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/ . Embryo/, exp. Morph. Vol. 36, l,pp. 41-54, 1976
Printed in Great Britain
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Etude comparative de revolution des cellules
de planaires d'eau douce Polycelis tenuis (Iijima)
dans des fragments dissocies en culture in vitro
aspects ultrastructuraux, incorporations de leucine
et d'uridine tritiee
Par RAPHAEL FRANQUINET1
Laboratoire de Biologie Animate, Universite Paris Val-de-Marne
et Laboratoire de Biologie Animate, Universite de Paris Sud,
Centre dOrsay
SUMMARY
Comparative study of the cells of the freshwater planarian Polycelis tenuis (Iijima) using
dissociated fragments cultivated in vitro: ultrastructural aspects and incorporation of
[3H]leucine and [3H]uridine
Study of planaria cells, which are the result of dissociated fragments cultivated in vitro,
allows the evolution of two cell groups to be followed:
(1) Differentiated cells, which do not divide, and do not dedifferentiate either, incorporate
leucine and uridine at a rate which remains stable for the whole duration of the culture.
(2) Undifferentiated cells have a mitotic and incorporation rate of leucine and uridine
which varies during the period of culture. After 10 days of culture they demonstrate the
characteristics of cells undergoing differentiation.
These results are in agreement with those of other authors who attribute an essential role
to undifferentiated cells during the regeneration of the adult planaria.
INTRODUCTION
Un probleme majeur de la regeneration reside dans l'identification des
cellules de regeneration et dans l'analyse de leurs potentialites. La contreverse
subsiste chez les Planaires pour lesquelles deux conceptions s'opposent. Pour
les uns (Lender, 1962; Wolff, 1962; Morita & Best, 1966; Bronsdted, 1969;
Pedersen, 1972), des cellules morphologiquement indifferenciees appelees
'neoblastes' constituent un stock de cellules reparatrices qui interviennent dans
la regeneration physiologique et qui reconstituent les parties manquantes en
cas de blessure. Pour les autres (Hay, 1968; Coward & Hay, 1972) des cellules
deja specialises perdent leurs structures differencies et fournissent le materiel
1
Adresse de Vauteur: Laboratoire de Biologie Animate, Universite Paris Val-de-Mearn,
94000 Creteil, France.
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a partir duquel se reconstitueront les parties manquantes. Une des causes de
cette controverse reside dans la difficulte parfois rencontree pour distinguer en
histologie photonique les cellules de type indifferencie et d'autres cellules
egalement riches en ARN (Hay & Coward, 1975). Cela est du notamment a la
structure des tissus de Planaires, ou les cellules et leurs prolongements presentent un enchevetrement d'autant plus complexe que la substance interstitielle est tres reduite. Un progres dans la resolution de ce probleme nous a
paru possible en etudiant quelques aspects de revolution morphologique et
biochimique des tissus de Planaires blessees, non plus sur des regenerats entiers
mais sur des cellules separees resultant de la dissociation et de la mise en
culture de fragments. Notre milieu de culture adapte aux cellules de Planaires
permet une survie de 12 a 14 jours (Franquinet, 1973 a) ameliorant les resultats
deja obtenus (Ansevin & Buchsbaum, 1961; Betchaku, 1967) sur des milieux
liquides ou solides.
L'etude des mitoses, des syntheses d'ARN et de proteines deja effectuee sur
des regenerats entiers est reprise ici. L'observation des tissus dissocies confirme
une difference fondamentale entre les cellules differenciees et les cellules indifferenciees, cette distinction s'appuie non seulement sur un examen photonique mais aussi sur une etude ultrastructurale. On sait par ailleurs que la
differentiation des tissus d'un regenerat est sensible a divers agents, et notamment a Faction d'extraits de tissus homologues des parties a regenerer (revue
dans Rose 1970). Chez les Planaires ces phenomenes ont ete mis en evidence de
facon particulierement nette (Lender, 1954; Sengel, 1953). Nous avons entrepris l'etude in vitro de Faction de broyats de tissus sur devolution des cellules
de regeneration. Ces extraits ont ete testes par leur action sur les mitoses, les
syntheses d'ARN et de proteines. L'etat des cellules est egalement controle en
microscopie electronique.
L'examen a porte sur des cellules differenciees ayant des structures caracteristiques bien connues telles que cellules secretrices a granulations acidophiles (Skaer, 1961; Pedersen, 1963) et musculaires (Sauzin-Monnot, 1968)
qui, selon Hay & Coward (1975), par leur richesse en ARN pourraient etre
confondues avec les cellules a caracteres indifferencies. Nous avons egalement
suivi revolution des cellules epidermiques (Klima, 1961).
D'autre part, en ce qui concerne les cellules indifferenciees, leur structure est
decrite de facon constante dans l'animal intact (Pedersen, 1959; Morita & Best,
1966; Sauzin Monnot, 1967; Hay, 1968; Hay & Coward, 1975) et dans les
tissus en regeneration (Pedersen, 1959; Morita & Best, 1966; Sauzin-Monnot,
1967). En particulier pour suivre revolution de ces cellules nous avons recherche
la presence des structures appellees emissions nucleaires (Morita & Best, 1966;
Sauzin-Monnot, 1967) ou chromatoid bodies (Hay, 1968; Hay & Coward, 1975).
Ce critere est interessant car il a ete montre chez les jeunes que les emissions
nucleaires volumineuses sont presentes dans toutes les cellules indifferenciees
et qu'elles disparaissent lorsque les cellulles se differencient (Le Moigne, 1967).
Vevolution des cellules de planaires
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Elles ne subsistent chez l'adulte que dans les neoblastes sous une forme discrete (Morita & Best, 1966; Sauzin-Monnot, 1967), et dans les spermatocytes
(Franquinet, 19736). Elles redeviennent abondantes dans les cellules indifferenciees des le debut de la regeneration (Sauzin-Monnot, 1968; Morita, Best &
Noel, 1969), ce caractere a ete utilise par Morita & Best (1974) pour suivre la
differentiation des cellules de regeneration in vivo.
TECHNIQUES
Cultures
Des regions prepharyngiennes de Polycelis tenuis adultes sont decoupees en
petits fragments de 1 a 2 mm de cote; elles sont rincees plusieurs fois dans un
milieu sterile et melangees pour obtenir une repartition homogene des cellules
et des tissus provenant d'animaux differents. Les fragments sont cultives dans
une goutte de liquide depose sur lamelle. Trois types de milieu sont utilises:
le milieu de base, le milieu de base avec des extraits de tetes ou des extraits
totaux de tissus de Planaires. Ces extraits proviennent du surnageant de la
centrifugation de broyats (5000 t/mn pendant lOmin); ces surnageants sont
lyophylises et ajoutes a raison de 0,5 g pour 10 ml de milieu.
La solution de base a la composition suivante: H2O bidistillee, 1000 ml;
NaCl, 0,7 g; KC1, 0,5 g; CaCl22H2O, 0,4 g; MgSO47H2O, 0,16 g; KH 2 PO 4 ,
0,07 g; NaHCO 3 , 0,17 g; hydrolysat de lactalbumine (Difco), 0,5 g; extrait de
levure (Difco), 0,25 g; serum de cheval (Difco), 5 %; glucose, 20 g; peniciline,
1500 i.u./ml. Le pH de la solution est reajuste avec NaHCO 3 a 7,2-7,3. La
temperature des cultures est de 18 °C.
Pour les examens histologiques, les cultures sont sechees a l'air, fixees dans
le melange de Carnoy et colorees au vert de methyl-pyronine.
Microscopie electronique
Les fragments et les cellules sont disposes sur des filtres Millipore pour
permettre un transport aise dans les differents bains de deshydratation et
d'inclusion.
L'ensemble est fixe par le glutaraldehyde a 2,5 % dans le tampon Sorensen
0,05 M a pH 7,6 pendent 1 h a 4 °C, rince puis post fixe a l'acide osmique a 1 %
dans le meme tampon, deshydrate dans l'alcool ethylique et inclus dans l'epon.
Les coupes sont faites au microtome 'ultrotome' L.K.B. 4800 equipe de
couteau de verre, recueillies sur des grilles de cuivre recouvertes d'une membrane
de collodion a 1 %, colorees par l'acetate d'uranyl-citrate de plomb (Reynolds,
1963). Les coupes sont observees avec un microscope Hitachi H.S. 7. ou avec
un Jeol T. 7.
Incorporations et histoautoradiographies
L'activite des syntheses est evaluee en fonction de l'age de la culture et en
fonction de la nature du milieu.
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Les precurseurs radioactifs sont ajoutes au milieu de culture, 2 h avant la
fixation, de telle sorte que la radioactivite finale soit de 20 /tCi/ml pour l'uridine
et la leucine. Apres ces 2 h d'incubation les lamelles portant les cultures sont
sechees a l'air, rincees pendant 30 min a l'eau courante, fixees dans le melange
de Carnoy 10 min, rincees 10 min dans de l'eau distillee et sechees a nouveau
avant la pose de l'emulsion Ilford L. 4; la duree de contact est de 3 jours. Les
lames sont colorees au vert de methyl-pyrorine.
L'incorporation de la leucine tritiee est evaluee par comptage du nombre de
grains d'argent par cellule, tandis que celle de l'uridine est mesuree a l'aide
d'un cytophotometre M.P.V. Leitz.
La technique de sechage des cultures fait que les taux de radioactivite observes sont ceux de cellules entieres et non de fragments de cellules plus ou
moins importants suivant le niveau d'une coupe histologique; ils sont done
comparables entre eux.
Chaque donnee quantitative resulte de l'examen de deux ou trois cultures
dans chacune desquelles 100 cellules sont examinees. L'etude statistique de ces
resultats a permis de calculer un intervalle de confiance, pour un coefficient de
securite de 99 %, a partir des deviations standards des moyennes obtenues.
Le bruit de fond pour les precurseurs radioactifs a ete evalue dans des surfaces
equivalentes a la surface des cellules examinees; il est de 2,6 ± 0,2 grains d'argent
par cellule pour la leucine et la deviation du cytophotometre est de 7,6 + 0,15
pour l'uridine. Les intervalles de confiance ainsi obtenus sont repartis sur les
courbes d'incorporation de leucine, d'uridine et sur les courbes des taux
mitotiques (Fig. 14).
Evaluation des index mitotiques
Nous ne sommes pas parvenus a faire incorporer la thymidine 3H-5 aux
cellules en culture. Ces especes se montrent refractaires a l'incorporation de ce
precurseur (Best, Hand & Rosenvold, 1968; Gabriel, 1969; Coward, Hirsch &
Taylor, 1970) aussi bien qu'a son analogue, la 5-bromodeoxy-uridine, qui,
a des doses allant jusqu'a 1000 /tg/ml n'affecte par le pouvoir de regeneration
(Le Moigne, non publie). Pour evaluer les syntheses d'ADN nous avons choisi
d'etudier l'activite mitotique. Les mitoses sont comptees sur des cultures sechees
et colorees au vert de methyl-pyrorine. Chaque taux mitotique est obtenu a
partir de 5000-15000 cellules comptees au hasard dans deux ou trois cultures
faites dans les memes conditions. Les intervalles de confiance sont calcules
pour un coefficient de securite de 95 % a partir des deviations standard des
pourcentages obtenus. Le taux mitotique au moment de la mise en culture
sert de temoin; il est de 0,7 ± 0,15 % et est identique au taux observe normalement chez les Polycelis adultes entieres.
Uevolution des cellules de planaires
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RESULTATS
1
(I) Evolution d ensemble des cultures
En culture les fragments se dissocient progressivement; vers 5 jours cette
dissociation est presque complete sauf en ce qui concerne les cellules epidermiques. Ces cellules restent souvent associees entre elles, des lambeaux d'epiderme peuvent de detacher de la membrane basale, s'enrouler et former de
petites masses arrondies tournoyant sur elles-memes dans les cultures. Ce cont,
semble-t-il, 'les corps de restitution' (Freisling & Reisinger, 1958). Nous
pouvons distinguer de facon satisfaisante les cellules differenciees et les
cellules indifferenciees. Ces dernieres sont de taille constante, arrondies, ou
fusiformes (Fig. 1), avec un rapport nucleoplasmatique eleve, leur aspect
cytologique varie peu pendant la duree de la culture (Fig. 2); elles se divisent
(Fig. 3). Grace aux dissociations cellulaires nous pouvons observer l'aspect
des cellules differenciees qui sont de formes et de tailles variees, avec un
cytoplasme abondant. Les cellules glandulaires, a rhabdites, ou intestinales
sont aussi pyroninophile que les cellules indifferenciees mais le volume cytoplasmique et la presence frequente d'inclusions exclut toute confusion. Le
cytoplasme d'autres cellules differenciees tel que cellules musculaires, epidermiques, nerveuses n'est que tres peu pyroninophile. Ces cellules ne se divisent pas.
(II) Cellules differenciees
(a) Mitoses. Le taux mitotique des cellules differenciees est nul, nous n'en
avons jamais observe en division.
(b) Incorporation de precurseurs. Les cellules nerveuses et musculaires, a
cytoplasme peu pyroninophile presentent un taux d'incorporation d'uridine
tres faible, et qui n'est pas significativement different du bruit de fond. Les
cellules glandulaires et intestinales sont marquees plus intensement et leurs
radioactivites ont pu faire l'objet de mesures dont les resultats sont reportes
sur le graphique 14 b. II apparait que cette radioactivite reste constante pendant
toute la duree de la culture et est independante du type de milieu utilise.
(c) Ultrastructure. L'ultrastructure des cellules epidermiques ne varie que
tres peu au cours des cultures. L'alteration cellulaire apres 12 jours de culture
est marquee par un arrondissement des noyaux. Dans le cytoplasme nous
observons une augmentation du nombre de vesicules, les racines ciliaires sont
conservees (Fig. 4).
Les cellules musculaires se detachent rapidement, nous pouvons observer
dans leurs cytoplasmes les fibres du faisceau musculaire, un ergastoplasme avec
des cisternes elargies, garnies d'un materiel fibrillaire caracteristique (Fig. 5).
Ce type de cellules va tres peu evoluer. Le 12eme jour les fibres des faisceaux
musculaires ne sont pas desorganisees (Fig. 6). II y a parfois au voisinage du
noyau des formations fibrillaires assez denses evoquant les 'emissions
nucleaires' des cellules indifferenciees (Fig. 5).
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Vevolution des cellules de planaires
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Les cellules a granulations acidophiles presentent des regressions cellulaires
plus rapides. Ces cellules (Fig. 7) sont caracterisees par un ergastoplasme
granulaire tres developpe avec des cisternes tres larges et regulieres contenant
du materiel dense. Dans le cytoplasme les granulations de secretion acidophile
montrent une striation reguliere caracteristique (Skaer, 1961; Pedersen, 1963).
Des le 6eme jour (Fig. 8) alors que la cellule garde un aspect normal, les grains
de secretion s'amenuisent, deviennent moins denses et perdent leurs striations.
Au 11 erne jour (Fig. 9) l'ergastoplasme a garde son aspect caracteristique, son
contenu est devenu plus clair. Les grains de secretion semblent se desagreger,
le noyau presente des signes de picnoses.
Nous avons par ailleurs pu reconnaitre apres 10 jours de culture des cellules
protonephridiennes, des cellules nerveuses avec leurs axones, des spermatides,
et differents types de cellules glandulaires. Leur ultrastructure reste stable puis
evolue, plus ou moins rapidement, vers la picnose qui se manifeste au niveau
nucleaire par des structures analogues a celles que nous montrons dans les cellules
glandulaires (Fig. 9).
En resume, la dissociation cellulaire et la mise en culture n'entrainent pas la
division des cellules differenciees, ni un accroissement de leurs syntheses
d'ARN. Le microscope electronique montre qu'elles conservent leurs structures
caracteristiques, qu'elles ne se dedifferencient pas; ces cellules finissent par se
necroser apres une periode de culture qui est generalement plus longue que celle
sur laquelle nous portons notre etude.
(HI) Cellules indifferenciees
(a) Mitoses. Ces cellules montrent des variations de leur taux mitotique en
fonction de l'age de la culture d'une par tet de la substance ajoutee dans le milieu
d'autre part.
Dans le milieu de base, des la mise en culture le taux mitotique augmente et
reste eleve pendant 9 jours (Fig. 14a).
Les extraits de tete ont un effet inhibiteur qui devient sensible a partir du
5eme jour alors que les extraits totaux permettent d'observer une inhibition
constante de l'activite mitotique.
(b) Incorporation de precurseurs. La mise en culture dans le milieu de base
stimule l'incorporation d'uridine qui atteint un maximum des la 24eme heure.
FIGURES 1-5
Fig. 1. Cellules indifferenciees apres 8 jours de culture.
Fig. 2. Cellules indifferenciees apres 14 jours de culture.
Fig. 3. 12 jours de culture, cellules indifferenciees en divisions.
Fig. 4. Cellule epidermique, 12 jours de culture.
Fig. 5. Cellule musculaire, 6 jours de culture. C, racines ciliaires; Ce, cisternes
ergastoplasmiques; Cr, chromatine; E, ergastoplasme; F, fibres du faisceau
musculaire; N, noyau; Nu, nucleole.
L'évolution
des cellules de planaires
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Elle fléchit ensuite, progressivement avec une légère reprise vers le 7ème jour
(Fig. 14¿>). Avec l'adjonction d'extraits de Planaires on ne peut distinguer
valablement les extraits de tête et les extraits totaux. En leurs présences les
máxima d'incorporations sont retardés, les reprises du 6ème et 8ème jours plus
marquées (Fig. 14/?).
L'incorporation de leucine (Fig. 14 c) est accrue dès la mise en culture en
présence du milieu de base. Elle subit une inhibition dès le 3ème jour en
présence d'extrait de tête (Fig. 14c). Avec les extraits totaux (Fig. 14 c) cette
inhibition est immédiate. Dans tous les cas une reprise se manifeste entre 6 et
8 jours.
Ces extraits de Planaires sont connus pour leur effet inhibiteur sur la morphogenèse au cours de la régénération (Wolff, Lender & Ziller-Sengel, 1964). En
culture des effets inhibiteurs analogues apparaissent sur les mitoses, et sur les
synthèses des protéines avec des résultats différents suivant leurs origines. Il est
évident que des extraits aussi peu purifiés entraînent des phénomènes complexes
difficilement interprétables. Ces expériences devront être reprises en fractionnant et en purifiant les substances ajoutées aux cultures. Cependant un point
semble intéressant à souligner présentement: à partir du 6ème jour de culture
lorsque ces extraits inhibent les mitoses ils n'ont plus d'effets sur les incorporations de leucine et d'uridine.
(c) Ultrastructure. Au moment de la mise en culture les cellules indifférenciées présentent l'aspect caractéristique déjà décrit (Pedersen, 1959; Morita &
Best, 1966; Sauzin-Monnot, 1967): noyau volumineux, chromatine dispersée,
nucléole finement granulaire, cytoplasme pauvre en organites (Fig. 10). Dès les
premiers jours de culture apparaissent des émissions nucléaires (Figs. 10, 11).
Au cours du déroulement des cultures nous pouvons observer le développement
de structures qui apparaissent normalement dans les cellules indifférenciées au
cours de la régénération: formation de polyribosomes (Figs. 10, 11) développement des émissions nucléaires (Fig. 11) qui subsistent jusqu'à la fin des cultures
(Fig. 13). D'autre part il apparaît rapidement dans le cytoplasme un réticulum
endoplasmique sous forme de cisternes alignées parallèlement au noyau
(Figs. 11, 12), des formations golgiennes sont observables le plus souvent à la
fin de la période de culture (Fig. 12). Les noyaux conservent une structure
F I G U R E S 6-9
Fig. 6. Cellule musculaire, 12 jours de culture.
Fig. 7. Cellule glandulaire, 2 jours de culture.
Fig. 8. Cellule glandulaire, 6 jours de culture.
Fig. 9. Cellule glandulaire 11 jours de culture. E, ergastoplasme; F, filaments du
faisceau musculaire; G, Golgi; Gm, granulation intercallée entre les fibres du
faisceau musculaire; Gr, granulation acidophile; M, mitochondrie; N, noyau;
Nu, nucléole.
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Vevolution des cellules de planaires
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saine: chromatine relativement dispersee, granules interchromatiniens abondants. Les nucleoles, chaque fois que nous avons pu les observer, presentent
une structure normale. Apres 12 jours de culture des signes de picnose se
manifestent progressivement comme pour toutes les cellules.
Au cours de cette etude ultrastructurale nous avons remarque que les cellules
indifferenciees cultivees dans le milieu de base avaient un reticulum endoplasmique qui apparaissait plus tardivement, vers 10 jours environ, que dans les
cellules cultivees en presence d'extraits de Planaires (apparition vers 6 jours).
L'effet de la mise en culture sur les cellules indifferenciees est toujours de
stimuler les mitoses et d'accroitre le taux de syntheses d'ARN et de proteines.
Ces effets sont modules par la nature des substances ajoutees au milieu de
culture.
D'autre part dans l'etat actuel des observations morphologiques nous pouvons dire que la poursuite de syntheses elevees d'ARN et de proteines liees a un
taux mitotique intense (milieu de base) correspondent a des cultures dans lesquelles les cellules indifferenciees ne forment que tardivement un reticulum endoplasmique. Par contre dans des cultures en presence d'extraits de Planaires le
taux eleve de syntheses d'ARN et de proteines lie a une baisse marquee des taux
mitotiques peut etre mis en relation avec une apparition plus precose d'un reticulum endoplasmique.
CONCLUSION
L'interet des cultures de fragments dissocies de Planaire est de comparer
revolution des cellules differenciees et indifferenciees isolees de l'organisme et
done soustraites a des influences inductrices eventuelles. Ces deux categories de
cellules se comportent differemment: ces resultats presentent un interet majeur
du fait de la controverse toujours vive sur l'origine des cellules de regeneration.
En ce qui concerne les cellules differenciees, dans les 12 jours de culture nous
constatons que ces cellules ne se divisent pas, conservent le meme rythme d'activite de synthese qu'au debut des cultures.
Ces cellules ne presentent aucun des signes d'activation que Ton pourrait
s'attendre a rencontrer normalement dans des cellules destinees, apres blessure
a se dedifferencier et reformer de nouveaux tissus.
Dans les cellules differenciees, Hay (1968) signale des structures analogues
FIGURES
10-13
Fig. 10. Cellule indifferenciee, 1 jour de culture.
Fig. 11. Cellule indifferenciee, 6 jours de culture.
Fig. 12. Cellule indifferenciee, 10 jours de culture.
Fig. 13. Details d'une emission nucleaire dans une cellule indifferenciee apresll jours
de culture. E, ergastoplasme; En, emission nucleaire; G, Golgi; M, mitochondrie;
iv~, noyau; Nu: nucleole.
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Fig. 14. Culture de fragments dissociees de Planaire, dans le milieu de base (
),
en presence d'extraits de tetes (
), ou d'extraits totaux (
), abscisse pour
14a, 14b, 14c: duree de la culture en nombres de jours.
(a) Variations des taux mitotiques des cellules indifferenciees; ordonnee nombres de
divisions par rapport aux cellules en interphase (en pour cent).
(b) Variations des taux d'incorporations d'uridine dans les cellules indifferenciees
(•) et dans les cellules differenciees (O); ordonnee exprimee en unite de deviation
cytophometrique (moyenne sur 200 a 300 cellules).
(c) Variations des taux d'incorporations de leucine dans les cellules indifferenciees;
ordonnee: nombre de grains d'argent par cellule (moyenne sur 200 a 300 cellules).
U evolution des cellules de planaires
53
aux 'emissions nucleaires' (corps chromatoides), nous avons egalement observe
ce type de structure au voisinage des noyaux dans quelques cellules differenciees, elles sont presentes au debut de la periode de culture et disparaissent
assez tot. On peut se demander si elles ne caracterisent pas des cellules qui
achevent leur differentiation a la fin d'un processus de regeneration physiologique deja entame avant la mise en culture.
Les cellules indifferenciees sont activees et acquierent au cours de leur evolution des caracteres identiques a ceux observes dans les neoblastes en differenciation (Pedersen, 1959; Morita & Best, 1966; Sauzin-Monnot, 1967) ou dans
les blastomeres d'un embryon au cours de l'embryogenese (Le Moigne, 1967).
Ces cellules se divisent, incorporent activement la leucine et l'uridine et sont
sensibles a des facteurs connus pour leur pouvoir inhibiteur de la morphogenese,
elles esquissent une differenciation in vitro marquee par l'apparition d'un reticulum endoplasmique faiblement granulaire puis d'un appareil de Golgi.
Ces cellules semblent capables de reagir, de repondre a des modifications de
milieu, et presentent un comportement compatible avec le role qu'elles ont pour
certains auteurs dans la regeneration des Planaires adultes.
RESUME
L'etude des cellules de Planaires issues de fragments dissocies cultives in vitro permet de
suivre revolution de deux groupes de cellules:
1. Les cellules differenciees, qui ne se divisent pas, ne se dedifferencient pas. Leurs taux
d'incorporation de leucine et d'uridine restent stable pendant toute la duree de la culture.
2. Les cellules indifferenciees, qui reagissent a la mise en culture par des variations des taux
mitotiques et d'incorporation de leucine et d'uridine. Apres 10 jours de culture elles presentent
des caracteres de cellule en differenciation.
Ces resultats sont en accord avec ceux des auteurs qui attribuent aux cellules indifferenciees le role essentiel au cours de la regeneration des Planaires adultes.
Je remercie Monsieur le Professeur Meyer de 1'Unite 7 de 1'INSERM qui m'a permis de
realiser une partie le l'etude ultrastructurale dans son laboratoire, ainsi que Madame
Osborne-Pellegrin.
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FRANQUINET,
(Received 11 November 1975)