SWIFFA LES VINGT-SEPT JOURS DU SAINT ET LE MONARQUE Seif Al Hatim Swiffa Les vingt-sept jours du Saint et le Monarque Roman Editions Persée Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence. Consultez notre site internet © Editions Persée, 2015 Pour tout contact : Editions Persée – 38 Parc du Golf – 13 856 Aix-en-Provence www.editions-persee.fr À ma mère par trois fois, comme nous l’ordonna le prophète. À mon père qui sut m’inculquer le principe de réalité. À mon épouse qui sut convertir ma violence en douceur. À mes deux fils. À tous ceux qui me sont chers et surtout à ma tante Leila — Et l’orée des choses…qu’est-ce que l’orée des choses, Cheikh ? — C’est une ligature…cela relève du néant et de sa main….c’est qu’il nous tient à flots…sa main ne veut pas que nous sombrions. — Ne t’inquiètes pas Swiffa…ne t’inquiètes surtout pas…ceci n’est que le songe d’une fièvre d’hiver…ce n’est que la nostalgie d’un jour d’été. 7 I — Qu’est-ce qui l’attriste le plus pour nous, Saint Homme ? — Que le néant puisse penser ne serait-ce qu’un seul instant que le néant existe du néant et non de lui…j’ai vu comme s’il en souriait de désolation pour nous….observe juste comment les gens se dandinent…observe bien comment ils pensent que tout leur est dû…c’en est vraiment triste de désolation. — Et qu’est-ce qu’il ne tolère pas, Saint Homme ? — Eh bien justement il ne tolère pas et ne tolèrera jamais que le néant demeure un néant…Comprends donc que c’est parce qu’il nous regarde et qu’il maintient son regard sur nous que cette vacuité que nous sommes… existe…nous sommes nés de son désir…comprends donc ! 9 II — Qui est Swiffa, saint homme ?... et qu’est-elle pour moi ? — Avant que je ne t’en parle, sache d’abord qu’il est jaloux… il est jaloux et d’une jalousie incommensurable…sache qu’il aime aussi…d’un amour absolu et pudique…et c’est cette pudeur même qui fait qu’il se voile à nous par ceux qui nous sont les plus chers… par ce qui et envers quoi nous sommes les plus vulnérables…cela peut-être nos enfants, nos familles, cela peut-être une femme, un pays ou encore une croyance…vois-tu ?, nous croyons aimer tous ces intermédiaires, toutes ces médiations mais c’est lui… c’est Dieu que nous aimons vraiment sans nous en rendre compte…et le néant peut-être tellement détestable quand il ne comprend pas qui est derrière ce voile qu’est le monde et que nous sommes ». « Il te faut donc comprendre que ta Swiffa est ta limite… Comprends qu’il requiert de toi que tu en répudies la forme et que tu perçoives enfin sa main à lui car c’est lui et lui seul qui l’a façonnée…et elle n’est comme nous tous qu’un néant et des traces d’attributs….quant à ce qu’elle est pour toi…dis-toi que vous émargiez du même coin dans le néant et que vos traces et empreintes relèvent des mêmes attributs ». — Et du roi, saint-homme ? — Le pouvoir est fascination, ne t’occupes donc pas du faste, des oripeaux et des artifices, ils n’ont de fonction en ce monde 11 que celle d’éblouir et d’éprouver ceux y sont sensibles… tu le rencontreras…tu rencontreras la sentinelle entre les troisièmes et quatrièmes voiles…on exige de toi que tu observes la bienséance en sa présence…dis-lui ce que tu penses si seulement il te l’autorise…et sache aussi qu’on est penché sur toi…ne crains rien ». — Et du destin, cheikh ? — Nous sommes contraints entre mille et une portes et mille et une possibilités…c’est cela qu’on désigne par le destin…toutes ces possibilités sont écrites mais il nous accorde d’enfoncer librement les portes que nous choisissons…vois-tu !…c’est comme un alphabet qu’il a disposé pour nous et il nous revient d’écrire avec cette alphabet ce que nous voulons…et il lui appartient d’évaluer ce que nous faisons de nous-même et des autres…c’est une détermination dans une liberté et une liberté dans une détermination… c’est cela le destin et rien ne peut rien y faire. — Et pourquoi vingt-sept jours, saint-homme ? — C’est un chiffre impair…il symbolise ce qu’il est, bien audelà de cette dualité que nous sommes…et il est que si on multiple ce chiffre par deux…cela signifie une autre dualité…celle que l’on espère tous…celle d’avoir le grand honneur d’être invité à son banquet et pour l’éternité, mon enfant. 12 III — J’entends bien que tu as observé la bienséance à mon égard… je t’accorde une dernière requête, me dit le Roi. — Sire, j’en dirai que je vous ai exprimé mon propos dans une langue que vous avez tété à peine sorti du ventre de votre mère et autant que moi, Sire,…j’en dirai que cette langue est déjà morte… il n’y a plus ni Rabelais, ni Racine et ni Céline… il n’y a plus de catalyse et il n’y a plus aucun souffle, Sire… j’ai vu dans une portion entre deux voiles que son dernier génie et vestige littéraire à venir… un orphelin de père dont la mère raffolait des arabes et qui ressemble étrangement à l’auteur du « spleen de Paris » s’était fait violenter dans une cage d’escalier dans un H.L.M en France par des arabes orphelins et enragés, certains de nous que votre monarchie vomit et que la république assimile et régurgite… ce trauma l’a tellement inspiré qu’il en est venu à exécrer et les arabes et leur religion…une si belle langue qui se meurt, Sire, il n’y a plus que la forme mais le sens en est désormais épuisé… cette France que nous aimons, Sire, n’est plus qu’une grande illusion, elle gâte certains de ses enfants et sévit sur d’autres, elle en est devenue trop profane, Sire, et les civilisations meurent aussi, comprenez donc que la France ne veut plus être fécondée autant qu’elle a fécondé. Comprenez bien sire !…combien j’aurai aimé vous exprimer mon propos en langue arabe claire. 13 DE MES LIEUX J e me rappelle de moi, enfant de la moyenne bourgeoisie marocaine. D’un moi encore léthargique, une conscience qui émerge à peine et qui s’impressionne allégrement des odeurs, des senteurs et épaisseurs du derb, de la médina et des parents. À califourchon sur un monde, sur la marocanité. Étendue de nerfs, avide et assoiffé de me relier aux moindres soubresauts de l’expression marocaine de l’humain. C’est que la plénitude du « moi » n’y était pas encore, ou encore la mémoire accomplie des jours et des nuits, cette moyenne sensitive, phénoménale et raisonnante de l’adulte qui dénote l’enfant mort en chacun de nous. Il me vient à l’esprit une expression marocaine, « jenna khfifa » dit-on chez nous, adage populaire qui asserte que le paradis est sans pesanteur. L’enfance heureuse est telle, on est alors vif, alerte et épanché sur la viscosité ambiante. Il me semble à présent n’être plus ainsi, une conscience saturée m’en a amputé, le redoublement des choses épuise et vide pleinement les saveurs pures d’alors, ne demeurent que des résurgences délicates qu’il ne faut effleurer qu’aussi délicatement que l’instant le plus heureux de toute votre existence. J’ai aimé en ce temps, Naima, Râaja et Mounia, rurales du fin fond du Maroc et les ruraux chez nous représentent une survivance 15
© Copyright 2024 Paperzz