Rapport de mission Xavier Bressaud December 21, 2007 Mission à Phnom Penh du 17/11/07 au 3/12/07. L’objet principal de cette mission était d’assurer un cours de 45h d’algèbre linéaire, premier module du master de mathématiques mis en place par le CIMPA à l’Université Royale de Phnom Penh (URPP). Malgré la courte durée de mon séjour, les incertitudes régnant avant mon arrivée sur les questions d’organisation matérielle, l’habilitation du diplôme et le nombre d’étudiants inscrits, le cours s’est déroulé dans des conditions matérielles tout à fait satisfaisantes. Une salle et un créneau horaire nous avait été attribué à l’URPP. Une trentaine d’étudiants assistaient quotidiennement au cours. Les cours ont eu lieu en général les après-midi de 13h à 17h; du lundi au jeudi durant la première semaine, puis du lundi au samedi pendant la semaine suivante. Deux séances supplémentaires, les vendredi et samedi matins de la deuxième semaine, l’une consacrée à une session WIMS, ont été organisées pour compenser le long week-end (water festival) intermédiaire. Au départ, 28 étudiants étaient inscrits : 12 acceptés sur dossiers, venant d’horizons divers (professeurs à l’URPP ou formateurs au National Institute of Education, étudiants ayant obtenu leur quatrième année (bachelor) avec une note supérieure à 3/4) et 16 acceptés à la suite d’une épreuve écrite. Une étudiante, Chhay Rumea, ayant obtenu l’année dernière un master 2 à Nantes et le Professeur Pheakdei assistaient aussi quotidiennement au cours. Seuls trois d’entre eux ont abandonné pendant ce premier module. Déroulement du cours Les élèves avaient reçu environ une semaine avant mon arrivée les notes téléchargeables que j’ai utilisées comme références et deux planches d’exercices préliminaires destinés à sonder leur niveau. Je laissais en général une série d’exercices à faire entre deux séances (issus du cours ou des notes). Une dizaine d’étudiants me les rendait régulièrement. J’en corrigeais certains à la demande en début de séance, faute de faire des séances de TD systématiques. L’essentiel du temps était consacré au cours. Un cours très “pragmatique” traitant la plupart des méthodes et introduisant les concepts par l’exemple. Je m’efforçais avant tout de transmettre des “images”, espérant développer une intuition là ou j’avais l’impression que les élèves voyaient une série de recettes. Je prouvais la plupart des assertions mais en ayant l’impression d’avoir du mal à convaincre les étudiants du sens de ma démarche. J’ai organisé un test (1h30) très calculatoire pour vérifier leur maitrise des méthodes le lundi de la deuxième semaine et un examen plus théorique de 2 heures lors de la dernière séance. Contenu J’ai présenté les systèmes d’équations linéaires et la méthode du Pivot de Gauss. La plupart des étudiants connaissaient la méthode et une fraction importante 1 d’entre eux savait la mettre en oeuvre. J’ai ensuite introduit les matrices et les opérations sur les matrices, tachant notamment de relier l’inversion à la résolution des systèmes linéaires, les opérations sur les lignes à des produits de matrices. Mon souçi principal était de les obliger à raisonner sur une matrice sans connaitre la dimension de l’espace. J’ai présenté les determinants en essayant de relier les différents points de vues qui peuvent permettre de les présenter. Cela a occupé la première semaine. J’ai décrit R2 et R3 comme espaces vectoriels (opérations, structure d’ev, produit scalaire, produit mixte), avant d’introduire les espaces vectoriels de manière plus générale. Outre Rn j’ai donné plusieurs exemples “concrets” d’espaces fonctionnels, de dimension finie ou infinie. Sentant les étudiants beaucoup plus sceptiques, j’ai passé beaucoup de temps autour des notions de familles génératrices, libres, de bases et de dimension. En restant général, mais en m’attachant toujours à donner des images dans R3 . Puis en essayant de relier ces notions aux recettes qu’ils avaient bien assimilées, Pivot ou/et calculs de determinants. J’ai eu le sentiment que peu d’entre eux étaient en mesure de faire le lien. J’ai malgré tout continué en présentant les applications linéaires et leurs matrices, allant jusqu’à décrire une procédure de diagonalisation. J’ai consacré la dernière heure de cours à une présentation de “la” recherche en mathématiques et une description sommaire de mes sujets de recherche (les systèmes dynamiques). Support écrit J’ai utilisé les notes “Linear Algebra” de WWL CHEN téléchargeable sur la toile à l’adresse http://www.maths.mq.edu.au/˜wchen/lnlafolder/lnla.html. Il me semble que cette trame simple et solide en a aidé beaucoup, permettant en particulier de pallier un peu les difficultés de langage. Je voudrais insister sur la pauvreté de la littérature disponible sur place et la difficulté pour les étudiants de trouver par euxmêmes des références utiles sur la toile (manque d’expérience de navigation, manque de recul sur les contenus, et idée peu claire de ce que nous attendons d’eux). Evaluation Je corrigeais au plus vite les exercices qu’ils me rendaient et ai essayé de tenir compte de cet effort (de manière non formalisée) dans la note finale. J’essayais de les rendre individuellement en apportant des commentaires et/ou encouragements oraux. Le test du lundi m’a permis de vérifier leur aptitude à utiliser les méthodes dont nous avions parlé. Il les maitrisaient mais leur maitrise était clairement antérieure à mon cours. J’ai tenu compte des résultats de cet examen à hauteur de 20% dans la note finale. L’examen final était volontairement (et je l’avais annoncé) plus théorique. Il ne me semblait pas très difficile au vu du contenu du cours, mais était sensé discriminer ceux qui avaient perçu quelquechose au delà des méthodes présentées. Je l’ai noté de manière très généreuse permettant à ceux qui se sont révélés capables seulement d’appliquer les méthodes correctement d’avoir la moyenne. Une main d’étudiants s’est montré capable d’aborder intelligement des questions qui ne relevaient pas d’une application directe du cours et j’ai cherché à les mettre en valeur même si j’étais un peu déçu par leurs réponses. J’ai transmis les notes rapidement après mon retour, d’abord par mail pour vérification puis scannant la “feuille de notes” administrative dûment remplie et signée, ce qui semble être la procédure à suivre. Outil informatique J’avais en tête de faire deux séances WIMS surtout pour leur faire utiliser le module “virtual Gauss” qui permetde se familiariser de manière originale 2 avec la résolution des systèmes linéaires. Cela s’est révélé moins crucial que je ne l’avais imaginé dans la mesure où cette méthode était plus ou moins acquise. J’ai cependant souhaité organiser cette séance surtout pour leur faire (re-)découvrir WIMS. J’ai insisté pour travailler connecté à internet (de toutes façons les machines du département de maths de l’URPP sont sous Windows et je ne voyais pas comment installer les CD WIMS existants). Il semble que la connexion a internet soit facturée au kb et donc peu encouragée par l’université. Cependant, une séance a pu être programmée pour la matinée du dernier vendredi. Nous avions pu visiter la salle la veille. La salle et la connexion était tout à fait satisfaisantes et il me semble qu’on peut envisager, à condition donc de le prévoir à l’avance, une utilisation plus intensive de cet outil. J’ai été frappé par le peu de pratique de la navigation de la majorité des étudiants. Il semble que de manière générale, l’usage d’internet soit couteux et peu commode, y compris à l’université. Cela me semble être une entrave pour d’éventuels éléments qui seraient aptes à apprendre beaucoup par eux-mêmes par ce type de biais. Attitude des étudiants Les étudiants, quel que soit leur niveau effectif, se sont montrés attentifs, sérieux et motivés, souvent enthousiastes. L’ambiance des cours était fort agréable et les contacts informels avec les étudiants tout à fait sympathiques. Leur disponibilité en dehors des heures de cours est variable mais n’est en général pas très importante (pas assez). Parmi les 25 encore présents à la fin du module, certains seront certainement amenés à abandonner par la faiblesse de leur niveau. 4 ou 5 parlent bien français, mais la majorité préfère nettement l’anglais. Le niveau d’anglais est assez disparate et Mauk Pheakdei, présent lors de la plupart des cours prenait souvent le temps de traduire mes propos —lorsqu’ils lui paraissaient importants ou trop embrouillés. Cette difficulté de langage rendait plus difficile une interaction qui m’aurait mieux permis de m’adapter au niveau et de mieux saisir les blocages qui les gênaient. J’avais en particulier du mal à les faire travailler directement sous mes yeux. L’idée de TDs, encadrés peut-être en khmer, mais éventuellement en présence de l’enseignant et apparement déjà expérimentée lors du pré-master serait intéressante à remettre en oeuvre. Il me semble que les étudiants manquent de recul à la fois d’un point de vue scientifique, mais aussi peut-être d’un point de vue plus global : ils ne savent pas très bien vers quoi ils vont. Quels sont les objectifs du master ? Que doivent-ils retenir en priorité de ce que nous essayons de leur transmettre ? Comment peuvent-ils, doivent-ils s’organiser pour travailler ? Ou peuvent-ils aller chercher des références et “travailler” par eux-même ? Ils me semble plus généralement qu’ils manquent d’une certaine confiance en eux, du moins dans leur capacité à aborder un problème nouveau et à chercher des solutions avec leur bon sens et sans l’aide d’un algorithme prédeterminé. Plus globalement j’ai été frappé (mais je n’ai pas fait d’étude statistique et il s’agit d’un jugement à l’emporte pièces) par le faible niveau de culture scientifique ambiant. Au delà des maths que nous leur apprenons, le professeur Pheakdei les encourage à observer notre “manière d’enseigner” insistant sur le fait qu’une partie d’entre eux se destine à une carrière d’enseignant, y compris s’ils ne finissent pas le master. J’ai pris des photos des étudiants. Un trombinoscope est maintenant accessible à l’adresse : http://iml.univ-mrs.fr/˜bressaud/Cambodge/ Autres aspects Du point de vue matériel, les choses m’ont paru très bien organisées. Le plus difficile étant d’obtenir les informations. Mauk Pheakdei a été mon principal 3 (unique, en fait) référent pour tout ce qui avait directement trait au master. La seule difficulté pratique était d’effacer le tableau blanc de mauvaise qualité. Pour les autres aspects pratiques, j’ai été pris en charge par l’un des étudiants, Kim Chamroeunvuthy, exceptionnellement par un autre d’entre eux. C’est là encore l’un des traits particulier de fonctionnement local : le master est “organisé” en partie par les étudiants. Kim Chamroeunvuthy a pu m’arranger des rencontres avec différents responsables locaux : • Moncef Meddeb, conseiller de direction de l’ITC. • Lav Chhiv Eav, recteur de l’URPP. • Marie-Hélène Legoff, responsable de l’antenne locale de l’AUF. • Chan Roath, président de la Société Mathématique du Cambodge. • Im Koch, directeur du National Institute of Education. Ces rencontres m’ont donné une idée plus précise du fonctionnement de l’enseignement au Cambodge, des contraintes particulières du master, des possibilités ouvertes, des liens entre l’université et les autres structures d’enseignement supérieurs ainsi que de la situation du Cambodge par rapport aux pays voisins. A l’initiative de Mauk Pheakdei, j’ai aussi passé plus d’une heure dans une classe de 3ème année pour essayer de “donner envie” aux éléves de continuer vers les mathématiques et tenter de leur donner une idée de l’organisation du master, et, plus généralement, de la recherche et de l’enseignement en mathématiques. En conclusion J’ai beaucoup apprécié l’athmosphère de ce cours et l’enthousiasme des étudiants. Leur réactions m’ont donné le sentiment que l’effort du CIMPA et des professeurs étrangers qui viennent donner ces cours était en retour très apprécié. J’espère que ma contribution aura été profitable et que cette première année de master ouvrira, au moins à une fraction des étudiants, la possibilité de poursuivre des études en direction de la recherche, en France, par exemple. 4 5
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