/ . Embryol. exp. Morph. Vol. 19, 1, pp. 49-82, February 1968 With 2 plates Printed in Great Britain 49 Teratologie experimentale chez un Opilion (Arachnide) Par CHRISTIAN JUBERTHIE1 Laboratoire Souterrain du C.N.R.S. a Moulis {Directeur: Professor Claude Delamare Deboutteville) Dans le grand ensemble des Arthropodes de nombreux morphologistes ont signale, decrit et figure un nombre eleve de cas teratologiques. Ces descriptions sont le plus souvent relatives a des cas isoles dont l'etude serait rendue longue et difficile si Balazuc n'avait groupe en des revues critiques les malformations decrites chez les Coleopteres (1948), les Hemipteres (1951), les Orthopteroides (1955), les Hymenopteroides (1958) et les Myriapodes (Balazuc & Schubart, 1962). II reste, cependant, beaucoup a faire dans cette branche descriptive de la teratologie, et en particulier chez les Opilions ou quelques animaux monstmeux seulement ont ete decrits, ainsi que je l'ai signale (Juberthie, 1963a, b). L'etude des stades successifs du developpement des malformations ou teratogenie, branche de la teratologie fondee par Dareste (1891), accuse un retard certain chez les Arthropodes par rapport aux Vertebres; elle est, en effet, inexistante chez les Myriapodes, et la plupart des groupes d'Insectes. Les causes de ce retard sont multiples, citons entre autres: la rarete des cas etudiables due a l'absence de methodes experimentales aptes a produire des malformations d'un type donne et previsible, et la difficulte de suivre le developpement de certaines monstruosites chez les Insectes superieurs, precisement les plus etudies. Dans ce domaine il faut, cependant, citer les travaux importants de Cappe de Baillon (1927,1931) chez les Phasmes; leur portee n'est cependant pas generate; les oeufs doubles sont, en effet, rares chez les autres Arthropodes, et la fusion plus ou moins complete de deux embryons ne peut, sauf exceptions, expliquer les malformations obtenues ailleurs que chez les Phasmes. La teratogenese, branche qui recherche les causes et le determinisme des monstruosites, est tres inegalement developpee selon les groupes. Des auteurs ont reproduit experimentalement des anomalies; ils ont utilise avec succes le thermocautere (Seidel, 1928; Campana-Rouget, 1959 a, b), les rayons ultra-violets (Geigy, 1931; Geigy &Luscher, 1942;Luscher, 1944; Enzmann, 1951), des produits toxiques(RothetHowland, 1941; Campana-Rouget, 1959a,&),lesgreffes(Bodenstein, 1937,1955; Balazuc, 1948, 1955; Penzlin, 1965; Bart, 1965a,6, I966a,b). Dans l'ensemble, cependant, la teratogenese experimentale en est chez les 1 Adresse de Vautew. Laboratoire Souterrain du C.N.R.S. a Moulis, Ariege, France. 4 JEEM 19 50 C. JUBERTHIE Arthropodes au stade ou elle etait chez les Vertebres avant l'utilisation des irradiations localisees (Wolff, 1936). II en resulte que beaucoup de malformations que j'etudie dans ce travail—symelie, heterosymelie, cyclopie, polymelie—ont ete produites experimentalement, pour la premiere fois chez les Opilions (Juberthie, 1963 a, b, 1964) et ne restent connues que par des descriptions rares de cas spontanes dans de nombreux groupes. I. POSSIBILITES CHEZ UN OPILION DE PRODUIRE DES MONSTRUOSITES DETERMINEES A L'AIDE D'UN AGENT TERATOGENE AYANT UNE ACTION GENERALE L'irradiation localisee, ainsi que Wolff (1936) Pa montre, est la methode de choix pour produire des malformations simples, previsibles, que Pon peut rapporter a la lesion d'ebauches precises. Notre but n'est pas de produire des monstruosites par cette methode, mais de montrer qu'un agent externe, la temperature a des intensites qui se rencontrent a certaines saisons dans le biotope de l'animal, peut produire des malformations simples et dans l'ensemble previsibles lorsqu'elle est appliquee a des moments precis du developpement embryonnaire. Nous avons, en effet, montre (Juberthie, 1963 c, b, 1964) qu'Odiellus gallicus, Opilion de la famille des Phalangiidae, est une espece particulierement favorable pour les recherches de teratologie experimentale. Independamment de facteurs mal connus determinant un terrain favorable a la formation des anomalies, la sensibilite d'Odiellus gallicus aux agents provoquant des malformations est en rapport avec les conditions thermiques requises pour son developpement embryonnaire, decoulant elles-memes des caracteristiques de son cycle. Celui-ci est strictement lie aux saisons et identique d'une annee a Pautre; les oeufs sont pondus dans le sol en octobre et novembre, par des adultes qui meurent avant l'hiver et les oeufs se developpent de novembre a mars, sans diapause, d'autant plus lentement que la temperature est plus basse, leur developpement ne s'arretant que lorsque la temperature devient inferieure a 0 °C; les adultes provenant de ces ceufs apparaissent en aout-septembre. Le facteur principal qui assure la regulation de ce cycle est la temperature; en effet, une temperature moyenne trop elevee, en ete, peut entrainer Papparition de femelles precocement adultes, mais elle bloque leur vitellogenese et leur ponte jusqu'a ce que des conditions plus favorables apparaissent, correspondant a celles du mois d'octobre; de plus, la temperature du sol en ete est trop elevee pour que des oeufs, qui seraient pondus par des femelles exceptionnelles adultes au printemps de Pannee suivant celle de leur sortie de l'ceuf, se developpent normalement. La regulation par la temperature, de la vitellogenese et de la ponte d'une part, du developpement embryonnaire d'autre part, se traduit dans le cas de retention temporaire des ceufs par la formation d'embryons monstrueux non viables a partir des oeufs pondus en etat d'hypermaturite. Teratologie chez un Opilion 51 Chez les femelles en vitellogenese le mode de formation des monstruosites, sous l'effet de la temperature, est difficile a etudier; en effet: — les reperes de l'etat de croissance des ovules manquent sur le vivant; — la temperature a une action complexe a la fois sur la femelle, les ovules, les mecanismes de la ponte; — enfin, les monstruosites obtenues sont tres complexes, difficiles a definir et a etudier. En revanche, 1'utilisation de temperatures definies sur des stades precis du developpement embryonnaire permet d'obtenir des malformations simples, etudiables, et se rattachant a un ou plusieurs types previsibles. Nous nous attachons exclusivement a ce mode de formation. Pour justifier la technique utilisee et pour comprendre le fait, actuellement exceptionnel chez les Arthropodes, que des temperatures de l'ordre de 17° a 20 °C provoquent des monstruosites, il est necessaire de rappeler que les ceufs se developpent dans le sol a des temperatures hivernales, et de preciser brievement les conditions thermiques requises par le developpement embryonnaire. L'optimum thermique, temperature donnant la plus grande vitesse de developpement pour un taux de mortalite et de malformation nul, est de 11 °C de la ponte a la formation des six somites du prosoma, c'est-a-dire pendant les 15 a 19 premiers jours de developpement a 11 °C; il augmente ensuite progressivement pendant les phases de metamerisation du prosoma et d'inversion jusqu'a 25 °C, et se stabilise a ce niveau pendant toute la phase d'organogenese larvaire jusqu'a la mue embryonnaire et l'eclosion. Entre les optimums thermiques et les temperatures letales des differents stades, existe une gamme de temperatures supraoptimales teratogenes; ces temperatures teratogenes suivent une evolution parallele a celle de 1'optimum thermique; de 16-18 °C a 23-24 °C de la ponte a la formation des somites elles s'elevent progressivement et s'etablissent de 27-28° a 31-32 °C au cours de la phase d'organogenese larvaire. II est important de souligner qu'un facteur ecologique du biotope ou vit cet Opilion est apte a produire des monstruosites tres diverses. Or, souvent, les malformations ont ete obtenues a l'aide d'agents experimentaux auxquels les animaux ne sont pas soumis dans les conditions naturelles ou qu'ils ne subissent pas aux intensites utilisees (rayons X, rayons ultra-violets, gaz toxiques, cauterisation, greffes). Une liaison importante apparait ainsi entre l'ecologie d'une espece, l'action teratogene d'un facteur externe et la teratogenese experimentale; il en resulte que les conclusions relatives a l'origine des monstruosites decelees par cette methode sont pour l'espece considered applicables aux cas spontanes. Les Opilions teratologiques recoltes dans la nature sont cependant rares; on connait en effet, 1 cas de cyclopie, 1 de symelie, 1 de schistomelie, 4 cas d'anomalie de la segmentation (Juberthie, 1963a, b). La letalite de la plupart des embryons monstrueux rend partiellement compte de cette rarete; a celle-ci s'ajoute le fait que ceux qui eclosent meurent en general a la premiere mue nymphale, a defaut a la seconde, ou autotomisent l'appendice monstrueux dans 4-2 52 C. JUBERTHIE le cas de schistomelies; le jeune monstre qui passe le cap de deux mues est, de ce fait, veritablement l'exception; seules rheliccmerie et les anomalies de la segmentation semblent compatibles avec la vie; elles correspondent, du reste, aux cas spontanes les plus frequemment observes; enfin, les conditions favorables a la production de monstruosites, temperature, femelles precoces ou sortant du cycle normal, sont tres rarement realisees; ainsi, parmi les quelques milliers d'O. gallicus recoltes sub-adultes ou adultes, je n'ai jamais observe un monstre. II. TECHNIQUES ET PROTOCOLES EXPERIMENTAUX Des observations preliminaries nous ont conduit a etudier specialement les principals malformations des pattes et des yeux. Ces malformations sont obtenues en exposant des oeufs a des temperatures teratogenes comprises entre 18°et24 °C (20°, 23°, 23,5 ° ±0,5 °C), aux stades de developpement anterieurs a la differentiation des somites du prosoma et se deroulent a 11,5 °C de 5 a 16 jours apres la ponte. Les oeufs sont soumis, 25, 28 ou 38 jours a ces temperatures; la duree de l'action de la temperature teratogene est relativement longue, car des chocs thermiques courts, de Fordre de ceux qui produisent des monstruosites chez les Batraciens, ne provoquent aucune anomalie chez O. gallicus. Les stades experimentes sont les seuls a etre exposes a la temperature teratogene durant 25 a 38 jours, bien qu'ils se deroulent en 11 jours a 11°5 C; en effet, sous Faction d'une temperature supra-optimale, le developpement embryonnaire se ralentit puis se bloque aux stades de formation des somites du prosoma. Les oeufs sont ensuite mis de nouveau a 11,5 °C; le developpement reprend son cours et les malformations deviennent visibles. Les oeufs utilises sont pondus au laboratoire par des femelles recoltees pretes a pondre, en octobre, pres de Toulouse (Haute-Garonne). Les perturbations que l'elevage pourrait produire sont ainsie liminees, et les oeufs obtenus ne donnent dans des conditions normales de temperature que des embryons normaux. Les pontes renfermant une centaine d'oeufs sont frequentes; elles sont subdivisees en deux lots ou plus dont l'un est conserve comme temoin a 11,5 °C. Les oeufs sont mis dans des boites de Petri dont le fond est recouvert de papier Joseph maintenu constamment humide. L'apparition et le developpement des malformations sont suivis a la loupe binoculaire en immergeant les oeufs dans de l'huile de paraffine le temps de l'observation. La taille des oeufs, de 0,9 a 1,2 mm de diametre selon le stade, est sumsante pour permettre des observations fines. III. TYPES ET FREQUENCES DES MONSTRUOSITES Dans les experiences rapportees ici, 1800 oeufs ont ete utilises, dont 434 temoins; 240 ont ete exposes a 20 °, 300 a 23 ° et 826 a 23,5 ± 0,5 °C. Les ceufs des deux premieres series ont ete groupes par lots de 20 et experimentes a 20 °C, 6, 8, 10, 12, 14 et 16 jours apres la ponte, et a 23,5 °C, 8, 12, 16, 18 et 20 jours Teratologie chez un Opilion 53 apres la ponte. Les oeufs de la derniere serie ont ete soumis uniquement 12 jours apres la ponte a 23,5 °C, les differences obtenues dans les series precedentes selon le moment auquel l'experience commence ne semblant pas significatives. L'examen des monstruosites obtenues conduit a la mise en evidence de plusieurs faits: (1) La temperature provoque un nombre eleve de monstruosites; 475 cas pour 826 oeufs experimentes a 23,5 °C, seule serie ou toutes les anomalies morphologiques ont ete relevees; ces cas sont portes par 370 embryons, c'est-adire par 45 % des oeufs. (2) Les monstruosites portent principalement sur les appendices, les yeux et la segmentation. 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 20 20,5 21 21,5 22 22,5 23 23,5 24 Fig. 1. Frequence de differentes monstruosites en fonction de la temperature. O, Symelie de type a; • , symelie de type b; A, heterosymelie; • , anophtalmie; • , cyclopie. (3) L'intensite de lajemperature influe sur la frequence des monstruosites. Les symelies de type a (soudure des appendices homologues par leur face ventrale) sont nombreuses a 20 °C et deviennent rares a 23 °C et encore plus a 23,5 °C, tandis qu'inversement les heterosymelies peu frequentes a 20 °C deviennent nombreuses a 23° et 23,5 °C. Les symelies de type b (soudure des appendices par leur face dorsale) n'apparaissent qu'a 23 ° et 23,5 °C, de meme que les cyclopies et les anophthalmies (Fig. 1). (4) Les differentes malformations sont plus ou moins frequentes; la symelie et rheterosymelie dominent, la premiere a 20 °C, la seconde a 23 °C; les ectro- 54 C. JUBERTHIE melies, les atrophies des appendices, les polymelies, les helicomeries sont nombreuses, tandis que la cyclopie, l'anophtalmie, la schistomelie sont moins frequentes. IV. ETUDE DES SYMELIES La symelie, relativement frequente a l'etat spontane chez les Vertebres, est par contre rare chez les Arthropodes terrestres. Les cas signales dans ce groupe peuvent etre rapidement passes en revue. Arendsen Hein (1920) a decrit un individu de Tenebrio molitor dont les hanches des pattes prothoraciques sont fusionnees. Quelques cas ont ete signales chez la Drosophile par Hoge (1915), Morgan, Bridges & Sturtevant (1925) et Goldschmidt, Hannah & Piternick (1951). Lupo (1947) a decrit, chez une ouvriere d'Apis mellifica ligustica, la fusion des pattes anterieures jusqu'au tibia inclusivement. Balazuc & Tempere (1958) ont decrit chez le Coleoptere Stomis pumicatus un individu dont les palpes labiaux sont fusionnes dans leur partie basale. Chez les Opilions, j'ai signale (19636), chez un embryon &Ischyropsalis luteipes pret a eclore, la fusion des pattes de la deuxieme paire jusqu'au metatarse inclusivement. L'origine de la symelie a ete demontree experimentalement chez les Vertebres par Wolff (1936). Chez Leptinotarsa decemlineata quelques cas de fusion des pattes prothoraciques et des pattes metathoraciques ont ete obtenus, a la suite de sections transversales du germe avant gastrulation (Haget, 1950, 1953). Tableau 1 Embryons a bandelette en Y N. emb. sym. P 4* N. emb. sym. P 4, P 3 N. emb. sym. P 4, P 3, P 2 N. emb. sym. P 4, P 3, P 2, P 1 N. emb. sym. P 4, P 3, P 2, P 1, Ped. N. emb. sym. P 4, P 3, P 2, P 1, Ped., Chel. N. emb. sym. P 4, P 3, P 2, P 1, Ped., Chel., Yeux Total des embryons symeles 9 15 21 13 12 3 5 78 Embryons a bandelette en X N. emb. sym. Chel N. emb. sym. P 1 N. emb. sym. P 2 N. emb. sym. P 3 N. emb. sym. Chel., Ped. N. emb. sym. P 2, P 3 N. emb. sym. Chel., Ped., P 1 N. emb. sym. Ped., P 1, P 2 N. emb. sym. P I , P 2, P 3 N. emb. sym. Ped., P 1, P 2, P 3 Nombre total d'embryons porteurs de symelies 2 3 1 2 2 5 1 2 1 2 21 * N. emb. sym. P 4 = nombre d'embryons ayant les pattes 4 fusionnees. Ped. = pedipalpe. Chel. = cheliceres. 55 Teratologie chez un Opilion Symelies de type a Les symelies de type a correspondent a la soudure de deux appendices homologues par leur face ventrale. Differents cas et frequences La fusion des deux cheliceres, des deux pedipalpes, ou des pattes 1, 2, 3 ou 4 ont ete obtenues. Chaque appendice est done susceptible de se fusionner a son homologue. (0 Fig. 2. Differents types d'embryons symeliens a bandelette en Y. (a) Symelie des P 4. (b) Symelie des P 4 et des P 3. (c) Symelie des P 4, des P 3 et des P 2. (d) Symelie de toutes les pattes. (e) Symelie des pattes et des pedipalpes (ped.). (f) Symelie des pattes, des pedipalpes, des cheliceres (ch.) et cyclopie. Un embryon peut presenter de 1 a 6 paires d'appendices symeles; les differents cas sont dessines Fig. 2 et 3 et portes dans le tableau 1. Les cas de symelies peuvent etre classes en deux categories: — dans la premiere, la monstruosite progresse apparemment d'arriere en avant, interessant toujours au moins la derniere paire de pattes et portant sur un nombre d'appendices successifs de plus en plus eleve, de sorte que l'embryon a une bandelette germinative en forme de Y (Fig. 2; Tableau 1); — dans la seconde, la paire ou les paires d'appendices 56 C. JUBERTHIE symeles sont situees entre des paires normales, non fusionnees, ou entre des appendices normaux et des yeux normaux, de sorte que la bandelette germinative a la forme d'un X (Fig. 3; Tableau 1). La frequence des symelies differe selon les appendices. La soudure d'une seule paire d'appendices (pattes, pedipalpes ou cheliceres) est plus rare que la soudure de plusieurs paires (17 cas sur 99, Tableau 1). Fig. 3. Differents cas de symelie chez des embryons a bandelette en X. (a) Symelie des P L (b) Symelie des P 2 et des P 3 . (c) Symelie des pedipalpes (ped.) et des trois premieres paires de pattes. Tableau 2. Frequence des symelies Appendice P4 P3 P2 PI Ped Chel Nombre de cas chez Nombre de cas chez les embryons en Y les embryons en X 78 70 55 34 20 7 0 8 9 8 6 3 Total 78 78 64 42 26 10 La symelie des trois paires de pattes posterieures est plus frequente que celle des trois paires d'appendices anterieurs (cheliceres, pedipalpes, pattes 1), et, ainsi que le montre le tableau 2, la frequence des symelies diminue progressivement des appendices posterieurs aux anterieurs. Degre de soudure. Les pattes sont soudees sur une plus ou moins grande longueur, et tous les cas ont ete observes entre une soudure limitee aux hanches et une fusion complete interessant tous les articles et les griffes. Chez les embryons a bandelette en Y les appendices posterieurs sont toujours les plus fusionnes et le degre de soudure diminue au fur et a mesure que Ton considere des appendices plus anterieurs; chez les embryons a bandelette en X, l'appendice situe entre deux appendices symeles est le plus touche par la monstruosite. Teratologie chez un Opilion 57 Mode de soudure. Un exemple choisi parmi d'autres permet de montrer comment les appendices homologues se fusionnent dans ce type de symelie. II est relatif aux pattes de la premiere paire d'un embryon dont les quatre paires d'appendices locomoteurs sont symeles, les pattes 4 l'etant sur toute leur longueur. La partie fusionnee se limite aux handles, aux trochanters et a une partie des femurs, les autres articles, patelle, tibia, metatarse, tarse, sont libres (Fig. 4). Le mode de fusion se deduit de la comparaison des femurs symeles et d'un femur normal. Pa.-/ fe.- Fig. 4. Pattes de la premiere paire au stade larvaire fusionnees jusqu'au niveau des femurs. A, mode de fusion des femurs. B, aspect des pattes 1 symeles. C, schema de la section transversale de la patelle. D, schema de la section transversale de l'appendice au niveau ou debute la soudure. E, schema de la section transversale au niveau de la partie fusionnee des femurs, d, rangee dorsale de poils; Id., rangee latero-dorsale de poils; l.v., rangee latero-ventrale de poils; h., hanche; fe., femur; pa., patelle; //., tibia; me., metatarse; ta., tarse. Le femur normal possede cinq aretes portant chacune une rangee de poils; sa coupe transversale est un pentagone, presentant une arete dorsale, une face ventrale, et, de chaque cote, une arete latero-dorsale et une arete latero-ventrale (section analogue a celle de la patelle, Fig. 4C). Sur les femurs partiellement symeles, on reconnait cette forme en pentagone et les cinq rangs de poils, dans les deux parties libres distales; a l'endroit ou la soudure commence, les femurs sont en contact par leur face ventrale, les rangs de poils latero-ventraux etant nettement separes (poils l.v., Fig. 4A, D); a mi-hauteur des femurs, la fusion est un peu plus intense, et les rangees de poils latero-ventrales sont imbriquees (Fig. 4 A, E); a la base des femurs, le degre de fusion est maximum, et le volume 58 C. JUBERTHIE du femur est reduit, les faces latero-ventrales tres etroites et reduites, la rangee de poils l.v. ayant presque completement disparu. En conclusion, la fusion des pattes 1 s'est faite par leur face ventrale, article par article. Le mode de soudure des autres pattes, des pedipalpes et des cheliceres est identique. II est a noter que la fusion de deux appendices homologues sur toute leur longueur s'accompagne le plus souvent d'une diminution de leur volume par disparition des faces laterales, et, dans les cas. les plus pousses, de l'atrophie de la partie distale de Pappendice symele. La fusion se fait toujours article par article et le mode de fusion par les faces ventrales entraine l'ankylose de l'article. La fusion des articles provoque la disparition de leurs parties ventrales, tandis que les parties dorsales gardent leur individualite et tous leurs caracteres morphologiques; il n'y a done pas reorganisation du materiel cellulaire de l'ebauche pour constituer un appendice harmonieux. Formation et developpement embryonnaire de Vebauche symele La soudure des ebauches des appendices devient visible sur le vivant des le debut de leur croissance sur les somites du prosoma. A ce stade, chez les embryons normaux, les ebauches sont de petits massifs triangulaires vus de face (Fig. 9 b vouir p. 72), disposesen deux series paralleles de part et d'autre de la ligne medio-ventrale. Chez les embryons teratologiques, en revanche, les ebauches homologues sont plus ou moins rapprochees et soudees. A un stade un peu plus avance, par exemple chez l'embryon represente Figure 2 C, ce phenomene est bien visible; les ebauches de la quatrieme paire de pattes sont les plus intimement fusionnees et forment un seul massif conique; le rapprochement de celles de la troisieme paire est moins important, et les sommets des deux ebauches sont restes independants; enfin, les ebauches de la deuxieme paire sont encore moins rapprochees, et elles ne sont fusionnees que dans leur partie basale. Le rapport de la longueur de la partie fusionnee a celle des deux parties libres se modifie de facon importante au cours de la croissance en longueur des ebauches. Fusion des organes internes. Ainsi que le laisse supposer le mode de formation des symelies, entrainant le rapprochement et la soudure locale des deux moities de la bandelette germinative, la symelie ne se limite pas a la fusion des appendices mais retentit sur certains organes internes. L'etude histologique des larves et des nymphes symeliennes montre que la partie droite et la partie gauche des neuromeres sous-oesophagiens correspondant a une paire d'appendices symeles sont egalement fusionnees en un massif nerveux impair dont le volume est reduit. Les nerfs des pattes partiellement fusionnees sont encore independants mais ils sont presque accoles et quittent la masse nerveuse sous-oesophagienne par sa face ventrale, presque dans le plan sagittal. 59 Teratologie chez un Opilion Symelies de type b Ce type de symelie, caracterise par la soudure des appendices par leur face dorsale, n'a pas ete signale dans mon travail de 1964. Je ne Pai pas observe, en effet, dans les experiences faites de 1960 a 1964 a 20 et 23° C, et je ne Pai obtenu que recemmentdans les series d'ceufs exposes a 23,5 ± 0,5 °C. Six cas ont ete observes, dans trois lots provenant de pontes faites par trois femelles. Les caracteristiques des embryons sont resumees dans le tableau 3. Tableau 3. Symelie de type b Symelies Nombre d'embryons Cheliceres Chel. + Ped. Chel. + Ped. + P l Chel. + Ped.+ P1 + P2 2 3 0 1 Malformations associees Anophtalmie Anophtalmie Anophtalmie — ch.sy. ped. Fig. 5. Larve prete a eclore porteuse de cheliceres en position paradoxale fusionnees par leur face externe, correspondant a une symelie de type b; prosoma(/>.) a segmentation rayonnee en relation avec la disparition des yeux; dent d'eclosion absente. A., zone oculaire; ch. sy., cheliceres symeles; ped., pedipalpe. Les embryons monstrueux se caracterisent par la disparition des yeux et la soudure d'une ou de plusieurs paires d'appendices anterieurs: cheliceres, pedipalpes, pattes 1 ou 2. A partir des ebauches oculaires, Panomalie s'etend de proche en proche aux appendices, et en corollaire l'intensite de la fusion est maximum pour les cheliceres et devient de plus en plus faible pour les autres appendices; ces embryons sont symetriques, pour ces deux points, des embryons a bandelette en Y. Les appendices sont fusionnes par leur face dorsale (pedipalpes et pattes) ou presque dorsale (cheliceres), ce qui les conduit a occuper des positions paradoxales sur Pembryon (Fig. 5); ils sont, en effet, medians et diriges vers la face dorsale, les cheliceres formant comme une corne tri- ou quadridentee a Pavant 60 C. JUBERTHIE de 1'animal dans les cas les plus simples (Planche 1, fig. C); de plus, Pordre des appendices symeles est inverse et, par exemple, chez un embryon au stade larvaire porteur de cheliceres et de pedipalpes symeles, l'ordre des appendices en partant du front du cephalothorax est le suivant: pedipalpes symeles, cheliceres symeles, P I , P2, P3, P4; dans le cas de l'embryon presentant les quatre premieres paires d'appendices symeles l'ordre est le suivant: pattes 2 sym., pattes 1 sym., pedipalpes sym., cheliceres sym., P3, P4. La soudure des pedipalpes par leur face dorsale est bien visible, leurs griffes etant dos a dos. Les Fig. 11N., A. et B. (voir p. 75) montrent les positions des cheliceres respectivement chez un embryon normal et chez un symelien de type a et un de type b. La main des cheliceres normales a une face anterieure pilifere se terminant par deux doigts diriges ventralement, dont Fun, fixe, est en position interne, et l'autre, mobile, est en position laterale. La face anterieure de la main des cheliceres symeles se reconnait aux poils qu'elle porte, mais la partie laterale de chacune des mains a disparu lors de leur soudure et les doigts mobiles sont soudes a leur base; les doigts fixes, en revanche, sont independants et sont en position laterale. Par rapport aux cheliceres normales, chaque chelicere a dans ce type de symelie subi apparemment une rotation de 180° vers la face dorsale de l'embryon, amenant dans le plan median sa face laterale au contact de la face laterale de l'autre chelicere. En fait, ainsi que nous le verrons, ce mode de soudure resulte du deplacement des ebauches des cheliceres vers l'axe dorsal, sur le somite chelicerien. V. ETUDE DE LA CYCLOPIE ET DE L'ANOPHTHALMIE La cyclopie est une monstruosite rare a l'etat spontane chez les Arthropodes. Elle n'a ete observe dans le groupe des Insectes, d'apres Balazuc (1958), que chez les Hymenopteres: Apis mellifica, Notogenia pompiliformis, Salius exaltatus, Pimpla detrita, Habrobracon juglandis. Elle est inconnue chez les Myriapodes, et le seul cas signale a notre connaissance chez les Arachnides est celui decrit par Cirdei (1955) chez l'Opilion Lacinius ephippiatus; cet exemplaire presente un PLANCHE 1 Fig. A. Symelie de type a des ebauches de tous les appendices. Fig. B. Embryon pret a eclore presentant une symelie presque complete des pattes 1, 2, 3 et 4. Notez le retrecissement du corps de l'embryon au niveau des pattes symeles. Fig. C. Symelie des cheliceres de type b; dm = doigt mobile; embryon vu de face; doigts des cheliceres diriges vers la face dorsale du corps, voir fig. 5, p. 59. Fig. D. Nymphe 1 normale, vue de dessus. Fig. E. Nymphe 1 cyclope, vue de dessus. Fig. F. Helicomerie dicyclique dextrogyre; nymphe 1. Fig. G. Helicomerie monocyclique levogyre; nymphe 2. Fig. H. Nymphe 1 presentant des pattes 4 supplementaires incompletes, vue ventrale. Fig. I. Polymelie nymphe 1 presentant une hanche 4 supplemental a gauche, vue ventrale. /. Embryol. exp. Morph., Vol. 19, Part 1 PLANCHE 1 facing p. 60 J. Embryol. exp. Morph., Vol. 19, Part 1 C. JUBERTHIE PLANCHE 2 Teratologie chez un Opilion 61 seul ceil median de taille normale mais dirige dorsalement. Aucune des methodes utilisees chez les Arthropodes n'avait permis jusqu'a present de reproduire cette anomalie. Chez les Vertebres, par contre, le mode de formation de cette monstruosite a ete demontre experimentalement par Wolff (1936). Nous avons obtenu vingt-six cas de cyclopies, exclusivement chez les oeufs exposes a 23° et 23,5 °C (Tableau 4). Cette monstruosite est presente, a l'exclusion de toute symelie, chez dix-huit embryons, qui ont presque tous ete obtenus a la temperature la plus elevee. Chez les autres embryons la cyclopie est associee a la symelie: chez cinq elle est associee a la symelie de tous les appendices, chez deux autres a la symelie des appendices les plus proches des yeux. (Cheliceres et pedipalpes.) Tableau 4 Nombre d'embryons Cyclopies Cyclopie 18 Cyclopie + symelie Chel. Cyclopie + symelie Chel., Ped., P 1 Cyclopie + sym. Chel., Ped., P 1, P 2, P 3, P 4 Cyclopie + symelie P 4 Total Anophtalmies Anophtalmie Anophtalmie +symelie Chel. {b) Anophtalmie+ sym. Chel., Ped (b) Anophtalmie+ sym. Chel., Ped, P 1, P 2(6) Anophtalmie et atrophie de tous les appendices Total 1 1 5 1 26 Anomalie associee Heterosymelie Ped.-P 1 chez 3. Helicomerie chez 1 Micropthtalmie chez 1 Micropthtalmie Micropthtalmie — Heterosymelie P 2, P 3 — 10 3 1 1 3 — — — — — 18 — PLANCHE 2 Fig. A. Heterosymelie partielle des ebauches du pedipalpe et de la patte 1 droite; stade IV 5. Fig. B. Heterosymelie partielle des ebauches des pattes 2 et 3; stade IV 4. Fig. C. Heterosymelie presque complete du pedipalpe et de la P 1 droite; les griffes seules sont independantes; vue de dessus; nymphe 1. Fig. D. Heterosymelie partielle du pedipalpe droit et P 1 droite; notez, d'un cote le tarse du pedipalpe libre, et de l'autre Fensemblemetatarse-tarse de la patte; vue de dessus; nymphe 1. Fig. E. Heterosymelie pedipalpe P 1 limitee au femur; vue de dessus, au premier stade nymphal elle correspond a peu pres au developpement de la monstruosite, represents fig. A; nymphe 1. Fig. F. Heterosymelie pedipalpe et P 1 gauche a l'exclusion de la partie distale des tarses; vue de dessus; nymphe 1. Fig. G. Heterosymelie P 2, P 3 gauche jusqu'a la base des patelles, stade larvaire. Fig. H. Heterosymelie heterodyname pedipalpe (grele) P 1 gauche; vue ventrale; nymphe 1. 62 C. JUBERTHIE L'appareil oculaire d'un Odiellus gallicus normal est constitue de deux yeux portes par un tubercule bas implante sur la face dorsale du prosoma; les deux yeux sont contigus dans le plan median et chacun est forme d'un seul cristallin de 150 /i de diametre dont l'axe optique est dirige latero-dorsalement (Planche 1, fig. D). Les animaux cyelopes, qui se developpent en general jusqu'aux stades proches de Peclosion et effectuent leur mue embryonnaire, presentent un oeil unique, situe dans le plan median, porte par un tubercule droit, tres bas, en forme de cylindre; l'axe optique est tout a fait vertical (Planche 1, fig. E), et le diametre du cristallin est le plus souvent voisin de celui d'un oeil normal. Le developpement de cette anomalie a ete suivi sur le vivant au cours du developpement embryonnaire. Au stade ou les bourgeons des appendices se differencient, les plaques cephaliques des embryons atteints de cyclopie ne forment pas deux masses semi-circulaires de part et d'autre du plan median comme dans le cas normal (Fig. 2 a), mais une plaque circulaire, impaire et mediane (Fig. 2/), occupant une surface reduite. Un seul repli oculaire, impair et median, se forme, qui aboutit a la formation d'un oeil impair. La partie centrale de chaque plaque cephalique est constitute par l'ebauche du cerveau, qui ulterieurement s'enfoncera dans le corps; la fusion des deux plaques cephaliques en une seule entraine egalement la fusion de la partie droite et de la partie gauche de l'ebauche du cerveau en une masse unique de taille reduite. De plus, les ebauches impaires situees entre les deux plaques, telles que le rostre, disparaissent. La cyclopie est done induite par le meme processus que les symelies. Lorsque la cyclopie se manifeste seule, le processus de fusion n'atteint que la partie tout a fait anterieure de la bandelette germinative; dans certains cas, ce processus a gagne le ou les premiers somites; enfin, dans les cas ou la cyclopie s'accompagne de la symelie de tous les appendices, il correspond a la fusion complete des deux moities de la bandelette germinative, et represente la manifestation la plus poussee du processus de fusion. La cyclopie peut s'accompagner de microphtalmie; trois cas de ce type ont ete observes. Vanophtalmie (dix-huit cas) resulte d'une fusion des plaques cephaliques aux stades embryonnaires, entrainant la disparition des yeux. On retrouve comme pour la cyclopie (Tableau 4), des cas ou l'anophtalmie est la seule malformation portee par l'embryon, d'autres ou elle est accompagnee de la symelie d'un nombre variable d'appendices. Enfin, notons qu'elle est realisee dans tous les cas de symelie de type b; ceci pose le probleme du mode de fusion des deux plaques cephaliques; nous verrons que dans ces cas particuliers il est different de celui des cyclopies. Teratologie chez un Opilion 63 VI. ETUDE DES HETEROSYMELIES L'heterosymelie, terme que j'ai cree pour distinguer la fusion d'un ou de plusieurs appendices successifs de la fusion de deux appendices homologues (1963 a), est assez repandue a l'etat spontane chez les Arthropodes, aussi bien chez les Arachnides (Acariens, Pseudoscorpions), et chez les Insectes (Anoploures, Coleopteres, Orthopteres, Hymenopteroiides) que chez les Myriapodes (Symphyles); je renvoie a mon travail de 1964 pour les differents cas signales dans chaque groupe. Un cas vient d'etre decrit chez une Araignee par Mikulska et Kokociriski (1966). Chez Odiellus gallicus cette monstruosite affecte de facon plus ou moins intense deux, trois ou quatre appendices successifs quels qu'ils soient. Frequence des differents cas. Les heterosymelies binaires sont de loin les plus frequentes ainsi que le montre le tableau 5, A. Tableau 5. Heterosymelies Nombre de cas A. Heterosymelies Binaires Ternaires Quaternaires 130 15 2 Total B. Heterosymelies binaires Unilaterales Bilaterales 147 68 31 Tableau 6. Frequence des heterosymelies selon les appendices Types Chel. + Ped. Ped. + Pl P1 + P2 P2 + P3 P3 + P4 Nombre de cas 20 86 2 15 7 Pourcentage 15,4% 66,2 % 1,6% 11,6% 5,4% Les fusions unilaterales sont plus frequentes que les bilaterales dans le cas des fusions binaires (Tableau 5, B); ceci montre que dans les conditions experimentales utilisees l'anomalie est souvent limitee a une seule paire d'appendices. La fusion du pedipalpe et de la patte 1 est de loin la plus frequente (66 % des cas; Tableau 6), celle des cheliceres et du pedipalpe ou des pattes 2 et 3 est encore frequente (15 % et 11 %), tandis que celle des P3 et P4 est rare et celle des P I et P2 est tout a fait exceptionnelle. Formation et differenciation des appendices heterosymeles. Le rapprochement de deux ebauches sur la bandelette germinative est visible des les premiers stades de leur differenciation. A un stade plus avance, par exemple dans le cas d'hetero- 64 C. JUBERTHIE symelie represente Planche 2, fig. A, les ebauch.es du pedipalpe et de la patte 1 sont fusionnees dans leur partie basale, tandis que leurs parties distales sont restees independantes; l'appendice symele resultant de ce processus se caracterise par la soudure des hanches, des trochanters et des femurs articles par articles, tandis que les patelles, les tibias, le metatarse et les tarses sont libres. Mode de fusion des appendices heterosymeles. La soudure de deux ebauches disposees a la suite l'une de l'autre sur la bandelette germinative devrait se faire, a premiere vue, par leurs parties qui sont face a face; en fait il n'en est rien, puisqu'elles se soudent a peu pres par leurs faces dorsales. Fig. 6. Heterosymelie pedipalpe — patte 1 du cote droit au stade larvaire; hanche et trochanter fusionnees. D., face dorsale. V., face ventrale; a, face anterieure; chel., cheliceres; d., face dorsale; h. 2, hanche 2; h. 3, hanche 3; ped., pedipalpe; p. 1, patte 1. Un exemple (Fig. 6), soudure du pedipalpe et de la patte 1 limitee aux hanches et aux trochanters, permet de mettre en evidence ce phenomene. En effet, la tache de pigment portee par la face ventrale de la hanche, qui est en position mediane sur une hanche normale, est ici dirigee latero-posterieurement sur la hanche de la patte 1, et le lobe masticateur du pedipalpe, de ventral, est devenu latero-anterieur. La hanche de la patte et celle du pedipalpe ont done tourne de pres de 90° en sens inverse l'une de l'autre, par rapport a leur position normale. Les parties libres des deux appendices sont dos a dos, ce qui confirme cette rotation; de meme, les protuberances dentiformes portees par les parties distales du femur, de la patelle et du tibia du pedipalpe, d'anterieures, sont devenues dorsales effectuant ainsi une rotation de 90° environ. Heterosymeliespedipalpe-patte 1 et homologie des articles. Planche 2, figs. C-F, montrent differents degres de soudure entre un pedipalpe et une patte 1. Deux cas sont particulierement interessants: celui ou la soudure s'arrete a l'extremite du tibia, et celui ou Pheterosymelie touche tous les articles. La soudure se fait toujours article par article meme lorsque les longueurs de deux Teratologie chez un Opilion 65 articles homologues sont differentes; le plus long se raccourcit en general et occupe un arc de cercle de grand rayon, tandis que le plus court occupe un arc de cercle de petit rayon. II est done possible de determiner l'homologie du metatarse, article precedant le tarse sur la patte et qui n'existe pas sur le pedipalpe. Dans le premier exemple, la fusion s'arrete a l'extremite du tibia; le tarse du pedipalpe d'une part, et l'ensemble metatarse-tarse de la patte d'autre part, sont libres. Dans le second, la fusion atteint la base des griffes et le tarse du pedipalpe est soude a l'ensemble metatarse-tarse de la patte. Le tarse du pedipalpe est done l'homologue de l'ensemble tarse-metatarse de la patte. Le tarse du pedipalpe correspond, en fait, a un proto-article qui ne s'est pas divise au cours du developpement embryonnaire et qui est reste plus court. Heterosymelie chelicere-pedipalpe et homologie des articles. D'assez nombreux cas de fusion ont ete obtenus bien que ces appendices soient tres differents. Les cheliceres, en effet, sont courtes et formees de trois articles seulement: l'article basal, la main et le doigt mobile; les pedipalpes sont longs et formes de cinq articles. Les differents cas de soudures, dont j'ai deja figure certains (1964, fig. 63 et 64), montrent que le pedipalpe est raccourci et s'adapte a la longueur de la chelicere; il est fusionne par sa face dorsale a la partie laterale de la chelicere, celle qui porte le doigt mobile et qui correspond a la partie dorsale de l'ebauche chelicerienne; le doigt mobile et l'extremite du tarse sont restes libres. On peut en conclure que le doigt mobile et la partie tout a fait distale du tarse (post-tarse d'apres Vachon, 1947) sont homologues; la main est homologue a l'ensemble tarse, tibia, patelle, femur du pedipalpe; enfin, l'article basal est homologue au trochanter et a la hanche du pedipalpe. Le tableau 7 resume l'homologie des articles chez les Opilions. Tableau 7. Homologie des articles des appendices Chelicere Pedipalpe Patte Doigt mobile Post-tarse Tarse Main Tibia Patelle Femur Trochanter Hanche Post-tarse Tarse Metatarse Tibia Patelle Femur Trochanter Hanche Article basal VII. ETUDE DES SCHISTOMELIES La schistomelie est certainement l'une des monstruosites les plus etudiees experimentalement chez les Arthropodes; elle a ete reproduite en agissant sur les oeufs et, de plus, contrairement aux symelies et aux heterosymelies, en experi5 JEEM ig 66 C. JUBERTHIE mentant sur l'appendice larvaire (greffes, cauterisation). Selon Balazuc (1948) ces experiences ne permettent pas, cependant, de deceler le mecanisme general provoquant cette monstruosite. Chez les Opilions, j'ai obtenu deux types de schistomelies; d'une part, des schistomelies combinees a l'heterosymelie et, d'autre part, des schistomelies independantes. Schistomelies combinees a des heterosymelies Dix-huit embryons porteurs d'heterosymelies presentent des schistomelies binaires combinees a des heterosymelies binaires (Tableau 8). Tableau 8. Schistomelies binaires combinees a Vheterosymelie, obtenues a 23° et 23,5°C Nombre Heterosymelie Schistomelie Caractere 8 Chel. Ped. Pedipalpe Homodyname 1 4 Chel. Ped. Ped PI Chelicere Pedipalpe Homodyname Homodyname 3 Ped PI Patte 1 Homodyname 1 1 PI P2 Patte 1, Patte 2 Patte 3 Homodyname Homodyname PI P2 Intensite Extremite du tarse, tarse, tibia Doigts Griffe, extremite du tarse, tarse Griffe, extremite du tarse, tarse Tarse Tarse L'un ou l'autre des appendices heterosymeles peut presenter la duplication de sa partie terminale, tarse, extremite du tarse, ou doigts des cheliceres. Dans un cas seulement la duplication interesse deux articles (tarse et tibia du pedipalpe). La formation de ce type de schistomelie semble la consequence directe de la fusion de deux ebauches de constitution et de taille differentes (cheliceres, pedipalpes, pattes). Elle apparait principalement lorsque le degre de soudure des deux ebauches atteint ou depasse la patelle sur l'appendice definitif. On peut supposer que la soudure entre deux ebauches de taille differente presente certaines difficultes qui peuvent provoquer la duplication de la partie terminale de l'une des deux ebauches. A l'appui de cette interpretation on peut noter qu'aucune schistomelie n'a actuellement ete observee dans les cas de fusion de deux ebauches identiques (symelie). Schistomelies independantes Quarante cas de schistomelies independantes des heterosymelies ou d'autres malformations ont ete obtenues, principalement a 23° et 23,5° C (Tableau 9). Les pattes 2 sont les plus frequemment touchees par cette monstruosite mais tous les appendices sont susceptibles de la presenter (je n'avais pas encore obtenu de cas de schistomelie de la patte 4 dans mon travail de 1964). Cette 67 Teratologie chez un Opilion Tableau 9. Schistomelies independantes binaires et ternaires Ternaires Binaires A \ Schistomelie Nombre Chel. Ped. PI 2 3 1 P2 17 Extremite tarse, tarse, tarse au metatarse, tarse au trochanter P3 9 P4 3 Extremite tarse, tarse, tarse au tibia, tarse a la patelle Tarse, tarse au trochanter Intensite Doigts Tarse Tarse a patelle +}\ •\ Nombre Intensite 1 Tarse a patelle, 1 tarse subdivise Tarse au metatarse, 2 griffes sur un tarse. Tarse au tibia, 1 tarse subdivise 2 2 Tarse a patelle, 1 tarse subdivise P2 Fig. 7. Embryon au stade IV 7. Face ventrale, montrant une schistomelie de la partie apicale de la patte 2 gauche (P 2). monstruosite est le plus souvent unilaterale. L'appendice se divise a des niveaux allant du trochanter a Pextremite du tarse, les divisions limitees au tarse etant les plus frequentes. Les deux branches obtenues (branches secondaires) sont identiques (homodynames) ou non (heterodynames); l'une de celle-ci peut se subdiviser en deux branches tertiaires donnant ainsi une schistomelie ternaire; cinq cas de ce type, seulement, ont ete obtenus. La symetrie batesonienne est reconnaissable chez les embryons qui possedent deux branches secondaires egalement developpees. Dans un cas, j'ai pu observer le developpement embryonnaire de cette monstruosite (Fig. 7). L'ebauche de la P 2 gauche presentait un leger sillon a son extremite; a un stade plus avance, la partie distale etait nettement fourchue, ce qui aboutissait sur la patte larvaire differenciee en articles a la duplication de la moitie distale du tarse; cette duplication n'etait pas tout a fait egale, ce que 5-2 68 C. JUBERTHIE laissait prevoir la taille differente des deux parties subdivisees de l'ebauche de l'appendice. Certains des embryons portant une schistomelie unilaterale binaire sont eclos. Dans le cas ou une des branches est grele, celle-ci ne forme pas de nouveau tegument dans sa partie distale qui, de ce fait, est eliminee a la mue; ce processus se repetant, cette branche est peu a peu eliminee et la schistomelie disparait. En revanche, dans les cas ou les deux branches sont egales et bien formees, la schistomelie tend a persister au cours du developpement post-embryonnaire; je n'ai cependant, jamais pu obtenir un adulte, car la partie fourchue de l'appendice sort avec difficulte de l'exuvie et entraine, le plus souvent, la mort de l'individu au cours de l'exuviation, ou parfois l'autotomie de l'appendice schistomele. VIII. ETUDE DES POLYMELIES Un certain nombre d'animaux porteurs d'appendices surnumeraires plus ou moins bien formes ont ete obtenus: six a 20 °, vingt-trois a 23 ° et trente et un a 23,5 °C (Tableau 10). Les appendices surnumeraires sont presque toujours localises a l'arriere de la derniere paire de pattes (P 4). Tableau 10. Polymelies Nombre Pattes surnumeraires 10 15 4 22 3 5 1 1 P 4 bis g et d P 4 bis g et d P 4 bis P 4 bis P 4 ter et P 5 P 1 bis P 2 bis P 3 bis Structure des appendices surnumeraires Complets bien formes ou greles. Incomplets (h, h+tr, ou h + tr+pat+ti) Complet Incomplet (h, h+tr, h+tr+pat, h+tr+pat + ti) Incomplets (Experience complementaire faite en 1964 en soumettant 550 ceufs a 23,5 °C durant 58 jours: 7 cas de polymelies ont ete obtenus. g = gauche; d = droit.) Les appendices surnumeraires proviennent, a l'exception de quelques cas d'origine douteuse, de la duplication complete d'une patte, de la patte 4 en general; ils sont done le terme ultime de la schistomelie. Quelques cas favorables permettent, en effet, de l'observer; ainsi, chez deux embryons, d'un cote on a note un appendice surnumeraire contigu a la face posterieure de la patte 4 et oriente de la meme facon, et, de l'autre, une schistomelie de la patte 4 interessant tous les articles sauf l'article basal, la hanche. L'appendice surnumeraire peut etre parfaitement constitue, mais tres souvent il est grele et depourvu des articles terminaux (Planche 2,fig.H et I); assez souvent il est reduit a la hanche. Quelques-uns des animaux qui presentent des pattes 4 surnumeraires peuvent Teratologie chez un Opilion 69 eclore, mais ils passent tres rarement le cap de plusieurs mues. En regie generale, la hanche supplemental subsiste, tandis que les articles distaux greles sont elimines. IX. ECTROMELIES L'ectromelie d'un ou de plusieurs appendices a ete frequement obtenue a 20°, 23° et 23,5 °C. A 23,5 °C, 53 embryons etaient depourvus d'un, de deux ou de tous les appendices (Tableau 11). Tableau 11. Ectromelies Nombre embryons Ectromelies 15 18 20 1 appendice 2 appendices +de 2 a tous les appendices Ectromelie associee a Ectromelie seule d'autres malformations (nombre d'embryons) (nombre d'embryons) 7 13 7 8 5 13 Cette malformation est le stade ultime des atrophies d'appendices; a 23,5 °C, des atrophies de 1 ou de 2 appendices ont ete observees chez trente-trois embryons et celles de tous les appendices ou presque chez vingt embryons. L'observation sur le vivant montre que certains bourgeons d'appendices cessent de croitre a un stade precoce de leur developpement (stades IV2 a IV 3), s'applatissent, se deforment ou bourgeonnent, puis regressent, donnant un appendice definitif reduit a sa hanche, souvent malformee. L'ectromelie de tous les appendices, souvent accompagnee de malformations complexes, provient d'une action de la temperature plus forte que pour les symelies et les heterosymelies, provoquant l'arret irreversible du developpement des bourgeons de tous les appendices. X. HELICOMERIES Nous avons obtenu 9 cas d'helicomerie a 23° et 32 cas a 23,5 °C. Toutes ces malformations sont situees sur la face dorsale du corps; elles portent sur le differents tergites abdominaux sans distinction. Sur les 41 cas d'helicomeries, 30 sont monocycliques, 8 dicycliques, 1 tricyclique, 1 tetracyclique et 1 pentacy clique. Le face dorsale d'un Odiellus normal est formee de huit tergites succedant sans retrecissement important aux deux derniers tergites thoraciques, situes en arriere du mamelon oculaire (Fig. Sa). Les limites des tergites sont assez nettes et soulignees d'une ligne blanche, et chaque tergite porte une rangee transverse de six taches blanches arrondies qui en facilite la reconnaissance (PI. 2, fig. D). La Fig. 8, (c) a (j) represente huit cas d'helicomeries. La formation de cette monstruosite n'a pas ete suivie sur le vivant mais son origine peut etre deduite du mode de formation de la paroi dorsale du corps. 70 C. JUBERTHIE Nous n'insisterons que sur deux cas, les figures etant assez explicites par elles-memes. Le premier, 8(6), represente une ebauche d'helicomerie; la ligne de suture entre le premier tergite et le second est rompue au niveau de la ligne mediane et presente un decrochement. Le second, 8( d), represente un cas d'helicomerie monocyclique levogyre, derive du cas precedent par l'accentuation du Fig. 8. Helicomeries. Representation simplified de la segmentation dorsale: (a) embryon normal; (b) decalage entre les deux moities d'un segment; (c) helicomerie dicyclique dextrogyre; (/) helicomerie dicyclique levogyre; (g) helicomerie tricyclique dextrogyre; (h) helicomerie tetracyclique levogyre; (/) helicomerie pentacyclique dextrogyre; (/) helicomerie monocyclique levogyre. decrochement entrainant la soudure de la moitie gauche de la ligne de suture entre le premier et le second tergite, avec la moitie droite de la ligne suivante (2e/3e tergite). II en resulte que la moitie gauche du tergite 1 est soudee avec la moitie droite du tergite 2; a l'avant la moitie droite du tergite 1 subsiste, et a l'arriere la moitie gauche du tergite 2. IX. ORIGINE DES MALFORMATIONS: MODE D'ACTION DE LA TEMPERATURE SUR L'EMBRYON 1. Nous considerons en premier Vorigine des symelies de type a. Les temperatures teratogenes bloquent le developpement embryonnaire au debut des mouvements cellulaires qui aboutissent a la formation des bourgeons des appendices; elles agissent done avant que les ebauches soient differenciees, Teratologie chez un Opilion 71 et vraisemblablement apres qu'elles soient determinees, en accord avec toutes les donnees de la teratogenese. Les travaux consacres aux Vertebres, en particulier ceux de Wolff (1936), ont montre que l'apparition d'anomalies localisees sous Faction d'un agent teratogene agissant sur Pensemble de l'embryon provient de la sensibilite differente des ebauches. Les experiences precedentes permettent-elles de montrer l'elimination des ebauches intermediaires, de deceler la nature de leur sensibilite particuliere a la temperature, de determiner la nature directe ou indirecte de l'intervention de la temperature, enfln, de mettre en evidence une action de la temperature sur les mouvements embryonnaires ou tout autre mecanisme dont la perturbation pourrait egalement conduire a des monstruosites ? (a) L'elimination des ebauches impaires et medianes est un fait, facile a observer pour l'ebauche du stomodeum, dans les cas de symelies des deux paires d'appendices anterieurs accompagnees de cyclopie. Cependant, la notion d'ebauches intermediaires, medio-ventrales, au niveau des bourgeons des pattes est a preciser. En effet, chez la larve prete a eclore, la face ventrale du prosoma est exclusivement occupee par les hanches des appendices; celles-ci sont contigues sur la ligne medio-ventrale et il n'y a done pas de sternum median et impair. L'observation sur le vivant du mode de formation des bourgeons des pattes conflrme qu'il n'y a pas d'ebauches intermediaires differentiates de la base des bourgeons d'appendices; le materiel cellulaire ectodermique qui occupe un territoire s'etendant de la ligne medio-ventrale vers les regions lateroventrales de l'embryon, et qui donnera la face ventrale des hanches, fait office d'ebauche intermediate. Nous conserverons, done, ce terme en limitant son sens a la position du materiel cellulaire sur l'embryon. (b) La sensibilite des ebauches situees entre les plaques cephaliques ou les bourgeons des pattes peut avoir des causes multiples, mais une cause semble preponderante dans les cas de symelie des trois paires d'appendices posterieurs: le retard de leur differentiation. Chez l'embryon normal, la formation des bourgeons d'appendices est, en effet, la consequence, non seulement des divisions cellulaires mais encore et principalement de deux migrations cellulaires de sens oppose sur le somite (Fig. 9(a)): la premiere a se manifester et la plus ample consiste en une migration des cellules de la face dorsale vers les faces lateroventrales; la seconde, de faible amplitude, consiste en une migration de la ligne medio-ventrale vers les regions latero-ventrales. Or, les migrations ventrales progressent des somites anterieurs aux somites posterieurs; elles sont pratiquement achevees sur les trois somites anterieurs au moment ou elles commencent a se manifester sur les trois somites posterieurs, en particulier sur le premier de ceux-ci, qui portera les pattes 2 (Fig. 9(c)). On est en droit d'etablir un parallele entre le nombre eleve des symelies des trois paires de pattes posterieures et le phenomene de retard dans les migrations cellulaires ventrales sur les trois derniers somites du prosoma, traduisant un retard dans la differenciation. La 72 C. JUBERTHIE temperature teratogene (20° C par exemple) bloque le developpement de nombreux embryons aux stades ou ces mouvements ventraux commencent a se manifester; or, l'optimum thermique du developpement augmente progressivement pendant cette periode au fur et a mesure des progres de la differentiation; les trois paires d'ebauches intermediaires posterieures etant a un stade de developpement plus precoce que les anterieurs, leur optimum est un peu plus bas, et de ce fait, elles sont plus sensibles a la temperature. Dans les cas de symelies de tous les appendices une explication du meme type peut etre appliquee aux appendices anterieurs, car les mouvements ventraux sont toujours plus tardifs que les dorsaux. m.g. — S. 3.- Fig. 9. Schema des mouvements cellulaires aboutissant a la formation des bourgeons des appendices; les fleches indiquent le sens et la longueur des deplacements. (o) Mouvements dorso-lateraux et ventro-lateraux sur les somites 3 et 4. (b) Aspects des bourgeons a la fin des mouvements cellulaires. (c) Schema montrant la desynchronisation des mouvements ventraux; e. 3, ebauche des pattes 3; e. 4, ebauche des pattes 4; m.g., masse genitale;/j.a., plaque anale;p.c, plaque cephalique; s., somite; s.ch., somite chelicerien. (c) La sensibilite des ebauches intermediaires a-t-elle pour consequence la destruction directe de leurs cellules par la temperature, ou bien le bloquage des migrations de leurs cellules entrainant leur elimination ? La premiere interpretation, qui semble la plus simple, n'est pas exacte; en effet, si Ton admet qu'une temperature de 20° C, qui provoque le nombre le plus eleve de symelies, bloque irreversiblement le developpement des ebauches intermediaires en detruisant leurs cellules, on ne peut comprendre qu'une temperature plus elevee, 23° ou 23,5 °C ne bloque plus irreversiblement et ne detruitplus ces ebauches, sauf dans de rares cas. La seconde interpretation rend mieux compte des faits observes. L'arret des migrations cellulaires ventrales entraine ensuite l'elimination des ebauches, ce qui est en accord avec une des lois de la teratogenese (Wolff, 1936) selon laquelle toute ebauche qui presente un arret de developpement est eliminee; ce blocage rend compte de la disparition des parties ventrales des bourgeons d'appendices symeles, c'est-a-dire des ebauches en positions intermediaires avant leur migration et de la conservation de leurs parties dorsales (Fig. 10^4). Cette interpretation de la formation des symelies par une action differencielle Teratologie chez un Opilion 13 sur les mouvements cellulaires d'une temperature de 20 °C, permet d'expliquer qu'une temperature plus elevee ne provoque pas de symelie. En effet, 20 °C semble une temperature assez elevee pour bloquer les mouvements ventraux, mais trop faible pour inhiber les dorsaux, tandis que 23 °C est suffisamment elevee pour inhiber de la meme facon les ventraux et les dorsaux. II en resulte qu'au moment de la reprise du developpement a 11,5 °C — les mouvements dorsaux des embryons exposes a 20 °C s'achevent avant que les ventraux aient repris, ce qui est suivi de l'elimination des ebauches ventrales — en revanche, les mouvements dorsaux et ventraux des embryons exposes a 23 °C, bloques de la meme facon, reprennent ensemble et normalement et il n'y a pas de symelies. Dans ce cas, le nombre des embryons bloques irreversiblement est assez important. Fig. 10. Formation des symelies de type a et b. N., schema de la formation des bourgeons d'appendice chez un embryon normal. A., schema de la formation d'une symelie de type a. B., schema de la formation d'une symelie de type b. d., face dorsale; v., face ventrale. (d) L'elimination des ebauches apres l'arret des mouvements, est vraisemblablement facilitee par certaines des autres actions de la temperature sur l'embryon, en particulier, par les deformations de la masse vitelline et la reduction du volume du vitellus par un exces de rejet de liquide dans l'espace perivitellin; les embryons, de ce fait, sont plus ou moins deformes en poire ou en diabolo, et certains somites (les posterieurs chez les embryons en poire, les medians chez les embryons en diabolo) occupent un arc de cercle plus petit que normalement. Les migrations dorsales, si elles gardent leur amplitude, peuvent tendre a former des bourgeons plus pres de la ligne medio-ventrale et produire, ainsi, des actions mecaniques tendant a contrarier les mouvements plus tardifs des ebauches medio-ventrales et a les eliminer. Ceci peut etre la cause principale de la formation d'un appendice symele entre deux appendices normaux (embryons a bandelette en X). La temperature liquefie localement le vitellus; ceci peut entrainer des difficultes dans son assimilation par les ebauches intermediaires deja deficientes, et activer ainsi leur elimination. 74 C. JUBERTHIE 2. Origine des symelies de type b Ce type de symelie est d'un grand interet car il montre que la soudure des appendices peut egalement se faire par leur face dorsale, sur la ligne mediodorsale de l'embryon. Le materiel cellulaire migre sur chaque cote du somite vers la ligne mediodorsale de l'embryon ou il se fusionne avec son homologue (Fig. 105). J'ai observe chez certains embryons soumis a 23 °C une position anormale de chaque moitie anterieure de la bandelette germinative. Celles-ci ne sont plus latero-ventrales mais en position equatoriale ou meme plus dorsale; elles sont, de ce fait, largement separees l'une de l'autre; la masse vitelline est deformee et une partie du vitellus fait saillie ventralement entre les deux moities anterieures de la bandelette germinative. A 23,5 °C, ce sont vraisemblablement des embryons de ce type qui donnent des appendices symeles par leurs faces dorsales; il suffit, en effet, de l'accentuation de ce phenomene pour obtenir cette monstruosite. Les ebauches dorsales intermediates qui donnent les tergites dorsaux devraient disparaitre; il en est ainsi pour les embryons qui presentent des symelies de plusieurs appendices (cheliceres, pedipalpes, pattes 1 et 2). II n'en est pas de meme lorsque la symelie se limite aux cheliceres; dans ce cas les tergites du prosoma sont au complet, bien que leur partie mediane soit perturbee par la disparition des yeux. Les cheliceres se rejoignent par leur face dorsale en avant du front du prosoma selon des modalites qui n'ont pas encore ete observees sur le vivant. En ce qui concerne les cheliceres, les symelies de type b confirment les conclusions que nous avions tirees des symelies de type a (1964), a savoir, que la face ventrale de l'ebauche donne le doigt fixe et la face dorsale le doigt mobile, et, que de ce fait les cheliceres ne subissent pratiquement aucune rotation pendant leur migration vers l'avant et vers la ligne medio-ventrale qui les amene en position pre-orale. Chez le jeune et chez Padulte, les cheliceres ont done la meme orientation que les autres appendices malgre leur position frontale; cette orientation correspond a celle de leur bourgeon sur la bandelette embryonnaire (Fig. 11, A. etB.). 3. Cyclopie et anophtalmie La cyclopie resulte des memes processus que la symelie de type a; e'est simplement un cas de symelie limite a la partie tout a fait anterieure de la bandelette germinative. Les cas de cyclopie accompagnee de microphtalmie correspondent a des symelies de type a tres poussees. L'anophtalmie peut theoriquement resulter d'une symelie de type a tres poussee, suivie de l'atrophie et de la disparition de l'ebauche oculaire unique; il peut en etre ainsi pour les embryons ne presentant que cette monstruosite (Tableau 7), et les trois cas de microphtalmies accompagnant la cyclopie pourraient correspondre a des stades precedant l'anophtalmie; cependant, tous les cas d'anophtalmies accompagnees de symelies ont ete observes chez des Teratologie chez un Opilion 75 embryons porteurs de symelie de type b; il semble done que l'anophtalmie resulte du meme processus que celui donnant les symelies de type b. Ceci est une interpretation fort seduisante; les deux plaques cephaliques se souderaient, en effet, par leur face dorsale, e'est-a-dire celle qui donne le repli oculaire, et, de ce fait, les deux replis oculaires disparaitraient en premier, ce qui conduirait a l'anophtalmie sans que la symelie soit tres poussee. -d.f. — d.m. N. — d.m. A. Fig. 11. Formation des symelies des cheliceres de type a et b. N., mouvements chez l'embryon normal aboutissant a la formation des bourgeons des cheliceres. puis mouvement des cheliceres et du stomodeum les amenant en position prebuccale. A., mouvements cellulaires donnant une symelie de type a. B., mouvements donnant une symelie de type b. d.f. doigt fixe; d.m., doigt mobile. 4. Heterosymelies Les heterosymelies sont d'autant plus frequentes que la temperature est plus elevee; il semble que la temperature teratogene, qui dans ce cas est proche de la temperature letale, agit directement sur les ebauches situees entre deux appendices successifs et les detruit. Les territoires qui sont elimines ne sont pas situes de fa?on parfaitement symetrique entre les territoires de deux ebauches successives, car dans cette hypothese les bourgeons se souderaient par leurs parties qui sont face a face, face posterieure de l'un et face anterieure de l'autre. Or, ainsi que nous l'avons montre, les bourgeons de patte sont toujours soudes par leur face dorsale. Les territoires detruits ne sont done vraisemblablement situes qu'entre les moities dorsales de chaque territoire d'appendices; cette disposition ne provoque que le rapprochement des parties dorsales et entraine la rotation des appendices. 76 C. JUBERTHIE 5. Helicomeries L'origine des helicomeries est diverse selon le groupe considere. Chez les Oligochetes, ou cette monstruosite est particulierement frequente, elle est en relation avec la regeneration; une amputation de la partie posterieure du corps peut etre suivie d'une regeneration atypique avec helicomerie (Balazuc, 1959). Chez les Myriapodes anamorphes, la possibility d'une mutilation accidentelle suivie de regeneration et d'helicomerie ne peut etre exclue pour les segments formes apres l'eclosion. Chez les Arthropodes qui ne forment pas de nouveaux segments apres l'eclosion et qui ont perdu le pouvoir de regenerer les segments amputes, l'origine de l'helicomerie ne peut etre qu'embryonnaire. m.g E. Fig. 12. Formation des helicomeries. E., embryon de profil au stade IV 9; les fieches indiquent le sens de croissance des ebauches des tergites du cote gauche; 1 et 2, schemas de la formation d'une helicomerie monocyclique. 3 a 6, divers schemas theoriques de la formation d'une helicomerie dicyclique; ch., cheliceres; d., face dorsale; m.g., masse genitale; r.o., replis oculaires. Les helicomeries ont ete produites experimentalement dans un cas en soumettant des ceufs a des chocs et a des vibrations, dans deux autres cas, par irradiation d'oeufs de Drosophile (Geigy, 1931) et de Tineola biselliella (Liischer, 1944). Chapman (1917), voit son origine dans un accident de la fermeture de la paroi dorsale du corps; interpretation que Balazuc (1948) n'accepte pas car ce serait assigner unmecanisme different auxhelicomeries ventrales. Pour Cockayne (1929), la soudure d'une masse mesodermique excessive avec deux masses segmentaires du cote oppose en serait a l'origine et le decalage amorce pourrait se poursuivre sur une certaine distance; mais la necessite d'une seconde inegalite des blocs rnesodermiques de sens inverse, pour expliquer son arret, ne la rend pas convaincante d'apres Balazuc (1948). Teratologie chez un Opilion 11 Chez Odiellus gallicus toutes les helicomeries sont dorsales. Elles apparaissent chez des embryons soumis a des temperatures supra-optimales jusqu'aux stades de differentiation des somites du prosoma. Les malformations provoquees a ces stades se maintiennent chez les embryons qui reprennent leur developpement a 11,5 °C, jusqu'aux stades de formation de la paroi du corps pour certaines ou se repercutent a ces stades pour d'autres; elles entrainent alors des anomalies dans la fermeture de la paroi du corps, qui le plus souvent aboutissent a des helicomeries (quelques cas d'hemimerie, de symphysomerie ont ete obtenus). La comparaison du mode de formation des tergites chez l'embryon normal, et des helicomeries chez les embryons teratologiques, aboutit a chercher Yorigine de V helicomerie dans un decalage des deux moities de segments, droite et gauche, lors de leur rencontre sur la ligne medio-dorsale du corps. En effet, le schema Fig. \2E montre comment la paroi du corps se forme de chaque cote, par la croissance des demi-somites vers la ligne medio-dorsale, puis par soudure sur cette ligne de chaque demi-somite droit avec son homologue gauche. Dans l'helicomerie monocyclique, cas le plus simple, deux demi-somites homologues ne sont plus exactement face a face lors de leur rencontre sur la ligne mediodorsale ; de ce fait, le demi-somite decale se soude avec le demi-somite oppose le plus proche, qui est de rang immediatement anterieur ou posterieur, donnant ainsi selon le cas une helicomerie dextrogyre ou levogyre. Les schemas Fig. 12 (I a 6) montrent comment un simple decalage local de la partie distale d'un demi-segment, ou des deux demi-segments d'un meme somite, peut entrainer la formation d'une helicomerie monocyclique ou dicyclique. Les helicomeries tricycliques etc. resultent simplement du decalage d'un nombre plus eleve de segments. Deux cas favorables montrent l'exactitude de cette interpretation; en effet, chez deux nymphes venant d'eclore et de muer, le decalage de la partiedistale de la moitie droite et de la moitie gauche du segment 1 etait tres net mais iln'avaitpas ete suivi de soudure anormale (Fig. 8(6)); l'helicomerie n'etait done qu'ebauchee. Si le decalage est un fait observe, son origine n'a pu etre suivie sur le vivant. CONCLUSIONS 1. Le fait de soumettre des embryons d'Odiellus gallicus, ayant de 6 a 16 jours de developpement a 11,5 °C, a des temperatures comprises entre 20° et 23,5 °C durant 25 a 38 jours provoquent la formation de nombreuses monstruosites des appendices, des yeux et de la segmentation. 2. Que des temperatures aussi peu elevees soient teratogenes est actuellement exceptionnel. Ceci est en relation avec l'optimum thermique du developpement embryonnaire qui est peu eleve, ce qui est le resultat de l'adaptation de ce developpement aux conditions hivernales. 3. Le type et la frequence des monstruosites sont influences par l'intensite de la temperature. 78 C. JUBERTHIE 4. Deux types de symelies ont ete provoques: — des symelies de type a, de loin les plus frequentes, provenant de la fusion des ebauches de deux appendices homologues par leur face ventrale. Un embryon peut avoir de 1 a 6 paires d'appendices symeles mais la frequence de la monstruosite diminue des appendices posterieurs auxanterieurs. Lasoudure des appendices se fait article par article, sans remaniement, de sorte que l'appendice symele est depourvu de face ventrale et possede deux faces dorsales. La symelie s'accompagne de la fusion partielle ou totale des organes internes occupant dans la partie ventrale du corps le ou les segments correspondants. — des symelies de type b, resultant de la fusion des ebauches par leur face dorsale. 5. Le mode de fusion des cheliceres dans les symelies a et b confirme que ces appendices acquierent leur position pre-orale par un deplacement vers l'avant et vers la ligne medio-ventrale, pratiquement sans rotation. 6. La frequence des heterosymelies varie avec les appendices. Dans l'heterosymelie, les appendices successifs ne se fusionnent pas par les faces qui sont vis-a-vis mais par leur face dorsale; chaque appendice fait done un angle de 90° environ avec sa position normale. 7. La cyclopie resulte de la fusion sur la ligne mediane du corps des deux plaques cephaliques en une plaque unique, de sorte qu'un seul repli oculaire puis un seul ceil se forme. Elle est induite par le meme processus que les symelies de type a. 8. L'anophtalmie resulte de la fusion des deux plaques cephaliques par leur partie dorsale selon un processus identique a celui des symelies de type b et aucun repli oculaire ne peut se former; le degre de fusion necessaire a l'anophtalmie n'est done pas eleve. L'anophtalmie en tant que resultante d'une fusion plus poussee que celle qui donne la cyclopie, suivie de la disparition de l'ebauche oculaire, est cependant theoriquement possible mais elle n'a pas ete observee. 9. La polymelie n'est qu'une schistomelie totale de l'ebauche d'un appendice. Elle est presque toujours binaire et tres souvent heterodyname, l'appendice surnumeraire etant reduit aux articles basaux. Des Opilions a cinq paires de pattes marcheuses au lieu de quatre ont ainsi ete obtenus. 10. L'heterosymelie partielle s'accompagne frequemment de schistomelie binaire de la partie distale de l'un ou des deux appendices. 11. Les helicomeries sont dorsales et resultent d'un decalage lors de la fermeture de la paroi du corps sur la ligne medio-dorsale. 12. De nombreuses malformations (symelie de type a et b, cyclopie, anophthalmie) semblent provenir principalement de l'action de la temperature teratogene sur les mouvements cellulaires presidant a la formation des organes. L'action selective de la temperature sur certains mouvements est liee a la desynchronisation des migrations cellulaires au cours du developpement; celle-ci fait que les mouvements les plus tardifs ont, en raison de l'augmentation pro- Teratologie chez un Opilion 79 gressive de 1'optimuin thermique au cours du developpement, un optimum thermique plus bas et sont de ce fait plus sensibles a la temperature. L'optimum thermique general du developpement apparait ainsi comme une premiere approximation; chaque organe, ou groupe d'organes homologues et au merae degre de developpement, possede a un stade donne son optimum thermique. D'autres malformations, telles que l'heterosymelie, semblent resulter de Faction directe de temperatures teratogenes proches de la temperature letale sur les ebauches intermediaries (territoire separant les ebauches des appendices). Dans le cas des schistomelies et des polymelies, les temperatures teratogenes agissent probablement de facon differencielle sur l'activite et les divisions cellulaires de l'ectoderme et du mesoderme distal de l'ebauche des appendices. Des experiences analogues a celles faites sur les bourgeons des membres des Vertebres sont cependant necessaires pour determiner le role du mesoderme et de l'ectoderme distal dans la differentiation des bourgeons d'appendices et en deduire le mode d'action exact des temperatures teratogenes. L'apparition de schistomelies sur des appendices partiellement heterosymeles est vraisemblablement en relation avec l'etablissement de contacts anormaux entre des zones a potentialites differentes, contacts d'un type assez analogue a ceux realises experimentalement sur des appendices postembryonnaires par Bart (1965a, b; 1966a, b). 13. Les lois de la teratogenese enoncees par Wolff (1936) a partir d'experiences faites chez les Vertebres, s'appliquent a cet Invertebre. 14. Les conclusions sur les causes des malformations et sur le moment de leur formation peuvent etre etendues aux cas spontanes observes chez les Opilions et avec vraisemblance a de nombreux cas spontanes observes chez les autres Arthropodes terrestres. On ne saurait oublier, cependant, que toute malformation peut etre produite par d'autres facteurs que la temperature, mais que ces facteurs n'existent en general pas dans les conditions naturelles. Chez un autre Opilion, Phalangium opilio, espece a cycle saisonnier avec developpement embryonnaire en ete, nous avons provoque quelques monstruosites. En revanche, toutes les tentatives ont ete negatives chez Ischyropsalis luteipes, espece sans cycle net, a optimum thermique sensiblement constant tout au long du developpement embryonnaire. L'aptitude a donner des monstruosites est peut-etre liee a une certaine stenothermie du developpement embryonnaire et facilitee par Paugmentation de l'optimum thermique. 15. La production d'heterosymelie depasse le cadre de la teratologie et presente un interet zoologique pour la determination de l'homologie des articles des appendices differemment constitues. Les appendices se fusionnent, en effet, article par article, le materiel cellulaire est determine au moment de la fusion et aucun phenomene de regulation n'intervient. Cette methode a ete etendue aux Symphyles (Juberthie-Jupeau, 1965) pour determiner l'homologie des articles de la patte 1 et des autres pattes. Elle 80 C. JUBERTHIE avait ete appliquee chez les Pseudoscorpions par Vachon (1947) sur des cas spontanes. Elle montre experimentalementque les appendices anterieurs, qui sont toujours les plus modifies, n'ont pas perdu des articles mais sont restes au stade de protoarticles qui grandissent peu et ne se divisent pas. 16. La viabilite des monstres est nulle pour les symeles ou les anophtalmes; elle est tres faible pour les heterosymeles, seuls les individus porteurs d'une heterosymelie unilateral chelicere-pedipalpe ou pedipalpe-patte 1 franchissent le cap de 1 a 3 mues nymphales; elle est egalement faible pour les Cyclopes qui le plus souvent ne peuvent eclore a la suite de l'absence de dent d'eclosion; seuls les animaux porteurs d'helicomeries sont viables. RESUME II est montre que les temperatures de 20° a 23,5 °C provoquent des monstruosites des appendices, des yeux et de la segmentation, lorsque des embryons d'Odiellus gallicus (Opiliones) y sont soumis. Ce facteur ecologique peut exister dans la nature aux intensites requises et etre a l'origine de malformations spontanees. Les appendices symetriques se soudent le plus souvent sur la ligne medioventrale de 1'embryon par leur face ventrale (symelie de type a), plus rarement sur la ligne medio-dorsale, par leur face dorsale (symelie b). Les appendices successifs se fusionnent (heterosymelie) par leur face dorsale. La cyclopie resulte de la fusion des deux plaques cephaliques en une plaque unique selon un processus identique a celui des symelies a; en revanche, l'anophtalmie et les symelies b resultent du meme processus. Les helicomeries proviennent d'un decalage lors de la fermeture de la paroi du corps. Les symelies, les cyclopies, les anophtalmies proviennent de Faction de la temperature sur les mouvements cellulaires presidant a la formation des organes, plus ou moins sensibles selon leur degre de differenciation et leur optimum thermique. Les heterosymelies semblent induites par une action directe de la temperature sur les territoires intermediaires. Les lois de la teratogenese de Wolff s'appliquent a cet Arthropode. La production experimentale d'heterosymelie permet de developper une methode pour homologuer les articles des appendices differemment constitues; il apparait que les appendices anterieurs, qui sont les plus modifies, sont restes au stade de proto-articles. SUMMARY Experimental teratology of an Opilion (Arachnida) Temperatures of 20-23-5 °C induce malformation of the appendages, of the eyes and of segmentation in embryos of Odiellus gallicus. Such temperatures can occur in nature and may be the cause of malformations in wild populations. The paired appendages usually fuse mid-ventrally (symmely of type a) and Teratologie chez un Opilion 81 more rarely mid-dorsally (symmely of type b). Appendages of successive segments may fuse along their dorsal surfaces (heterosymmely). Cyclopia results from the fusion of cephalic discs by a process analogous to symmely of type a. Anophthalmia appears analogous to the type b symmelies. Helicomeries result from displacements at the time of the closure of the body wall. The symmelies, the cyclopias, and the anophthalmias arise from the effect of temperature on morphogenetic movements of cells whose sensitivity varies according to stage of differentiation and their temperature optima. Heterosymmelies seem to be induced by the direct action of temperature on the intervening territories. The teratological laws of Wolff apply to this arthropod. The experimental production of heterosymmely provides a method for establishing the homology of the segments of different appendages. It seems that the anterior appendages, which are most affected, are arrested in the proto-segment stage. Nous remercions Mme Cazals et Mme Ruffat pour leur aide dans ce travail. TRAVAUX CITES S. A. (1920). Studies on variation in the meal-worm Tenebrio molitor L. I. Biological and genetical notes on Tenebrio molitor. J. Gen. 10, 227-64. BALAZUC, J. (1948). La teratologie des Coleopteres et experiences de transplantation sur Tenebrio molitor L. Mem. Mus. natn. Hist, nat., Paris n.s. 25, 1-293. BALAZUC, J. (1951). La teratologie des Hemipteres et groupes voisins. Annls Soc. ent. Fr. 120, 17-66. BALAZUC, J. (1955). La teratologie des Orthopteroides. A propos de quelques nouveaux faits observationnels et experimentaux. Boll. Lab. Ent. agr. Filippo Silvestri 14, 48-64. BALAZUC, J. (1958). La teratologie des Hymenopteroides. Annls Soc. ent. Fr. 127, 167-203. BALAZUC, J. (1959). Anomalie du segmentation (Helicomerie complexe) chez un lombric. Bull. soc. zool. Fr., 84, 2-3, 205-7. BALAZUC, J. & SCHUBART, O. (1962). La teratologie des Myriapodes. Annee biol. 1, 3, 4, 145-174. BALAZUC, J. & TEMPERE, G. (1958). Note de Teratologie. III. Symelie labiale chez un Carabique: Stomis pumicatus L. Rev. fr. Ent. 20, 54—7. BART, A. (1965 a). Sur 1'origine des formations surnumeraires au cours de la regeneration des pattes de Carausius morosus Br. C. r. hebd. Seanc. Acad. Sci., Paris 261, 1901-3. BART, A. (19656). Induction experimentale d'une morphogenese accompagnant ou non la regeneration de la patte de Carausius morosus Br. C. r. hebd. Seanc. Acad. Sci., Paris 261, 5619-22. BART, A. (1966 a). Role de l'hypoderme dans le declenchement de la morphogenese regeneratrice chez Carausius morosus Br. C. r. hebd. Seanc. Acad. Sci., Paris, 262, 1452-4. BART, A. (19666). Transformation experimentale du trochanter en femur chez Carausius morosus. C.r. hebd. Seanc Acad. Sci., Paris 262, 2163-5. BODENSTEIN, D. (1937). Beintransplantationen an Lepidopterenraupen. IV. Zuranalyse experimentel erzeuter Bein-Mehrfachbildung. Wilhelm Roux Arch. EntMech. Org. 136, 745-85. BODENSTEIN, D. (1955). Contributions to the problem of regeneration in insects. J. cxp. Zool. 129, 209-24. CAMPANA-ROUGET, Y. (1959a). La teratologie des Tiques. Annls Parasit. hum. comp. 34, (1-2), 209-60. CAMPANA-ROUGET, Y. (19596). La teratologie des Tiques (fin.) Annls Parasit. hum. comp. 34(3), 354-431. CAPPE DE BAILLON, P. (1927). Recherches sur la teratologie des Insectes. Encycl. ent. 8,1-291. Le Chevalier. ARENDSEN HEIN, 6 JEEM 19 82 C. JUBERTHIE P. (1931). Recherches sur la teratologie des Insectes. II. La descendance des monstres de Plasmides. Encycl. ent. 14, 1-301. Le Chevalier. CHAPMAN, T. A. (1917). An aberrant Wasp. Proc. ent. Soc. Lond. p. 49-50. CIRDEI, F. (1955). Un caz de anomalie la Opilionide. Studii. Cere, stiint. Idsi, 6, 1-4. COCKAYNE, E. A. (1929). Spiral and other anomalous forms of segmentation. Trans. R. ent. Soc. Lond. 177-84. DARESTE, C. (1891). Production artificielle des monstruosites ou essais de teratogehie experimentale. Paris: C. Reinwald. GEIGY, R. (1931). Erzeugung rein imaginaler Defekte durch ultra-violette Eibestrahlung bei Drosophila melanogaster. Wilhelm Roux Arch. EntwMech. Org. 125, 406-7. GEIGY, R. & LUSCHER, M. (1942). Imaginale Bein-Doppelbildungen nach UltraviolettBestrahlung von Schmetterlingseiern {Tineola biselliella Hum.). Rev. suis. Zool. 49, 206-10. GOLDSCHMIDT, R. B., HANNAH, A. & PITERNICK, L. K. (1951). The Podoptera effect in Drosophila melanogaster. Univ. Calif. Publs Zool. 55, 67-294. HAGET, A. (1950). Quelques remarques au sujet de larves symeles obtenues par section transversale du germe de Leptinotarsa. C. r. Seanc. Soc. Biol. 144, 413-14. HAGET,. A. (1953). Analyse experimentale des facteurs de la morphogenese embryonnaire chez le Coleoptere Leptinotarsa. Bull, biol Fr. Belg. 87, 2, 123-217. HOGE, M. A. (1915). The influence of temperature on the development of a Mendelian character. 7. exp. Zool. 18, 241-98. HOLM, A. (1940). Studien iiber die Entwicklung und Entwicklungs-biologie der Spinnen. Zool. Bidr. Upps. 19, 1-214. JUBERTHIE, C. (1962). Etude des symelies provoquees par la temperature chez un Opilion (Arachnides). C.r. hebd. Seanc. Acad. Sci., Paris 254, 2674-6. JUBERTHIE, C. (1963 a). Production experimentale de rheterosymelie chez un Opilion. C. r. hebd. Seanc. Acad. Sci., Paris 256, 3363-5. JUBERTHIE, C. (19636). Monstruosites observees chez les Opilions. Bull. Mus. nat. Hist. nat. 2emeser., 35, 167-71. JUBERTHIE, C. (1964). Recherches sur la biologie des Opilions. Ann. Speleol, 19, 1, pp. 5-238, pi. 1-4. JUBETRHIE-JUPEAU, L. (1965). Heterosymelie et anomalies de la segmentation chez Scutigerella silvatica (Symphyle, Myriapode). Bull. Soc. zool. Fr. 90, 405-15. LUPO, V. (1947). Curiosa anomalia nelle zampe anteriori di un' ape. Boll. Zool. 14, 61-4. LUSCHER, M. (1944). Experimented Untersuchungen iiber die larvale und die imaginale Determination im Ei der Kleidermotte {Tineola biselliella Hum.). Rev. suisse. Zool. 51, 531-627. MIKULSKI, I. & KOKOCINSKI, W. (1966). Un cas d'heterosymelie spontanee chez Paraignee Agelena labyronthica Clerek. Bull. Acad. Pol. Sci. 14, 6, 425-426. MORGAN, T. H., BRIDGES, C. B. & STURTEVANT, A. H. (1925). The Genetics of Drosophila. Biblio. Genetica. 2, 1-262. PENZLIN, H. (1965). Experimented Erzeugung von Deifachbildungen bei einem heterometabolen Insekt. Naturwissenschaften 52, 217-18. ROTH, L. M. & HOWLAND, R. B. (1941). Studies on the gaseous secretion of Tribolium confusium Duval. 1—Abnormalities produced in Tribolium confusium Duval by exposure to a secretion given off by adults. Annls. Ent. Soc. Amer. 34, 1, 151-172. SIEDEL, F. (1928). Die Determinierung der Keimanlage bei Insekten, 2. Biol. Zbl. 48, 230-51. VACHON, M. (1947). Remarques sur l'arthrogenese des appendices a propos d'un cas de symelie partielle chez un Pseudoscorpion Chelifer cancroides L. {Arachnides). Bull. biol. Fr. Belg. 81, 177-94. WOLFF, E. (1936). Les bases de la teratogenese experimentale des Vertebres amniotes d'apres les resultats de methodes directes. These Fac. Sci. Strasbourg, pp. 1-375. CAPPE DE BAILLON, (Manuscrit regu le 31 juillet 1967)
© Copyright 2025 Paperzz