François Arveiller Universal Music Classics & Jazz 20 rue des fossés St-Jacques - 75 005 Paris Tél : 01.44.41.94.92 E-mail : [email protected] Michel Petrucciani This is Michel Petrucciani -The Blue Note and OWL years- 2 CD Universal - ref 534 8341 Sortie nationale le 3 mars 2014 « Mon meilleur disque, c’est le prochain » aimait dire Michel Petrucciani. Par cette boutade, il nous déniait le droit d’espérer son chef-d’œuvre. Aujourd'hui, au rebours de ce sophisme innocent d'apparence, il nous oblige à réécouter ce qu’il a créé derrière son piano. Vingt années de carrière discographique précèdent son décès le 6 janvier 1999. Les deux premiers tiers sont généreusement représentés dans ce florilège sélectionné à partir des catalogues Owl et Blue Note. Le pianiste signera six albums sur chacun de ces labels. This Is ….Michel Petrucciani la compilation de référence. 25 titres pour marquer le 15ème anniversaire de sa disparition. De ses débuts sur le label OWL jusqu’à sa signature sur le mythique label Blue Note. 25 titres pour rendre hommage au génie de ce pianiste d’exception et mettre en valeur les richesses de ses compositions « L’histoire de la chouette et de la note bleue » Ou : « Histoire du petit géant, de la chouette et de la note bleue » « Mon meilleur disque, c’est le prochain » aimait dire Michel Petrucciani, nous déniant ainsi le droit d’espérer son chef-d’œuvre. Mais à l’inverse de ce sophisme en forme de boutade, il nous oblige aujourd’hui à réécouter son travail derrière le piano. Je devrais dire « dans » le piano, tant la franchise de son toucher révélait d’emblée les entrailles de l’instrument. Vingt années de carrière discographique précèdent son décès le 6 janvier 1999. Les deux premiers tiers sont généreusement représentés dans ce florilège sélectionné à partir des catalogues Owl et Blue Note. L’artiste signera six albums sur chacun de ces labels. Lorsque Michel Petrucciani rencontre le producteur Jean-Jacques Pussiau en 1981, son destin de démonstrateur de claviers dans le magasin de ses parents à Montélimar a vécu. Le prodige que l’on exhibait n’était pas que cette truculente gargouille si peu prédisposée à la vie -mais au final si douée pour elle… Il a déjà fréquenté de grands jazzmen. Il est donc un pianiste confirmé qui a forgé sa culture de l’instrument au prix d’un travail relevant d'une une double peine : il doit aussi, surtout, vivre avec sa maladie. Le trio formé avec le contrebassiste Jean-François Jenny-Clark et le batteur Aldo Romano (son « ange gardien », selon les propres termes du pianiste) ouvre sa période la plus fébrilement créative ; son premier « vrai disque » est gravé alors que Jean-Jacques Pussiau découvre son jeu pendant l’enregistrement. Les premières constantes sautent aux oreilles : Michel Petrucciani possède un don digital qui lui permet de lever à tout moment l’obstacle technique, mais ce don est ourlé d’un cantabile têtu qui trouve un battement naturel chez Aldo Romano, bel canto italien en filigrane. Cette démangeaison de notes diamantines trouve un appui audacieux dans le contrechant permanent que lui offre « JF », initiales désignant l’émancipateur-en-chef de la contrebasse moderne en France… Ce premier album est aussi une manière de prendre date avec le compositeur ; son Hommage à Enelram Atsenig, anagramme potache d’une admiratrice (il en a fasciné, on s’en doute…) ressemble à un standard qui n’en serait pas tout-à-fait un… Petrucciani est avant tout mélodiste. La période Owl est aussi celle des rencontres intrépides. On y devine les envies d’un producteur musicien par procuration. Le saxophoniste Lee Konitz, peu soupçonnable de complaisance, avoue avoir eu un choc lorsqu’il vit ce petit bonhomme assis au bout de l’immense piano Bösendorfer et considère cette séance de 1982 avec Michel Petrucciani comme l’une des plus satisfaisantes qu’il ait enregistrées. L’éblouissement est mutuel, mais l’ascendant lyrique du pianiste prime : sur I Hear a Rhapsody, les constructions cérébrales de l’altiste prennent un tour plus mélodieux –parfois ludique- face à un musicien gourmand, ivre de jeu, qui parvient à se hisser au niveau d’exigence que seul un Martial Solal pouvait assumer jusqu’alors avec un tel partenaire. L’autre duo (« Cold Blues », 1985) qui marque la période Owl révèle ce chant éperdu après lequel Michel Petrucciani n’a cessé de courir. Contrebassiste du groupe Quest (ultime sommet du jazz moderne à gravir avant d’entrer dans l’abstraction), Ron McClure est un ébéniste au cœur sensible : sa ligne de basse, ciselée avec infiniment de tact, est le miroir du cheminement romantique dessiné par le pianiste sur I just Say Hello. Tiré du même enregistrement, There Will Never be Another You s’apparente à un ping-pong espiègle. Il faut remonter au duo Bill Evans / Eddie Gomez en 1974 pour retrouver cet esprit d’équilibristes en chaussons de danse, ce balancier subtil entre la feuille de route mélodique et le pas de côté voulu, commenté, rétabli. Jean-Jacques Pussiau n’était pas à la séance : il y a des disques qui se font car ils doivent se faire. Justement : que faire de Bill Evans quand on s’appelle Michel Petrucciani et que l’on est débiteur d’une force romantique qui vous a précédée –comme beaucoup de pianistes ? Autant demander à Hugo d’oublier Châteaubriant… mais où est passée cette ombre tutélaire qui semblait planer par endroits dans son premier disque pour le label à la chouette ? Nulle part et partout : son emprise harmonique et rythmique y est comme transformée, simplifiée. D’ailleurs, n’y a-t-il pas une illusion d’optique à penser que la dimension introspective du pianiste admiré -et utilisé- par Miles Davis trouverait écho dans ce corps inconfortable, ce squelette friable prolongé par ces mains immenses (deux bottes de sept lieues) enchaînées à 88 notes prêtes à lui donner l’extrême onction ? Or, Bill Evans exprimait une conscience sombre de l’existence tandis que Michel Petrucciani n’exaltait que la vie. De la même manière qu’en musique classique, Emmanuel Chabrier était l’antidote à Ernest Chausson… L’album solo enregistré en 82, « Oracle’s Destiny », est dédié explicitement à Bill Evans mais Amalgame et Big Sur Big On ne recèlent aucun cliché du maître : c’est un autre feu intérieur qui se consume. En guise de thèmes, ce sont de longs développements à partir d’une idée mélodique ou rythmique (Amalgame, thème d’Aldo Romano pourtant absent du disque, est typique de la démarche : un riff-prétexte, un motif a minima, et tout s’enchaîne...) Ici, pas de dérive, d’amollissement, de déperdition. C’est du piano en valeur absolue. Question : Michel Petrucciani aurait-il fait une telle carrière de musicien s’il n’avait pas eu le handicap de son ostéogenèse imparfaite, la « maladie des os de verre » qui lui occasionna de multiples fractures spontanées et autant de concerts annulés ? Ce tabou a longtemps tenu lieu d’explication commode sur un terrain où de curieux oxymores ont cours : un monde où les moches sont de grands séducteurs, où les aveugles ont les plus grandes oreilles et où les pauvres sont forcément plus généreux. La fascination pour le phénomène nous ferait-elle insidieusement surévaluer le pianiste ? À l’écoute de son œuvre, il eût pu s’appeler Gould ou Rubinstein. On peut aussi méditer sur une clé inattendue permettant d’accéder à son personnage : dans son livre « Le Vent Paraclet », Michel Tournier analyse la symbolique du géant Saint Christophe (littéralement, « celui qui porte le Christ ») qui soulevait l’enfant Jésus pour traverser un cours d’eau. Cette légende trouve une éblouissante symétrie dans la vie quotidienne du pianiste que l’on portait souvent : ainsi devenait-il plus grand que les autres. Cette « phorie », sorte de triomphe avant l’instant de la scène, était bien de la même essence que l’euphorie contagieuse dispensée par son jeu… Et, par une inversion positive des symboles, l’ogre piano* portait à son tour le petit pianiste. À maints égards, les vertus euphorisantes de Michel Petrucciani sont encapsulées dans quelques disques gravés pour Blue Note, label historique avec lequel il signe en 1985. La rencontre avec son manager Eric Kressmann (époux de la chanteuse et pianiste Tania Maria) lui prédit un succès commercial. L’installation à New York équivaut pour le pianiste à une immersion en milieu ami où son charisme intrigue, séduit, captive. Avec le recul, on peut s’étonner qu’un éventail aussi large de musiciens incarnant des conceptions parfois opposées aient collaboré aux principaux albums de cette tranche de vie. Ces nouvelles fréquentations lui ouvrent un champ parfois miné, où l’intuition et la confiance seules permettent d’éviter les pièges. Mais alors que basse électrique, synthétiseurs, percussions et batteurs issus de la musique fusion, du « easy listening » ou de la variété internationale flétrissent à coup sûr une certaine pureté d’intention, les réflexes profonds de l’artiste restent intacts : Looking Up et September Second apportent la preuve que Michel Petrucciani avait su manier les leviers de la popularité sans se coincer les doigts dans le tiroir-caisse. Il pouvait être influençable ; il a tenu bon. Extraites de deux albums dont le second (« Playground», 1991) est en réalité la suite du premier (« Music », 1989) quant à l’intention et aux moyens, ces deux compositions affirment sa capacité à donner des cordes vocales à son piano, à converser avec nous. Elles sont aussi deux faces de la même pièce : côté face, Looking Up possède une cambrure brésilienne et un élan mélodique qui appellent des traits virtuoses, un équilibre staccato / legato évoquant par son côté vif-argent le meilleur Chick Corea. Cette propension au chant en fait la composition de Michel Petrucciani la plus jouée (un groupe vocal français, les « 6 et 1/2 », la reprendra brillamment après son décès). Côté pile, September Second serait une façon délectable de vendre son âme aux marchands s’il n’y avait un sens souverain de la mise en place et une manière unique de faire prendre à un groove puissant l’air des cimes. Sur ces deux albums, le tropisme brésilien affleure : la proximité avec Tania Maria (voir plus haut) l’explique en partie. Il est vrai qu’on pourrait aisément « paroler » ces bossa-nova ; le tempérament du pianiste substitue un élan joyeux à cette esthétique de la nonchalance propre au genre. Pourtant, on ne peut réduire la presque décennie passée sous l’ombrelle accueillante de la note bleue (Bruce Lundvall, directeur du label, lui faisait, ainsi qu’à son producteur, une confiance sans limite) à un bain de popularité nimbée de synthétiseurs et de rythmiques parfois funkysantes : il y a aussi de la poésie pure (Rachid) et la formule reine du trio acoustique y trouve quelques développements majeurs. L’album « Michel Plays Petrucciani » (1987) y est représenté avec deux rythmiques affirmant un signe d’appartenance : avec Eddie Gomez ou Gary Peacock à la contrebasse, on voit bien que le pianiste cultive son romantisme –pur sucre dans le cas du premier, plus ouvertement risqué avec le second, surtout avec l’autorité simiesque du batteur Roy Haynes. Le belle note, l’accord qui fait vaciller, ne sont définitivement plus l’apanage de Bill Evans, ni de Keith Jarrett… De même qu’il peut s’ébrouer sans tabou dans le sillage exigeant du post-bop avec Palle Danielsson et le batteur Elliot Zigmund (mêmes destins croisés que les rythmiques ci-dessus !) sur Face’s Face deux ans plus tôt ! Si Petrucciani veut en être, il n’a pas à se forcer… Son contrat avec Blue Note s’achève par une coda que beaucoup guettaient : en effet, Michel Petrucciani a toujours reconnu sa dette à Duke Ellington qu’il vit enfant à la télévision et dont le piano l’initia dans son rêve musical. Il est vraisemblable que l’approche orchestrale du Duke sur l’instrument et la clarté de sa main droite ont marqué par endroits le jeu du pianiste qui enregistre à 30 ans cette « promenade ducale ». Mais en fait d’hommage solitaire, c’est une libération qui se produit : sa version de Caravan surprend par ses inspiration multiples, ses audaces harmoniques (Ravel, Bartok s’y invitent ici ou là), son caractère buissonnier, son impertinence de galopin soudain pris doigts dans le pot de confiture. Il y a là comme un testament provisoire, une somme de tout ce qu’il sait en même temps qu’un gage sur l’avenir. Il lui restera 6 années pour aller au bout de ses doigts impatients, virtuoses et généreux. François Lacharme * Revoir à ce sujet le film de Frank Cassenti sur Michel Petrucciani. CD1 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. CD2 Hommage à Enelram Atsenig Juste Un Moment Days of Wine and Roses Big Sur / Big On I Hear A Rhapsody My Funny Valentine Amalgame Afro Blue The Round Boy’s Dance Round About Midnight There Will Never Be Another You 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. I Just Say Hello Face’s Face La Champagne Mr K.J Sahara She Didi It Again Brazilian Suite No. 2 Looking Up Memories Of Paris My BeBop Tune Like That September Second Rachid Caravan
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