Blaise Ndala J’irai danser sur la tombe de Senghor Roman Collection J’irai danser sur la tombe de Senghor · 207 1 La conférence de presse allait se mettre en branle dans un peu plus de dix minutes. Mohamed Ali était assis sur un fauteuil artisanal en rotin, dans la grande paillote au centre de la Villa Nelson Mandela qui lui avait été attribuée à Nsele. Son futur adversaire occupait une autre villa de même taille et de même apparence, à cinq cents mètres de là. Les deux Américains étaient arrivés à Kinshasa trois semaines plus tôt et cela avait radicalement changé l’ambiance dans la capitale et ses environs. Le patron était en charge de l’organisation du combat à venir, y compris le séjour des athlètes et de leurs accompagnateurs, une cinquantaine de personnes au total. Seuls les boxeurs, leurs épouses, leurs partenaires d’entraînement et leurs médecins étaient logés à Nsele. Tous les autres proches étaient descendus à l’hôtel Intercontinental au centre-ville. Il y avait d’abord eu la grande réception organisée par le Guide à son palais du Mont Ngaliéma sur les hauteurs de Kinshasa, deux jours après l’arrivée des athlètes en sol zaïrois. Juste avant le toast, Foreman s’était exprimé en premier et avait sobrement remercié le Zaïre et son président pour l’accueil chaleureux dont il était l’objet, 208 · Blaise Ndala ainsi que pour l’investissement personnel du dirigeant des Zaïrois dans l’organisation du combat. Il avait l’air perdu à ce souper de gala où tous les gros bonnets du pays hôte s’étaient donné rendez-vous, accompagnés de leurs épouses sapées comme des candidates à un concours de mode africaine. Engoncé dans un très beau costume bleu sombre, il s’était exprimé d’une voix faible, comme un adolescent timide que sa mère oblige à réciter son poème à table pour impressionner un père qu’il voit rarement. Par la suite, Ali qui avait enfilé un pagne africain fleuri comme un Kinois lambda, s’était approché du micro en tirant le Guide par la main, geste que personne avant lui n’avait jamais osé poser. Il pétait l’assurance et avait l’air de se trouver dans un endroit où il avait l’habitude de faire la fête avec ses copains tous les samedis soir. L’interprète avait traduit ses paroles à l’intention du public présent et des téléspectateurs : « J’aimerais dire à mon peuple qui nous regarde de partout sur le territoire zaïrois que je suis très honoré d’être enfin arrivé dans ce beau pays qui est le mien. Oui, je sais, il y en a qui vont dire que je suis un citoyen américain et qui voudront en tirer un motif pour me traiter comme un étranger sur le continent noir. Mais ceux-là ont tort, car comme le dit notre frère Malcom, un Noir ne peut pas être un vrai citoyen américain. Il peut seulement posséder un bout de papier qu’on appelle passeport qui dit qu’il a une relation avec un pays connu sous le nom des États-Unis d’Amérique. Mais s’il était vraiment un Américain, il aurait les mêmes droits qu’un Américain de race blanche. Or ce n’est pas le cas au moment où je vous parle. Et ce n’est pas parce que George Foreman pense, lui, qu’il est Américain, que cela est vrai pour un seul Noir qui vit là-bas. Mes amis, mes frères, J’irai danser sur la tombe de Senghor · 209 vous le découvrirez vous-mêmes, George Foreman est un garçon bien sympathique. Mais pour une raison qu’il n’a encore jamais pu expliquer à personne, même pas à son chien ici présent, il est convaincu que le Noir ne peut être libre que s’il baisse sa culotte devant le maître blanc, s’il fait docilement ce que le maître blanc lui dit de faire. C’est son droit de croire cela ; mais surtout, laissons-le se bercer de cette illusion dans son petit coin aux côtés de tous ceux qui rêvent d’une fraternité universelle qui neutraliserait les frontières de la peau. Nous, au Zaïre, terre de l’authenticité africaine, sommes fiers d’être qui nous sommes. Que cela plaise ou non ! » Cette fois, en regardant le Guide dans les yeux : « Excellence Colonel, vous ne pouvez pas savoir combien cette réception dans votre palais du Mont Ngaliéma est un honneur pour Mohamed Ali. Mohamed Ali a tout gagné en Amérique, son nom fait la fierté de ce pays partout sur cette terre où il y a une âme qui vit. Mais pas une seule fois, même pas en rêve, Mohamed Ali n’a été invité à la Maison-Blanche, ne serait-ce que pour y goûter un bout de chocolat. Non, à la Maison-Blanche, on doit considérer que Mohamed Ali est trop africain pour franchir le seuil de ce lieu du pouvoir blanc. Je suis donc plus qu’honoré que Son Excellence m’ait ouvert les portes de la Maison Noire du Mont Ngaliéma, ce lieu d’où il préside aux destinées du vaillant peuple zaïrois que j’ai hâte de rencontrer. Le Guide oyé ! Zaïre oyé ! » « Oyé ! Oyé ! Oyé ! » avait répondu, sous un tonnerre d’applaudissements, une assistance totalement séduite. Du salon où nous suivions la cérémonie retransmise par la télévision nationale, je m’étais dit que ce type-là devait 210 · Blaise Ndala connaître les Africains sans les avoir jamais rencontrés. S’il devait continuer à s’exprimer de cette façon-là, dans quelques jours, toute la ville, voire tout le pays, serait dans sa poche. Et si, de son côté, Big George s’amusait à jouer au sage garçon qui ne souhaite pas fendre sa carapace pour se kinoiser tant soit peu, les gens d’ici finiraient par croire tout ce que son futur adversaire lui mettrait sur le dos. Je savais bien qu’Ali jouait un petit numéro visant à amadouer le Guide et le public de ce pays qui ne le connaissait que par les images diffusées à la télévision. Mais sa personnalité semblait tellement en phase avec ce qu’il racontait que son parler très kinois et sa flamboyance allaient infailliblement l’emporter sur toute critique de fond. J’espérais du fond du cœur que George Foreman changerait dans un avenir proche l’image froide et distante qu’il avait transmise à ses partisans dont moimême cette nuit-là. J’espérais aussi qu’il arrêterait de se montrer en public avec son chien si impressionnant qui n’était pas sans rappeler ceux que les Belges lançaient contre les indigènes avant l’Indépendance. Ce n’est pas avec un compagnon de ce genre qu’il allait collectionner les amis parmi les Africains. Y aurait-il quelqu’un pour le lui faire comprendre ? Il y avait eu ensuite la scène que nous a relatée la patronne et qui date d’il y a quatre jours. Précisons d’abord que, pour une raison qui n’a pas seulement à voir avec l’acclimatation à un pays chaud, Mohamed Ali a pris l’habitude, depuis une semaine, de s’adonner au jogging dans les quartiers populaires de Kin. La grande popularité qu’il s’est forgée dans Kinshasa découle en très grande partie de ce choix. Avant, il allait courir le grand matin le J’irai danser sur la tombe de Senghor · 457 Table des matières Prologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I - BAPTÊME EN EAUX TROUBLES 23 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II - UN RÉVOLUTIONNAIRE, ÇA NE CONNAÎT PAS LA PEUR 79 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III - LE NOMBRIL DU MONDE NOIR 143 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IV - DE LA CUISSE DE JUPITER 205 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 25 37 53 65 81 99 119 133 145 161 179 193 207 219 233 245 V - DÉCIBELS 257 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI - LE FAISEUR DE ROIS 311 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII - VICTOIRE SOUS X 369 Dans la tête de... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Batekol, alias Afrodijazz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Belinda Ali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Yankina, alias Yankee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ron Christopher Baxter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Son Excellence le Colonel-Guide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Zeta . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Zangamoyo Batulampaka . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’exilé (professeur Kabambi) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Notes de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 271 281 297 313 329 345 357 371 373 379 387 401 405 413 421 425 433 453
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