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/. Embryol. exp. Morph. Vol. 19, 2, pp. 181-92, April 1968
With 5 plates
Printed in Great Britain
181
Etude au microscope
electronique de revolution des structures
embryonnaires de Planaires apres
irradiation aux rayons x
Par A. LE MOIGNE1
Laboratoire de Biologie Animate (Directeur: Th. Lender), Universite de Paris
A la suite d'etudes sur le developpement des embryons de Polycelis nigra,
apres irradiation aux rayons X, j'ai pu constater deux series de faits (Le Moigne,
1966).
Les embryons jeunes sont detruits meme par de faibles doses de rayons X
(1.000 r); mais a partir d'un stade donne (stade 4), ils resistent, meme a des
doses plus fortes de rayonnement (3.000 r), continuent a se differencier et peuvent
eclore.
Les embryons qui se sont ainsi developpes, apres l'irradiation, ne
regenerent pas si on les sectionne. Ils peuvent cicatriser mais ne forment pas de
blasteme, alors que les temoins normaux de meme age regenerent toujours.
J'etudierai ici l'ultrastructure des tissus d'embryons irradies, pour determiner
quelles sont les cellules detruites par les rayons X, et comment des irradiations
precoces pendant l'embryogenese peuvent empecher la regeneration a l'eclosion.
Je rappellerai auparavant les caracteristiquesde chaque stade etudie (Le Moigne,
1966, 19676):
Stade 4A: Ebauche du pharynx transitoire. Pharynx embryonnaire toujours
visible. Cellules du parenchyme dispersees, a caracteres indifferencies.
Stade 4B: Pharynx transitoire forme. Pharynx embryonnaire disparu. Cellules
du parenchyme abondantes, dont certaines commencent a se differencier.
Stade 5: Ebauche du cerveau. Ebauche du pharynx definitif. Allongement
de l'embryon.
Stade 6: Differenciation des fibres nerveuses dans le cerveau et la moitie
anterieure du corps.
Stade 7: Apparition des yeux. Systeme nerveux entierement differencie.
Embryon pret a eclore.
1
Adresse de Vauteur: Laboratoire de Biologie Animale, Faculte des Sciences d'Orsay,
Essonne (91), France.
182
A. LE MOIGNE
METHODES
Deux series d'embryons sont etudiees.
(1) Des embryons irradies au stade 4B sont examines 24 a 72 h apres, afin
de suivre les radiolesions dans les cellules atteintes avant leur necrose totale.
(2) Des embryons irradies entre les stades 4B et 5 sont examines quand ils
sont parvenus au stade 7 ou a l'eclosion. Cette serie permet d'etudier l'etat des
structures qui se sont differenciees malgre les irradiations.
L'ultrastructure des cellules differenciees apres irradiation est comparee a
celle des cellules saines au stade 7 et des cellules d'adultes etudiees par d'autres
auteurs (bibliographic dans Le Moigne, 19676).
Les techniques d'irradiation sont decrites dans Le Moigne, 1966. La dose de
rayonnement administree (3.000 r ) a ete choisie a dessein; elle est superieure a la
dose minimum suffisante pour empecher la regeneration chez les embryons
ages, evaluee a 750 r.
La preparation du materiel pour l'etude ultrastructurale a ete faite suivant
les procedes classiques, acide osmique tamponne ph 7,5 a 8 et inclusion dans
l'araldite (cf. Le Moigne, 19676).
RESULTATS
Etude des cellules embryonnaires, 24 h apres irradiation
On trouve apres 24 h des structures differenciees qui ne se distinguent pas des
structures normales, telles que l'epiderme embryonnaire, des fibres musculaires
en cours de differentiation, des cellules avec un ergastoplasme plus ou moins
developpe, semblables a celles qui sont decrites dans Le Moigne (19676).
Les cellules embryonnaires indifferenciees sont identifiees par leurs caracteristiques cytoplasmiques: tres nombreux ribosomes groupes en polyribosomes
ou isoles, absence d'ergastoplasme (planche 1, fig. B et planche 2, fig. D),
comme dans les cellules saines (Le Moigne, 1967 c). Les mitochondries peuvent
etre assez nombreuses, elles sont peu structurees, la matrix est tres claire; elles
peuvent etre isolees ou associees a des nodules d'emissions nucleaires (Le
Moigne, 1967 a).
Certaines de ces cellules ne montrent pas de radiolesion. On ne peut en
PLANCHE 1
Fig. A. Cytosome constitue par une cellule en necrose 3 jours apres irradiation. Le cytosome
est phagocyte et voisine avec des elements vitellins (Vi). On observe a son voisinage des
cellules differenciees apparemment saines (CD.). Cy; cytosome; N, noyau; M, mitochondrie. x 7.000.
Fig. B. Debut de dissociation nucleolaire 24 h apres irradiation au stade 4B. (a) granulations
de 150 A, (b) composant fibrillaire dense, (c) zone claire a fins filaments. Ch, chromatine
diffuse; E, emission nucleaire; M, mitochondrie; M.c, membrane cellulaire; M.n., membrane
nucleaire; Ri, nombreux ribosomes dans le cytoplasme. x 11.600.
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A. LE MOIGNE
PLANCHE 1
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PLANCHE 2
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PLANCHE 3
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A LE MOIGNE
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A. LE MOIGNE
Structures embryonnaires de Planaires
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deduire cependant qu'elles sont radioresistantes car les lesions sont encore peu
etendues, lorsqu'elles existent.
Dans les cellules lesees, le nucleole est anormal (planche 1, fig. B, et planche 2,
fig. D). Les nucleoles anormaux prennent souvent la forme d'une couronne qui
contient des granulations de 150 A environ (a) tres serrees, comme dans les
nucleoles sains. Mais ici le coeur du nucleole est forme d'un reseau tres lache de
fibrilles tres fines (c); elles existent aussi dans les nucleoles non irradies mais
le reseau y est beaucoup plus dense et masque souvent par les granulations
(planche 2, fig. C).
Toutes les observations sont faites sur des nucleoles de meme taille soit
3 a 4 / ( afin comparer des coupes proches d'un plan axial. II semble que les
alterations soient d'importance variable, la zone claire centrale etant plus ou
moins etendue. Les images de dissociation peuvent aussi etre moins regulieres,
avec des repartitions inegales des granulations de 150 A (a), des zones fibrillaires
denses (b) et de la zone claire (c); les contours du nucleole peuvent devenir
irreguliers et donner une impression d'emiettement (planche 1, fig. 2).
Je n'ai pas observe dans le nucleoplasme d'autre signe visible d'alteration;
la chromatine diffuse, les granulations interchromatiniennes paraissent normales
(planche 1, fig. B et planche 2,fig.D). Les passages de substances denses a travers
les pores nucleaires sont importants, et on peut voir au voisinage du noyau des
formations qui ne se rencontrent pas dans les cellules normales. Ce sont des
plages tres finement fibrillaires formant un nuage sans contours definis et des
plages de gros granules de 200 a 300 A, a contours anguleux.
Apres 24 h, les radiolesions se manifestent done essentiellement dans le
nucleole.
Etude des tissus embryonnaires 72 h apres irradiation
Tres rapidement les cellules indifferenciees se degradent, voisinant avec
d'autres cellules qui semblent poursuivre normalement leur differentiation
(planche 1, fig. A).
PLANCHE 2
Fig. C. Detail d'une cellule indifferenciee dans un temoin sain, stade 4B. Nucleole regulier,
granules de 150 A abondants. Chromatine diffuse, nombreux grains interchromatiniens
(G.i.). Ribosomes abondants (cercle). x 18.000.
Fig. D. Nucleole altere 'en couronne'. On retrouve les zones a, bete de la figure 1. Granules
interchromatiniens (cercle) membrane nucleaire percee de pores (M.n.), cytoplasme avec
ribosomes abondants (/?/.). x 7.000.
Fig. E. Detail du cytoplasme d'une cellule indifferenciee 72 h apres irradiation et vesicules
cytoplasmiques (v.), floues. Ribosomes (RL). plus rares. Mitochondries (M.) alterees a cretes
concentriques. M.n., membrane nucleaire percee de pores, x 24.000.
Fig. F. Nucleole de la meme cellule. II ne subsiste qu'un composant amorphe avec deux
masses arrondies plus denses, et un reseau de granules de 200 a 300 A (fleches). Absence de
granulations interchromatiniennes. x 17.300.
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A. LE MOIGNE
Etat des cellules en differentiation
Beaucoup de cellules en differentiation ne presentent aucune lesion visible
qui les distingue des cellules des embryons non irradies des memes stades
(Le Moigne, 1961 b). Elles ne sont cependant pas toutes epargnees. Parmi les
cellules atteintes on a pu reconnaitre des cellules musculaires, nephridiennes,
glandulaires, epidermiques, des cellules fixes du parenchyme et d'autres dont la
structure ne permet pas encore l'identification comme il est frequent aux
stades 5 et 6.
Les cellules lesees montrent dans leur cytoplasme de larges vacuoles, atteignant quelques microns de diametre et qui contiennent des formations membranaires laches, desordonnees ou concentriques, et des debris dont on ne peut
pas preciser la nature (planche 4, fig. I). Dans les memes cellules, les autres
constituants nucleaires et cytoplasmiques sont tout a fait normaux. L'importance
et le nombre des lesions varient suivant les cellules, et il est possible que celles qui
sont le plus atteintes soient vouees a une necrose rapide et totale, a la suite en
quelque sorte de blessures multiples. Mais dans l'ensemble ces lesions sont tres
localisees et nous verrons qu'on peut interpreter leur aspect comme un indice de
cicatrisation.
Etat des cellules lesees
Les alterations dues aux radiolesions sont plus marquees. Les dissociations
nucleolaires sont plus poussees, la structure du noyau et des organites cytoplasmiques est aussi atteinte. L'aspect des cellules lesees s'est diversifie. Les
unes evoquent celles qu'on vient de decrire apres 24 h dans un etat de degenerescence plus poussee, d'autres ont un noyau fragmente, les dernieres sont en cours
de necrose. Elles ont toutes en commun l'absence de formations cytoplasmiques
specialises, ce qui permet de croire que c'etaient des cellules indifferenciees.
1 ere categorie (planche 3, fig. G)
Ce sont des cellules de 20 a 25 pi, a noyau souvent lobe. Les nucleoles sont
generalement tres alteres. Leur contenu granulaire de 150 A s'est encore rarefie.
Le composant amorphe (Marinozzi, 1964) est tres apparent, avec des condensations arrondies, plus denses (planche 2, fig. F). Des granulations irregulieres de 250 a 300 A de diametre s'etalent en reseau dans la zone amorphe
PLANCHE 3
Fig. G. Vue d'ensemble d'une cellule radiolesee (lere categorie) 72 h apres irradiation. Noyau
avec chromatine (Ch.) condensee en quelques blocs, nucleole dissocie. Membrane nucleaire
et vesicules cytoplasmiques (v.) alteres, Ribosomes rares. Membrane cellulaire rompue
(M.c). x 7.000.
Fig. H. Cellule radiolesee (2e categorie) a noyau fragmente (fragments N1 a N5), membrane
nucleaire desagregee. Ribosomes rares dans le cytoplasme (Cy.), mitochondries a matrix tres
dense et a crete hypertrophiee (M.). F.m. fibre musculaire. x 5.200.
Structures embryonnaires de Planaires
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(planche 2, fig. F) ou se localisent a la peripherie. Une zone grossierement
fibrillaire peut etre distincte a cote du nucleole.
La dissociation du nucleole peut cependant ne pas apparaitre dans les cellules
qui par ailleurs presentent des lesions importantes du noyau et du cytoplasme.
Les feuillets de la membrane nucleaire des cellules lesees semblent se desagreger,
l'espace clair est irregulier (planche 3, fig. G). La chromatine s'est condensee
progressivement en quelques blocs compacts (planche 3, fig. G), le sue nucleaire
ne contenant plus qu'un tres fin reseau fibrillaire. Les granulations interchromatiniennes ont disparu (planche 2, fig. F).
Le cytoplasme s'appauvrit en organites, la- membrane cellulaire est souvent
rompue. Les ribosomes se dispersent et deviennent de plus en plus rares (planche
2, fig. E; planche 3, fig. G); on les reconnait a peine dans des granulations de
150 A qui sont isolees dans le cytoplasme (fig. G). On peut voir le long de la
membrane nucleaire, des plages de fibrilles comme apres 24 h. Des vesicules a
membrane floue comme la membrane nucleaire sont souvent presentes dans
le cytoplasme (planche 2, fig. E and planche 3, fig. G).
Les alterations des mitochondries sont variables. Elles peuvent avoir une
matrix dense, peu de cretes dont une ou deux sont hypertrophiees, ou quelques
cretes concentriques (planche 2, fig. E). Dans un etat de degradation plus
avancee, cretes et membrane limitante perdent de leur nettete et se rompent.
Une de ces cellules se trouve englobee dans le cytoplasme d'un phagocyte,
en compagnie de gros elements du vitellus, ce qui laisse presumer qu'elle disparaitra phagocytee.
2eme categorie (planche 3, fig. H)
Ce sont des cellules de grande taille, 20 a 40 fi. Le noyau est tres fragmente;
sa membrane est egalement desagregee. La chromatine est rare, dispersee ou en
petits amas; on voit peu de granulations interchromatiniennes.
Le nucleole est rarement visible. Sur les trois que j'ai pu observer, deux ont
des granulations ribosomiales abondantes, et ne sont pas dissocies.
Le cytoplasme est abondant et clair, les organites sont disperses. Les ribosomes isoles ou groupes en polysomes sont rares. De petites vesicules ou de
courtes cisternes a contours flous, de structure identique a celle de la membrane
PLANCHE 4
Fig. I. Cellule en cours de differenciation, 72 h apres irradiation, avec des lesions localisees.
Aspect sain des composants nucleaires et cytoplasmiques. Dans le cytoplasme, presence de
vacuoles isolant des structures detruites par des radiations, du restant du cytoplasme (fleches).
Cette cellule est situee sous l'epiderme caudal (Ep.). x 7.600.
Fig. J. Cellules nerveuses au stade 7, observees 96 h apres irradiation. Region caudale.
Structures cellulaires intactes. Activite cellulaire marquee par l'abondance des corps de
Golgi (G.), les nodules d'emissions nucleaires (£.), l'abondance des ribosomes et de l'ergastoplasme. Mv., Corps multivesiculaires, abondants dans les tissus nerveux. x 9.400.
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A. LE MOIGNE
nucleaire sont reparties dans le cytoplasme. Les mitochondries sont nombreuses, petites (0,2 a 0,3 ft de diametre), a matrix dense et cretes hypertrophiees;
d'autres, plus allongees ont des cretes concentriques. Bien que alterees, elles
peuvent rester associees a des nodules d'emission nucleaire.
Seme categorie (planche 1, fig. A)
Un dernier groupe est forme par des cellules phagocytees. On en trouve les
restes sous la forme de grands cytosomes englobes dans le cytoplasme de tres
grandes cellules phagocytaires a la peripherie du vitellus intestinal. La membrane cellulaire a le plus souvent disparu (fig. A), Pensemble des debris cellulaires s'est condense. On reconnait le noyau contourne ou fragmente avec la
chromatine condensee en blocs, des mitochondries alterees. J'ai pu, dans des
images semblables identifier egalement des vesicules, de rares ribosomes peutetre meme les restes d'un nucleole, mais jamais d'organite specialise.
Soixante-douze heures ont suffi pour entrainer chez les cellules que nous
venons de decrire des lesions profondes et generalisees. A cote de ces cellules,
les tissus en cours de differentiation survivent.
Etude des tissus d'embryons parvenus a Veclosion apres irradiation
au cours de V embryogenese
Les cellules des embryons examines dans cette serie sont dans le meme etat
que celles qu'on trouve au stade 7 chez un embryon normal, c'est-a-dire aussi
differenciees que chez l'adulte. On appreciera cette evolution en constatant par
exemple que des cellules tres differenciees comme les cellules musculaires ont des
organites aussi developpes chez un jeune eclos, irradie 11 jours plus tot au stade
4B, que chez un jeune normal.
Citons un autre exemple: des cellules nerveuses de la region caudale, irradiees
depuis 4 jours (planche 4. fig. J) ne montrent aucune reduction d'activite,
aucune lesion, et sont tout a fait comparables a des cellules nerveuses caudales
saines du meme age (cf. planche 6, Le Moigne, 19676).
J'ai pu de meme constater revolution des cellules epidermiques (planche 5,
fig. K) cellules glandulaires, cellules a granulations basophiles, cellules pigmentaires, cellules protonephridiennes, cellules phagocytaires, cellules fixes du
parenchyme (fig. K). Elles sont toutes comparables aux cellules saines.
Les tissus irradies different cependant des tissus sains par plusieurs aspects:
(1) La densite cellulaire est plus reduite dans les tissus irradies et les organes
sont plus petits. L'examen en microscopie photonique avait deja permis de faire
cette constatation (Le Moigne, 1966). Les espaces intercellulaires qui sont norPLANCHE 5
Fig. K. Stade 7: parenchyme sous-epidermique etudie 11 jours apres irradiation au stade 4.
B., membrane basale; Ep., epiderme; F.m., fibre musculaire; Ly, lysosomes; <V., fibres
nerveuses; P, cellules du parenchyme fixe, pauvre en organites cellulaires. x 7.800.
Structures embryonnaires de Planaires
187
malement tres reduits chez la Planaire adulte (Pedersen, 1961) et chez les jeunes
indivus sains a l'eclosion, sont accrus.
Les cellules du parenchyme fixe, avec leurs processus ramifies me paraissent
plus frequentes que chez les Planaires normales (planche 5, fig. K). Les ribosomes y sont tres rares, alors que dans les tissus non irradies ils existent, bien
qu'en faible densite. On trouve encore dans les cytoplasmes des vesicules
arrondies, claires ou avec un contenu dense de 0,2 a 0,5 (i de diametre, de la
categorie des lysosomes (planche 5, fig. K) (Pedersen, 1961); en outre, a la
difference des tissus sains, on peut trouver des inclusions de grande taille jusqu'a
20 ju, tres denses, a structure myelinique ou amorphe.
(2) La teneur en ARN etait plus faible, sur les coupes observees en microscopie photonique (Le Moigne, 1966). II semble egalement ici que la teneur en
ribosomes de certaines cellules soit affaiblie au bout de 11 jours, bien qu'elles
conservent leurs structures intactes: protonephridies, cellules glandulaires et,
comme on vient de le signaler, cellules fixes du parenchyme.
(3) Les cellules phagocytaires ont acquis un developpement qui me semble
plus important que dans les tissus sains; elles contiennent de gros phagosomes
avec des debris ou il arrive de pourvoir identifier des organites cellulaires
comme des mitochondries.
(4) II est une categorie de cellules qui semble avoir disparu apres 11 jours de
survie. Ce sont les cellules indifferenciees qu'on trouve a tous les stades de
Tembryogenese chez les jeunes Planaires normales (Le Moigne, 1967c). Ce sont
des cellules de ce type dont j'ai decrit la necrose precoce dans la premiere partie
de ce travail. La disparition de cette categorie de cellules qui est tres riche en
ARN, contribue aussi a l'impression d'appauvrissement en ARN que j'ai signale
ci-dessus.
Les cellules en cours de differentiation au moment de l'irradiation survivent
pendant un temps plus long que les cellules indifferenciees qu'on trouve totalement necrosees au bout de 3 jours. La duree de survie des cellules irradiees ne
peut s'apprecier qu'indirectement, d'apres celle des embryons irradies. Les
donnees fournies par 37 cocons irradies entre les stades 4B et 7, a des doses
variant entre 1.000 et 3.000 r mettent en evidence un temps de survie allant de
12 a 24 jours, avec une frequence maximum de 14 a 16 jours.
DISCUSSION
L'emploi des rayons X visait a detruire de facon preferentielle les cellules
indifferenciees. La microscopie electronique permet-elle de donner des preuves
du caractere indifferencie des cellules detruites? Et sont-elles les seules a etre
detruites?
Comme on l'a precise au cours de l'expose, on ne trouve dans les cellules qui
presentent des lesions generates, que des organites habituels du cytoplasme de
cellules embryonnaires. L'aspect fragmente du noyau dans les cellules les plus
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A. LE MOIGNE
volumineuses pourrait traduire une anomalie dans la division cellulaire; le
noyau evoque celui d'une cellule en fin de telophase, quand la membrane nucleaire se reconstitue autour des chromosomes. La reconstitution d'un noyau et la
cytodierese n'auraient pas eu lieu. La presence de cellules geantes multinucleees n'est d'ailleurs pas inhabituelle apres irradiations (Graham, 1963;
Hugon, Maisin & Borgers, 1965).
Le fait que des cellules d'une meme categorie se comportent differemment
apres irradiation est d'observation courante (Errera, 1959; Pipan, 1963;
Masurovsky, Bunge & Bunge, 1967) et resulte sans doute du fait que les mecanismes atteints varient d'une cellule a l'autre, chacune etant atteinte a un moment
different de son cycle mitotique. On obtient ainsi des bloquages de mitoses, des
arrets de syntheses comme celle de l'ARN, etc., ou la mort brutale des cellules.
Peut-on penser d'autre part que parmi les cellules en degenerescence il ait
pu se trouver aussi des cellules atteintes bien qu'etant deja en cours de differenciation? C'est peu probable si on se refere aux resultats d'irradiations pratiques
sur des blastemes de regeneration de Planaires. Les experiences de Kratochwil
(1962) et des essais personnels sur Polycelis (non publies) ont montre que des
Planaires irradiees a forte dose 24 et 48 h apres decapitation regenerent et
peuvent former un cerveau. Or, les observations de Sauzin (1967), montrent
que dans les cellules des blastemes de 24 h, la differenciation cellulaire n'est
marquee que par la presence d'un ergastoplasme tres reduit. II n'y a aucune
formation differenciee et les cellules sont cependant resistantes et capables de
les edifier par la suite. Les mecanismes sont certainement les memes chez les
embryons, et toute cellule venant d'entrer en differenciation doit resister.
Le deroulement de la degenerescence generalisee des cellules lesees est classique. On s'arretera cependant quelque peu sur certains aspects des lesions
nucleaires, qui sont les premieres lesions identifiables, et sur la disparition de
l'ARN cytoplasmique.
La vacuolisation et la dissociation du nucleole sont decrits apres divers types
d'irradiations (Lane & Novikoff, 1965; Parchwitz, Wittekindt & Wittekindt,
1965; Andres, 1963; Masurovsky et al. 1967; revue d'observations plus anciennes
en Errera, 1959). Des dissociations analogues apparaissent apres l'administration
d'inhibiteurs de la synthese d'ARN, actinomycine (Jezequel & Bernhard, 1964),
aflatoxine (Bernhard, Frayssinet, Lafarge & Le Breton, 1965), et apres administration de ribonuclease (Robineaux, Roselli & Moncel, 1967), les dernieres
manifestations etant reversibles. Cette reponse uniforme a des agents varies est
probablement une reaction propre au nucleole contre les agents qui le lesent
et inhibent la synthese d'ARN. La diminution de synthese apres irradiation
a aussi ete controlee biochimiquement (Goutier, 1961). Les autres lesions nucleaires se manifestent par la rarefaction de la chromatine, son agglutination
en quelques blocs et peut etre son passage dans le cytoplasme, a travers la
membrane nucleaire desagregee, sous forme de plages, comme on le signale sur
d'autres materiaux (Gillet, 1963; Hugon et al. 1965).
Structures embryonnaires de Planaires
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La diminution du nombre des ribosomes cytoplasmiques resulte certainement
de l'arret syntheses nucleaires. C'est un indice classique des degenerescences
apres irradiation (Hugon et ah, 1965; Lipkin, Quaster & Muggia, 1963). Elle
peut aussi etre due a une activite accrue de RNase liberee dans la cellule par les
radiolesions (Goutier, 1961).
Le reticulum endoplasmique, qui se presentait ici sous la forme de vesicules
arrondies, est altere comme la membrane nucleaire, et il est difficile, notamment
dans les cellules a noyau fragmente, de les distinguer des fragments de la membrane nucleaire desagregee.
Si les cellules indifferenciees subissent une disorganisation generalised sous
l'effet des radiolesions, il n'en est pas de meme des cellules en voie de differenciation. Ces dernieres forment des vacuoles qui isolent les regions lesees du restant
du cytoplasme. Hruban et al. (1963) constatent que ce phenomene de 'degradation cytoplasmique focale' est une reaction d'isolement des lesions localisees
que les cellules resorbent ensuite. II se retrouve aussi apres administration de
substances toxiques. Ishii (1965) l'observe apres un jeune prolonge dans les
cellules phagocytaires de Planaires qui subiraient un debut de degenerescence.
C'est probablement un mode de reponse uniforme des cellules lesees quel que soit
Fagent agresseur (Wrischer, 1965). Ici, chez les embryons de Planaires, ces
reactions sont done bien des signes de lesions par les rayons X, mais qui ne
concernent pas toute la cellule et peuvent etre en cours de cicatrisation; elle
sont d'ailleurs nettement moins apparentes apres 11 jours qu'apres 3 jours. La
reprise d'activite des syntheses chez les Planaires, apres les destructions causees
par les radiolesions a aussi ete constatee biochimiquement par Boriani &
Ghirardelli (1966); les syntheses d'ARN sont cependant plus faibles que chez les
temoins normaux, ce qui pourrait correspondre a la plus faible densite en
ribosomes de certaines cellules au stade 7.
CONCLUSION
(1) Les cellules en cours de differentiation resorbent leurs radiolesions localisees et continuent a evoluer. La survie des embryons irradies apres le stade 4B
s'explique done bien par le fait que les cellules des ebauches de Padulte ont commence a se differencier et sont devenues radioresistantes. Les organes sont plus
reduits que ceux des embryons normaux (Le Moigne, 1966), ce qui peut s'expliquer par des perturbations de la multiplication cellulaire.
(2) Les cellules indifferenciees au moment de l'irradiation subissent des
lesions generalisees et se necrosent. L'embryon survit cependant a partir du
stade 4B, mais en perdant le stock de cellules indifferenciees qui lui reste. La
petite Planaire ainsi formee est privee de toutes les cellules indifferenciees qui
existent dans le parenchyme normal a l'eclosion (Le Moigne, 1967 c). Le
pouvoir de regeneration est parallelement supprime, alors que tous les autres
types cellulaires que j'ai pu observer dans une jeune Planaire normale sont
presents, et notamment les cellules fixes du parenchyme.
13
J EEM
ig
190
A. LEMOIGNE
Les cellules indifferenciees du stade 7 font partie de la lignee des neoblastes;
la regeneration se deroule chez les jeunes comme chez l'adulte (Le Moigne, 1966)
et Sauzin (1967) a montre chez ces derniers que ce sont des cellules indifferenciees semblables a celles qui ont disparu chez les irradies, qui forment le blasteme
de regeneration.
En irradiant les embryons de Planaires des le debut de la differenciation, j'ai
done pu detruire la source des neoblastes qui sont des cellules restees indifferenciees, radiosensibles, et qui derivent directement des cellules embryonnaires
des premiers stades.
RESUME
L'examen au microscope electronique d'embryons de Polycelis nigra irradies
apres le debut de la differenciation des ebauches de Padulte permet de faire les
constatations suivantes.
1. Les cellules des ebauches continuent leur differenciation et acquierent une
structure normale. Elles ne subissent que des lesions locales qu'elles peuvent
reparer. Les tissus differencies sont moins abondants que chez un individu sain,
en raison sans doute de la perturbation des multiplications cellulaires.
2. Les cellules indifferenciees subissent des lesions generalisees et se necrosent. On ne les retrouve plus a l'eclosion, alors qu'elles existent dans les conditions normales. Correlativement, les jeunes eclos ne regenerent plus.
On peut en conclure que les rayons X detruisent preferentiellement les cellules
restees indifferenciees au debut de l'organogenese et que c'est dans ces cellules
que se trouve la souche des neoblastes qui existent normalement chez le jeune
a l'eclosion.
SUMMARY
Electron microscopic study of the fate of X-irradiated
embryonic planarian structures
1. Electron-microscopic examination of Polycelis nigra embryos irradiated
after the beginning of differentiation of the rudiments of adult structures was
undertaken.
2. The cells of the rudiments differentiated normally. They suffered only
local lesions which were repaired. The differentiated tissues were, however,
smaller than normal, presumably because of interference with cell proliferation.
3. Undifferentiated cells suffered generalized damage and died. They were
absent at hatching in irradiated animals although they are normally present.
The young hatchlings had lost the capacity to regenerate.
4. It appears that X-radiation preferentially destroys undifferentiated cells
at this period. It is from among these cells that are to be found the neoblasts
which are present in the normal hatchling.
Structures embryonnaires de Planaires
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