
Doit-on se résigner et laisser l’état de ses
enfants se dégrader ?
L’idée de créer le Ricochet est née. Nos
impératifs et logiques socio-médicopsychologiques s’opposent alors à certaines
logiques
financières.
Sous
l’impulsion fortuite d’“Abdel” (un enfant
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
33
Le travail avec les familles en hôpital de jour
de 9 ans en “perdition”), le projet reçoit
un feu vert administratif tout à fait inespéré et c’est donc au cœur de l’hiver 2011
que les portes du Ricochet s’ouvrent, avec
un statut néanmoins très précaire (qui le
reste encore à ce jour. Un tandem thérapeutique, infirmier-psychologue, se forme
dont la mission est de créer et animer
l’espace “familles”. En moins de 6 mois,
la structure Ricochet est remplie et les
demandes continuent d’affluer. Le travail
s’annonce ardu.
L’espace famille au sein du Ricochet, ce
sont avant tout des visites encadrées les
mardis soir, les mercredis après-midi et
les samedis matin, des contacts téléphoniques avant et après chaque retour en
week-endekend, des réunions avec les
parents, des entrevues avec les enfants
pour leur parler des décisions prises par
l’autorité judiciaire, des réunions avec les
écoles, les centres de jour afin
d’optimaliser nos forces, sans oublier
l’importance des réunions d’équipe et
notre participation aux réunions avec les
Services de Protection Judiciaire (SPJ) et
les Juges de la Jeunesse. Bien que 80%
des enfants confiés au Ricochet le soient
par le Service de Protection Judiciaire,
l’admission au Ricochet est toujours pensée afin d’amorcer et/ou maintenir un lien
avec les parents, les informer et donc les
rassurer quant la prise en charge et les
assurer de notre bienveillance.
Mais revenons à Massimo.
Massimo est entré au Centre Orthogénique il y a 3 ans, alors qu’il avait 12 ans,
avec un diagnostic de trouble envahissant
du développement non spécifié. En fait il
fréquentait à ce moment une école spécialisée et a commencé à avoir des hallucinations visuelles et auditives, ce qui a alerté
les enseignants et le centre PsychoMédico-Social. Il est alors hospitalisé en
psychiatrie où un diagnostic de prépsychose sur climat familial délétère (conflit
pour la garde des enfants) est posé. Le
pédopsychiatre qui suit Massimo, vu ce
contexte familial extrêmement conflictuel, préconise un internat pédopsychiatrique. Le père s’opposant farouchement à
cette proposition, la mère fait intervenir le
Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ) pour
que Massimo puisse recevoir les soins
dont il a besoin. Vu le refus de collaboration du papa, le Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ) transfère le dossier au
Service de Protection Judiciaire (SPJ).
C’est ainsi que le Centre Orthogénique est
proposé comme solution de compromis,
en attendant qu’une place se libère en
internat (liste d’attente de 2 ans !).
A ce moment, Massimo passe la semaine
chez sa maman et le week-end chez son
papa.
34
Dès nos premiers contacts avec le papa,
celui-ci veut nous faire intervenir dans ses
soucis de garde de ses enfants. Il nous
apparaît d’emblée comme très démuni
intellectuellement et mentalement, incapable de comprendre et de se faire comprendre du corps médical et de la Justice.
De son côté, la maman a entamé une procédure judiciaire pour obtenir la garde
exclusive de ses enfants. Massimo a une
sœur cadette en grande souffrance psychique elle aussi. Un mois après l’entrée
de son frère au Centre Orthogénique, et
alors qu’elle n’a que 9 ans, elle téléphone
à plusieurs reprises au Centre Orthogénique en se faisant passer de manière
étonnamment crédible pour la mère d’un
enfant autiste qui cherche une place pour
lui ! Elle est actuellement prise en charge
dans un internat pédopsychiatrique.
Mais revenons à Massimo et surtout à son
contexte familial. Les 2 parents se disent
certes conscients que leurs problèmes
conjugaux ont fortement perturbé leurs 2
enfants. Néanmoins, Monsieur a beaucoup de mal à admettre la maladie psychiatrique de Massimo. Il reste persuadé
que son fils n’aurait pas dû être hospitalisé en psychiatrie, que cela lui a fait beaucoup de tort. De même il n’a jamais
accepté que ses enfants soient orientés,
comme lui, dans l’enseignement spécial.
Cette réalité le renvoie probablement trop
à sa propre histoire dont il souffre toujours actuellement. Il a une peur panique
de l’internat pour ses enfants, ayant luimême vécu cette expérience de manière
très négative et comme un abandon…
De son côté, Madame insiste lourdement
sur les incompétences de son ex-mari : il
ne comprend rien, ne prend pas une place
de père auprès de ses enfants dont il essaye plutôt d’être le copain. Elle semble
ne pas pouvoir se remettre en question et
parle de la situation de manière très désaffectisée et manipulatoire.
Entretemps, Massimo a pu déposer dans
les espaces thérapeutiques tout son malêtre et sa souffrance d’être continuellement tiraillé entre ses 2 parents. Il arrive
même à mettre des mots et il dit qu’il ne
peut pas choisir entre son père et sa mère,
que ce n’est pas possible pour lui !
Malgré toutes nos interpellations aux parents de Massimo pour qu’ils arrêtent de
se servir de leurs enfants pour régler leurs
conflits, ils persistent dans leur fonctionnement. Face à cet échec et vu la dégradation psychique de Massimo, nous
décidons de dénoncer la situation au Service de Protection Judiciaire (SPJ) en
demandant clairement qu’une mesure soit
prise pour protéger Massimo de ce contexte toxique pour lui. Le Service de Protection Judiciaire (SPJ) entend notre appel
et Massimo est placé au Ricochet en mai
de l’année passée…
Le 25 mai 2012, nous invitons donc Massimo et ses parents à rencontrer l’équipe
du Ricochet, à visiter les lieux, à prendre
connaissance de nos rythmes, des activités proposées…, seule la maman et Massimo assisteront à ce rendez-vous. Le
papa refuse de venir : pour lui, il s’agit
d’une forme d’emprisonnement de son
fils, pour lui, la décision judiciaire représente une négation de son autorité paternelle.
Nous refusons de nous retrancher uniquement derrière la décision judiciaire
pour répondre aux demandes et questions
incessantes du papa. Différents rendezvous lui sont fixés afin de lui expliquer ce
que vit Massimo, ses difficultés, mais
aussi ses progrès, les projets que Massimo
construit, les capacités dont il fait preuve.
Le centre de jour a certes déjà tenté ce
travail et nous sommes rapidement nous
aussi face au mur. La maman, bien que
moins envahissante certes, n’est pas en
reste pour ses demandes fort similaires à
celles du papa.
Les contacts avec les parents lors des retours de week-end sont très succincts. Ils
semblent vivre nos questions sur les activités du week-end comme une violation
de leur intimité et n’hésitent pas à nous le
faire savoir.
Les informations que nous leur transmettons sur le quotidien de Massimo sont
pour eux des mensonges. Comment Massimo pourrait-il prendre du plaisir loin de
sa famille ?
Massimo nous expliquera par la suite que
papa crie beaucoup, et est très sévère. Il
ne s’agit pas ici de violence physique, non
mais des réactions d’un papa qui doit
“rattraper” le temps perdu la semaine,
d’un papa qui doit à tout prix démontrer
que nous nous trompons. Pour ce faire, il
est assez exigent avec Massimo pour « lui
apprendre à être sage ». Nous avertissons
l’autorité judicaire. Celle-ci se positionne
et les retours chez le papa sont suspendus
et remplacés par des visites encadrées
d’1h un week-end sur deux.
Nous avons donc ainsi répondu à une
demande de protection de cet adolescent
mais les choses ne sont pas pour autant
plus simples : comment faire comprendre
à ce papa que son fils l’aime, a besoin de
lui, mais ne souhaite pas nécessairement
rentrer le week-end chez lui et que le
cadre des visites encadrées doit leur permettre de parler de leur relation en toute
sécurité.
Cette notion de cadre sécurisant est très
peu intégrée par le papa, ce qui ne nous
étonne pas vraiment, les premières visites
sont difficiles, il dépose son mécontentement, sa frustration par rapport à la situa-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
La famille s’agrandit
tion, oublie la présence de son fils. Massimo vit mal les choses, souffrant d’une
réelle culpabilité. Il nous le dit, ses déclarations, ses paroles, ses mots ont puni son
papa qui est très malheureux depuis. La
maman quant à elle profite de
l’entêtement du papa pour se dédouaner :
tout est la faute du papa.
Avec le temps et en utilisant des médias
(tels que la musique et un projet de pêche,
activité encadrée mais extérieure au Ricochet et qui procure au père et au fils du
plaisir partagé), nous avons réussi à diminuer un peu les plaintes et revendications
du papa et améliorer les moments de rencontres avec son fils.
Cependant, les choses restent compliquées pour Massimo, il est toujours bien
plongé dans un conflit de loyauté, il vit
douloureusement la peine de son papa. Il
adopte des discours et des comportements
très clivés (joie extrême, mélancolie extrême, passe de la sérénité à la colère sans
éléments causaux directement identifiables. L’équipe doit sans cesse se questionner, pour ne pas elle-même tomber
dans ce clivage. (Faut-il favoriser le retour en week-end chez le père c’est-à-dire
revenir à l’ancienne situation ? Ou rester
inébranlablement sur la position actuelle ?
Ou… ?). Dans la recherche d’un nouvel
équilibre, nous revenons à l’idée d’une
matinée de pêche encadrée.
Mais fin septembre, Massimo fugue plus
de 12 heures (après avoir détruit un châssis de fenêtre) ce qui nous oblige à mettre
en branle un dispositif important de recherche (police, Child Focus, brigade
canine).
Suite à cela, Massimo est hospitalisé dans
une aile pédopsychiatrique d’un hôpital
psychothérapeutique de la région.
L’objectif est qu’il puisse se reposer, sortir de ces tensions permanentes dans lesquelles il est pris et qui l’empêchent de se
mobiliser sur une chose qui lui tient à
cœur : développer ses compétences dans
le travail du bois afin d’en faire éventuellement un métier. Aujourd’hui plus que
jamais, l’équipe de l’hôpital, l’équipe du
Ricochet, l’équipe du Centre Orthogénique, et bien sûr les parents si possible et
leurs substituts, ont le devoir d’aider
Massimo à croire en lui et en l’adulte afin
de réaliser son projet d’avenir.
3. Jennie
En janvier 2012, nous sommes contactés
par le Service de l’Aide à la Jeunesse afin
de prendre en charge une jeune fille alors
âgée de 16 ans et 7 mois.
Elle souffre du syndrome de Cornelia De
Lange et de troubles de l’attachement.
Lors de nos premiers contacts avec les
Services de l’Aide à la Jeunesse, nous
découvrons une histoire familiale drama-
tique : des parents empêtrés dans leurs
propres difficultés n’en peuvent plus des
crises à incessantes de Jennie et de son
frère jumeau. Ils sont à bout et ne veulent
plus des enfants.
Dans un premier temps, les Services de
l’Aide à la Jeunesse ont opté pour placer
Jennie et son jumeau dans une famille
d’accueil, mais Jennie s’en est rapidement
faite éjecter, oui éjecter, car c’est le terme
qui convient. Les paroles de la famille
d’accueil sont cruelles : elle porte la bêtise sur son visage, ce n’est qu’une handicapée qui ne comprend rien. C’est dans ce
contexte que nous intervenons. Nous faisons la connaissance de l’adolescente.
Nous prenons contact avec les intervenants de son école et, pour la première
fois depuis la prise de connaissance du
dossier, nous entendons parler positivement de Jennie. Ses professeurs nous
disent que malgré des crises fréquentes et
importantes, Jennie peut profiter de
l’encadrement scolaire si celui-ci est clair
et rassurant. La décision est prise, Jennie
visite le Ricochet et y rentre quelques
jours plus tard. Dans le mois de son entrée, le papa décédera brutalement. Un
nouveau drame pour Jennie.
Il est impossible de parler des visites encadrées pour Jennie, la maman est venue
en tout et pour tout 1h30 au Ricochet en
plus de deux ans. Faire entrer des enfants
dans une maison où, indéniablement, ils
laisseront une trace, c’est les préparer
d’ores et déjà à leur sortie. La difficulté
est d’autant plus grande lorsqu’il s’agit
d’enfant victime de troubles de
l’attachement.
C’est pour cela que dès le processus
d’admission, les mots sont déjà posés
clairement, « aujourd’hui, tu rentres au
Ricochet, tu y laisseras une trace comme
nous en laisserons une dans ta vie, mais
un jour tu sortiras, pas parce que c’est
fini mais parce que tu partiras pour réaliser un projet qui te permettra de grandir,
de rebondir. Ce projet nous allons le
construire avec toi ». La phrase est facile
en soi, sa mise en œuvre nécessite par
contre beaucoup d’énergie, surtout dans le
cas de Jennie pour qui l’échéance de la
majorité est déjà proche lors de son entrée.
Rapidement, nous nous rendons compte
que personne, dans la vie de Jennie ne
peut nous dire quels sont ses goûts, ses
compétences. Les discours s’arrêtent souvent au fait qu’elle peut entrer en crise
d’une seconde à l’autre et que cela peut
être fort violent. Grâce à la collaboration
avec les enseignants qui nous aident à
mieux cerner les compétences de Jennie,
nous apprenons qu’elle peut s’atteler à
l’activité cuisine et y prendre plaisir.
C’est donc après de nombreuses réunions
que nous élaborons un projet : Jennie devrait bénéficier d’un accueil en Service
Résidentiel pour Adultes (SRA) tout en
pouvant conserver une activité “professionnalisante” à l’extérieur.
Le projet sur papier a l’air simple mais en
Belgique, la situation est telle que trouver
un Service Résidentiel pour Adultes
(SRA) est une véritable gageure. Pas
moins de 70 services contactés, 50 dossiers d’admissions envoyés, des rencontres dans une dizaine de ceux-ci afin
de voir si le profil de Jennie leur convient.
Cependant, à force de tenir bon et d’y
croire, nous avons pu trouver chaussure à
son pied : Jennie peut bénéficier d’un
service résidentiel de nuit pour adultes, un
transport vers son école. La journée, elle
participe à un stage en entreprise (d’une
cuisine de collectivité dans une école
primaire).
Pour les congés et week-ends, elle peut
participer aux activités d’un Accueil en
Milieu Ouvert (AMO) de la région dans
laquelle elle se trouve.
Ce projet ne pourra hélas durer que 3 ans
mais espérons que cela permette de trouver un service qui verra les progrès et
l’évolution, les compétences de Jennie et
ne la résumera plus à ses crises (qui sont
d’ailleurs en très nette diminution).
Il faut préciser qu’un projet de sortie du
Ricochet n’a pas lieu systématiquement à
la majorité de la personne et n’est pas
nécessairement un Service Résidentiel
pour Adultes (SRA) comme présenté dans
cette vignette. Cela peut être une réorientation vers une famille d’accueil, un autre
centre infantile spécialisé ou non, un projet d’appartement supervisé, un projet
d’autonomie, un retour en famille aménagé. Quoi qu’il en soit, un projet de sortie
(plutôt d’avenir) se doit de prendre en
compte les capacités réelles de l’enfant ou
jeune adulte, ses goûts, ses envies. La
construction de ce projet se doit d’être la
conjugaison des forces en présence et du
jeune lui-même, de l’ensemble de ses
familiers quels que soient leurs rôles et
fonctions. Dans le cas de Jennie, malgré
l’absence totale de mobilisation de la
maman, il a fallu trouver un moyen de
maintenir une place à cette maman afin
que le projet d’avenir de Jennie ne soit
pas vécu comme une rupture de plus mais
bien comme un ricochet.
C’est ainsi que depuis peu, les contacts
entre Jennie et sa maman se font uniquement par téléphone et par décision de
Jennie afin de ne pas surinvestir un lien
plus que fragile mais ne pas non plus le
couper et, si un jour il devait s’estomper
voire s’arrêter, cela viendrait peut-être de
la volonté de Jennie, qui ne subirait pas
une nouvelle fois la séparation.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
35
Le travail avec les familles en hôpital de jour
4. Parlons maintenant du grand frère
Le Centre André Focant (CAF), Service
résidentiel pour adultes, existe depuis un
peu plus de 24 ans. A sa création, 8 résidents sont accueillis. Notons qu’un seul
venait directement du Centre Orthogénique “Simon” !! A l’heure actuelle, Le
CAF accueille 20 résidents belges, pour
lesquels il a un Agrément de l’Agence
wallonne pour l’intégration des personnes
handicapées, et 6 français qui viennent de
l’Essonne, des Yvelines, du Val de
Marne … mais aucun du Département du
Nord. Sur ces 26 résidents, seulement 6
ont connu un passage par le Centre Orthogénique et un total de 8 résidents sur
les 46 résidents passés par notre structure
“adultes”. Le Centre Orthogénique n’est
donc pas notre “fournisseur” principal !
Notons que le travail avec les résidents
passés par le Centre Orthogénique et leurs
familles a été facilité car la notion de confiance est beaucoup plus rapide étant
donné notre philosophie de travail identique et notre histoire commune.
Ce fut le cas pour Simon.
Simon est né en 1965, il souffre d’un
syndrome autistique associé à de la débilité mentale sévère. Simon présente également une épilepsie stabilisée sous
médication. Dès sa plus tendre enfance
(15-16 mois), Simon est pris en charge
par ses grands-parents paternels.
En septembre 1976, il intégrera le Centre
Orthogénique. Son grand-père fut
d’ailleurs le premier président du Conseil
d’Administration. Le soir, il rentre chez
ses grands-parents. Le lien qu’il entretient
avec eux est très fort, voire fusionnel avec
la grand-mère. Durant toute la durée de
son séjour au Centre Orthogénique, des
rencontres mensuelles ont été mises en
place avec la famille. Une réelle relation
de confiance a vu le jour entre les
grands-parents de Simon et l’équipe.
Combiné à la prise en charge thérapeutique de Simon, cela a permis à celui-ci
d’évoluer, d’être moins agressif, … Les
parents ne s’impliqueront pas dans
l’histoire de Simon.
L’âge limite de prise en charge de Simon
au Centre Orthogénique approchant, la
direction et les grands-parents se mirent
en recherche d’une structure adéquate
pour sa prise en charge d’adulte. Cependant, ils furent confrontés à l’absence de
structure adéquate pour personnes autistes
adultes. L’idée de la création d’une structure adulte adaptée germera dans la tête
de la direction
et du Conseil
d’administration du Centre Orthogénique.
Après de nombreux tumultes, le Centre
André Focant ouvre ses portes en 1989 et
Simon y est accueilli. Cette entrée au
Centre André Focant (CAF) sera pour lui
et ses grands-parents, significative de
36
grands changements. Le passage d’une
structure de jour pour enfant vers une
structure d’hébergement pour adultes
signifie une séparation entre Simon et sa
famille. Cela ne s’est pas fait sans difficultés. C’est à cette époque que nous verrons Simon pleurer pour la première fois.
Simon retourne chez ses grands-parents
tous les week-ends. Au fil du temps, il
finira par trouver un rythme de vie au
Centre André Focant (CAF) et un épanouissement voire une ouverture (participation à certaines activités, prononciation
de quelques mots).
En 1999, un événement très important est
survenu dans la vie de Simon. Son grandpère décède. Il a fallu beaucoup de temps
mais Simon, prenant conscience peu à
peu de la situation, a commencé à nous
exprimer sa souffrance et son désarroi. De
plus, les parents de Simon ont été amenés
à reprendre une place plus importante
dans la vie de leur fils, ne fut-ce
qu’administrativement ou matériellement
pour assurer les retours en week-end. De
ce fait, tout ce qu’il a connu durant sa
petite enfance, les tiraillements entre ses
grands-parents et ses parents, s’est rejoué.
Cela ne l’a pas aidé durant cette période si
douloureuse pour lui. Etant donné les
difficultés
de
Simon,
celles-ci
s’exprimant par de cris, de l’agitation, des
insomnies, un amaigrissement important,
il a été décidé, en accord avec la famille,
de modifier les rythmes des retours. Il
retournera alors une journée tous les 15
jours ce qui semble l’aider et le rassurer.
En février 2003, la maman de Simon décédera. Son papa viendra dès lors lui
rendre visite au Centre tous les 15 jours.
De notre côté, nous allons avec Simon
rendre visite à sa grand-mère tous les
mois et demi. Petit à petit, le papa de Simon reprend son rôle de père. Il est de
plus en plus présent dans la vie de son fils
et les rencontres entre eux sont même
chargées d’émotions. La grand-mère de
Simon a quant à elle été placée en maison
de repos. Les quelques visites que nous
lui faisons avec Simon ont permis de travailler la séparation. Simon sera néanmoins très touché par le décès de celle-ci
en novembre 2006.
A l’heure actuelle, Simon a fait son petit
Bonhomme de chemin. Les contacts avec
son papa ont lieu tous les quinze jours,
une fois une visite, l’autre fois un retour,
le papa est très présent, il interpelle
l’équipe quand besoin est et participe aux
fêtes. Des réunions avec l’équipe famille
(composée d’un intervenant extérieur et
d’un infirmier) sont prévues à intervalle
régulier. Cela reste primordial car pour
Simon, il est important de voir et
d’entendre que l’on échange à son sujet
(même quand tout va bien). Ces ren-
contres soulignent une certaine cohérence
entre sa famille et l’équipe du Centre André Focant (CAF).
De plus, il y a également les rendez-vous
synthèse qui permettent aux familles de
connaître le quotidien de leur enfant, les
activités, les projets…
A l’heure actuelle, nous sommes de plus
en plus souvent amenés à parler avec les
familles de leur vieillissement, de ce
qu’ils mettent en place pour l’“après
eux”. En ce qui concerne Simon, le frère
de celui-ci semble être la personne désignée par le papa pour la suite mais cela
devra encore être notifié de façon “officielle”.
Le vieillissement de nos résidents et de
leur famille est un thème qui nous tient à
cœur. En effet, nous avons longuement
réfléchi à comment maintenir le lien entre
eux. Nous avons donc souhaité mettre à la
disposition des familles et des résidents
un espace intime sous forme d’un appartement pour des visites et des courts séjours. En effet, à un certain moment,
pour x raisons, certaines familles ne peuvent plus accueillir leur enfant pour un
week-end à la maison. Elles ont alors la
possibilité de passer du temps avec lui
dans cet appartement et donc de partager
des moments intimes dans un cadre sécurisant, les tâches “lourdes” qu’impliquent
un retour en famille (toilettes, soins…)
étant laissées aux soins des éducateurs du
Centre. De plus, en cas d’hospitalisation
d’un résident, les familles qui sont éloignées peuvent bénéficier de ce logement
pour être plus souvent auprès leur enfant.
En guise de conclusion, nous pouvons
attester qu’au-delà de nos différences, nos
expériences réciproques nous enrichissent.
Cela parait a priori plus évident quand il
s’agit pour les plus jeunes de profiter de
l’expertise des plus anciens mais cela est
loin d’être faux dans l’autre sens.
Nous sommes donc bien à la recherche de
ce lien intergénérationnel enrichissant, ce
qui n’exclut pas néanmoins certains conflits voire crises intergénérationnelles.
- Les adultes du Centre André Focant et
leurs familles nous ont montré qu’il est
toujours possible d’évoluer et souvent
d’accéder à une forme de bonheur et de
paix, que les liens familiaux, bien mis à
mal, comme tous les liens d’ailleurs,
dans ces pathologies, peuvent souvent
tenir, surtout s’ils sont soutenus et que
même s’ils ont lâché à un moment, ils
peuvent parfois se recréer si on laisse le
temps et l’espoir à chacun.
- Les enfants du Ricochet et leurs familles nous ont appris que nous devons
être capables dans certaines situations de
proposer l’éloignement plus ou moins
long d’un milieu familial déstructurant
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
La famille s’agrandit
et/ou maltraitant. Certes le lien se travaille différemment quand l’enfant vit ou
non en famille, avec ou sans mesure de
protection judiciaire, mais il est toujours
à priori travaillable.
- Les enfants du Centre Orthogénique et
leurs familles nous montrent que la nature du lien qui les unit n’est pas toujours
dépendante de la présence quotidienne de
l’enfant en famille et qu’un hébergement
peut être l’aboutissement positif de notre
travail avec eux. En effet, un externat
peut par exemple entretenir une fusion
pathologique ou mettre trop à mal un
système familial (dont la fratrie) ce qui
n’est jamais constructif pour le patient.
Néanmoins dans la plus grande majorité
des cas (±70%), enfants et familles démontrent notre postulat de départ : la famille reste le milieu de vie idéal au bon
développement d’un enfant, parents,
frères et sœurs, grands-parents…, forment le terreau le plus propice à la construction d’une personne fût-elle atteinte
d’un Trouble Envahissant du Développement. L’hôpital de jour reste donc une
bonne solution pour eux et garde tout son
sens sur l’échiquier des propositions thérapeutiques. Chaque situation reste donc
unique, comme chaque sujet, et nous devons nous méfier de toute idéologie généralisante. Rester ouverts, souples,
confiants sans excès dans les possibilités
de tous (patients, familles, soignants) et
dans l’impact d’évènement de vie…
Même dans des situations aussi lourdes,
il reste de la “vivance” quelque part…
In fine, nous tenons à rendre à César ce
qui est à César.
Chaque centre a été créé au départ d’un
patient et de sa famille.
Le Centre Orthogénique à la faveur d’une
rencontre, celle de Michel Hannard et de
Fabio, un enfant autiste qui ne fréquentera
pourtant jamais le centre.
Le Centre André Focant pour répondre à
l’absence de solution humainement acceptable pour Simon, adulte de 18 ans, et
ses grands-parents.
Le Ricochet pour accueillir des enfants
rejetés de partout car n’ayant leur place
nulle part, comme Abdel.
Ce sont eux qui ont réussi à mobiliser (et
nous ne pouvons que nous en réjouir)
médecins et autres soignants, services
sociaux, juges de la jeunesse, administrations et politiques…Les vrais bâtisseurs
ce sont eux et c’est à eux que nous dédions notre travail.
BIBLIOGRAPHIE
1. BERGER M., Les séparations à but thérapeutiques, Dunod, Paris, 1997, 224 pages
2. BERGER M., L’enfant et la souffrance de
séparation (divorce, adoption, placement),
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Mayeuri, 2000, 208 pages
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
37
WANTED : FAMILLE IDÉALE
Centre médico-psychologique
pour enfants et adolescents
Hôpital de jour “Villa Blanche”
16 rue Thurmann
2900 PORRENTRUY
SUISSE
[email protected]
Dr Arménio BARATA, Dr Léonie DOBLER, Dr Gilles SIMON,
Jeanine GLAUS, Delphine SCHLUMPF
À partir d’une enquête catamnestique réalisée auprès des familles et au travers d’une réflexion théorique et de cas cliniques, nous discutons la dimension contre-transférentielle institutionnelle autour
des diverses pratiques de prise en charge familiale en hôpital de jour.
Dans certaines situations familiales complexes, la prise en charge globale est souvent questionnée et
remise en question. Quelles sont les possibilités thérapeutiques? Quelles sont les limites à prendre en
compte ? Peut-on travailler à n’importe quel prix ? Que doit-on accepter de perdre pour espérer
gagner ?
Ces questions de base nous semblent essentielles à l’heure du western du XXIème siècle, temps de
changements et de transitions, où la responsabilité de l’individu et de la famille dans les décisions
thérapeutiques prend le devant de la scène. La conquête de la famille idéale s’avère souvent utopique
et la tendance à se substituer en tant que “meilleurs parents” apparaît plus que jamais un risque
inhérent à nos pratiques institutionnelles.
Mots-clefs : pratiques institutionnelle, entretiens familiaux, contre-transfert, évolution sociétale
Wanted: Ideal Family!
From a catamnestic survey of families, and through both theoretical review and clinical cases, we
discuss the institutional countertransference dimension around various family treatments in a day
hospital.
In some complex family situations, overall patient care is often questioned and challenged. What are
the treatment options? What are the limits to take into account? Can we work at any price? What
should we be willing to lose and hope to succeed?
These basic questions are essential in our time of changes and transitions, where the responsibility of
the individual and the family in treatment decisions now take a central role. Achieving the ideal family is often a utopian goal, and the tendency to substitute us as “better parents” is more than ever an
inherent risk of our institutional practices.
Keywords: institutional practices, family treatments, countertransference, social evolution
INTRODUCTION
Le thème des parents est souvent abordé
lors de nos réunions d’équipe et il n’est
pas rare d’attribuer la cause des comportements particuliers et des problématiques
des enfants à leur situation familiale. Par
ailleurs, les commentaires reçus de parents lors d’un questionnaire de catamnèse nous ont interpelés.
L’Hôpital de Jour “Villa Blanche”, par
l’hétérogénéité de la population accueillie
peut être qualifié de “généraliste”, il offre
24 places à plein temps à des enfants âgés
entre 2 et 18 ans qui ont des troubles psychiques graves et variés. La plupart de ces
enfants ont besoin d’une pédagogie spécialisée dont ils bénéficient au sein de
l’institution. Depuis la création de
l’hôpital de jour en 1993, le travail mis en
place avec les familles de nos patients a
considérablement évolué. Dans les premières années, les parents des 8 enfants
accueillis ont un entretien tous les 15
jours avec le médecin-assistant, les difficultés de leur enfant y sont abordées et,
selon la formation et la personnalité du
médecin en place, les objectifs travaillés
avec l’enfant et les options thérapeutiques
38
prises sont plus ou moins transmises aux
parents. Au fil des ans, la capacité
d’accueil augmente et l’équipe pluridisciplinaire s’étoffe. Les parents sont alors
rencontrés par le médecin ou le psychologue à un rythme tenant compte des besoins et des particularités familiales.
Certains parents n’ayant pas ou peu de
demandes, on attend d’eux qu’ils viennent
aux entretiens qu’on leur propose. Les
éducateurs-infirmiers ont peu de liens
avec les parents hormis quelques contacts
téléphoniques et rencontres informelles.
Ce peu de contact découle de l’idée sousjacente que l’équipe soignante doit se
concentrer sur la relation avec l’enfant
sans être influencée par ce qui se passe
dans la sphère familiale. Cependant, les
éducateurs/infirmiers ont besoin d’être
informés de ce qui est travaillé avec les
parents et les objectifs du travail avec les
parents sont donc discutés lors des réunions de synthèse.
Une critique émerge de la part de certains
parents: ils ont le ressenti que ce qui est
fait avec leur enfant est tenu “secret”. En
2004, les parents d’un patient demandent
à être associés au travail en participant
notamment aux réunions de synthèse de
leur enfant. Ces parents quelque peu “dérangeants” nous remuent et nous font
réfléchir. Nous répondons à cette demande en mettant en place, pour ces parents spécifiquement, une double
synthèse, l’une se déroulant entre professionnels et la seconde, ensuite, avec les
parents et une délégation de professionnels.
En 2007, une autre famille nous bouscule.
Ces parents-là luttent contre le cadre stipulant que les enfants doivent être présents le mercredi après-midi, congé
scolaire habituel, ainsi qu’une grande
partie des vacances scolaires. Ils se sentent dépossédés de leur enfant et de leur
autorité parentale. Notre cadre est mis à
mal mais face à la ténacité de ces parents,
nous acceptons des aménagements
d’horaire pendant les vacances scolaires.
D’autres encore déplorent le manque de
contacts avec les thérapeutes qui suivent
leur enfant. Ils ne savent pas ce qui se
passe dans les thérapies et souhaitent davantage de transparence. Notre conception du travail avec les parents continue
d’évoluer et notre fonctionnement prend
un nouveau tournant : désormais après
chaque synthèse entre professionnels, une
séance de restitution de synthèse est faite
avec les parents, y participent le médecin
ou psychologue référent, les thérapeutes
si possible et l’éducateur/infirmier référent. En parallèle, le médecin ou le psychologue continue de voir les parents
régulièrement en entretien. Les liens entre
éducateurs/infirmiers
et
parents
s’intensifient (téléphones, cahiers de
transmission). Des contacts plus réguliers
sont aussi organisés au niveau du suivi
scolaire. Dans ces différentes rencontres,
les parents deviennent davantage des partenaires, les objectifs sont le plus souvent
discutés avec eux et leur avis est pris en
compte.
En 2009, l’institution bénéficie d’une
formation traitant des stratégies éducatives adaptées aux enfants autistes, dans
le but de se sensibiliser à d’autres modèles et d’accroître l’éventail des outils de
travail. Ces nouveaux modèles et notamment des moyens de communications
alternatifs au langage (téléthèses, pictogrammes) exigent une collaboration plus
soutenue avec les parents concernés qui
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Wanted : famille idéale
deviennent alors partenaires du projet qui
se construit. Ainsi, depuis 2012, nous
allons à domicile (médecin, éducateur,
logopédiste) pour deux familles. S’il
s’agissait au départ de leur transmettre
l’application d’un moyen alternatif de
communication, rapidement d’autres aspects sont abordés lors de ces rencontres,
cela a permis, dans l’une des situations,
de mettre en place une alliance thérapeutique qu’il n’avait pas été possible de
construire pendant les deux premières
années de suivi.
Actuellement nous avons conscience plus
que jamais que les parents, s’ils ont des
devoirs, ont aussi des droits. Ils doivent
non seulement être informés de ce qui se
passe avec leur enfant, mais ils ont aussi
le droit d’être des partenaires dans le projet mis en place. Cette évolution s’est
faite en partie grâce à certains parents. En
nous bousculant, ils ont alimenté notre
réflexion et nous ont permis d’améliorer
notre façon de travailler.
FAMILLES RENCONTRÉES EN
CLINIQUE : ENTRE THÉORIE ET
PRATIQUE
Peut-être doit-on partir d’une définition
de ce qu’est un entretien de famille pour
appréhender la notion de ce que serait la
famille idéale ? Citons P. Marciano [3]
qui aborde spécifiquement la question du
travail avec les parents, le décrivant
comme indispensable et faisant partie du
fonctionnement d’un hôpital de jour : « la
teneur de ce travail est fonction de la
situation économique des parents sur le
plan psychique, de leur regard porté sur
l’enfant, de leurs attentes manifestes et
latentes. Il dépend aussi de leurs rapports
et de leurs relations avec le monde extérieur dont les professionnels font partie,
de leur regard porté sur la psychologie de
l’enfant, de leur confiance et de leur
croyance en une possible évolution. »
M. Berger [1] aborde le but fondamental
des entretiens familiaux qui doit, selon
lui, « aboutir à ce que chaque membre de
la famille ait en lui un équilibre entre les
parties Moi et non-Moi de son psychisme.
C’est cette condition qui permettra à
l’enfant de retrouver le bien-être psychique dans sa famille (…) », il parle également de « démêlage des psychés des
membres de la famille » [2]. In [1], il
ajoute : « l’outil des entretiens familiaux
consiste en un cadre sur-mesure, adapté
au niveau de difficultés du groupe familial et permettant l’accès à la compréhension de la logique éducative et à l’histoire
des deux parents. Le rétablissement d’une
temporalité intergénérationnelle et d’un
miroir identificatoire rend possible une
mobilisation des psychismes de chacun,
dans le sens à la fois de la restructuration
d’un contrat narcissique satisfaisant et
d’une différenciation sans rupture ».
Le thème de notre atelier nous amène à
énumérer des qualités qui faciliteraient le
travail auprès des familles. On pourrait
dès lors naïvement imaginer que des critères concrets, comme par exemple la
situation socio-économique de la famille
(insertion sociale et professionnelle des
parents, trajectoire migratoire de la famille, niveau de vie, etc) seraient des
conditions donnant une valeur qualitative
au travail avec les familles. Cet aspect-là,
loin d’être négligeable, nous apparaît toutefois insuffisant pour expliquer à lui seul
un idéal thérapeutique familial.
D’emblée, nous devons faire le constat
suivant : la famille, en acceptant que son
enfant soit hospitalisé dans une institution
(pédo)-psychiatrique, approuve déjà, dans
tous les cas implicitement, l’idée de vivre
une séparation. Selon P. Marciano, « il est
indispensable qu’un minimum de distance
puisse s’instaurer entre les parents et
l’enfant (…) dans une séquence -absences
et retrouvailles- qui d’une part permet un
avènement des territoires propres, et
d’autre part laisse l’occasion aux parents
et à l’enfant de se présenter différemment
à chaque fois » [2]. Les parents d’un enfant en souffrance psychique vivent
« dans une contiguïté compacte avec leur
enfant, où l’on assisterait à une véritable
invasion et à un authentique siège de leur
psyché par les objets internes à l’enfant,
si bien qu’ils ne parviendraient plus à
activer leur mécanisme de penser » [2],
d’où l’impossibilité d’avoir une représentation globale de leur enfant. P. Marciano,
dans ce processus dynamique, introduit le
concept d’une phase réfractaire qui se
produit quand la psyché parentale est
submergée par les symptômes et les comportements problématiques de l’enfant qui
donnent une représentation parcellaire de
l’enfant à ses parents. Cette phase réfractaire implique « que l’enfant ne croise
rien dans le monde interne parental et
qu’il échoit dans une sorte de vide (…) ».
Selon P. Marciano, la séparation et la
distance -et par la suite l’instauration
d’une aire transitionnelle institutionnelle
naissante- « permettrait aux parents et à
l’enfant d’amoindrir leur phase réfractaire respective et de vivre ainsi une meilleure empathie ». De ce fait, un travail
d’élaboration pourrait s’effectuer et
rendre l’absence représentable, l’enfant
pouvant alors être perçu dans sa globalité.
Vignette clinique
Un soignant de l’hôpital de jour rencontre
G. et ses parents lors d’une sortie privée.
La mère aborde spontanément ce dernier :
« G. est content d’être dans sa nouvelle
école (…), il demande à y aller tout le
temps, même le week-end ! » L’enfant
s’exprime et tend son bras au thérapeute :
« le bras, le bras cassé ! ». G. est un enfant de 5 ½ ans qui présente un “trouble
envahissant du développement non spécifié”. Le soignant est surpris en bien du
fait que l’enfant puisse à ce moment-là le
reconnaître, tant dans sa personne que
dans son identité (il se trouve que ce dernier a effectué un examen médical sommaire suite à une chute récente). La mère
termine l’échange par ces propos : « on se
verra donc à la réunion de l’école (référence à un groupe de parents au sein de
l’hôpital de jour) ». Le thérapeute sera
surpris et troublé par cette rencontre.
L’enfant n’est hospitalisé que depuis
quelques semaines, mais les parents relèvent déjà une évolution alors même
qu’avant l’hôpital de jour personne ne
semblait pouvoir accueillir et “supporter”
l’enfant (crèche, école, parents). Pourtant,
les parents semblent à priori dans une
autre réalité et temporalité -scolaire- qui
évincent à elles seules l’identité thérapeutique du soignant et de l’institution (qui
serait confondue avec une école). Toutefois, ce constat ne semble pas entraver
certains processus et mobilisations psychiques évidentes, chez l’enfant du moins
et peut-être également chez les parents
déjà (qui peuvent “voir” leur enfant autrement).
Le paradoxe est d’emblée là lorsque l’on
questionne le sens des entretiens familiaux dans l’institution : l’hôpital de jour
confondu avec une école, ce qui déculpabiliserait les parents, mais peut-être aussi
les thérapeutes ! Dans l’immédiat,
l’inconfort pourrait se situer du côté du
psychiatre : il devrait être en mesure de
justifier son indication, son action thérapeutique, son identité. Pour citer J.
Hochmann qui évoque ce qu’il entend
comme un malentendu culturel : « en arrivant dans une institution de soins, les
parents pénètrent (…) dans une culture
étrangère dont le langage, les croyances
et les rites leur sont encore inconnus. (…)
Faute de connaître les arrière-plans théoriques qui justifient une pratique ou une
parole, ils peuvent les percevoir comme
une brusque mise en cause de la manière
dont ils exercent leur rôle de parents. (…)
De plus, si tous les parents ont eu une
expérience scolaire (…), s’ils peuvent
donc s’identifier à leur enfant sur les
bancs de la classe (…), rares sont ceux
qui ont été en psychothérapie (…). D’où
leur perplexité, leur fuite ou leur agressivité qui les conduisent, dans les cas extrêmes, à réclamer la proscription de tout
esprit psychothérapique au profit des
conduites éducatives qui leur sont plus
familières. (…) Les soignants, face à la
culture familiale, sont eux aussi en position d’étrangers. (…) Eux aussi doivent
donc se décentrer, éviter de condamner
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
39
Le travail avec les familles en hôpital de jour
au nom de leurs propres expériences »
[4].
Dans les prémices du travail thérapeutique avec les familles, une condition devrait, dans les préconceptions du
thérapeute, se déployer idéalement : la
demande de la famille. Dans une grande
partie des situations pourtant, elle n’est
pas d’emblée là, et apparaît au mieux au
décours de la prise en charge, parfois ne
s’en dégage pas du tout malgré les efforts
consentis de part et d’autre pour tenter
d’en cerner précisément les frontières.
Nous n’avons pas toujours à faire à des
familles exprimant une souffrance, malgré ce que la psychopathologie de l’enfant
pourrait avoir comme répercussions sur le
fonctionnement familial. Une demande
impliquerait un changement qui, par ailleurs, représenterait un risque trop grand
pour certaines familles prises dans un
fonctionnement qui leur est propre.
Abordant la thématique de la construction
du cadre des entretiens familiaux, M.
Berger explique que « certaines familles
savent d’emblée utiliser les objets. Elles
peuvent donc profiter immédiatement de
l’espace de jeu et du cadre prédéterminé
proposé par le thérapeute » [2]. Dans
d’autres familles, par exemple celles qui
sont dites rigides par les systémiciens,
« l’accès à la transitionnalité ne s’est pas
encore fait, et leur proposer un cadre
préconçu (…) n’a aucun sens pour
elles ». M. Berger poursuit : « un projet
thérapeutique modeste mais essentiel,
pour quiconque aborde ces familles, ne
serait-il pas le maintien et la gestion du
cadre ? » Selon cet auteur en effet, un
aménagement du cadre des entretiens
familiaux est forcément nécessaire : il
faut tout d’abord renoncer à utiliser un
cadre préétabli, préférer un cadre surmesure pour chaque famille, avec par
exemple un rythme adapté de la fréquence
des entretiens à discuter avec ces derniers.
Le cadre doit être réinventé avec chaque
famille. Pour faire le lien avec notre argument, la famille idéale serait-elle, ou
plutôt pourrait-elle advenir idéale avec
nous, en notre présence ? Et en faisant
une analogie avec ce que D. W. Winnicott
[5] avait appelé « la capacité d’être seul
en présence de l’autre », la famille pourrait-elle ainsi devenir capable de fonctionner et jouer seule en notre présence ?
Pour M. Berger, « le but de cet aménagement du cadre est double : premièrement,
créer un espace transitionnel, d’illusion,
où il n’y ait pas à choisir entre réalité et
non-réalité. Deuxièmement, par la construction commune de ce cadre, permettre
à la famille, aux parents en particulier,
d’acquérir la capacité d’utiliser les objets ». P. Marciano [3] adopte des propos
similaires et précise à ce titre que « le
40
dispositif du travail avec les parents ne se
décrète pas. (…) On doit tenir compte du
tempo parental, des périodes réfractaires
et des zones psychiques momentanément
aveugles que l’on ne peut immédiatement
solliciter, au risque de submerger durablement les capacités parentales de métabolisation ».
L’alliance que le thérapeute pourra établir
avec les parents paraît à son tour un élément essentiel pour arriver à un travail de
qualité suffisamment satisfaisant avec la
famille. Toutefois, P. Marciano nous rappelle à ce titre qu’il est indispensable de
réfléchir à la place que les parents nous
assignent. Il est intéressant de constater
que nous pouvons être inclus dans la dynamique familiale, avec comme conséquence un déplacement des fonctions :
« nous pouvons tenir une sorte de fonction paternelle ou maternelle (…) au
risque de voir les parents déshabiter leur
place ». (…) Il s’agit d’être attentifs aux
mouvements auxquels nous sommes soumis entre une “suffisamment bonne alliance” selon le modèle winnicottien, et
une certaine captation, voire fascination
des uns par les autres, (…) venant précisément contrarier ce travail dont l’un des
principaux ressorts serait le repérage des
différences, le marquage de cette altérité
et son rigoureux respect ». L’auteur
évoque également, en parallèle à une alliance parents-professionnels, la nécessité
d’un « alliage respectueux » entre père et
mère. Mais, il est intéressant de rappeler
que s’il n’existe pas d’emblée, celui-ci
peut advenir dans le soin : « (…) parfois,
le père comme la mère s’identifient à la
démarche particulièrement respectueuse
des soignants ».
Pour finir ces quelques réflexions subjectives, il nous semble important de rappeler un concept capital pour appréhender
un travail thérapeutique familial : il doit
reposer sur des capacités d’empathie suffisamment bonnes de la part des parents
vis-à-vis de leur enfant, et ceci témoignerait de leur faculté à pouvoir se représenter une vie psychique chez ce dernier. Cet
élément nous semble central et précieux,
il pourrait signifier que l’on se trouverait
face à une famille suffisamment idéale
pour un travail thérapeutique. Rappelons,
comme le mentionne M. Berger que « les
parents qui consultent pour leur enfant
présentent souvent une difficulté à se représenter l’enfant en soi » [2]. R. Roussillon ajoute à ce propos: « (…) lorsqu’un
parent consulte pour son enfant et non
pour lui-même, on se trouve fréquemment
devant un fonctionnement en dédoublement mis à la place d’un fonctionnement
réflexif : l’adulte vient dire que l’enfant
va mal, ce qui signifie que l’enfant réel
est ici le miroir de l’enfant qui va mal
dans le parent. Cette façon de poser le
problème montre la difficulté pour cet
adulte de se livrer à une ré-flexion, c’està-dire à un retour de la pensée sur soi
pour s’entendre, voir, se sentir, agir et
penser. »
DES FAMILLES ET DES
EXTRÈMES…
Sans enfermer les familles dans des catégories purement et strictement nosographiques, nous présentons ci-dessous trois
exemples caricaturaux de types familiaux
à travers lesquels il serait imaginable de
tisser un continuum dans lequel chaque
famille aurait sa place.
Les “moins”
Nous pourrions inclure dans cette catégorie les familles présentant des aspects
carencés, leur prise en charge étant parsemée d’éléments ou de signes évoquant
le manque, la négligence, parfois même la
maltraitance (morale ou physique). Ce
type de famille prend une grande place
dans nos discussions d’équipe. Diverses
hypothèses pourraient expliquer ce fait.
Notons d’abord que la carence mobilise
pleinement notre attention, comme si le
manque et son ombre venaient tomber sur
le moi institutionnel (pour paraphraser S.
Freud) et sur-occuper -éclairer en son
contraire- le devant de la scène. L’équipe
se mobilise, souvent de manière unie face
aux effets avérés ou supposés de la carence chez l’enfant. En faisant le raccourci entre souffrance psychique de l’enfant
et effets des carences familiales, l’équipe
institutionnelle aurait tendance à se placer
en arbitre du litige, demandant implicitement et parfois explicitement des comptes
à l’autorité médicale, réclamant un signalement de maltraitance ou d’autres mesures agies dans le contre-transfert et/ou
la réalité. Même si ces revendications
sont justifiées, elles devraient être élaborées dans une discussion plus large, en
tenant compte de la psychopathologie
familiale et personnelle de l’enfant et de
ses répercussions contre-transférentielles.
Vignette clinique
L. a 6 ans au moment de son entrée à
l’hôpital de jour, il présente un diagnostic
de « trouble mixte des conduites et des
émotions » (CIM-10) et présente, d’un
point de vue psychopathologique, une
problématique anxio-dépressive avec une
grande agitation psychomotrice, impulsivité et difficultés dans l’élaboration du jeu
symbolique (ceci entrant probablement
dans le cadre d’un trouble limite de
l’enfance selon la classification de Misès). L’enfant s’intègre très rapidement,
trouvant des repères rassurants auprès des
adultes de référence et s’adaptant également très facilement aux autres enfants.
Le travail avec les parents s’avère com-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Wanted : famille idéale
pliqué dès le départ : dans une attitude
passive, ils sont “sans demande”. Les
rendez-vous sont manqués, non excusés.
Les parents évoquent des difficultés organisationnelles pour les déplacements, ils
manquent de disponibilités. On perçoit
également un déni important des difficultés de L., le père les attribuant au “caractère” de son fils, les angoisses de L. ne
sont pas entendues. Lors de la dernière
année à l’hôpital de jour, un élément capital entre en jeu : L. apparaît avec des hématomes sur le corps. L’équipe soignante
est choquée et se sent alors légitimée à
mobiliser l’équipe médicale, appelant
cette dernière à prendre ses responsabilités. Le médecin référent, qui jusque-là
n’avait pas une alliance idéale avec les
parents demande un entretien en urgence.
La mère ne nie pas qu’elle a « dû lui donner un coup de ceinture », elle n’arrivait
« plus à faire » avec les troubles du comportement de L. Elle ajoute : « j’aimerais
pouvoir faire autrement, je n’y arrive
pas ». D’emblée, les parents s’ouvrent à
un échange, ce qui n’a jusque-là jamais
été réellement possible. La question de
l’internat est discutée, les parents sont
preneurs du projet, sans pour autant se
désolidariser de leur enfant ou en démissionner. Au contraire, ils semblent percevoir leur fils sous un nouveau jour. Le
père fait pour la première fois des liens
avec sa propre histoire. Il évoque un passé
d’internat dans son enfance, en valorise
même certains aspects thérapeutiques.
Dès ce jour-là, les parents se montrent
présents comme jamais dans la prise en
charge de leur enfant. L’équipe arrive à
avoir un autre regard sur l’enfant et ses
parents. On peut même ressentir une empathie restaurée chez certains soignants.
Rappelons-nous en regard de cette illustration les propos de J. Hochmann parlant
des différents types de “malentendus”
culturels et psychologiques pouvant survenir dans une prise en charge avec les
familles. C. Aussilloux [1] décrit ces dysfonctionnements de l’alliance parentsprofessionnel en d’autres termes : il y a
des « décalages entre parents et professionnels au vu des expériences accumulées de chaque côté, mais aussi
inadéquation des moyens mis en œuvre,
dans une tentative de standardiser les
soins offerts à chaque enfant ». Ces dysfonctionnements peuvent se traduire par
une « mésalliance, définie comme une
acceptation de ce qui est proposé comme
un pis-aller ». Dans d’autres situations
encore, les propositions sont refusées et la
famille trouve des solutions personnelles.
D’ailleurs, selon C. Aussilloux [1], « les
situations les plus dangereuses sont celles
où les parents subissent sans conviction
ce qu’ils vivent comme imposé pour le
bien de leur enfant, sans pouvoir s’en
approprier certains aspects ou les discuter pour arriver à un compromis acceptable ». Il ajoute : « dans d’autres cas,
l’alliance ne se noue pas car les professionnels n’ont pas confiance en la famille »,
ce
qui
entraîne
une
disqualification sociale, des perceptions
des difficultés parentales à l’extrême, les
parents étant alors mis « sous haute surveillance » avec davantage de recours aux
internats pour l’avenir des enfants.
Les “neutres”
Nous pensons ici à la famille parfaite de
prime abord. Conciliante, elle se présente
bien, se rend aux entretiens assidûment,
ne réclame jamais rien, évite les problèmes et ne formule aucune plainte. Très
vite, ce climat non conflictuel se charge
d’une tonalité de lourdeur. On peine à
saisir la souffrance, la demande
s’évanouit avec le temps. Les parents,
l’enfant, acceptent le “tout venant” des
décisions : les traitements ne sont presque
jamais contestés, et de cette relative aisance familiale transparaît le peu
d’élaboration et d’introspection du discours parental. Comme le mentionne M.
Berger, certains enfants représentent des
enfants-fonction dans le groupe famille :
« l’enfant-fonction est ici le porteur du
désir de vie des parents. On comprend
(alors) à quel point demander à un enfant-fonction de changer est une démarche aberrante ». Dans ces situations,
les parents -la plupart du temps à leur
insu- doivent maintenir l’isomorphie du
groupe familial, afin d’en garantir la survie. « L’aspect isomorphique de la famille
est donc à respecter soigneusement, et sa
non-prise en compte explique l’échec
fréquent des tentatives de soins individuels ». La demande paradoxale fondamentale que certaines de ces familles font
au thérapeute pourrait se traduire ainsi :
« aidez-nous à ne pas changer » ou
« nous voulons la guérison sans changer
le mode de fonctionnement psychique qui
a sauvegardé l’équilibre du groupe familial jusqu’à maintenant et qui a préservé
ses membres de souffrances redoutées ».
M. Berger poursuit : « il est vital dans
cette coexistence au niveau des fonctions
qu’aucun membre ne réussisse à se
rendre autonome. Il détruirait l’équilibre
fonctionnel de la famille, et emporterait
avec lui la partie de la psyché familiale
dont il est le porteur ».
Les “plus”
Ce sont des familles qui pourraient se
montrer “toute-puissantes” dans leur
fonctionnement. Elles s’assignent volontiers en tant que co-soignantes et peuvent
s’ingérer dans le travail de l’équipe institutionnelle, revendiquant -parfois à juste
titre- une place dans les décisions et les
discussions dont elles s’estiment être en
partie exclues. Ces familles se placent de
fait -et peut-être à leur insu- dans un rapport de rivalité face à l’équipe soignante,
ce qui peut contre-transférentiellement
faire vivre un certain nombre de difficultés dans la prise en charge de l’enfant,
notamment par rapport à la capacité
d’accueil et d’écoute des soignants, mettant à mal l’alliance entre parents et professionnels.
Revenons à J. Hochmann et à la notion de
malentendus psychologiques : « Toute
entreprise thérapeutique avec un enfant
(…) développe chez les parents (…) un
inéluctable fantasme de vol d’enfant. Il
n’est pas simple de sentir s’éveiller chez
son enfant (…) un attachement envers son
ou ses thérapeutes. (…) Il peut s’ensuivre
pour les parents un sentiment conscient
ou inconscient que l’enfant a été victime
d’une séduction et, par conséquent, un
besoin de contrôler ce qui se passe dans
la séance de psychothérapie ou dans
l’institution. (…) Parfois, ils prolongent
(…) les moments des accompagnements,
réclament davantage d’entretiens avec les
soignants, paraissent même, dans certains
cas, vouloir prendre la place de l’enfant
en thérapie ou multiplient les reproches à
la mesure de leur déception ». Par ailleurs, un autre point soulevé par J.
Hochmann évoque les sentiments négatifs
que l’enfant (autiste ou psychotique) suscite dans le transfert qui ne sont parfois
pas identifiables pour les soignants, et
sont déviés vers l’extérieur (rejet de la
famille, refus de travailler avec celle-ci ou
par formation réactionnelle trop de précipitation vers elle au détriment du soin à
l’enfant). Dans notre pratique institutionnelle, il est essentiel de dépasser ces malentendus
(tant
culturels
que
psychologiques) pour que le soin puisse
advenir. Selon J. Hochmann, « les parents
sont dépositaires de l’histoire de l’enfant,
et le soin, qui vise à inscrire l’enfant dans
son histoire et à l’aider à se réapproprier
cette histoire, est tributaire de l’apport
inestimable représenté par le récit de ses
proches ». Toujours selon cet auteur, divers abords peuvent être utiles pour tenter
de dépasser ces malentendus et inaugurer
un partenariat fécond. Ces méthodes
comprennent différentes modalités de
rencontre avec les parents, que ce soit par
« la multiplication des rencontres informelles entre parents et soignants, qui
favorisent les identifications mutuelles et
une certaine restitution », que par des
rencontres plus formalisées qui peuvent
dans certains cas évoluer vers une thérapie familiale, ou encore par des réunions
de groupes de parents au sein de
l’institution.
Nous terminerons notre propos par deux
points qui nous paraissent importants
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
41
Le travail avec les familles en hôpital de jour
pour la compréhension des difficultés
propres à certains fonctionnements familiaux entrant dans ce dernier type de famille décrite. Le premier est développé
par M. Berger [2], qui en fait une des
règles préalables pour le thérapeute : reconnaître sa haine. Haine envers la famille qu’il doit accepter de reconnaître en
lui-même, « (…) envers les parents qui
malmènent leur enfant d’une façon qui est
parfois à la limite du soutenable si l’on
s’identifie à lui, (…) l’enfant étant soumis
à un système éducatif délirant où les
doubles liens surgissent plus vite que leur
ombre, ne recevant aucune réponse cohérente à ses demandes désespérées, ne
pouvant pas s’éloigner de ses parents de
plus de quelques pas sans un rappel
l’ordre (…) ». Mais aussi haine envers
l’enfant lorsque celui-ci manipule son
entourage et « désigne d’office le thérapeute comme méchant, effrayant, intrusif ». Haine envers la fratrie également,
qui « bien à l’abri de l’enfant-fonction,
le laisse entièrement remplir son rôle
nécessaire à l’équilibre familial (…) ». Il
est essentiel de reconnaître ces différents
types de haine, sans les retransmettre directement aux parents et à l’enfant bien
entendu, afin de « permettre le passage à
une autre attitude interne ».
Le deuxième point concerne les formes de
violences que nous sommes toutes et tous
amenés à vivre dans un rapport de soignant à soigné avec certaines familles. Le
pédiatre et psychanalyste D. W. Winnicott a développé il y a quelques années
déjà un concept original demeurant d’une
actualité réjouissante, qui amène à penser
la violence et la destruction ressentie dans
la relation d’un point de vue développemental et évolutif par rapport à
l’utilisation de l’objet. Ce postulat, émis
dans le cadre du développement de
l’enfant, peut probablement être déplacé à
un niveau familial et institutionnel. Avant
la constitution d’une aire transitionnelle à
part entière, se produit un changement du
mode de relation aux objets. Au « sujet
qui se relie à l’objet » succède « le sujet
qui détruit l’objet ». Le nourrisson met à
mal son environnement, il le mord, déchire, lui fait mal. Ainsi, il fait
l’expérience et teste la résistance des objets à ses attaques. En lui résistant,
l’enfant fait le constat qu’il n’est plus
tout-puissant, puisque les objets n’ont pas
été totalement endommagés par sa violence, ensuite apparaît une certaine désillusion chez l’enfant. Pour reprendre M.
Berger : « pour certains patients, tant
que, dans le cadre de la thérapie,
l’activité destructrice maximale n’aura pu
s’exercer, sur un objet non protégé,
l’utilisation de l’objet ne pourra pas être
acquise (…) ». Pour conclure : « (…) les
changements ne dépendent pas à ce mo-
42
ment-là du travail interprétatif, mais de la
capacité qu’a l’analyste de survivre aux
attaques sans représailles ».
SONDAGE ET COMMENTAIRES
Comme les parents, qui ont un vécu scolaire et s’identifient à leur enfant comme
élève plutôt que comme patient, les intervenants ont une histoire familiale qui favorise leur identification à l’enfant dans
sa famille plutôt que comme patient.
Cette identification nous met dans une
position de recherche de parents idéaux.
Nous cherchons peut-être également à
être des parents idéaux pour les enfants
dont nous nous occupons. A travers le
questionnaire que nous avons élaboré,
nous avons cherché à savoir quelles sont
les caractéristiques attribuées à de bons
parents par l’équipe soignante, toutes
professions confondues. Nous nous
sommes aussi intéressés à leur vision
d’une collaboration idéale avec les familles.
Il résulte de ce sondage, de manière assez
évidente, que pour la majorité des personnes consultées, il est plus aisé de collaborer avec des parents qui ont
davantage de temps et qui peuvent venir
régulièrement aux entretiens et qu’il est
difficile de mettre en place une bonne
collaboration lorsqu’il y a des conflits
entre les parents. On attend des parents
qu’ils viennent régulièrement et qu’ils
s’intéressent à ce qui se passe pour leur
enfant, qu’ils nous confient leurs soucis,
leurs craintes et leurs attentes, on est souvent déçus des rencontres lorsqu’un
échange à ce sujet-là n’a pu être réalisé.
On aime bien aussi que l’enfant nous raconte ses pensées, elles font partie des
éléments importants à partir desquels on
peut travailler avec l’enfant et peut-être
est-ce aussi valorisant pour l’intervenant
qu’un enfant puisse se confier.
S’il fallait décrire des parents idéaux, ils
seraient prioritairement bienveillants,
compréhensifs et stimulants pour leur
enfant. On a davantage de problèmes
lorsque les parents ont eux-mêmes une
psychopathologie, on attend alors d’eux
qu’ils soient dans leur rôle de parents et
non de patients bien qu’on aime qu’ils
nous confient leurs soucis. A relever tout
de même qu’une majorité de personnes
pensent qu’il n’y a pas de parents idéaux,
qu’ils ont tous des qualités et des défauts,
et qu’ils font de leur mieux.
Quant aux parents totalement inadéquats (parents peu fiables, parents présentant une psychopathologie importante,
parents ne sachant pas reconnaître les
besoins et les souffrances de leur enfant,
parents maltraitants et/ou dénigrant notre
travail), tous les soignants s’accordent
pour relever les difficultés à travailler
avec eux.
L’AVIS DES PARENTS
Nous avons questionné les parents sur la
qualité du travail effectué avant l’entrée à
l’Hôpital
de
Jour
et
pendant
l’hospitalisation (bilans, diagnostics, explications et informations fournies, traitements mis en place, etc. …). Les parents
pouvaient aussi dire si leurs inquiétudes et
les problèmes de leur enfant avaient été
suffisamment pris en compte. A partir des
commentaires et critiques reçus des parents lors de l’étude catamnèstique, nous
avons dégagé quelques thèmes récurrents.
Le diagnostic
Les commentaires attestent des difficultés
qu’ont certains parents à entendre, comprendre et accepter les diagnostics qui
leurs sont transmis. Quelques-uns ont
déploré avoir été confrontés à des diagnostics contradictoires (pédiatres, neuropédiatres, pédopsychiatres, etc.). Par
rapport au handicap, au hors norme, certains parents sont démunis et expriment le
manque de soutien qu’ils ont ressenti et la
difficulté à envisager un avenir sans solutions ni perspectives.
L’environnement pédopsychiatrique
Les commentaires mettent en évidence la
difficulté qu’ont certains parents à comprendre et appréhender notre façon de
travailler : ils décrivent un déséquilibre
entre ce qu’ils donnent et ce qu’ils reçoivent, en d’autres mots, ils doivent répondre à des questions mais sont en
manque d’informations, d’explications,
de réponses à leurs questions. Ils ont
l’impression de devoir constamment répéter leur histoire et relèvent un manque de
vision et de prise en compte de la réalité
extérieure (scolaire notamment). Il est
apparemment plus facile pour les parents
d’accepter les troubles instrumentaux de
leur enfant et par conséquent de
s’approprier des approches pédagothérapeutiques et pédago-éducatives. Les
difficultés à accepter dans les faits la priorité du thérapeutique sur l’école sont exprimées à plusieurs reprises.
L’hôpital de jour
Plusieurs parents relèvent l’insuffisance
de la préparation à l’entrée à l’hôpital de
jour ; ils ont accepté cette indication parce
qu’ils n’avaient pas le choix (forcés par
l’école, pas d’autre alternative, etc.). Se
séparer de l’enfant une journée entière est
aussi exprimé comme quelque chose de
douloureux.
Le ressenti des parents
Voici quelques phrases qui sont apparues
dans les commentaires des parents qui
nous interpellent et nous amènent à réfléchir : « il faudrait donner une plus grande
place aux parents et le corps médical
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Wanted : famille idéale
devrait avoir un peu d’humilité ». « On se
sent lâché dans un drôle de monde qu’on
ne connaît pas et peu soutenu par
l’entourage et les médecins ». « À ce jour,
on n’a toujours pas compris le passage de
notre enfant à l’hôpital de jour ».
CONCLUSIONS
Au moins deux pistes de réflexion semblent se dessiner au fil de ce travail ; la
première où notre question initiale viendrait s’inscrire dans une dimension plus
globale d’évolution sociétale autour de la
place de la souffrance psychique ; une
seconde, plus singulière, où cette même
question pourrait être analysée sous
l’éclairage de la nature du contre-transfert
que la question parentale sollicite nécessairement (massivement), que ce soit à
l’échelon individuel et/ou collectif.
Ensuite, quelques idées pourraient être
envisagées dans la perspective de mieux
appréhender ce que l’on appelle “le travail avec les parents”.
Première perspective : l’évolution
sociétale
La reprise de l’historique (sur 20 ans) des
relations parents/hôpital de jour permet de
mettre en évidence, au risque d’être
schématique, le passage progressif d’une
interface
(membrane)
hôpital
de
jour/parents “étanche” (le strict minimum
est transmis aux parents) vers un système
diamétralement opposé, “transparent”
cette fois, où les parents auraient accès à
“tout” ce qui se passe à l’Hôpital de Jour.
Avec du recul, on imagine qu’un système
trop étanche, dépourvu de tout fondement
théorique consistant, a pu engendrer un
vécu très culpabilisant pour les parents,
comme un rejet de notre part, c’était implicitement leur signifier qu’ils étaient à
l’origine et/ou partie prenante dans la
genèse et/ou la pérennisation des troubles
de leur enfant, ce qui, chacun en conviendra, est inacceptable. Quant au second
système, qualifié de “transparent”, il traduit un glissement vers un partenariat,
c’est-à-dire vers un fonctionnement où
tout ce qui est développé pour un enfant
donné au sein de l’Hôpital de Jour devrait
être restitué intégralement à ses parents.
A titre d’hypothèse, on pourrait avancer
que l’avènement de ce “partenariat” serait
en quelque sorte une “réponse” au “dogmatisme initial”, mais on peut avancer
aussi que l’un et l’autre s’étayent sur des
bases relevant plus de l’idéologie que
d’une authentique conception dynamique
de la psychopathologie de l’enfant, de sa
famille, de son environnement. En
d’autres termes, l’un et l’autre sont peu
propices aux échanges ou à d’éventuels
assouplissements et risquent de nous conduire à des impasses. Au-delà du caractère forcément simpliste et caricatural de
cette présentation, cette tendance recoupe
de façon plus générale une évolution sociétale qui voit opérer différents réaménagements articulés autour du déplacement de la notion de maladie psychique
vers celui (du statut) de handicap (auparavant on soignait, maintenant on répare
et on compense). Par un effet de cascade,
articulé à cette opération de déplacement,
voire de substitution on peut mentionner,
sans être pour autant exhaustif, l’abandon
de la démarche clinique au profit de la
classification, la marginalisation des
troubles de la personnalité ou autres psychoses au profit des TED ou TSA,
l’adhésion à une prise en charge se transformant en un partenariat où les parents
sont en situation de négocier/moduler nos
diverses interventions, et le fait que le
soin psychique laisse place à des méthodes dites pédago-éducatives. En allant
encore plus loin dans le raisonnement,
quitte à faire de la politique fiction, ou à
faire preuve d’un pessimisme exagéré, on
peut redouter qu’à terme l’Hôpital de Jour
ne soit plus qu’une sorte de “plateforme
de prestations” dont l’utilisation serait
régulée par les parents, devenus les promoteurs quasi exclusifs de la prise en
charge de leur enfant. Si cette perspective
se développait, ce serait au prix d’un affaiblissement des multiples lieux de soin
qui, à l’instar des hôpitaux de jour, postulent qu’un travail psychique est possible,
quelle que soit la pathologie de l’enfant.
Mentionnons au passage qu’il existe une
voie médiane, qui serait celle de la
“membrane poreuse”, fondée sur la recherche d’une forme “d’alliance thérapeutique” qui s’appuierait sur l’adhésion des
parents, leur investissement pour la prise
en charge et des échanges “bilatéraux”
avec l’institution.
Seconde perspective : l’importance du
contre-transfert institutionnel (CTI)
A partir du moment où l’on reçoit des
enfants dans une institution, la réalité du
contre-transfert s’impose à nous. La question des parents, de la place de l’enfant au
sein de sa famille, des effets de la souffrance psychique, l’ensemble de ces paramètres ne peut qu’interpeller chacun
d’entre nous au gré de sa propre histoire,
de sa sensibilité, de son “équipement psychique” comme de son vécu institutionnel
et générer des réactions bien au-delà de ce
que l’on peut en saisir consciemment.
A ce titre, le CTI semble échapper à
l’évolution sociétale mentionnée cidessus, un peu comme un invariant. Précisons au passage que si le CTI nous permet d’accéder aux arcanes de la
psychopathologie de l’enfant, il charrie en
même temps des effets collatéraux qu’il
faudrait,
idéalement,
inlassablement
mettre “en travail”, que ce soit à l’échelon
individuel ou dans une vision plus institutionnelle des situations cliniques. En
guise d’illustration, on peut s’attarder
quelques instants sur les effets que peut
produire l’admission de l’enfant, que ce
soit du côté de l’institution ou de celui des
parents. Du côté de l’institution, cela
amène un contre-transfert par “anticipation” : la manière de présenter l’enfant, sa
famille, son histoire ou son environnement, lors des réunions préalables va
“convoquer” un certain nombre de représentations, très variables selon les personnes. La référence à une situation
antérieure, une association personnelle,
bref, la conjonction de ressentis va conférer à l’ambiance institutionnelle une tonalité particulière, propre à la famille en
question, tonalité qui peut perdurer sous
forme de reliquats bien longtemps après.
Du côté des parents, la catamnèse et les
diverses réunions avec les parents nous
montrent comment cette anticipation est
aussi à l’œuvre chez eux, souvent alimentée par des éléments péjoratifs liés à
l’image de la psychiatrie, de la maladie
mentale, du diagnostic redouté qui se
trouverait validé par cette admission, par
des effets de répétition avec un aléa dans
l’une des deux lignées parentales, etc.
Ainsi, les premières rencontres parents/hôpital de jour (et les suivantes)
peuvent se dérouler dans une atmosphère
totalement saturée par des représentations, plus ou moins imaginaires, alimentées des deux côtés, et générer alors des
malentendus, des tensions, voire des conflits plus ou moins larvés, peu accessibles,
qui interfèrent inévitablement dans le
travail avec l’enfant. Cela nous montre
combien la question du CTI est centrale et
la nécessité impérieuse qu’il y aurait à la
construire ensemble même si cela n’est
pas toujours aussi évident sur le terrain.
La manière dont nous avons formulé
notre question de base sur la “famille
idéale” peut être appréhendée comme un
déplacement (renversement) de notre difficulté à nous atteler à cette question.
Pour paraphraser W. Bion, comment se
dégager de ces « calcifications institutionnelles » ? Autrement dit, comment
dépasser ces résistances, ces impasses,
ces obstacles qui encombrent et empêchent nos capacités à interroger nos modalités de travail avec les parents ?
Quelques pistes de réflexion vers une
“institution idéale” ?
Objectif
Ce qui est visé finalement serait moins la
recherche d’une famille idéale que ce qui
pourrait délimiter un cadre nécessaire
pouvant garantir l’engagement et la poursuite d’un travail psychique avec l’enfant.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
43
Le travail avec les familles en hôpital de jour
“Prérequis”
Quelles seraient les conditions minimales
permettant de faire accueil à toute situation familiale, quel que soit son fonctionnement et ses modalités d’expression ?
On pourrait, individuellement et institutionnellement, s’imprégner des hypothèses avancées au cours de ce travail,
pour n’en retenir qu’une, on rappellera les
propos de M. Berger : selon lui, la première condition pour pouvoir “bien travailler” serait de reconnaître sa propre
haine, vis-à-vis de la famille, des parents,
de la maladie, de l’enfant.
Modalités
Déployer au sein de l’institution suffisamment de lieux permettant à la parole
de pouvoir s’exprimer de la manière la
plus fluide possible, en-deçà de tout jugement moral, débarrassée de toute anticipation théorique, historique ou réduc-
44
réductrice, ces espaces doivent permettre
à la parole d’être tamisée, filtrée, “décortiquée”, reformulée, examinée avec
l’ensemble des outils conceptuels, c’est-àdire élaborée au plus près de la psychopathologie de l’enfant et des enjeux familiaux qui peuvent y être attachés. A y
regarder de plus près, rien d’original à
tout cela puisque l’on retrouve en filigrane les grands principes de la psychothérapie institutionnelle, selon des
modalités théorisées par P. Delion, avec
le triptyque fonction phorique, sémaphorique et métaphorique. Nous défendons
enfin l’importance d’avoir une interface
hôpital de jour/parents qui soit “poreuse”,
fondée sur la recherche d’une forme
“d’alliance thérapeutique” s’appuyant sur
l’adhésion des parents, leur investissement pour la prise en charge et des
échanges “bilatéraux” avec l’institution.
Pour conclure, nous sommes donc passés
de la question de la recherche d’une famille idéale à celle de l’institution
idéale…
BIBLIOGRAPHIE
1. AUSSILLOUX Ch. et LIVOIR-PETERSEN M.-Fr., Collectif : L’autisme cinquante
ans après Kanner, Ramonville SaintAgne, éditions Erès, 1994. 208 p.
2. BERGER M., Le travail thérapeutique avec
la famille, Paris, Dunod, 1995, 254 p.
3. BERGER M., La construction du cadre des
entretiens familiaux, Bibliothèque Sigmund
Freud, Paris, 1996, pp. 169-178
4. MARCIANO P., L’hôpital de jour pour enfants, Toulouse, Erès, 1999, 343 p.
5. MISES R. et GRAND Ph., Parents et professionnels devant l’autisme, CTNERHI, 1997,
446 p.
6. WINNICOTT D. W., Jeu et réalité, Folio
essais, 1971
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
SOINS AUX FAMILLES
SENS, PORTAGE, PILOTAGE
Cliniques universitaires Saint-Luc
Le KaPP
Avenue Hippocrate 10
1200 BRUXELLES
BELGIQUE
[email protected]
Arthur DELEPINE, Jennifer GILSON, Philippe KINOO,
Marguerite VAN DEN BERGH
Qu’est-ce que le « soin aux familles » ?
L’analyse de notre pratique nous a fait repérer trois dimensions : la recherche du sens (comprendre),
le pilotage (élaborer et décider) et le portage (accueillir et soutenir). Les trois dimensions sont illustrées par des interventions des membres de l’équipe : travailleur social, éducateur et psychologue.
Un lien est fait ensuite avec des concepts amenés par Pierre Delion : fonction phorique et portage ;
fonction sémaphorique et pilotage, fonction métaphorique et recherche de sens.
Mots-clefs : enfant, famille, psychothérapie institutionnelle, sens, pilotage, portage, fonction phorique, fonction sémaphorique, fonction métaphorique
Family care. Sense, piloting, holding
What is « family care »? Analysing our practices, we notice three dimensions: to seek sense (understanding), to pilote (elaborating and deciding) and to hold (welcoming and sustaining).
These three dimensions are illustrated with team members’ interventions: a social worker, an educator and a psychologist.
Then, a link is made with concepts brought by Pierre Delion: metaphoric function as seeking sense,
phoric function as holding, semaphoric function as piloting.
Keywords: child, family, institutionnal psychotherapy, sense, piloting, holding, phoric function, metaphoric function, semaphoric function.
LE CADRE
Le KaPP est un hôpital de jour pédopsychiatrique où sont accueillis vingt-cinq
enfants de 0 à 13 ans.
L’essentiel du fonctionnement est en
centre de jour mais quelques enfants
(quatre à cinq) peuvent être hospitalisés à
temps complet. Ils “dorment” dans le service de pédiatrie des Cliniques, où un
éducateur les prend en charge dès 7 h le
matin, et les accompagne le soir entre 17
et 22 h (ou davantage s’il y a des problèmes d’angoisses, des troubles du comportement,…).
Environ la moitié des enfants restent dans
notre centre pour un “long terme” : c’està-dire un à deux ans (enfants psychotiques, jeunes enfants autistes). Les autres
situations sont des “moyen terme”
(troubles psychosomatiques, anorexies,
troubles du comportement, phobies…),
des urgences (maltraitance, décompensation individuelle ou familiale,…) ou des
“bilans d’observation/action” (mise au
point diagnostique et thérapeutique lors
d’un séjour de cinq semaines dans des
situations particulièrement complexes
lorsque les prises en charge ambulatoires
ou résidentielles se trouvent dans
l’impasse).
L’essentiel du travail se fait en ateliers,
animés par les éducateurs, les enseignants, la psychomotricienne, la logopède, l’animateur sportif, l’animatrice de
l’atelier créatif. Participent aussi au travail l’infirmière, l’aide-soignante, les
deux assistantes sociales, la coordinatrice,
le secrétaire, les deux psychologues, les
deux médecins.
Les psychologues proposent des entretiens individuels, orientés par la psychanalyse, et font des “bilans”, avec des tests
projectifs et des examens cognitifs.
Des entretiens avec les parents sont assurés par le médecin pédopsychiatre et le
psychologue référent en associant, selon
les besoins ou la demande, l’éducateur ou
l’assistante sociale référente ou une autre
compétence de l’équipe. Le travail avec
les familles est d’orientation systémique.
Plus largement, les activités et la vie quotidienne se réfèrent à la psychothérapie
institutionnelle adaptée aux enfants, ensemble de dispositifs où les médiats thérapeutiques servent de base à la
construction du travail relationnel des
enfants entre eux et des enfants avec les
adultes, et visent un développement “global” de l’enfant1.
Ayant toujours veillé à travailler en collaboration avec les parents, outre les entretiens avec eux, nous soignons l’accueil,
matin et soir, qui leur est destiné, et tout
naturellement nous est venue l’idée
d’ouvrir certains ateliers constituant la
trame de la psychothérapie institutionnelle, aux parents eux-mêmes.
Et, pour préparer cette contribution, nous
nous sommes posé la question suivante :
1
Tout ceci est développé dans le livre « Psychothérapie institutionnelle d’enfants. L’expérience
du KaPP », éditions Erès, et dans « Eduquer et
soigner en équipe. Manuel de pratiques institutionnelles », éditions De Boeck.
« En fait, en quoi consiste notre “soin aux
familles” »?
PREMIER CHAMP DU SOIN : LE
SENS
Premier champ, celui qui vient le plus
souvent à l’esprit lorsqu’on parle du soin
psychique, c’est le champ du sens.
L’intervenant cherche, avec la famille, à
comprendre le sens des difficultés de
l’enfant, le sens des dysfonctionnements
familiaux. « Qui porte le symptôme, qui
souffre, qui allègue ? » comme nous l’a
appris Robert Neuburger dans « L’autre
demande ». Et pourquoi ? Quelles sont les
(fausses) pistes thérapeutiques ? Bref,
réfléchir et échanger, rien que du bien
connu par les “psys”.
DEUXIÈME CHAMP DE SOIN : LE
PILOTAGE
Bien comprendre ne suffit pas. Après
avoir compris, il faut voir quoi faire.
Quelles sont les objectifs du soin ? Quels
sont les outils éducatifs et rééducatifs
nécessaires ? Quels sont les attitudes relationnelles adéquates ? Quels sont les aspects émotionnels à modifier ? Faut-il un
médicament ? Quelles attitudes psychoéducatives adopter en famille ? Quelle
orientation scolaire ou thérapeutique, quel
soin ambulatoire ou résidentiel ?
L’intervenant, suite à l’analyse avec les
parents, va donc faire des propositions
mais ce sont les parents qui restent les
“décideurs”, in fine, pour l’acceptation ou
non du plan thérapeutique. C’est le parent
qui veillera à ce que le plan puisse être
appliqué, plus ou moins précisément,
même si, bien évidemment, l’application
du plan concerne également l’intervenant.
C’est cela que nous proposons d’appeler
la fonction, ou le champ du pilotage.
Pour cette fonction, le pilote responsable
est le parent et, pour rester dans la métaphore, l’intervenant serait le copilote. Ce
dernier donne des indications au pilote,
prend éventuellement les commandes si le
pilote a besoin d’aide, mais même alors, il
reste bien en position seconde.
Dans le concret des prises en charge thérapeutiques, le pilotage ne suit pas nécessairement la recherche du sens. Certaines
décisions doivent être prises avant d’avoir
tout compris. Il s’agit plus d’une articulation, d’un processus de construction de
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
45
Le travail avec les familles en hôpital de jour
plan thérapeutique “sens/pilotage”, que
d’une chronologie linéaire.
TROISIÈME CHAMP DU SOIN : LE
PORTAGE
Cette dimension peut se déployer beaucoup plus largement dans les prises en
charge en centre de jour que dans
l’ambulatoire ou même dans le soin résidentiel. En effet, par la proximité souvent
quotidienne avec les familles (lorsque les
parents conduisent et/ou recherchent leur
enfant à l’hôpital, comme c’est le cas au
KaPP), notre relation avec eux peut permettre un soulagement du poids qu’ils
portent, poids lié à la pathologie de leur
enfant. Habituellement, avant l’entrée à
l’hôpital de jour, les parents vivent avec
le poids de la honte et de l’angoisse.
Honte des comportements aberrants de
leur enfant dans le métro ou le grand magasin. Peur de ce que va dire l’institutrice
ou la directrice de l’école. Gêne lors des
fêtes de famille. Angoisse de l’avenir à
long terme, et même à court terme : y a-til un lieu qui peut prendre en charge mon
enfant ?
Dès l’arrivée à l’hôpital de jour, notre
intervention peut commencer à les soulager. C’est ce que nous proposons
d’appeler le champ du portage. Comment
soulager la famille d’une part du poids
que représente la pathologie de leur enfant ? Quelles aides financières ? Mais
tout simplement surtout, quelle sympathie
vont-ils trouver auprès de nous ? Comment allons-nous soigner l’accueil lors de
la procédure d’admission ? Comment les
mettre à l’aise lors des contacts formels et
informels ?
Au KaPP, nous avons souvent
l’impression que cette qualité d’accueil
permet un réel portage, entrainant un soulagement dans la famille, ce qui nous fait
constater que, souvent, la famille va
mieux avant même que l’enfant ne
change. Pour être complet, nous devrions
ajouter que, malheureusement, par la
suite, l’enfant change plus vite que la
famille. Mais ceci est une autre histoire.
DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS
EN LIEN AVEC CES TROIS
CHAMPS
Quelques dispositifs institutionnels “kappiens” sont intéressants à préciser pour
illustrer nos interventions dans ces trois
champs.
L’accueil du matin et du soir
En Belgique, il n’existe pas de service
“ramassage” organisé pour conduire les
enfants à l’hôpital. Au mieux, on peut
trouver des “taxis médico-sociaux”, mais
il s’agit de services privés payants. Donc,
ce sont les parents eux-mêmes qui
46
s’arrangent, éventuellement avec un
grand-parent, ou le grand frère, la tante,…
Et nous avons ainsi l’occasion d’avoir
deux contacts quotidiens avec un membre
de la famille, à 8h et à 16h. Nous avons
dès lors organisé cet accueil avec deux
intervenants le matin, et deux le soir.
La procédure d’admission
La première étape (après une demande
adressée au secrétariat), c’est un coup de
fil de notre part au demandeur (parent ou
professionnel) pour lequel nous dégageons un temps suffisant pour nous permettre d’aller le plus loin possible dans la
recherche des critères de (non-)indication.
Ensuite, nous organisons le “préaccueil I”
avec les deux parents, l’enfant et
l’envoyeur.
Ce pré-accueil confirmera, 95 fois sur
100, l’indication d’hospitalisation pressentie lors de la discussion téléphonique.
Cet entretien, d’une durée d’une bonne
heure, laisse un court temps à
l’énonciation de la plainte (environ 10
min), puisque cela a déjà été exploré en
partie lors du contact téléphonique. Ensuite, nous visons à construire avec la
famille les objectifs attendus de
l’hospitalisation : « Qu’est-ce que vous
souhaitez que nous tentions de changer
ou d’améliorer chez votre enfant ? »,
« Qu’est-ce que tu aimerais qui puisse
changer pour toi ou pour ta famille ? »
Les réponses sont habituellement assez
classiques : être plus sociable, avoir
moins de colères, se débloquer pour ses
apprentissages,… En résumé, « grandir le
mieux possible ». Même si ce sont des
thèmes “bateaux”, l’important c’est que la
famille et l’enfant nous perçoivent moins
comme des spécialistes du problème que
comme des spécialistes dans la recherche
et l’application de solutions. Ceci nous
permet aussi d’impliquer les parents dans
le projet thérapeutique, en signalant que
nous aurons besoin de leur aide pour la
mise en place des améliorations visées (ce
qui est moins stigmatisant et plus constructif que de les confronter à la cause du
problème). Ce pré-accueil I est assuré par
la coordinatrice, un psychologue et un
médecin. Il sera suivi, la semaine avant
l’entrée effective de l’enfant au KaPP,
d’un “préaccueil II”. Celui-ci sera assuré
par les mêmes médecin et psychologue,
rejoints cette fois par l’éducateur référent
et par une assistante sociale. L’assistante
sociale y jouera, le cas échéant, un rôle
important pour le “portage”, comme nous
le verrons plus loin.
Les « ateliers avec parent(s) »
Enfin, il y a les “ateliers avec parent(s)”.
Il s’agit d’un dispositif que nous trouvons, pour certaines situations, extrêmement puissant. L’un et/ou l’autre parent(s)
sont invités à participer à un atelier avec
leur enfant : “atelier repas” pour les
troubles alimentaires, “ateliers psychomotricité” pour les troubles du développement, mais aussi les troubles de
l’attachement (par un travail sur le lien et
la distance relationnelle), “atelier escalade” ou “piscine” (en groupe d’enfant),
pour un papa psychotique, un peu paumé
dans la relation avec son fils,…
Passons maintenant à quelques illustrations concrètes de nos interventions.
L’ASSISTANTE SOCIALE, LES
PARENTS ET LE SOIN
L’entrée en matière
- L’assistante sociale participe au deuxième entretien de pré-accueil. Lors de
cet entretien, nous reprenons avec la famille ce qui a été discuté lors du premier
entretien, précisons la demande et les
objectifs, et questionnons l’organisation
nécessaire. Quelles sont les attentes des
uns et des autres dans la famille, à
l’école,… ? Quels investissements les
parents sont-ils prêts à consacrer ?
Comment
la
famille
va-t-elle
s’organiser ? Les questions sont multiples. Le but n’est pas nécessairement
d’y répondre tout de suite mais d’ouvrir
des perspectives et des pistes possibles.
- L’assistante sociale va expliquer tous
les aspects pratiques, administratifs et
financiers que recouvre l’hospitalisation.
Elle va s’assurer que cela soit praticable
pour les parents et, sinon, essayer de
trouver des dispositifs d’aide.
- Dès le départ, l’assistante sociale a
donc une approche individuelle familiale
mais s’inscrit aussi dans le projet collectif institutionnel :
Par rapport à l’approche familiale individuelle : l’accueil, le soutien et le soin
- L’assistante sociale va donc essayer,
dans la mesure du possible, que la famille bénéficie de toutes les aides sociales auxquelles elle pourrait prétendre.
Cela se fera lors d’entretiens individuels
entre l’assistante sociale et le(s) parent(s)
(droits aux allocations familiales majorées, si difficulté financière, prendre le
temps avec la famille examiner avec elle
les différents services qui pourraient lui
venir en aide ; si nécessité de soins de
santé physique, aider à trouver une maison médicale, etc.)
- Le soutien et l’accompagnement dans
différentes démarches sociales peuvent
faciliter le travail thérapeutique avec le
jeune et sa famille. Par exemple, si une
famille rencontre trop de difficultés pour
assurer le transport de son enfant, nous
allons essayer de mettre des aides en
place afin que ces trajets soient possibles
ou encore, si au cours de l’hospitalisation
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Soins aux familles : sens, portage, pilotage
de son enfant, une maman seule nous fait
part de ses problèmes financiers, nous la
mettons en contact avec un service qui a
pour objectif d’aider temporairement des
familles avec de jeunes enfants confrontées à la pauvreté. De plus, si cette maman a droit à une pension alimentaire
que le papa de l’enfant ne paie pas, nous
ferons appel avec elle au service compétent afin d’essayer de débloquer la situation. Ces démarches sociales faites avec
les familles favorisent la création d’un
lien de confiance, ce qui facilitera
l’alliance thérapeutique.
- L’assistante sociale est régulièrement
présente à l’accueil du matin. Ceci favorise aussi le lien et corollairement la relation de confiance.
- Le travail d’accompagnement social
nous amène parfois à nous rendre à domicile pour des entretiens ou pour des
“ateliers avec parents”. On peut alors se
rendre compte autrement de ce que la
famille vit. Ces visites, ainsi que des démarches sociales accomplies avec les
familles, nous amènent parfois à mieux
percevoir la situation de détresse dans
laquelle se retrouve la famille ou encore
à recevoir certaines inquiétudes des parents, des confidences de leur part. Dans
un cas comme dans l’autre, pour
l’assistante sociale, revenir vers son
équipe est important pour témoigner tant
des difficultés rencontrées que des compétences mises en œuvre par la famille.
Ensuite, si besoin ou nécessité, cela
pourra être repris par les collègues intervenants lors d’entretiens avec la famille.
Par rapport à l’approche institutionnelle
collective : le pilotage
- Durant toute l’hospitalisation de
l’enfant, l’assistante sociale va essayer
de mettre les différents membres de
l’équipe du KaPP (en fonction de leur
fonction) en lien avec les systèmes qui
gravitent autour de l’enfant et de la famille, bref, travailler avec le réseau.
L’assistante sociale va coordonner les
“plans de sortie” avec ses collègues et les
mettre en lien avec les autres intervenants du système gravitant autour de la
famille.
- Pour ces contacts, dans la mesure du
possible, il est intéressant de le faire avec
un autre membre de l’équipe afin d’avoir
plusieurs regards sur le fonctionnement
du réseau et le rôle des partenaires.
- L’assistante sociale assure le lien entre
l’école de l’enfant et le KaPP, habituellement avec l’instituteur, l’éducateur, le
psychologue, et/ou le médecin. Ces différents contacts se font en partie par téléphone mais, dans la mesure du possible,
nous essayons d’organiser des rencontres. Les liens avec certains parte-
naires peuvent aussi être assurés via une
invitation des enseignants pour une réunion de synthèse au KaPP.
- Phillipe Bivort décrit la fonction de
l’assistante sociale comme une « position
d’interface ». Quand on a recours à une
institution, soit par un système client,
soit par un envoyeur, cela va créer entre
ces deux systèmes des interactions particulières. C’est l’assistante sociale qui
prend habituellement la place de trait
d’union entre le dedans et le dehors, soutenant la continuité pour éviter les ruptures. Le recours à une institution n’est
pas une fin en soi, il y a toujours une
perspective
après
l’hospitalisation
(« Eduquer et soigner en équipe », p.
179).
- Il est important aussi d’assurer la continuité du fonctionnement réseau à la sortie de l’enfant. En effet, à la fin de
l’hospitalisation, et même après, les intervenants du réseau peuvent continuer
de faire appel à l’assistante sociale ou à
un autre membre de l’équipe du KaPP.
Nous pouvons ainsi garder un lien soutenant auprès des familles lorsque c’est
nécessaire. Par exemple, après une hospitalisation, nous pouvons être sollicités
lors d’une réunion au Service Accueil
Jeunes, ou dans une école. Le réseau peut
recontacter le KaPP quand des intervenants se sentent en difficulté par rapport
aux outils thérapeutiques, par exemple
quand il y a réapparition de certains
symptômes.
- En conclusion, la position d’interface
de l’assistante sociale entre le dedans
(l’institution où elle travaille) et le dehors (la famille et/ou le réseau) favorise
l’alliance thérapeutique nécessaire entre
la famille et l’institution. Le travail social
participe à redonner une sécurité de base
nécessaire au soin : il s’agit de (re)créér
du lien, (re)donner confiance, permettre
et participer à l’alliance thérapeutique.
L’ÉDUCATEUR, LES PARENTS ET
LE SOIN
Le petit Ali est arrivé au KaPP à l’âge de
5 ans. Il présentait un retard de développement important avec cependant un bon
niveau verbal pour son âge. Il était souriant avec une tendance à être dans son
monde et pouvait montrer des intérêts
répétés et particuliers pour les animaux et
les dessins animés. Au début de son hospitalisation, Ali s’opposait de façon très
théâtrale, il criait « Au secours, à l’aide »
à la moindre frustration. Il n’était pas
propre, refusait la toilette, s’opposait fortement en famille lors des tentatives de
ses parents pour le laver. Il était très sélectif sur le plan alimentaire.
De façon générale, alors que leur fille (un
an plus âgée qu’Ali) était éduquée sans
problème, les parents étaient complètement dépassés sur le plan éducatif avec ce
garçon.
Après une période d’acclimatation, nous
avons mis en place le travail suivant avec
les parents.
Dans un premier temps, le travail s’est
fait lors de rencontres informelles dans le
hall d’accueil. Un échange s’est mis en
place autour de l’enfant et de ses comportements au KaPP et à la maison. Quelques
pistes sont données aux parents tels que le
renforcement positif ou la co-intervention
des parents. Cependant, ces parents
avaient un besoin de soutien plus important, or les entretiens “classiques” avec le
médecin et la psychologue n’apportaient
aucune évolution à la dynamique familiale.
C’est lors d’“ateliers avec parents” qu’ils
ont pu trouver ce soutien plus adapté à
leurs besoins. Pour Ali et ses parents,
nous avons d’abord mis en place des ateliers “repas”. Ces ateliers se déroulaient
au KaPP en présence de la psychologue,
de l’éducateur référent et des parents (il
nous arrive également d’inviter la fratrie).
Les objectifs visés étaient la diversification de l’alimentation d’Ali et surtout le
respect du cadre pendant les repas (heures
et lieux fixes, rester “posé” à table un
temps suffisant, utiliser les couverts,…).
Pendant le premier atelier, les parents
avaient des difficultés à contraindre leur
fils surtout à cause des oppositions toujours très expressives d’Ali.
Après trois à quatre ateliers, les parents
avaient bien progressé par rapport au
cadre et Ali a pu diversifier son alimentation à chaque fois un peu plus, avec à
chaque fois des attitudes de plus en plus
correctes. Ensuite les référents d’Ali
(psychologue et éducateur) ont accompagné l’enfant et ses parents au supermarché. Ali faisaient des crises (toujours très
démonstratives) dans le but d’obtenir ce
qu’il voulait. L’autorité conjointe des
quatre adultes (parents et professionnels)
a été une étape intéressante dans la bataille pour l’autorité parentale en famille.
Le soutien, la visualisation des résultats,
et la diminution des oppositions d’Ali, ont
permis petit à petit aux parents de se sentir plus à l’aise avec le cadre à maintenir,
d’abord au KaPP, puis en famille.
Yves est arrivé au KaPP car des troubles
du comportement rendaient sa scolarisation impossible, même en enseignement
spécialisé. Les difficultés d’Yves se manifestent par une hyper-sensibilité et des
réactions démesurées à la frustration.
Les parents nous ont également rapporté
de grosses difficultés concernant les
règles familiales, comme par exemple le
rangement de la chambre de leur fils. Ils
étaient bien conscients du problème, mais
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
47
Le travail avec les familles en hôpital de jour
se sentaient impuissants à mettre en place
les solutions. En accord avec eux, et pour
amorcer le début de la bataille pour la
convivialité en famille, nous avons organisé un “atelier à domicile” avec l’objectif
de ranger la chambre avec l’enfant.
Sabrina -deux ans et demi, atteinte
d’autisme- et sa famille arrivent au KaPP
tout juste dix minutes après l’annonce du
diagnostic au CRA (Centre de Ressources
Autisme des Cliniques Saint Luc avec
lequel nous travaillons). Les deux aînés
de la fratrie sont eux aussi atteints
d’autisme. Ils sont arrivés avec le médecin pédopsychiatre du CRA et un entretien avec la famille a été improvisé en
présence de la coordinatrice et d’un éducateur.
L’annonce du diagnostic est toujours une
épreuve difficile pour les parents. Ici, ce
fut particulièrement dramatique. L’accueil
des parents dans ces circonstances bouleversantes a cependant permis d’établir un
climat de confiance essentiel au travail
qui sera mis en place par la suite. Cet
accueil fut un espace de parole et
d’écoute ou, plus simplement encore, de
sympathie proposé aux parents.
C’est lors d’un deuxième entretien avec
les parents que l’importance de ce premier contact nous a été relatée. Les parents de Sabrina se sont sentis simplement
bien accueillis par l’équipe du KaPP.
Ceci nous rappelle l’adage : « On n’a
jamais deux fois l’occasion de faire une
bonne première impression. »
Amine est atteint d’autisme et arrive au
KaPP à l’âge de 4 ans. Il le quittera à
l’âge de 7 ans. Pendant ce long séjour
(pour le KaPP, trois années, c’est un séjour exceptionnellement long), des entretiens structurés ont été fixés à intervalles
réguliers. Mais à côté de ces entretiens,
des rencontres informelles quotidiennes
auront lieu dans le couloir pendant
l’accueil du matin ou du soir. Ces rencontres permettent d’échanger des informations autour de l’enfant, de la famille
et autour de ce qui se passe au KaPP.
« Comment l’enfant a-t-il dormi / mangé ? »
« Comment
s’est
passé
l’hippothérapie ? » « Le papa ou la maman est-il/elle rentré de vacances ou de
déplacement professionnel ? » « Comment se passe la grossesse de la maman?
A-t-elle accouché ? » « Quels sont les
progrès ou les régressions de l’enfant ces
jours-ci ? », « Est-ce que tel ou tel trouble
du comportement est toujours présent ? A
quelle fréquence ? ».
Certaines de ces informations peuvent
paraîtres futiles, mais elles permettent au
jour le jour d’alimenter le lien entre les
parents et les professionnels, entre le domicile et l’hôpital. Pour ces parents particulièrement, ces moments étaient
48
importants. Ils étaient fort anxieux, très
perfectionnistes. Ces quelques minutes
matin et soir étaient utiles comme antianxieux, et comme soulagement. Ils se
rassuraient par ce bref contact quotidien.
DIGRESSION “PIERRE DELION”
Pierre Delion nous a apporté les concepts
de « fonctions phorique, sémaphorique et
métaphorique ». En super-résumé, voici
un extrait de Pierre Delion lui-même, qui
reprend ces notions (Thérapeutiques institutionnelles (2001) in EMC-Psychiatrie,
37-930-G10). « La fonction phorique est
un concept tiré du « Roi des Aulnes » de
Michel Tournier, qui concerne tout ce qui
de l’homme, le met ou le laisse dans un
état de dépendance tel qu’il a un besoin
incontournable de l’autre pour être porté
par lui, soit physiquement,- c’est le cas du
bébé qui ne peut encore marcher tout seul
-, soit psychiquement, et c’est le cas de
beaucoup de personnes psychotiques qui
ont longtemps, voire toujours, besoin de
portage pour pouvoir suivre leur destin
pulsionnel. C’est donc une des missions
des institutions de proposer de tels praticables (Oury) comme cadre phorique sur
lesquels vont venir se jouer les autres
fonctions sémaphoriques et métaphoriques ». Cette fonction phorique, nous
pouvons clairement la retrouver dans
notre lien de portage avec les familles.
« Les signes étant exprimables quelque
part, dans quelque lieu, vont pouvoir se
polariser vers un appareil psychique disposé à les recevoir et à les organiser. Cet
appareil psychique de plusieurs soignants
constitue en quelque sorte la feuille
d’assertion, celle dont M. Balat nous dit
qu’elle est le lieu sémaphorique de ce qui
est à interpréter ». « Recevoir et organiser les signes », cela pourrait se rattacher
à notre fonction de pilotage.
A propos de la fonction métaphorique, il
dit ceci : « Il s’agit donc bien d’un travail
d’interprétation.
Mais
ce
travail
d’interprétation, s’il ne peut se faire que
dans le cadre du contre-transfert institutionnel,
c’est-à-dire
en
situation
d’élaboration et de perlaboration de la
constellation transférentielle, va se trouver confronté à la validité de ses hypothèses, non pas sur un plan structural
synchronique, puisque c’est en quelque
sorte ce qui en fait tout l’intérêt, mais sur
le plan de leurs articulations avec la diachronie de l’histoire familiale. C’est
pourquoi il semble tout à fait essentiel de
lier ces hypothèses structurales avec la
dynamique historique familiale… ». Et
nous sommes ici dans la recherche de
sens nouveau, notre premier champ.
Il y a de toute évidence une similitude
entre ces concepts utilisés pour définir
certaines facettes du soin « individuel »,
avec ce que nous tentons de présenter
pour le soin aux familles. Le parallélisme
est particulièrement marqué pour portage/phorique et pour sens/métaphorique.
Pour pilotage/sémaphorique, il y a plus de
différences, dans la mesure où nous y
incluons non seulement “l’échange des
signes”, mais aussi la prise de décision et
l’évaluation du suivi de ces décisions.
Et autres concepts associés
Encore quelques pistes pour des associations possibles dans nos trois champs.
- Dans “portage”, nous l’avons déjà évoqué, nous pouvons associer les notions de
“soutien”, et même tout simplement
“d’accueil”.
- Dans “pilotage”, on l’a vu, on retrouve
la notion de “guidance parentale psychoéducative” ou encore de “repères
communs” entre famille et intervenants
(ce qui se rapproche du « sémaphorique »
de Pierre Delion). Le fait de devoir chercher des repères communs, des objectifs
communs, suppose qu’il puisse y avoir
une identité suffisamment commune, un
processus d’identification réciproque des
parents et des intervenants : voir ce que
l’un et l’autre peuvent apporter ensemble
à l’enfant.
- Dans le champ du “sens” par contre,
chacun doit reprendre son identité, ce qui
implique une capacité de différenciation.
Il faut accepter les différences, les désaccords éventuels, pouvoir les aborder,
avant de voir comment une décision (de
pilotage) peut être prise en tenant compte
du contexte de désaccord/différence éventuel. Cet exercice est par exemple bien
difficile mais indispensable dans le travail
avec les familles d’origine culturelle différente : « Qu’est-ce que le trouble de
développement de votre enfant signifie
dans votre famille/pays/culture, et que
signifie-t-il dans notre approche médicopsychologique occidentale ? »
Tout ce qui précède peut se résumer dans
le schéma 1.
LA JEUNE PSYCHOLOGUE ET LE
PORTAGE DE L’ÉQUIPE
Voici la situation d’un enfant que nous
nommerons Axel.
Axel a deux ans et demi. Il arrive au
KaPP pour des troubles du développement et de l’alimentation. Issu d’une famille originaire d’un pays de l’Est, ses
parents ne parlent pas le français et la
situation familiale est complexe. Les parents ont des difficultés de couple et décident, il y a peu, de mettre fin à leur
relation. Le père d’Axel retourne vivre
dans son pays d’origine tandis qu’Axel et
sa maman restent en Belgique. Cette séparation soudaine a été compliquée à gé-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Soins aux familles : sens, portage, pilotage
rer pour Axel, que nous voyons depuis
lors régresser dans ses apprentissages.
Préoccupés par la situation, l’équipe a
proposé à la maman la mise en place, à
domicile, de séances de vidéo-conférence
par Internet, avec le papa. Cette idée a été
soumise afin de permettre à Axel de garder un contact avec son père. Les parents
ont bien accueilli l’idée, mais la mise en
pratique de ces séances s’est avérée compliquée à gérer pour ceux-ci. Il leur était
en effet difficile de mettre de côté leurs
différends, ce qui créait un climat de violence verbale permanent autour de
l’enfant durant les conversations vidéo
dédiées à Axel et son papa.
Le KaPP fait alors quelques nouvelles
propositions aux parents. D’abord, lors
des retours du père tous les quinze jours,
un suivi chez une psychothérapeute parlant leur langue maternelle, afin qu’ils
puissent communiquer au sujet de leurs
problèmes de couple. Ensuite, un consensus a pu être établi entre les parents pour
que leurs communications “adultes” ne
s’effectuent pas en présence de l’enfant.
Néanmoins, les “séances Internet” pèreenfants à la maison restaient compliquées
et accablaient fortement la maman de par
leur nombre, puisque le papa, désireux de
contacts avec son fils, en réclamait davantage.
Afin de soulager les parents par rapport à
leurs besoins respectifs, le KaPP propose
alors d’ouvrir un espace de vidéoconférence en son sein. Ainsi, à raison
d’une fois par semaine, s’effectuent des
séances par Skype pour permettre à Axel
et son papa de garder le contact. Ce dialogue peut alors s’élaborer dans un milieu
neutre qui vient mettre du tiers, permettant aux parents d’y déposer une situation
difficile qu’ils ne pouvaient pas porter
seuls.
L’élaboration de cet espace, qui constitue
la première réalisation de ce genre au
KaPP, n’a pu être mise en place que grâce
à l’intervention de l’équipe qui a su entendre les difficultés parentales, chercher
une thérapeute, un traducteur, installer le
réseau de communication par Internet et
ainsi soutenir cette famille.
Cette situation nous parait être un bel
exemple de portage, de soutien. Ce portage n’est possible que s’il émane d’une
équipe, ou dit autrement, le portage de
l’équipe est une base pour l’initiative de
chacun des intervenants. Ce portage institutionnel permet de fournir un étayage
aux familles qui, elles-mêmes soulagées,
peuvent alors reproduire cet étayage au
sein de leur propre système de fonctionnement. Il serait en effet compliqué, en
tant que professionnel, d’apporter à la
famille une base sur laquelle elle peut
venir prendre appui si nous-mêmes, nous
ne disposions pas de cet étayage. Nous
retrouvons cet étayage, ce portage, au sein
de l’ensemble de l’équipe, auprès de laquelle chaque intervenant peut venir se
ressourcer et chercher le soutien nécessaire au travail avec les familles.
Le développement de cette situation
montre que l’impact du portage par une
équipe, ainsi que la mise en sens et la
compréhension des situations, constituent
les ressources nécessaires à mettre rapidement en place des mécanismes de soutien auprès des familles. Ainsi,
l’ensemble du dispositif explicité cidessus est le résultat de deux semaines de
collaboration autour de cette famille.
Cette collaboration a été réalisée avec la
psychologue référente -qui expose ce té-
moignage- alors qu’elle venait à peine
d’arriver dans l’équipe. Cette rapidité
d’action n’a été possible pour elle que par
l’induction au portage de l’ensemble de
l’équipe.
CONCLUSION
Ces illustrations montrent comment les
interventions vont nouer les trois champs
du portage, du sens et du pilotage pour
avancer dans le soin.
Ali illustre que même si des parents ont
du mal à faire un travail sur le sens, on
peut avancer avec eux dans le pilotage et
dans le portage.
Yves nous a montré que même si ses parents semblent avoir compris bien des
choses dans le champ du sens, il faut du
portage pour avancer dans le pilotage.
Sabrina illustre l’effet de l’accueil sur le
portage et l’amorce d’une alliance thérapeutique. Et, dit plus simplement, que la
dimension “humaine” est la base de notre
action thérapeutique professionnelle. Les
interventions de l’assistante sociale en
témoignent également.
Et enfin, Axel nous apprend que pour
bien “porter les familles” (et “piloter”, et
“mettre du sens”), le portage de chaque
intervenant par l’équipe, est une force
bien utile.
BIBLIOGRAPHIE
1. DELION P., Thérapeutiques institutionnelles, EMC-Psychiatrie, 37-930-G10, 2001
2. MEYNCKENS M., KINOO Ph. et VANDER BORGHT C., Eduquer et soigner en
équipe. Manuel de pratiques institutionnelles,
Coll. Carrefour des psychothérapies, Editions
De Boeck, 2011
3. KINOO Ph., (sous la direction de), Psychothérapie institutionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP, Empan, Ed. Erès, 2012
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
49
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Pilotage
« Fonction sémaphorique »
Guidance
Repères
Identification
Portage
« Fonction phorique »
Accueil
Soutien
Figure 1 : Les trois champs du travail avec les familles
50
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
HISTOIRE DE FAMILLE OU LE LIEN
FAMILIAL REVISITÉ DE FAÇON LUDIQUE…
Centre psychothérapeutique de jour « Le Canevas »
(Asbl Sanatia)
55 rue du collège
1050 BRUXELLES
BELGIQUE
[email protected]
Dr Eugène BAJYANA SONGA, Ameline DE SCHRYVER,
Gwendolyn HUSTINX
Outre la (ré) acquisition d’habiletés fonctionnelles et sociales, la réhabilitation psychosociale est
aussi un temps opportun pour analyser au sens large ce qui fait lien social pour le sujet que nous
rencontrons. En effet, nous ne sommes pas censés ignorer que la souffrance que nous entendons n’est
pas le seul fait d’événements critiques. Le plus souvent, ces événements viennent toucher leurs protagonistes dans des pans de leur constitution psychique aussi sensibles qu’ignorés. Il nous semble donc
indispensable de penser le lien social tel qu’il s’est inscrit dans le développement psychique du sujet,
avec ses clartés et ses zones d’ombre. En ce sens, le questionnement sur l’histoire familiale prend tout
son sens.
Le jeu « Histoire de famille », créé il y a quelques années au centre de jour ‘Le Canevas’, se penche
sur ce dernier axe de manière originale et ludique. Nous nous proposons ici de vous décrire cette
activité née de l’expérience clinique et de notre cheminement institutionnel. Nous soulignerons aussi
quelques aspects fondamentaux de ce qui, selon nous, rend cette activité opérante dans la réflexion
que nous souhaitons humblement susciter. Nous discuterons enfin des limites éprouvées dans notre
façon d’aborder ce sujet.
Mots-clefs : lien, social, histoire, famille, jeu, constitution psychique, sens
“Family background” or the family bond seen from an entertaining point of view...
In addition to the (re-)acquisition of functional and social skills, the psychosocial rehabilitation is
also an appropriate time to conduct a broad analysis of what makes the social bond for the subject we
meet. Indeed, we know that the pain we hear doesn’t only come from critical events. Most frequently,
those events affect their subjects in various parts of their psychic makeup that are sensitive and unknown. Therefore we think it’s essential to consider the social bond as a part of the subject’s psychic
development, with its bright and dark sides. In that sense, questioning the family background takes on
its full meaning.
The game ‘Family background’, which was created a few years ago at the ‘Le Canevas’ day centre,
focuses on this latter aspect in an original and entertaining way. This activity, which was born from
the clinical experience and our institutional progression, will be described to you here. We will highlight some fundamental aspects of what we think makes this activity effective in the reflection that we
humbly wish to foster. Finally, we will discuss the limits we encountered in the way we approached
this issue.
Keywords: social, bond, family, background, game, psychic makeup, meaning
INTRODUCTION
Notre centre de jour s’offre à toute personne exprimant une souffrance psychique en lien avec une problématique
d’inscription sociale. Cette indication
reste aussi large que possible mais touche
le plus souvent des personnes situées
dans le champ nosographique de la psychose, que celle-ci soit décompensée ou
non, qu’elle renvoie à des symptômes
patents ou non.
Notre mandat de soin est celui de la réhabilitation psychosociale. Celui-ci évoque
la (ré) acquisition d’habilités de base favorisant le rétablissement d’une vie sociale satisfaisante. Nos références
théoriques (psychanalyse et psychothérapie institutionnelle), nous incitent aussi à
questionner les racines de ce défaut
d’inscription sociale. Le temps du séjour
au centre permet ainsi d’interroger les
sens et non-sens de ce qui fait “lien social” pour l’usager.
Cette réflexion est alimentée par la vie
communautaire elle-même. Nous insistons sur le “vivre ensemble”, où se rejouent des fragments du lien tels qu’ils
sont mobilisés chez chacun. Ces formes
de transfert sont variées, positives, négatives, et suscitent des réactions contretransférentielles que nous tentons de repérer, d’analyser, et de retravailler avec les
usagers, sous des formes diverses. Plutôt
que de simplement “recoller” le lien social brisé par un vécu de crise, nous tentons de remobiliser les trames psychiques
de ce lien, souvent rigidifiées.
Bien des obstacles s’opposent à cette volonté de soin. Ils vont de l’incapacité à
sortir de la crise, pour s’orienter vers une
analyse plus profonde du lien. Ils passent
par les “ratages” du
processus
d’historicisation. Ils renvoient parfois aux
risques de réactualisation du symptôme,
voire de décompensation induite par le
seul processus du récit.
Pour être complet, ces résistances vont de
pair avec celles de l’institution. Il nous
arrive aussi de participer aux répétitions
mortifères qui se rejouent dans la vie
communautaire sans forcément y amener
le recul nécessaire, avant d’en souffrir…et de se demander ce qui s’y reproduit.
Au fil de notre développement, il nous
apparut donc nécessaire d’innover dans
les voies permettant de se questionner sur
le vécu social. L’abord familial en constitue un de ses accès et le jeu « Histoire de
famille » est né de ce mouvement.
HISTORIQUE
Initialement, nous intervenions plus in
vivo auprès des familles des usagers. Des
entretiens familiaux et des interventions à
domicile étaient proposés de façon routinière, sous l’impulsion de thérapeutes
systémiciens. Cette activité fut progressivement abandonnée. Elle décentralisait
largement nos soins qui ne portaient plus
assez sur le patient lui-même ; elle posait
en outre des questions de disponibilité.
La famille a dès lors été pensée autrement, comme un partenaire extérieur au
soin qui puisse être interpellé ponctuellement mais plus de manière systématique.
Parallèlement, le cadre d’activités du
centre de jour a ouvert un espace pour
“penser” la famille, l’idée était de permettre au patient de l’évoquer, de la décrire et même de l’analyser hors du
contact réel. Ainsi s’amorçait la notion du
« ni tout à fait dehors, ni tout à fait dedans », plus adapté à nos moyens et nos
références.
Cet espace se matérialisa d’abord sous
forme d’un groupe d’expression avec
constitution d’un génogramme, déjà appelé « Histoire de famille ». Les séances
étaient libres, ponctuelles et partaient
d’un thème décidé en début de séance. Au
fil du temps, certains intervenants ont
souhaité y amener une touche originale. Il
apparaissait en effet que les groupes de
parole, plutôt que de mobiliser la pensée
des participants, les ramenaient un peu
trop aux seuls aspects douloureux de leur
vécu familial.
C’est ainsi que naquit la dernière mouture
de cette activité, devenue le jeu « Histoire
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
51
Le travail avec les familles en hôpital de jour
de famille ». Celui-ci diffère des essais
précédents par le fait qu’il se déroule avec
un groupe restreint, sur plusieurs séances
offrant un temps prolongé, et surtout sur
un mode ludique. Nous pourrions dire que
ces choix visaient plusieurs objectifs,
notamment :
- analyser, au travers de questions de
complexité croissante et d’un génogramme, des recoins de l’histoire familiale,
- permettre au participant d’y repérer certains points d’achoppement entre le vécu
subjectif et l’histoire familiale où elle
s’inscrit (par exemple des répétitions
transgénérationnelles, des non-dits insoupçonnés,…), et de se la réapproprier,
- favoriser l’expression de chaque participant et le déploiement de sa pensée par
étalement des séances,
- la création d’une dynamique ludique
permettant un peu plus de recul sur des
sujets sensibles, dans un cadre sécurisant
et respectueux,
- l’opportunité de se laisser traverser par
les questions et réponses adressées à/par
les autres participants, laissant émerger
parfois un autre entendement et une autre
mobilisation des représentations familiales de départ.
PRÉSENTATION DU JEU
Le jeu « Histoire de famille » se présente
sous la forme d’un plateau de jeu, style
« Trivial pursuit ». Ainsi la case centrale,
appelée “naissance”, correspond à la case
départ. De là partent sept branches de six
cases. Chaque branche correspond à un
type de relation. Et sur chaque case, le
joueur est amené à répondre à une question piochée au hasard dans la série correspondante par les animateurs du jeu.
Sur chaque branche se trouve deux cases
spéciales. La première est symbolisée par
une “spirale” et la deuxième par un “?”.
Lorsqu’un joueur tombe sur la case “spirale”, il choisit un autre joueur à qui il
demande de lui poser une question.
Quand un joueur est sur la case “?” la
question qui lui est posée l’est également
pour tous les autres participants.
Nous proposons un module de cinq
séances de 1h30 à 2h. Chaque groupe est
constitué de cinq participants. Le groupe
se compose en fonction des demandes des
usagers ou des propositions de l’équipe.
Nous veillons à ce qu’il y ait un équilibre
hommes-femmes, au niveau des âges, des
compétences d’élaboration et des affinités. Nous nous posons également la question de l’adéquation pour chaque
personne de participer à ce jeu. En effet
cela demande un investissement important tant dans leur engagement personnel
que vis-à-vis du groupe.
52
Avant de commencer le jeu à proprement
parler, nous invitons chaque joueur à réaliser le noyau de base de son génogramme, qu’on complètera au fur et à
mesure de ses réponses. De même nous
leur proposons de commencer une feuille
de route où ils peuvent inscrire leurs
craintes, leurs attentes par rapport à ce
groupe. Ils sont libres de revenir sur cette
feuille quand ils le souhaitent.
Le groupe est animé par deux ou trois
personnes, quels que soient leur profession. Une personne est dans l’interaction
des questions et des réponses. La deuxième prend des notes afin d’avoir une
trace, de faire mémoire de ce qui se dit.
La dernière complète le génogramme de
chacun au fur et à mesure des réponses
données.
Voici le déroulement d’une séance. Nous
proposons un tour de parole en début et
en fin de séance. Ensuite, le jeu peut
commencer : chacun à son tour lance le
dé, choisit la branche du thème relationnel sur lequel il a envie de se diriger et se
retrouve sur la case indiquée. Un des
animateurs pioche au hasard une question
correspondant au thème. Le joueur est
alors libre d’y répondre comme il le souhaite, jusqu’où il le souhaite. Un joker est
présent, et peut être utilisé à tout moment.
La dernière séance a quant à elle une
trame un peu différente. En effet, l’idée
est de retracer le chemin parcouru par
chacun, de clôturer ensemble, ce groupe
qui nous aura réunis plusieurs semaines.
Ainsi, nous proposons un dernier tour de
question. Ensuite nous leur demandons de
se choisir la question qu’ils auraient aimée recevoir mais qui ne s’est pas présenté. Enfin, il y a un temps où chacun a la
possibilité de compléter son propre génogramme, mais aussi de lui donner un titre,
un nom, quelques mots, une citation pour
représenter le travail parcouru par chacun.
Nous proposons à chaque participant de
faire le tour des autres génogrammes et de
leur donner également un titre. Ce geste
fait souvent l’effet d’un cadeau. Nous les
réinvitons une dernière fois à prendre un
temps pour eux, de se recentrer sur leur
vécu, leur évolution, via leur feuille de
route. Pour terminer un dernier tour de
parole est proposé, où chacun est libre de
partager avec l’ensemble du groupe ce
qu’il désire.
VIGNETTE CLINIQUE
Jean a une trentaine d’années. Dans les
premiers temps de son séjour, il ne situe
sa problématique qu’à travers le spectre
professionnel. Jean a travaillé dans plusieurs organismes financiers, en tant
qu’analyste. Au début de sa carrière, il a
changé trois fois d’employeur parce qu’il
n’était pas satisfait des performances de
ses collaborateurs. Dans son dernier emploi, il se voit charger par le directeur…
de surveiller les activités de son supérieur
direct, ce qu’il fera quelques temps avant
de sombrer progressivement dans la dépression, nous dit-il. Il parle d’états de
profonde tristesse, d’envies suicidaires, de
burnout. Il nomme aussi le réveil d’un
deuil, celui de son père, décédé en 2000.
Jean quitte son boulot, mais ne se relance
plus. Il reste chez lui, à ne rien faire, fumant du cannabis. Il finit par entamer une
thérapie, avant de s’adresser à nous. Sa
demande initiale est de sortir de ce marasme dans lequel il a plongé et ne se reconnaît pas.
Durant son séjour, Jean occupe d’emblée
une position de savoir dans la communauté. Il a un avis sur beaucoup de choses,
reprend les gens, amène ses suggestions,
“donne un peu la leçon”. Jean semble
effacer l’asymétrie soignant-soigné à tel
point qu’il sera plusieurs fois confondu
avec les membres d’équipe. A l’inverse, il
ne parvient pas à rentrer dans le cadre des
activités, par manque de créativité, ratages successifs (retards conséquents,
absence). Nous constatons qu’il alterne
des moments de présence éclatante et
d’absence douloureuse. Mais dès son retour, il ne nous laisse pas approcher ce
dernier point et repart sur le mythe de
l’autogestion, ce qui nous coupe l’herbe
sous le pied.
C’est dans ce contexte mitigé que le jeu
« Histoire de famille » lui fut proposé, ce
qu’il accepta. Partant d’une position initiale encore fort contenue, il y décrivit sa
situation familiale. Jean est le cadet d’une
fratrie de quatre enfants, à laquelle il rajoute… son père. Il décrit celui-ci froidement, comme un assisté, obèse, immature.
Toute la famille est passée au spectre du
couple fort-fragile. D’un côté, sa mère, sa
sœur aînée et lui, qui gèrent le ménage.
De l’autre, son frère aîné, sa sœur et son
père, fragiles et assistés. Jean, pour sa
part, s’occupait du budget familial à la
demande de sa mère. Son père décède
alors qu’il n’a que seize ans. Cet événement est vécu comme soulageant, dit-il,
tant il était ressenti comme un poids.
Au fur et à mesure du jeu, Jean quitte
cette description opératoire de son positionnement familial, pour se questionner
sur celui-ci. Des questions sur des souvenirs d’enfance le font replonger dans un
rôle de “chef faisant fonction”, et ce aussi
en dehors de la cellule familiale. Il se
demande si telle était bien sa place de se
substituer aux figures d’autorité, que ce
soit à la demande de sa mère ou de ses
enseignants. Jean apparaît plus proche de
ses émotions quand il y perçoit les racines
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Histoire de famille ou le lien familial revisité de façon ludique…
de son sentiment de “décalage”. Peut-être
n’a-t-il pas choisi cette place d’où il critique ses pairs, comme s’il était au-dessus
d’eux ? Peut-être en souffre-t-il ?
Pour notre part, nous entendons autrement
le fonctionnement institutionnel de Jean.
Nous y repérons une forme de répétition
qui trouve ses origines probables dans des
schémas méconnus de l’histoire familiale.
Il en est question dans son rapport à
l’autorité déchue de son père, et au fait de
le supplanter quelque peu à son adolescence. Le décès du père peut y être entendu
comme
l’aboutissement
d’un
“parricide” déjà agi dans les responsabilités familiales de Jean. Au fil du jeu, Jean
y associera bien d’autres expériences similaires de “calife à la place du calife”.
Ces souvenirs ainsi ordonnés laissent apparaître des affects agressifs latents, que
nous éprouvions bien malgré nous dans
nos positions institutionnelles. Jean
évoque aussi ouvertement la culpabilité.
Comment ne pas saisir autrement le déclenchement de son burnout dans la mission qu’il eut de surveiller son supérieur ?
Toutefois, nous ne profiterons pas de
l’espace du jeu pour abattre toutes ses
interprétations auprès de notre interlocuteur. Nous respectons les amorces de parallélismes que Jean nous a laissé voir,
estimant que le jeu reste le jeu. Ultérieurement, un temps de réflexion en équipe
reprend l’essentiel de ces constatations.
Dans le cas de Jean, cela permit un nouveau départ dans les entretiens de référence et dans la vie institutionnelle.
DISCUSSION
Le jeu « Histoire de famille » résulte
d’une trajectoire à la fois originale, mais
aussi très familière au domaine des psychothérapies. En effet, c’est l’expérience
clinique et les questions qu’elle suscite
qui ont poussé notre équipe sur la voie de
la création de cet atelier original. Reprenons ici quelques constats et quelques
repères théoriques qui permettent de
mieux comprendre ce processus.
En introduction, nous soulignions le primum movens de notre activité, à savoir la
réhabilitation psychosociale. Envisager
une réinscription de nos usagers dans la
vie courante implique deux niveaux de
soins. Il consiste à la fois dans une stabilisation de la problématique psychique intégrée, à la (re-)création d’assises sociales
le plus souvent rompues. Concernant le
premier degré énoncé, notre centre se
situe en aval du soin aigu, le plus souvent
alloué à l’espace hospitalier. Le deuxième
degré revient plus particulièrement aux
structures dites intermédiaires, dont nous
faisons partie.
Nous nous appuyons pour ce faire sur
différents concepts émanant de la psychanalyse et des thérapies institutionnelles.
Nous nous basons notamment sur la définition spécifique que Jean Oury (1) donne
au lien dans la psychose : « Un principe
essentiel, sur lequel s’appuie notre
praxis, est l’abord multidimensionnel de
la psychose.(...) L’éclatement, la “dissociation” des psychoses schizophréniques
implique une multiréférence en corrélation avec de multi- investissements partiels.(...)
le
respect
d’une
multiréférentialité
exige
une
hétérogénéité des personnes responsables
des “soins”, ainsi qu’une grande diversité́ des “lieux d’existence” ».
Autrement dit, il convient de développer
des voies originales et multiples permettant à nos usagers d’exprimer leur souffrance, ici dans le champ du lien social.
Outre la vie communautaire, nous tentons
donc de développer des ateliers
d’expression divers, verbaux, corporels,
créatifs, sur des thématiques approchant
de près ou de loin le sujet qui nous concerne. « Histoire de famille » en est un
exemple. En quoi ce sujet peut-il nous
aider ?
Se penser à travers la famille...
Dans son récit, la personne en souffrance
décrit souvent les éléments qui ont conduit à la crise, la rupture. Il convient pourtant de repérer, en filigrane de ce
discours, son fonctionnement psychique
et en quoi celui-ci a pu être mis à mal
dans l’événement déclencheur. Panser le
lien social équivaut pour nous tant à le
soigner qu’à en appréhender les racines.
Le jeu « Histoire de famille » nous permet
d’en remonter le fil. Il met l’accent de
manière indirecte sur une forme de préhistoire du lien social pour lui, dans ce
qu’il connaît des interactions familiales et
dans la manière dont il les commente. Il
aborde également les singularités qui lient
sa famille à un cadre social plus large.
Cette voie détournée de réflexion permet
aussi de relancer des associations parfois
grippées dans le travail thérapeutique.
Concernant Jean, nous partions initialement d’une énigme : comment comprendre son mal-être à destituer l’autorité
professionnelle, lui qui semblait s’amuser
à répéter le même schéma parmi nous ?
Fr. Davoine et J-M. Gaudillère nous enseignent que le complexe de répétition
peut être le livre ouvert d’une « catastrophe (qui) a en fait déjà eu lieu, mais
n’a pas pu s’inscrire dans le passé
comme passé, car le sujet de la parole,
sur ce point, n’était pas là. » (2) Cette
réflexion fait écho aux propos de Jean sur
le décès de son père. A son admission, il
disait n’en avoir ressenti le deuil que suite
à sa position professionnelle singulière.
Comme si la répétition latente d’un schéma familial à son insu avait réveillé
après-coup les affects passés sous silence
lors du décès. Jean prenait alors conscience d’un trait animant nombre de ses
interactions sociales au sens large. Cellesci renvoyaient à la manière dont il avait
été investi par la mère, au détriment du
père bien avant son décès. Elles laissaient
apparaître des affects négatifs vis-à-vis de
ce dernier, ainsi qu’une culpabilité restée
silencieuse jusqu’il y a peu.
« Un représentant de la lignée, à son
corps défendant, et au prix souvent de la
perte de sa place dans la société, se
trouve chargé de cette quête de la vérité :
il est en quête, il est enquête, très exactement. » (3)
La notion de jeu
Après vous avoir décrit les enjeux de
créer des espaces de soin faisant appel à
des thématiques diverses, nous aimerions
terminer ce commentaire sur l’importance
du jeu dans la dynamique de l’atelier
« Histoire de famille ».
Florence Calicis, thérapeute et formatrice
en thérapie systémique, évoque ce vecteur
souvent sous-estimé dans la recherche
d’un effet thérapeutique. Parlant des jeux
systémiques, elle évoque sa « surprise de
l’impact de ces actes en séance. Dans ces
moments d’activité et de créativités souvent fortes chargées en émotion, une
autre ambiance se dégageait. » (4)
Certains psychanalystes, comme René
Roussillon, en ont également souligné
l’importance, ici comme alternative au
modèle du rêve en cure-type, voie exploratoire classique de la psyché : « la suspension de la motricité et de la perception
peut échouer à promouvoir les fonctions
symboligènes sur le modèle du rêve et
même provoquer des accès de destructivité dé-symbolisant, (...) » (5). Nous pourrions dire qu’il en va de même de nos
tentatives d’interprétation auprès de certains de nos usagers, concernant ce qu’il
laisse à voir et qui pourtant ne leur parle
pas, semble leur faire violence.
Dès lors un autre abord doit être pensé. R.
Roussillon insiste tout de même sur certaines modalités nécessaires à ce déplacement : « l’idée d’un jeu comme modèle
du travail psychique, implique plutôt la
conception d’un travail de reprise et de
transformation par et dans le jeu ; elle
implique l’idée que, à travers le jeu manifeste, se masque et se révèle tout à la fois
un autre jeu, un autre enjeu, que se
trame, comme dans le rêve et selon le
terme de Freud une “autre scène” ».
Que retenir de ces deux références dans
notre pratique ? D’une part, la création
d’une ambiance propice à autre chose. Le
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
53
Le travail avec les familles en hôpital de jour
temps imparti, étalé sur plusieurs séances,
le nombre restreint et l’intimité qu’il
offre, les modalités ludiques offrent aux
participants des conditions susceptibles de
les mettre à l’aise pour penser à eux autrement que dans les conditions classiques
de thérapie. De l’autre, nous notons tous
les jeux de miroir offerts par l’atelier
« Histoire de famille ». Plusieurs dialectiques s’ouvrent dans son fonctionnement,
du génogramme initial à sa relecture en
fin de module, des réponses du participant
aux interpellations de ses pairs, des parallèles réalisés au départ de son expérience
propre ou de celle des autres, etc...
En ce qui nous concerne, et contrairement
à R. Roussillon, le devenir de ce qui est
dit et produit dans le jeu ne fait pas pour
autant l’objet d’une interprétation systématique. L’idée reste de susciter une mobilisation des représentations psychiques
54
de ce qui fait lien pour le sujet, pas d’en
forcer une mise en sens. C’est un choix
discutable. Mais celui-ci garantit aussi
une aire de l’intime pour le participant.
Un résumé succinct peut toutefois être
présenté en équipe, reprenant les lignes
majeures de l’atelier et la reprise de certains éléments reste possible tant pour les
participants que pour leurs référents.
CONCLUSION
Au fur et à mesure de cet article, nous
avons voulu vous témoigner d’une manière d’aborder le lien social d’un sujet
donné dans ses racines familiales. Nous
avons décrit en quoi notre cadre de travail
et ses limites nous ont amené à mobiliser
les représentations s’y référant, plutôt que
de convoquer la cellule familiale de nos
usagers.
Le jeu « Histoire de famille » découle de
ces constats, ainsi que d’une culture de
l’originalité dans les modalités de soin
que nous proposons. Nous espérons que
la vignette clinique, ainsi que les repères
théoriques commentés, vous permettront
d’en apprécier les enjeux.
BIBLIOGRAPHIE
1. OURY J., Psychanalyse, psychiatrie et psychothérapie institutionnelles, Vie sociale et
traitements, VST, 2007, Vol. 3, n° 95, pp.
110-125
2. DAVOINE Fr., GAUDILLERE J.-M.,
Histoire et trauma, la folie des guerres, Stock,
Paris, 2006, pp.78 et 79
3. CALICIS Fl., Intérêt de l’utilisation des
objets flottants dans l’approche des pans les
plus douloureux de l’histoire des patients et
de leur famille, Thérapie familiale, 2006/4,
Vol. 27, pp. 339-359
4. ROUSSILLON R., Le jeu et le potentiel,
Revue française de psychanalyse, 2004/1,
Vol. 68, pp. 79-94
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
75 ANS D’INTERNAT THÉRAPEUTIQUE
À LAUSANNE : CONTRE VENTS ET MARÉES ?
SUPEA
5 avenue de la Chablière
1004 LAUSANNE
SUISSE
[email protected]
Hélène CHAPPUIS, Alix VANN-NICOLLIER, Christophe SUARNET,
Laurence BOURIEZ, Laurent PORTENSEIGNE
Créé il y a 75 ans, l’internat du Centre Psychothérapeutique de Lausanne offre une prise en charge à
des enfants souffrant de troubles envahissants du développement. Au travers de l’évolution de la
pédopsychiatrie et des différents mouvements institutionnels, cette prise en charge en internat a pris
un sens différent sans pour autant disparaître. Les indications ont évolué et les enfants fréquentent en
parallèle un centre de jour. Ils passent un minimum de 3 nuits par semaine dans le cadre familial et le
travail avec les familles s’est intensifié.
L’internat permet de travailler autour de la séparation et parfois de dégager l’enfant d’aspects symbiotiques sous tendus par des identifications projectives contraignantes. Ce type de prise en charge
induit par ailleurs inévitablement des mouvements de rivalité entre professionnels et famille. Comment permettre aux enfants d’expérimenter et de s’appuyer dans le quotidien sur des relations structurantes sans se mettre en rivalité avec les parents? Comment élaborer ces rivalités pour que l’enfant
puisse bénéficier de la thérapie institutionnelle proposée ? Nous nous proposons d’aborder ces questions en les illustrant par une vignette clinique.
Mots-clefs : Internat, famille, rivalité professionnels-famille, séparation
75 years of special needs’boarding school in Lausanne: come hell or high water?
Created 75 years ago, the psychotherapeutic center of Lausanne offers a residential treatment for
children with pervasive developmental disorders. Throughout the evolution of children psychiatry and
institutional changes, our residential treatment changed as well but did not disappear. The indications for treatment have been in constant evolution and the children benefit from daycare as well.
Beside the residential treatment, they are spending a minimum of three nights per week at home and
the partnership with parents is more intensive.
The residential centre allows to elaborate the problematic of separation and sometimes to release the
child from contraining projections as well. This type of treatement frequently leads to rivalry between
professionals and families. How can we allow children to experiment and build on structuring relationships without the parents feeling to much rivalry with professionnals? How can we work these
rivalries out so that the child can benefit from the special needs’boarding school? We will focus on
these questions and illustrate our thinking with a clinical situation.
Key words: special needs’boarding school, family, professionals-family rivalry, separation
INTRODUCTION
« Le modèle dans tous ses états »…
Dans cet article, nous allons nous pencher
sur trois conceptions différentes du mot
“modèle”, telles qu’elles s’envisagent au
Centre Thérapeutique de Jour pour Adolescents (CTJA), à Lausanne.
La référence à la notion de “modèle théorique” en tant que cadre de référence conceptuel ponctuera le texte dans son
ensemble. En effet, divers courants de
pensée coexistent dans un élan de complémentarité au sein de l’hôpital de jour
qui se veut éclectique. La systémique, la
psychodynamique et les thérapies cognitivo-comportementales dialoguent en
permanence au CTJA et viennent enrichir
l’offre de soins dans un but constructif
visant au rétablissement des patients.
Cette “plurimodalité” va-t-elle de soi ?
Quels sont les ingrédients nécessaires au
maintien de l’équilibre, à la santé de
l’équipe et donc aux patients ?
L’accent est également porté sur le programme rythmé du CTJA, les ateliers, les
groupes thérapeutiques afin de mettre en
évidence à quel point ceux-ci font fonction de point de repère essentiel, de modèle “éducatif” pour une population telle
que celle accueillie au CTJA. La classe,
l’ergothérapie, le dessin, la musique, les
habiletés sociales et bien d’autres activités encore sont autant de modèles différents que nos adolescents s’efforcent de
suivre, d’intégrer, puis de s’approprier
durant leur séjour au CTJA et au-delà.
Enfin, le “modèle artistique” constitue le
3ème volet abordé dans ces lignes. Par le
biais de productions que les adolescents
ont réalisées en suivant le modèle de
l’artiste, différentes vignettes cliniques
sont présentées, mettant en relief toute la
complexité et l’interdisciplinarité du soin
offert au CTJA.
Le Centre thérapeutique de Jour pour
Adolescents à Lausanne est à la fois un
hôpital de jour rattaché au SUPEA (Service Universitaire de psychiatrie de
l’enfant et de l’adolescent) et une école
spécialisée reconnue par le SESAF (Service de l’enseignement spécialisé et de
l’appui à la formation) accueillant 18 adolescents, du lundi au vendredi, en journée.
Mais à quoi peut bien ressembler ce lieu
de soin ? Et si l’on considère l’analogie
du jardin, de quel type de jardin s’agit-il ?
Jardin français ? Jardin anglais ? Jardin
japonais ? Pour le découvrir, une brève
présentation des lieux s’impose. Le CTJA
peut s’apparenter à un vaste jardin de 500
m2 de locaux situés dans les hauts de Lausanne, sur deux niveaux, avec 5 pièces
principales au rez-de-chaussée, dans lesquelles se déroulent les activités quotidiennes d’environ 18 adolescents de 13 à
18 ans en provenance de tout le Canton de
Vaud.
Un jardin dans lequel d’habiles jardiniers,
tous d’orientations diverses, mettent leurs
compétences au service de projets thérapeutiques pour des adolescents en difficulté psychique, tant cognitive, affective,
que relationnelle.
Voici le contexte architectural de ce jardin :
- Un bureau de réception où un travail
important de secrétariat se fait, ainsi
qu’un accueil des familles et du réseau.
Des travaux réalisés en atelier d’ergothérapie y sont exposés, démarche valorisant les compétences des jeunes.
- Un atelier, lieu où se déroulent des
séances d’ergothérapie en groupe, ainsi
que les activités créatrices comme le dessin.
- Une infirmerie est à la disposition des
jeunes. Ce lieu leur permet de s’isoler le
temps d’un moment si le contexte du
groupe leur est trop pénible ou pour tout
soin technique et/ou psychiatrique. C’est
avant tout un lieu d’écoute, où le jeune
peut bénéficier d’une attention toute particulière en individuel avec un soignant.
Les traitements y sont administrés principalement par les infirmiers et les plaies
y sont pansées, qu’elles soient visibles ou
non.
-Une salle de classe, contenant 9 bureaux
et qui accueille les jeunes sur 50% de
leur temps de présence au CTJA.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
55
Le travail avec les familles en hôpital de jour
En plus de ce jardin “couvert”, les jeunes
bénéficient également d’une terrasse où
sont organisées régulièrement des activités de jardinage axant le travail sur la
dimension communautaire, le soin à cet
environnement partagé. Cette terrasse est
le lieu où les jeunes se retrouvent durant
les pauses, pour échanger et mettre en
pratique les compétences relationnelles
qu’ils acquièrent au CTJA. Cette vie
communautaire est souvent mouvementée
et les jeunes se trouvent parfois confrontés aux mêmes difficultés que celles rencontrées à l’école ou dans leur environnement personnel. Par le biais de
l’intégralité de la prise en charge offerte à
ces jeunes au CTJA et de l’encadrement
qui leur est offert, ils parviennent progressivement à resocialiser.
Au CTJA, les jeunes sont répartis en deux
groupes, ceux encore en âge de scolarité
obligatoire de 13 à 15 ans et demi, puis
ceux de 15 à 18 ans, s’orientant vers un
projet professionnel. Y sont accueillies
des pathologies aussi diverses qu’encore
peu définies pour certaines : première
décompensation ou parcours psychiatrique déjà chargé, psychoses, troubles
envahissants du développement, troubles
de l’humeur, troubles anxieux ou encore
troubles du comportement. D’origines
socio-culturelles variées, tous niveaux
cognitifs confondus, au-delà de l’hétérogénéité des âges, la diversité clinique des
situations rencontrées au CTJA nécessite
un continuel questionnement et un perpétuel ajustement, doublés d’une importante
souplesse de la part de l’équipe pluridisciplinaire. Les objectifs de prise en charge
sont ainsi nécessairement individualisés
pour chacun des jeunes, en fonction des
difficultés présentées, mais également des
ressources mobilisables et des progrès
observés. Les durées de séjour sont par
conséquent elles aussi extrêmement variables et largement liées à la sévérité des
éléments cités plus haut (de 4 mois à plus
de 2 ans).
Malgré l’importante variabilité sémiologique, la souffrance lie ces adolescents.
Chacun souffre dans son registre, chacun
est en panne dans son développement et
cherche les moyens de relancer un processus favorable. C’est à cela que veille
l’équipe de jardiniers du CTJA. Elle est
composée de :
- un médecin adjoint, psychiatre responsable de l’unité, au bénéfice d’une formation initiale en psychodynamique puis
en thérapie cognitivo-comportementale,
- un médecin chef de clinique, psychiatre
psychodynamicien, qui a récemment repris le flambeau d’une systémicienne,
- une médecin assistante en formation.
56
- une psychologue associée formée aux
thérapies cognitivo-comportementales et
en neuropsychologie,
- une psychologue assistante en formation cognitivo-comportementale,
- deux éducateurs sociaux, le premier
ayant une formation de spécialiste en
TCC, le second en systémique,
- une ergothérapeute ayant une formation
d’intervenante en toxicomanies,
- deux infirmiers, l’un en cours de formation de Thérapie Cognitive et Comportementale
(TCC),
la
seconde,
responsable de l’équipe soignante, au
bénéfice d’une formation de management,
- une assistante sociale coordonnant les
démarches extérieures et le travail avec
le réseau,
- trois enseignants spécialisés assurant un
enseignement individualisé, des bilans
scolaires et le lien avec les écoles,
- des stagiaires des différentes professions.
- deux secrétaires.
Un trio constitué d’un thérapeute, un enseignant et un soignant coordonne un
programme thérapeutique individualisé
pour chaque patient et assure le travail
avec les familles. Ce programme n’est pas
soumis à un modèle théorique particulier
mais conjointement construit en réunion
d’équipe, à partir des références de chacun.
Si les approches psychodynamique et
cognitivo-comportementale sont les courants essentiellement représentés au
CTJA, il va sans dire que la réflexion
systémique s’intègre aux différentes
prises en charge. Dans la mesure où il
s’agit de prise en charge de mineurs, le
patient n’arrive jamais seul au CTJA,
l’équipe compose logiquement avec la
famille et le réseau sur un mode systémique.
Bien que ces différents modèles soient
chacun précieux et utiles à différents niveaux et pour divers aspects, il n’en demeure pas moins que l’essentiel de
l’énergie de l’équipe est investie dans la
thérapie institutionnelle intégrée qui occupe le devant de la scène. Dans une telle
optique, les différents modèles constituent
des espaces de réflexion distincts mais
toujours complémentaires et sans domination hiérarchique de l’un sur l’autre. Et
dans la mesure où l’équipe dialogue en
permanence et partage buts et objectifs, il
ne s’agit pas non plus d’une simple juxtaposition mais de l’intégration de différents modèles horizontaux plutôt que
verticaux, exempts de rivalité.
Toutes ces compétences sont mises au
service du jeune patient dont l’intérêt est
toujours placé au centre des préoccupations, de la réflexion multidisciplinaire.
Le projet thérapeutique qui en découle est
un programme individualisé, “sur mesure”, tenant compte aussi bien des difficultés, limites, que des ressources du
patient. Un soutien spécifique pourra ainsi
être déployé à partir d’une “boîte à outils”
particulièrement fournie.
La thérapie institutionnelle est impossible
sans la conviction qu’un ensemble de
fonctions et de rôles différents sont indispensables, à parts égales, pour construire
un projet thérapeutique commun : le travail “psy”, le travail : “famille”, le travail
éducatif, le travail scolaire, les multiples
apprentissages, l’expression, émotionnelle
ou artistique… tout a sa place dans le
dispositif et permet le succès du projet.
Les compétences psychanalytiques, systémiques, éducatives, corporelles, cognitivo-comportementales, pédagogiques…
sont toutes essentielles et constituent chacune une partie d’un tout qu’aucune
d’elle, prise isolément, ne suffit à maîtriser en entier. Mais la somme de ces multiples fonctions suffit-elle à constituer un
ensemble cohérent et efficace? Trois citations de Philippe Kinoo [10] en guise de
réponse à cette interrogation : « Il ne suffit
pas, dans une institution, d’avoir le meilleur thérapeute familial, le meilleur psychanalyste, … et éducateurs, etc. Il faut
aussi pouvoir travailler ensemble. Et pas
seulement dans le respect des différences,
mais aussi dans une réelle intégration des
apports différents de chacun… C’est plus
essentiellement la capacité de collaboration,
d’écoute
réciproque,
d’enrichissement mutuel dans la perception de l’enfant et dans le travail avec lui
qui est nécessaire à ce niveau, bien plus
que la compétence individuelle de chacun
dans sa fonction ». Et enfin : « Une
équipe qui travaille vraiment bien ensemble, ce n’est pas une équipe où chacun travaille bien l’un après l’autre, mais
où chacun travaille bien et réellement
avec l’autre ».
Mais comment réguler et assurer à une
équipe d’une vingtaine de personnes,
d’horizons aussi multiples que variés, de
pouvoir travailler avec l’autre et non pas
simplement à côté, avant ou après
l’autre ? Quels sont les garants d’un précieux équilibre ?
- Les temps institutionnels d’équipe tels
que les transmissions quotidiennes, le
colloque général hebdomadaire sont des
temps bloqués, formalisés, incompressibles, des espaces d’échanges entre les
différentes fonctions professionnelles
dans lesquels la parole de chacun compte
et est entendue, indépendamment de
toute position hiérarchique au sein de
l’équipe. Un temps d’intervision clôt la
semaine et permet à chacun d’évacuer la
charge émotionnelle accumulée. D’autres
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
75 ans d’internat thérapeutique à Lausanne : contre vents et marées ?
espaces, davantage informels ou improvisés tels que les discussions de couloirs,
les pauses café ou débriefing post entretiens sont autant de moments privilégiés
propices au maintien de l’équilibre émotionnel de chacun.
- La présence conjointe des trois référents (thérapeute/soignant/enseignant) de
la situation clinique en entretien permet
de multiplier les observations, de relayer
certaines informations afin de rendre
compte, aussi fidèlement et objectivement que possible, de la situation actuelle du jeune patient.
- La co-animation d’un maximum
d’ateliers permet de partager, entre professionnels d’horizons différents, un savoir-faire, une compréhension du champ
d’action de son collègue et privilégie
l’échange. Inviter l’autre dans son jardin
et se laisser inviter dans le jardin de
l’autre signent une saine ouverture
d’esprit, une humble curiosité, un désir
d’apprendre pour mieux comprendre et
mieux faire.
- Un cadre, une structure claire pour chacun contribue à l’équilibre de fond : les
temps, les lieux, les règles doivent être
définies, compris et respectés de tous.
- Un colloque de Direction hebdomadaire contribue à la régulation du service
par le désamorçage de certaines situations qui y sont relayées. Il traite le flux
des patients et permet également de
transmettre ou rappeler la mission institutionnelle de base et ses valeurs.
- Malgré l’évidence de la richesse du
modèle horizontal, un chef présent, attentif, veille au grain et guide l’institution
lorsque les avis divergent.
- Travailler en institution, collaborer autour d’un projet thérapeutique commun
c’est rester en tout temps disponible, ouvert, curieux... c’est prendre le temps nécessaire pour échanger. Le récurrent
“manque de temps” est le poison de la
thérapie institutionnelle, à plus long
terme de la santé de l’équipe. Il mène au
saucissonnage thérapeutique et perd de
vue l’action commune.
C’est lorsque ces différents éléments sont
réunis, préservés, que l’équipe est efficiente et sert elle-même de modèle,
d’engrais, aux patients qu’elle accueille.
Tant de différentes formations, de professions, tant d’outils thérapeutiques sont
ainsi mis au service des adolescents qui,
en fonction de leur problématique ou
leurs besoins, vont pouvoir, toujours à
l’image de fleurs poussant dans un jardin,
absorber les substances qui leur seront
nécessaires.
En terme de substances nutritives, de
“modèle éducatif”, différents ateliers sont
proposés aux adolescents, certains
s’appuyant sur un modèle théorique pré-
cis, d’autres se basant sur leur modèle
propre, tous pouvant être assimilés à
des engrais particuliers qui permettent à
l’adolescent de croître. Ces ateliers constituent le complément du temps scolaire
(50% des activités). Essentiellement menés par les soignants, certains d’entre eux
sont co-animés par des thérapeutes.
L’ergothérapie, en stimulant la mobilisation psychique au travers des activités
manuelles et créatrices, permet aux jeunes
de travailler autour de la conception, de la
planification et de la réalisation d’un projet visant au développement de leur autonomie. L’objet réalisé constitue une base
concrète d’auto-évaluation sur laquelle
des critères objectifs sont posés. Par la
réalisation d’un objet valorisant, le jeune
acquiert une meilleure estime de lui.
L’activité est aussi un espace transitionnel
et l’objet devient un médiateur par lequel
la relation peut se construire. Les jeunes
sont accompagnés pour aller jusqu’au
bout de leur projet, et c’est cet aboutissement qui favorisera à son tour
l’amélioration de l’estime de soi.
Le sport en groupe, au-delà de la notion
de santé physique, permet de travailler sur
plusieurs aspects de la vie de groupe, tels
que l’esprit d’équipe, la notion de solidarité et la nouveauté. Les jeunes y expérimentent également les notions de persévérance, le dépassement de soi, et parfois
aussi la peur, celle de perdre la partie ou
la face. La notion du plaisir retrouvé à
pratiquer l’activité sportive est primordiale et constitue souvent un défi important. Les adolescents du CTJA ont
souvent un vécu traumatique du sport à
l’école. Par ailleurs, les notions de respect
y sont aussi travaillées. Le respect de soi
par une hygiène correcte, une tenue adéquate, et le respect des autres dans le jeu
et dans le lieu qui parfois peut être public,
ainsi que le respect du cadre, le cadre
horaire, et le cadre géographique.
En classe, les branches principales telles
que le français, les langues, les mathématiques, l’informatique et une période de
biologie y sont enseignées. Les méthodes
pédagogiques utilisées sont l’apprentissage sans erreur, l’apprentissage par
projet [2] [10], l’enseignement stratégique
[12], l’enseignement individualisé (respecter le rythme de connaissance de
chaque élève et adapter le travail à ses
compétences individuelles).
L’enseignement coopératif [6] [8] est une
approche interactive de l’organisation du
travail qui met l’accent sur le travail
d’équipe, le respect de soi et de l’autre, la
solidarité, et qui favorise les relations
interpersonnelles permettant au plus
faible de travailler avec le plus fort. Peu
importe l’approche ou le modèle que
l’enseignant aura choisi, il devra tenir
compte de l’état psychique dans lequel
l’élève se trouve, d’où l’importance
d’avoir des enseignants d’une grande
flexibilité. Une évaluation du niveau scolaire réel du jeune se fait dans un premier
temps et ceci en faisant face à la fragilité
psychique du jeune sur le moment.
L’enseignant doit faire en sorte que
l’élève maintienne, puis consolide ses
acquis, dans la mesure du possible.
L’acquisition de nouvelles connaissances
se fera ou non ultérieurement selon
l’évolution de la symptomatologie de
chaque jeune. Les enseignants sont en
lien avec les écoles, afin d’assurer une
réintégration dans les meilleures conditions possibles. Le travail de réseau et de
collaboration est essentiel. La classe dans
ce milieu psychiatrique est assimilée par
les jeunes comme étant le lien avec la
“normalité”.
L’activité “médias” permet un travail de
recherche et d’organisation autour d’un
thème donné. Cet atelier stimule
l’adolescent à travailler de manière autonome, ou à solliciter l’adulte en cas de
difficulté et pousse le jeune à l’acquisition
de compétences organisationnelles et planificatrices dans son travail. Le jeune y
exerce également ponctuellement la prise
de parole dans un groupe et l’argumentation.
Fondé sur des stratégies et principes de
Thérapies cognitivo-comportementales,
l’atelier “habiletés sociales” est un entraînement constitué de 5 modules qui vise
un processus d’affirmation de soi, en apportant des techniques de résolution de
problème, et où les jeunes y pratiquent
des jeux de rôle leur permettant de modéliser des pratiques.
L’atelier “métacognition” est un module
qui a été adapté du modèle adulte pour les
adolescents et qui propose deux types de
démarches :
- Le « Michael’s game » [9] est un jeu
qui se pratique en groupe et dont
l’objectif principal est d’entraîner les
jeunes au raisonnement hypothétique et à
la méta-cognition (capacité de penser nos
propres processus mentaux), qui se base
sur les TCC en ciblant les erreurs cognitives communes et les biais de résolution
de problèmes associés à la psychose. Ces
erreurs et biais pouvant, à eux seuls ou
combinés, conduire au développement et
au maintien de fausses croyances pouvant mener jusqu’au délire. Le programme poursuit le but de rendre les
patients conscients de ces distorsions, de
les entraîner à les voir de façon critique,
et de compléter ou changer leur répertoire en matière de résolution de problèmes.
- Les “jeux dramatiques” [3], d’inspiration psychodynamique, sont proposés
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
57
Le travail avec les familles en hôpital de jour
sur indication médicale à certains jeunes.
Ils visent à rejouer des situations de vie
amenées par ces derniers. Chacun s’y
voit attribuer un rôle qu’il est libre
d’interpréter en fonction de son vécu interne. Dans cette activité, tous les participants se retrouvent au même niveau et
les impératifs sociaux disparaissent au
profit du jeu.
Les ateliers “musique” et “dessin” permettent aux jeunes de développer leur
sens artistique et de partager avec les
adultes leur univers d’adolescents. Deux
moyens d’expression très appréciés par
les jeunes qui investissent avec intérêt ces
activités. Il existe encore d’autres activités comme des ateliers de cuisine où les
jeunes entraînent leurs compétences
d’organisation et travaillent sur leur autonomie. Ceci se fait en petit groupe et
permet d’interagir entre pairs autour d’un
projet commun. Le repas est préparé pour
l’entier du groupe et c’est une activité
valorisante pour ceux qui l’ont cuisiné.
D’autres activités dites “décadrées” ont
lieu durant l’année. Nous accompagnons
les jeunes à la découverte de nouveaux
horizons, que ce soit au travers de balades
ou d’activités sportives en plein air telles
que le ski, la grimpe, le tennis ou la voile.
Nous faisons également des visites
d’expositions et de musées ou salon des
métiers et toute autre activité permettant
aux jeunes d’ouvrir leur horizon
d’intérêt.
Le champ des compétences et des modèles au centre de jour ressemble à un
verger si vaste que nous proposons d’en
illustrer ci-dessous quelques vignettes
cliniques structurées autour de productions artistiques. De ces tableaux, nous
tenterons d’illustrer le sens de mêler des
réflexions à la fois psychodynamiques,
cognitives, comportementales et systémiques au vécu des patients.
VIGNETTES CLINIQUES
(Les prénoms cités ci-dessous dans les
vignettes cliniques sont fictifs).
Au CTJA, une exposition institutionnelle
valorisante a présenté les peintures réalisées par les jeunes dans l’atelier dessin,
favorisant de nombreux échanges entre
l’équipe pluridisciplinaire et les patients,
ainsi que des réflexions plurimodales sur
les processus adolescentaires et les contextes de vie de nos patients. L’atelier
dessin est pensé comme une occasion de
se centrer sur une activité créatrice et de
transmettre de l’intérêt pictural tissant des
liens plaisants et pulsionnels entre différents niveaux : la réalité, l’imaginaire et le
symbolique. Evoquons Philippe Gutton
[7] qui introduit le processus de sublimation pubertaire, qui pourrait être « … ce
processus d’illumination qui élève cer-
58
tains objets à la dignité de choses. Maître
processus de la création adolescente, la
sublimation y serait organisée par la pulsion d’emprise du Moi et de ses idéaux
tels qu’ils se remanient entre infantile et
adolescence. » [7]
Vignette 1
Parmi les différentes œuvres, l’exposition
présente un tableau de Marie avec qui
nous traversons ses épreuves, soignant les
attaques à son corps. Au CTJA, et parallèlement à l’atelier dessin, Marie reprend
peu à peu une meilleure hygiène de vie.
Elle peint sur son tableau une vache remplie de nuages qui vole dans un ciel étoilé
en prenant comme modèle l’artiste René
Magritte. Ce travail surréaliste est accompagné de sourires. Ce tableau est un beau
cadeau car elle ne l’a pas détruit.
Vignette 2
Plus loin, un tableau réalisé par Carole
illustre les rameaux d’un arbre qui se sont
simplifiés, décantés et abstratisés
s’inspirant de Piet Mondrian. Elle a insisté sur l’encre noire, comme si des oiseaux
étaient venus dans son arbre. Carole
souffre d’anorexie. Elle n’aime pas le
dessin, mais découvre progressivement au
fil des séances, un souffle intérieur, créateur et productif. L’atelier s’inscrit parmi
ce qu’elle a utilisé pour se soigner et se
réalimenter, libérée de l’emprise et du
contrôle maternel, trouvant du plaisir à
peindre. Au CTJA, elle a travaillé sur le
deuil de son père, elle y a trouvé des
amies en préparant un certificat de fin
d’étude.
Vignette 3
Encore plus loin, un tableau de Céline
s’inspire de Pierre Soulages qui travaille
sur les diverses textures du noir : « Chez
Soulages, … Si l’on ne voit que du noir,
c’est qu’on ne regarde pas la toile. Si en
revanche on est plus attentif, on aperçoit
la lumière réfléchie » [4]. Céline est en
situation de refus scolaire. A son admission, elle vit avec sa mère et n’a aucun
contact avec son père qui a reconstruit
une famille. Suite au premier entretien de
famille, Céline est impatiente de montrer
son tableau à son père, ce dernier n’y verra que le noir et l’expression du côté
sombre de sa fille. Sa mère à l’inverse, l’a
couverte de compliments, elle installera le
tableau dans un beau cadre. Depuis, Céline a quitté notre centre thérapeutique
intégrant une structure de formation professionnelle. Céline a bénéficié du suivi
thérapeutique qui lui a été offert pour
nuancer l’image sombre que sa mère lui
avait transmis de son père. Elle s’est réconciliée avec son père, sa belle-mère, et
s’occupe régulièrement de sa demi-sœur.
Vignette 4
Mathieu peint en s’inspirant de Gilles
Elvgren, exagérant de manière hyperréaliste la longueur des jambes et la poitrine de sa pin-up, ce qui nous rappelle
toutes les transformations hormonales, les
enjeux libidinaux et la sexualisation de la
pensée à l’adolescence. Mathieu a pu investir l’atelier dessin et réaliser, autour
d’une rencontre pédagogique, ce tableau
inachevé dont il était fier mais qu’il n’est
jamais venu chercher. Très stigmatisé par
sa problématique de polytoxicomane, il a
été difficile de lui faire confiance. Il a
quitté l’institution dans un mouvement de
rupture, en quête de plaisir immédiat.
Vignette 5
Adam est un jeune homme dont le processus de sublimation pubertaire [7] était
visible au fil de la prise en charge institutionnelle. Issu d’un milieu favorisé, il
aimait comme son père Henri Julien Félix
Rousseau, dit le douanier Rousseau. Perturbé dans un premier temps par le cubisme, Adam réalisera un tableau nommé
« guitare farfelues » grâce au modèle de
Pablo Picasso et à quelques conseils techniques. Il s’inspirera ensuite de Vincent
Van Gogh et abordera ses impressions
émotionnelles pour parler de son travail
avec douceur et sérénité. Adam, par la
suite, s’est mis à produire dans l’atelier de
manière spontanée, émerveillé par son
propre style et par la découverte de son
instinct créateur. Adam nous est arrivé
suite à une sévère décompensation psychotique, avec des traits autistiques. Il a
profité de tout ce qui lui a été offert dans
la prise en charge. Sa thérapeute a rythmé
la prise en charge, l’a accueilli avec douceur dans toute sa fragilité psychique.
Notons la grande écoute humaniste inhérente à son modèle, ainsi que la catharsis
[3] dans l’espace des jeux dramatiques
qu’elle animait. A ce temps de la prise en
charge, sa thérapeute analyste sollicite un
membre de l’équipe soignante pour des
interventions cognitives et comportementales ciblées. Adam a beaucoup progressé
dans le groupe d’entraînement aux habiletés sociales, il s’est affirmé. Il a utilisé les
ateliers de métacognition, de relaxation et a suivi un programme de remédiation cognitive. Un accompagnement
individuel lui a été offert pour l’aider au
quotidien sur le plan de ses attaques de
paniques et de sa phobie des transports.
Une technique de focalisation sur les hallucinations auditives lui a été proposée.
Adam a appris à identifier les déclencheurs du monologue intérieur, et à faire
taire le symptôme par une lecture à voix
haute, réalisant ainsi la nature psychotique de cette voix que son cerveau fatigué avait construit. Cette voix qui
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
75 ans d’internat thérapeutique à Lausanne : contre vents et marées ?
l’invitait à abuser sexuellement des
femmes devenait un phénomène qu’il
s’agissait d’observer sans y attacher quelconque importance. La psychothérapie
extérieure à l’institution, pensée en mode
bifocal, était le lieu propice pour aborder
la culpabilité dans le domaine intra psychique. Un collègue infirmier a travaillé
avec lui la question de la sexualité à
l’adolescence. Aujourd’hui, Adam est en
formation d’employé de commerce dans
une structure adaptée. Il fréquente toujours ses amis et ses amies rencontrés au
CTJA et a encore besoin de venir nous
remercier régulièrement pour l’aide reçue.
Vignette 6
Eve, gravement entravée dans son processus de sublimation pubertaire [7], a refusé
tout modèle pour réaliser une sculpture
peu investie et inachevée durant l’atelier
dessin, ceci à l’image de son fonctionnement psychique. Sa famille était fâchée
contre l’institution, les tentatives de rescolarisation furent soldées par des échecs
depuis l’enfance. Le traitement médicamenteux n’a pas obtenu les résultats escomptés, les entretiens de famille filmés
et leur analyse n’ont pu se poursuivre. Ni
la neurologie, ni les hospitalisations ne
sont parvenues à la soigner, leur fille
souffrait toujours à sa place de bouc
émissaire. Le fait de nier leurs graves
difficultés familiales ainsi que les souffrances de leur fille entrave le processus
de guérison.
Suite à un signalement fait pour négligence auprès du Service de Protection de
la Jeunesse, les parents entament un suivi
systémique parallèlement au CTJA pour
soigner la violence familiale, la situation
laissant un goût amère à l’alliance thérapeutique avec le CTJA. C’est dans ce
contexte essoufflant que la thérapeute
analyste a demandé à un membre de
l’équipe soignante la mise œuvre d’un
suivi individuel centré sur l’identification
émotionnelle. Ainsi, l’utilisation d’un
outil, classant divers sentiments autour
des émotions de base pour exprimer de
manière socialement acceptable tous les
“états” d’Eve, s’est avéré utile. Les problèmes qu’elle vivait au quotidien ont été
abordés en développant des stratégies de
résolution, tant sur le plan émotionnel,
cognitif que comportemental. La thérapeute guidera un travail sur la notion
d’ambivalence et l’importance d’aider
Eve à nuancer ses propos. Les informations obtenues sur l’évolution de ce travail seront transmises à la thérapeute qui
informera l’équipe que du dialogue était
progressivement réapparu dans ses entretiens. Eve a donc profité de l’investissement éducatif au travers de ces analyses
fonctionnelles, dans un contexte où
l’équipe
éprouvait
un
sentiment
d’épuisement durant cette longue prise en
charge.
Comparaison des processus de soin
(vignettes 5 & 6)
En collaboration avec l’équipe de recherche, l’Unité de Recherche au Service
Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et
de l’Adolescent (SUPEA) située au
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
(CHUV), un psychologue, Monsieur Sébastien Urben, accompagne l’équipe du
CTJA dans l’évaluation de la prise en
charge institutionnelle sous la responsabilité du Docteur Laurent Holzer. En effet,
cette recherche aborde l’influence d’un
entrainement aux habilités sociales sur
l’assertivité [15]. Cette dernière notion
d’assertivité consiste à se montrer apte à
résoudre un problème interpersonnel de
manière affirmée, dans le respect de soi et
d’autrui tel que Gisèle Georges le conçoit
dans le soin de la timidité chez l’enfant et
l’adolescent Les questionnaires d’autoobservation Rathus [12], BVAQ [1] et
RCADS [5] sont remplis par les patients
au début de leur prise en charge. Dans un
premier temps, nous parlons de (T1). Au
terme de la prise en charge ces mêmes
questionnaires sont à nouveau soumis aux
patients. Dans ce deuxième temps, nous
parlons alors du T2. Adam et Eve sont
comparés à un groupe de 15 patients.
Grâce à cette échelle, il est possible de
déterminer trois niveaux d’assertivité : un
groupe d’inhibés (<104 points), un
groupe d’assertifs (de 104 à 125 points) et
un groupe d’assertifs agressifs (>125
points).
Sur le plan de l’affirmation de soi (graphique 1) [11], le groupe de patients
s’améliore en assertivité, à savoir la capacité à se montrer plus apte à se faire respecter dans le respect des autres. Adam a
beaucoup investi le groupe d’entraînement aux habiletés sociales et passe
d’un statut d’adolescent inhibé, pathologiquement timide, à celui d’assertif agressif. Eve s’améliore un peu mais reste peu
affirmée.
Au niveau de l’identification émotionnelle (graphique 2) [1], Adam ainsi que le
groupe restent relativement stables. Eve
se distingue fortement dans la mesure où
ses difficultés d’identification émotionnelle étaient considérables. Les progrès
effectués lui permettent de formuler une
demande d’aide au niveau du soutien individuel cognitif et comportemental
qu’elle recevra par la suite, centré sur
l’identification de ce qu’elle pouvait ressentir dans des situations concrètes de son
quotidien.
Sur le plan de l’anxiété de séparation
(Graphique 3) [5], il est intéressant de
voir une amélioration globale dans le
groupe. Adam et surtout Eve partent avec
une problématique importante en fonction
de cet item en comparaison au groupe.
Sans doute, l’énergie plurielle de la prise
en charge les a aidés à évoluer dans ce
domaine.
D’une manière générale, (graphique 4) [5]
la dimension anxieuse d’Adam et d’Eve
est supérieure comparativement au
groupe. La prise en charge institutionnelle, selon les dires des patients, semble
agir favorablement sur les troubles anxieux. Eve s’approche du niveau
d’amélioration comparativement à celui
du groupe. Elle a su assouplir les traits
d’un trouble envahissant du développement particulièrement handicapant et évoluer vers un fonctionnement davantage
adapté et efficient. Quand à Adam, il
s’améliore, mais l’anxiété semble
s’inscrire davantage dans une composante avec laquelle il devra vivre.
Au CTJA, nous travaillons ensemble autour des patients pour leur offrir des soins
psychiatriques, au-delà de nos modèles,
au-delà de nos expériences, car nous admettons tous que les adolescents souffrant
de troubles psychiatriques sont également
les magnifiques artistes de leur existence.
A la fin de sa vie, l’artiste Claude Monet
s’est excusé d’avoir continué à peindre
ses jardins, car il souffrait d’une maladie
altérant sa manière de voir les couleurs,
en réalisant des œuvres parmi ses plus
belles. La peinture est appréciable au travers des différents courants de l’histoire
de l’art et la psychiatrie, elle, s’enrichit du
plurimodal.
CONCLUSION
Six thérapeutes, six soignants, trois enseignants, deux secrétaires, au total dix-sept
jardiniers composent l’équipe du CTJA.
Autant de secrets différents à mettre ensemble crée la richesse du lieu et permet
l’éclosion de dix-huit jardins d’adolescents aussi variés qu’inattendus.
Mais pour qu’autant de jardiniers aux
méthodes différentes puissent travailler en
collaboration au service d’un objectif
commun, chacun doit garder l’humilité de
considérer le secret de son voisin comme
tout aussi précieux que le sien. C’est lorsque l’on perd de vue que l’Autre peut
également œuvrer au bien-être du patient
que l’équilibre entre jardiniers se rompt.
C’est lorsque je cesse de douter de mon
modèle, lorsque je pense détenir seul les
clés de la réussite de mon patient que je
lui nuis, que je m’attaque à la dynamique
d’équipe et que je perds de vue le travail
intégratif institutionnel.
Ce n’est qu’en mélangeant nos pinceaux
sans se mélanger les pinceaux, en combi-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
59
Le travail avec les familles en hôpital de jour
nant nos savoirs, que nous parvenons à
créer un tableau.
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Graphique 1
Graphique 2
60
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75 ans d’internat thérapeutique à Lausanne : contre vents et marées ?
Graphique 3
Graphique 4
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61
FAMILLE JE T’HAIS-M
Service universitaire de Psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent SUPEA
Centre d’intervention thérapeutique pour enfants
(CITE)
5 avenue de la Chablière
1004 LAUSANNE
SUISSE
[email protected]
Marie-Olive CHAPUIS, Fiona PARMENTIER,
Paulina REQUENA, Jamel BRAHIM
Le CITE est une structure de soins pédopsychiatriques qui accueille des enfants présentant des
troubles psychiques dans une situation de crise et / ou dans une impasse thérapeutique, pédagogique
et / ou sociale.
Ce travail institutionnel rend indispensable le travail auprès des parents et la prise en compte de la
parentalité souvent ébranlée par la découverte d’un trouble pédopsychiatrique chez leur enfant. De
même la rivalité narcissique, les sentiments ambivalents à l’égard des soignants lors de la construction de l’alliance thérapeutique sont autant d’éléments à prendre en compte dans la relation soignante. Pour ce faire, un certain nombre d’espaces de réflexion et de temps au sein de l’institution
sont dévoués aux familles. Certains sont individualisés et peuvent se réaliser sur la forme d’une guidance parentale, d’entretiens familiaux, etc…. D’autres espaces institutionnels plus ouverts et collectifs ont été formalisés (café contact) permettant de créer un espace transitionnel entre le dedans et le
dehors, l’institution et la famille, l’autonomisation et l’être ensemble. Ce sont ces espaces coconstruits avec les familles qui nous permettent aussi de mener un travail thérapeutique individuel
avec l’enfant.
Mots-clefs : Espace, lieux, moment, transfert, contre-transfert, entretien de famille, guidance parental, equipe, espace transitionnel, architecture.
“Famille je t’hais-M1”
The CITE is an institution of pedopsychiatric care that admits children with psychological troubles
during a crisis period and/or when there is an arrest of thérapeutic, social or pedagogic progression.
This institutional therapeutic approach is indispensable of the co-operational effort from the parents,
and should take into account the undermined parenthood when a child with pedopsychiatric problems
is revealed. At the same time, narcissic rivalries and ambivalent sentiments towards the caretakers
should be taken into consideration, when building a therapeutic alliance. To facilite this, there is
inside the institution, protected space for reflection and allocated time, dedicated to the families.
Certain interventions are individualized and include parental guiding and family consultations, etc…
There are other institutional setting which are more open and social, and were created (social contact in the coffee)in order to facilitate the transition from the inside to the outside world, from the
institution tot he family. Those setting are created with the help of the family, wich allows us to realize an individual, therapeutic work with the child.
Keywords: Space, places, moment, transfer, conter-transfer, family consultations, parental guiding,
team, transitional space, architecture.
1
In French, a joke between “haine” (hate) and “aime” (love) translating the ambivalent feelings
“love-hate” observed amongst children and adolescents or parents
Lors du Colloque, la présentation
s’accompagnait d’un film d’animation,
réalisé par Fiona Parmentier, éducatrice
au CITE. Ce film a permis de se plonger
au cœur même du CITE et de découvrir
les lieux, les espaces, les passages.
INTRODUCTION
Le travail avec les familles est une des
composantes majeures de nos prises en
charge au CITE, qu’il soit mené sous
forme de “guidance parentale” ou
d’entretiens familiaux », tous 2 instants
formels, ils sont la pierre angulaire de
l’architecture de notre mandat de soins.
Pour autant, nous avons dû adapter et
redoubler d’imagination pour offrir des
espaces différents, moins formalisés, aux
familles. C’est ainsi qu’est né le « café ou
62
goûter contact ». Mais nous avons surtout
dû accepter que des espaces, des lieux et
des instants, non conformes, soit requis
par les familles comme lieux d’expression
de leurs doutes, de leurs angoisses mais
également de leurs émotions. C’est donc
tout naturellement que nous avons souhaité présenter notre travail avec les familles
à Brest, et bien que répondant au thème,
nous sommes sortis des sentiers battus
pour emprunter les chemins de traverses
et présenter un travail pluridisciplinaire
sur les lieux, les espaces, les instants,
formels ou informels, conformes ou non
conformes, qui nous permettent au quotidien cet enrichissant travail avec les familles.
PRÉSENTATION DU CENTRE
D’INTERVENTION
THÉRAPEUTIQUE POUR ENFANTS
Le Centre d’Intervention Thérapeutique
pour Enfants (CITE) est une unité du Service Universitaire de Psychiatrie de
l’Enfant et de l’Adolescent (SUPEA) du
Centre Hospitalier Universitaire à Lausanne (CHUV).
Le CITE est un espace de soins qui accueille des enfants de la naissance à 13
ans, répartis en 2 groupes distincts : celui
des 0-7 ans et celui des 8-13 ans.
Initialement le CITE s’appelait Centre de
soins pédopsychiatriques, crée en 1989, il
voit son mandat redéfini en 2003 et il
s’oriente dès lors vers la crise, comme
conceptualisée par Nicolas de Coulon
(« la crise » stratégies d’intervention thérapeutique en psychiatrie, 1999, édition
Gaétan Morin). Le CITE offre des soins
pédopsychiatriques intensifs et donne à
l’enfant, à sa famille et au réseau, la possibilité d’une reprise évolutive par la
construction d’un projet de soins, pédagogique et/ou social. Le CITE est un lieu
d’observation et d’évaluation permettant
d’offrir la compréhension du fonctionnement de l’enfant, de sa famille et du réseau, mais également la compréhension
des ressources de chacun.
CADRE DE NOTRE PRATIQUE
Le CITE fonctionne sur le modèle d’un
hôpital de jour et accueille les enfants
toute l’année. Selon les indications définies par les cadres de soins, ils seront pris
en charge suivant trois modalités.
Sur un mode ambulatoire, 2 jours par
semaine pendant 3 mois,
Sur un mode d’hospitalisation complète
pendant 3 semaines,
Sur un mode ambulatoire intensif jusqu’à
5 jours par semaine.
A noter que lors d’une hospitalisation
complète, les enfants sont accueillis et
pris en charge par le service de pédiatrie
de l’hôpital de l’enfance et par le service
de liaison pédopsychiatrique du SUPEA.
Cliniquement nous accueillons une
grande diversité de « tableaux cliniques »
et il n’y a pas de restriction « pathologique », mis à part les troubles du com-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Famille, je te hais-m
portement alimentaire. Les enfants présentent ainsi des troubles du comportement, de la communication, du langage,
des refus scolaire, des tableaux
d’hyperactivité, des dépressions…Ils appartiennent au registre des troubles du
spectre autistique, des pathologies limites,
dysharmoniques et des troubles de
l’humeur ou alors n’appartiennent à aucun registre.
Les demandes de prise en charge sont
adressées au cadre infirmier du service,
qui peut ainsi centraliser et coordonner les
demandes. Elles sont ensuite examinées et
triées par le cadre infirmier et le chef de
clinique selon un rapport indications/missions du CITE. Le cadre infirmier dans son rôle de coordinateur peut
écarter des demandes pour lesquelless le
CITE ne pourrait pas répondre, du fait de
critères tel que l’âge ou d’indications hors
mandat.
Le soin au CITE est conceptualisé comme
un travail d’équipe. C’est l’intervention
groupale coordonnée qui est thérapeutique, tout le monde participe au soin,
indépendamment des activités, ateliers ou
moyens de médiation et de rencontre.
L’efficience au CITE réside dans une
équipe pluridisciplinaire qui réunit médecins, psychologue, infirmiers, éducateurs,
enseignant spécialisé et cuisinière.
Dans l’introduction, nous parlons de
l’importance des lieux, des espaces, des
temps, formels ou informels, que les parents et les enfants investissent tout au
long de leur prise en charge et pour une
compréhension plus juste nous nous permettons de donner, ici, notre définition
de ces termes.
Entretien de famille
Ils ont lieux au 1er étage du CITE, dans
les bureaux médico-psy, ils sont menés
conjointement par un binôme composé
d’un référent médico-psy et un référent
soignant. Ils ont lieux de façon hebdomadaire pour les hospitalisés et à quinzaine
pour les ambulatoires.
Guidance parentale
Soutien apporté aux parents, assuré par
une psychologue, sans la présence de
l’enfant, dans un lieu différencié de
l’entretien de famille.
Café ou goûter contact
Espaces offerts aux parents en début et en
fin de journée, qui permettent un échange
d’information entre les soignants/parents.
Selon que les échanges se fassent le matin
ou le soir, le flux d’information entre le
matin et le soir se trouve inversé. Le café
ou goûter contact, est un espace formel
mais non médicalisé ; il met l’équipe soignante en première ligne.
Espace formel
Cadre spatial et temporel déterminé à
l’avance avec une équipe ou un binôme
également déterminé à l’avance.
Espace informel
Espaces interstitiels prévu pour le flux,
les passages, couloirs, escaliers,… détournés de leur fonction principale, utilisés par les parents comme lieux
d’expression de leur problème.
PRÉSENTATION DES VIGNETTES
CLINIQUES
1ère vignette : Paul
Paul, 8 ans, nous est adressé pour une
hospitalisation au CITE en raison de
troubles du comportement sévères avec
opposition, intolérance à la frustration
avec des réactions de colère hétéroagressive. Ces troubles du comportement
étaient caractérisés par des morsures, des
coups de poing, des coups de pieds envers
les adultes. Ces comportements ont entrainés une déscolarisation complète mais
transitoire, un mois avant son arrivée au
CITE. Paul nous est adressé également
dans un contexte d’épuisement maternel
avec demande de décharge transitoire.
Paul est scolarisé en 2ème primaire, équivalent CE1, il est fils unique. Les parents
se sont séparés quand il avait 9 mois, la
mère serait partie en raison des crises de
violence du père. Paul ne voit son père
que très épisodiquement. Son père est
sorti de prison récemment. Il semblerait
qu’il y ait des troubles dépressifs chez la
mère, jamais traité auparavant. Elle est
actuellement sans emploi et vit seule avec
son fils.
Dans ses antécédents médicaux, Paul présente une épilepsie généralisée pharmacorésistante, qui a été découverte à l’âge de
1 an. Cette épilepsie sévère a été équilibrée pendant 6 mois avant son hospitalisation. C’est à ce moment qu’apparaissent
les troubles du comportement, grande
impulsivité, gestes hétéro-agressifs qui
rendent impossible son maintien en milieu scolaire.
En ce qui concerne l’hospitalisation, au
début de celle-ci, Paul refusait tout entretien, il était ouvertement dans une attitude
d’opposition avec des passages à l’acte
violents, fréquents, une impulsivité lors
des frustrations ou lors de changement de
lieux suscitant de grandes angoisses. Paul
ne parvenait à exprimer ses affects qu’au
travers d’un agir comportemental impulsif
au détriment de la parole.
L’étayage soignant et institutionnel, la
reprise de contact avec le père,
l’introduction d’un traitement et les soins
apportés à la mère ont aidé Paul à progressivement exprimer ses affects dépres-
sifs et ses angoisses autrement que par un
recours à l’agir impulsif.
Actuellement Paul est en internat thérapeutique et il retourne chez sa mère tous
les week-ends, avec une relation nettement plus apaisée et sécure. Les troubles
du comportement ne sont plus au premier
plan même s’il persiste une intolérance à
la frustration et parfois une dimension
impulsive du comportement.
Le travail avec les parents
Au fil de la prise en charge, les parents
ont été rencontrés dans différents espaces
dans lesquels ont été déposés divers éléments/contenus qui ont fait osciller/fluctuer nos ressentis/émotions et ont
fait évoluer le contre-transfert. Il y avait
deux référents, médecin, psychologue, et
une infirmière référente.
Le premier lieu où ils ont été invités était
le bureau A. Il s’agissait d’un entretien de
pré-admission où Madame était accompagnée par le réseau demandant la prise en
charge. Elle est alors demandeuse d’aide
pour son fils exclusivement et se présente
de manière sur-adaptée, dans un besoin de
maitrise où elle prend des notes et se dit
prête à contacter les différents membres
du réseau.
Lors de l’entretien d’admission, en
l’absence du réseau mandataire, Madame
nous apparaît beaucoup plus fragile, cela
dans un contexte de séparation imminente
avec son fils sur le point d’être hospitalisé. Ceci nous incite à lui proposer
d’emblée un soutien individualisé avec la
psychologue, ce qui implique par la suite
le décrochage de la psychologue qui investira désormais un autre espace avec
Madame.
La psychologue rencontre Madame à trois
reprises. Dès la première séance, elle livre
son passé et dit vouloir se faire hospitaliser, elle aussi, ne se sentant plus la force
de mener à bien son quotidien maintenant
que son fils n’est plus là tous les jours.
Cette demande d’hospitalisation revient
de séance en séance pour finir par aboutir.
Madame restera hospitalisée deux semaines. Madame entamera à la suite de
l’hospitalisation un suivi avec un psychiatre en consultation privée et bien que
demandeuse de poursuivre le travail avec
la psychologue, elle n’arrivera plus à investir cet espace.
Pendant la prise en charge les entretiens
de famille ont eu lieu dans un autre espace le bureau B, en présence du médecin
et de l’infirmière référente de la situation.
Au début l’infirmière référente est très
touchée par l’histoire de Madame puis au
fur et à mesure des séances, les sentiments de la soignante évoluent et Madame est ressentie comme peu fiable,
dans une attitude de prestance mise en
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
63
Le travail avec les familles en hôpital de jour
place pour garder la face. Peu après le
début de l’hospitalisation de Paul, le père
d’abord injoignable mais intervenant impulsivement hors cadre (visites intempestives) participe finalement à des entretiens
de famille dans le même bureau que Madame mais sur des temps différents. Dans
cet espace, le père peut déposer sa colère,
son désaccord et son désarroi tout en faisant preuve de fiabilité. De façon systématique, si l’un était présent le matin,
l’autre manquait son rendez-vous de
l’après-midi.
Lors des passages de piquet dans ce troisième espace qu’est l’hôpital, les soignants rencontrent une mère adéquate
dans la relation à son fils, pouvant se
montrer rassurante et contenante. Dans
d’autres espaces moins formels comme
les goûters et les repas, Madame se montrait suradaptée, dans une relation copaincopain avec Paul, apparaissant alors
comme peu authentique.
C’est grâce à la variété des espaces imaginés et proposés tout au long de cette
prise en charge, parfois en dehors des
sentiers battus, qu’ont pu se vivre, à la
fois pour les soignants et pour la famille,
des sentiments variés, contradictoires,
fluctuants et ambivalents. Les contenus
ont été différents selon les espaces et on
constate que dans cette situation, les espaces informels ont été peu investis par
les parents. A l’inverse l’investissement
des espaces formels a permis de faire évoluer favorablement la situation.
2ème vignette : Rémi
Rémi est âgé de 3 ans et demi lorsqu’il est
adressé au CITE par la CSDP (Consultation Spécialisé en Développement et Pédopsychiatrie), en septembre 2012 pour
des troubles envahissants du développement. Rémi est le fils unique, désiré,
d’un couple de trentenaires. Bébé, Rémi
est décrit comme un enfant tonique et
hyper vigilant avec lequel ils disent avoir
eu des difficultés à être en lien et à se
réaliser en tant que parents.
Début septembre 2012, lors de l’entretien
de pré-admission nous rencontrons Rémi
et ses parents. Rémi est très dispersé, passant brutalement d’une agitation psychomotrice au calme, il crie dès que nous
tentons de le contraindre et se débat. Les
parents eux se disent épuisés. La maman
verbalise son désir de mettre de la distance entre elle et son fils. Le père admet
lui aussi se sentir débordé mais peu encore relater les moments de plaisir qu’il
arrive à partager avec son fils. Le réseau
socio-familial et scolaire est également
épuisé au point que Rémi se retrouve exclu de la garderie.
64
Rémi commence sa prise en charge au
CITE fin septembre 2012, il vient les
mardi et vendredi de 10h à 16h15.
L’intégration se fait de façon progressive
afin de permettre à Rémi de s’adapter au
nouveau contexte et à la séparation, la
maman, d’ailleurs les premières fois, passera un moment sur le groupe. Au bout
d’un mois Rémi reste seul sur le groupe,
il ne manifeste pas d’anxiété pendant la
journée en réponse à l’absence de sa mère
et ne pleure pas lors des séparations.
Pourtant au bout d’un mois, Rémi commence à réclamer sa mère, les séparations
deviennent difficiles, il s’agite, crie, fait
du bruit. Nous avons dû adapter notre
prise en charge et trouver des alternatives
à la perte. Mettre en place un rituel au
moment du départ de la maman a beaucoup aidé Rémi à supporter la séparation.
Au cours de sa prise en charge, Rémi a pu
privilégier une relation particulière avec
une soignante du groupe acceptant d’elle
d’être consoler. Les autres adultes du
groupe étant utilisés comme un prolongement de lui-même quand il a besoin de
quelque chose (fonction adhésive). Pour
les enfants du groupe, soit il ne les supporte pas trop près et alors il devient difficile, soit il se cramponne à eux. Pendant
les moments de jeux, nous observons de
rares moments où il est en lien avec les
autres mais le plus souvent il est débordé
par tous les stimuli sonores et visuels, il
s’agite alors, sautille, papillonne et finit
par lancer les objets en criant. Nous devons alors le mettre seul dans une salle
avec un soignant et limiter le nombre de
jeux, il peut alors amorcer une ébauche de
jeux symboliques, solliciter l’adulte, imiter, jouer du dedans/dehors sur de cours
instants, pour finir par quitter la salle en
fanfare, accaparant alors l’espace du couloir comme lieu d’expression de son anxiété.
Au CITE, le comportement de Rémi alterne entre des moments de calme et de
grande agitation, des moments où il
semble présent et des moments où il
semble absent.
Rencontre avec les parents au CITE
Dès le 1er entretien de famille les parents
ont pu exprimer leur difficulté à être les
parents de Rémi. Ils ont toujours eu un
discours positif par rapport à Rémi, ils
n’ont jamais douté de son intelligence,
Madame dira d’ailleurs qu’elle considère
que son fils est en avance et qu’il a même
pu faire certaines acquisitions précocement puis qu’il a oublié. Elle décrit son
fils comme un aventurier, un explorateur
de la vie. Lors des différents entretiens de
famille, les parents ont pu parler des différents diagnostics évoqués pour Rémi,
pour ne retenir que le fait que leur fils
présente des traits autistiques. Ils disent
avoir accepté l’idée de différer leur accès
à une vie de parents “normale”.
Les parents se séparent très rapidement au
début de la prise en charge, mais ils continuent de venir ensemble aux entretiens
de famille, c’est donc bien en tant que
parents qu’ils ont pu livrer leurs craintes,
leurs angoisses et leur éprouvés par rapport au devenir de leur fils.
Ils ont su utiliser cet espace commun et
formel que sont les entretiens de famille.
Cet espace dédié, toujours le même, avec
le même binôme référent a permis une
continuité malgré la séparation du couple,
cet espace rassurant pour eux a permis la
liberté de parole.
La maman de Rémi a pu investir d’autres
espaces lors de ses venues au CITE. Le
matin quand elle arrive, lors du « café
contact », elle est toujours prête à nous
parler de Rémi, de ses progrès, de ses
journées. Elle prend le temps, se pose, se
livre et se délivre de ses doutes, de ses
angoisses en tant que mère. L’après-midi,
lors du « goûter contact », elle vient entendre parler de son fils, elle nous questionne, elle vient non plus se livrer mais
chercher la parole du soignant comme un
baume réparateur, elle opère ici un transfert d’affect sur le soignant référent. Le
soignant est vécu comme une “bonne
mère” pour elle et pour son fils.
Sur ces deux moments de la journée, le
flux d’information prend un sens différent, soit il vient de la mère, famille/institution, soit il vient du soignant,
institution/famille. Ces espaces formels,
« café et goûter contact » mettent le soignant en première ligne, ils permettent
une expression plus spontanée, moins
maitrisée, par le soignant que lors des
entretiens de famille. La mère vit ces
moments-là comme une reprise du contrôle de la situation.
Au cours de la prise en charge d’autres
espaces ont étés utilisés par la maman.
Cette maman alternait régulièrement entre
des moments de grande déprime ou elle
se mettait à pleurer, parlant de son épuisement et des moments de grande euphorie ou elle pouvait essayer de faire
copain/copain avec le soignant. Couloirs
et escaliers sont les témoins de ces moments où elle a pu se livrer sans retenue,
n’attachant plus d’importance à la distance.
Au cours de la prise en charge,
l’utilisation par les parents, notamment
par la mère, d’espaces formels et informels, variés et différenciés, ont permis à
la famille et aux différents soignants de se
rencontrer.
Lors des colloques d’équipe nous avons
pu constater que les événements surve-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Famille, je te hais-m
nant pendant les moments interstitiels
étaient les plus fréquemment évoqués.
L’utilisation par la maman des espaces
tels que les couloirs ou les escaliers, détournés de leur fonction première (passage) a obligé les soignants à renoncer au
cadre et au contenu habituel. Nous avons
dû nous adapter à ces excès souvent avec
un fort sentiment d’ambivalence (je
t’aime, moi non plus). Nous avons compris que pour avancer dans le travail avec
cette mère ou cette famille, il nous faudrait sortir des sentiers battus. Ces couloirs -passages- nous ont ouverts une voie
privilégiée dans la compréhension de
Rémi.
L’irritation que nous ressentions à l’égard
de cette mère lorsqu’elle se déversait sans
plus de retenue et de distance, nous a
permis de comprendre d’une certaine façon les sentiments ambivalents qu’elle
avait pu manifester à l’égard de son fils,
son sentiment de “haine” à l’égard de son
conjoint ou des professionnels incapables,
et qu’elle était venue nous confier en début de prise en charge.
Pour Rémi les espaces interstitiels ont
catalysés ses débordements comportementaux, il a pu reconquérir une certaine
existence pour l’autre en se montrant hyper présent, il a pu imprimer sa marque au
CITE.
Après neuf mois de prise en charge, Rémi
a pu intégrer une classe d’enseignement
spécialisée et bénéficier d’un traitement.
Les parents, eux, dans l’incapacité de
faire face à la blessure narcissique et à la
culpabilité, ont mis un terme à leur vie de
couple dans un premier temps, par la
suite, dans l’après coup, par ce qu’ils ont
vécus, ils ont pu réinterroger leur histoire.
Ils ont pris la décision de retenter
l’aventure en tant que couple et parents de
Rémi.
CONCLUSION
Au début de notre travail, nous avons
choisis les vignettes cliniques de Paul et
de Rémi en fonction du ressenti contre
transférentiel de l’équipe vis à vis de situations psycho-sociales et familiales
complexes et douloureuses.
Au fur et à mesure de notre élaboration
des cas cliniques présentés, la dimension
institutionnelle spatio-temporelle est apparue comme incontournable mais chacune avec leur singularité.
Pour Paul, les espaces formels ont étés
investis par la famille, ceci a permis une
reprise évolutive favorable. La dynamique transféro/contre transférentielle a
pu se déployer dans un temps soignant
correspondant aux entretiens de famille, à
la guidance, et aux goûters contacts.
Pour Rémi, à l’inverse ce sont les espaces
informels, couloirs, escaliers, qui ont été
investis notamment par la mère. Dès lors
le transfert ou déplacement d’affect c’est
déployé hors cadre, dans un temps plus
bref et discontinus, rendant plus difficile
sa compréhension et les interactions. Ce
qui advient dans ces moments interstitiels
provoque en nous une telle émulsion psychique qu’il n’est possible, ni souhaitable,
de laisser les situations en l’état. Ce sont
ces moments repérés comme féconds,
propices à une fonction de reprise dans
l’après coup, dans le cadre des colloques
cliniques, qui permettent aux soignants de
s’appuyer sur l’appareil psychique, collectif, bienveillant.
Le travail de métabolisation en équipe
permet de relier ces temps discontinus,
d’appréhender et de donner sens à ces
déplacements d’affects.
Ces deux situations posent la question de
la transitionnalité qui vient démarquer le
dedans/dehors, le formel/informel, la famille /l’institution.
Une autre question est mise en évidence
au travers des situations.
Quelles sont donc ces familles qui ont du
mal à investir notre cadre de pratique,
classique et qui reste cantonnées à la périphérie dans ces espaces informels ?
BIBLIOGRAPHIE
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centre de soins psychiques en hôpital pédiatrique, Nervure, 1995
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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
65
MES ENFANTS, MA MALADIE ET MOI
Nouvel hôpital de jour,
Hôpital psychiatrique Beau Vallon
502 rue de Bricgniot
5002 Namur
BELGIQUE
[email protected]
Sophie CORNET, Elodie SPOTTO, Xavier DE LONGUEVILLE
Les patientes fréquentant le Nouvel Hôpital de jour de l’Hôpital psychiatrique Beau-Vallon sont
souvent des mères. L’équipe soignante s’interroge sur les difficultés psychiques des enfants de ces
patientes souffrant de troubles psychiatriques chroniques. Nous proposons une réflexion concernant
l’héritabilité des troubles, et l’intérêt des psychiatres adultes pour la souffrance psychique des enfants mineurs de leurs patients. Ces réflexions nous ont amenés à organiser un groupe de parole sur
le thème de la maladie mentale en lien avec les questions de parentalité dans le but de donner une
place au vécu des enfants de nos patientes.
Mots-clefs : Relation parents-enfants, parentalité, troubles psychiques chroniques, transmission,
vulnérabilité, groupe de paroles
My children, my disease and me
Patients attending the psychiatric day hospital are often mothers. The paramedical team examines the
psychological problems of children of these patients with chronic psychiatric disorders. We offer a
reflection on the heritability of the disorders, and ask if psychiatrists for adults give interest in mental
suffering of the minor children of their chronic patients. These considerations led us to organize a
discussion group on the topic of mental illness in connection with parenting issues in order to give a
place to the experiences of children in our patients.
Keywords: Parent-child relationship, parenthood, chronic mental disorder, transmission, vulnerability, speaking group
INTRODUCTION
Le nouvel hôpital de jour (NHJ) de
l’hôpital psychiatrique du Beau-Vallon à
Namur accueille des femmes souffrant
d’une pathologie psychiatrique stabilisée.
Elles sont adressées après un séjour résidentiel en hôpital psychiatrique ou général, ou bien directement par leur
psychiatre traitant. Les patientes, après un
entretien d’admission et une période
d’essai d’une semaine ont la possibilité de
fréquenter jusqu’à cinq fois par semaine
l’hôpital de jour. La prise en charge pluridisciplinaire est essentiellement centrée
sur la thérapie de groupe. L’équipe est
constituée d’un psychiatre, de deux infirmières (l’une est coordinatrice), de
deux psychologues, de deux ergothérapeutes, d’un kinésithérapeute. Les activités proposées sont discutées et choisies en
concertation entre l’équipe et la patiente
après sa période d’essai. Ces activités
sont de quatre types : activités d’art thérapie, activités de mise en mouvement,
groupes de paroles et créativité. La grille
hebdomadaire de quatre activités par jour
permet le choix entre deux activités pour
chaque période. L’équipe et la patiente
veillent à une répartition variée durant les
périodes de fréquentation.
Au cours des groupes de parole, durant
les activités et lors des réunions d’équipe,
la question de la place symbolique des
enfants des patientes du NHJ a éveillé
dans l’équipe un questionnement quant à
66
la pertinence d’organiser des activités en
lien avec ces questions de parentalités.
Nous postulons que les enfants souffrent
de répercussions plus ou moins graves des
troubles de leurs parents. Parfois ils ont
été hospitalisés dans des unités mèrebébé, ils ont été témoins de leurs crises et
comportement aberrants. Ils peuvent aussi
devenir des soutiens pour leur parent malade (4). L’équipe s’est questionnée également quant à l’attitude à tenir vis-à-vis
des enfants d’une patiente dont la symptomatologie s’exacerbe. Les questions de
répercussion de la maladie sur la parentalité, de la transmission de la maladie mentale, de la souffrance psychique des
enfants des patientes animent fréquemment les réunions d’équipe.
C’est ainsi qu’est née l’idée d’organiser
un groupe de parole intitulé « mes enfants, ma maladie et moi » dont l’objectif
principal était d’amener le vécu des enfants des patientes au sein de l’hôpital de
jour.
Avant de détailler les objectifs, le déroulement, l’évaluation et les perspectives de
ce groupe de parole, nous résumerons de
façon succincte les données actuelles
concernant la transmission ou l’influence
des troubles mentaux des parents sur la
santé mentale des enfants. Nous proposerons également une réflexion quant à
l’intérêt des psychiatres adultes pour les
difficultés des enfants de leurs patients.
TROUBLES PSYCHIATRIQUES DES
PARENTS EN LIEN AVEC LA
SANTÉ MENTALE DES ENFANTS
La question de la transmission des
troubles mentaux n’est pas nouvelle, une
abondante littérature s’intéresse aux liens
entre l’environnement, la pathologie des
parents et la pathologie des enfants. La
conception organique (héritabilité avec
transmission de facteurs de vulnérabilité,
principalement génétiques) et la conception environnementale (influence du développement dans l’interaction parentsenfants) peuvent actuellement toute deux
être dépassées par des notions telles que
le tempérament et l’épigénétique que
nous ne détaillerons pas ici. Ces notions
nous invitent à la prudence dans
l’interprétation des résultats et dans
l’appréciation des mécanismes psychopathologiques en jeu. En effet, tant la génétique que l’environnement sont en
interaction avec les patterns relationnels
parents-enfants, avec l’expression des
vulnérabilités héritées génétiquement, et
avec les conditions environnementales.
(1)
Passons néanmoins en revue les données
actuelles concernant les principaux
troubles psychiatriques adultes et le lien
éventuel avec les troubles psychiques des
enfants de ces patients.
Le trouble bipolaire
Le trouble bipolaire de type 1 est rare
chez l’adolescent (3/1000), mais il est
quatre fois plus fréquent chez les enfants
de parents ayant un trouble bipolaire. Un
enfant sur deux ayant un parent bipolaire
présente d’autres troubles psychiatriques
aspécifiques comme des troubles du comportement, des troubles des conduites ou
des pathologies dépressives. (1)
Le risque génétique est indéniable, même
si la plupart des enfants de parents bipolaires ne développeront pas de troubles
bipolaires à l’âge adulte. Il est donc nécessaire d’identifier des signes prémorbides afin de reconnaître des groupes
d’enfants à risque et de faciliter une intervention préventive. Dans une recherche
qualitative, une étude récente propose une
description en sept axes sémiologiques
d’un « tempérament maniaque bipo-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Mes enfants, ma maladie et moi
laire ». L’expressivité présente une évolution développementale au fil des années
selon l’âge mais cette clinique reste identifiable chez l’adulte et est présente la vie
entière. Il s’agit d’enfants présentant les
signes cliniques suivants : forme superénergétique, une réduction du temps de
sommeil, un mal être en situation d’être
seul, des couleurs affectives expressives
(sentiments exprimés avec beaucoup
d’emphase, hyperlabilité émotionnelle),
une excitabilité et une désinhibition, une
prépondérance à l’attention divergente,
une tendance à l’hyperactivité. (6)
Les troubles anxieux
Les troubles anxieux représentent les
troubles psychiatriques les plus fréquents
à l’adolescence (9% des adolescents).
Leur héritabilité est de 30%, avec un
risque relatif quatre à cinq fois supérieur à
celui de la population générale en fonction des troubles, les plus transmissibles
étant le trouble obsessionnel compulsif et
le trouble de panique.
Avoir des parents anxieux est un facteur
de risque de dépression ou d’alcoolisme.
L’anxiété dans l’enfance ou l’adolescence
est également un terrain de vulnérabilité
pour d’autres pathologies psychiatriques
comme la dépression, le trouble bipolaire
ou la schizophrénie.
L’impact du comportement parental surprotecteur comme facteur pouvant jouer
un rôle pathogénique est souligné dans la
genèse de l’anxiété chez l’enfant. (1)
Troubles dépressifs
La
dépression
est
fréquente
à
l’adolescence (environ 5%), moins dans
l’enfance (1%) et son héritabilité des parents vers l’enfant est de 15 à 20%.
Les formes les plus précoces sont les
formes les plus familiales et le risque est
le plus important si l’épisode des parents
(principalement de la mère) est actuel.
Le risque de la dépression dans l’enfance
est multifactoriel, la dépression des parents n’est pas un facteur de risque
unique. Les troubles anxieux, les addictions, les troubles du comportement des
parents, leurs difficultés sociales ou leurs
attitudes éducatives jouent un rôle essentiel (1).
Troubles psychotiques
L’autisme et la schizophrénie sont les
pathologies les plus clairement familiales
mais du fait de leur gravité, les facteurs
génétiques et environnementaux sont particulièrement intriqués.
Des études sur des jumeaux homozygotes
mettent en évidence une concordance de
48%. Avoir deux parents schizophrènes
indique un risque de 40% de présenter
une schizophrénie. (5)
Avoir des parents schizophrènes augmente le risque de troubles psychiatriques
en général (schizophrénie, trouble bipolaire).
La dépression maternelle postnatale, perturbant les interactions précoces est un
facteur favorisant de schizophrénie chez
l’enfant.
Le mécanisme psychopathologique est lié
au mode relationnel perturbé, les périodes
de faible portage succèdent à des moments envahissants. La relation est marquée par cette discontinuité dont l’enfant
peut se défendre par des mécanismes affectant son développement psychique.
Alcoolisme
L’héritabilité s’élève de 52 à 64%. Cette
concordance familiale importante n’est
pas la preuve d’une transmission génétique. Il existe également une transmission culturelle, ainsi qu’une transmission
de nature psychique.
Finalement, le comportement addictif est
un comportement appris résultant des
représentations individuelles elles-mêmes
influencées par les processus physiologies
et génétiques ainsi que par les expériences
personnelles et familiales.
Conclusions sur la transmission des
pathologies parentales
Pour conclure au sujet de la transmission
des pathologies psychiatriques, on peut
retenir l’hypothèse de la « théorie des
deux coups ». Elle fait appel à la combinaison d’une vulnérabilité génétique et de
facteurs environnementaux en tant que
base de nombreux troubles psychiatriques. Les vulnérabilités génétiques représentent « le premier coup », le risque
de manifester réellement la maladie est
modulé par le « second coup » de type
environnemental. Il ne s’agit dès lors pas
d’un déterminisme absolu, les mesures de
prévention, de prise en charge précoce,
les choix personnels, la psychothérapie
peuvent transformer un destin apparemment néfaste en destinée plus favorable.
(3)
Soulignons la nécessité d’intervention
précoce pour les enfants et les programmes d’actions destinés aux familles.
Ces interventions passent nécessairement
par le renforcement des échanges du secteur de la psychiatrie adulte et du secteur
de la psychiatrie infanto-juvénile.
Il est parfaitement établi qu’une prise en
charge précoce des problèmes psychiatriques permet de minimiser les risques de
dégradation grave, mais la question du
suivi et de la prévention précoce des
troubles chez les enfants est une question
délicate. En effet, est-il justifié
d’organiser un suivi, et le cas échéant, par
quel intervenant, pour les enfants uni-
quement en raison de la maladie mentale
de leur parent. Dans ce cas, comment
identifier les troubles réactionnels aux
difficultés familiales ou des prodromes
d’une atteinte plus endogène nécessitant
une médication ou une psychothérapie ?
Il semblerait dès lors plus judicieux de
proposer un suivi aux enfants présentant
des signes d’appels de souffrance psychique (troubles externalisés du comportement, anxiété, inhibition…). Mais cela
est valable également pour les enfants
n’ayant pas de parents identifiés comme
malade mental. Il va de soi que ces questions relèvent de l’éthique et méritent une
réflexion plus approfondie sur la place de
chaque professionnel, du secret médical,
du libre arbitre des parents.
COMMENT LES PSYCHIATRES
D’ADULTES SOUFFRANT DE
TROUBLES PSYCHIQUES
CHRONIQUES PRENNENT-ILS EN
COMPTE LA SOUFFRANCE
PSYCHIQUE DES ENFANTS
MINEURS DE LEURS PATIENTS ?
Bien que la préoccupation ne soit pas
absente, les psychiatres adultes éprouvent
des difficultés à se préoccuper des enfants
mineurs de leurs patients. Plusieurs hypothèses peuvent être formulées pour expliquer cette difficulté à aborder la relation
parent-enfant.
Le psychiatre serait en proie à un conflit
de valeur entre les intérêts de son patient
et ceux de ses enfants dans le cadre d’une
relation thérapeutique centrée sur le patient. Plutôt que des personnes potentiellement en souffrance, la famille serait
considérée comme un support au patient. Aborder la souffrance des enfants
ferait courir le risque d’aggraver la faille
narcissique des patients, de majorer de
façon iatrogène leur culpabilité.
Or ceci représente une contradiction, car
la spécificité de la psychiatrie est justement de tenir compte de la globalité du
patient, d’ailleurs les psychiatres interrogent facilement le lien de son patient avec
ses propres parents… Le manque de connaissance des mécanismes psychopathologiques de développement, le
manque de familiarité avec la clinique de
la psychiatrie infanto-juvénile peuvent
aussi justifier cette difficulté à identifier
la souffrance psychique des enfants. (2)
Le développement de pratique de groupe
de réflexion éthique ainsi que la réflexion
au sujet de la formation des psychiatres
d’adultes sont certainement des pistes à
suivre afin d’encourager la prise en
compte de la souffrance psychique des
enfants. Ces pistes pourraient renforcer la
collaboration entre le secteur de la psy-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
67
Le travail avec les familles en hôpital de jour
chiatrie infanto-juvénile et la psychiatrie
adulte.
GROUPE DE PAROLE AU NOUVEL
HÔPITAL DE JOUR
En lien avec les demandes des patientes,
avec les questionnements de l’équipe et
avec les notions théoriques développées
ci-dessus, nous créons une activité dont la
finalité est de faire entrer les enfants des
patientes au nouvel hôpital de jour en
donnant une place à leur vécu. Plus précisément, nous souhaitons, en proposant ce
groupe de parole, inviter les patientes à
identifier les compétences parentales intactes et celles atteintes par la maladie
mentale. Par la suite, faire de ces fragilités, non pas un lieu de résignation, mais
un lieu d’intervention et de réflexion.
Nous décidons que l’activité la plus adaptée pour déployer ces objectifs est un
groupe de parole hebdomadaire. Nous le
proposons durant quatre mois, pour un
maximum de douze patientes. Le critère
d’inclusion est d’être mère, que les enfants soient encore mineurs ou déjà
adultes, les grands-mères sont donc les
bienvenues ! Le groupe est co-animé par
la psychologue du service et l’assistante
en psychiatrie, ou par l’ergothérapeute.
La durée de chaque séance est d’1h30. La
séance est prolongée par une activité d’art
thérapie d’1h30 directement en lien avec
le thème du jour abordé lors du groupe de
parole.
Onze patientes s’inscrivent, six d’entre
elle sont alcoolo-dépendantes, une présente un trouble psychotique, quatre patientes sont dépressives, la dernière
présente un trouble de personnalité de
type borderline. Elles fréquenteront en
alternance l’atelier pour former en
moyenne un groupe de six patientes.
Lors du premier groupe de parole, nous
recueillons les attentes des patientes :
elles souhaitent que le groupe les aide à
recréer, restaurer le lien avec leurs enfants, avec leurs petits-enfants, elles souhaitent être rassurées sur le lien existant.
D’autres attentes sont formulées : pouvoir
parler de leur maladie en termes adaptés à
leurs enfants, trouver un réconfort narcissique dans leur fonction maternelle, aborder les difficultés d’éducation. Cette
première séance est aussi l’occasion de
recueillir leurs appréhensions à s’inscrire.
Elles craignent d’être confrontées à un
débordement d’émotion, tant de leur part,
que de celle des autres participantes. Elles
ont en effet bien conscience de la charge
émotionnelle véhiculée lorsqu’on parle
d’un sujet aussi sensible que celui des
enfants. Quant à la difficulté à se dévoiler, à verbaliser ses failles, ses souffrances, si certaines le craignent, la
68
plupart sont familières des groupes de
parole et l’ont déjà surmonté.
Lors de certains groupes, nous introduisons les thèmes au moyen d’un média tel
que le photo-langage ou par une activité
d’écriture. A d’autres moments, le sujet
de discussion est proposé tel quel. La
discussion s’amorce toujours facilement.
Au fil des mois, nous abordons des
thèmes divers…
Que représente le terme de “bonne
mère” ?
La plupart des patientes idéalisent le rôle
de mère, véhiculant l’idée qu’une mère
doit être disponible, attentive, généreuse,
à l’écoute, joyeuse, patiente, aidante. Elle
doit apporter de l’amour, de la sécurité
affective, être attentive aux besoins de ses
enfants et s’y adapter au fil du temps.
Certaines peuvent nuancer les propos en
indiquant la possibilité d’ouvrir au
monde, de développer l’autonomie en
s’appuyant sur des relais comme le père,
ou les autres personnes en charge de
l’éducation des enfants. Elles soulignent
la nécessité d’être garantes des règles
(non-violence, politesse, sécurité…) et
d’inculquer des valeurs telles que le respect de soi et des autres. Des représentations telles que « une mère doit toujours
montrer que tout va bien » ouvrent la
discussion sur l’inévitable imperfection
de chacune, qu’elle soit en lien avec la
maladie ou non.
Compétences affectées par la maladie
Les représentations de la fonction maternelle idéalisée par nos patientes les amènent inévitablement à constater l’ampleur
du fossé entre ces représentations et les
compétences qu’elles ne peuvent développer dans la réalité ou dans leur imaginaire, ou que la maladie les empêche
temporairement d’acquérir. Les émotions
sont intenses lorsqu’on aborde la question, elles expriment de l’angoisse, de la
fatigue psychique.
Elles font le lien entre les manifestations
de la maladie et les conséquences sur la
fonction parentale affectée : une anxiété
débordante empêche d’affirmer des limites claires à son enfant, ou au contraire
avoir un comportement extrêmement contrôlant empêche le développement de
l’autonomie de l’enfant. La dépression ou
les épisodes alcooliques sont ponctués par
des absences suscitant chez les enfants
des sentiments d’abandon. L’irritabilité,
symptôme de dépression entraine des
comportements agressifs, maltraitants
physiquement ou psychologiquement. En
cas d’alcoolisme, elles constatent la rupture entre les valeurs censées être véhiculées par leur fonction maternelle, et la
réalité d’une image dégradée, négligée,
sans respect pour elles-mêmes.
Fonction de la maladie dans la relation
Le fait de souffrir d’une maladie psychiatrique a des conséquences sur la dynamique relationnelle qui s’installe entre le
parent et son enfant. Lorsque nous abordons ce thème, plusieurs patientes alcooliques expriment des attentes vis-à-vis de
leurs enfants : soutien, encouragement,
motivation à arrêter de consommer.
D’autres patientes réagissent, soulignent
dès lors le risque de parentification de ces
enfants. Nous faisons le lien entre ces
attentes et les représentations de la fonction maternelle.
Le fait d’être malade implique des hospitalisations et des séparations avec les enfants. La famille se réorganise durant ces
absences, lors du retour, il n’est pas facile
de reprendre sa place. La connotation
péjorative de l’hôpital psychiatrique, de la
maladie alcoolique ont dégradé l’image
des patientes, elles se sentent stigmatisées, leur avis est moins entendu, elles se
disent “sur la touche”.
Pour d’autres, la maladie légitimise
l’impossibilité de réaliser certaines activités avec les enfants, comme cette patiente
empêchée d’accompagner ses filles à la
piscine en raison de sa fibromyalgie.
Nous pouvons aborder, lors de ce thème,
la notion de parentalité partielle et reconnaitre les parties saines de ces mères.
Nous pouvons aussi réfléchir à la possibilité d’exprimer ses préférences, d’avoir le
droit de ne pas apprécier toutes les activités avec les enfants, en dehors de toute
référence à une maladie sans affecter la
relation parent-enfant.
Manifestation de souffrance des enfants
Les enfants de nos patientes ont été témoin des hospitalisations, des crises, ils
ont été confrontés à leurs comportements
aberrants. Les patientes identifient les
signes de souffrance de leurs enfants :
sentiment d’abandon, troubles externalisés du comportement, anxiété, dépression,
repli sur soi, obésité, comportements de
protection vis-à-vis du parent. Nous mettons en lien ces signes avec les difficultés
rencontrées dans l’exercice de la parentalité.
D’autres enfants mènent une vie qui
semble équilibrée, soulignant leur capacité de résilience. Un bel exemple de sublimation est illustré par la fille d’une
patiente qui exprime le projet de devenir
pédopsychiatre, une autre souhaitant devenir psychologue !
Identification du vécu des enfants
Nous leur demandons à ce stade du
groupe de parole d’essayer d’identifier
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Mes enfants, ma maladie et moi
les émotions de leurs enfants au travers
un exercice d’écriture. Les textes seront
ensuite partagés en groupe.
Des vécus tels que le sentiment
d’abandon, la colère, l’inquiétude, la peur
de la mort du parent, le désarroi d’être
impliqué dans les confidences, la honte.
L’amour, la loyauté vis-à-vis du parent
restent présents, ce qui plonge les enfants
dans un mélange et une ambivalence de
ressentis différents.
Sur le sentiment d’abandon, nous pouvons aller plus loin grâce au récit de patientes ayant elles-mêmes vécu avec des
parents souffrant d’alcoolisme ou de dépression. Ces patientes nous expriment
leurs ressentis de petites filles et expliquent de quelle façon elles se sont attribué cet abandon, pensant qu’elles
n’étaient pas suffisamment intéressantes
aux yeux de leurs parents.
La souffrance psychique des patientes est
parfois telle qu’elles ne peuvent s’en dégager pour accéder à celle de leurs enfants. Le thème du groupe de parole dans
ces situations nous a permis de les aider à
verbaliser leur vécu d’enfant souffrant. Ce
faisant, d’autres mères plus âgées ont pu
accéder au vécu similaire de leurs enfants.
Au travers des dires, des souffrances racontées et des difficultés énoncées sur le
sujet de la maternité, ce sont aussi les
conflits infantiles non résolus, les traumas
ou encore les blessures non reconnues qui
résonnent et font entrave à la parentalité.
Donner une place symbolique à l’enfant,
au sein du cadre de soin de la mère, c’est
une manière de dégager l’enfant des projections mortifères de celle-ci. Le groupe
« ma maladie, mes enfants et moi » est un
lieu intermédiaire dont la fonction contenante a permis l’expression de sentiments
d’angoisse, de honte et de culpabilité, tout
en essayant de renforcer l’assise narcissique de la mère, de la femme adulte ainsi
que ses potentialités à être parent.
Médiation artistique
En deuxième partie d’atelier, l’utilisation
de médias artistiques avait pour objectif
de figurer, transformer, intégrer et accepter les diverses émotions de culpabilité,
de honte ou de colère qui ont émergés
dans la partie groupe parole. Les médias
artistiques n’assistent pas le thérapeute
comme un déclencheur de la parole mais
revêtent
ici
une
fonction
d’accompagnement symbolique des émotions et des représentations du sujet. Au
travers de la peinture, de la photo et de
l’écriture, les mères se disent et racontent
leur famille, sans employer le “je” ou le
“nous”. Elles deviennent dès lors “Sujet”
d’une création en côtoyant, dans un même
mouvement, leurs problématiques profondes. Espace de liaison entre l’enfant
symbolique et leur ressenti de mère, entre
l’identité familiale et l’identité personnelle, cet atelier est aussi une aire
d’oscillation entre la culpabilité et la déculpabilisation ou encore entre la présence et l’absence.
Les thèmes de la famille et sa représentation par l’arbre, de la transmission et des
prénoms ont été proposés lors des séances
thérapeutiques avec médias artistiques.
Les séances sur l’arbre familial
Par sa forme métaphorique, l’arbre permet de figurer des relations psychiques
difficilement exprimables en mots.
L’arbre exige de s’inscrire dans une lignée, il renvoie aux origines et à la descendance, il questionne l’histoire
familiale.
Les séances sur les prénoms
Se recentrer sur le prénom donné à
l’enfant
est
une
invitation
à
l’individualiser, à être à l’écoute de son
ressenti, de ses besoins et de sa sensibilité.
Les séances sur la transmission
Les liens familiaux trouvent leur origine
dans les transmissions générationnelles
qui participent à la construction de
l’identité du groupe familial. Si certaines
transmissions familiales perturbées génèrent des troubles et des souffrances psychiques qui témoignent de la pathologie
des liens, d’autres modes de transmissions
et de secrets ont des conséquences plus
positives et parfois contribuent à la stimulation de la créativité. (7)
Evaluation du groupe de paroles
Nous avons défini quelques indicateurs
nous permettant d’évaluer le groupe de
travail.
Le succès de l’activité
Parmi les patientes-mères susceptibles de
s’inscrire, il est faible. Parmi les patientes
inscrites, cinq ont fréquenté de façon régulière le groupe, six l’ont fréquenté de
façon très irrégulière ou ne se sont plus
présentées après deux ou trois séances. En
lien avec ce qui a été dit précédemment,
nous pensons que le thème du groupe
représente une difficulté pour les patientes fragilisées dans leur narcissisme à
se confronter à leurs failles. Nous l’avons
constaté lors de moments d’émotion intense. Pour d’autres patientes, différencier
sa souffrance de celle de leurs enfants,
différencier leur vécu de celui de leurs
enfants, identifier des besoins différents
des leurs est impossible. Le déni et la
résistance font partie de la symptomatologie des pathologies psychiatriques, accepter de reconnaitre la maladie, d’en
parler, d’envisager les conséquences sur
l’entourage représente la suite d’un chemin qui n’est pas encore entamé pour
certaines patientes. Enfin, d’autres patientes ne sont plus en lien avec leurs enfants, après une mise à distance
protectrice mise en place par ceux-ci ou
contraintes par les services de protection
de la jeunesse, d’autres selon leur volonté.
Elles ont probablement fait le deuil de la
relation avec leurs enfants et ne souhaitent pas raviver une douleur qui pourrait
être trop intense.
La dynamique de groupe
Elle est un critère particulièrement intéressant. Réunir deux générations de patientes a donné accès aux patientes plus
âgées au vécu de “petite fille” de patientes ayant eu elles-mêmes des parents
alcooliques ou dépressifs. Il était probablement plus acceptable de l’entendre
d’une autre bouche que de celles de leurs
propres enfants. Les patientes plus jeunes
ont entendu les regrets, les conseils des
patientes plus âgées vis-à-vis de leurs
enfants.
Le partage du sentiment de culpabilité, du
sentiment d’échec, la verbalisation de
ressentis comme la honte a procuré de
l’apaisement. Reconnaitre les parties
saines de sa relation avec les enfants a
permis de restaurer l’image de soi de certaines patientes.
Les participantes ont élargi leurs connaissances au sujet des ressources possibles
autour de l’éducation des enfants (SAJ,
aides familiales, relais vers la famille,
place donnée au père des enfants).
L’évaluation positive du contenu des
échanges, des interactions entre les patientes, de l’intérêt pour le thème nous
encourage à poursuivre les échanges sur
la thématique et à poursuivre la réflexion
quant à l’intérêt de prendre en compte le
vécu des enfants lors de la maladie mentale de leur parent. Le développement
d’ateliers conjoints mère-enfants, la mise
en place de groupes de parole “multifamilles” pourraient à ce titre faire suite à
cette première expérience positive.
CONCLUSION
Les patientes souffrant d’une maladie
psychiatrique présentent en général un
appauvrissement de leur vie sociale, elles
se sentent stigmatisées, ont une estime
d’elle-même affectée, particulièrement
dans leur rôle de mères. Elles décrivent
devoir développer une lutte supplémentaire pour continuer à “faire partie du
jeu”. Elles développent dès lors une culpabilité importante. Certaines se protègent de leurs fragilités parentales en
attribuant ces fragilités à la maladie.
Notre groupe de parole a permis de regarder en face les fragilités en lien avec la
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
69
Le travail avec les familles en hôpital de jour
maladie psychiatrique, les conséquences
sur le vécu des enfants et les signes de
souffrance, notamment par les exercices
d’empathie. Il a été possible également
d’établir des liens entre la souffrance actuelle des enfants et l’origine des fragilités dans un vécu d’enfant souffrant.
En ce sens, les fragilités ne sont pas un
lieu de résignation mais bien un lieu
d’intervention permettant l’identification
progressive des besoins propres des enfants, différents de ceux de leurs mères.
Enfin, la souffrance vécue par les enfants
de ces patientes ne doit pas être minimisée. Elle doit nous alerter et nous inciter à
identifier ou solliciter des relais et des
aides appropriées. Le renforcement des
interactions entre le secteur de la psychia-
70
trie adulte et de la psychiatrie infantojuvénile prend ici tout son sens. Cela doit
également nous pousser à mener plus loin
la réflexion sur la place des familles et
des enfants dans l’hospitalisation de jour
et à inventer des modes de prise en charge
qui pourraient satisfaire aux besoins de
nos patients et de leurs enfants.
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parents et santé mentale de l’enfant, EMC
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2/2007 (n° 22), p. 27-42
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
LES PROCHES AIDANTS :
UNE CONSULTATION AU FIL DU TEMPS
CPA – Consultation pour proches aidants
Service universitaire de l’Age avancé
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
16 chemin de Mont Paisible
1011 LAUSANNE
SUISSE
[email protected]
Sylvie CAJOT, Virginie DE VEVEY, Jean BIGONI, Patricia BUTHEY
Le vieillissement démographique va en croissant. Selon l’Association Alzheimer Suisse, en 2050, une
personne de plus de 65 ans sur huit sera atteinte de démence. Il semble alors urgent de mettre en
place des stratégies pour faire face à cette « épidémie ». Les proches qui s’occupent de leurs parents
malades sont une ressource inestimable pour notre société. En effet, les soins « gratuits » qu’ils prodiguent à leur proche malade constituent une économie massive pour les coûts de la santé. Par ailleurs, les proches aidants sont particulièrement vulnérables sur les plans psychiques et physique et ce
dû à la charge importante de travail que leur confère leur statut. Nous devons donc prendre soin de
ces précieux collaborateurs. La Consultation psychologique pour Proches Aidants a été mise sur pied
à cet effet. Suite à une brève présentation de notre consultation, nous illustrerons notre pratique au
travers de trois vignettes cliniques correspondant à trois moments-clés de la maladie : l’annonce du
diagnostic de démence, la vie au quotidien avec le malade, et l’entrée en maison de retraite.
Mots-Clefs : Proche aidant, aidant naturel, aidant informel, Alzheimer, Démence, Soutien psychologique, Conseil, Prévention, Psychothérapie
Family caregiver, counseling during time
The aging of the population is increasing. The Swiss Alzheimer’s Association (Association Alzheimer
SUISSE) predicts that in 2050 every eighth person over sixty-five will suffer from dementia. It seems
thus imperative to set up strategies to face this « epidemic ». Caregivers that look after their ill family
member represent an unestimated resource for our society. Indeed, the « free » help they dispense to
their ill close one constitutes massive savings for our society’s healthcare costs. Furthermore, caregivers are particularly vulnerable on psychological and physical levels due to the important workload
their special status confers on them. Therefore, we must take care of these invaluable collaborators.
The Caregivers’ Psychological Consultation was set up for this purpose. After a brief presentation of
our consultation, we will illustrate our work through three clinical vignettes matching three key moments throughout the illness: the dementia diagnosis, everyday life with an ill family member, and
entering a nursing home.
Keywords: Caregiver, Family caregiver, Friend caregiver, Natural caregiver, Informal caregiver,
Alzheimer’s desease, Dementia, Psychological support, Counseling, Prevention, Psychotherapy
INTRODUCTION
La maladie d’Alzheimer et les autres pathologies apparentées représentent un
important défi en termes de santé publique. On évalue à 8 000 le nombre de
personnes atteintes de démence uniquement dans le canton de Vaud en Suisse.
Les patients étant souvent entourés de
proches, le nombre de personnes concernées s’élève à 30 000. En 2007, les coûts
globaux pour ces pathologies sont estimés
à 6,3 milliards de francs pour la Suisse.
De par les perspectives démographiques
attendues, ces chiffres devraient encore
évoluer de manière préoccupante. Selon
l’Association Alzheimer Suisse, en 2050,
une personne de plus de 65 ans sur huit
sera atteinte de démence (Service de la
santé publique, 2010).
Dans ce sens, un « Programme Alzheimer » a été mis en place au niveau cantonal en 2010. Ce dernier est chapeauté et
largement financé par le SASH (Service
des
Assurances
Sociales
et
de
l’Hébergement). Notre Consultation psy-
chologique pour Proches Aidants (ciaprès CPA) née en 2007 au sein du Service Universitaire de Psychiatrie de l’Âge
Avancé (SUPAA) a pu trouver un nouvel
élan au travers du soutien du SASH à
partir de 2010. Les missions principales
de la CPA sont notamment : d’offrir à
tout proche aidant désireux, un soutien
psychologique et psychothérapeutique,
d’offrir des prestations de type « conseil
spécialisé » de manière à développer les
compétences des proches aidants, et de
proposer ponctuellement à des prestataires de soins un accompagnement quant
à certaines situations complexes au travers d’une réflexion sur les dynamiques
du système « soignant – soigné – famille ».
Il existe plusieurs termes pour qualifier
les personnes s’occupant d’un malade.
Nous avons choisi d’utiliser le terme
proche aidant car il est, à notre sens, plus
représentatif du rôle joué par l’entourage
intime, qui ne correspond ni à quelque
chose de naturel, ni au qualificatif
d’informel, le travail fourni par les
proches soulageant considérablement la
société (en moyenne 50 heures de travail
actif1 par semaine, soit plus d’un travail à
temps plein) (Association Vaudoise
d’Aide et de Soins à Domicile, 2012).
Selon plusieurs auteurs (Bocquet et Andrieu, 1999 , Tyrrell, 2004 , Zarit et Edwards, 1996), le stress éprouvé par le
proche aidant peut être conditionné par
trois éléments : son contexte de vie comprenant ses ressources psychologiques,
familiales, sociales et financières , les
facteurs de stress primaires, regroupant
les éléments liés à l’aide apportée au malade (temps, nature des soins, agressivité
du malade pouvant se sentir infantilisé par
certains gestes) et les facteurs de stress
secondaires qui se rapportent aux conséquences de l’aide fournie au malade (isolement social, diminution voire absence
de loisirs et de temps pour soi, fatigue,
conflits familiaux, répercussions sur
l’activité professionnelle). Dans notre
consultation, nous ciblons l’ensemble de
ces facteurs de stress : nous pouvons, par
exemple, proposer au proche de travailler
sur ses résistances à déléguer des soins à
des professionnels afin de préserver la
qualité de sa relation avec son parent et de
s’accorder quelques heures durant lesquelles il pourra s’adonner à ses occupations. Ainsi les objectifs de la CPA sont
d’offrir un lieu d’écoute et de soutien
psychologique aux proches. Ceci de manière à mobiliser et développer leurs ressources ainsi que leur permettre de
reconnaître leurs limites afin qu’euxmêmes ne tombent pas malades.
Comme déjà évoqué plus haut, notre consultation est inscrite au sein d’un Service
Universitaire de Psychiatrie de l’Âge
Avancé et en ce sens intervient de manière transverse, d’une part en ayant une
activité au sein des différentes unités du
Service (hôpital de jour, consultation psychiatrique ambulatoire, équipe mobile,
unité de liaison psychiatrique, …), et
d’autre part en collaborant étroitement
1
Ces 50 heures ne comprennent pas le temps de
présence ni celui de vigilance que les proches
doivent également assumer
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
71
Le travail avec les familles en hôpital de jour
avec d’autres institutions de santé (médecins traitants, consultations mémoire,
autres départements de l’hôpital universitaire : gériatrie, urgences, …) ou
d’hébergement (des Centres MédicoSociaux d’aide et de soins à domicile, des
Structures de Préparation et d’Attente à
l’Hébergement en maisons de retraite
(SPAH), des Etablissements MédicoSociaux (EMS), …). Pour faciliter ces
collaborations, nous nous déplaçons régulièrement dans les différentes structures
ou au domicile de proches qui ne peuvent
pas venir sur notre lieu de consultation
principal. Cette mobilité est parfois nécessaire afin d’établir un premier lien lors
d’une demande hésitante. Toujours dans
ce sens, nous demandons aux professionnels de la santé avec lesquels nous collaborons de nous présenter aux proches et
de leur demander leur accord pour que
nous les contactions. En effet, nous avons
constaté que les proches aidants ne sont
pas aisément enclins à demander de
l’aide, et ce même lorsqu’ils se retrouvent
en grande détresse. Seulement une minorité des proches en possession de nos
coordonnées nous contacte spontanément.
Actuellement, forts de ce constat, nous
appelons les proches pour fixer un éventuel premier entretien. Si ces derniers ne
ressentent pas le besoin de venir de suite,
nous leur proposons alors de reprendre de
leurs nouvelles dans les mois qui suivent.
De cette façon, le lien est maintenu et les
proches se sentent libres de disposer de ce
soutien. Finalement, nous nous engageons
à communiquer avec le professionnel qui
nous a adressé la demande et de lui
transmettre, avec l’accord du proche, les
informations qui nous semblent importantes.
Au sein des unités hospitalières et de
l’hôpital de jour, les équipes infirmières
apprécient généralement la collaboration
avec la CPA. En effet, la création d’un
espace spécifiquement destiné au soutien
des proches aidants permet aux équipes
soignantes de prendre une certaine distance avec des situations familiales complexes et ainsi de se consacrer plus
sereinement aux soins directs du patient.
Il y a de ce fait une répartition des rôles
qui se révèle fructueuse. De plus, lorsqu’un suivi des proches aidants a pu se
faire en amont d’une éventuelle hospitalisation, ces derniers sont souvent mieux
informés au moment de la prise en soins
du patient. Ceci diminue considérablement l’anxiété de l’entourage voire du
patient lui-même, de manière indirecte,
avec très souvent une régression des
SCPD2. La CPA, comme évoqué plus
2
Symptômes comportementaux et psychologiques de la démence
72
haut, intervient également sur demande
auprès des équipes soignantes pour des
situations qui se révèlent touchantes et
difficiles.
Maintenant que nous avons décrit quelques aspects concrets de notre consultation, nous allons développer les
prestations à proprement parler que nous
proposons aux proches aidants.
CAS CLINIQUES
Bien que les craintes et la souffrance induites par un processus démentiel soient
omniprésentes tout au long de l’évolution
de la maladie, chaque stade de cette dernière occasionne certaines plaintes et demandes spécifiques des proches. Ainsi les
problématiques travaillées en entretien
avec les proches varient selon le stade de
l’évolution de la maladie. Nous allons
présenter trois vignettes cliniques qui ne
sont pas représentatives de toutes les problématiques rencontrées, mais qui ont
l’avantage d’illustrer en partie notre travail. Nous vous proposons de nous suivre
dans l’accompagnement de ces proches
que nous avons rencontrés lors de moments charnières de l’évolution du processus dégénératif du patient.
Après les symptômes qui amènent à la
première consultation, faite la plupart du
temps auprès du médecin généraliste,
débute souvent une démarche auprès de
structures médicales spécialisées. Celle-ci
débouchera sur une annonce de diagnostic. Ce dernier est souvent difficile à établir de par la complexité des tableaux. De
plus, il est généralement annoncé en plusieurs fois et avec des informations qui ne
sont pas toujours intelligibles ou assimilables affectivement pour les patients et
les proches qui les accompagnent. En
effet, la temporalité de la procédure de
diagnostic n’est souvent pas la même que
la temporalité nécessaire au patient et aux
proches pour entrer dans un processus
d’acceptation. On a en tête, ici, les étapes
de deuil décrites par Kübler-Ross (2009)
(déni, colère, marchandage, dépression,
acceptation). Cela peut donc engendrer
une grande souffrance qui mérite d’être
accompagnée et partagée. Ceci peut diminuer le développement de problématiques
surajoutées comme une dépression prolongée par exemple. Cette première étape
est évidemment vécue de manière très
différente par chacun, avec toutefois des
questionnements et de l’anxiété qui se
retrouvent dans de nombreux entretiens :
« Mon conjoint change, mais je ne comprends pas pourquoi », « Je refuse cette
maladie », « Vais-je réussir à supporter
les troubles de mon conjoint et à
l’accompagner ? »
Suite à l’annonce du diagnostic arrive une
deuxième étape : le processus dégénératif
provoque irrémédiablement une péjoration de l’état du patient, amenant de nouveaux troubles. Ce déclin nécessite de
constantes réadaptations et réaménagements au quotidien. Les symptômes devenant de plus en plus manifestes, ils
impliquent une charge de travail conséquente. Parallèlement, cette adaptation
doit s’accompagner d’un travail affectif
de la part du proche. Que lui renvoie la
maladie du patient ? Que cela signifie-t-il
pour lui ? Les rôles relationnels doivent
être redéfinis (« Je ne peux plus
m’appuyer sur mon mari »). Cette souffrance est fréquemment accompagnée
d’agressivité au sein de la dyade patientproche. Le proche, seul, angoissé et fatigué décharge une certaine amertume
contre ce conjoint qui ne remplit plus son
rôle. Le patient peut, quant à lui, avoir de
la difficulté à accepter sa dépendance et
se sentir infantilisé par le soutien que le
proche lui fournit. Cette étape est souvent
marquée par un questionnement et une
culpabilité ; il n’est pas rare qu’une demande d’aide de la part du proche soit
perçue par lui-même comme une équivalence de détachement ou d’abandon.
Dans un troisième temps, la gravité des
symptômes et l’épuisement du proche
rendent inévitable un placement en maison de retraite. Après avoir passé tant
d’années ensemble, la séparation peut être
difficile à vivre. Elle annonce, à nouveau,
de manière évidente la future perte de
l’être aimé. Une fois le patient placé, le
proche se retrouve face à un énorme
changement dans l’organisation de son
quotidien, changement souvent difficile à
accepter. Une préoccupation quotidienne
laisse place à un grand vide temporel,
social et affectif. « Je lui consacrais tout
mon temps, je ne sais plus quoi faire » ;
« Je vais tous les jours lui rendre visite à
l’EMS » , « Je me sens coupable de me
sentir soulagée » , « J’ai peur, l’EMS, on
en sort que les pieds en avant ».
Mme T. ou l’acceptation du diagnostic
Mme T. nous a été adressée par le Centre
Leenaards de la Mémoire (CLM). Son
mari venait de recevoir le diagnostic de
démence précoce d’Alzheimer à 51 ans.
Suite à cette annonce, Mme T. était dans
un profond désarroi : perdue, elle était en
recherche de sens et d’explications. M. T.,
ancien co-directeur d’une PME, licencié
depuis peu, n’était plus capable de travailler en raison de ses pertes de mémoire. Cette situation a engendré des
problèmes financiers, une réorganisation
du quotidien, une angoisse face à
l’avenir, de l’incompréhension et des
conflits de couple.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Les proches aidants : une consultation au fil du temps
Il a été difficile pour Mme T. de recevoir
le diagnostic. D’une part, la précocité des
troubles rendait l’annonce d’autant plus
inacceptable et d’autre part madame avait
une représentation de la maladie qui ne
correspondait pas à la symptomatologie
débutante observable alors chez son mari.
En effet, bien qu’il se soit fait licencié, le
patient pouvait encore assumer son rôle
de mari et les changements de son comportement au quotidien ne semblaient que
débuter. Mme T. expliquait qu’elle doutait du fait que son époux oublie vraiment
certaines choses ou n’arrive plus à
s’organiser et se demandait par conséquent s’il n’y avait pas un manque de
volonté de sa part. Elle se trouvait devant
un véritable dilemme interne : accepter la
maladie représentait alors l’annonce assurée d’un deuil lent et douloureux et ne pas
l’accepter l’amenait à se demander comment comprendre ces changements chez
son mari. Le déni, comme mécanisme de
défense, même s’il représente une phase
normale et attendue du processus
d’acceptation, a cependant un “coût” : il
confrontait, à ce moment, Mme T. à un
manque de sens, des doutes et de l’anxiété
(« S’il fait exprès, c’est qu’il n’aime plus
notre couple », « À chaque fois qu’il déplace ce que je viens de ranger, j’ai
l’impression qu’il cherche à me provoquer »). Le déni a bien évidemment une
fonction protectrice, mais s’avère rapidement dysfonctionnel.
Pour amener Mme T. à accepter la maladie diagnostiquée, nous avons commencé
par lui décrire les symptômes de la démence, ceci afin de l’aider à faire des
liens entre ces derniers et ce qu’elle pouvait observer tous les jours. Il a fallu pour
cela respecter la temporalité nécessaire à
la digestion de l’annonce. Une fois la
maladie de son époux comprise, il lui a
alors été possible de prendre conscience
de nouvelles émotions et de les nommer
(tristesse,
frustration,
sentiment
d’impuissance). Mme T. a progressivement pu amener en séance les troubles
qu’elle observait chez son mari et ses
propres manières de réagir, sur lesquelles
nous avons pu réfléchir. Il a également été
possible d’aborder ses représentations de
la maladie et de son évolution, ce qui a
permis une meilleure compréhension et
une diminution globale de l’anxiété et des
conflits de couple.
Mme L. ou l’évolution de la maladie
Mme L. nous a été adressée par une consultation mémoire suite à l’annonce d’un
diagnostic de troubles cognitifs légers
chez son mari. Nous avons accompagné
durant quatre ans Mme L. qui avait des
difficultés à s’adapter aux changements
imposés par la maladie de son époux. Les
relations de couple étaient mises à mal
par la passivité de monsieur. Passivité
incomprise par Mme L. qui souffrait
beaucoup des refus de son mari pour
toutes activités communes. Ses tentatives
pour le stimuler restaient sans effet. Mme
était frustrée et agacée. Quant à M. L., il
exprimait, lui aussi, son irritation. De
plus, en dépit de ces nombreuses difficultés, Mme L. refusait toute aide. La maladie progressait et un diagnostic de
démence a été posé. Une chute à domicile
a entrainé l’hospitalisation de monsieur
et l’acceptation par madame, alors dépassée par la situation, de mettre en place
un réseau de soins pour son mari.
Mme L. avait constaté une péjoration de
l’état de son mari depuis l’annonce du
diagnostic. Elle devait lui rappeler de
faire sa toilette chaque jour, l’aider pour
s’habiller, lui remémorer qu’il avait déjà
mangé son repas de midi. Il devenait de
plus en plus dépendant d’elle pour les
activités du quotidien. Mme L., de son
côté, se sentait seule responsable du bienêtre de son époux et anticipait ses
moindres besoins, ce qui la mettait dans
un constant état d’alerte et de tension.
Paradoxalement, elle était par moment
très exigeante avec lui, lui demandant
d’assumer toutes les choses qu’il faisait
encore par le passé (qu’il tienne une discussion, qu’il prenne des initiatives). À
force d’être toujours après lui, elle finissait par le surstimuler et avait tendance à
n’accorder aucun moment de répit ni à
elle, ni à son mari.
Après avoir mis en évidence la fatigue
engendrée par son hypervigilance, Mme
L. a pu reconnaître son épuisement, ce qui
permis d’essayer de comprendre pourquoi
elle se mettait dans une telle situation.
Mme L. a finalement pu donner un sens à
ses comportements apparemment contradictoires. D’une part, elle entretenait ainsi
un secret espoir de prévenir la péjoration
des symptômes de son mari et d’autre
part, elle a abordé un autre point qui nous
semblait très important : elle avait peur
que son mari ne la reconnaisse plus et
l’oublie. Nous avons en tête ici les propos
de
Jacqueline
Schaeffer
sur
l’investissement narcissique au féminin
« chez les femmes c’est leur corps tout
entier qui est investi, mais celui-ci est
dépendant de la réassurance du regard de
l’autre (…) le besoin de reconnaissance
du narcissisme phallique c’est d’être admiré, celui du narcissisme féminin est
d’être désirée (…) elle construit son objet
libidinal sur le désir d’être désirée ».
Nous avons souligné l’impact de cette
inquiétude dans son quotidien : être constamment après son époux s’avérait être à
son sens une bonne stratégie pour rester
présente dans sa mémoire et maintenir
une intégrité narcissique.
Cet état d’hypervigilance a également
amené M. L. à se sentir infantilisé. Il vivait mal que son épouse puisse faire les
choses à sa place et n’acceptait pas
qu’elle lui parle parfois comme à un enfant. Les entretiens ont permis à madame
de reconnaître et de se centrer sur des
compétences et des aspects de son mari
que la maladie n’avait pas affecté. Nous
avons également réfléchi ensemble à la
manière de valoriser ce que son conjoint
pouvait toujours faire seul et sans surveillance, par exemple regarder une émission
de télévision. Mme L. a pu progressivement s’ajuster aux besoins constamment
en redéfinition de son mari. Cette élaboration lui a également permis de se décentrer et d’avoir un regard sur ses attentes,
ses craintes et ses comportements, ce qui
a eu un effet bénéfique sur les mouvements agressifs qu’elle manifestait dans
un premier temps (ton agressif, infantilisation, gestes brusques). Par ailleurs, cette
prise de distance l’a amenée à prendre
conscience des efforts fournis, des deuils
nécessaires et ainsi de métaboliser la culpabilité en lien avec ses mouvements
agressifs. Elle a ainsi pu identifier qu’elle
était triste et en colère d’avoir perdu le
soutien de son époux. Par la suite, Mme
L. a réalisé la nécessité de se repositionner dans la relation à son mari. En effet,
la dépendance grandissante du malade
impliquait une remise en question de la
dynamique du couple avec une redéfinition des rôles de chacun. Elle n’était plus
seulement une épouse, mais ne se réduisait pas non plus à une soignante.
Dans l’optique de rétablir un certain équilibre dans le couple, nous avons proposé à
Mme L. de déléguer en partie ses tâches
de soignante afin qu’elle puisse se consacrer à son rôle d’épouse. Suite à un refus
initial des aides proposées, nous avons
travaillé avec Mme L. sur ses résistances.
Consentir à la mise en place d’un soutien
impliquait pour elle de reconnaître ses
limites et de s’y confronter : « Si je confie
mon mari à quelqu’un d’autre, cela signifie que je ne suis pas capable de prendre
soin de lui comme il faut ». Petit à petit,
Mme L. a pu admettre la lourdeur de certaines tâches, comme la toilette intime de
son mari qui était devenue une situation
gênante pour l’un comme pour l’autre.
Nous l’avons alors encouragée à se centrer sur des activités leur conférant du
plaisir à tous les deux, comme les promenades par exemple.
Mme L. avait également fait des promesses à son mari : « Je lui ai juré de
prendre soin de lui jusqu’au bout ». Il
s’agissait dès lors de lui faire prendre
conscience des conflits de loyauté qui la
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
73
Le travail avec les familles en hôpital de jour
travaillaient. Nous l’avons aidé à réaliser
qu’en acceptant une aide, elle ne laissait
pas tomber son mari mais qu’au contraire,
elle mettait tout en œuvre pour tenir cette
promesse. En évitant de s’épuiser, elle
pourrait le garder plus longtemps auprès
d’elle à domicile.
Finalement, madame a pris conscience de
la lourde responsabilité et des risques
inhérents à sa situation. En effet, en restant l’unique soutien de son mari, elle les
exposait à de grandes difficultés en cas de
problème : de son état de santé dépendait
la prise en charge de son mari. « Je ne
peux pas tomber malade ! S’il m’arrive
quelque chose, qu’adviendra-t-il de
lui ? ». Le moindre souci de santé devenait anxiogène et problématique. La
crainte d’être oubliée de son mari à
l’introduction d’aides externes (« S’il va
en centre d’accueil la journée, me reconnaîtra-t-il à son retour à la maison ? ») a
pu être raisonnée et Mme L. a réalisé
l’importance de mettre en place un réseau
d’aide avant d’être confrontée à une urgence. Le réseau de soin a finalement été
accepté et dans les faits a été vécu comme
un grand soulagement. Mme L. a même
exprimé le regret de ne pas l’avoir mis en
place plus tôt.
Mme J. ou l’adaptation à la nouvelle
vie en EMS
Mme J. a contacté spontanément la CPA
car elle vivait difficilement le placement
récent de sa mère en maison de retraite.
En effet, outre la tristesse de voir sa mère
entrer en maison de retraite, Mme J. assistait impuissante à l’aggravation des
troubles cognitifs de cette dernière avec
comme conséquence principale une diminution de sa capacité à communiquer.
Mme J., depuis toujours très proche de sa
mère, était obnubilée par cette distance
progressivement croissante imposée par
l’aggravation de la maladie. Elle faisait
donc son possible pour lui rendre régulièrement visite en dépit d’un emploi à plein
temps aux horaires irréguliers. Peu à peu
amenée à un important état d’épuisement,
elle a finalement choisi de s’interroger
sur sa manière de faire.
Epuisée, Mme J. a décidé en accord avec
son médecin de famille de placer sa mère
en maison de retraite. Après le placement,
Mme J. continuait à s’investir considérablement dans l’accompagnement de celleci. En effet, ses visites quotidiennes ne lui
permettaient pas de profiter du répit que
cette nouvelle situation aurait dû lui apporter. Nous avons donc essayé de comprendre l’ambivalence de Mme J. par
74
rapport à l’aide mise en place. Elle nous a
d’abord confié ressentir un vide important
depuis le placement de sa mère: « Je lui
consacrais chaque moment où je n’étais
pas au travail, et maintenant je ne sais
plus quoi faire de mon temps libre ». Elle
a également évoqué la culpabilité de se
sentir soulagée de ne plus avoir à
s’occuper autant de celle-ci. Ainsi, venir
la trouver quotidiennement à la maison de
retraite lui permettait de se rassurer et de
combler le vide ressenti. Nous avons alors
relevé le paradoxe du comportement de
Mme J. qui mettait en échec les mesures
qu’elle avait elle-même accepté d’établir
pour se ménager.
Lorsque nous avons questionné la raison
de son attitude, Mme J. a décrit avoir toujours eu une relation de type fusionnel
avec sa mère. Elle a ensuite réalisé que
l’ampleur de son investissement auprès de
cette dernière était une entrave à la possibilité de se séparer sereinement. En effet,
en se dévouant entièrement à sa mère, elle
serait confrontée à un vide d’autant plus
insupportable lors de son décès.
Par ailleurs, Mme J. a confié avoir une
représentation négative de la vie en maison de retraite qui constituait à ses yeux le
dernier lieu de vie d’une personne. Au fil
des entretiens, elle s’est rendue compte
que le placement était une étape dans
l’évolution de la maladie de sa mère et
marquait concrètement la fragilité de cette
dernière. Elle a pu ainsi verbaliser sa peur
de la voir mourir.
Le suivi de Mme J. est toujours en cours.
Elle réfléchit à son attachement et à la
manière dont elle pourrait assouplir ce
lien afin de se permettre d’investir autre
chose et de s’adapter au mieux à la future
disparition de sa mère. Si de nouveaux
investissements ne sont pas encore apparus, le travail psychique, lui, est en cours.
CONCLUSION
L’accompagnement d’un parent souffrant
d’une démence entraine une charge de
travail conséquente et exige une adaptation continue à l’évolution de la maladie.
Notre consultation pour proches aidants a
pour objectif de les accompagner dans
cette épreuve en adaptant son action aux
besoins spécifiques de ces derniers. Nous
tenons compte des ressources et des limites de chacun ainsi que des problématiques soulevées par le stade de la maladie
auquel le proche est confronté. À travers
la présentation de ces vignettes, nous
avons souhaité souligner que les proches
sont dans un premier temps généralement
envahis par le choc du diagnostic et que
les questions pratiques liées à la maladie
prennent le dessus. Le “comment faire”
ne laisse que peu de place à l’expression
de leur ressenti. À ce stade, notre consultation vise à offrir un lieu où les proches
peuvent se sentir pris en charge et épaulés. Nous les amenons progressivement à
évoquer également leurs préoccupations
quant à eux-mêmes et non plus uniquement celles concernant la maladie et/ou le
malade. Ainsi, la pensée peut se libérer et
l’émotion prend petit à petit sa place aux
côtés du “faire”. Que ce soit pour se confier, prendre le temps de réfléchir à certaines questions, ou se remémorer des
souvenirs, certains proches aidants ont
besoin d’une écoute attentive et bienveillante. En effet, même en étant bien entouré, il est parfois difficile d’aborder
certains sujets avec sa famille ou ses
amis. Nous pensons ici aux sentiments de
colère vis-à-vis du patient ou l’envie de
parfois tout lâcher et penser à ses besoins.
Prendre le temps de venir parler de son
vécu de la maladie est une première étape
vers l’acceptation de la mise en place
d’un réseau d’aide plus étendu. Par nos
illustrations, nous avons voulu montrer
l’importance d’accepter de l’aide ainsi
que la manière dont nous essayons
d’engager les proches dans ces démarches
et d’abaisser leur culpabilité à le faire.
Prendre soin de soi, c’est prendre soin de
l’autre.
BIBLIOGRAPHIE
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DE SOINS À DOMICILE, Rapport : Evaluation de la charge et des besoins des
proches aidants, 2012
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burden : un indicateur spécifique pour les aidants familiaux, Gérontologie et Société,
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cinq étapes du deuil, Paris, JC Lattès, 2009
4. SCHAEFFER J., Désir à deux. Encore fautil qu’on soit deux ! Le risque de l’autre, Le
Carnet PSY, 2013, pp. 59-61
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Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : Politique de santé mentale : Programme
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6. TYRREL J., L’épuisement des aidants familiaux : Facteurs de risque et réponses thérapeutiques, in GAUCHER J., RIBES G., &
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In B. Woods & L. Clare ed. Handbook of the
Clinical Psychology of Ageing, 2nd ed.,
Chichester: Wiley, 2008, 333-367
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
MÉTAMORPHOSE D’UN VILAIN PETIT
CANARD
TRAITEMENTS PARALLÈLES MÈREENFANTS
Centres de Réadaptation Ambulatoire
« Le Saule » 56, rue du Saulchoir
7540 KAIN
BELGIQUE
« Le Cep » 41, rue du Crampon
7500 TOURNAI
BELGIQUE
[email protected]
Sophie LESEULTRE, Jean-Paul LECLERCQ
Cet article raconte l’histoire thérapeutique d’une mère psychiquement invalidée par des démons
transgénérationnels. Il démontre les bénéfices du profond et durable engagement relationnel de la
mère et de la thérapeute dont elle avait fait le choix.
Cette relation thérapeutique a permis l’épanouissement personnel de cette mère mais aussi celui de
ses enfants autistes. Les enfants dont le psychisme se structure dans les interactions précoces avec le
psychisme de leur figure d’attachement ont bénéficié du mieux-être psychique de leur mère.
L’épanouissement de leur mère a ainsi permis de maximaliser le bénéfice tiré par ces enfants de leurs
traitements individuels menés parallèlement.
Mots-clefs : Autisme ; Handicap ; Transgénérationnel ; Inceste ; Intrication psychique ; Traitements Parallèles mère/enfants ; Emotion empathique ; Orthodoxie du cadre.
Metamorphose of a naughty ugly duck (Parallel treatments mother – children)
This article tells a mother’s therapeutic story who was psychically invalidated by transgenerational
devils.
It demonstrates the profits of the profound and sustainable relational between the mother and the
therapist she had chosen.
This therapeutic relation allowed the mother’s self-fulfillment but also that of her autistic children.
The children whose psyche forms itself in the premature interactions with the psyche of their figure of
attachment has took advantages of the psyche well-being of their mother.
Their mother’s self-fulfillment allowed in this way the maximization of the derived profits for these
children coming from their individual treatments led in parallel.
Keywords: Autism, handicap, transgenerational, incest, psyche intricacy, parallel treatments mother /
children, empathic emotion, frame orthodoxy.
INTRODUCTION
Notre dispositif thérapeutique
Voici quelques années, nos centres de
réadaptation fonctionnelle Psy (C.R.F.
Psy) ont été rebaptisés Centres de Réadaptation Ambulatoire (C.R.A.). Cette
nouvelle appellation traduit mal la spécificité de notre travail psychothérapeutique. Elle met par contre l’accent sur
notre modalité de travail ambulatoire,
modalité qui nous différencie du fonctionnement d’un Hôpital de jour. Les enfants et adolescents soignés dans nos
C.R.A. y bénéficient de traitements au
rythme de deux à quatre séances hebdomadaires. Chacune de ces séances a une
durée de 1 à 2 heures, le plus souvent
1H30. En dehors de ces temps thérapeutiques, les enfants et adolescents sont scolarisés dans des écoles ordinaires ou
spécialisées. Les enfants et adolescents
soignés sont affectés de pathologies psychiques de gravité variable. L’Hôpital de
jour le plus proche de nos centres se situe
à plus de 80 kilomètres. Ceci explique
que nous soignons également des enfants
affectés de pathologies psychiques très
lourdes, d’enfants qui, dans d’autres régions, fréquentent des Hôpitaux de jour
psychiatriques.
En dehors de certains moments limités,
les vacances scolaires par exemple, nos
centres n’organisent pas de groupes de vie
communautaire. La majeure partie du
travail se réalise en séances individuelles.
En fonction des obligations de notre convention avec l’I.N.A.M.I. (pendant belge
de la sécurité sociale), chaque enfant bénéficie d’un traitement dans un minimum
de deux disciplines thérapeutiques.
L’équipe thérapeutique de base est constituée de logopèdes (orthophonistes), ergothérapeutes,
kinésithérapeutes,
psychomotriciens, thérapeutes du développement psychomoteur et psychologues. Cette “équipe thérapeutique de
base” est soutenue par des médecins (pédopsychiatres et neuropédiatre), par une
assistante sociale, un éducateur et une
infirmière. Une équipe logistique et administrative complète le cadre. Notre projet thérapeutique vise à structurer au
mieux la personnalité de nos jeunes patients en utilisant les médiations thérapeu-
tiques que constituent les formations spécifiques de chaque professionnel.
Chaque thérapeute avec ses outils spécifiques, avec ses techniques rééducatives,
travaille à deux niveaux complémentaires.
Il travaille ainsi les aspects instrumentaux
sans oublier que le temps, l’espace, le
rythme et les apprentissages constituent
aussi des instruments de l’identité. A travers les techniques rééducatives, il travaille également la relation par laquelle
un enfant construit et structure son psychisme. A cet effet, les thérapeutes bénéficient d’une supervision hebdomadaire
en petits groupes de deux ou trois. Cette
supervision a pour projet une analyse des
relations transférentielles et contretransférentielles que nouent enfants et
thérapeutes (le contre-transfert est ici
conçu comme les réactions que suscite le
mode d’être de l’enfant. Il ne vise pas les
éléments plus personnels et intimes du
thérapeute).
Outre l’appui et l’éclairage de cette supervision, l’interdisciplinarité constitue
un soutien important pour assumer un
travail thérapeutique parfois éprouvant.
Le ciment de l’interdisciplinarité unifie le
travail thérapeutique et, par ricochet, les
enfants qui en bénéficient. Le ciment de
l’interdisciplinarité gît dans les réunions
d’équipe mais également dans la richesse
de la vie d’équipe et dans les nombreux
contacts interstitiels. Enfin, pour être
complet, je mentionne que tout processus
thérapeutique commence par une période
de bilans d’un maximum de trois mois.
Une réunion de synthèse clôture cette
période de bilans et permet d’affiner le
diagnostic et de tracer les pistes et objectifs thérapeutiques. Ces pistes et objectifs
font alors l’objet d’un échange et d’une
proposition aux parents de l’enfant.
LE RÉSEAU
La mode actuelle est aux réformes. Les
soins de santé mentale pour enfants et
adolescents n’y échappent pas. Les sept
Ministres de la Santé (!) compétents pour
cette matière au sein de l’architecture
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
75
Le travail avec les familles en hôpital de jour
institutionnelle compliquée de la Belgique
accélèrent actuellement une réforme articulée autour des notions de réseau et de
circuits de soins.
Associé en qualité d’“expert” à la réflexion de cette réforme, je n’ai de cesse
de rappeler que le travail en réseau est
consubstantiel aux soins de Santé Mentale
pour enfants et adolescents. De même, je
ne manque aucune occasion de rappeler
que ce travail ne souffre aucun formatage
administratif ou informatique. Ce travail
en réseau doit pouvoir garder sa souplesse
d’activation et garantir la singularité du
“réseau” propre à chaque enfant. Pour
signifier la vivacité d’un tel réseau, je lui
préfère le terme de “tissu sociétal”. Ce
terme me paraît mieux rendre compte de
la nécessaire adaptation des collaborations qu’imposent la compréhension clinique d’un enfant et la réflexion des
soutiens dont il a besoin. En fonction de
la singularité de chaque enfant, appel sera
fait aux professionnels des divers champs
sociétaux (le social, le pédagogique, le
judiciaire, le psycho-médical, ...) sans,
bien évidemment, oublier la famille.
En cohérence avec mon propos, il me faut
donc maintenant vous présenter le Tissu
sociétal singulier dans lequel évoluent les
deux enfants autistes de la mère dont on
vous parlera plus loin.
Le Service de Santé Mentale (S.S.M.)
Cette structure est un lieu de consultation
ambulatoire dont le fonctionnement est
proche de celui d’un Centre MédicoPsychologique Français.
L’aîné des enfants dont nous vous parlerons a bénéficié au sein de ce S.S.M.
d’une thérapie de développement psychomoteur au rythme de deux séances
mensuelles. Cette thérapeute a conseillé à
la mère de prendre contact avec notre
C.R.A., afin d’intensifier le rythme des
traitements.
Le pédopsychiatre qui assume les supervisions au sein de notre C.R.A. travaillait
également au sein de ce S.S.M. Il y rencontrait la mère des enfants, en compagnie de la thérapeute du développement.
L’école spécialisée
Les deux enfants dont nous vous parlerons fréquentent la même école
d’enseignement spécialisé implantée à
une petite dizaine de kilomètres de notre
C.R.A.
Cette école fondamentale (maternelle et
primaire) accueille des enfants affectés de
débilités modérées et sévères, mais également des enfants affectés de handicaps
physiques ou d’autisme.
76
Le « SUSA »
Ce « Centre de référence autisme » a développé des services qui interviennent
dans les différents milieux de vie des enfants autistes. Ses références sont principalement
cognitivo-comportementales.
En l’occurrence, il est peu intervenu dans
la famille. Par contre, il a développé une
collaboration privilégiée avec l’école spécialisée fréquentée par les deux enfants.
Cette collaboration s’articule surtout autour de la méthode TEACH.
Le service d’aide précoce
C’est un service subsidié par l’Agence
Wallonne de la Personne Handicapée
(AWIPH). Il intervient surtout à domicile
pour aider les parents à assumer
l’irruption traumatisante du handicap et y
adapter leur éducation.
La Pédopsychiatre stagiaire
Déjà diplômée en pédopsychiatrie, elle
poursuivait au sein de nos centres, une
“surspécialisation” en réadaptation. Voilà
donc brossé le cadre institutionnel et le
contexte dans lequel s’est inscrit le travail
clinique au bénéfice d’une mère et de ses
deux enfants.
UNE MÉTAMORPHOSE
Au regard de la fonction d’assistante sociale, le travail réalisé avec Madame D.
s’est avéré très particulier. Durant de très
longs mois, il a suscité nombre de questions et de réflexions relatives au cadre, à
la fonction et à aux limites. Mes rencontres avec Madame D. ne dépassaientelles pas ces limites ? Avaient-elles une
pertinence ? Correspondaient-elles à mon
rôle ? Avais-je les compétences pour mener ce travail thérapeutique ? Madame D.
n’aurait-elle pas dû consulter un Psy ?
Je n’étais pas la seule à me poser cette
dernière question. D’autres professionnels
rencontrés par Madame D., dans d’autres
services, lui ont suggéré de consulter un
Psychiatre d’adulte. Elle suivit ce conseil
mais cette tentative de rencontre Psy
avorta rapidement. Madame D. revînt,
s’accrocha à moi comme une naufragée à
une bouée. Je fis donc le choix de me
laisser entraîner dans les chemins tortueux dans lesquels elle m’entraînait.
Dans le décours de ce travail, se posa la
question d’une supervision par le pédopsychiatre du centre. Sans doute, cela
m’aurait-il aidée à me raccrocher à une
élaboration théorique. Celle-ci m’aurait
rassurée dans les profonds moments de
doutes qui m’assaillaient.
J’ai pris le risque de poursuivre mes
éprouvantes rencontres avec Madame D.,
dans une certaine solitude. D’une part, il
me répugnait de partager avec d’autres
l’intimité de Madame D. J’aurais eu la
désagréable impression de la trahir, même
en faisant appel à la notion du secret partagé. D’autre part, il me semblait impossible de parler de Madame D. avec un
superviseur qui la rencontrait dans un
autre contexte, celui du Service de Santé
Mentale où il exerçait également. Tout au
long de mon travail avec Madame D., j’ai
eu l’intuition qu’il était important d’éviter
une contamination de ses différents interlocuteurs. Il me semblait important
qu’elle puisse différencier ses interlocuteurs et sa relation avec eux, qu’elle
puisse cloisonner les endroits où elle les
rencontrait pour conforter ses propres
limites identitaires.
Honnêtement, il me faut cependant convenir qu’il m’est arrivé, dans mes moments de plus grand doute, de recourir à
une collègue pour me rassurer. Des
échanges furent parfois nécessaires et
d’un grand secours pour retrouver un peu
de lumière au bout du tunnel dans lequel
je m’étais laissé entraîner.
Le travail avec Madame D. témoigne, à
mon sens, de la nécessaire prise de risque
à laquelle nous confrontent les choix de
nos patients. Le “pari d’une rencontre”
nous amène parfois à sortir des sentiers
battus de l’orthodoxie de la fonction et du
cadre.
Les premiers entretiens
Ma première rencontre avec Madame D.
date de janvier 2003. Elle est adressée à
notre C.R.A. par une thérapeute du développement psychomoteur qui traite son
fils aîné dans un Service de Santé Mentale. Cette thérapeute a donné mon nom
comme personne de référence afin que
Madame D. sollicite pour son fils aîné un
suivi thérapeutique. Patrick, âgé de 3 ans
3 mois, présente une pathologie du
spectre autistique.
Lors d’un contact, la thérapeute du développement m’avait parlé de Madame D.
comme d’une dame très fragile, une « petite fille » qu’il fallait sécuriser. De fait,
dès le contact téléphonique avec Madame
D., pour une prise de rendez-vous, je perçois sa fragilité, son immense manque
d’assurance.
Je garde cette impression lorsqu’elle se
présente au premier rendez-vous. Elle est
accompagnée de Patrick mais également
de Philippe, puîné, âgé de 13 mois, et de
sa propre mère. D’emblée, dès que
j’aperçois Madame D., sa physionomie
me fait penser à une “mongolienne”. Ultérieurement, j’observerais encore le facies débilisé de Madame D. dans toutes
les situations de déliaison. Il en était ainsi
lorsqu’elle conduisait ses enfants à
l’école, lorsqu’elle était sous la domination de sa mère ou sous le pouvoir de son
compagnon.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Métamorphose d’un vilain petit canard traitements parallèles mère-enfants
Rapidement, dans le cadre du premier
entretien, cette impression de débilité
s’estompe. Madame D. m’apparaît métamorphosée lorsqu’elle sourit, lorsque son
visage s’anime dans une grande mobilité.
Reconnue dans un lien signifiant et valorisant, elle offre une image au contraste
saisissant.
Alors que nous sommes consultés pour
Patrick, l’aîné, je suis également interpellée par mes observations concernant son
frère cadet. D’une part, il présente un
facies dysmorphique et un défaut de contact. D’autre part, il me semble victime
d’une contention inadéquate agie par sa
grand-mère. Alors qu’il en est au début de
la marche, il est maintenu fermement sur
les genoux de sa grand-mère. Je
m’opposerai quelque peu à cette grandmère par trois interventions successives
pour qu’elle consente enfin à le laisser
explorer le local et les armoires contenant
des jeux.
Quelques semaines plus tard, Madame D.
se présente au second entretien préliminaire avec son compagnon, père des deux
enfants.
Je mène cet entretien conjointement avec
une psychologue du service. En fin
d’entretien, celle-ci évoquera la prochaine
rencontre avec les parents : cette rencontre ultérieure se tiendra après la période de bilan et nous prendrons alors
position concernant un éventuel suivi
thérapeutique de Patrick. Le doute ainsi
émis concernant le suivi thérapeutique du
fils aîné provoque une énorme détresse
que je lis dans le regard de Madame D.
Emue par cette détresse, je m’oppose
quelque peu à ma collègue en assurant
Madame D. d’un suivi qui, tenant compte
de la pathologie de Patrick, ne fait pour
moi aucun doute.
Un programme thérapeutique
Lors de la réunion de synthèse clôturant
la période de bilan, nous décidons : un
traitement interdisciplinaire au profit de
Patrick, un suivi neuropédiatrique des
deux enfants par le Médecin consultant en
notre C.R.A, une proposition aux parents
d’entretiens réguliers avec la pédopsychiatre stagiaire et une psychologue, le
soutien aux rencontres mensuelles de Patrick et de sa mère au Service de Santé
Mentale avec la thérapeute du développement psychomoteur, accompagnée du
pédopsychiatre lors des rencontres où le
père était présent.
L’élaboration d’une demande
Deux semaines plus tard, je croise Madame dans les couloirs du C.R.A. alors
qu’elle conduit son fils à son traitement.
Elle sollicite un rendez-vous pour compléter un formulaire d’allocations fami-
liales. Je lui fixe un rendez-vous la semaine suivante.
Lorsque je la reçois, elle a oublié le formulaire des allocations familiales et ne se
souvient même plus qu’elle avait utilisé
ce prétexte une semaine plus tôt. Par
contre, au cours de cet entretien, elle me
dit tous les espoirs qu’elle met dans les
rencontres avec la pédopsychiatre stagiaire et la psychologue. Elle espère que
son compagnon parlera ! (Plus tard, ces
entretiens tourneront court sans que je ne
sache pourquoi). Au cours de cet entretien
durant lequel je la rencontre seule, pour la
première fois, elle émet surtout le souhait
de rencontres régulières. Je comprends
que c’était le vrai motif de sa demande.
Je continue à m’interroger sur les motifs
qui ont amené cette femme à me témoigner une telle confiance. Un élément de
réponse réside sans doute dans le cadeau
qu’elle me fît, à l’approche de la fête des
mères, d’une boîte de pralines « Mon
Chéri ».
Elle souhaitait me remercier, disait-elle,
de l’aide que je lui apportais et de la patience dont je témoignais à son égard.
Que ce cadeau soit intervenu à l’approche
de la fête des mères témoigne sans doute
du fait que je représentais pour elle une
image maternelle, voire “maternante”.
A ce sujet, il me faut ici anticiper quelque
peu l’histoire de ma rencontre avec Madame D. pour signaler combien les relations de Madame D. avec sa propre mère
me sont ultérieurement apparues pathogènes. Dans ce contexte, je pose
l’hypothèse que mon opposition à la
grand-mère des enfants visant à libérer
Philippe de son emprise physique a constitué pour Madame D. un modèle. Ai-je
ainsi initié ou fortifié un mouvement psychique visant à ce que Madame D. se libère de l’emprise psychique de sa mère et
des fantômes du passé ?
De mon côté, avais-je senti la vitalité psychique de cette femme, marquée par son
apparence “mongolienne” pour ainsi avoir
l’audace de reculer les limites de ma
fonction et de mon cadre de travail.
Simple assistante sociale, je me risquais à
un travail thérapeutique avec une adulte
au sein d’un centre subsidié et dédicacé
aux traitements d’enfants.
Un cocon symbiotique
Pendant plus de deux ans, mes entretiens
avec Madame furent émotionnellement
très chargés. A peine assise sur sa chaise,
Madame s’effondrait. Ma simple question
« Comment allez-vous ? » déclenchait un
torrent de larmes. A cette époque, j’ai très
souvent éprouvé un terrible sentiment
d’impuissance. Je nourrissais également
une énorme angoisse de ne pas trouver les
mots justes et suffisamment contenants
que pour permettre à Madame de repartir
un tant soit peu construite.
La logorrhée et le caractère répétitif du
discours de Madame allongeaient les rencontres. Je prévoyais toujours une heure
et demie d’entretien et il arrivait très régulièrement que nous débordions de cet
horaire. Elle éprouvait d’énormes difficultés à partir, continuait à parler dans le
couloir,... tout en s’excusant mille fois de
me retenir. A cette époque, je sentais un
tel “gouffre” chez Madame que je lui
proposais deux rendez-vous mensuels,
avec une permanence de cadre, spatial et
temporel. Les entretiens avaient toujours
lieu le vendredi et, après un changement,
se tinrent toujours dans le même local.
Cette modification de local s’imposa à
moi pour que Madame puisse bénéficier
d’un lieu pare excitant. J’avais perçu son
besoin d’un bureau “calfeutré”, à l’abri
des bruits de la vie du centre. La moindre
intrusion la déstabilisait. Je me devais
d’être “tout à elle”, un peu dans un état de
“préoccupation maternelle primaire”.
Durant ces premières années, le contenu
des entretiens tournait essentiellement
autour de ses difficultés de couple, du
handicap de Patrick, de son énorme culpabilité et de ses relations à sa mère. Ses
relations de couple étaient telles que son
compagnon n’était pas au courant de nos
rencontres. Il n’était pas rare qu’il téléphone à sa compagne durant nos entretiens. Dans ce cas, Madame se liquéfiait
sur sa chaise.
Durant cette “période symbiotique”, plusieurs événements ont déstabilisé Madame et amplifié sa souffrance et sa
culpabilité. Il en fût ainsi lors de l’entrée
en enseignement spécialisé de Patrick,
suivie un an et demi plus tard, par celle de
Philippe, dans le même établissement.
Il en fût ainsi lors de l’entame des études
génétiques visant à rechercher la cause
éventuelle d’une pathologie autistique
frappant ses deux enfants (à noter que
Philippe bénéficiait également depuis
quelques mois d’un suivi thérapeutique en
notre centre). Il en fût ainsi lors de son
mariage, organisé par son compagnon
dans la précipitation lorsque Madame fût
rayée du chômage. Ce mariage, pour lequel elle avait été incapable de décider
quoi que ce soit, ne ressemblait en rien à
ses rêves romantiques. Il en fût ainsi lors
du déni de sa mère quand elle tenta de lui
parler des abus sexuels dont, jeune, elle
avait été victime de la part d’un beaupère.
Un transgénérationnel incestueux
Pour faciliter la compréhension d’une
histoire transgénérationnelle compliquée,
il nous a semblé important de dresser un
génogramme partiel des acteurs familiaux
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
77
Le travail avec les familles en hôpital de jour
importants pour la mère (voir figure 1 en
fin d’article). Ce génogramme nous permet de pointer les “répétitions” traumatisantes qui émaillent l’histoire familiale.
Madame D. a un passé d’abus sexuels par
son beau-père et de maltraitances actives
par sa mère. Elle est en outre rongée de
culpabilité pour s’être mise en couple
avec le dernier compagnon de sa mère...
même si c’est avec la “bénédiction” de
cette dernière. Son compagnon, devenu
ultérieurement son mari, est 11 ans plus
âgé qu’elle. Les angoisses qui la paralysent et la tétanisent en toutes circonstances paraissent liées à cette histoire qui
la laisse sans défense, ni agressivité aucune, avec un énorme manque de confiance en elle.
Après cinq ans d’entretiens, Madame
osera avec succès réinterroger sa mère sur
l’histoire de sa lignée maternelle. Elle
apprendra alors que sa mère, la grandmère maternelle des enfants, a elle-même
été abusée par un compagnon de sa
propre mère, grand-mère de Madame,
arrière-grand-mère des enfants. Elle apprendra aussi que sa mère s’en était ouverte à sa propre mère qui ne l’a pas
crue !
Elle apprendra encore que sa grand-mère,
arrière-grand-mère des enfants, a été très
amoureuse du futur père de Madame et
aurait entretenu une relation avec ce représentant de la génération suivante. A
l’époque, la mère de Madame était âgée
de 13 ans et fréquentait un garçon de 17
ans que sa mère aurait séduit ! L’extrême
porosité de la barrière des générations
dont témoignent ces quelques bribes de
l’histoire maternelle a-t-elle compliqué
l’accès au symbolique et au langage des
enfants ? La question mérite d’être posée.
Elle sort de sa chrysalide
Après plus de deux ans d’entretiens, je
repère chez Madame la première amorce
d’évolution psychique. Elle se pose clairement la question du lien entre le retard
de langage de ses enfants et sa situation
conjugale.
Cette question sera suivie de l’élaboration
et de l’expression d’un premier mouvement d’agressivité.
Il faudra ensuite encore attendre six mois
pour que, à la sortie d’une réunion avec
les thérapeutes des enfants, elle ose critiquer son mari. Elle lui reproche certaines
paroles alors qu’auparavant elle restait
sans réaction, victime de son ironie. Au
même moment, elle arrive à l’un de nos
entretiens en m’annonçant trois questions : Qui sait quoi de son histoire personnelle ? (Le secret a-t-il été trahi ?)
Suis-je encore disposée à la recevoir ? (la
thérapeute de développement lui a resuggéré de consulter ailleurs !). “Accepterais-
78
je d’être son amie ?” est sa troisième
question qu’elle oublie de poser et formule avec difficulté après que je lui rappelle qu’elle m’annonçait trois questions.
En fait, elle avait rencontré une thérapeute dans une grande surface et celle-ci
l’avait ignorée, avait feint de ne pas la
voir. Elle avait été blessée dans son besoin de reconnaissance et manifestait une
certaine colère vis-à-vis de cette professionnelle.
A travers sa question, dont elle n’attendît
aucune réponse, elle me demandait implicitement si j’étais faite du même bois, si,
moi aussi, je l’ignorerais et risquais plus
tard de l’oublier. A cette époque, après
trois ans d’entretiens bimensuels, je sens
Madame suffisamment forte que pour
réduire le rythme des entretiens. Je lui
propose de nous rencontrer une fois par
mois. Le contenu des entretiens se modifie. Madame se positionne clairement en
mère, elle pose des questions sur
l’éducation et l’avenir de ses enfants, sur
sa place et celle de son mari auprès des
enfants, leurs fonctions parentales.
Ses relations de couple trouvent également un nouvel équilibre. Plutôt que de
craindre son mari, elle commence à s’en
plaindre dans les entretiens. Monsieur
sera même parfois amené à l’interroger
sur l’image qu’elle offre de lui (Pour quoi
vais-je passer ?). Il finira par lui confirmer « tu as changé ».
La métamorphose
Le “changement” évoqué par son mari se
poursuit et se matérialise à différents niveaux.
Elle réalisera qu’elle a toujours eu peur de
la violence de son mari mais, qu’en fait, il
ne l’a jamais frappée. Elle me dira que sa
crainte était induite par sa mère. Dès lors,
elle laissera son mari prendre progressivement sa place auprès de ses enfants,
soutenue, dira-t-elle, par ma suggestion
de lui accorder sa confiance.
Parallèlement à l’évolution de ses relations maritales, elle ose s’affirmer face à
sa belle-famille. Elle ose s’opposer à sa
belle-mère. A son mari qui se plaint de
cette attitude en disant qu’elle devient
agressive, elle répond qu’elle ne comprend pas son absence de réaction face
aux méchancetés de la grand-mère paternelle envers ses enfants. En fait, elle affirme son existence ce qui aboutira
quelques semaines plus tard à une rupture
d’avec sa belle-famille. Cette évolution
interroge la surdétermination de l’histoire
de la lignée maternelle par celle de la
lignée paternelle. Cette dimension de
l’histoire familiale n’a pas été explorée.
Sa relation à ses enfants se modifie également. Contre l’avis des professionnels,
elle entreprend l’éducation à la propreté
sphinctérienne de ses enfants. Elle réussit
à leur faire acquérir la propreté non seulement diurne mais également nocturne.
J’ai alors perçu toute l’importance de
l’évolution psychique de cette mère pour
l’autonomisation de ses enfants. Loin de
répondre à un “dressage”, les enfants
avaient acquis la propreté en percevant
que leur mère acceptait qu’ils se séparent
d’elle et s’autonomisent.
Secondairement, cette réussite constituera
aussi un renforcement narcissique de sa
qualité de “bonne mère”, renforcement
d’autant plus important que les professionnels ne croyaient pas à la réussite de
son entreprise.
A cette époque, nos entretiens abordent
nombre de thèmes relatifs à ses enfants.
Nous parlons des attitudes éducatives qui
devraient leur permettre de grandir et de
préparer au mieux leur avenir. Nous
échangerons notamment à propos de sa
rigidité quand elle minute, à la seconde
près, le temps de brossage des dents. Elle
avait pris au premier degré les conseils
médiatisés d’un brossage qui doit durer
trois minutes, ce qui en fait s’avère très
long !
Sa rigidité éducative est également mise à
mal par les velléités d’autonomie du cadet, Philippe. Nous parlons notamment de
la crise de ce dernier quand il s’oppose à
sa mère pour le choix d’un pyjama de sa
couleur préférée. A cet égard, je signale
l’évolution conjointe du fils et de la mère.
L’affirmation existentielle de sa mère a-telle permis l’autonomisation de Philippe ?
Et inversement, l’opposition de son fils la
confortait-elle dans son souhait de
s’affirmer ?
Dans
une
causalité
circulaire,
l’autonomisation de Philippe procure également un renforcement narcissique à sa
mère. Elle est soutenue et confortée dans
ses intuitions et sa compétence maternelle
par le progrès de son fils cadet. Après
avoir acquis la parole, il enrichit régulièrement son vocabulaire (Bien plus tard, il
acquerra la lecture).
Mais bien évidemment, les modifications
relationnelles de Madame s’enracinent
dans le changement profond de son mode
d’être à elle-même. Elle se sent mieux
dans sa tête.
Elle a acquis une position de sujet de sa
vie, assumant ses sentiments et émotions.
Elle me dira « je suis en colère ». Elle
affirme également « je veux profiter de la
vie et ne plus attendre des autres ».
Parallèlement, elle commence à s’occuper
de son corps. Elle arrive enfin à soutenir
un régime et perd 30 Kg après s’être posée la question existentielle « je veux
vivre ou mourir ? »
Cette question était survenue après un
accident de circulation dont les circons-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Métamorphose d’un vilain petit canard traitements parallèles mère-enfants
tances l’interpellaient, un accident dont
elle cherchait le sens. Avait-elle perdu
contact avec la réalité car perdues dans
ses pensées ? Et quelles pensées ? Pensait-elle inconsciemment au suicide ?
Rêvait-elle plutôt à un prince charmant ?
Ne sont-ce pas là les deux côtés d’une
même pièce ?
Du côté pile, il y aurait les pensées suicidaires renvoyant à la pulsion de mort et à
la dépression. Du côté face, il y aurait les
rêves amoureux d’une sexualisation antidépressive renvoyant à la pulsion de vie.
A cette époque, elle clôturera un entretien
par l’affirmation « La vie est belle. Jamais, je n’aurais pensé dire cela un jour.
Avant, j’étais trop romantique ! »
La séparation
Patrick évoluait beaucoup moins vite que
Philippe. Plus âgé, il avait sans doute perdu une partie de sa plasticité psychique.
Nous pensions même qu’il avait une influence négative sur le développement de
son frère cadet. Après quatre ans de rencontre avec Madame D., nous avions décidé de suspendre le traitement de l’aîné.
Madame D. avait vécu cette suspension
comme un abandon. Cela avait ravivé ses
angoisses et sa culpabilité.
A cette époque, lors d’un entretien, je
l’avais retrouvée pareille à celle que
j’avais rencontrée quatre ans plus tôt. Elle
s’était effondrée, en larmes, acceptant
difficilement l’évocation par le pédopsychiatre d’une orientation future de Patrick, l’aîné, en service résidentiel.
Empathique, je m’étais demandé si nous
mesurions toujours l’impact psychique de
nos paroles sur nos patients.
Ce souvenir restait vivace au moment où,
trois ans plus tard, nous avons réfléchi
l’arrêt du traitement de Philippe.
Je craignais l’impact de l’annonce de cet
arrêt prévu six mois plus tard. Cela signifiait également l’arrêt de mes rencontres
avec Madame.
Durant ces six mois, j’ai travaillé à digérer la séparation pour éviter un vécu de
rupture déstructurante.
Madame se sentait de nouveau “abandonnée”. Elle craignait cet arrêt, consciente
de sa fragilité et de son besoin d’échanger
à propos de l’éducation de ses enfants.
Elle manifestait son souhait de poursuivre
nos entretiens encore un an ou deux. Enfin, arriva l’heure de notre dernière rencontre. Lors de celle-ci, Madame me
surprend. Je suis époustouflée de
l’entendre me dire, d’entrée de jeu :
« Bon, si j’ai bien compris, c’est la dernière fois que nous nous voyons ! »
Elle poursuivra en réévoquant notre parcours, ses pleurs, ses difficultés conjugales. Elle me fera le magnifique cadeau
de me dire : « Même si je sais que ce n’est
pas possible, j’aurais voulu vous avoir
comme maman et le pédopsychiatre
comme papa. Mais on ne choisit pas sa
famille ! » J’aurais pu lui répondre que si
l’on ne choisit pas sa famille, on peut
s’appuyer sur des parents psychiques,
ceux qu’intérieurement l’on considère
comme ses père et mère symboliques.
Avec son mari, pour la première fois, ils
ont des projets de vacances en Espagne !
Pas pour y construire des châteaux, pour
s’y retrouver en famille !
CONCLUSION
Nos conclusions intègrent également
l’une ou l’autre idée débattue avec les
participants à l’atelier, à la suite de notre
présentation. Nous remercions les participants de l’enrichissement de notre réflexion.
Considérations cliniques
Nos conclusions nous amènent d’abord à
quelques considérations cliniques sur le
plan diagnostique.
Des hypothèses divergentes furent lancées
concernant la structure de personnalité de
Madame D.
Certains évoquèrent la psychose en se
référant notamment au concept de psychose ordinaire. D’autres, frappés par la
rigidité de certaines défenses obsessionnelles, évoquèrent des enclaves psychotiques. D’autres encore soulignèrent
certains vécus persécutifs de cette femme.
Ce diagnostic structurel fût battu en
brèche par d’autres participants. Le vieux
concept de débilité psycho-affective paraissait notamment mieux rendre compte
des difficultés de l’organisation de la personnalité de Madame D.
A la réflexion, le débat renvoie sans doute
à la question des frontières entre certaines
débilités et la psychose, celle qui fait dire
que certaines débilités sont des psychoses
infantiles enkystées. Mieux vaut se débiliser pour se protéger d’une souffrance
psychique insupportable.
Par rapport à cette question, Madame D.
peut apparaître être restée dans un “No
man’s land diagnostic”.Elle n’a pas renoncé à son énergie vitale protégée par
une façade débilisée d’apparence “mongolienne”. Elle témoigne de sa vitalité
psychique par l’animation et la mobilité
de son visage quand elle bénéficie d’une
relation signifiante.
Bloquée très précocement dans sa capacité d’opposition -affirmation, elle reste
“une petite fille” insécurisée qui aura besoin de se ressourcer dans un cocon fusionnel pour reprendre son évolution.
Peut-être faut-il parler d’une personnalité
limite ? Peut-être devons-nous rester dans
un certain inconfort et garder la souplesse
d’une question ouverte ?
Dans le cas présent, garder cette question
ouverte n’a pas altéré la qualité du travail
thérapeutique de l’assistant sociale. Que
du contraire. Cela aurait par contre empêché de remplir les petites cases statistiques. Mais est-ce là notre mission
première ?
Trois enseignements relatifs aux
dispositifs
Notre présentation clinique nous amène
sur un second plan à dégager trois enseignements relatifs aux dispositifs et politiques de Santé Mentale :
Les professionnels ont tendance à pousser
les familles d’enfants handicapés à
s’ouvrir sur le monde surtout quand les
familles, à l’image de celle-ci, apparaissent socialement très isolées.
Les rencontres avec l’assistante sociale
ont fait comprendre à Madame Leseultre
combien ce souhait d’intégration pouvait
être inadéquat. Ce souhait des professionnels, pour louable qu’il soit, peut négliger
la souffrance des parents confrontés au
regard des autres sur le handicap. Ce regard blesse les parents dans leur narcissisme et leur demande un courage
important pour répondre à certains conseils, voire injonctions. Les professionnels devraient se souvenir de l’importance
de respecter le rythme des parents.
La multiplication des services d’aide
“proposés” aux parents découle d’une
bonne intention. Ce peut être une bonne
intention dont est pavé l’enfer quand cette
proposition d’aide est perçue par les parents comme un renforcement de leur
sentiment d’incompétence. Dans ce cas,
le sentiment de nullité des parents les
empêche de s’opposer aux propositions.
Dans ce cas, comme par hasard,
l’intervention de ces services se dilue
pour, finalement, se dissoudre.
Le travail mené par l’assistante sociale
conforte l’idée que les soins en santé
mentale s’appuient sur la responsabilité
individuelle du professionnel, surtout si
celui-ci est choisi par un patient. La responsabilité collective, à laquelle certains
font appel, concerne, à nos yeux,
l’organisation des dispositifs sociosanitaires.
Le parcours de cette mère témoigne à
suffisance de l’importance primordiale de
respecter les principes structurant un travail en santé mentale. Ce parcours est
aussi éclairant pour penser la réforme, en
cours en Belgique, des soins de Santé
Mentale pour enfants et adolescents. Ce
parcours nous amène à affirmer la nécessaire adaptabilité des processus thérapeutiques aux besoins de nos patients.
En l’occurrence, loin des formatages administratifs, l’assistante sociale a pris le
risque de sortir des sentiers convenus :
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
79
Le travail avec les familles en hôpital de jour
elle a soigné une adulte, une mère, alors
que notre structure s’occupe d’enfants et
adolescents. Elle nous a démontré par
l’absurde que l’envoi rationnel vers un
partenaire du réseau plus habilité à ce
travail thérapeutique avec un adulte était
inopérant.
Elle a mené, dans la permanence, un long
travail de plus de 7 ans alors que le concept de “circuit de soins” vise à faire
voyager le patient, à organiser le “transfert de patient” plutôt qu’à favoriser le
transfert du patient. Quand le courant
passe, les efforts devraient converger pour
éviter les ruptures d’un court-circuit ! Elle
a surtout démontré combien le travail
thérapeutique s’appuyait sur l’importance
incontournable du relationnel.
Arr. Gd-Père
Oser cette rencontre humaine, cette expérience d’humanité, dans un engagement
réciproque ouvre la voie d’un enrichissement mutuel, de l’intégration psychique
d’une trace, d’un souvenir, qui continuera
d’habiter et de soutenir patient pour la vie
et thérapeute pour sa carrière... et aussi un
peu sa vie !
En l’occurrence, le risque pris de sortir
des sentiers convenus, fussent-ils “conseillés” par l’administration a été payant.
Il l’a été pour la patiente, pour la thérapeute, pour la société.
Grâce à l’audace de Madame Leseultre,
une mère et son fils ont cheminé conjointement vers l’autonomie et la citoyenneté.
Puissent les politiques et l’administration
prendre exemple sur Madame Leseultre.
Compagnon
Arr. Gd-Mère
Abus ??
Grand-Père
Puissent-ils également prendre le risque
calculé d’abandonner les formatages stériles et dispendieux ! Puissent-ils, à
l’image
de
l’assistante
sociale, abandonner l’illusion de la maîtrise
et adopter l’humilité nécessaire à
l’adaptabilité.
L’administration invoque cette adaptabilité pour convaincre les professionnels du
bien-fondé d’une réforme. Nous les remercions d’adopter la même attitude pour
entendre les enseignements de la clinique.
La vie est imprévisible. L’homme est
complexe. Laissons place à la surprise
pour cultiver sans réductionnisme la vitalité psychique de nos concitoyens et de
notre société.
Abus
Compagnon 1
Grand-mère
Abus
Compagnon 2
Mr D.
Me D.
PATRICK
PHILIPPE
Figure 1 : Génogramme
80
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
HÔPITAL DE JOUR, GRANDE FAMILLE ?
Centre Thérapeutique de Jour pour Adolescents
Av. Beaumont 48
1011 LAUSANNE
SUISSE
Dr Laurent HOLZER, M. Frédéric LAMBELET, Mme Aurélia MONNEY
Lorsqu’un adolescent arrive à l’hôpital de jour, il arrive avec sa famille aussi. Et les questions familiales s’y rejouent en écho. Partager le quotidien des patients nous amène-t-il à nous considérer nous,
l’équipe pluridisciplinaire, comme une famille de substitution ? La “famille CTJA” est parfois supposée comme meilleure que l’originelle. À d’autres moments, c’est l’urgence de la séparationindividuation qui prédomine, et l’adulte, surtout celui qui est vécu comme trop proche, est attaqué, ou
du moins mis à distance. Les référents du jeune patient font office, consciemment ou non, de substituts
parentaux. L’institution devient “nid familial”, d’où il est difficile de laisser s’envoler le jeune sans
un projet considéré comme suffisamment bon. Nous penser comme une grande famille nous pousse
également à examiner la question des liens entre les soignants et les parents. Une certaine rivalité est
sans doute inévitable, souvent en début de prise en charge, quand les parents font la démarche difficile de venir témoigner, parfois dans un mouvement ambivalent, qu’ils “n’y arrivent plus” avec leur
enfant. Mais les soignants ne sont ni des parents de substitution, ni des experts tout-puissants, et
l’accompagnement dans le processus de parentalité passe par la mise en place d’une collaboration à
la fois soutenue et indispensable. Ces adolescents vivent un coup de frein dans leur développement en
raison de difficultés psychiques invalidantes. Les parents sont les co-thérapeutes qui vont essayer,
avec les professionnels, de favoriser une reprise évolutive pour leur enfant. Ce travail de collaboration a lieu principalement dans les murs de l’institution, mais prend aussi la forme d’interventions
dans le milieu… dans la famille.
Mots-clefs : Adolescence ; famille ; trouble anxieux ; refus scolaire ; thérapie cognitivocomportementale ; guidance parentale.
Day hospital, like a big family?
When an adolescent arrives at the Adolescent Day Care Unit (CTJA) his family comes along and the
familial issues echo back. Does sharing the patient’s daily life make the team a family substitute? The
CTJA family is sometimes considered better than the original one. At other time, the separationindividuation need prevails, and the adult, considered by the patient as being too close, is attacked
and distanced. The professionals responsible for the young person are, conscious and unconscious,
parental substitutes. The institution has become a “nest” and it is difficult for the team to let the adolescent leave without a “good enough” project. The relations between the professionals and the parents need to be examined. A certain amount of rivalry is inevitable, particularly in the beginning of
the treatment when the parents are confronted with the difficulty, and ambivalence, of revealing their
incapacity to deal with their child. In fact, the professionals aren’t parental substitutes, neither allpowerful experts. The parental guidance has to come along with an essential and intensive collaboration. The disabling mental difficulties act as a brake on the adolescent development. Parents should
be co-therapists who, together with the professionals, contribute to their child recovery. This partnership takes place mostly within the day care center, but there are also home based interventions…
within the family context.
Keywords: Adolescence, family, anxiety disorder, school refusal, cognitive and behavioral therapy,
parental guidance.
INTRODUCTION
L’hôpital de jour, comme une grande
famille.
Lorsque nous avons dû réfléchir au
thème, c’est la représentation de
l’organisation de l’équipe de l’hôpital de
jour comme une grande famille qui s’est
imposée à notre esprit.
La nuance de taille est certainement qu’on
choisit, au moins en partie, sa famille
professionnelle, et qu’il est théoriquement
plus facile de s’en défaire. Mais on ne
choisit pas toujours ses collègues et il est
parfois difficile de se libérer des attaches
institutionnelles.
La famille professionnelle ne se crée pas
sur les mêmes bases affectives avec les
mêmes finalités de survie de l’espèce,
mais elle s’en rapproche à certains égards.
Les relations entre collègues ne sont pas
censées durer “pour toute la vie”, mais
elles sont empreintes d’affectivité, de
sympathie ou d’antipathie et des liens
dans le registre familial ne sont pas exclus. Ne parle-t-on pas de “confrères” ? Si
l’hôpital de jour n’a pas vocation à transmettre la vie et préserver des gènes, sa
finalité n’est cependant pas si éloignée
des moyens que se fixe une famille pour
atteindre ses objectifs : accueillir, apporter des soins, transmettre, accompagner,
structurer, encadrer…
La famille est un concept simple, familier
et pourtant porteur de différentes acceptions qui recouvrent plusieurs réalités. La
famille est le premier lieu de socialisation, elle constitue la référence incontournable lorsqu’il s’agit de penser le
processus de socialisation. C’est très souvent dans ce domaine de la socialisation
que nos adolescents fréquentant l’hôpital
de jour sont en panne, c’est donc naturellement que la question de la famille et de
ses valeurs émerge dans nos prises en
charge.
Identité familiale, appartenance, structuration, mythes, liens, valeurs, secrets,
verticalité, horizontalité, soudure... sont
autant d’éléments qui se rejouent sur la
scène institutionnelle. Avant de considérer les effets de la problématique individuelle des patients qui se déploient et se
transposent dans l’espace institutionnel,
regardons les parallèles qui peuvent exister entre une équipe de professionnels et
une famille.
Identité – Appartenance
Une équipe de professionnels travaillant
ensemble huit heures par jour acquiert
une identité. Identité fondée par la profession, mais aussi par celle de l’unité, imprégnée par celle du service, de la
pédopsychiatrie publique, des hôpitaux de
jour, de la santé mentale. Les différents
professionnels œuvrant au sein d’une
même unité ajoutent richesse et complexité à la notion d’identité professionnelle
avec des risques d’indifférenciation ou de
surspécialisation.
Structuration
La verticalité générationnelle familiale se
rejoue dans la hiérarchie des postes et des
fonctions (axe hiérarchique vertical qui
s’accompagne généralement d’une composante d’ancienneté). L’horizontalité qui
caractérise la fratrie se retrouve dans les
axes de collaboration au quotidien et dans
le fonctionnement de l’équipe soignante.
Les rivalités fraternelles, les conflits de
génération, la mésentente parentale constituent des mouvements d’équipe très
fréquents. Ces liens structuraux posent la
question des liens fonctionnels.
Liens
L’hôpital de jour peut-il être considéré
comme une famille soudée ? C’est un
impératif dans les moments difficiles où
les liens doivent se resserrer afin que le
rôle de contenance puisse être efficace.
L’hôpital doit cependant tolérer une certaine élasticité des liens et des positions
de chacun de ses membres afin que
l’hôpital de jour ne soit pas un “bloc”
idéologique et qu’il acquière une certaine
malléabilité. Cette souplesse qui permet
une forme de respiration doit se dérouler
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
81
Le travail avec les familles en hôpital de jour
dans un esprit de “collégialité” qui garantit à chacun des membres le statut de collègue et qui place la notion de cadre
professionnel au-dessus des autres interactions qui se déploient au sein de
l’institution. Cela permet une clarification
des liens affectifs qui nous unissent entre
collègues, tempérés par la notion de professionnalisme.
Valeurs
Las valeurs qui participent à l’identité des
soignants rejoignent celles de la famille
d’une manière générale. Les valeurs humanistes se déclinent avec la notion
d’accueil inconditionnel (ou presque) de
nos patients et de la souffrance psychique.
Accueil qui s’appuie sur les dispositions
empathiques de l’ensemble de l’équipe,
condition nécessaire aux soins et qui
constitue un des objectifs premiers de la
relation thérapeutique. Le Modèle théorique partagé contribue au développement
d’une culture commune au sein de laquelle des différences de points de vue et
de positions peuvent exister, pour autant
qu’une base clinique partagée et explicite
constitue un ciment renforçant le fonctionnement au quotidien. Il s’agit probablement là d’un des mythes fondateurs du
Centre Thérapeutique de Jour pour Adolescents de Lausanne où la clinique du
quotidien organise le fonctionnement de
l’unité qui s’appuie sur les activités de
groupe et la scolarité, et appelle des
modes de faire et des réponses communes
aux différents modèles théoriques. Les
modèles théoriques peuvent coexister
dans la mesure où ils organisent la compréhension psychopathologique et orientent la prise en charge individuelle et
familiale psychothérapeutique, sans rivalité excessive ou visée hégémonique de
chacun d’entre eux.
Secrets
Autorisés par la notion de secret médical,
ils existent au sein d’une institution et au
sein d’une équipe. Leurs effets sont à
géométrie
variable
(rétention
d’information, prise de pouvoir, protection, intrigue, différenciation des espaces
et des contenus) et ils sont malgré tout
nécessaires au fonctionnement “sain” de
l’institution pour autant qu’ils ne desservent pas des objectifs de manipulation et
de luttes de pouvoir.
Vie de famille
Pour terminer avec les parallèles qui existent avec la famille, nous nous pencherons sur la question de la “vie de famille”.
Se sentir accueilli, en “famille”, aussi
bien pour les patients que pour les
membres de l’équipe constitue un milieu
protecteur propre à assurer une vie équili-
82
brée et également la survie. En effet, une
famille doit se préoccuper également de
survie, notamment psychique lorsqu’elle
est confrontée à la pathologie mentale
grave. Le climat émotionnel qui entoure
ces pathologies graves peut devenir contaminant et c’est sur une dynamique
d’échanges à tonalité fraternelle où
l’humour et la prise de distance qu’une
équipe doit pouvoir compter pour s’en
dégager quelque peu. L’homéostasie des
groupes composant l’institution est également une dimension à l’œuvre qui se
rapproche de l’homéostasie familiale qui
ne peut cependant constituer un objectif
en soi (ce sont les changements et les
mouvements qui sont attendus, au moins
pour les patients de l’hôpital de jour). Et
si au sein de la famille institutionnelle il
n’est pas question de reproduction sexuée,
le projet de pérennisation du concept de
soin et de reconduction des missions de
l’institution est au cœur des objectifs de
“transmission”.
LE CENTRE THÉRAPEUTIQUE DE
JOUR POUR ADOLESCENTS
Le Centre Thérapeutique de Jour pour
Adolescents (CTJA) est à la fois un hôpital de jour psychiatrique accueillant des
adolescents de 13 à 18 ans et un Service
de l’Enseignement Spécialisé et de l’Aide
à la Formation (SESAF). Le CTJA fait
partie du Service Universitaire de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
(SUPEA). Le CTJA offre aux dix-huit
jeunes présents, des périodes de classe, en
demi-groupes et en alternance avec des
périodes d’activités diverses, allant du
dessin au sport en passant par de
l’entraînement aux habiletés sociales, des
jeux dramatiques, des ateliers de prévention, de l’ergothérapie ainsi que des ateliers corporels. Toutes ces activités sont
animées par l’équipe soignante et enseignante et certaines activités par les thérapeutes, psychologues et psychiatres. Pour
le travail avec les familles, nous restons
en liens permanent avec le réseau (Service de la protection de la jeunesse, pédopsychiatre ou thérapeute adresseur,
lieux de soins, foyers).
Vignette clinique : Travail avec Nolan
et sa famille
Motif d’admission
Nolan est un jeune adolescent de 13 ans et
demi, qui fait plus jeune que son âge. Au
moment de se rendre à l’école, Nolan
présente différentes manifestations anxieuses, plus ou moins intenses, telles que
des douleurs abdominales et des troubles
du comportement avec opposition au
moment de quitter le domicile. La Figure
1 représente l’analyse fonctionnelle syn-
chronique de la problématique de ce jeune
avec la situation du départ pour l’école.
Nolan ne fréquente plus l’école depuis 6
mois. Son pédopsychiatre qui nous
l’adresse. L’objectif de la prise en charge
est une réinsertion sociale et scolaire.
Anamnèse personnelle et familiale
La grossesse et l’accouchement sont sans
particularité. Nolan est décrit comme un
bébé joyeux, souriant, posant peu de problèmes. Il est soudainement séparé de sa
mère pendant plusieurs semaines à la
naissance du petit frère, en raison de problème de santé de celui-ci. Nolan a présenté des angoisses liées à la séparation
depuis son entrée dans la scolarité. Il peut
tout de même se rendre à l’école et les
difficultés sont d’abord limitées au milieu
familial, à travers des comportements
d’opposition. Avec le passage à l’école
secondaire à 11 ans, il peine à s’intégrer à
sa nouvelle école. Il perd son cercle
d’amis et a du mal à faire de nouvelles
connaissances dans sa nouvelle classe.
Une perte d’étayage qui le désécurise au
point qu’il commence alors à présenter
des somatisations sous forme de maux de
ventre avec des flatulences. Au fil du
temps, la situation se péjore de plus en
plus, à tel point que Nolan ne fréquente
plus l’école depuis avril 2012.
La mère travaille à temps partiel. Elle a
souffert d’une conduite alcoolique chronique dans le passé, dans le cadre d’une
dépression. Elle se dit très proche de sa
propre mère. Le père de la mère est décédé en 2001 suite à une attaque cérébrale.
La relation avec lui semblait complexe et
caractérisée par une attitude très autoritaire et surprotectrice de la part de son
père envers elle. Actuellement, elle se
décrit comme anxieuse et reconnaît une
attitude protectrice à l’égard son fils. Le
père exerce la profession de monteur sanitaire. En raison de son travail et de son
engagement comme entraîneur de football, il est souvent absent de la maison. Le
père décrit que sa petite enfance et son
adolescence ont été marquées par un besoin d’autonomisation rapide. Il rapporte
que la préoccupation quasi-exclusive de
ses parents sur son petit frère qui présentait une psychopathologie importante et
énonce la méfiance à l’encontre des soins
pédopsychiatriques qui en découle. Nolan
a un petit frère, Tim, âgé de 10 ans, qui
semble parentifié. En effet, il est décrit
par ses parents comme un jeune garçon
faisant preuve d’une maturité étonnante
pour un enfant de son âge. Tim adopte un
rôle protecteur avec ses parents, consolant
sa mère par exemple, quand celle-ci se
retrouve triste et démunie face aux difficultés de son aîné.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Hôpital de jour : une grande famille ?
La problématique du refus scolaire
L’expression symptomatique du refus
scolaire est simple. Par contre, il est important d’identifier le ou les troubles psychiatriques qui se manifestent par ce refus
scolaire. Comme souligné par Holzer et
Halfon, « le refus scolaire par sa nature
extrême, manifeste et publique, essentiellement contre-adaptative, se situe clairement dans le champ de la pathologie ».
(Holzer et Halfon, 2006, p. 1254). Il
n’apparaît pas en tant que diagnostic en
tant que tel dans les différentes classifications diagnostiques pédopsychiatriques et
peut être rattaché à plusieurs types de
problématique. Souvent, et c’est le cas
pour Nolan, le refus scolaire est l’un des
symptômes contribuant au diagnostic
d’Anxiété de séparation. De plus, sa problématique remplit aussi, sur le plan diagnostique, les critères pour une phobie
sociale.
Les recommandations du cadre et des
modalités de traitement pour la prise en
charge des refus scolaires anxieux sévères ont été décrites par Holzer et Halfon, ainsi que Martin-Guehl. Le cadre est
une prise en charge en hôpital de jour en
cas d’échec des traitements ambulatoires,
la reprise d’une scolarité dans le cadre
hospitalier permettant un déconditionnement. Les modalités de traitement comprennent, entre autres, les Thérapies
cognitivo-comportementales,
l’Intervention auprès des familles, la Médication, et finalement, l’Intervention
auprès de l’école (Holzer et Halfon,
2006 , Martin-Guehl, 2006). Dans le cas
de Nolan, le travail avec le milieu scolaire
ordinaire se fera dans une étape ultérieure.
gatives et risquent d’aggraver la situation
(Dumas, 2005)
Concernant la motivation à changer d’une
part, Lyse Turgeon rappelle que les enfants ne consultent pas d’eux-mêmes, et
qu’ils perçoivent plus difficilement les
bénéfices à long terme associés au changement. D’autre part, elle souligne la participation indispensable des parents pour
l’efficacité de l’intervention. Finalement,
les difficultés éventuelles des parents doivent faire l’objet d’une investigation et les
liens entre les comportements parentaux
et le problème cible doivent être évalués
afin de savoir dans quelle mesure ils
jouent un rôle dans le développement et le
maintien du problème observé chez
l’enfant (Turgeon & Parent, 2012).
Le travail avec les parents de l’enfant
anxieux
Jean Dumas émet trois grandes recommandations aux parents et aux adultes qui
accompagnent un enfant anxieux.
Premièrement, il faut éviter de le rassurer
constamment et contribuer au développement d’un sentiment de maitrise en
l’encourageant à une gestion plus autonome de ses craintes (le renvoyer aux
stratégies de gestion de l’anxiété enseignées), ainsi qu’en le valorisant après
chaque succès. Deuxièmement, il recommande d’éviter d’être trop directif. Il ne
faut pas faire pour l’enfant ce qu’il doit
apprendre à faire lui-même, et donc ne
pas parler et faire les choses à sa place, ou
toujours lui dire quoi faire. Troisièmement, il encourage les parents à ne pas se
montrer impatients. Les accès de colère
qui visent à pousser l’enfant anxieux sont
à éviter, tout comme les commentaires
critiques, qui sont autant d’intentions né-
Partir de la maison
Au début de la prise en charge les temps
de départ du domicile sont complexes à
gérer. En effet, la mère souffrait le martyr
pour quitter le domicile et amener son fils
au centre. Par exemple, Nolan refuse de
sortir de la maison ou du véhicule, empêchant sa mère de l’amener au centre. En
offrant un café en salle d’équipe à Madame, désespérée, il a été possible de la
réconforter, alors qu’en parallèle d’autres
collègues tentent à deux de sortir Alan du
véhicule, à l’image d’un accouchement
aux forceps. Un relais fut offert à la mère.
Durant six semaines, un membre de
l’équipe soignante est allé chercher Nolan
à son domicile, favorisant ainsi un processus de séparation durant ces moments
compliqués. Relevons les émotions fortes
ressenties par notre infirmière responsable
d’équipe lorsque le jeune homme menaça
de se jeter par la porte en roulant sur
l’autoroute, ce qui devait être à l’image
du type de chantage affectif que Nolan
Prise en charge
Le lieu de réintégration est dans un premier temps le CTJA lui-même. Quatre
sous-objectifs peuvent être déclinés. Ils
sont : parvenir à quitter la maison pour
venir au Centre, travailler l’autonomie
dans les trajets pour s’y rendre, prendre
part à l’entier des activités de son programme, même celles qui sont redoutées,
de par leur dimension sociale et réintégrer
progressivement le milieu scolaire ordinaire.
Sortir du confort familial et séparation
Nolan est intégré au CTJA à temps partiel
dans le cadre d’une collaboration avec
son référent infirmier de l’unité hospitalière dans laquelle il a séjourné. La première fois que l’équipe pluridisciplinaire
rencontre Nolan est spectaculaire, notre
collègue infirmier devant le contenir physiquement afin qu’il parvienne à passer la
porte du CTJA.
faisait vivre à sa famille. Ajoutons également que le fait de se rendre à domicile
offre un autre regard sur la dynamique
familiale et le comportement de ce jeune.
Des activités thérapeutiques à la famille
Nolan a profité d’un ensemble d’activités
orientées par les apports des thérapies
cognitives et comportementales. Premièrement, les séances d’une heure et demie
hebdomadaire d’entraînement aux habiletés sociales. Elles consistent en un groupe
d’affirmation de soi et de résolution de
problèmes interpersonnels. Ce groupe
permet l’intégration d’une boîte à outils
relationnels, et, par la mise en place de
jeux de rôles modélisés, vise le développement de compétences tant cognitives,
émotionnelles que comportementales,
permettant l’acquisition de meilleures
habiletés sociales.
De plus, Nolan a profité du module hebdomadaire d’entraînement métacognitif
de Stephen Moritz, consistant en une psychoéducation sur les processus de pensée,
et divers biais cognitifs. Il est également
utile pour faire face aux difficultés quotidiennes vécues par les adolescents en
termes de fonctions cognitives comme la
mémoire, la concentration et les apprentissages. Ajoutons que Nolan a également
bénéficié du groupe de relaxation, proposant des méthodes centrées sur la respiration, les techniques de Jacobson et
Schultz, ou encore le « body scan ». Plus
tard, Nolan utilisera ces techniques de
gestion de l’anxiété dans le milieu scolaire. Les effets concrets dans la famille
sont une meilleure ouverture relationnelle, une meilleure affirmation et estime
de lui-même dans l’expression de ses
difficultés envers ses parents, ainsi qu’une
meilleure confiance en lui au domicile.
Ajoutons que Nolan est parvenu à mieux
gérer ses crises de colères, au moment de
quitter le domicile ou lors de frustrations
liées aux tâches domestiques.
Le dessin est une branche scolaire ayant
laissé d’amers souvenirs à Nolan. Au
CTJA, dans cet atelier, Nolan est parvenu
à réaliser des travaux créatifs, grâce à un
accompagnement éducatif intensif, acceptant progressivement de donner une valeur positive à ses productions. Il
parviendra même au terme de la prise en
charge à offrir à sa mère ainsi qu’à sa
grand-mère différents tableaux qui furent
exposés au CTJA lors d’un vernissage
institutionnel, ce qui selon les parents,
n’était jamais arrivé auparavant.
En ce qui concerne l’approche corporelle,
les périodes de sport proposées au CTJA
ont été des espaces ressourçant pour Nolan. Les compétences de ce dernier étaient
en effet mises en lumière. Un travail motivationnel a pu se faire concernant, la
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
83
Le travail avec les familles en hôpital de jour
capacité à oser jouer en groupe et en y
intégrant peu à peu la meilleure gestion
de situations de compétition. De plus,
une offre de sport en duo avec un autre
patient lui a été proposée et a conduit au
fait que les deux adolescents aillent jouer,
de manière autonome, dans un club de
badminton. Avant l’hospitalisation, manifestant de fortes crises d’angoisse, Nolan
avait cessé le football. Notons la nature
privilégiée de la relation que Nolan a entretenue avec un infirmier de l’équipe qui,
comme son père était fan de football, et
qui a fortement accompagné les succès
réalisés durant la prise en charge. Vers la
fin de la prise en charge, Nolan, mobilisé
et remotivé par son père, parvient à réintégrer une équipe de football.
D’autre part, Nolan a participé à deux
séances d’ergothérapie hebdomadaires
d’une heure trente chacune, pour lutter
contre les effets démobilisateurs de son
trouble psychique et promouvoir sa réintégration dans un programme scolaire.
L’évaluation et le traitement s’opère par
exemple au travers d’activités manuelles
comme la poterie, le travail sur bois ou la
gravure sur verre, mais aussi la cuisine et
les jeux de société. En outre, les activités
ont en elles-mêmes des propriétés thérapeutiques qui permettent de se structurer
dans l’espace et le temps, de développer
des alternatives face à une difficulté ou
d’augmenter le sentiment de valeur personnelle. Ainsi, suite aux séances, Nolan
s’est montré davantage autonome et a
commencé à faire des tâches domestiques
à domicile. Il parvient aussi à mieux
s’exprimer face aux amis des parents mais
aussi à mieux accepter les consignes exigées de ses parents.
Coaching individuel vers l’école
Un coaching d’orientation cognitive et
comportementale s’est effectué avec Nolan. Suite aux diverses expositions progressives dans les transports, en
collaboration avec son éducateur référent
et les parents, pour Nolan, le fait de traverser la cour de l’école et de se rendre au
secrétariat semblait encore un effort insurmontable à fournir. L’éducateur s’est
inspiré des propos de Boris Cyrulnik,
lorsqu’il s’agissait que Nolan puisse
« Dépasser ses peurs et découvrir le trésor caché en soi, celui de savoir vivre et
de jouir du temps qui passe…» (1) En
effet, un entraînement à traverser la cour
d’école pour se rendre au secrétariat et
saluer son enseignant avait pu se faire.
L’étape suivante visait à ce qu’il se rende
seul en classe. Le premier jour
d’intégration dans sa classe fut difficile,
Nolan s’est mis dans un état de crise spectaculaire refusant de sortir du véhicule.
L’éducateur a dû énergiquement deman-
84
der à Nolan de focaliser sur les avantages
inhérents au fait de s’y rendre, tant pour
lui que pour sa famille. Il lui a été dit
qu’il s’agissait de parvenir à se libérer de
son angoisse envahissante, comme de ses
anticipations anxieuses. Malgré l’ampleur
de la crise d’angoisse typique de ce que
racontait la mère dans ses douloureuses
expériences vécues, son éducateur est
resté ferme, directif, soutenant et exigent
à la fois. Il est parvenu à maintenir son
cadre éducatif, puis, contre toute attente,
Nolan est sorti du véhicule parvenant à
retourner en classe de manière autonome.
Comme l’évoque encore Cyrulnik,
« Peut-être l’éducation consiste-t-elle a
simplement apprendre à un enfant comment affronter ce mal-être, à vivre en
équilibre, à contrôler sans cesse
l’oscillation entre l’engourdissement psychique et l’alerte anxieuse ? » (1) Notons
que sur ce modèle, la mère de Nolan a
repris les accompagnements à l’école à
son compte, dépassant ses propres
craintes et restant ferme, ce qui a conduit
Nolan à reprendre la classe à 100%, fier
de ses nouvelles compétences et acquis.
Suite à cette intervention émotionnellement éprouvante, un débriefing de la psychologue fut offert à l’éducateur. Cet
apport constitue un exemple favorisant
l’identité professionnelle et des liens contenants et souples à la fois au sein de
l’équipe.
Entretiens thérapeutiques
Les principes de prise en charge des thérapies cognitives et comportementales
sont au cœur des entretiens thérapeutiques
également. Les entretiens individuels sont
hebdomadaires et se font en co-référence
(avec psychologue, éducateur, ainsi
qu’enseignante spécialisée). Nous travaillons avec Nolan pour l’aider à dépasser
ses difficultés anxieuses, à travers la psychoéducation, la relaxation, l’exposition
progressive (aux trajets seuls en transports publics, ainsi qu’au centre et à ses
activités, puis au milieu scolaire ordinaire
via une reprise progressive). Sous la Figure 2 est la hiérarchisation des situations, définie en séance avec Nolan et qui
sert de base pour l’exposition progressive
aux transports publics. Le pourcentage
définit le niveau de peur initiale pour chacune des situations.
Nolan ne voit pas toujours les bénéfices à
long terme d’affronter ses peurs. Tout
comme il est important de le récompenser, il faut aussi parfois l’inciter à
s’exposer en insistant à certaines occasions. À noter, en ce qui concerne la gestion des contingences et l’utilisation des
renforcements positifs, que Nolan est
autorisé à rentrer un peu plus tôt chez lui
lorsque les étapes sont réussies. La pro-
gression de Nolan est régulière et après
environ six semaines, il est autonome,
pour repartir du Centre dans un premier
temps, puis pour
Les entretiens thérapeutiques familiaux
ont lieu avec Nolan et ses parents toutes
les trois semaines environ, dix au total au
fil de la prise en charge. Lors de ces
séances une psychoéducation est faite sur
la nature du refus scolaire et les différents
mécanismes en jeu. Souvent, certains
comportements parentaux jouent un rôle
dans le développement et le maintien du
problème observé chez l’enfant. Nous
réfléchissons avec les parents sur ces aspects. Ils sont encouragés à profiter au
quotidien des occasions pour favoriser
l’autonomisation de Nolan. Une information est donnée également sur les différents aspects de l’intervention cognitivocomportementale. Les parents en sont les
co-thérapeutes : ils apprennent également
la relaxation de Jacobson, ils sont les garants d’une partie des expositions effectuées par Nolan. La gestion des
contingences de renforcement est aussi
abordée lors de ces entretiens. Nous veillons à garder un équilibre entre les renforcements positifs (récompenses) et
aversifs (punitions). Nous nous efforçons
aussi de transmettre à Nolan que lorsque
ses parents se montrent fermes et insistants c’est qu’ils croient en ses ressources
et veulent, grâce à la preuve par la réalité
qu’offre le travail par exposition, faire
fructifier ces forces. Ajoutons un épisode
important de la prise en charge où, supervisé par notre Chef de clinique Lacanien,
l’effort s’est centré sur un travail visant à
aider les parents à abandonner la chaise
d’enfant que Nolan utilisait dans la voiture, similairement à son petit frère. Autour de cet exemple, les parents ont appris
à distinguer les attentes et les exigences
de leurs enfants, en fonction de leurs âges
respectifs.
Nous
relevons
ainsi
l’importance des fonctions, des rôles et
des identités de chacun dans notre équipe,
tout comme la structure institutionnelle
qui, dans cet exemple permet au sein de la
famille le rétablissement d’une hiérarchie,
mais aussi un apport d’efficience par
l’intégration plurimodale des valeurs de
chacun.
Classe et réinsertion scolaire
Suite à l’échec dans un premier établissement scolaire, les parents souhaitent un
changement d’établissement. Au CTJA,
Nolan profite d’un enseignement spécialisé. Le premier projet de post-cure hospitalière avait débouché sur le refus d’un
deuxième établissement scolaire. Ceci qui
a permis aux parents de mesurer
l’importance d’un environnement sécurisant pour leur fils d’une part, et de mieux
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Hôpital de jour : une grande famille ?
comprendre la nécessité d’une prise en
charge en centre thérapeutique, favorisant
ainsi l’alliance incluant un projet de soins
et
un
programme
individualisé.
L’enclassement au CTJA, à raison de
50% du programme offert, a permis aux
parents de réapprendre l’importance de
valoriser et d’encourager la tâche scolaire,
la classe étant vécue comme les prémices
d’un lien à la normalité. Ces acquis précieux ont probablement participé au succès de l’intégration scolaire du troisième
établissement scolaire, de même que la
qualité de la collaboration avec celui-ci.
En conséquence de cela, au cœur de la
famille s’est opéré un véritable soulagement. Nolan a enfin recouvré une identité
scolaire d’élève “normal” et la fierté a pu
émerger de cette intégration. Une reprise
scolaire progressive a lieu après sept mois
de prise en charge au CTJA. La reprise
est complète après dix mois, lors de la
rentrée de la fin du mois d’août. Cela
signe la fin de la prise en charge au
CTJA.
Le mot de la fin à la famille
Nous avons informé Nolan et ses parents
de notre participation à ce colloque, ainsi
que de sa thématique. Au sujet du “travail
avec [leur] famille”, les parents ont apprécié que les professionnels puissent
prendre le relais à des moments où ils n’y
arrivaient plus. Ils apprécient aussi
d’avoir pu apprendre des nouvelles manières de réagir avec leurs enfants. Lors
de moment d’opposition par exemple ils
savent mieux être à l’écoute, tout en restant fermes. Ils savent aussi mieux comment rester calmes. De plus, ils ont aussi
des outils pour aider leur fils à
l’autonomisation. Ils estiment avoir rencontré une équipe de professionnels qui
leur a permis de recevoir des mots pour
expliquer les difficultés psychologiques
de leur fils. La notion de collaboration et
la possibilité de s’entendre sur de mêmes
objectifs était précieuse. Finalement, ils
relèvent que faire le pas de demander de
l’aide n’a pas été facile (pour le père en
raison de son histoire familiale notamment), mais que maintenant ils en parlent
avec des proches, donnent des conseils et
parlent de l’aide qui leur a été apportée.
Ils estiment que ce type d’aide devrait
être plus généralisée, afin d’aider des enfants plus jeunes qui ont ce type de problème. Nous voyons au travers de ces
propos, comment la qualité des transmissions, le jeu relationnel, la juste distance
d’une équipe pluridisciplinaire a pu porter
ses fruits, au-delà des secrets de famille,
en s’appuyant sur l’établissement des
liens de confiance, ramenant une forme
d’homéostasie dans cette famille.
CONCLUSION
Pour conclure sur le thème de l’hôpital de
jour comme grande famille, cette vignette
nous permet d’illustrer comment un patient peut profiter de la prise en charge
pour se forger, au sein de la famille
CTJA, une identité d’élève, ainsi qu’une
appartenance à la normalité par un travail
de mise en lien et de structuration. Les
valeurs institutionnelles et pluridisciplinaires permettent le passage à une hiérarchisation familiale plus adaptée aux rôles
attendus de ses membres. D’autre part,
l’alliance avec la famille illustrée dans
cette vignette, bien présente dès les premiers temps de la prise en charge, a permis de dépasser un mythe familial,
conception collective et pourtant bien
ancrée au sujet de la qualité soignante ou
non des soins pédopsychiatriques.
Tant nos spécificités professionnelles que
notre
coordination
amènent
de
l’efficience. Toutefois, divers exemples
de résonnances émotionnelles vécues par
l’ensemble des professionnels sont autant
d’occasions des prises de conscience, de
reflets à la famille, leur permettant ainsi
de continuer à avancer. Dans le même
ordre d’idée, les différents niveaux
d’analyse, ainsi que l’intervision et la
supervision permettent de prendre du recul, de mettre les choses en perspective et
de gérer parfois les rivalités réciproques.
En plus des référents, de nombreux collaborateurs sont impliqués dans la prise en
charge. Ils s’organisent autour du patient,
permettant ainsi beaucoup de souplesse
grâce à cette possibilité de relais possible
en tout temps. Soulignons l’importance de
la distance affective et professionnelle
comme facteur central favorisant un pro-
jet thérapeutique cohérent. De plus, les
valeurs institutionnelles (communes) et
les valeurs de chaque professionnel (liées
au parcours de chacun) s’incarnent dans
chaque temps et espace de la prise en
charge. À ce propos, la capacité du système CTJA d’intégrer, de manière consciente, les points de vue divergents et les
valeurs plurielles, peut constituer un modèle utile au système familial et doit donc
être divulgué dès que possible.
Il est à noter que la qualité des liens entretenus dans la famille illustrée par cette
vignette a permis à l’équipe, en miroir
sans doute, de travailler avec confiance,
plaisir et transparence. Nous relevons
l’authenticité et la véritable volonté de
participer au projet de soin de la famille,
qui a trouvé dans l’hôpital de jour une
“grande famille” accueillante et avec laquelle il a été possible de construire une
histoire thérapeutique partagée à travers
un lien aux allures familiales, favorisant
ainsi son issue heureuse.
BIBLIOGRAPHIE
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L’enfant anxieux : Comprendre la peur de la
peur et redonner courage, Bruxelles, De
Boeck Université, 2005
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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
85
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Figure 1 : Analyse fonctionnelle synchronique du refus scolaire de Nolan
Figure 2 : Hiérarchisation sur post-it de l’exposition aux transports publics
86
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
LA THÉRAPIE FAMILIALE
DANS L’INSTITUTION ET L’INSTITUTION
DANS LA THÉRAPIE FAMILIALE
S.P.A.S.M.
31 rue de Liège
75008 PARIS
FRANCE
[email protected]
Paul ASTRE, Brigitte KAMMERER, Annie MANDROU
En Hôpital de Jour, groupe institutionnel et infirmier référent se proposent comme supports tranférentiels. Cela suppose un préalable qui permette l’entrée dans les soins : que le patient puisse à minima sortir d’un désaveu d’existence qui le maintient dans un collage, une identification adhésive à
ses objets. Quand ce n’est pas possible, l’accès à un minimum de transitionnalité doit souvent passer
par la présence effective du groupe familial avec lequel nous puissions dialoguer.
Nous différencions, dans l’accueil que nous faisons des familles, ce que nous appellons, d’une part la
« guidance familiale », souvent utile pour que la famille nous autorise à soigner le patient et, d’autre
part la « thérapie familiale » qui prend parfois la forme d’un « psychodrame familial », comme nous
en avons maintenant l’expérience depuis quelques années. Nous nous proposons ici de développer et
expliciter cette clinique des familles en articulation et résonnance avec le travail institutionnel.
Mots-clefs : Institution, famille, thérapie familiale
Family therapy in the institution and institution in family therapy
In daycare hospitals, the institutional group and the nurse referent stand as a transferantial support.
This implies a prerequisite before the patient’s care can begin: he/she has to be at least able to get
out of a disavowal of existence that keeps him in a sticking, adhesive identification to his/her objects.
When this is not possible, the access to a minimum of transitionality for the patient often requires the
actual presence of the family members with whom the caregivers can dialog. When it comes to families’ reception, we differentiate what we call "family guidance", which helps us to get the family to
allows us to treat the patient, from "family therapy" which sometimes takes the shape of a ‘family
psychodrama’, as we have experimented for the past few years. We propose here to develop and explain this families’ clinic in articulation and resonance with the institutional work.
Key words: Institution, family, family therapy
INTRODUCTION
Le « Centre de Traitement et de Réadaptation » de la SPASM, à Paris, reçoit du
lundi au samedi, des patients adultes souffrant pour la plupart de troubles psychotiques. L’objectif du Centre est de leur
permettre de devenir acteur de leurs soins
et de leur insertion dans le social. C’est
un hôpital de jour largement inspiré des
principes de la psychothérapie institutionnelle, articulant les dimensions individuelles et groupales d’un accueil au
quotidien devant permettre au sujet d’y
déployer ses troubles et au collectif soignant d’en proposer une lecture porteuse
de sens.
Nous y avons, depuis une dizaine
d’années, expérimenté une pratique
d’entretiens familiaux, voire de thérapies
familiales, dans certaines situations cliniques bien particulières, quand les patients nous paraissent pris dans des
dysfonctionnements familiaux, ne pouvant qu’entraver leur engagement et leur
progression dans les soins.
Les patients que nous recevons en hôpital
de jour, et pour qui nous pouvons penser
à une thérapie familiale, n’ont pas eu
d’accès à une véritable relation d’objet.
Ils sont collés à ceux-ci dans une identification adhésive au sein de laquelle ils
n’en sont pas différenciés, aucune solution de continuité n’étant tolérée. Les
familles sont souvent des familles à “transaction paradoxale” au sein de laquelle la
reconnaissance de l’altérité est difficile, la
confusion est un mode de défense fréquent, et les relations sont établies sur le
mode de l’emprise réciproque.
Notre hypothèse est que, parce que le lien
familial est vécu sur un mode indifférencié et adhésif, le patient ne peut, dans
certains cas, véritablement entrer dans
l’institution de soin. C’est donc ce lien
que nous nous proposons d’explorer et de
mettre au travail.
Ainsi, nous accueillons ces patients avec
leur environnement familial, en constatant
avec B. Penot, que « les secteurs où leur
pensée s’arrête correspondent bel et bien
à des zones problématiques pour leur
famille et au premier chef pour leurs parents », témoignant alors du fait que « la
famille a échoué à fabriquer suffisamment
de mythe, dans le sens de permettre les
liaisons de sens indispensables à une
existence subjective prenant en compte
les données de son héritage historique ».
Notre projet pourrait être de permettre à
nos patients de passer d’une « non différenciation » à une possibilité de subjectivation, de « personnation » au sens de
Racamier (acquisition du sentiment d’être
une personne propre, autonome et continue). Pour cela, nous proposons de prendre en compte au travers du jeu, des
approches corporelles, des approches familiales, ce qui se répète, s’agit, au niveau
individuel ou groupal et, de fait avec les
soignants dans l’institution. B. Penot
évoque le « déplacement dans le collectif
thérapeutique de rapports existentiels
ayant pu présider à la genèse première du
cas dans son milieu matriciel originaire
».
Nous différencions dans l’accueil que
nous faisons des familles, ce que nous
pourrions appeler d’une part “guidance
familiale”, rendez-vous ponctuels espacés
dans le temps, premier niveau de travail
dans lequel, par sa présence, la famille
nous autorise à soigner le patient et,
d’autre part la “thérapie familiale” proprement dite.
LA “GUIDANCE FAMILALE”
Dans ce cas, les entretiens familiaux sont
souvent une façon de se reconnaître mutuellement, d’établir une alliance thérapeutique. Le patient semble suffisamment
différencié de son groupe familial pour
que nous puissions directement travailler
avec lui et pour que son entrée dans un
établissement de soin ait un sens. Ces
entretiens semblent surtout constituer un
sorte de mise en continuité d’“états des
lieux” successifs, ils peuvent permettre
d’évaluer les capacités familiales à une
adaptation à un cadre minimal et enfin
surtout les capacités “auto thérapeutiques” de la famille. Ils sont organisés
autour du patient “en soin”. Ils peuvent
aussi constituer un préalable à une proposition de “thérapie familiale” que ce soit
dans ou hors les murs.
L’infirmier référent est impliqué dans ce
travail et participe avec la famille et un
tiers, souvent psychologue ou psychiatre
de l’équipe soignante, à la mise en place
d’un espace commun de réflexion et
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
87
Le travail avec les familles en hôpital de jour
d’élaboration, le plus souvent à partir
d’éléments de la réalité matérielle et organisationnels de la cure. L’entretien familial est conçu comme un espace tiers
dans la relation souvent conflictuelle
et/ou fusionnelle entre parents et enfant,
souvent reproduite dans le transfert entre
référent et patient. L’étayage de la famille
sur les entretiens familiaux, la personne
du référent et l’institution permet une
première délimitation d’un espace de pensée et de réflexivité au sein duquel nous
tentons de décoller d’une réalité traumatique, souvent ramenée au premier plan.
Cas clinique
Pour illustrer ce que nous entendons par
“guidance familiale”, prenons le cas de
Caroline, une jeune femme de 28 ans,
plutôt jolie, qui a connu des difficultés
psychiques depuis le collège, alternant
périodes d’anorexie et périodes de boulimie. Elle n’a pas pu passer son baccalauréat, mais a néanmoins réussi à mener à
bien une formation d’aide puéricultrice,
sans pour autant pouvoir travailler durablement dans ce domaine.
En entrant à l’hôpital de jour, elle est
donc sans emploi, en attente de toucher le
Revenu de Solidarité Active1 et vit dans
un studio appartenant à ses parents. Son
quotidien est fait de nombreux passages à
l’acte, elle se met en danger de multiples
façons : drogues, prostitution, surdosage
ou arrêt du traitement.
Au début de son hospitalisation dans
notre structure, quand elle arrive à venir,
c’est en fin d’après-midi, évoquant
comme excuse ses nuits occupées... Une
entrée plutôt difficile quand, parfois, seul
le téléphone permet de garder un semblant de lien.
D’ailleurs ce n’est pas elle qui veut être
là, elle préfèrerait trouver du travail, elle
ne fait que répondre à l’insistance de ses
parents pour qu’elle se soigne et soit en
sécurité.
Nous proposons alors rapidement un, puis
plusieurs, entretiens familiaux pour tenter
de trouver quelques repères et possibilités
de “rencontre” avec la patiente. Apparait
très vite toute l’inquiétude parentale suscitée par cette vie “hors limite”, ce logement “en bordel” squatté par des
individus “louches” se livrant au trafic de
stupéfiants et abusant de Caroline. Cette
situation provoque de multiples interven1
Le revenu de solidarité active (RSA) est destiné
à assurer aux personnes sans ressource ou disposant de faibles ressources un niveau minimum de
revenu variable selon la composition de leur
foyer. Le RSA est ouvert, sous certaines conditions, aux personnes âgées d’au moins 25 ans et
aux personnes âgées de 18 à 24 ans si elles sont
parents isolés ou justifient d’une certaine durée
d’activité professionnelle.
88
tions des équipes de secteur et de la famille, pour régler les problèmes du quotidien et, en retour un renforcement du
vécu persécutif de la patiente.
De nombreuses absences, une longue
hospitalisation pour cause de désintoxication à la cocaïne, sont concomitantes de la
mise en place de ce que nous appelons à
l’hôpital de jour “la référence”, engagement d’un infirmier dans le suivi et
l’accompagnement du parcours de soin.
De nombreux mois furent nécessaires
pour que la passation, de la psychologue
l’ayant accueillie à son entrée, à son infirmier référent ...ni psychologue, ni
femme et plutôt de l’âge de son père,
puisse véritablement avoir lieu. Un changement peu évident à réaliser lorsque une
relation de confiance s’est nouée à grand
peine et qu’il faut changer d’interlocuteur,
se raconter à nouveau.
Le début du travail entre Caroline et son
référent infirmier a été très laborieux.
Etait-ce elle qui l’évitait dans l’espoir de
conserver le lien précédent, était celui qui
ne savait comment s’y prendre pour la
rencontrer ? Le blocage a duré plusieurs
mois. Ce qui se passait dans sa vie, en
dehors de l’hôpital de jour, en particulier
avec les hommes, la drogue…, son référent ne l’apprenait que par des tiers extérieurs, les collègues du Centre MédicoPsychologique, la psychiatre, la famille.
Il fallut attendre un séjour à Londres et le
hasard des attributions de place dans le
TGV, qui les avait placés côte à côte, un
peu à l’écart du groupe, pour que la rencontre puisse enfin avoir lieu. Il fallut
aller à Londres pour pouvoir parler de ce
qui se passait pour elle à Paris et ainsi
profondément changer la perception que
son référent avait de la situation et la relation.
Grâce à ce voyage réussi, nous avons pu
réaliser une véritable alliance thérapeutique avec Caroline, mais aussi avec sa
famille et l’expérience a permis de réorienter tout le travail de référence auprès
d’elle. Lorsque l’horizon s’est à nouveau
assombri, lorsque les passages à l’acte ont
à nouveau occupé le devant de la scène, il
était maintenant possible d’en parler directement avec elle, lors d’entretiens programmés auxquels elle venait.
Etablir une alliance thérapeutique est une
chose, la faire fonctionner en est une
autre. En remontant le fil de l’histoire de
Caroline dans l’hôpital de jour, s’est peu à
peu imposée l’idée qu’elle avait sûrement
encore besoin de sa “référente de
l’entrée”. A partir de ce constat, se sont
mis en place des entretiens familiaux plus
réguliers incluant psychologue et référent
infirmier.
Ces entretiens ont permis à Caroline, mais
aussi à son référent de sortir du
“qu’avons-nous fait”, ou plutôt du
“qu’avons-nous raté ces derniers temps” à
“que pouvons-nous penser de ce qui s’est
passé”.
Cela a contribué à ouvrir d’autres possibles dans le champ de la pensée, pensée
de la patiente déjà... mais aussi pensée de
celui
qui
s’était
proposé
pour
l’accompagner en tant que référent infirmier, le temps de son inscription à
l’hôpital de jour.
LA THÉRAPIE FAMILIALE
Dans d’autres cas, cette minimale différenciation n’existe pas ou plus et, c’est en
amont que nous devons travailler en reconnaissant cette dépendance et cette impossible individuation. C’est alors le
cadre de “thérapie familiale”, que nous
mettons en place, façon pour nous
d’accueillir le groupe familial, en constituant un “néo groupe” dans lequel nous
nous laissons “modeler” par le mode de
lien familial. C’est le groupe familial dans
son ensemble qui s’engage dans un processus de soin, dans une “thérapie familiale” au sein de laquelle la fantasmatique
familiale sera au cœur de nos préoccupations et interventions.
Nous devons dans ce cadre, être capables
de nous laisser modeler, sans nous laisser
détruire, par ce que nous percevons et
éprouvons parfois dans notre corps des
projections liées à la pulsion de mort.
L’adaptation du cadre spécifique de la
thérapie familiale psychanalytique à
l’institution, dans cette perspective, pose
bien sûr quantité de questions.
Il ne saurait être question de négliger le
cadre institutionnel dans lequel nous travaillons. Au contraire, nous devons accepter et maintenir cette ambiguïté que
l’institution est un lieu pour le patient, qui
peut et doit aussi pour ce faire, pouvoir
proposer un lieu d’accueil et de traitement
pour le groupe familial, dont celui-ci ne
peut se différencier.
Par ailleurs, pour les thérapeutes, si possible formés à la thérapie familiale psychanalytique, s’appuyer sur les collègues,
distinguer les rôles et les fonctions, pouvoir mettre en place des “clivages techniques”, ce que nous appelons
trivialement “changer de casquette”, reste
nécessaire et indispensable, comme par
ailleurs dans le reste de notre pratique en
institution, quelle qu’y soit notre fonction.
Les deux espaces thérapeutiques, individuels et familiaux, semblent pouvoir exister conjointement dans un rapport
d’étayage et non de clivage de l’un à
l’autre, ce qui nous demande bien sûr de
pouvoir le tolérer. Cela pose la question
d’espaces distincts à l’intérieur de
l’institution et de notre possibilité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
La thérapie familiale dans l’institution et l’institution dans la thérapie familiale
d’accueil de transferts différenciés. Pour
ce faire nous privilégions des espaces
différenciés -un lieu pour la thérapie familiale un peu à l’écart des espaces investi par le patient dans l’hôpital de jour- et
mettons en place une équipe qui n’inclut
pas le soignant référent.
Nous pouvons ici parler d’un transfert
familial, qui est autant un transfert sur le
cadre -dans un emboîtement de ceux-ci :
la thérapie familiale dans l’institution,
l’institution dans l’établissement- qu’un
transfert sur les thérapeutes engagés dans
ce travail, et enfin sur l’objet famille luimême et le processus.
Reprenons quelques règles essentielles de
la thérapie familiale :
- Nécessité d’entretiens fréquents et réguliers avec le groupe familial.
- Recevoir une famille une fois par mois
semble un bon rythme pour un travail
possible et l’établissement d’un transfert.
Cela exige de la part de l’équipe soignante d’accepter ce travail à la marge,
sans se sentir envahie, ni dépossédée.
- La mise en place d’entretiens familiaux
réguliers et répétés introduit la notion de
rythmicité, et par là même un contenant à
la fois spatial et temporel.
L’interprétation du transfert sur le
cadre
Elle devient ainsi légitime et partie prenante du travail.
Règle d’association libre
Nous invitons les familles à parler librement, à exprimer ce qui a été pensé, imaginé, rêvé. Nous avons souvent remarqué
que la proposition « Qu’avez-vous pensé
depuis la dernière fois ? » était une formulation exigeante pour des familles
poussées à nous parler de “ce qui s’est
passé” ou “ne s’est pas passé”. Cette exigence de mise en fantasme, de mise en
représentation, quand nous insistons sur
les pensées, là ou souvent les familles
voudraient privilégier l’évènement et
l’acte, introduit déjà, dans sa formulation
même, un écart avec les rencontres qu’ils
ont déjà pu avoir avec des soignants autour de leur enfant ou leur parent malade.
Règle bi-générationnelle
C’est ce que nous proposons aux familles
et aux patients, avec une certaine souplesse. Le sujet de l’entretien reste le
groupe familial, sa dynamique, et non tel
ou tel de ses membres.
Règle d’abstinence
C’est une règle bien difficile à tenir dans
une institution et l’emboîtement des
cadres fait penser qu’on ne peut mettre
totalement de côté les éléments de réalité.
C’est un travail aux limites, dans une articulation incessante interne-externe, sans
perdre de vue que notre objectif est
néanmoins de permettre une circulation
fantasmatique renouvelée, un espace de
pensée. Il ne saurait donc être question,
encore une fois, d’en rester à des questions d’organisation et au factuel, comme
certaines familles veulent nous y entraîner.
Nous avons également, à titre expérimental proposé à quelques familles un cadre
de “thérapie familiale avec psychodrame”, mensuel, dans lequel interviennent trois thérapeutes, un meneur de jeu
qui ne joue pas et deux thérapeutes acteurs.
Les membres de la famille sont invités à
faire part de leurs pensées, de leurs rêves,
puis un jeu est décidé en commun et les
différents rôles définis, répartis entre les
personnes présentes, meneur de jeu excepté. Les règles énoncées sont celles du
psychodrame, tel que nous en avons par
ailleurs l’expérience -on fait semblantavec toutefois un aménagement majeur :
personne ici ne joue son propre rôle.
Comme au psychodrame, un espace spécifique appelé “aire de jeu” est dédié au
jeu.
Nous proposons enfin dans ces différents
dispositifs de thérapie familiale, la médiation d’un “arbre généalogique” élaboré et
dessiné au cours d’une ou plusieurs
séances et auquel nous nous référons régulièrement dans un aller et retour entre
ce qui se dit, ce qui se joue et ce qui est
tracé.
La représentation qu’ont les
membres de la famille de leur propre généalogie peut évoluer, ce qui peut donner
lieu à plusieurs arbres successifs au fil des
séances.
Cas clinique
Jean-Marc, jeune patient psychotique est
pris en charge à l’hôpital de jour depuis
cinq ans. Il a été adressé par un Centre
pour Adolescent où il a été suivi pendant
plusieurs années. Sa première décompensation à l’âge de 13 ans l’a conduit à une
hospitalisation suite à des violences, notamment envers son père.
A son arrivée, nous rencontrons un jeune
homme poli, voire policé, qui parle peu et
qui semble être pris dans des angoisses
psychotiques majeures. C’est auprès de
son infirmière référente qu’il va déposer
une version de sa vie psychique. Il décrit
une boule de feu remplie d’armes qu’il
situe dans son ventre et qu’il doit contrôler sans cesse. S’il ne prend pas son traitement celle-ci va s’ouvrir et entrainer
une catastrophe, beaucoup de personnes
vont être tuées, notamment son père. Il
décrit par ailleurs des impulsions contre
lesquelles il lutte, celles de pousser les
gens sous le métro. Dans la porte de son
placard, il a une liste d’anciens camarades
de classe qu’il regarde tous les jours avant
de quitter l’appartement familial, ce sont
des camarades qui l’ont harcelé, violenté
pendant ses années de collège. C’est dans
l’espace privilégié qu’est l’entretien avec
sa référente que Jean-Marc va déposer sa
souffrance, nul autre membre de l’équipe
ne sera dépositaire de cette part de sa vie
psychique.
Après quelques mois de suivi à l’hôpital
de jour, les parents ont été reçus par
l’infirmière référente et la psychologue
ayant suivi ce patient durant la période
d’accueil. Elles ont d’emblée été frappées
par le déni de la famille devant les souffrances de Jean-Marc. Le père décrit son
fils comme l’enfant idéal, qui ne pose pas
de problème, contrairement à son jeune
frère Laurent, étudiant dans une école
d’ingénieur, avec lequel il a connu divers
conflits. C’est suite à ces premiers entretiens familiaux, devant la force du déni et
la paradoxalité repérée, qu’une indication
de thérapie familiale avec psychodrame a
été posée.
La thérapie est dirigée par un meneur de
jeu et deux co-thérapeutes acteurs qui
donnent la réplique aux membres de la
famille dans les scènes qu’ils proposent.
L’infirmière engagée dans ce travail rencontre Jean-Marc dans différent espaces
de l’hôpital de jour, la cafétéria, les couloirs etc, et plus particulièrement dans
l’atelier d’écriture qu’elle anime et auquel
Jean Marc participe avec assiduité depuis
plusieurs années. Pour des raisons
d’organisation, la thérapie a lieu une fois
par mois, cinq minutes après la fin de
l’atelier d’écriture, ce qui demande de
changer de lieu, d’espace et de temps. En
effet, dans l’atelier, est partagé un imaginaire, un espace ludique, au sein de
l’hôpital de jour. De façon volontairement
différenciée, l’espace de la thérapie familiale avec psychodrame se situe dans un
autre lieu du même bâtiment, et nous allons dans ce cadre aborder la vie fantasmatique de la famille. Cela demande de
“changer de casquette”, de changer de
position. Un cadre interne comme un
cadre externe définis à l’avance sont indispensables, pour pouvoir passer de la
réalité ou des réalités rencontrées à
l’hôpital de jour à un autre lieu où, nous
rencontrons la famille comme entité, dans
un travail qui vise à mettre à jour la vie
fantasmatique. Par exemple, quand il
s’agira de parler d’un projet de foyer pour
Jean-Marc, les parents demanderont un
entretien au médecin chef, auquel participera l’infirmière référente. Par ailleurs,
dans le cadre du travail que nous effectuons avec la famille, seront abordées les
craintes inconscientes qui vont pouvoir se
mettre en scène et se figurer dans l’espace
de jeu.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
89
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Jean-Marc, au début de ce travail, entre
dans la salle de psychodrame sans saluer
l’infirmière co-thérapeute, passe devant
elle sans un regard. Au bout de quelques
mois, il lui dira « Bonjour » en détournant
la tête, aujourd’hui il lui dit « on s’est
déjà vu ». C’est certainement pour lui une
manière de différencier les lieux et les
espaces.
Voici quelques liens, tels que nous avons
pu les établir entre l’atelier d’écriture et
les scènes de psychodrame familial. En
effet, rencontrer Jean-Marc dans ces deux
espaces nous a permis d’effectuer
quelques rapprochements entre l’histoire
familiale et la psychopathologie du patient.
Dans l’atelier d’écriture, nous constatons
que, dans les textes de Jean-Marc, il n’y a
peu ou pas de figure féminine, que cette
part maternelle est souvent portée par un
personnage masculin, ce que nous retrouvons dans le psychodrame familial.
Au cours d’une année dans l’atelier, nous
travaillons sur la création d’un personnage qui accompagne chaque participant
dans différentes formes d’écriture. JeanMarc va créer son personnage : un artiste
peintre du XVIème siècle vivant dans une
grande demeure cachée dans les bois. Il y
vit avec son père, lui-même artiste. Beaucoup de textes écrits par Jean-Marc
s’attacheront à la relation d’étayage existant entre ces deux personnages. La
transmission des techniques de peintures
se fera de l’un à l’autre. On retrouve souvent dans ces textes, un père vieillissant
soutenu par un fils lui apprenant de nouvelles formes de création picturale, un fils
qui pourrait être le bâton de vieillesse du
père. Le fils prend une position maternelle, il fait le repas pour le père, s’en
occupe comme d’un enfant, le rassure
quant à ses capacités créatrices, etc.
Nous apprendrons au cours des séances
de psychodrame, qu’au début de sa retraite, Monsieur écrivait des histoires
qu’il donnait à lire à Jean-Marc à son
retour au domicile familial. Nous découvrons une mère souvent opératoire, qui
“gère” la vie organisationnelle de la famille. Elle nous semble plus dans une
fonction paternelle, ou du moins masculine. La référente de Jean-Marc nous dira
à plusieurs reprises qu’elle ressent cette
mère comme une femme froide, sans affects. D’où notre surprise quand, dans le
cadre du psychodrame, nous ressentons
pour elle de l’empathie, la trouvant exclue
du couple formé par le père et le fils.
Le père, à plusieurs reprises, exprime des
émotions très fortes, allant jusqu’à pleurer
quand est jouée la culpabilité d’avoir un
enfant malade et d’avoir éliminé son
propre père. A l’évocation de la relation
de Monsieur à son père, qui a quitté sa
90
famille, et que Monsieur n’a revu que sur
son lit de mort, nous évoquons les différentes ruptures violentes qui ont eu lieu à
différentes générations. Monsieur aura
alors plusieurs mouvements corporels,
notamment une sortie de scène pour aller,
dos tourné, se mettre en retrait dans un
coin de la pièce. Jean-Marc, quant à lui,
n’a de cesse de “consoler” son père. Dans
les scènes il n’est pas rare de le voir prendre celui-ci dans ses bras. Monsieur dira
que Jean-Marc est celui qui fait le lien
dans la famille. Il se réfère à lui dans la
construction de l’arbre généalogique pour
s’assurer des prénoms, dans le récit de tel
ou tel évènement ou la précision des
dates. Jean-Marc ne se trompe jamais,
même quand il s’agit d’événements ayant
eu lieu avant sa naissance. Serait-il le
porteur et l’historien de la famille ?
Il se présente souvent comme prévenant
et attentif aux mouvements émotifs de son
père et nous avons pu nous demander à
plusieurs reprises si Jean-Marc ne se mettait pas en position de père pour son père.
Il aurait cette fonction étayante afin de lui
éviter un effondrement dépressif.
Lors de la dernière séance de psychodrame, Madame a pu évoquer les ruptures
dans sa propre famille. Jusqu’alors, elle
nous avait plutôt fait part des décès, ce
qui avait valu à Monsieur cette phrase «
Chez Les Basques, on se fâche, chez les
Solognots on ne se dit rien, mais il y a
plus souvent des pendus aux poutres ! »
Madame nous raconte une fête organisée
pour les 60 ans de mariage de ses parents.
Elle y a retrouvé des cousins qu’elle
n’avait pas vus depuis longtemps et
d’autres dont elle a fait connaissance. Elle
nous fait part d’une rupture à la génération de ses grands-parents autour de
l’héritage de la ferme familiale. Suite à
une reprise concernant la difficulté de
chacun des parents à s’appuyer sur sa
famille respective, Monsieur associe sur
l’importance des conflits et des ruptures
dans la sienne. Il exprime des envies de
meurtre, ce que nous jouerons dans une
scène où nous tentons de figurer les parties clivées de Jean-Marc. Nous mettons
en scène les deux familles. Le meneur
envoie un des co-thérapeutes figurer ce
que Jean Marc vit à l’intérieur de son
corps : une boule remplie d’armes qu’il
contrôle afin d’éviter les meurtres.
A la reprise, Madame fait le lien avec la
façon dont ses deux fils se sont construits,
chacun à sa manière. Laurent a quitté la
famille, allant s’installer à l’étranger (Il
est souvent dit que c’est celui qui ressemble le plus au grand-père paternel) et
Jean-Marc ayant des difficultés à se séparer, est celui qui maintient la famille unie.
En début de séance, Monsieur avait évoqué le fait que, malgré sa tristesse à ce
sujet, sa femme et lui-même ont reparlé
de l’idée d’un foyer ou d’un appartement
thérapeutique pour Jean-Marc, ils sont
d’accord pour ce projet. Projet que la référente de Jean-Marc interrogeait
quelques heures auparavant, se demandant quoi faire : « fallait-il mettre en
place des démarches, sachant que le patient n’évoque jamais la question ? »
Ce travail institutionnel à plusieurs, dans
des places différentes, nous permet de
rencontrer le patient dans différents lieux
de sa vie psychique, nous permet de le
penser dans une totalité, là où il dépose
des bribes de sa réalité interne en chacun
de nous. Ce travail de liaison nous est
nécessaire pour pouvoir penser le fonctionnement psychique, faire des ponts
entre les parties clivées. Ce travail de
thérapie familiale avec psychodrame est
un outil qui apporte un matériel conséquent mais, n’a lieu d’être qu’en lien avec
les autres espaces institutionnels fréquentés et investis par le patient.
CONCLUSION
Le cadre que nous proposons est ainsi,
nous semble-t-il, “un cadre sur-mesure”
au sens que Maurice Berger donne à ce
terme c’est-à-dire « celui d’un objet oral
qui s’adapte aux besoins du sujet », lorsque celui-ci souffre d’une problématique
trop éloignée du registre névrotique, pour
supporter un « cadre prêt à porter ».
C’est un cadre qui ne doit être ni trop
influençant, ni trop influençable pour
pouvoir maintenir une capacité à être un
lieu d’élaboration et de réverbération,
pour permettre aux différents membres de
la famille de se sentir, se voir, s’entendre,
quand cette capacité de réflexivité
n’existe pas ou pas suffisamment.
Concernant les soignants, notre souci
demeure qu’ils privilégient la réceptivité,
l’attention aux expériences émotionnelles,
qu’elles soient verbales ou non verbales,
et de l’ordre de la “rêverie”, que ce soit
dans le cadre des entretiens familiaux ou
dans les différents espaces institutionnels.
La mise en commun de ces “rêveries”
dans des temps d’élaboration groupale,
doit pouvoir favoriser le tissage d’une
enveloppe institutionnelle, qui permette
un tant soit peu d’échapper au piège des
projections et de déjouer les contre attitudes et les contre agirs.
Pouvoir, un temps, se déconnecter du
vécu institutionnel semble indispensable à
maintenir une capacité de penser et la
possibilité de prêter notre appareil psychique au patient pour établir des liens
avec ce qui se passe pour lui, dans et hors
l’institution.
En tant que thérapeutes familiaux et soignants dans l’institution, nous sommes
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
La thérapie familiale dans l’institution et l’institution dans la thérapie familiale
donc placés à ce carrefour privilégié
d’observation et de mise en sens des éléments familiaux et institutionnels, que ce
soit dans une dimension actuelle, ou historique et transgénérationnelle. Nous
sommes témoins privilégiés avec le patient de ce qui se vit et se revit, transférentiellement parlant et pouvons ainsi en
proposer une lecture, que ce soit dans le
cadre des entretiens familiaux ou dans
l’institution. Une enveloppe se tisse où la
dimension métaphorique prend toute sa
place, rapportée au sémaphorique.
Notre cadre interne doit ainsi être particulièrement solide pour pouvoir entendre à
plusieurs niveaux :
- le vécu individuel du patient dans sa
relation à son référent, et dans
l’ensemble de l’institution,
- le vécu familial et groupal dans
l’appareil psychique familial,
- la place de la thérapie familiale à
l’intérieur de l’institution,
- la place de l’institution dans la thérapie
familiale.
Ainsi, nous distinguons nécessairement
les effets de transferts individuels (le référent), groupaux (thérapie familiale) et
institutionnels et sommes conscients de la
nécessité de différencier le métacadre,
correspondant à la partie institutionnelle
du dispositif thérapeutique des différents
espaces thérapeutiques portés par d’autres
thérapeutes, dont la thérapie familiale.
BIBLIOGRAPHIE
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texte de F. BARUCH : Comment on accède à
la thérapie familiale psychanalytique ou le
temps de la préparation, Le divan familial, n°
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Le divan familial, 29, automne 2012, pp 99110
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représentation de soi, Paris, Apsygée, 1990
4. SEFCICK R., L’institution, sa place dans la
psyché. L’instituel et le métacadre, Le divan
familial, n°1, 1998, pp 173-192
5. PENOT B., Travailler psychanalytiquement à
plusieurs en hôpital de jour. La reprise d’un
temps premier du processus subjectivant
www.spp.asso.fr, repris dans : F. RICHARD,
S. WAINRIB, La subjectivation, Paris, Dunod, 2006, pp 179-191
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
91
CHRISTOPHER, JULIETTE…
RENCONTRES AVEC L’AUTISME
Hôpitaux de Jour Saint-Saëns/Langevin,
51 rue du Professeur Langevin
29200 BREST
FRANCE
[email protected]
Dr Jacques CIROLO, Michèle CREVEUIL, Johann DREVILLON
L’arrivée à l’hôpital de jour d’une jeune fille atteinte du syndrome d’Asperger a suscité de nombreux
questionnements au sein de l’équipe soignante. Par la pertinence de la clinique qu’il contient, la
lecture du roman « Le bizarre incident du chien pendant la nuit » a nourri notre réflexion et guidé la
prise en charge de Juliette et de sa famille. Nous avons retenu de cet écrit : la particularité du rapport au signifiant, la défaillance de l’opération d’aliénation-séparation et l’importance de la fonction
défensive du bord autistique tel que le décrit le psychanalyste J.-C. Maleval. Partant de ces constats
nous avons d’autant mieux défini les axes à développer dans le projet thérapeutique proposé à Juliette et à ses parents. Le respect des solutions autothérapiques du sujet autiste et les exigences
éthiques qui en découlent sur pour nous essentielles.
Mots-clefs : Autisme d’Asperger, signifiant, aliénation-séparation, bord autistique, psychanalyse.
Christopher, Juliette… Meetings with autism
When a girl suffering from Asperger Syndrome arrived at the day hospital, many questions arose
amongst the medical and nursing staff. Due to the relevance of its clinic description, Mark Haddon’s
novel “The Curious Incident of the Dog in the Night-Time” helped us think about the care of Juliette
and her family. What did we retain from this text? A particular relation to the signifier, the failure of
the operation of alienation-separation, and the importance of the defensive function of the autistic
border as described by analyst J.-C. Maleval. With these notions in mind, we could better define the
lines to be elaborated in the therapy plan that we proposed to Juliette and her parents. The respect of
the self-therapeutic solutions of the autistic subject and the subsequent expected ethics are indispensable to us.
Keywords: Asperger autism, signifier, alienation-separation, autistic border, psychoanalysis
INTRODUCTION
A l’hôpital de jour de BREST, nous y
accueillons majoritairement des adultes
psychotiques, souvent schizophrènes mais
le service est ouvert à d’autres types de
pathologies : Troubles du Comportement
Alimentaires, névroses sévères, syndromes dépressifs chroniques… Depuis
quelques mois, nous prenons en charge
une jeune fille atteinte d’un syndrome
d’Asperger dont la clinique, inhabituelle
pour nous, ne cesse de nous interroger
voire de nous déconcerter. Aussi avonsnous décidé de consacrer notre atelier à
cette jeune patiente en nous centrant plus
particulièrement sur la question de ses
relations intrafamiliales.
Avant de vous parler plus spécifiquement
de Juliette, nous allons commencer par
quelques notions cliniques puis psychanalytiques sur l’autisme. Nous avons choisi
de prendre comme point de départ un
roman de Mark Haddon « Le bizarre incident du chien pendant la nuit ». Il s’agit
d’une fiction biographique, racontée à la
première personne, dont le héros est un
jeune homme de 15 ans, atteint du syndrome d’Asperger, on repère très vite ses
troubles de la relation à l’Autre, son mode
de pensée si particulier et ses capacités
intellectuelles intactes voire exacerbées.
92
Rappelons que les autistes d’Asperger
sont dits autistes de haut niveau.
La clinique de l’autisme illustrée par
Christopher
Au début du roman Christopher vit seul
avec son père et l’on comprend que sa
mère est décédée depuis deux ans. Ses
relations sociales, en dehors de l’école,
sont inexistantes. Une jeune fille l’aide
dans la vie quotidienne, notamment en
classe, où ses résultats sont manifestement très bons. Les jours se suivent et
pour Christopher, dans le monde qu’il
s’est construit, doivent se ressembler.
On peut déjà souligner les notions de
« Sameness », désir de préservation à
l’identique, et d’« Aloneness », solitude
extrême, telles qu’elles ont été décrites
par Leo Kanner en 1943 dans son tableau
de l’Autisme infantile précoce.
La description de Hans Asperger date
également de 1943. Il parle, quant à lui,
de psychopathie autistique de l’enfance et
souligne « le manque d’empathie, la conversation unidirectionnelle et la forte
préoccupation vers des intérêts spéciaux », il appelle ces enfants « Les petits
professeurs » en raison de leur capacité à
parler de leur sujet favori avec beaucoup
de détails.
Retour à Christopher qui découvre un
matin Wellington, le chien des voisins,
mort, une fourche plantée dans le ventre :
à partir de cet instant Christopher décide
de mener l’enquête « Qui a tué Wellington ? », à la façon d’un détective. Il
s’identifie à Sherlock Holmes, son
idole et son double ; à partir de là,
l’intrigue va plus ou moins se dérouler
comme celle d’un roman policier. Nous
allons vous en proposer une sélection
d’extraits qui nous placent au cœur du
monde de l’autiste et de sa famille, extraits qui illustrent par ailleurs de façon
quasi exemplaire des concepts psychanalytiques tels que ceux élaborés par Rosine
et Robert Lefort ou Jean-Claude Maleval,
notamment quatre d’entre eux.
Primat du signe
Voici comment se présente Christopher :
« Je m’appelle Christopher John Francis
Boone. Je connais tous les pays du monde
avec leurs capitales et tous les nombres
premiers jusqu’à 7 507 ».
Quelques pages plus loin il nous explique
qu’il a horreur de la métaphore et choisit
l’exemple de l’expression : « Il fait un
temps de chien » « Un chien, nous dit-il,
ça n’a rien à voir avec le temps… ça me
fait m’embrouiller et après je ne me souviens plus de ce que l’on était en train de
dire ».
La blague de Père : « Ses traits étaient
tirés mais pas ses rideaux » « Trois sens
en même temps (tiré = tracé - crispé de
fatigue - mis en travers d’une fenêtre),
c’est comme si j’entendais trois morceaux
de musique différents à la fois ; c’est gênant et déconcertant ».
Christopher est à mille lieux du discours
tel que Jacques Lacan le théorise dans les
Ecrits : « Mais il suffit d’écouter de la
poésie… pour que s’y fasse entendre une
polyphonie et que tout discours s’avère
s’aligner sur les plusieurs portées d’une
partition ».
A propos du mensonge, Christopher déclare : « Je ne mens pas » «Mère disait
que c’est parce que je suis quelqu’un de
bien. Mais ce n’est pas pour ça. C’est
parce que je ne sais pas mentir ».
Ces différentes déclarations mettent certes
en évidence « l’intelligence autistique »
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Christopher, Juliette… Rencontres avec l’autisme
mais surtout la difficulté pour Christopher
à développer une chaîne signifiante et à y
occuper une position d’énonciation, c’est
ce que Maleval dénomme carence
d’énonciation. L’autiste reste sous le primat du signe. Pour lui, le mot n’est pas le
meurtre de la chose et il va donc s’atteler
à une tentative de codage du monde.
En effet, pas de métaphore, pas de double
sens, pas de jeux de mots, autant de figures langagières qui peuvent susciter
angoisse voire colère chez l’autiste. Incapable d’accéder à la fluidité du signifiant,
l’autiste est en quête de signification absolue ; ce qui lui importe c’est de rester
maître du langage. Dans son entreprise de
codage, il va recourir à des signes, essentiellement des icônes (Par exemple, les
images d’un homme et d’une femme sur
les portes des toilettes).
Christopher a recours aux icones, notamment pour les émotions : « triste…
c’est ce que j’ai ressenti en trouvant le
chien mort » « content … c’est quand je
suis encore réveillé à 3 ou 4 heures du
matin et que je me promène dans la rue
en faisant comme si j’étais le seul être
humain au monde ».
Les icônes maintiennent un lien avec la
chose qu’il désigne alors que le signifiant est quant à lui totalement détaché de
la chose qu’il représente. Le signifiant
possède une valeur essentiellement différentielle (chaque signifiant est ce que les
autres ne sont pas) et non pas une valeur
de désignation.
Pour l’autiste, le trait unaire, première
marque de l’inscription du sujet dans le
signifiant fait défaut et l’identification
primordiale qui permet au sujet d’entrer
dans l’ordre du signifiant ne se produit
donc pas.
Il existe une métaphore particulière pour
Christopher, son prénom, qui signifie celui « qui porte le Christ » : « mère
disait que c’est un joli prénom parce que
c’est l’histoire de quelqu’un de gentil et
de serviable, mais je ne veux pas que la
signification de mon prénom soit
l’histoire de quelqu’un de gentil et de
serviable. Je veux que la signification de
mon prénom (S1) ce soit moi ».
Pour Christopher, pas de polyphonie, pas
de polysémie, et surtout pas pour son prénom : en effet pas question pour Christopher d’être représenté par un signifiant
qui pourrait représenter quelqu’un d’autre
que lui. Et c’est toute l’organisation signifiante « Le signifiant (S1) c’est ce qui
représente le sujet pour un autre signifiant (S2) » qui ne se met pas en place.
L’aliénation, opération qui habituellement
résulte de l’assujettissement de l’être humain à l’ordre du signifiant ne se produit
donc pas.
Lorsque Christopher déclare « Je veux
que la signification de mon prénom ce
soit moi » nous comprenons qu’il reste en
amont de cette opération: pas de S1 donc
pas de possibilité de mise en relation
entre S1 et S2.
Clivage a/S1 : concept développé par les
Lefort
Tout d’abord, qu’est-ce que l’Objet (a)
chez Lacan ? Objet cause du désir : il
appartient à la catégorie du Réel, il n’est
ni symbolisable ni spécularisable. C’est
l’objet irrémédiablement perdu, impossible à saisir, si ce n’est à travers le fantasme. L’objet (a) possède une
consistance logique (postulat d’un vide
structural dans le sujet) et des substances
épisodiques (orale, anale, scopique, vocale). Quelle que soit sa forme, l’objet (a)
renvoie au a privatif grec ; dans tous les
cas quelque chose se détache du corps,
c’est sans doute plus facilement repérable
pour l’objet oral et l’objet anal mais il en
va de même le pour la voix qui doit se
détacher des organes phonatoires et de sa
matérialité sonore et pour le regard qui
doit se détacher de l’œil en tant qu’organe
visuel. Dans tous les cas, on retrouve la
notion césure corporelle : ce qui se détache du corps se loge dans le vide de
l’Autre, s’articule avec les signifiants de
son désir et la position désirante du Sujet
se construit ainsi.
Pour l’autiste, l’inscription dans le signifiant n’étant pas opérante (pas de S1),
l’objet ne se détache pas, il ne se produit
pas d’articulation entre l’objet a et le signifiant : c’est ce que les Lefort dénomme
le clivage a/S1. S’il ne se produise pas
d’extraction de l’objet (a) le sujet reste
envahi par la jouissance de l’Autre, cela
s’illustre particulièrement dans la clinique
de l’autisme, notamment pour le regard et
pour la voix qui deviennent persécuteurs.
La voix ne se coupe pas de son support
sonore, « Les mots restent enchâssés dans
l’onde sonore ». Le chemin qui va du cri
à l’appel, à la demande puis au désir et à
la parole ne se constitue pas. La parole ne
fait pas taire la voix qui reste encombrante, inquiétante : « Les autistes
s’entendent eux-mêmes » écrira Lacan.
Mutisme, ton monocorde, écholalie et
psittacisme sont autant de moyen que
l’autiste utilise pour se protéger de la
jouissance vocale.
Voyons comment Christopher se protège
de la voix : « Alors je me suis bouché les
oreilles avec les mains pour empêcher le
bruit de rentrer et pour arriver à réfléchir ».
De la même manière, l’œil, organe de la
vue, n’est pas le regard animé par le désir : voir ce n’est pas regarder. La pulsion
scopique fait de l’œil, non plus seulement
la source de la vision, mais aussi une des
sources de la libido.
S’il ne se détache pas de son support visuel, le regard reste menaçant, envahissant ce qui se traduit cliniquement par le
regard fuyant, impossible à capter de
l’autiste ou par son soulagement lorsqu’il
échappe au regard de l’autre : « Il ne me
regardait pas en me disant ça. Il regardait toujours par la fenêtre. En général
les gens vous regardent quand ils vous
parlent…moi j’ai trouvé ça agréable que
Père me parle sans me regarder ».
Aliénation / Séparation
Afin de mener son enquête sur la mort de
Week-endllington, Christopher consigne
dans un livre tous les éléments qu’il recueille en interrogeant les voisins. Découvrant les investigations de son fils, le
père de Christopher s’emporte et confisque le livre. Alors que son père n’est
pas encore rentré du travail, Christopher
se met à la recherche de son livre et découvre dans un placard de la chambre de
son père, un coffret contenant des lettres
que sa mère lui écrit depuis deux ans. Le
mensonge de Père « Mère n’avait pas eu
de crise cardiaque. Mère n’était pas
morte. Mère avait été vivante tout le
temps. Et père m’avait menti ».
La lecture du contenu des lettres bouleverse le monde de certitude que s’est bâti
Christopher , il ne lui est pas possible de
penser que son père mente et encore
moins que ce mensonge vienne révéler
quelque chose qui concernerait le désir de
ce dernier. La séparation (deuxième versant
de
l’opération
d’aliénationséparation) : de l’intervalle entre les signifiants auxquels le sujet s’est aliéné,
émerge l’énigme du désir de l’Autre « Tu
me dis ça mais qu’est-ce que tu me
veux ? » « Quel est l’objet de ton désir? ».
L’énigme pour Christopher ne se situe pas
du côté du désir , il s’en tient à : « Qui a
tué Week-endllington » non pas « Quelle
est cette affaire de désir entre papa et
maman ? » « Pourquoi maman est-elle
partie ? » « Pourquoi a-t-elle quitté papa
pour Mr Shears ? » « Qu’est ce que cela
a fait à papa ? » « Quelle est ma place
dans tout cela ? ». Autant de questions
oedipiennes qui auraient pu faire de
Christopher un sujet sexué, pris dans la
dialectique du désir, mais qui sont pour
lui forcloses.
Christopher se cantonne à des termes relatifs à une enquête policière , il reste totalement imperméable aux explications que
son père tente de lui donner et conclue
qu’il est lui-même en danger et qu’il lui
faut partir.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
93
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Les défenses dans l’autisme : le bord autistique
Les défenses du sujet autiste sont essentiellement destinées à le protéger d’une
jouissance envahissante. Maleval les désigne sous le terme de bord autistique et
les subdivise en trois éléments qui en réalité s’interpénètrent : l’objet autistique, le
double et l’ilot de compétence.
L’utilisation d’une compétence particulière permet par exemple à Christopher de
métaboliser une émotion qui le submergerait: « J’ai calculé des puissances de 2
dans ma tête parce que ça me calme. Je
suis arrivé à 33 554 432, c’est-à-dire 2
puissance 35, ce qui n’est pas beaucoup
parce que je suis déjà arrivé à 2 puissance 45, mais mon cerveau ne fonctionnait pas très bien ».
Dans la perspective d’une filiation qui va
du Dupin d’Edgar Poe à Christopher, en
passant par Hercule Poirot ou Arsène
Lupin, nous pouvons saisir la fonction de
double jouée par Holmes.
Quant à l’objet on peut le repérer dans le
code que Christopher se constitue à partir
des couleurs des voitures ou également
dans le roman qu’il écrit.
Nous allons voir à présent comment tout
cela se met en place pour Juliette.
La clinique de l’autisme à l’hôpital de
jour : Juliette
L’orientation en hôpital de jour
Avant d’être admise dans notre hôpital de
jour Juliette était scolarisée en classe de
première dans un lycée de la région.
Comme Christopher elle était accompagnée par une auxiliaire de vie scolaire.
Malgré ce soutien, Juliette prend la parole
devant l’équipe pédagogique pour dire
qu’elle éprouve des difficultés scolaires
dans différentes matières sauf en anglais
et en arts plastiques, et elle ajoute qu’elle
a atteint ses limites au niveau du lycée.
La famille de Juliette est en recherche
depuis plusieurs mois d’un nouveau partenariat et d’une autre orientation pour
leur fille. Une admission à l’hôpital de
jour est alors envisagée.
Eléments biographiques
Juliette a 18 ans, elle est la 2ème enfant
d’une fratrie de 3. Elle a une sœur de 21
ans, étudiante en soins infirmiers et un
frère de 16 ans avec lequel Juliette rencontre des difficultés relationnelles. Son
père est technicien électricien. Elle en
parle peu, voire pas du tout. Sa mère est
aide-soignante en maison de retraite. A
l’image de la mère de Christopher, celle
de Juliette est en souffrance, comme en
témoignent ses nombreux arrêts de travail
pour de multiples plaintes somatiques qui
94
s’expriment par des maux de dos, des
entorses à répétitions…
La famille, entrave ou soutien, se séparer,
s’en servir
La famille de Juliette a été très présente
dès le début de la prise en charge, particulièrement sa mère sans laquelle aucune
décision ne semble pouvoir être prise.
L’enfant, objet de projections narcissiques, déçoit toujours les exigences de
ses parents et c’est même à cette condition qu’il devient sujet. Lorsque l’enfant
est autiste, cette déception peut prendre
une autre ampleur, surtout si les parents
sont influencés par le discours actuel qui
promeut toujours plus la performance,
pousse à l’hyper stimulation et à la normalisation. Ces impératifs de succès renforçant la figure d’insupportable que revêt
la maladie. Faire le deuil de l’enfant imaginé, accepter de renoncer à ses idéaux de
réussite n’est pas une chose aisée. C’est
ce dont témoignent les parents de Juliette
lorsqu’ils la poussent toujours plus vers la
réussite, y compris dans ses passions,
dans une demande constante d’évolution
qui se heurte au « refus de grandir » de
Juliette.
Juliette fait référence continuellement à sa
mère, ne pouvant dissocier sa parole
propre du discours maternel. Leur relation
illustre le paradoxe du désir de protection
décrit par Freud. Le lien entre elles porte
l’ambivalence même du terme, c’est à la
fois un lien de tendresse, un attachement,
mais aussi un lien qui emprisonne, et contraint. Cette ambivalence pose la question
de comment protéger l’autre tout en lui
ménageant une place.
A l’image du père de Christopher qui
utilise le mensonge pour protéger son fils,
la mère de Juliette, très présente, cherche
ce qui est le mieux pour sa fille. « Je
passe ma vie à gommer les angles » nous
avoue-t-elle. Nous allons le voir, elle
s’inscrit dans une lutte constante qui se
heurte à un irréductible. Elle entretient
ainsi l’espoir constamment déçu d’une
guérison. La mère de Juliette situe son
combat contre les instances de soin dans
un besoin de contrôle qui apparait comme
le reflet de l’immuabilité de sa fille, mais
c’est bien l’effet d’un déplacement, car
c’est face au réel de la maladie qu’elle se
bat.
Relations familiales
Durant de longues années, les parents de
Juliette ont mené un combat permanent
pour qu’elle puisse s’intégrer au mieux
socialement. Ils parlent d’épuisement
physique et moral, d’énergie dilapidée
pour toutes ses démarches et des vaines
précautions prises pour protéger leur en-
fant. L’avenir de leur fille les angoisse au
plus haut point.
Des entretiens médicaux en présence de la
famille sont mensuellement fixés, ainsi
que des rencontres dans le cadre du
“groupe famille” où seule la mère de Juliette est présente. Lors de cette seule
participation à ce groupe, la mère de Juliette, sans rien partager avec les autres
parents présents, vient ainsi délivrer dans
un témoignage de son parcours, son savoir absolu et la “recette” de l’acceptation
de la maladie, sans ouverture possible sur
un questionnement. Durant les entretiens
Juliette adopte une attitude renfrognée et
s’anime uniquement lorsqu’elle évoque
l’univers du dessin, domaine dans lequel
elle excelle. Estimant que ses dessins sont
trop enfantins la famille de Juliette lui
demande maintenant d’évoluer vers un
graphisme plus élaboré. Le cadre de
l’entretien nous a permis d’expliquer à la
mère de Juliette la fonction de bord que le
dessin remplit pour Juliette.
La famille de Juliette s’est fixé comme
objectif pour cette année qu’elle puisse
accéder à une formation à visée professionnelle dans le domaine du livre, bibliothécaire, documentaliste…
L’aliénation à travers la relation mèrefille
Dans les récits d’autistes, la mère tient le
plus souvent une place prépondérante, ce
que l’histoire de Juliette nous confirme.
Reprenons ici les concepts d’aliénationséparation sous un autre angle, celle de la
relation de dépendance dans laquelle se
situe d’emblée le petit humain.
L’enfant est d’abord dans une relation de
dépendance à l’Autre, la mère le plus
souvent. C’est elle qui donne au cri de
l’enfant la valeur d’appel, elle attribue du
sens aux sensations brutes de l’enfant et
met fin à l’état de tension corporelle qu’il
ressent. Dans cet état de « détresse initiale » (l’« Hilflosichkeit » freudienne),
l’enfant se constitue dans un monde où
l’Autre sait mieux que lui ce qui lui arrive. La mère est habituellement « le premier agent de l’humanisation et de la
socialisation de l’enfant » nous dit C.
Soler, mais entre elle et l’enfant, un point
de séparation est nécessaire et c’est ce
que Lacan appelle le Nom-du-Père.
La mère de Juliette identifie les difficultés
de sa fille à un handicap avant tout social.
Elle se bat pour l’intégration de sa fille.
Son désir de normalisation se traduit par
une volonté de lui enseigner les standards
de la vie sociale à travers des impératifs,
commandements, normes et interdits.
L’humanisation est autre chose, elle se
distingue du conformisme social. Elle est
ce qui assure le lien entre le nouage du
registre pulsionnel et les conditions du
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Christopher, Juliette… Rencontres avec l’autisme
vivre ensemble. Pour Juliette une faille se
dévoile en deçà de l’apprentissage des
codes sociaux. La mère de Juliette incarne
cet « Autre du commandement », tour à
tour rassurant et tyrannique.
Elle est prisonnière du discours maternel.
Sa mère apparait à la fois comme décodeur entre elle et les autres et comme
frein à son autonomie, ce qui illustre le
paradoxe du désir de protection.
Mensonges et secrets, figure de la
séparation
Le mensonge est associé à la structure
même de la parole. Le signifié court toujours sous le signifiant, et la vérité ne
peut-être que « mi-dite », du fait de
l’inconscient, qui divise le sujet. De ne
pas être entré dans l’aliénation signifiante,
l’autiste entretient un rapport de fixité
entre signifiant et signifié et ne peut accéder au mensonge.
L’impossible séparation se manifeste pour
Juliette sous les traits de l’impossibilité
du secret. Selon Tausk, le premier secret
met fin à la pensée selon laquelle les parents savent tout. « La lutte pour le droit
de posséder des secrets à l’insu des parents est un des facteurs les plus puissants
de la formation du moi, de la délimitation
et de la réalisation d’une volonté
propre ». C’est donc une étape indispensable pour qu’advienne un sujet.
Juliette ne peut rien cacher à cet Autre
maternel, figure surmoïque féroce et terrifiante. Elle s’impose de lui rendre compte
de toutes ses activités, et ce, non sans
angoisse. Mais cette position, elle la revendique, « Je ne veux pas grandir », ditelle souvent. Le monde des adultes lui fait
peur, elle ne veut pas renoncer à son
monde infantile, peuplé de personnage de
dessins animés et de jeux vidéo.
L’injonction parentale de grandir est paradoxale puisqu’ils ne lui laissent pour
autant que peu de possibilité d’émerger en
tant que sujet désirant.
Observations à l’hôpital de jour
Juliette fait une entrée remarquée en
s’adressant de manière individuelle à
chaque patient. Elle leur débite d’une
voix forte et totalement dépourvue de
modulation en leur tendant la main un
« Bonjour, vous êtes malades, quel est
votre handicap ?… Moi je suis autiste
Asperger »… un peu comme si elle récitait une litanie désincarnée.
A l’hôpital de jour nous constatons que
Juliette a besoin d’un environnement dépourvu de changement et d’imprévus.
Nous tentons par ailleurs de lui faire
prendre conscience de l’environnement
social en lui apprenant à décrypter la
communication non verbale des autres
personnes et à tenir compte de leurs avis.
Elle cherche à s’imposer et si ses choix ne
sont pas retenus, elle s’insurge en disant
qu’elle se sent soumise. Elle peut alors se
montrer violente et jeter des objets au
travers de la pièce.
Quand elle parvient à se calmer Juliette
vient s’excuser auprès de l’équipe, se dit
désolée de s’être emportée, craignant que
nous informions sa mère de l’incident,
nous suppliant de ne pas la contacter par
téléphone.
Comme chaque patient à l’hôpital de jour,
Juliette a une l’infirmière référente, terme
qu’elle n’arrive pas à mémoriser, et
qu’elle traduit par « infirmière téméraire ». Lorsque cette dernière est absente, elle demande au reste de l’équipe
collègues de ne pas lui rapporter ses débordements.
Juliette présente des difficultés à établir
des liens sociaux, elle ne saisit pas les
codes qui régissent les comportements, ne
comprend pas le second degré inhérent à
toute conversation, se dit victime de moqueries de la part des autres.
Juliette dit ne plus vouloir venir à
l’hôpital de jour car elle ne supporte pas
la plupart des patients, cette situation lui
fait penser aux « années collège », où,
mise à l’écart des élèves elle avait envisagé le suicide.
En mettant un terme à sa scolarité, Juliette
dit avoir gâché sa vie et empiré sa situation en venant à l’hôpital de jour, elle dit
s’y trouver comme en prison et exprime
fréquemment des idées noires.
Elle reçoit et ressent nos demandes
comme intrusives et menaçantes. Nos
remarques sont perçues comme des reproches, voire des agressions à son encontre.
Elle considère que les autres patients sont
plus malades qu’elle, les qualifie
« d’impolis, de schizophrènes idiots, de
gros porcs », elle dira d’eux qu’ils sont
sales, elle communique peu avec eux,
s’isole, est en difficulté pour s’intégrer
dans le groupe. Elle montre peu d’intérêt
pour l’autre. Nous observons un décalage
important entre sa manière d’être et de
penser par rapport aux autres patients du
service.
Un des patients du service l’impressionne
tout particulièrement, sa voix provoquant
chez elle un état d’angoisse important, au
point de redouter d’être violée par lui
dans les toilettes. A l’inverse, elle parle
d’un « type » accueilli également dans le
service. C’est un patient psychotique très
dissocié mais par ailleurs très à l’aise
dans la relation à l’autre. Elle l’aime bien
parce qu’il lui parle calmement, la rassure, elle dit qu’il va lui apprendre à avoir
de bonnes relations avec les gens. Peutêtre fait-il alors office de double pour
Juliette dans le sens où l’entend J.-C. Maleval.
Le bord autistique
Comme le démontre Christopher, il y a
nécessité pour le sujet autiste de préserver
et
maintenir
l’immuabilité
par
l’intermédiaire d’une barrière protectrice
contre l’Autre menaçant. Voyons comment Juliette a recours « bord autistique »
et quel aménagement cela lui permet.
De nombreux autistes et auteurs ont décrit
l’importance des objets et plus particulièrement ceux porteurs de signifiants organisés (calendriers, annuaires…) qui
permettent de donner cohérence au
monde environnant en mettant à distance
l’imprévisibilité et l’incertitude. C’est le
cas de Christopher qui se construit un
code lui permettant de donner un sens au
monde, c’est également le cas pour Juliette qui accorde une grande importance
au planning qu’elle consulte dès son arrivée à l’hôpital de jour et qui trouve par
ailleurs à travers le dessin, un objet autistique offrant la possible d’une relation
plus apaisée à l’Autre.
La défaillance de ce bord peut pousser à
l’automutilation, morcellement ou à
l’isolement. C’est ce dont témoigne
Christopher à quelques reprises dans le
roman. De la même façon, les défenses
érigées par Juliette pour se protéger de
l’Autre cèdent parfois, ou se révèlent insuffisantes, ce qui se traduit par le passage à l’acte.
Le dessin comme objet et support du
double
Comme évoqué précédemment, les objets
(a) tels que la voix et le regard lorsqu’ils
ne font pas le joint entre le sujet et
l’Autre, deviennent des objets angoissants.
La présence des autres se révèle problématique pour Juliette. Ils sont perçus
comme imprévisibles et inquiétants, et la
cohabitation est difficile, voire impossible. Elle se replie alors dans un monde
sécurisé où elle peut reprendre une position de contrôle.
Selon Kanner, le chemin du succès se
trouve dans la capacité à faire carrière
d’une obsession autistique. A défaut
d’ouvrir une carrière pour Juliette, le dessin lui permet à la fois de se protéger et
d’entrer en relation avec un Autre maintenu à distance.
Elle crée des fans-fictions dont le principe
repose dans le fait de s’inspirer de
l’univers d’une série, BD ou jeu-vidéo
pour en réécrire l’histoire. Elle peut ainsi
décider du sort de chaque personnage. Cet
objet dessin lui apporte un apaisement
dans un travail visant à contenir la jouissance mais n’est toutefois pas sans risque
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
95
Le travail avec les familles en hôpital de jour
de débordement. Ses parents, visiblement
choqués par certaines de ses productions
lui interdisent alors le dessin pendant
quelque temps.
L’image du double et traitement du
regard
Juliette se façonne des doubles par le dessin, principalement sous deux formes :
- à travers les personnages inventés qui la
représentent
- par l’intermédiaire de son pseudo,
puisqu’elle est inscrite sur un site de dessin où plusieurs membres mettent en
commun leurs créations.
Elle crée différents personnages qu’elle
peut utiliser et se met en scène dans des
bandes dessinées dont elle est l’héroïne et
dont elle maitrise le scénario se créant
ainsi un point d’où elle peut se voir aimable, elle qui a subi les moqueries de
ses camarades de classe ou de son frère.
Par le dessin elle met « à distance l’objet
pulsionnel en le cadrant dans l’objet autistique », le regard ne se porte non plus
sur elle mais sur ses créations, son
double, l’image qu’elle présente à l’autre.
Aménagement du lien à l’autre grâce au
pseudo, traitement de la voix
La proximité des autres, la présence de
leur voix, de leur regard est angoissante
pour Juliette. Par le biais d’un site de partage de dessin, elle échange en utilisant
un pseudo. Elle a ainsi rencontré un jeune
vivant à l’étranger avec qui elle entretient
des relations par internet. Cette connexion
à des autres virtuels préserve l’isolement.
Ce type de relation n’engage pas la dimension du corps, excluant la présence du
regard et de la voix si problématique pour
Juliette. La dimension libidinale du lien
est mise à distance, à la différence de sa
présence à l’hôpital de jour où la présence
réelle des corps l’angoisse.
Comme expliqué précédemment, Juliette
est terrorisée par un patient, par sa façon
de parler ce qui se traduit par un retour
traumatique de la dimension sexuelle,
insuffisamment symbolisée, et non pas
prise dans les rets du fantasme. Elle est
alors horrifiée par la présentification de
l’objet vocal, détaché du contenu du dire,
la voix elle-même l’angoisse. Elle n’est
pas seulement déconcertée, mais interprétative, façon paranoïaque de répondre à la
question du désir de l’Autre. Elle se sent
objet de la jouissance de l’Autre imaginant que ce patient veut la soumettre
sexuellement, la violer. On peut
l’entendre comme ce qui forclos du symbolique, ne peut se constituer comme désir et fait retour dans le réel. Elle illustre
le fait (par ses propos sur son vagin « je
ne veux pas y introduire de corps étran-
96
gers » parlant aussi bien du pénis que des
tampons) que « sans secours d’un discours établi », la fonction des organes
peut faire problème. Son corps n’est pas
le support de son désir, à travers les zones
érogènéisées, mais un lieu qu’il faut protéger de la jouissance intrusive de l’Autre.
Juliette, qui a intégré que l’hôpital de jour
devait l’aider à être plus “relationnelle”
pense que le dessin peut l’y aider. Ses
dessins pourraient intéresser les autres
patients qui lui demandent parfois même
de leur dessiner des choses.
Ses activités à l’hôpital de jour
Dans le cadre des activités thérapeutiques
nous repérons les troubles de la relation à
autrui tels que nous les avons décrits,
mais aussi les stratégies défensives élaborées par Juliette. Elle participe à la danse,
la pâtisserie, et la piscine mais refuse certaines activités comme les jeux de société.
Son manque de flexibilité est évident.
Cette année nous lui proposons de participer à l’activité théâtre, elle dit d’emblée
« nous avons décidé que j’y participerai », « ma mère et moi avons décidé ».
Axes de travail
Nous sommes encore dans le cadre d’une
prise en charge débutante. A partir des
observations que nous avons déjà pu
faire, différents axes de travail se dégagent : l’autonomie, le rapport à l’autre, le
développement des liens sociaux
Dans une telle prise en charge, le versant
éducatif
est
inévitable
mais
l’accompagnement ne peut s’y réduire.
C’est là que le soin trouve toute sa dimension : soutenir une place de sujet pour
Juliette, en la libérant du joug maternel.
Les résistances familiales quant aux soins
se manifestent notamment par le fait que
l’hôpital de jour n’apparait pas pour eux
comme un projet en lui-même mais plutôt
comme un pis-aller avant de trouver autre
chose, une formation ou un emploi.
Il n’y a pas pour le moment véritablement
d’alliance thérapeutique de la part de la
famille. Afin de soutenir Juliette dans sa
construction subjective notre rôle peut
être de contrecarrer l’impériosité des exigences familiales.
CONCLUSION
Bettelheim : « L’amour ne suffit pas ».
Maleval : « L’éducatif ne suffit pas ».
Pour incarner ce débat que nul ne saurait
trancher, laissons la parole à Donna Williams, autiste d’Asperger devenue célèbre
notamment par son ouvrage « Si on me
touche je n’existe plus ». Voici ce qu’elle
écrit en voyant une jeune autiste aux
prises deux éducateurs « J’étais malade
de les voir envahir son espace personnel
avec leurs corps, leur haleine, leurs
odeurs, leurs rires, leurs mouvements et
leurs bruits. Quasiment fous, ils agitaient
des hochets et des objets devant elle
comme deux sorciers trop zélés espérant
exorciser l’autisme. Selon eux apparemment, il lui fallait une overdose
d’expériences que leur infinie sagesse du
monde savait lui apporter. S’ils avaient
pu utiliser un levier pour forcer
l’ouverture de son âme et la gaver du
monde ils l’auraient sans doute fait sans
même remarquer la mort de leur patient
sur la table d’opération. La petite fille
criait et se balançait, se bouchant les
oreilles avec ses bras pour amortir le
bruit et louchant pour occulter le matraquage de la détonation visuelle…
« Ces chirurgiens opéraient avec des outils de jardinage et sans anesthésie… »
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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
POUR UN ACCOMPAGNEMENT PRÉCOCE
DES FAMILLES À L’HÔPITAL DE JOUR
GÉRONTO-PSYCHIATRIQUE DANS LE
CONTEXTE DE TROUBLES COGNITIFS
ÉMERGENTS
Hôpital de jour TRIELEN
Intersecteur de Gérontopsychiatrie
CHU de BREST
FRANCE
Sophie LE BORGNE, Marie-Hélène TRITSCHLER-LE MAITRE,
Olivia BREMOND, Catherine CHARLES, Yann CRAMONE, Brigitte LE LAY
L’annonce d’une maladie d’Alzheimer ou d’un syndrome apparenté a un impact traumatique pour le
patient et pour sa famille. En effet, une maladie neurodégénérative n’est pas sans évoquer le risque
de devenir fou ou de ne plus être maître de ses pensées ou de ses actes ; elle signe la menace d’une
mort psychique, d’une perte d’identité. Nous accueillons à l’hôpital de jour des patients pour lesquels
les troubles psychiatriques initiaux qui avaient motivé une prise en charge psychiatrique
s’accompagnent de troubles cognitifs qui persistent, ce qui pose la question d’une maladie neurodégénérative sous-jacente à investiguer. La prise en charge à l’hôpital de jour consiste à accompagner
le patient et sa famille dans cet entre-deux lourd de conséquences pour eu. L’annonce d’un diagnostic
se profile, telle une épée de Damoclès. Naissent alors une inquiétude et des questions quant au présent et à l’avenir. De plus, le système familial se sent menacé. La prise en charge des familles précocement à l’hôpital de jour nous apparait essentielle pour préserver leur santé et leur qualité de vie,
mais aussi pour réduire les troubles psycho-comportementaux du patient et pour favoriser son maintien à domicile. Les relations au sein d’une famille, d’un couple peuvent être profondément transformées par l’émergence de la maladie. Un travail sur le lien semble alors essentiel ainsi qu’une mise en
mots qui permette d’inscrire la maladie dans une histoire familiale où chacun puisse rester sujet.
Mots-clefs : maladie d’Alzheimer ; famille ; hôpital de jour ; annonce ; accompagnement ; attente ;
incertitude ; troubles cognitifs émergents ; écoute.
The accompaniment of the families at an early stage in a geronto-psychiatric day centre when
cognitive disorders appear
The announcement of Alzheimer’s disease or a related one has a traumatic impact on the patient and
on his family. In fact, a neurodegenerative disease implies that you may become insane or be unable
to control your thoughts or your actions anymore. It then threatens your mind with a psychic death or
you may lose your identity. We take care of patients at our day centre who have first received treatment for their psychiatric disorders but who have also showed cognitive disorders that are still persisting, thus questionning about a subjacent neurodegenerative disease which would require a
thorough examination. Our work consists of being with the patients and the families during this period in between, which is often with far-reaching consequences. The disclosure of a diagnosis is looming like the sword of Damocles. Great concern and questions are emerging about the present and the
future and the family circle is under threat. That is why we believe it is essential to accompany and
support families at this early stage so as to help them to preserve their health and their quality of life,
to reduce the patient’s psychological behavioural disorders and finally to enable him to stay at home
for as long as possible. The relationships within a family or a couple may deeply change with the
onset of the disease. It is thus necessary to work on the emotional bonds and to give the family the
opportunity to discuss about the problem so that what is happening becomes part of the family history
in which each member can remain a subject.
Key words : Alzheimer’s disease ; family ; day centre ; disclosure ; accompaniment ; waiting ;
doubts ; emergent cognitive disorders ; listening.
INTRODUCTION
Nous accueillons à l’hôpital de jour des
patients de plus de 65 ans. Certains nous
sont adressés dans les suites d’une hospitalisation complète pour un épisode anxio-dépressif plus ou moins sévère,
parfois associé à des idées délirantes et à
des troubles cognitif. Il arrive que des
troubles cognitifs (troubles de la mémoire, apathie, troubles des fonctions
exécutives, difficulté à se repérer,
troubles des praxies, manque du mot, …)
persistent alors même que la symptomatologie anxio-dépressive s’améliore, cela
nous laisse parfois perplexes quant à
l’existence ou non d’une pathologie neurodégénérative sous-jacente. Nous évoquerons tout à l’heure le cas d’un de nos
patients qui illustre bien nos interrogations.
Il va sans dire que les familles de ces patients sont dans la même interrogation que
nous : « Docteur, est-ce que c’est la maladie d’Alzheimer ? » et avec cette question, surgissent plusieurs sentiments :
l’incrédulité, l’inquiétude, la révolte, un
sentiment d’injustice, la peur de l’avenir
et de l’inconnu. Commence alors un accompagnement du patient et de sa famille
dans cette attente du diagnostic.
LE PATIENT “ALZHEIMER”
La maladie d’Alzheimer est une maladie
neurodégénérative qui se caractérise par
une détérioration progressive des fonctions cognitives conduisant à une dépendance dans les actes de la vie quotidienne.
Le patient Alzheimer est confronté à la
perte progressive de ses outils cognitifs
et, même si l’anosognosie (non conscience des troubles) est décrite, il est fréquent que des patients confrontés depuis
peu à des troubles cognitifs expriment une
plainte à ce sujet.
Cette conscience de la maladie va de pair
avec une baisse de l’estime de soi, une
perte de confiance, une peur de l’échec.
Le patient a peur de perdre le contrôle de
son existence, de perdre son autonomie, et
aussi de perdre son identité. Certains ont
pu exprimer la peur de ne plus être un
jour entendus en tant que sujets. Face à
ses troubles, le patient va parfois développer
des
comportements
d’hypervigilance pour tenter d’éviter des
mises en échec répétées, parfois, il aura
tendance à se replier sur lui-même et à
éviter des situations de la vie sociale. La
dépression et l’angoisse, si elles sont parfois les premiers symptômes qui conduisent à la découverte d’une maladie
d’Alzheimer ou d’un syndrome apparenté, sont bien sûr aussi les conséquences de
cette maladie. Nous rencontrons parfois à
l’hôpital de jour un patient dont nous
constatons que les troubles cognitifs perdurent, nous pouvons observer des difficultés dans certaines des activités
proposées ou au cours des différents moments qui rythment la journée (temps
d’échange à l’accueil, repas, ….).
A ce moment-là, nous faisons généralement état au patient de ces constatations,
ce qui permet d’évaluer sa conscience ou
non de ses troubles. Nous lui proposons
d’effectuer à l’hôpital de jour quelques
tests cognitifs (MMSE, Dubois, horloge,
BREF, …) afin d’objectiver plus précisément nos impressions cliniques. Il peut
arriver que le patient refuse ces tests, refus que bien sûr nous respectons et qui
nous signifie aussi une attitude défensive
qu’il conviendra d’élaborer avec lui.
Quand les tests confirment nos doutes,
nous nous orientons régulièrement vers
un bilan neuropsychologique effectué par
une psychologue du CHU centre de consultation mémoire) et vers une imagerie
cérébrale. Nous en informons le patient
et sa famille au cours d’un entretien.
Même si nous nous situons en amont du
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
97
Le travail avec les familles en hôpital de jour
diagnostic, cette rencontre est importante
car il s’agit souvent de la première fois où
l’on aborde la possibilité d’une maladie
d’Alzheimer ou d’un syndrome apparenté, bien sûr en choisissant ses mots et en
restant dans le questionnement, non dans
l’affirmation .
C’est souvent l’occasion pour la famille
de nous faire part de leurs observations
dans la vie quotidienne à domicile, des
difficultés rencontrées et de leurs questionnements sur une éventuelle pathologie
neurodégénérative.
Ces entretiens sont souvent chargés émotionnellement. C’est souvent l’occasion,
pour nous soignants, de mieux connaitre
l’histoire du patient et de sa famille,
d’observer les liens tissés entre les
membres de cette famille, de pressentir
les non-dits, les conflits existants, les
évènements du passé qui résonnent toujours dans l’histoire actuelle du patient et
de sa famille.
La possibilité de l’existence de la maladie
d’Alzheimer chez notre patient constitue
une menace tant pour lui que pour sa famille. Nous avons évoqué le ressenti du
patient tout à l’heure face à la maladie.
Pour sa famille, les craintes sont similaires : peur de “perdre” son parent, de ne
plus le reconnaître dans ce qui a toujours
fait son identité, peur de l’inconnu, peur
de la dépendance à venir, …
En l’absence de traitements médicamenteux réellement efficaces, une prise en
charge globale associant l’application de
thérapies médicamenteuses et non médicamenteuses est généralement préconisée
au cours de la maladie d’Alzheimer.
Plusieurs recommandations (1), (2), (5)
vont dans le sens d’une attention particulière portée aux aidants informels, c’est-àdire la famille, les proches, ceux qui vivent au quotidien avec le malade Alzheimer et qui doivent gérer non seulement la
perte d’autonomie du patient mais aussi
ses troubles cognitifs (mémoire, attention,
jugement, …) et parfois ses troubles du
comportement (agitation, agressivité, apathie, …).
La charge de travail estimée en lien avec
le rôle d’aidant est de plus de six heures
par jour pour 70 % des conjoints, selon le
résultat de l’étude PIXEL réalisée en
2002 (6). ***
L’entourage proche du malade Alzheimer
a un rôle-clé dans la prise en charge globale du patient (7), que ce soit dans la
mise en place d’aides adaptées au domicile, dans les démarches vers les institutions et surtout dans la possibilité d’un
maintien à domicile du patient .
La famille est aussi une personne ressource pour les soignants car elle a une
connaissance de la personne malade, de
son parcours de vie, de ses goûts et de ses
98
compétences. Elle va aussi contribuer à
l’évaluation des symptômes, que ce soit
dans le niveau d’autonomie ou dans la
survenue de troubles du comportement à
domicile.
Du fait de leurs multiples sollicitations,
les aidants sont à risque tant sur le plan de
leur santé physique que psychique. Des
études ont montré une surmortalité et un
risque accru de développer des maladies
coronariennes, une hypertension artérielle, des épisodes anxio-dépressifs, des
troubles du sommeil et une surconsommation de psychotropes (8).
L’échelle de ZARIT *** (10) permet de
dépister l’épuisement des aidants, de mesurer la répercussion de l’aide sur leur
qualité de vie.
L’accompagnement des familles, leur
soutien psychologique, leur information
sur la maladie (9) apparaissent essentiels
pour à la fois améliorer leurs compétences
face à la maladie et aussi pour préserver
leur qualité de vie et celle du patient.
Le soutien de la famille nous apparait
essentiel à l’hôpital de jour dès que
l’hypothèse d’une maladie d’Alzheimer
ou d’un syndrome apparenté se dessine.
Il s’agit d’aider la famille à passer d’un
équilibre familial sans la maladie à un
nouvel équilibre où la maladie est incluse
et acceptée.
En effet, sur le plan systémique,
l’émergence d’une maladie d’Alzheimer
est un changement qui menace le système
familial, qui le remet en question. Il est
important que le malade Alzheimer puisse
être étayée par son entourage pour l’aider
à communiquer et à vivre en relation avec
son environnement. Pour cela, il faut que
le système familial s’adapte à ce changement qui bouscule les interactions entre
les différents membres de la famille, qu’il
s’agisse du couple ou des relations parentenfant (avec parfois une inversion des
rôles).
Il apparait important que les soignants
puissent anticiper ce changement avec la
famille avant même l’annonce du diagnostic. Il s’agit d’accompagner le patient
et sa famille en les informant à leur
rythme, en mesurant leur souffrance, en
les aidant à exprimer leur ressenti, mais
aussi en respectant leurs défenses et leur
capacité à entendre ou non un tel diagnostic grave de conséquences.
Notre rôle est aussi de rassurer quant à
notre présence et notre soutien dans
l’avenir, de déculpabiliser, de solliciter
leur savoir et leurs compétences. Il faut
pouvoir évaluer les capacités de cette
famille à s’adapter à ce changement.
Pour cela, la notion de temps est primordiale. Il nous faut prendre le temps avec
le patient et sa famille de mettre une ré-
flexion en mouvement, d’examiner avec
eux les différentes possibilités.
Il s’agit d’ouvrir un espace thérapeutique
où chacun puisse évoluer à son rythme. Il
s’agit de permettre à chacun de continuer
à se construire malgré l’existence de la
maladie.
MONSIEUR Y.
Mr Y., pris en charge à l’hôpital de jour
“Trielen” au CHRU de Brest, est âgé de
69 ans, est marié et vit à domicile. Il a
deux enfants installés dans la région. Ouvrier à la retraite, Mr Yannick avait une
vie sociale dynamique. Au regard de ce
que rapporte sa famille, on peut évoquer
quelques éléments de personnalité obsessionnelle.
Un été Mr Y. est hospitalisé en service de
géronto-psychiatrie, pour un syndrome
dépressif, des ruminations anxieuses et
des hallucinations (en bricolant au domicile, il pense avoir coupé l’électricité dans
toute la ville). Ce tableau clinique évoque
alors une mélancolie délirante.
A cela s’ajoutent des idées suicidaires,
une perte de poids et diverses plaintes
somatiques (constipation).Au début de
l’hiver suivant, il est à nouveau hospitalisé pour syndrome dépressif avec des
troubles du sommeil, une perte de l’élan
vital, des idées délirantes et des hallucinations très angoissantes (il voyait un rayon
laser et pensait avoir un micro dans sa
chaussette).
Lors de ce séjour, des TMS (stimulation
magnétique transcranienne) sont réalisées
avec peu de résultats.
Le patient évoque une mémoire qui
flanche, le MMS est côté à 29/30. A la
sortie de l’hôpital, Mr Y. bénéficiera
d’une prise en charge pluridisciplinaire.
Compte-tenu des risques et en lien avec la
symptomatologie dépressive, une prise en
soin à l’hôpital de jour lui est proposée
avec l’accord de la famille à raison d’une
journée par semaine. L’état de Mr Y.
s’aggrave, son apathie se majorant, une
2ème journée à l’hôpital de jour lui est proposée.
Des visites à domicile par l’équipe mobile
de l’Intersecteur de Psychiatrie de la Personne Agée (IPPA) sont mises en place.
A des fins diagnostiques, Mr Y. bénéficiera d’un bilan neuropsychologique,
d’une consultation neurologique et d’une
scintigraphie cérébrale. Le neurologue
évoquera l’hypothèse d’une pathologie
neuro-dégénérative.
Notre observation de Mr Y. à l’hôpital de
jour a mis en lumière ses symptômes les
plus invalidants et les plus contraignants :
apathie-émoussement affectif, troubles
alimentaires, incontinence urinaire et fécale, irritabilité voire sthénicité.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Pour un accompagnement précoce des familles à l’hôpital de jour géronto-psychiatrique dans le contexte de troubles cognitifs émergents
Nous l’accueillons tous les lundis depuis
plusieurs mois. Sa présentation apparaît
adaptée : il serre la main aux autres patients et s’adresse aux soignants en les
appelant par leurs prénoms, les fonctions
de la mémoire semblent conservées.
Après le café d’accueil, nous proposons
un programme pour la journée élaboré
avec le groupe. Mr Y. semble écouter
mais ne participe pas à la conversation,
son visage est peu expressif mais ne paraît pas angoissé. Une activité pâtisserie
est organisée, les autres patients
s’installent, Mr Y. reste sur sa chaise et
attend notre sollicitation. Lors de l’atelier
“pâtisserie”, la confection d’un far breton
est décidée par le groupe, ce qui nous
permettra d’évaluer d’éventuels troubles
praxiques chez Mr Y.. Il reste figé et dans
l’incapacité de commencer la recette. Dès
que les ingrédients et les ustensiles sont
posés devant lui, sa réaction est immédiate, il “prend la main” et réussit la préparation de la pâte. Son visage se détend,
il paraît content et son comportement
reste adapté durant l’activité.
En fin de matinée, Mme Y. téléphone,
l’état de son mari l’inquiète, elle est en
demande d’aide psychologique : nous lui
proposons un entretien en fin de journée.
A l’heure du déjeuner, Mr Y. s’installe
spontanément à table. Sans tenir compte
de l’environnement, il s’alimente de manière compulsive au risque de se mettre
en danger (fausse-route, brûlure de la
langue). Il reste peu accessible à nos remarques. Devant cette attitude dispersée
et incohérente, nous lui proposons un
repas thérapeutique individuel afin de
canaliser ses troubles du comportement.
Après un temps de pause, nous
l’informons de la venue de sa famille
pour un entretien, il réagit avec une angoisse qu’il ne peut pas verbaliser. Une
activité de bien-être avec massage du
visage et des mains lui est alors proposée,
cette communication non verbale l’apaise
et favorise un “lâcher prise”.
Nous nous installons avec ses proches
dans une pièce de l’hôpital de jour, lieu
d’écoute, d’échange et de réassurance,
Mr Y. nous rejoindra dans un second
temps. Son épouse nous confie ses difficultés et son incompréhension face aux
attitudes inadaptées de son mari, elle nous
demande : « Qu’est-ce que je peux faire
quand mon époux reste sur son lit tout
l’après-midi et refuse de partager le diner
avec moi ? Il ne parle presque plus quand
les enfants sont présents et leur demande
de partir ». Le fils rajoute : « Dans ces
moments-là, je ne reconnais plus mon
père, il est en retrait par rapport aux petits-enfants et ne supporte plus la convivialité, il s’isole de plus en plus ». Après
la sortie de son fils, Mme Y, au bord des
larmes,
s’effondre
en
évoquant
l’incontinence urinaire et fécale récente
de Mr Y., elle souhaiterait des réponses
pratiques afin de faire face au quotidien.
En fin d’entretien, Mr Y. se joint à nous.
Cet entretien est une illustration de notre
travail au quotidien qui nous amène à
nous interroger sur l’accompagnement à
proposer à Mr Y. et à son entourage, et à
notre positionnement en tant que soignant.
Nous avons un rôle relationnel. Il s’agit
de proposer :
- un soutien psychologique, une réassurance et une disponibilité (contacts téléphoniques et entretiens)
- une écoute de l’aidant pour lui permettre de s’exprimer sans jugement,
- un respect de la parole telle qu’elle est
entendue pour favoriser le travail de
deuil
Il s’agit de :
- garder une distance relationnelle, pour
nous permettre d’être thérapeutiques
- canaliser les émotions de l’aidant
- prendre en compte le parcours de vie du
patient afin de mieux comprendre le
symptôme.
Nous sensibilisons la famille au fait que
l’expression de la maladie peut être différente à domicile et dans un lieu de soin,
nous l’aidons à gérer au mieux à domicile
les troubles psycho-comportementaux de
son époux. Cet accompagnement suscite
un questionnement permanent : Que représente la maladie pour le patient et ses
proches ? La confirmation d’un diagnostic modifiera-t-elle notre prise en soins ?
Comment
la
famille
vit-elle
l’hospitalisation de jour ?
Au sein d’un hôpital de jour chaque professionnel a son rôle, son approche et
nous nous efforçons de coordonner,
d’articuler les différentes réalités qui s’y
découvrent. Les propos précédents nous
montrent
qu’il
semble
essentiel
d’accompagner la famille d’un proche
que nous accueillons. Elle nous parle de
son esprit, de sa vie, de son univers et de
sa survie dans ce temps avant l’annonce,
un temps d’accablement. Accabler est en
effet l’action de renverser à terre, ce qui
n’est peut-être pas si éloigné de ce que
ressent une famille dont un membre présente les symptômes d’une pathologie
neurodégénérative. N’est-elle pas alors
accablée par le contrecoup d’une crise,
par une souffrance morale vive, une
grande tristesse, la fatigue, la perte
d’espoir, la solitude ? Ce temps d’attente
d’un diagnostic concerne une équipe soignante et une famille qui au travers de
rencontres vont tisser des liens et établir
une confiance qui va retentir sur la façon
dont les proches vont vivre ce temps flou
et sombre. Nous l’accompagnons dans
l’apprivoisement d’une réalité “sauvage”
et la mise en place d’une future réorganisation de son existence aux niveaux médical, social et psychique.
Naviguer en eaux troubles (avancer sans
vraiment savoir où l’on va), voilà ce
qu’évoque ce temps avant l’annonce d’un
diagnostic d’une pathologie probablement
neurodégénérative dont les symptômes
ont progressivement envahi le champ du
quotidien, une pathologie masquée, camouflée, sournoise qui s’annonce à bas
bruit. Comment alors ne pas se sentir menacé et comment comprendre ce qui vous
arrive ? Comment ne pas vouloir savoir ?
C’est une première pour la famille : les
premiers signes se confondent dans les
aléas de la vie quotidienne. Ce sont des
oublis, des défaillances, des changements
dans le comportement et la personnalité.
Emergent alors les premières inquiétudes
car le désarroi psychique s’associe aux
désordres cognitifs et comportementaux
du proche. L’existence s’en trouve déréglée, déstabilisée, bouleversée, morcelée.
Rien n’est plus cohérent dans un parcours
de vie qui semblait pourtant tracé, un projet de vie qui se voulait élaboré, particulièrement dans la situation de Mr Y. qui
présente une importante fluctuation de ses
symptômes. Qu’allons-nous devenir ?
Que se passe-t-il ? L’homéostasie familiale s’en trouve fortement ébranlée. Dans
ces eaux troubles, il est aisé de perdre
pied, on n’y distingue pas grand-chose :
« Que nous arrive-t-il ? », que du flou, et
on s’y égare rapidement. Se pose ainsi la
question de l’identité qui se voit mise en
danger, les assises narcissiques malmenées. Qui suis-je pour l’autre ? Que puisje faire pour lui ? Culpabilité, impuissance apparaissent. Comment alors se
représenter soi-même à l’autre ?
Ce
temps du perçu, du ressenti, du vécu représente un moment de grande fragilisation. De quoi sont faites ces eaux
troubles ? D’incertitudes, de doutes, de
plaintes, d’interrogations, d’impressions,
de craintes, de peurs, de colère,
d’agacement, d’incompréhension. Le
proche est taraudé, torturé par le doute qui
devient rapidement plus insupportable
que l’inquiétude. Mme Y. se sent « attaquée », « assaillie » par les symptômes
invalidants, impuissante, ce qui fait d’elle
une personne angoissée avec des ressources internes qui s’amenuisent et une
souffrance psychique, morale qui se majore au fil des jours. Elle a peur de se
noyer, de s’enfoncer, de se perdre ellemême. Elle se sent envahie dans son espace vital et son temps personnel ainsi
que dans son réalité intérieure où ne règne
guère plus de sérénité. Le souci d’un quotidien difficile, d’un avenir incertain, de
l’absence (lorsque son époux est à
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
99
Le travail avec les familles en hôpital de jour
l’hôpital de jour, elle s’interroge sur ce
qu’il fait) et, finalement, le souci pour
elle-même grandit chaque jour. Il y a
alors urgence, il faut agir, fournir des réponses, expliquer: que cesse ce plus
comme avant, cette étrangeté. Cependant : comment décider de prendre une
initiative avec l’enjeu important que cela
représente, à savoir le risque d’une entrée
dans une pathologie chronique, dégénérative et irréversible. Certes, le diagnostic
libèrera du poids de l’ignorance et les
eaux deviendront plus transparentes : « je
retrouverai la réalité » dit-elle. Mais
quelle réalité ? Au prix de quelle angoisse ? D’où une ambivalence dans la
demande que nous devons accepter et
respecter, faite du désir de savoir mais
également teintée de la peur de ne pouvoir faire face. Nommer la pathologie
peut signifier le pire à venir et le pire
avenir. C’est le temps de l’objectivation,
de la mise à distance de la pathologie. Le
diagnostic va faire effraction et valider la
désorganisation d’une existence. Il faudra
se résigner.
MADAME Y.
Lors de la première rencontre, Mme Y.
était déjà fatiguée physiquement et moralement, très angoissée et craignant une
« rechute » de la dépression. Elle se sentait « seule ». Lors des rencontres suivantes,
outre
sa
demande
de
compréhension des symptômes actuels, sa
préoccupation
récurrente
se
situait davantage dans ce que ces symptômes auguraient.
Privilégier la parole : écouter ce que la
famille sent, vit, attend, dévoiler les affects qui la submergent, convoquer le
vécu phénoménologique. Elle qui vit dans
le doute craint ce que nous pouvons dire
sur ce qu’elle redoute, la possible vérité.
Comment s’autoriser à en parler ? Comment accéder à une intimité qui n’ose pas
se dire ? Comment proposer au proche de
se livrer pour se sentir soulagé? Lui dire
qu’il peut oser ? Il s’agit de faire circuler
la parole, même douloureuse, les souffrances, les espoirs, pour que puissent
s’exprimer les sentiments contradictoires,
pour permettre la survie psychique de la
famille. La parole autorise un accès à une
réalité menaçante certes, mais surtout à la
pensée et à une probable élaboration. La
famille doit se sentir accueillie dans ce
qu’elle peut exprimer de ce qui se joue et
doit sentir qu’elle peut s’autoriser à révéler. C’est ce qui nous permet de cibler les
ressources de la dynamique familiale, de
désamorcer le travail de culpabilité,
d’apaiser les tensions internes et
d’accompagner dans la recherche de
compréhension. Voici quelques propos
100
tenus par Mme Y. qui au fil des entretiens
évoque son angoisse à l’idée de vivre
avec quelqu’un de différent, qui est agacée : « j’ai l’impression de vivre en
boîte », « c’est moi qui m’enferme ici ».
Ce qui se passe lors de ces premières rencontres détermine la qualité de
l’accompagnement ultérieur. Ces rencontres se situent en effet dans un contexte délicat, intime et incertain. Elles
inaugurent le parcours de soin. Il s’agit de
déterminer si possible la position de chacun, de décoder les enjeux qui se dessinent.
Vont ensuite se rencontrer le langage médical, objectivant et l’expression profane
qui caractérise toute la subjectivité de la
situation. Tout
au
long
de
l’accompagnement nous tentons de les
harmoniser en construisant la relation
avec la famille : en effet « Pour la médecine, la maladie d’Alzheimer est la maladie des déficits, tandis que pour la
famille, c’est la maladie de la perte du
parent » ainsi que l’évoque Thierry Darnaud (3). A l’hôpital de jour, nous
sommes riches d’une équipe pluridisciplinaire qui va permettre à la famille de se
tourner vers différents interlocuteurs et lui
donner ainsi l’opportunité non seulement
de recevoir un soutien, une écoute attentive et bienveillante qui les enveloppe et
les apaise, mais également d’échanger
différemment suivant l’expertise de chacun. Il importe par ailleurs, dans nos
échanges avec la famille, de mettre
l’accent sur l’impact des troubles émergents liés à la pathologie au niveau de
l’identité. En effet, les changements,
qu’ils soient d’ordre cognitif ou comportemental font vaciller l’idéal du moi,
l’intégrité identitaire du proche mais aussi
du système familial atteint dans son intimité (intrusion des équipes soignantes,
crainte de regard d’autrui…). Nous nous
attachons à la restaurer et œuvrons à sa
réparation et consolidation alors qu’elle
tente de se reconstituer après avoir été
fortement ébréchée. Quel rôle le proche
va-t-il tenir dorénavant auprès du parent
malade : soignant ? Aidant ? Accompagnant ? Aimant ? Comment continuer à
aimer comme une épouse quand son mari
se comporte comme un enfant ? Quand
celui avec qui on a tant partagé pendant
des années se dérobe et affole ? Mme Y.
évoque sa difficulté à « être moi » et, face
au changement de personnalité de son
époux elle ajoute : « ce n’est plus le même
homme, quelle est ma place ? ». Il semble
par conséquent important de faire preuve
de prudence, de précaution, de vigilance,
d’attention à l’égard de l’entourage familial et de mener régulièrement une réflexion en équipe afin de faire une lecture
de ce que la famille nous dit et nous
montre dans son besoin d’aide et de compréhension. Devenir un “aidant” est-il si
naturel ? N’y a-t-il pas parfois un risque
de “statufier” cet aidant qui n’est pas forcément prêt à tenir ce rôle ? Autant
d’interrogations durant ce temps avant
l’annonce auxquelles nous soumettons
notre réflexion lors de notre réunion
d’équipe hebdomadaire et lors des transmissions journalières. Le questionnement
permanent qui caractérise notre pratique
se trouve d’autant plus prégnant et fondamental dans cette navigation en eaux
troubles puisque nous nous trouvons également dans une position inconfortable de
“non savoir” de ce qui se joue, cela qui
pourrait inquiéter la famille si nous n’y
prenions garde. Nous sommes engagés et
avons une responsabilité d’être honnête
en ce qui concerne les effets attendus tout
en maintenant de l’espoir.
Si le temps du soignant peut présenter une
certaine objectivité, avec un parcours de
soin balisé dont il a l’habitude et des
étapes relativement bien définies (recueil
de l’histoire des troubles, évaluation, tests
neuropsychologiques, examens médicaux…) le temps des proches apparaît
quant à lui un temps psychique singulier,
subjectif, éprouvé à reconnaître et à ajuster (attente de résultats, de l’annonce, de
l’effet d’un traitement….). N’est-il pas
par conséquent essentiel de laisser du
temps, d’en donner pour leur permettre de
choisir comment ils souhaitent se positionner? Des aides formelles trop rapidement proposées donnent-elles le choix au
proche de faire autrement que de devenir
un aidant ? Outre qu’elles font ressentir
au proche des sentiments de culpabilité :
« je ne suis pas à la hauteur »,
d’impuissance et un vécu d’abandon
(Mme Y. a dans un premier temps décliné
notre suggestion d’augmenter le nombre
de jours dans notre structure, arguant :
« vous allez avoir l’impression que je
l’abandonne »), elles révèlent par-là la
baisse de son estime de soi et la représentation négative qu’elle se fait d’elle même
en tant qu’aidante principale potentielle.
Des aides trop précocement offertes ne la
mettraient-elles pas dans l’impossibilité
de ne pas tenir son rôle d’aidant alors que
l’épuisement la guetterait ? Il faut aider
coûte que coûte. Mme Y. est actuellement
épuisée et éprouvée par des troubles récents de son époux (incontinence, syndrome dysexécutif et clinophilie sévère).
Elle refuse malgré tout nos propositions
d’aides à domicile et répète fréquemment : « il faut que ça aille ». C’est pourtant elle qui nous a récemment sollicités
pour augmenter le nombre de jours en
disant : « je suis vidée ». La demande est
alors sienne et spontanée. Si l’aide de sa
famille s’avère cruciale pour le proche
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Pour un accompagnement précoce des familles à l’hôpital de jour géronto-psychiatrique dans le contexte de troubles cognitifs émergents
malade se pose la question du respect du
temps psychique et du sens de nos actions
dans notre accompagnement: réfléchir est
nécessaire afin d’être pertinent dans nos
réponses. N’y a-t-il, par ailleurs, un
rythme à respecter, un temps à prendre
dans ce que nous pouvons révéler et de
veiller à distiller nos informations en considérant leur impact sur les proches ?
Trouver le moment opportun où une information va être accueillie sans provoquer trop de dommages affectifs,
psychiques (pour Mme Y. : que nous pensons qu’il ne s’agit peut-être pas que
d’une dépression) : au choc du néon froid
avec sa couleur blanche qui aveugle et
peut perturber notre capacité à penser ne
doit-on pas préférer une douce lumière
tamisée qui dévoile progressivement une
vérité redoutée ? Ne pas trop en dire trop
vite mais peut-être éclairer le savoir profane du proche sans désirer le professionnaliser, progressivement, à son rythme,
l’objet de la volonté de savoir évoluant
avec le temps. On pouvait observer que
Mme Y. en sentait plus qu’elle n’en savait, « je sais que ça va être long », et
cette intuition qui fait que les doutes
pourraient
devenir
des
certitudes
l’angoisse, elle pressent un futur qui
l’effraie : « je sens que ça se dégrade », « comment vivre à côté de la
vie ? », « il est comme cassé, perdu, où
est passé le Mr Y. d’avant ? », « il faut
que je sorte, il faut que je m’échappe ».
Françoise, l’héroïne de Simone de Beauvoir (4) dans son roman intitulé L’invitée,
évoque l’amour qu’elle porte à son compagnon Pierre. Elle dit : « C’est vrai que
nous ne faisons qu’un, pensa-t-elle avec
un élan d’amour. C’était Pierre qui parlait, c’était sa main qui se levait, mais ses
attitudes, ses accents faisaient partie de
la vie de Françoise autant que de la
sienne, ou plutôt il n’y avait qu’une vie, et
au centre un être dont on ne pouvait dire
ni lui, ni moi, mais seulement nous. Pierre
était sur la scène, elle était dans la salle
et cependant pour tous deux, c’était la
même pièce qui se déroulait, dans un
même théâtre. Leur vie, c’était pareil, ils
ne la voyaient pas toujours sous le même
angle, à travers ses désirs, ses humeurs,
ses plaisirs, chacun en découvrait un aspect différent : ça n’en était pas moins la
même vie. Ni le temps, ni la distance ne
pouvaient la scinder, sans doute il y avait
des rues, des idées, des visages qui existaient d’abord pour Pierre et d’autres
existaient d’abord pour Françoise, mais
ces instants épars, ils les rattachaient
fidèlement à un ensemble unique, où le
tien et le mien devenaient indiscernables ».
Ne s’agit-il pas finalement, pour
l’entourage, dans ce temps avant
l’annonce d’un diagnostic d’apprendre
tout doucement à aimer autrement ?
CONCLUSION
Finalement nous nous interrogeons sans
cesse pendant ce temps avant l’annonce
sur : comment aider la famille à inscrire
ce qui se déploie dans son récit de vie
personnel ? À continuer de vivre ensemble et à articuler un présent difficile
avec un passé révolu et un avenir incertain ? (Que va-t-on devenir ?) Car avant
l’annonce d’un diagnostic existe déjà une
histoire de la pathologie qu’il faut raccrocher à l’histoire du proche et de sa famille.
Nous sommes sans doute privilégiés à
l’hôpital de jour puisque nous pouvons
donner ce temps à l’élaboration et à
l’acceptation de ces troubles qui viennent
bouleverser un quotidien qu’il s’agit de
reconquérir.
Sans oublier l’importance d’un temps à
donner pour entamer un travail de renoncement à des rêves et projets, des illusions, à un idéal de couple, de famille,
d’existence et surtout un renoncement à
l’autre tel qu’on l’a connu et aimé. Nous
pouvons assurer un suivi et ce travail de
lien à l’hôpital de jour s’inscrit dans la
durée, au travers d’une communication
continue.
BIBLIOGRAPHIE :
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de la prise en charge en hôpital de jour des
patients déments sur l’état psychologique des
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Santé Publique, 60, 2012, pp. 231-238
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Année 4, Janvier-Février, 2004, pp. 15-19
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
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TRAVAILLER AVEC LES FAMILLES
EN PRÉSENCE DES PATIENTS :
LES SÉANCES INFO-FAMILLES DANS LE
CADRE D’ATELIERS PSYCHO-ÉDUCATIFS
C.H.S Notre-Dame des Anges
Rue Emile Vandervelde, 67
4000 LIEGE
BELGIQUE
[email protected]
Christelle LEJEUNE et Christiane KEMPENEERS
Les séances « info-famille », organisées au sein de la clinique Notre-Dame des Anges, visent à réunir,
au sein d’un même groupe entourage et patients, afin de mieux comprendre la maladie bipolaire et la
schizophrénie. Cette porte d’entrée de la psycho-éducation permet une rencontre entre intervenants,
proches et patients. Il s’agit avant tout d’un échange autour du vécu de chacun, porteur de la maladie ou non, qui peut s’il le désire, trouver une place dans le monde de la santé mentale, partager son
expérience et se vivre comme partenaire de soin. Au travers de cet article, nous partageons nos réflexions sur ce travail avec les familles et les particularités de celui-ci.
Mots-clefs : groupe, famille- patients, psycho-éducation, hôpital de jour
Working with families in presence of the patient: an experience of our “information to families”
sessions as part of psycho-educational workshops about the bipolar disease and schizophrenia
The “information to families” sessions, taking place in the Notre-Dame des Anges’ clinic, intend to
gather within a group close relations and patients, in order to understand better the bipolar disease
and the schizophrenia. This introduction to the psycho-education allows a meeting between stakeholders, close relations and patients. The aim is mostly an exchange words on the personal history of
each person, ill or not, who has the possibility to find a place in the mental health world, to share
some experiences, and to live as a care partner.
Throughout this article, we are sharing our thoughts on this work with the families and its features.
Key words: group, family-patients, psycho-education, day clinic
CONTEXTE DE TRAVAIL
La Clinique Notre-Dame des Anges est
un centre hospitalier spécialisé en psychiatrie, à Liège en Belgique. Le travail
qui y est proposé s’inscrit dans un cadre
plus large que celui de l’hôpital de jour.
En effet, nous pouvons y rencontrer des
personnes en hospitalisation résidentielle,
en post-cure (projet élaboré en collaboration avec l’équipe pluridisciplinaire de
l’hospitalisation résidentielle et le patient,
qui offre la possibilité de bénéficier de
certaines activités, pour une durée de
3 mois, renouvelable 1 fois), en hospitalisation de jour (programme thérapeutique
élaboré en collaboration avec l’équipe
pluridisciplinaire et le patient, pour une
ou plusieurs journées, avec une présence
de 7 h. Ce programme est revu au fur et à
mesure de la prise en charge en fonction
des besoins du patient) ou encore de
l’extérieur par le biais de la policlinique.
C’est donc dans ce cadre que nous animons deux ateliers psycho-éducatifs : l’un
destiné aux patients schizophrènes et
l’autre destiné aux patients bipolaires.
102
NOS ATELIERS PSYCHOÉDUCATIFS
Nos ateliers se font en pluridisciplinarité,
caractéristique du travail proposé au sein
de notre institution. De manière générale,
un psychologue et un infirmier animent
l’atelier. Par la suite, certains intervenants
viennent se greffer à l’équipe suivant les
thèmes abordés (définition, symptômes,
traitements, hygiène de vie, communication, …), médecin, assistant social, kinésithérapeute, …
Ce travail en pluridisciplinarité permet
d’avoir une vision plus globale de la maladie et du soin et de mieux appréhender,
selon les spécificités, les besoins de la
personne et de ses proches.
Ces deux ateliers à coloration psychoéducative offrent la possibilité aux patients
d’échanger entre eux sur leur expérience
et leur vécu dans l’ici et maintenant, mais
également de participer avec ou sans leur
famille aux séances infos familles, organisées tous les deux mois. Comme nous
l’explique SIMILES nous identifions trois
grandes raisons d’ouvrir la porte aux familles dans notre travail de psychoéducation : pouvoir prendre en compte
leur connaissance de la situation et leur
expertise vécue qui en font des alliés du
soignant, être à l’écoute et faire une place
à leur souffrance par rapport à la situation
qu’elles vivent et enfin profiter de leur
présence au quotidien qui peut faciliter la
réinsertion dans le milieu de vie.
Comme nous l’avons mentionné plus
haut, nous ne travaillons pas uniquement
avec des patients de l’hôpital de jour,
Cela permet à chacun de sentir le moment
opportun pour participer à ces ateliers que
ce soit pour le patient mais aussi pour sa
famille. En effet, certains patients ne sont
pas toujours prêts à entendre et partager
leur vécu autour de la maladie. Certains
patients qui étaient dans un premier temps
réticents à nos ateliers, sont aujourd’hui
preneurs et même demandeur de ces espaces. Ils peuvent dans ces lieux, faire
partager leur expérience et l’évolution de
leur regard sur la maladie, ils sont devenus une ressource pour le groupe. De
même, les familles ne sont pas toujours
prêtes à partager leur expérience. Certaines ont parfois besoin de se protéger en
prenant une certaine distance avec le
monde du soin. C’est le cas par exemple
de familles dans le déni, de familles qui
acceptent de parler de symptomatologie
dépressive mais pas de maladie bipolaire
ou de schizophrénie, de certaines familles
de patients schizophrènes qui voyaient
dans les symptômes des manifestations
religieuses, croyances irrationnelles, (télépathie, paranormal, …). Elles n’étaient
donc pas prêtes à entrevoir une autre vision de la maladie et à concevoir un traitement thérapeutique et médicamenteux,
c’est le cas également des proches qui se
sentent coupables de n’avoir pu déceler
plutôt les signes d’une maladie mentale.
Ainsi, il nous semble primordial de respecter le rythme de chacun et de pouvoir
les accueillir et les accompagner tout au
long de leur réflexion. Cette question du
rythme rejoint la notion du « temps du
processus » dont nous parle Guy Ausloos.
En tant que thérapeute, il nous semble
indispensable de faire preuve de patience
et de pouvoir attendre que les personnes
soient prêtes à travailler avec nous et sur
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Travailler avec les familles en présence des patients : les séances info-familles dans le cadre d’ateliers psycho-éducatifs
elles-mêmes. Cette rencontre avec des
personnes qui se trouvent dans des vécus
et moments différents permet d’enrichir
les échanges et offre à chacun la possibilité de témoigner de son vécu. C’est
l’occasion pour certains d’entrevoir un
futur possible, qui bien souvent jusque-là,
paraissait sans espoir. Pour d’autres, c’est
l’occasion de mettre des mots sur un vécu
douloureux (notamment lors de rechutes
et de moments de crise), non dévoilé par
honte, peur, culpabilité, …
LE CHOIX D’UN TRAVAIL AVEC
LES PROCHES EN PRÉSENCE DES
PATIENTS
Ce choix de travailler aux côtés de nos
patients permet de favoriser et de préserver un lien de confiance, établi tout au
long du parcours de soin. De plus, cela
permet d’entendre le vécu de chacun et
d’être sensibilisé à la souffrance partagée
par tous les membres de la famille, malades ou non. Rencontrer simultanément
des patients et des proches, qui ne sont
pas directement de leur famille, permet
d’appréhender les réactions, attitudes de
chacun, avec plus de recul et davantage
de nuances. Enfin, cela permet de dédramatiser le vécu familial, de se dégager
des sentiments de colère, honte, injustice,
… et de prendre conscience qu’ils ne sont
pas seuls, confrontés aux mêmes difficultés. Ils peuvent ainsi partager différentes
pistes afin d’améliorer leur qualité de vie.
Que ce soit patient ou proche, chacun
devient ainsi une ressource pour l’autre.
Pour rejoindre Carl Rogers, nous faisons
l’expérience d’ateliers où « le climat de
sécurité qui règne dans le groupe permet
peu à peu de croître la liberté
d’expression et de diminuer les “défenses”. Une atmosphère de confiance
réciproque se crée à partir de cette liberté que l’on s’accorde mutuellement
d’exprimer ses sentiments réels, positifs
ou négatifs… Une fois que les individus
sont moins inhibés par la rigidité de leurs
défenses, il leur paraît moins menaçant
de modifier leurs attitudes personnelles,
leurs comportements, leurs méthodes professionnelles, leur style de commandement et leurs relations d’autorité. Grâce
à la réduction de leurs défenses, les individus peuvent davantage s’écouter les uns
les autres, ils peuvent davantage apprendre les uns des autres. »
LES OBJECTIFS POURSUIVIS
(TANT POUR LES PROCHES QUE
POUR LES PATIENTS)
Informer et avoir une meilleure compréhension de la maladie. Cette maladie leur
“tombe dessus”, il est important d’être à
l’écoute et d’éclairer les questions que
chacun se pose, dans un souci de prévention et de stabilisation. En effet, les personnes viennent souvent avec des
demandes très concrètes, « Comment faire
pour réagir, pour éviter qu’une crise
arrive, … », témoignant d’un vécu
d’impuissance et d’attentes par rapport à
une manière idéale de faire ou d’agir.
Ainsi, l’objectif poursuivi n’est pas
d’enfermer les personnes sous une étiquette diagnostique et de fournir des réponses théoriques “toutes prêtes” mais
bien de pouvoir aborder la symptomatologie de la maladie, l’impact de celle-ci
sur le milieu de vie et par conséquent, le
vécu de chacun. Nous insistons sur
l’importance du traitement médicamenteux, qui n’est pas suffisant à lui seul.
Comprendre le parcours de soin et son
utilité
Fréquemment, les familles se sentent non
reconnues et exclues du milieu des soins,
et particulièrement des relations entre
leurs proches et l’équipe thérapeutique
(médecin, équipe thérapeutique, psychologue). Par la présence des membres de
l’équipe thérapeutiques (infirmier, kiné,
psychologue) et du médecin que nous
invitons lors de certaines séances, nous
essayons de donner du sens à ces relations
“privilégiées”. C’est l’occasion pour les
proches d’exprimer leur ressenti et
d’avoir des explications en direct sur les
questions qu’ils se posent. Malgré ce
choix thérapeutique de travailler en priorité avec le patient, le médecin et l’hôpital
restent ainsi accessibles aux proches et à
leur questionnement. Cela permet de démystifier le monde de la psychiatrie et de
favoriser une meilleure collaboration du
patient et de la famille. En effet, il peut
arriver que certains proches entravent le
bon déroulement du parcours thérapeutique. C’est le cas de certaines familles
qui sont opposées ou mettent en doute
l’utilité d’un traitement médicamenteux,
ou encore trouvent qu’il y a « trop de
médicaments », certaines familles ont
l’impression d’être en rivalité avec le
médecin et encouragent leur proche à ne
plus aller aux consultations : « Pourquoi
lui parles-tu à lui ? On te connaît mieux !
On sait mieux ce qui est bon pour toi ».
De même certains patients en comprenant
mieux leur parcours de soin, pourront
revoir leur position et inviter leur entourage aux infos familles, en prenant conscience de l’importance d’un travail en
collaboration, sur le long terme. Familiarisés avec le monde du soin, proches et
patients sont plus au clair avec ce qu’ils
vivent. Ils peuvent alors se dégager des
“étiquettes” et “clichés” et se sentir
moins la cible du regard et jugement des
autres. Ils peuvent se repositionner et
prendre de la distance par rapport à la
maladie mentale et parler de leurs difficultés qui peuvent être communes à
d’autres maladies chroniques telles que le
diabète. Ils se sentent alors plus à l’aise
pour aborder leur vécu et pour se considérer comme partenaire dans le parcours
thérapeutique.
Favoriser la meilleure qualité de vie
possible
Nous envisageons la crise mais aussi, le
sortir de la crise et nous imaginons ce qui
peut être mis en place pour une meilleure
stabilisation possible.
Nous proposons de réfléchir ensemble,
avec les autres participants, aux différentes pistes possibles afin d’améliorer le
quotidien de chacun. Suivant le vécu de la
personne et de son entourage, il s’agit de
les aider à trouver leurs propres solutions,
leurs outils, les moyens les plus adaptés
afin de vivre au mieux leur quotidien (horaire de travail, ex : mi-temps médical ,
type de travail, ex : travail de nuit , contrat de prévention (favorisant la communication avec les proches) , administrateur
de biens , structuration de journée, ex :
activités permettant de se mettre en route ,
…).
Permettre à chacun d’exprimer son
vécu
Ces séances sont l’occasion d’être à
l’écoute de chacun, de sensibiliser chacun
au vécu de l’autre et au bouleversement
provoqué par la maladie, via notamment
l’utilisation de supports (collage, littérature, film …). Certaines émotions telles
que la colère, la honte ou la tristesse peuvent être élaborées et nous pouvons travailler la notion de deuil. Chacun est
amené à remettre en question ses représentations et à les assouplir en fonction de
ce qu’il vit.
Informer sur les ressources disponibles
dans le réseau
Bien que nous soyons en contact avec des
personnes dans un cadre hospitalier, notre
souci est de faire exister le réseau et les
ressources présentes dans le milieu de vie.
Nous le faisons notamment par
l’invitation ou la présentation d’Asbl de
proches comme « SIMILES », de groupement de patients, par la présentation
d’alternatives aux hospitalisations souvent craintes par les patients : équipe mobile de soins à domicile, centre de
revalidation fonctionnelle, continuité d’un
suivi thérapeutique de groupe ou individuel, …
Différentes observations nous amènent à
constater que l’évolution de nos groupes
va dans le sens de nos objectifs :
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
103
Le travail avec les familles en hôpital de jour
- Nos séances infos familles sont devenues un espace d’échanges. Nous
sommes passés d’une approche psychoéducative plus stricte, à un espace de paroles, où en plus des informations, chacun peut exprimer son vécu par rapport à
son propre parcours.
- Les proches qui y participent, peuvent
se faire une représentation d’eux-mêmes
en tant que partenaires de soin s’ils le
souhaitent et ainsi être actifs dans le processus thérapeutique.
- Les séances contribuent à soutenir
chaque participant tout en gardant à
l’esprit notre mission « tremplin » vers
l’extérieur. Pour la famille comme pour
le patient, notre rôle est d’être à l’écoute
afin de fournir des relais dans le réseau.
Notre intervention est davantage centrée
sur l’extérieur dans un souci de réinsertion, ce qui permet aux patients et à ses
proches de jouer un rôle actif dans le
processus de soin avec un accompagnement adapté en fonction des besoins de
chacun.
RÉFLEXION SUR NOTRE
EXPÉRIENCE DE GROUPE
En présentant notre travail lors de ce colloque, nous nous sommes rendu compte
de l’importance de prendre en considération les spécificités des besoins des personnes que nous rencontrons. Bien que
nous animions des ateliers semblables, les
demandes suivant les populations sont
très différentes. Cela nécessite d’adapter
le cadre et le fonctionnement de nos ateliers afin d’être au plus proche du vécu
spécifiques des personnes que nous rencontrons. Nous avons également pu
mettre en avant que la psycho-éducation
reste une porte d’entrée facilitant l’accès
aussi bien pour les patients que pour les
proches, à un groupe d’échange et de réflexion autour des vécus. Cependant, nous
104
gardons bien à l’esprit que les familles
ont besoin de leur propre espace
d’échanges entre elles et de leur propre
travail thérapeutique, tout comme nos
patients ont besoin de leur place dans nos
ateliers en dehors de leur propre famille.
Elles ne peuvent pas toujours s’exprimer
de la même manière en présence de leur
proche (peur de blesser, du conflit, …).
Par conséquent, notre atelier permet
d’amorcer un travail dont la poursuite va
se dérouler en dehors de notre groupe.
Il nous semble également important de
préciser que chacun qu’il soit professionnel, patient, proche contribue à ce travail,
de par son expertise et le partage de son
vécu et son regard sur la maladie.
Lors du débat, l’accent a été mis sur
l’importance d’être au clair dans son rôle
dans la rencontre avec les familles. En
effet, nous n’intervenons pas comme médiateurs mais bien en tant qu’intervenant
présent et disponible pour être à l’écoute
de chacun, nous leur proposons un espace
de réflexion et non de décision.
Cette expérience met également en avant
la puissance des groupes de pairs, où chacun devient une ressource pour les autres
en accompagnant et contribuant à la réflexion de chacun.
Enfin, travailler avec les familles demande de considérer la famille que la
personne choisit : les personnes importantes pour lui dans son quotidien, susceptibles de jouer un rôle et de contribuer
à une meilleure qualité de vie (parents,
voisins, aide-familiale, intervenant, …).
Nous rejoignons la définition de la famille
de SIMILES dans son guide des bonnes
pratiques : « toute personne concernée et
jouissant de la confiance du patient peut
faire partie de l’entourage proche, sans
qu’il n’y ait de hiérarchie naturelle à
respecter ». Cela signifie que nous ne
rencontrons pas toutes les familles de nos
patients : certaines familles ne sont pas
rencontrées quand les patients ne le désirent pas et certaines familles ne se sentent pas concernées par cette réflexion,
estimant que ce ne sont pas elles qui ont
des difficultés.
CONCLUSION
Notre travail plus spécifique avec les familles en présence des patients nous permet de favoriser et de maintenir une
relation de confiance parfois établie au
cours de plusieurs années avec nos patients. Cela nous permet également d’être
plus sensibles au vécu de chacun (proches
et patients), et d’avoir une meilleure
compréhension de ce que chacun vit. En
considérant chacun dans sa souffrance,
chacun peut se reconnecter à sa place,
sans son rôle,… en tant que membre
d’une même famille et non en termes de
malade ou non-malade. Chacun, qu’il soit
proche ou patient, peut entrevoir l’utilité
d’un espace thérapeutique, où il se sent
libre de venir échanger autour de son vécu, où il devient une ressource pour les
autres, et où il peut s’assimiler à un partenaire au même titre que les professionnels.
Ainsi le travail de groupe avec les familles en présence des patients nous
semble générateur d’une dynamique thérapeutique intéressante de par les
échanges autour de l’expertise de chacun.
BIBLIOGRAPHIE
1. AUSLOOS G., La compétence des familles,
Temps, chaos, processus, Eres, 2010, p.1-36
2. ROGERS C., Les groupes de rencontres,
Dunod, 2002, p.7
3. SIMILES, Les familles comme partenaires
de soins en santé mentale, guide pratique à
l’usage des soignants, ASBL Similes Wallonie, 2012
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
QUEL CADRE POUR LA RENCONTRE AVEC
LES FAMILLES ?
Fondation Institut Maïeutique,
4 rue Sainte-Beuve,
1005 Lausanne,
SUISSE
[email protected]
Muriel REBOH SERERO, Vanessa VEZ
Dans notre pratique, la famille a toujours sa place. A l’image de la prise en charge thérapeutique
personnalisée du patient, le travail avec la famille est un accompagnement à trouver-créer au carrefour de la problématique du patient, de sa demande et de celle de la famille, de la dynamique familiale et de notre indication thérapeutique.
Cet accompagnement s’articule dans des cadres de prise
en charge différents tels que les réseaux de soins, les entretiens de soutien, et les entretiens de famille
psychothérapeutiques. Bien que différents, ces cadres sont toujours là pour soutenir la psychothérapie institutionnelle du patient.
De manière générale, le patient qui vient en hôpital de jour vit dans sa
famille. Ses difficultés psychiques mettent à mal le processus d’individuation et de construction de
son identité. Paradoxalement, réunir les membres de la famille au sein de l’hôpital devrait leur permettre de mieux se séparer.
A travers des vignettes cliniques, nous questionnerons les rencontres
avec la famille.
Quelles sont leurs demandes par rapport à l’hôpital de jour ? Comment investissentelles cette prise en charge ? Et pour nous soignants, quels sont nos contre-attitudes et résonances
dans ces relations souvent complexes ?
Mots-clefs : hôpital de jour, famille, cadre thérapeutique, trouvé-créé, résonance, alliance, idéal
thérapeutique, réseau, créativité, compétence familiale
What kind of therapeutic setting for families?
Our personalized approach to patient management and support involves working together with the
family to find and create from what lies at the heart of the patient’s difficulties, addressing the expectations of both the patient and the family, and our proposed therapeutic approach. This support is
built upon a therapeutic alliance comprising of professional care networks, support meetings, and
family therapy meetings. These therapeutic settings are a constant support for the patient during their
time within institutionalized therapy. In general the patients who visit our day hospital still live with
their families. Their psychological difficulties lead to complications within the process of individuation and healthy identity construction. Paradoxically, reuniting the family within the day hospital
environment should allow both the patient and the family to better enter into the necessary process of
separation and individuation. Looking beyond clinical labels, we question just what resonance this
has for the family. What are their expectations as regards the care offered by our day hospital? How
do they experience the support that this provides? And for us caregivers, what of our prejudices and
emotional responses in regards to these often complex relationships?
Keywords: Day hospital, family, therapeutic setting, profesional networks, therapeutic ideal, creativity, family habilities, resonance, therapeutic alliance
INTRODUCTION
Lorsqu’on prépare une intervention, on se
demande toujours comment faire pour
traduire la complexité de notre pratique
en hôpital de jour.
Le colloque des hôpitaux de jour nous
propose chaque année un argument à partir duquel nous définissons un axe. Dans
notre atelier, nous avons proposé de partager notre réflexion d’équipe sur le travail avec les familles en hôpital de jour.
Nous avons abordé comment la dynamique familiale nous a amené vers un
setting plutôt qu’un autre.
L’Institut Maïeutique est un hôpital de
jour, créé à Lausanne dans les années 50.
La famille a toujours eu une place, mais
historiquement, il s’agissait principalement d’axer l’intervention thérapeutique
sur le patient avec la collaboration des
parents sur un mode d’échange
d’informations. L’évolution des pratiques
en psychiatrie, mais aussi l’arrivée des
droits des patients, a ramené la nécessité
de clarifier la place de la famille.
D’autre part depuis plusieurs années, la
population de notre hôpital de jour a rajeuni et nous accueillons des jeunes dès
seize ans avec une majorité entre 18 et 25
ans.
Lors de cette période de vie, la question
de l’individuation et de la séparation au
sein de la famille est sensible. Les
troubles psychiques viennent mettre à
mal, faussent ce processus du développement et entravent la construction de
l’identité.
En tant que structure intermédiaire, nous
ne sommes jamais en première ligne dans
l’historique des soins. Comme l’évoque
Serge Gauthier dans son article « Rencontre avec les parents et les proches des
malades psychotiques », « le travail avec
les familles peut être rendu difficile du
fait de l’âge et de la pathologie mais également, la plupart du temps, les patients
ont déjà bénéficié d’un suivi pendant
l’adolescence et voir de l’enfance qui les
a déjà mis largement à contribution ».
LA RENCONTRE AVEC LES
FAMILLES DANS LES RÉSEAUX
La plupart du temps, la première rencontre avec les familles se passe à
l’occasion
du
premier
entretien
d’admission ou dans le cadre des réseaux
réunissant les différents professionnels
s’occupant d’un même patient. En lien
avec l’âge de nos patients, la pratique de
réseau est devenue tout à fait nécessaire et
courante dans notre clinique. Comme nos
collègues l’ont évoqué lors du dernier
Colloque des Hôpitaux de Jour, il y a une
complexité des prises en charge et un
travail collectif des équipes institutionnelles avec d’autres réseaux de soins. Les
intervenants autour d’un patient peuvent
être nombreux ; identifier la place et le
rôle de chacun est parfois délicat pour les
professionnels et encore d’avantage pour
le patient et sa famille.
Cependant, bien que les réseaux permettent de rencontrer les familles, ce cadre ne
permet pas un travail avec la famille, les
intervenants étant trop nombreux et les
objectifs centrés sur le patient et sur la
prise de décision.
LES ENTRETIENS DE FAMILLE
Les familles nous ont guidés vers la mise
en place d’entretiens de famille. Entre les
rencontres de réseaux, nous étions sollicités régulièrement par les familles angoissées par les symptômes et la maladie.
Jeanne
Jeanne est une jeune fille de 16 ans au
moment de son intégration.
Elle a été adoptée et souffre dès le début
de son adolescence d’un trouble de la
personnalité. Au quotidien, Jeanne présente de nombreux passages à l’acte qui
inquiètent ses parents. Ces derniers nous
sollicitent régulièrement dans l’attente
que nous puissions intervenir auprès de
leur fille pour la raisonner. Les parents
nous investissent comme leur prolongement pour contrôler les actes de leur fille.
Nous sommes pris dans l’urgence car
quand Jeanne passe à l’acte, tous les
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
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Le travail avec les familles en hôpital de jour
membres de la famille s’alarment. Pour
pallier à ces appels quotidiens et inquiets
des parents, nous leur proposons des entretiens réguliers en présence de la référente de Jeanne, personne qui coordonne
au sein de l’équipe les différentes interventions et informations pour la prise en
charge. Ces entretiens sont l’occasion de
sortir de notre fonction de pompier et
donner du sens, avec la famille, aux agissements de Jeanne.
Ces rencontres sont dans premier temps
liées aux comportements de la patiente et
se font généralement dans l’urgence, le
dernier passage à l’acte de Jeanne prenant
alors toute la place de l’entretien. Cependant, peu à peu, Jeanne et ses parents
peuvent profiter de ces entretiens comme
un espace pour penser, ce qui permet de
sortir de la crise et de l’urgence.
Clara
Clara, une jeune fille de 17 ans, présente
des troubles du comportement majeurs
avec des menaces suicidaires quasi quotidiennes. Les parents bien que séparés sont
en conflit sur comment gérer les manifestations et provocations sans limite de leur
fille. Les parents sont à la fois épuisés,
fascinés et n’arrivent pas à mettre des
limites qui soient respectées. Toute tentative de l’un est disqualifiée par l’autre et
Clara fait monter les enchères.
Comme à notre habitude, nous convions
les deux parents au réseau d’intégration.
Comme dans la situation de Jeanne, nous
souhaitons éviter de rencontrer les parents
seulement lorsque cela va mal et être réduites à la position d’urgentiste. Cependant nous nous sommes questionnées sur
le cadre dans lequel nous allions rencontrer Clara et ses parents étant donné qu’ils
sont divorcés. Faut-il les voir séparément,
en raison de leur conflit, ou au contraire
ensemble pour marquer la différence
entre le couple parental et conjugal ? Finalement, nous proposons de rencontrer
les parents ensemble une fois par mois
avec Clara.
Les entretiens sont la plupart du temps
centrés sur les comportements de Clara.
Notre travail consiste essentiellement à
verbaliser les agissements et donner la
possibilité à Clara de se raconter devant
ses parents et aux parents de revenir sur
leur propre histoire et celle qu’ils ont vécu ensemble ainsi que sur la séparation.
Comme le note Chantal Diamante dans
son article, ces entretiens ont deux fonctions essentielles : contenir la violence
générée par l’angoisse et donner des repères, faire des liens.
Néanmoins, nous avons le sentiment avec
cette famille que le retour aux préoccupations du quotidien est une fuite pour ne
106
pas aborder des vécus émotionnels douloureux. De plus, la présence du référent
incarne et renforce la gestion d’éléments
de réalité.
À LA QUÊTE DE L’IDÉAL
THÉRAPEUTIQUE
Notre priorité est de préserver un espace
thérapeutique, avec l’idée de séparer plus
clairement le concret du symbolique. En
quelque sorte s’éloigner du concret, c’est
atteindre un certain idéal thérapeutique.
Nous proposons des entretiens de famille
en co-thérapie.
Henri
Henri, un jeune patient de 17 ans, adopté,
avec un retard de développement, a nécessité un parcours d’enseignement spécialisé tout au long de sa scolarité.
Les parents d’Henri sont très investis dans
le parcours de leur fils. Ils interpellent les
différents soignants de l’équipe individuellement pour demander des rapports
sur les compétences d’Henri et sur le pronostic quant à une possible réinsertion
scolaire. Le passage du scolaire aux soins
est vécu douloureusement. Ils essaient
eux-mêmes de coordonner le travail
d’équipe. Nous leur proposons donc un
espace de paroles, en-dehors des réseaux.
Dans cette situation, nous avons tenté de
proposer une prise en charge performante,
ceci également au niveau des entretiens
de famille. Nous avons ainsi défini des
rôles très clairs, formalisé la différence
entre l’espace réseau et celui des entretiens.
Malgré tout, au sein des entretiens, il apparaît que la demande des parents est la
guérison d’Henri et la mise en place
d’une formation. Nous restons cependant
avec notre indication d’entretiens thérapeutiques de famille. Un malentendu se
crée entre les attentes de la famille et le
cadre posé, on voulait une performance
dans l’élaboration et la famille une performance des compétences de leur fils.
Dans cette situation, le travail sur nos
résonances (Mony Elkaim) a permis de
sortir de cette symétrie autour de la performance.
Comme le souligne Francine AndreFustier, la souffrance familiale est à voir
dans une logique de survie. Il faut penser
notre dispositif en ce qu’il peut faire vivre
aux familles. La demande des familles
n’est pas qu’on s’occupe d’eux mais du
patient malade et le cadre psychothérapeutique formel peut être parfois trop
centré sur le groupe famille.
Nous avons pu avec Henri désamorcer
cette dynamique en s’alliant aux parents
dans leur position qu’ils viennent pour
leur fils et en réévaluant notre cadre.
Pablo
Pablo, un garçon qui nous est référé par
l’hôpital suite à un grave épisode dépressif, illustre cet accordage sensible entre la
famille et les thérapeutes de l’hôpital de
jour.
A la sortie de l’hôpital, il retourne vivre
chez ses parents, où il ne vivait plus depuis plusieurs années. Peu après son intégration à l’hôpital de jour, les parents
nous appellent régulièrement pour prendre des nouvelles de la prise charge et de
l’évolution de leur fils. Par ailleurs,
l’histoire personnelle des parents est envahissante pour le patient, histoire parcourue de traumatismes. Pablo peine à
trouver sa place et se plaint également de
ses parents qui lui demandent de faire un
point avec lui quotidiennement.
Nous leur proposons, avec l’accord de
Pablo, de les rencontrer en-dehors des
entretiens de réseau. Lors du premier entretien, tout le monde est collaborant,
chacun peut s’exprimer, dire les difficultés rencontrées et les souhaits pour
l’avenir. Les parents aimeraient avoir des
réponses quant à la possibilité de leur fils
à reprendre des études universitaires. Tout
le monde semble être d’accord pour la
mise en place des entretiens où la présence de chacun est souhaitée. Mais, peu
après les deux premiers entretiens avec
ses parents, Pablo commence à venir de
manière irrégulière. Après les vacances
estivales, Pablo ne vient plus malgré une
sollicitation régulière de notre part. Les
parents sont inquiets et craignent un retour des symptômes dépressifs. Nous proposons un rendez-vous avec Pablo et ses
parents. Le père arrive seul, démoralisé,
inquiet pour son fils et en colère contre
nous, estimant ne pas voir les résultats de
notre travail. Nous parvenons finalement
à rencontrer Pablo qui nous informe avoir
trouvé un travail et souhaite y mettre la
priorité sur les soins.
Nous nous sommes interrogées si l’espace
de l’hôpital de jour ouvert à la famille a
fait obstacle à la prise en charge de Pablo.
Il y a ainsi une perméabilité entre l’espace
individuel et l’espace familial. L’équilibre
à trouver entre les deux est sensible.
L’hôpital de jour est avant tout l’espace
du patient et nous voyons toujours les
familles avec l’accord de ce dernier. La
place donnée à la famille peut être une
ressource comme être intrusive pour le
patient.
CONCLUSION
Nous rencontrons des familles qui sont à
la recherche du bon médicament, du meilleur psy, du bon modèle de soins ou intervention et nous comprenons cela
comme une quête de la guérison. Nous
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Quel cadre pour la rencontre avec les familles ?
avons cherché vainement ces dernières
années le setting idéal, le plus petit dénominateur commun des familles des patients fréquentant l’hôpital de jour.
Cette recherche a pu mettre en évidence
parfois la triple désignation « famille disqualifiée, enfant à problèmes, soignants
super compétents », évoquée par Jean
Pierre Bruniaux et Michel Maestre.
Lors de cet atelier, nous avons présenté
une palette d’interventions au-delà d’une
procédure qui s’appliquerait à toutes les
familles. Ceci se résume assez simplement par l’importance de la rencontre, un
cadre trouvé-créé, qui se définit en interaction avec chaque famille.
Cette rencontre peut se faire dans des
entretiens de famille, dans les réseaux et
également
dans
des
entretiens
d’investigation anamnestique. Comme le
note Chantal Diamante, prendre du temps
avec les familles, c’est permettre la création d’un lien, un vécu partagé, alors que
souvent pour ces familles leur vécu est
caractérisé par la discontinuité. Elle
ajoute que le maintien d’un lien peut
permettre l’émergence de l’activité de
penser. Parfois, notre tâche est modeste, à
savoir verbaliser dans l’ici et maintenant
ce que nous percevons des actes et de
l’infraverbal. Nous ne pouvons pas toujours compter sur des associations libres
car cela suppose un matériel en partie
symbolisé.
D’autre part, la Drsse Duc Marwood, lors
de sa conférence, a souligné l’importance
de reconnaître que les ressources et
l’estime des familles consultantes sont
affaiblies.
Selon elle, l’accompagnement des familles doit permettre la mobilisation de la
pensée et des compétences. Comme le
montre nos illustrations, il est difficile
d’aborder de front les difficultés du patient car cela peut faire résonner le sentiment d’échec, de culpabilité.
A travers l’histoire des intervenants rencontrés dans le parcours de soins, en pensant l’aide reçue, on peut mobiliser les
familles et définir ce qu’on pourrait faire
ensemble.
Pour cet atelier, nous avons souligné la
thématique du cadre au sein d’entretiens
de famille. Les soins de l’hôpital de jour
dépassent
pourtant
les
espaces
d’entretien, la rencontre avec les familles
se fait dans des espaces et des temps divers et variés.
Par exemple, Mike arrive décompensé
avec sa mère. Nous les recevons pour un
entretien et signifions la nécessité d’une
hospitalisation pour Mike. La mère dit
qu’elle a préféré venir à l’hôpital de jour
pour discuter et, précise-t-elle, cela peut
être soit la secrétaire soit le psychothérapeute. Cette situation illustre comment les
différents interlocuteurs peuvent être investis par la famille. La mère de Mike
investit principalement les soins à travers
le secrétariat et les cuisiniers. Cet investissement indique à la fois un lien avec
l’hôpital de jour et une résistance aux
espaces de parole et d’élaboration.
Nos collègues du KaPP à Bruxelles sous
la direction de Philippe Kinno évoquent
l’importance de l’accueil quotidien des
familles dans leur livre « Psychothérapie
institutionnelle d’enfants ». Dans notre
pratique, c’est ce que nous avons vécu
avec Sarah à travers une poignée de main
dans la rue entre sa mère et une personne
de l’équipe. Au début, seules une ou deux
personnes de l’équipe pouvaient être ce
liant sécurisant la fille et la mère, « La
poignée semble peu à peu prendre confiance, devenir acceptation, lâcher prise,
communication, verbalisation. » Au fil du
temps, cela s’agrandit à l’équipe entière,
puis elle peut venir seule de la voiture. A
l’approche de ses 25 ans, cette jeune
femme qui ne veut pas en être une, traverse une période très difficile, où la séparation avec la mère se rejoue très
fortement tous les matins. Des entretiens
de famille ainsi que des réseaux sont organisés. La situation est verbalisée mais
Sarah reste dans sa position. Jusqu’à un
matin, où Sarah refuse de sortir de la voiture. Nous soutenons la mère pour qu’elle
puisse partir. Les intervenants se succèdent alors dans la voiture pour parler à
Sarah qui finira par sortir. La mère vient à
la fin de la journée récupérer sa fille et sa
voiture ! Sarah fête par la suite ses 25 ans
paisiblement. C’est probablement la complémentarité entre le formel et l’informel
qui aura permis le changement.
Il y a également la situation de David, un
jeune homme de 20 ans souffrant de schizophrénie. Des entretiens de famille sont
proposés mais refusés par les parents qui
préfèrent les faire en dehors de l’hôpital
de jour et qui ne souhaitent aucun contact
entre nous et la thérapeute. Les parents
sont méfiants envers les soins, les médicaments, les différents professionnels.
Néanmoins, à travers des moments informels comme nos soirées où nous invitons
des conférenciers nous avons pu tisser un
lien de confiance.
Espaces Informels ? Entretiens de famille ? Psychothérapie de famille ? Entretien de soutien ? Quelle terminologie ?
Quelle différence pour les familles ? Estce que ce ne sont pas là des préoccupations de professionnels ?
Notre responsabilité de professionnel est
de penser le cadre mais quel qu’il soit…
n’est-il pas là pour soutenir la psychothérapie individuelle institutionnelle du patient ?
BIBLIOGRAPHIE
1. ANDRE-FUSTIER F., L’accompagnement
psychique des familles en institution: les enjeux du lien famille/institution, 2012
2. BRUNIAUX J.-P. et MAESTRE M., Peuton éviter le processus de triple désignation:
famille disqualifiée, enfant à problèmes, éducateurs super-compétents, Résonnances n° 7,
1995, p. 33-37
3. DIAMANTE C., Entrez, des psychanalystes
écoutent: accueillir et soigner des familles en
difficultés, Dialogue 4/2003, n°162, pp. 2534.
4. ELKAÏM M., L’expérience personnelle du
psychothérapeute : approche systémique et résonance, Psychothérapies 3/2004 (Vol. 24),
pp. 145-150
5. GAUTHIER S., Rencontres avec les parents
et les proches des malades psychotiques, Erès,
2006, pp. 209-232
6. KINOO P., Psychothérapie institutionnelle
d’enfants : l’expérience du KaPP, Erès, 2012
7. LABAKI C. et DUC MARWOOD
A., Langages métaphorique dans la rencontre
en formation et en thérapie: sur les traces
d’Edith TILMANS-OSTYN, Erès, 2012
8. LANGOUX I. et JAQUES-COTTET N.,
Multiplicité des regards et identité institutionnelles, XLème Colloque des hôpitaux de jour,
2012, pp. 68-73
9. WINNICOTT D. W., Jeu et réalité, Folio
essais, 1971
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
107
DE L’INFORMATION DES FAMILLES À LA
TRANSFORMATION DES PRATIQUES
C.H.S Notre-Dame des Anges
Rue Emile Vandervelde, 67
4000 LIEGE
BELGIQUE
[email protected]
Muriel EXBRAYAT, Viviane LOMBART, Latifa MACHKOURI
De l’information des familles à la transformation des pratiques orientées vers les soins en milieu de
vie, l’importante réforme (Psy 107) de la Santé Mentale en BELGIQUE s’est associée au soutien des
associations de patients et de proches de patients. Cette volonté politique engage les professionnels à
collaborer avec les familles comme partenaires du soin et à organiser le relais de leur structure vers
d’autres, moins « psychiatrisées ». Aujourd’hui, les professionnels apprennent à penser et soutenir
les liens préexistants à une hospitalisation de jour et à orienter leurs accompagnements en concertation avec le réseau personnel (familles, entourage) et le réseau professionnel (médecin généraliste,
…), afin de permettre à la personne de quitter le milieu psychiatrique des délais toujours plus brefs.
Dans ce cadre en transformation et pour tenir compte de cette catégorie de besoins que nous qualifions de “systémiques”, dans le sens de “en relation avec”, l’hôpital de jour a mis en œuvre des modalités de travail en réseau pour les personnes qui présentent un problème avec leur consommation
d’alcool :
- un atelier d’information sur l’alcoolisme pour les familles et l’entourage,
- un travail en réseau d’associations de proches,
- un travail de concertation autour de situations de personnes alcooliques à pathologie complexe,
avec la personne et sa famille.
Mots-clefs : famille- coordination- concertation- réseau- information
From the family information to the transformation of the habits
Oriented towards the cares in the daily environment, the important Mental Health’ reform (Psy 107)
in Belgium joined the support of the associations of the patients and their close relations. This political will commits the professionals to collaborate with the families as care partners and to organize
the link between their structures and other ones, less psychiatric. Nowadays, the professionals learn
to think and support the pre-existing links to a day clinic and to guide their cares in correlation with
the close relations (family circle, relatives) and the professional network (family doctor,…), to allow
the person to leave the psychiatric environment within the shortest lead-time possible. In the framework of this transformation and to take into account this category of needs called “systemic”, in the
sense of “in relation with”, the day clinic settled network work methods for the persons who have a
problem with their alcohol consummation:
- A workshop to explain the alcoholism for the families and relatives;
- A network work of some close relation associations;
- A consultation work on accurate situations of alcoholic persons suffering of complex pathologies, together with the person and its family.
Keywords: family-coordination-consultation-network-information
INTRODUCTION
De 2007 à 2010, la clinique Notre-Dame
des Anges, à Liège, a coordonné une approche
thérapeutique
autour
de
l’alcoolisme (projet 100) fondée sur un
travail de concertation entre partenaires,
qui réunissaient la personne concernée,
ses proches et les différents professionnels qui gravitaient autour d’elle. Cela
permettait aussi bien au patient, à ses
proches et aux professionnels de bénéficier du soutien de chacun. Ainsi en plus
de ce travail de concertation nous aurons
l’occasion d’exposer la réforme en soins
de santé mentale en Belgique et de réfléchir sur son implication dans notre pratique.
LA CONCERTATION
La concertation a pour objectif de favoriser les collaborations et le travail en ré-
108
seau entre partenaires de santé mentale
pour des pathologies chroniques et complexes afin de garantir la continuité du
soin et d’assurer des soins sur mesure,
c’est-à-dire adaptés aux besoins de la
personne et de son réseau.
Elle suppose donc la confrontation entre
les parties, l’échange d’arguments,
l’explication du point de vue de chacun
(que ce soit la personne concernée, la
famille ou les intervenants). Elle nécessite
aussi l’animation des échanges. En effet
ce travail de concertation demande tout
un travail de coordination. Ainsi, un intervenant de la clinique a été chargé de
cette mission, en restant en contact avec
les différents partenaires et en leur offrant
la possibilité de participer une fois tous
les trois mois à une réunion de concertation.
LE TRAVAIL EN RÉSEAU
Ainsi, cette expérience nous a amené à
travailler en réseau, c’est-à-dire travailler
avec l’ensemble des personnes qui sont en
liaison et qui travaillent autour et avec la
personne. Ce travail en réseau nous a
amené à réfléchir sur plusieurs questions
afin de définir notre cadre de travail :
« Comment organiser et penser les invitations à la famille ? Qui invite ? Qui prend
la décision d’inviter ou non ? Quand inviter et cesse d’inviter? Quel est l’impact
de la présence de la famille en réunion de
concertation que ce soit pour les familles,
pour les patients et pour les professionnels ? »
Dès lors il nous semblait important que le
patient puisse réfléchir avec nous à ces
questions et, par sa participation aux réunions de concertation, qu’il devienne acteur à part entière de sa prise en charge
thérapeutique. Il pouvait ainsi décider
d’inviter les personnes qu’il souhaitait
voir à ses côtés dans l’élaboration de son
projet de vie.
Notre hôpital de jour s’inscrit lui aussi
dans ce contexte de travail, en laissant la
possibilité aux personnes et à leurs
proches de participer aux séances “info
famille” qui sont organisées sur
l’alcoolisme, la maladie bipolaire et la
schizophrénie. Ces séances qui sont ouvertes non seulement aux personnes de
l’hôpital de jour mais aussi aux personnes de l’hôpital résidentiel et de
l’extérieur permettent une continuité des
soins. Elles permettent également à chacun de se vivre comme partenaire de
soins, s’il le souhaite.
INTÉRÊT DU TRAVAIL EN
RÉSEAU AVEC LES FAMILLES
Lors de nos séances “info famille”, nous
avons eu l’occasion de travailler avec les
familles en leurs donnant des informations sur les personnes qui présentaient
des problèmes avec l’alcool ou autres
dépendances.
La première difficulté était de mobiliser
ces familles. En effet peu de famille était
présente lors de nos séances. A travers
nos échanges avec les différents partenaires, nous nous sommes rendus compte
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
De l’information des familles à la transformation des pratiques
que cette difficulté était rencontrée dans
d’autres groupements d’entraide pour les
familles dont un proche a une consommation problématique avec l’alcool ou une
autre substance. C’est donc dans ce cadre
que fût créée l’association GEPTA, cette
association nous permet en tant que professionnel des mises en commun de nos
expériences et vécus rencontrés dans les
différents groupes. Ce travail et les réflexions associées ont donc bousculé nos
pratiques. Actuellement et dans un tout
autre ordre, le projet 107 nous amène
également à remettre en question nos
plans de soins.
LA RÉFORME EN SOINS DE SANTÉ
MENTALE EN BELGIQUE ET
IMPLICATION DANS NOTRE
INSTITUTION
Depuis le début 2010, l’Etat Fédéral, les
Régions, les Communautés ont décidé
d’une réforme concernant les soins en
psychiatrie. Le but de ce changement
étant de créer, via des projets pilotes
(107), des circuits et réseaux de soins
associant les structures hospitalières et
ambulatoires en vue d’une prise en charge
différente des patients.
Ce réseau offre à la population concernée
une palette de soins couvrant au maximum ses besoins pour toutes les pathologies et à tous les stades de leur évolution
(de l’urgence à la réhabilitation, du milieu
de vie à l’hébergement).
Ce réseau correspond à 5 fonctions :
- 1ère fonction : information, prévention,
diagnostic précoce, première orientation.
- 2ème fonction : 2 équipes mobiles, de
crise et de soins chroniques
- 3ème fonction : réhabilitation pour
l’insertion
- 4ème fonction : soins aigus hospitaliers
- 5ème fonction : hébergement alternatif
C’est la raison pour laquelle notre institution réfléchit à un réaménagement des
fonctions hospitalières pour les rapprocher du projet global de la réforme.
Deux services distincts seront créés avec
des équipes et des soins spécifiques :
l’hôpital de jour intensif, l’hôpital de jour
semi-intensif.
L’HÔPITAL DE JOUR INTENSIF
L’hôpital de jour intensif s’inscrit comme
nouvel outil de la fonction IV, unité de
traitement intensif, pouvant délivrer une
observation diagnostique et une intervention thérapeutique, lorsque l’encadrement
semi résidentiel est possible. Il s’agit
donc d’une alternative à l’hospitalisation
résidentielle, permettant au patient de
rester dans son milieu de vie.
Ce service, au même titre que les unités
résidentielles intensives, dispose d’une
unité de lieu, d’équipe, et d’un cadre temporel, qui lui sont propres. Son intervention est volontairement limitée dans le
temps.
L’HÔPITAL DE JOUR SEMIINTENSIF
Parallèlement à l’implémentation d’un
service intensif à l’hôpital de jour, le CHS
N.D. des Anges a décidé de
l’implémentation d’un service semi intensif de jour qui complètera son offre.
Ce service s’inscrit dans l’offre de soins
de la fonction III (réhabilitation) du réseau de soins du projet Fusion Liège, en
conformité avec les lignes de force du
projet dit 107 « Guide vers de meilleurs
soins en santé mental par la réalisation
de circuits et de réseaux de soins ».
Le service accueillera des patients dont la
symptomatologie est stabilisée ou en voie
de l’être, et capables d’un vécu à domicile avec aide. Le projet hospitalier se
concentrera sur un encadrement médicopsycho-social en vue d’accroître leur
autonomie malgré le déficit persistant, et
de favoriser leur réinsertion et/ou leur
maintien à domicile.
Ainsi l’hôpital de jour semi-intensif
s’inscrit naturellement dans un trajet de
soins en aval des unités intensives de la
fonction IV, résidentielles ou non. Il permettra aussi de restreindre la durée
d’hospitalisation dès que la symptomatologie est suffisamment stabilisée.
CONCLUSION
Que ce soit dans le cadre de la concertation ou du projet 107, nous avons pris
conscience de l’importance et de l’intérêt
du travail en équipe et du travail en réseau
avec le patient comme partenaire. En effet, il semble indispensable de pouvoir
tenir compte dans notre travail de la réalité de terrain et de l’expertise de chacun.
Ainsi ce travail demande de la souplesse
afin d’offrir à chacun, qu’il soit patient,
proche ou professionnel, un soutien adapté à leurs besoins et demande également
de pouvoir sans cesse remettre en question l’utilité de nos pratiques.
BIBLIOGRAPHIE
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dépendances pour sortir de l’autarcie relationnelle, Revue des Hôpitaux de Jour psychiatriques, octobre 2008, n°11, pp. 10-13
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2007- mars 2012 : Projet Pilote Thérapeutique
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de soins, projet de constitution d’un réseau de
soins, Fusion Liège, 2010
5. KEMPENEERS J.-L., SCHENA A., Réflexions sur la Réforme au C.H.S. NotreDame des Anges à Liège, Belgique, 2013
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
109
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Annexe 1
Réhabilitation
CRF
HôpitalPerte
de jour
d’autonomie
Service
de santé
mentale
Milieu de vie
Soutien Psychosocial
Familles
Hôpital de jour semiintensif
Première ligne
Maison médicale
M.T.
SISD
S.S.M.
SPAD SPAD
Traitement intensif à
domicile
Postcure
Urgence
Crise
Traitement en
lien assertif
Hôpital
Hospi. Intensive Hospi. Aigüe
Hôpital de jour
Hébergements spécialisés
Annexe 2 : Les outils du CHS Notre Dame des Anges - Fonction III
Perte
d’autonomie
Psychopathologie stabilisée
Autonomie
satisfaisante
Hôpital de jour semiintensif
Capacité professionnelle
inenvisageable
CRF
Capacité professionnelle
envisageable
Offre
occupationnelle
Postcure
Annexe 3 : Les outils du CHS Notre Dame des Anges - Fonction I
Consultations
ambulatoires
Problématique
patient
Ateliers de
psychoéducation
Atelier bipolaire
Atelier
« Sésame »
110
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
PARENTS HÉSITANTS FACE AU “STIGMA”
COMMENT LES FAIRE VENIR ?
CTJE
Rue du Bugnon 23b CHUV
1011- LAUSANNE
SUISSE
[email protected]
Olga SIDIROPOULOU, Françoise BONOMI- LAGE, Véronique DELETROZ
Nous représentons le Centre Thérapeutique de Jour pour Enfants, une structure associant les soins
pédopsychiatriques à l’enseignement spécialisé. Le travail avec les parents occupe une place centrale dans notre orientation. Dans un contexte où les familles élaborent leur rapport au “spécialisé”
et donc affrontent une certaine crainte de stigmatisation, les attitudes thérapeutiques classiques contiennent le risque d’être interprétées en tant que forçage à la conformité ou à la normalisation, chose
qui renforce les contre-attitudes parentales.
Nous allons montrer que le “stigma”, signifiant d’une étiquette discriminante, est le reflet de projections parentales fondamentales rigides plutôt qu’une simple crainte dans le processus du “deuil de
l’enfant normal”. Le point de rencontre avec ces familles est souvent hors du cadre que nous nous
sommes créés, un cadre qui nous sert finalement plutôt de représentation, de lien commun au sein de
l’équipe. C’est dans l’après-coup que nous faisons le constat d’un lien qui se crée après une certaine
subversion du cadre dans les situations les plus compliquées. Cette souplesse du cadre, motivée par
la contingence de la rencontre, opère un déplacement des représentations des deux parties et permet
ainsi un lien thérapeutique libéré des idéaux contraignants.
Mots-clefs : projections parentales, cadre, spécialisé, stigmatisation, stigma, pédopsychiatrie
Hesitating parents in front of the “stigma”, how to make them come to us?
We represent the CTJE, a structure associating infant psychiatric care and special education. Working with the parents is essential to our orientation. In a context where they develop their notion of the
“special” and so are facing the fear of a certain stigmatization, the classic therapeutic attitudes contain the risk of being interpreted as forcing to conformity or normalization, which can strengthen the
parental counter - attitudes.
We will present that the “stigma”, signifier of a discriminative sign, is mostly a reflection of rigid
parental fundamental projections, rather than a simple fear within the process of mourning over the
“normal child”. The meeting point with these families is frequently placed out of the therapeutic
frame we have created, a frame which serves us finally rather as mutual representation of a bond
within the team. It’s only afterwards that we come to realize that the connection to the families grows
post a certain alteration of the therapeutic frame in the most complicated situations. This flexibility of
the therapeutic frame, induced by the coincidence of the encounter, operates a relocation of representations of both parties, resulting to a therapeutic relation free from binding ideals.
Key words: parental projections, therapeutic frame, special, stigmatization, stigma, infant psychiatry
INTRODUCTION
Nous représentons ici le CTJE, (le Centre
Thérapeutique de Jour pour Enfants), une
structure de type hôpital de jour, associant
les
soins
pédopsychiatriques
à
l’enseignement spécialisé. Nous proposons une prise en charge précoce et à
plein temps d’enfants âgés de 4 à 6 ans au
moment de leur admission, pour une durée de deux ans. L’objectif est la réintégration à l’école ordinaire ce qui implique
une certaine préservation des compétences intellectuelles. La population concernée du point de vue diagnostic s’inscrit
plutôt dans les troubles envahissants du
développement non spécifiques, y incluant donc des dysharmonies du développement avec des troubles instrumentaux et perceptifs souvent associés à
des troubles émotionnels et du comportement. Nous faisons partie du Service
Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et
de l’Adolescent (SUPEA) dans le Centre
Hospitalier Universitaire Vaudois à Lausanne. Les enfants bénéficient de théra-
pies individuelles et groupales, en psychomotricité, orthophonie, jeux dramatiques, activités de socialisation.
LE TRAVAIL AVEC LES PARENTS
Le travail avec les parents occupe une
place centrale dans notre orientation.
Nous tenons spécialement aux suivis de
familles et à l’accompagnement de
l’enfant par les parents au moins une fois
par semaine. Ils s’engagent à venir afin
d’avoir un contact informel mais régulier
avec l’équipe pédago-éducative, pour
procurer un sentiment de sécurité aux
jeunes enfants avec des angoisses de séparation.
Nous les rencontrons régulièrement pour
des entretiens de guidance parentale, un
groupe de parole ouvert est aussi mis en
place. Nos débriefings d’équipe réguliers
permettent la transmission des informations entre les enfants, l’équipe et les parents. Les synthèses bisannuelles des
enfants sont restituées aux parents par
l’équipe médico-psycho-sociale, les bi-
lans des différents spécialistes leur sont
resitués dans nos entretiens. En parallèle,
l’équipe pédago-éducative invite les parents officiellement 3 fois par année en
classe pour faire le bilan de l’évolution de
leur enfant sur le plan scolaire et éducatif.
Les contacts informels avec les parents
sont fréquents : lors des arrivées et des
départs des enfants, au travers de l’agenda
de l’élève, lors des fêtes qui rythment
l’année scolaire. Ces moments informels
sont souvent riches en informations, en
observations, en partage. Les éducateurs
et enseignants sont en effet souvent témoins des interactions parents-enfants
mais aussi le réceptacle des soucis, des
plaintes ou reproches des parents.
L’enfant lui-même, à son insu, livre beaucoup de son vécu familial en classe. Une
histoire, un dessin, une activité quelconque peut l’amener à parler de ce qu’il
vit à la maison.
Nous partageons donc tous la même préoccupation à les faire venir, les écouter,
nouer un lien, établir une relation de confiance, dans le but de leur permettre d’accepter le cadre de nos
consultations, d’investir la structure. Nous
espérons ainsi partager le même discours
sur la problématique de leur enfant. Notre
souhait est de parvenir à médiatiser la
relation parents-enfant, l’alléger des exigences démesurées, de sa charge fantasmatique éventuelle, de sorte que chaque
individu dans la famille retrouve sa place
dans les générations, dans le partage émotionnel. Nous serons porte-parole de
l’enfant quand il formule une demande d’aide,
nous
soutiendrons
l’autorité parentale quand elle peine à
s’établir. Nous sommes conscients du fait
que le pronostic d’une prise en charge
d’un enfant dépend souvent de la collaboration et du lien de confiance que nous
avons pu construire avec les parents.
Or, ceux-ci sont en position difficile avec
à priori un premier transfert négatif, ils
doivent traverser le deuil de l’enfant dit
“normal” après l’annonce du besoin de
l’enseignement “spécialisé”, notre structure accueillant des enfants jeunes en
première intégration scolaire. Etant ceux
qui acceptent et confirment ce diagnostic,
qui annoncent une prise en charge intensive et multidisciplinaire de leur enfant,
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
111
Le travail avec les familles en hôpital de jour
nous faisons écran à des projections parentales diverses allant jusqu’à leur
propre enfance et leurs vécus autour de la
pédagogie et l’éducation, impliquant des
sentiments d’échec et des réactions négatives.
Comme le souligne d’ailleurs Carel lors
du congrès du CPGF (Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale) en octobre
2011, reprenant Racamier, « l’institution
suffisamment bonne équivaut une institution créative en dépit des et grâce aux
multiples turbulences générées par sa
tâche primaire, c’est-à-dire soigner des
patients difficiles et leurs familles ».
Notre expérience a montré que la solution
dans cette relation difficile à contourner, ne vient pas au travers de maniements simples de transmission de savoir,
d’empathie ou de soutien, auxquels les
parents s’attendent et qui correspondent à
leurs représentations de la pédagogie et de
la psychiatrie classiques. Dans un contexte où ils élaborent leur rapport au
“spécialisé”, les attitudes classiques contiennent le risque d’être interprétées en
tant que forçage à la conformité ou à la
normalisation, chose qui renforce les
contre-attitudes parentales.
Nous allons montrer au travers de vignettes cliniques que nos entretiens avec
les parents se font pratiquement dans des
settings individualisés au cas par cas,
notre analyse des situations portant surtout sur deux axes : les projections parentales rigides témoignant d’une parentalité
compliquée et les aménagements du cadre
qui ont été alors nécessaires dans chaque
suivi familial. Le point de rencontre avec
les parents dans chacune des situations
s’est avéré être hors du cadre que nous
nous sommes créés, un cadre qui nous
sert finalement plutôt de représentation de
lien commun au sein de l’équipe alors
qu’avec les familles, c’est l’enfant et ses
parents qui nous montrent le type de lien
possible. C’est donc dans l’après-coup
que nous faisons le constat d’un lien qui
se crée après une certaine subversion du
cadre dans les situations les plus compliquées. Cette souplesse du cadre, motivée
par la contingence de la rencontre, opère
un déplacement des représentations des
deux parties et permet ainsi un lien thérapeutique libéré des idéaux contraignants.
PREMIÈRE VIGNETTE CLINIQUE :
ANTOINE, 7 ANS ET DEMI
Motif de la prise en charge
Quand nous accueillons Antoine, il a cinq
ans et demi. Il nous a été adressé par une
consultation ambulatoire, consultation
motivée en raison d’un refus alimentaire
concernant la nourriture solide. La famille
avait interrompu ce suivi après quelques
112
consultations pour faire retour quelques
mois plus tard où la mère acceptait de
parler des difficultés de son fils : Antoine
aurait été souvent dans son monde, il aurait un comportement agité et aurait voulu
tout commander. En groupe il aurait été
peu en contact avec les enfants, il se retirerait dans son monde ou provoquerait la
bagarre.
Eléments anamnestiques
Antoine est le fils unique du couple. Les
parents
se connaissent
depuis
l’adolescence. Ils ont essayé pendant plusieurs années d’avoir un bébé sans résultat si bien que Madame a su qu’elle était
enceinte à trois mois de grossesse. Le
couple s’est séparé quand l’enfant avait 4
ans, l’autorité et la garde sont partagées.
La mère se présente comme quelqu’un de
fragile, sensible et souvent au bord des
larmes, probablement déprimée. Elle est
toujours très affectée par les difficultés de
nourriture de son fils, elle a l’impression
d’avoir tout essayé sans résultat, ce qui la
renvoie probablement à son incapacité
d’être “une bonne mère”. Elle semble
avoir peu de soutien et peu d’entourage
proche à qui elle pourrait se confier, par
ailleurs elle n’a pas de famille en SUISSE
et sa belle-famille refuse de la voir depuis
la séparation. Son fonctionnement est
masochique dans la relation à l’autre ce
qu’elle perçoit, elle peut dire que déjà
enfant sa mère lui faisait remarquer
qu’elle était trop gentille.
Le père est très défendu dans la relation,
attentif à ses mots, préfère banaliser la
situation familiale et les difficultés de son
fils. Il décrit son fils comme intelligent,
têtu, malin et capricieux. Les parents parlent d’un désaccord important quant à
l’éducation de leur enfant. Après la naissance d’Antoine, les difficultés se sont
succédées : problèmes financiers, problèmes professionnels du père, soucis de
santé pour les deux parents, crises de panique pour la mère, troubles de l’humeur
pour le père. Les parents ont évoqué la
naissance de leur fils et la petite enfance
où selon eux tout allait bien. Antoine
avait une certaine avidité pour la nourriture jusqu’à ses deux ans. A cette période,
Antoine est confié à une nounou car Madame reprend le travail. C’est toujours cet
épisode de séparation partagé par les parents qui explique pour eux les difficultés
alimentaires.
Lorsque nous faisons connaissance, au vu
des relations difficiles entre les parents,
nous proposons la prise en charge familiale suivante : la mère sera reçue par la
psychologue une fois par mois, le père par
la pédopsychiatre et, environ tous les 3
mois, la pédopsychiatre et l’assistante
sociale recevront les parents et Antoine.
Observations de l’enfant au centre
A son arrivée, Antoine est un enfant souriant, de bonne humeur. Il se montre motivé et intéressé pour l’apprentissage de la
lecture mais ne peut travailler seul. Son
comportement avec les autres enfants
reste problématique. Il cherche souvent à
s’isoler, se barricader avec les paravents
de manière rigide et obsessionnelle, si un
enfant intruse son espace, il s’effondre.
Régulièrement, il se met à crier et quitte
la classe. Ses colères sont toujours disproportionnées par rapport à l’événement
selon les enseignants. Au dîner, Antoine
ne mange rien à part une biscotte ou des
biscuits au fromage, il ne veut boire que
de l’eau gazeuse dans un gobelet jetable.
Le lavage des dents est un moment très
compliqué pour lui, il pose des serviettes
en papier pour éviter de toucher directement les objets.
SUIVI DE FAMILLE ET
AMÉNAGEMENTS DU CADRE
Le trouble alimentaire est au cœur de la
problématique psychique d’Antoine.
Nous sommes frappés par la résistance
d’Antoine dans la persistance de son refus
alimentaire. Habituellement, lorsque nous
rencontrons un enfant avec des troubles
alimentaires importants, nous aménageons le moment repas, observons ce qui
peut le mieux convenir à l’enfant, rester
en groupe ou prendre le repas seul avec
un professionnel ou participer à l’atelier
cuisine. Nous allons proposer à la mère
d’Antoine de venir manger dans notre
structure. Ainsi, régulièrement Antoine et
sa mère prennent le repas avec la psychologue qui assure le suivi de la mère. Lors
des repas pris dans la structure, la psychologue observe la mise en scène d’Antoine
autour du repas où il montre des angoisses d’empoisonnement, ainsi que la
notion “d’antidotes” nécessaires pour le
soulager (il évoque différentes sauces et
substances). Antoine semble dégoûté par
la nourriture, il n’aime pas le goût, il a
mal au ventre quand il mange. Cependant,
il peut également instaurer un jeu, il sert
sa mère et la psychologue, prend du plaisir à donner à manger et la mère prend du
plaisir à être nourri par son fils et par
l’institution. Nous avons constaté chez
Madame une détente, un soulagement de
partager dans la réalité, la problématique
de son fils.
Quelques interventions sont rendues possibles avec la mère car elle vient régulièrement chercher son fils afin de l’accompagner à sa thérapie. Elle arrive souvent
avec des demandes de changements
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Parents hésitants face au “STIGMA”, comment les faire venir ?
d’horaires dans un contexte de conflit
sous-jacent avec le père où chacun revendique plus de temps avec son enfant, arrivant au point où ils préfèrent garder
l’enfant chez eux avec une assistante maternelle que de le rendre à l’autre parent.
Antoine se trouve souvent perdu et désorienté sans savoir où il rentre ou qui le
récupérera à la sortie. Cela nous a amené
à convoquer les deux parents afin de régler les problèmes de garde et à nous retrouver tels des avocats ou des juges à
prendre le calendrier pour déterminer les
jours de garde de la semaine, ou les vacances d’Antoine. De même nous avons
dû intervenir car Antoine avait trois babysitters différentes qui intervenaient auprès
de lui.
Evolution enfant et famille
En ce qui concerne Antoine nous observons une certaine évolution au niveau de
ses défenses rigides. Il fait des progrès
scolaires. L’autre existe plus dans la relation. Il peut se montrer adéquat dans la
relation quoique la dimension phobique et
l’évitement soient toujours perceptibles.
Au niveau des repas, Antoine mange toujours peu. Cependant, il prend plaisir à
l’atelier cuisine auquel il participe depuis
plusieurs mois. Il semble moins dégoûté.
Avec ses pairs, les relations sont toujours
compliquées. Pour les parents, en ce qui
concerne la garde d’Antoine, cela se
passe mieux entre eux, ils arrivent à se
parler, demander à l’autre de l’aide. Ils
reconnaissent les difficultés de leur fils et
se disent d’accord pour essayer une médication. Une relation de confiance a pu se
mettre en place petit à petit.
DEUXIÈME VIGNETTE CLINIQUE :
WILLY, 6 ANS ET DEMI
Motif de la prise en charge
Willy avait cinq ans et demi à son admission au CTJE. Il nous a été adressé par
une pédopsychiatre. Willy lui avait été
adressé pour une évaluation dans le contexte de crises de colères fréquentes et
violentes. La garderie qu’il fréquentait
bénéficiait d’une mesure de soutien éducatif supplémentaire pour lui ; cependant
elle a mis un terme à sa prise en charge 3
mois avant la rentrée scolaire compte tenu
de son comportement.
Eléments anamnestiques
La mère est Suissesse et a été élevée dans
un milieu traditionnel : sa mère était au
foyer et s’occupait de ses trois filles, son
père est décrit comme colérique, nerveux,
taciturne , elle présente ses parents
comme déprimés , sa grand-mère paternelle était alcoolique, un de ses oncles
maternels s’est suicidé. Elle nous raconte
avoir été toxicomane pendant 10 ans alors
qu’elle n’a jamais arrêté de travailler. Elle
qualifie sa toxicomanie de “toxicomanie
sociale”, et pense aujourd’hui que c’était
une automédication. Elle a suivi un traitement à la méthadone dont le sevrage a
été pour elle difficile, elle parle d’une
période de deuil.
Le père est camerounais, il a été élevé
chez sa grand-mère dans un milieu carencé et autoritaire. Willy est allé une fois au
Cameroun à l’âge d’un an, il a beaucoup
pleuré, refusait d’être pris dans les bras
par les membres de la famille du père.
Lors des premiers entretiens, la mère nous
dit que son fils serait « né en colère ».
Selon elle, nourrisson, Willy présentait
des crises, il restait hypertendu dans les
bras, par la suite Willy se mettait en colère dès qu’il n’arrivait pas à faire
quelque chose. Il a commencé à marcher
à 16 mois ; avant, il aurait refusé selon les
parents. A la maison, Willy se calmait
avec sa lolette qu’il garde toujours au
coucher. Les parents ont remarqué que
lorsqu’ils sont tous les trois ensemble
c’est compliqué, Willy et son père sont en
conflit, alors que cela va bien si Willy est
seul avec son père. Le père dit s’être occupé beaucoup de Willy lorsqu’il était
bébé, moins depuis que Willy est plus
autonome.
Observations de l’enfant au centre
A son arrivée, Willy fait des crises de
colère violentes, il s’agrippe à l’autre,
l’attaque dans l’impossibilité de lâcher sa
prise. Il lui arrive de crier le contraire de
ce qui se passe dans la réalité, par
exemple « ouvre-moi » alors qu’il
s’enferme dans une pièce en bloquant la
porte. Il semble se retrouver dans une
impasse dans ces moments-là, en lien
avec des angoisses de séparation majeures. Cette même attitude est observée
lors de la séparation d’avec sa mère où il
ne la lâche pas ; dans ces moments la
mère se montre ambivalente, se laisse
tenir, ne prend pas sur elle pour aider leur
séparation. Quand il s’apaise, il est capable d’élaborer un récit, de s’expliquer
ou de s’excuser en s’appuyant sur
l’adulte. Par ailleurs, il est souvent persécuté par les autres enfants, il se sent facilement visé, attaqué.
Suivi de famille et aménagements du
cadre
Le début du travail avec la famille a été
rude. En effet, la famille était en crise, le
père menaçait de partir de la maison. Il
reprochait à la mère de céder à Willy facilement. Au Cameroun, les enfants respecteraient les aînés qu’ils soient de la
famille ou non. Il ne comprend pas pour-
quoi son fils est comme cela. Lors de cet
entretien particulièrement difficile, Willy
tient tête à son père alors que celui-ci
menace de le frapper et finit par l’attraper
et le secouer. Le père prédit que soit lui,
soit Willy va se retrouver en prison. La
mère a l’air embarrassé mais n’intervient
pas. Willy est en pleine crise, il sort du
bureau avec sa mère pour se calmer alors
que le père reste dans le bureau avec la
pédopsychiatre. Nous assistons à une
scène familiale comme ils ont pu nous en
décrire à la maison : le père résiste à son
premier mouvement de partir, de s’enfuir,
de laisser Willy et son épouse. Il dit s’être
senti soutenu. Cet entretien de crise a
permis l’instauration d’un lien de confiance entre les parents et nous.
Un autre jour Willy est en pleine crise
dans sa classe suite à une frustration survenant à l’heure du départ, il crie,
pleure et tape de manière diffuse. Il refuse
de quitter la classe, griffe les intervenants,
déchire le pull d’une collègue. Il crie
« lâche-moi » tout en s’agrippant. Nous
appelons la mère qui se retrouve en
classe, témoin de cette scène en présence
des collègues. Elle semble pourtant détachée de la scène, impuissante à intervenir.
Toutefois, sa présence calme finalement
Willy et permet peut-être une réparation
du clivage des espaces entre la maison et
l’école. Cette colère, cette confrontation
reste quand même un lien présent pour
l’enfant et nous pouvons partager ce
moment avec sa mère. Elle dit de son fils
qu’il veut le pouvoir, veut commander
tout le monde. Elle nous apprend alors
que lors de crises importantes de Willy à
la maison, le père préfère partir dans sa
chambre et passer toute la soirée seul,
écoutant de la musique puis s’endort et ne
réapparaît que le lendemain matin. Il
laisse donc toute la place à Willy qui est
ainsi l’homme de la maison, l’homme de
sa mère comme l’enfant lui-même peut
dire.
La mère de Willy travaille en face du
CTJE et prend ses poses cigarettes près de
notre portail. Nous lui avons demandé si
elle entendait son fils depuis son bureau
car lorsque Willy se met à hurler il agite
tout le quartier. Elle répond en présence
de Willy qu’elle ne peut pas l’entendre
car son bureau serait à l’arrière du bâtiment, d’une manière qui nous paraît
étrange, nous avions d’ailleurs fait
l’expérience de l’entendre depuis l’hôpital
qui est beaucoup plus loin. Nous avons
ainsi sélectivement répété l’expérience de
faire venir cette mère pendant certaines
crises où Willy n’arrivait pas à se reprendre, afin de la faire agir, réagir, ou
bien la rendre présente dans la réalité de
cette colère qu’elle autorise dans son discours adressé à l’enfant.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
113
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Evolution enfant et famille
Après plusieurs mois de prise en charge,
Willy s’est montré capable d’une certaine
verbalisation. Les crises, les cris, les
pleurs, les coups ont globalement diminué. Il peut accepter les excuses des
autres enfants, voire même s’excuser,
chose que nous encourageons par ailleurs
sans l’imposer, dans un but d’offrir une
voie de sortie par la réparation et calmer
ainsi les angoisses de persécution. Toutefois, la difficulté de séparation d’avec la
mère, les transitions dans la vie quotidienne et le manque d’autonomie persistent. Depuis la rentrée scolaire, Willy est
souvent convaincu qu’il est attaqué, insulté par les autres. Nous prenons du temps
pour régler ce qui s’est passé avec les
autres enfants.
Lors du dernier entretien de famille, une
année donc après notre première rencontre, la mère nous annonce en partant
qu’elle a pensé mettre son fils en internat
l’année prochaine. Nous sommes sidérées
par cette annonce hors du moment que
nous venons de passer ensemble. Ce projet n’a jamais été évoqué dans nos entretiens. Nous constatons la labilité de la
mère, sa facilité surprenante à parler de
l’éloignement de son fils alors que la difficulté de séparation est toujours là. Il
s’agit probablement d’un recours aux
extrêmes pour arriver à se séparer. Malgré
cela, ils repartent tous trois assez tranquillement nous laissant avec nos questions.
TROISIÈME VIGNETTE
CLINIQUE : DAVID, 7 ANS ET
DEMI
Motif de la prise en charge
Les parents ont consulté en ambulatoire
forcés par la situation catastrophique à
l’école, après deux tentatives de suivis
déjà interrompues, où ils dénonçaient
l’incompétence des différents psychiatres
et psychologues de l’enfance. David arrive donc à l’âge de cinq ans et demi avec
des difficultés comportementales et relationnelles majeures. Dès la rentrée scolaire, nous relevons chez David des
difficultés sociales se manifestant par un
manque d’appétence et une maladresse
dans les relations aux pairs, auxquelles
s’ajoutent des conflits avec des gestes
agressifs envers les autres. Il est aussi
noté un manque de partage des intérêts
des enfants de son âge, dû aux intérêts à
la fois poussés et restreints. Les parents le
décrivent comme très actif mais aussi
opposant, voire provocateur. Ils évoquent
aussi le décalage entre certaines de ses
performances cognitives et le développement affectif pressenti.
114
Eléments anamnestiques
David est le fils unique du couple parental. Les parents sont en couple depuis sept
ans. Les grands-parents maternels sont
décédés avant la naissance de David. Les
grands-parents paternels s’investissent
auprès de leur petit-fils. Le papa de David
relate des épisodes de troubles psychiques
chez sa mère.
Observations de l’enfant au centre
David est un enfant qui a surinvesti le
langage, un langage précoce avec une
acquisition de la lecture à 4 ans, il serait
« autodidacte » selon ses parents. Trouvant donc appui sur son langage adultomorphe, il recherche plus la discussion
avec l’adulte que le jeu avec d’autres enfants. Cette relation à l’adulte semble
compenser un défaut majeur de socialisation avec ses pairs, qu’il invite dans le
contact par des agressions en répétition. Il
nous teste en permanence par des mouvements brusques de destruction pour
savoir jusqu’où nous allons tenir mais
surtout à quel moment nous allons
l’abandonner, le rejeter… Il est très cru
dans ses propos, met peu d’affects. Il
aime nous dire qu’il a envie de tuer les
pigeons en les écrasant avec son pied,
qu’il aimerait aussi étrangler les chats ou,
parfois, il nous menace de nous tuer. Du
point de vue de sa scolarité, il n’y a aucune difficulté particulière, David a même
de l’avance sur son âge si ce n’est au niveau du graphisme et de la motricité fine.
Lors du bilan psychologique, une intelligence supérieure à la norme est mise en
évidence. Cependant, lors du bilan projectif, des angoisses archaïques sur les thématiques du lien et de l’affection sont
apparues au premier plan.
La pédopsychiatre reçoit David en entretien individuel hebdomadaire dès le début
de la prise en charge. D’emblée, il a montré une difficulté à développer le jeu symbolique s’associant à un langage surinvesti, parfois fonctionnel et plaqué avec le
plaisir de prononcer des mots compliqués.
Au fur et à mesure de son suivi et conjointement avec une psychothérapie mise
en place en privé, David développe un jeu
symbolique répétitif et fragmenté: « un
enfant tue sa mère ou une mère tue son
enfant, en boucle, histoire sans fin ».
Cette scène s’enrichit au fil du temps: le
père ou d’autres enfants s’y introduisent
pour se battre avec leurs épées ou à l’aide
de robots. Le bébé robot fait du bruit en
pleurant mais sa mère peut descendre le
volume avec un bouton. Quand elle lui
demande de donner une fin à son histoire,
David répond que toute la famille tombe
dans un trou noir. Dans sa vie au centre,
David présente des particularités transi-
toires, nous dirions des tentatives
d’organisation autour d’un objet phobique
ou obsessionnel qui échouent : il a donc
présenté par périodes le dégoût pour la
nourriture, allant de la sélectivité alimentaire au manque d’appétit pour revenir à
ses habitudes ultérieures, passant au dégoût des pieds (de l’objet réel jusqu’au
mot “pied”) puis, à un dégoût pour son
prénom, préfère des noms proposés par
les autres enfants.
Suivi de famille et aménagements du
cadre
Le lien thérapeutique avec les parents
tient grâce à des interventions de soutien
alors qu’une grande fragilité ou des
contre-attitudes apparaissent quand nous
relatons nos observations sur les troubles
de David.
Quand la mère nous explique sa manière
de se fâcher contre lui en égalité où
l’agressivité et la rivalité sont mises un
jeu sans refoulement, des troubles de
l’attachement dans la relation nous sont
tout aussi évidents dans le verbal que
dans le non-verbal. Le père semble avoir
plus de mouvements d’identification à
son enfant mais ses troubles psychiatriques personnels d’allure narcissique
avec anxiété et déprime font obstacle,
notamment, concernant la pose des limites. Les parents ont un sentiment
d’exclusion par rapport à leur enfant depuis longtemps. Madame s’effondre en
larmes et nous livre ses projections : « je
me dis souvent que j’élève un tueur en
série ». La relation de confiance est toujours délicate avec les parents de David.
Ils peuvent facilement nous suspecter de
contrôle, nous rejeter, annuler les rencontres médico-psy, se tenir à distance à
la sortie de l’école. Durant une longue
période, le suivi de famille s’est fait sur le
pas de porte. C’est alors l’équipe pédagoéducative qui a maintenu le lien, profitant
de ces moments pour leur faire des transmissions, alors que la mère avait l’air
intéressée et cherchait le contact.
Quand le couple est revenu finalement
aux entretiens médico-psy, la mère nous
transmet sa fragilité et menace de passage
à l’acte où d’effondrement si elle continue
à apprendre les actes agressifs du quotidien de son fils. Elle communique alors
clairement l’insupportable de la réalité de
son fils. Le père propose donc de prendre
le relais auprès de son épouse et d’un
accord commun se décide que toute
transmission se fera désormais seulement
au père, alors que son épouse en sera
épargnée, il n’y aura pas de transmission
sur la situation du fils formelle ou informelle jusqu’à ce qu’elle nous en fasse la
demande. Le pas-de-porte avec elle qui
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Parents hésitants face au “STIGMA”, comment les faire venir ?
continue à venir le chercher devient ainsi
un moment embarrassant. Nous devons
nous retenir de lui donner des informations dans le respect de ce qui a été discuté. Quand le père vient chercher son fils,
il se prête à écouter mais, il a souvent l’air
alcoolisé. Un jour, il ne vient d’ailleurs
pas chercher son fils créant l’inquiétude
de tous. Il nous apprendra par la suite
qu’il était resté endormi dans son bain.
Le père fait donc un certain effort pendant
quelques semaines, se rendant disponible
au téléphone, imposant les limites à son
fils à la maison selon ses dires. Néanmoins, il succombe à la charge à la fois de
la responsabilité parentale, de son sentiment d’être dénigré sur son lieu de travail,
du deuil d’un ami d’enfance et sa santé
psychique se fragilise rapidement. Il démissionne,
demande
l’assuranceinvalidité et consulte un psychiatre que la
pédopsychiatre du centre lui a suggéré.
Une hospitalisation s’organise pour lui,
chose que David nous apprend dans la
classe le jour même.
Le père ne s’est dit pas prêt pour un entretien de famille après sa sortie de l’hôpital.
Se déroule donc devant nos yeux la situation inverse : la mère revient vers nous de
bonne humeur, souriante et intéressée, le
pas-de-porte reprend avec elle alors que le
père reste dans la voiture et nous évite du
regard. Il est arrivé que nous allions
jusqu’à la voiture pour le saluer afin de
maintenir un lien sans non plus le persécuter. En réflexion d’équipe, nous relatons que dans ce couple il y a toujours un
parent qui tient quand l’autre s’effondre et
que faisant appel aux deux, les incitant à
partager l’autorité parentale au sens fonctionnel du terme, nous les menions à une
impasse, à des agissements.
Evolution enfant et famille
D’une manière globale, David est maintenant très a”dapté au cadre du centre et
contrôle mieux son excitation. Il reçoit un
neuroleptique depuis une année avec une
nette diminution de l’agressivité et de
l’impulsivité. Dans son jeu, il introduit
des tentatives de réparation, l’enfant peut
devenir ainsi sauveur de sa famille (au
travers de pouvoirs magiques) ou d’aider
sa mère à accoucher d’un autre enfant. Il
reste difficile pour David de verbaliser les
émotions des personnages, de jouer un
dialogue entre les membres de la famille,
de faire des liens, de nuancer. Dans la
classe, David peut mieux entrer dans les
activités scolaires, il accepte de laisser
des traces, ne sabote plus son travail.
Le père a récupéré de son état dépressif
quand il a été admis en hôpital de jour,
tout comme son fils dirions-nous. Ils ont
pu accepter une médication de neurolep-
tique pour David grâce au nouveau lien
de confiance qui a pu se construire. Ils
participent à nouveau aux entretiens de
guidance parentale, disent qu’ils se sentent enfin au calme après une année compliquée. Toutefois, ils demandent à
l’équipe médico-psy d’espacer les
séances. Quand nous nous retrouvons
actuellement sur le pas-de-porte, ils semblent contents presque étonnés de voir
que ce n’est plus David qui met l’équipe
en difficulté dans les transitions.
CONCLUSION
Dans les trois situations présentées, ce
que nous appelons le deuil de
l’enseignement “normal”, étape souvent
traumatisante et attendue au début d’une
prise en charge institutionnelle, semble
manquer, ou bien a été vite recouverte par
autre chose. En effet, nous n’avons pas
développé ici les hésitations de parents
quant à l’institution, ni le discours sur
cette stigmatisation sociale présumée qui
sont par ailleurs des éléments toujours
présents lors de nos entretiens préliminaires à l’admission. Néanmoins, nous
avons été vite amenés au-delà de cette
frustration première, à être d’emblée confrontés aux projections parentales rigides.
Nous nous sommes donc interrogés sur ce
qui peut se cacher derrière la notion de la
stigmatisation, notion originaire du mot
latin “stigma”, signifiant la marque. Nous
avons trouvé intéressant que, dans les
associations parentales, ce qui émerge
déjà dans les premiers entretiens sera ce
qui fait “stigma” pour eux chez leur enfant, ce qui fait tâche pour la famille, ce
qui se présente mêlé à la symptomatologie de leur enfant et motive inconsciemment leur parentalité.
Ainsi, dans la situation d’Antoine nous
sommes confrontés à la projection principale d’un enfant qui aurait été avide par le
passé devenu l’enfant qui ne mange rien,
qui angoisse sa mère et la soumet à une
interrogation constante sur ses capacités
maternelles. Une parentalité de type masochique selon les travaux de Palacio
Espasa sur la place de la parentalité dans
les processus d’organisation et la désorganisation psychique chez l’enfant, que
nous serions appelés d’assouplir et de
renforcer au niveau de l’autorité parentale
alors que, par rapport à la place de
l’enfant parmi ce couple parental séparé
et en conflit, il faudrait le dégager de la
position d’objet des revendications. Dans
les aménagements du cadre, nous avons
donc permis une transgression de la frontière de la structure par le parent, en invitant la mère à déjeuner chez nous,
partager un repas avec son enfant et la
thérapeute. L’enfant dépasse en partie son
dégoût et prend acte pour donner à manger à sa mère dans ces moments, mettant
en scène le deuxième temps dans le circuit de la pulsion comme l’a décrit Freud,
dans son œuvre « Pulsions et destins des
pulsions » où la pulsion se renverse de la
passivité en activité. Est-ce finalement la
mère et non pas l’enfant qui a besoin
d’être nourrie ? Est-ce que nous allons
arriver à fermer la boucle et qu’Antoine
accepte de se faire nourrir ? Cela reste à
suivre.
Si nous reprenons la situation de Willy de
la même manière, il s’agit de l’enfant dit
« né en colère », raisonnant avec un père
souvent envahi par sa propre colère et une
mère se présentant plutôt détachée, avec
une expressivité émotionnelle très limitée,
voire ce qui se caractérise comme un
émoussement affectif en psychiatrie.
Cette mère dit souvent à son fils dans nos
entretiens : « t’as le droit d’être en colère,
tout le monde peut être en colère », par
contre, il n’y a apparemment pas de recette pour l’après, quand cette colère envahit l’enfant et prend sa place dans le
réel. Nous nous sommes demandé comment nous pourrions faire en sorte que
cette mère rencontre son enfant dans ce
réel, qu’un déplacement puisse se faire,
qu’elle puisse se mobiliser et prendre
acte. C’est ainsi que nous décidons de
faire appel lors d’une crise et de la faire
venir dans la classe pour qu’elle fasse le
constat de la scène et qu’elle puisse prendre appui sur nous pour essayer de la gérer.
Du côté du père, il a été clair dès le début
qu’il s’agissait d’une position assumée de
père exclu de la dyade mère-enfant, position fantasmatique prise contre l’enfant en
tant que son rival. Dans une incapacité de
verbaliser la colère, ce père s’isolait en
chambre pour mettre la famille à l’abri de
sa violence. Dans l’entretien où la mère et
l’enfant sont obligés de quitter mon bureau à cause de son excès de colère et que
ma collègue les accompagne, je reste à
côté de lui. Il est immuable, le visage
grimaçant, le regard fixé là où l’enfant
s’était assis avant. Je lui fais remarquer
qu’il adresse un regard de haine à son
enfant qui me surprend beaucoup et qui
semble l’obséder. Il a réagi par une véritable prise de conscience et un soulagement, faisant le lien avec son enfance lors
de la séance suivante. Le plus important
pour nous dans ces aménagements du
cadre c’est l’espace qui est offert à
chaque parent de manière spontanée, sur
le seuil du bureau, l’entrée de la classe
etc., les introduisant dans l’institution
pour offrir à chacun quelque chose de
l’ordre du contenant, avec l’objectif de
remettre l’enfant réel au centre de la famille.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
115
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Dans la troisième situation, celle de David, la projection de l’enfant agresseur a
été la projection centrale, il n’est pas du
tout banal d’entendre une mère comparer
son enfant à un tueur en série. Cette parentalité que nous qualifierions de narcissique, demande un travail délicat, une
certaine acceptation des actings des parents alors que le lien thérapeutique peut
basculer du positif au négatif très facilement.
De
la
même
manière,
l’investissement inconscient de l’enfant
par les parents peut être massif et destructeur. Au niveau des aménagements du
cadre, nous mettons cette situation à
l’opposé des deux autres où il s’agissait
de faire venir les parents dans les lieux de
collectivité, car le cadre ici s’est subverti
à travers le besoin parental important
d’une mise à distance. Le contrat de collaboration avec les parents tombe après
que les parents l’ont attaqué avec menaces d’effondrement et de passage à
l’acte. Ils n’ont tenu qu’un lien indifférencié avec l’institution utilisant en alternance l’espace médico-psy ou le rapport à
l’équipe pédago-éducative, alors qu’au
sein du couple, ils s’échangeaient le rôle
de l’interlocuteur de l’institution. Cependant, nous avons créé un espace de refus
possible, comme le souligne Carel dans
116
l’ouvrage « Le générationnel » où il propose des indications aux thérapeutes de
famille, tout en rajoutant que cela ne peut
se produire si le thérapeute ne s’autorise
un tel espace pour lui-même. Dans notre
situation, c’est l’équipe pédago-éducative
qui a dû finalement refuser en quelque
sorte la transmission quotidienne à la
mère afin de la protéger et de rester en
cohésion avec ce qu’elle apportait dans
les entretiens médico-psy. Nous pensons
que ces aménagements de cadre, ainsi que
l’investissement important de l’enfant à la
structure, ont permis aux parents de maintenir dans leur couple une assise narcissique suffisante pour continuer à
fonctionner avec les hauts et les bas sans
se séparer et sans passer à l’acte comme
ils l’ont souvent sous-entendu.
Dans tous les cas, c’est à partir de la demande amenée par les parents que nous
allons reconstruire le cadre, demande liée
à l’angoisse qu’ils peuvent vivre. Les
parents pensent souvent que cette angoisse est provoquée par le comportement
de l’enfant. Dans l’expérience clinique du
suivi des familles, nous constatons que
cette angoisse relève de la position idéale
infantile parentale, position qui renvoie
chacun des parents à sa propre castration.
Dans notre cas, en tant qu’institution as-
sociée à l’éducation, la fonction symbolique du savoir et de la loi sociale se mélangent avec l’aspect thérapeutique et se
révèlent être un facteur de stress tant chez
les enfants que chez leurs parents. Notre
présence active dans le lien thérapeutique
ainsi que la souplesse dans les aménagements du cadre ont été nos outils qui ont
permis d’alléger l’institution de son poids
symbolique, pour rendre possible la relation thérapeutique avec les familles.
BIBLIOGRAPHIE
1. EIGNER A., CAREL A., ANDREFUSTIER F., AUBERTEL F., CICCONE
A., KAËS R., Le générationnel, Dunod, Paris, 1997, pp.86-89
2. CAREL A., Dynamique et Souffrances Institutionnelles, 15-16 octobre 2011, intervention
lors du congrès du CPGF, www.cpgf.fr
3. FREUD S., Pulsions et destins des pulsions,
Paris, Presses Universitaires de FRANCE,
1915-1968, pp.28-29
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Paris, Hachette stigma, 1934
5. PALACIO ESPASA F., La place de la parentalité dans les processus d’organisation et
la désorganisation psychique chez l’enfant,
Psychologie clinique et projective n° 6, Toulouse, Erès, 2000, pp.15-29
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
PLACE DE LA FAMILLE D’UNE PERSONNE
ÂGÉE DANS LA PRISE EN SOINS
UN ÉQUILIBRE PARFOIS DIFFICILE ENTRE
LA DEMANDE DU PATIENT, SES BESOINS ET
CEUX DE LA FAMILLE
Unité Thérapeutique de Jour
Centre de Compétences en Psychiatrie et
Psychothérapie
Rue de l’Hôpital 14
1920 MARTIGNY
SUISSE
[email protected]
Isis VAN DE MAELE, Dr Anne LOTT
Nous avons la chance d’avoir en soins des personnes âgées qui ont généralement un entourage familial bien présent, qui les connait de longue date, souvent très impliqué auprès de leur proche souffrant. Cet entourage familial souffre souvent lui-même de la situation. Il est inquiet, parfois démuni,
voire épuisé, lui-même porteur d’une demande pas si rarement différente de celle du patient. Toutefois, cet entourage, représente également des ressources importantes et précieuses. Dans une prise en
soin complexe en hôpital de jour, le travail d’alliance ne s’arrête ainsi pas au patient, mais implique,
à un autre niveau, l’accompagnement, l’écoute, la collaboration et l’ajustement à la famille.
Chaque membre de la famille a sa propre perception de la situation de son proche et doit co-évoluer
avec le patient, mais à son propre rythme. Une vignette clinique illustre notre travail d’alliance avec
le patient âgé, mais aussi l’importance de l’intégration de l’entourage dans ce travail d’alliance et
dans le projet thérapeutique qui sera progressivement élaboré et mis en place. Plusieurs facteurs
interviennent dans le travail d’alliance avec un patient, notamment l’accord entre ce dernier et les
soignants quant aux objectifs de la prise en soins à l’hôpital de jour.
Mots-clefs : Alliance thérapeutique, famille, personne âgée
What is the role of a family of an elderly patient in a therapeutic day hospital? A balance is often
difficult to find between the request and needs of the patient and the one of the family
It’s a great luck to be able to care for elderly patients when surrounded by a devoted family, who has
a long term relationship with him/her and is committed to supporting the patient in their suffering.
The members of those families often suffer themselves in this situation they are worried, often time at
a loss, even exhausted, with demands not so different from the ones of the patient. And at the same
time, they are important and precious resources. In a complex treatment in a Day Hospital, the work
necessary to create a therapeutic alliance doesn’t limit itself at the patient but involves at different
levels, the support, the listening, the collaboration and the adjustment to the family.
Each members of the family has a different perception of the situation and need to co evolve with the
patient at their own rhythm. This clinical vignette demonstrates how we approach the therapeutic
alliance with an elderly patient, as well as the importance of integrating the surrounding family in
this work of alliance and in the therapeutic project create and implemented progressively. Different
factors are included in supporting the alliance with a patient, specifically the agreement between the
patient and the caregivers on the objectives of the treatment in the Unit.
Keywords: Therapeutic alliance, Family, Elderly
INTRODUCTION
Parmi les valeurs énoncées dans le concept d’établissement du Département de
Psychiatrie et Psychothérapie (DPP) de
l’Hôpital du Valais, un accent particulier
est mis sur la qualité des liens interpersonnels entre soignants et soignés, notamment l’instauration de l’alliance
thérapeutique. Y est également mentionnée « la reconnaissance de ses liens naturels et de leurs compétences (du
patient) ». Ce qui nous amène naturellement à la question de la place faite aux
proches dans une prise en soin en hôpital
de jour.
NOTRE CONTEXTE DE TRAVAIL
Le Département de Psychiatrie dans lequel nous travaillons a établi un concept
d’établissement 2012-2017 auquel sont
soumises toutes les structures qui en dépendent. Dans ce concept sont notamment
inscrites les valeurs du Département :
« L’activité clinique, telle qu’elle est conçue et pratiquée dans toutes les structures
du Département repose sur une dynamique centrée sur le patient. Cette dynamique est envisagée selon une perspective
bio-psycho-sociale avec la prise en
compte simultanée de l’ensemble des dimensions factuelles, perceptives et relationnelles de la personne soignée. Il est
aussi mentionné que le déterminant le
plus significatif en matière de santé men-
tale réside dans la qualité des liens interpersonnels entre soignants et soignés,
notamment dans l’instauration de
l’alliance thérapeutique. »
D’où l’exigence, pour le personnel soignant du DPP, de respecter une éthique
relationnelle fondée sur la convivialité et
de se conformer à un certain nombre de
valeurs énoncées dont la reconnaissance
de ses liens naturels et leurs compétences
(du patient).
Du point de vue infirmier, l’approche
thérapeutique est basée sur les soins intégraux : « Pour chaque patient, une personne de référence est nommée afin
d’assurer son accueil dans le service et
son suivi pendant toute la durée du séjour. Grâce au processus de soins,
l’infirmière de référence entretient une
relation soutenue avec le patient et ses
proches et assure une continuité de la
prise en soins. Cette prise en soins est
individualisée et interdisciplinaire, elle
est convenue avec le patient et son entourage ».
Un accent particulier est mis sur le travail
de l’alliance thérapeutique. En effet, les
études s’accordent à considérer l’alliance
thérapeutique comme le meilleur facteur
prédictif du pronostic de nombreuses
formes de traitements psychiatriques
(Despland). L’alliance thérapeutique en
serait même vraisemblablement le facteur
commun. Plus spécifiquement encore ce
serait l’alliance initiale, c’est-à-dire
l’alliance naissant durant les premiers
entretiens qui permettrait de prédire le
mieux les résultats d’un traitement.
L’Unité Thérapeutique de Jour (UTJ)
Les UTJ sont “multifonctionnelles”. Elles
privilégient une approche généraliste et
pragmatique au cas par cas, sans limitation de temps préétablie, et dans laquelle
l’indication est davantage liée au statut
clinique du patient plutôt qu’à la présence
d’un diagnostic psychiatrique précis.
Elles sont ouvertes aux personnes de tout
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
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Le travail avec les familles en hôpital de jour
âge y compris aux adolescents, dès seize
ans.
Leurs objectifs généraux sont :
- Proposer
une
alternative
à
l’hospitalisation en milieu psychiatrique.
- Permettre au patient de réintégrer dès
que possible son milieu de vie naturel.
- Assurer des activités thérapeutiques
individuelles et groupales.
- Préparer le patient à retrouver la place
et le rôle qu’il est en mesure d’occuper
dans son milieu familial, social et/ou professionnel compte tenu de son état de
santé.
- Faciliter et organiser les réseaux entre
l’ensemble des acteurs professionnels et
non professionnels en vue d’aider le patient à retrouver la meilleure autonomie
possible au-delà de l’UTJ.
La fréquence de venue est variable, pouvant aller d’une présence complète de 5
jours par semaine, à 1 ou 2 demi-journées
en fin de prise en charge. Les prises en
soin sont pilotées conjointement par un
médecin chef de clinique et un ICUS (Infirmier Chef d’une Unité de Soin).
L’équipe y est pluridisciplinaire.
Le déroulement et les étapes du
traitement de jour
Chaque traitement se déroule en principe
selon une succession d’étapes qui commence par la demande du médecin prescripteur auprès du médecin-chef de clinique de l’UTJ et qui aboutit à l’entretien
final, en passant par des entretiens de
bilan intermédiaires. Comme déjà évoqué,
le travail de l’alliance thérapeutique est au
centre de notre approche. L’alliance signifie le fait de s’unir par un engagement
mutuel, qui nécessite un ajustement réciproque sans, néanmoins, perdre son individualité. Il y a donc une notion de
partenariat, de collaboration, avec une
volonté d’engagement. La grande majorité de nos patients, spécialement en psychiatrie de la personne âgée, ont un
entourage familial très présent. Ainsi, la
notion d’alliance doit s’élargir à
l’ensemble d’un réseau familial ou soignant. L’alliance avec la famille est essentielle : c’est d’abord souvent la famille
qui est demandeuse d’aide et qui est en
souffrance, bien qu’un patient soit désigné.
Par ailleurs, tout au long de ce processus,
nous portons une attention particulière à
tout le “réseau existentiel” du patient,
dans un souci de continuité de son histoire, de ne pas le couper de ses ressources extérieures, mais au contraire de
les conserver ou, le cas échéant, de
l’accompagner vers la reconstitution d’un
tel réseau.
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La demande. L’indication à la prise en
soin à l’UTJ est discutée et posée de façon conjointe par le médecin prescripteur
du traitement de jour et le médecin chef
de clinique de l’UTJ.
Le premier contact (préadmission) est
fixé par l’ICUS sur la base des informations transmises par le médecin chef de
clinique. Le but de ce premier rendezvous est de permettre au patient et à ses
proches de se forger une représentation
concrète de l’environnement physique et
humain de l’UTJ, d’établir les premiers
jalons de l’alliance thérapeutique. Lors
d’une prise en soin d’un patient âgé, voir
rapidement la famille permet de tenir
compte des liens qui existent entre le patient et sa famille, et de ce que représente
la séparation induite par la venue à l’UTJ,
tant pour lui que pour sa famille. Souvent, le rôle de l’entourage est essentiel
pour la continuité des soins.
La journée-découverte est organisée par
l’équipe soignante de l’UTJ. Elle est censée permettre au patient et aux proches de
prendre les décisions quant au suivi à
l’UTJ, en connaissance de cause. Le processus de soins continue ensuite par une
période de 2-4 semaines d’évaluation
clinique et de renforcement de l’alliance
thérapeutique. Nous déterminons alors la
fréquence de venue à l’UTJ et les principaux groupes auxquels le patient devra
prendre part.
L’entretien d’admission réunit le patient,
ses proches, s’ils sont impliqués dans la
prise en soin, le chef de clinique, le médecin prescripteur (dans la mesure du
possible), ainsi que l’infirmier référent
qui synthétise l’ensemble des observations recueillies. Les premiers objectifs
thérapeutiques sont alors définis. Ils seront réajustés à l’occasion d’entretiens
médico-infirmiers ultérieurs.
Les entretiens de bilan “médicoinfirmiers” sont des entretiens planifiés à
l’avance, à intervalles de 2-3 mois. Ils
réunissent le patient et souvent les
proches, le médecin chef de clinique, le
médecin prescripteur, le référent et certains intervenants du réseau dont la présence a été discutée et souhaitée par le
patient lors des entretiens individuels. Les
entretiens de bilan permettent de faire le
point sur les objectifs fixés et les résultats
obtenus, d’apporter les ajustements nécessaires, voire de poser de nouveaux
objectifs pour la suite. Ils permettent
d’anticiper et de préparer la fin du traitement de jour. Les bilans sont toujours
précédés d’entretiens individuels (éventuellement de couple, de famille ou de
réseau) préparatoires effectués par l’infirmier référent ou par le thérapeute individuel. En effet, une des difficultés en se
liant avec la famille, est de ne pas perdre
la confiance du patient. Pour cela il faut
prévenir les mouvements intrusifs de la
famille et préserver la confidentialité.
L’entretien de fin de traitement médicoinfirmier. La fin de traitement est décidée
d’un commun accord entre le patient, ses
proches, s’ils sont impliqués dans la prise
en charge, et les soignants.
VIGNETTE CLINIQUE : M. A.
L’annonce
L’annonce est faite par le chef de clinique
de l’Unité hospitalière de psychiatrie et
psychothérapie de la personne âgée. Il
s’agit d’un patient âgé de 53 ans, hospitalisé dans leur service depuis huit mois,
après un séjour de trois semaines en médecine interne, à l’hôpital de Martigny.
En médecine, une cirrhose hépatique avec
anémie macrocytaire, thrombopénie sur
hypersplénisme et ascite modérée a été
diagnostiquée, compliquée en cours
d’hospitalisation d’une péritonite bactérienne spontanée, traitée par antibiotique.
En parallèle au sevrage alcoolique, un
traitement diurétique pour évacuation des
œdèmes avait été instauré et une ponction
évacuation de l’ascite avait été nécessaire.
Une consultation neurologique avait révélé une altération cognitive frontomnésique, un syndrome cérébelleux statique et cinétique et une ataxie proprioceptive sur polyneuropathie des membres
inférieurs, l’ensemble d’origine toxicocarentielle. Le scanner cérébral ne montrait pas d’hémorragie, mais une atrophie
cortico-sous-corticale modérée, sus et
sous-tentorielle.
Après consultation de notre collègue de
liaison, M. A avait accepté un transfert en
milieu psychiatrique. Ce transfert s’est
fait dans un service de psychiatrie et psychothérapie de la personne âgée, en raison
des troubles cognitifs majeurs mis en évidence qui nécessitaient clairement une
prise en soin spécialisée.
L’hospitalisation en milieu
psychiatrique
M. A. n’a pas repris sa consommation
d’alcool durant l’hospitalisation en milieu
psychiatrique. Le tableau clinique était
tout d’abord marqué par une apathie majeure et une anosognosie. Un énorme travail de stimulation a été nécessaire afin
que M. A. se mobilise et commence à
adhérer aux soins. Au niveau somatique
également, M. A. a présenté une bonne
évolution
avec
récupération
de
l’insuffisance hépatocellulaire et résorption de l’ascite. Par ailleurs, une prise en
charge physiothérapeutique a été centrée
sur un reconditionnement et une remise
en activité. Sur le plan thymique, M. A. a
transitoirement présenté des idées suici-
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Place de la famille d’une personne âgée dans la prise en soins un équilibre parfois difficile entre la demande du patient, ses besoins et ceux de la famille
daires dans un contexte de confrontation
aux troubles cognitifs. L’évolution a été
favorable avec des entretiens de soutien et
sous traitement antidépresseur de Mirtazapine.
Au niveau cognitif, comme déjà évoqué,
M. A. présentait des troubles de
l’orientation, des oublis à mesure, ainsi
qu’une apathie d’origine frontale plutôt
que thymique. Un examen neuropsychologique effectué mettait en évidence des
troubles mnésiques antérogrades sévères,
une amnésie rétrograde suivant un gradient temporel, un léger fléchissement
exécutif caractérisé par une baisse de
l’incitation et des difficultés de programmation motrice et, enfin, des difficultés
attentionnelles. Les fonctions instrumentales et le raisonnement étaient conservés.
En parallèle, tout un travail de reconditionnement et de motivation de M. A. a
été effectué par l’équipe hospitalière qui a
rencontré à plusieurs reprises la famille de
M. A. Alors que dans un premier temps,
jusqu’en février environ, au vu de la gravité de la situation, un placement se discutait, M. A. a exprimé son opposition à
un tel projet et la demande d’un essai de
retour à domicile a émergé. Il n’était toutefois clairement pas envisageable que M.
A. vive seul. C’est ainsi, en étroite collaboration avec M. A. et sa famille, qu’un
projet de retour à domicile chez sa maman a été élaboré. C’est dans ce contexte
que l’équipe hospitalière sollicite l’appui
de l’UTJ.
Anamnèse personnelle de M. A.
M. A. est né le 28 mai 1959. Il a fait un
apprentissage de viniculture et vinification puis a obtenu une maîtrise fédérale. Il
a repris le domaine familial et a construit
une cave. Il est devenu vinificateur en
plus de vigneron. En 1984, M. A. s’est
marié. En 1986, un fils est issu de cette
union. En 1990, alors qu’il avait 25 ans,
le frère cadet de M. A. se suicide avec son
arme de service. En 1991, son épouse
décède brutalement d’une rupture
d’anévrisme cérébral. Elle avait 31 ans,
ils étaient en couple depuis quatorze ans.
C’est M.A. qui la retrouve morte à la maison. M. A. la décrit comme l’amour de sa
vie ! Ils partageaient des projets, notamment celui de construire ensemble une
cave. Les parents de M.A. se montrent
très soutenants durant cette période. En
1991 toujours, M. A. ouvre sa cave avec
l’aide et le soutien d’un de ses amis.
Toute sa famille l’entoure également.
Pendant longtemps, pour vaincre sa timidité, il boit un verre avant de recevoir des
clients à la cave. Il précise qu’à l’époque,
il notait tous les jours ce qu’il avait bu
pour pouvoir faire le point à la fin du
mois. En 1993, il rencontre la maîtresse
d’école de son fils, celle qui deviendra
son épouse. En 1996, ils ont une fille.
En 2011, ils se séparent. M. A. décrit une
relation tendue : son ex-épouse ne supportait pas son travail et l’investissement
qu’il y mettait, dit-il. Cette même année,
son père décède à l’âge de 81 ans, lors
d’une chute dans leurs vignes. M. A. entretenait un bon contact avec son père,
très soutenant. Ils travaillaient ensemble.
M. A. ne peut pas du tout préciser quand
il a commencé à perdre le contrôle de sa
consommation d’alcool. Son fils dit qu’il
s’occupe quasiment seul de l’entreprise
depuis au moins 3 ans avant
l’hospitalisation de son père, celui-ci passant ses journées entre le canapé, la cave
et le bar.
Actuellement, M. A. vit avec sa maman
âgée de 78 ans, dans la maison familiale.
Sa mère est très active. Son fils gère la
cave depuis que M. A. est malade. M. A.
entretient un très bon contact avec lui, ils
se voient régulièrement et s’entendent
bien. Depuis l’hospitalisation de M. A.,
son fils s’est toujours montré présent. Il
s’assure qu’il soit toujours bien entouré et
occupé. Il est attentif à ses difficultés, à
ses problèmes d’alcool et à ses pertes de
mémoire. M. A. n’a quasiment plus de
contacts avec son ex-épouse, bien qu’ils
habitent le même village. Par contre sa
fille, qui vit avec sa mère, vient lui rendre
visite environ une fois par semaine.
Situation professionnelle
Il a créé deux sociétés : une pour les domaines et l’autre pour la cave et les bâtiments, les SA sont aux noms de son fils,
de sa fille et de lui-même. Il est donc le
propriétaire-fondateur d’une cave mais
n’y exerce plus qu’en tant qu’aide. Depuis 3 ans en tout cas, c’est son fils qui a
repris la gestion des deux sociétés. M. A.
bénéficie d’une rente de l’Assurance Invalidité.
Mise en place de la prise en soin à
l’UTJ
M. A. est dès lors adressé à l’UTJ dans le
contexte d’une volonté de retour à domicile, dans une situation qui semblait précaire. Ceci n’était envisageable que grâce
à un soutien important de l’entourage
étant donné qu’une grande partie de
l’encadrement nécessaire à domicile allait
reposer sur la famille à laquelle
s’ajoutaient des interventions du CMS
(centre médico-social).
Une des difficultés qui apparaissait au
premier plan était la collaboration difficile avec un patient demandeur et motivé
pour un retour à domicile, mais qui banalisait totalement ses difficultés et suresti-
mait clairement ses capacités. Dans un
premier temps, il ne voyait aucune nécessité « d’impliquer sa famille dans ses affaires » et un énorme travail avait déjà été
réalisé par l’équipe hospitalière pour que
M. A. accepte l’implication de sa famille
dans le projet de retour à domicile. Plusieurs congés à domicile, de un ou deux
jours, avaient finalement pu être organisés
et s’étaient bien passés, avec l’appui de la
famille et du CMS.
Ainsi, la préadmission et la journée Découverte ont été regroupées et organisées
depuis l’hôpital. Ce premier lien établi,
plusieurs congés à domicile avec venue à
l’UTJ ont été organisés, toujours en collaboration étroite avec la famille et le
CMS.
Afin de consolider ce travail, de poser
clairement le cadre et dans un esprit de
continuité, un réseau a ensuite été organisé à l’hôpital avant la sortie, réseau auquel ont participé le patient, son fils, une
infirmière du CMS, les médecins et un
infirmier de l’hôpital ainsi que nous, médecin et infirmier de l’UTJ. Nous voulions avoir un premier contact avec la
famille, avec deux objectifs: ébaucher une
alliance avec elle autour de M. A. et les
rassurer quant à la continuité de la prise
en soin. Cet entretien de réseau a, en
quelque sorte, également été un entretien
d’admission étant donné que M. A. était
déjà venu à plusieurs reprises à l’UTJ.
Les premiers objectifs y ont été posés:
retour à domicile avec maintien de
l’abstinence et d’un rythme de vie régulier.
Le cadre de la prise en soin a été défini :
1) M.A. vit chez sa mère qui assure une
présence permanente avec le fils, elle
s’occupe des repas et gère le ménage.
2) Suppression de tout alcool à domicile,
M.A. ne va à la cave que accompagné
de son fils.
3) Le service médico-social vient tous les
matins pour aider M.A. à se préparer
pour venir à l’UTJ et deux fois par
jour, les week-ends, pour la médication.
4) UTJ, 5 jours par semaine, il y vient
avec Transport-Handicap.
5) Contacts réguliers avec le médecin
généraliste pour le suivi somatique.
6) L’Autorité de Protection de l’Enfant et
de l’Adulte est informée de la situation, le fils est en lien avec eux.
7) Demande faite à l’assurance invalidité.
La famille de M. A. était clairement une
ressource sans laquelle un retour à domicile n’aurait pu être envisagé.
Nous envisagions toutefois plusieurs difficultés susceptibles de se présenter : une
certaine crainte quant à la réaction de M.
A. à domicile face à son fils qui se devait
d’être relativement directif envers lui et
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
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Le travail avec les familles en hôpital de jour
dans une difficile inversion des rôles.
Crainte également d’une surcharge de ce
fils, jeune, responsable de toute
l’entreprise plus, désormais, d’une partie
de la prise en charge de son père.
M. A. allait retourner vivre chez sa maman. Contrairement au fils qui était parfois très confrontant, Mme A. ne semblait
pas consciente de l’ampleur des difficultés de son fils. Elle les banalisait, semblait convaincue que tout allait “rentrer
dans l’ordre” dès que M. A. serait chez
elle.
Premier bilan à l’UTJ : rassurer tout le
monde
Un premier bilan à l’UTJ a été fixé assez
rapidement au vu de notre inquiétude
pour cette situation. Nous avions besoin
de nous assurer que tout se passait bien à
domicile. Par ailleurs, il nous semblait
primordial d’avoir un contact avec la
maman qui jouait un rôle essentiel, mais
que nous n’avions pas encore rencontrée.
A cela s’ajoutait le fait que nous avions
senti un fort besoin de la part de la famille
d’avoir l’assurance de ne plus se trouver
seul face à cette situation. De même
l’équipe du CMS signalait qu’elle se sentait désécurisée par la lourdeur de la situation. Ce bilan permettait également
d’appuyer notre volonté de partenariat et
de collaboration avec la famille et les
intervenants externes.
Lors de ce premier bilan surtout, mais
également tout au long des bilans qui ont
suivi, une de nos difficultés a été de respecter les différentes personnalités et perception de la situation tant de M. A. que
de son fils et de sa mère. Cette famille, de
toute évidence, était très solidaire et engagée autour de M. A., mais toutefois peu
enclins à la parole et à l’expression des
sentiments. Ils nous sont apparus soudés
par le « faire ensemble », mais avec beaucoup de non-dits. Ils parlent peu et surtout
guère devant des non-membres de la famille.
Nous étions inquiets de la réaction de M.
A. face à l’inversion des rôles entre lui et
son fils. Il l’a toutefois plutôt bien supporté. Il a exprimé à quelques reprises le
fait que « cela n’est pas facile », mais
semblait en même temps rassuré par ce
rôle de son fils. C’est plutôt la confrontation à ses limites qui blessait M. A.
Toutefois, M. A. a fait une bonne évolution et des progrès pouvaient être mis en
évidence lors de la plupart des bilans ce
qui a favorisé son soutien narcissique. Par
ailleurs, il a progressé dans la prise de
conscience de ses difficultés, il les minimise toujours, mais il peut occasionnellement en parler spontanément avec
certains membres de l’équipe avec lesquels il se sent plus en confiance. Il re-
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connait un peu mieux son besoin d’aide et
de soutien.
Le fils était très direct, directif « sans
prendre de gants » et parfois très confrontant avec son père. Il nous paraissait très
dur dans sa façon d’exprimer les choses et
de les clarifier, avec des paroles “crues”
qui nous choquaient parfois. Ceci induisait dans un premier temps une forte
contre-attitude de notre part. Afin de ne
pas être dans le jugement face à la dureté
de ce fils, nous avons dû bien nous remémorer la solitude du fils confronté très
jeune à une histoire de vie difficile et qui
a dû affronter quasiment seul pendant des
mois la déchéance de son père avant
l’hospitalisation.
La mère de M. A. était dans une tout autre
dynamique. Elle était très contente car
son fils avait très bien récupéré durant son
hospitalisation. Elle ne remettait pas directement en question sa lourde prise en
soin, mais minimisait grandement les
difficultés de son fils et ne comprenait
visiblement pas le pourquoi d’une telle
prise en charge, notamment les interventions du CMS à domicile. Surtout, elle ne
supportait guère que les difficultés de son
fils soient nommées, visiblement très inquiète de la réaction de celui-ci et cherchant à le protéger face à cette difficile
situation. Cela concerne autant les
troubles cognitifs que la gravité de
l’alcoolisme de son fils et des conséquences sur sa santé. Ce sujet reste difficile à aborder, mais malgré cela, Mme a
su adapter ses habitudes comme ne plus
mettre d’alcool dans les sauces et ne plus
maintenir d’alcool à domicile.
La conséquence de ces réactions très différentes, entre elle et son petit-fils, était
d’importantes tensions entre eux, ressenties durant les entretiens. Il s’agissait de
laisser un espace à chacun, de les entendre et de valider le vécu de chacun,
sans prendre parti ni juger. Il fallait cependant nommer les difficultés afin de
pouvoir en tirer les conséquences concrètes.
La prise en soin de M. A. à l’UTJ
Ergothérapie
M. A. a débuté sa prise en charge ergothérapeutique avec des séances individuelles
(5 au total). A la fin des 5 séances, il
commençait à prendre des points de repères, mais ces derniers restaient peu efficaces.
Mise en place d’un plan journalier afin
d’aider M. A. à prendre des repères lors
de ses journées UTJ ainsi qu’à la maison.
Le plan journalier devenant difficile à
effectuer de façon efficace, nous sommes
passés à la mise en place d’un agenda
thérapeutique.
M. A. était vu par l’ergothérapeute une
fois par semaine afin d’effectuer un plan
hebdomadaire sur son agenda, en y incluant les activités effectuées lors des
journées à domicile. Après 5 mois
d’utilisation, M. A. est capable de se servir de son agenda de façon autonome, il
l’utilise de manière systématique pour y
inscrire tous ses rendez-vous et le consulte régulièrement.
M. A. intègre les consignes données mais
peine à les appliquer, cependant lorsqu’il
se retrouve face à une difficulté, il est
capable de trouver de lui-même une solution à son problème.
Soins infirmiers
M. A. s’est rapidement intégré aux différents groupes. Pour le groupe cuisine et
pâtisserie, M. A. a toujours besoin d’une
guidance orale, mais contrairement au
début de la prise en charge, il prend plus
d’initiatives, il a moins tendance à éviter
les situations qui lui sont difficiles.
Lors des sorties M. A. peine à s’orienter
dans l’espace. Cependant, lorsqu’il se
trouve dans des lieux connus, il ne rencontre pas de difficultés. M. A. minimise
ces difficultés à s’orienter dans l’espace,
il lui est parfois difficile d’accepter de
rester en groupe, car il a le sentiment
d’être infantilisé.
Lors de stress ou d’anxiété, M. A. présente plus de persévérations.
D’une manière globale, les difficultés de
M. A. sont toujours présentes, mais il met
en place plusieurs stratégies afin d’y pallier.
Avec l’aide de l’équipe, il a surtout développé des stratégies d’adaptation. Les
troubles de la mémoire sont par exemple
encore bien présents.
Son fils s’est toujours montré très impliqué et présent, sans donner signe
d’épuisement. C’est lui qui organise et
planifie les journées afin qu’il soit toujours accompagné dans les activités. De
surcroît, il vérifie le déroulement des
journées. Il gère aussi les finances de son
père. Toutefois, il a su adapter le contrôle
qu’il exerçait sur son papa, le laissant
progressivement organiser lui-même ses
journées avec sa maman. Il est attentif à
ce que son père puisse toujours avoir une
activité sur son domaine, toutefois il refuse qu’il se présente à la cave. Par
contre, il le prend régulièrement avec lui
pour des livraisons.
Sa maman est aussi très présente dans la
situation. Depuis sa sortie de l’hôpital M.
A. vit toujours avec elle dans la maison
familiale. Elle gère tous les aspects de la
vie quotidienne comme les repas, la lessive et le ménage, mais M. A. est de plus
en plus impliqué pour l’aider.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Place de la famille d’une personne âgée dans la prise en soins un équilibre parfois difficile entre la demande du patient, ses besoins et ceux de la famille
Le CMS n’intervient actuellement plus
qu’une fois par semaine pour préparer le
semainier.
Les journées hebdomadaires passées à
l’UTJ ont également été progressivement
diminuées. Au fur et à mesure que M. A.
retrouvait plus d’initiatives et de repères,
elles ont été remplacées par des journées
d’activité à l’extérieur toujours encadrées
de près ou de loin par son fils.
Actuellement, M. A. se pose la question
de son avenir lorsque sa prise en charge à
l’UTJ sera terminée. Il envisage de travailler à la vigne et d’aider sa maman
dans les travaux quotidiens du ménage.
La question de l’après UTJ et de la nécessité de notre point de vue pour M. A.
d’avoir une activité structurée et organisée à long terme, a été progressivement
retravaillée avec lui. M. A. s’oppose à une
activité protégée invoquant le travail sur
le domaine. Le fils est alors très clair avec
son père : lui et la maman sont du même
avis que nous : une activité extérieure
régulière est primordiale pour l’avenir,
sans l’UTJ. Suite à ce bilan, M. A. a accepté d’aller visiter les différents ateliers
proposés. Il était accompagné d’un
membre de l’équipe et de son fils. Il a
rencontré l’assistante sociale en vue des
inscriptions.
Nous n’avons eu aucun contact ni avec
l’ex-femme de M. A., qui était présente
durant l’hospitalisation, ni avec sa fille,
alors qu’il voit celle-ci régulièrement. M.
A. est très réticent à ce que nous la rencontrions, il n’en voit pas l’utilité.
L’histoire de vie de M. A. et de sa famille
nous touche beaucoup. La communication
entre les membres de la famille est
pauvre. Leur histoire est très lourde, avec
plusieurs décès très douloureux, dont les
deuils n’ont vraisemblablement pas pu
être faits. Idéalement, dès le début, nous
aurions souhaité pouvoir élaborer autour
de ses questions qui n’ont guère pu être
abordées. Tout au long des entretiens individuels avec M. A. ou avec sa famille, il
nous a fallu être attentif à “nommer les
choses, mais pas trop”, sans insister, dans
une sorte d’accord plus ou moins tacite et
résister à la tentation de vouloir en faire
trop… ce qui aurait vraisemblablement
mobilisé toute la famille contre nous.
Peut-être un jour cela sera-t-il possible,
mais à distance de leurs blessures encore
fraiches. Le respect du rythme de chacun
y compris de la famille nous parait primordial. A signaler toutefois que lors du
dernier bilan, en début d’entretien, nous
avons redit combien nous étions touchés
par leur histoire familiale douloureuse,
par les deuils qui ont jalonné leur vie, par
la solidarité que l’on sentait entre eux.
Pour la première fois, le fils de M. A.
s’est montré sous un autre jour, visiblement touché par nos paroles. Il a alors
montré plus d’émotions, son ton était plus
doux, il était plus accessible.
CONCLUSION
Pour accompagner une famille, son consentement est indispensable. Dans le contexte de la personne âgée, il est en général
facile de l’obtenir.
Il s’agit ensuite de gagner sa confiance,
de se faire accepter par la famille, c’est-àdire surtout trouver la bonne distance
psychologique et affective. Une attitude
trop froide ou neutre (position verticale,
vision de spécialiste ou de juge) amène à
ce que la famille ne se sente pas comprise. Un engagement émotionnel trop
intense fait battre en retraite une famille.
Une prise de parti pour l’un ou l’autre
exacerbe les triangulations, les jeux
d’alliance et de coalition. Un rôle de médiateur est une position fatigante et souvent peu productive (Salem parle d’être
un fusible), qui conduit fréquemment à
l’insatisfaction générale et à une alliance
commune contre le thérapeute.
-Evaluation de la souffrance dans son
contexte global.
- Accordage affectif (se fait aussi avec le
groupe familial).
- Définition avec la famille des problèmes et des objectifs souhaités.
- Repérage des compétences organisationnelles de la famille et de chacun de
ses membres.
- Position basse du thérapeute visant à
faire émerger de nouvelles possibilités de
fonctionnement, tout en laissant à la famille le choix de la solution.
L’alliance avec la famille est du côté de la
constitution d’un lien bien sûr, mais aussi
d’une lecture commune d’une situation.
Elle implique la création d’une atmosphère détendue, permettant à chacun de
déverser ses sentiments, ses soucis, ses
doutes, le repérage et le respect des
règles interactives ainsi que des modalités
communicationnelles du groupe. Il s’agit
de s’adapter à la réalité du système. Une
attitude de leadership avec volonté et
compétence pour le pilotage de la rencontre : favoriser le dialogue et l’échange
d’informations, en manifestant le même
degré d’intérêt ou la même intensité de
préoccupation pour chacun, à tour de rôle.
Le thérapeute inclut aussi dans ses préoccupations les membres absents, sans jamais prendre position contre eux. En
valorisant ainsi le rôle de chacun, le thérapeute renforce sa crédibilité aux yeux
de la famille et participe à une alliance
constructive et solide.
BIBLIOGRAPHIE
1. DESPLAND J.-N., DE ROTEN Y.,
L’alliance thérapeutique : un concept empirique, Médecine & Hygiène, 2000, vol. 58,
pp. 1877-1880
2. SALEM G., L’approche thérapeutique de la
famille, Paris, Masson, 3ème édition, 2001,
207 p.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
121
CRÉATION D’UN NOUVEAU PROGRAMME DE
JOUR
DISPOSITIF ET ENJEUX DU TRAVAIL AVEC
LES FAMILLES
Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie
Intégrées (CAPPI)
Hôpitaux Universitaires de Genève
Service de Psychiatrie Générale
67, rue de Lausanne
1202 GENEVE
SUISSE
[email protected]
Nathalie BERGEON, Camille BESANCON-CHENE, Yvan BESSARD,
Dr Jean-Pierre BACCHETTA
Le programme de jour du Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie intégrées (CAPPI) du
Secteur Pâquis a débuté en janvier 2013. Il accueille des patients adultes présentant des troubles
psychiques avec comme point commun un déficit d’intégration psychosociale. La prise en soins proposée est essentiellement groupale, l’accent est mis sur la mobilisation et la reprise du lien social.
L’article vient illustrer la manière dont nous avons créé et organisé ce nouveau programme. Au cours
de cette aventure le concept de rétablissement s’est imposé à nous et la notion d’accueil a pris toute
son importance. Par ailleurs, L’Echelle Lausannoise d’Autoévaluation des Difficultés Et des Besoins
(ELADEB) que nous utilisons lors de l’évaluation d’entrée nous a permis de mettre en évidence les
problématiques liées aux proches du patient et de souligner l’importance de l’étayage familial. A
travers l’histoire d’une rencontre nous retracerons le parcours thérapeutique d’un patient et de son
entourage au sein du programme de jour.
Mots-clefs : Programme, psychosocial, groupe, mobilisation, lien social, créer, rétablissement, accueil, famille, rencontre
Creation of a new day care program: Settings and stakes of the work done with relatives
The day care program of the Ambulatory Center of Psychiatry and Integrated Psychotherapy (Centre
Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie intégrées; CAPPI) of the Pâquis sector has started in
January 2013. This program takes in adult outpatients with psychic trouble and psychosocial issues.
The day care program proposed is essentially based on group activities.
The main focus is on mobilization and social rehabilitation. This article illustrates the way we
thought, created and organized this new program. Over this adventure, the concept of recovery became essential and the notion of “hosting” crucial. Besides, the Lausanne Scale called “Echelle
Lausannoise d’Autoévaluation des Difficultés Et des Besoins (ELADEB)” that we use for the initial
assessment highlighted the problematic associated with the relatives of the patients and underlined
the relevance of the family scaffolding. Through the story of an encounter, we retrace the therapeutic
course of a patient and his wife within this day care program.
Keywords: Program, psychosocial, group activities, mobilization, social network, to create, recovery,
“hosting”, family, encounter
INTRODUCTION
Les centres ambulatoires de psychiatrie et
psychothérapie intégrées (CAPPI) ont été
créés sur la base des dispositifs ambulatoires existants au sein des quatre secteurs
géographiques établis selon les secteurs
socio-sanitaires du canton de Genève.
Leurs objectifs principaux sont de garantir un accès facile et des soins de qualité à
la population genevoise en assumant
toutes les intensités de soins allant de la
crise, au suivi au long cours et aux programmes de jour. Leurs ambitions sont de
personnaliser l’offre médico-soignante,
d’inscrire leurs interventions dans une
logique de réseau dans la communauté et
faire valoir les potentialités de chaque
patient en fonction de sa trajectoire de
vie. C’est à partir de ce postulat que nous
créons le programme de jour du CAPPI
Pâquis en janvier 2013. L’aventure dé-
122
marre quelques mois auparavant avec des
réunions de réflexion visant à conceptualiser le programme, déterminer la population cible et définir les axes
thérapeutiques avec une prédominance
groupale. C’est à ce moment-là qu’une
équipe pluridisciplinaire se construit, à
partir de soignants appartenant déjà à la
structure. Nous allons à la rencontre des
acteurs
psychosociaux
(institutions/associations de référence de la cité).
Dès décembre 2012, le chef de clinique et
une infirmière évaluent les premiers patients et les intègrent à l’espace accueil.
En janvier 2013, l’équipe dans sa totalité
débute les prises en soins. Nous aménageons un bureau infirmier, des espaces
patients, enclaves dans un service existant
voué à la crise. Comme le dit J.-P. Desanti (philosophe français) à propos du Moi,
« On pourrait comparer cet espace à une
île, l’insularité comme l’unité d’un en-
fermement et d’une ouverture. L’eau, la
mer, le fleuve l’enveloppe et elle est aussi
le chemin vers l’ailleurs, un chemin qui
ouvre et ferme l’accès à un ailleurs. Sur
une île, il faut prendre pied, s’y trouver
mais aussi, il faut y prendre essor, et s’en
aller. A la fois s’en aller et rester. Et plus
vous vous en irez, plus le voisinage viendra avec vous. Vous êtes obligé, à ce moment-là, de penser ce rapport.
L’insularité vous donne à penser».
L’île renvoie à la contenance, au contour,
à la sécurité nécessaire au voyage. Emergent alors les notions d’appartenance et
de territoire : quelle place occuper ?
Comment se l’approprier ? Questions
inaugurales des soignants et des patients à
la mise en place et au balisage du programme, encore d’actualité. Changements
d’occupations des lieux à plusieurs reprises (salle à manger, puis petits salons
et salle d’attente), ajustements par petites
touches discrètes qui tels l’effet papillon
peuvent générer des séismes. Comment
exister avec cette nouvelle identité de
soignants qui quittent un pôle dédié aux
prises en soins de crise pour prendre en
soin des patients “chroniques”… bref,
notre petite communauté (soignants et
patients) se soude pour trouver ses
marques. Nous prenons conscience que
nous sommes co-auteurs d’un projet de
soins qui nous tient à cœur. Jour après
jour nous allons construire des liens, rassembler des idées, modifier nos postures,
créer des ponts vers l’extérieur, connaître
de grandes émotions. Ces considérations
“géopolitiques” nous amènent à un questionnement sur nos limites, sur notre
champ d’action, sur les chevauchements
entre les différents pôles du CAPPI…
Nous expérimentons des remaniements au
même titre que nos patients, à un rythme
différent, avec des allers-retours. Nous
acceptons d’être bousculés, d’être créatifs
et d’amorcer un processus de changement, ce qui interpelle les patients au niveau de leur propre processus de
changement. L’élaboration de cet article
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Création d’un nouveau programme de jour dispositif et enjeux du travail avec les familles
nous permet d’avoir un regard distancié
sur le chemin parcouru et de nous questionner sur les améliorations possibles
impliquant entre autres la famille.
PRÉSENTATION DU PROGRAMME
DE JOUR
Le programme de jour s’inscrit dans la
réorganisation des structures ambulatoires
du service de psychiatrie générale. Le
canton de Genève compte actuellement
quatre
Centres ambulatoires de Psychiatrie et de
Psychothérapie Intégrée (CAPPI), chacun
correspondant à un secteur géographique
du canton de Genève comprenant environ
100 000 habitants.
Le Programme de Jour du secteur Pâquis
a débuté le 7 janvier 2013. Il est ouvert du
lundi au vendredi de 9h à 17h. Il
s’articule avec les deux pôles déjà existants : le pôle Crise et la Consultation.
Ces trois équipes fonctionnent en interelation, le patient peut être suivi simultanément ou successivement dans plusieurs
pôles, en fonction de ses besoins et de son
état clinique. Il peut faire appel 24h/24 à
l’équipe crise et bénéficier de nuits de
soutien au CAPPI.
L’équipe du programme de jour est composée d’infirmier(e)s, d’un médecin chef
de clinique, d’un psychologue, d’une ergothérapeute, d’une psychomotricienne et
d’une assistante sociale, travaillant tous à
temps partiel et engagés pour la plupart
également sur les autres pôles de soins.
Ce programme s’adresse à des patients de
18 ans à 64 ans souffrant de troubles psychiatriques au long cours (troubles dépressifs récurrents, troubles de l’humeur,
troubles psychotiques, troubles de la personnalité etc.) avec d’importantes répercussions sur le plan psychosocial. Ils sont
adressés par le pôle Crise, la Consultation, l’Hôpital ou les médecins privés. La
file active est actuellement d’une trentaine de patients. La prise en soins est
personnalisée, individualisée. Elle correspond à des objectifs mis en place lors de
la réalisation de l’Echelle Lausannoise
d’Auto-évaluation des Difficultés Et des
Besoins (ELADEB). Sur la base d’une
activité de tri de cartes, le patient va pouvoir expliciter ses propres priorités. Cela
va permettre la mise en place d’un programme de soins adapté et motivant, et un
réel partenariat avec le patient. Un bilan
d’évaluation est effectué à 3 et 6 mois, il
permet d’évaluer l’atteinte des objectifs,
et le cas échéant de les ajuster.
Les prises en soins proposées sont essentiellement groupales. Le patient peut également bénéficier d’interventions individuelles (entretiens médico-infirmiers,
infirmiers, psychothérapeutiques, inter-
ventions sociales et ergothérapeutiques),
d’entretiens de famille et de réunions de
réseau. Nous proposons également un
suivi mobile intensif ponctuel pour des
patients en rupture de suivi afin d’éviter
l’hospitalisation. Nous nous appuyons sur
le modèle Hollandais « Flexible Assertive
Community Treatment » (FACT).
Les groupes proposés s’articulent selon
trois axes : la ré-acquisition de compétences sociales (« Pas à Pas » et « Repas
extérieur »), la mobilisation (« Groupe
Sortie », « Psychomotricité », « Alimentation
Santé »,
« Gym
Urbaine »),
l’expression (« Création », « Entendeurs
de Voix », « Echanges », « Paroles »,
« Préparation et Retour Week-end »,
« Ecoute Musicale »). Chaque groupe
peut mobiliser des compétences appartenant à plusieurs de ces axes.
Un groupe nous semble représentatif du
Programme de Jour, le groupe « Pas à
Pas », car il valorise l’exploration à
l’extérieur du programme, dans un cadre
sécurisant. Il a pour objectif de rompre
avec l’isolement et tout ce qu’il induit
dans le quotidien, de permettre un ancrage sur l’extérieur, de relancer une démarche d’activité, de recréer un réseau
social, d’améliorer le confort de vie, à
terme, de se rendre seul dans les différentes structures de la cité. Il se déroule
sur deux séances, un temps de préparation
et un temps de visite. Les lieux visités
sont des structures adaptées aux personnes souffrant d’un trouble psychique,
répertoriées dans le carnet d’adresse Genevois du Groupe de Réflexion et
d’Echange en Santé Psychique (GREPSY). Nous réalisons également des sorties
culturelles (visites d’expositions, concerts, spectacles) choisies et organisées
avec les patients.
CONCEPTS
Dans notre pratique, nous accordons une
importance particulière à l’accueil et nous
nous appuyons sur le modèle de référence
théorique du rétablissement.
L’accueil
« Reconnaître l’homme qui est là,
avant de penser aux symptômes »
Guy Baillon
L’accueil est plus qu’un acte banal de la
vie quotidienne, plus qu’un rituel social.
Ce qui se passe au moment de l’arrivée
d’un patient est particulier. C’est pour lui
un temps fort, un moment d’imprégnation
où il est sensible et vulnérable et où il a
besoin de se raccrocher à quelqu’un. La
personne qui le reçoit prend alors une
figure importante et à cet instant, le patient reçoit l’image, la mesure de la relation qui pourra fleurir dans ce milieu. Dès
ce moment, sa perception de la qualité des
soins prend forme. Nous considérons
cette démarche comme un point de départ
essentiel du soin. Selon Guy Baillon,
« Nous cherchons à réaliser “une rencontre”, une vraie rencontre humaine,
solide, dense , indispensable si nous voulons que la personne qui vient seule ou
accompagnée puisse peu à peu aborder
ce qu’elle vit comme les raisons de sa
souffrance, raisons qu’elle ne sait même
pas identifier, et dont l’éventuelle nature
psychique l’effraie. »
Tous les matins nous accueillons les patients à partir de 10 h, d’autres membres
de l’équipe peuvent être présents (psychologue, assistante sociale, médecin). Celui
ou celle qui accueille se rend disponible, à
l’écoute, avec la simplicité d’évoquer le
quotidien et d’installer la rencontre. Ce
cadre convivial et rassurant permet aux
patients de retrouver un rythme horaire,
de se rencontrer de manière libre et informelle. C’est un premier contact, un
“accrochage” progressif, c’est aussi le
lieu qui donne une idée de l’humeur de
chacun, de l’humeur du groupe et qui
permet à de nouveaux projets de prendre
forme. M. T., patient du programme de
jour, écrit dans une lettre qu’il nous
adresse : « … tous les matins c’est
l’espace accueil nous nous rencontrons
devant un café, nous discutons de plein de
choses, c’est un moment agréable, mais
surtout ce qui me plaît c’est que ça me
pousse à sortir de chez moi, ce qui me fait
énormément du bien… »
Le rétablissement
« - Tout est perdu, il n’y a plus
d’espoir !
« - Certainement pas ! »
Un patient et un soignant
Ce sont d’abord les personnes qui ont
vécu la maladie mentale qui ont pensé le
rétablissement dans les années 19801990. En 1993, William Anthony dit :
« C’est une démarche personnelle et
unique visant à changer l’attitude, les
valeurs, les sentiments, les objectifs, les
capacités et/ou les rôles de chacun. C’est
la façon de vivre une vie satisfaisante et
utile, où l’espoir a sa place malgré les
limites imposées par la maladie. Pour
guérir, le malade doit donner un nouveau
sens à sa vie, et passer outre aux effets
catastrophiques de la maladie mentale. »
Après avoir étudié les récits personnels
des patients, Andresen et al. les définisse
comme la réalisation d’une vie pleine et
significative, d’une identité positive fondée sur l’espoir et l’autodétermination. Le
rétablissement implique quatre éléments
clés illustrés ici par les écrits de M. T.,
patient du programme de jour :
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
123
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Trouver l’espoir
« … Il y a des jours où j’en ai marre, où
j’en peux plus mais ce que je peux dire
depuis que je viens au programme de jour
je ressens de l’espoir à nouveau, petit à
petit je vois enfin le bout du tunnel et
pourquoi pas le jour, le soleil… » « …
pendant des années je ne sortais plus de
chez moi les stores fermés et dans le noir
complet, mais avec la volonté et la force
de m’en sortir, avec l’aide des soignants,
j’ai vu enfin le bout du tunnel, parfois je
voulais arrêter, ne plus revenir, mais j’ai
tenu bon… »
Redéfinir l’identité
«… être à nouveau actif et non en marge
de la société, pas facile quand on a été
longtemps seul, dans la souffrance, la
maladie psychologique, pas facile de se
faire des nouveaux amis, il faut beaucoup
de courage et de persévérance pour sortir
de cette longue souffrance et de cette impasse de désespoir… »
Trouver un sens à la vie
« J’ai eu des gros soucis avec mes enfants
que je vois plus depuis longtemps, je leur
ai écrit et j’ai même envoyé quelque
chose pour ma petite fille. »
Quelques mois plus tard… « J’ai recontacté ma fille et mon fils nous nous voyons
de temps en temps, je suis allé au parc
avec ma petite fille…»
Prendre la responsabilité du
rétablissement
« Il y a eu plein de fois où je voulais tout
arrêter et ne plus y retourner mais j’ai
tenu bon il y a fallu que je prenne sur
moi ».
En pratique…
Un projet de soins individualisé est établi
avec le patient, il tient compte de ses difficultés et de ses besoins, de son système
de référence et de sa qualité de vie. Nous
utilisons l’Echelle Lausannoise d’Auto
évaluation des Difficultés Et des Besoins
(ELADEB). Le patient va expliciter ses
propres priorités, ce qui permettra la mise
en place d’un programme de soins motivant dont il est acteur. Ce projet s’articule
autour d’interventions diversifiées. La
prise en compte d’un potentiel de changement et d’évolution insuffle de l’espoir.
Ces changements s’effectuent par étapes
et des bilans réguliers sont effectués.
Nous validons des idées, remarques, projets pour l’amélioration du programme.
Les patients sont ainsi acteurs dans
l’élaboration du programme. Nous facilitons l’intégration vers d’autres structures
afin de promouvoir l’ouverture la plus
large possible et valorisons l’exploration
à l’extérieur par des sorties accompagnées
en groupe ou individuellement. Les an-
124
ciens encouragent les nouveaux, la personne aidante trouve un rôle gratifiant,
ceci peut-être un levier pour retrouver une
place dans la société. Certains patients
ayant quitté le programme reviennent
spontanément témoigner de leur parcours.
Deux patients se sont inscrits à la formation “pairs aidants” proposée par
l’association Romande Pro Mente Sana.
Cette formation s’adresse à des personnes
en cours de rétablissement. Ils peuvent
d’une part apporter leur expertise de “soignés” à leurs collègues et d’autre part un
message d’espoir à leurs “pairs aidés”. La
famille et les proches sont intégrés dans le
processus de soins où il convient de limiter les tensions intrafamiliales, de reconnaître le rôle d’aidant, de créer de
nouvelles relations et d’éviter l’isolement.
Les proches, la famille et le
rétablissement
« L’aspect le plus difficile de la maladie mentale est le sentiment de toujours prendre des autres, qui sont
toujours en train de vous donner
quelque chose, qu’ils vous soutiennent
constamment… me rétablir à consister
à voir comment je pouvais redonner
aux personnes qui sont importantes
pour moi… »
Propos d’un patient
La famille et les proches, par leurs attitudes et leurs comportements peuvent
contribuer au rétablissement. Le fait de
reconnaître l’autonomie du proche, son
parcours, sa capacité d’agir (empowerment) et de lui faire confiance a un impact
certain sur le processus de rétablissement.
C’est en acceptant de réaménager les
rôles de chacun que le lien se retisse autrement. Le chemin n’est pas linéaire, il
peut y avoir des avancées et des retours
en arrière. Selon le Sainsbury Centre for
Mental Health, de Londres, « La famille
et les amis doivent aussi relever le défi de
leur propre rétablissement. Eux aussi
doivent réévaluer leurs vies, en essayant
de comprendre ce qui s’est passé et en
faisant les ajustements nécessaires. Les
membres de la famille, les aidants et les
amis doivent trouver de nouvelles sources
de valeurs et de sens pour eux même,
dans leur vie propre et dans leurs relations avec leur proche. Trop souvent les
aidants naturels voient leur propres réseaux sociaux, leurs contacts et leurs possibilités diminuer et constatent qu’ils sont
eux aussi victimes de stigmatisation et
d’exclusion sociale. »
Nous avons aussi constaté l’importance
de valider la fatigue voir l’épuisement de
l’entourage en proposant un “sas de décompression” sous forme de nuits hors du
lieu familial et d’entretiens où l’écoute est
privilégiée. Il nous paraît fondamental de
ne pas déposséder les proches d’un rôle
endossé depuis parfois très longtemps en
prenant le contrôle de la situation, nous ne
sommes pas détenteurs de la vérité ou de
solutions toutes faites. C’est en rassurant,
en informant, en maintenant le contact
que nous créons une relation de confiance
avec les proches. Dans ce même état
d’esprit, nous tenons compte des décisions prises par la famille et nous essayons autant que possible de l’informer
rapidement des changements, aménagements ou orientations thérapeutiques. Le
continuum dans la communication permet
à la famille et aux soignants d’assouplir
les échanges, de désamorcer les conflits
ou quiproquos latents. Cela permet ainsi
de construire un projet commun comprenant des valeurs et des objectifs liés au
mieux-être du patient et de sa famille.
Dans la pratique, chaque famille nécessite
des interventions spécifiques, des suivis
psychothérapeutiques peuvent se mettre
en place avec une différenciation des intervenants (le médecin qui suit le patient
individuellement est différent de celui qui
suit le couple), l’enjeu n’étant pas de supprimer les symptômes coûte que coûte
mais de développer des potentialités, en
tenant compte des forces, des fragilités,
du rythme et du projet de vie de chacun.
Apprendre à faire connaissance avec
chaque partenaire et avec le style
d’échange de la famille, réclame du temps
et nécessite de la flexibilité autant que de
la créativité.
VIGNETTE CLINIQUE
Pour représenter et illustrer concrètement
notre activité au programme de jour, nous
avons choisi de raconter l’histoire de
Charles. Cette vignette retrace le parcours
de ce patient qui s’articule autour des
différents pôles du CAPPI, dans une prise
en soins qui a impliqué son épouse en tant
qu’aidant naturel.
Histoire de la première rencontre
La première fois que Charles se présente
au programme de jour, c’est avec son
épouse Louise, ils viennent pour avoir des
informations sur le programme. Je les
reçois en entretien infirmier. Le patient
est assis, il ne parle pas, il écoute. Je
l’observe, il a un visage triste, il est très
bien habillé, son allure est celle d’un
“gentleman”, il donne le change en consultant son agenda, en validant de la tête
les propos de son épouse. Quant à elle,
elle a besoin de parler, parler d’elle, de ce
qu’elle vit, du parcours de soins de son
mari (l’hôpital psychiatrique, les services
spécialisés, etc.), de sa colère par rapport
aux soignants, de l’injustice de la vie.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Création d’un nouveau programme de jour dispositif et enjeux du travail avec les familles
Le programme de jour n’est pas encore
ouvert, j’évoque avec elle ce qui se profile au sein de ce programme : les groupes
thérapeutiques, les entretiens etc.
Intuitivement, je perçois qu’au-delà de la
maladie de Charles, le couple est en souffrance, Louise est épuisée par la situation
qui dure. Ils partent avec l’espoir pour
l’épouse qu’enfin son mari puisse aller
mieux dans cette nouvelle structure…
Son histoire
Charles est né à Londres. A l’âge d’un an
ses parents se séparent, lui et sa mère
s’installent en Suisse. Charles n’aura pratiquement pas connu son père. Il effectue
sa scolarité en Suisse, après la maturité
(baccalauréat) il se rend à Londres où il
effectue une licence de langues (Italien et
Espagnol). Dès son retour en Suisse se
succèdent des périodes d’activités professionnelles et de chômage. Il travaille dans
plusieurs établissements en qualité de
vendeur. En raison de la faillite de
l’entreprise de vêtements au sein de laquelle il travaille, il est remercié fin 2009.
Depuis novembre 2011, le patient perçoit
une rente d’invalidité à 100% en raison de
ses troubles psychiques. La mère du patient est décédée en 2008 à l’âge de 88
ans. Fils unique, Charles rapporte toutefois l’existence d’une demi-sœur et d’un
demi-frère qu’il n’a jamais rencontré.
L’histoire de sa maladie
Charles est connu de longue date pour un
trouble bipolaire de type I. En effet, il est
hospitalisé une première fois à l’âge de
dix-sept ans suite à une décompensation
maniaque. Plusieurs autres hospitalisations suivront. Toutefois, il restera stable
pendant quinze ans sous Lithium jusqu’en
2009, date à laquelle son médecin traitant
détecte une insuffisance rénale et interrompt le traitement. Instable depuis, il est
à nouveau hospitalisé suite à une tentative
de suicide en novembre 2012. A sa sortie
d’hôpital Charles est ensuite suivi au
CAPPI des Pâquis. Depuis fin 2011, son
épouse observe des symptômes de nature
différente : des oublis, des troubles du
comportement, un discours décousu, des
idées fixes sur des questions peu importantes, des gestes incongrus, un appauvrissement progressif au niveau de ses
compétences sociales, relationnelles et
des troubles langagiers avec voix monocorde. Les modifications du comportement/personnalité
rapportées
ne
ressemblent pas du tout, selon l’épouse, à
la personnalité de son mari. C’est dans ce
contexte que Charles intègre le programme de jour. A l’arrivée, il présente
un état dépressif, des pensées incohérentes, un comportement désorganisé, un
ralentissement psychomoteur, un sentiment de solitude et d’abandon.
L’histoire du couple
Louise est professeur de piano, c’est une
femme pleine d’énergie, coquette, avenante, chaleureuse. Ils se rencontrent à
l’hôpital, elle vient visiter un ami. En
1997 le couple décide de se marier, ils
n’auront pas d’enfant. Ce que nous savons du couple nous est relaté par Louise,
Charles parle peu de leur histoire. Néanmoins, il nous lit un jour les poèmes
d’amour qu’il lui écrit. Il dit ce jour-là
être très amoureux de sa femme. Quant à
elle, depuis cinq ans, elle évoque une vie
compliquée avec lui en lien avec
l’évolution de la maladie, le regard que
les “autres” portent sur leur couple car
Charles peut lui faire honte, il présente
parfois un comportement inadéquat en
société. Elle dit un jour qu’ils n’ont plus
de relations sexuelles. Par ailleurs, il y a
un décalage au niveau des horaires dans
le quotidien, elle travaille et a besoin de
sommeil alors que lui a des difficultés
pour aller se coucher. Cela génère de
fortes tensions et certains soirs, elle peut
le frapper. C’est Louise qui évoque spontanément ces moments de violence, ces
moments où les mots ne comptent plus.
Charles n’en parle pas, mais certains matins lorsqu’il vient, nous sentons que
quelque chose s’est passé à la maison.
C’est arrivé rarement, Louise explique
qu’elle ne se reconnaît pas mais qu’elle
n’éprouve pas de culpabilité, elle est juste
épuisée...
Nos considérations....
Le patient présente une pathologie atypique du fait de ses troubles de l’humeur
et du tableau clinique qu’il présente depuis environ deux ans, c’est à dire une
péjoration de son état cognitif. La difficulté est de savoir sur quel tableau clinique s’appuyer : une entrée dans une
pathologie démentielle ou des phases de
désorganisation ou de dépression en lien
avec les troubles de l’humeur. Au-delà du
symptôme, nous avons décidé de prendre
en compte la souffrance du couple, de
permettre au patient d’avoir un espace
pour lui au sein du programme, de le soutenir, d’essayer de comprendre ce qui se
joue dans son comportement, où se situent ses difficultés et dans quels domaines il a besoin d’aide.
Pour ce faire nous utilisons l’échelle
d’autoévaluation des difficultés et des
besoins :
Quel est actuellement le problème le plus
important pour vous ?
- « Trouver
une
activité
pour
m’occuper » répond Charles…
- Le besoin d’aide : tâches administratives, santé physique, santé psychique,
sexualité.
- Le besoin prioritaire : « Etre occupé
professionnellement » pour Charles.
A partir de là... les objectifs
Pour le patient
- Reprise d’une activité
- Amélioration de l’estime de soi
- Eviter les hospitalisations à répétition
- Diminuer les symptômes
- Favoriser l’autonomie
Pour l’épouse
- Tenir compte de l’épuisement de
l’épouse
- Soutenir l’épouse
- Informer l’épouse
- Valoriser le rôle d’aidant naturel
- L’encourager pour un suivi individuel
Pour le couple
- Rétablir un processus de communication efficace au sein du couple
- Accepter la maladie
- Imaginer un avenir commun
La prise en soin
Une prise en soin groupale est mise en
place à travers les groupes « Préparation
Week-end », « Psychomotricité », « Pas à
Pas » et « Ecoute musicale ». Tous les
matins, Charles vient à l’espace accueil, il
entre souvent discuter avec nous dans le
bureau, il nous téléphone. Il bénéficie
d’entretiens individuels (infirmiers et
médico-infirmiers) Un bilan neuropsychologique mettra en évidence un dysfonctionnement exécutif massif ainsi que
des troubles mnésiques. L’hypothèse
d’une démence mixte (fronto-temporale et
vasculaire) sera évoquée.
Concernant le couple, Louise a un suivi
psychothérapeutique. Des entretiens de
couple sont programmés. Nous planifions
aussi des nuits au pôle crise pour son mari. Nous les soutenons pour un projet de
départ en vacances ensemble. Le couple
voit l’assistante sociale afin d’obtenir de
l’aide (demande de rente d’impotence,
aide à domicile).
Bilan à trois mois
- Participation régulière aux groupes.
- Comportement perturbateur dans les
groupes
- L’angoisse moins présente
- Autonomie suffisante pour se rendre au
CAPPI
- Les symptômes présents sont : thymie
dépressive, désorganisation, troubles cognitifs (mnésique)
- Bon lien avec l’équipe soignante, bon
investissement du programme
- Relation de couple fluctuante
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
125
Le travail avec les familles en hôpital de jour
- Une seule hospitalisation de 10 jours
(lien conservé avec le CAPPI)
Bilan à six mois
- Autonomie suffisante pour visiter des
structures extérieures, prend le train pour
retrouver son épouse en vacances
- Participation plus adéquate aux groupes
- Persistance des symptômes dépressifs
(expression de la tristesse), troubles cognitifs fluctuants, l’angoisse moins présente, comportement plus adapté.
- Amorce d’un processus d’acceptation
de la maladie par le couple.
- L’épouse du patient téléphone moins,
ils partent tous les week-ends, meilleures
relations de couple
- Pas d’hospitalisation
Aujourd’hui
Charles est calme, les angoisses sont fluctuantes. Il présente toujours des troubles
cognitifs, sans aggravation. Son épouse a
fait des démarches avec l’assistante sociale afin que son mari puisse être mieux
encadré à domicile et lors des transports,
et il va intégrer un foyer de jour spécialisé
dans l’accueil de personnes présentant des
atteintes cognitives apparentées à des
troubles démentiels. Nous allons faciliter
son intégration en nous rendant avec lui
dans ce centre afin de définir une stratégie
d’intégration progressive. Charles peut
continuer de venir au programme de jour
et nous allons amorcer un processus de
séparation à son rythme.
De son côté Louise dit…. « Vivre des
moments de douceur » « Nous allons au
lit avec le sourire ». Ils redeviennent un
couple de longue durée qui, avec le
temps, comme dans la chanson de Léo
Ferré, a appris à « laisser faire et c’est
très bien ».
A travers cette histoire, nous observons
que le couple traverse des moments de
crise au cours desquels se modifient les
statuts et les rôles en lien avec la maladie
de Charles, cela a impliqué une transformation des fonctions, une acceptation de
la maladie, un travail sur un nouveau projet de vie.
126
CONCLUSION
« Flash-back on regarde en arrière »,
retour sur la première scène, Charles et
Louise arrivent au programme de jour... la
colère, le sentiment d’impuissance de
Louise, le silence de Charles, leur tristesse, les questionnements sur leur avenir
et la violence qui s’installe… Autre séquence autre scène, cet univers, cette atmosphère presque suffocante nous
renvoie aux dialogues et aux images du
film de Haneke, « Amour ». Ce film
évoque l’histoire d’un couple et sa descente aux enfers, lorsque Georges, joué
par Jean-Louis Trintignant, en mari aimant, accepte la requête de sa femme
malade de ne pas être hospitalisée. Il
prend alors le rôle de garde malade et
construit
autour
d’eux un
mur
d’intransigeance : « Quand on aime il faut
aimer jusque-là, jusqu’au bout ».
L’amour et la haine se juxtaposent,
l’incompréhension face à la maladie,
l’absence de réponses, la perte progressive d’échanges.
A contrario, Charles et Louise trouvent
les ressources pour sortir de cet “enfermement” et demander de l’aide. Valider
leur souffrance, respecter leur vision de la
situation, a été un préalable essentiel et
constitutif d’une véritable relation de confiance. Cela a permis de faire renaître
l’espoir et d’envisager les bases d’un
nouveau projet.
Selon J. Miermont, « Plutôt que de se
focaliser sur les problèmes et leur résolution, les interventions centrées sur la solution considèrent que les choix déjà
effectués par les personnes ou la famille
sont les bons, et qu’il est plus pertinent de
renforcer leurs choix et leurs solutions ».
Ce processus réflexif, basé sur le concept
de rétablissement, nous conduit maintenant à envisager un soutien aux familles.
Nous avons pris conscience peu à peu de
la nécessité d’une telle démarche mais
aussi de sa complexité, les contacts, discussions, réflexions entreprises se sont
enrichis au cours de ces derniers mois et
notamment lors des débats et présentations au Colloque des Hôpitaux de Jour à
Brest. Elles se poursuivent aujourd’hui
avec nos patients que nous incluons dans
notre projet. Notre idée de départ de créer
un groupe multifamilial au sein du CAPPI
s’est transformé progressivement, de part
ces échanges et en lien avec la philosophie du Programme de Jour : favoriser les
échanges vers l’extérieur.
Pour cela, nous prenons contact avec les
Associations Genevoises telles que le
Relais (Association de Proches), Biceps
(Association des enfants dont les parents
souffrent de troubles psychiques), Pro
Famille (groupe de psychoéducation pour
les proches), Pro Mente Sana (association
pour les personnes souffrants de troubles
psychiques et les proches) etc.…
Dans un premier temps, il s’agit de se
“familiariser” avec les différents modes
d’interventions, de bien comprendre les
besoins et attentes de ces associations et
de créer des synergies avec nos patients et
leurs familles. Notre souci constant étant
de proposer aux patients et leurs familles
des espaces accueillants et bienveillants et
d’assurer une liaison entre l’intérieur et
l’extérieur.
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sur la question éthique, Paris, Seuil, 2004, 168
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en 2012 du document Making Recovery a
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Douglas, Montréal
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M., Manual Flexible ACT, Groningen, The
Netherlands, 2013
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
CORPS ET FAMILLES
LA MALADIE COMME UN MOMENT
SIGNIFICATIF D’UNE HISTOIRE
Espaces de soins des troubles du comportement
alimentaire (ESCAL)
Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de
crise (SPLIC)
15 rue des Pitons,
1205 GENEVE
SUISSE
[email protected]
Christelle MEKUI, Michèle CHARTRIN, Laura FRAMBATI, Karine PIEMONTESI,
Karinne PLUCHART, Moïra RODRIGUEZ, Eric VERGER,
Kerstin WEEK-ENDBER, Alessandra CANUTO
Selon la théorie de James Hillman, nous sommes nés dans la famille, qui est celle qui nous aide à
réaliser notre vocation dans la vie.
Afin d’en tenir compte dans chaque étape de traitement, les proches des patients sont inclus dans la
pensée et la concrétisation du projet de soin de chaque patient à l’hôpital de jour des Espaces de
soins pour les troubles du comportement alimentaire (ESCAL) aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Dès le premier contact, la famille a sa place, que ce soit par sa présence ou son absence. Elle
peut participer concrètement à l’entretien d’évaluation, puis être abordée symboliquement dans les
différents groupes thérapeutiques. Son influence s’observe indirectement, mais clairement au moment
des repas thérapeutiques. Les entretiens de famille visent concrètement à établir un partenariat solide
avec les proches afin de les impliquer comme partenaires de soins. Le groupe multi-familles aide les
familles à travailler la tolérance du comportement des patients, diminue la stigmatisation associée à
la maladie, et favorise la communication avec et au sein de l’équipe.
Mots-clefs : Hôpital de jour, groupe multi-familles, troubles du comportement alimentaire, anorexie,
boulimie
Body and family: the disease as a significant moment in one’s history
According to James Hillman, we are born exactly in that family that allows us to realize our vocation
in life.
In order to include the family within each treatment step, patients’ proxies are given thought and are
actively included in the treatment plan of all patients followed at the day hospital of the “Espaces de
soins pour les troubles du comportement alimentaire (ESCAL)” in the Geneva University Hospitals.
Inclusion of the family members starts at the first contact, whether it is by its absence or its presence.
Members can actively take part in the assessment interview, and will be symbolically addressed in the
different therapeutic groups. The family’s influence can be observed indirectly, yet clearly, during the
therapeutic meals. Regular interviews including the family allow creating a solid partnership with the
proxies, who feel engaged as treatment associates. The multi-family group offers the opportunity to
learn tolerance of patients’ behaviours, to decrease stigmatization associated with eating disorders,
and to promote efficient communication with and within the caring team.
Keywords: Day hospital, Multi-family group, eating disorders, anorexia, bulimia
INTRODUCTION
Penser la famille amène très souvent à se
poser la question des origines: d’où vienton? Où va-t-on? Pourquoi moi? Pourquoi
cette famille? La maladie peut être un
moment propice à ce questionnement.
Dans la pratique de la médecine en général et de la psychiatrie en particulier, il
semble communément établi que nous
sommes en grande partie le résultat de
nos gènes, de notre environnement, et de
notre disposition psychologique. Selon ce
modèle bio-psycho-social, les interactions
avec la famille sont primordiales. Ce qui
pourrait partiellement expliquer le fantasme enraciné selon lequel chacun de
nous est l’enfant de ses propres parents.
En d’autres termes, le comportement de
ces derniers, leur présence ou leur absence sont l’instrument premier de notre
destin. Le destin de l’âme serait ainsi le
fruit de notre arbre généalogique. Ce positionnement peut sans doute être rassu-
rant, déculpabilisant voire déresponsabilisant sur notre propre existence, mais peut
aussi nous confiner dans une position
d’impuissance en reflet avec une toutepuissance conférée aux parents. Or,
l’éducation et la génétique n’expliquent
pas tout. Hillman (1996) défend une théorie alternative, selon laquelle chacun de
nous vient au monde avec une vocation,
chacun de nous porte en soi dès la naissance une unicité qui demande à être vécue. Selon cette perspective, c’est la
nécessité de notre existence qui rend le
choix et l’union de nos parents indispensables. Les enfants sont influencés par
l’espoir qu’ils mettent dans le monde de
l’adulte, et non l’inverse. Hillman
s’inspire du mythe d’Er raconté par Platon, selon lequel à l’âme de chacun de
nous est attribué un démon (daimon)
unique avant la naissance, qui a choisi
une image ou un modèle que nous incarnons sur terre. C’est en fonction de ce
choix que les âmes viennent au monde
sous telle ou telle forme et dans telle ou
telle famille, ceci bien entendu en étant
passées par le Léthé (Plaine de l’oubli).
Au regard de cette perspective, nous offrons une compréhension alternative à nos
patients et leurs familles: reconnaître la
vocation comme une donnée fondamentale de l’existence, accorder la vie sur
cette vocation et enfin comprendre que les
accidents de la vie (telles que la maladie)
et le choix de nos parents sont nécessaires
à ceci et à sa réalisation.
Quelle que soit notre référence de pensée
sur la question, que la famille soit considérée comme responsable ou vecteur de
notre devenir, s’il est un point où tous
s’accordent, c’est que la famille est importante pour le patient tant par sa présence que son absence. En psychiatrie
plus précisément, l’importance qui lui
accordée n’est plus à démontrer, quel que
soit le modèle de pensée.
Les définitions des familles ont également
évolué à travers le temps et les civilisations, on peut y voir une communauté de
personnes réunies par des liens de filiation. On constate également que la notion
de famille se retrouve dans toutes les sociétés humaines. Penser la famille tout
comme penser le groupe conduit à réfléchir sur l’individualité et vice versa.
A l’hôpital de jour des Espaces de Soins
pour les troubles du Comportement Alimentaire (ESCAL) des Hôpitaux Universitaires de Genève, bien que ce ne soit pas
un lieu dédié aux soins des familles,
celles-ci sont présentes et se déclinent à
travers les différents espaces de soins.
LA FAMILLE TOUT AU LONG DE
L’HISTOIRE
ESCAL est un programme de soins pour
les personnes adultes (16+ ans) présentant
des troubles du comportement alimentaires, avec plusieurs modalités de prise
en charge selon les intensités de soins.
Ainsi, l’hôpital de jour permet d’offrir
une prise en charge ambulatoire intense
sur plusieurs demi-journées par semaine,
sur le modèle de la communauté théra-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
127
Le travail avec les familles en hôpital de jour
peutique (Jones, 1972). Les interventions
autour des familles sont présentes dans
tous les espaces de soins et vont être
mises en relief dans les paragraphes suivants au travers du circuit du patient dans
le cadre de sa prise en charge à l’hôpital
de jour, du premier contact au groupe
multi-familles en passant par les espaces
groupaux (psychomotricité, psychothérapie, ergothérapie, thérapie par le jeu de
sable) et les entretiens individuels.
LE PREMIER CONTACT
Les patients, dans le cadre de leur prise en
charge à ESCAL, peuvent soit être adressés par les médecins-traitants (internistes,
généralistes ou psychiatres), soit être
adressés par d’autres intervenants du réseau (psychologue scolaire, diététicienne...), soit encore venir d’eux-mêmes
et, dans certaines situations, ils peuvent
être adressés par les familles. La famille
du patient est ainsi présente dès le premier contact.
Ainsi, la sœur d’une patiente nous contacte la première, nous parle de sa sœur,
Mme C., âgée de 40 ans. Elle est inquiète
pour cette dernière, se renseigne sur les
modalités de prise en charge et les problématiques abordées, elle souhaite même
prendre rendez-vous pour sa sœur, nous
lui proposons de discuter de tout ceci
avec la patiente elle-même et, quelques
jours plus tard, la patiente nous appelle,
se présentant comme étant Mme C., sœur
de... Nous lui proposerons une première
évaluation et c’est ainsi que débutera sa
prise sa charge.
Dans une autre situation, une fille de 19
ans trouve nos coordonnées sur Internet,
elle souhaite une évaluation pour son
propre trouble alimentaire. Un rendezvous est pris, et après cette première évaluation elle conseille ESCAL à sa mère
qui souffre d’un important surpoids dans
le contexte d’une hyperphagie, si bien que
cette dernière commence le suivi à
l’hôpital de jour.
A travers ces exemples cliniques, nous
voyons que les familles se présentent à
nous de diverses façons et prennent souvent une place importante concrète ou
symbolique dans la prise en charge de
patients à l’hôpital de jour. Une prise en
compte de cette dimension nous permet
de rester attentifs aux interactions et aux
relations interpersonnelles pendant la
prise en charge.
Selon les deux premiers exemples, c’est
la famille qui, soit s’inquiète, soit se voit
attribuer le rôle de “demandeur de soins”.
L’un des enjeux de la prise en charge est
de continuer de penser le patient au centre
des soins tout en tenant compte de la famille comme alliée qui peut être trop ou
pas assez présente. Dans la prise en
128
charge des troubles du comportement
alimentaire, l’intérêt pour les familles a
toujours été très présent (Birot et al,
2006 ; Bruch, 1973), notamment pour les
parents et, de manière encore plus spécifique, la mère. Ces derniers sont souvent
vus tantôt comme des partenaires de
soins, tantôt comme vecteurs de la maladie et tenus à distance selon les settings
thérapeutiques, tantôt interrogées dans
leurs relations avec le patient ou leur
fonctionnement propre, avec une injonction de suivi pour eux-mêmes.
L’ENTRETIEN D’ÉVALUATION
Lors de l’entretien, nous sommes attentifs
à clarifier la demande de soins et la symptomatologie clinique dans le but de faire
une bonne orientation du patient. Très
souvent, la demande de soins n’est pas
formulée par le patient, qui doit nécessairement être présent lors de cette première
évaluation. Souvent, le patient pressentant
un trouble du comportement alimentaire
est peu demandeur d’aide. Il accepte plus
ou moins formellement la demande formulée par le tiers, quand il ne s’y oppose
pas clairement. Le tiers parent, conjoint,
fratrie, amis ou réseau de soins semble à
ce moment porter l’inquiétude et est validé dans ce rôle par le patient. Dans notre
expérience clinique, même si la famille
n’est pas présente physiquement, elle
reste très présente dans le discours du
patient, notamment lorsque la symptomatologie alimentaire est abordée. La famille
peut ainsi être vécue comme ne comprenant pas les difficultés alimentaires du
patient et ne prêtant ainsi aucune attention
à la qualité des aliments ou des repas proposés au patient. Pour d’autres patients,
on peut y voir la revendication d’une attention particulière qui masque une demande tout autre. Dans d’autres
situations, la famille est complètement
adaptée à l’exigence alimentaire qualitative ou quantitative du patient, et est aussi, demandeuse de conseils et de soutien,
car elle a le sentiment de ne pas réellement faire ce qu’il faudrait. Autant dans
l’entretien d’évaluation, il nous semble
important de faire une bonne évaluation
clinique de la problématique du patient,
autant dans cette évaluation il est important de se faire une idée de la nature des
liens familiaux. Ceci nous semble
d’autant plus vrai que les soins en hôpital
de jour s’adressent à des personnes vivant
au domicile et nécessitant une élaboration
des liens avec l’environnement de manière plus large et la famille de manière
plus
spécifique.
Les
entretiens
d’évaluation sont effectués par un
“couple” de soignants, ce qui favorise
également les projections des uns et des
autres dans ce premier entretien avec la
structure de soins.
Par la suite, pour les patients dont
l’indication d’un suivi à l’hôpital de jour
est posée, ils vont bénéficier d’un programme groupal selon plusieurs axes,
prenant en charge la personne dans sa
globalité et de manière multidisciplinaire,
complété par un suivi individuel selon
leur objectif de soin personnalisé.
LES ESPACES DE GROUPE
Indépendamment de l’intensité de son
programme hebdomadaire, chaque patient
participe sans exception aux différents
espaces groupaux.
L’espace corporel
Le corps revêt une place importante dans
la problématique des patients présentant
un trouble du comportement alimentaire.
La littérature sur la prise en charge de
cette problématique par les approches
corporelles abonde. La symptomatologie
dans les troubles du comportement alimentaire et surtout dans l’anorexie implique une perturbation de l’image
corporelle. Cette perturbation est souvent
en lien avec un trouble de la perception
du schéma corporel, qui elle-même va
entraîner une difficulté à se positionner
dans la relation à l’autre. Entre désorganisation du schéma corporel et désorganisation du schéma familial, les influences
sont réciproques. Et c’est ainsi que la
famille ou les proches s’invitent ou sont
interrogés à travers le corps dans les
séances groupales de psychomotricité.
Dans le groupe de psychomotricité, Mme
C. décrit une perception morcelée du
corps, et dans le miroir elle ne voit pas
son corps en entier, mais des parties de
corps les unes à côté des autres. Elle
éprouve par ailleurs du plaisir à s’arracher
de petits bouts de peau autour des ongles
après un coup de soleil. Son père lui donnait de l’argent pendant son adolescence
en fonction des kilos perdus. Et la patiente, elle, donnait de l’argent à sa sœur
pour que cette dernière lui arrache des
bouts de peau ; le mari de la patiente a
tendance également à lui offrir des cadeaux luxueux, lorsqu’elle arrive à
s’abstenir de vomir pendant une période
donnée. Ces éléments ont été abordés
dans le cadre du travail dans l’espace corporel et, tout au long de la prise en
charge, ont permis d’interroger le rapport
au corps, et ont pu conduire à aborder les
relations au sein de la famille et les difficultés dans ce contexte pour la patiente de
se représenter son propre schéma corporel.
Une autre patiente, en difficulté pour faire
des exercices de respiration, fait le lien
avec son père qui, lors des punitions où
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Corps et familles : la maladie comme un moment significatif d’une histoire
elle devait rester assise sans bouger, lui
disait « que je ne t’entende pas respirer ».
Elle exprimera ne pas aimer son corps,
voudrait qu’il disparaisse. Elle évoquera
alors les violences subies dans le passé.
Mme D. porte des vêtements amples pour
masquer la forme de son corps. Depuis le
suivi, elle n’est plus satisfaite de son style
vestimentaire, se cherche un nouveau
style. Ses enfants réagissent, ils ne la reconnaissent plus, ils découvrent son corps
et ils tentent de l’approcher.
Le travail effectué dans l’espace corporel
a pour but d’aider les patients à améliorer
la perception de leur propre schéma corporel, ce qui, au vu de ce qui précède, a
aussi un impact fort sur la structure familiale et sur la qualité de vie du patient.
L’espace verbal
Dans le groupe de psychothérapie, les
proches sont souvent évoqués à travers
des anecdotes, des patients d’âge et de
situations familiales très différentes
s’interrogeant et comparant l’importance
de leur rôle et de leur place au sein de la
famille.
Mme C. arrive en retard à nouveau. Elle
s’excuse plusieurs fois, elle s’intéresse à
rattraper la discussion manquée. Les
autres s’agacent, las de « devoir lui apprendre les bonnes manières ». Mme C.
se met alors à parler de ses parents qui se
font vieux, qui ne seront plus là éternellement pour veiller à son éducation.
Mme N., 42 ans, dit avoir lu que
l’anorexie serait liée au refus de grandir,
de s’émanciper, de s’autonomiser. Elle
interroge Mme V., 17 ans, aimerait savoir
si c’est vrai ? Puis elle parle de ses préoccupations pour l’alimentation de son fils,
8 mois, qu’elle n’allaite pas, contrairement à sa mère.
Mme D. organise, rassemble, dirige et
materne le groupe lorsqu’il se retrouve
dans un moment de flottement « comme à
la maison avec ses enfants et son mari... »
Elle prend conscience qu’elle analyse/compte en permanence les échanges
pour vérifier que personne n’est oublié.
Elle peut faire le lien entre son attitude
dans le groupe et son fonctionnement
avec sa famille.
Le groupe comme microcosme permet de
reproduire des schémas comportementaux
et relationnels connus, et ainsi
d’expérimenter de nouveaux schémas
alternatifs, notamment quant à la résolution de conflits et quant à la communication autour de la maladie.
L’espace créatif
Dans le groupe de la thérapie par le jeu de
sable, les patients choisissent l’espace de
leur création (sable sec ou mouillé) et
avec ou sans figurines, ils représentent
une émotion, un sentiment, une difficulté,
un rêve, une envie, un cauchemar, etc.,
selon leur envie. Le monde intérieur peut
être symbolisé. Là où les mots font défaut, les images peuvent être plus parlantes. Les créations peuvent se réaliser
seul ou à plusieurs. Les histoires individuelles se rencontrent et l’histoire commune naît. Ainsi les familles réelles et
fantasmatiques peuvent être pensées,
l’image servant de pont entre les deux.
Madame N. représentera les différents
membres de sa famille en illustrant le lien
avec chaque personne par différents objets et matières. Elle utilisera pour ce faire
tantôt une échelle, un pont, une corde ou
un ruban.
Une autre patiente, Mlle V., au cours du
groupe, fera une production au sein de
laquelle elle représente sa mère en forme
de squelette et pose à côté un biscuit. Le
reste du groupe intervient et lui propose
de changer le squelette contre un personnage plus neutre qui peut s’asseoir à côté
d’elle, la rassurer et être un soutien ; la
patiente accepte et finalement retire le
biscuit de la production, car elle se rend
compte qu’il n’est plus utile.
Mme W., se représentera avec sa famille,
et dans sa représentation d’elle-même elle
mettra côte à côte, un squelette, un fantôme et la boulimie, en plus des membres
de la famille elle mettra un autre personnage plutôt magique Aladin avec sa
lampe merveilleuse. Le groupe la questionnera sur le miracle que pourrait faire
Aladin et la patiente perplexe pourra interroger son ambivalence face aux soins,
et sa difficulté avec le changement.
L’environnement
Le groupe d’ergothérapie, est tourné vers
l’extérieur, et interroge le réseau et les
difficultés d’être en lien avec autrui, la
gestion du quotidien, avec les loisirs et/ou
les contraintes y associées. Il favorise le
travail autour des ressources personnelles,
et souvent les patients font à l’hôpital de
jour des essais, qu’ils tentent d’appliquer
ensuite à la maison avec la famille.
Le projet de Mme N. était de commencer
par prendre les sushis tous les jeudis avec
son infirmière et, au bout de quelques
fois, elle a spontanément décidé d’inviter
une amie et de ne plus solliciter
l’infirmière.
Quant à Mme D., souffrant d’anorexie
mentale restrictive, le groupe l’a aidé à
planifier ses courses pour les repas en
famille, son mari et ses trois enfants. Au
début, il lui fallait plusieurs menus pour
chaque personne de la famille et, progressivement, il n’en faudra plus que deux et
puis plus qu’un menu unique.
Le lien avec la maladie
Ce groupe conduit par un médecinpsychiatre et un infirmier permet aux patients d’amener leurs questions autour de
la maladie dans sa dimension psychopathologique, les traitements et autres idées.
Les informations sur la maladie, les visions des uns et des autres sur la nature
des symptômes voire le sens qui y est
donné, sont échangés. Ceci dans le but
non seulement d’améliorer la connaissance mais aussi de confronter son vécu
de la maladie à celui d’autrui et, au-delà
du diagnostic CIM ou DSM, et de partager les similitudes et différences dans la
lecture des symptômes et de la souffrance. Les patients peuvent évoluer dans
leur positionnement par rapport aux
autres patients, changer de rôle. Certains
pourront face à la souffrance de l’autre
vouloir soutenir, être irrité, vivre
l’impuissance, ce qui dans le cadre groupal amène parfois à se positionner comme
proche d’autres patients et expérimenter
ainsi le vécu de proche ou d’aidant. Dans
ce groupe également, la mort est souvent
évoquée, le groupe fait aussi l’expérience
que tout n’est pas explicable et compréhensible et, parfois, la contradiction devient partie intégrante et fondamentale au
changement. Le groupe peut faire
l’expérience que la compréhension, aussi
vaste soit-elle, n’est pas la donne première ou une garantie pour qu’un changement ait lieu.
Les repas thérapeutiques
Les repas à l’hôpital de jour d’ESCAL
sont pris en groupe, patients et soignants
ensemble, selon des indications thérapeutiques individuelles, et discutées avec
chaque patient, en définissant des objectifs personnalisés. Les patients sont libres
de manger les repas proposés par l’hôpital
ou d’apporter leur propre plat. De même,
ils définissent eux-mêmes le choix et la
quantité des aliments. Au-delà des objectifs individuels, propre à chaque patient
selon sa situation clinique, le but du repas
est également et surtout de se retrouver
autour de la table, de partager un repas
ensemble et de passer un moment de convivialité, l’alimentation étant également
un vecteur émotionnel.
La famille est également souvent présente, à travers la crainte des repas de
famille par exemple. Les repas pris à
l’hôpital de jour favorisent un questionnement autour de la bonne éducation nutritionnelle de sa famille « regardez, il
mange de tout », phrase qu’une patiente a
prononcé au sujet de son enfant, qui était
présent ce jour au repas à l’hôpital de
jour. Ainsi, ce repas thérapeutique dans
un espace communautaire offre la possi-
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
129
Le travail avec les familles en hôpital de jour
bilité d’un apprentissage interpersonnel,
l’expérience de ne pas être seul.
LES ENTRETIENS DE FAMILLE
Le positionnement des soignants vis-à-vis
des familles des patients présentant des
troubles alimentaires a évolué au fil du
temps et selon les modèles théoriques de
prise en charge. Pour les approches systémiques, au XIXème siècle, les parents
étaient jugés responsables de l’anorexie
de leur fille adolescente à travers une relation précoce défaillante, encourageant
l’enfant à satisfaire les besoins de la mère
au lieu des siens. Au XXème siècle ont
émergés des théories qui véhiculent une
vision pathologique de la famille entière.
Le symptôme servirait à détourner
l’attention familiale de la mésentente parentale et de protéger la famille de la séparation. Les pratiques thérapeutiques
consistaient soit à tenir la famille à
l’écart, soit à l’impliquer dans un travail
familial destiné à réparer ses défaillances.
Or, ces pratiques entrent en résonance
avec le doute et la culpabilité des familles, renforcent une atmosphère
d’inquiétude et d’incompétence peu propice à la mobilisation des ressources de la
famille. Actuellement, la famille est considérée non pas comme cause de la maladie, mais avec des capacités à s’adapter et
organiser autour d’une maladie potentiellement mortelle. Le trouble du comportement alimentaire est hors contrôle du
patient, mais le patient a la responsabilité
de reprendre le contrôle de sa vie. Les
proches sont invités à être soutenant afin
de redonner la responsabilité de sa vie au
patient. Au lieu de rechercher un problème familial à réparer, il s’agit de construire un partenariat solide. Les soins ont
évolué de la « parentectomie » vers
l’implication des proches comme partenaires de soins (p.ex. Locke & Le Grange,
2002).
Dans notre expérience clinique, il n’existe
pas une seule description, une seule typologie de famille avec patient présentant un
trouble alimentaire. Et réduire le patient
uniquement à l’expression d’un dysfonctionnement de la famille serait aussi lui
enlever son individualité, son originalité,
voire le déposséder de son destin. À
l’hôpital de jour, notre prise en charge sur
le modèle de la communauté thérapeutique offre des soins au patient, et dans ce
contexte propose aussi des espaces pour
les proches et les familles, sans pour autant être un lieu de thérapie familiale. Les
espaces proposés ainsi aux familles passent de l’entretien de famille individuel au
130
groupe multi-familles. Ainsi le travail
avec les familles, notamment les entretiens de famille, aide les familles à trouver un espace de parole autour de la
difficulté qui peut être la leur, à exister, à
s’adapter et à se développer dans ce contexte de maladie du proche.
LE GROUPE MULTI-FAMILLES
Le groupe multi-familles proposé aux
proches et aux patients suivis à ESCAL se
veut transversal, incluant ainsi les suivis à
l’hôpital de jour et à la Consultation. Il
s’agit d’un groupe ouvert à fréquence
mensuelle. Chaque patient peut nommer
ses proches, qui recevront un courrier
d’invitation adressé par l’équipe soignante. Toute l’équipe participe au
groupe. La proposition d’un groupe multifamilial n’est pas spécifique à la problématique des troubles alimentaires. Les
premières expériences de groupe multifamilles décrites dans le but de créer une
communauté soignante reviennent à Laqueur, qui dès les années 1960, a exploré
l’intérêt de ces approches dans le traitement des troubles psychiques tels que la
schizophrénie (Cook-Darzens, 2007a). Le
groupe multi-familles favorise un échange
d’idées et d’informations avec d’autres
familles, est une source d’informations,
mais aussi un soutien, et facilite ainsi une
ouverture à d’autres modes d’adaptation
avec la maladie. Il combine les approches
psycho-éducatives, de thérapie familiale
et de thérapie de groupe dont il s’inspire
(Cook-Darzens, 2007b). Il vise ainsi un
double but : améliorer les pratiques institutionnelles et lutter contre l’isolement du
patient en favorisant ainsi la communication inter- et intra-familiale. Les familles
peuvent aussi, à travers ce groupe, se sentir soulagées, se sentir comprises, après
s’être senties rejetées ou incomprises. Le
fardeau imposé par la maladie de chaque
patient semble ainsi divisé par le nombre
de participants, et non pas multiplié par le
nombre de patients dans le groupe. La
validation des compétences des familles
en tant que famille et l’expression de
leurs souffrances sont des conditions propices à l’installation d’une atmosphère
permettant la mobilisation des ressources
des uns et des autres. Les thérapies multifamiliales aident les familles à tolérer les
comportements perturbés du patient, réduisent le sentiment de stigmatisation du
patient associé aux soins, mettent en lumière des interdépendances pathogènes et
introduisent une communication plus efficace au sein de l’équipe (Garcia Badaracco, 1999).
CONCLUSION
Dans les troubles du comportement alimentaire, plusieurs auteurs ont écrit sur la
famille, chacun mettant en avant
l’importance de cette dernière. Importance qui n’est plus à démontrer si l’on
considère que l’alimentation est l’un des
vecteurs des relations interpersonnelles.
Ainsi, une perturbation autour du lien à
l’alimentation va nécessairement avoir un
retentissement sur les relations et, pour
certains auteurs, ces relations interpersonnelles vont à leur tour déterminer en
quelque sorte cette alimentation. Plusieurs
auteurs s’accordent à dire que ce n’est pas
tel ou tel aspect du comportement au sein
du groupe familial qui est responsable
d’une évolution saine ou anormale, mais
plutôt les interactions dynamiques entre
les membres d’une famille et les rôles
qu’ils sont amenés à jouer l’un vis-à-vis
de l’autre (Bruch, 1994).
La prise en charge des troubles du comportement alimentaire dans notre hôpital
de jour ESCAL, propose des soins en
groupe et en individuel sur le modèle de
la communauté thérapeutique. Ce travail
intensif en ambulatoire permet ainsi
d’aborder les difficultés du patient dans
son environnement et d’être au cœur des
difficultés du patient qui, souvent, peuvent être masquées ou difficilement approchées lors d’un séjour hospitalier. Il
permet ainsi au patient de développer les
ressources face aux difficultés liées à sa
problématique, et d’expérimenter ainsi à
l’hôpital de jour, dans un environnement
thérapeutique les modalités relationnelles
qui peuvent être appliqués à l’extérieur.
BIBLIOGRAPHIE
1. BIROT E., CHABERT C., JEAMMET P.,
Soigner l’anorexie et la boulimie : Des psychanalystes à l’hôpital. 1ère éd., Paris, Presses
universitaires de FRANCE, 2006, 237 p.
2. BRUCH H., Les yeux et le ventre : l’obèse,
l’anorexique, Paris, Payot, 1994, 444 p.
3. COOK-DARZENS S., Les premiers développements de la thérapie multifamiliale, Relations, 2007, pp.19-32
4. COOK-DARZENS S., La situation actuelle :
familles multiples, réalités multiples, Relations, 2007, pp. 33-56
5. GARCIA BADARACCO J. E., La communauté thérapeutique psychanalytique à structure multifamiliale, Paris, PUF, 1999, 371 p.
6. HILLMAN J., Le code caché de votre destin,
Paris, Robert Laffont, 1996, 350 p.
7. JONES M., Au-delà de la communauté thérapeutique, Villeurbanne, Simep éditions,
1972, 147 p.
8. LOCK J., LE GRANGE D., Treatment
manual for anorexia nervosa: a family-based
approach. New York: Guildford Publications,
2002, 270 p.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
SYNTHÈSE DU COLLOQUE
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
Département de Psychiatrie
SUPEA
Rue de Bugnon 23 A
1011 LAUSANNE
SUISSE
[email protected]
C’est à moi que revient la tâche complexe
de nouer la gerbe de ce XLème colloque
des Hôpital de jour. Et c’est pour cela que
certains m’ont vu passer plus ou moins
brièvement dans les ateliers de cette journée.
Je tiens à remercier le comité
d’organisation de Brest et en particulier,
les Drs. Maria Squillante, Jean-Yves Cozic et Jacques Cirolo pour cet argument si
intéressant qui a permis des réflexions
passionnantes. Et je remercie aussi tout le
reste de l’équipe qui a magnifiquement
organisé ce colloque.
Ces colloques annuels n’existeraient pas
si une équipe de passionnés ne travaillait
années après années pour continuer de
faire vivre ces moments de réflexion et
d’échange dans une atmosphère faite de
rigueur et d’ouverture : mes remerciements vont donc également au comité
scientifique du Groupement.
Je vais tout d’abord relever un élément
central de ces colloques du Groupement
des hôpitaux de jour :
Le travail y est partagé entre deux types
de savoirs : d’une part les conférences
plénières, construites par des experts, une
transmission de savoir très construite, à la
recherche d’un niveau méta, avec un excellent niveau de théorisation. Ce niveau
nous est à tous absolument nécessaire
pour penser, nous nourrir de concepts
riches, nouveaux, réorganisés, correspondant à l’époque.
Et il y a aussi les ateliers : 24 ateliers, 24
équipes qui se sont mises au travail depuis des mois pour penser les pratiques,
les décrire, les lier à la théorie et cela en
plus du travail quotidien. Et dans ces ateliers, ce qui est décrit, ce sont les pratiques réelles, j’insiste sur ce terme et ce
n’est pas souvent que l’on essaie de décrire le quotidien…
Ces pratiques réelles sont bien différentes
des pratiques prescrites : mais prescrites
par qui ?
Par nos parlements et administrations au
travers de multitudes de lois et règlements ? Par les juristes qui établissent
des règlements de bonnes pratiques, souvent impraticables, mais qui couvrent
juridiquement l’institution en cas de problème ? Par les responsables des services
Bernard HUNZIKER
Psychologue
qui cherchent à améliorer les pratiques…
ou à les rendre moins couteuses ? Par les
praticiens et cadres qui tentent de définir
les bonnes pratiques et de les figer dans
des règles à appliquer ?
Elles sont aussi différentes des pratiques
idéales, troisième forme après les pratiques réelles et pratiques prescrites : elles
sont une forme surmoïque, parfois culpabilisante, que nous portons en nous et qui
nous dicte quel idéal nous devrions atteindre, idéal souvent très élevé, trop élevé, paralysant, impossible.
Ce colloque, avec ces ateliers qui parlent
des pratiques réelles, permet d’aborder en
sécurité, j’insiste sur ce mot et j’espère
que ça a été le cas, d’aborder en sécurité
une réflexion sur nos pratiques réelles
avec leurs décalages par rapport aux théories, aux pratiques prescrites et aux pratiques idéales.
Les pratiques des soins en hôpital de jour
que vous avez présenté sont des créations,
des créations qui ont tenu compte des buts
de nos institutions, du réel des moyens
mis à disposition et des personnalités des
collègues qui y travaillent comme nous
l’a magnifiquement montré le Pr Raynaud
dans sa conférence, mais aussi par le réseau d’envoyeur qui nous situe autrement
que ce que nous nous étions représenté
l’institution à laquelle nous participons.
Ces pratiques sont aussi et surtout cocréées par les patients que nous accueillons, ces patients qui transforment nos
projets de soins par leur personnalité, par
leur complexité, par leurs besoins, par le
réel de leur vie.
Le progrès, l’adaptation aux changements
proviennent parfois du réel des pratiques,
parfois de la théorisation. Ces colloques,
en réunissant les deux approches, créent
un niveau scientifique élevé entre théories
et pratiques.
La question de la place de la famille dans
notre société, dans toutes les sociétés est
un sujet des plus complexes. L’individu
n’existe-t-il par et pour lui-même ? Ou ne
prend-il sa place que dans sa famille, son
clan, son environnement ?
Cette question doit être abordée en psychiatrie, dans nos pratiques d’Hôpital de
Jour, et ce d’autant plus que c’est justement la construction de l’individu dans
son environnement qui pose question
dans les pathologies qui émergent. Et qui
nous permet de relire d’une autre manière
ce rapport si particulier d’être soi par le
lien aux autres.
C’est dans ce sens que le thème du travail
avec les familles en hôpital de jour doit
être repris à chaque époque, à chaque
évolution culturelle pour le resituer dans
sa place actuelle : qu’attribue-t-on respectivement à l’individu, à sa famille ou encore à l’époque ? A ce titre-là, je voudrais
citer le livre du sociologue Alain Ehrenberg qui a écrit il y a plus de 10 ans « La
fatigue d’être soi ». Il aborde la problématique d’une nouvelle définition culturelle de l’individu qui émerge en occident
sous deux aspects que sont l’autonomie et
la responsabilité. Thème repris dans l’un
des ateliers ce matin. Ce changement de
paradigme de ce qu’est l’Homme contemporain ne modifie pas seulement en
profondeur les liens que nous avons avec
les patients mais également la forme des
pathologies qui émergent actuellement.
Vous me permettrez, j’espère, un moment
de théorisation pour vous décrire le référentiel duquel je vais me situer pour
commenter certains aspects ayant émergés au cours de ce colloque : petit détour
par l’inconscient, l’ethnopsychiatrie et la
sociologie.
Nous avons tous un sentiment d’exister
par nous-mêmes, nous avons une représentation de nous-mêmes complète et
l’impression de pouvoir décider de passablement de choses dans notre vie.
Mais cette impression a au moins deux
limites : d’une part notre inconscient,
personnel ou familial, transgénérationnel,
etc. dont nous savons tous les effets qu’il
peut avoir sur notre vie. Nous en repérons
certains éléments grâce à notre travail sur
nous-mêmes et parfois dans le cadre de
supervisions.
Mais il y a aussi tout ce qui nous détermine dans la culture : la représentation de
nous-mêmes, comme individu, est très
marquée par l’époque et le contexte. Pensez à ce qu’aurait pu être la représentation
que vous auriez de vous à une autre
époque ou dans un autre environnement
culturel !
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
131
Le travail avec les familles en hôpital de jour
Et c’est en tenant compte ces deux axes,
l’inconscient dans sa version classique et
du non conscient culturel, que je vais
donc vous proposer maintenant quelques
points qui m’ont marqué. Je ne reprendrai
pas le contenu des conférences ni des
ateliers que vous avez tous pu suivre. Je
vais plutôt tenter d’en tirer quelques fils
rouges, de relever certaines pointes qui
sont peut-être des pistes de réflexions ou
encore des points dont l’absence m’a
frappé.
Je ne saurais, hélas, rendre hommage à
toutes les idées, créations, concepts que
vous avez eu l’occasion d’exprimer, ces
éléments seront dans la revue de ce colloque.
Tout d’abord sur le changement
d’ambiance de ce colloque de Brest avec
le premier colloque de Lausanne en 1983
qui portait également sur la question des
familles et dont nous a parlé en introduction le Dr Alary : cette fois la guerre des
modèles autour des familles n’a pas eu
lieu ! Elle a fait place à une nouvelle
forme d’articulation : psychodynamique
et systémique sont devenus complémentaires, mutuellement enrichissant sans
avoir besoin de passes d’armes ; ces deux
modèles se sont mutuellement enrichis et
cela permet une collaboration riche. Le
modèle TCC existe, il cohabite dans un
certain nombre d’Hôpitaux de Jour ; il
semble apporter des réponses thérapeutiques intéressantes pour les patients et les
équipes même si le vocabulaire commun,
la complémentarité n’est pas encore bien
articulée : il coexiste. Les professionnels
paraissent bien ancrés dans leur modèle
respectif et peuvent dès lors dialoguer
avec les tenants d’autres modèles sans
risquer une trahison ou ne viser qu’une
OPA inamicale pour prendre une image
de la haute finance.
Je relève une tendance de fond dans ce
colloque : l’augmentation des pratiques
objectivantes, informations aux familles
dont un membre souffre d’un trouble psychotique, guidance parentale, échelle
d’évaluation, sondage auprès des familles
et des collègues, consultation pour
proches aidants et j’en passe. Cette tendance propose de l’aide aux familles en
partageant un savoir. Ces pratiques variées n’empêchent visiblement pas ceux
qui les pratiquent d’offrir en parallèle des
psychothérapies familiales analytiques ou
systémiques alors que ces dernières représentaient l’offre principale aux patients il
y a encore peu de temps.
Oui, en Hôpital de jour, nous sommes
pluridisciplinaires, nous travaillons avec
nos patients sur plusieurs approches pour
tenter de faire avec le tout. Mais il
manque souvent la dimension du temps :
132
avant son arrivée, le patient a vécu des
liens avec d’autres professionnels, bons
ou mauvais, a bénéficié de soins variés,
adaptés ou non à leurs besoins. C’est la
Dresse Duc Marwood qui nous a proposé
de mieux écouter cette histoire contée par
les patients. Et ainsi de nous éviter de
tomber dans les mêmes pièges que
d’autres collègues avant nous avec ce
patient ou cette famille. Pire encore : nous
risquons d’interpréter comme pathologique une attitude ou un comportement
qui a été proposé par un autre professionnel si nous n’avons pas questionné patient
et famille sur l’histoire telle qu’ils la racontent. Et quitte à ne pas être politiquement correct, nous savons tous que
n’offrons pas toujours des réponses adéquates à nos patients, ceci en relation
entre autre avec la complexité des institutions et les différentes crises qu’elles traversent.
La variété des champs de travail avec la
famille : impressionnant ! Au fil des conférences et des ateliers, j’ai entendu une
série de termes que je vais tenter de classer dans une hiérarchie progressive : rencontrer, informer, guider, s’entretenir,
accompagner, famille comme cothérapeute, famille en psychothérapie, et
bien d’autres. Les équipes d’Hôpital de
jour offrent souvent des prestations à plusieurs de ces niveaux soit dans le même
temps soit successivement. Et j’ai admiré
les efforts de tous pour ne pas aligner ces
prestations mais bien les articuler entre
elles. Et les efforts pour que patients et
familles profitent de ces différentiations
d’espaces.
La question de l’identification projective
en lien avec famille et équipes, brillamment expliquée déjà en conférence plénière par le Professeur Malchair au
travers d’un cas clinique. Reprise ensuite
dans quelques ateliers qui ont pu décrire
ses effets et les moyens de dépasser les
blocages qu’elle engendrait : oui, nous
sommes toujours soumis à ce mécanisme
complexe aux effets parfois douloureux,
et nous le rappeler était nécessaire mais
nous avons aussi entendu en filigrane que
ce mécanisme universel est également à
l’œuvre chez les professionnels et les
équipes qui peuvent parfois annexer ou
expulser des parties d’eux-mêmes dans
les patients afin de protéger leur identité
de “bon” thérapeute ou de “bonne”
équipe. Certes, la supervision devrait aider à révéler ces mécanismes mais y faisons-nous suffisamment attention ?
Une autre réflexion qui a émergé au cours
de ce colloque : comment intégrer le
droit, les juridictions qui modifient les
droits et devoirs des patients, des familles
et les nôtres et qui sont en évolution à la
fois importante et rapide ?
Notre ami Jean-Yves Cozic en a parlé lors
de l’ouverture de ce colloque. Ce droit va
vers une plus grande autonomie et responsabilité du patient et / ou de ses
proches et cela dans nos 3 pays. Les patients et les familles devraient pourvoir
être plus actif dans le choix de leur traitement grâce à un « consentement éclairé
». Mais qu’est-ce qu’un consentement
éclairé lorsqu’on souffre d’une maladie
psychique ? La maladie psychiatrique
réduit-elle la capacité de décider ? Et si
oui de combien ? Qu’est-ce qu’un consentement éclairé dans une famille ellemême dysfonctionnelle ?
Quelles en sont les limites ? Et qui déciderait de ces limites ? Et si les informations sur les traitements viennent de
forum sur internet ? Cette question était
au travail dans plusieurs équipes et visiblement un travail plus partenarial
s’installe progressivement dans nos Hôpitaux de Jour avec d’importants succès.
Dernier fil rouge que je vais relever ici :
les changements importants dans les
formes sociales des familles dans nos
pays. La famille adoptive elle, est bien
connue, mais toujours aussi complexe ; la
famille monoparentale, très classique
mais dont les conséquences ne sont pas
toujours relevées : très souvent des
femmes, avec un fort risque de paupérisation, des difficultés parfois à reconstruire
un couple, etc.
La famille recomposée, un classique :
mais le travail est tendu entre les pôles du
droit, qui va vers la filiation du sang et
celui du lien, qui va vers les attachements
aux nouveaux beaux-parents, demi-frères
ou demi-sœurs, voir pas même demi, avec
qui la vie se fait au quotidien.
Les familles migrantes dont les particularités sont non seulement culturelles mais
proviennent également des adaptations de
leur organisation dans nos pays, et qui
nous laissent souvent démunis. Les familles d’accueil qui offrent souvent un
fort investissement pas toujours simple
mais jamais reconnu en termes de droit.
Familles homoparentales dont le débat
fait rage au niveau politique et nous surprend lorsqu’il apparaît dans la clinique.
Tous ces thèmes sont au travail dans nos
Hôpitaux de Jour. Nous inventons des
pratiques au plus proche de nos patients et
de leur situation réelle toujours en évolution. Ces pratiques s’étayent sur les théories, et ces théories se renouvellent sur les
pratiques inventives proposées. Ce colloque est certainement un pas de plus vers
des ajustements ou des révolutions en
marche concernant les familles en Hôpital
de jour.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Il manquait quelques pages pour l’imprimeur… L’occasion de revisiter un texte traitant d’anorexie et d’anorexiques, de familles, aussi…
« LE DIEU QU’ON NOMME LIBERTÉ »
ANOREXIES ET ADDICTIONS
Centre Hospitalier des Pyrénées
BP 1504
29, avenue du Général Leclerc
64039 Pau cedex France
[email protected]
Docteur Patrick ALARY
Psychiatre hospitalier
Un regard onirique sur l’œuvre d’Ibn Sina, Avicenne, mène l’auteur dans les méandres de l’anorexie
mentale dans ses dimensions addictives, biologiques, environnementales, passionnelles, mystiques et
familiales.
Anorexies et anorexiques se croisent dans le rêve, l’ascèse, l’extase, le refus du besoin, le père idéal,
Dieu, souvent, le pouvoir, la lutte contre l’esclavage du besoin, la jouissance et la mort.
Dans la quête du soulagement d’un désir en souffrance, d’un corps enfin réinvesti par les pulsions.
Mots-clefs : Avicenne, anorexie mentale, addiction, passion, mystique, ascèse, extase, mort, désir,
corps, jouissance
“The god we called freedom”
Anorexia and addictions
A dreamlike reflection on Ibn Sina’s work, Avicenna, leads the author through the maze of anorexia
nervosa in biological, addictive, environmental, passionate, mystical and familial dimensions.
Anorexia and anorexics intersect in dream, asceticism, ecstasy, denial of need, perfect father, God
often, power, fight against slavery need, pleasure and death.
In the quest for relief from a desire suffering, body finally reinvested by the impulses.
Keywords: Avicenna, anorexia, addiction, passion, mysticism, asceticism, ecstasy, death, desire,
body, pleasure
INTRODUCTION
Aristote, au début de ses Topiques, explique qu’il faut suivre les plus sages et,
parmi les plus sages, les plus illustres.
Avicenne, admirateur d’Aristote, traducteur d’Hippocrate et de Galien, est un
parfait exemple de cette sagesse mêlant
universalité des connaissances et qualité
des écrits. Il a marqué l’histoire de la
science et de la philosophie et son “Canon”, manuel de référence de la médecine, a fait autorité dans les universités
d’Orient aussi bien que d’Occident
jusqu’au XVIIème siècle. Il faudra attendre
que Léonard de Vinci en rejette
l’anatomie et que Paracelse le brûle pour
que l’aura de l’œuvre diminue.
Avicenne, Abu ‘Ali al-Husayn Ibn Abd
Allah Ibn Sina dit Ibn Sinna, est un médecin philosophe et mystique araboislamique. Il vécut en Perse de l’an 980 à
1037 et il est l’un des premiers à décrire
l’anorexie mentale telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Pour mesurer l’apport d’Avicenne à
l’histoire des sciences médicales, et avant
de revenir à l’anorexie, il faut préciser
que le Canon de la Médecine ne se limite
aucunement à une compilation de prescriptions et de recettes. A cette époque, la
division du savoir est loin d’être achevée.
« La séparation introduite à l’époque
moderne entre théologie, philosophie,
sciences exactes, sciences de la nature,
est absente de l’univers intellectuel de
l’homme médiéval », rappellent Danielle
Jacquart et Françoise Micheau (1), dans
leur ouvrage consacré à la réception de la
médecine arabe dans l’occident médiéval.
Véritable encyclopédie médicale en cinq
Livres, al-Qanun fi al-Tibb, le Canon,
emprunte à ses prédécesseurs mais le contenu hippocratique et galénique repris par
Avicenne est encadré dans un horizon
proprement philosophique : « L’intérêt,
voire la nouveauté, de cette encyclopédie
est à chercher dans l’effort pour penser la
médecine comme science rationnelle,
recourir constamment aux règles de la
logique, appliquer systématiquement les
principes que le philosophe a posés ailleurs ». Avicenne se démarque dans les
domaines de l’ophtalmologie, de la gynéco-obstétrique et de la psychologie.
Comme les médecins qui l’ont précédé1,
il s’attache beaucoup à la systématisation
dans la description des pathologies, décrivant toutes les maladies répertoriées à
l’époque, y compris celles relevant de la
psychiatrie. On relève à cette époque une
préoccupation pour les causes, le travail
de recherche sur les maladies s’attache à
l’explication des phénomènes, la création
1
860 : Abou al-Hassan Ali Ibn Sahl Rabban alTabari qui écrit Firdous al-Hikmah (Paradis de la
Sagesse) et prône la psychothérapie.
Al Razi (865-925), adepte de la médecine scientifique basée sur les faits et d’une médecine hospitalière associant clinique scientifique, formation
universitaire et souci de santé publique.
d’Ecoles de médecine et d’hôpitaux2, une
évaluation des compétences des médecins
et des infirmières, l’utilisation de personnel féminin “laïque”, infirmières et médecins y compris étrangers, chrétiens, juifs
et autres minorités au nom d’une
“éthique” qui impose également de traiter
les patients de toutes les religions, de
toutes les ethnies.
Pour Ibn-Sina, la médecine est préventive
avant d’être curative. Elle s’attache à la
diététique, l’hygiène et la prophylaxie
tiennent une place importante : choisir
une alimentation mesurée, s’assurer
l’évacuation des excréments, maintenir la
pureté de l’air respiré et de l’eau bue, se
préserver des infections, éviter les excès
en matière de veille et de sommeil, pratiquer la culture physique, préférer un habitat aéré et ensoleillé, mener une vie
sexuelle équilibrée.
Il insiste sur l’importance des relations
humaines dans la conservation d’une
bonne santé mentale et somatique : l’art
médical devient art de bien vivre, et
même art d’aimer, nous y reviendrons.
Enfin, s’appuyant sur les recherches du
chimiste Geber Ibn Ayan, il utilise de
nombreuses préparations, dont certaines
figurent encore dans nos pharmacopées,
pour soigner les maladies nerveuses et
mentales (aconit, jusquiame, pavot…) (2).
LE RÊVE, SON INTERPRÉTATION
ET LA “POTION MAGIQUE”
Cette maladie s’appelle l’amour…
Les nombreuses découvertes médicales
d’Avicenne valent à elles seules sa renommée millénaire. Mais il y a beaucoup
plus. Avicenne a non seulement compilé
et classé des traitements et des médicaments, mais il a aussi expérimenté une
manière de soigner qui répond à une logique dont tous les aspects n’ont pas encore été mis à contribution. Ses deux
ouvrages encyclopédiques, le Qânûn et le
Shifâ’, constituent deux énormes corpus
dont la notoriété conjuguée n’a peut-être
pas d’équivalent dans l’histoire des idées.
Avicenne nous sert encore à guérir mais
surtout à réfléchir sur l’acte médical, sur
2
modèles pour l’Europe après les Croisades
(Quinze-Vingts, Paris, 1254, Saint Louis).
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
133
Le travail avec les familles en hôpital de jour
la santé et sur le processus de guérison.
« La médecine est l’art de conserver la
santé et, éventuellement, de guérir la maladie survenue dans le corps ».
Comment
Avicenne
aborde-t-il
l’anorexie ?...
Rêvons (3)…
À Ispahan, la fille du Sultan se languit.
Elle est faible, pâle, communique peu et
ne parle pas. Son père s’inquiète et craint
de la perdre. Ibn Sina est réputé, on lui
demande conseil.
Il s’assied auprès de la jeune alitée, longtemps silencieuse. Puis elle parle et Avicenne comprend que sa langueur est due à
un chagrin. L’anorexie, pour lui, entre
dans le cadre d’une dépression. Elle ne
s’aime plus, n’aime plus son corps, ne sait
plus comment le percevoir, comment le
réinvestir, l’habiter. Plus de représentation, plus de pulsion, plus de sensation.
Le vide. Dans la quête homéostatique, la
jouissance n’est jamais loin de la pulsion
de mort. L’addiction joue un rôle de pareexcitation, crée l’illusion du contrôle de la
relation à l’autre, à soi, l’illusion de sa
propre existence apaisée des tensions pulsionnelles et libidinales.
Devant ce mal, il a volontiers recours à la
thériaque d’Andromaque l’Ancien, à base
de baies de laurier et comprenant trois
autres ingrédients ainsi que du miel, ou
celle d’Andromaque le Jeune, perfectionnée par Galien, composée de 76 drogues
et présentant 91 indications thérapeutiques. La principale innovation attribuée
à Andromaque le Jeune est l’introduction
de la chair de vipère, dont ce médecin
avait remarqué de manière fortuite
l’efficacité comme contrepoison. Il la
conseillait également pour améliorer la
perception sensuelle, la clarté d’esprit,
stimuler l’appétit, faciliter la respiration,
diminuer l’intensité des palpitations, arrêter les hémorragies et faciliter le travail
des reins et de la vessie, aider à la dissolution des calculs rénaux et biliaires, prévenir l’apparition des ulcères... Alors qu’on
était en bonne santé, pour Avicenne, la
prise régulière de thériaque d’Andromaque annulait l’efficience des poisons,
aidait à protéger des maladies et des épidémies.
Pendant des siècles, la thériaque
d’Andromaque a été utilisée dans bien des
indications, anorexie, nausées, aigreurs,
gastrites, crampes et douleurs d’estomac,
flatulences et constipations, colopathies
fonctionnelles. Réputée comme véritable
antipoison, elle a aidé à l’élimination des
toxines, des métaux lourds et de tous
agents nocifs. On l’a aussi utilisée pour la
mémoire et les migraines en compresses
sur la tête et les vertèbres cervicales, pour
les troubles de la vue en compresses sur
les yeux fermés, en cas de rhumatisme, de
134
goutte et de sciatique, sur les brûlures
légères et les bosses en cas de choc, sur
les corps aux pieds, en cas d’anémie, de
mauvaise circulation, d’insomnie, mélancolies et dépressions, d’ivresse et, bien
sûr, comme fortifiant...
Polysémies des indications, comme les
modernes psychotropes…
Mais, pour la fille du Sultan, la thériaque
ne suffit pas. Avicenne lui fait raconter
ses rêves, lui en révèle la signification et,
alors, la potion d’Andromaque fait merveille... « Elle souffre d’une maladie aussi
sacrée que la science que je pratique. Elle
frappe sans discrimination princes et
mendiants, adolescents et vieillards...
Cette maladie s’appelle l’amour... »
Science, éthique, scientisme
Dès le début du XIXème siècle, François
Magendie, le maître de Claude Bernard,
préconisait la subversion de la médecine
hippocratique par le discours scientifique.
Cette mutation du discours médical a
permis de prodigieuses avancées dans les
champs de la physiologie et de la biologie
de l’homme malade.
« Il n’en reste pas moins que le dire du
sujet en souffrance s’y trouve réduit au
signe clinique objectif et son symptôme
abstrait de la parole singulière et
l’histoire particulière où il s’est structuré » (4).
Cette évolution n’est pas sans poser de
nouvelles questions, éthiques notamment.
Il y a peu, le médecin tenait son prestige
incontesté de la pratique de son art clinique, alors que le rôle des machines à
capter le savoir de l’organisme était secondaire. Le rapport de force s’est inversé. Mais la machine fait-elle moins
mourir que le médecin ? Le scientisme
rode, renforçant les impasses de la civilisation contemporaine, car il rejette la singularité. La « science médicale est plus
vulnérable aux idiosyncrasies, aux opinions personnelles non universalisables…
Nous devons faire attention à l’impact des
idéologies, de la foi et des croyances qui
déterminent largement l’attitude de
chaque individu face à la maladie, sa
compréhension de la “santé” et d’une
“normalité” souhaitable ». (5)
Au nom d’une scientificité sans cesse
accrue (4), « le savoir médical s’est progressivement déplacé du macrocosme
vers l’exploration du microcosme. [… ]
Parallèlement, on observe une évolution
dans la langue telle que l’abandon progressif des éponymies et des métaphores
dans la dénomination des pathologies,
des techniques et des instruments, au profit d’une terminologie précise, concise et
fine à l’image de cette médecine du troisième millénaire. Ainsi, les maladies
émergentes sont à présent appelées par le
nom de leur agent pathogène. »
ADDICTIONS
On appelle conduites addictives (en français l’assuétude) un ensemble de conduites de dépendance. Le terme addiction
est d’étymologie latine, ad-dicere “dire
à”, et exprime une appartenance en terme
d’esclavage. Au Moyen Âge, être ad dicté, c’était être l’objet d’une ordonnance
d’un tribunal obligeant le débiteur qui ne
pouvait rembourser sa dette à payer son
créancier par son travail.
Le terme va revenir par les anglo-saxons.
Initialement, l’addiction est un acte de
soumission, d’un apprenti à son maître et,
peu à peu, la dépendance à des passions
moralement répréhensibles.
Aujourd’hui, dans le langage courant, être
addicté, c’est être “accro”, comme sous
l’emprise d’une drogue.
Les troubles du comportement alimentaire
s’inscrivent-ils dans cette logique ? Sachant que des drogues comme la cocaïne,
les amphétamines ou l’ecstasy réduisent
ou coupent l’appétit de ceux qui les consomment, des chercheurs du CNRS3 et de
l’Inserm ont comparé les circuits neuronaux impliqués dans l’action de ces
drogues avec ceux de l’anorexie. Valérie
Compan (CNRS, Montpellier) et ses collègues (6) soupçonnent l’anorexie de passer par les mêmes circuits de la
récompense que les drogues.
Longtemps, on a pensé que l’hypothalamus était responsable de l’anorexie.
Désormais on sait que, au cœur du noyau
accumbens, l’une des régions de notre
cerveau, se trouvent un grand nombre de
récepteurs à la sérotonine, un neurotransmetteur délivré en plus grande quantité
lors de la prise de produits psychostimulants (cocaïne, amphétamines, ecstasy,
etc). Valérie Compan
constaté que
l’activation des récepteurs à la sérotonine
5-HT4 chez les souris entraînait une
baisse de leur appétit et la production
importante d’un peptide, le CART (Cocaine and Amphetamine Regulated
Transcript).
Lorsque les chercheurs ont augmenté les
taux de CART chez les souris, elles ont
boudé leur repas. A l’inverse lorsqu’ils
ont bloqué l’action du peptide elles ont
mangé davantage. L’équipe de Valérie
Compan a ensuite créé des souris privées
des récepteurs 5-HT4 et a observé
qu’elles n’étaient plus sensibles à l’effet
coupe-faim de l’ecstasy, montrant que ces
récepteurs étaient importants dans la régulation de l’appétit liée à la prise de
drogue.
3
Centre national de la recherche scientifique
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
« Le Dieu qu’on nomme liberté » : anorexies et additions
Des taux élevés du peptide CART ont été
détectés par plusieurs études chez des
consommateurs de psychostimulants et au
moins par une étude chez des femmes
atteintes d’anorexie. Les chercheurs suggèrent que l’anorexie pourrait déclencher
un processus de récompense similaire à la
drogue, créant une addiction à cette dangereuse spirale de privation. Les récepteurs 5-HT4 pourraient offrir une
nouvelle cible d’attaque pour traiter cette
maladie.
Une autre piste est celle du cortex orbitofrontal dont l’activité cérébrale des anorexiques, face à un plat appétissant, diffère à la fois de celle de personnes
normales et de celle des personnes
obèses. Chez les anorexiques, elle est
hyperactive, chez les obèses, elle est hypoactive (7). Or, le cortex orbito-frontal
fait partie d’un circuit neuronal activé par
le plaisir, notamment alimentaire. Au sein
de ce circuit, son rôle est généralement
d’aider la personne à maîtriser son comportement dans la perspective d’un plaisir
intense. Les anorexiques, dont le cortex
orbito-frontal est hyperactif, seraient dans
une posture de contrôle strict face à la
tentation.
Un autre point de vue concerne les modifications du système de récompense qui
pourraient entraîner une incapacité générale à éprouver le contentement lié aux
plaisirs simples de la vie, comme la nourriture, ou l’activité sexuelle En ce sens,
l’anorexie présenterait certains traits
communs avec les dépendances aux
drogues mais avec une différence notable,
c’est l’absence de nourriture qui agirait
comme une drogue addictive pour ces
personne, une addiction à la faim en
quelque sorte.
Selon le Pr Michel Reynaud, « toutes les
addictions sont une dérégulation de mécanismes naturels de prise de plaisir et de
contrôle de la souffrance », sachant que «
les plaisirs naturels peuvent devenir excessifs et se transformer alors en anorexie-boulimie, addiction sexuelle, jeu
pathologique ou encore achat maniaque »
(8).
Il souligne que « les addictions aux produits correspondent à une dérégulation
brutale de ces mécanismes de gestion des
plaisirs et des émotions par la dépendance à l’alcool, au tabac, au cannabis.
Le mécanisme de l’addiction est la recherche du plaisir et l’irruption de la
souffrance si l’objet de l’addiction quel
qu’il soit vient à manquer. Il est normal
de prendre du plaisir mais les plus vulnérables (…) risquent d’être dépassés, de
perdre le contrôle, sachant que le plaisir
devient une addiction quand la source de
plaisir devient le principal objet de motivation et que la vie ne finit par ne tourner
qu’autour de cela. Les mécanismes sont
assez bien établis, les situations
agréables, stimulant la production de
neuro-hormones qui font cracher de la
dopamine, l’hormone du plaisir par excellence ».
Quand on arrête une addiction, la vie est
triste. Cela conduit parfois au suicide.
ANOREXIES
Le Dr Richard Morton donne, en 1689, la
première
définition
médicale
de
l’anorexie. Il s’agit d’une forme de dépérissement physique d’origine nerveuse.
C’est seulement à partir de la deuxième
moitié du XIXème siècle que le terme
d’anorexie acquiert le sens que nous lui
connaissons aujourd’hui. Deux médecins
(l’un français, Lasègue, l’autre anglais,
Gull) donnent, dans les années 1870, les
deux premières descriptions cliniques de
cas d’anorexie, descriptions qui sont encore aujourd’hui d’actualité. Mais, même
s’ils conçoivent l’anorexie comme un
trouble d’origine psychique, la médecine
la considérera et le traitera pendant des
années plutôt comme un problème physique (insuffisance hypophysaire, notamment). Charcot, en 1885, proposera
l’isolement dans un but thérapeutique.
Janet en 1903 classera l’anorexie mentale
dans les troubles de l’alimentation
d’origine névropathique.
Aujourd’hui, l’anorexie est regardée
comme une pathologie multifactorielle ce
qui n’en facilite ni la compréhension ni la
prise en charge. Elle dépend de facteurs
génétiques et psychologiques, interagissant avec des facteurs environnementaux,
familiaux et socio-culturels. Ainsi, si l’on
sait que des gênes sont concernés, il n’est
pas aisé de les déterminer avec précision.
Une région du chromosome 1 (9) ? Mais,
selon Klump et al. (10), les caractéristiques génétiques ne sont responsables
que de 50% de la susceptibilité d’une
personne à l’anorexie…
Ascèses
Au Moyen Âge, l’anorexie est vécue
comme une ascèse de la jeune fille pour
nombre de mystiques et des réformatrices
de l’Église. Catherine de Sienne, Véronique Giuliani, Sainte Thérèse d’Avila et
ses extases mystiques et Marguerite de
Crotone sont les plus connues (11).
Comme l’anorexique du XXème siècle qui
comptabilise chaque calorie ingérée, la
recherche éperdue de la minceur entre
dans une démarche de jeûne qui vise à se
libérer d’une famille et d’une société patriarcale. Il s’agit pour les anorexiques de
conquérir leur autonomie en fonction de
critères idéaux définis par leurs cultures :
la minceur et la fermeté pour la première,
la pureté spirituelle pour la seconde.
Au moment de sa conversion, Marguerite
de Crotone décide d’offrir son corps en
sacrifice à Dieu. Elle se flagelle à l’aide
d’une corde nouée, se donne des gifles et
des coups, s’abstient d’abord de viande,
ne se sert bientôt plus que d’un peu
d’huile d’olive pour tout condiment, ne
consomme ni œufs ni fromages... Elle se
concentre sur la méditation et le travail et
non sur la nourriture. Parfois, œuvre du
diable, elle se sent réellement faible et
affamée. Une fois, elle céda aux figues
mais sentit rapidement le poids de son
péché et ne pût prier de la nuit. Dieu alors
l’autorisa à suivre un régime plus riche à
condition qu’elle perde complètement le
sens du goût. Bientôt, la nourriture eût un
goût de terre et elle fût incapable de manger, répétant sa confession générale
chaque huitaine. « Cher Père, comme il
ne doit jamais y avoir de trêve entre mon
âme et mon corps, je suis décidée à ne
pas épargner ce dernier ; laissez-moi le
déchirer, le mater jusqu’au dernier moment de ma vie où je me verrai enfin séparée de lui... Ô mon corps, pourquoi ne
m’aides-tu pas à servir ton Créateur et
ton rédempteur. Cesse tes lamentations,
cesse de simuler la mort... » (11)
Saintetés
Catherine de Sienne a la volonté de maîtriser les exigences de son corps qu’elle
perçoit comme une « entrave abjecte à sa
sainteté ». Chez certains primitifs, on peut
littéralement « être grosse », c’est-à-dire
être enceinte -être sainte... être ceinte- en
mangeant. C’est un fantasme infantile,
comme le baiser qui féconde. Alors, à
l’adolescence, les jeunes filles qui ressentent les signes biologiques et sociaux du
début de la phase génitale du développement physique et psychique régressent
pour retrouver le confort apparent de la
phase orale d’où la reviviscence des désirs de fécondation orale, entraînant un
sentiment de culpabilité, un refus de se
nourrir et un amaigrissement parfois fatal,
tout cela représentant le renversement des
pulsions meurtrières infantiles envers la
mère. (12) L’anorexique souffre d’un
conflit insupportable entre la dépendance
envers un besoin interne, la faim, et un
objet externe, la nourriture (12). « Biberon, enfant, dégoût, si j’y pense, piqûres,
l’idée que quelque chose se déverse en
moi, dans ma bouche ou dans mon vagin
me rend folle, intégrité me vient à l’esprit,
intouchable... ce corps n’est pas obligé de
porter un enfant ?... il n’a besoin ni de
recevoir ni de donner »...
Hilde Bruch (12) ajoute : « les anorexiques luttent contre le fait d’être réduites en esclavage, exploitées, et de ne
pas mener la vie de leur choix. Elles préfèrent se priver de nourriture plutôt que
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
135
Le travail avec les familles en hôpital de jour
de continuer une vie de compromis. Au
cours de cette recherche aveugle de leur
identité et du sentiment d’elles-mêmes,
elles n’acceptent rien de ce que leurs parents ou le monde autour d’eux peuvent
offrir... l’anorexique mentale authentique
typique lutte pour acquérir la maîtrise
d’elle-même, de son identité, devenir
compétente et efficace »... Elle sera une
personne, et non une fille ou une élève.
Comment soutenir son identité dans une
société individualiste qui élève la performance et l’efficacité au rang de culte, le
narcissisme au rang de Sujet ? Restent
l’image, l’identité de substitution qui
évite l’autre comme dans les jeux vidéos
où tout est virtuel, identité, groupe (la
“guilde”), mort...
ANOREXIQUES
L’anorexique ne cherche pas à harceler
ses parents pour qu’ils s’opposent à elle.
Elle se réfugie dans le silence, la dissimulation, les secrets, le mensonge délibéré.
Elle va docilement chez le docteur expliquer calmement que tout va bien, accepte
non moins docilement tout ce qu’on lui
demande. Elle est récompensée quand elle
mange avec appétit, admet les punitions si
elle en laisse trop dans son assiette. Mais,
aux toilettes, elle s’enfonce les doigts
dans la gorge et vomit discrètement pour
ne déranger personne. Sainte Thérèse
d’Avila, la mystique qui incarna la Réforme catholique, utilisait une tige
d’olivier pour se faire vomir et, ainsi,
recevoir l’hostie sans craindre de la rejeter.
Marie
Marie a vécu sa prime enfance en Bolivie.
En altitude, perdre l’appétit est chose banale.
Sa mère est une bonne mère, ouverte et
cultivée. Son père est un coopérant ambitieux, mobile, énergique et il participe à
l’élaboration des normes domestiques.
Dans cette famille, on parle ouvertement
de tout et on mange équilibré. Marie est
une élève lumineuse, choyée par ses professeurs, mûre, aime la musique, la danse,
la flûte... Mais un jour, elle renonce aux
sucreries et aux graisses, préférant le céleri en branches... C’est à l’hôpital, bien
plus tard, qu’elle comprendra, devant un
petit pois, seul dans son assiette. Le bol y
vit... Petite, là-bas, ce n’est pas sa mère,
trop occupée, ou son père, très pris, qui
lui donnent le biberon. Et, quand naît la
petite sœur, c’est la nourrice qui alimente
les bébés, et la nourrice ne mange que des
féculents...
Ida
L’anorexie a une parenté avec les exercices spirituels de l’ascèse et du jeûne,
136
pratiques
religieuses
fondées
sur
l’exigence de purification et l’appel du
sacré. Ainsi émerge la singularité d’une
alliance d’emprise spéculaire entre
l’anorexique et sa mère, qui semble destinée à maintenir cette dernière dans le statut d’objet absolu de la jouissance.
« Ida prétendait qu’en étant maigre, elle
se sentait bien. Elle prenait des laxatifs,
des diurétiques, de grandes quantités
d’extraits thyroïdiens. Elle avait des activités sportives intenses, natation, course à
pied, tennis, escrime. Son poids avoisinait
les 31 kg. Sa famille lui avait donné
beaucoup d’atouts. Son seul malheur était
d’avoir perdu brutalement son père à 12
ans. Mais, pour sa mère et son dévouement, Ida n’avait pas le droit de se
plaindre. Elle ne pensait pas mériter tout
ce qu’elle avait reçu, n’était pas digne
d’avoir autant de chance dans la vie. Elle
était gênée de causer tant de soucis à sa
mère... » (12)
L’anorexie comme passion
Pour Jésus, toutes les nourritures sont
pures et, selon saint Luc, au paradis, les
disciples iront le rejoindre pour manger et
boire à la même table.
L’Eucharistie est la scène fondatrice de la
chrétienté. Le sang et le corps du Christ...
un trait d’union, une communion, communio, être “uni avec”…
L’anorexie échappe ainsi à toute explication rationnelle. La passion amoureuse ne
diffère de la passion mystique que par
l’être aimé qu’elle vise, de la passion du
toxicomane ou du joueur par son produit
ou son objet. Chacune affiche la même
indifférence à toute mesure ordinaire de
préservation, la vie s’exalte à mesure de
son immersion dans la mort. « La passion
est cet instant suprême où la totale jouissance est de sombrer. Ce n’est pas un
appauvrissement. On vit davantage, plus
dangereusement, plus magnifiquement.
L’approche de la mort est l’aiguillon de
la sensualité. Elle aggrave, au plein sens
du terme, le désir » (13).
Au IVème siècle, Saint Grégoire de Nysse
croit que le corps est composé de deux
paires d’éléments opposés, froid et chaud,
humide et sec. Le laxisme de la chair et
les mortifications excessives peuvent
rompre l’équilibre de ces éléments et entraver la recherche de la perfection de
l’âme. Pourtant, Jésus ne demandait pas à
ses disciples de jeûner et, à deux reprises
dans le Nouveau Testament, il est accusé
d’être glouton et de boire du vin. Lorsque
ses disciples rompirent le sabbat en cueillant des épis de maïs parce qu’ils avaient
faim, Jésus les défendit. Il nie formellement que la nourriture ou le fait de manger avec des mains impures aient un
pouvoir contaminant. Pour lui, ce qui
entre par la bouche va dans le ventre, sort
dans les latrines et laisse le cœur intact...
Contrairement à ce processus de “déchetisation” qui guette l’alcoolique, au narcissisme
tellement
malmené
et
déliquescent qu’il n’a plus d’identité,
qu’il n’est plus rien qu’un poivrot,
qu’alcoolique est son nom, un déchet, un
résidu qui, lui aussi, vomit quand il en a
trop pris...
Dissolution de l’identité, Thanatole (14)...
Comment soutenir une identité dans une
société centrée sur l’individu, son narcissisme et ses performances, mesurées à
l’aune d’évaluations obsessionnelles sous
tendues par le mythe du risque “0”, de la
performance absolue, d’un idéal du moi
qui plonge le moi réel dans les affres de
l’insuffisance et de l’incomplétude, archaïsme de l’humain et de l’humanité…
restent les identités de substitution, virtuelles, alcoolo, toxico, cheep leader,
pseudos “Meetic” ou des guildes, pour
rencontrer ou appartenir, à nouveau, à un
groupe de pairs…
Toutes les passions finissent comme des
tragédies. Bataille donna à l’érotisme les
formes de l’expérience intérieure ou mystique. Cette vie, qui se jouit en se risquant
aux frontières de son abolition est celle
que nous reconnaissons comme mystère
au cœur du projet mystique de l’anorexie.
« L’approbation de la vie jusque dans la
mort est un défi. L’approche de la continuité, l’ivresse de la continuité dominent
la considération de la mort. Au-delà de
l’ivresse ouverte à la vie juvénile, le pouvoir nous est donné d’aborder la mort en
face et d’y voir enfin l’ouverture à la continuité inintelligible, inconnaissable qui
est le secret de l’érotisme. La vie se mêlant à la mort, abolissant tout écart, pour
une incandescence arrachée à son
étreinte, une jouissance... » (15)
Julia Kristeva (16) montre comment Thérèse d’Avila vit une « expérience extravagante, qu’on appelle mystique. […]
Fille d’une “ christiana vieja” et d’un
“converso », Thérèse est témoin, dans son
enfance, du procès intenté à sa famille
paternelle acculée à prouver qu’elle est
vraiment chrétienne et non pas juive ; le
“cas” de Thérèse elle-même, comme moniale pratiquant l’oraison, c’est-à-dire la
prière mentale de fusion amoureuse avec
Dieu qui la conduiront à ses extases, sera
soumis à l’Inquisition. […] La Foi chrétienne est une confiance inébranlable en
l’existence d’un Père Idéal, et un amour
absolu pour ce Père aimant, qui serait
tout simplement le fondement du sujet
parlant, lequel n’est autre que le sujet de
la parole amoureuse. […]
Père d’Agapé ou d’Amor donc, qui n’est
pas Eros. “ J’aime parce que je suis aimé/e, donc je suis ”, tel pourrait être le
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
« Le Dieu qu’on nomme liberté » : anorexies et additions
syllogisme du croyant, que Thérèse met
en scène dans ses visions et extases. […]
L’alternance idéalisation-désexualisation
-resexualisation et vice-versa transforme
l’amour pour le Père Idéal en une violence pulsionnelle sans frein, en
une passion pour le Père qui se révèle
être
une
père-version
sadomasochique. Jeûnes éprouvants, pénitences,
flagellations -y compris à l’aide de bouquets d’orties sur des plaies à vif, convulsions, et jusqu’aux comas épileptiques,
qui profitent des fragilités neuronales ou
hormonales : quelques-unes des extravagances sadomasochiques qui jalonnent la
suite des “ exils du moi ” dans Lui (pour
reprendre une expression de Thérèse), ses
transferts dans l’Autre (pour utiliser mon
langage). […] L’incitation à la souffrance
s’apaise dans le christianisme par une
satisfaction orale, l’eucharistie réconcilie
le croyant avec le Père battu et, davantage encore, elle adjoint au corps de cet
Homme de douleur que “je” deviens moimême en avalant l’Autre, les attributs
mêmes de la bonne mère nourricière.
« Thérèse est non seulement consciente de
cette oralité essentielle de son amour
pour l’Epoux doté d’attributs maternels,
mais elle la revendique avec force, et
franchit avec une désarmante ingénuité le
pas qui conduit ce Dieu à mamelles au
plaisir de dire, le plaisir de téter à la sublimation verbale : “ L’âme disait qu’elle
savourait le lait coulant du sein de Dieu ”,
écrit la sainte dans ses Pensées sur
l’amour de Dieu (5 :5). »
Antigone
Antigone, face à Créon, méprise, comme
l’anorexique, la vie tissée de besoins,
celle qui fait fi de la parole. Comme dans
la relation thérapeutique sans cesse remise en cause, le contrat sans cesse accepté et bafoué, Créon, en place de
médecin, entend imposer sa loi, se substituer au surmoi cruel qui commande Antigone. S’il a proclamée la loi dans son
discours politique, il change d’avis après
l’avertissement de Tirésias et se range à
celui d’Antigone. Il modifie sa sentence
face à elle qui n’a cessé de le défier. Antigone récuse la raison d’Etat qui veut le
bien de tous et fait le partage entre les
bons et les mauvais. C’est au nom d’une
autre loi qu’elle se détermine, la loi qui
perpétue la mémoire.
L’ambiguïté des mots, des valeurs, de la
condition humaine se repère dans le tragique malentendu qui persiste entre le
discours de l’anorexique et celui du médecin ou de la société qu’il représente.
L’anorexique constate le vide de sa vie,
un vide tel qu’il ne reste aucune place
pour “vivre”. De cette vie-là, elle ne veut
à aucun prix et sa lutte avec les médecins
ne peut qu’être placée sous le signe de la
méprise puisque se référant à une autre loi
que celle de la médecine. L’anorexique
refuse que son amaigrissement soit signe
de maladie. Jamais elle ne se plaint, n’est
malade. Mais, quoi qu’elle en dise, son
corps fonctionne comme un signifiant, il
témoigne du discours qui l’habite. Ce que
les autres décrivent comme une maladie
n’est rien d’autre que son mode d’exister,
son besoin de désirer.
C’est l’aspiration à la liberté, si caractéristique de l’adolescence. Liberté ou libre
arbitre ? Cadre ou absence illusoire de
contrainte ? Surmoi structurant ou surmoi
cruel ? Prométhée, Adam et Eve sont
frères et sœur. Tant qu’ils se soumettent
au sacré qui existe en eux, qu’ils respectent la loi divine, ils sont libres. Mais dès
lors qu’ils accèdent à la connaissance ou
volent le feu, découvrent leur corps, leur
humanité, ils sont perdus, voués au libre
arbitre et à assumer leur simple condition
d’humains et de mortels.
L’anorexique nous rappelle le rapport
mystérieux de la passion et du pouvoir.
Judith Butler montre comment Antigone
défie la loi pour vivre son deuil, celui de
Polynice, malgré l’interdiction de son
père Créon.
Nous sommes « attachés passionnellement » au pouvoir auquel nous aspirons
ou auquel nous nous opposons. Antigone
est bien sûr prise dans les rets de la parenté, « elle est en même temps en dehors de
ces normes ». Elle « s’approprie
l’attitude et la langue de celui auquel elle
s’oppose ». Cette attitude est selon Butler
(18) d’une actualité brûlante. Elle questionne notre époque, « un temps où les
enfants, du fait des divorces et des remariages, vont d’une famille à l’autre, d’une
famille à plus de famille, d’une absence
de famille vers une famille à l’intérieur de
laquelle ils vivent psychiquement à la
croisée des familles, […] un temps dans
lequel la parenté est devenue fragile, poreuse, et dilatée. »
« Nous sommes constitués comme des
lieux de désir et de vulnérabilité physique, à la fois affirmatifs et vulnérables
dans l’espace public. Je ne suis pas sûre
de pouvoir dire à quel moment un deuil a
été accompli ou à partir de quand un être
humain a été suffisamment pleuré. Je suis
cependant certaine que cela ne signifie
pas que l’on ait oublié la personne ou
qu’elle ait été remplacée. Je ne pense pas
que les choses fonctionnent ainsi. Je
pense plutôt que l’on est en deuil lorsque
l’on accepte le fait que cette perte nous
changera, peut-être pour toujours. Etre
en deuil, c’est accepter de subir une
transformation dont nous ne pouvons
connaître le résultat à l’avance. Il y a
donc la perte et l’effet transformateur de
la perte, qu’on ne peut ni prévoir ni planifier.
« L’anorexique, parce qu’elle est aussi le
produit de deuils successifs, «ne se conforme pas à la loi du symbolique »,
comme Antigone. En cela, elle vient nous
interroger sur notre époque, « un temps
où les enfants, du fait des divorces et des
remariages, vont d’une famille à l’autre,
d’une famille à plus de famille, d’une
absence de famille vers une famille à
l’intérieur de laquelle ils vivent psychiquement à la croisée des familles […] un
temps dans lequel la parenté est devenue
fragile, poreuse, et dilatée. »
De ce point de vue, et toujours si l’on suit
Judith Butler, l’anorexique est un défi au
« vivre bien ». « Hannah Arendt, dans son
ouvrage La Vie de l’esprit [1971, PUF,
1981] mettait l’accent sur la distinction
cruciale entre le désir de vivre et le désir
de vivre bien, ou plutôt le désir
de mener une vie bonne. Pour Arendt, la
survie n’était pas, et ne devait pas être un
objectif en soi puisque la vie elle-même
n’était pas intrinsèquement un bien. Seule
la vie bonne fait que la vie mérite
d’être vécue ». (19)
Camille
La femme est au carrefour de la vie et de
la mort. C’est une femme, une prostituée,
qui découvre le tombeau vide de Jésus
(13).
Comment, avec Camille, ne pas penser au
secret de famille, ce disparu réel ou imaginaire. Ce qui est su et/ou tu, qui tue.
« La mort est toujours là, jamais réalisée... Quelle est ma place ? » Le mort
n’est pas mort puisque personne n’en
parle.
A-t-il même été vivant ? Rien n’est plus
réel que la mort. Sauf la mort qui ne se dit
pas ce qui rend impossible deuil, le renoncement à perdre une chose, un être.
Alors, l’anorexie présentifie, incarne le
fantasme parental centré sur le corps mort
et la survie.
Isis, sœur et femme, a rassemblé les morceaux d’Osiris mort. La médecine s’est
longtemps constituée autour de l’étude du
corps mort, d’où un système théorique qui
présente de nombreuses discontinuités,
des difficultés théoriques dues au développement autonome et simultané des
spécialités.
Antigone est le produit d’un inceste entre
le fils et la mère. En enterrant son frère,
Antigone fait un acte déterminé par une
nécessité, un retour dans le réel de la
mort, tout comme certains suicides peuvent être mis en rapport avec l’ignorance,
l’exclusion de la mort dans le discours de
l’Autre.
Quelques jours avant sa mort, à 34 ans,
Simone Weil écrit « l’humilité c’est le
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
137
Le travail avec les familles en hôpital de jour
consentement à la mort qui fait de nous
un néant inerte », à l’image (21) du Christ
mourant comme un condamné de droit
commun.
« Le Dieu de Simone Weil serait-il ce
“Dieu obscur” (Lacan) affamé de sacrifice humain ? “de chair nue, inerte et sanglante au bord d'un fossé, sans nom dont
personne ne sait rien” comme elle
l’écrit… » (22)
Que je serais heureuse de briser toute entrave
De rompre tout lien.
Ah ! Si je plainais librement avec toi, là-haut,
Au firmament éternellement bleu ;
Combien je louerais avec joie
Le dieu que l’on nomme liberté.
Combien vite j’oublierais ma misère,
L’amour ancien, l’amour nouveau…
CONCLUSION
Au terme du traitement, une anorexique
n’est pas forcément guérie au sens médical du terme. Guérir, dit Ginette Rimbault, « ne signifie pas sortir de
l’isolement psychiatrique pour se trouver
tout aussi isolée dans la société, conforme
mais brisée. Obtenir la guérison biologique est possible. Arriver à la délivrance
d’un désir en souffrance chez ce sujet
enfermé dans un quiproquo dramatique et
obscène reste une entreprise ardue et
incertaine ». (23)
Le médecin, le psychiatre, n’ont pas vocation au chamanisme. Mais ils doivent
écouter le chaman qui leur dit que la souffrance de l’homme ne se réduit pas à son
symptôme, que l’homme ne se réduit pas
à son corps, qu’il n’est qu’un des éléments du monde, lui-même fragment de
cosmos. Et ne jamais oublier que toute
souffrance demande de la parole, des
mots énoncés pour éloigner les maux et
leur donner un sens…
Faire face à l’anorexie, à l’alcoolisme, à
la toxicomanie, aux addictions... Faire
face à la discontinuité, à la rupture, à la
répétition, aux incessants changements,
assurer l’autre, souffrant, de sa permanence, être là dans la durée, être consistant…
Laissons, pour finir, la parole à Amélie
Nothomb : « L’esprit humain souffre
d’une carence intellectuelle fondamentale : pour qu’il comprenne la valeur
d’une chose, il faut l’en priver »...
Adieu, les arbres chenus,
Et les arbustes petits et grands.
Quand vous viendrez à reverdir,
Je serai loin de ce château.
Le titre de cet article est emprunté à Elisabeth d’Autriche dite Sissi (24).
Ô hirondelle ! Prête-moi tes ailes,
Emmène-moi au pays lointain ;
138
Adieu, salles de silence,
Adieu, ô vieux château,
Et vous, premiers rêves d’amour,
Dans le sein du lac doucement reposez !
BIBLIOGRAPHIE
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9. HALMI K. A., TOZZI F., THORNTON L.
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http://www.groupe-regional-depsychanalyse.org/seminaireaneuf/Monique%20Scheil_
SIMONE%20WEIL.pdf
23. RIMBAULT G, ELIACHEFF C., Les indomptables, Odile Jacob, Paris, 1989
24. ELISABETH D’AUTRICHE, Le Journal
poétique de Sissi, Le Félin, Les marches du
temps, Paris, 2009
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
L’Extase de Saint Thérèse d’Avila
Albert L’Huillier
Rome, Chapelle Cornaro de l’Eglise santa
Maria della Vittoria
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
139
Le travail avec les familles en hôpital de jour
XLIème COLLOQUE DES HÔPITAUX DE JOUR
PSYCHIATRIQUES
SYNTHÈSE DES QUESTIONNAIRES INDIVIDUELS D’ÉVALUATION
Questionnaires rendus : 93
I - Quelles étaient vos attentes avant le Colloque ?
oui
non
Pas de
réponse
un perfectionnement professionnel
75
3
15
un perfectionnement personnel
50
17
26
un échange d’expériences interprofessionnel
92
0
1
oui
non
Pas de
réponse
91
0
2
II - Le contenu de la formation a-t-il répondu à vos attentes ?
Commentaires
Echanges exceptionnels
Re-questionnement des pratiques professionnelles
Frustration de ne pouvoir assister à plus d’ateliers
Grande richesse des échanges durant les ateliers
Conférences plénières riches, accessibles et stimulant
la réflexion
III - Les apports de connaissance vous ont-il semblé
adaptés
non
Plus ou
moins
86
0
2
Commentaires
Les présentations et les ateliers apportent connaissances, réflexions et
rappellent bon nombre de points importants auxquels être plus attentifs pour améliorer nos interventions professionnelles
Trop de théorie, pas assez de pratique
Vignettes cliniques illustrées.
IV - Le travail effectué au cours des ateliers a-t-il répondu à vos attentes ?
oui
non
en partie
seulement
79
0
13
Commentaires
Richesse des contenus et des discussions
Echanges trop courts
Un peu trop de théorie pour certains ateliers
Excellent niveau
V - Les échanges avec les autres participants vous ont-il paru ?
très
satisfaisants
satisfaisants
insuffisants
51
39
1
Commentaires
Rencontre avec d’autres professionnels
140
Anciens et nouveaux modèles d’intervention
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Echanges des concepts avec les différents professionnels au moment
des repas
Présentation trop longue, pas assez d’échanges
VI - Retirez-vous de cette formation un enrichissement professionnel ?
oui
non
Pas de
réponse
90
0
3
Commentaires
Source de réflexion professionnelle
Importance du respect humain
VII - Ce Colloque vous permettra-t-il d’introduire des évolutions dans votre travail habituel ?
oui
non
88
4
Commentaires
Idées de mise en place d’ateliers
Plus de réflexion vers les familles et sur le travail au quotidien
Elargissement des points de vue, repenser la façon de travailler en
tenant compte de ce qui a été dit, expérimenté, créé par les autres
Permettre une autre réflexion sur le travail avec les familles, avoir
aussi une autre approche
VIII - Envisagez-vous de sensibiliser votre entourage professionnel ?
oui
non
Pas de
réponse
sur ce que vous avez appris
90
1
2
sur ce que vous avez vécu
86
4
3
Comment ?
Echanges avec les autres participants
Transmission d’informations en réunion d’équipe
Partage des écrits et des outils
Remise en question de notre méthodologie
Discussion et entretien avec l’institution afin de soutenir et mettre en
place un dispositif de travail avec les familles
IX - Pour vous quels sont les points forts de cette formation ?
Intervention du Docteur DUC MARWOOD
Echanges et enrichissement des pratiques professionnelles
Francophonie
Convivialité – soirée extra
Actualisation des connaissances
Abords différents de la maladie
Qualité des intervenants
Sortir de la théorie et bénéficier du partage des expériences vécues
Grand respect du patient et de sa famille à travers les pratiques
X - Pour vous quels sont les points faibles à améliorer ?
Moins de théorisation
Longueur des conférences plénières
Locaux et plan d’accès au site
Temps d’échange trop court dans certains ateliers
Horaires à respecter
Trop d’ateliers par rapport à la durée du colloque
Ateliers simultanés sur les mêmes pratiques, frustration vis-à-vis du
choix
XI - Cette formation va-t-elle influencer votre pratique ?
oui
non
89
8
si oui, de quelle manière ?
Repenser l’accompagnement des familles
Interrogation du fonctionnement habituel
Proposition de nouveaux outils de travail
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
141
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2012 - n° 14
Réfléchir à la manière d’inclure les familles dans notre accompagnement
Faire évoluer les pratiques
si non, pourquoi ?
XII - Les conditions matérielles de cette formation vous ont-elles paru ?
très
satisfaisantes
satisfaisantes
moyennes
insuffisantes
37
45
9
0
Commentaires
Difficile de se repérer
Disponibilité de l’équipe d’accueil
Visite Océanopolis et repas de gala très appréciés
Belle alliance entre travail et temps de pause
Quelques petits problèmes techniques
XIII - Avez-vous trouvé la durée de cette formation ?
adaptée
trop longue
trop courte
78
0
15
Commentaires
Organisation du colloque sur deux journées entières afin d’assister à
plus d’ateliers
Echanges post-ateliers un peu courts
XIV - Le nombre de participants vous a-t-il paru ?
trop
important
satisfaisant
insuffisant
1
88
1
Commentaires
On déplore le peu de nombre d’ateliers présentés par les équipes
françaises
XV - Quels thèmes souhaitez-vous voir traiter lors de nos prochains colloques ?
Les nombreux rôles de l’infirmière à l’hôpital de jour
Réhabilitation psycho-sociale en hôpital de jour
Education thérapeutique
Le travail avec le réseau, la collaboration
Hospitalisation de jour et la réforme des soins
Comment articuler les hôpitaux de jour avec les équipes de psychiatrie de liaison ?
Institutions menacées dans l’avenir : comment préserver les structures ?
XVI - Remarques et suggestions complémentaires
Merci pour la qualité de ce colloque : contenu et organisation
Merci pour les apports de connaissance et le partage d’expériences qui « rebooste » le travail au quotidien et l’élaboration clinique
Peut-on imaginer qu’il puisse exister à l’avenir la présence des familles et des patients ainsi que des partenaires du réseau associatif dans ces colloques ?
142
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Remerciements
Nous remercions les orateurs et les équipes qui sont intervenus.
Nous remercions bien évidemment :
- Monsieur Pierre MAILLE, Président du Conseil Général
- Monsieur François CUILLANDRE, Maire de Brest
- Monsieur Philippe EL SAIR, Directeur Général du C.H.R.U. de Brest
- Monsieur Jean URVOIS, Directeur de l’Hôpital Psychiatrique
- Le Professeur Michel WALTER, Chef du Pôle de psychiatrie
Nous remercions également :
- les secrétariats et les équipes des hôpitaux de jour du C.H.R.U. de Brest et tout particulièrement Madame Isabelle JEANNES, Cadre de Santé
- la MACSF en la personne de Madame LE BERRE
- le service communication du C.H.R.U. de Brest
- Madame BERNARD du secrétariat de la Faculté des Sciences de Brest
- Pauline MARIOLLE qui a assuré avec Maryse PICHON la préparation de la revue
- Maxime GOURMELEN & Benjamin BUTON qui ont élaboré le site
- Madame Valérie LASSAUGE, secrétaire au siège de l’Association Française de Psychiatrie.
Cette manifestation est également possible grâce aux laboratoires AstraZeneca, Janssen et Lundbeck.
Merci aussi à Messieurs Raymond LE MENN et Philippe FER qui ont mis à disposition leurs photographies.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
143
XLIIème COLLOQUE DES HÔPITAUX DE JOUR
PSYCHIATRIQUES
10 et 11 octobre 2014
Namur, BELGIQUE
AU-DELÀ DU SYMPTÔME…
LA PORTE DU SOIN EN HÔPITAL DE JOUR
Hôpital de jour du Beau Vallon
Rue de Bricgniot, 205
5002 Saint-Servais
BELGIQUE
Quand une patiente fibromyalgique nous
avance sa douleur, quand un patient alcoolique se présente en état d’ivresse,
quand un enfant nous perturbe par ses
troubles du comportement, quand une
personne âgée ne nous donne à travailler
que son appel à la mort, nous devons aller
au-delà du symptôme : il permet au patient de trouver la porte de l’hôpital de
jour mais, réduit à lui-même, le symptôme ne mène nulle part.
Dans une psychiatrie de plus en plus
normative, le symptôme ne doit pas nous
faire oublier la subjectivité : il se situe
dans une histoire, personnelle, familiale
et, dès lors, institutionnelle et systémique.
Derrière chaque symptôme, il y a une
souffrance qu’il convient de symboliser,
de métaboliser, de sublimer ou simplement d’apaiser.
144
Dr Xavier De LONGUEVILLE
Face à l’émergence de la souffrance dans
le réel, nos capacités de symbolisation
sont mises à mal. Le symptôme à
l’origine du soin, ou qui surgit lors de la
prise en charge, est un empêcheur de soigner en rond. En ce sens, il est toujours à
comprendre et à élaborer, surtout lorsqu’il
interrompt le processus thérapeutique.
Quand le symptôme interroge la subjectivité du patient, quand il perturbe ou fait
souffrir la famille, quand il malmène le
collectif parce que trop saillant, il questionne les subjectivités multiples des soignants. Notre formation, nos a priori,
notre façon d’être au monde vont influencer la lecture du symptôme. Pour qu’il
s’élabore, l’hôpital de jour, comme institution, doit être un lieu d’échanges et de
cohérence dans la diversité des approches.
A chaque moment de nos existences, le
symptôme questionne nos réalités, de
l’enfant rejeté à l’homéostasie perdue du
vieillard. Il demande une réflexion permanente, une remise en question, un dynamisme sans faille, une recherche
continue de nouvelles idées, de nouvelles
façons de l’appréhender.
C’est la fonction même de l’hôpital de
jour.
Autour de ce travail spécifique et polyphonique, qui veut aller au-delà du symptôme pour accompagner et subjectiver
une souffrance que le patient pourra
s’approprier, nous vous proposons de
débattre lors de ce quarante-deuxième
colloque des hôpitaux de jour, pour que
chacun puisse contribuer, selon ses pratiques, mais aussi ses difficultés, à cette
réflexion : qu’est-ce que le symptôme
nous dit du patient, mais aussi de nos institutions…
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
- ASBL –
www.ghjpsy.be
BREF RAPPEL HISTORIQUE
À la fin des années 60, quelques années après la France, la Belgique ouvre une nouvelle structure thérapeutique au sein du Département de Psychologie Médicale et de Médecine Psychosomatique de l’Université de Liège. Elle sera appelée “Hôpital de jour Universitaire La Clé” en référence à ce qui avait été antérieurement créé au Canada.
L’hôpital de jour est pour nous une unité thérapeutique à temps partiel où sont dispensés des soins intensifs variés. Dans cette unité, le
patient est pris en charge par une équipe multidisciplinaire. Le but recherché est bien sûr adapté aux problèmes mis en évidence au
début de la prise en charge.
Très rapidement, le besoin s’est fait sentir d’organiser des rencontres entres équipes soignantes de Belgique et de France pour réfléchir
à nos actions, notre place et notre spécificité comme unité de soins dans la trajectoire psychiatrique du patient.
Ces rencontres ont évolué ensuite vers des échanges autour d’un thème général stimulant et l’on a rapidement constaté une participation nombreuse et de plus en plus interactive des équipes à l’occasion de ces colloques.
Il fallait une structure juridique pour informer les pouvoirs publics et la société de l’existence voire de la pertinence de ce modèle de
prise en charge. En 1979, le Groupement ainsi que son Comité Scientifique se réunissent pour la première fois de manière officielle à
Liège, à l’occasion du VIIème colloque. Le Luxembourg et la Suisse s’associant à ce Groupement, le Groupement des Hôpitaux de Jour
Psychiatriques Belgique - France - Suisse, sous la forme qu’on lui connaît actuellement, est créé en 1986.
Le premier président, fondateur du Groupement et de l’association, est le Professeur Jean Bertrand.
De 2000 à 2012, le flambeau a été transmis au Docteur Patrick Alary.
L’un et l’autre sont aujourd’hui présidents d’honneur et, depuis le 6 octobre 2012, le président est le Dr Christian Monney.
MEMBRES DU GROUPEMENT
- membres institutionnels : ce sont les hôpitaux de jour psychiatriques de Belgique, de France, de la Suisse et du Luxembourg.
- membres individuels : ils se répartissent en membres effectifs, ce sont les divers professionnels des structures sus-nommées, et
membres adhérents, tout professionnel de la santé mentale qui montre un intérêt particulier pour les activités de l’association.
OBJECTIFS DU GROUPEMENT
- favoriser les relations entre les différentes structures “Hôpital de jour psychiatrique”.
- faciliter la diffusion des travaux réalisés au sein du Groupement.
- organiser des conférences, des réunions, des colloques.
- coordonner et promouvoir les échanges et la formation continue de ses membres.
- être un centre de diffusion de l’école de psychothérapie institutionnelle en hôpital de jour.
- coordonner les contacts avec les personnalités et les pouvoirs, publics ou privés, du monde médical et scientifique aux niveaux nationaux et international.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
145
La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
et des Thérapies Institutionnelles
RECOMMANDATIONS AUX AUTEURS
DES ACTES À LA REVUE…
De 1973 à 1997, les actes des colloques ont été
régulièrement édités sous forme de monographies.
Les textes des présentations en séance plénière et
en ateliers et ceux des discussions sur ces présentations ont été rassemblés par l’organisateur de
chaque colloque.
Depuis 1998, les actes sont publiés dans la Revue
des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles.
La Revue des Hôpitaux de jour psychiatriques
et des thérapies institutionnelles est éditée à
l’occasion de chaque Colloque des Hôpitaux de
jour.
Elle publie les actes du Colloque de l’année précédente et des textes concernant l’activité des
Hôpitaux de jour psychiatriques et les thérapies
institutionnelles.
COMITÉ DE LECTURE
Les propositions de texte sont soumises à un
comité de lecture composé de membres du comité
scientifique du groupement des hôpitaux de jour
psychiatriques.
Il est le garant de la qualité des publications et
peut refuser certains textes, en particulier lorsque
les règles éditoriales n’ont pas été respectées.
Il prend contact, s’il y a lieu, avec les auteurs,
pour les modifications qui lui paraissent opportunes.
Les décisions du comité de lecture sont sans appel.
CONDITIONS DE PUBLICATION
Les manuscrits sont rédigés en langue française et
doivent être dactylographiés en corps 10.
Ils seront adressés à l’organisateur du colloque de
préférence par courriel. En cas d’envoi sur support papier, ils doivent l’être en trois exemplaires.
Un CD (en précisant la version Word utilisée)
doit accompagner l’envoi.
Dès réception, deux exemplaires seront adressés
par l’organisateur du colloque concerné l’un au
rédacteur en chef de la revue l’autre à l’un des
membres du comité de lecture.
L’organisateur du colloque communique la réponse du comité de lecture à l’auteur principal de
l’article.
Si des changements sont demandés, l’article, une
fois modifié, est relu par l’organisateur du colloque avant toute acceptation définitive.
DÉLAIS DE PUBLICATION
Après chaque Colloque :
146
• les textes doivent être adressés au plus tard le
30 novembre suivant le Colloque,
• l’avis du Comité de lecture sera donné au plus
tard le 31 décembre suivant le Colloque,
• en cas de demande de modifications par le
Comité de lecture, le texte définitif doit parvenir à l’organisateur du Colloque le 31 mars de
l’année suivant le Colloque.
PRÉSENTATION
La première page comporte en haut :
• le titre de l’article (court, explicatif, facile à
répertorier dans les index, éventuellement suivi
d’un sous-titre succinct),
• le nom du (des) auteur(s), en majuscules, précédé du (des) prénom(s), en minuscules en dehors des initiales et de la fonction,
• l’adresse de l’auteur.
Puis :
• le résumé, en français, 15 lignes au maximum,
• le titre de l’article en anglais,
• le résumé, en anglais, 15 lignes au maximum,
• les mots-clés, en français et en anglais, 10 au
maximum.
En l’absence de ces éléments, les articles ne
seront pas publiés.
Les manuscrits doivent comporter 25 lignes par
page, recto seulement, en double interligne, avec
une marge de 5 cm à gauche et une numérotation
des pages.
TEXTE
Les textes ne doivent pas dépasser 20 pages dactylographiées, bibliographie comprise.
Ils doivent commencer par une introduction et se
terminer par une conclusion.
ILLUSTRATIONS ET TABLEAUX
Leur nombre doit être limité. Ils doivent être
numérotés (en chiffres arabes pour les graphiques, en chiffres romains pour les tableaux) et
correspondre à un appel précis dans le texte.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Elles doivent être classées par ordre alphabétique
d’auteur, numérotées et dactylographiées, en
double interligne, sur une page séparée. Il ne sera
fait mention que des références appelées dans le
texte ou dans les tableaux ou figures.
Leur nombre maximum est de 30.
Elles doivent être conformes aux normes internationales.
• pour un article :
- nom des auteurs, suivi des initiales des prénoms en majuscules,
- titre intégral dans la langue de publication,
- titre de la revue (abrégé selon les normes internationales) en italique,
- année de parution, éventuellement, série,
- volume,
- numéros des première et dernière pages.
• pour un livre :
- nom des auteurs, suivi des initiales des prénoms en majuscules,
- titre intégral dans la langue de publication,
- nom de l’éditeur,
- ville,
- année de parution,
- le nombre de pages,
- numéros des pages concernées par la citation.
ABRÉVIATIONS, SIGLES, UNITÉS DE MESURES
Pour les unités de mesure et les sigles, elles doivent être conformes aux normes internationales.
Pour les noms, l’abréviation doit être indiquée dès
son premier emploi, entre parenthèses.
Si le nombre d’abréviations est important, leur
signification doit être fournie sur une page séparée.
NOTES DE BAS DE PAGE
Elles doivent être limitées. Elles seront désignées
uniquement par des chiffres, sans se répéter d’une
page à l’autre, et doivent correspondre à un appel
précis dans le texte.
OBLIGATIONS LÉGALES
Les manuscrits originaux ne doivent pas avoir fait
l’objet d’une publication antérieure, ni être en
cours de publication dans une autre revue.
Les opinions exprimées dans l’article ou reproduite dans les analyses n’engagent, sur le plan
scientifique, que leurs auteurs.
Tout article est une œuvre de l’esprit, il est donc à
ce titre protégé par le droit d’auteur. En soumettant son article au Comité de lecture de la Revue,
l’auteur autorise de facto sa publication dans la
Revue. Il peut, avant la publication, retirer à tout
moment son texte s’il n’en souhaite plus la publication. Dès lors que l’article est publié, l’auteur
est réputé avoir transféré ses droits à l’éditeur à
qui devront être adressées les demandes de reproduction.
TIRÉS À PART
Actuellement, il n’est pas édité de tirés à part.
Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
- ASBL –
BULLETIN DE DEMANDE D’ADHÉSION
Vous souhaitez devenir membre du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques :
à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF
à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF
Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous
complété.
La cotisation annuelle vous donne droit :
à être tenu régulièrement au courant de nos activités
à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité
à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de
l’équipe)
à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles (cotisation institutionnelle = 2 exemplaires)
à une voix à l’Assemblée Générale statutaire
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………..…
……..…………
Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat national dont vous dépendez accompagné de votre règlement :
À TITRE INDIVIDUEL
NOM :
PRÉNOM :
FONCTION :
ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) :
ADRESSE PROFESSIONNELLE :
TÉLÉPHONE PERSONNEL :
TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL :
TÉLÉCOPIE :E-MAIL :
Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins
Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :
DATE :
SIGNATURE :
À TITRE INDIVIDUEL
NOM DE L’INSTITUTION :
NOM DU MEDECIN RESPONSABLE :
ADRESSE :
TÉLÉPHONE :
TÉLÉCOPIE :
e-mail :
Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :
DATE :
SIGNATURE
:
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16
147
Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
- ASBL –
BULLETIN DE RENOUVELLEMENT D’ADHÉSION
Vous souhaitez renouveler votre adhésion au Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques :
à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF
à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF
Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous complété.
La cotisation annuelle vous donne droit :
à être tenu régulièrement au courant de nos activités
à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité
à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de l’équipe)
à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles
(cotisation institutionnelle = 2 exemplaires)
à une voix à l’Assemblée Générale statutaire
Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat national
dont vous dépendez accompagné de votre règlement :
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………………….………..
…………
À TITRE INDIVIDUEL
NOM :
PRÉNOM :
FONCTION :
ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) :
ADRESSE PROFESSIONNELLE :
TÉLÉPHONE PERSONNEL :
TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL :
TÉLÉCOPIE :
COURRIEL :
Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins
Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :
DATE :
SIGNATURE :
À TITRE INSTITUTIONNEL
NOM DE L’INSTITUTION :
NOM DU MÉDECIN RESPONSABLE :
ADRESSE :
TÉLÉPHONE :
TÉLÉCOPIE :
COURRIEL :
Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :
DATE :
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SIGNATURE :
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2014 - n° 16