Marseille, le 29 janvier 2016 PDG-2016-30 Monsieur Rodolphe Alexandre Président de la Collectivité Territoriale de Guyane 4129 route de Montabo BP 7025 97307 Cayenne Cedex Le Président-Directeur Général Monsieur le Président, Vous avez souhaité réagir, au travers d’un communiqué de presse, au recours déposé par la Fondation France Libertés au dépôt de brevet par des chercheurs de l’IRD de la molécule « SkE ». Alors que l’association en question souhaitait de son propre aveu en réponse à l’un de mes courriers faire, au travers de cette saisine de l’Office Européen des Brevets (OEB) un « espace de dialogue», que l’OEB ne s’est pas encore prononcé sur ce recours, et qu’à ma connaissance il n’existe aucune procédure mettant en cause l’intégrité des chercheurs IRD concernés, vous exprimez des accusations d’une grande gravité à l’égard de ceux-ci. Si ces accusations s’avéraient justifiées, je ne pourrai que m’opposer avec vous, et avec la plus grande vigueur, à des pratiques qui seraient en contradiction ouverte avec les valeurs et les soucis de partenariat qui caractérisent l’action de l’IRD en général, et avec la région Guyane en Particulier. Mais justement, si nous avions eu l’occasion que nos services et nous-mêmes échangent en amont sur ce sujet, il m’aurait été facile de vous convaincre de la bonne foi de ces chercheurs et de dissiper les malentendus qui me, semble-t-il, ont présidé à votre prise de position. Les travaux épidémiologiques des chercheurs de l’IRD sur cette molécule ont été initiés en 2003, dans un contexte de fortes résistances aux traitements antipaludéens. Ils n’avaient pas pour objectif le dépôt d’un brevet, mais de faire des recommandations d’usages des plantes médicinales locales aux pouvoirs publics. Ce n’est que plusieurs années plus tard, suite à des études phytochimiques à partir de « Quassia Amara », que la molécule SkE a été identifiée comme espoir de nouveau traitement contre le paludisme. C’est pourquoi, il me semble que reprocher rétroactivement à ces chercheurs de ne pas avoir obtenu un consentement des personnes interrogées quant à l’éventualité d’un dépôt de brevet participe d’une certaine incompréhension de la dynamique du développement des connaissances biomédicales sur laquelle nous devrions pouvoir échanger à l’avenir. 44 boulevard de Dunkerque CS 90009 13572 Marseille cedex 02 France Tél. : +33 (0)4 91 99 95 51 Fax : +33 (0)4 91 99 92 19 [email protected] La nécessité de trouver des alternatives au seul traitement efficace actuel consistant dans les combinaisons à base d’artémisine reste d’une totale urgence car des résistances ont commencé à apparaître face à cette unique cartouche de l’arsenal thérapeutique disponible. Le dépôt d’un brevet par l’IRD, qui est l’objet d’un recours, vise simplement à faciliter la mise au point d’un médicament efficace qui implique inévitablement à ce stade un partenariat public-privé. Il ne préjuge en aucun cas, dans l’hypothèse où ce partenariat se concrétiserait et déboucherait sur des perspectives d’exploitation, d’une part des conditions que l’IRD ne manquerait pas d’imposer pour garantir l’accès ultérieur des populations des pays en développement à des prix abordables pour le nouveau médicament, d’autre part pour vous associer à cette démarche. L’avancée des travaux qui ont conduit à ce dépôt de brevet a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses publications et présentations scientifiques en Guyane, en impliquant notamment l’Université de Guyane. Il apparaît toutefois que les plus hautes autorités locales guyanaises n’ont pas été informées officiellement du dépôt de ce brevet en 2009, ce qui est de mon point de vue tout à fait regrettable. Je suis évidemment à votre entière disposition pour envisager avec vous la meilleure façon d’associer votre collectivité dès lors que des perspectives effectives d’exploitation de ce brevet se préciseraient. Je tiens à préciser que ce brevet n’a pas, pour l’instant, intéressé d’entreprises pour développer un traitement, et qu’il n’y a donc pas de bénéfices ou d’avantages dont aurait bénéficié en propre l’IRD et dont vous n’auriez pas été informé. De plus, en brevetant une molécule, l’IRD ne s’arroge aucun monopole d’exploitation : ce dépôt n’a aucune conséquence sur la production locale et l’usage de la « Quassia Amara ». Dans un cadre législatif en devenir, l’IRD porte un souci éthique dans sa démarche scientifique dans les territoires où il est présent. L’Institut est en contact permanent avec la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, et appartient au groupe de travail sur l’APA mis en place par le ministère de la Recherche sur ces questions. Il suit et a d’ailleurs soutenu activement les évolutions législatives en cours pour mieux adapter ses démarches et s’alignera immédiatement sur les dispositions qui seront issues de la loi sur la biodiversité qui vient d’être votée au Sénat. Là encore, je suis à votre disposition pour que le partenariat, jusqu’à présent exemplaire entre les acteurs guyanais, au premier rang desquels les collectivités territoriales, et l’IRD, en matière de préservation de la biodiversité, puisse jouer un rôle pilote dans la mise en œuvre des dispositions nouvelles Je veux rappeler que l’IRD fonde son excellence scientifique sur la qualité des collaborations et des partenariats. Nos recherches sont installées dans un cadre de confiance avec les équipes scientifiques et les autorités locales et nous sommes engagés de longue date, comme je l’ai moi-même été au travers de mes propres travaux de recherches sur le sida, la tuberculose et le paludisme, pour l’accès égalitaire aux soins de toutes les populations. Mon représentant en Guyane, Michel Brossard, et moi-même, sommes à votre disposition pour poursuivre ce dialogue, dans une logique constructive. Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire, Monsieur le Président, en mes sincères salutations. Jean-Paul MOATTI
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