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 SWIFFA
LES VINGT-SEPT JOURS DU SAINT ET LE MONARQUE
Seif Al Hatim
Swiffa
Les vingt-sept jours
du Saint et le Monarque
Roman
Editions Persée
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements
sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.
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© Editions Persée, 2015
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À ma mère par trois fois, comme nous
l’ordonna le prophète.
À mon père qui sut m’inculquer le
principe de réalité.
À mon épouse qui sut convertir ma
violence en douceur.
À mes deux fils.
À tous ceux qui me sont chers et
surtout à ma tante Leila
— Et l’orée des choses…qu’est-ce que l’orée des choses,
Cheikh ?
— C’est une ligature…cela relève du néant et de sa main….c’est
qu’il nous tient à flots…sa main ne veut pas que nous sombrions.
— Ne t’inquiètes pas Swiffa…ne t’inquiètes surtout pas…ceci
n’est que le songe d’une fièvre d’hiver…ce n’est que la nostalgie
d’un jour d’été.
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I
— Qu’est-ce qui l’attriste le plus pour nous, Saint Homme ?
— Que le néant puisse penser ne serait-ce qu’un seul instant
que le néant existe du néant et non de lui…j’ai vu comme s’il
en souriait de désolation pour nous….observe juste comment les
gens se dandinent…observe bien comment ils pensent que tout
leur est dû…c’en est vraiment triste de désolation.
— Et qu’est-ce qu’il ne tolère pas, Saint Homme ?
— Eh bien justement il ne tolère pas et ne tolèrera jamais que
le néant demeure un néant…Comprends donc que c’est parce
qu’il nous regarde et qu’il maintient son regard sur nous que
cette vacuité que nous sommes… existe…nous sommes nés de son
désir…comprends donc !
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II
— Qui est Swiffa, saint homme ?... et qu’est-elle pour moi ?
— Avant que je ne t’en parle, sache d’abord qu’il est jaloux…
il est jaloux et d’une jalousie incommensurable…sache qu’il aime
aussi…d’un amour absolu et pudique…et c’est cette pudeur même
qui fait qu’il se voile à nous par ceux qui nous sont les plus chers…
par ce qui et envers quoi nous sommes les plus vulnérables…cela
peut-être nos enfants, nos familles, cela peut-être une femme, un
pays ou encore une croyance…vois-tu ?, nous croyons aimer tous
ces intermédiaires, toutes ces médiations mais c’est lui… c’est
Dieu que nous aimons vraiment sans nous en rendre compte…et
le néant peut-être tellement détestable quand il ne comprend pas
qui est derrière ce voile qu’est le monde et que nous sommes ».
« Il te faut donc comprendre que ta Swiffa est ta limite…
Comprends qu’il requiert de toi que tu en répudies la forme et
que tu perçoives enfin sa main à lui car c’est lui et lui seul qui
l’a façonnée…et elle n’est comme nous tous qu’un néant et des
traces d’attributs….quant à ce qu’elle est pour toi…dis-toi que
vous émargiez du même coin dans le néant et que vos traces et
empreintes relèvent des mêmes attributs ».
— Et du roi, saint-homme ?
— Le pouvoir est fascination, ne t’occupes donc pas du faste,
des oripeaux et des artifices, ils n’ont de fonction en ce monde
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que celle d’éblouir et d’éprouver ceux y sont sensibles… tu le
rencontreras…tu rencontreras la sentinelle entre les troisièmes et
quatrièmes voiles…on exige de toi que tu observes la bienséance
en sa présence…dis-lui ce que tu penses si seulement il te l’autorise…et sache aussi qu’on est penché sur toi…ne crains rien ».
— Et du destin, cheikh ?
— Nous sommes contraints entre mille et une portes et mille et
une possibilités…c’est cela qu’on désigne par le destin…toutes
ces possibilités sont écrites mais il nous accorde d’enfoncer librement les portes que nous choisissons…vois-tu !…c’est comme un
alphabet qu’il a disposé pour nous et il nous revient d’écrire avec
cette alphabet ce que nous voulons…et il lui appartient d’évaluer
ce que nous faisons de nous-même et des autres…c’est une détermination dans une liberté et une liberté dans une détermination…
c’est cela le destin et rien ne peut rien y faire.
— Et pourquoi vingt-sept jours, saint-homme ?
— C’est un chiffre impair…il symbolise ce qu’il est, bien audelà de cette dualité que nous sommes…et il est que si on multiple
ce chiffre par deux…cela signifie une autre dualité…celle que l’on
espère tous…celle d’avoir le grand honneur d’être invité à son
banquet et pour l’éternité, mon enfant.
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III
— J’entends bien que tu as observé la bienséance à mon
égard… je t’accorde une dernière requête, me dit le Roi.
— Sire, j’en dirai que je vous ai exprimé mon propos dans une
langue que vous avez tété à peine sorti du ventre de votre mère et
autant que moi, Sire,…j’en dirai que cette langue est déjà morte…
il n’y a plus ni Rabelais, ni Racine et ni Céline… il n’y a plus de
catalyse et il n’y a plus aucun souffle, Sire… j’ai vu dans une portion entre deux voiles que son dernier génie et vestige littéraire
à venir… un orphelin de père dont la mère raffolait des arabes
et qui ressemble étrangement à l’auteur du « spleen de Paris »
s’était fait violenter dans une cage d’escalier dans un H.L.M en
France par des arabes orphelins et enragés, certains de nous que
votre monarchie vomit et que la république assimile et régurgite…
ce trauma l’a tellement inspiré qu’il en est venu à exécrer et les
arabes et leur religion…une si belle langue qui se meurt, Sire, il
n’y a plus que la forme mais le sens en est désormais épuisé…
cette France que nous aimons, Sire, n’est plus qu’une grande illusion, elle gâte certains de ses enfants et sévit sur d’autres, elle en
est devenue trop profane, Sire, et les civilisations meurent aussi,
comprenez donc que la France ne veut plus être fécondée autant
qu’elle a fécondé. Comprenez bien sire !…combien j’aurai aimé
vous exprimer mon propos en langue arabe claire.
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DE MES LIEUX
J
e me rappelle de moi, enfant de la moyenne bourgeoisie
marocaine. D’un moi encore léthargique, une conscience qui
émerge à peine et qui s’impressionne allégrement des odeurs, des
senteurs et épaisseurs du derb, de la médina et des parents. À califourchon sur un monde, sur la marocanité. Étendue de nerfs, avide
et assoiffé de me relier aux moindres soubresauts de l’expression
marocaine de l’humain.
C’est que la plénitude du « moi » n’y était pas encore, ou encore
la mémoire accomplie des jours et des nuits, cette moyenne sensitive, phénoménale et raisonnante de l’adulte qui dénote l’enfant
mort en chacun de nous.
Il me vient à l’esprit une expression marocaine, « jenna khfifa »
dit-on chez nous, adage populaire qui asserte que le paradis est
sans pesanteur. L’enfance heureuse est telle, on est alors vif, alerte
et épanché sur la viscosité ambiante. Il me semble à présent n’être
plus ainsi, une conscience saturée m’en a amputé, le redoublement
des choses épuise et vide pleinement les saveurs pures d’alors,
ne demeurent que des résurgences délicates qu’il ne faut effleurer
qu’aussi délicatement que l’instant le plus heureux de toute votre
existence.
J’ai aimé en ce temps, Naima, Râaja et Mounia, rurales du fin
fond du Maroc et les ruraux chez nous représentent une survivance
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