LE MONDE DU DIMANCHE 1 JUIN 2014

TECHNICOLOR
SORT DU ROUGE
CAHIER ÉCO – LIRE PAGE 2
YAMASHITA, LE ROI
DU NAVET JAPONAIS
Yannick Jaulin, l’homme
qui contait sur un tracteur
CULTURE – LIRE PAGE 11
CULTURE & STYLES – LIRE PAGE 13
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014 - 70e année - N˚21576 - 2 ¤ - France métropolitaine - www.lemonde.fr ---
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
6juin 1944:
les victimes
oubliées du
Débarquement
La majorité face
au «problème
Hollande»
t Le jour J, près de 2500civils
français ont péri lors des
bombardements alliés
t Après la débâcle aux
D
européennes, les socialistes
doutent ouvertement
d’une candidature Hollande
en 2017. « La question
présidentielle ne se pose
pas aujourd’hui », affirme
le chef de l’Etat au «Monde »
ans quelques jours, la France, l’Europe et l’Amérique du Nord vont
célébrer le 70e anniversaire du
Débarquement en Normandie. Pour préparer ce qui sera la plus importante opération amphibie et aéroportée de tous
les temps, les forces alliées ont décidé
d’« aplanir » (flatten) les infrastructures,
les carrefours routiers et les villes les
entourant afin de paralyser les renforts
allemands. La campagne de bombardements, massive, meurtrière, n’atteindra
pas tous ses objectifs et fera près de
2 500 victimes civiles. Retour sur cet épisode marginalisé de l’Histoire, lors
duquel des Français montrèrent, au
péril de leur vie, de formidables élans de
solidarité pour venir au secours des blessés et des sinistrés. p
LIRE PAGES 8-9
François Hollande
lors de l’inauguration
du Musée Soulages,
vendredi 30 mai, à Rodez.
PASCAL PAVANI/AFP
LIRE DÉBATS PAGE 18
MATTEO RENZI : « EN RÉFORMANT l’ITALIE,
NOUS REDONNERONS DES PERSPECTIVES À L’EUROPE »
t Auréolé par les 40,8 % de voix remportées par le Parti démocrate (gauche) aux élections
européennes, le jeune président du conseil italien livre sa vision de l’avenir européen :
« Si nous voulons sauver l’Europe, nous devons la changer » LIRE PAGE 2
N
UK price £ 1,80
Historien. D’une double fidéli-
té à ses origines – le Var et la gauche –, le grand historien Maurice
Agulhon, mort le 28 mai, à l’âge
de 87 ans, a fait une œuvre. Socialdémocrate assumé, il n’a cessé,
au fil de livres portant la marque
du savant et du passionné de politique, de raconter cette partie de
l’histoire de France qui voit l’idée
républicaine l’emporter dans un
pays de tradition rurale.
LIRE PAGE 15
TÉLÉVISIONS
La nouvelle
bataille du soir
a De 20 heures à minuit,
les chaînes veulent retenir
un public plus large,
avec de l’information
et du divertissement
SUPPLÉMENT
Cette jeunesse indifférente
ou tentée par le FN
Ils habitent Auch ou Reims, ils ont
la vingtaine et sont souvent sans
emploi. S’ils ne votent pas tous Marine
Le Pen, ils sont prêts à la laisser gagner.
FRANCE – PAGE 7
ommé le 22 février à la faveur d’une révolution de
palais, Matteo Renzi, 39 ans, jeune président du
conseil italien, a reçu l’onction du suffrage universel en sortant grand vainqueur des élections européennes avec 40,8 % des voix en Italie. Dans un entretien aux
six journaux du réseau Europa (Le Monde, La Stampa, The
Guardian, El Pais, Süddeutsche Zeitung, Gazeta Wyborc-
LA MORT DE
MAURICE AGULHON
AUJOURD’HUI
za), le leader du Parti démocrate (gauche) affirme « travailler pour donner une âme à l’Europe ». Alors que l’Italie
prendra la présidence de l’Union européenne le 1er juillet,
il se donne quelques années pour réformer en profondeur le pays : « J’aime l’idée qu’on fasse de la politique en
CDD. Pendant des années, tu te consacres corps et âme à ça,
et après, tu lâches.» p
En Inde, nouvelle polémique
après un viol d’adolescentes
Deux jeunes «intouchables» ont
été retrouvées pendues après un viol.
Un crime qui révèle la condition
des Indiennes de basse caste.
INTERNATIONAL – PAGE 4
Les salaires des patrons toujours à la hausse
L
e moment avait tout pour
être historique. Alors que
François Hollande avait
fait de la finance son
« ennemie », que le gouvernement a passé depuis 2012 une loi
plafonnant à 450 000 euros par
an les rémunérations des
patrons d’entreprises publiques,
ce devait être la dernière pierre
d’un édifice patiemment
construit: celui de la lutte contre
les salaires exorbitants des
grands patrons.
Une croisade encore récem-
ÉDITORIAL
ment symbolisée par Arnaud
Montebourg: le 19 mai dernier,
le pétulant ministre de l’économie invitait les dirigeants des
grandes banques hexagonales à
venirs’expliquer sur leursrémunérations, jugées « indécentes »
par Bercy.
De quoi s’agit-il? De la première expérimentation d’une pratique, adoptée par les organisations patronales, appelée say on
pay : les actionnaires ont désormais leur mot à dire – de manière consultative – sur les salaires
des patrons.
Dans les assemblées générales
des entreprises françaises, ils
peuvent voter pour ou contre les
rémunérations des dirigeants.
De quoi permettre à la France de
rattraper son retard en matière
de démocratie actionnariale et
se positionner à l’égal des EtatsUnisou de l’Allemagne,où le système existe depuis plusieurs
années.C’estdu moinsce queclamaient les partisans du say on
pay. Après des années d’inflation salariale, on allait voir ce
qu’on allait voir !
Las, la saison de printemps
des assemblées générales touche à sa fin et se conclut sur un
premier bilan plutôt décevant.
Les grands principes se sont
heurtés à la réalité. A priori, le
mécanisme a bien fonctionné :
loin des habituels plébiscites par
des assemblées passives, plusieurs patrons ont été contestés,
voire carrément sanctionnés.
Carlos Ghosn et son salaire
mirobolant chez Nissan, BernardArnault chez LVMH… Ils ont
subi les foudres des petits porteurs comme des grands fonds.
Une fronde que bien peu avaient
anticipée.
Mais, derrière cette apparente
levée de boucliers, les chiffres
parlent d’eux-mêmes : malgré
des résultats souvent en berne,
les chèques des patrons continuent inexorablement de grimper. Pourquoi une telle inflation ?
Au grand jeu de la transparence, les conseils d’administration
des sociétés ont tout fait pour
déminer le sujet. Pour les actionnaires, les explications alambiquées sur le lien entre le bonus
du patron et tel ou tel indicateur
financier parfaitement abscons
ont été peu audibles. On fait dire
aux chiffres ce que l’on veut.
Du coup, les actionnaires,
notamment anglo-saxons, ont
plutôt retenu le discours sur la
comparaison avec les pairs : certes, les grands patrons français
sont rondement payés, mais à
l’aune de leurs concurrents
anglo-saxons, c’est bien peu ! Et
en cas de non-approbation de
ces salaires, on a rappelé aux
actionnaires que les cadors du
CAC 40 risquaient d’être débauchés par d’autres groupes, plus
généreux…
Quelle place pour l’éthique
dans tout cela ? Bien peu. C’est
sans doute le principal enseignement de cette première saison
du say on pay : l’outil n’est pas
fait pour limiter la valeur absoluedes rémunérations.En matièred’équité,de lutte contrelesinégalités, d’exemplarité sociale ou
civique, c’est un coup d’épée
dansl’eau. N’endéplaise auxmilliers d’employés victimes de
plans sociaux. p
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2
international
0123
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
Matteo Renzi: «Changer l’Europe pour la sauver»
Le jeune président du conseil italien de centre gauche a remporté 40,8% des voix au scrutin européen du 25mai
Entretien
N
ommé président du
conseil italien le 22 février,
Matteo Renzi, 39 ans, a
accordé un entretien aux six journaux du réseau Europa, Le Monde,
La Stampa, The Guardian, El Pais,
Süddeutsche Zeitung, Gazeta
Wyborcza.
C’est la troisième fois en trois
ans que notre groupe de journalistes s’entretient avec un premier ministre italien. Nous
avons rencontré Mario Monti et
Enrico Letta. Qu’est-ce qui nous
garantit que vous ne serez pas,
vous aussi, un météore ?
Désolé, mais je crois que vous ne
verrez pas d’autre président du
conseil pendant quelque temps
encore. L’Italie a choisi la stabilité.
C’estelle qui nous donne la force de
changer les choses ici et en Europe.
La réforme du mode de scrutin a
été déjà approuvée à la Chambre.
Cellede laConstitutionest en route
au Sénat. Celle du code du travail a
commencéavecunpremierdécretloiopérationnel.Laréformedel’administration sera effective en juin
et celle de la justice sera présentée à
l’été. Paradoxalement, la stabilité
autorise le changement, et le changement a besoin de stabilité.
Pourquoi vous croire ?
La seule façon d’être crédible en
Europe n’est pas de recueillir
40,8% [le score du Parti démocrate,
PD, centre gauche], mais de pouvoir présenter un paquet de réformes qui attestent de notre sérieux.
En remettant les choses en place
ici, nous redonnerons aussi des
perspectives à l’Europe. Le simple
fait que je sois devant vous et que
j’aie moins de 40 ans veut dire que
les Italiens sont capables de tout.
Du meilleur comme du pire.
Le score de votre parti est-il un
acte de foi ou la conséquence
d’un raisonnement politique ?
Il est déjà difficile d’interpréter
les flux électoraux, à plus forte raison les émotions. Disons que c’est
un acte de foi basé sur une
réflexion politique. Aucun parti
n’avait reçu autant de suffrage en
pourcentage depuis la Démocratie
chrétienne, dans les années 1950.
Pour la première fois, le peuple a
mieux compris l’enjeu de ce scrutin que les politiques et les sondeurs. Le 25 mai a été l’occasion
d’un choix clair : ou le courage et
l’avenir, ou les insultes et le passé.
Avec quel chef d’Etat ou de gouvernement européens vous sentez-vous le plus en harmonie ?
Matteo Renzi au Palais Chigi, le siège de la présidence du conseil, le 30 mai, à Rome. PIETRO MASTURZO POUR « LA STAMPA »
Je ne sais pas. Mais je connais, en
revanche, ma position et celle de
l’Italie. Si nous voulons sauver l’Europe, nous devons la changer.
Même si le PD a été de tous les partis européens celui qui a reçu le
plus de suffrages, même si l’abstention a été faible, cela ne veut pas
direquelesélecteurssontenfaveur
«Pour la première
fois, le peuple
a mieux compris
l’enjeu de ce scrutin
que les politiques
et les sondeurs»
du statut quo. Une nouvelle saison
s’ouvre en Europe avec l’agenda
2014-2020, le renouvellement des
institutions et de leurs responsables, le début du semestre italien le
1er juillet, la redéfinition de notre
relation avec la Russie et l’espace
méditerranéen. L’Italie va y participer, convaincue et déterminée.
Soutiendrez-vous Jean-Claude
Juncker à la présidence de la
Commission ?
La position du gouvernement
italien est simple : avant de se mettre d’accord sur un nom, mettonsnous d’accord sur un programme
et un agenda. Aucun des candidats
à la présidence n’a obtenu la majo-
rité absolue, il est donc difficile de
trouver une solution sans un
accord global. Des candidats se
sontdéclarés,mais le Conseila aussi des prérogatives. Il serait judicieux d’éviter que s’ouvre un
conflit entre le Parlement et le
Conseil. Personnellement, je ne
m’intéresse pas à la distribution
des maroquins mais aux emplois.
Tant que l’Europe ne se dote pas
d’une méthode pour combattre le
chômage, toute discussion sur les
postes sera inutile et inefficace.
Il faut montrer les aspects les
plus séduisants de l’Europe, faire
rêver : Erasmus, le service civil, les
« Etats-Unis d’Europe» qui restent
mon horizon. Mais ce pari suppose
que les gens s’intéressent de nouveau à la chose publique et que
nous réussissions à nous donner
des objectifs communs. Le 2 juillet,
devant le Parlement européen, je
m’exprimerai sur ces objectifs :
l’énergie, la mise en commun des
infrastructures et l’immigration.
Le prochain président de la
Commission devra aimer l’Europe
avec le regard d’un innovateur.
L’Italie ne demande rien. Elle
fait son travail qui est de sauver les
migrants, grâce à l’opération Mare
Nostrum. Mais l’Europe devrait
demander aussi aux Nations
unies d’intervenir en Libye et,
d’une façon générale, chercher à
avoir une capacité plus grande
dans la gestion des flux migratoires.Frontex [l’agence de surveillance des frontières européennes]
pourrait être mieux et davantage
utilisée, en s’occupant plus des
frontières de la Méditerranée.
Vous avez peut-être un profil ?
Quelle va être votre relation
avec Angela Merkel dans cette
perspective ?
J’ai trouvé vulgaire et inélégant
la façon dont certains partis ont
cru prendre des voix en insultant
l’Allemagne. L’Allemagne n’est
pas un ennemi, c’est un modèle
pour ce qui concerne le marché du
travail, l’administration. Cela ne
veut pas dire que je n’ai pas des
idées différentes de la chancelière
allemande. Aujourd’hui, il est évident que l’Allemagne a tout intérêt à ce que l’Italie change de vitesse et retrouve de la croissance, à
condition que l’Europe ne soit pas
seulement fondée sur l’austérité.
Quelle est votre recette pour
avoir vaincu l’euroscepticisme ?
A propos d’immigration, que
demande l’Italie ?
Nicolas Sarkozy propose de
réformer les accords de Schengen. Etes-vous d’accord ?
La question de l’immigration
s’affronte avec des règles claires,
pas en retournant en arrière. Je ne
dis rien de plus, je ne veux pas
paraître agressif…
Vous voyez-vous comme un nou-
veau leader pour la gauche européenne ?
Je ne me prends pas pour un leader. Je suis un citoyen européen
qui veut une Europe avec une âme.
Si l’Europe m’explique dans le
détail comment je dois pêcher l’espadon mais qu’elle ne me dit rien
sur la manière de sauver un immigrant qui se noie, cela veut dire que
quelquechosenevapas.Jetravaille
pourdonneruneâmeà l’Europe.La
question n’est pas d’être ou de ne
pas être un leader, mais de redonner de l’espoir. Ce n’est pas simple,
surtout dans une Europe qui, ces
dernières années, a perdu le sens
de l’aventure, des défis et des rêves.
Mais vous êtes vu comme un lea-
«J’aime l’idée qu’on
fasse de la politique
en CDD. Pendant des
années, tu te consacres
corps et âme à ça,
et après, tu lâches»
der, que vous le vouliez ou pas…
Le sens de l’élection n’est pas lié
à la naissance d’un nouveau chef
appelé Matteo Renzi. Mais plutôt
au fait que l’Italie n’est plus la dernière roue du carrosse. L’Italie est
un pays qui, s’il réussit à se réformer, peut être à l’avant-garde de
Le rapprochement de Beppe Grillo avec Nigel Farage passe mal au M5S
D
eux polémiques le même
jour. Beppe Grillo, le leader
du Mouvement 5 étoiles
(M5S), n’en finit pas de payer sa
contre-performance aux européennes du 25avril. Tout aurait
été pour le mieux s’il n’avait pas
claironné, la veille encore du scrutin: « Nous vaincrons!» Après une
telle affirmation, les 21,1% du M5S
apparaissent comme un recul par
rapport au 25,5% des élections
législatives, quinze mois plus tôt,
et comme une déculottée au
regard des 40,8% du Parti démocrate (PD, gauche) de M.Renzi.
Un document interne émanant d’un conseiller en communication du M5S, révélé par la presse italienne jeudi 29 mai, pointe
les insuffisances et les erreurs
commises pendant la campagne.
« Nous avons transmis une énergie destructrice», révèle cette
note qui souligne un « message
inquiétant, peu rassurant, peu fiable ». « Si nous n’avons pas de
réponse à un problème, cela ne
sert à rien de le dénoncer», préconise son auteur, qui relève également le choix discutable d’avoir
négligé les émissions de télévision dans un pays où « 15 à 20 millions de personnes» ne s’informent que par ce média.
Tout irait mieux aussi si lui et
son mentor, Gianroberto Casaleggio, avaient fixé une ligne claire
au Mouvement plutôt que de
s’en remettre au sacro-saint vote
Internet pour décider des points
de programme, de la ligne idéolo-
gique, du choix des candidats. En
ayant préféré des slogans attrapetout, au détriment de ce travail
préparatoire indispensable, voilà
le M5S pris dans une tourmente
qui met en cause son idéologie.
Ligne jaune
Un autre front s’est ouvert le
même jour. Peut-être plus dangereux pour l’ex-comique génois.
En décidant, seul, de contacter le
leader du UKIP, Nigel Farage, à
Bruxelles, Beppe Grillo a franchi
une ligne jaune au risque de faire
exploser sa formation. Opposé à
un accord avec Marine Le Pen,
M. Grillo aurait voulu « sonder le
terrain» du côté du Britannique
europhobe. « Pourquoi le
UKIP?, écrit ainsi la députée Giu-
lia Sarti. Sa campagne m’a dégoûtée encore plus que celle de
Le Pen. » Un autre élu parle d’un
leader « misogyne, xénophobe et
homophobe». Un autre encore
d’un « fraudeur financier». Selon
le quotidien britannique TheTelegraph du 30mai, M. Grillo a trouvé son interlocuteur « spirituel » :
« Il n’est pas plus raciste que je ne
suis nazi. »
Il n’empêche que revient en
mémoire l’invitation lancée par
Beppe Grillo à un militant de la
formation d’extrême droite Casa
Pound qu’il encourageait à rejoindre le Mouvement parce qu’ils
« avaient des choses en commun»;
on se souvient de ses propos en
faveur du délit d’immigration
clandestine, voté par la droite ita-
lienne en 2009 et abrogé depuis
en raison de son inefficacité; on
n’a pas oublié non plus les déclarations de la députée Roberta Lombardi, faisant l’apologie d’un
« bon fascisme». Des hasards?
Dans l’avion qui le ramenait
de Bruxelles, Beppe Grillo a voyagé au côté de Matteo Salvini, le
chef de la Ligue du Nord. Ce dernier a aussitôt tweeté que les
deux hommes « avaient eu une
conversation très intéressante».
Bien que M. Salvini, chassant sur
les mêmes terres que M. Grillo,
ait probablement voulu mettre
ce dernier dans l’embarras, on ne
peut s’empêcher de penser qu’ils
ont eu des choses à se dire. Et certainement à partager. p
Ph. R. (Rome, correspondant)
l’UE. C’est pour cela que je ne veux
pas rechercher des axes ou des
accords avec quelques pays, mais
tenter de mettre l’Europe à l’abri
de la crise qu’elle connaît. Parce
que si nous ne nous y mettons pas
tous ensemble, dans vingt ans,
aucun pays européen ne figurera
parmi les grandes puissances.
Sauf l’Allemagne, peut-être…
Votre nomination à la présidence du conseil reste entachée
d’une manœuvre un peu machiavélique pour évincer M. Letta…
J’ai une grande admiration
pour le Florentin Machiavel…
J’étais convaincu que Letta ne risquaitrien.Mais,très vite,le gouvernement est apparu comme une
voiture qui n’avait plus de batterie. J’ai cherché à apporter mon
aide, elle n’est pas repartie. Il n’y a
pas eu de complot. Cet épisode a
été un acte de générosité de ma
part. Si j’avais dû mettre mon intérêt personnel en avant, j’aurais eu
tout intérêt à ce que les choses
aillent de mal en pis. Mais j’ai choisi de prendre des risques. Je sais
comment les choses se sont déroulées et Enrico Letta aussi.
Où vous voyez-vous dans
dix ans ?
J’aime l’idée qu’on fasse de la
politique en CDD. Pendant des
années, tu te consacres corps et
âme à ça et après, tu lâches. Le fait
d’avoir un des gouvernements les
plus jeunes de l’histoire d’Italie a
un avantage. Dans dix ans, nous
aurons passé la main. Je considère
chaque jour comme une urgence,
comme une occasion de changer
l’Italie.
La parenthèse Grillo est-elle
refermée ?
La parenthèse Grillo ne se refermera que si nous sommes crédibles et que nous menons à bien les
réformes. Mais si la classe politique se convainc que le danger est
passé et se claquemure dans les
palais alors le Mouvement 5 étoiles ressurgira. p
Propos recueillis par
Philippe Ridet (« Le Monde »),
Andrea Bachstein
(« Süddeutsche Zeitung »),
Lizzi Davis (« The Guardian »),
Fabio Martini (« La Stampa »)
et Paolo Ordaz (« El Pais »)
n Sur Lemonde.fr
L’intégralité de l’entretien.
0123
international
Dimanche 1er- Lundi 2 juin 2014
3
A Tripoli, l’armée
libanaise impose
la paix entre
quartiers ennemis
Les combats qui opposaient Bab Al-Tebbaneh,
la sunnite, et Jabal Mohsen, l’alaouite, ont cessé
Reportage
Tripoli (Liban)
Envoyée spéciale
L
unettesnoires sur le nez pour
protéger ses yeux meurtris,
Mahmoud Koja monte lentement les étages vers son appartement de Bab Al-Tebbaneh, cette
banlieue pauvre de Tripoli que des
combats sanglants ont si souvent
opposée au quartier voisin de
Jabal Mohsen depuis 2011.
Sur l’escalier de l’immeuble,
situé sur la ligne de front, traînent
des paquets de chips vides et des
Kleenex sales.MahmoudKoja a vu
sa vie basculer, fin 2013, quand il a
été touché par un franc-tireur, en
pleine rue. Le petit hommechétif a
perdu un œil et a été grièvement
blessé à l’autre. « J’ai l’impression
d’avoir retrouvé l’obscurité de ma
cellule étriquée de Tadmor», dit cet
ancien prisonnier en Syrie, à la fin
des années 1980.
Sa voix est écrasée par le bruit
assourdissant des blindés qui
patrouillent. Depuis avril, l’armée
libanaise a repris le contrôle des
quartiers ennemis. « C’est magique : d’un instant à l’autre, les
affrontements se sont arrêtés »,
raille Mahmoud Koja, dans son
salon où les trous au plafond, creusés par des obus, ont été fraîchement rebouchés.
« Cette pièce est la plus sûre de
notre maison », assure le père de
famille de 49 ans, en buvant du
café. Bien sûr, il est soulagé : « On a
réappris à dormir la nuit. On n’est
plus à la merci de tirs pour un oui
ou pour un non. C’est un luxe qu’on
n’avait plus connu depuis deux
ans, peut-être trois ! » Mais il se
demande, comme tant d’autres,
pourquoi cette trêve n’a pas sonné
plus tôt : en moins de trois ans,
vingt rounds de combats auront
fait plusde 160 morts et descentaines de blessés.
Appeléeà larescoussepar le passé mais sans avoir les moyens
d’agir, l’armée a cette fois obtenu
le feu vert des dirigeants politiques pour mettre un terme aux
violences dans la seconde ville du
Liban. Depuis, les arrestations ou
les redditionsde combattantss’enchaînent. Avertis par leurs parrains, les gros poissons, caïds
locaux ou miliciens influents, ont
pris la fuite.
Avec leur départ, le discours
confessionnel haineux, qui s’était
propagé tel un venin, a diminué. Et
dans les rues de Bab Al-Tebbaneh
la sunnite ou sur la colline de Jabal
Mohsen l’alaouite, des armes lourdes ont été saisies. La guerre en
Syrie a réveillé l’animosité entre
ces faubourgs, le premier historiquement opposé à la famille
Assad, le second allié au pouvoir à
Damas. « Mais on est surtout le
jouet des politiciens libanais, décidés à montrer leur force à travers
les combats de Tripoli et à exploiter
le conflit syrien », se révolte Brahim Ahmed Mohamed, un habitant de Jabal Mohsen, aujourd’hui
paralysé.
C’est un survivant. Ses proches
l’ont retrouvé cet hiver gisant
dans sa cuisine, qui fait face à Bab
Al-Tebbaneh. La balle d’un milicien s’était logée dans sa moelle
épinière, alors qu’il installait des
plaques de métal à la place des
vitres,«pour nepas risquer demourir en cherchant un verre d’eau à
chaque accrochage».
Homs
Tripoli
Mer
Méditerranée
LIBAN
Beyrouth
Saïda
Tyr
ISRAËL
SY RIE
Damas
50 km
Dans les rues, les violences ont
accentué la misère, mutilant
davantage des façades déjà balafrées. L’annonce d’un nouveau
plan sécuritaire a d’abord été
accueillie avec incrédulité. Malgré
quelques incidents, l’accalmie a
perduré.Les ateliersde mécanique
de Bab Al-Tebbaneh ont rouvert et
les écoliers ont retrouvé le chemin
de l’école.
A Jabal Mohsen, aux entrées
bouclées par des barrages tenus
par l’armée, de jeunes hommes
s’attardent aux cafés et les protections de fortune installées pour
Des soldats libanais enlèvent les réseaux de barbelés installés entre les quartiers de Bab Al-Tebbaneh
et Jabal Mohsen, le 2 avril, à Tripoli. OMAR IBRAHIM/REUTERS
tenter de gêner les tireurs embusqués ont été retirées. En prévision
du Mondial de football, les habitantsdécorent les balconsaux couleursde leur équipefavorite, Brésil
ou Allemagne en tête.
Fragile, l’apaisement est survenuaprès la formation d’un gouvernement en février, au terme de
longs mois de blocage. La trêve
apparaît comme le fruit d’un compromis entre camps politiques
rivaux, alors que, cet hiver, le
Libans’enfonçait dans unenouvelle spirale de violence. « Chacun a
senti que l’incendie de Tripoli pouvait ravager l’ensemble du pays,
décrypte un observateur. Les pyromanes, politiciens de tous bords,
étaient nombreux à Tripoli. C’est
plus facile d’éteindre le feu quand
on en connaît les origines. »
Rien, cependant, n’a tout à fait
changé: à Bab Al-Tebbaneh,les affiches de miliciens défunts bardés
d’armes se disputent l’espace sur
les murs, et l’on reproche toujours
à l’enclave alaouite d’être inféodée
Okmeydani,foyerde la résistancecontreM.Erdogan
Le quartier du centre d’Istanbul est resté mobilisé depuis les émeutes de la place Taksim, il y a un an
Istanbul
Correspondance
T
iens voilà les voleurs! », lance
une adolescente à la sortie
d’une supérette, des sacs
plein les bras. «Tais-toi, tu vas nous
attirerdes ennuis », grondesa mère.
Un cortège de grosses berlines noires d’où débarquent gardes du
corps, élus et notables du Parti de la
justice et du développement (AKP,
au pouvoir) vient de faire irruption
dans un quartier d’Okmeydani,
arrondissement central d’Istanbul
proche de la Corne d’or.
Parmi eux, Bilal Erdogan, le fils
du premier ministre, dont le nom
est au centre d’une affaire de corruption révélée en décembre2013.
La femme se retourne. « Il n’y en a
que pour eux et pour leurs
magouilles. Pendant ce temps, le
peuple souffre », peste-t-elle.
Okmeydani a connu plusieurs
jours d’émeutesviolentesla semaine passée au cours desquelles deux
personnes ont été tuées par la police. Ces officiels qui défilaient, jeudi
29 mai, ne venaient pas présenter
leurs condoléances, mais assister à
la coupe de la Conquête, une compétitionde tirà l’arc organiséepour
célébrer la conquête de Constantinople par les Ottomans en 1453.
Quelques rues plus loin, les lampadairessont couchésen traversde
l’asphalte, les barricades encore
fumantes. Le haut d’Okmeydani,
majoritairement peuplé par des
alévis, une minorité anatolienne
issue de l’islam chiite, est un bastion de la gauche révolutionnaire
turque et kurde, où les affrontements avec la police sont fréquents. «C’est un quartier très militant. Pour Gezi, en 2013, 10 000 personnes sont descendues dans la rue,
les deux tiers de la population. Dans
chaque famille, les enfants grandissent avec la violence », constate Ali
Coskun,un avocat qui vit à Okmeydani. Dans ce quartier, mosaïque
communautaire instable, Berkin
Elvan, 14 ans, a été tué par une grenade lacrymogène alors qu’il sortait acheter du pain. Sa mort, en
mars, après neuf mois de coma, a
ravivé les tensions. Le 22 mai, un
groupe de lycéens qui voulait lui
Premier anniversaire de la vague de contestation turque
Une femme de 64 ans est morte,
vendredi 30 mai, des suites de
blessures causées par la police
lors d’une manifestation en
décembre 2013. Ce décès intervient à la veille du premier anniversaire de la vague de contestation antigouvernementale qui a
secoué la Turquie en juin 2013,
pendant plus de trois semaines.
Sévèrement réprimée, cette
fronde s’était soldée par huit
morts et plus de 8 000 blessés.
Le collectif à l’origine de ces
manifestations a appelé à descendre dans la rue samedi pour
marquer cet anniversaire. Les
autorités ont interdit tout rassemblement sur la place Taksim
et mobilisé 25 000 policiers.
rendre hommage est venu provoquer la police antiémeute à coups
de cocktails Molotov. Les forces
antiterroristes ont riposté à balles
réelles. Un projectile a frappé en
pleine tête un père de 30 ans, Ugur
Kurt, alors qu’il se trouvait dans le
cemevi, le lieu de culte alévi, pour
assister à une veillée mortuaire.
Quelques heures plus tard, un
autre homme décédait, après
avoir été blessé à la tête. Une
enquête a été demandée par la justice contre le fonctionnaire auteur
du coup de feu. « Personne n’a été
arrêté. La Turquie vit une période
d’injustice », estime M. Coskun.
Une quarantaine de personnes
ont cependant été interpellées.
« Un coup de la police »
Ce regain de violences intervientà laveilledupremieranniversaire des manifestations de la place
Taksim, contre la destruction du
parc Gezi au profit d’un projet
immobilier.Unebonnepartied’Okmeydani sera de nouveau dans la
rue. Vendredi, tous les commerçants ont été sommés de tirer le
rideau et de se mettre en grève
pour soutenir la mobilisation. Des
groupesdemilitantsarmésetencagoulés, appartenant au Front-parti
révolutionnaire pour la libération
du peuple (DHKP-C), une organisation illégale considérée comme un
mouvement terroriste, paradent
ostensiblement dans le quartier.
Une fois de plus, le premier
ministre, Recep Tayyip Erdogan,
s’est emporté contre ce quartier
maudit recouvert de slogans hosti-
les à son gouvernement, où « certains groupes terrorisent les habitants». « Je ne comprends pas comment la police a pu rester aussi
patiente », a-t-il déclaré le lendemain des tirs meurtriers.
«Moi, je n’ai rien à reprocher aux
militantsrévolutionnaires.Ilsempêchent les mafias d’entrer et de vendre de la drogue. C’est la police qui
provoque », rétorque Mehmet, un
vendeur de börek (beignets) sur la
rue principale. « A mon avis, les
types masqués qui lançaient des
cocktails Molotov, c’est un coup de
la police», veut-il croire. Le chef de
l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, a
émis les mêmes doutes. Baran, un
militantduFrontdupeuple,lavitrine du DHKP-C, revendique pourtant les actions récentes «contre la
police politique de l’AKP ». « Erdogan connaît chaque rue de ce quartier, il a grandi à Kasimpacha, à
deux pas d’ici, souligne-t-il. C’est lui
qui ordonne ces attaques. Le but est
de pousser les gens à partir d’ici. »
A Okmeydani la tension se double d’une pression foncière qui,
pour beaucoup, explique l’acharnement des autorités. Les promoteurs convoitent ce quartier populaire bien situé. Et la mairie d’Istanbul y a imaginé un vaste plan
de « rénovation urbaine », inspiré
des « Champs-Elysées ». Au terme
de ce projet, autour duquel gravitent des compagnies de construction proches du pouvoir,
100 000 personnes devraient être
délogées et le bastion révolutionnaire démantelé. p
Guillaume Perrier
à Damas. A Jabal Mohsen, le portrait d’un Bachar Al-Assad conquérant, en tenue militaire, continue
d’orner les vitrines et l’on accuse le
faubourg en contrebas d’avoir
cédé au fanatisme sunnite.
Pourpanserles plaies, le gouvernement libanais a promis des
indemnités et répertorié les des-
«On a réappris
à dormir la nuit.
On n’est plus à la
merci de tirs pour un
oui ou pour un non»
Un habitant de Bab Al-Tebbaneh
tructions.Cela ne convaincpas Brahim Ahmed Mohamed, le blessé
de Jabal Mohsen. Son calme apparent cache une immense colère :
« Si nos dirigeants avaient un minimum d’intérêt pour les citoyens, les
miliciensn’auraientpas fait la loi si
longtemps ici. Les civils ont été
sacrifiés et ils se sont appauvris.»
Chef pâtissier, il n’a pu être soigné que grâce au soutien financier
de son ancien patron, « un sunnite,
un modéré comme moi », tient à
préciser cet alaouite. Père de cinq
enfants, il ne peut plus travailler.
Pas plus que Mahmoud Koja, qui
vit de l’aide d’amis et désespère de
pouvoir être opéré. « Les habitants
sont déprimés par la violence qu’ils
ont endurée », souligne un imam
de Bab Al-Tebbaneh.
Dans chaque quartier, on jure
que la coexistence est possible.
Sans oser croire que la paix puisse
vraiment s’installer. « Tripoli peut
vite redevenir la caisse de résonance des tensions libanaisesou syriennes », s’inquiète Brahim Ahmed
Mohamed.
Dans son salon, Mahmoud Koja
est persuadé qu’il devra encore
« refairel’enduit au plafond à l’avenir ». « Dieu sait pourtant, dit-il,
combien nous aspirons à un peu de
stabilité! » p
Laure Stephan
THAÏLANDE
Washingtonréclame
desélections«libreset justes»
SINGAPOUR. Le secrétaire américain à la défense, Chuck Hagel, a
réclamé, samedi 31 mai, à la junte thaïlandaise la remise en liberté de ses prisonniers et lancé un appel à des élections rapides.
« Nous demandons instamment aux forces armées royales
thaïlandaises de libérer les personnes détenues, de mettre fin aux
restrictions de la libre expression et de restaurer immédiatement
le pouvoir du peuple thaïlandais grâce à des élections libres et justes », a déclaré M. Hagel lors d’une conférence sur la sécurité de
l’Asie, à Singapour. – (AFP.) p
MALAWI
LeprésidentMutharikaélu
dansun climatde tensions
BLANTYRE. L’ancien ministre des affaires étrangères Peter
Mutharika a remporté l’élection présidentielle du 20 mai au
Malawi, avec 36,4 % des voix, a annoncé, vendredi 30 mai, la commission électorale. Le frère de l’ancien président Bingu wa
Mutharika, décédé en 2012, devance le candidat du parti de l’exdictateur Kamuzu Banda, Lazarus Chakwera, qui obtient 27,8 %.
La présidente sortante, Joyce Banda, arrivée troisième avec
20,2% des suffrages, avait réclamé il y a peu « l’annulation» du
scrutin, arguant de « graves irrégularités». – (AFP.) p
Brunei Un commissaire européen appelle
à un boycottage pour cause de charia
PARIS. Le commissaire européen chargé du commerce, Karel De
Gucht, a apporté, vendredi 30 mai, son soutien au boycottage lancé contre le groupe hôtelier Dorchester Collection, propriété du
sultanat de Brunei. Prôné par des personnalités comme le milliardaire britannique Richard Branson ou le Français François-Henri
Pinault, ce boycottage fait suite à la décision du sultan Hassanal
Bolkiah d’instaurer la charia sur son territoire. – (AFP.)
Libye Les partisans du général Haftar manifestent
TRIPOLI. Des milliers de Libyens ont manifesté, vendredi 30 mai,
à Tripoli et Benghazi, dans l’est du pays, en soutien au général dissident Khalifa Haftar, qui mène, depuis la mi-mai, une opération
armée contre le gouvernement d’Ahmed Miitig, soutenu par les
islamistes. Le cabinet de M. Miitig, élu lors d’un scrutin controversé début mai, se heurte au précédent gouvernement, dirigé par
Abdallah Al-Theni, qui refuse de lui remettre le pouvoir. Des élections ont été fixées au 25 juin. – (AFP.)
4
0123
international
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
EnCentrafrique,
la colèremontecontre
les forcesinternationales
Unviol suividependaison illustre
lemartyre desIndiennesde basse caste
La population reproche aux soldats africains et Agressées sexuellement dans leur village, deux jeunes intouchables ont été retrouvées pendues
français de protéger les miliciens musulmans
Bangui
Envoyé spécial
L
’assassinat d’une quinzaine
de personnes, mercredi
28 mai, dans l’église NotreDame de Fatima, a été le détonateur de la contestation. Il est encore difficile de sonder la profondeur du sentiment mais des milliers de manifestants ont exprimé,
jeudi et vendredi, leur colère
contre une partie des forces internationales déployées en République centrafricaine.
Parmi les revendications lancées sur le bitume de Bangui parsemé de barricades, le retrait du
contingent burundais de la mission onusienne Misca et le désarmement de tous les groupes combattants, à commencer par les derniers miliciens du quartier majoritairement musulman de PK5.
Comme les soldats tchadiens
auparavant, le bataillon venu du
Burundi est accusé de ne protéger
que la communauté musulmane.
Sestirsàballesréelles,quiontprovoqué la mort, vendredi, d’au moins
deux manifestants (qui «n’étaient
pastousmainsnues»,selonle général Martin Tumenta Chomu, commandantde la force africaine) n’ont
pas amélioré sa cote de popularité
auprès des protestataires.
La France et la présidente de
transition, Catherine Samba-Panza, perçue comme sa « protégée »,
sont également vilipendées par
une partie de la foule. Alors que le
centre-ville, paralysé, s’est réveillé
au son d’un concert de casseroles,
des graffitis badigeonnés à la hâte
(« Sangaris dégagez ! Samba-Panza démission ») sont apparus sur
les murs. Des soldats français ont
été visés par des tirs. Les forces
internationalesont annoncéqu’el-
Les forces en présence
Séléka Coalition de groupes rebelles à majorité musulmane, qui a
pris le pouvoir en mars 2013.
Après dix mois d’exactions, les
ex-rebelles ont été chassés du
pouvoir avec la démission du président Djotodia, le 10 janvier, au
profit de Catherine Samba-Panza.
Anti-balaka Milices à majorité
chrétienne ayant combattu la
Séléka et se livrant aujourd’hui
à une chasse aux musulmans.
Misca Force de maintien de la
paix africaine en RCA, sous mandat de l’ONU (6 000 hommes).
Sangaris Opération militaire française lancée le 5 décembre 2013
(2 000 hommes).
les réagiraient « avec la plus grande détermination à toute prise partie» de leurssoldats ou à des menaces contre des habitants.
Il y a six mois, Bangui attendait
pourtant avec impatience le
déploiement des forces françaises.
La paix, espérait-on ici, était au
bout du fusil des militaires français, censés connaître la Centrafrique sur le bout des doigts. La réalité s’est avérée bien plus complexe.
« Aucune solution »
LaSélékaaupouvoiretlaminorité musulmane ont été les premières à contester l’intervention lancée en urgence le 5 décembre 2013.
Bangui venait de connaître un
assaut des milices anti-balaka et la
contre-attaque féroce de la Séléka.
La mission des militaires français,
chargés d’appuyer les contingents
sous mandat de l’Union africaine,
ne pouvait commencer dans des
conditions plus périlleuses. En lançanttoutd’aborddesopérationsde
désarmementet de cantonnement
des combattants Séléka, les musulmans se sont retrouvés livrés à la
vindicte des anti-balaka. Il y a quelques jours, une source officielle
française reconnaissait sa crainte
de voir un jour Paris subir « le faux
procès d’avoir favorisé l’épuration
confessionnelle en Centrafrique».
Alorsqueleurpouvoirdenuisance avait été sous-estimé, les groupesanti-balaka,leplussouventmal
armés, mal encadrés, désunis, sont
devenus progressivement une
source majeure de préoccupation,
mais les effectifs manquent pour
mener des actions de police. Leurs
différents « coordonnateurs» assurent se tenir à l’écart des manifestations mais, selon plusieurs sources,
des barrages en ville sont supervisés par ces miliciens.
Reste que si des hommes politiques tentent de profiter des évènements, le mouvement de ras-le-bol
delapopulationestréel.Qu’importent les tirs de sommation des soldats africains de la Misca, les pierresquientraventl’avenueBarthélémy-Boganda,José Perrière est venu
partager une brique de vin rouge
avec quelques amis. « Les gens en
ont marre. Ils sont déçus. Ils voient
toutes ces forces mais aucune solution», analyse l’homme d’affaires.
Passe alors Jean-Serge Bokassa
en tenue sportive. Le fils de l’empereur est allé soutenir le mouvement de protestation. Il reprend à
son compte les revendications
exprimées.« Peut-êtrequ’onattendaittropdeSangaris », estimel’ancien ministre, dont la France avait
installé puis déposé le père dans
les années 1970. p
Cyril Bensimon
Des habitants du village de Katra, dans l’Uttar Pradesh, rassemblés sur le lieu de la pendaison des deux adolescentes violées le 28 mai. AP
New Delhi
Correspondance
L
’image sordide s’est répandue à toute allure sur les
réseaux sociaux: une assemblée de villageois calmement assis
autour de deux adolescentes pendues aux branches d’un manguier.
La scène s’est déroulée dans un
petit village d’Uttar Pradesh, l’un
des Etats les plus pauvres d’Inde,
miné par les conflits entre castes.
L’autopsiearévéléquelesdeuxjeunes filles de 14 et 15 ans avaientété
violées avant leur mort, dans la
nuit du mardi 27 mai au mercredi.
Les villageois ont attendu,
devantles corps suspendusdesvictimes, l’arrivée des journalistes et
des caméras pour faire pression
sur la police qui s’est finalement
décidée, une dizaine d’heures plus
tard, à arrêter les suspects. La veille
dela découvertedescorps,despoliciers avaient insulté, et renvoyé
chez lui, le père de l’une des victimes, lorsqu’il était venu signalerla
disparition de sa fille.
Les familles accusent la police
d’avoir voulu épargner les suspects issus, comme eux, de la caste
des yadavs. Une centaine d’étudiants sont descendus dans les
rues de Delhi, vendredi, pour
demander au gouvernement de
sanctionner les policiers. Deux
agents ont été mis à pied et deux
des trois suspects, arrêtés.
Dans les zones rurales de cette
région du nord de l’Inde, une femme appartient à sa caste avant de
s’appartenir à elle-même. Victime
de la société patriarcale, elle est
aussi la plus exposée aux violences subies par les basses castes.
«La pendaison des victimes dans
un lieu public est un acte de violence et de provocation. C’est la preuve
que le sentiment d’impunité règne
encore », déplore la féministe Kavita Krishnan. Malgré la nouvelle loi
votée en 2013 prévoyant jusqu’à la
peine de mort pour les auteurs de
viol, ces derniers sont encore nombreux à se croire invincibles, surtout lorsque les victimes sont au
bas de l’échelle sociale et n’ont pas
accès à la justice.
Les femmes issues des basses
castes sont les damnées des damnés de l’Inde. Elles doivent subir,
souventen silence,violenceset discriminations. La liste est longue :
prostitution forcée, violences
domestiques,viols, négligences en
matière de soins médicaux, malnutrition, illettrisme ou avortement sélectif. L’une des rares études publiées sur le sujet, en 2006,
par la Campagne nationale pour
les droits de l’homme des intouchables (NCDHR) donne un aperçu
de l’ampleur de cette tragédie : sur
500 femmes issues de la caste des
intouchables, une sur deux déclareavoir subi desagressionssexuelles. Les auteurs de l’étude citent
même l’exemple de parents qui
marient leur fille dès l’âge de 5 ans
de peur qu’elle soit violée et ne
trouve plus d’époux.
Les lois existent, mais la justice
n’est qu’un rêve lointain pour ces
femmes souvent très pauvres. Il
arrive que la police tente de les dissuader de porter plainte ou refuse
d’enregistrer leur plainte. Parfois
ce sont les médecins quiinscrivent
dans leur rapport que la victime
était habituée aux rapports
sexuels, suggérant que la fille était
Les familles accusent
la police d’avoir voulu
épargner les suspects,
issus, comme eux,
de la caste des yadavs
« facile », donc consentante. Et la
justice se paie cher, non pas pour
s’offrir les services d’un avocat,
mais pour verser des pots-de-vin,
passer des journées au tribunal
sanstravailler et donc être privé de
revenus déjà maigres.
Ces femmes s’exposent aussi
aux représailles des castes supérieures.Jeudisoir,la mèred’unevictime de viol a été battue et déshabillée en public dans l’Uttar Pradesh après que sa fille, de basse caste, a porté plainte. « Le viol ou toute
autre forme de violence sont des
armes utilisées comme punition
pour avoir transgressé l’ordre établi », analyse Namrata Daniel, de la
NCDHR. Les victimes sont donc
nombreuses à choisir le silence.
Elles ont contre elles une société
patriarcale et un Etat incapable de
protégerleursdroits.«Latristeréalité,c’estqueles droitsde nombreuses
femmes en Inde continuent d’être
violés et l’impunité est la norme »,
déclarait,en mai2013,larapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits
des femmes, Rashida Manjoo.
Au lendemain des manifestations provoquées par le viol collectif, en décembre 2012, d’une étudiantequiavaitsuccombéàsesblessures, les associations féministes
étaient parvenues à imposer une
nouvelle loi protégeant mieux les
victimes. « Mais, dans le mouvementféministe,onneprêtepassuffisamment attention aux problèmes
des femmes intouchables et, dans le
mouvement des intouchables, elles
sont ignorées. La caste, la classe et le
genre doivent être abordés ensemble», insiste Namrata Daniel.
Vendredi, la ministre chargée
de l’enfance et des femmes, Maneka Gandhi, a annoncé la création
d’une cellule de crise pour venir en
aide aux familles des deux adolescentes. « Le laxisme de la police est
également responsable de l’incident qui a conduit à [leur] mort », a
reconnu Mme Gandhi. p
Julien Bouissou
Farzana,le «crimed’honneur»quifaitscandaleau Pakistan
M
Ce dimanche à 12h10
MATATA PONYO MAPON
Premier ministre de la République Démocratique du Congo
répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),
Sophie Malibeaux (RFI).
Diffusion sur les 8 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr
0123
ême au « pays des purs »,
où près de 900 femmes
ont été victimes de « crimes d’honneur» en 2013 selon la
Commission des droits de l’homme pakistanaise, le meurtre de
Farzana Parveen constitue un fait
rare. La jeune femme de 25 ans,
enceinte de trois mois, a été lapidée à coups de brique par des
membres de sa propre famille,
mardi 27 mai.
La scène s’est déroulée en plein
jour devant des dizaines de
témoins impavides dans une rue
de Lahore, deuxième ville du pays
et capitale de la province du Penjab. Elle s’apprêtait à témoigner
devant le juge qu’elle s’était
mariée avec Muhammad Iqbal de
son plein gré en janvier. L’homme,
de vingt ans son aîné, était visé par
une plainte pour « enlèvement»
déposée par le père de la jeune
femme, opposé à cette union.
Qualifiant ce meurtre de « totalement inacceptable », le premier
ministre pakistanais, Nawaz Sharif, a ordonné au ministre du Penjab de prendre des « mesures
immédiates ». La Haute Représentante des droits de l’homme pour
les Nations unies, Navi Pillay,
« profondément choquée », avait
appelé à une réaction forte du
gouvernement.
Trop tard
« Nous sommes à la croisée des
chemins. Nous devons décider si
nous continuons sur la voie de la
talibanisation ou sur celle de
l’Etat de droit », a exhorté la militante pakistanaise des droits de
la femme, Tahira Abdullah. La
lapidation publique rappelle le
châtiment imposé aux femmes
adultères par les talibans.
Seul le père de la victime a été
interpellé sur les lieux du crime.
De sa cellule, il n’a exprimé
aucun regret et dit avoir tué sa
fille pour préserver « l’honneur»
de la famille. La police pakistanaise a annoncé, vendredi, avoir
interpellé quatre autres suspects.
Ces mesures surviennent trop
tard aux yeux des militants des
droits de l’homme, qui dénoncent l’impuissance de la police à
protéger les victimes et l’impunité dont jouissent les auteurs de
ces crimes. « La police régulière
du tribunal était mystérieusement absente des lieux du crime,
elle a été incapable de prendre des
mesures préventives, de protéger
[la victime] et ce, malgré les précédents dans les cas de meurtres
pour déshonneur », a déclaré
Mme Abdullah. Farzana et son
mari étaient depuis plusieurs
mois l’objet de menaces de la part
de la famille de la jeune femme.
L’époux de la défunte a appelé
à ce que justice soit faite, fait rare
dans de telles affaires. En vertu
d’une disposition de jurisprudence islamique, les auteurs de
«crimes d’honneur» peuvent éviter des poursuites en payant le
« prix du sang ». En cas de plainte,
ils sont souvent acquittés ou
condamnés à des peines légères
du fait d’enquêtes bâclées.
La fermeté des autorités dans
cette affaire sera sans doute insuffisante pour juguler un phénomène bien ancré dans la société
pakistanaise, où les traditions tribales perdurent. La population a
vécu ce crime avec apathie.
Dans un ultime rebondissement, M. Iqbal a admis avoir luimême assassiné sa première
épouse par « amour » pour Farzana. Poursuivi par son fils, il avait
reçu son pardon en échange du
versement du « prix du sang ». p
Hélène Sallon
6 planète
0123
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
Un téléphérique
urbain géant
pour changer
la vie à La Paz
La capitale administrative bolivienne se dote
du transport par câble le plus long du monde
D
escimes aux neigeséternellespourdécor, la grandeville de La Paz qui s’étend en
contrebas, le majestueux glacier
del’Illimanientoile de fond… Difficile de ne pas s’extasier face au
panoramaqui s’offredepuisle téléphérique qui unit depuis vendredi
30 mai la capitale administrative
bolivienne à sa voisine El Alto.
« C’est beau », sourit Natividad
Ruiz, qui admire le paysage comme si elle le voyait pour la première fois. La commerçante aux joues
rougies par le soleil et le froid, ravageurs dans cette région des Andes,
a pourtant toujours vécu à El Alto,
cette immense cité située à plus de
4 000 mètres d’altitude sur un
grand plateau surplombant LaPaz.
La capitale apparaît blottie au fond
d’unecuvette,500 mètresplus bas.
A La Paz, en bus,
«le chauffeur s’arrête
parfois parce qu’il n’y a
pasassez de passagers:
pasrentable d’aller
jusqu’au terminus »
Patricia Urquieta
spécialiste des migrations
urbaines en Bolivie
Gastronomie
G
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Philippe Couderc (Challenges 27/11/2013)
Rens. Publicité “ GASTRONOMIE ”
m 01.57.28.38.52
autres, plus longues (3,8 km et
3 km), sont attendues pour la fin
août. Toutes doivent être en service avant le mois d’octobre et l’élection présidentielle, à laquelle se
représentera pour la troisième
fois l’actuel chef de l’Etat.
« Au total, on aura un réseau
câblé de plus de dix kilomètres qui
comptera 443 cabines, 77 tours et
11 stations de téléphérique », énumèreJavier Telleria,qui précisefiè-
BRÉSIL
BOLIVIE
La Paz
El Alto
Cochabamba
Santa Cruz
es
s And
e de
llèr
rdi
Co
no
ipla
Alt
En moinsde dix minutes,la vendeuseauxjuponscolorés a parcouru les trois kilomètres qui séparent la station « 16-Juillet » d’El
Alto de la station centrale, située
dans le centre historique de La Paz.
Un trajet qu’elle réalisait jusque-là
enminibus entrente minutes,parfois une heure.
Il est compliqué d’évaluer le
temps passé dans les transports
par les habitants de La Paz et d’El
Alto tant il dépend du trafic, mais
aussi des manifestations qui bloquent régulièrementla grand-route sinueuse, l’axe principal et presque unique joignant les deux villes, qui sont beaucoup plus que de
simples voisines.
«A l’origine,ElAltoétaitun quartier de La Paz, mais ses habitants
ontobtenu leur autonomie en 1985,
car ils estimaient que la mairie ne
faisait rien pour eux », explique le
géographe Sébastien Hardy, de
l’Institutde recherchepourledéveloppement (IRD) français.
Aujourd’hui, El Alto compte un
million d’habitants, majoritairement d’anciens agriculteurs
venus de province qui travaillent
comme ouvriers. Sa population
dépasse désormais celle de La Paz,
qui concentre la bourgeoisie locale et le pouvoir administratif.
Le téléphérique de La Paz, inauguré le 30 mai, relie El Alto. MARTIN ALIPAZ/MAX PPP
PÉROU
La Paz
Envoyée spéciale
Bien que l’histoire ait opposé
les deux villes, des centaines de
milliers de personnes voyagent
chaque jour d’une cité à l’autre, à
travers un système de transport
chaotique.
Longtemps envisagé, le projet
de téléphérique urbain a pris forme voilà deux ans. Le président
bolivien, Evo Morales, inquiet de
la congestion du trafic et de la forte pollutionpesantsurLaPaz, commande alors plusieurs études. « Le
téléphérique est apparu comme
une alternative réalisable rapidement, nécessitant peu d’intervention urbaine et répondant aux problèmes du trafic que l’on voulait
résoudre», raconte Cesar Dockweiler, le directeur exécutif de l’entreprise d’Etat de transport par câble
Mi Teleferico.
Le 16 juillet 2012, Evo Morales
promulgue une loi déclarant le
téléphérique d’intérêt national,
avec un financement de 234 millions de dollars (172 millions d’euros). L’entreprise autrichienne
Doppelmayrest chargée de l’ambitieux projet.
« Construire un téléphérique en
ville est toujours un défi car il faut
l’implanter dans un endroit habité,
ce qui interfère avec la population,
les rues, le transport… des facteurs
que l’on n’a pas à prendre en compte en montagne », explique le
gérant principal de la filiale bolivienne de Doppelmayr, Javier Telleria, pour qui le plus difficile est
cependant de respecter les délais
imposés par le gouvernement.
Considéré comme le plus long
et le plus haut du monde, le téléphérique urbain La Paz-El Alto a
été construit en un temps record.
Alors que la première ligne a été
inaugurée vendredi, les deux
OCÉAN PACIFIQUE
Reportage
Sucre
Tarija
CHILI
ARGENTINE
PA R AGUAY
300 km
rement: «Unetélécabinepasse toutes les douze secondes… comme
dans les stations de ski. »
Dix personnes peuvent monter
par cabine, si bien que « chaque
ligne peut transporter 3 000 personnes dans chaque sens, soit au
total 18 000 personnes qui vont
monter et descendre par heure »,
calcule le représentant de Doppelmayr. « L’objectif est de pouvoir
prendre en charge 20 % de la
demande, évaluée à 2 millions de
voyages par jour sur La Paz et El
Alto», indique Cesar Dockweiler.
Bus, minibus et taxi collectifs
constituaient jusque-là la base du
transport en Bolivie. Un système
informeltrès flexibleet sans aucun
contrôle,auxmainsdepetitsentrepreneurs qui emploient des
familles entières.
«Parfois, le chauffeur de bus s’arrête en disant qu’il n’y a pas assez de
passagers et donc que ce n’est pas
rentabled’allerjusqu’auterminus»,
rapporte Patricia Urquieta, spécialiste des migrations urbaines en
Bolivie.Lachercheusedel’universi-
téSanAndressaluel’arrivéedutéléphérique mais aussi des bus municipaux, qui circulent dans La Paz
depuis février. Deux systèmes
publics qui cherchent à améliorer
la qualité du transport offert à une
population fatiguée de l’anarchie
qu’elle affronte au quotidien.
« Le téléphérique va désengorger l’accès à La Paz », espère Teofilo, un usager de 43 ans, en montrant les centaines de bus qui s’accumulent à La Ceja d’El Alto, une
sorte de terminal informel qui
grouilleaux heuresde pointe.Pêlemêle s’y croisent ceux qui descendent à La Paz pour effectuer des
démarches administratives et
ceuxquimontentà El Altopour faire leurs courses. Mais ce sont surtout les travailleursque vise le téléphérique. On estime à 500 000 le
nombre d’habitants d’El Alto travaillant chaque jour à La Paz,
notamment dans le sud riche de la
ville, qui sera bientôt accessible en
trente minutes en téléphérique,
contre une heure et demie en bus.
« Le but est de venir en aide aux
Un transport sûr,
silencieux, écologique
Le transport par câble, téléphérique ou télécabine, est parmi les
plus écologiques. Silencieux,
peu énergivore, sûr, son principal impact est d’ordre visuel.
Contrairement au métro ou au
tramway, il permet de franchir
sans ouvrages d’art coûteux les
obstacles, fleuves et forts dénivelés. Enfin, son coût de
construction est inférieur
à celui du tramway.
plus pauvres, car le transport
public, ce sont les gens qui ont le
moins d’argent qui l’utilisent »,
assure Cesar Dockweiler. Le prix
du ticket de transport, objet de
nombreuses rumeurs et enfin
annoncé vendredi, a été fixé à
3 bolivianos (32 centimes d’euro),
soit un peu plus cher que celui du
bus, généralement de 2,4 bolivianos. Un tarif déjà jugé excessif par
des députés de l’opposition. p
Chrystelle Barbier
«L’Amérique latine est un véritable laboratoire urbain»
Entretien
Lima
Correspondance
Docteur en urbanisme et en aménagement du territoire, Catherine
Paquette est chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Installée au Mexique, elle travaille sur les politiques urbaines et du logement en
Amérique latine depuis 2001.
En 2004, la ville de Medellin, en
Colombie, construisait le Metrocable, le premier téléphérique
urbain. Pourquoi cette expérience est-elle considérée comme
un succès ?
Il y a dix ans, Medellin était
encore le symbole de ces villes
qui cumulent les problèmes de
narcotrafic, de violence et de pau-
vreté. Aujourd’hui, la cité colombienne fait partie des modèles de
ville à suivre pour sa politique
d’intégration des quartiers marginaux. Or, justement, la clé de voûte de cette politique a été l’accessibilité grâce au téléphérique
urbain.
Le Metrocable a été construit
pour désenclaver l’une des collines de la ville marquée par un
habitat populaire, où les habitants rencontraient d’importantes difficultés pour accéder à la ville. La mise en place du téléphérique urbain leur a permis d’économiser deux heures de trajet et
d’être connectés au réseau de
métro.
De plus, la réalisation du Metrocable a été accompagnée d’importantes actions d’amélioration des
espaces publics, mais aussi de
l’implantation d’équipements
culturels pour la population.
Cette forme d’action publique
a été baptisée à Medellin l’« urbanisme social ». Elle est fondée sur
la mise en place d’infrastructures
qui désenclavent les quartiers
marginaux et permettent à la
population d’avoir accès aux ressources qu’offre la ville. La qualité
de vie est largement améliorée et
les résultats en matière de réduction de la délinquance sont très
positifs.
Depuis Medellin, le modèle
du téléphérique urbain a été
repris sur tout le continent.
Comment expliquer cet engouement ?
Depuis les années 2000, la
mobilité est devenue la priorité
des villes d’Amérique latine, et le
Metrocable s’inscrit dans cette
tendance. Le cas de Medellin a tellement bien fonctionné que le
président Hugo Chavez a voulu
en faire construire un à Caracas.
Rio s’en est aussi doté. Un projet
existe à Lima, deux vont être
construits au Mexique et La Paz
vient d’inaugurer le sien.
Ce type d’expérience se diffuse
très rapidement dans la région.
Cela avait déjà été le cas avec les
autobus de grande capacité qui circulent en site propre, comme le
Transmilenio de Bogota.
La région invente des solutions
et les diffuse. L’Amérique latine
est en ce sens un véritable laboratoire urbain.
Les téléphériques urbains
jouent-ils un rôle dans
l’intégration des populations
démunies ?
Bien sûr. La mobilité et l’accessi-
bilité aux ressources urbaines
sont des éléments forts de la lutte
contre la pauvreté. Pour que les
gens soient moins pauvres, il faut
les aider à se déplacer, car se déplacer, c’est pouvoir accéder au travail, mais aussi à toutes les ressources qu’apporte la ville en termes culturels et d’opportunités.
Attention, il est toutefois
important de faire un gros travail
d’accompagnement autour du
téléphérique et de réutiliser l’espace public dans les stations.
A Medellin, ils ont installé des
bibliothèques sur le trajet du
Metrocable qui sont aujourd’hui
de vrais centres culturels. C’est
tout cela qui fait que ces téléphériques sont bien plus qu’une simple infrastructure de transport. p
Propos recueillis par
Ch. Ba.
La dengue guette les supporteurs de football lors du Mondial au Brésil
A
défaut de trophée, les fous
du ballon rond ramèneront-ils la dengue du Brésil? Quelque 600 000 touristes
étrangers, dont une importante
délégation de 17 000 Français,
vont passer plusieurs semaines
de Fortaleza à Porto Alegre, de
Recife à Sao Paolo, pour assister à
la Coupe du monde de football
(12juin-13 juillet). Vont-ils être
piqués par un moustique, l’Aedes
albopictus ou l’Aedes aegypti, vecteurs de la dengue ? Peuvent-ils
ramener le virus à leur retour en
France ou dans les autres pays où
ces moustiques sont présents ?
Alors que 450091 cas de dengue, qui ont fait 106 morts, ont été
relevés par les autorités sanitaires
brésiliennes depuis le début de
l’année, des chercheurs alertent
sur le risque d’extension de l’épidémie au moment du Mondial.
« Avec plus d’un million de spectateurs qui voyageront dans douze
villes différentes du Brésil, le risque
d’une épidémie de dengue est
réel», écrivent-ils dans la revue
médicale The Lancet du 17mai.
Selon eux, le risque le plus important se concentre au nord du pays,
à Fortaleza, Natal et Recife. Il est
plus modéré à Rio de Janeiro, Belo
Horizonte, Salvador et Manaus, et
faible à Brasilia, Curitiba, Porto
Alegre, Cuiaba et Sao Paolo.
Propagation rapide
Sur le site du ministère français
des affaires étrangères, les supporteurs des Bleus peuvent lire que
« le ministère fédéral de la santé du
Brésil a fait état d’une importante
recrudescence de la dengue au
cours de l’année 2013». Mais le Guide du supporter édité pour l’occasion alerte plus sur les risques de
vols ou d’agressions que sur les
attaques des « mosquitos».
« Nous sommes en fin de période d’activité du moustique au Brésil, où le risque est saisonnier, de
décembre à mai », rassure le docteur Manuel Zurbaran, épidémiologiste à l’Institut de veille sanitaire (InVS). Pour autant, quand les
aficionados reviendront en France ou dans les autres pays qualifiés pour le Mondial et colonisés
par Aedes albopictus (Bosnie, Espagne, Grèce, Italie et Pays-Bas), il
n’est pas impossible qu’ils rapportent la dengue. Nous serons alors
en plein été, quand les moustiques redoublent d’activité, et la
propagation du virus peut être
rapide à partir d’un seul cas.
« La probabilité d’importation
n’est pas nulle, mais il n’y a pas
lieu d’être trop inquiet, répond le
docteur Anne Galley, directrice
adjointe du département des alertes et des régions à l’InVS. Nous
sommes plus attentifs actuellement à l’épidémie de chikungunya qui sévit à la Martinique et en
Guadeloupe et vient de se déclarer
en Guyane.» p
Rémi Barroux
france
0123
Dimanche 1er- Lundi 2 juin 2014
7
Cette jeunesse que le Front national n’effraie pas
Ils habitent Auch ou Reims. S’ils ne votent pas tous Marine Le Pen, ils sont prêts à la laisser gagner
Dans le Gers, les affiches de campagne s’abîment au bord de la N124. A Auch, Laura, 21 ans, n’a pas voté, mais se dit « bien contente » des résultats du parti lepéniste. ULRICH LEBEUF/MYOP POUR « LE MONDE »
Auch (Gers), Reims (Marne)
Envoyées spéciales
S
ur la carte de France, elles se
situent aux extrémités d’une
diagonale.Al’est,Reims, souspréfecture de la Marne,
180 000 habitants, ville réputée
bourgeoise, administrée par un
maire UMP, Arnaud Robinet. Au
sud-ouest, Auch, préfecture du
Gers, un bastion traditionnel de la
gauche : en mars, ses 22 000 habitants y ont réélu dès le premier
tourlemairesocialisteFranckMontaugé. Ni l’une ni l’autre, lors des
élections européennes du 25 mai,
n’a placé en tête le Front national,
même s’il y a enregistré des scores
élevés (23% à Reims, 17 % à Auch).
En allant à la rencontre d’une
poignée de jeunes de ces deux villes, nous avons pourtant pu y
mesurer l’indifférence face au
scrutin,le rejetdes politiques,l’imprégnation des discours par les
thèses que défend Marine Le Pen.
Et la tentation croissante de voter
pour elle ou, à tout le moins, de la
laisser s’imposer.
A deux pas de la gare de Reims,
le lycée public Franklin-Roosevelt
est un mastodonte de brique rouge. Imposant par sa capacité –
2000 élèves – et son histoire. C’est
là que fut signée la première partie
de la capitulation de l’armée allemande, le 7 mai 1945. Adossés aux
grilles qui surplombent les quais,
Nicolas et Dylan, tous deux 19 ans
et en terminale professionnelle
« traitement de surfaces », n’ont
pas voté aux européennes. Le pre-
mier parce que « tous les candidats
sont autant de menteurs », le
second parce que « s’abstenir c’est
une forme de rébellion », un « boycott » pour montrer qu’il n’a « plus
confiance».
Le FN en tête des élections européennes n’est pas une surprise,
encore moins un choc. « C’est aux
politiques d’être choqués, pas à
nous », explique Dylan, qui avoue
pencher vers les extrêmes, « à gauche ou à droite », selon les circonstances. Alors donner sa voix au
Front national un jour, pourquoi
pas ? « Ce parti a peut-être plus
d’idées que les autres pour sortir la
France de la merde.»
La « merde », c’est la crise qui
rend les fins de mois de plus en
plus difficiles pour leurs parents,
assistante maternelle et ouvrier
pour ceux de Nicolas, aide-soignante et convoyeur de fonds du
côté de Dylan. « On se soucie trop
des pays qui n’ont rien à faire en
Europe car ils ne partagent pas les
mêmes valeurs, la même culture, la
Roumanie, la Lettonie, tous les
pays de l’Est, quoi.»
A 20 ans, Joris, lui aussi élève à
Roosevelt en « prépa maths », s’intéresse « un minimum» à la politique. Il est allé voter, ne dira pas
pour qui – « plutôt à droite ou au
centre ». Pas pour Mme Le Pen en
tout cas, même s’il la juge « un peu
plussoft»que son père. Surl’immigration,il n’est pas d’accord avec le
FN.« Leproblème,ce n’est pas d’empêcher les étrangers de venir, mais
plutôt de sanctionner ceux qui profitent du système, en leur enlevant
leur naturalisation, par exemple.»
En revanche, sur l’Europe, le Front
national « n’a pas tort » à ses yeux:
« Il faut réduire l’Europe aux pays
qui [la] méritent vraiment.»
Rue de Trianon, à la sortie de la
mission locale pour l’emploi, le
sujet électoral ne passionne pas
N’Diaye,20 ans, qui vient de terminer un stage de cuisinier et espère
en trouver un autre. « J’irai voter
un jour », assure ce Français origi-
«Hollande
n’a pas la notion
de la catastrophe
qu’on vit»
Jérémy, 22 ans
bûcheron
en recherche d’emploi
naire de Côte d’Ivoire. Sophie, elle,
est venue directement proposer
ses services à la mission locale.
Sans emploi depuis quatre mois,
la jeune trentenaire se verrait bien
travailler dans l’insertion. Plutôt
« écolo », elle a donné sa voix
dimanche au parti Nouvelle Donne, « le seul à proposer des choses
concrètes ». Elle ne votera jamais
FN, c’est évident, mais ne s’inquiète pas pour autant d’une Marine
Le Pen présidente de la République. « De toute façon, si elle passait,
pas plus que les autres elle ne pourrait faire ce qu’elle promet. »
A l’autre bout de la France,
Auch, et des jeunes qui n’ont plus
ces hésitations. « Ah oui, ça, je suis
bien contente! » D’une traite, com-
meellediraitunsoulagement,Laura répond, à la sortie de l’agence
Pôle emploi, dans un quartier
excentré, entre stade et supermarché Aldi. Elle est au courant du
résultatdu FN aux européennes.Et
franchement s’en réjouit, quand
bien même elle n’a pas voté. En legging et tongs de jour sans travail,
elle déroule en quelques phrases
son existence de jeune femme de
21 ans « un peu oubliée».
Les week-ends à cuire des frites,
dès 18 ans, histoire d’aider les
parents qui ne s’en sortent pas. Un
BTS de commerce. Mais pas mieux
ensuite qu’un boulot d’hôtesse de
caisse chez Lidl, où « les gens vous
regardent comme une bonne à
rien ». « Ça sert à rien de se trouer le
cul à faire des études. Si t’es pas pistonnée, t’as rien. » Pas davantage
que 100 heures de travail par
mois, et un salaire de 1 000 euros
qui s’envole en loyer, essence, crédit auto, « trucs Internet et courses ». « J’ai eu ma paie aujourd’hui.
Mais sur mon compte, y a déjà plus
que 400 euros. »
Son compagnon a par bonheur
décroché un CDI chez McDo, et
donc,par malheur,faitsauterl’APL
qui leur était versée pour le loyer.
« On s’en sort pas. On en a marre
que toutes les aides aillent aux gens
qui ne sont pas forcément français.
J’ai vu un reportage sur W9, ça m’a
scandalisée de voir qu’on donnait
de l’argent aux Roumains pour
qu’ils rentrent chez eux ! On commenceà devenirracistes. »Aux prochainesprésidentielles,Lauravotera, et ce sera pour Marine Le Pen.
Voter FN «comme au poker, pour voir»
Cerisy-la-Forêt (Manche)
Envoyée spéciale
«Ça va peut-être faire bouger les
choses…», lui a juste glissé un
patient, dans une formule sibylline. Au cabinet, nul ne dit jamais
pour qui il vote, pas plus les malades que le médecin. Des perches
étaient parfois lancées, mais les
résultats des européennes à Cerisyla-Forêt (937 habitants) étonnent
quand même Thierry Lemoine:
«27,91% pour le FN ! Et encore, c’est
moins qu’à Couvains», lâche le
généraliste. Là-bas, à 7 km, le parti
de Marine Le Pen a fait près de 37%
des voix, et dans bien des petites
communes de la Manche, près de
50%. Dans ce département où il a
obtenu 26,01 %, le FN avait
recueilli 8 871voix en 2009. Cette
fois, 41479.
« Jusque-là, à Cerisy, c’était UMP
en tête, puis les socialos et Chasse,
pêche, nature et traditions», résume Thierry Lemoine. Ici pas d’immigration, moins de chômage
qu’ailleurs, pas de délinquance.
Mais le médecin a vu évoluer la
vie de ses patients: « Je prends leur
pouls dans tous les sens du terme », dit-il. Lui comme sa femme,
généraliste elle aussi, ont l’impression d’être devenus « des éponges
à misères». Autant de problèmes
« de nature à influencer le vote ».
On ne vient plus chez eux seulement pour son cholestérol. On
vient parce que « ça va pas ». Le
médecin offre du temps, signe un
arrêt de travail quand la pression
au boulot se fait trop forte – il préfère ça aux médicaments. Défile
une patientèle de petits retraités
de l’agriculture, qui vivotent avec
500 ou 600 euros par mois, alors
que, de la taxe foncière à la taxe
d’habitation, tout a augmenté.
Des gens qui hésitent quand il
faut des lunettes ou une prothèse
dentaire, et qui ne veulent pas de
médicaments non remboursés.
Passent aussi des ouvriers, « pas
riches, pas vraiment pauvres non
plus», mais qui ont du mal. Parce
que, dans le couple, l’un travaille à
Saint-Lô (17 km), l’autre à Caen
(47km), qu’il faut deux voitures et
que le carburant coûte cher. Des
familles qui décident, de moins en
moins, d’avoir trois enfants.
Autour d’un déjeuner vite fait
dans la cuisine, le médecin et son
épouse se souviennent que, quand
ils se sont installés il y a vingt-trois
ans dans leur cabinet et la belle
demeure qui le jouxte, il n’était
jamais question d’argent. Les gens
avaient toujours «100 francs dans
une boîte, pour le médecin». Il y a
quelques années, certains ont commencé à demander que leur chèque soit encaissé le mois suivant.
Puis, interdits bancaires, ils n’en
ont plus eu du tout. Et même si la
caisse primaire d’assurance-maladie a mis en place le tiers payant et
que les patients n’ont plus qu’à
payer le ticket modérateur –
6,90 euros –, c’est parfois trop.
« On paye pour les autres »
Alors, ça sort. Le ras-le-bol de la
rigueur, des politiques, « de ces
deux mondes dont l’un est coupé
de la réalité». Il y a les petites phrases : « Les chômeurs ont tout, on n’a
rien et on paye pour les autres», «Il
n’y a que moi qui bosse»… «Ils ont
du mal à accepter les avantages
sociaux dont ils ne bénéficient
pas», constate Thierry Lemoine.
«On va à Pôle emploi pour rien»,
lui lâche-t-on, côté chômeurs.
A lui seul, le couple de médecins suit 1 500 patients. Il y a bien
quelques « bicots» qui s’échappent parfois de la bouche d’anciens combattants marqués par la
guerre d’Algérie, ou des « c’est normal que la Sécu soit en faillite avec
ce qu’on donne aux étrangers ».
Mais « cela ne fait pas 30 % des
votants », commente le médecin.
Derrière le vote de dimanche, lui
voit plutôt « des mécontents» qui,
après avoir voté à gauche, à droite, et vu leur situation se dégrader, ont voté FN « comme au
poker, pour voir ». « Les gens sont
conservateurs ici, mais ils n’ont
pas viré lepénistes, il y a surtout du
désespoir, voire un rejet de l’Europe chez certains agriculteurs.»
A Cerisy, près des plages du
Débarquement, c’est un autre
sujet qui, en ce lendemain d’élections, focalise l’attention: l’imminence des cérémonies du 70e anniversaire. «Ce vote, ça la fout un peu
mal quand même pour le 6-Juin»,
glisse le patron du café. p
Laetitia Clavreul
Jérémy, 22 ans, a sauté le pas dès
les élections européennes. Lui aussi arrive, démarche lasse, pochette
plastifiée sous le bras, à Pôle
emploi. « Des rigolos. En un an, j’ai
dû avoir un rendez-vous. Ils ne se
préoccupent pas de nous. Hollande,
iln’a pasla notionde lacatastrophe
qu’onvit.»« Marine», elle,sepréoccupe des jeunes en galère, croit-il.
Un an qu’il tente de convertir
son CAP de bûcheron en emploi
susceptible de l’extirper de chez
ses parents et d’un quotidien sans
avenir. « Mais les patrons disent
qu’ils sont trop taxés. En apprentissage, j’ai bien vu : ils prennent cinq
Marocains, payés 900 euros. Ils en
déclarent un, au cas où il y aurait
un accident.» En2013, Jérémytrouvait encore des missions en intérim. Cette année, même plus. Ses
900 euros de chômage s’arrêtent
dans deux mois. « Y a de quoi péter
un plomb », avertit le jeune homme, fronçant ses sourcils piercés.
Sortant d’un restaurant à
kebabs du centre-ville, Mathieu et
Julien, la vingtaine à peine entamée, espèrent que l’école de com-
merce qu’ils s’apprêtent à intégrer, après leur BTS de commerce,
leur permettra de trouver mieux
qu’un emploi sous-payé au porte-à-porte. Ils ont voté, préférant
Nicolas Dupont-Aignan ou l’UMP
à Marine Le Pen. Ils ont « des
valeurs», savent que « la France ne
peut pas devenir un village gaulois ». Mais comprennent tout de
même que certains amis de leur
âge, « pas des fachos », aient été
séduits par le FN.
Trop d’assistés qui ne font rien
de leurvie. Trop de récidivistesressortant du commissariat à peine
arrêtés. Trop de magouilles dans
tous les partis, même à l’UMP. De
villages dont les supérettes ferment… Et ces trois jeunes, récemment poignardés au sortir d’une
boîte de nuit ? « Quand il arrive des
histoires, c’est un peu toujours les
mêmes personnes… Alors le raccourci est vite fait. » Eux, pour l’instant, essaient de ne « pas tomber
dedans». A les entendre peser chaque mot, on mesure leur lutte. p
Pascale Krémer
et Catherine Rollot
pour qui, pour quoi,
etes-vous prets a risquer ou a
donner votre vie ?
Venez en débattre
au Théâtre du Rond Point
le 2 juin 2014 de 12h à 20h
Emissions en direct
La grande table
Là-bas si j’y suis
Le téléphone sonne
Parmi les invités
Rony Brauman
Hassen Chalgoumi
Philippe Croizon
Roger Cukierman
Gal Vincent Desportes
Anne Dufourmantelle
Alain Finkielkraut
Cynthia Fleury
Daniel Keller
Mrg Podvin
Michel Serres
Annette Wieviorka
Renseignements et réservation sur
http://espacepublic.radiofrance.fr
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france
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
Hollande repousse
tout débat sur sa
candidatureen 2017
L’impopularité record du chef de l’Etat fait
grandir les doutes jusque dans son entourage
F
rançois Hollande peut-il
encore espérer être le candidat du PS en 2017 ? L’interrogation, chez les socialistes, a beau
fuser de toutes parts, le principal
intéressé a pris le parti de soigneusement éluder. « Cela me laisse
froidet presqueindifférent», a indiqué à ses proches le président, rétif
à un débat qui prend pourtant un
tour nettement plus vif.
La question affleurait à mots
couverts depuis la débâcle des
municipales fin mars. Après le
désastre des européennes, elle se
trouve ouvertement posée. Mais
M. Hollande n’est pas disposé à y
répondre maintenant. « Je suis suffisamment sage et expérimenté en
politique pour savoir que nous ne
sommes qu’en 2014 et que la question de la présidentielle ne se pose
pas aujourd’hui», explique le président au Monde.
Tel n’est pas l’avis de nombre de
ses camarades. « La candidature de
François Hollande n’est pas automatique », confirme un très haut
dirigeant de la majorité. Ce qui est
inquiétant pour le président, c’est
précisément que le sujet soit abordésans ambagessi tôtdansle quinquennat, six mois avant la
mi-mandat. « Nous sommes en
2014 et nous parlons déjà du candidat de 2017, ce qui ne devrait normalement pas être le cas, regrette
un vieux compagnon de route du
chef de l’Etat. Sous Mitterrand,
Chirac, Sarkozy, la question ne s’est
pasposée, du moinsjamais à ce stade. » Un souffle de panique dans
les rangs socialistes qu’un sondage Opinion Way pour Le Figaro
Magazine est venu étayer vendredi 30 mai.
Selon cette étude, le candidat
préféré des sympathisants PS
pour 2017 serait Manuel Valls
(40 %), loin devant Martine Aubry
(16 %) et François Hollande (15 %).
Pire : pour l’ensemble des Français, le président, avec un cruel 3 %,
se situe en queue de peloton socialiste, derrière ManuelValls (26 %),
Ségolène Royal (11 %), Martine
Aubry (10 %) et Arnaud Montebourg (4%). Le doute, qui s’insinue
jusque dans son gouvernement et
son proche entourage politique,
tend à se muer en certitude. « J’ai
l’impression qu’au bout de deux
ans, il est déjà lessivé », juge un
poids lourd du gouvernement.
« C’est terminé, tranche un autre
de ses vieux amis. Il y a désormais
un problème Hollande.»
Force est de le constater : le président, contrairement à l’usage, ne
jouitplus dumonopolede la candidaturelégitime. En mars, les municipales ont touché au cœur l’appareil socialiste piloté, onze ans
durant, par M. Hollande. « Il a
détruit sa propre base, l’armature
hollandaiseduparti,juge un ministre. C’est le plus grand plan social
de l’histoire du PS, avec des milliers
d’élus et de collaborateurs d 'élus
au chômage.» Huit semaines plus
tard, les européennes ont parachevé le traumatisme. « Les résultats
du dimanche 25 mai ont eu un effet
sidérant», confirme une ministre.
FrançoisHollande,
faibleauseind’une
gauchefaible,n’aplus,
àtroisansdela
présidentielle,d’autre
ressourcequeletemps
Le « problème Hollande » se
révèle autant arithmétique que
psychologiquepourunPS nonseulement au plus bas de son histoire
électorale (13,98 %), mais relégué à
près de onze points derrière le FN.
« Les européennes ont radicalisé le
phénomène, estime un conseiller
ministériel. Le sujet n’est plus : est
ce que Hollande peut gagner ?
C’est : peut-on être au deuxième
tour et qui peut battre Marine Le
Pen ? Il y a une dimension de survie.»
L’entourage du président, sur
ce point, plaide non coupable. « Il
ne faut pas personnaliser. Un autre
président de gauche au pouvoir
aurait-il obtenu un résultat différent ? Le mal est plus profond »,
juge une ministre. « Cela dépasse
lapersonne duprésidentdela République », assure le secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet.
M.Hollande l’a confié à ses proches: lui qui a vécu le 21 avril 2002
comme premier secrétaire du PS
ne se sent nulle responsabilitéparticulière dans le score du FN, qui
ne modifie en rien la question de
la candidature. Pour le président,
qui entend se déterminer fin 2016,
pas question donc de s’engager
François Hollande lors d’une rencontre avec ses homologues européens, à Bruxelles, le 27 mai. GEORGES GOBET/AFP
plus avant dans le débat sur les primaires, qui incidemment gagne
ses camarades.
« C’est au PS que la question est
posée. C’est au parti de définir ses
procédures », évacue-t-on à l’Elysée, où l’on reste sur la position
qu’avait adoptée François Hollande, le 18 avril à Clermont-Ferrand,
après les municipales. Celui-ci
avait alors indiqué qu’il n’aurait
« aucune raison d’être candidat» si
lechômagenebaissait pas.«La seule question, compte tenu de ce qui
s’est produit lors des élections
municipales et européennes et de
l’état du pays, c’est la réussite de
l’équipe gouvernementale, explique l’Elysée. Tout doit être fait
pour mettre la France dans la
meilleure des situations en 2017 et
pour faire en sorte que les Français
vivent mieux qu’en 2012. »
Mercredi, en conseil des ministres, François Hollande a donc, une
fois encore, demandé aux membres de son gouvernement des
« résultats ». Obtenir des « résultats », « rassembler la gauche » et
« préserver l’unité de la majorité» :
voilà les objectifs présidentiels.
Mais les résultats demeurent une
promesse non tenue, comme l’illustrent les chiffres du chômage,
avec un nouveau record atteint en
avril. La gauche vient de totaliser
un famélique 32 % des voix aux
européennes et l’unité de la majorité s’apprête à se lézarder encore
un peu plus avec l’examen du projet de loi de finances rectificative.
Cette épreuve parlementaire
sera décisive car elle fixera le rapportde forceavec la majorité.L’Elysée s’y prépare de pied ferme. « On
ne peut imaginer que les grands
textes budgétaires et d’orientation
économique ne soient pas votés.
Tout le monde doit être responsable », prévient un conseiller qui
envisage toutes les hypothèses, y
compris un recours à l’article 49.3.
François Hollande peut encore
au moins compter sur le régime
présidentiel. « Ce n’est pas
d’aujourd’hui que les institutions
de la Ve sauvent les socialistes au
pouvoir, rappelle ainsi le politologue Gérard Grunberg. Le président
peut rester enfermé à l’Elysée, il ne
lui arrivera rien. »
Pourle reste, hormislaConstitution, François Hollande, faible au
sein d’une gauche faible, faible
face à sa majorité et à un premier
ministre donné trop tôt comme
une alternative crédible, et faible
dans l’opinion, n’a plus, à trois ans
de la présidentielle, d’autre res-
sourceque le temps.« La reconquête sera longue et difficile. Mitterrand, après les manifestations
pour l’école libre de 1984, avait mis
un an et demi avant de redécoller »,
rappelle un proche.
Mais beaucoup n’y croient plus.
« Il ne remontera pas. S’il remonte,
ce sera très tard et trop peu », tranche un conseiller ministériel. Ce
que confirment les statistiques,
rappelle Brice Teinturier, directeur général d’Ipsos : « Jusqu’à présent,quandun présidentest descendu dans les basses eaux, il n’a
jamais bénéficié de remontée spectaculaire. » Telle est l’impossible
équation de M. Hollande qui, quoique condamné à demeurer un président impopulaire, doit désormais rester aussi un candidat légitime à sa propre succession. p
David Revault d’Allonnes
Le chef de l’Etat en visite au Musée Pierre-Soulages: « Du noir surgit la lumière»
IL EST DES PROMESSES plus faciles à tenir que d’autres. Celle faite
il y a un an au peintre Pierre Soulages de venir à l’inauguration de
son musée à Rodez, a été tenue
par François Hollande, vendredi
30mai.
De la cité d’Aveyron, le chef de
l’Etat n’aura vu que cet édifice
tout de rouille et de noir. Le
public, relégué à plusieurs dizaines de mètres, n’aura aperçu, lui,
que la voiture présidentielle : à
l’arrivée comme au départ,
M. Hollande s’est ainsi abstenu
durant cette visite de toute rencontre avec la foule.
Tout occupé à déambuler en
compagnie du peintre dans le
musée, le président n’a donc pas
entendu les revendications du
comité d’accueil de quelque
200 manifestants, qui a tenté de
pénétrer dans les locaux, avant
d’être refoulé par les CRS à coups
de gaz lacrymogènes.
Au même moment, son
conseiller à l’agriculture, Philippe Vinçon, qui devait rencontrer
des syndicalistes, était retenu
pendant quelques heures par des
membres de la Confédération
paysanne. Ces derniers menaient
une opération de communication visant à réclamer la libération sans condition (qui devait
intervenir de toute façon dans la
journée) de cinq des leurs, interpellés mercredi dans la Somme
pour des dégradations sur le
chantier d’une ferme géante dite
des « Mille vaches ».
Malgré ces protestations, François Hollande, accompagné de la
ministre de la culture, Aurélie
Filippetti, n’avait manifestement
pas l’intention de laisser gâcher
sa visite. A peine a-t-il fait allusion au désamour dont il est l’objet.
Superlatifs
S’adressant au peintre, qu’il a
fallu convaincre d’accepter la
construction d’un musée en son
honneur, il s’est lancé dans l’un
de ces sous-entendus qu’il apprécie tant : « Convaincre, ce n’est
jamais facile. Mais convaincre
Pierre Soulages… une fois qu’on a
emporté l’adhésion de Pierre Soulages, le plus dur est fait, je parle
pour tous les Français. Alors, on va
commencer par vous… »
Le président s’y est donc
employé, ne lésinant pas sur les
superlatifs. « Nous avons en France le plus grand artiste vivant
dans le monde », n’a-t-il eu de cesse de rappeler, voyant dans la
grande silhouette de l’artiste se
tenant à ses côtés – tout de noir
vêtu évidemment – la preuve que
« l’excellence à la Française, ça
existe ».
Et le chef de l’Etat de se lancer
dans une analogie avec la philosophie de l’artiste : « Du noir surgit
la lumière. Nous créons chacun à
sa façon. L’artiste, l’entrepreneur,
l’ouvrier, l’acteur politique… Chacun crée. Et de ce noir-là se dégage
une lumière, celle de l’espérance,
que nous devons porter les uns et
les autres, pour la France.» Une
manière de voir, dans « l’outrenoir » si particulier de Pierre Soulages, son propre reflet. p
Nicolas Chapuis
(Rodez, envoyé spécial)
0123
9
france
Dimanche 1er- Lundi 2 juin 2014
La majorité s’inquiète
d’un «problème Hollande»
Le chef de l’Etat n’apparaît déjà plus, aux yeux de certains députés
socialistes, comme le candidat naturel à sa succession
C
’est une petite musique que
jouent depuis déjà longtemps les socialistes, mais
dont la double défaite historique
des municipales et des européennes a augmenté le volume. Inaudible jusqu’à lors, cette mélodie, qui
pourrait s’intituler « le problème
Hollande», sefait désormaisclairement entendre. Au détour d’une
phrase d’un ministre qui, évoquant la candidature de François
Hollandeen2017, ajoutespontanément : « S’il est candidat.» Dans la
confidence d’un autre, qui s’inquiète de l’impopularité du chef
de l'Etat et estime que « le risque,
c’est qu’il devienne inexistant ». Et
même à Matignon, où l’on fait
pourtant tout pour ne pas entretenir l’idée d’une concurrence avec
l’Elysée, on concède qu’il y a bien
une « ambiance»…
Des partenaires plutôt loyaux
actent désormais implicitement
que le candidat victorieux de 2012
n’est pas le candidat naturel de
2017. C’est le cas du président des
radicaux de gauche, Jean-Michel
Baylet, qui affirme, sans penser à
mal, qu’il s’engagera « derrière le
candidat socialiste ou radical, quel
qu’il soit ». Comme la plupart des
socialistes,il n’a pas eu besoind’attendre le sondage publié par
Le Figaro jeudi 29 mai – d’après
lequel les Français ne sont que 3 %
à le préférer comme candidat du
PS en 2017 – pour savoir que la présidence Hollande plonge le pays
dans la perplexité.
Le tabou est levé, la question est
désormais posée. « Franchement,
tu te vois repartir avec François
pour 2017 ? », demande ainsi régulièrement Pascal Cherki, député de
Paris, à ses collègues du PalaisBourbon, qui répondent d’autant
plus facilement que son collègue
Guy Delcourt les a décomplexés,
mardi27 mai. En pleine réuniondu
groupesocialiste,ce députéduPasde-Calais, ancien maire de Lens et,
surtout, réputé on ne peut plus
loyal envers le chef de l’Etat, s’est
levé pour lâcher que « la relation
de François Hollande avec les Français pose un vrai problème ». De
rares applaudissements ont fusé,
mais un silence glacial a vite saisi
la salle. « Il a mis le doigt sur le problème Hollande », reconnaît Olivier Faure, qui passe pourtant lui
aussi pour un fidèle du président.
« Il n’imprime plus, le divorce est
consommé avec les députés »,
reprend Pascal Cherki. « Les soldats
aiment leur général quand celui-ci
leur offre des victoires », explique
son collègue Mathieu Hanotin
quand le porte-parole du groupe,
«Autiste», «sourd»,
«obtus»…
Les qualificatifs
ne manquent plus
à gauche pour
qualifier le président
Thierry Mandon regrette, lui, que
« Hollande ne veu[ille] toujours pas
[les] voir, sauf ses quatre ou cinq
gars qui ne lui disent plus rien ».
« Autiste », « sourd », « obtus »…
Les adjectifs ne manquent plus à
gauche pour qualifier le chef de
l’Etat. Après la claque électorale
aux européennes du 25mai, il s’est
lui-mêmeporté le coup de grâce en
s’exprimant dès le lendemain à la
télévision. Des ténors socialistes,
dont certains étaient déjà contre le
principe d’une prise de parole, en
sont restés pantois : « Mais pourquoi parler pour ne rien dire ? »
Nommé à Matignon après les
municipales, Manuel Valls devait
être la bouée de sauvetage d’un
président à la dérive dans l’opinion. C’esttout l’inversequi se produit : le nouveau premier ministre
poursuit sa course en tête des sondages, loin devant le chef de l’Etat,
qui n’en tire pour l’instant aucun
bénéfice. « Si ça continue comme
ça avec Valls, Hollande va devenir
le président Coty ou la reine d’Angleterre », ironise un ex-ministre
du gouvernement Ayrault.
Les socialistes ayant horreur du
vide, l’hypothèse d’un plan B se
dessine donc peu à peu. A en croire
certains, « l’idée commence à s’incruster à la base du parti, dans les
fédérations et chez les cadres
locaux, que serait peut-être venu le
temps de Valls ». Pour le moment,
Matignon en sourit encore et n’y
voit qu’un « fantasme de journalistes » qui ne date pas d’hier. « Le président est le seul à avoir un bail de
cinq ans quoi qu’il arrive. François
Hollande a encore trois ans pour
retravailler ce lien direct avec les
Français », soutient ainsi un proche du premier ministre.
Pourtant,la presse n’est passeule à échafauder des scénarios : les
élus multiplient les pronostics.
Quand M. Valls rompra-t-il avec le
président, pour ne pas finir aussi
affaibli que Jean-Marc Ayrault ?
Démissionnera-t-il avec fracas,
comme Jacques Chirac en 1976,
après deux ans à Matignon ? Ou
bien préférera-t-il le « coup d’Etat
institutionnel », en reléguant le
président aux affaires internationales pour assouplir la politique
gouvernementale et passer des
compromis avec sa majorité ?
Ce goûtpour la politique-fiction
amuse les vieux briscards. « Faire
des pronostics à trois ans est ridicule, ça ne veut rien dire en politique,
je suis bien placé pour le savoir »,
ironise Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS.
S’il reconnaît à demi-mot le « problème » Hollande, le président de
l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, veut croire lui aussi que la
pente peut être encore remontée.
Et pense, comme l’intéressé luimême,que«si Hollandenese représente pas en 2017 et qu’un autre
socialiste y va, c’est perdu».
Il y a plusieurs mois, un élu prédisait : « Hollande finira seul au
milieu des ruines de sa politique. Il
sera le bienheureux de la désolation.» Pour beaucoup, la prophétie
estdéjà en train de prendrecorps. p
Hélène Bekmezian
et Bastien Bonnefous
Le projet de loi sur la réforme pénale défendu par la garde des sceaux
est examiné à partir du 3juin à l’Assemblée nationale
Analyse
C
hristiane Taubira a tenté un
exercice difficile : passer
entre l’arbre et l’écorce sans
que cela se voie. La garde des
sceaux a laissé passer sans broncher, mardi 27 mai en commission
des lois de l’Assemblée nationale,
un amendement socialiste qui
étend la contrainte pénale – la peine de probation – à tous les délits,
et non plus aux peines jusqu’à
cinq ans, comme l’avait arbitré le
gouvernement.
Sur le fond, l’amendement au
projetdeloi est parfaitementcohérent : les aménagements de peine
sont déjà autorisés pour tous les
délits, en particulier le sursis mise
à l’épreuve, qui remonte à 1958 et
est prononcé 160 000 fois chaque
année.
En passe d’être examiné à l’Assemblée nationale, le projet de loi
sur la réforme pénale, une mouture déjà très en deçà de la conférence de consensus sur la récidive de
février2013, s’était heurté à la très
viveoppositionduministrede l’intérieur de l’époque, Manuel Valls.
Celui-ci avait jugé « fragile » la légitimité du texte et fait part au chef
de l’Etat de son opposition à « la
quasi-totalité des dispositions» du
projet. François Hollande lui avait
donné raison, et le texte fut vidé
d’une grande partie de son contenu. Christiane Taubira avait dû
mettreson mouchoir surcette première humiliation.
Adoptée en conseil des ministres le 9 octobre 2013, la contrainte
pénale attendait depuis sur le
bureau de l’Assemblée, dans un
silence pesant. L’état de grâce de
Mme Taubiraauprès dumondejudiciaire s’est peu à peu effrité, faute
d’avoir pu faire passer la moindre
réformestructurelle.Elle était soutenue par le premier ministre,
Jean-Marc Ayrault, mais qui avait
mille autres chats à fouetter, et du
bout des lèvres par François Hollande, qui n’a jamais été intéressé
par la justice. Aussi, lorsque
M. Valls a été nommé à Matignon
le 31 mars, la garde des sceaux a
commencé à faire ses bagages.
Un certain désordre
A la surprise générale, et à la
sienne en particulier, Mme Taubira
a été maintenue place Vendôme.
Un choix de la dernière minute
qui s’explique politiquement
assez bien: Manuel Valls est classé
à la droite du PS, les écologistesont
quittélegouvernementet Christiane Taubira, auréolée par la rude
bataille sur le mariage pour tous,
est devenue une icône à gauche et
un objet de détestation pour la
droite. Les attaques racistes qu’elle
a dû essuyer ont incontestablementpesé sur son maintien: sacrifier une femme noire comparée à
une guenon aurait été un message
douteux envoyé à la gauche.
En échange, Mme Taubira a dû se
résigner en avril à repousser la
réforme pénale « de quelques
semaines » : elle sera finalement
examinée à l’Assemblée nationale
le 3 juin. Si l’on ajoute un certain
désordre à son cabinet – elle a déjà
épuisé deux directeurs, a eu du
mal à en trouver un troisième,
plus encore à désigner un directeur adjoint et n’a toujours pas de
chef de cabinet, deux mois plus
tard – la position de la garde des
sceaux est fragile.
Mercredi 28 mai, François Hollande a forcé sa ministre à déposer
un amendement pour revenir au
texte initial. Avec le risque que la
majorité socialiste passe outre, et
queChristianeTaubira mangeune
nouvelle fois son chapeau : la responsable du groupe PS à la commission,Colette Capdevielle(Pyrénées-Atlantiques) et le rapporteur
du projet, Dominique Raimbourg
(PS,Loire-Atlantique)n’ontabsolumentpasl’intentiondecéder. D’intenses pressions ont lieu ces joursci pour faire fléchir les députés,
dont on pourra mesurer le courage mardi 3 juin. p
Franck Johannès
RCS Nanterre B 337080055 - Cardhu, les emblèmes et logos associés sont des marques déposées. © Diageo 2014
ChristianeTaubira,uneministre
deplus en plusfragilisée
La Pépite du Speyside
D ’ u n e “p i e r r e n o i r e ”
on extrait de l’or.
Ca rdhu, “pierre noire” en gaélique, re cèle dans son
élégante carafe aux reflets d’or, de riches arômes
de fruits mûrs, de vanille et d’épices douces.
Cette personnalité unique fait de lui le joyau du
Speyside, berceau des plus grands whiskies écossais.
10
0123
france
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
Lors de son congrès, la CFDT va afficher
ses distances avec le gouvernement
La centrale réformiste, qui réunit ses syndicats à Marseille lundi, célébrera ses 50 ans
L
aurent Berger se serait bien
dispensé d’un tel lever de
rideau – la victoire du FN aux
élections européennes – pour son
premier congrès en tant que secrétaire général de la CFDT, du 2 au
6 juin à Marseille. Encore sous le
choc, 1 800 délégués, dont 250 jeunes de moins de 35 ans, vont débattre pendant cinq jours.
Alatête d’une centraleréformiste d’autant plus homogène politiquement que les opposants les
plus à gauche sont partis, M. Berger sera réélu sans difficulté. Mais
le congrès ne sera pas un long
fleuve tranquille. Il devra dissiper
l’imaged’unetropgrandeproximité avec un pouvoir de plus en plus
impopulaire. A la présidentielle de
2012, 56 % des sympathisants de la
CFDT avaient voté pour François
Hollande au premier tour. Le
25 mai, le vote PS est tombé à 29 %.
Le congrès de Marseille sera
d’abordcelui des 50 ans de la CFDT.
M. Berger, 45 ans, né quatre ans
après la déconfessionnalisation de
1964, a osé le toilettage des textes
sacrés. Ancien secrétaire général
de la Jeunesse ouvrière chrétienne
(JOC), comme le fut Eugène Descamps – l’artisan de la transformation de la CFTC en CFDT –, il va
remanier le préambule et l’article
premier des statuts, inchangés
Delaprésidentielle
auxeuropéennes,
letauxde
sympathisants
delaCFDTvotantPS
estpasséde56%à29%
depuis1964,en supprimantla référence à « l’humanisme chrétien».
Par rapport à sa première version (Le Monde daté 9-10 février),
le texte, qui ne pourra plus être
amendé, a été musclé à la demande de syndicats et d’anciens dirigeants.Lecédétismen’estplusdéfini seulement comme « un contrepouvoir essentiel », mais comme
«une force de proposition, d’action
et de transformation ». L’accent a
été mis sur les « valeurs humanistes, démocratiques et laïques », et le
« recours à la grève » a été ajouté
dans les formes d’action.
Partenaireprivilégié du gouvernement socialiste, la CFDT durcit
le ton comme pour se dégager de
son emprise. Cela se traduit dans
le rapport d’activité qui fait le
bilan de son action, « dans un
contexte particulièrement complexe », depuis le précédent congrès
de Tours, en juin 2010. M. Berger,
auxmanettes de la centrale depuis
le 28 novembre 2012, après avoir
été le numéro deux de François
L’emploides femmes
reculefortementdans
leszonesurbainessensibles
Une femme sur deux en âge de travailler
est inactive dans les quartiers
D
Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, à Lorient, en novembre 2013. FRANÇOIS DESTOC/MAXPPP
Chérèque, demandera – et obtiendra – le quitus.
«Dans ce contexte national difficile, où les inégalités s’accroissent et
les craintes sociales s’enracinent, la
nouvelle majorité politique n’a pas
répondu aux attentes qu’elle avait
suscitées»,peut-onlire.«L’accumulation de mesures fiscales sans
cadre global, sans cohérence d’ensemble et les atermoiements qui
ont présidé aux arbitrages des lois
de finance,ont accru la confusionet
le sentiment d’une fiscalité instable,
punitive et inefficace, terreau des
dérives populistes.» La CFDT assure
qu’ellea «mis en gardele gouvernementausujetd’unepolitiqued’austérité brutale et contre-productive»
et«plaidépouruncalendrierassoupli de réduction des déficits publics
qui préserve les initiatives de relance économique».
LaCFDT,quia cautionnélaréforme des retraites et signé quatre
accords, dont celui, controversé,
sur la sécurisation de l’emploi en
2013, avertit que « l’objectif de stabilitémonétairene doit pas conduire à l’asphyxie de l’économie ». Le
rapport s’accorde un satisfecit sur
son « syndicalisme d’engagement », légitimé par ses succès
dans le dialogue social, seul bon
point accordé à François Hollande,
jamais cité. La CFDT « a tenu son
cap et affirmé son autonomie
d’analyse,de propositionet d’engagement».
La CGT fait l’objet d’un simple
avertissement, le rapport notant
quelaCFDT«nefait pasde sesdivergences assumées» un « élément de
rupture » mais qu’elle « n’entend
pas se laisser dicter son action par
les mots d’ordre ou appels à des
manifestations décidées par d’autres ». Signataire du pacte de responsabilité, dont elle attend avec
une impatience croissante la mise
enœuvre,la CFDTdénoncela «posture belliqueuse » du Medef,
jugeant que le patronat « est en
proie à la montée du poujadisme »
et « tend à s’exonérer de son rôle et
desaresponsabilitéd’acteurdudialoguesocial,pourtantgaged’efficacité économique et sociale».
Seul bémol, le rapport note que
la « dynamique collective de développement s’est essoufflée ». Il y
aurait eu un tassement des effectifs en 2013. M. Berger, qui a rendu
102 visites aux militants depuis
son élection, soucieux de prouver
l’efficacité du syndicalisme réfor-
La centrale assure
avoir «mis en garde
le gouvernement au
sujet d’une politique
d’austérité brutale
et contre-productive»
miste, a réussi à préserver la cohésion.Malgréquelquesdépartslimités – à La Redoute,dans le commerce ou chez le transporteur Mory
Ducros –, les dissensions ont été
marginales.La CFDT se fixe l’objectif d’une hausse des adhérents de
5 % en 2015.
Le projet de résolution, qui donnera lieu à 18 amendements, affirme haut et fort que « le syndicalisme de la CFDT prônela transformation de la société pour plus de soli-
darité,de justice socialeet de démocratie. La CFDT entend intervenir
sur la vie quotidienne des femmes
et des hommes en situation de travail et hors travail ».
Mettant l’accent sur la lutte
contre les inégalités, la « mise à
plat » de la fiscalité, la démocratie
sociale, la proximité avec les adhérents (en développant des services
individuels), le projet européen, la
résolution reprend les revendications de la CFDT. Elle prône « un
nouveau modèle de développementqui concilie performanceéconomique, justice sociale et préservation de l’environnement » et un
« nouveau pacte social ».
Plusnouveau,elle veut réinventer le rôle de l’Etat qui doit être
« visionnaire et anticipateur »,
« investisseur», « partenaireet facilitateur», « régulateur et arbitre »,
« garant de la cohésion sociale et de
l’équité entre les territoires» et évaluer les actions publiques.
Pourmettreen œuvreces orientations,M. Berger a recomposéson
« gouvernement » – la commission exécutive (CE) – porté à dix
membres, avec le départ de deux
poids lourds – Marcel Grignard et
Patrick Pierron – et l’entrée de quatre nouveaux. Deux ont moins de
50 ans : Jocelyne Cabanal (Bretagne) et Yvan Ricordeau (Pays de la
Loire, comme M. Berger) ; deux ont
moins de 40 ans : Marylise Léon
(chimie-énergie) et Inès Minin
(permanente confédérale). Pour la
premièrefoismixte,la CE estrajeunie, comme pour conjurer le
vieillissement des cadres qui guette tous les syndicats. p
Michel Noblecourt
36 % des adhérents ont plus de 50 ans
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860 000 cédétistes Selon ses
derniers chiffres officiels, la
CFDT comptait en 2011, sur la
base de huit timbres par an,
863 674 membres contre 851 601
en 2010 et 833 108 en 2009. Pour
2013, une estimation fait état de
865 000 adhérents, mais elle
n’est pas jugée totalement fiable,
un changement du logiciel de gestion des adhérents n’ayant pas
pris en compte tous les prélèvements de cotisations. Avec ces
chiffres, la CFDT revendique la
première place sur l’échiquier syndical, devant la CGT, qui annonce
694 000 adhérents, mais sur la
base de 10 timbres par an. Le
record avait été établi en 1977,
avec 903 076 membres, et le plus
bas niveau, après une opération
« transparence » des chiffres, en
1988, avec 535 519.
47,6 % de femmes La moyenne
d’âge des adhérents se situe entre
46 et 47 ans. 36 % ont plus de 50
ans (6,3 % sont retraités), et 11 %
moins de 35 ans. Il y a 52,4 %
d’hommes et 47,6 % de femmes.
65 % des adhérents appartiennent au secteur privé et 35 % au
secteur public et à la fonction
publique. La centrale a une meilleure implantation que la CGT, en
nombre de sections syndicales,
dans les entreprises privées.
14,2 % des adhérents sont dans le
secteur santé-sociaux, 12,44 %
dans les services, 9,9 % dans les
collectivités locales, 9,85 % dans
la métallurgie et 7,2 % dans les
transports et l’environnement.
Deuxième en représentativité
A partir des élections professionnelles entre 2009 et 2013, le
ministère du travail a publié, le
30 mai 2013, un arrêté sur les syndicats reconnus représentatifs.
Avec 29,71 %, la CFDT arrive en
deuxième position, au coude-à-coude avec la CGT
(30,63 %) et devant FO
(18,28 %), la CFE-CGC (10,76 %)
et la CFTC (10,62 %).
iana a le regard qui devient
flou quand elle évoque son
parcours. Voilà plus de six
ans que cette grande et belle Bulgare ne trouve pas de travail. Des
petits boulots, des contrats aidés
dans des associations, des vacations de cantine mais pas de véritable embauche. Cette mère de
familleapourtantunCVexceptionneldanslacitédelaThibaudeàVaulx-en-Velin (Rhône) : ancienne
directricede scènede l’Opéranational de Sofia, arrivée en France pour
suivre un master professionnel,
elle avait décroché un CDI à Tourcoing (Nord) comme régisseuse
générale d’un théâtre. La préfecture a fait opposition à son embauche. Depuis, Diana galère.
Mariem, 37 ans, est dans la
même situation. Titulaire d’un
diplôme d’éducatrice, voilà dix ans
qu’elle enchaîne des contrats précairesetprendtoutcequ’onluipropose: comptable, livreuse, auxiliaire de petite enfance… Elle est « au
boutdurouleau».Car,pourcesfemmesvivantdanslesquartierspopulaires, la crise frappe plus dur encore que pour les hommes.
Deux études viennent de tirer le
signal d’alarme sur la situation de
l’emploi des femmes dans les quartiers. L’Observatoire national des
zones urbaines sensibles (Onzus) a
publié pour la première fois une
note spécifique qui montre que
près d’une femme sur deux en âge
de travailler (âgée de 15 à 64 ans) y
est inactive. Ce taux d’inactivité est
en hausse de 5 points depuis 2008.
Dans le même temps, l’activité
desfemmeshabitantdanslesagglomérations environnantes s’est
maintenue, comme celle des hommes vivant en ZUS (zone urbaine
sensible).«Uneproportioncroissante de femmes ne se déclare ni en
emploi ni en recherche d’emploi »,
écrivent ainsi les auteurs de l’étude, estimant « préoccupante» cette
évolution qui dénote un véritable
découragement.
Le Haut Conseil à l’égalité entre
les femmes et les hommes fait le
même constat, en observant que
l’écart entre les femmes et les hommes dans l’accès à l’emploi est de
16points en ZUS, contre 8 points en
moyennehexagonale.Le niveaude
diplôme joue à plein. Les femmes
peu diplômées peinent plus que
leurshomologuesmasculinsàtrouver un emploi. Et quand elles en
trouvent un, c’est majoritairement
dans les services. Or, depuis 2008,
ce sont les emplois faiblementqualifiés qui ont le plus reculé.
A Vaulx-en-Velin, dans le «top 3
des métiers féminins», comme l’appelle Laurent Visocchi, directeurde
l’antenne Pôle emploi, on trouve
agent de propreté, aide maternelle
et aide à domicile. Des emplois peu
qualifiés, mal payés, qui ont reculé
massivement. Quant aux plus
diplômées, même jeunes, leur
situation, moins dramatique, s’aggrave aussi : elles se retrouvent
plussouvent dans des contratsprécaires, à temps partiel ou le dimanche– cederniertauxaaugmentéde
4 points en quatre ans.
Chômage ou retrait du marché
du travail? Les deux phénomènes
s’imbriquent, et les femmes passent d’une situation à l’autre, car il
ne semble plus y avoir de postes
pour elles. Cette chute inquiétante
est trop récente pour avoir fait l’objet de recherches dans les différents quartiers prioritaires. Mais le
constat semble général dans les
antennes de Pôle emploi, les missions locales, les associations.
A Grigny, bassin d’emploi plus
industriel et donc plus masculin, le
nombre de femmes inscrites à Pôle
emploi est supérieur à celui des
hommes et croît depuis trois ans.
«Mais nous n’avons pas de dispositif particulier de suivi car ce serait
compliquéde faire de la discrimination dans un sens, alors, on se
débrouille», note Franck Locher, de
la mission locale.
«De plus en plus, elles
ne s’inscrivent même
plus au chômage »
Naziha Chalabi
médiatrice à Vaulx-en-Velin
« Ces femmes n’arrivent plus à
trouver quoi que ce soit, et elles se
découragent. De plus en plus, elles
ne s’inscrivent même plus au chômage », insiste Naziha Chalabi,
médiatrice du réseau Femmes de
l’espace, un projet interassociatif
de Vaulx-en-Velin. Au manque de
diplôme s’ajoutent des obstacles
spécifiques: le « manque de mobilité» – elles sont 47% à détenir le permis de conduire à Vaulx, contre
71 % des hommes – et de véhicule,
et la responsabilitéd’enfants.«Plus
le nombre d’enfants augmente,
plus l’activité diminue pour les femmes», souligne l’Onzus.
Les observations du terrain sont
plus nuancées. « Cela contraint les
femmes à avoir un emploi dans le
secteur où elles habitent, et pourtant, on sent une détermination à
chercherplusfortequedanslapopulation masculine », remarque
AnnieLopez,responsabledel’agence Pôle emploi du 14e arrondissement de Marseille.
En ZUS, une jeune femme de 18 à
25 ans sur cinq est mère de famille.
« On voit de plus en plus de jeunes
femmes qui lâchent tout après le
diplôme et se marient ou font un
enfant. Devant le chômage qui les
attend, c’est leur porte de sortie »,
lâche Radostina Siorat, animatrice
socioculturelle à Vaulx-en-Velin.
Le constat est prudemment partagé par plusieurs observateurs. Certaines missions locales ou antennes de Pôle emploi commencent à
proposer des modes de garde temporaires pour la recherche d’emploi, mais elles sont encore rares. p
Sylvia Zappi
Droite Le rapprochement avec le centre serait
« une profonde erreur », pour Laurent Wauquiez
Laurent Wauquiez, député UMP de la Haute-Loire, estime, dans
un entretien accordé samedi 31 mai au Parisien, que l’idée d’un
rapprochement de l’UMP avec les partis du centre, UDI et
MoDem, est « une profonde erreur». Cette proposition est notamment portée par Alain Juppé, membre du triumvirat, avec François Fillon et Jean-Pierre Raffarin, qui doit remplacer Jean-François Copé à la tête de l’UMP. Selon M. Wauquiez, « on ne répond
pas à la crise d’un pays par une combine d’appareil politicien ».
Faits divers Un ouvrier tué dans une course
de voitures en Seine-Saint-Denis
Un ouvrier a été mortellement fauché, vendredi 30 mai, par une
voiture engagée dans une course sauvage dans une rue de Noisyle-Sec (Seine-Saint-Denis). Après un mariage célébré dans l’aprèsmidi, deux invités se sont lancés dans une course dans le centreville. Pour éviter l’autre, l’un d’eux a fait une embardée sur un
trottoir et percuté un ouvrier originaire de Roumanie qui chargeait un camion. La victime était père de trois enfants. Dans la
nuit de jeudi à vendredi, près du Cap d’Agde (Hérault), un autre
rodéo avait provoqué la mort de cinq jeunes. – (AFP.)
culture 11
0123
Dimanche 1er- Lundi 2 juin 2014
Yannick Jaulin, conteur de la ruralité ordinaire
A Pougne-Hérisson, dans le Poitou, l’artiste a créé le festival Le Nombril du monde, où il convoque les arts de la rue
Portrait
tient allumé le feu des histoires qui
font vivre et traverser la nuit. « Oui,
je suis un conteur patoisant. Je me
sens responsable de cette culture
méprisée. En effaçant une langue,
on efface le génie d’un peuple. Mais
je suis dans le présent. Il y a parfois
un malentendu en face. Comment
être légitime dans la modernité
quand tu parles patois ?»
A l’instar de ses personnages,
Yannick Jaulin est un insoumis,
irréductible à sa caricature « A Avignon, en 2009, on jouait dans la
Cour d’honneur, il arrivait toujours
en retard, il était incapable d’apprendre un texte mot à mot »,
témoigne Wajdi Mouawad. « C’est
quelqu’un qui est incapable
D
« Oui, je suis
unconteur patoisant.
Je me sens
responsable de cette
culture méprisée»
Yannick Jaulin
Le 28 mai, à Paris. LAURA STEVENS POUR « LE MONDE »
Ferguson, a été recueilli par un forgeron boiteux, Robert Jarry, génial
inventeur de machines à tarabuster. Ensemble, ils sont à l’origine de
tout… Ainsi l’atelier de Robert
Jarry, sa chambre, ses inventions,
ses reliques, sont-elles exposées
dans une grange et un jardin spécial ouvert toute l’année. Et, tous
les deux ans, début août, ce monument est l’objet d’un festival – Le
Nombril du monde – où Yannick
Jaulin convoque les arts de la rue,
le théâtre et le monde merveilleux
des objets animés dans une célébration d’un art naïf vivant.
Le «trou du cul»
du monde va devenir,
par la magie
du storytelling,
son nombril
On a pu y voir aussi bien Joseph
Racaille ivre sur son ukulélé que
les interventions d’un Pascal
Rome, ancien de Royal de Luxe, ou
de la compagnie Délices Dada. « Il
faut le croire pour le voir» estdevenu la maxime locale. Tout le villagefile la méthaphore,ou plutôtl’allégorie. Tous « ombilicologues ».
Avec les années, les gens du cru
commencent à ne plus bien trier le
vrai du faux. Une demi-douzaine
2014
de personnes travaillent à l’année
sur le projet.
« Moi, je suis réfugié politique ici,
affirme le trublion. En Vendée, dès
que je faisais quelque chose, Philippe de Villiers me faisait des emmerdes. J’ai fini par le rencontrer. Un
animal génial ! Il réinvente tout, il
n’ena rien àfoutre de la vérité historique. Lui, il veut faire Autant en
emporte le vent. » Yannick Jaulin a
grandi là-bas, en terre chouanne,
dans une ferme d’Aubigny.
« L’odeur la plus rassurante pour
moi, c’est celle de la bouse mélangée à la paille. Mes parents avaient
cinquante hectares et une UGB
[unité de gros bétail], à l’hectare. Le
proprétaire s’appelait Zacharie du
Réa de la Séguonière, vicomte de
Monty de Rezé, mon grand-père et
mon père disaient “'notre maître”.
Il avait un imper élimé, des charentaises et une DS pourrie. Mais ils
disaient “notre maître”. » Les mots
s’étranglent. Un truc qui ne passe
pas.
Ils sont cinq. Cinq frères en cinq
ans. Lui, l’aîné « né une année de
mauvais vin, 1958 ». « Ta mère, elle
prenait à tous les coups », disait son
père. Vendéen et catholique, un
monde de courbe-l’échine et de
non-dits. Une grand-mère née sept
ans après la mort de son père…
« Jaulin, cela veut dire petit coq,
raconte-t-il. Il y avait cinq garçons
pour 400 filles au lycée Saint-Joseph, à La Roche-sur-Yon. Cela me
plaisait bien de racasser les gonzesses. » A 15 ans il « racasse » la fille du
minotier.« Du coup, je suis passé de
la troupe paroissiale à l’amicale laïque, rejeté par les uns qui disaient
que j’étais un traître, et les autres
qui ne m’ont jamais accueilli.»
L’histoiredeYannickJaulincommence là, dans cet entre-deux
auquel la vie l’a condamné. Dans
l’amour-haine-désespoir de la
condition humaine. « Petit, je
m’imaginais toujours dans des
rôles de sauveur. J’aurais voulu être
prince, mais j’étais né là. Ça m’a
convaincu de la nécessité de donner des lettres de noblesse à cette
culture. »
La rencontre d’André Pacher
sera déterminante. Pendant la
guerre d’Algérie, celui-ci a été
envoyé interviewer les femmes
kabyles ; de retour au Poitou, il
s’estlancé dansun travail de collecte des histoires et traditions locales. « D’un seul coup, c’est la seule
chose qui m’intéressa. J’avais grandi au cul des vaches, et j’ai passé dix
ans au cul des vieux », rigole YannickJaulin. Ildevientagentdedéve-
loppement en milieu rural. L’homme est entier, quand il se lance
dans quelque chose, c’est à fond. Et
les activités, il en a dix, vingt, insatiable, dans un lien charnel à la vie.
A l’image de ses spectacles, son
parcours est une quête existentielle. Avec ses émerveillements,
ses égarements, ses épiphanies. Il a
voyagé, la Californie, l’Afrique,
l’ailleurs. En 1985, à 27 ans, il est animateur cultureldans le marais poitevin, a un groupe de rock en
patois, Jan do fiao. Il cherche une
utopie. « Je pensais qu’il n’y avait
que le changement individuel qui
pouvait transformer le monde. Et je
voyais mes copains épouser des
vies qui me semblaient médiocres. » Il croise l’ésotérisme. Tout ce
qui fait mythologie l’intéresse.
Une certaine mystique aussi. C’est
là qu’il entre au Temple solaire. En
1990, poussé par la secte, il s’installe avec sa femme dans le Vaucluse.
« On s’est rendu compte qu’ils
étaient cinglés. On est partis en
1991. Le massacre a eu lieu en 1994.
Il y avait là des gens formidables. La
veille du massacre, un copain québécois que j’aimais m’a appelé. »
Silence. Yannick Jaulin ne masque
rien.La peine, on la sent qui monte.
«Il faut se reconstruire.»
Il s’excuse souvent. Inutilement. « Je manque de civilité. J’ai
des urbanités qui ne sont pas à la
pointe », dit-il avec une chaleur
pourtant peu commune. Tous
ceux qui l’ont approché louent sa
convivialité. La table, le vin, comme armes d’amitié. C’est parce
qu’il sait ses failles qu’il pose sur le
monde qui l’entoure et le public
un regard plein d’humanité, de
complicité ironique. C’est parce
qu’il doute qu’il se dépense sans
compter, lit, travaille, explore en
permanence. C’est parce qu’il sait
les ténèbres alentour qu’il main-
d’obéir, c’est fondamental chez lui.
La douleur d’avoir vu ses ancêtres
se plier. On se demandait toujours
s’il allait arriver, mais quand il arrivait il avait une capacité unique à
être en lien avec le public. Une bête
de scène, sans l’ego. Enfin si, il a un
ego, mais il l’a dressé comme on
dresse un gros chien.»
A Pougne-Hérisson, le succès du
festival a grandi d’année en année.
A la dernière édition, l’équipe qui
gérait l’événement a vu trop grand
et mis le budget dans le trou. Cette
année, Yannick Jaulin a repris les
rênesde ce mouvement de « mégalomanie dérisoire ». Il a acheté une
maison dans le village. Alors qu’il
fait traverser les planchers vermoulus du château en ruine, il rit
lorsqu’on lui dit qu’il s’est trouvé
là une place de baron, laïque,
public et incantatoire. La revanche ? Il sourit. Une sorte de curé ?
« Oui, je ne le renie plus. Il y a quelque chose dans la parole publique,
dans l’homme qui fédère une communauté, qui me plaît assez. » On
n’est plus à une mythologie près. p
Laurent Carpentier
Festival Le Nombril du monde, du 5
au 16 août. Le jardin est ouvert du 6 avril
au 6 octobre. [email protected]
OUVERT
OPEN / ABIERTO /
APERTO / ABERTO /
OBERT / ÖPPET / ÅBENT /
OFFEN / ОТКРЫТЫЙ / 開いた
“ Ici, mes premières émotions d’art ” -
Pierre Soulages
C’est à Rodez, ville natale de l’artiste, qu’ont ouvert les portes du
musée Soulages, superbe bâtiment d’acier Corten et de verre.
Avec plus de 500 oeuvres qui constituent la collection permanente et
23 Outrenoir(s), exposés dans le cadre de l’exposition temporaire, le
musée présentera la plus grande collection au monde de Pierre Soulages.
musee-soulages.grand-rodez.com
Un Air de Vacances - 423 591 668 RCS Toulouse
ix ans après, il en rit encore :
« Yannick s’était mis en tête
que les animaux aussi
avaient droit à l’art vivant, raconte
le metteur en scène Wajdi
Mouawad. Il m’avait invité à Pougne-Hérisson. Je me suis retrouvé
sur un plateau dans une étable,
seul face à une trentaine de vaches,
desmoutons…»Ubuesquemonologue : « Le truc le plus drôle et le plus
magique que j’aie fait de ma vie.
Les gens regardaient à travers des
trous dans la palissade. Yannick
avait appelé ça : “Action accès des
arts aux animaux”. » Comment
mieux résumer le festival Le Nombril du monde, qui a lieu tous les
deux ans à Pougne-Hérisson – coin
perdu des Deux-Sèvres,dans le Poitou – et son créateur : Yannick Jaulin, maître en mythologies, contes
et autres fantaisies ?
Yannick n’est pas enfant du
pays. Il est conteur et vendéen. Il
conte en patois, en français aussi, il
mélange, suivant le public. Un jour
il est aux Bouffes du Nord à Paris,
le lendemain dans une salle troglodytique à Azay-le-Rideau (Indre-etLoire). S’il est aujourd’hui un des
noms les plus connus du conte, il
ne rechigne à rien. Plus de cent
dates par an. Il n’est pas venu « des
bibliothèques » comme il dit, mais
a commencé à raconter des histoires pendant des concerts de rock
sur un chariot de tracteur, devant
un bar de mecs avinés. « Sur scène,
c’est l’instinct de survie », dit avec
joyeusetécepetit bonhommeà ressorts.
Un soir d’ivresse, il y a lurette, il
s’est égaré à Pougne-Hérisson. Le
nom sans doute ? Il en a nourri ses
histoires du quotidien qui célèbrent la ruralité, la moquent et
l’aiment à la fois. Pougne-Hérisson, comme il aurait dit Trifouillisles-Oies. Sauf que Pougne n’est pas
Trifouillis. En 1992, on vient le voir
après un spectacle : « C’est pas le
tout de parler de nous, faut venir à
Pougne », plaide Bernard Boileau,
le maire. Celui-là a fait ses classes à
laJAC, la Jeunesse agricole chrétienne, et avec leurs tracteurs, quatre
ans plus tôt, ses paysans ont gagné
une bataille contre l’enfouissement des déchets dans le village
voisin de Neuvy-Bouin. Petit et
combattant. En cela, les deux hommes se retrouvent.
Ainsi va naître l’aventure du
Nombril du monde, de l’alliance
d’un conteur à l’imagination
jamais repue et d’un village qui va
jouer le jeu de la beauté poétique
del’absurde.Le trou du culdu monde va devenir, par la magie du storytelling, son nombril. Une pierre
qu’on incruste dans le sol devant la
chapelle, et le mythe fondateur en
jaillit : ici, le 6 juin 1944, un parachutiste américain, John Barney
12
0123
culture
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
Un beau récit de l’horreur
sur le «Journal» d’Anne Frank
A Amsterdam, un spectacle monté dans un théâtre construit
pour l’occasion fait polémique
Théâtre
Amsterdam
Envoyé spécial
I
l fallait posséder un solide
esprit entrepreneurial pour
oseruntelpari.Monterune pièce – ou plutôt une sorte de spectacle en immersion –, simplement
baptiséeAnne,autourducélébrissime Journal d’Anne Frank, était en
soi une aventure à haut risque.
Elle avait été tentée en 1955 aux
Etats-Unis et rééditée en 1997. Et,
par deux fois, les critiquess’étaient
offusqués d’une version homogénéisée et infantilisée du drame
vécu par la jeune juive d’Amsterdam, cloîtrée dans l’Achterhuis
– « l’Annexe» – situé sur le Prinsengracht, la cache aménagée où elle
avait vécu avec ses proches, de
juin1942 jusqu’au 4août 1944.
Sansdoutevictimed’unedénonciation, le groupe de huit personnes fut, ce jour-là, arrêté et déporté.
Seul Otto Frank, le père d’Anne,
allait revenir des camps.
Malgré l’échec des adaptations
américaines, c’est pourtant à un
vétéran de Broadway, le producteur Robin de Levita, que le Fonds
Anne Frank, organisation créée à
Bâle par Otto Frank pour protéger
et perpétuer la mémoire de sa fille,
a fait appel. Le travail de De Levita a
consisté à monter non pas une pièceclassique,maisuneœuvremultimédia,des imagesengrand format
étant projetées sur des écrans, de
part et d’autre de la scène. Et à l’installer dans un théâtre, construit à
cette seule fin, avec plateau tournant ouvrant successivement sur
les différents lieux évoqués dans le
Journal.Le premierpieudu Theater
Amsterdam fut posé en août 2013,
et, neuf mois plus tard, une magnifique salle en arc de cercle, lovée
dans un élégant bâtiment de métal
et de bois, accueillait le public, dans
le quartier des docks.
Peut-on faire du
«beau» – car ce qu’on
a devant les yeux est
d’une splendeur
éclatante–avec
un tel récit ?
Du début à la fin d’une représentationqui dureprès detrois heures,
les mille spectateurs quotidiens
sonttaraudéspar unemultitudede
questions.Peut-onfaire du « beau »
– car ce qu’on a devant les yeux est
d’une splendeur éclatante – avec
untelrécit?Peut-ondînerconfortablement avant de plonger dans un
drame qui a englouti l’immense
majoritédes160000juifsdesPaysBas,avec la complicitéd’un Etat qui
accepta de les exclure de toute vie
sociale ? Atteint-on vraiment l’objectif fixé – parler au plus grand
nombre, et aux jeunes en particulier – avec une miseenscène, un jeu
d’acteurs et des décors qui risque-
raient d’éblouir tant qu’ils feraient
oublier le cœur du sujet?
A la fin du spectacle, lorsque les
panneaux coulissants se referment sur Anne malade, emmitouflée dans une couverture et sautillant entre les rails d’une voie ferrée – celle qui mène où l’on sait –, la
salle reste un long moment plongée dans le noir et le silence. Se
demandant si elle peut applaudir
sans offenser la mémoire des
morts. Si elle peut claquer des
mains sans hurler sa rage contre
ceux dont les visages, les uniformes noirs et les prophéties haineuses ont émaillé sa soirée, sur les
écrans tandis que les Frank et leurs
amis survivent, se lamentent, se
querellent. Et s’enthousiasment
lorsque leur radio, branchée sur la
BBC, leur rend un fol espoir: sortir
indemnes de cette cache et de l’enfer de la guerre grâce au débarquement des Alliés en Normandie.
Les scénaristes, Jessica Durlacher et son époux, Leon de Winter,
écrivains de renom, ont travaillé
deux ans sur leur récit. L’un et
l’autreontperdudenombreuxproches durant la guerre. Ils ont
replongé dans les trois versions du
Journal, les archives et les documents officiels. Ils en ont extrait
un texte qui contraste avec les versionsantérieures,notammentparce qu’ils osent présenter Anne, non
pas comme une icône, mais comme ce qu’elle fut réellement : une
jeune adolescente impétueuse,
emplie de rêves et de colère,
MonuMenTa 2014
L’actrice Rosa da Silva interprète Anne Frank. KURT VAN DER ELST
s’éveillant à la sexualité, fréquemment en révolte contre sa mère.
«Une jeune fille très moderne,victime d’un scandale: celui de n’avoir
pu vivre sa vie », explique Jessica Durlacher, rassurée par l’opinion d’une spectatrice, qui fut
l’une des amies d’Anne : « Elle a
trouvé le spectacle fantastique…»
Malgré ses indéniables qualités
stylistiques et son impact, Anne
n’en a toutefois pas fini avec les
polémiques. L’initiative a, en effet,
relancé la guerre entre ceux qui se
réclament de l’héritage – moral
mais aussi financier – des Frank.
D’uncôté,laFondationgérantl’Annexe et le Musée Anne-Frank
d’Amsterdam; de l’autre, le Fonds
établi à Bâle, toujours dirigé par
Buddy Elias, un cousin d’Anne.
Le conflit dure depuis des
années entre les deux parties qui
s’opposentsur la gestiondes archives mais, surtout, sur la manière
d’évoquer durablement le drame,
par trop symbolique, vécu par la
famille Frank. Les responsables du
fonds jugent utile de parler au
mieux à un large public de jeunes,
c’est-à-dire avec des techniques
que ces derniers utilisent au quoti-
dien. La fondation estime que, ce
faisant, il a transformé Anne en un
« Tamagochi de l’Holocauste», une
référence au petit animal virtuel
japonais.Uneexpressionmaladroite, mais qui traduit bien la dureté
du conflit. p
Jean-Pierre Stroobants
Anne, au Theater Amsterdam, Danzigerkade 5, Westpoortnummer 2036
Amsterdam. Une traduction simultanée
de la pièce du néerlandais au français
(et en cinq autres langues) sera disponible à partir de juillet. De 20 ¤ à 75 ¤.
theateramsterdam.nl
La familleCasadesus(presque)
aucompleten ses pénatesrhétaises
La lignée de musiciens s’est rassemblée au festival Ré majeure
Musique classique
Ile de Ré (Charente-Maritime)
l’éTrange
ciTé
D
ilya eMilia
grand
kabakov
10 Mai —
palais
eT
22 juin
ans la famille Casadesus,
l’île de Ré a toujours été une
partition majeure. Ce jeudi
29 mai, rien d’anodin à ce que
Marc Minkowski ait confié au chef
d’orchestre Jean-Claude Casadesus, qu’il désigne comme son
« maître et ami », le concert
d’ouverture de son festival Ré
Majeure, fondé en 2011.
Les deux musiciens sont tous
deux rhétais d’adoption et voisins : si Marc Minkowski s’est installé depuis peu à Loix, JeanClaude Casadesus a passé toutes
ses vacances d’enfant à Ars-en-Ré,
où il possède une jolie maison
mitoyenne de celle de sa mère, la
comédienne Gisèle Casadesus, qui
a débarqué sur l’île en 1922.
Jean-Claude Casadesus n’y a
pourtant donné jusqu’alors qu’un
seul concert. C’était il y a plus de
trente ans, en 1982, à Saint-Martinen-Ré. Aujourd’hui, la matriarche
du clan Casadesus a été retenue à
Paris pour cause de centenaire proche (elle aura 100 ans le 14 juin),
mais sa fille, la soprano Caroline
Casadesus, et son petit-fils, le trompettiste David Enhco, sont là.
Est-ce la sublime lumière vespérale sur le paysage de lande aperçu
par les baies vitrées du gymnase de
La Pré, aménagé en salle de
concert ? L’atmosphère a quelque
chose de surnaturel. Sur le plateau,
Jean-Claude Casadesus a rejoint
l’Orchestre Poitou-Charentes venu
lui aussi en voisin. Au programme,
La Poule, dans la version orchestrée
par Rameau pour ensemble à cordes. Puis Ravel, le Concerto en sol,
interprétéparlepianisteJean-François Heisser, également patron de
l’orchestre charentais. Le tout joué
avec un bel équilibre entre clarté et
élégance, déjouant les pièges d’une
Sur scène,
Caroline forme
avec ses fils un trio
jubilatoire, qui
pratique la musique
en hors-la-loi
acoustique dont la sécheresse ne
pardonne rien. Après une Pavane
pour une infante défunte donnée
d’un seul orbe, laSymphonie n˚5 de
Schubert,dontJean-ClaudeCasadesus souligne les ombres tragiques
sous l’apparence légèreté solaire.
L’après-midi, le filage de Tactus,
partition équestre pour musiciens,
voltigeurs et chevaux, a témoigné
d’une autre passion de Marc Minkowski. Avec Manu Bigarnet, un
émule du Théâtre équestre Zingaro, et ses deux comparses de la
Compagnie équestre Of K’Horse, le
chefd’orchestre,aucentreduchapiteau dressé pour l’occasion au
Haras du Passage, à Loix, dirige les
Musiciens du Louvre Grenoble qui
encerclent la piste et accompagnent les évolutions pas toujours
millimétrées mais impressionnantes de trois comtois crins lavés aux
crinières blondes. Le cheval de
Marc Minkowski, Summer Prince,
un superbe clydesdale irlandais de
900 kilos, ne semble pas plus
effrayé que ça par les circonvolutions de Shaker Loops, de John
Adams, les adaptations pour quatuor à cordes des standards de Jimi
Hendrix que s’approprient avec
brio les quatre filles de tempérament du Quatuor Ardeo, avant le
fameux Adagio pour cordes op. 11
de Samuel Barber.
Le lendemain, il ne fait pas très
chauddanslacourdel’hôteldeClerjotte, à Saint-Martin-en-Ré. Cette
fois, Jean-Claude Casadesus est
dans le public. Pas peu fier de ses
rejetons. Sur scène, sa fille Caroline
Casadesus, qui a récupéré son
deuxième fils, le pianiste Thomas
Enhco (25 ans), rejoint par la trompette de son frère David (27 ans).
Mère et fils forment un trio jubilatoire, qui pratique la musique en
hors la loi et passe du jazz à l’opéra
avec une liberté revigorante.
Quelques heures plus tôt, en
l’église de La Flotte, moment magique: le récital consacré par Marianne Crebassa à la mélodie française.
Incroyable beauté du timbre, présence magnétique, la jeune mezzo
française, excellemment accompagnée au piano par Alphonse
Cemin, a tout pour elle. Et même
un nouvel admirateur : JeanClaude Casadesus. p
Marie-Aude Roux
Festival Ré majeure, à l’île de Ré
(Charente-Maritime). Jusqu’au 1er juin.
Tél. : 05-46-29-93-53. De 15 à 32 euros.
0123
«Belgrade», requiem
pourune Europedéfunte
Parmi les pépites du festival Impatience,
une pièce percutante du collectif La Meute
Théâtre
C
e beau nom d’« Impatience»,
Olivier Py, alors directeur du
Théâtre de l’Odéon, à Paris,
l’avait choisi quand, en 2009, il a
créé ce festival destiné à faire
connaître chaque année sept jeunes compagnies de théâtre. Puis la
manifestation a émigré au Centquatre, rejoint, depuis 2013, par le
Théâtre du Rond-Point. Elle s’est
surtout imposée, au fil des années,
comme un véritable vivier de
découverte de talents français :
Thomas Jolly, qui a triomphé cet
hiver à Sceaux (Hauts-de-Seine)
avec son Henry VI, avait ainsi été le
lauréat choisi par le jury en 2009. Il
fait partie de la programmation du
« in » d’Avignon cette année, commeLazareHerson-MacareletFabrice Murgia, eux aussi repérés à
Impatience.
Ce nouveau millésime du festival, qui a commencé le 23 mai et se
poursuit jusqu’au 7 juin, ne fait pas
exceptionà la règle. Il a offert, les 27
et 28 mai, au Centquatre, une belle
découverte,avec Belgrade, une pièce inspirée d’un texte d’Angelica
Liddell, et signée par un collectif
dénommé La Meute. Qu’il soit primé par le jury ou pas (car jury et
récompenses il y a, à Impatience),
le spectacle, qui est d’ores et déjà
programmé au Théâtre des CélestinsdeLyonla saisonprochaine,ne
manquera pas de faire son chemin
dans les salles de France, tant son
propos et sa forme sont tenus de
bout en bout.
La Meute – rien à voir avec la
troupe Les Chiens de Navarre – est
donc un collectif fondé en 2010 par
de jeunes (entre 25 et 30 ans)
acteurs, auteurs, metteurs en scène et musiciens qui se sont rencontrés au Conservatoire de Lyon et
ont poursuivi leur formation au
Conservatoire de Paris, à l’Ensatt
de Lyon ou à l’Ensad de Montpellier. « Le mot meute vient du bas
latin movita, qui signifie mouvement. Mouvoir, émouvoir, ameuter,émeute, mutinerie…Notre théâtre est un théâtre de l’émotion. Le
théâtredoitêtrebouleversant,généreux, enthousiaste: une émeute de
l’âme », affirment-ils en guise de
manifeste, par la voix de Thierry
Jolivet, qui joue dans la bande le
rôle de metteur en scène et de porte-parole.
Un théâtre de la présence réelle,
aussi, qui place l’acteur au centre,
Richard Prince, star de l’art
actuel, expose dans la petite galerie de Marcel et David Fleiss. Pourquoi ? Parce qu’il aime ce que l’on
y voit d’habitude, Duchamp, Picabia, Man Ray… Il a donc décidé
d’y accrocher dix-sept œuvres
très récentes.
Dans d’anciens magazines pornographiques, il a pris des photos
en noir et blanc, les a scannées,
imprimées, découpées. Il a surtout redessiné sur papier certaines parties des corps et les visages, et a collé ces dessins à la place que l’anatomie leur attribue.
Gastronomie Un maraîcher japonais cultive les variétés les plus select dans l’Ouest parisien.
Quel est donc le secret d’Asafumi Yamashita, fournisseur des grandes tables parisiennes?
Des légumes aux petits oignons
et un théâtre qui se revendique
comme celui d’une génération :
« Nous n’avons pas connu l’espoir
deslendemainsquichantent»,fontils encore observer. C’est sur ces
deux points que leur spectacle, qui
met en scène la Serbie à l’heure de
la mort de Slobodan Milosevic, est
particulièrement percutant.
Belgrade,« la villeaux cent mille
soupirs », en 2006. Agnès, une
jeune reporter de guerre, croise la
route de différents protagonistes,
un laissé-pour-compte, un jeune
soldat, un apparatchik… Chacun
lui dit « sa » vérité, souvent dérangeante. Porté par les acteurs, tous
excellents – Florian Bardet, Clément Bondu, François Jaulin, Nicolas Mollard et Julie Recoing –, Bel-
L’intime
et le politique
se mêlent de manière
singulièrement
émouvante
grade, dans sa forme à mi-chemin
entre le théâtre, le concert rock
(dans la lignée de Radiohead) et la
performance poétique, compose
un troublant requiem pour une
Europe défunte. L’intime et le politique s’y mêlent de manière singulièrement émouvante.
Que pourra-t-il renaître de ces
cendres, se demandent ces jeunes
gens nés au moment de la chute du
mur de Berlin, et qui étaient
enfants pendant la guerre en
ex-Yougoslavie? A l’heure où les
dernières élections ont montré,
pour le moins, un certain malaise
dans la culture européenne, leur
spectacle n’apporte pas de réponse, mais est en lui-même une
réponse,surlesressourcesquepossède encore notre vieux continent.
Quant au festival Impatience, il
se poursuit jusqu’au samedi 7 juin,
avec quatre spectacles dont le très
attendu Orphelins, de Dennis Kelly,signépar unejeune metteuseen
scène, Chloé Dabert (les 3 et 4 juin).
De quoi entretenir l’impatience. p
Fabienne Darge
Impatience, festival du théâtre
émergent. Au Centquatre et au Théâtre
du Rond-Point, jusqu’au 7 juin. De 6
à 12 euros par spectacle. « Belgrade »
sera présenté au Théâtre des Célestins
de Lyon du 9 au 13 juin 2015.
GALERIE
Richard Prince
Galerie 1900-2000
13
culture & styles
Dimanche 1er- Lundi 2 juin 2014
Le trait est un peu matissien, un
peu picassien aussi.
On y reconnaît la dextérité narquoise avec laquelle Richard Prince s’empare des grands maîtres
pour les compromettre dans ses
hybridations parodiques. Elles
posent néanmoins une question
délicate : qu’est-ce qui est le plus
érotique, la photo d’une femme
nue ou le dessin du même
sujet ? p Philippe Dagen
New figures. Galerie 1900-2000,
8, rue Bonaparte, Paris 6e.
Tél : 01-43-25-84-20. Lundi de 14 heures
à 19 heures, du mardi au samedi
de 10 heures à 12 h 30 et de 14 heures
à 19 heures. Jusqu’au 26 juillet.
E
L
Z
E
S
RéVI
Asafumi Yamashita dans une serre de sa ferme de Chapet. SYLVAIN SONNET/HEMIS.FR
Chapet (Yvelines)
M
aître du daïkon (radis
blanc) comme du kabu
(sortede navet)etfournisseur de petits légumes pour les
meilleures tables parisiennes,
AsafumiYamashitaa accédéaustatut de star depuis qu’il a honoré de
sa présence « Top-Chef », l’émission de M6, en février.
Des cuisiniers, comme Pierre
Gagnaire (Restaurant Pierre
Gagnaire), William Ledeuil (Ze Kitchen Galerie), Pascal Barbot
(Astrance), Eric Briffard (Le Cinq),
Sylvain Sendra (Itinéraires) ou
ChristianLeSquer(Ledoyen),s’arrachent sa production. Ses légumes
ont un goût incomparable. Mais
comment y parvient-il ? Comment, dans cette terre lourde du
sudduVexinfrançaisoù ils’est installé, Asafumi Yamashita réussit-il
à « élever » des variétés nippones
de légumes dont il sublime le
goût? Ses navets, notamment, ont
une saveur de banane, de miel ou
de kaki, suivant les crus, et sont
juteux comme des grenades…
Poussant le portail de la ferme
Yamashita, nichée dans un recoin
de la grande banlieue de Paris, on
s’attend à rencontrer le grand prêtre du légume officiant en majesté
dans un sanctuaire minimaliste.
Pantalon de toile blanche, polo
orange confortable et snickers très
« casual », le maraîcher des étoilés
du Michelin ne se pousse pas du
col. Dans la maison aux volets
bleus,pasdezenattitude.Unegrande cheminée, des sabots en vrac à
côté de la porte qui mène au jardin,
du linge sur un séchoir, le bazar
ordinaire d’une famille.
Reste à obtenir les secrets de ce
jardinier hors pair, avec l’espoir
d’en tirer quelque enseignement
transposable à nos rangs de carot-
tes. « Pas de problème… les connaissances sont faites pour être partagées ! », répond M. Yamashita.
« Mais je n’ai pas grand-chose à
dire, pas de technique particulière,
rien de spécial », susurre-t-il dans
un innocent sourire.
Il a si peu à transmettre qu’il a
abandonné les stagiaires depuis
longtemps. Car la substance du
talent de M. Yamashita et la magie
des arômes de ses légumes ne s’enseignent pas. Les efforts de ses
apprentis ne donnaient rien de
bonetmalgréleurapplicationàsuivre les conseils du maître, les légumes n’étaient plus les mêmes.
Pour Asafumi Yamashita, tout
commence avec le palais. On l’a, ou
on ne l’a pas. Ayant grandi dans
une famille de gourmets, à Tokyo,
«la ville où l’on mange le mieux au
monde », il porte dans sa chair la
saveur d’un bon légume et son
moteur est là. Pendant les six ou
sept premières années de sa carrière de maraîcher, commencée à
43 ans après une première vie de
tailleur de bonsaïs, cet autodidacte
a donc cherché.
Rapportant du Japon les semences des légumes dont il avait la nostalgie, il est parti en quête de la
meilleure qualité, du goût parfait.
«En fait, lâche le maraîcher en parcourant les plates-bandes de ses
1 000 m2 de serres froides, je me
mets à la place des légumes, et j’essaie de sentir ce qui leur ferait plaisir. Ont-ils besoin d’eau, d’engrais,
d’unepetitetaille, d’un peu d’air? Et
quand j’arrose, je ne me contente
pas de mouiller la terre… j’imagine
que je fais couler la pluie. »
Pour faire de bons légumes, placez-vous donc à mi-chemin entre
Dieu et le kabu, ce fameux navet
qu’on réclame à Asafumi Yamashita. Comme on proclame mettre les
enfants au centre des apprentissa-
A
R
F
R
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S
C
A
B
gesscolairesetlespatients aucœur
du système de soins, le jardinier
doitsemettreauservicedeseslégumesetnepasprétendrelessoumettre à une quelconque doctrine. Etre
à l’écoute, et apprendreà connaître
son sol. « Vouloir changer la terre
serait présomptueux, elle est là
depuis des milliers d’années, il faut
faire avec », assène-t-il. Tout l’art
d’Asafumi Yamashita repose donc
sur l’observation minutieuse. Le
sol et l’exposition du terrain
n’étant pas très fameux à Chapet,
au jardinier de s’adapter.
«Je me mets à la place
des légumes,
et j’essaie de sentir
ce qui leur ferait
plaisir»
Asafumi Yamashita
maraîcher
Chaque jour, M. Yamashita inspecte ses plates-bandes, examine
les légumes sous toutes les coutures et estime, au cas par cas, ce dont
ils ont besoin, comme on pouponne les enfants qui ne parlent pas
encore. Le mercredi, il y passe plus
de temps, c’est la journée où il ne
livre pas (il apporte lui-même sa
marchandise à ses clients parisiens, les mardis et vendredis), ne
cueille pas (la cueillette sur mesure
se fait les lundis et jeudis), ne reçoit
pas (les week-ends sont réservés à
la table d’hôte), mais désherbe et
ausculte les rangs d’aubergines, de
tomates, de radis et de navets.
Pour obtenir toute l’année des
radis qui méritent l’estampille
Yamashita, le maraîcher décline
sixouseptvariétésadaptéesàlasaison. A l’automne viendront potirons, patates douces, carottes, poi-
reaux et épinards ou plutôt leurs
cousins japonais dont les noms
n’ont pas toujours d’équivalent en
français. A l’automne seulement,
et non pas quand la carte des chefs
l’aura décidé.
Asafumi Yamashita se régale de
travailler pour les plus grands,
mais ne veut pas se soumettre à
d’autres impératifs que le bienêtre de son jardin. Il connaît les
chefs et sait ce qui leur convient.
« Je cueille les tomates à 85 jours
aprèsla fleur pour l’un et je les laisse
reposer trois jours avant de les
livrer. Pour un autre, je les cueille à
83 jours et les livre dès le lendemain. » Les premières seront plus
douces, les deuxièmes auront plus
de punch.
Le maraîcher vedette considère
avec bienveillance le regard écarquillé du béotien accablé par la
perspective de telles subtilités :
«Ce n’est pas compliqué, poursuitil. Prenez un adolescent, qui ne pense qu’à la première fois où il va faire
l’amour.Quand celaarrivera,il sera
plein de punch, alors qu’avec les
années, les hommes se posent et
gagnent en douceur. Vous pouvez
préférer les uns, les autres, ou les
deux. Pour les tomates, c’est la
même chose.»
Pas compliqué. Pour les jardiniers paresseux ou pusillanimes,
la première étape de l’initiation
consiste peut-être à venir découvrir le goût de la tomate verte à la
table d’hôte de la ferme Yamashita
qui accueille le week-end les
curieux qui n’ont pas l’occasion de
passer la porte d’un trois étoiles du
Michelin. p
Aline Duval
Le Kobo – Ferme Yamashita, rue
des Trois-Poiriers, Chapet (Yvelines).
Réservations pour la table d’hôte
au 01-30-91-98-75.
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0123
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
Le retour gagnant de Pauline Parmentier
Blessée à l’épaule en 2013, la Française, qui a bénéficié d’une invitation, s’est qualifiée pour les huitièmes de finale
Tennis
A
dopter un profil plutôt bas
n’a jamais empêché de faire
bonne figure. Les locaux en
fournissent la preuve lors de cette
éditiondesInternationauxdeFrance.Sixd’entreeuxontréponduprésent au troisième tour alors que les
bulletins de santé – entre blessures
et contre-performances – avaient
alimenté le pessimisme national.
D’une journée l’autre, le programme proposé était du coup sensiblement identique : deux hommes
habitués à ce rendez-vous entourant une novice. Samedi 31 mai, ce
devait être au tour de Gaël Monfils,
Richard Gasquet et Kristina Mladenovic de tenter de se qualifier pour
les huitièmes de finale.
Ce trio a l’occasion de rejoindre
l’étrange tandem qui a décroché
son billet la veille. Que Jo-Wilfried
Tsonga participe pour la quatrièmefoisauxhuitièmesestdansl’ordre des choses ; ce n’est pas le cas de
«Hier, quand je suis
rentrée à la maison,
j’ai vu deux ou trois
passages de mon
match et je me suis
dit: “Tu joues grave” »
Pauline Parmentier
no 145 mondiale
l’épatantePaulineParmentier,première Française à se hisser à ce stade depuis Marion Bartoli en 2011.
La Nordiste, qui n’avait jamais
dépassé le deuxième tour porte
d’Auteuil, revient de très loin.
Actuellement classée au 145e rang
mondial,elledoit saprésenceà une
invitation. Blessée à l’épaule en
2013, elle a plongé en une année de
la 66e à la 225e place et a dû remonter la pente en jouant, à 28 ans,
dans des tournois ITF, la deuxième
division du tennis mondial.
Celle qui a hérité du surnom
désolant de « Popo » n’en revenait
pas d’avoir vaincu l’Allemande
Mona Barthel, après l’Italienne
Roberta Vinci (20e) et la Kazakhe
Pauline Parmentier s’est imposée dans la douleur (1-6, 6-1, 7-5) face à l’Allemande Mona Barthel au troisième tour de Roland-Garros, vendredi 30 mai. KENZO TRIBOUILLARD/AFP
Yaroslava Shvedova. « Je vais peutêtre dire que je prends un peu
confiance en moi, a-t-elle déclaré. Je
ne pensais pas pouvoir le dire un
jour. Hier, quand je suis rentrée à la
maison, j’ai vu deux ou trois passa-
Les trois meilleures joueuses mondiales éliminées
La no 3 mondiale Agnieszka Radwanska a été renversée vendredi
30 mai, pendant que Roger Federer et, plus encore, Novak Djokovic étaient bousculés pour la première fois. La Polonaise a été
fauchée dans son élan (6-4, 6-4)
par une jeune impertinente, la
Croate Ajla Tomljanovic, âgée
de 21 ans et 72e mondiale, comme avant elle Li Na (no 2) et Serena Williams (no 1). C’est la première fois dans l’ère Open
(depuis 1968) qu’aucune des
trois meilleures joueuses mondiales n’atteint pas les huitièmes de finale d’un tournoi du
Grand Chelem. Chez les hommes, Roger Federer a bataillé
face au Russe Dmitry Tursunov,
tête de série no 31, qu’il a dominé
7-5, 6-7 (7/9), 6-2, 6-4. Quant à
Novak Djokovic, il s’est fait quelques frayeurs contre le Croate
Marin Cilic (no 25), battu 6-3,
6-2, 6-7 (2/7), 6-4.
ges de mon match et je me suis dit :
“Tu joues grave.”»
Lorsqu’elle a vu sortir la dernière balle de son adversaire, Pauline
Parmentier a lancé sa raquette,
s’est pris la tête dans les mains tant
la situation lui semblait irréelle,
avant de se laisser choir de tout son
long sur l’ocre. Elle en a même
oubliéde ramasser son instrument
de travail. Est-ce de n’avoir plus
gagné depuis si longtemps qui lui a
fait inverser le protocole, en
saluant l’arbitre avant Mona Barthel, dépitée? Celle-ci pensait sans
doute avoir la victoire acquise en
balayant (6-1) la Française, inexistante, lors de la première manche.
Mais « Popo » s’est révoltée en
infligeant la même sanction dans
la deuxième puis en triomphant
sur le fil en près de deux heures de
combat. Depuis le début du tournoi, Parmentier joue avec les nerfs
de ses supporteurs en s’inclinant
systématiquement dans le premier set (et deux fois en frôlant la
correction),unluxequ’ellenepourra sans doute pas s’offrir face à l’Espagnole Garbine Muguruza (35e), la
tombeuse de Serena Williams, si
elle veut encore vivre « le plus
grand moment de sa carrière».
Sur le court n˚ 1, une ambiance
proche de celle qui préside en Coupe Davis l’a probablement portée à
setranscender.On la retrouvaitsur
le Central, où, au même moment,
Gilles Simon ferraillait face au
Canadien Milos Raonic, 9e joueur
mondial. Le quatrième mousquetaires’estspectaculairementréconcilié avec le public français après sa
double défaillance lors de la Coupe
Davis2013quiavaitcoûtélaqualificationà sonpaysface à l’Argentine.
Encouragé par de retentissants
«Gillou » et une atmosphère gentiment cocardière (sauf lorsque les
premières balles de service ratées
de Raonic ont été ovationnées), il
est tombé avec les honneurs en
cinq manches.
Plus tôt, Tsonga n’en a eu
besoin que de trois pour se débarrasser du Polonais Jerzy Janowicz.
Expéditif, le Manceau n’a toujours
pas cédé de set depuis le début de
la compétition, ce qui n’est pas
sans rappeler son parcours de l’année précédente où il avait atteint
les demies. Seul écueil, et il est de
taille : « Jo » hérite désormais de
NovakDjokovicqui a concédé,vendredi, sa première manche au tiebreak face au Croate Marin Cilic.
« Je l’ai battu plusieurs fois, mais
pas dans les grands moments et,
finalement, s’il y en a un qui a
gâché un petit peu ma carrière,
c’est bien lui », a soupiré Tsonga. Il
aurait en effet certainementpréféré vaincre le Serbe lors de la seule
finale de Grand Chelem qu’il a disputée, en 2008 à Melbourne, en
demi-finale à Wimbledon en 2011
ou en quart ici même l’année suivante, quand il céda en cinq sets
après avoir raté quatre balles de
match : « Ce serait top de pouvoir
terminer le repas par un dessert, et
non pas par une vieille confiture
d’oranges amères. » p
Bruno Lesprit
n Sur Lemonde.fr
Retrouvez « Troisième balle », le blog de
nos envoyés spéciaux à Roland-Garros.
EricBedouet,le fin préparateurphysiquedes Tricolores
L’entraîneur adjoint de Bordeaux veut faire «monter en puissance» les Bleus, qui affrontent le Paraguay en match amical dimanche 1er juin
Football
E
ricBedoueta lestraits duvisage aussi fins que sa paire de
lunettes. Même si elles lui
donnent un air serein, il n’est pas
sûr pour autant que le préparateur
physique des Bleus vive sans
angoisse le deuxième match de
préparation de la France face au
Paraguay, dimanche 1er juin, en
vue de la Coupe du monde.
Car Eric Bedouet ne s’en cache
pas : il craint ces rencontres, et les
risques de blessures qui les accompagnent. « Ce qui est difficile, dans
unepréparation,ce sont les matchs
amicaux, explique-t-il. Parce
qu’on ne peut pas faire comme en
club où l’on sait, lors des premiers
matchs d’avant-saison, que l’on
n’est pas en forme. La veille et
l’avant-veille, en club, on va au
maximum des possibilités des
joueurs, donc ils sont extrêmement
fatigués. Là, ce n’est pas la même
chose, et les joueurs sortent d’un
championnat complet. Les trois
matchs amicaux doivent servir à
faire progresser l’équipe.»
Venu des Girondins de Bordeaux – un club où il retournera
après l’épisode brésilien – afin d’assurer un « contrat à durée déterminée pour la Coupe du monde», Eric
Bedouet, 60 ans, a été appelé par
Didier Deschamps en décembre 2013. « Agréablement surpris »
par la sollicitation du sélectionneur des Bleus, il a accepté, en
début d’année, de s’occuper de la
préparation physique de l’équipe
deFrance.«Uneformedereconnaissance, mais elle est légitime», estime Antoine Vayer, ancien entraîneur de l’équipe cycliste Festina
qui l’a connu dans les années 1990
et qui décrit « un passionné plus
qu’unarriviste».Lenouveaupréparateur physique, lui, se plaît à répé-
ter qu’il s’agit d’un « travail collectif, collégial», avec le sélectionneur
et son adjoint, Guy Stéphan, ainsi
que le staff médical dirigé par
Franck Le Gall.
La tâche n’est pas aisée : ce sont
des joueurs pour la plupart fatigués, au terme d’une saison bien
remplie, qui sont arrivés à Clairefontaine à la mi-mai. Débarqué
quelques jours après ses camarades dans les Yvelines, pourcause de
finale de Ligue des champions, l’attaquantduRealMadrid,KarimBenzema, souffre de l’adducteur gauche. Franck Ribéry, lui, est perturbé
par des douleurs au dos. « Il faut
écouterlesjoueurs,avoirleurressenti, car ce n’est pas une préparation
normale, résume Eric Bedouet.
C’est du travail individualisé.»
Même s’il s’agit de sa première
Coupe du monde chez les seniors,
après avoir participé à celle des
moins de 20 ans en 1997 en Malai-
sie, il n’est pas un novice. Footballeur professionnel de 1972 à 1987,
celui qui avait initialement suivi
des études pour devenir pharmacien a connu sa première expérience du banc dès la fin des années
1980, comme entraîneur-joueur
d’une équipe amateur.
« Approche scientifique »
En 1993, il devient responsable
du centre de formation de Laval.
« J’ai eu la chance de travailler avec
un physiologiste tous les jours, sur
le terrain. On a établi des protocoles
de travail, de régénération. J’ai un
peu utilisé le centre de formation
comme un laboratoire de recherche.» Antoine Vayer se souvient de
lui comme « l’un des premiers
entraîneurs dans le football qui utilisaient les cardiofréquencemètres
[des appareils capables d’enregistrerles fréquencescardiaques] », et
souligne son « approche scientifi-
que » pour diagnostiquer l’état de
forme des joueurs.
Après son passage à Laval, Eric
Bedouet rejoint les Girondins de
Bordeaux, en 1998, un club pour
lequel il travaille toujours. En écartant à maintes reprises l’opportunité de devenir entraîneur principal. C’est en Mayenne qu’Eric
Bedouet a mis au point le test physique qui lui a permis de mesurer
l’état de forme des joueurs de
l’équipe de France.
Jeudi22mai,lesBleusontdûcourir cinq minutes, comme en mars,
en marge du match amical contre
lesPays-Bas.Untestqu’ilsreproduiront jeudi 5 juin. « C’est une course
continue, plus ou moins proche du
seuil d’anaérobie, au-delà duquel
on bascule dans le rouge.Ce seuil est
capital parce qu’il est fluctuant en
fonction de la forme du joueur »,
précise l’entraîneur adjoint des
Girondins de Bordeaux.
En fonction des résultats, les
exercices sont adaptés à chaque
joueur. Avec un objectif qui se rapproche: «Il faut monteren puissance, parce qu’il y a la Coupe du monde. Il ne faut pas tarder. » Car il faudra être prêts pour le premier
match contre le Honduras, le
15 juin, à Porto Alegre.
Sachant que le Mondial peut
durer un mois (si l’équipe va jusqu’en finale), trouver avant le
début de la compétition à quel
momentlesjoueursdoiventatteindre leur pic de forme est une équation ardue. «Se dire qu’on part doucement, parce qu’on est quasiment
sûrs d’aller au bout est impossible.
On ne peut pas faire ça ! Aucune
équipe, même les plus huppées, ne
l’envisage.»EtEricBedouetderésumer sa mission : « Il va falloir être
trèspointusdanstousles domaines.
On n’a pas le droit à l’erreur.» p
Yann Bouchez
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disparition
Dimanche 1er- Lundi 2 juin 2014
15
Historien
Maurice Agulhon
L
a République est orpheline de
son historien. Maurice Agulhon s’est éteint à Brignoles
(Var) mercredi 28 mai. Il avait
87 ans. S’il fut celui qui offrit
aux Varois du XIXe siècle leur
dignitérépublicaineàtraversles cinq volumes de ses deux thèses, ce Méridional
venait d’un autre Midi que la Provence. Né
à Uzèsle 20décembre1926,ce fils d’instituteurs aimait rappeler que c’est dans cette
petite ville située au nord du pont du Gard
qu’il avait passé, enfant, ses plus belles
vacances.
Lorsque Maurice fréquente la communale, ses parents officient à l’école de
Pujaut, un village situé à quelques kilomètres de la cité perchée de Villeneuve, d’où
est originaire la famille de commerçants
20 décembre 1926 Naissance à Uzès
(Gard)
1946 Ecole normale supérieure
1969 Soutenance de thèse
sur le département du Var
1970 « La République au village »
1979 « Marianne au combat »
1986 Entrée au Collège de France
2000 « De Gaulle : histoire, symbole,
mythe »
28 mai 2014 Mort à Brignoles (Var)
catholiques, mais radicaux, de sa mère
Marie-Rose, alors qu’André, le père, est
issu d’une lignée de protestants cévenols
du sud de la Lozère. Le portrait qu’en brossera leur fils est émouvant d’admiration
lucide et retenue : des êtres « réservés qui
avaient quelque chose d’exceptionnel et de
glacé », des puritains loin d’être des bienpensants moralisateurs. Mais ce qui l’emporte chez les parents Agulhon reste leurs
idéaux socialistes et les solides convictions pacifistes qui les unissent.
Le lycée d’Avignon où le jeune Maurice
est élève de 1936 à 1943 ne favorise pas la
rencontre avec la discipline qui donnera
sens à sa vie. L’étincelle jaillira plus au
nord, à Lyon, sur les bancs de la khâgne du
lycée du Parc, qu’il fréquente de 1943 à
1946. L’histoire, donc, mais non sans la
politique. Pour ce jeune homme qui pense
à gauche, c’est pourtant un professeur
d’histoire de droite, résistant et démocrate-chrétien, Joseph Hours, qui incarne
alors le rapprochement heureux entre
l’histoire et la politique. Maurice Agulhon
n’a jamais cessé de lui rendre hommage.
Dès lors, pour lui, devenir historien
signifiera choisir l’action en se donnant
pour mission de faire fructifier les héritages du passépour mieux en diffuser politiquement les résultats. Pour Maurice Agulhon, comme pour nombre de ses contemporains,uneseule voie ymène : le communisme. Lorsqu’il entre à l’Ecole normale
supérieure de la rue d’Ulm en 1946, un an
après Jacques Le Goff et la même année
que Michel Foucault et François Bédarida,
il adhère aussi à la Fédération de la Seine
du PCF. Après une scolarité de militantisme politique et syndical, il restera « un
membre zélé du PCF de 1946 à 1960 ».
Sur ses années d’engagement, Maurice
Chez lui, en 2001. FRANCESCO GATTONI POUR « LE MONDE »
Agulhon jettera un regard clinique, sans
jamaisparticiperau chœur desautoflagellants anticommunistes, mais en sachant
rappeler les dévoiements du léninisme.
Contrairement à ceux que l’engagement
communiste détourna de la politique, il
affirmera son choix résolu de la socialdémocratie, héritière du libéralisme progressiste. Son œuvre de spécialiste de la
politisation populaire et de la révolution
de 1848, puis d’historien de la République,
témoigne de cet itinéraire.
Reçu premier à l’agrégation en 1950, le
jeune normalien choisit son affectation
dans une ville industrielle et ouvrière du
Midi. Ce sera le lycée de Toulon et le début
de son long compagnonnage avec les
Varois. Après un passage par la khâgne du
lycée Thiers de Marseille, il est détaché au
CNRS de 1954 à 1957 et entame une thèse
d’histoire. La période étudiée ne peut
qu’être contemporaine pour l’historien
militant,quiveut retrouverle rapportqu’il
y a entre le vote à gauche et «le patrimoine
républicain français». Inscrit sous la directiondusocialisteErnestLabrousse,ils’attaque à l’évolution économique, sociale et
politiquedu départementduVarde 1800à
1851. Le résultat tient en une thèse d’Etat
soutenue en 1969 et dont les trois volumes
sont publiés avec l’aide de François Furet,
Albert Soboul et Philippe Ariès.
De la ville à la campagne en passant par
les « villages urbanisés», Maurice Agulhon
meten évidencela transformationde cette
Provence traditionnelle en terre d’élection
de la démocratie. Entre-temps, en 1966,
l’enseignant,recrutéparle professeurPierre Guiral à l’université d’Aix-en-Provence,
soutient une thèse de troisième cycle
consacrée, à la fin de l’Ancien Régime, aux
confrériesdepénitentsetaux logesmaçonniques (La Sociabilité méridionale).
Vagabondage studieux
C’est La République au village (Plon,
1970) qui s’impose comme le laboratoire
agulhonien par excellence. Si les changements socio-économiques sont impuissantsà expliquerla conversion des campagnes varoises à la République, c’est qu’un
type de modernité idéologique et politique s’est imposé à travers l’évolution des
formes de sociabilité.
En considérant que des mentalités
dites « archaïques » et qu’une opinion
démocratique dite « moderne» pouvaient
coexister sans forcément se heurter, Maurice Agulhon a su donner sens à un modèle dynamique de « descente de la politique
vers les masses », où l’apprentissage de la
politique était tout sauf subi. Le portrait
des ruraux républicains et politisés de
1848 à 1851 fera de lui l’historien des « qua-
rante-huitards», auxquels il consacre un
livre à succès, 1848 ou l’Apprentissage de la
République (Seuil, 1973), rapidement traduit en anglais, en italien, en portugais et
en grec.
Dans la continuité de sa réflexion sur la
politisation des campagnes, qui a trouvé
sa forme la plus achevée en 1976 dans le
tome 3 de l’Histoire de la France rurale
(Seuil), se place l’enquête sur Marianne.
Son ouvrage Marianne au combat paraît
en 1979 chez Flammarion, dans la « Bibliothèque d’ethnologie historique» que dirige son ami Jacques Le Goff. Le sous-titre
dit l’ambition mise dans le choix d’un
objet d’étude affecté jusqu’alors d’un déficit de légitimitéacadémique : l’imagerie et
la symbolique républicaines de 1789 à
1880. Ce sous-titre reste celui des deux
tomes suivants : Marianne au pouvoir
(1989) puis Les Métamorphoses de Marianne (2001), qui couvrent respectivement la
IIIe République avant 1914 et le XXe siècle.
L’inventaire des variations sur l’allégorie et son sexe ne vise pas seulement à affiner la connaissancedes « cultureset folklores républicains». En une démarche comparableà celle d’ErnstKantorowicz,Maurice Agulhon scrute, dans l’évolution des
représentations du régime en femme, les
vies parallèles de la République comme
forme disputée puis achevée de l’Etat
«Comment être républicain aujourd’hui»
Extrait d’une tribune publiée dans «Le Monde» le 3mai 2002, deux jours avant le second tour de l’élection présidentielle
Y
Force est de constater que
notre histoire contemporaine nous a légué non pas
un mais deux idéaux républicains, l’un
d’extension programmatique maximale,
l’autre minimale. Dualité que la tradition
de gauche a, du reste, tardé à reconnaître.
Pendant toute la première moitié du
XXe siècle, la gauche a tendu à se réserver
la prétention à l’authenticité républicaine et à tenir en suspicion tout républicain
venu de la droite. Il n’y a pas si longtemps
que l’extension de l’attachement républicain à la quasi-totalité de l’éventail politique (démocratie chrétienne et gaullisme
compris) a été reconnue par les partis de
gauche, républicains par tradition. Il n’y a
pas si longtemps que la gauche, en acceptant d’utiliser l’expression de “droite
républicaine”, a admis implicitement
que l’on pouvait être républicain à droite ! Je viens de dire “implicitement”. Car il
reste des traces des exclusivismes venus
du passé.
Le républicanisme est à la fois consensuel et confus. D’un bout à l’autre de
l’échiquier politique, tout le monde
admet qu’il faut être républicain, mais les
partis ont gardé leur tendance à définir la
République chacun à leur manière. On
admet que “républicain”, en France, désigne ce qui est bien en politique, mais on
reste divisé (ô combien !) sur la définition
exacte de ce bien.
Mieux vaudrait peut-être en période
électorale – nous y voilà – argumenter
point par point, problème après problème, que de se disputer le vieux drapeau
ou de tenter de l’accaparer par des références approximatives.
S’il est permis, pour contribuer aux
débats passionnés de ces semaines électorales, d’abandonner l’esquisse d’histoire pour
les options d’actualité qui en découlent
plus ou moins, on se bornera à celles-ci.
1. Qui est “républicain” sur l’Europe?
L’emploi le plus spectaculaire du mot
République en vue du premier tour a été
fait par M. Chevènement, qui a voulu lier
républicanisme et souverainisme. Cela
ne m’a pas convaincu : Victor Hugo
(bicentenaire oblige…) a bien montré que
l’on pouvait unir le républicanisme le
plus ardent avec l’option en perspective
pour la “République universelle”, via les
“Etats-Unis d’Europe”.
2. Qui est “républicain” sur la sécurité?
Les théoriciens à la mode, qui depuis des
années ne parlent de la police que pour
l’insulter et des délinquants que pour
leur trouver des excuses sociales? Ou les
simples gens, qui sont les principales victimes des désordres et qui voudraient bien
que, comme “au bon vieux temps”, on
inculque à chacun le respect des lois, dûton pour cela passer pour moralisateur?
L’historien ici peut reprendre la parole et
ainsi rappeler que l’idéologie “sécuritaire”, si longtemps ridiculisée par la gauche
“mondaine et libertaire”, peut en réalité
se réclamer de la sacro-sainte Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de
1789. Qu’est-ce donc en effet que la
“sûreté” qui est citée dès l’article2 du texte, sinon l’exact équivalent de ce que la
langue de notre temps appelle “sécurité”?
3. Comment être “républicain” face à
M.Le Pen ? En dénonçant les épisodes
détestables de son passé et de ses théories
sur le mode de l’excommunication? Ou
en argumentant sur les principaux
points d’un invraisemblable programme
(quitter l’Europe, renoncer à l’euro, récupérer la guillotine…)?
Etre républicain ne devrait pas empêcher d’être raisonnable, car le raisonnement est plus efficace que l’imprécation.» p
national et du mouvement démocratique
dans la France contemporaine.
L’originalité de ce vagabondage studieux de la sociabilité à la politique et à la
culture républicaine conduit Maurice
Agulhon au Collège de France en 1986. Sa
haute silhouette, son propos précis autant
que sa passion lorsqu’il cite Hugo, donnent à l’histoire du XIXe siècle un public
encore plus large. Lui qui avait, dès 1981,
publié dans la revue Le Débat un retentissant « Plaidoyer pour les jacobins», prend
une grande part à la préparation du bicentenaire de la Révolution, en 1989.
En 1998, il est commissaire général de
l’expositionorganiséeà l’Assembléenationalepour le 150e anniversairede la IIe République. Dans l’intervalle, il écrit le tome 5
de l’Histoire de France chez Hachette, La
République de 1880 à nos jours. Le livre
s’inscritdans une conjoncturecommémorative qui favorise une attention pour la
place qu’occupe Charles de Gaulle dans la
traditionrépublicaine.Cetterencontretardive est aussi un retour sur soi. En témoignent deux essais, Coup d’Etat et République (1997) puis De Gaulle : histoire, symbole, mythe (2000), où l’historien reconnaît
au général le mérite d’avoir « deux fois
changé l’éducation politique de la France », par la Constitution de 1958 et par l’expérience de dix années d’un pouvoir exécutif fort mais resté démocratique.
Au-delà de la figure gaullienne dont la
redécouverte a surpris plus d’un de ses
amis ou de ses disciples, Maurice Agulhon
était conscient d’être devenu, aux yeux de
beaucoup, l’historien de la République.
UneRépublique capabled’intégrerdestraditions qu’il aurait cru incompatibles
dans sa jeunesse, certes,maisune République qui sache garder le cap à gauche.
Avec l’Ecole normale supérieure, à
laquelle il a légué ses archives, et sa ville
d’Avignon, dont l’université sut accueillir
sa bibliothèque, la politique restait la passion dominante de cet historien mesuré
qui n’avait jamais renoncé à être partisan.
Même après l’accident de santé qui l’avait
isolé en 2005, ses proches, sa sœur Hélène
et son beau-frère Claude Mesliand, qui le
retrouvaient chez sa compagne Catherine
Robin, savaient bien que tout commençait et que tout finissait avec le commentaire souvent critique des pages Politique
du Monde, dont il ne pouvait se passer. p
Gilles Pécout, professeur d’histoire
contemporaine à l’ENS de la rue d’Ulm
et directeur d’études à l’EPHE,
et Jean-François Chanet, professeur
d’histoire contemporaine à Sciences Po
16
0123
carnet
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
Décès
en vente
actuellement
K En kiosque
Agnieszka,
sa fille,
Alberto,
son gendre,
Filip et Daniel,
ses petits-enfants,
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Krystyna BALLABAN,
designer de mode
et professeur à l’ENSAD,
à l’esprit innovateur.
La messe sera célébrée le lundi 2 juin,
à 14 h 30, en l’église Polonaise, au 263,
rue Saint-Honoré, Paris 1er.
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Hors-série
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Nicole Guigou,
son épouse,
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Michel Guigou et Jacqueline,
Pascal Guigou,
Daniel Guigou et Valérie,
ses enfants,
Nicolas et Fanny,
Juliette, Clara,
ses petits-enfants,
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ont la grande tristesse de faire part
du décès de
Jean GUIGOU,
AU CARNET DU «MONDE»
7 matières pour
réussir votre bac
Collections
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Naissances
Isabelle et Marc,
ses grands-parents,
sont très fiers d’annoncer la naissance de
née le 18 mai 2014,
exactement cent neuf ans, après
la naissance de
Yvonne LATOUR,
née RIBOUD,
son arrière-arrière-grand-mère !
de M. Ledun, illustré par C. Berberian
0123
Alizé,
sa tante,
et Benjamin,
son oncle,
se joignent à nous pour souhaiter milles
bonheurs à Jade.
12, rue Vignemale,
31700 Beauzelle.
Céleste, Vadim, Gabriel, Alice, Sixtine
et Gaspard,
ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer la mort de
Dominique JAUBERT,
Bénédicte COLLOMB,
Raphaël RIGNAULT
et leur fille,
Garance,
officier de la Légion d’honneur,
survenue le 27 mai 2014,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
ont le bonheur d’annoncer la naissance de
Octave
Dès mercredi 28 mai,
le volume n° 19 LES ROYAUMES
CHRÉTIENS ET LES CROISADES
Mathilde et Wilfrid,
Clémence et Sylvain,
Guillaume, Camille et Pierre-Jean,
Anna, Baudouin, Sylvain et Bénédicte,
Laurent et Amélie, Raphaëlle et Reza,
Brieuc et Domitille,
Quentin et Blandine,
ses petits-enfants,
à Londres, le 28 mai 2014 au matin.
Musée de la Grande Guerre
du Pays de Meaux,
rue Lazare-Ponticelli,
77100 Meaux.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Claire,
son épouse,
Serena et Giulia,
ses filles,
Me Christian Roth et Claire Mathijsen,
son fils et sa belle-fille,
Les docteurs Elisabeth La Marca
et Antonio La Marca,
sa fille et son gendre,
Marianne Gayko-Roth
et Hendrik Gayko,
sa fille et son gendre,
Alexandre et Joséphine,
son petit-fils et sa compagne,
Victoria,
sa petite-fille,
Cédric et Noémie,
son petit-fils et son épouse,
Christopher,
son petit-fils,
Marco, Oswalda, Mathilde, Annamaria,
Elena, Felice, Colette, Franco, Brigitte,
Giovanni,
ses frères et sœurs, beaux-frères
et belles-sœurs,
Michela, Manuela, Karim, Lara,
Matthias, Genael, Monica, Melinda,
Renzo, Luca, Elia et Gilda,
leurs enfants,
Dans le cadre de l’exposition Joséphine,
cycle de conférences et de débats :
« Les femmes et le pouvoir »,
avec Eliane Viennot, Christine Bard
et Françoise Gaspard,
4 juin 2014, à 18 h 30,
Jean Dague,
son beau-père,
« Napoléon et les femmes »,
avec Jean Tulard,
19 juin, à 18 h 30,
Séance dédicace
à la librairie du musée (à 17 heures).
Solange et Jean Luc Faure,
ses belle-sœur et beau-frère,
Elise et Armand,
leurs enfants,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
ont l’immense douleur de faire part
du décès de
Mme Marie-Louise ROTH,
directeur de la photographie,
Informations et inscriptions :
www.museeduluxembourg.fr
Prix
Carlo VARINI,
née ZIMMERMANN,
L’Union libérale israélite de France
vous convie
mardi 3 juin 2014, à 19 h 45,
à la remise du Prix Copernic 2014,
survenu tragiquement le 18 mai 2014,
à Cathervielle, dans les Pyrénées.
agrégée de l’Université,
professeur émérite
de l’université de la Sarre,
fondatrice de l’Institut de littérature
autrichienne de l’université de la Sarre,
présidente d’honneur
de la Société internationale Robert Musil,
chevalier dans l’ordre national du Mérite,
croix fédérale du Mérite
de la République fédérale d’Allemagne,
chevalier des Arts et Lettres
de la République d’Autriche,
ancienne déportée,
Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité
familiale.
Anniversaire de décès
1 juin 2006 - 1er juin 2014.
er
Suzanne LANOT.
Ce n’est pas seulement ce jour-là
que je me souviens.
Souvenir
survenu à Strasbourg, le 25 mai 2014,
dans sa quatre-vingt-huitième année.
Nicolas,
pour le Dialogue, la Paix et la Fraternité.
Le jury, composé d’Isabelle Giordano,
Christine Kelly, Martin Hirsch,
Jean-François Bensahel et Guy Bouaziz,
récompenseront Marcel Kabanda pour
son œuvre de mémoire dans le génocide
au Rwanda et Hélène Rastegar,
pour son projet de festival de courts
métrages « Chacun son court »
qui, chacun(e) dans son domaine permet
aux Hommes de se rapprocher,
de faire reculer les haines et les préjugés
en réparant le monde.
Entrée libre - Remise du prix
suivie d’un cocktail dînatoire.
ULIF, 24, rue Copernic, 75116 Paris.
Information : www.ulif.org
tu es dans notre cœur à chaque instant.
« You are constantly in our hearts. »
Son esprit embrassait le sens
de l’harmonie.
Assemblée générale
Alain, Anne, Alix.
La cérémonie d’adieu a eu lieu
le vendredi 30 mai.
L’assemblée générale ordinaire
de l’association Jeunesse et Marine
se tiendra le samedi 14 juin 2014,
à 16 h 30,
9, rue de la Véga, Paris 12e.
Conférences
Dans le cadre des
Conférences René Girard,
Conférence de Roberto Calasso :
« La superstition de la société »,
le jeudi 5 juin 2014, à 19 heures,
Centre Pompidou,
entrée libre.
www.rene-girard.fr
Cet avis tient lieu de faire-part
et de remerciements.
La messe sera célébrée le mardi 3 juin,
à 10 h 30, en l’église Notre-Dame
d’Auteuil, Paris 16e, suivie de l’inhumation
dans le caveau de famille, à Montgeron
(Essonne).
Réservation au 01 60 32 10 45
ou sur reservation.
[email protected]
Selon la volonté du défunt, son corps
sera ensuite incinéré dans l’intimité
familiale au crématorium du parc
de Clamart.
« Sur toutes les cimes, la paix.
Au faîte des arbres tu saisiras
un souffle à peine.
Au bois se taisent les oiseaux
Attends ! Bientôt toi-même
aussi reposeras. »
Gœthe.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le 2 juin, à 14 h 30, en l’église Saint-Pierre
et Saint-Paul de Fontenay-aux-Roses.
par Paul Dietschy,
maître de conférences,
à l’Université de Franche-Comté.
La cérémonie religieuse sera célébrée
en l’église Saint-Romain de Sèvres,
le lundi 2 juin, à 14 h 30.
Sarrebruck. Strasbourg. Mulhouse.
Kehl. Paris. New York. San Francisco.
Jérôme et Lydie Jaubert,
Olivier et Isabelle Jaubert,
Eric et Pascale Clauser,
Denis et Isabelle Jaubert,
ses enfants,
Jonathan DROUET et Aurore JARRY,
ses parents,
sont très heureux et en pleine forme.
« Le football pendant
la Première Guerre mondiale »,
survenu à sèvres, le 27 mai 2014,
dans sa quatre-vingt-huitième année.
Ils s’associent à la douleur de sa femme,
Nathalie Théret et de toute sa famille.
9, rue Durand-Benech,
92260 Fontenay-aux-Roses.
Jade DROUET,
Dès mercredi 28 mai, le volume n° 5
COMME UN CRABE, DE CÔTÉ
enlevé à l’affection des siens,
le mercredi 28 mai 2014.
ministre plénipotentiaire en retraite,
officier de la Légion d’honneur,
officier de l’ordre national du Mérite,
survenu le 28 mai 2014.
Françoise BOUTELOUP,
Conférence gratuite
jeudi 12 juin 2014, à 20 heures,
Yves SCHLUTY,
directeur de recherches au CNRS,
font part du décès de
survenu le jeudi 1er mai 2014,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans,
après une longue maladie.
ont la douleur de faire-part du décès de
Emmanuel KÄS,
Sa famille,
Charles Evin,
son compagnon,
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Mme Jany Schluty,
son épouse,
Eliane et Jean-Paul Mazoyer,
Marie-France et François Levéel,
Jean-Claude Schluty,
ses enfants et gendres,
Florian, Karen et Delphine,
ses petits-enfants,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de leur collègue et ami,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès, survenu soudainement le 27 mai
2014, à l’âge de quatre-vingts ans, de
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Hors-série
Jane-Lise Samuel,
Ruth Rimokh,
Sophie Brouard
Et tous les membres de la CSS7
de l’Inserm 2008-2012,
Hellwigstrasse 19,
D-66121 Saarbrücken.
1 a, boulevard d’Anvers,
67000 Strasbourg.
Rapport moral 2013,
Rapport d’activité 2013,
Rapport de Gestion 2013,
Budget 2014,
Renouvellement partiel du CA,
Modification du montant de la cotisation.
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météo & jeux
Dimanche 1er- Lundi 2 juin 2014
< -5°
0 à 5°
-5 à 0°
5 à 10°
10 à 15°
15 à 20°
20 à 25°
25 à 30°
30 à 35°
En Europe
Dimanche 1er juin 2014
1015
1015
12h TU
Averses éparses sur l’Ouest et le Sud-Ouest 01.06.2014
1005
H
Lille
1010
10 20
Cherbourg
20 km/h
12 19
20 km/h
Amiens
Châlonsen-champagne
Rouen
9 20
Brest
9 20
9 20
Rennes
11 20
PARIS
1020
12
20
Caen
1015
11 20
Poitiers
Besançon
Limoges
5 19
Lyon
Grenoble
10 24
14 19
Montpellier
Toulouse
Alger
15 22
16 26
Justin
Coeff. de marée 47
Dimanche, sous un ciel assez variable,
quelques averses éparses ne seront pas
exclues localement près des Pyrénées, ainsi
que sur le nord-ouest du pays. Une tendance
orageuse se manifestera également
l'après-midi sur les Alpes-du-Sud. Sinon, sur le
reste du territoire, la journée se déroulera sous
un temps sec et généralement ensoleillé
malgré la présence de quelques formations
nuageuses dans le ciel. Il fera 20 degrés à Paris,
24 à Lyon et jusqu'à 28 à Montpellier.
Jours suivants
Mardi
Nord-Ouest
Ile-de-France
Nord-Est
Sud-Ouest
Sud-Est
Ajaccio
30 km/h
12 22
Lever 09h17
Coucher /
Lundi
9 20
10 17
12 20
10 23
10 23
9 20
13 23
12 24
13 22
13 23
9
17
10
18
15
21
14
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12
19
11
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13
17
9
18
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21
11
19
11
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15
28
16
23
12
24
D
Le Caire
Jérusalem
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10
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17
bienensoleillé
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7
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9
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aversesmodérées 13
aversesmodérées 11
averseséparses
11
assezensoleillé
9
aversesmodérées 19
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enpartieensoleillé 18
beautemps
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10
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9
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13
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9
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7
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9
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Riga
Rome
Sofia
Stockholm
Tallin
Tirana
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Vienne
Vilnius
Zagreb
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soleil,oragepossible
enpartieensoleillé
enpartieensoleillé
averseséparses
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Alger
aversesmodérées
Amman
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Bangkok
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Brasilia
assezensoleillé
Buenos Aires beautemps
Dakar
bienensoleillé
Djakarta
pluiesorageuses
Dubai
beautemps
Hongkong pluiesorageuses
Jérusalem beautemps
Kinshasa
pluiesorageuses
Le Caire
beautemps
Mexico
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Montréal
bienensoleillé
Nairobi
averseséparses
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Dans le monde
New Delhi soleil,oragepossible
bienensoleillé
New York
enpartieensoleillé
Pékin
beautemps
Pretoria
beautemps
Rabat
Rio de Janeiro assezensoleillé
assezensoleillé
Séoul
Singapour soleil,oragepossible
averseséparses
Sydney
bienensoleillé
Téhéran
bienensoleillé
Tokyo
assezensoleillé
Tunis
Washington bienensoleillé
Wellington beautemps
Outremer
Cayenne
Fort-de-Fr.
Nouméa
Papeete
Pte-à-Pitre
St-Denis
soleil,oragepossible
assezensoleillé
assezensoleillé
assezensoleillé
assezensoleillé
bienensoleillé
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10 20
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8 22
16 25
18 26
16 26
28 32
17 19
21 32
22 29
18 23
11 22
11 14
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26
Météorologue en direct
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“Connaître les religions
pour comprendre le monde”
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Découvre
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nouvelle
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Les soirées télé
Sudoku n˚14-129
8
9
Solution du n˚14-128
TF 1
10 1 1 12
des animateurs. Invités : Julien Arnaud,
Estelle Denis, Christophe Beaugrand...
23.30 Ce soir tout est permis
avec Arthur. Invités : Bruno Guillon, Arnaud
Tsamere, Claudia Tagbo, Baptiste Lecaplain,
Philippe Lelièvre, Sophie Mounicot (100 min).
II
III
FRANCE 2
IV
20.45 Rugby.
Top 14 (finale) : Toulon - Castres. En direct.
23.10 On n’est pas couché. Talk-show
présenté par Laurent Ruquier (180 min).
V
FRANCE 3
VI
20.45 Simple question de temps.
VII
Téléfilm. Henri Helman. Avec Line Renaud,
Romane Portail, Julien Tortora (France, 2011).
22.20 Météo, Soir 3.
22.50 Inspecteur Barnaby.
Série. Le Fantôme de Noël (GB, 2004).
0.20 Appassionata.
Concert de l’Orchestre de Paris (150 min).
VIII
IX
Euro Millions
X
I. En état d’infériorité. II. Fait
obstacle à toutes les possibilités
de rapprochement. Article. III. Du
froment dans la bière chez les
Belges. Encore une fois. Chez les
Grecs. IV. Finit par entrer en Seine.
Lieu de rencontres. V. Bien en
peine. Grand parti d’hier.
VI. Possessif. Un chef qui ne pense
qu’à faire du mal. Sept chez Vinci.
VII. Grand et beau travail.
Poussent à faire du beau travail.
VIII. Le papa des « Doris girls ».
Finira par faire des dégâts
IX. Délicatement colorée. Gaz en
tube. X. Prendraient de bonnes
distances.
Solution du n° 14 - 128
Horizontalement
I. Diffamatrice. II. E-mail. Raison.
III. BB. Néréis. Ut. IV. Oisiveté. Par.
V. Ubu. Ive. Racé. VI. Sirène. Sot.
VII. Stèle. Phi. Do. VIII. Oise.
Erodais. IX. Lô. Vaporisée.
X. Enregistreur.
Samedi 31 mai
20.55 Le Grand Concours
I
Horizontalement
La suppression des départements revient à supprimer une part de l’héritage de la Révolution de 1789, qui a profondément modelé depuis plus
de deux siècles l’identité française et a constitué un des socles les plus
solides pour l’organisation de la République. En outre, cette réforme ne
fait pas que m’inquiéter, elle m’intrigue. Ce regroupement de régions,
n’est-ce pas ressusciter, d’une certaine façon, les anciennes provinces
dans lesquelles les paroisses (pardon, les communes!) seraient, mais
pour combien de temps, la seule organisation administrative de proximité pour les citoyens, une organisation avec de moins en moins de
moyens financiers, autrement dit… Mais si on oublie cette perspective
très Ancien Régime et « vichyste», pour adopter le tropisme allemand,
ce regroupement de régions peut préfigurer une organisation à la façon
des Länder allemands. Combien de temps passera avant une forme
d’autonomie des régions françaises? Voilà qui plairait bien à certains
responsables européens: les régions contre l’Etat ! J’ai bien peur que
M.Hollande, n’ayant rien à proposer d’autre aux Français, ne se lance,
pour donner l’impression de faire quelque chose, dans une réforme
mal ficelée, sans aucune réelle réflexion sur ses impacts, y compris symboliques. Une réforme pour occuper la galerie et faire plaisir à Bruxelles
qui pourrait alors nous octroyer sa bienveillance. Qui sait ?
Mireille Meyer, Lambesc
(Bouches-du-Rhône)
Nous trouvons extrêmement choquant que des candidats qui sont
manifestement opposés à l’Union européenne aient le toupet de briguer un mandat européen et n’hésitent pas à bénéficier, lorsqu’ils sont
élus, de l’indemnité qui leur est versée. S’ils étaient logiques avec euxmêmes, ils se mobiliseraient autrement et seraient ainsi en accord avec
leurs principes. La démocratie n’exige pas qu’on se commette avec les
partisans d’un système qu’on récuse.
Monique et François Hyenne, Luxembourg
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
6
Etat Suppression des départements
ou retour des provinces ?
Europe En accord avec ses principes
Motscroisés n˚14-129
3
Thalweg
Beyrouth
Tripoli
Tripoli
1005
Mercredi Jeudi
11
18
2
Occlusion
Athènes
Tunis
Tunis
Rabat
Dépression
Front froid
Amsterdam
Athènes
Barcelone
Belgrade
Berlin
Berne
Bruxelles
Budapest
Bucarest
Copenhague
Dublin
Edimbourg
Helsinki
Istanbul
Kiev
La Valette
Lisbonne
Ljubljana
Londres
Luxembourg
Madrid
Moscou
Nicosie
Oslo
Prague
Reykjavik
Les jeux
1
D
Front chaud
En Europe
15 26
Lever 05h50
Coucher 21h45
Aujourd’hui
Anticyclone
D
Istanbul
Algérie: Pluies localement fortes sur le nord du pays
Perpignan
Températures à l’aube 1 22 l’après-midi
A
Nice
Marseille
15 28
12 22
1015
Séville
1030
Bucarest
Depuis quelques semaines, le gouvernement nous parle de baisse d’impôts, comme s’il avait tout d’un coup décidé de redonner du pouvoir
d’achat aux Français. Les Français ne sont pas stupides, en particulier
les quelques millions d’entre eux qui ont bénéficié des heures supplémentaires défiscalisées lors de la présidence de Nicolas Sarkozy et qui
vont payer beaucoup plus d’impôts que par le passé. Lorsque la gauche
est arrivée au pouvoir, elle a affirmé que ces heures défiscalisées étaient
un frein pour l’emploi. Pourtant, leur disparition n’a pas entraîné une
baisse du chômage. Au contraire, les quelques dizaines ou centaines
d’euros perdus chaque mois par les ménages concernés ont diminué
leur pouvoir d’achat, ce qui à l’autre bout de la chaîne a entraîné des
licenciements dans les entreprises qui vendaient moins. Après avoir travaillé plus pour gagner plus, beaucoup de Français ne travaillent plus
du tout, et, désabusés, vont donner leur voix aux partis extrémistes.
Rémy Gigos, Bessoncourt (Territoire de Belfort)
Ankara
Lisbonne
Lisbonne
A
Odessa
Sofia
Rome
Barcelone
Barcelone
1020
A
Kiev
Budapest
Zagreb
Belgrade
Madrid
0
12
101 24
12 24
Biarritz
Berne
Munich Vienne
Chamonix
Bordeaux
35 km/h
Paris
Milan
T
10 22
9 20
20 km/h
Amsterdam Berlin
Varsovie
Prague
11 22
Clermont-Ferrand
Moscou
1010
Bruxelles
9 22
Dijon
1025
11 22
Minsk
Londres
1025
10 23
Copenhague
Dublin
Strasbourg
11 22
11 20
Nantes
Riga
Edimbourg
Orléans
9 22
Helsinki 1015
St-Pétersbourg
Oslo
Stockholm
Metz
1005
Economie Redonner du pouvoir d’achat aux Français
1020
D
9 20
Courriels
> 40°
A
Reykjavik
D
www.meteonews.fr
35 à 40°
17
Verticalement
1. Passe bassement à l’attaque.
2. Remplit les cabinets.
Lourdement chargées. 3. Cours
d’Ukraine. Défonce du
consommateur. 4. Tendres
inclinations. Equidé renversé.
5. Pris sur le vif. Ouverture vers
le large. Court pour éviter
les longueurs. 6. Fait preuve.
En fin de journée. 7. Fait
l’innocent. Bomber en ville.
8. Hydrocarbures. 9. Porteur
de disque. La dame du radja.
10. Point de départ et d’arrivée.
Porteuse de grappes. 11. Marque
d’hésitation. Se déplace sans
polluer. 12. Délivrent du mal.
Philippe Dupuis
Verticalement
1. Déboussolé. 2. Imbibition.
3. Fa. Sûres. 4. Fini. Elève.
5. Alevine. Ag. 6. Rêve. Epi.
7. Arête. Pros. 8. Taie. Short.
9. Ris. Roidir. 10. Is. Pat. Ase.
11. Couac. Dieu. 12. Entreposer.
CANAL +
Résultats du tirage du vendredi 30 mai.
5, 24, 27, 41, 45, 6 e et 7 e
Rapports : 5 numéros et e e : pas de gagnant ;
5 numéros et e : 355 902,20 ¤; 5 numéros : 74 146,30 ¤ ;
4 numéros et e e : 4 634 ,10 ¤ ; 4 numéros et e : 215,70 ¤ ;
4 numéros : 116,40 ¤ ;
3 numéros et e e : 67,30 ¤ ; 3 numéros et e : 14,20 ¤ ;
3 numéros : 13,30 ¤ ;
2 numéros et e e : 20,50 ¤ ; 2 numéros et e : 7,50 ¤ ;
2 numéros : 4,30 ¤ ; 1 numéro et e e : 10,60 ¤.
0123 est édité par la Société éditrice du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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Imprimerie du « Monde »
12, rue Maurice-Gunsbourg,
94852 Ivry cedex
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Corinne Mrejen
PRINTED IN FRANCE
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75707 PARIS CEDEX 13
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
Toulouse
(Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
21.00 Rugby.
Top 14 (finale) : Toulon - Castres. En direct.
23.30 Jason Bourne : l’héritage pp
Film Tony Gilroy. Avec Jeremy Renner, Edward
Norton, Rachel Weisz (EU, 2012, 130 min) U.
FRANCE 5
20.35 Echappées belles.
Malte, l’île aux trésors. Magazine.
22.10 Expédition Guyana. [2/3].
23.00 L’Œil et la Main.
Intermittent, artiste à plein temps.
23.25 Les Routes de l’impossible.
Indonésie, les forçats du volcan. Documentaire.
0.15 Traditions et saveurs.
Angleterre. Documentaire (60 min).
ARTE
20.45 L’Aventure humaine.
L’Histoire de l’électricité [1 à 3/3]. L’Etincelle.
L’Age des inventions. L’Age des révolutions.
23.50 La Tumultueuse Histoire
des peep-shows. Documentaire.
0.40 Tracks. Magazine (50 min).
M6
20.50 Hawaï 5-0.
Série. Ho’i Hou. Aloha Ke Kahi I Ke Kahi. A’ale
Ma’a Wau (saison 4, 18, 1 et 2/22) U ; Ho’opa’i.
Ho’ohuli Na’au (saison 1, 21 et 22/24) U.
1.10 Supernatural. Série.
Plan B V. Le Panthéon W (S5, 18-19/22, 90 min).
Dimanche 1er juin
TF 1
20.50 Football.
Match de préparation à la Coupe du monde 2014.
France - Paraguay. En direct de Nice.
23.05 Esprits criminels. Série. Jeu de
hasard... (S3, 20/20) U ; ...ou jeu de dupe U.
L’Ange de la mort V (S4, 1 et 2/26) (140 min).
FRANCE 2
20.45 L’amour c’est mieux à deux
Film Dominique Farrugia et Arnaud Lemort.
Avec Clovis Cornillac (Fr., 2010, audiovision).
22.30 Faites entrer l’accusé.
Les Petites Economies de Claude Clément U.
0.00 Histoires courtes (40 min).
FRANCE 3
20.45 Le 5e Commandement.
Série. Le Labyrinthe. Un cadavre peut en cacher
un autre. Le Dixième Moine. Le Dernier Païen
(saison 1, ép. 1 à 4/4, audiovision).
23.35 Météo, Soir 3.
0.05 Le Brigand bien-aimé p
Film Nicholas Ray. Avec Robert Wagner, Jeffrey
Hunter, Hope Lange (EU, 1957, v.o., 90 min).
CANAL +
20.55 L’Ombre de la loi.
Téléfilm. Christian Alvart. Avec Til Schweiger,
Fahri Yardim, Luna Schweiger (All., 2013) V.
22.25 La Coupe du monde disparue.
Documentaire (Italie - Argentine, 2011, 90 min).
FRANCE 5
20.35 Vacances sur Internet :
petits prix mais grand bazar !
21.30 Thaïlande,
eldorado ou mirage ?
22.25 Les Routes de l’impossible.
Papouasie : la bourse ou la vie.
23.15 La Grande Librairie.
« La Valise idéale ». Magazine (80 min).
ARTE
20.45 L’Homme-Orchestre p
Film Serge Korber. Avec Louis de Funès,
Noëlle Adam, Olivier de Funès (Fr. - It., 1970).
22.05 Monsieur de Funès.
Documentaire (France, 2013).
23.30 Au cœur de la nuit.
Ulrich Seidl et Josef Bierbichler (55 min).
M6
20.50 Zone interdite.
Amour, sexe, séduction : les codes ont changé.
23.00 Enquête exclusive.
Magazine. Coupe du monde, fêtes et favelas :
état d’urgence à Rio... (165 min) U.
18
décryptages
0123
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
LorsduDébarquement,prèsde 2500civilsfrançaisontététués
Un désir
de révolution parlesbombesalliées. Retoursurunemémoiremeurtrie
Michel Crépu
Ecrivain, directeur
de « La Revue des Deux Mondes »
L
a seule chose de captivante,
dansladéclarationprésidentielle du lundi 26 mai au soir,
c’était les reliures dorées des
vieux ouvrages de la bibliothèque élyséenne. Chers vieux Plutarque et autres Fénelon qui garnissaient
autrefois le décor des déclarations gaulliennes. La bibliothèque faisait alors corps
avec le verbe. François Hollande devant
les volumes Plutarque, c’est toute notre
époque: le somnambulisme intellectuel,
l’incapacité à parler de telle sorte que cette
parole consiste en quelque chose. On voudrait être mouche pour avoir entendu le
communicantde service conseillerau président de se mettre devant les livres.
On se tourne, on cherche une prise à cet
effondrement, on ne la trouve pas. Les
mantrasdel’antifascismesont sous lesoripeaux du grand film d’autrefois, celui qui
fait pleurer M. Mélenchon bien inutilement. Que se passe-t-il ? Où sommesnous ? Les uns penchent pour la séquence
années 1930 revisited, les autres ne craignent pas d’en appeler au « nachBerlin » si
bien décrit par Céline au début du Voyage
au bout de la nuit. Il est extraordinaire de
constater à quel point notre présent est
indescriptiblesauf à être raccrochéà de telles séquences historiques. On ne peut pas
vivre sans référence, on ne peut pas vivre
non plus uniquement à partir de références qui ont déjà servi.
Ce serait bien, pourtant, pour notre santé neuronale, de parler à notre époque sans
détour, sans préjugé. D’écouter, en somme.BeaucoupdejeunesvotentFrontnational, à peine s’ils ont la moindre conscience
de la généalogieidéologiquedontprovient
ce parti, cette tunique de Nessus dont il est
en train de se défaire au nez et à la barbe du
public.Ce qu’ilsontentête,cequilesentraîne c’est ce que l’on appelait autrefois, sur
lesbancsdela Sorbonne,undésirderévolution. L’adversaire, cette fois, ce n’est pas le
« Grand Kapital», ce sont les ronds-de-cuir
bruxellois qui font croire aux braves gens
que la construction européenne ne peut
quesuivresoncours,inéluctablement,parce qu’il n’y a pas d’autre issue. Un tel discours, qui est la négation même du libre
arbitre, est proprement mortel. On pourra
bien justifier, rapports à l’appui, le bienfondé de la construction: cela ne servira de
rien. Cela demeurera lettre mortifère.
M. Valls pourra bien mettre son costume
de deuil à la télévision, il eût pu aussi bien
mettre une casquette de clown.
Enjeu spirituel
La force du Front national tient dans le
fait qu’il est devenu la bannière légitime
pour tous ceux qui ne veulent pas se
contenter de l’idéologie de la marche en
avant. Cette bannière brille aux yeux d’une
jeune génération en manque de grandeur,
dehauteur,desens,dedimensionspirituelle. Pourquoi cette bannière-là? Pourquoi la
«politique» est-ellecommefrappéedestupeur? Force est de constater qu’elle n’a rien
en magasin en matière de grandeur, de
dimension spirituelle. On ne lui demande
d’ailleurs pas de se transformer en mystique comme le réclamait imprudemment
lecherPéguy.Onluidemandesimplement
d’être la politique au sens le plus noble :
uneexpériencede l’impur,de la confrontation avec le réel. Alors seulement la mystique peut entrer en jeu et donner une perspective à ceux qui souffrent moralement
et physiquement. Le mot de « mystique»
vous fait peur ? Prenez le mot « idéal » si
cela vous chante mieux. Et bon voyage.
Il est loin le temps où Charles Péguy
pouvait écrire sans sourciller qu’un « régime qui n’est qu’une thèse », qui n’est pas
« debout et vivant », ne peut pas tenir le
coup.Il y a des jours où l’on se contenterait
pourtant bien d’une « thèse ». Pour ce qui
est d’être « debout et vivant » c’est encore
une autre affaire. On nous permettra de
penser que c’est pourtant bien là l’enjeu
spirituel. Qu’il n’y ait personne pour l’entendre sonne une sorte de glas. Glas sur un
monde qui est en train de couler sous nos
yeux, lentement, irrésistiblement. La
vraie vie est ailleurs: bonne chance à tous
ceux que cela intéresse encore. Les vieux
Plutarque qui ornent la bibliothèque élyséenne n’en pensent pas moins. p
Les oubliés du 6juin 1944
Y
aura-t-il un jour une place,
dans les commémorations de
la Libération, pour les victimes civiles des bombardements qui l’ont préparée et
accompagnée?Etpourlescentaines de milliers de Français de tous âges
et conditions qui se sont mobilisés pour
venir en aide à leurs voisins et sauver ce
qui pouvait l’être de leur chez-soi, de leurs
quartiers – bref, de tout ce qui faisait un
environnement familier ?
Dans quelques jours, la France, comme
l’Europe, comme l’Amérique du Nord, va
célébrer le 70e anniversaire du Débarquement, et rendre hommage, à juste titre,
aux hommes qui ont laissé leur vie, leur
jeunesse, sur les plages de Normandie.
Mais qu’en est-il des civils français,
dont peut-être 2500 sont tués pendant les
24 heures qui suivent l’aube du jour J ? La
plupart périssent sous les bombes alliées.
Des centaines trouvent la mort à Caen,
Lisieux, Condé-sur-Noireau, Vire, Flers, ou
Argentan, qui seront dévastées par une
pluie de feu et d’acier. Des bombardements qui font suite à une réunion tenue à
Londres le 21 janvier 1944, où sont présents, entre autres, le général Eisenhower,
commandant suprême des forces alliées ;
son adjoint britannique, le maréchal de
l’airTedder;Montgomery,le chefbritannique des forces terrestres alliées : le maréchal de l’air Leigh-Mallory, commandant
britanniquedes forcesaériennestactiques
des Alliés ; et le général Spaatz, responsable des forces aériennes américaines. Il y a
été convenu que les carrefours routiers
La campagne
de Normandie prendra
fin le 12septembre
avec la prise duHavre,
ville détruite à 85%
après avoir reçu
en une semaine près de
10000tonnes de bombes
normands,et lesvilles lesentourant,devaient être « aplanis» (flattened) afin de retarder l’arrivée des renforts ennemis. Peine
perdue, car les Allemands n’auront pas de
difficulté à contourner l’obstacle.
Lesopérationsdes6et7juinnereprésententcependantqu’unepartied’uneoffensive aérienne concertée et planifiée qui ne
cesse de s’intensifier depuis l’Armistice de
1940, et qui ne finira qu’en avril 1945. Les
Britanniques, rejoints en août 1942 par les
Américains,déverseront pendantla guerre
quelque 518000 tonnes de bombes sur le
solfrançais,soitprès desept foisplusque le
totallancéparlaLuftwaffesur leRoyaumeUni. Environ 57 000 civils français deviendront ce qu’on n’appelle pas encore des
«dommages collatéraux».
Avant le jour J, seront ciblés, sur toute la
France, industries produisant pour l’occupant, infrastructures portuaires investies
par celui-ci, alvéoles en béton construites
pourabritersous-marinset vedetteslancetorpilles, rampes et sites de lancement des
armes « V », ainsi que l’ensemble du
réseau SNCF, que les Alliés entreprendront de paralyser au printemps 1944
(ponts, viaducs, triages, rotondes, ateliers
deréparation,postes d’aiguillage).Ensouffrent des villes comme Nantes et Rennes,
Marseille et Avignon, Lille et Amiens,
Lyon et Saint-Etienne, Lorient et SaintNazaire,ainsique tousles nœuds ferroviaires de la banlieue parisienne, chacun
entouré de sa cité des cheminots.
Après le Débarquement, les bombardiers lourds seront appelés à soutenir les
forces terrestres, à Caen, Evrecy ou VillersBocage, avec des résultats militaires en
général mitigés. La campagne de Normandie prendra fin le 12 septembre avec la prise du Havre, ville détruite à 85 % après
avoir reçu en une semaine près de
10 000 tonnes de bombes (de fabrication
américaine, mais larguées par des Lancaster britanniques). Le dernier bombardement vise la poche de Royan, à l’embouchure de la Gironde. Parmi les équipages
américains qui l’exécutent, le futur historienHoward Zinndira plus tardqu’au brie-
Sylvie Barot
Conservatrice en chef aux archives municipales du Havre (1985-2008),
contributrice de « Migrants dans une ville portuaire » (Presses universitaires
de Rouen et du Havre, 2005) et du « Dictionnaire des gens de couleur
dans la France moderne » (Droz, 2011)
Andrew Knapp
Professeur à l’université de Reading (Angleterre),
auteur des « Français sous les bombes alliées » (Tallandier, 512 pages, 24 euros)
et consultant historique du film de Catherine Monfajon
« La France sous les bombes alliées » (Phares et Balises - France 3, 2014)
fing« on nous a informésque dans nos soutes se trouvaient trente bombes de 45 kg
contenant de l’essence en gelée». C’est une
toutenouvellematière,promiseà un sinistre avenir: le napalm.
Certaines de ces opérations seront à la
fois efficaces et peu coûteuses en vies françaises – que les Alliés essaient, en principe,
de protéger, contrairement à celles des
civils allemands ou japonais. Les attaques
contre l’usine Gnome et Rhône à Limoges
lanuitdu8février1944,contrelesétablissements Nadelle (fabrique de roulements à
billes) à La Ricamarie le 10 mars, ou contre
lesusinesd’aviationde larégiontoulousaine le 5 avril relèvent de cette catégorie.
D’autres, par exemple, les bombardements de Lille le 9 avril, de Sotteville-lèsRouen le 18 ou de La Chapelle, à Paris, le 20,
atteindront leur but plus ou moins bien
mais feront des dégâts, humains et matériels, autour. D’autres encore tueront des
Françaiset détruiront leurs villes sans procurer aucun avantage militaire, de l’aveu
discret parfois des Alliés eux-mêmes : le
controversé maréchal de l’air Arthur Harris, surnommé « Bomber Harris », pourtant peu enclin aux états d’âme, regrettera
en octobre 1944 que le bombardement
du Havre « ait tué beaucoup de civils français et fait beaucoup de dégâts sans que les
attaques aient vraiment réussi à entraver
l’effort de guerre allemand ». De tels faits
– alors non encore qualifiés – seraient
considérés, de nos jours, comme un crime
de guerre d’après le statut de Rome de la
Cour pénale internationale, signé en 1998.
Aspect de la guerre encore bien connu,
etpourcause,deceuxquil’ontvécudirectement comme un traumatisme ineffaçable,
ainsi que des descendants des victimes, ou
alors des historiens régionaux, mais trop
souvent marginalisé dans la « grande his-
toire » des années noires ou de la Libération. Car le récit des bombardements va à
l’encontre de celui, dominant, du combat
de la Résistance, de la France libre et des
Alliés contre l’occupant nazi et ses suppôts
vichyssois. Ici tout est à l’envers: les libérateurs tant attendus sèment la mort et la
désolation, le régime honteux de Pétain et
de Laval essayant quant à lui, tant bien que
mal, de sauver, de soigner, de secourir.
Les services de propagande de Vichy en
profitent: campagnes d’affichage, tracts,
journées de deuil national, actualités cinématographiques, visites du Maréchal. Les
causeries radiodiffusées quotidiennes de
Philippe Henriot martèlent aux Français
que les Alliés cherchent la destruction de
leurpays,queleseulsalutrésideenunevictoire allemande. Sans réussir à pousser la
population dans les bras de l’occupant. Et
pourtant,en l’absencede toute intégration
systématique des bombardements dans le
« grand récit national » (commémorations, manuels scolaires, médias), le discours victimaire de Vichy perdure. Y compris à gauche, où la croyance selon laquelle
les « Anglo-Saxons» visaient l’élimination
de la concurrence économique française
fait toujours recette.
Victimes,les civils français? Oui, en partie. Il convient de s’en souvenir sans tomber, justement, ni dans le misérabilisme
des nostalgiques du régime pétainiste ni
dans l’anti-américanisme virulent et nauséabondqui y est associé surdessites pseudo-identitaires de la Toile.
Que dire face à l’immense pudeur des
communes ravagées ou meurtries ?
Aunay-sur-Odon, belle bourgade reconstruitedu bocage normand,à l’écartdesplages des débarquements, anéantie du 12 au
15 juin 1944, où il faut entrer dans un hôtel
dela place pourdécouvrirdes images d’an-
Macabre confort par Serguei
tan et, en regard, de ruines d’où émerge un
clocher ? Et les innombrables plaques de
monuments aux morts signalant les victimes civiles des « bombardements subis
entre 1939-1945», sans autre précision?
Il est surtout nécessaire de rappeler ici
que les Français sous les bombes sont aussi et d’abord des acteurs. Ils s’engagent par
centainesde milliersdans la défense passive, la Croix-Rouge, ou encore les Equipes
nationales. Sans pour autant s’embrigaderderrièrele régimequi encadreces organismes. Si l’on évoque souvent, dans l’histoire des années noires, la France des résistants héroïques, des infâmes collaborateurs, ou alors des ignobles profiteurs et
autres trafiquants, ou des attentistes, des
Français ordinaires qui essaient tout simplement de survivre, il faut aussi sûrement convoquer la France solidaire qui se
mobilise, parfois au risque de sa vie, au
secours des blessés ou des sinistrés, et lui
rendrela place qu’elle mérite dans l’histoire nationale, sa juste place, rien de plus,
riende moins.Il n’existepas d’autrefaçon,
à notre sens, de dépasser des traumatis-
Le récit des
bombardements va
à l’encontre de celui,
dominant, du combat de
la Résistance, de la France
libre et des Alliés contre
l’occupant nazi
et ses suppôts de Vichy
mes familiaux, individuels et à l’échelle
de collectivités entières, qui perdurent, de
génération en génération, faute d’être dits
et reconnus et leurs acteurs honorés.
Citons Robert Baillon, engagé de la
Croix-Rouge parmi tant d’autres, qui se
porte volontairepour rechercherles survivants du bombardement de Juvisy, la nuit
du 18 avril 1944, malgré la présence de
bombes à retardement. Des camarades
trouveront son corps le matin du 20 avril.
Mortpour la France, comme la mention en
est portée sur l’état-civil de toutes les victimes,àconditionqu’ellessoientde nationalité française et que leurs proches en aient
effectué la demande? Et ce au même titre
que les hommes de la Résistance ou de la
2e DB ? Cela peut se discuter. Mais mort
pour les Français, ça oui, assurément. p
0123
analyses
Dimanche 1er- Lundi 2 juin 2014
19
L’insoutenable illégitimité de la dette
ANALYSE
par Patrick Roger
Service France
L
e premier ministre, Manuel Valls, en
afait un argumentmassuepourjustifier le programme de stabilité et la
réduction de 50 milliards d’euros de
la dépense publique : « Depuis plus
de trente ans, nous vivons au-dessus
de nos moyens.» Le rapprochement qu’il effectue avec l’endettement de la France sousentendque la dépense publiqueest la cause première de la dette publique.
Faux, répond le groupe d’économistes de
gauche et de syndicalistes constitué au sein du
Collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC), qui a publié, mardi 27 mai, une étude
analysant les composantes de la dette publique. L’explication – ou plutôt les explications –
réside ailleurs : des recettes dont s’est privé
l’Etat « en multipliant les cadeaux fiscaux »
depuis le début des années 2000 et des taux
d’intérêt excessifs auxquels l’Etat s’est financé.
Ces deux facteurs, à eux seuls, contribuent
pour 59 % à l’actuelle dette publique.
En trente ans, ont calculé ces économistes, la
part des recettes de l’Etat dans le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 5,5 points. Si cette part
était restée constante, la dette publique serait
inférieure à son niveau actuel de 24 points de
PIB,soit 488 milliardsd’euros. Si l’Etat, parallèlement, avait emprunté au taux réel au lieu de
recourir aux marchés financiers, le niveau de la
dette serait inférieur de 29 points de PIB, soit
589 milliards. A cela s’ajoute celui de l’évasion
fiscale,estimé à 20 % de la dette de l’Etaten 2012.
« Il faut combattre l’idée que le déficit provient des dépenses excessives, assure Michel
Husson, membre du conseil scientifique d’Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne),
qui a coordonné ces travaux. Elles ont au
contraire un peu baissé, de 2 points en trente
ans, en proportion du PIB. Le problème vient des
recettes. En fait, en baissant les recettes, on fabrique du déficit. » L’étude démontre ce mécanisme d’alternance entre gonflement du déficit du
fait de la baisse des recettes puis réajustement
par le freinage des dépenses. « La tendance permanente au déséquilibre budgétaire est donc
engendréepar les choix de politique fiscale qui, à
leurtour, viennentensuite légitimer le recul ultérieur des dépenses publiques», indique-t-elle.
Le rapport détaille les principales périodes de
baisse des impôts. Les mesures Jospin
(2000-2002) : –39,9 milliards entre impôts
ménages (– 11,9 milliards), impôts indirects
(–10,4milliards)etimpôtsentreprises(–17,6milliards). Les mesures Chirac (2006-2007) :
–12,4milliards, dont 6 milliards impôts ménageset6,4milliardsimpôtsentreprises.Lesmesu-
res Sarkozy (2007-2012) : –22,7 milliards, dont
10,1milliards pour les ménages et 12,6 milliards
pour les entreprises. Auxquelles il faudra bientôt rajouter les mesures Hollande…
Le décrochage des années 2000
« Le principal décrochage, sur le plan des
cadeaux fiscaux, se situe dans les années 2000,
relève M. Husson. Notre travail rejoint les analyses développées en 2010 par Gilles Carrez [alors
rapporteur général (UMP) de la commission
des finances de l’Assemblée nationale] et par les
économistes Paul Champsaur et Jean-Philippe
Cotis. » Dans leur rapport sur les finances publiques remis à Nicolas Sarkozy le 20mai 2010, ces
derniers écrivaient : « Si la législation fiscale
était restée celle de 1999, (…) la dette publique
seraitenviron20 points de PIB plusfaible aujourd’hui qu’elle ne l’est en réalité, générant ainsi
une économie annuelle de charges d’intérêt de
0,5 point de PIB. » « Nous arrivons à peu près aux
mêmes résultats », note M. Husson.
Outre le déficit primaire – l’écart entre les
recettes et les dépenses hors intérêts –, les intérêts de la dette sont la seconde source d’augmentation de la dette publique. De 1980 à 2013,
la dette est passée de 20,7 % à 93,5 % du PIB. Pour
les deux tiers (62 %), la hausse est imputable au
cumul des déficits et, pour 38 %, à l’effet boule
de neige déclenché à partir du moment où les
taux d’intérêt auxquels l’Etat emprunte sont
supérieurs au taux de croissance.
«C’est surtout dans les années 1990 que nous
avons connu des taux d’intérêt très élevés, en raison du choix de n’aller que sur les marchés financiers alors que d’autres sources de financement
étaient possibles, explique M. Husson. Aujourd’hui, il y a un effet d’accumulation. Une dette de
l’Etat, ce n’est pas une dette d’un ménage où, au
bout du crédit, on a fini de rembourser. C’est une
dette perpétuelle en ce sens que, constamment,
chaque année, l’Etat emprunte non seulement
pourcouvrirsondéficitmaisaussipourrembourser. C’est une sorte de “dette revolving”. On n’élimine jamais complètement les effets du passé.»
Aujourd’hui,l’Etat continuede payer les taux
exorbitants des années 1990 et les « cadeaux fiscaux » des années 2000 – baisses d’impôts et
nichesfiscales –, qualifiés comme tels parce que,
concentrés sur les contribuables les plus aisés,
ils n’ont pas eu l’impact économique escompté
sur la consommation et sur la croissance. Ce qui
pose la « légitimité» de la dette.
L’analysede ces économistesmet à mal le discours politique actuel s’évertuant à rabâcher
qu’il n’existe pas d’autre politique économique
possible. Elle invite, au contraire, à réfléchir sur
les dégâts qui pourraient survenir à répéter les
erreurs du passé. Et à trouver des réponses à ces
deux questions : Que faire du poids accumulé
de la dette passée? Comment se financer indépendamment des marchés financiers ? p
EN TRENTE
ANS, LA PART
DES
RECETTES
DE L’ÉTAT
DANS LE PIB
A CHUTÉ DE
5,5 POINTS
[email protected]
PLANÈTE | CHRONIQUE
pa r S t é p h a n e F o u c a r t
Trois mois en Alaska
E
n définitive, le conflit israéloarabe aura eu un effet
majeur sur la vie des Inupiat, qui vivent dans le nordouest de l’Alaska. En 1973, avec la
guerre du Kippour et la crainte
d’une pénurie pétrolière, le président Nixon (1913-1994) prit toutes
les dispositions légales pour autoriser la construction de l’oléoduc
trans-Alaska. C’est une longue
trouée dans la nature sauvage, qui
traverse l’Etat américain de part
en part, acheminant vers le sud le
pétrole extrait des gisements de
Prudhoe Bay.
Aujourd’hui, alors que le monde a plus que jamais soif d’hydrocarbures, c’est aussi la voie le long
de laquelle transitent, du sud vers
le nord cette fois, hommes et
matériels vers une région devenue la tête de pont des opérations
des futurs forages offshore, en
mer des Tchouktches et en mer de
Beaufort.
La journaliste Zoé Lamazou et
le dessinateur Victor Gurrey sont
allés voir de plus près cette nouvelle frontière gorgée de pétrole,
où les Inupiat perpétuent un
mode de vie fondé sur la chasse à
la baleine. Trois mois durant, ils
ont partagé le quotidien de ces
chasseurs de cétacés. Ils en ramènent un beau livre, qui paraît ces
jours-ci (Une saison de chasse en
Alaska, éditions Paulsen,
304 pages, 29 euros) et qui relève
autant du grand reportage à l’ancienne – textes, croquis, aquarelles – que de l’enquête ethnographique ou du récit de voyage.
Le sujet est celui d’un monde
fragile qui change à marche forcée. A Point Hope, à l’extrémité
occidentale de la grande péninsule, on se souvient d’un passé pas si
lointain « où la glace n’était pas
aussi bizarre ». On voit la banquise se retirer toujours plus chaque
été, ouvrir à la navigation, à la
prospection minière et pétrolière,
des horizons toujours plus vastes.
A Point Hope, on veut encore, malgré tout, chasser la baleine. Avec,
en surplomb, la crainte que l’avènement des forages offshore ne
pave la voie à un accident aux
RECTIFICATIF
conséquences irrémédiables sur
toute la région…
Ce que racontent Zoé Lamazou
et Victor Gurrey n’est cependant
pas l’histoire simple et commode
d’un face-à-face entre les gentils –
les chasseurs de baleine – et les
méchants – les pétroliers. Articulée autour de portraits, de rencontres insolites et poignantes, l’histoire est plutôt celle de deux mondes subtilement intriqués. C’est
une tragédie dont les rôles sont
parfois distribués avec ambiguïté,
où des oil men s’avèrent d’authentiques amoureux de la nature arctique, et où des natives se réjouissent de pouvoir emmener leurs
enfants à Disney World… Car à la
résignation et à l’amertume se
mêle aussi la volonté de tirer avantage de bouleversements qui semblent inexorables: chaque dollar
qui passe par ici est un pétrodollar.
0123
hors-série
A l’extrémité
occidentale de la
grande péninsule,
on voit la banquise
se retirer toujours
plus chaque été
La chasse demeure pourtant
l’un des pivots de la vie. « Nous
voulons le meilleur des deux mondes, résume un habitant. On ne
peut pas retourner en arrière, nous
sommes dépendants des hydrocarbures, mais nous consommons
toujours les animaux que nous
chassons et nous utilisons le foie
de la baleine pour [fabriquer] nos
tambours.»
La chasse et le pétrole ne sont
pas tout. Le truculent buraliste de
Point Hope, Larry, un « Blanc»
dont la vie semble pouvoir remplir mille romans, n’a qu’une
obsession: rouvrir les fouilles
archéologiques du site d’Ipiutak,
où jure-t-il, se trouvent les vestiges millénaires d’une vaste métropole disparue. p
[email protected]
a PIB. Dans l’article sur l’Union eurasienne « Un espace économique
largement revu à la baisse après la crise ukrainienne » (Le Monde du
samedi 31 mai), nous avons écrit par erreur que le produit intérieur brut
de la France était de 2 100 milliards de dollars. Il est en réalité de
2031 milliards d’euros (2 108 milliards estimé en 2014), soit 2 737 milliards de dollars, selon les données du Fonds monétaire international.
1944, L’ANNÉE DE LA LIBÉRATION
Du Débarquement en Normandie à celui de Provence, de Marseille à Paris ou
Toulouse, chaque scénario est différent. Dans ce jeu complexe où se conjugue le
rôle des armées alliées, celui de la France libre et celui de la Résistance armée se
dessine ce que va devenir la France après-1945. De Gaulle est le grand gagnant
de cette année-là ainsi que le peuple français qui a racheté en s’insurgeant les
quatre années de collaboration du régime de Vichy.
Un hors-série du Monde 7,90 € chez votre marchand de journaux ou sur Lemonde.fr/boutique
20
0123
0123
Dimanche 1er - Lundi 2 juin 2014
PENDANT CE TEMPS | CHRONIQUE
pa r S e r g e M i c h e l
Ni Hollywood ni Bollywood. Nollywood!
P
AU NIGERIA,
LA
PRODUCTION
DE FILMS EST
UN RÉSUMÉ
SAISISSANT
DE L’AFRIQUE
AU XXIE
SIÈCLE
endant ce temps, Serge-Armand
Noukoue colle, dans les couloirs de France Télévisions, des affiches pour son festival de cinéma nigérian, la semaine prochaine
à Paris. Le compte à rebours est serré. Les soustitres de Mother of George, une histoire de
mariage et de pression familiale dans la communauté nigériane de New York, sont encore
mal réglés. Certains invités n’ont toujours pas
de visa mais leurs exigences en chambres d’hôtel sont un casse-tête. Serge-Armand, 32 ans,
Français de parents béninois, un master en
management de projets territoriaux et sept
ans d’expérience en France et à l’étranger, va y
arriver, comme l’an dernier.
Le 7 avril, le Nigeria, pays le plus peuplé du
continent, est aussi devenu la première économie d’Afrique, dépassant d’un coup l’Afrique
du Sud grâce à un nouveau calcul de son produit national brut. Parmi les secteurs nouveaux pris en considération, il y a le cinéma,
qui pèse 5,3 milliards de dollars.
Cette somme a laissé bouche bée des milliers d’actrices qui jouent pour quelques euros
par jour et des réalisateurs qui ne bouclent
leurs projets qu’en hypothéquant leur maison. Ils se savaient nombreux : Nollywood,
Yasmina Khadra reprend
son «chemin d’écrivain»
P
arti en laissant une adresse:
« Actuellement en vacances à
Cuba». Yasmina Khadra n’a
pas attendu la publication, jeudi
29mai, du décret présidentiel mettant fin à ses fonctions de directeur du Centre culturel algérien à
Paris, pour reprendre son « chemin d’écrivain», comme il l’a
confié au site d’information TSA.
De son vrai nom Mohammed
Moulessehoul, le romancier algérien le plus connu, et sans doute le
plus controversé, quitte ainsi sans
panache, en deux lignes sèches
parues dans le Journal officiel d’Alger, des fonctions honorifiques
qui lui avaient été confiées en
2008. Limogé par le président
Bouteflika d’un trait de plume.
Ses relations avec le pouvoir se
sont tendues. Candidat improbable à l’élection présidentielle en
avril, Yasmina Khadra – un ancien
officier supérieur de l’armée algérienne marqué par la lutte contre
les groupes armés islamistes –
était certes loin d’avoir récolté les
60000 signatures d’électeurs
nécessaires. Mais, à l’occasion de
la petite tournée qu’il a effectuée
dans le pays, l’écrivain de langue
française s’est autorisé quelques
commentaires bien sentis sur le
quatrième mandat du président
Bouteflika, qualifié d’« absurdité»
et de « fuite en avant suicidaire».
Au même moment paraissait
son trentième ouvrage, Qu’attendent les singes ? (Julliard,
360 pages, 19,50 euros), une peinture féroce d’Alger, « mythique
capitale enlisée jusqu’au cou dans
ses vomissures », et de ses rboba,
décideurs de l’ombre, aussi sanguinaires que dégénérés. Un
polar prétexte pour une critique
au vitriol de la part d’ombre du
pouvoir algérien, dans lequel un
puissant est décrit comme « un
supercitoyen exonéré d’impôt »,
capable de « racler le fond du Trésor public autant de fois qu’il le
souhaite». « En Algérie, on appelle
ça la “légitimité historique”.»
Auteur à succès traduit en
43langues, Yasmina Khadra n’a
pas toujours été aussi sévère. Ses
romans n’ont pas fait de lui le porte-drapeau d’une contestation. Le
père du commissaire Llob, personnage fétiche qui fit sa renommée,
s’est parfois heurté à ses congénères sur le «printemps arabe»,
tenu à bonne distance par Alger.
Sa part d’ombre
A l’été 2011, éclata ainsi une violente dispute entre Yasmina Khadra et le journaliste-écrivain
Kamel Daoud, par presse interposée. Le premier défendait l’idée
qu’«aucun pays ne pourrait se targuer d’offrir un cadre de vie
meilleur que celui de Bahreïn»,
quand le second y dénonçait la
« répression féroce » d’un soulèvement, menée avec le concours de
« mercenaires saoudiens». Yasmina Khadra venait alors de se voir
décerner un prix littéraire dans le
petit royaume du Golfe. Sa part
d’ombre à lui.
Le romancier algérien a été
accusé de plagiat. Son goût pour
les honneurs et, dit-on, l’argent lui
a valu de solides rancunes. Dans
un texte posté le 18avril sur son
blog, son premier éditeur français,
Jean-Jacques Reboux, ex-directeur
des éditions disparues Après la
lune, évoquait sans ambages ses
déboires avec son ancien associé
sous le titre «Comment je me suis
fait entuber par Yasmina Khadra».
Et l’on peut s’interroger sur la
place que ce dernier se donne
dans son ultime roman à clés:
« Disons que le problème du pays
repose sur deux béquilles retorses:
l’élite politique et l’élite pensante.
La première est une caisse de résonance, la seconde est un tambour
funèbre…» p
comme il est convenu d’appeler le cinéma
nigérian, est le deuxième employeur du pays,
après l’Etat, star-system et paillettes en plus.
Mais ils ne se savaient pas si riches.
Le Nigeria produit entre 1 500 et 2 000 films
par an. Plus qu’à Hollywood, surpassé seulement par Bollywood. Cela fait plus de 25 000
films depuis vingt ans, dont aucun, jamais, n’a
été montré dans une salle française – sauf au
festival de Serge-Armand. Parce que ce sont
tous des navets ? Parce qu’on y parle l’anglais
avec un accent, voire le pidgin, le créole local ?
Parce qu’en Afrique, la France s’intéresse
davantage aux productions de ses anciennes
colonies? Ou parce qu’elle préfère les œuvres
d’auteurs à diffusion parfois confidentielle
aux films de Nollywood, dont l’ambition ultime est d’être « mainstream» et de concurrencer Hollywood? Peu importe. Serge-Armand
en est convaincu, les Français vont tôt ou tard
céder au charme des films nigérians.
Des navets, Nollywood en a produit beaucoup. La majorité des longs-métrages ont coûté moins de 15 000 euros. Ils ont été tournés
en une semaine, montés les jours suivants, gravés sur DVD le lendemain et aussitôt piratés
pour finir en vente dans la rue à 90 nairas
(40centimes d’euro). Les scénarios sont souvent indigents, les personnages caricaturaux.
La bande-son a de la peine à effacer le bruit du
groupe électrogène, accessoire indispensable
des tournages dans une ville où l’électricité
s’interrompt sans cesse.
Il n’empêche, Nollywood est un résumé saisissant de l’Afrique au XXIe siècle, une histoire
d’audace, de débrouillardise et de talent, mais
aussi d’impostures, de scandales, de faillites.
« Nollywood style, c’est let’s go-let’s go style
(“On fonce, on fonce”) », résume Lancelot
Oduwa Imasuen qui, à 37 ans, a déjà dirigé…
160longs-métrages. Pour Serge-Armand, s’il y
a quelque chose à apprendre de Nollywood, au
moment où les modèles occidentaux de production du cinéma s’essoufflent, c’est la recette de films meilleur marché – dans une ville,
Lagos, parmi les plus chères au monde. Comment tourner au lieu d’attendre des subventions, « let’s go-let’s go style ».
Un virage vers la qualité
Le modèle est d’autant plus intéressant qu’il
est en train de négocier son virage vers la qualité, aidé par le retour de professionnels
nigérians exilés à Londres ou New York. Bien
des budgets dépassent désormais les
150 000 euros, et la distribution s’élargit : sortie en salles (seulement 40 à Lagos, pour
15 millions d’habitants), puis plate-forme
VOD, avant les DVD et leurs versions pirates.
Serge-Armand, d’ailleurs, ne sélectionne que
parmi la centaine de films qui sortent en salles
chaque année. Il y a là Misfit, l’histoire d’une
fille victime d’un enlèvement rituel, lointain
écho aux 270 écolières kidnappées au nord du
pays par la secte Boko Haram. Ou The Meeting,
rendez-vous avec un ministre dans la capitale,
Abuja, qui tourne au cauchemar pour un homme d’affaires de Lagos.
C’est un supplice bureaucratique similaire
que subit un autre film de la sélection parisienne, celui qui devait arrimer définitivement
Nollywood aux standards occidentaux. Half of
a Yellow Sun (« L’Autre Moitié du soleil »)
est l’adaptation pour 8 millions de dollars
(record absolu au Nigeria) du roman de Chimamanda Ngozi Adichie (Gallimard). Chiwetel
Ejiofor (qui a tourné dans 12 Years a Slave) y
tient le rôle principal. Des premières ont eu
lieu à Londres et aux Etats-Unis, mais le
bureau de la censure n’a toujours pas autorisé
sa sortie au Nigeria, peut-être en raison du
sujet, tabou : la guerre du Biafra (1967-1970).
La censure ? Le torrent Nollywood l’avait
éclipsée. Mais voilà qu’elle se réveille, effarée
par des films de plus en plus érotiques et qui
mettent parfois en scène des accouplements
gays ou lesbiens. Dans un pays écrasé par
les Eglises évangélistes et les imams, l’homosexualité est passible de quatorze ans de prison et même de la lapidation. Dans une comédie récente, des femmes aux pouvoirs surnaturels transforment les hommes séduits en…
Blackberry modèle Bold 5. Trop d’irrévérence
pour la censure. Les smartphones Blackberry,
en recul dans le monde entier, restent au Nigeria le symbole du pouvoir. p
Nollywood Week. Cinéma L’Arlequin, 76, rue de Rennes, Paris 6e. Du 5 au 8 juin. Nollywookweek.com
[email protected]
0123 et
présentent
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2
N 3
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,50
LE LIVRE
Dès mercredi 28 mai,
le volume n ° 5
Comme un crabe, de côté
de Marin Ledun,
illustré par
Charles Berberian
Une nouvelle inédite
tous les 15 jours en kiosque
Isabelle Mandraud
1. 03/04 HERVÉ CLAUDE
LOUSTAL
La Volupté du billabong
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde», membre du directoire Gilles van Kote
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Rédacteurs en chef et chefs de services Christophe Ayad (International), Thomas Wieder (France),
Virginie Malingre (Economie), Auréliano Tonet (Culture)
2. 17/04 PHILIP LE ROY
GÖTTING
Cannibales
3. 30/04 DOMINIQUE SYLVAIN
JEAN-PHILIPPE PEYRAUD
La Mule du coach
JEAN-CLAUDE DENIS
Le Corbeau
5. 28/05 MARIN LEDUN
CHARLES BERBERIAN
Comme un crabe, de côté
6. 12/06 ANTHONY PASTOR
Le Cri de la fiancée
7. 26/06 MARCUS MALTE
ANDRÉ JUILLARD
Les Cow-boys
Rédacteurs en chef « développement éditorial » Julien Laroche-Joubert (Projets),
Didier Pourquery (Diversifications, Evénements, Partenariats)
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Infographie Eric Béziat
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Secrétaire générale du groupe Catherine Joly
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Pierre Bergé, président
pTirage du Monde daté samedi 31 mai 2014 : 320 030 exemplaires.
4. 15/05 ROMAIN SLOCOMBE
8. 10/07 MARC VILLARD
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9. 24/07 FRANZ BARTELT
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