EST-CEQUE PA R H A S A R D VOUSAURIEZVU UNPETITSONGE mon quartier en noir & blanc Matonge – Blijckaerts – Malibran à Ixelles « Sous l’apparente insignifiance se cache le moteur d’une énergie insoupçonnée, une passion de créer qui se prépare à envahir sans forfanterie le territoire occupé jusqu’à nos jours par la stérilité laborieuse, la violence et l’inertie, les ravages de l’ennui. » Raoul Vaneighem, De la créativité, in Enjeux de la crétivité : réflexions et perspectives, Bruxelles, direction générale de la Culture, minist§re de la Communauté française, 2003, p.19 Avertissement Vous trouverez, dans la première partie de cet ouvrage, non seulement des textes issus d'ateliers d'écriture, mais aussi des mots bruts et des photographies glanés à l'occasion de reportages, des contributions produites dans un cadre scolaire et d'autres qui ont pris forme à l'école buissonnière… La typographie indique les niveaux d'écriture et de lecture ; comme sur une carte topographique. Le territoire exploré dans le cadre du projet Mon quartier en noir & blanc s'étend entre la porte de Namur et la rue Malibran, aller retour, en long et en large, en montant et en descendant. Et si la ville était un livre… ? Toutes les entrées sont possibles. L'envers de cet endroit, la dynamique et la méthode de notre projet se trouvent en d'autres termes, plus descriptifs et analytiques, dans la seconde partie de l'ouvrage. À l'école des uns et des autres, CD-audio réalisé à l'occasion d'un atelier avec des migrants en cours d'apprentissage du français, vous est offert à la fin. Il donne le la du là. Il arrive parfois que l'on ouvre un livre en commençant par la derrière page. « Qu'il est émouvant de constater le mariage des mots “ixelles” avec “exil” » Gustavo Matiz, habitant « Nous somme tous si étranges… » Norbert Elias, anthropologue Bon voyage. Écrire c’est habiter Claudine Tondreau – écrivaine, animatrice d'ateliers d'écriture n atelier d'écriture est un lieu où se réunissent des personnes qui acceptent de relever ensemble un défi : celui de répondre à une proposition comme raconter une histoire à propos d'une rue, d'explorer les différentes significations d'un mot, de rentrer dans la peau de personnages pour saisir la vérité de la fiction et, dans ce cas-ci, de partager une nouvelle manière de ressentir l'habiter. U Cette démarche créative a été menée par des gens ne se définissant pas prioritairement comme des artistes et sans prétention dans ce domaine : une innocence qui les a rendus sensibles au fait que la beauté ne tient pas à l'intention de l'artisan. Elle jaillit en dehors de la volonté, exige d'être reconnue dans l'instant et dans la forme qu'elle a prise, même si cette dernière est éphémère ou imparfaite. 7 Sachant cette fragilité, les participants doivent se mobiliser collectivement pour atteindre une intensité qui est celle de la création. C'est dire que lorsqu'on entame le travail, personne ne peut prédire le résultat. Il arrive fréquemment que des personnes peu coopérantes se révèlent finalement comme des avant-gardes de l'inventivité. En fin de séance, que le résultat soit enthousiasmant ou décevant, chacun a conscience d'avoir vécu collectivement un moment intense, même si la manière de le ressentir reste singulière. En animant ces ateliers, j'ai eu le sentiment de recevoir plus que je n'ai donné. Notamment, il m'a semblé qu'avec des personnes qui souffrent de troubles psychiques, j'ai découvert un accès nouveau au monde de l'imaginaire et des sensations. La liberté avec laquelle certains textes ont été écrits m'a touchée. Ignorant les belles formes et les idées bien construites, les auteurs ont laissé libre cours à la fantaisie du moment sans aucune volonté de plaire, de briller ni même de retenir les fulgurances qui les traversaient. En y repensant après coup, j'ai été surprise par la justesse des trouvailles qui répondaient, en définitive, à une exigence de vérité, qui pourrait se formuler de la manière suivante : « Je suis ce que je suis, même si je n'ai aucune idée de ce que cela signifie ». Rencontrer des personnes qui sont blessées dans leur corps, leur psychisme ou leurs liens, c'est nécessairement découvrir ses propres blessures et réapprendre une vérité qu'on aimerait assimiler une fois pour toutes, à savoir celle qui veut que nos anomalies constituent une part de nos racines et que c'est souvent en acceptant de les vivre qu'on accepte réellement d'être. Puisqu'un artiste se caractérise par le fait d'accepter le voyage improbable le conduisant vers l'étrangeté qui l'habite et qui habite son environnement, j'aimerais remercier tous ceux qui ont collaboré à ces ateliers en leur disant qu'en partageant ces expériences, j'ai progressé dans mon propre voyage. Souvent, je pense à eux quand je lis, quand je regarde par la fenêtre, quand je me promène en rue. Et quand je réfléchis à nos maladies, je me dis qu'elles viennent peut-être de cette vision où chaque chose se réduit à ce qu'on dit qu'elle est. En raison de la diversité des productions, en règle générale, nous avons décidé de les regrouper sous les noms de rue tels qu'ils sont évoqués par les écrivants. L'essentiel est de noter que chaque texte exprime une manière de voir et d'habiter par les mots un environnement qui reste insaisissable. Chaque texte rappelle qu'il ne faut pas seulement vivre sa ville, mais aussi la rêver. N'avons-nous pas le droit de nous tromper, de prendre une rue pour une autre, de rentrer chez soi par la cheminée, de sortir par la fenêtre et de confondre notre adresse avec celle du voisin ?… Du moins sur papier ! En tout cas, il arrive qu'en se perdant, on se retrouve et qu'on s'y retrouve… Je souhaite au lecteur qui parcourra ces différents textes, de faire cette expérience et, pourquoi pas, de prendre la plume pour explorer sa manière folle et inattendue d'habiter ces lieux que nous qualifions de quotidiens. 8 En ce qui concerne la méthodologie appliquée dans ce genre d'ateliers, bien que j'apporte dans ma mallette plusieurs propositions d'écriture, je me montre réceptive à toutes les possibilités qui apparaissent pendant le travail (qui ne sont parfois que des ondes) et je les accueille en mettant de côté ce que j'avais en tête. Ainsi, les sur- prises sont nombreuses et déconcertantes. Elles peuvent révéler un mur infranchissable là où on croyait trouver un espace dégagé. Travaillant avec des gens qui apprennent la langue française, j'utilise des supports visuels comme point de départ. Ceux-ci sont lisibles immédiatement par les participants, n'ont pas besoin de longues explications. Les photos, par exemple, favorisent la manifestation spontanée langage, suscitent des commentaires, des comparaisons, initient des récits, autorisent l'accès à un imaginaire soigneusement enfoui chez des personnes dont le souci majeur est l'intégration (via parfois un souci forcené de conformité). Par l'intermédiaire d'un support décalé par rapport à l'écriture, qu'il s'agisse d'images, de sons, d'odeurs, d'objets, surgissent des histoires, des souvenirs racontables qui ne sont en aucun cas récupérés dans un quelconque objectif si ce n'est celui de se sentir bien dans sa propre parole, celle-ci fût-elle mêlée du langage d'origine. Bien entendu, il fut malaisé de recueillir la trace écrite des productions de cet atelier spécifique avec les apprenants en français. C'est la raison pour laquelle il fut décidé d'en collecter quelques échos sur CD. On est donc fréquemment amené à modifier la formulation d'un exercice ou sa portée. Lors de l'atelier récit de vie avec des demandeurs d'emploi, j'avais invité les participants à évoquer leur enfance en racontant leur première séance de cinéma. Il s'avéra que certains membres du groupe avaient une connaissance approfondie du répertoire des années d'après-guerre, de sorte que ce savoir fut exploité pour développer la trajectoire de chacun. Et c'est alors le cinéma qui servit de fil conducteur à plusieurs ateliers, contrairement à ce qui avait été prévu au programme. Cette déviation s'avéra un support d'imaginaire sensationnel, accessible à chacun en fonction de sa culture d'origine, de sa ville, de son quartier… Il arrive aussi que l'invention, les non-sens, les qui pro quo soient si riches qu'ils créent un nouvel espace poétique ou… déclenchent l'hilarité ! Ainsi par exemple, un singe devient une songe (qui nous a donné le titre insolite de cet ouvrage, exprimant de façon forte notre volonté de faire feu de tout bois, en tout cas de saisir chaque parcelle vie qui fuse, de manière quasi sauvage, en cours d'atelier). On aura compris que chaque séance est unique et que chaque mot est recueilli comme un trésor à exploiter, riche d'un fabuleux éventail de significations saugrenues, émouvantes, totalement évocatrices : pur jaillissement poétique qui devient, pour chacun, une ouverture sur un monde différent possible. La fiction est la réalité du moment et les participants la vivent comme telle. L'écriture, en atelier, se partage et il n'est pas rare que des textes soient rédigés à plusieurs mains. On est loin du rapport solennel et bien plus dans la communication symphonique. Je me souviens de textes qui s'emballèrent littéralement ainsi que des chevaux fous, dont la lecture engendra spontanément une animation gestuelle collective, rythmée, les mots passant par le corps. Il n'est plus question ici d'habileté à l'écriture, d'apprentissage d'un savoir, de développer un talent. On entre en plein dans les eaux mouvementées de l'imaginaire, ainsi que le feraient des petits enfants naïfs, à la recherche d'émotions vraies. Quelques faibles échos de ces moments graves ou joyeux se trouvent dans ces pages. 9 Sommaire • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • Du Grand Ouvrage Porte de N. Chaussée Potin-Cocq Longue Vie Châtelaillon Plage Athénée Sans Souci Bouillon Parc Monty Il s'en passe des choses au Collège Malibran La petite Paris, Dublin, Londres, Venise, Naples… Dans la pièce nue… Trône et Couronne Cité Conseil Étangs e marche depuis un moment dans les rues d'Ixelles. Je me retourne pour vérifier : il est encore là… Il me regarde d'un air confiant avec ses yeux en forme de dé à coudre. Il vient vers moi, roule son corps élastique sur la bande supérieure du trottoir puis pique le ruban qui agrémente la couture de ma jupe. « Je crois que ce basset vous a adoptée », me dit mon cordonnier. En effet, nous sommes dans la rue du Grand Ouvrage, rue de la Congrégation des repriseurs. Pour le bonheur des dames vous pouvez tout trouver : cannette, piqué de coton, dentelle… ou tout faire exécuter : corset à agrafes, reprisage et même surpiqûre. Ainsi de fil en aiguille, on commence une histoire avec un chien et on la finit avec un voisin. Lucile J D D Du grand ouvrage ans certains logements, les gaines des fils électriques sont toujours en tissus. Habitat & Rénovation ans la rue de la Piqûre, je me balade jusqu'à ce que je rencontre un magasin de couture. Tout d'abord, j'hésite à entrer : tout me fait penser à ce vilain magasin de la chaussée d'Ixelles où on vend des élastiques. J'aime bien les élastiques car mon petit voisin m'a appris à en faire des catapultes. Moi, à mon tour, j'ai appris à mon petit voisin plein de blagues à faire à sa mère. Voici la liste : 1 des agrafes pour refermer sa robe qui se déchire ; piquée de coton, la robe est une vraie torture pour ses grosses fesses ; quand elle s'assied, sans oser crier, elle devient rouge de colère ; 1 une fine bande élastique comme encolure : cela l'empêchera d'encore s'empiffrer ; 1 une ceinture de fer : cela évitera que la nourriture descende plus bas, là où il n'y a déjà plus que quelques points de couture pour tenir sa robe à peine fermée. Mais voici la maman qui descend les escaliers, et qui, tant bien que mal, se serre la poitrine et le ventre. Je vous laisse deviner dans quel état sera la robe à la fin du repas. Élisabeth R ans la rue Général Piqué de Coton, un chien, ventre à terre comme un petit boudin, sort de chez Belle-Tirette et détale. « Il faut le piquer », hurle la mercière qui sautille sur place comme un élastique. Je m'approche et découvre avec horreur sur son bras un long ruban de sang. Avec l'air docte du dé à coudre, je lui déclare : « Je vous emmène chez le Docteur Cannette » (à ne pas confondre avec Carpette qui, selon la mercière, est le nom du chien enragé). Le docteur, long comme un cordonnet, s'empare de son bras et dit : « Sans agrafes, madame Belle-Tirette ne s'en tirera pas ». Celle-ci, lasse et la tête basse, dit qu'au nom du ciel elle préfère le fil à pêche. Le docteur, bon bougre, accepte et, de son aiguille cousi-cousa, lui fait la plus belle des surpiqûres. La patronne mercière lui fait ce joli compliment : « C'est mieux qu'une fermeture éclair ! » et, de la bande géante qui lui sert désormais de main, elle lui adresse le geste le plus coquet qui soit. C'est là que je me manifeste et dit au docteur pantois : « Tout ça c'est du cousu main ». Félicie D 13 Du grand ouvrage a mère supérieure parcourt lentement dans son cordonnet rouillé la ruelle Couture à Ixelles. La ruelle Couture court comme un ruban derrière les restaurants qui prestent sur la Toison d'Or. Supérieure cherche des dés à coudre. Ils ont l'habitude de se caneter avec la bande Surpiqûre, Agrafe et Élastique, parmi les poubelles de la ruelle. Il commence à ouvrager et il fait noir comme du piqué de coton. Les phares du cordonnet rouillé, dans le noir, piquent jusqu'à la piqûre du dé à coudre. Un coup de sifflet de Supérieure, un bond de dé à coudre, et voilà tout le monde parti. Brigitte L ur la place Couture, je rencontre madame Agrafe tenant en laisse un dé à coudre. Avec elle, il y a une piqûre, une gentille jeune fille, très ruban, et un ouvrage parfaitement surpiqué qui ressemble comme deux gouttes d'eau à ma surpiqûre de la télévision belge, mais beaucoup trop piquée de coton. Comme chacun sait, la place Couture débouche sur l'avenue Cordonnet par une canette. Un élastique y fait la circulation. Piquez, roulez, tels sont les ordres donnés par cet élastique. Tout ce monde-là lui obéit et se rapproche de la bande supérieure. Jean S 14 ier, Gertrude la voisine, est sortie sur le pas de la porte. Elle s'est installée sur la vieille chaise bancale en fumant son éternelle pipe en bois. Elle a pris un coup de vieux cet hiver mais elle porte la même robe que le printemps dernier, celle aux grosses fleurs roses. Que fait-elle, cette madame Gertrude, durant tout l'hiver ? Elle va sûrement chez ce charmant monsieur qui tient un salon de beauté pour femmes. Un jour, prise par trop de curiosité, je le lui ai demandé. Elle m'a répondu : « Moi ? Je ne vais pas dans ce salon de beauté. Je vais tremblante chez monsieur Paris XL lui-même. Et oui ! Il m'ouvre la porte de chez lui ! Et je me sens prise par des parfums enivrants. Je suis transportée tantôt à la mer, tantôt dans un sous-bois et même en Inde. Quel voyage ! Toute tremblante, j'entre dans un nuage de parfum et me voilà transportée au 7e ciel. Comme Ixelles est petit de là-haut ! » H Porte de N. Plusieurs mains Q A u'il est émouvant de constater le mariage des mots « Ixelles » avec « Exil ». Gustavo Matiz u-delà de la porte, une jungle de ronces et d'herbes folles. Ce doit être une aventure que d'y pénétrer. On peut imaginer des personnages derrière cette porte. À quoi servait-elle ? Elle est belle à regarder car elle cache une histoire. C'est une porte mystérieuse mais sans charme car toute cette broussaille est un peu rébarbative. Derrière il y a une ogive. Si ces lieux ont cessé d'être fréquentés alors cette porte a perdu son sens. Jacqueline H. (photo de Jacqueline Rosseels) n habite dans cet appartement depuis 2001. Il y avait des problèmes de portes. Les portes… C'étaient de vieilles portes qui étaient là depuis des années et des années, c'étaient des portes qui pesaient lourd et qui ne tenaient plus dans le mur. Avec les enfants, qui entraient et qui sortaient, les portes se sont cassées. On a expliqué le problème au propriétaire mais il n'a rien voulu faire… Grâce à l'assistante sociale qui a fait un travail énorme, le CPAS d'Ixelles a payé les travaux. On a montré les travaux au propriétaire quand il est venu chercher l'argent du loyer. Mais le gars, il se fiche de tout, il n'est pas concerné. Yanga & Tété O hère grand-mère, En ce temps-là, les portes étaient ouvertes et les gens prenaient le soleil sur le pas de la porte. Te rappelles-tu ? Nous, mon frère et moi, jouions dans la rue. Maman faisait des courses et la voisine était partie aussi. Mon frère m'a dit : « Viens, on va visiter la maison d'à-côté ». Oh là la ! Sur la pointe des pieds nous sommes entré et mon cher frère a fermé la porte au verrou. C'était un univers inconnu, un jardin plein de fleurs, qui m'a paru grand alors qu'il était plus petit que le nôtre. […] Arrivés dans la chambre, j'ai pris peur et ai voulu rentrer. « Mais non – m'a dit Marc – regarde, il y a du chocolat sur la table de nuit ». Il en a avalé deux morceaux. Heureusement je n'aime pas le chocolat. Et puis j'ai entendu crier : « Diane ? Marc, Diane, où êtes-vous ? » Oh ! Maman nous cherchait. Et entre temps la voisine avait voulu rentrer chez elle. Porte fermée. Nous, cachés. Il a fallu aller chercher le charbonnier et son échelle. Diane C 15 Porte de N. 'habite en province et mon quar- J tier est bien plus rassurant que ceux d'Ixelles. Pour moi il y a moins de risque de s'y promener le soir. Mais j'aimerais pouvoir habiter Ixelles car il y a plus d'animations et c'est nettement plus facile pour se déplacer. Justin Vilan 'habite une commune située en J bordure de la forêt de Soignes et je peux dire que le risque de vol est parfois supérieur à la commune d'Ixelles. Avoir un chien est sans doute aussi nettement plus facile à gérer car il y a des espaces boisés que l'on ne retrouve pas à Ixelles. Cindy Inglebleek es voleurs sont rentrés ici. Ils sont rentrés par le studio, ici ; ils sont passés par la terrasse, là. J'avais une porte en bois, toute simple. Maintenant j'ai une porte blindée. Rosa D l'horloge du Nord, un café de la zone, Cynthia, qui attendait un enfant dans son ventre rond, ressemblait à un panier, scrutait l'horizon avec une anxiété évidente. Les yeux plantés au loin, il lui semblait apercevoir les brumes lointaines du Canada. Elle était tellement envoûtée qu'il aurait fallu faire appel à un serrurier pour la sortir de cette photographie. Mais tout ce qui se dressait devant elle, c'était la porte de Namur qui se tortillait, rachitique, telle une marionnette. François À nota bene 16 Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, deux ouvrages de défense en forme de tour, étaient situés le long de la rue de Namur, entre la rue de Brederode et le boulevard de Waterloo. La Waelsche Weg, ou chaussée wallonne, qui empruntait alors les tracés de la chaussée d'Ixelles, de la rue de Vergnies, des chaussées de Vleurgat et de Waterloo avait Namur comme point d'arrivée. arianne Mesnil disait à qui voulait bien l'entendre : « Passez par ici, la porte est M ouverte, on est là, il y a quelqu'un… ». Et j'y suis allée, j'ai osé pousser la porte… Jacqueline H Chaussée l y a plus de 200 ans, les ours arrivèrent à Bruxelles… Depuis lors, ils se promènent, silencieux, sur la chaussée d'Ixelles, sans respecter les zèbres… Ils imposent leur rythme lent au transit des citoyens qui déjà n'ont plus de chez eux… La ville ressemble à un fantôme… Une odeur de chien mouillé se sent dans le métro, les bus et les trams. Des vapeurs s'échappent des sous-sols et l'inconfondible arôme de foyer de chien mouillé – pardon ! – d'ours mouillé envahit le CPAS où, se balançant, la tête basse, les ours qui n'ont pas trouvé une grotte pour passer l'hiver, demeurent. François I n descendant la chaussée d'Ixelles, je vois devant moi une silhouette que je ne reconnais pas. De dos, ce n'est pas commode. Grandeur moyenne, port fier et droit, habillé avec recherche. Un léger coup de vent me fait entrevoir une cravate de bon goût, qui ne vient sûrement pas de chez Sarma. Il fait chaud. Il tombe la veste et une redingote bien ajustée apparaît. Porte-document en cuir, porté en bandoulière. Vraiment, ce type ne se mouche pas avec des briques. Voilà ! Je le reconnais ! C'est monsieur Jean-Jean. Marie S E igurez-vous que l'hiver dernier, je regardais l'étalage de chez Damar, lorsque vint se planter à côté de moi une dame, le visage assez gras, avec un chignon. Je la détaillai assez longuement. Elle était vêtue d'un manteau de fourrure usine, avec une robe en viscose, un chapeau en drap noir, et portait de grosses chaussures en cuir. C'était ma voisine. Rien d'étonnant à ce qu'elle regarda justement cet étalage-là. C'est qu'elle paraissait suffisamment élégante que pour porter des toilettes exquises. Jean F 'est un long long regard à toutes ces bonnes choses, une anticipation du plaisir qui va suivre. C'est une journée qui commence. J'aime aller à la boulangerie. C'est un endroit de bien-être où on retrouve ses voisins, on discute de choses et d'autres, sans s'embarquer au sujet de la gourmandise. La gourmandise, oh ça non, on se garde bien d'en parler. Jacqueline H. (photo de Cynthia Grover) Vous ne devinerez jamais qui j'ai suivi ce matin. Suivi, c'est beaucoup dire, car c'était au pas d'escargot. J'étais dans la file à la poste, chaussée d'Ixelles, et là, devant moi, à l'autre bout de la file, se trouvait ma voisine. Ses cheveux étaient tirés avec vengeance vers l'arrière de sa tête. Je m'attends à ce qu'un jour cette petite boule déferle et que ses cheveux se déploient autour de son visage épais. De son t-shirt large, qui ne révélait qu'incomplètement sa corpulence, sortaient deux tiges dans un pantalon en lycra aussi serrant que ses cheveux. Et ses chevilles, épaisses comme son visage, sortaient avec soulagement de leur prison lycrénienne pour se couler dans des pantoufles larges et confortables. Le dessin, sur le pantalon, faisait mal aux yeux, criant si fort que je m'étonnais du silence de l'attente. Elle tapotait ses lettres contre son sein où le coton blanc s'était mouillé de transpiration. Et puis, elle soufflait. Un seul cheveu échappé en escapade volait, puis retombait léthargiquement. Un guichet se libéra et elle avança ainsi qu'un bateau trop chargé, balançant de gauche à droite, le bout de son t-shirt allant à contre sens. Arrivée à mon niveau, son œil se leva avec C es voitures s'arrêtent en plein milieu de la route et bloquent la circulation : les gens sont sans gêne et ne pensent qu'à eux ! Parfois les trottoirs sont tellement étroits que l'on se bouscule. Tracer des pistes cyclables rien que pour les vélos ! La nuit, j'entends des gens crier parce qu'ils ont trop bu : les vendeurs devraient limiter les bouteilles d'alcool et les cafés ne plus donner à boire à ceux qui ont déjà assez bu ! Lucia Souralaysak L E t si on réparait les pavés des trottoirs ? Louis Janssens de Bisthoven 17 Chaussée nota bene 18 À l'origine, la chaussée d'Ixelles menait au village d'Ixelles qui se développait depuis le XIVe siècle autour de l'actuelle place Flagey et du grand étang. le regard d'une vache qui rumine dans une prairie. Nous nous sommes souri et elle s'achemina vers le postier. Astrid ette année, devant la maison communale, on a planté des pommes de terre. Chaque habitant vient chercher sa part lors de la récolte. Naturellement, elle est à nouveau là cette chipie. Comment sais-je que c'est une chipie ? Eh bien, elle m'a bousculée jusqu'à ce que je tombe par terre. Là-dessus, la peste m'a déclaré : « Yves Rocher ne soigne pas les fesses ! ». Et me voici me rendant chez mon médecin qui me dit : « Prenez cette potion et vous serez en forme pour la fête du village ». Plusieurs mains C Potin-Cocq igurez-vous que je la vois ce matin, dans l'air chaud et doux, assise sur un des bancs en triangle, place Fernand Cocq. Au milieu du banc, sa large jupe bleue lui fait comme un petit socle sur lequel elle a l'air de reposer, bien stable. Elle tient sa canne plantée entre les genoux comme un sceptre délicat et promène ses yeux vifs derrière les verres épais de ses lunettes. Voit-elle les passants ? Le talon est sorti d'un de ses sabots, comme pour prendre l'air et battre la mesure. Parfois, elle appuie son menton sur sa canne et, relevant le sourcil, semble fixer quelque chose devant elle. Mais peutêtre est-ce seulement dans son esprit. Son talon s'est alors reposé sur le sol mais la petite clé qu'elle porte autour du cou a pris la relève et entonne un tic-tac bienveillant. Elle rêve… Et dans ses cheveux en bataille, dans son chemisier poivre et sel qui floque, dans son œil qui s'éclaire, Marie sourit. Félicie F n a entendu dire que les gens se rencontrent dans une petite pièce à l'étage, qu'ils s'emparent de bics et de papier blanc et qu'ils écrivent l'œuvre du siècle. On en reparlera ! On dit que déjà neuf chapitres ont surgi de leur imagination débridée. Qui sait où cela les mènera ? En fait, ils ne savent pas où cela s'arrêtera. Mais ne font-ils que ça ? J'ai peine à le croire. Il paraît même qu'ils en oublient de manger, et çe n’est pas possible. Ils restent fascinés, yeux dans les yeux, devant l'amour fou. Le printemps, l'odeur de l'herbe coupée, de ton after-shave. Oh ! Ma gazelle, allons boire un pot ici. C'est fou ce que tu es belle à croquer ! C'est bien ce que je disais, tout ça n'est qu'une façade pour des histoires amoureuses. Plusieurs mains O es potins du printemps, il suffirait d'interroger les pies et autres oiseaux pour les connaître tous en détail. « Et alors ? » me direz-vous. Quels rapports avec le toit et notamment le clocher de l'église Saint-Boniface ? Mais pourquoi les potins courentils si vite ? Plusieurs mains L e ne voudrais pas être concierge. Tu as monsieur et madame X et tout le monde qui vient donner son avis et le sujet préféré, c'est le travail de la concierge : elle n'a pas bien nettoyé dans les coins, elle n'a pas fait ça… Elle a parfois au moins vingt patrons. Ma mère a été concierge pendant une période… Moi, je n'ai jamais fait ça mais il y a des gens qui… la concierge n'est pas là pendant cinq minutes, c'est noté et signalé au gérant… Rosa J ui vois-je sur le sol étendu, sur cette nappe ocre, avec une cravate ou un nœud papillon, ocre si je ne me trompe, fumant des cigarettes et des cigarillos de teinte ocre ? Q 19 Potin-Cocq Est-ce bien Giscard d'Estaing ? À ton avis, est-ce bien lui ? Tout me porte à te dire que tu dirais cela à d'autres, tout le monde serait tenté de dire que tout portrait devrait être complété. Jean ier, j'ai rencontré mon amie Utumba. Elle portait une belle djellaba, couleur lie de vin et un couvre-chef assorti. Sur sa tête, des concombres, des tomates et autres denrées comestibles. Tout cela en parfait équilibre. Mon amie Utumba, très simple, pas le genre grosse tête, dépose son bébé et commence à vider son sac et à tout me dire. Dire que son époux, au début, était aux petits soins pour elle, tendre etc… Maintenant, il la bat. Marie S H ui… Oh ! Il doit avoir plus de 60 ans, il buvait beaucoup, il était toujours entouré de femmes qu'il allait trouver je ne sais pas où. Ces femmes avaient toujours l'air d'être… c'était des femmes bizarres et vraiment, je le sentais, on sent ça, il y a des façons de se comporter. La façon dont elles te regardent par exemple dans l'ascenseur, personne d'autre ne fait ça dans le bâtiment… Un peu provocantes comme ça… Mais je n'avais pas de problèmes avec ces femmes qui venaient dans le bâtiment… Et si le monsieur avait des amies africaines pourquoi pas… Mais la façon dont elles se comportent… Et beaucoup d'histoires dans le couloir… C'était quand même bizarre. Rosa L 'aimerais bien le connaître ce Yves Rocher. Je crois bien que c'est le seul prestidigitateur sur cette planète. Si vous avez envie d'avoir un rendez-vous avec monsieur Yves Rocher, et bien, bonne chance, car son carnet déborde de rendez-vous. J'ai fait un petit sondage. Toutes les femmes de mon âge ont déjà fait le premier pas pour aller à la rencontre de ce fameux Yves Rocher et toutes ces dames se retrouvent sur le banc du square place Fernand Cocq, celui qui fait face au soleil couchant et où tous les visages sont illuminés et tellement beaux qu'on a envie de rire et de bavarder sans s'arrêter jusqu'à ce que le soir tombe. Et comme c'est presque l'été, il met du temps à tomber et la conversation se prolonge. Et puis tout à coup l'une d'elle dit : « Et le monsieur ? On l'a oublié ! ». Eh bien oui, et elles s'en moquent. Elles sont trop bien. C'est bien une histoire de bonnes femmes, bavardes comme les pies. Il paraît qu'elles se racontent tout et rien, ben oui, jusqu'à en oublier l'homme. Et l'homme s'est oublié, a oublié qu'il est un homme. Vous voyez bien : les femmes ne le reconnaissent plus. Plusieurs mains J uand je suis arrivée, deux sœurs habitaient ensemble dans l'appartement de la concierge. Une sœur était concierge et l'autre était infirmière : deux Espagnoles qui ne s'étaient jamais mariées. Cette concierge était une femme très active, très sociable, elle parlait avec tout le monde. Au début, quand je suis arrivée, je lui demandais souvent si elle ne pouvait pas m'aider pour ceci, pour cela. […] Mais cette concierge est décédée, elle avait le cancer. […] On a quand même partagé des moments douloureux ici. […] Je suis allée à son enterrement. Elle était aimée par beaucoup de gens. Ensuite, Q 20 Potin-Cocq sa sœur est devenue concierge. Elle a travaillé très fort ces dernières années. Elles avaient en fait le projet de retourner en Espagne une fois retraitées ici. Elle a été concierge et infirmière en même temps pour pouvoir gagner le plus d'argent et partir le plus vite possible en Espagne pour faire sa vie comme elle se l'était imaginée là-bas. Bernadette nota bene L'avocat Fernand Cocq siégea au Conseil communal de 1890 à 1920. Il le présida comme bourgmestre de 1918 à 1920. Il est un des rares élus ixellois à avoir été ministre (Justice en 1931-1932). 21 Longue Vie n 1515, mon ancêtre Somebody vivait dans une église en ruine. Somebody avait une charmante compagne du nom de Sylvie. Tout autour d'eux ne poussaient que des arbres gigantesques, bien plus hauts que la pointe du clocher. Tout alla bien, jusqu'au jour où une montagne s'écroula sur la queue du chien. « Pute borgne ! » – déclara Sylvie. C'est alors que Somebody, mon ancêtre, lui jeta une pierre. Il faut bien dire qu'à cette époque, le jet de pierres était un signe du plus tendre amour. C'est pourquoi depuis ce jour-là police encourage ce genre d'incident. Plusieurs mains E ourquoi je ne connais pas l'histoire de mes grands-parents ? Pourquoi ? Comment ? J'ai dû accepter de recueillir des éléments à gauche, à droite censés être la vérité. Car pourquoi mentir ? Mon ignorance et une certaine naïveté, que j'ai comprises bien plus tard, m'ont démontré à quel point les hommes et les femmes peuvent avoir un côté sombre. Je ne connais pas mes grands-parents. Bruno P es grands-parents maternels habitaient une petite maison ouvrière dans le centre de Tervueren. Bompa était peu présent, il allait promener le chien, le chien qui allait le rechercher dans les cafés du village à l'heure des repas. Nous arrivions en milieu de matinée à Tervueren. Mon grand-père étant en vadrouille avec le chien, nous étions toujours accueillis par ma grand-mère. Boma avait des problèmes de surdité et pourtant était grande fan de musique (le terme fan n'était pas encore courant) qu'elle écoutait sur un vieux phonographe à manivelle, dont le volume était réglé par deux portes, devant le haut-parleur, que l'on ouvrait ou fermait selon le volume désiré. Les portes étaient bien sûr toujours grandes ouvertes. Pendant que les polkas, rumbas, charlestons et vieilles chansons populaires flamandes défilaient au rythme des 78 tours qui tournaient plus ou moins vite selon que le moteur était régulièrement remonté via la manivelle, Boma cuisait des gros boudins noirs avec comme graisse de cuisson du saindoux. Je ne me souviens pas avoir mangé autre chose chez ma grand-mère que des boudins noirs accompagnés de gros morceaux de pomme de terre et de compote de pomme. André M es grands-parents paternels habitaient un vieux quartier pittoresque de Boitsfort, à l'orée de la forêt de Soignes, qui s'appelle le coin du balai, Heiligenborre en flamand, littéralement les balais sacrés (terminus du bus 95). Mon grand-père était un culottier c'est-à-dire un tailleur qui ne faisait que des pantalons. Ma grand-mère, elle, faisait le ménage pour ses huit enfants, quatre filles et quatre garçons, et, étant très catholique, allait entretenir l'église. Mes grands-parents étaient parrain et marraine de quasi tous leurs petits-enfants, ce qui fait que toute la famille les appelait peter en meter (parrain et marraine en flamand). Je me souviens que trois fois par an, jusqu'au milieu des années 60, toute la famille se réunissait à la maison familiale, au nouvel an, à la fête des mères, soit le 1er mai, et le 1er novembre pour aller fleurir les tombes de mes deux oncles, morts de mauvais soins pendant la guerre. Le dimanche matin, après la messe, mon père et moi allions régulièrement leur rendre visite, le potage était invariablement de la crème aux champignons, qui chauffait sur l'immense poêle au charbon, pièce maîtresse de la cui- M 22 Longue Vie sine. Je me souviens avoir dormi un week-end dans cette maison dont plusieurs pièces étaient inoccupées, les anciennes chambres de mon père, de mes oncles et tantes alors tous mariés. Mes grands-parents vivaient seuls dans cette maison de huit pièces, dont le deuxième étage et les mansardes avaient servi de chambres aux enfants et le premier étage de chambre à coucher et d'atelier à mon grand-père Alexandre. Si je m'appelle André aujourd'hui c'est parce que ma mère voulait un fils qu'elle pouvait appeler Dédé, diminutif en français d'André. Vexé, mon grand-père, qui était mon parrain – à l'époque la coutume voulait que le filleul porte le nom de son parrain – lors de nos visites, demandait régulièrement : comment il s'appelle encore cet enfant-là ? André n 1888, mon ancêtre Somebody vivait dans un moulin. Il avait comme premier compagnon un grand chien du nom de Luca. Tout autour d'eux, il y avait des champs de coton prêt à être cueilli. Tout alla bien jusqu'au jour où l'empire des vampires s'écroula. « Foutre ! » déclara Somebody. C'est alors que Somebody, mon ancêtre, rassembla une armée de chauve-souris très combatives et décida de partir avec elles à la conquête de l'empire. Il faut bien dire qu'à cette époque les hommes ne manquaient pas d'imagination pour s'éloigner du foyer trop routinier. C'est pourquoi depuis ce jour sont aménagés dans les moulins des ailes en « X ». Plusieurs mains E 'était très chaud comme ambiance. Odeur de bois et de pain. La cheminée qui dégageait de la chaleur donnait envie de rester à l'intérieur avec une tasse de thé et d'écouter les bruits des bûches en train de brûler. J'ai passé toutes les vacances d'été là-bas, dans ce village près de Moscou qui s'appelle Galitch. Un village comme les autres mais… très différent en même temps, sauvage, où j'ai senti la liberté totale ! Ma grand-mère paternelle était toujours présente et elle n'a jamais rien interdit aux enfants. On jouait dans les champs de blé jusqu'à cinq heures du matin en se divisant en deux bandes et chacune voulait gagner ! On se cachait dans la forêt. Comme des fous, nous courrions dans les vallées en glissant sur la rosée matinale. Cette joie, ce bonheur, je les ai gardés jusqu'à présent. C'est là que se trouvent mes racines, ma force intérieure. Alexandra nota bene ernièrement, j'ai rencontré une jeune personne qui m'a parlé de l'amnésie. Toutes les sortes d'amnésie. Elle avait l'air d'avoir vécu cela de près. Je ne crois pas que j'aurais pu avoir une conversation comme celle-là quand je travaillais dans un bureau d'assurances et ensuite dans une bibliothèque. On n'osait pas parler des choses, on n’avait pas le temps, pas la disponibilité d'esprit. Jacqueline Longue Vie à ceux qui vivent (rue) Sans Souci, à moins que ce ne soit l'inverse ! Longue Vie et Sans Souci étaient les noms de deux chemins vicinaux étroits et consécutifs qui reliaient les rues de la Tulipe et Gray. On a dit que le premier était bordé de masures malsaines où l'espérance de vie était limitée. Il n'était sûrement pas le seul dans ce cas. C D 23 Châtelaillon I Plage l rencontre mademoiselle Elle. Il lui demande son chemin. Il veut aller rue de la Tulipe. « C'est bien simple – lui répond-t-elle – Tout d'abord vous marchez 10 minutes tout droit, puis vous arrivez à un rond point que vous contournez dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. Là, vous arrivez au lieu crucial. ” Plus loin, un monsieur habitué au quartier se propose de lui indiquer le chemin : « Écoutez bien, charmant voyageur, vous tournez dans le sens des aiguilles d'une montre trois fois autour du massif de fleurs, puis je serai là pour vous expliquer la suite de votre chemin. » Après ses trois tours, revoici le monsieur toujours perdu. « Mais – explique l'autre – c'était l'autre droite ! Enfin, celle de gauche ! Vous comprenez, je suis Anglais… Refaites alors trois fois le tour du massif de fleurs dans l'autre sens, je vous attendrai. Vous avez bien compris ? Dans l'autre sens ! » Se trouvant très sympathiques, ces deux messieurs ont trouvé un chouette jeu pour perdre quelques kilos superflus. Enfin épuisés tous les deux, ensemble, ils foncent vers le premier bistrot sur la route. Après quelques verres, le garçon de café dit : « Vous pourrez recommencer votre gymnastique ce soir, car la bière a la descente facile, mais pour l'éliminer il faut faire de l'exercice. À demain, charmants messieurs ! » Le lendemain, re-belote ! La même histoire se déroule. Et de bouche à oreille, l'histoire de ces deux messieurs parvient à leurs voisins. Élisabeth R ci, c'est pas l'esprit d'un petit village. Je viens de Zottegem… ça c'est vraiment un petit village flamand… tout le monde sait que tu es la fille d'un tel et que ta tante ceci et que ton grand-père cela. Quand ma famille parle de gens à la maison, c'est toujours de gens liés à d'autres gens. Tout est lié et tout le monde sait tout sur tout le monde. J'ai toujours détesté ça. À Gand, c'était beaucoup moins le cas. Mais c'était pas assez diversifié… Ici on a des contacts chouettes, il y a beaucoup plus de mélange, il n'y a pas un groupe qui est dominant. Et je crois que c'est ça qui est chouette. On sait qu'il y a pas mal de gens qui ont leurs problèmes mais on est discret sur ça. On va pas parler de ça à tout le monde. Dans mon village, tout le monde parle de tout le monde et des problèmes de tout le monde. Tu ne peux rien cacher. Ici, les gens font ce qu'ils veulent et ils vont moins juger. Hilde I Q L 24 uand on passe devant ces immeubles, c'est un peu comme à Paris quand on passe en banlieue et que l'on se dit « Comment peut-on vivre là-dedans ? » Émile orsque le soleil paraît, je pense à la plage Robinson. Quand mon père était chauffeur de taxi, les dimanches, nous y allions tous avec sa voiture. Ma sœur n'avait pas deux ans et donc j'en avais dix environ. Des mois magnifiques ! Il y avait mon oncle, ma tante, ma mère, mon frère, mes trois cousines et moi. Mon père conduisait. Quel souvenir ! A-t-on mis assez d'eau ? Le moteur ne tourne plus… Dans la descente, cela allait. Un tour de manivelle et hop ! On saute dans la voiture pour monter, on tourne la manivelle, tout le monde dehors, on pousse, on pousse… Je me souviens de la file et de l'attente, des champs de blé pleins de fleurs : marguerites, bleuets, coquelicots. Je me souviens de l'odeur avant d'arriver à Gand : le lin, plongé dans l'eau. Quant au séjour à la mer, je ne m'en souviens pas, alors pas du tout ! Ni petite, ni plus tard, sauf un séjour en colonies. Ceci est une autre histoire. Diane e quartier n'est pas fait pour les enfants. Il faudrait réfléchir à la place des enfants en fonction de leur âge. Pour ma part, j'aimerais avoir des bancs pour pouvoir m'asseoir et les regarder jouer. Square Châtelaillon plage, en bas de chez moi, il n'y a même pas de banc pour s'asseoir. Je dois m'asseoir sur le petit muret, c'est très inconfortable. Parfois, je suis à deux doigts de jouer avec les enfants. Ah ! Si j'avais au moins un banc. Et je ne vous parle pas de tous ces cacas de chien. Les enfants crient mais cela ne me dérange pas, contrairement à d'autres. Les cris d'enfants, ce ne sont pas des bruits mais des voix naturelles de la vie. Ce n'est pas possible de jouer au ballon en silence, cela voudrait dire qu'on ne s'amuse pas. Je dois même vous dire que je vais sur mon balcon pour écouter les enfants qui jouent dans la cour de récré. Leurs voix me manquent pendant les vacances. Ils sont partis. Il faudrait une étude des besoins en espaces de jeux pour les enfants et en fonction de leur âge. Le soir, des jeunes plus âgés, de 16 à 25 ans au moins, squattent l'espace des enfants, ils viennent avec des voitures… Mais moi je ne fais que passer. Jacqueline H (photo de Stéphane Baudry) C Châtelaillon Plage ela va faire à peu près 8 ans et demi que je suis ici. Avant j'habitais à Gand. Je travaillais à Bruxelles depuis quelques années – à Uccle – pour le magazine MarieClaire. Je devais faire le trajet Gand-Bruxelles tous les jours et je commençais à en avoir marre. J'ai visité plusieurs endroits. J'ai visité finalement beaucoup de blocs comme ici… Il y a ceux à Anderlecht… J'en ai visité aussi à Evere, puis dans le centre-ville, près de la gare du midi. C'est un peu partout le même style. Des bâtiments des années 1960, 1970… parce qu'ils tombent plus ou moins dans mon budget… J'ai aussi visité des maisons où on avait fait des appartements, notamment à Uccle. À Uccle… Là j'ai dit tout de suite non. Je ne veux pas habiter entourée de gens pareils… Ça va pour le boulot, un peu. Pas pour vivre avec eux. Enfin pas pour moi… À Evere, un argument de vente était « ici il y a peu d'étrangers »… C'est pas un argument pour moi… Alors un jour je suis venue ici, j'ai vu l'appartement et, tout de suite, j'ai compris que c'était pour moi. Je connaissais un peu le quartier. Je venais parfois avec des amis pour boire un verre, pour s'amuser… Ce soir-là, j'ai signé. Hilde C luie outremer – platane blanc – vieux livre chair – cardamome carmin – kaki caca de chien – moisi cramoisi – café noir – herbe acajou – maïre perle – pluie gris souris – cuisine menthe à l'eau – ail coquille d'œuf – fumée de barbecue carmin – herbe tondue rouille – parfum de femme fraise écrasée – after shave tête de nègre – encens marine – fromage roux carotte – éverite ivoire – glycine sépia – poubelle gris muraille – épicerie pourpre – bière rouge brique – neige vert tendre – printemps cramoisi – couscous anthracite – peinture jaune pipi – lessive caca d'oie – ciment outremer – tomates vert de gris – soupe aux choux fushia – couscous lie de vin – mesquite opale – buisson noir – chélidoine chlorophylle – mazout marron – déodorant mandarine – parfum anthracite – pipi de chien jaune citron – urine blanc cassé – crotte de chien roux carotte – chien p 25 Châtelaillon Plage mouillé coquille d'œuf – géranium carmin – glycine marine – surfinia orange – pied acajou – frite terre de sienne – sueur mauve – bière beige – lessive gris souris – pluie indigo – cigarette argentée – frite marine – essence noire – parfum de mon gentil voisin outremer – citronnelle couleur soleil – fraise des bois rose – lion du jardin zoologique brun – perchis gris i les gens se parlent ici ? Dans le bâtiment, les gens se disent bonjour, oui. Parmi les gens que l'on croise dans l'ascenseur, presque tout le monde dit bonjour. Il y en a quand même plusieurs que je connais. Mais les gens sont assez sur leurs… je ne sais pas si c'est sur leurs gardes. Les gens sont assez individualistes ici, un peu réservés. C'est pas que l'on court comme ça de haut en bas pour aller chez les uns et les autres. Il faut d'abord appeler, demander si on peut passer… Rosa S es gens de l'immeuble, je les connais de vue mais je ne les fréquente pas… Je connais un peu une dame, au sixième. Elle a eu des problèmes de bruit avec son voisin, qui est mort depuis, et je suis intervenu comme membre du conseil de gérance. Tout cela s'est arrangé… Si quelqu'un met sa télé à fond, juste à côté ou juste en dessous, on l'entend, évidemment. Émile L ette voisine, je vais parfois chez elle mais ce n'est quand même pas comme des amis… On aime bien se rencontrer, dire bonjour, mais ça ne va pas plus loin que ça. Jacqueline C outes les personnes de l'immeuble, on les connaît – Vous allez parfois chez eux ou ils viennent parfois chez vous ? – … Ici ? Non. … La maman d'Emmanuel est rentrée une fois chez moi, quand j'ai eu mon accident. Quand je suis rentré à la maison, elle a compris que j'avais eu un accident, alors elle est venue me voir pour savoir comment ça allait… On travaille, on fait les courses, on prépare à manger, on lave les enfants… on n'a pas beaucoup de temps pour rendre visite. Cinq enfants, c'est beaucoup de travail. Quand il fait bon, on va se promener, on sort les vélos. Vladimir T n jour, il y a eu un problème avec un voisin. Il est mort dans son appartement. Les pompiers sont venus et sont intervenus avec beaucoup de violence, parce que c'était urgent. Je suis allé tout de suite dans le couloir, pour voir ce qui se passait et ce que l'on pouvait faire. Tout le monde l'avait entendu, tout le monde venait par l'ascenseur pour regarder… et la police de dire « Non et non, descendez ! » Et alors les gens repartaient par les escaliers. La voisine m'a appelé : « Qu'est-ce qui se passe ? » Et alors là j'ai pensé : « Allez, on connaît les gens mais finalement quand quelque chose arrive, on ne sait pas… U 26 Ça aurait pu durer plusieurs jours ainsi… » Hilde l n'y a pas beaucoup d'animation. Ce que je trouve un peu dommage c'est que le quartier ne parvient pas à garder des commerces. Il y a bien une épicerie, c'est un Indien qui est là. Il y a aussi un Arabe, là… Il y avait tous les magasins de l'immeuble mais il n'y en plus. Ça ne prend pas, je trouve que c'est dommage. Je ne sais pas pourquoi. I Châtelaillon Plage Cynthia vant, ma voiture était garée dans la rue, là plus loin. Je n'allais pas dans le parking parce qu'il est cher. Pendant plusieurs années, on s'est battu avec les habitants d'ici pour avoir de meilleures conditions. On a fait la demande auprès de la commune. On a fait une pétition… Une fois par an, on se rencontre à l'assemblée générale… Ça vaut la peine, c'est incroyable ce qui s'y passe. Il y a la Commune aussi là-dedans. C'est incroyable, c'est vraiment une pièce de théâtre… Rosa A 'ai fait des séjours en Roumanie, j'ai habité dans des immeubles comme ici, mais là c'est une autre vie. Il n'y avait pas de système de concierge. C'était chacun pour soi. Donc les ascenseurs étaient immondes, les cages d'escalier aussi… La co-propriété, ils ne savent pas ce que c'est. Ici, bon, c'est un peu limite mais ça va. Depuis trois ans, il y a eu une amélioration. Émile J ci, c'est un ramasse-crottes. Tous les chiens du quartier… Les gens viennent avec leur chien. Au début, j'ai failli me battre puis je me suis dit « Non, faut pas, je vais me mettre tous les gens à dos. Je ne vais pas faire comme ça ». – Pour une question de bon voisinage ? – Oui, pour une question de bon voisinage. Parce que la plupart sont des locataires. Et donc je ne vais pas… Une fois, très gentiment, j'ai dit à une jeune dame qui était avec un bébé et un immense chien qui fait des crottes énormes : « Vous savez, c'est pas autorisé… ». Elle m'a répondu : « Oui mais tout le monde le fait ». Alors moi, fâchée : « Et votre gosse, quand il marchera, il ne pourra pas aller dans la pelouse…, on peut pas mettre de gosses dans les pelouses ici, il n'y a que des crottes… » Depuis, je la vois toujours avec son chien. Maintenant, quand je vois une dame qui ramasse, parce qu'il n'y a que les dames qui le font, alors je vais la féliciter… C'est curieux, il y a plein d'animaux dans cet immeuble. Je ne comprends pas comment on peut avoir en plus un chien dans un immeuble comme ça. Cynthia I e contrat de quartier ? On est intéressé parce qu'ils vont transformer Châtelaillon plage. Il y a des discussions parce qu'ils vont mettre un terrain de jeu. Et, évidemment, tous les habitants sont contre. Mais pour le moment ça ne bouge pas beaucoup. On parle aussi de le grillager. Enfin, ça c'est aussi une vue de l'esprit de croire que ça va rester… Comme si tous les soirs quelqu'un allait venir fermer et que cette serrure, un jour, ne disparaîtrait pas. Pour moi, on ne peut construire de l'immobilier urbain que si on est sûr que l'on peut l'entretenir. Faire des trucs pour simplement dire « on a mis trois trucs là » et puis six mois après c'est foutu, c'est pas une politique ça. Sur le papier, Châtelaillon plage, ce sera magnifique : des arbres, des bancs, des fleurs, une passerelle… L 27 Châtelaillon Plage Ils voulaient aussi rajouter des parkings. Rajouter des parkings ! Il y a déjà cinq étages de parking ! Pourquoi pas mettre un parking, là, au centre, ce serait une solution finalement ! Ça ferait moins de bruit… comme au Grand Hornu près de Mons, au milieu c'est un parking… C'est dingue quoi ! Ils ont quand même abandonné l'idée… Vous êtes impliqué dans l'aménagement ? – Pas pour le moment. Je ne vais pas bouger tant qu'il n'y a pas d'enquête commodo-incommodo. En plus il y a un grand conflit juridique. Dans l' acte de base de l'immeuble, il y a au centre un jardin privatif à charge de la commune. Cela fait partie de la copropriété. Donc, ils ne peuvent pas théoriquement tout bouleverser sans l'avis de la commune… Bref, il y a des discussions mais ça ne bouge pas trop […]. Si vous avez l'occasion d'interviewer mon voisin du dessous, alors là vous en avez pour trois jours. Il peut vous expliquer tous les problèmes du parking, du square… Toutes les semaines on reçoit un papier de sa part. La dernière fois, je lui ai dit : « Écoutez, on ne comprend plus rien à ce que vous écrivez, c'est plein de sous-entendus… ». C'est extraordinaire, il est complètement obsédé, il ne fait plus que cela. Il est à la pension, il ne fait plus que cela. Toutes les semaines il pond son truc. Il a raison en partie mais ce n'est pas lui tout seul qui va changer les choses. La commune est majoritaire à 60 %. Essayez de le rencontrer après, si vous comprenez quelque chose à ce qu'il raconte. Gérard nota bene 28 Dans les années 70, des anciens combattants d'Ixelles rencontrent des homologues issus de Châtelaillon-Plage, une localité près de la Rochelle en France. Ils fraternisent : il en résulte un espace public qui finira par trouver sa place. Les Châtelaillonais ont-ils rendu la pareille aux Ixellois ? oilà enfin le printemps qui se réveille. Il a de la chance, il ne doit pas s'éveiller tous les jours comme nous tous. Le voilà qui se promène au jardin, en pyjama fleuri ! A-t-on jamais vu un printemps si fantasque ? Il a l'air de marmonner quelque chose entre ses lèvres pâles. Mais qu'est-ce que c'est ? Que dit-il ? On se le demande. Le petit Philibert est revenu tellement excité qu'il n'a pas vu le poteau au milieu du jardin et il l'a pris de plein fouet ! Le printemps en pyjama fleuri s'est saisi et ses fleurs se sont changées en fruits plus vite que prévu. Longue vie au printemps en pyjama fleuri. Cela vaut mieux que des géraniums urbains. Plusieurs mains V e printemps bourgeonne et les boutons sur les visages des adolescents aussi. Yves Rocher, notre voisin de la chaussée d'Ixelles, ne sait pas où donner de la tête. Les jeunes gens font la file jusqu'à la porte de Namur pour acquérir son nouveau gel fluo contre les bourgeons printaniers disgracieux. Plusieurs mains L Athénée es enfants qui jouent au ballon doivent voler l'espace car aucun espace ne leur est attribué. Or, les enfants doivent jouer au ballon, s'éclater. Si je me mets à leur place, je me dis que ce n’est pas facile pour eux : ils doivent trouver leur place, chercher des terrains de jeu tout le temps. Mais ils sont très malins. Les enfants doivent s'ébattre, jouer, se dépenser. Pour moi le ballon représente l'enfance. Toute l'enfance est dans un ballon. L'enfance qui commence à structurer son petit monde : le jeu de ballon, ce sont des règles, ils se mesurent l'un à l'autre. S'ils veulent jouer en-dehors de la cour de récré, où doivent-ils aller ? Jacqueline H (photo de Stéphane Baudry) L on adolescence commença sous d'excellents auspices : je faisais plus vieux que mon âge, ce qui me permit d'accéder à des cinémas que ma pauvre maman n'aurait jamais imaginé me voir fréquenter… pas même dans ses pensées les plus noires ! Et ma mémoire est comme un film qui roule entre les parois d'un projecteur. Parfois, un plan saute et le dialogue est amputé d'une tirade mais c'est sans gravité. François M hère Charlotte, Tu n'as pas connu mon chat que j'ai reçu pour mon anniversaire parce qu'il est mort six mois après. Il s'appelait Moustache. Je n'ai plus de photo de lui pour te le montrer. Il était tout noir avec des pattes blanches et avait une petite tâche blanche en dessous du cou. Par contre tu as connu Titi, mon canari. Il chantait très bien. Parfois, il était en liberté dans la cuisine. Mais il est mort trois jours avant mon anniversaire. Tu étais petite, est-ce que tu t'en souviens ? Il faut faire attention à la vie parce qu'on peut mourir. Tu dois toujours traverser sur les passages pour piétons, regarder à gauche et à droite. Il ne faut pas fumer des cigarettes, c'est comme un pot d'échappement qui pollue, c'est comme un papier qu'on jette par terre, c'est gras comme de l'essence, c'est comme des carreaux où on voit à travers la fumée du feu. On peut attraper des maladies comme le sida et le cancer. Je t'ai déjà montré une photo de mon chien…. mais tu ne le connais pas vraiment. Il a gardé sa tête d'enfant. Il s'appelle Ramsès. C'est le nom d'un pharaon. Un pharaon, c'est comme un roi qui ne meurt pas. Quand il est mort, il se réveille dans une autre vie. On met plein d'objets dans sa chambre pour qu'il continue à vivre dans une autre vie, on ne sait pas où. Lettre de Gauthier. C 'est la cour d'une école. On se demande ce que les voitures font là. Aujourd'hui, les abords des écoles sont toujours pleins de voitures. Moi j'allais loin pour aller à l'école, mais j'y allais à pied, avec mes sœurs. J'ai eu des responsabilités très tôt. Jacqueline C H (photos de Marie B. Bouillon) 29 Athénée onsieur le Bourgmestre, Par cette lettre nous voudrions vous faire part de nos inquiétudes concernant la propreté des rues d'Ixelles et l'état de certaines habitations. En effet, nous trouvons que les rues manquent de nettoyage quotidien et que certains quartiers tombent presque en ruine, tout comme les façades de certaines maisons. Nous ne comprenons pas pourquoi les propriétaires de ces maisons les laissent à l'abandon. Pourriez-vous les encourager à mieux entretenir leurs habitations pour que la Commune soit plus agréable pour tous. Un budget pourrait être attribué à la rénovation avec prix attractifs car vous savez que cela coûte cher ! Amandine Tihon M 30 her Jonathan, C'est pour te dire les choses que je pense de tout mon cœur. Je veux te dire merci de ce bonheur que tu m'as donné. Je ne vais jamais t'oublier. Tu es gravé dans mon cœur, même si on a eu des froids à cause de notre sale caractère. John, tu m'as touché quand tu m'as dit que tu seras toujours là pour moi. On a passé de bons moments ensemble. Avant, je ne savais pas quoi t'écrire. Maintenant que c'est fini, j'ai envie qu'on s'écrive, qu'on fasse des sorties tous les deux comme des amis. Tu le savais que je t'aimerais toujours. Tu sais que l'amour ça ne s'oublie pas facilement. Regarde, une fleur s'est fanée, mais elle n'est pas morte. Car l'amitié est venue pour nous. Et surtout, n'oublie pas de me mettre dans ton cœur et pas dans ta poche comme un vieux mouchoir. Je ne t'empêche pas de me téléphoner. Tu peux m'appeler ou m'écrire quand tu veux. Lettre de Vicky C aire un film, c'est pas facile. C'est même très compliqué, parce que dans la vie, on ne vous demande pas souvent ce qu'on pense et ce qu'on veut. Dans la cour de récréation, ça se passe bien. On s'amuse bien, je joue avec mes copines à touche-touche, à cache-cache , au chat et à la souris. Dans l'atelier vidéo, je joue aussi au chat et à la souris. Parfois je me cache pour ne pas dire ce que je pense. Je n'ai pas envie de parler de moi, de ma vie. Podium, je l'ai vu cinq fois. J'aime bien l'acteur, il est rigolo. En plus, il chante bien et il danse bien. Le moment que je préfère, c'est avec les quatre Bernadette. Elles sont belles et elles dansent bien. Mon rêve, c'est de danser comme elles. Parfois, je danse toute seule à la maison devant ma télé. Mais je ne veux pas m'habiller comme elles parce que ce n'est pas très beau. Et puis, je n'ai pas envie qu'on se moque de moi. Il n'y a que Vicky à qui je pense dire ce que je pense et ce que je ressens. C'est la seule qui connaît mon histoire. Les autres, ils ne la connaissent pas et je n'ai pas envie qu'ils la connaissent. Parce que c'est privé. Si je pouvais faire un film, je le garderais pour moi comme un secret. Je ne le montrerais qu'à Vicky, ma meilleure copine. Lettre de Shara F Athénée l'école où je voulais inscrire mon fils, ici tout près, il y a 29 origines différentes et cela me pose problème. En majorité ce sont des Marocains. Ça devient plutôt une école marocaine. Il y a une école catholique un peu plus loin, je crois qu'on va l'inscrire là-bas, même si je n'aime pas les écoles catholiques. Je vais voir. Ici, il y a toujours de la place tandis que là-bas, je dois l'inscrire, sinon je n'ai pas de place… Rosa À … Moi, quand j'étais jeune, j'étais attirée par tous les voyous. Si mon fils est comme moi : ma mère avait beau dire de ne pas aller jouer avec ceux-là, c'était encore plus intéressant. Et les problèmes que l'on avait à ce moment-là n'étaient pas du même niveau. Mais sinon il y a des chouettes gens ici. La plupart des gens qui habitent ici et leurs enfants sont sympa. Je voudrais bien qu'ils se connaissent et qu'ils jouent ensemble. J'ai seulement peur des voyous … et je vois déjà qu'il les regarde. C'est attirant, il le sent déjà, je le vois déjà, il le sent, il le sent. … On fait vite une bêtise…. Il n'a que seize ans, il y a une bande de connards qui viennent ici le soir, la nuit, avec des voitures. Ils mettent leur musique à fond. Il est attiré par ça, il sort, il va jouer avec eux… Des garçons qui traînent dans la rue à deux heures, trois heures la nuit. Bon, je ne sais pas, mais si ce sont des trucs pas bons qu'ils font et qu'il est avec eux… il est attrapé par la police, il va en prison… J'ai beaucoup d'imagination mais ça peut arriver aussi… Yacinthe Nota bene L'ancien athénée d'Ixelles, inauguré en 1881, se trouvait au bout de la rue du même nom. L'établissement avait une entrée rue Jules Bouillon, du nom d'un enseignant de la Ville de Bruxelles, qui, à titre de conseiller communal et échevin (1855-1881), s'était impliqué dans l'urbanisation du quartier Saint-Boniface. 31 Sans Souci ourquoi ne pas faire pousser des plantes grimpantes le long des feux rouges ? J'instaurerais un marché à mini prix où les particuliers pourraient vendre leur surplus de légumes qu'ils auraient cultivé dans leur jardin personnel. Raphaël Fontaine P i j'étais échevin d'Ixelles, je rendrais les gens heureux en aménageant une plage le long des étangs d'Ixelles pour qu'ils puissent s'amuser en été. Je ferais écouter de la musique dans les rues… Dans la rue d'Italie, à la place des constructions, je planterais des arbres, de jolies fleurs, et pour divertir les petits, j'y installerais un grand manège. Pour les plus grands enfants d'Ixelles qui s'ennuient dans leur coin, je construirais un club de badmington et dans la rue Sans Souci, un abri pour les SDF. Marielle Uylenbroeck S iero Kenroll dévorait la vie à grands morceaux. En 1958, Piero passait ses dimanches après-midi au cinéma ainsi que tous les adolescents de sa génération. Ce jour-là, au programme, il y avait Rock around the Clock. Ce film déclencha chez Piero sa passion pour le rock'n'roll. Tout au long des années soixante, avec une bande de copains dont faisait partie Zorbec le Gras, au grand dam de leurs parents, ils dépensaient leur argent de poche à organiser des soirées et des concerts rock. La difficulté à trouver des lieux pour ce genre d'activités, la méfiance des patrons de salle qui craignaient pour la réputation de leur établissement (les dégâts matériels et les bagarres que pourraient provoquer ces jeunes voyous avec leur musique de « sauvages ») fut le plus grand frein à l'expansion de leur passion. Un patron d'établissement leur fit quand même confiance et ils organisèrent des après-midi-concert avec des groupes belges de rock, sous le nom de Club des Aigles. En 1965/66, pour être considéré comme un rocker à Bruxelles, il valait mieux faire partie des Aigles, l'élite. Il y avait des aigles venant de toutes les communes de la région bruxelloise et donc d'Ixelles. Le groupe qui avait constitué les aigles évolua, le rock devint culture : Mai 68, Woodstock approchaient. Ils organisèrent dans un café le premier concert de Pink Floyd en Belgique. Piero devint le pionnier des rock critics francophones ; les revues françaises Rock & Folk et Best se sont fortement inspirées du travail de Piero à Télémoustique où il assurait la rubrique réservée aux jeunes et à la musique. André P 'ai appris le français avec mon cœur. Personne ne m'a montré le chemin, chez moi tout le monde parle arabe. Un jour, en sortant de la maison, j'ai vu une drôle de dame, habillée d'orange et portant autour du cou un gros collier vert mêlé à toutes sortes de pendentifs. Elle me souriait et me parlait sans cesse. Ses histoires avaient l'air drôles mais je n'y comprenais rien du tout. Elle mangeait une sorte de pain français aux olives et m'en a proposé un bout. « C'est bon… ! » dit-elle en se frottant le ventre qu'elle avait avantageux… « Bon… » : j'avais compris grâce à l'amitié de cette drôle de dame mon premier mot en français. Brigitte J n attendait le bus 48, lui, sa maman et moi. Dans un carnet ouvert sur ses O genoux, il dessinait : une ligne… un soleil ; une autre ligne… un toit. Et puis je me suis vue dans la maison et lui dans le jardin. J'ai entendu le tremblement du bus qui arrivait. Il a arraché sa page et me l'a donnée : « C'est moi, je te rends visite ». Astrid e 3 mai, dans un abribus, j'attendais depuis longtemps, patiemment, sur le banc vert foncé en fer forgé. Le temps s'était arrêté. J'étais fasciné par une petite en robe rouge qui sautait à la corde à côté de moi. Elle me regardait, je la regardais. Elle me souriait, je lui souriais. Elle me tirait la langue, je lui tirais la langue. Jamais elle n'oubliait de sauter au dessus de la corde. Je crois que le bus est passé 20 fois. Et dans ma tête, j'ai répété sans cesse ma première phrase en langue française : « Comment t'appelles-tu ? » Mais je pense que jamais je ne l'ai prononcée à haute voix. Caroline L 32 u temps de l'air et du feu, quand la Terre n'avait pas d'eau, la lave était très vorace et avalait tout sur son passage, des rochers entiers. C'est un repas qui dura des milliards d'années. Elle en a tellement ingurgité, avec son appétit pantagruélique phénoménal, que son estomac est fort récalcitrant depuis lors ! La plus énorme des boîtes de digestif n'arriverait pas à lui permettre de faire un rot ! Et actuellement, la Terre, ouvrant son énorme gueule, nous vomit dessus tout ce qu'elle n'a pas digéré depuis ce temps-là ! Marie B A Bouillon À boire et à manger ci, il y a beaucoup de mélange, ce qui ne me dérange pas d'ailleurs. Je préfère que cela soit très mélangé plutôt que les ghettos… Les ghettos de Noirs, les ghettos d'Arabes, etc. Je préfère qu'il y ait un Noir, un Arabe, un Belge, enfin, entre guillemets, parce qu'ils sont belges aussi. Je préfère que cela soit comme ça. C'est beaucoup mieux. C'est plus mélangé que dans d'autres quartiers d'Ixelles. Cynthia I … Les étrangers ? Il y a un rejet presque naturel. On est tous racistes, plus ou moins. On résiste, on se défend mais… racistes, on l'est tous… Raciste, c'est un bête terme mais on est tous contre les étrangers, les gens qui viennent sur notre territoire… Rosa ans un cartable, enveloppé d'une lavette sale cachée dans un sac émeraude, Derek avait rassemblé des tas de bonbons, qu'il préférait aux jeunes femmes qui aiment les bijoux en papier de toilette. Il employait ces bonbons comme carte d'identité pour avoir la permission de s'asseoir sur le petit banc qu'un employé avait placé juste sous le cadre qui représentait une pile de médicaments. Toujours, avant de s'asseoir, il prenait un petit arrosoir couleur émeraude et aspergeait le banc en se disant « On ne sait jamais que ça pousse ! » Marie-Rose D 'ai l'impression qu'il y a dans ce quartier une plus grande acceptation des gens qui sont différents. Ici, on fait ce que l'on veut. Moi je peux le dire, être avec un Cubain et avoir un enfant avec un Cubain, ce n'est pas considéré comme classique. Mais ici, il n'y a personne qui va nous regarder et dire « Celle-là avec son petit de son Cubain ! » Hilde J L D a guitare d'Amin Culot sortait du lave-vaisselle. Elle avait perdu sa belle couleur terre de sienne. Brigitte ans le quartier, je connaissais surtout beaucoup de commerçants. Chaque samedi matin, je faisais mon tour… Le boucher, quelqu'un chez qui j'allais acheter des légumes et des fruits, un traiteur… C'étaient surtout des Flamands. Le traiteur, Ericske, est presque un copain, sauf que maintenant je n'ai plus le temps de le voir C'est quelque chose que je fais moins parce que j'ai moins de temps, mais aussi, quand j'étais seule, je ne devais pas regarder au budget pour tout ça. Acheter un plat chez un traiteur, quand on est seul, c'est pas tellement cher. Mais si on doit l'acheter pour plusieurs personnes alors c’est moins cher de préparer soi-même. Avant la naissance du petit, chaque 33 Bouillon À boire et à manger samedi, j'allais faire mon tour… Maintenant, je vais au Colruyt une fois par semaine. Je prends tout pour la semaine, sauf les petits trucs qui manquent. Il y a aussi le Lida ici, c'est un supermarché marocain… Des gens hyper sympa. C'est beaucoup plus chouette d'aller faire ses courses chez eux qu'au Colruyt. Et c'est pas tellement plus cher. » Hilde ans le tram, puis le train et l'autobus, Monica 0 transpire des gouttes de topinambour, dégoulinant de partout ; elle souhaite devenir une dame d'orchestre dans la moiteur du Trocadéro. Seulement Monica 0 est difficile à contenter et à satisfaire car elle est noctambule et somnambule et va marcher sur les toits d'à côté quand le notaire et sa dame sont partis. Marie B D ci c'est un quartier relativement calme. On est à la limite du quartier noir mais on n'en a pas les nuisances… – Quels types de nuisances ? – Le bruit, dans les petites rues, en été… Mais ça c'est presque rien… Je ne parle pas de la drogue… Ça existe pour le moment, mais ils sont un peu plus répressifs et c'est un peu calmé. Si vous allez à Paris, dans le Marais, il y a des boîtes et si vous avez le malheur d'habiter en haut, dix ans avant que l'on ouvre la boîte, vous avez intérêt à déménager. C'est jusque trois heures, quatre heures du matin toutes les nuits… Hilde I es rencontres dans le quartier ne sont pas nécessairement faciles… J'avais un ami, c'était un Congolais, je l'ai rencontré au karaté et je suis sortie plusieurs fois avec lui… Je suis allée avec lui à Matonge plusieurs fois… Mais aller seule à Matonge et rencontrer des gens, c'est difficile. Enfin je trouve. – Pourquoi, il y a une sorte de barrière ? – Il y a d'autres gens qui me disent ça, oui. C'est-à-dire… J'ai appris avec lui que même pour les Congolais, les gens qui viennent ici, pas tout le monde, sont considérés comme pas fréquentables pour eux. Apparemment eux aussi ils font le tri entre eux. C'est un problème aussi, je crois, quand on est une femme. On peut faire des rencontres, mais ce sont des hommes qui veulent vous draguer. Faire des rencontres comme ça dans la rue, c'est pas difficile quand on veut rencontrer des hommes mais on ne les connaît pas, on ne sait pas quels problèmes on peut attirer. Hilde L rès tranquillement, Derek Dumas trottina jusqu'au trottoir crotté, tâta d'un doigt tatillon avec une tendresse timide la patte d'une tortue tordue et perdue par un Togolais dramatiquement détaché de la situation présente et qui tournait en rond en tenant des deux mains tendues les pans de son veston. Marie-Rose T 34 e printemps chante. C'est le printemps ! Les zoïos zozis, tralalalala ! Les jupons volent comme des bateaux fous. Les visages s'épanouissent et les corps se décontractent. Tac, tac, tac, on danse le soir, tra li la la, et après quelques regards, des rencontres se font. Un peu vite il est vrai. Les bouchons sautent. Les conversations fusent un peu. Deux ou trois verres et le tour est joué. Les amoureux de la nature printanière gazouillent dans les bosquets et sur les bancs du petit parc de la rue du Viaduc. Il est question d'y autoriser les balades au clair de lune. Oh la la ! Plusieurs mains L Parc n va jouer avec lui dans le parc royal. Pour les enfants, c'est super. On fait des rencontres, on parle avec les gens. Dans tous ces parcs, quand on y va avec un enfant, on parle tout de suite avec la moitié des gens qui sont là. On va aussi se promener le soir à la place Fernand Cocq. Il y a des petits bancs, on va s'asseoir… Je connais déjà la moitié des gens qui passent là. Mais juste là. Ils ne viennent pas ici, je ne vais pas chez eux, on se rencontre là, comme ça. On va aussi promener au bois, c'est un vrai bois. Je n'ai pas besoin d'un jardin… Travailler la moitié de mon temps libre pour entretenir mon jardin ? Non, on prend la voiture, on va au bois, on va à la mer, en Ardenne, on est vite ailleurs… Sans voiture, ce serait évidemment beaucoup plus difficile. Rosa O e parc de logements du quartier Blyckaerts-Matongé est vétuste, les immeubles ont été construits il y a souvent plus d'un siècle. L'état des logements, parfois conjugué aux comportements inadéquats des habitants, peut déboucher sur des problèmes d'insalubrité. Les problèmes liés à la présence de cafards et d'humidité sont courants, les installations de chauffage sont rarement entretenues ou aux normes. Habitat & Rénovation L our le citadin, retrouver le contact avec la nature est un réel besoin physique et spirituel. Voir des arbres, des fleurs qui changent avec les saisons le ramène aux grands rythmes naturels. Certes, la ville a son charme car c'est là que se concentrent et se bousculent les gens et les idées, mais il faut aussi pouvoir se ressourcer dans l'énergie de la nature. Dans ce quartier, où sont les espaces verts ? Où peut-on se reposer sur un banc à l'ombre d'un arbre ? L'inventaire est vite fait. Il y a le square de la place Fernand Cocq. Les bancs en sont toujours occupés, prouvant par là qu'ils sont nécessaires. Ils permettent aussi de contempler à l'aise les beaux arbres de la maison communale. Il y a le jardin Marnix, le long de la rue de l'Esplanade, qui est le bienvenu pour souffler avant d'arriver au boulevard. On pourrait évoquer Châtelaillon plage, mais on peut difficilement parler d'espace vert à cet endroit. À part cela, il y a les étangs autour desquels on peut s'asseoir, faire du jogging ou pêcher et le square de Meeûs, petit îlot de verdure pour les employés qui viennent y manger leur sandwich. Mais tout cela est hors de notre quartier. Évoquons aussi la petite rue Malibran où, à la place d'un terrain vague, un nouveau petit parc vient de voir le jour. Si les jardins privés ne sont pas nombreux, encore qu’il y en ait, il faut en chercher la cause dans le passé. Le nord d'Ixelles a compté jusqu'au siècle dernier beaucoup de petites industries (brasserie, menuiserie, carrosserie, imprimerie, etc.) qui ont densi- P 35 Parc e propose de faire germer des plantes grimpantes sur les vilaines façades du quartier. Celles-ci, tout comme les arbres, expirent plus d'oxygène qu'elles n'en inspirent et emprisonnent du dioxyde de carbone. L'air serait moins pollué ! Brieuc Schelkens J Nota bene 36 Rue du Viaduc 133 : ou comment le jardin d'agrément d'un hôtel particulier ne se mue pas en parc public par la grâce d'un changement de propriétaire… fié l'habitat. Sur une photo aérienne, on peut tout de même relever quelques îlots bien verts : ils sont souvent privés. Il y a un camping sur le terrain des pères du SaintSacrement, entre la chaussée de Wavre et la rue du Viaduc. Sur un hectare de pelouses, il reçoit en moyenne 2 500 visiteurs pendant les deux mois d'été… mais pas les habitants du quartier. La grosse affaire, c'est l'ouverture au public du parc paysager au 133 rue du Viaduc. 85 ares de pelouses bordées d'arbres superbes. Dans le cadre du maillage vert à travers Bruxelles, un sentier reliera le long du chemin de fer, la gare d'Etterbeek à celle du Quartier Léopold. La place de Londres sera réaménagée et une partie deviendra piétonnière… Au total, y aurait-il plus de ressources en espaces verts que l'on imaginerait ? Oui, mais encore un peu de patience… Jacqueline R ncore des arbres, majestueux, à l'arrière plan. Peut-être des espèces rares. Deux jeunes personnes – deux femmes ? – rentrent dans une pièce, par la fenêtre. Elles marchent pieds nus sur un sol parsemé de débris. Elles viennent de l'extérieur pour découvrir la pièce. Elles sont en exploration. Elles ont le regard tendu, un peu inquiet. Je ne vois pas le visage de la première personne mais je sens cela. Elles ne savent pas sur quel pied danser, peut-être parce qu'elles sont en infraction. Entrer par la fenêtre, c'est bizarre ça. Mais que font-elles en ce lieu ? C'est indéchiffrable. Que font-elles, que cherchent-elles, où vont-elles ? La photo ne dit rien. Tout ce que je sais, c'est qu'elles ont l'air vachement occupées à faire quelque chose. On dirait qu'elles sèment à tout vent. En tout cas, elles ont une intention, elles sont déterminées, tendues vers un but. C'est pas la vie courante ça. Ce n'est pas non plus un reflet de mon quartier. C'est insolite. C'est un comportement spécial. On dirait une fiction, une image sortie d'un film. Cette photo me met mal à l'aise, elle est pesante parce ce qu'elle est indéchiffrable. Jacqueline H E Monty (photo de Bénédicte Meiers) cette époque, on n'allait pas loin. Le vendredi soir, ma grand-mère nous conduisait chez maman qui était femme à journée à la Commune. Nous allions au cinéma Le Monty, en haut de la rue du Collège, grâce à des billets de faveur. D'abord, nous passions par le petit magasin de bonbons qui était situé en face d'une librairie ou d'un magasin de lunettes. Le Monty : un film toutes les semaines, le vendredi soir. L'entrée : une marche ; la vente des billets au milieu, l'accès de la salle par la gauche. Nous passions derrière une tenture et, là, des chaises attachées. Grand-mère, moi, ma sœur et maman, nous nous mettions sur le bord du 7e ou 8e rang. La toilette n'était pas trop loin : une porte dans l'allée, lumineuse. Au WC, mon plus grand souvenir de petite fille : des hommes, rien que des hommes qui y venaient fumer… Diane À l'automne 1961, nous n'avions pas la télévision à la maison. Le samedi soir, je pouvais aller la voir chez des voisins. C'est ainsi que j'ai découvert le twist, grâce à la retransmission d'un concert de Johnny Hallyday qui se terminait par Let's twist again. J'ai été fort impressionné et, dès ce moment, j'ai décidé d'être un rocker, même si je ne connaissais pas encore ce terme. Le plus grand concurrent de Johnny Hallyday, en France et en Belgique, était un Anglais tout vêtu de cuir noir, Vince Taylor, qui s'était expatrié sur le continent car la concurrence en Angleterre étant trop forte (il y avait déjà Cliff Richard, Johnny Kidd, etc.). Mes dimanches après-midi se passaient dans les cinémas de quartier d'Augerghem et de Watermael. C'est ainsi qu'un jour j'ai découvert Elvis Presley dont le rôle dans le film avait fortement inspiré Vince Taylor. Si Vince Taylor était tout en cuir, Elvis était tout en jeans et les jeans, et surtout les blousons, n'étaient pas courants en Europe. Je me souviens avoir scié longtemps ma mère pour qu'elle aille acheter des jeans. André À S ouvent, ma mère et moi allions au Monty. C'était un petit cinéma composé d'un rez-de-chaussée et d'un balcon, ce qui avait pour effet de placer le spectateur à hau- 37 Monty nota bene 38 Il est plus facile de modifier, en fonction des circonstances, l'enseigne d'un cinéma que le nom d'une rue. Après les guerres, on honore les vainqueurs, tels Monty, diminutif du maréchal britannique Montgomery, le colonel Piron (Ciné Piron chaussée d'Ixelles, ancien Flora) ou le Prince-Régent Charles de Belgique (cinéma Régent, rue des Cygnes, ancien Tokyo). Ceci n'a pas empêché la place Sainte-Croix d'être dédiée au bourgmestre Eugène Flagey, à l'occasion du 25e anniversaire de son élection au Conseil communal. La place Sainte-Croix, depuis lors réduite à un parvis, est en réalité un parking. teur égale avec les personnages. Nous entrions carrément dans le film. Et la vie ne tenait plus qu'à un fil… un fil qui nous reliait tous, catéchumènes imagophages ! François ’autre jour, venant du jardin intérieur du 45 rue du Collège, on pouvait entendre un remue-ménage impressionnant et insolite après ces longs mois d'hiver silencieux. Était-ce un nouveau marché instauré par la commune le mardi après-midi ? C'est le printemps ! Enfin ! Un bon coup de renouveau dans la maison à laquelle nous n'avions pas apporté une seule amélioration durant ce long hiver. Grande réunion familiale ! Qui fait quoi ? D'abord, savoir qui va rester avec qui. Il fallait bien trouver, dans cette énorme famille, quelqu'un avec qui s'entendre. Et on a vu des groupes se faire, à trois, à quatre, et même des couples, et aussi quelqu'un qui a dit : « Moi je m'en vais tout seul ». Mais voilà, dans cette maison labyrinthe, il s'est perdu et on ne l'a plus retrouvé. On l'a appelé : aucune réponse. On a suivi le chat, mais cela n'a conduit nulle part. Il faut dire que suivre un chat est tout un programme. Arrivés sur le toit, dans la gouttière, on pouvait voir les alentours. Deux pâtés de maisons plus loin, devant le soupirail des glacières, on pouvait voir un jeune homme penché à l'air très préoccupé. Plusieurs mains L orsque je suis allée au centre de Sanatia thérapie, j'ai rencontré Vert de gris qui souhaitait me parler seule à seule, tandis que moi j'attendais de la Sanatia thérapie qu'elle me remodèle le corps. Je me trouvais trop énorme et pleine de cellulite tandis que Vert de gris avait manifestement besoin d'être écouté. La Sanatia thérapie n'est pas comme vous pensez, une sorte de psychothérapie de groupe mais plutôt une mise en forme physique. Le docteur Tortellini, l'inventeur de la Sanatia thérapie recommande de ne surtout pas trop parler. Pour cette raison, tous les habitants d'Ixelles, y compris le roi Dagalbert, l'ex-premier ministre Jean-Lane Dehuc et monsieur Laurinks Onkelette se précipitent 45 rue du Collège pour apprendre à se taire et pour se faire remodeler. Caroline Il s’en passe des choses au Collège L t pourquoi pas une autoroute E aérienne ? Guillaume Dereine ù est passée Émoi ? Elle était au massage quand on l'a vue pour la dernière fois. Si elle est passée au sauna, qu'en reste-t-il ? Elle qui pesait plus de 100 kg. Je crains fort qu'elle ait fondu”. Telles étaient les appréhensions de Subito. Il envoya Tortellini pour s'assurer qu'il n'en était rien. Tout à coup, on entendit un cri d'effroi, suivant un coup de feu. Cela provenait du bain californien. Coline, avec qui je me trouvais il y a environ un quart d'heure, ne répondit pas à mes appels. Pourquoi ? Comment ? Claude O orsque je suis allée au centre de Sanatia thérapie, j'y ai rencontré Subito qui souhaitait perdre ses poignées d'amour tandis que moi j'attendais de la Sanatia thérapie qu'elle me fasse bien rire. Je me trouvais trop tristounette tandis que Subito avait manifestement besoin de solitude. La Sanatia thérapie n'est pas comme vous pensez un lieu de perdition, mais plutôt un coin de paradis. Le docteur Dauphin, l'inventeur de la Sanatia thérapie, recommande le bain de fous rires journaliers. Pour cette raison, tous les habitants d'Ixelles, y compris la Malibran, le légumier d'en bas et Caroline, se précipitent 45 rue du Collège pour y dégorger leurs soucis. Brigitte L Nota bene Le Collège (des bourgmestre et échevins) émane du Conseil (communal) : ils font ordinairement bon ménage, surtout à l'heure des jubilés et des réjouissances où les divergences s'estompent… 39 Paris, Dublin, L Londres, Venise,Naples J es dieux ont dû bien interpréter mes rêves, mes désirs avant ma naissance, puisqu'ils m'ont fait apparaître à la Martinique. Inge e me souviens de son appartement. Il était perché au sixième étage du 6 rue du Puits de l'Hermite, à Paris. La longue cage d'escalier était sombre, une odeur de moisissure, noble à mes yeux, submergeait l'atmosphère. L'appartement de ma grand-mère était assez grand. Bien sûr, il me semblait immense. Il était situé dans un vieil immeuble typiquement parisien. La guerre d'Algérie débutait ainsi la Nouvelle Vague. Je me souviens de la chaleur que dégageait cet appartement. Ce fut ma première vision du monde. C'est là que j'ai débuté mon voyage humain en jouant avec mon premier train électrique qui tournait en rond dans le sens des aiguilles d'une montre. L'appartement de ma grand-mère comportait trois chambres avec une cuisine dans laquelle je passais la plupart de mon jeune temps à observer son activité culinaire. Une fragrance très méditerranéenne l'embaumait. Bien sûr, tout ceci est rentré dans l'ombre. Une brume épaisse enveloppe ce premier stade de ma vie. L'exploration de ce continent noir n'est pas chose aisée. C'est par soubresauts que tout cela éclate en ravivant des ersatz de mémoire anarchique. François our aller en ville, à une gare, au centre-ville, il y a une facilité étonnante ici. Je reviens de Paris. Pour vivre à Paris il faut s'accrocher. Faut vraiment s'accrocher. Paris est une ville magnifique mais… Il n'y a pas longtemps, je suis allé vivre une semaine dans l'appartement d'un ami : un 21 m2 avec wc-douche en troisième cour, sans ascenseur et sans lumière, c'est le même prix que cet appartement-ci. Il y a trop de monde. Il y a des problèmes de communication. Si vous prenez votre voiture, c'est l'horreur ; si vous allez au cinéma, vous devez faire la file. Enfin, le monde… Ça grouille littéralement. Émile P es parents ont ouvert un atlas et ont recopié sur de petits bouts de papier les noms qui leur plaisaient. Ils ont tiré au sort : Chia. Ils ne connaissaient pas. Cela ressemblait à l'appel d'une île, dans la mer Égée, les Cyclades. Mais Chia est une ville de Colombie. Ils se sont renseignés : le régime y était d’une extrême violence pour les gens de leur nature. Ils ont retiré au sort : Ramillies, en Belgique. Un train mal intentionné les a détournés vers Bochum, Allemagne. Heureusement, ils avaient la tête dure. Il ont fini par arriver à Lobbes, Belgique. Bénédicte M n louait un appartement rue d'Edimbourg. La maison était très vieille. Mon fils faisait des trous dans les murs avec un tournevis en plastique, pas un tournevis en métal ! C'était humide… Alors on est parti… Vladimir O e me souviens : Raïn – Eau fraîche – Après-midi – Chant de l'âne – Enfants qui jouent – Figue – Douar Onsar – Vache – Chant du coq le matin – Canard – Pisé – Four – Pain chaud – L'Aïd – Mouton – Coucher de soleil – Horizon – Chaleur – Jardin potager – R Chama Oncle Hassan : méchant/nerveux – fâché – frapper Oncle Mohamed : gentil – souriant – militaire – courageux J 40 Paris, Dublin, Londres, Venise,Naples Oncle Abdessalam : grand – câlin – tendre – travailleur Tante Ada : câline – mince – cuisinière Grand-mère : matinale – travailleuse Zakia uitter le quartier ? Non, non… Quand on habite 27 ans de suite dans un même endroit et qu'on arrive à 60 balais, on n’a pas envie de changer. J'irais habiter à Schaerbeek, j'aurais l'impression que c'est l'exil. Émile Q nota bene artir ? Je ne sais pas. J'ai acheté ici. Mais je n'aime pas être attachée non plus. Si je pars… Est-ce que je voudrais partir ? Ce que je voudrais plutôt c'est garder ceci et partir par exemple de temps en temps, des périodes, et pouvoir revenir. Mais pour cela il faut plus d'argent ! J'espère qu'avec mon fils, plus tard, je pourrai aller régulièrement à Cuba. Hilde P Après l'armistice de 1918, les rues de Berlin et de Vienne sont rebaptisées rue d'Alsace-Lorraine et Major René Dubreucq. Après 1945, le maréchal Pétain, quoique « vainqueur de Verdun », cède la place au résistant Arnaud Fraiteur. 41 Malibran ien cher François, Aujourd'hui, tu as un an de plus et ton cœur n'est pas celui d'un vieil homme, loin de là. Ta naissance fut violente. Elle eut lieu dans un parc à Nawakawa-cho, bien que tu ne sois pas d'origine japonaise. Tes parents étaient en vacances et c'est en allant à l'opéra que ta maman perdit les eaux. Au programme, il y avait La princesse au Divan de Mir Zafanillah Khan Jamali, très réputé pour ses opéras originaux. Pour ton anniversaire, j'ai invité la princesse de Nawakawa-cho. Elle a accepté de bon cœur. Nous irons à l'opéra du parc. Sur l'affiche de l'opéra, on voit un vieil homme assis sur un divan. Dans ses yeux, on peut voir la naissance de la violence. Quelle en est l'origine ? Personne ne peut le dire. Josiane B n a envoyé une lettre au propriétaire. Elle a été écrite avec l'aide de votre collègue. Il l'a reçue mais il n'a pas fait signe. Il n'a jamais donné suite… Le gars, le propriétaire, il a augmenté le loyer. Parfois il vient, il s'enflamme pour le prix et il dit : « Voilà, si vous ne voulez pas, vous pouvez partir ». Maintenant on paie 446 euros. Parfois il change comme un caméléon et ça discute fort avec ma femme. Ce monsieur, je ne vais pas dire qu'il est méchant mais il n'est gentil que quand il reçoit son argent. Mais pour les travaux, lui, ce n'est pas son travail. Il refuse catégoriquement. D'après lui, c'est du luxe. Mais nous on sait que quand il y a quelque chose qui est cassé, ce n'est pas nous qui devons le faire, c'est le propriétaire. Il y a des choses que nous devons faire mais il y a des trucs que c'est à lui de régler. Ce n'est pas du luxe, c'est une question d'être un peu comme les autres, avoir un minimum pour vivre convenablement. Yanga & Tété O 'habite le quartier et ce que j'aime ici, c'est la diversité de nationalités et d'origines des habitants qui vivent ensemble : je trouve cela très riche et cela met une certaine ambiance conviviale ! Ce que j'aime moins dans mon quartier, c'est la multitude de voitures… et le peu de place pour les cyclistes. Chez ma tante qui habite Malines, il y a tellement peu de voitures qu'on peut laisser un enfant dans la rue sans s'inquiéter. Dounia Boujtat J Nota bene 42 Marie Félicité Garcia (1818-1836), artiste lyrique, obtient en 1835 l'annulation de son mariage avec Eugène Malibran, un financier américain d'origine française. Elle conserve néanmoins son nom et la notoriété qui s'y est attachée. L'année suivante, elle épouse Charles de Bériot, violoniste et propriétaire d'une maison de campagne à Ixelles. Elle décède quelques mois plus tard, des suites d'une chute de cheval. Entre tournées de par le monde et engagements mondains, elle a au moins passé quelques semaines dans la future maison communale d'Ixelles ! u cours d'une fête avec des collègues de travail, Antoinette, une fille très belle, a fait connaissance avec une personne très spéciale qui se comportait d'une façon très aimable et respectueuse avec elle. Il s'appelait Armando. Il lui a demandé son adresse pour rester en contact. Elle lui a donné l'adresse de ses parents, qui habitaient à des centaines de kilomètres de là. Après cela elle, ne l'a plus vu. Quelques mois plus tard, une lettre est arrivée chez ses parents, provenant du Mexique. On lui a lu le contenu de la lettre qui l'invitait à le retrouver. Mais Antoinette n'a pas réagi. Six mois plus tard, il est encore arrivé une lettre et le frère d'Antoinette lui a dit qu'elle provenait de nouveau du Mexique. Elle était signée par le même Armando de la première lettre et cette fois, il y avait une photo. Le frère était surpris de reconnaître sur la photo une personne très importante et prestigieuse et se demandait comment sa sœur avait fait pour attirer l'attention d'une telle personne. Antoinette a commencé à lui répondre. Au cours de la correspondance, un jour, Armando a invité Antoinette à aller au Mexique car il voulait l'épouser. Comme cependant Armando n'était pas la personne élue de sa vie, Antoinette n'est pas allée au Mexique et a perdu l'occasion de se marier avec Armando Manzanero, le célèbre écrivain de textes de beaucoup de chansons populaires de toute l'Amérique latine et de l'Espagne. Lucila A e vais manger le midi à la Régence. C'est encore un vieux café bruxellois, le plat du jour n'est vraiment pas cher et le patron est accueillant, attentif. Il vient parler à ses clients comme s'il les prenait sous son aile. On parle de toutes sortes de choses. Là, au café, il y a une présence. Je ne trouve pas cela dans les nombreux autres cafés branchés qu'il y a dans le quartier. Jacqueline H J Trône & Couronne l ne me reste plus rien, si ce ne sont mes promenades matinales, au cours desquelles j'arpente de moins en moins fièrement, dès l'aube, les allées du bois de Boulogne, le jardin des Tuileries – ou bien je remonte les Champs Élysées avec mon compagnon favori, un Loulou de Poméranie, cadeau de l'une de mes admiratrices – si ce ne sont aussi les courses folles dans la campagne au volant de ma Bugatti. J'en étais là de mes réflexions lorsque j'entendis un bruit tenace dans les escaliers. Je courus voir ce qui se passait, croyant benoîtement que la dame de mes pensées rentrait d'une expédition nocturne. Je l'aurais invitée à partager un repas au restaurant. Avant cela, nous serions allés au théâtre ou mieux, à l'opéra. Oh oui ! Dans mon rêve, je la voyais sur la scène, à la place de la cantatrice, entourée de ses soupirants. L'orchestre aurait joué la Marche nuptiale de Mendelssohn. Je l'aurais accompagnée vers la sortie. Au restaurant, je l'aurais assise en face de moi et lui aurais développé mes projets d'avenir en sa compagnie ; nos fiançailles, notre mariage. Je lui aurais proposé un voyage de noces en Grèce. Eh oui ! Je ne sais pourquoi, elle m'avait mordu à ce point ! Et puis non, ce n'était pas elle, mais la voisine du dessus, Albertine, qui avait bel et bien trébuché dans les escaliers. C'était une dame un rien plus âgée que celle de mes rêves, légèrement boulotte, de loin moins exubérante, moins aussi fardée, qui ne m'aurait certes pas apostrophée comme l'autre. En l'aidant à se relever, je vis qu'elle tremblait. « Ce n'est rien – dit-elle – Juste un peu d'émotion de ma chute ». Je vis qu'elle me cachait quelque chose. Jean I erse xxiii s'est couché sur le canapé anthracite ne lâchant pas son plateau…. Mais tout cela ne l'aide pas… Il est à plat. Perse xxiii, tu débordes, tu me déranges. T'aider, toujours t'aider. Ne trouves-tu pas que c'est déjà assez démesuré, la table basse toujours débordante de toutes ces choses trop dingues et toi, là, couché, déboussolé, ne demandant qu'à être aidé. Caroline P e n'étais pas, je vous l'affirme ici, ce qu'on peut appeler un coureur de jupons. Même lorsque j'étais au faîte du pouvoir et des honneurs, je ne songeais pas une minute à tromper mon épouse. Certes, avant même de connaître celle-ci, j'eus plusieurs aventures sentimentales. Je n'étais pas alors ce qu'on peut appeler un ours mal léché. Oh ! N'allez pas en faire un drame ! Je peux même dire que l'une n'était pas jalouse de l'autre ! Elles correspondaient toutes deux et ce que l'une m'apportait dans la pratique des sports, l'autre me l'apportait par sa connaissance des arts. En dehors de ces deux personnes, si importantes soient-elles pour ce qui me concerne, plusieurs dames J 43 Trône & Couronne e trouve que Blyckaert-Matonge est un vieux quartier pas très agréable. Moderniser le quartier et abattre les immeubles vétustes ne serait pas un luxe, y construire plus de plaines de jeux et plus de terrains de sport occuperait les jeunes : du vert, du vert… pour remplacer tout ce qui s'écroule ! Pourquoi ne pas remplacer les feux par des rondspoints avec une touche de verdure ? Les camions poubelles, aux heures de pointes le matin, créent des embouteillages et rendent tout le monde de mauvaise humeur ! Donner des amendes pour les dépôts de poubelles, les déjections de chiens, améliorerait le quotidien de chacun ! Quentin Kums J Nota bene 44 La Commune d'Ixelles a manifesté son attachement à la monarchie par l'attribution de toponymes : « rue du Trône », ancienne rue des Palais, qui débouche sur la place du Trône, « avenue de la Couronne », « place de la Couronne » et « rue de la Couronne », actuelles place Raymond Blyckaerts et rue du Sceptre. Dans les premières années du XXe siècle, l'avenue de la Couronne, entre l'actuel boulevard Général Jacques et le cimetière, fut un temps appelée « avenue du Diadème ». de la noblesse ou de la bourgeoisie m'avaient offert leur amitié. Sans doute les critiques fusaient-elles. Je ne me formalisais pas, car je pensais réellement que si les dames voulaient me fréquenter, j'aurais été sot de le leur refuser. C'était une question de sagesse. Depuis que j'ai perdu mon épouse, décédée dans un accident de la route, je vis dans ce modeste hôtel où je me trouve actuellement. J'ai conservé de vifs regrets du passé. Toutefois, bien des dames du temps jadis auraient souhaité me rendre visite, mais je n'ai donné mon adresse actuelle à aucune. Je veux vivre seul et n'entends laisser à personne l'illusion que je reprendrais une liaison avec l'une d'elles. Au début de mon veuvage cependant, j'avais honoré de ma présence les dîners et autres réunions mondaines auxquels j'avais participé jadis. Mais les dames de mon âge m'ennuyaient et les jeunes, je n'entendais plus les fréquenter. Je préférais de loin donner mon amitié, toute platonique bien sûr, à Bertrand Lelièvre, un jeune juif que j'avais aidé, enfant, à échapper à la botte nazie. Bertrand était un jeune compositeur, tout empreint de la musique de son temps, et le goût du piano lui avait fait une seconde nature. Il fallait l'entendre jouer pour comprendre combien il pouvait aimer son art. Conservateur, je l'étais. D'aucuns croyaient voir là un souvenir de mes ancêtres. Et de coller parmi ceux-ci l'un des participants à l'une des croisades ou bien alors un gentilhomme de la cour de Louis XIV. Pourquoi ne pas voir aussi un hobereau de province, chargé de porter la foi chrétienne contre les hérétiques, ou bien alors un bourgeois voué à la défense de la monarchie de juillet ? Jean xcusez-moi de ne pas continuer un instant. Certains souvenirs ont réveillé une énorme tristesse qui, avec l'automne, me fatigue énormément. Dès que je pourrai faire face, je viendrai. Diane E vec son collier, elle a déjà des allures de femme ; elle a même des bas noirs. Ses cheveux sont libres et sauvages, mais elle a l'air de jouer à un jeu solitaire dans cette courette bizarroïde pleine de bric-à-brac. Elle est chez elle, dans son petit monde. Elle a l'air isolée des bruits de la circulation, de la ville. Moi je n'étais pas solitaire, j'étais toujours avec des bandes d'enfants. On avait des vélos, on habitait là où la ville finit. Les enfants faisaient ce qu'ils voulaient. Ce n'était pas possible de s'ennuyer. Mais c'est déjà tellement loin. Jacqueline H (photo de Marie J Harris) A orsque j'étais petite fille, je jouais là. La rue, j'y habitais. La maison se situait 35 petite rue Malibran. Maintenant, on dit que l'on est pauvre si on n'a pas l'eau chaude, s'il n'y a pas de douches, si on n'a pas deux paires de chaussures. Il est vrai qu'avec la modernie est venue la frustration. Petite fille, je savais que j'étais pauvre car je faisais partie de l'Œuvre du vêtement. Si j'avais pu m'évader de l'école quand mon nom était cité ! 35 petite rue Malibran : une maison avec deux fenêtres à 50 cm du sol et des volets. Deux marches, une porte brune, que l'on laissait souvent ouverte, un corridor étroit, au fond, à gauche, un peu en retrait : le cabinet, juste une construction en ciment peint en brun avec une planche brune, une chasse en fer. C'était construit sur l'égout. On pouvait entendre les activités des rats. À droite, une porte. On ouvre et voilà la pièce où l'on mange et vit dans 3,5 m2. À côté de l'encadrement, un fauteuil, un meuble, une cheminée, un autre meuble à côté du foyer qui était un feu à charbon. Au milieu, une table avec des chaises. Lorsque c'était dimanche, je ne mangeais pas à table : pas de place. La cuisine, dans la soupente : les casseroles, côté mur, la cuisinière au gaz et le lit de deux personnes, une petite fenêtre et la porte du jardin. À côté, une armoire et une table de nuit avec une bassine pour se laver. Dans un coin, un robinet avec un seau en dessous et face à la table de nuit et au robinet, l'escalier. La chambre : un cagibi. On a pu y mettre un lit d'une personne où dormaient mes deux cousines. Tout de suite en ouvrant la porte, une armoire à linge pour tout le monde, comme un feu pour toute la maison. Très, très peu de jouets. Non, je n'étais pas malheureuse, au contraire. Qui savoure encore de rentrer de l'école, de retirer ses chaussures, de s'asseoir près du feu et de faire sauter des marrons ? Qui aimerait voir des fleurs aux fenêtres, écouter sa maman tisonner le feu et vite descendre dans la pièce chaude ? Qui demanderait le privilège de moudre le café afin qu'il soit très fin ? Qui aimerait attendre avec impatience le dimanche pour manger un pistolet au beurre ? Oh, le beurre, un délice rare acheté au poids… Mon jardin, mon univers, avec mes chats. Un jardin où étaient enterrés les animaux aimés : chiens, oiseaux et chats. Un jardin où le monde était magique. Un jardin sans fleurs, car c'était notre plaine de jeux. Un jardin qui était la suite de la rue, car en grandissant on entrait et sortait selon notre humeur. En été, on jouait très tard dehors. Je me souviens que l'on courrait en chemise de nuit en criant et souriant, tout simple- La petite L 45 La petite ment parce que l'on avait mis de la glycérine sur nos gerçures. Qui se souvient des lavements, tous les mois, et de devoir courir autour de la table avant d'avoir le pot de chambre ? J'aimerais savoir si on sait encore vivre ainsi. On ne réalise que l'on est pauvre que quand les autres vous mettent à part. C'était gênant, en grandissant, de dire que l'on n'avait pas d'argent pour les voyages, pour les fournitures scolaires et ainsi dépendre de la charité, surtout lorsqu'on est seule. Encore un souvenir qui vient de la guerre : faire les scramouli, bref faire les poubelles pour retirer le charbon tombé dans la cave et après, grand-mère faisait pire. Elle allait dans les quartiers riches et triait les poubelles. Et nous, lorsqu'elle était fatiguée ou avait trop de sacs, on l'aidait. Il y en avait plusieurs, rue de la Brasserie, rue de la Cuve, rue Borrens… Qui fait encore des bonshommes de neige dans la rue ? Petite rue Malibran, en haut de la rue : une boule et on laisse rouler… Arrivé plus bas, le gros du bonhomme de neige était quasiment fait. Vite, on rentrait se chauffer près du feu rouge d'un charbon brûlant : le boulet. Tiens ! Où est passé l'atelier de peinture qui avait remplacé le menuisier ? C'était une grande porte qui faisait recoin où un copain a essayé de m'embrasser en frottant bien ses lèvres. J'ai trouvé cela déplaisant, un baiser à la russe. C'était semblable au cinéma mais pas gai. Voilà ! L'atelier d'artiste disparu. Dommage, car on y avait fait de moi une grande toile pour l'exposition de mon école. J'allais poser le soir et m'endormais dans le fauteuil (c'est long de rester sans bouger deux heures ou une après-midi). J'avais une robe bicolore tricotée par maman. Aujourd'hui, fin septembre, il y a encore des travaux au début de la petite rue Malibran. Sur le coin à gauche, on refait une maison. Une ancienne boulangerie. Plus haut, après l'ex-atelier, il y a une maison reprise par la commune. De mon temps, c'était la plus belle. Nous avions peur de la propriétaire, une dame qui possédait des lévriers. Un jour, ils se sont accouplés avec ma chienne loup. La dame n'était pas contente. Bah ! Elle n'avait qu'à les tenir en laisse… ! Diane nfant, je n'aimais pas m'habiller. Une couche puis une autre encore et toujours se camoufler. « La Bohémienne », c'était le surnom que m'avait donné ma grandmère. Si je n'aimais pas m'habiller, ce n'était rien en comparaison de mon horreur pour les chaussures, peignes, élastiques et autres accessoires de redressement. Les images télévisées des enfants africains me faisaient rêver : marchant pieds nus, ayant pour semelle leur peau devenant cuir, ils ne portaient pour seul habit qu'un short. Jamais ils n'étaient entravés par un col trop étroit qui décolle les oreilles ou par la laine irritante d'un pull tricoté maison. Je leur enviais cette liberté de ne pas devoir se cacher ou se protéger. Enfant, un seul vêtement m'aurait suffi : un short. Lucile E uand j'étais enfant, je pensais que j'étais riche. Je m'étais mis en tête que c'était moi qui choisissais mes vêtements et pas ma maman. Et puis, tout compte fait, pas besoin de maman. Je demandais les sous dont j'avais besoin, et même un peu plus, sait-on jamais. J'avais déjà repéré trois magasins qui vendaient ce dont je rêvais depuis longtemps. Je choisis celui du milieu, car comme dirait mon papa : « Ne regarde pas à gau- Q 46 La petite che ou à droite, c'est toujours tout droit ! » Ma maman disait toujours le contraire ! Mais moi, j'écoutais mon papa, ce qui exaspérait ma maman. Il fallait que je fouille pour lui faire plaisir. La gentille dame du magasin m'aida. Après cinq minutes, elle s'écria : « J'ai trouvé ce qui plaira à votre papa ! » La petite fille rentra joyeuse, filant tout droit chez son papa qui, ravi, lui dit « Tu es la plus belle, ma chérie ! ». « Ça va ! – répondis-je – cela ne plaira pas à maman. » Chaque fois que j'allais faire des achats toute seule, papa prenait systématiquement ma défense. Bon, affronter maman maintenant qui, exaspérée, me dit : « Et, bien sûr, ton papa t'a dit que tu étais la plus belle de toutes les petites filles ! » Élisabeth R Nota bene La petite rue Malibran est une vraie relique ! Elle est le seul tronçon qui subsiste de l’Achtergat, l’ancien chemin vicinal no 22 qui reliait les rues de la Tulipe et Gray suivant un axe différent des chemins Longue Vie et Sans Souci. Le chemin est resté en usage malgré la prolongation de la rue du Collège par la rue Dillens. 47 Dans la pièce L nue… a chambre de Marilou est toute vide. Il n'y a au milieu de la pièce qu'un petit tabouret. Marilou se demande qui l'a oublié. Qui a habité cette chambre avant elle ? Un enfant certainement, vu que le tabouret est tout petit. Voilà, c'est ainsi. Un autre enfant aura son lit et elle, elle a un nouveau tabouret. Elle sort de son sac sa poupée en terre cuite et l'assied dessus. « Est-ce que tu te plais dans ta nouvelle maison ? » La poupée a l'air de sourire. Alors ça va. Et cette nuit, eh bien ! elles dormiront par terre toutes les deux dans la pièce nue mais pleine de fantômes de ceux qui y ont dormi avant. Marie Rose e tableau à l'encre de chine du père, paysage de montagne aux arbres dénudés, rivière sauvage, canoë indien avec deux fugitifs européens et deux pagayeurs indiens, du parquet en chêne, un tigre avec un blanc en dessous du cou, du papier peint bleu à fleurs, toutes dessinées avec amour par mon amour de papa, le tapis plain vert comme un vieux mousse, un lit qui se referme pour former ensuite un divan, un lit d'une personne, une ampoule de 60 watts, les murs blancs avec des traces de salissures, un tapis bleu, un plancher, une belle armoire brune, le lustre rustique à six branches, une cheminée avec un feu et un barbecue grill, un matelas à terre qui par ma transpiration se pourrit en dessous, et voici que je me retrouve dans une nouvelle chambre, il y avait aussi un miroir juste de ma grandeur, un plafond en lattes de bois, une table de nuit avec une lampe de chevet, un tapis plain, une vieille couverture brune, une lampe basse tension couleur vert sale, une fenêtre sous toit dite fenêtre à guillotine, une porte bleue, un tapis plain, une vieille machine à coudre à pédales, une fissure au plafond, un oreiller qui pue l'oie, et tous les matins quand mon papa rentrait du boulot il venait dans ma chambre, un vieux radiateur avec du collant alu pour renvoyer la chaleur, une petite bibliothèque avec contes et légendes, une carpette chinoise, une porte à peinture écaillée jaune sale, des étagères grises, en fer, bancales recouvertes de rideaux bleus, un matelas par terre, une fenêtre avec vue sur les arbres, des poupées avec de longs cheveux, le buffet brun en chêne, une fenêtre sur cour, une garde-robe style ancien en chêne, je l'attendais impatiemment, bien habillée, bien coiffée, je me tenais bien droite, les escargots, des housses de couette de toutes les couleurs, une tenture, une fenêtre simple vitrage fendue et réparée avec du scotch, des grandes portes-fenêtres, une couverture bleue, un lit à deux places, une commode avec une grande glace, le lit double bloc, un bureau, une glace de plain-pied où je peux m'admirer dans toute ma splendeur, je ne devais pas bouger, j'attendais bien sagement comme me le disait ma maman, les asticots, des draps et des taies d'oreiller, un rideau, un pot de peinture entamé et un pinceau, un balcon par lequel passent les bruits du tram et sur lequel il y a toujours une poubelle, un radiateur dans le coin, une couette rayée, un grand lit avec une couette, le couvre-lit blanc aux grandes fleurs brunes, une taie, un beau lustre en tissus orange, un tigre avec un blanc en dessous du cou, je regardais fixement l'horloge du salon, quand la petite aiguille était sur le sept et la grande aiguille était sur le douze, la lucarne à travers laquelle je peux regarder des nuages dans le ciel, un vélo fixe pour parcourir des kilomètres sur place, une photo de ma grand-mère, une che- L 48 minée en faux marbre, un matelas à une place, un rideau de laine, une vieille armoire, une belle armoire brune, de beaux rideaux en dentelle écrus, des papiers administratifs, un matelas à terre qui par ma transpiration se pourrit en dessous, je me tenais assise bien droite, bien coiffée et bien habillée et toc, toc, toc, c'est ton petit papa, ma chérie. Un sofa noir, des pyjamas qui sentent la lavande, un tableau d'une reproduction de Renoir, une étagère en bois blanc pleine de vêtements, un portrait en photocopie : une femme aux grands yeux noirs, une garde-robe à miroir, des livres, un tapis plain, des tentures vertes à lignes brunes, du bruit, un oreiller qui pue l'oie, enfin du papier peint bleu à fleurs, toutes dessinées à la main par mon amour de papa, les étagères pleines de livres en haut, les maquettes avec les décors de l'école, mon bureau, le papier à fleurs dont les pétales ressemblent à des danseurs, un miroir, un matelas posé par terre, une moquette grise avec beaucoup de tâches, des fissures dans le mur, des revues, des poupées avec de longs cheveux , une chaise en simili rouge, un papillon décoratif, une garde-robe style ancien en chêne, et voici que je me retrouve dans une nouvelle chambre, il y avait aussi un miroir juste de ma grandeur, une table en pin plein posé sur deux tréteaux, un lit qui se referme pour former ensuite un divan, du papier peint représentant une chasse, une odeur de peinture, des pierres violettes sur la cheminée, un lampadaire jaune, une radio, une commode avec une grande glace, une vitrine aux souvenirs, un grand miroir avec un cadre décoré, une glace de plain-pied où je peux m'admirer dans toute ma splendeur, et tous les matins, quand mon papa rentrait du boulot, il venait dans ma chambre, un matelas par terre avec des draps verts à rayures blanches, une table de nuit avec une lampe de chevet, une armoire à linge, des oreillers disparates, une cheminée fermée, une lampe sur pied, des vêtements, un grand lit avec une couette, une bibliothèque, une étagère avec beaucoup de livres, un tigre avec un blanc en dessous du cou, je l'attendais impatiemment, bien habillée, bien coiffée, je me tenais bien droite, à côté du lit une longue planche sur laquelle sont empilés des livres et du brol, une petite bibliothèque avec contes et légendes, un lit d'une personne, un tapis plain bleu, une lampe halogène noire, une nappe en crochet, une affiche, une belle armoire brune, des doubles portes pour l'accès au balcon, un tableau représentant un bateau, un matelas par terre qui par ma transpiration se pourrit en dessous, je ne devais pas bouger, j'attendais bien sagement comme le disait ma maman, un morceau de carton mousse où j'ai épinglé les photos de ma famille, de moi à trois ans en costume rouge de cow-boy main sur la poignée du pistolet, des housses de couette de toutes les couleurs, un tapis plain, un réveil, une étagère en bois de chez Brico remplie de bottins, de cours, de dossiers, il y a aussi le téléphone, rideau d'Augnan, des photos avec des enfants, un homme, la maman et le papa, du tapis plain, une porte d'accès à la cuisine et toujours de bonnes odeurs pendant la préparation des repas, une illustration indienne d'un couple se courtisant, un oreiller qui pue l'oie, je regardais fixement l'horloge du salon, quand la petite aiguille était sur le sept et la grande aiguille sur le douze, des cartes postales de dessins d'Egon Schele, des draps et des taies d'oreillers, une carpette chinoise, un escabeau, dans la cheminée une étagère faite à l'exacte Dans la pièce nue… 49 Dans la pièce nue… 50 mesure du trou, remplie de livres, Ganesh dans son cadre en bois sculpté, un store blanc en papier japonais, une poupée avec de longs cheveux, du balatum gris, des odeurs de moisi à cause des infiltrations d'eau, une garde-robe style ancien en chêne, je me tenais assise bien droite, bien coiffée et bien habillée et toc, toc, toc, c'est ton petit papa, ma chérie, des chaises en tek avec des sièges recouverts d'un matériel un peu plastifié noir que j'ai reçu de mon amie Marie-Jo, un vélo fixe pour parcourir des kilomètres sur place, une tenture, une vieille tringle avec une couverture en guise de rideau, sur le lit un pardessus bleu assorti aux rideaux qui recouvrent l'étagère, une chaise en paille à dossier haut, une lampe boule en papier japonais, une commode avec une grande glace, du papier blanc aux murx, deux armoires : une vieille bonnetière mais jolie, en bois sombre, une armoire recouverte de toile claire, une glace de plain-pied où je peux m'admirer dans toute ma splendeur, enfin du papier peint bleu à fleurs, toutes dessinées à la main par mon amour de papa, au-dessus d'une planche qui sert de bureau sont entassés des santons, des pyjamas qui sentent la lavande, un rideau, un vieux chandelier, une chaîne hifi, une chaise d'église, des murs blancs, un grand lit avec une couette, un beau nouveau buffet en sapin rouge du nord, une table de nuit année 50, un tigre avec du blanc en dessous du cou, et voici que je me retrouve dans une nouvelle chambre, il y avait aussi un miroir juste de ma grandeur, le champignon, le papier à fleurs dont les corolles ressemblent à des danseurs, une photo de ma grand-mère, des caisses de vin empilées les unes sur les autres en guise de bibliothèque, au-dessus de la porte, un rectangle transparent qui laisse passer la lumière du couloir, des caisses de bois en guise d'étagère, la npuvelle chambre bien chaude en hiver, oppressante au cœur de l'été, reçoit le premier rayon de soleil du matin, des jouets d'enfants, une belle armoire brune, le tableau à l'encre de chine du père au paysage de montagne aux arbres dénudés, un sommier et un matelas au ras du sol, un matelas à terre qui par ma transpiration se pourrit en dessous, et tous les matins quand mon papa rentrait du boulot, il venait dans ma chambre, un tapis plain vert comme un vieux mousse, un lit qui se referme pour former ensuite un divan, un tableau de Renoir (une reproduction), des livres de poche achetés sur le marché aux puces, des murs blancs avec des traces de salissure, des piles de livres, des papillons de nuit, du tapis plain, le lustre rustique à branches, une couette et un oreiller synthétique, un oreiller qui pue l'oie, je l'attendais impatiemment, bien habillée, bien coiffée, je me tenais bien droite, un plafond en lattes de bois, une table de nuit avec une lampe de chevet, un miroir, une ampoule de 60 watts, une lampe basse tension de couleur vert sale, des photos cachées dans les livres, des oreillers, des poupées avec de longs cheveux, une vieille machine à coudre à pédale, une couette avec des roses géométriques en tissu provençal, une garde-robe style ancien en chêne, je ne devais pas bouger, j'attendais bien sagement comme le disait ma maman, un vieux radiateur avec du collant, pour renvoyer la chaleur, une petite bibliothèque avec contes et légendes, du papier peint représentant une chasse, une vieille couverture brune, des étagères grises, en fer, bancales recouvertes de rideaux bleus, des odeurs d'encens, un réveil, une commode avec une grande glace, un buffet brun en Dans la pièce nue… chêne, une petite lampe de chevet ronde en céramique avec un motif en relief de feuille, une glace de plain-pied où je peux m'admirer dans toute ma splendeur, je regardais fixement l'horloge du salon, quand la petite aiguille était sur le sept et la grande aiguille était sur le douze, les escargots, les housses de couette de toutes les couleurs, une armoire à linge, une porte à peinture écaillée jaune sale, des grandes portes-fenêtres, des bâtonnets d'encens, un plancher, un grand lit avec une couette, un lit double blanc, des sachets nature après la pluie pour parfumer le linge, un tigre avec un blanc en dessous du cou, je me tenais assise bien droite, bien coiffée et bien habillée et toc, toc, toc, c'est ton petit papa, ma chérie, les asticots, des draps, un lit d'une personne, une fenêtre simple vitrage fendue et réparée avec du scotch, un balcon par lequel passent les bruits du tram, un tapis bleu, une porte bleue, une belle armoire brune. Plusieurs mains ous sommes étrangers et nous vivons ici depuis un an, nous habitons à deux dans cette chambre […] Il n'y a plus de chauffage depuis des semaines mais le propriétaire nous envoie des lettres pour augmenter le loyer et il dit que si nous ne payons pas, nous devrons partir… Vous savez, je suis honteuse de mon appartement. Je n'ose inviter personne chez moi, tellement c'est délabré. J'ai peur que les personnes se sentent mal à l'aise et me jugent mal… Je suis malade et je n'ai pas l'énergie pour me défendre seule […] Ce n'est pas humain de laisser vivre quelqu'un dans ces conditions. Même les chiens sont mieux traités… Yanga & Tété N 51 Cité 'est le début du printemps. On devine que c'est un lieu d'accueil, la grille est ouverte. C'est une ouverture mais aussi une fermeture, ce bâtiment est si strict, austère, d'architecture classique. Les arbres attirent toujours quelqu'un auprès d'eux. Les arbres, cela me manque. C'est un endroit comme on en trouve en France. J'imagine une place de village. S'asseoir sur une pierre, au pied de l'arbre, et se raconter des confidences. L'arbre est protecteur, il invite à se rassembler mais pour parler de choses intimes. Il a un effet calmant. J'imagine que les enfants se racontent des petites histoires d'enfants, entre eux, autour de l'arbre. Il y a une plaque de rue, je vois que c'est en face de la rue de la Cité. La fondatrice du comité de quartier où je vais, Nancy, habitait rue de la Cité. Je suppose que c'est pour cette raison qu'on l'a appelé comité Cité. Ce comité existe depuis 12-13 ans. Il a été créé suite à une fête organisée rue de la Tulipe. C'était la première fois que ce genre de fête avait lieu dans notre quartier. On n'avait jamais vécu cela. Jacqueline H C epuis que je suis installée ici, je la vois tous les jours. Qui est cette personne ? Je la vois tous les matins, et toujours sur le trottoir sur lequel je ne suis pas. C'est décidé, demain je change de trottoir. Eh bien ! Oui, bien sûr, aussi vite qu'elle put, elle changea de trottoir pour ne pas me croiser. Et tous les soirs, je reviens bredouille. Qui est-ce ? Demain, c'est décidé, que cela lui plaise ou non, je vais à sa rencontre, je suis vraiment trop curieuse. Le lendemain, ma première pensée fut pour cette inconnue ou cet inconnu. La deuxième fut : « Comment vais-je m'habiller ? » Pour lui (si c'est lui, donc pour le séduire) ou pour elle (si c'est elle, donc pour la séduire), je mettrai ma plus jolie robe car il ou elle est toujours en jeans, peut-être sera-t-il ou sera-t-elle jaloux ou jalouse de mes jambes ? Ce matin, elle ou il a mis un pantalon blanc et un chemisier bleu ciel. C'est décidé demain je l'arrête. Voici le matin tant attendu. Je l'aperçois déjà au loin làbas juste au bout de ma rue. Je me mets sur mon 31 et d'un pas gracieux, je vais à sa rencontre. Tremblotant un peu, mais décidée, car ma curiosité ne tient plus le coup. Cette personne, je devrais dire ce personnage, se profila au bout de ma rue. Je vois déjà trois dames sur le pas de leur porte en face de chez moi. Toutes les quatre ensemble nous disons « Bonjour madame ! – ou – Bonjour monsieur ! ». Élisabeth R D n lieu de réunions : il y a un cendrier, des documents, une paire de lunettes. On dirait qu'ils discutent d'un problème grave. C'est la crise de l'emploi. Il y a beaucoup de personnes au chômage dans le quartier. Ils se réunissent souvent chez Ahmed. Ils sont très proches les uns des autres. Mais nous, on ne les connaît pas bien. On sait qu'ils existent mais on ne se rencontre pas. Jacqueline H U uatre jours. Quatre jours sans nouvelles ! Il n'est même pas venu déjeuner. Et le souper, il l'a sauté aussi ! La nuit. Le silence. Pas de cris, pas de hurlements, pas de gémissements. Il est parti. C'est le printemps… Il est vrai que les voisins, quelques rues plus loin, ont une superbe chatte qui se promène dans les bourgeons. Pourvu qu'il ne se pique pas aux chardons ! Il a senti mon désarroi ! D'un pas majestueux et ondulant, il s'avance vers moi, se frotte à mes jambes en miaulant : « Prends-moi dans tes bras, je ne Q 52 Cité griffe point. » Ce sacripant était parti s'ébattre sur les toits du musée d'Ixelles avec la fameuse chatte voisine. Poussé par la faim, il a reparu et miaulé à n'en plus finir pour affirmer sa présence. Son comportement est typiquement félin : disparaître pour mieux se faire désirer. Plusieurs mains ujourd'hui, c'est le grand jour ! Mon charmant voisin déménage. Pour le voir encore une dernière fois je lui propose mon aide. « Toi – me dit-il – je sais que tu as beaucoup de patience, tu vas plier convenablement tous les vêtements. » Comment sait-il que j'ai beaucoup de patience ? Je m'en vais le demander à son copain qui me répond : « Ah ! C'est vous la demoiselle pleine de patience qui attend, chaque fois qu'elle le peut, que mon copain Philippe montre le bout de son nez à la fenêtre ? » Et bien sûr, pour se moquer de moi il ajoute que Philippe rentre et sort par la porte de son voisin. Ah ! Enfin, je connais la solution à mon problème. À partir de demain, j'attendrai devant la porte du voisin. Mais lequel ? Celui de gauche ou celui de droite ? Je choisis celui de droite car ce charmant Philippe est droitier (j'avais remarqué qu'il ouvrait sa porte ou sa fenêtre de la main droite). Patiemment, j'attends devant son voisin. Et quand je dis patiemment, c'est avec impatience plutôt que je guette les allées et venues dans cet immeuble, cachée derrière la grande poubelle. Et chaque fois, je rentre à la maison bredouille, en dégageant une odeur de détritus, si bien que ma fille, pourtant pleine de patience, m'a suivie pour savoir d'où je sortais tous les soirs. Élisabeth R A 'installerai des toilettes publiques : c'est dégoûtant de voir des hommes qui font pipi n'importe où et puis cela sent mauvais après. Waniart J oilà un jardin habité. J'aime la luminosité qui se dégage de la neige. Il y a des pas dans le jardin, une présence. C'est un jardin nature, sans artifice, sans ornement. Il se dégage une impression familière et de silence à la fois. J'aime marcher dans la neige et entendre le silence. Je n'ai pas de jardin. J'en ai connu dans mon enfance, mais ici, non, les jardins sont bien cachés pour ceux qui en ont. Jacqueline H (photo de Jacqueline Rosseels) V on propriétaire dit qu'il y a des problèmes d'humidité dans la cuisine parce que je n'aère pas… Moi je veux bien mais il n'y a ni fenêtre, ni hotte, ni ventilation dans cette cuisine, à la limite je pourrais aérer dans le salon mais le chauffage ne fonctionne pas… Yanga & Tété M es tuiles du toit sont tombées sur la tête de Rachid O'Sullivan. Rachid tombe discrètement dans les pommes. Je veux parler des belles pommes que son épouse avait patiemment rangées. Revenu à lui, époustouflé, il remarque que toutes les pommes dans lesquelles il était tombé filaient se réfugier dans un plat. Élisabeth L maginez, je me lève tous les jours à cinq heures et je prends ma douche dans cette salle de bain, enfin si on peut appeler cela une salle de bain : une cour recouverte de tôle ondulée, sans chauffage ni isolation, avec une douche sans évacuation et un chauffe-eau bricolé… Yanga & Tété I 53 Cité h ! Si j'étais échevine… J'écouterais les volontés de mes citoyens ! Comment ? En plaçant dans chaque quartier des urnes où les habitants pourraient déposer leurs idées de changements, leurs plaintes ou encore leurs avis sur les décisions prises. Ensuite, j'organiserais, tous les 15 jours, des réunions avec les responsables de chaque boîte à idées : on trierait le contenu des boîtes et on choisirait les projets des habitants en leur donnant la possibilité de les réaliser. Laura Decrae A uand je pense aux chômeurs, je pense d'abord aux cafés. Ils vont au café parce que là ils ont l'impression d'être entourés de gens qui vivent des situations similaires. Et cela fait du bien, ils trouvent de la chaleur humaine. Ce n'est pas péjoratif, ça leur permet de parler et je trouve que c'est ce qu'il y a de plus important. Jacqueline H Q n est persuadé que c'est de la spéculation immobilière, les propriétaires veulent nous mettre dehors pour pouvoir rénover l'impasse et la louer à des prix que l'on ne pourra jamais payer […] Même si effectivement cette impasse devrait être rénovée, restaurée, on ne se voit pas ailleurs, on fait partie des murs, c'est notre impasse en définitive, même si on n'est pas propriétaire… Yolande O Nota bene 54 La cité Gomand, du nom de son promoteur, Louis Gomand, rentier, est inaugurée en 1849, en présence du ministre Charles Rogier. Elle est délimitée par les rues du Viaduc, Van Aa, de la Cité et du Collège. Un quart de siècle plus tard, l'architecte des lieux, Wynand Janssens, a signé les plans du Palais du Midi… e ne travaille plus depuis 15 ans. J'ai été licenciée pour cause d'absence de longue durée. Mais vous savez, l'être humain s'adapte. Les chômeurs ont beaucoup d'humanité, de lucidité sur la vie. Ils discutent de la politique, de la situation sociale. Ils ont du temps donc leur esprit peut malaxer les idées, ils confrontent leurs idées et ils vont à l'essentiel. Jacqueline H J Conseil ous avez toujours rêvé de passer des vacances à votre rythme ? Adoptez la carapace ! De même que la tortue, vous éprouverez la merveilleuse sensation de vous pelotonner dans votre maison portative. Vous avez envie de vous reposer mais il n'y a pas d'ombre ? Votre carapace vous protège du soleil mais aussi de tous les types d'agressions. En effet, grâce à sa matière résistante mais légèrement souple (pour permettre la marche), la carapace constitue la meilleure protection contre les mauvaises rencontres. De plus, vous pouvez choisir l'option tortue d'eau afin d'avoir une carapace waterproof et de profiter des joies de la baignade. Lucile V 'hirondelle à nulle autre pareille sait ce qui est bon pour elle. Qu'attendez-vous pour vous loger à la même enseigne ? Vous qui encombrez la terre alors qu'en l'air vous pourriez prendre vos aises. En l'air, oui ! Puis-je me permettre de vous y envoyer voir ? À distance raisonnable de la terre et des nuages. Elle, l'hirondelle, est à l'abri des intempéries, bien logée, bien ventilée sous la corniche, elle niche au chaud et a vue sur l'univers. Son habitat est imprenable et garanti antivol. Elle s'envole à l'automne et le retrouve intact au printemps. Sans alarme inutile ni futile voisinage. Bien ventilé vous y retrouverez des sensations toutes naturelles. Bénédicte L a taupinière, vaste, résiste à tous les ennemis : – elle est calme et silencieuse ; – si l'on pratique un feu quelque part, cela ne se propage pas dans les autres galeries ; – elle ne craint ni le bruit, ni l'humidité ; – on peut s'y cacher si l'on veut fuir ses ennemis ; – les odeurs ne s'y propagent pas ; – elle peut se trouver n'importe où ; – elle est toujours différente de celle des voisins ; – vous pouvez choisir : ici votre salle à manger, là votre cuisine, là votre chambre à coucher ; – on s'y sent chez soi ! Jean L alon, salle à manger, chambre à coucher, salle de jeu, tout y est. Pour y pénétrer, vous avez l'embarras du choix : l'entrée principale, l'entrée sud ou nord, est ou ouest. Si vous le voulez, vous pourriez aussi avoir une entrée de service. La galerie principale est large ; vous pourrez inviter qui vous voudrez. Couverte de feuilles choisies précieusement, préférant la texture rugueuse pour que l'on puisse se frotter les pieds efficacement. Le salon, pièce principale, lieu de vie, chacun y trouve refuge. Si vous voulez dormir S es étangs, des arbres, de l’herbe et des fleurs… du vert et surtout de l’air pur… Avant, on venait à Ixelles pour respirer, c’était la campagne. C’était il y a bien longtemps… Puis tout s’est urbanisé, on a construit des routes, toutes sortes de bâtiments, des magasins. Des espaces verts, il y en a quelques uns mais vraiment pas assez. Pour redonner à Ixelles tout son charme, il faudrait repeindre et aménager les magasins ou appartements abandonnés ou abîmés, favoriser les rues piétonnes qui sont si agréables pour se balader en ville et aménager beaucoup d’espaces verts. Valentine Van den Eynde D 55 Conseil en paix, la chambre à coucher est couverte de paille, choisie dans le meilleur poulailler alentour. Le paysan est charmant, sa grange est toujours ouverte et ses poulets tendres à souhait. Vous pourrez remplir la réserve, bien isolée pour que les odeurs ne vous incommodent pas. Caroline e ne voudrais pas habiter une fourmilière parce que c'est sans air, obscur et trop peuplé. D'ailleurs, je n'aime pas beaucoup la foule. Nonobstant cependant quelques aménagements seraient nécessaires : l'installation d'ascenseurs, l'aménagement d'un balcon, l'aménagement de l'endroit proprement dit. D'autant plus que si je rencontre un rhisopode, malgré la circulation à droite, je serais coincé. Je déclarerais : « Qui vole ma maison, devra toujours être attentif à ma rencontre ». Plusieurs mains J 56 Du grand ouvrage 57 Étangs ne ou deux fois par an, on annonçait l'arrivée d'un véhicule qui transportait un projecteur. Et quelques heures auparavant, le curé ainsi que quelques professeurs aménageaient un espace dans le parc pour que nous puissions voir le film qu'on allait projeter. Parmi ces films, il y avait L'amour dans l'air (avec la chanteuse italienne Gigliola Cinquetti ainsi que les chanteurs espagnols Marisol et Joselito). Jamais je n'ai raté l'arrivée du camion itinérant : c'était pour moi la seule possibilité qui m'était offerte de voir mon amoureux après, l'enfant de chœur de l'église. Martha U e curé nous présentait des films d'aventures d'enfants comme Joselito ou les productions de la Children Foundation. Ça me soulage si j'entends le curé prêcher devant tout le monde. J'aime bien sentir Dieu tout près de moi, à chaque instant : l'air, les autres et moi. Mais je préfère le poker ! Parce qu'on peut mentir en toute conscience ! La vérité vient d'ailleurs, demandez à David Duchovny. Il vous expliquera tout, comme, par exemple, pourquoi il pleut maintenant. Plusieurs mains L n matière de sport, on pourrait E faire construire un complexe sportif dans le quartier BlyckaertMatonge avec piscine, bowling, patinoire et une petite salle d'escalade. On pourrait prévoir un coin réservé aux petits. La durée des travaux de la place Flagey est une dure épreuve de patience pour les habitants. Lors de l'inauguration du bassin d'orages et du parking souterrain, j'aimerais organiser une grande fête sous chapiteau avec clowns et orchestre. Organiser des journées de rencontres et des ateliers découverte pour les jeunes me semblent une idée qui pourrait les rapprocher, les faire se connaître mieux. Coraline Laurent 58 ette nuit-là, je rêvai qu'Ixelles glissait sur son étang, bercée par l'inr. C'était un rêve radiophonique sur les ondes du silence, un rêve d'enfance sur le paquebot du temps. François C lerte à la population ! Notre chère et paisible commune est envahie par une espèce vivante de caméscope : le caméléon. Ce petit reptile coloré est discret. La lenteur de sa gestuelle et l'adaptation de la coloration de sa peau à son environnement le rend imperceptible. Son œil peut exécuter une rotation à 360° et il ne lui faut que quelques secondes pour changer de peau, ce qui nécessite une grande vigilance. Au jeu de cache-cache, il est champion ! Ces observateurs se sont principalement rassemblés autour des étangs Flagey et du bois de la Cambre, car cet insectivore privilégie les coins d'eau. Plusieurs plaintes ont été déposées pour attaques de caméléons. Les victimes portaient des piercings qui, captant un rayon de soleil, l'éblouissaient et lui faisaient perdre la boule ! Mesdames, messieurs, bien que ce petit reptile exotique soit pacifique, prenez garde à vos bijoux, sinon l'Arsène Lupin des îles vous les dérobera d'un coup de langue ! Yolaine A n Transylvanie, nous vivions très près de la nature et des animaux. Nous aimions le hérisson qui préserve les cultures et le vol des oiseaux peuple nos souvenirs. Comme chez vous sans doute, la chouette rappelle la hantise de la mort et l'hirondelle est la messagère du printemps. Mais les cigognes étaient ici chez elles, compagnes bienvenues des hommes de la terre. Leur vol calme au-dessus des toits brassait l'air brûlant de l'été. Elles perchaient leurs grands nids partout sur les toits, les cheminées, les pylônes électriques, débordant sur les câbles. La toiture de la grange, derrière la maison de mes parents, hébergeait toute une famille. À chaque printemps, elles revenaient. Bien vite, on voyait dépasser du bord du nid les têtes des petits. Les claquements de bec ponctuaient leurs repas. Les parents cigognes guettaient le nourrissage des poules dans la cour. Depuis dix ans, nos cigognes ne viennent plus. Le grand nid reste désert. Dans mon cœur, E Étangs ourquoi ne pas aménager une grande plaine de jeux sur le site Flagey avec un terrain de mini-foot et de basket ? Gare aux graffitis ! Gil Henry P e serait bien d'encourager les ouvriers des travaux de la place Flagey pour qu'ils aillent plus vite, ainsi les habitants de la place et ceux des rues environnantes ne seraient pas sous eaux dès qu'il y a de fortes pluies. Nicolas C Lefebvre je les attends encore. Melinda « Le songe de mon village » Un jour, dans mon petit village, est venu un ne-connaît-personne. Il a dit quelque chose, mais personne ne comprenait ce qu'il disait. Il a essayé de parler en anglais, comme cela nous l'avons compris. Il a posé une question : « Est-ce que par hasard vous avez vu un petit songe ? » « Non ! Nous n'avons pas vu votre songe », répondons-nous tout de suite. Et alors nous avons commencé à chercher, chercher, chercher partout et… rien ! Tous les habitants ont cherché dans les cours, dans les maisons. Mais toujours rien. Et puis j'ai entendu un bruit. Je me suis approchée d'un arbre et j'ai vu que le songe s'y cachait. Je n'ai rien dit tout de suite. J'ai essayé tout doucement de descendre avec le songe et cela c'est fait sans problème. Je me suis approchée de lui et je lui ai donné son songe. Il était très content. Il a remercié mille fois. Tous les habitants sont rentrés chez eux pour dormir. Le matin, tout le monde s'est réuni pour lui dire au revoir ! Magdalena nota bene Ils étaient quatre étangs le long du cours du Maelbeek à Ixelles. Le ruisseau fut voûté, deux étangs furent remblayés, deux autres sont toujours là… 59
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