! 6ème Congrès des Associations Francophones de Science Politique Congrès annuel de l’Association Suisse de Science Politique (ASSP) CoSPoF 2015 Organisé par Institut d’Etudes Politiques, Historiques et Internationales Université de Lausanne, Suisse 5 - 7 février 2015 Livre des résumés ! ! ! ! Table des matières ST 1 : Cartographier / opérationnaliser la politique de sécurité........................................................... 3 ST 2 : Regional Powers : Actors and Institutions................................................................................. 6 ST 3 : Environment and Development............................................................................................... 11 ST 4 : Recent Challenges for Economic Policymaking and Political Representation.......................14 ST 5 : Philosophie politique et relations internationales.................................................................... 17 ST 6 : Les apports théoriques et méthodologiques de l’anthropologie à la science politique............28 ST 7 : Politique publique et management public................................................................................34 ST 8 : Etudier la transnationalisation et l’hybridation des discours et pratiques liés au genre..........46 ST 9 : Ancien[s] et Nouveau[x]. Perspectives mémorielles et actuelles sur la délimitation et le contenu de la science politique, ‘francophone’ et internationale........................................................48 ST 10 : Methodology.......................................................................................................................... 52 ST 11 : Philanthropie : affaires privées, enjeux publics..................................................................... 56 ST 12 : Penser le présent politique..................................................................................................... 65 ST 13 : Quelle(s) discipline(s) face aux évolutions des politiques scientifiques ?.............................71 ST 14 : (Inter)dépendance et pouvoir de l’Etat dans le monde contemporain...................................79 ST 15 : Ce que le capitalisme fait aux mouvements sociaux contemporains.....................................84 ST 16 : Les nouveaux rapports au politique et leurs mécanismes de socialisation............................93 ST 17 : La sociologie politique à l’épreuve des relations professionnelles......................................103 ST 18 : La science politique face aux objets complexes.................................................................. 115 ST 20 : Discours, mots et politique : les enjeux de l’analyse textuelle en Science politique...........121 ST 21 : La sélection des candidats : quelle combinaison des niveaux et des profils ?.....................126 ST 22 : Les ressources du pouvoir urbain........................................................................................ 131 ST 23 : Frontières, migrations, droits. Le contrôle politique des mobilités et ses dispositifs..........139 ST 24 : Un état des « lieux » de la résistance à l’État. De l’utilité de décentrer le regard sociologique sur les protestations.......................................................................................................................... 152 ST 25 : Les recompositions des espaces politiques post-crises : mobilisations, engagement, désengagement et transitions............................................................................................................ 158 ST 26 : Comment Internet change (ou pas) les règles du jeu politique............................................169 ST 27 : Le vivant et l’environnement au prisme de la science politique : quel renouvellement des questionnements sur l’action publique ?.......................................................................................... 173 ST 28 : Participation publique, professionnalisation et diversification............................................179 ST 29 : Quelle place pour l’histoire dans la philosophie politique normative ?..............................184 1 ST 30 : La science politique entre indiscipline et discipline en postcolonie africaine.....................188 ST 31 : Les études sur la mémoire comme sous-champ de la science politique francophone ?......192 ST 32 : Le concept d’émergence...................................................................................................... 195 ST 33 : Dans et en-dehors des partis politiques : quel renouvellement des questionnements sur l’action publique ?............................................................................................................................ 197 ST 34 : Micro-politique des revendications matérielles : ce qu'elles nous apprennent sur la dynamique des protestations et sur leur théorisation, avec l’appui de l’ERC WAFAW...................203 ST 35 : Les sciences sociales à l’épreuve de l’expertise en développement et en sécurité internationales...................................................................................................................................208 ST 36 : Gérer les affaires européennes au niveau local : vers l’émergence d’un nouveau champ professionnel ?..................................................................................................................................210 ST 37 : Saisir les politiques sociales par leurs acteurs. Les articulations entre entretiens de recherche, observation participante et intervention sociologique....................................................214 ST 38 : Recherches sur le problème des violences envers les femmes............................................ 219 ST 39 : La spécificité française des relations à l’Afrique dans le monde académique....................224 ST 40 : Economie et sociologie politiques internationales...............................................................226 ST 41 : Contestation et gestion des foules : perspective comparée sur la régulation des usages de la rue..................................................................................................................................................... 232 ST 42 : Genre et politique du/des droit/s.......................................................................................... 238 ST 43 : Expertise scientifique dans le domaine de la politique sociale. Perspectives transnationales .......................................................................................................................................................... 244 ST 44 : La rue – un objet politique au croisement des sciences sociales.........................................246 ST 45 : Le « peuple » dans la démocratie en Afrique. Analyse des discours des politiques d’Afrique centrale – cas de la République Démocratique du Congo................................................................ 251 ST 46 : Médias et communication : des objets de science politique ?.............................................254 ST libre............................................................................................................................................. 263 2 ST 1 : Cartographier / opérationnaliser la politique de sécurité Five Accounts of the “Making of a Terrorist”: a Micro-Political Sociology of EU Experts On Radicalization Ragazzi F. Leiden University What is the role of expertise in the production of European policies on radicalization, and to what extent do they in!uence and shape European policy-making? Through the in-depth analysis of the actors involved in a key episode of European counter-terrorism - the dismissal of the European Commission’s Expert Group on Radicalization, and the subsequent publication of four alternative reports in 2008 - the aim of this exploratory paper is to analyse the relation between the bureaucratic .eld, the academic .eld, and an interstitial (Stampnisky) or weak (Vauchez) .eld of expertise. On the one hand, the research shows that while eager to show it consults experts, the EU commission easily dismisses opinions that do not go in its favour even from radicalisation experts endowed with the highest symbolic capital suggesting therefore a limited role of expertise. On the other, it shows that the sub.eld of expertise on radicalisation serves as a privileged location of conversion of capitals, where dominated academics and community representatives can gain symbolic capital endowed by the bureaucratic .eld. Le champ, vecteur de la mondialisation Mérand F. Université de Montréal Depuis le tournant du 21e siècle, l’œuvre de Pierre Bourdieu rencontre un écho considérable dans l’étude des relations internationales. Ce succès est autant attribuable à l’investissement de ses élèves et émules dans un nombre croissant de phénomènes internationaux qu’à la curiosité d’internationalistes ayant trouvé dans sa sociologie des réponses aux apories de leur discipline. Si les sociologues, souvent français, ont voulu développer une « sociologie des relations internationales », les internationalistes, souvent anglo-américains, ont associé son nom à un « tournant pratique » qui vise à dépasser le débat entre idéalisme et matérialisme. Dans cet article, je me concentre sur ce qui constitue selon moi la contribution la plus originale de Bourdieu à l’étude des relations internationales, à savoir le concept de champ. Je ne prétends pas qu’il s’agisse du concept le plus important chez Bourdieu, et je ne tranche pas le débat sur la pertinence d’employer un élément du tryptique bourdieusien en faisant abstraction des autres. Mais pour des raisons que je vais tenter d’illustrer à partir du cas de la mondialisation, le champ est un concept qui ne trouve aucun équivalent en théorie des relations internationales alors qu’il apporte un éclairage utile sur des questions fondamentales que se pose la discipline. Mapping the -eld of security in Switzerland: Articulating technological, informational, and international capitals in a transnational -eld 1 Hagmann J., 2Davidshofer S. Université de Genève 2, ETH Zürich1 The Bourdieusian inspired hypothesis of an emerging transnational .eld of (in)security in Europe has laid the ground for a promising research agenda. However, despite interesting conceptual innovations, a strong weakness yet remains in the lack of (time-intensive) operationalization of the various arguments made by this scholarly literature. This paper addresses this issue by discussing the preliminary results of a research project dedicated to mapping Swiss security, which draws on data generated by a survey collecting biographical information on Swiss security professionals. It starts, by using the statistical method of multiple correspondence analysis (MCA) in order to build relationally the social space of Swiss security. Then, it discusses the three main structuring oppositions of this space, which are the possession of technological, informational and international capitals. Interestingly, it appears that these resources are more effective only when combined by some agents of the .eld. The last section of the paper draws on these .rst results in order to address some methodological stakes raised by the analysis of a transnational social .eld. 3 Expliquer le changement par les réseaux : du réseau-comme-structure au réseaucomme-acteur Forget A. Cornell L’analyse formelle (ou structurelle) des réseaux est un outil qui nous apprend beaucoup sur la con.guration des relations de pouvoir de la gouvernance de la sécurité. Il convient toutefois de comprendre les limites de la cartographie. Nous en identi.ons cinq : 1) il s’agit d’abord d’une méthode issue de la sociologie structuraliste, et non d’une théorie du monde social 2) la cartographie ne représente qu’un instantané d’une con.guration de relations, et non sa progression dans le temps; 3) elle est dépendante du contexte, et est donc dif.cilement généralisable à l’ensemble des secteurs de la sécurité ; 4) elle ne peut prédire les résultats des effets de structures; 5) elle évacue rapidement la notion de sens donné aux relations par les acteurs qui composent ces réseaux. Ainsi, l’analyse formelle des réseaux ne peut suf.re à expliquer le changement et son usage est limité. Cette communication propose une approche complémentaire, qui permet d’expliquer le changement des con.gurations de réseau en retraçant l’évolution d’un réseau de sécurité dans le temps. En reprenant la catégorisation de Kahler et al. entre les réseaux-comme-structures de relations d’échanges et des réseaux-comme-acteurs coordonnés de la sécurité (2009), nous détaillerons pourquoi et comment il convient de distinguer ces deux catégories ainsi que le processus temporel qui permet aux individus qui les composent d’en faire soit des réseaux plus près d’un réseau ad minima ou des réseaux dotés d’identité, d’intérêts et de capacités d’action collective. Nous utilisons ensuite cette approche dans le cadre d’une recherche longitudinale qui s’intéresse aux pratiques des participants d’un type de réseaux spéci.que, les réseaux militaires internationaux. L’étude révèle que les militaires de ces réseaux ont produit de façon intentionnelle et stratégique leurs propres capacités d’action collective et leurs propres pratiques qui ont eu des effets sur l’évolution du réseau en lui-même et sur la gouvernance de la sécurité internationale. Nous conclurons sur le potentiel empirique et les limites d’une telle démarche. Eurosur's multiple maps and the (nearly) real-time cartography. Tazzioli M. University of Oulu (Finland) In this paper I will take into account the recent developments of EUROSUR system, with a speci.c focus on its implementation in the Mediterranean area and the way in which how it is used also in monitoring tragedies at sea and in cooperating with the monitoring system of Italian authorities. This presentation is the result of my current .eldwork concerning the politics of (in)visibility in the Mediterranean and of the interviews I conducted with the Italian Home Of.ce section that manages the national coordination point in Italy, and with the Italian Navy (currently involved in Mare Nostrum operation) and the Coast Guard. This study is situated within a counter-mapping perspective, that tries to unpack the regime of visibility in the Southern region of Europe, and with a speci.c focus on the Mediterranean sea. Counter-mapping is conceived here as a methodological approach aimed at anlyzing what is left outside of governmental maps (for technical limits but also for political strategies) and which space of governmentality emerges from the articulation of the different migration maps that are produced By state and non-state actors in Europe, among which the EUROSUR cartography, that is in turn the result of multiple database and monitoring systems. What is mapped by Eurosur? Differently from other coordinated monitoring system – like for instance CISE, the Common Information Sharing Environment under construction – Eurosur’s task is to report on a shared (nearly) real-time map/platform all events that are labelled by national authorities or by Frontex as “illegal migration” and “cross-border crime”. But is it really Eurosur a real-time map? . Indeed, between the instant of the data insertion and the time necessary for the system to elaborate the data, it could take some hours and up to a day. Moreover, since Eurosur stores only events of illegal immigration and cross-border crime, in many cases the event itself must be accomplished before being signalled on the map: However, after all, it seems that the real-time border picture actually is not the main stake, since as the Italian Eurosur responsible stresses, “Eurosur does not work as a pre-emptive mechanism of control and rescue: rather, it helps to understand what are the most affected border zones and to create risk analyses” as it has been declared by an Italian Home Of.ce authority in charge of monitoring the national coordination centre. Thus, more than a dispositive of control-and-rescue, as it has been frequently presented, Eurosur is a data-.lter and a data-composer that select information from different existing monitoring systems having access to all of them – AIS, JORA, national coordinating centres, EMSA – and that produces a sort of “reactive border cartography” recoding different data in terms of “events of concern”. More precisely, Eurosur manages the visibility of borders creating “events”, namely putting on the map data and information revealing that a cross-border crime took place. This presentation concludes with an analysis concerning the ways in which humanitarian and security issue articulate each other in the current monitoring and mapping devices. 4 The Race to Quantify the Insecurity-Exposure of Humanitarians: New Professional Spaces through the Power of Statistics Beerli M. Université de Genève; Sciences Po Paris While humanitarian work has always implied a certain level of risk, in the last two decades, there has been a growing concern that humanitarian agents are exposed to unprecedented levels of insecurity. Primarily based on perceptions drawn from exceptional incidents, such statements are reinforced by quantitative studies which attempt to identify, measure, and document threats to humanitarians. As opposed to having direct implications for the delivery of aid, this paper would like to suggest that such forms of calculable knowledge production can be better understood as a means by which to open up new professional arenas and the legitimization of these perforations, speci.cally the institutionalization of security management. For example, one database tracks the absolute number of security incidents incurred by humanitarians and codes countries according to a paradigm of risk. While many practitioners challenge the utility of generalizing to understanding speci.c contexts, efforts to quantify humanitarian danger are nonetheless multiplying. Given their practical limitations, the boom in producing statistics is instead emblematic of professional competition and power struggles over the “right way” to count. Lastly, while seemingly detached from what is taking place on the ground, this paper will explore the political implications evoked by the power to count. 5 ST 2 : Regional Powers : Actors and Institutions United, but Unique? Patterns of Democracy in the USA Bernauer J. Uni Bern While varieties of democracy have been analyzed in depth from an international perspective, much less is known about political-institutional con.gurations at the subnational level. In particular and surprisingly, there is no study of patterns of democracy within the United States of America. At the conceptual level, the study seeks to explore this potential subnational variance of the character of democracy. Are there differences in the extent to which power is concentrated in the hands of governors? Can judicial courts or second chambers veto government policy? How much power is granted to the people via direct democratic institutions? The further research interests are whether international dimensions of power dispersion in the political-institutional system travel to the subnational level, and how alternative con.gurations have emerged. The analysis draws on a novel data set covering executive and legislative power dispersion, veto institutions and direct democracy in the 50 states between 1990 and 2014. Three research steps are undertaken: First, the data is analyzed using exploratory Bayesian measurement modelling, identifying the underlying dimensional con.guration of political-institutional traits. Second, the subnational US patterns are compared to a selection of advanced democracies to assess their relative magnitude of power dispersion. Third, an investigation of possible explanations such as the circumstances of settlement or socio-geographic factors seeks to explain the subnational variance of power dispersion in the United States. Committed to Coordination? Institutionalization, Salience and Bindingness of Intergovernmental Councils in Federal Systems Schnabel J. Université de Lausanne Since the second half of the 20th century, a large number of Intergovernmental Councils (IGC) have been set up in all democratic federations. In a modern and complex world, governments invest in Intergovernmental Relations (IGR), i.e. systems of horizontal and/or vertical IGC within one federation, to manage legislative, administrative and .scal interdependencies (Bolleyer/Thorlakson 2012) inherent to federal systems. I de.ne IGC as institutions in which members of government participate to coordinate their policies. However, IGC differ in the degree of commitment they create depending on institutionalization (Bolleyer 2009), salience (Trench 2006) and bindingness of outcomes. We can expect strong commitment when the level of institutionalization and the degree of bindingness are high and salience is low. Strong commitment, thus, reduces incentives to exit coordination. Commitment is weak when IGC are weakly institutionalized, outcomes are not binding and salience is high. Based on 15 variables capturing the three dimensions de.ning commitment, the paper presents a typology of IGC in several democratic federations. It applies Cluster Analysis to identify types of IGC and test the robustness of the indicators chosen. The results can be used both as the dependent or independent variable in further studies on IGR. The paper hereby contributes to the comparative study of IGR, still rather underdeveloped, despite recent attempts of Bolleyer (2009) and Parker (2012) to move beyond singlecase studies. Based on the results of the Cluster Analysis, IGR regimes can be de.ned and distinguished by looking at the share of types of IGC in a given federation. How does regional government participation in5uence strategies of regionalist parties? A comparison among the Lega dei Ticinesi, the Südtiroler Volkspartei and the Union Valdôtaine 1 Mazzoleni O., 1Bottel M., 2Pallaver G. Université de Innsbruck2, Université de Lausanne1 In the last decades, several Western European countries experienced the rise of regionalist parties providing a protest stance against the respective national centres (e.g. Fitjar 2010). As this phenomenon appears far from ephemeral, electoral advances are in some cases relevant. Therefore, one of the main consequences is a more or less durable participation within a subnational government (e.g. Delwit 2005; De Winter & Türsan 1998; McAngus 2014), in particular on the regional parties themself. Which are the consequences of this participation on the regionalist party strategy? Do the electoral successes and of.ce experience contribute to a shift from a protest to a mainstream regional parties? Under which conditions this shift occurred and what are the reasons of a persistent protest dimension in party behaviour? Although this theoretical issue has been rarely considered until now, we argue that it would be heuristically useful to assess under which internal and contextual conditions regionalist parties may change their behaviour in respect their original goal. In our perspective, party behaviour cannot be considered unchangeable, but strictly linked with some events (e.g. electoral success) that characterise its position both in the institutions and in the party-system (Strøm 1990). In particular, we expect a complex trade-off among votes, of.ce, and policy-seeking strategies because parties that obtain electoral success or become of.ce-holder in national arena can make hard decisions in order to change their 6 strategy (Müller & Strøm 1999). Trying to answers to the questions above, we will compare three regionalist parties in Switzerland and in Italy (Lega dei Ticinesi, Südtiroler Volkspartei and Union Valdôtaine) that gained electoral success and enter in a durable way into regional government in the 1990s and 2000s. Bibliography Fitjar Rune Dahl, 2010. The Rise of Regionalism: Causes of Regional Mobilization in Western Europe, London & New York, Routledge. McAngus Craig, 2014. “Of.ce and Policy at the Expense of Votes: Plaid Cymru and the One Wales Government”, Regional & Federal Studies, 24: 2, 209-227. De Winter Lieven and Türsan Huri (eds), 1998. Regionalist Parties in Western Europe, London: Routledge-ECPR. Strøm Kaare (1990). “A behavioral theory of competitive political parties”, American journal of political science, 34: 2, 565-598. Strøm Kaare, Müller C. Wolfgang (eds.), 1999, Policy, of.ce, or votes? : how political parties in Western Europe make hard decisions. Cambridge University Press. Cantonal Initiatives as a Means of Peripheral Protest? The politics of shared rule in the Swiss Confederation Müller S. Université de Berne The Swiss Confederation is almost unanimously regarded as a successful case of regional integration into a coherent and meaningful unity while still leaving substantial autonomy with its constituent units, the 26 cantons. Nevertheless, the end of the Cold War, European integration as well as the recent economic crisis have contributed to a growing partypolitical polarisation and elite consensus dis-integration at the national level. At the same time, contention has also increases “vertically”, between the Confederation and some cantons – especially those located at the Swiss “periphery”, such as Ticino and Geneva. In theory, the ideal instrument to channel such peripheral protest is the cantonal initiative that allows any one single canton to directly petition the Swiss parliament. In studying all the cantonal initiatives put forth over the past 20 years and those of Geneva and Ticino in particular, in this paper, we are thus able to answer the question as to what extent the cantonal initiative is or has become an instrument for peripheral protest, or shared rule, in the Swiss Confederation – and, if not, to speculate about the reasons why the cantons regard other instruments as more ef.cient means to in!uence national decision-making. Les entrepreneurs des politiques publiques et le changement des politiques régionales : le cas de la politique culturelle en Suisse Marx L. Université de Genève Ce papier propose une investigation du puzzle du changement des politiques publiques au niveau régional et souligne plus particulièrement le rôle crucial joué par des individus "entrepreneurs des politiques publiques" (Kingdon 1984) dans l'organisation des coalitions, la détermination des résultats des processus de formulation des politiques publiques et dans les éventuels changements dans les politiques publiques. Cela est d'autant plus particulièrement pertinent au niveau régional et local, où les acteurs d'un secteur de politique publique se connaissent souvent depuis longtemps et peuvent occuper des positions multiples de manière synchronique ou diachronique (cf. Boltanski 1973), et forment une élite des politiques publiques interconnectée (cf. Christopoulos 2006). Plus précisément, cette communication va étudier les processus récents de (re)formulation des politiques culturelles dans trois cantons suisses (Berne, Bâle, Genève), en utilisant une méthode de process-tracing basée sur une analyse documentaire approfondie et des entretiens. Le domaine culturel et les arts ont historiquement été une compétence cantonale en Suisse, mais les villes et les communes jouent également un rôle important sur le terrain et la toute première loi nationale sur la culture entrée en vigueur en 2012. Les processus de politique culturelle au niveau régional sont ainsi également la scène d'interactions et de négociations entre acteurs du niveau municipal, cantonal ou national. Une première partie du papier spéci.e la variable dépendante de cette recherche : la distribution du pouvoir décisionnel dans la politique culturelle, soit l'articulation des acteurs et institutions chargés d'implémenter la politique culturelle de chaque canton, ainsi que les éventuels changements de cette architecture suite aux récents processus politiques. Cet arrangement de mise en œuvre est conceptualisé sur deux axes : il peut donner plus de pouvoir a) au secteur public ou privé (p.ex. aux artistes eux-mêmes), suivant une approche plus ou moins interventionniste concernant la régulation et le soutien public de la culture (cf. Hillman et McChartrand 1989), et b) au niveau local ou cantonal/régional. Mon analyse montre que, malgré certaines différences, les politiques culturelles des trois cantons varient sur les deux axes et que les changements des politiques culturelles vont dans différentes directions. La deuxième partie du papier cherche ensuite à expliquer ces résultats divergents par des différences dans la con.guration (Elias 1970) d'acteurs prenant part à chaque processus cantonal, et particulièrement par l'action d'entrepreneurs de politique publique. Ce faisant, je montre comment des entrepreneurs des politiques publiques 7 multipositionnels – des acteurs publics ou privés qui organisent des intérêts, maintiennent et utilisent un grand réseau de contacts, interagissent et collaborent avec d'autres acteurs, jouissent d'une bonne réputation dans un secteur donné et promeuvent certaines idées et solutions politiques – peuvent façonner les processus politiques de manière décisive en choisissant certaines arènes, organisant des coalitions, etc. Les caractéristiques sociales et professionnelles des entrepreneurs des politiques publiques identi.és seront ensuite brièvement abordées en conclusion. Universités belges francophones et régionalisation : vieilles habitudes et nouvelles stratégies Maes R. Université libre de Bruxelles L'enseignement supérieur en Belgique francophone a connu un grand nombre de réformes visant à l'aligner sur les prescriptions des déclarations ministérielles du "Processus de Bologne". Cependant, depuis le premier décret "Bologne" de 2004, les réformes du "paysage de l'enseignement supérieur" - selon l'expression désormais consacrée - se sont largement in!échies dans le sens d'un renforcement de logiques régionalistes/sous-régionalistes. Celles-ci sont particulièrement manifestes dans le dernier décret en date, qui organise des "pôles d'enseignement supérieur" dont les frontières correspondent grosso modo aux limites des provinces, chargés de rapprocher les institutions des « besoins des bassins locaux » (notamment en garantissant une meilleure « adéquation » entre l'orientation des futurs étudiants et les « besoins locaux d'emplois »). Ce redécoupage s'accompagne également d'un renforcement des compétences des régions en matière de recherche appliquée, dans une optique similaire, les institutions étant chargées de « garantir l'innovation » nécessaire pour assurer la « compétitivité régionale ». Par ailleurs, l’enseignement supérieur belge est organisé depuis 1834 comme un « quasi-marché » caractérisé par une très forte concurrence entre ses institutions, se structurant autour des oppositions historiques notamment entre catholiques et laïques. Plus récemment, cette logique de concurrence a connu une première intensi.cation dans le cadre des plans d’austérité budgétaires des années 80 et, à leur suite, de la communautarisation de l’enseignement supérieur, et un second et important renforcement lors du passage du .nancement en « enveloppe fermée » : la dotation pour l’ensemble des institutions est désormais une ligne budgétaire .xe, répartie au prorata du nombres d’étudiants inscrits dans chacune d’entre elles. Dans ce cadre, notre communication vise à questionner l’in!uence du renforcement de la logique régionale en matière d’enseignement supérieur et de recherche sur les stratégies mises en place par les institutions dans les luttes qu’elles mènent entre elles. Nous nous consacrons en particulier aux stratégies des deux plus grandes universités complètes, l’Université catholique de Louvain et l’Université libre de Bruxelles, pour renforcer leur présence en régions wallonne et bruxelloise. Dans un premier temps, nous réalisons un bref historique de la structuration de l’enseignement supérieur belge, en insistant plus fortement sur les mesures adoptées depuis sa communautarisation. Nous décrivons comment les réformes successives ont contribué à renforcer fortement la concurrence interuniversitaire et, simultanément, ont augmenté l’in!uence du niveau régional (voire infra-régional) sur les institutions. Nous montrons en particulier l’impact de cette évolution sur l’organisation interne des universités, notamment en termes d’intervenants dans la conception des stratégies de développement et de missions des autorités académiques. Dans une seconde partie, nous nous consacrons aux stratégies de développement régional des deux universités depuis 2004, en nous fondant notamment sur un corpus de discours of.ciels prononcés par les responsables de ces deux institutions à l’occasion d’événements à forte portée politique – notamment par la présence de députés. Ces éléments permettent à la fois de comprendre quelques ressorts des luttes de « territoire » entre institutions mais aussi d’appréhender leurs options stratégiques différentes. Dans une troisième et dernière partie, nous nous consacrons en particulier aux mécanismes par lesquels les deux universités organisent leur « lobby » régional, en analysant à la fois les jeux d’in!uence entre institutions se marquant par des rapprochements, partenariats et fusions, mais aussi une série de sorties presses et de documents collectés à l’occasion des débats récents sur le « paysage de l’enseignement supérieur » (2012-2013). Nous décrivons notamment les jeux « d’in!uence » sur les parlementaires, liés aux proximités historiques des partis politiques et des institutions. Nous concluons notre présentation en mettant en exergue les points de friction des stratégies que nous avons décrites, se marquant par une indécision des autorités universitaires quant aux objectifs stratégiques à poursuivre : la volonté de participer à la « course européenne » à « l’excellence » en recherche et celle de contribuer directement au développement industriel local par le déploiement d’une recherche appliquée ad hoc ; la volonté de former une main d’œuvre quali.ée directement employable à la sortie des études et celle de former une élite intellectuelle rompue aux méthodes de recherche les plus poussées ; etc. Nous discutons alors de l’impact de la montée en puissance des régions sur la manière dont les institutions dé.niront leurs choix stratégiques. 8 En quête d'une stature d'acteur majeur de la coopération Nord-Sud : soutien aux solidarités diasporiques et coopération décentralisée en Région Rhône-Alpes Vincent-Mory C. Paris Ouest Nanterre La Défense A côté des ONG, des OIG, des États ou des entreprises multinationales, des entités subétatiques comme les collectivités locales s'af.rment aujourd'hui sur la scène internationale (Duchaceki 1990, Viltard 2008). En France, depuis les années 1990, les Régions développent une action extérieure de coopération Nord-Sud et élaborent une véritable paradiplomatie, en particulier dans le cadre de la coopération décentralisée (Gallet 2007). La Région Rhône-Alpes est la première région de France – après l'Ile de France, cas d'exception – en terme de nombre de programmes de coopération décentralisée, de volumes investis et de nombre d'acteurs associatifs et institutionnels agissant pour la solidarité internationale depuis son territoire. Aujourd'hui, elle af.che ouvertement sa prétention à devenir un acteur incontournable de la coopération internationale (Payre 2013). Par ailleurs, sur son territoire, on observe la présence importante d'organisations diasporiques engagées dans des activités de coopération Nord-Sud. Nouveaux entrants dans les réseaux de la solidarité internationale, les acteurs associatifs transnationaux issus des migrations peinent à être reconnus comme des acteurs légitimes. Seule, la Région Rhône-Alpes semble leur accorder du crédit. Pourquoi et comment la Région Rhône-Alpes se saisit-elle de la présence d'associations diasporiques sur son territoire pour se construire une stature d'acteur international ? Notre ré!exion s'appuie sur un travail d'enquête sociologique en Région Rhône-Alpes mené entre 2012 et 2014. Il allie observations, entretiens semi-directifs et lecture d'archives, à la Région mais également auprès des principaux acteurs de la solidarité internationale de son territoire (ONG, associations issues des migrations, plate-formes – GIP Resacoop, COSIM -, collectivités locales). La politique extérieure de la Région Rhône-Alpes, dans sa dé.nition comme dans sa mise en œuvre est contrainte par le jeu d'acteurs multiples qui poursuivent leurs propres intérêts et se positionnent pour certains comme des concurrents (en interne : ONG, plate-formes associatives et autres collectivités locales du territoire - Grand Lyon- ; au-delà de l'échelon régional : État Français et MAE, AFD, politiques européennes). Dans ce contexte, la Région Rhône-Alpes est sommée de donner légitimité et signi.cation à son activité internationale, pour se différencier. Dès lors, une des stratégies déployée est d'appuyer la dynamique associative issue des migrations (soutiens .nanciers et appui technique), de soutenir sa structuration (relations privilégiées entre des leaders associatifs et des fonctionnaires et des élus à la Région) et d'intégrer les réseaux diasporiques présents sur le territoire rhône-alpin à sa politique de coopération décentralisée (Tombouctou, Saint-Louis et Matam). Par ailleurs, cette stratégie fait écho à une injonction forte des programmes européens depuis la .n des années 2000. Or, dans un contexte universaliste républicain marqué par une injonction à l'intégration et le principe d'aveuglement aux différences, en particulier ethnico-nationales, cette stratégie semble illégitime par de nombreux aspects. Dès lors, ce positionnement affaiblit les relations entre la Région Rhône-Alpes et les autres acteurs associatifs et institutionnels de son territoire, fermement opposés à ce qu'ils identi.ent comme des dérives communautaristes. En outre, en contribuant à la reconnaissance de la dynamique associative diasporique, la Région voit se modi.er les équilibres associatifs et militants sur son territoire. Les contraintes pesant sur la dé.nition de sa politique extérieure se modi.ent. Ainsi, la stature d'acteur majeur de la coopération internationale n'est pas acquise et reste à conquérir, pour la Région Rhône-Alpes. Cette stratégie et ces résultats ambigüe en matière de pouvoir politique pour la Région Rhône-Alpes révèlent deux processus problématiques, dans les réseaux français de la coopération internationale : une ethnicisation des acteurs d'une part, une exacerbation de la compétition sur un marché concurrentiel, d'autre part. L'exemple de la Région RhôneAlpes nous prouve cependant que les pouvoirs régionaux peuvent susciter l'émergence d'espaces de coopération internationale jusque là non identi.és et favoriser le renouvellement des modes de gestion de l'intervention internationale (Massart-Pierard 2005). Sub-state diplomacy in malfunctioning states: The Republika Srpska’s bid in Bosnia Herzegovina Marciacq F. Université du Luxembourg Diplomacy is no longer the preserve of the state. It is also conducted at the sub-state level as an instrument of contestation against the authority of the state. In malfunctioning states like Bosnia-Herzegovina, this issue is of paramount importance, given the structural risk of instability, which twenty years of state-building have not alleviated. This paper investigates speci.c aspects of this complex issue. It claims that the development of paradiplomatic activities at the sub-state level in the Republika Srpska both responds and contributes to the malfunctioning of the state of BosniaHerzegovina. More speci.cally, it assesses the level of diplomatic actorness of the Republika Srpska and examines whether this has grown in collaboration or in competition with state diplomacy. 9 Sub-states as international democracy promoters Powel D. Aberystwyth University This paper compares the international democracy promotion activities of Wales and Flanders, arguing that the activity itself is a means by which sub-state actors pursue domestic, nationalist or nation-building objectives. While the motivations are solipsistic, the methods meanwhile tend to conform to global norms and practices, arguably supporting the development and perpetuation of a narrow, market-orientated liberal democracy. Sub-states differ from other promoters of democracy however in the more open and inclusive conceptualization of democracy present amongst the actors. The paper breaks new ground by incorporating sub-state actors into the broader understanding of democracy promotion. Largely absent from the IR literature and invisible to scholars of democracy promotion, sub-states such as Wales and Flanders nevertheless engage in activities which both explicitly and implicitly promote democracy internationally. In employing and developing Andre Lecours’ framework of multi-level ‘opportunity structures’ (2002) – the web of institutions conditioning opportunities for sub-state international activity – the paper also contributes to attempts to develop a theory of sub-state international activity; a key element, still missing from the paradiplomacy literature. The paper draws on recently conducted empirical research; elite interviews and an extensive examination of international policies and activities over the past twenty years. In employing an historical institutionalist method to explore the ‘opportunity structures’, the paper offers an explanation of why and how sub-states have become the democracy promoters they are today. Beyond foreign policy. The Role of Sub-National Actors in the Reordering of North American Relations Frankowski P. Jagiellonian University In the past .fty years the American states and Canadian provinces have become in!uential actors on the world stage. As sub-national actors have gained more power, and as legislatures and administrations have become increasingly professionalized, sub-national units have not only asserted themselves vis-a-vis the federal government, they have also become more active in world politics. Close relations over the 49th parallel have turned into change of perceptions of close neighbours, as relations between Canada and the US seem to be natural and non-foreign affairs. Because relations between two neighbouring federal countries and their sub-national units differ from global relations of American states and their partners the proposed project will seek to answer the question of whether the states treat Canadian counterparts as just another state. Thus proposed project will document and analyze the motivations, methods, and spheres of cross-border relations at two levels: political-strategic/ trade-commercial. This article argues that the research on paradiplomacy in the North America has been very successful in conceptualizing the .rst wave of theoretical undertakings, but it has not yet delivered satisfactory explanations for reality of complex North American relations. The article suggests that concept of paradiplomacy should be complemented with institutionalist theory, where sub-national units from both countries bypass of.cial relations, and create joint working institutions, beyond of.cial foreign policy. 10 ST 3 : Environment and Development Transnational networks and community forestry in Mesoamerica: scalar dynamics in the transformation of global norms Dupuits E. Université de Genève Global forest governance is generally analyzed as highly fragmented, meaning that it involves a multiplicity of actors and institutions. However, some norms and discourses around global forest governance have gained more in!uence on the international arena. One major example is the REDD+ program implemented by the UN to reduce carbon emissions from deforestation, in the global goal to .ght climate change. This program is mainly focused on a market-based approach and a distributive conception of equity. Facing these new global pressures, community forestry organizations in the Mesoamerican region are seeking, through the creation of transnational networks, to promote alternative norms around their own model of governance. They are especially defending their right to participate on decision-making processes, as equal partners of the UN and nation-states. Based on a transnational political sociology perspective and on discourse analysis, this paper aims to capture the mechanisms through which transnational community-based networks transform global norms of forest governance. The argument will be conducted through an empirical case study of one particular actor, the Mesoamerican Alliance of Peoples and Forests (AMPB). Three mechanisms will be analyzed: the construction of a transnational identity around forest owners, the establishment of strategic alliances with powerful international actors, and the circulation inside existing arenas of global forest governance or indigenous rights. Finally, the major contribution of this paper is to question the traditional approaches of the international relations, which overlook the capacity of community organizations to transform their own nature, and key global norms of governance. « Mise en valeur » et « conservation » des forêts tropicales. Les racines institutionnelles, techniques et épistémiques d’un régime global sur les forêts Viard-Crétat A. EHESS Éléments biographiques Pour analyser l’expertise impliquée dans le dispositif REDD+, ma thèse en cours de .nalisation confronte l’ethnographie de terrains variés (conférences internationales, cas du Cameroun, modélisation du carbone forestier…) à une mise en perspective historique de la problématique « déforestation », entremêlant sphères technico-scienti.ques et négociations internationales sur l’environnement et le développement. Résumé L’agenda international sur les forêts connait récemment un renouveau autour d’un dispositif de la convention climat, le REDD+(1). Bien que celui-ci soit souvent présenté comme résultant de la rencontre entre les enjeux forestiers et climatiques(2), c’est surtout le système international d’aide au développement qui est au cœur de sa mise en œuvre ; la Banque mondiale, « chief arbitrer of development »(3), se retrouve ainsi leader du processus. Et le marché carbone semble pouvoir offrir une opportunité « gagnant-gagnant », tant pour l’environnement que pour le développement. Pour comprendre comment ce paysage institutionnel et le cadrage du problème forestier qu’il promeut se sont mis en place, un retour sur l’histoire des négociations internationales forestières est utile. Un « régime des forêts » aurait émergé dans les années 1980, quoiqu’il soit toujours considéré comme peu ef.cace et dispersé(4). Or, depuis la .n du XIXème siècle, les enjeux de « mise en valeur » et de « conservation » des forêts se sont articulés et confrontés à l’échelle globale. En revenant sur les rouages et les con!its de cette institutionnalisation, et en les situant dans leurs contextes techniques, politiques et économiques (guerres, décolonisations, outils satellitaires…), mon étude dégagera deux pistes de ré!exion, thématique et théorique : - Quels enseignements peut-on tirer de cette généalogie longue pour mieux comprendre la tension qui se rejoue récemment entre environnement et développement, et notamment au sein du processus REDD+ (relations pays pauvres/bailleurs, rôle de la coopération technique au développement, statut des organisations multilatérales, approche par le marché…) ? - Cette étude de cas sera aussi utilisée pour rediscuter la notion de « régime », et en particulier le rôle des « communautés épistémiques »(5) et les enjeux de l’idée d’une ré!exivité récente sur les tensions entre environnement et développement économique(6). Notes (1) "Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts [REDD], et le rôle de la conservation, la gestion durable des forêts et l’amélioration du stock de carbone forêt dans les pays en voie de développement [+]". 11 (2) Buizer M., Humphreys D., de Jong W. (2014). « Climate change and deforestation: the evolution of an intersecting policy domain ». Environmental Science & Policy 35, pp. 1–11. (3) Goldman, M. (2005). Imperial Nature : The World Bank and Struggles for Social Justice in the Age of Globalization. New Haven et Londres, Yale University Press. (4) Humphreys, D. (2006). Logjam. Deforestation and the Crisis of Global Governance. Londres, Earthscan. Dimotrov R. S., Sprinz D. F., DiGiusto G. F. et Kelle A. (2007). « International Nonregimes: A Research Agenda ». International Studies Review, 9, pp.230–258. Smouts M.- C. (2008). «The issue of an International Forest Regime », International Forestry Review, 10(3), pp. 229232. Karsenty A., Guéneau S., Capistrano D., Singer B. et Peyron J.-L. (2008). « Régime international, déforestation évitée et évolution des politiques publiques et privées affectant les forêts dans les pays du Sud », Idées pour le débat, IDDRI, 7. (5) Haas, P.M. (1989). « Do Regimes Matter? Epistemic Communities and Mediterranean Pollution Control ». International Organization, 43 (3), pp. 377-403. Haas, P.M. (1992). « Introduction: Epistemic Communities and International Policy Coordination ». International Organization 46 (1), pp. 1?35. (6) Fressoz, J.-B. (2011). « Les leçons de la catastrophe. Critique historique de l’optimisme postmoderne ». La vie des idées, 13 mai. Ressorts, contributions et limites de la -nance « verte » comme outil de l’aide environnementale : le cas d’une ligne de crédit en Egypte 1 Krichewsky D., 2Leménager T. Agence Francaise de Développement 2, Université de Bonn1 La mise à contribution des marchés .nanciers et des banques à la réalisation d’objectifs environnementaux s’est imposée comme un des grands thèmes associés au développement durable. Tandis que la .nance « verte » a gagné en importance dans les pays du Nord et, dans une moindre mesure, dans les pays émergents, les acteurs .nanciers des pays du Sud restent largement en marge du phénomène. Ce constat n’a pas échappé aux bailleurs de fond bilatéraux et multilatéraux, qui multiplient les projets visant à soutenir les activités des banques des pays du Sud dans le .nancement d’investissements « verts ». Si le discours accompagnant cette stratégie d’aide environnementale vante les capacités de tels outils « du marché » à aligner développement économique et préservation de l’environnement, cette perspective fait débat. Mobilisant l’étude d’une ligne de crédit environnementale (LCE) mise en place par un consortium de bailleurs de fond en réponse au problème des pollutions industrielles dans le delta du Nil, le papier analyse les ressorts et le potentiel environnemental de tels dispositifs. Loin des clichés sur les outils « du marché », l’étude révèle une combinaison entre régulations publiques contraignantes et incitations marchandes, dont l’ef.cacité requiert la présence d’un acteur environnemental fort. La dépendance du dispositif aux ressources ponctuelles apportées par les bailleurs conduit toutefois à interroger les capacités de tels projets pilotes à changer de façon pérenne les modèles de développement économique dans un sens plus favorable à la préservation de l’environnement. Clientelism : The Case of Natural Disasters Mannino M. University of St.Gallen Do governments strategically exploit natural disasters to buy votes from the electorate? Prominent theories of political behavior and .ndings from cognitive psychology suggest that natural disasters provide a unique opportunity for authorities to buy votes from electors by, for instance, signaling leadership qualities or providing timely assistance in the aftermath of a natural catastrophe. This paper explores whether governments strategically distribute disaster relief aid and preparedness spending. To this purpose I make use of a newly collected database containing data on natural disasters, federal disaster relief aid and preparedness spending, and presidential election results at the United States county-level extending from 1988 to 2012. This allows me to test for a political bias in government spending with regards to natural disasters, i.e. to test whether disaster related government spending deviates from a purely affectedness allocation. The results shed light on clientelist strategies with respect to the allocation of government spending in the presence of negative environmental shocks. 12 ST 4 : Recent Challenges for Economic Policymaking and Political Representation Labour market disadvantage, political orientations and voting: How adverse labour market experiences translate into electoral behaviour 1 Schraff D., 1Emmenegger P., 2Marx P. University of Southern Denmark2, Universität St. Gallen1 How does labour market disadvantage translate into political behaviour ? Bringing together the literatures on political alienation, redistribution preferences insider and outsider politics, we identify three mechanisms by which labour market disadvantages are likely to in!uence voting behaviour. Disadvantages may increase support for redistribution, reduce internal political ef.cacy or lower external political ef.cacy, which translates into support for pro-redistribution parties, vote abstention or support for protest parties. Using the Dutch LISS survey, we observe the twin effect of increased support for redistribution and decreased external ef.cacy. Mediated through redistributive preferences we .nd a positive effect of labour market disadvantage on voting for left parties. Mediated through external ef.cacy we .nd a positive effect of labour market disadvantage on protest voting. In contrast, we do not .nd any effect of labour market disadvantage on internal ef.cacy. Hence, the observed effect of labour market disadvantage on political abstention is entirely mediated by external ef.cacy. Perceived Labor Market Risk and the Erosion of Political Trust: The Ambiguous Effect of Temporary Employment Schraff D. Universität St. Gallen This paper investigates how individual experiences of temporary employment translate into reduced levels of political trust. Recently, research started to investigate cross-sectional associations between temporary employment and political attitudes and behavior. One major argument in this literature - the disenchantment hypothesis – supposes that the economic insecurity associated with .xed-term employment erodes peoples' trust into the political system. Yet, research so far relies on cross-sectional data, which cannot account for the individual changes implied by the theoretical argument. Using household panel data, we take up the task of following the theory more closely by investigating the mechanism behind the disenchantment hypothesis. It is argued that temporary employment induces a rather heterogeneous effect on political trust and cross-sectional research therefore struggles in gathering empirical insights on the disenchantment hypothesis. We propose a strategy to capture the adverse effects of temporary employment which builds on measures of perceived economic risk. Fixed effects regressions show that if temporary employment experiences are translated by increased job insecurity and a worsening .nancial expectation, political trust starts to erode. The Electoral Politics of Employment-Centred Family Policy 1 Giger N., 2Nelson M. Université de Genève 1, Lund University2 The orientation of family policies shifted in recent decades towards policies which enable parents to combine work and family, such as leave schemes and daycare. Importantly, contrary to the general trend to cut down the welfare state this sub.eld of social policy has seen sizable expansion during past years. We explore the electoral politics of employmentcentred family policies to gain leverage in understanding of why some governments expanded family allowances whereas others did not. We posit that electoral incentives shape incumbents’ decisions to expand or retrench employment-centered family policies. Our results provide evidence that left parties gain votes for expanding and liberal and conservative parties lose votes for expanding the duration of maternity leave and generosity of parental leave, respectively. Second, we examine the effect of policy change on the composition of parties’ constituencies in two representative welfare states to tap into whether parties enact policy change to attract particular groups of voters (i.e. female or younger voters), rather than simply maximizing votes overall. The political economy of the gender preference gap – women’s changing political alignment since the late 1970s Schwander H. University of Bremen The paper examines the political process of women’s changing political alignment since the late 1970s in three steps. First, we examine women’s political preferences. Following the reasoning of the literature about a ’new gender vote 13 gap’ one could expect women not only to support more often left parties than men, but display also more ‘leftist’ preferences for speci.c policies. Based on data from the European and World Value Surveys as well as several Eurobarometer Surveys we look more closely in which countries, to what extent and in what dimension women have developed distinct political preferences from men. Our paper also looks at the context of preferences formation, in particular on the impact of employment and family constellations. In a second step, we analyze the reactions of parties to the new electoral potential. More precisely, we trace their strategies re-con.guration around a progressive family or the traditional family model in Germany and France. As a last step we link the party con.guration and the changes in preferences by analyzing the voting behavior of women in different family and employment constellations. Business cycles and the partisan politics of -scal policy, 1981-2010 Raess D. Université de Genève This paper investigates .scal policy responses to the Great Recession of 2008-10 in historical perspective. It explores general trends in the frequency, size and composition of .scal policy as well as the impact of government partisanship on .scal policy outputs during the four international recessions and the ensuing recoveries of the early 1980s, the early 1990s, the early 2000s and the late 2000s. Encompassing 17-23 OECD countries, the analysis shows that while .scal policy activism in response to downturns has increased since the early 1980s, .scal policy over the cycle has not become more expansionary. Regarding government partisanship, we do not .nd any signi.cant direct partisan effects on the size of either .scal stimulus or consolidation, but we do .nd such effects on the composition of .scal policy in the two recessions of the 2000s, with Left-leaning governments distinctly more prone to engaging in discretionary spending increases during downturns and in discretionary spending cuts during the consolidation phase. Policy convergence? Macroeconomic party positions in the context of the financial crisis Traber D. Université de Zurich After 2008 the crisis has quickly spread from the United States to Europe, causing public debt to rise to unsustainable levels in many countries. With a number of European countries now repaying their bail-out loans, others taking the risk of being affected by the continuing recession and slow growth of the most severely hit countries, it is not at all clear what leeway national European parties still have in choosing macroeconomic policy. In other words, the current crisis, which triggered an unprecedented integration of the eurozone, puts into question whether political parties are still able to provide voters with meaningful democratic choices. This paper analyzes the European parties’ policy positions during the recent economic crisis. I argue that the crisis dramatically increases the already existing constraints on parties’ policy choices. Therefore, the crisis is an ideal case to study the convergence hypothesis, because it allows to compare the parties’ policy positions before and during the global economic downturn. The main argument in this paper is that the Eurocrisis has allegedly lead to contradictory pulls for parties: The austerity measures are very unpopular and it is risky for parties to promote the painful budget cuts that have become necessary in most European countries. However, not all parties are equally constrained : I argue that we have to take into account two factors that lead to different degrees of constraints : the parties’ government status and the impact of the crisis on the national economy. The analysis is based on expert judgements of party positions in 24 European countries 2 before and during the economic crisis. Does Economic Hardship Erode Political Trust ? Evidence from the Euro Crisis Liesch R. University of St. Gallen Many argue that trust determines the long-term fate of democratic systems, and therefore, to the extent that times of economic crises weaken political trust, periods of poor economic performance may also threaten the quality of democracy. This paper explores the impact of the Euro Crisis on trust in political institutions. Prominent theories of voting behavior predict that a deteriorating economy erodes trust in political institutions. The Euro crisis has affected the EU member countries unequally: One set of countries experiences ongoing economic hardship while other countries have remained relatively unaffected. Based on this distinction between more and less affected countries and using Eurobarometer data, I estimate the effects of economic hardship by applying a difference-in-differences design. This allows me to compare the evolution of trust in countries that experienced periods of extended economic recession with political trust in a set of control countries. The results shed light on the political repercussions of an unprecedented economic recession and provide us with knowledge about the economic origin of trust in political institutions. 14 The effect of the economic and -nancial crisis on Corporate Social Responsibility activities in companies in Germany and the United Kingdom 1 Raess D., 1Lang F. Université de Genève 1 The purpose of this paper is to study the effect of the economic and .nancial crisis of 2008 and 2009 on companies CSR activities in Germany and the UK. It is suggested that in times of crisis British companies will reduce CSR activities more or increase less than German companies due to different drivers for CSR. To test this assumption a comparative case study is conducted between two German and two British medium-sized multinational companies operating in the chemical sector. Data is collected through content analysis of companies’ sustainability reports and subsequent categorisation according to the ISO 26000. (Also a company questionnaire is executed.) Results show that German companies increased CSR activities or reduced them less than British companies especially in the area of labour practice and community involvement activities. This differential behaviour in relation to CSR activities in times of crisis of German and British companies is attributed to the factor of the different institutional structure of a country. 15 ST 5 : Philosophie politique et relations internationales Vers la « justice réparatrice » internationale : le paci-sme juridico-idéaliste de Léon Bourgeois Tixier C. Université Panthéon-Assas Équilibre circonstanciel entre résistances au libéralisme et revendications collectivistes, la doctrine solidariste de Léon Bourgeois est érigée par Ferdinand Buisson, dès 1901, comme l’esprit ultime du parti radical et radical-socialiste. Dans le cadre d’une acception spéci.que de la République, Léon Bourgeois et les radicaux promeuvent un idéal de solidarité qui a vocation à s’appliquer, non pas seulement à l’échelon national, mais également aux relations internationales. Dès lors, cette communication entend examiner, au moyen d’une méthode inductive, les différentes phases d’institutionnalisation morale et politique de la paix proposées par le solidarisme. Selon Ferdinand Buisson, la doctrine solidariste, « esprit ultime du parti-radical et radical-socialiste », est tout d’abord expérimentée sur le plan national. Puis, très vite, Léon Bourgeois et d’autres radicaux-socialistes, probablement inspirés par le modèle stoïcien des cercles concentriques, ampli.ent leur démarche solidariste a.n qu’elle puisse désormais devenir une nouvelle théorie des obligations et des sanctions préalablement consenties entre les différents États-nations. Néanmoins, le solidarisme repose sur une contradiction fondamentale. Il tend, en effet, à concilier deux présupposés : un empirisme porté vers le patriotisme et un idéalisme juridique tendanciellement paci.ste. Par le rejet de toute idée d’édi.cation d’un État mondial, le paci.sme de Léon Bourgeois, assorti de sentiments patriotiques catégoriques, incarne pleinement la volonté de voir les intérêts vitaux français s’imposer dans l’élaboration d’une future Société des Nations armée. Pré.gurant l’approche transnationaliste, le solidarisme juridique, en tant que doctrine porteuse d’un normativisme paci.que, rend l’opposition classique entre réalisme et idéalisme spécieuse. En outre, elle constitue une offensive sociologique, aux contours certes nébuleux, qui remet directement en cause le rôle de l’État. L’entité État, dépourvue d’une force sui generis, est considérée comme une simple chose en soi. Refusant alternativement toute substantialisation de l’État et toute édi.cation d’un État mondial, Léon Bourgeois envisage les relations interétatiques comme l’émanation et la continuation des relations individuelles. Dans cette perspective, la reconnaissance juridique de « l’autre » comme « semblable » dans les rapports interindividuels, transposée aux relations internationales, détermine l’établissement d’un « contrat commutatif » entre les États, obligés les uns envers les autres. Ce contrat spéci.que présente la particularité d’avoir pour .n ultime un accord volontaire sur la « justice réparatrice ». Ici réside l’application, à l’échelon international, de la théorie du « quasi contrat » de Léon Bourgeois. De cette conception solidariste de la justice réparatrice, manifestée par un paci.sme juridico-idéaliste, naîtra ainsi l’idée de mutualisme international, en vue de l’édi.cation de la future Société des Nations. Alexis de Tocqueville : quelle utilité pour les relations internationales ? Baranets E. Bordeaux Nous proposons de discuter l’apport d’Alexis de Tocqueville dans les études sur la guerre et la paix en relations internationales. Nous nous attachons essentiellement à montrer que l’œuvre du penseur français dans ce domaine est riche, mais traitée de manière encore trop super.cielle. En substance, la ré!exion que mène Tocqueville dans "De la démocratie en Amérique" se prête particulièrement bien à une utilisation en science politique sur le thème de la guerre et de la paix. C’est le premier point que nous soulignons. D’une part, importer Tocqueville en relations internationales ne relève pas d’une opération intellectuelle hasardeuse, dans la mesure où ce dernier traite du sujet qui nous intéresse de manière explicite. En outre, les questions qu’il se pose, et pour lesquelles il apporte des réponses claires et précises, sont similaires aux questions soulevées par au moins deux débats contemporains en relations internationales. Le premier concerne l’état de paix qui existe entre pays démocratiques : on parle de paix démocratique. Le second concerne la propension des démocraties à triompher militairement : on parle de victoire démocratique. D’autre part, Tocqueville af.che les qualités propres aux auteurs les plus illustres, et qui font précisément défaut à la plupart des autres : son raisonnement clairvoyant est profond et ses explications parcimonieuses. Tocqueville embrasse donc une vision cohérente de la démocratie réduite à peu d’éléments. Il en déduit ensuite de manière logique les attributs qui seront les siens à l’égard de la guerre. D’ailleurs, il parvient à lier la question de la paix à celle de l’ef.cacité en guerre. Qu’en est-il plus précisément de son apport sur ces sujets ? Perspicace, Tocqueville propose une explication de l’absence de guerre à venir entre pays démocratiques entre eux. Les arguments développés sont similaires à ceux qu’utiliseront beaucoup de théoriciens de la paix démocratique près d’un siècle et demi plus tard. Tocqueville est pourtant ignoré par ces derniers, préférant mentionner l’héritage d’Emmanuel Kant. Quant à la victoire démocratique, Tocqueville propose une ré!exion très détaillée, mais cohérente, sur ce qui fait les 16 forces et les faiblesses des démocraties en guerre. Nous n’avons la place ici que pour brièvement en résumer les principes. Tocqueville souligne, d’abord de manière générale, le manque de continuité très préjudiciable qui existe en démocratie, et qui favorise l’ennemi. La versatilité de l’opinion tranche avec la constance que nécessite une politique étrangère ef.cace. À propos de la guerre plus précisément, les démocraties sont fragilisées en raison d’un triple manque, lié à leur situation de paix prolongée : celui d’intérêt à faire la guerre, celui de culture guerrière et en.n celui de considération pour le métier des armes. Ces caractères démocratiques ont comme origine commune profonde l’égalité des conditions, et ils s’observent dans ce sens précis, c’est en raison de la situation de paix prolongée dans laquelle les démocraties se retrouvent. Fort logiquement, ces caractères voient leur portée limitée à mesure que l’affrontement armé voit la sienne grandir. La force des trois facteurs s’érode lorsque le con.t armé est engagé ; elle disparaît lorsqu’il se prolonge et gagne en envergure. Tocqueville est régulièrement cité par les théoriciens de la victoire démocratique en relations internationales. Mais son œuvre est décrite de manière tronquée. Il s’agit du second point que nous abordons avec cette contribution. Rapidement mentionné, Tocqueville est généralement associé à l’idée que les démocraties sont défavorisées en temps de guerre. Tout au plus est-il précisé que le temps joue pour la démocratie. Mais les arguments de Tocqueville ne sont pas discutés. Si son nom n’est pas ignoré, son œuvre l’est largement, alors même que celle-ci pourrait être fort utile, comme nous l’avons exposé précédemment. Nous nous demanderons pourquoi il en est ainsi. Nous offrons un élément de réponse avec la manière dont, en relations internationales, on puise généralement dans l’héritage des grands noms de la philosophie politique. Machiavel, Hobbes, Locke, Kant ou Rousseau : les grands penseurs y semblent omniprésents. Leurs idées sont pourtant souvent traitées de manière super.cielle. C’est moins la ré!exion de ces auteurs qui semblent compter que l’étiquette. En substance, nous pensons que la discipline des relations internationales est moins façonnée qu’elle n’y paraît par la philosophie politique. Les politologues ont tout à gagner à se référer, dans leurs analyses, à l’œuvre des grands auteurs en philosophie politique. Néanmoins, nous préconisons, pour conclure, d’être précautionneux dans la manière de procéder à cette importation, notamment d’un point de vue conceptuel. Se pose donc ici la question plus large des conditions requises pour envisager l’interdisciplinarité. Philosophie politique, pensée critique et relations internationales : le cas Hannah Arendt Rémi B. Université de Genève Hannah Arendt est aujourd’hui communément considérée comme une des philosophes politiques majeures du XXème siècle qui, en formalisant les concepts de totalitarisme, de nazisme, de révolution et de violence politique, aurait été en mesure d’assurer le passage entre philosophie politique et science politique. Dans les faits, pourtant, hormis dans le domaine de la théorie politique, branche à part entière de la science politique, les considérations de la philosophe sur le politique n’ont aucunement enrichi le savoir pourtant intégratif de la science politique : ses analyses du rapport de force en matière de relations internationales, ses réévaluations du concept de révolution en lien avec celui de liberté, ou encore ses analyses sur l’action politique et publique n’ont pas participé d’une théorie politique des relations internationales. Hormis l’école réaliste, les écoles libérale, constructiviste et institutionnaliste ont superbement ignoré ses contributions. L’exemple d’Arendt illustre le fait qu’en dépit de la puissance de sa pensée philosophique dans le domaine des relations internationales, la science des relations internationales a pu superbement ignorer ses travaux et ne fut en rien redevable à sa philosophie. Aucun métissage n’a pu se faire entre sa pensée du politique et le domaine des relations internationales. Le cas Arendt témoigne des dif.cultés structurelles et conceptuelles qui ont marqué l’asymétrie des relations et échanges entre les deux disciplines au cours de la seconde moitié du XXe siècle. L’objet de cette intervention porte sur l’analyse des causes de cette impossibilité de dialogue que traduit, dans le cas Arendt, un positionnement particulier. Il est avant tout du au rejet du concept même de philosophie politique qu’elle dé.nit comme contradictio in adjecto suscitant par là-même l’opprobre de la philosophie straussienne. Il est ensuite lié à sa revendication de demeurer une philosophe qui fait œuvre hors de son domaine au pro.t de la théorie politique. Nous souhaiterions explorer ici trois points majeurs : •En quoi l’œuvre d’Arendt a-t-elle déconstruit le concept de philosophie politique ? Quelles ont été ses incidences sur son analyse des relations internationales ? •En quoi l’œuvre d’Arendt n’a-t-elle pu de son vivant produire du sens en matière de science politique des relations internationales ? Comment s’est construite sa marginalité intellectuelle dans ce domaine ? •Quelle est aujourd’hui l’actualité d’Hannah Arendt dans le domaine des relations internationales ? Compte-tenu des évolutions majeures de notre monde – retour de la barbarie, con!its infra-étatiques, montée des extrémismes – la réévaluation de son travail ne pourrait-elle combler un dé.cit de penser dans nos façons d’appréhender les nouvelles con!ictualités des relations internationales ? Biliographie . Miguel Abensour. Hannah Arendt contre la philosophie politique ? Paris, Sens&Tonka, 2006. 17 . Hannah Arendt, Conditions de l’homme moderne, Paris, Calmann-Levy, 1961 (1958). . Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Le Seuil, 1995. . Hannah Arendt, Essai sur la Révolution, Paris, Gallimard, 1967. . Hannah Arendt, Du Mensonge à la violence, Paris, Calmann-Levy, 1972 . Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, Paris, Le Seuil, 1972, 1973, 1982. . Alexander D.Barber, David M.McCourt, « Rethinking International History, Theory and the Event with Hannah Arendt », Journal of International Political Theory, 6, (2), pp.117-41. . Anthony F.Lang (Editor), John Williams (Editor), Hannah Arendt and International Relations : Reading across the Lines, 2005. . Bhikhu Parekh, Hannah Arendt and the Search for a New Political Philosophy, Humanities Press, 1981. . Maurizio Passerin d’Entrèves, The Political Philosophy of Hannah Arendt, London, Rouledge, 1994. . Etienne Tassin, Le Trésor perdu. Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique, Paris, Payot, 1999. . Jacques Taminiaux, La Fille de Thrace et le Penseur professionnel, Arendt et Heidegger, Paris, Payot, 1992. Rethinking Gift in The Global Age Elena P. Université de Florence The gift paradigm, inspired by Marcel Mauss, is particularly relevant to Social philosophy because it proposes a vision of the social bond alternative to the paradigm of homo economicus - consolidated by the liberal tradition - founding it not on self-interest and sel.sh passions, but on solidarity and empathetic passions. The gift does not only imply a face-to-face relationship. Just think of that particular form analysed by Godbout and Caillé : namely, the gift to the unknown. The logic of the gift implies the constant and progressive enlargement of the .gure of the other because of the constitutive and ontological inclusiveness of the gift. This is not to trace it back to an ecumenical altruism - if altruism means being for the other - but to a dimension which is as constitutive of the subject as egoism and utilitarianism, because it responds to a profound need or desire of the Self : namely, the desire for bonding and belonging. My thesis is that globalization, or rather what I prefer to call the global age, produces a new and unprecedented extension of the other because it includes in our "circle of concern" (Nussbaum) the distant other, whom we can consider the current and most recent variation of the unknown other. Globalization indeed profoundly transforms the concept of "distance" due to at least two radical changes : 1) the erosion of territorial boundaries (great migrations, multicultural societies) that weakens the traditional separation between an inside and outside and causes the other, so far con.ned to a separate and remote elsewhere, to penetrate our territories, becoming what has been called the "stranger within” (Simmel); 2) the interdependence of events and the interconnection of lives (Butler) that make every separation between ourselves and others illusory, potentially turning us into one humanity (Manifeste convivialiste). Globalization in other words reduces or compresses the distance, thereby making objectively signi.cant for us both the other-distant-in-space (the poor and disadvantaged of the world etc.), and the other-distant-in-time (namely future generations). In my opinion, today a response can be given to these two radical transformations by two exemplary forms of the gift: the gift of hospitality, directed to the other-distant-in-space; and the gift of the future, directed to the other-distant-intime. Universalisme démocratique et relations internationales chez Francis Fukuyama : Du néoconservatisme au "Wilsonisme réaliste" Bourgois P. Université de Bordeaux Philosophe ou politologue des relations internationales ? La classi.cation à proprement parler de Francis Fukuyama semble être devenue aujourd’hui une tâche particulièrement ardue. Celui qui est, peut-être, un des intellectuels les plus in!uents aux États-Unis, béné.cie également d’une attention toute particulière dans le monde et ce, depuis la parution en 1992 de son Best-seller La .n de l’histoire et le dernier homme , ouvrage développant la thèse d’un article publié en 1989 dans la revue The National Interest et traduit cette même année dans la revue française Commentaire, sous le titre « La .n de l’histoire? ». Cet essai, publié à des millions d’exemplaires dans une vingtaine de pays, fut certainement l’un des plus controversés à cette époque et suscite encore aujourd’hui de nombreux débats parmi les intellectuels du monde entier. Fukuyama af.rmait ainsi, au lendemain des événements de 1989 et de l’effondrement de l’URSS peu après, que la démocratie libérale, c'est-à-dire un régime fondé sur les valeurs de liberté et d’égalité, en passe de triompher de toutes les idéologies rivales, "pourrait bien constituer le « point .nal de l’évolution idéologique de l’humanité » et la « forme .nale de tout gouvernement humain »".S’inspirant en grande partie de l’histoire des idées politiques et plus 18 particulièrement de la pensée du jeune Hegel, Fukuyama s’inscrit en cela dans un courant philosophique bien déterminé et réactualisa au cours des années 1990 les débats philosophiques relatifs au sens de l’histoire et à la place occupée par le libéralisme dans l’évolution de l’humanité.Il serait toutefois réducteur d’assimiler la .n de l’histoire de Fukuyama à sa « seule » dimension philosophique. S’inscrivant dans un contexte nouveau d’hégémonie mondiale américaine, cette thèse se nourrit effectivement en grande partie d’objets spéci.quement internationaux, l’entraînant ouvertement vers l’étude des relations internationales. Ainsi, si pour le philosophe américain, le triomphe libéral est évident sur le plan des idées, force est de constater, comme il le reconnaît lui-même, que la pratique est toute autre. Il distingue notamment, dans la .n de l’histoire, un système politique international futur divisé en deux parties : un monde « post-historique » qui pourrait s’incarner dans une Europe démocratique multipolaire dominée économiquement par l’Allemagne, où « l’axe principal d’interaction entre les États serait économique et dans lequel les anciennes règles de puissance perdraient de leur importance », mais également un monde « resté dans l’histoire », qui continuerait à être « divisé par une grande variété de con!its religieux, nationaux et idéologiques, en fonction du stade de développement des pays concernés, dans lesquels les anciennes règles de la politique de puissance continueront de s’appliquer ». On peut dès lors s’interroger sur le rôle que doivent jouer les démocraties libérales pour faire sortir ce second monde de l’histoire. Cette ré!exion, d’ordre idéologique, nous renvoie inéluctablement vers l’appartenance du philosophe américain à un courant de pensée fortement associé à l’hégémonie américaine. Fukuyama fut effectivement considéré, pendant de nombreuses années, comme un membre éminent du mouvement néoconservateur américain, s’inscrivant aux yeux de l’historien français Justin Vaïsse dans le « deuxième âge » du néoconservatisme.Assimilé à l’idéologie conservatrice dominante dès ses études universitaires, il est notamment durant longtemps « demeuré proche du parti républicain, ayant travaillé dans les administrations de R. Reagan et de G. Bush père et .ls », Au cours des années 1990, on retrouve ainsi aisément, dans sa pensée politique, les quatre grands principes qui dé.nissent, à ses yeux, le néoconservatisme en matière de politique étrangère ; d’une certaine mé.ance af.chée envers les institutions internationales et tout ambitieux projet d’ingénierie sociale, en passant par la critique de l’approche Réaliste des relations internationales et l’idée que les États-Unis agissent nécessairement à des .ns morales . La thèse de la .n de l’histoire met notamment en avant un des principaux leitmotive de la pensée néoconservatrice en matière de politique étrangère, à savoir qu’il existe un intérêt universel à diffuser les valeurs démocratiques (et occidentales) à l’échelle mondiale.C’est d’ailleurs dans cette logique que Fukuyama participa au Projet pour le Nouveau Siècle Américain (PNAC), think tank néoconservateur américain fondé au printemps 1997 par William Kristol et Robert Kagan, dont l’objectif af.ché est la promotion du leadership américain dans le monde.Prônant l’universalité des valeurs occidentales, il estime de fait, au lendemain des événements du 11 septembre 2001, que le radicalisme islamique reste une « action d’arrière-garde désespérée, qui sera dépassée un jour par la marée montante de la modernisation ». L’évolution de la politique étrangère américaine dans les mois suivant ces événements entraîna cependant une rupture importante concernant sa vision des relations internationales. Fukuyama dénonce effectivement, à partir de 2004, les interventions militaires américaines telles qu’elles furent menées en Afghanistan (2001) et surtout en Irak (2003), rompant par la même occasion avec l’administration Bush et le mouvement néoconservateur américain dont il semblait pourtant être un membre éminent jusqu’ici.À cet égard, il déplore désormais la dérive « léniniste » prise par l’administration Bush et les néoconservateurs américains, qui ont cru que les États-Unis pouvaient accélérer le changement, notamment en privilégiant de façon systématique la force militaire sur les facteurs politiques et économiques et en considérant par la même occasion la menace terroriste comme une menace globale pour l’Occident et pour la démocratie.Pointant du doigt la thématique de l’hégémonie bienveillante et militant pour une nouvelle approche en matière de développement prenant en compte les nombreuses dif.cultés politiques, économiques et sociales du « Nation-Building », il préconise désormais le recours au « Soft Power » dans les processus de démocratisation. À travers cette palinodie, Fukuyama souhaite effectivement redé.nir la politique étrangère américaine au-delà de l’héritage néoconservateur et prône de fait aujourd’hui, son appartenance à un nouveau mouvement en matière de relations internationales : le « Wilsonisme Réaliste ». Pour lui, la bataille doit se faire sur le terrain des idées.Après tout, « à la .n de l’histoire, il n’est pas nécessaire que toutes les sociétés deviennent des sociétés libérales réussies ; il suf.t qu’elles renoncent à leur prétention de représenter des formes différentes et supérieures de l’organisation humaine ». Ce travail tentera ainsi de mettre en avant la vision « Fukuyamienne » des relations internationales depuis sa célèbre thèse de la .n de l’histoire, de son appartenance au mouvement néoconservateur américain jusqu’à sa rupture. Quelle place accorde-t-il aujourd’hui à la démocratie libérale au sein du système politique international ?Si Fukuyama revendique désormais une nouvelle approche en matière de politique étrangère, nous défendrons l’hypothèse selon laquelle il considère toujours, à l’instar des principes néoconservateurs, que la démocratie libérale est un régime potentiellement universel. L’enjeu sera donc ici de montrer qu’en réfutant désormais de nombreux postulats portés par le néoconservatisme et par l’administration Bush au début des années 2000, comme la thématique de l’hégémonie bienveillante ou la logique de guerre préventive, Fukuyama ne s’éloigne pas pour autant de la thématique de l’universalisme démocratique qui reste profondément attachée à sa vision des relations internationales. Le Sénégal entre mandat et capacité d’action. Le pouvoir de l’Etat pour les coordonnateurs de projet de développement. Haussaire M. Lille 2 Au Sénégal, l’aide publique au développement représente le quart du budget de l’Etat et près de la moitié de l’investissement public. La forte présence des bailleurs étrangers transforme nécessairement le rôle et les missions de 19 l’Etat. Mode de délivrance privilégié de l’aide, les « projets » .nancés par les bailleurs étrangers sont également devenus un mode d’exécution habituel des politiques publiques. Au cœur des échanges entre l’Etat et la sphère internationale, .nancés et rendant des comptes (de manière inégale) aux deux parties, les coordonnateurs de projets incarnent l’interdépendance entre les différents niveaux de gouvernement. Ils peuvent donc être une porte d’entrée intéressante pour questionner la place et le pouvoir de l’Etat au Sénégal. Dans cette communication, j’interrogerai le rôle de l’Etat à partir des représentations de ces agents. La présence des bailleurs semble construire ces représentations de deux manières. D’une part, elle renforce l’idée d’une souveraineté de l’Etat décisionnaire, toute une littérature relayée par les organisations internationales insistant sur le leadership que doit prendre l’Etat dans la dé.nition et la mise en œuvre des politiques publiques. D’autre part, elle révèle la faiblesse de l’Etat comme acteur exécutif ou d’orientation, les moyens des bailleurs révélant par comparaison la faiblesse de l’administration nationale. Ces deux images de l’Etat ne sont pas contradictoires, puisque pour les coordonnateurs, l’action de l’Etat et celle des bailleurs sont plus associées qu'opposées. Dé-nir la guerre avec Hobbes : « la volonté avérée de s’affronter » et ses interprétations Schu A. Université de Bordeaux Comment distinguer la guerre de la paix ? A cette question essentielle, la réponse la plus courante consiste à promouvoir la notion d’usage de la force armée : la guerre recouvrirait la présence de violence entre deux groupes organisés ; inversement, la paix se caractériserait par l’absence de violence entre deux groupes organisés. Raymond Aron a résumé cette idée en une formule ef.cace : « La guerre ne continue pas quand les armes se taisent ». Or, en réalité, au court de la guerre elle-même, les armes se taisent plus qu’elles ne parlent. La guerre ne consiste pas en une grande et longue bataille, mais plutôt en une succession d’épisodes violents, entrecoupés de périodes de non-emploi de la force – ce que Clausewitz appelle l’inaction. Que la violence dans la guerre ne soit pas ininterrompue est particulièrement problématique pour distinguer dans la réalité la guerre de la paix. En effet, il nous faut admettre que la guerre ne consiste pas tant en l’application continue de la force armée qu’en l’alternance entre la présence et l’absence de violence. Dès lors, comment reconnaître l’absence de violence spéci.que à la guerre et l’absence de violence caractéristique de la paix ? Comment différencier la paix de l’inaction dans la guerre ? Comment distinguer la guerre de la paix ? La solution la plus convaincante a été proposée par Hobbes dans le Léviathan. Elle consiste à remplacer comme critère de distinction l’action violente par l’intention violente : « Car la guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans des combats effectifs ; mais dans un espace de temps où la volonté de s’affronter en des batailles est suf.samment avérée. […] De même en effet que la nature du mauvais temps ne réside pas dans une ou deux averses, mais dans une tendance qui va dans ce sens, pendant un grand nombre de jours consécutifs, de même la nature de la guerre ne consiste pas dans un combat effectif, mais dans une disposition avérée, allant dans ce sens, aussi longtemps qu’il n’y a pas d’assurance du contraire. Tout autre temps se nomme la paix ». Cet apport majeur de Hobbes s’accompagne toutefois d’une certaine ambigüité quant ce que recouvrent concrètement la « volonté avérée » et de la « disposition avérée » de s’affronter. Deux interprétations dominantes et opposées méritent d’être relevées et étudiées. La première est celle offerte par la théorie néoréaliste des Relations internationales. Les théoriciens de ce courant, s’inscrivant dans la continuité directe de Hobbes, nous expliquent que la structure anarchique du système international rend constamment possible le recours à la force et place les États dans « la situation et la posture des gladiateurs, leurs armes pointées, les yeux de chacun .xés sur l’autre » (Hobbes). Selon eux, « jamais les États n’excluent le recours à la force armée dans leurs relations mutuelles […] : ‘‘La disposition avérée de s’affronter’’ est donc permanente » (Battistella). Dès lors, la guerre serait permanente. De même, si le combat peut à tout moment reprendre, alors la paix n’existe plus – ou du moins, elle ne peut plus être comprise que dans le sens de trêve, c’est-àdire de suspension temporaire de la mise en œuvre de la violence. Raymond Aron fait sienne cette conception quand il évoque « la guerre israélo-arabe, avec ses quatre batailles de 1948, 1956, 1967, 1973 » : il n’y aurait pas eu quatre guerres distinctes, mais une seule et même guerre, continue. En adoptant ainsi une conception élargie de la « disposition avérée » de s’affronter, et en faisant du recours possible à la force l’horizon indépassable des Relations internationales, la théorie néoréaliste s’af.rme comme une théorie de la guerre perpétuelle. A cette première approche s’oppose une interprétation plus restrictive que nous appellerons clausewitzienne. Clausewitz fait de la guerre un phénomène délimité temporellement et considère que « la décision .nale de toute une guerre ne doit pas toujours être considérée comme un absolu ». Clausewitz établit donc une distinction fondamentale entre la possibilité permanente qui est donnée aux États de recourir à la violence et le choix par ces derniers d’y recourir effectivement. Dans cette perspective, la « volonté avérée » de s’affronter qu’évoque Hobbes doit être interprétée non pas comme recouvrant la suspicion et la crainte des États les uns vis-à-vis des autres, mais bel et bien comme la résolution à employer la force armée. Cette résolution doit s’incarner par la mise en œuvre d’un plan de guerre et la conduite d’opérations militaires dirigées contre l’ennemi. C’est seulement avec ce sens restrictif que la formule hobbesienne permet d’établir une distinction radicale entre la guerre de la paix, entendues comme les deux phases alternatives du commerce entre États. 20 Les fondements philosophiques de l’universalisme en droit international Bibeau-Picard G. Université de Paris Panthéon-Assas (Paris II) Le constitutionnalisme global, ou la constitutionnalisation du droit international, est un thème à la mode, et pas seulement chez les juristes : philosophes, politologues, sociologues, économistes, écologistes et spécialistes des relations internationales sont de plus en plus nombreux à se saisir du vocabulaire et des principes du droit constitutionnel en réponse aux multiples changements rassemblés sous l’étiquette de la « mondialisation ». Or, un certain !ou conceptuel accompagne l’utilisation du terme « constitutionnalisation » dont le rapport au constitutionnalisme classique demeure imprécis. Comme la théorie du constitutionnalisme global est en grande partie un « artefact académique » (Weiler, 2003), voire une position politique, un examen strictement juridique du caractère constitutionnel du droit international ne permet pas de saisir à la fois la force et les limites de cette proposition. Le présent article postule que la meilleure manière d’élucider l’ambigüité de ce terme consiste à entreprendre un exercice de clari.cation des idées philosophiques qui sous-tendent la théorie du constitutionnalisme global. L’idée centrale, dont l’examen fait l’objet du présent article, est celle d’universalisme. Cette idée trouve son articulation la plus complète et la plus in!uente sous la plume de Kant. Dans la Métaphysique des moeurs, et surtout dans le Traité pour la paix universelle, Kant énonce les conditions de possibilité du droit public, à la manière d’une critique inachevée du jugement politique. Étant donné la condition de liberté naturelle de l’individu, la république représentative est la seule organisation politique conforme aux lois de la raison. Elle est également la condition de possibilité de la paix universelle, que Kant envisage comme une fédération des républiques nationales à l’intérieur d’une république mondiale. L’exposé de la doctrine kantienne de l’universalisme fera l’objet de la première section de l’article. L’argument central de cette section sera que l’union politique de l’humanité dans une république universelle est présentée par Kant comme une idée régulatrice de la raison humaine, dont la réalisation parfaite est impossible, mais qui peut néanmoins guider l’activité humaine en vue de son perfectionnement. La seconde section de l’article examinera l’in!uence de l’universalisme kantien sur la philosophie politique d’Habermas, dont la théorie du constitutionnalisme global est largement tributaire. Habermas constate l’existence d’une connexion conceptuelle entre les notions de paix et de droit, et il présente la « juridi.cation » des relations internationales comme un commandement de la raison pratique. L’universalisme habermasien implique une transformation du droit interétatique vers un droit cosmopolite où les individus sont également sujets de droit international. L’ordre global qui en découle n’est pas celui d’une république mondiale d’inspiration kantienne, mais plutôt un réseau de gouvernance multiniveaux, où le droit cosmopolite joue un rôle complémentaire par rapport aux constitutions nationales. La justi.cation théorique de cette gouvernance globale repose sur trois arguments. D’abord, Habermas af.rme que le droit est une rationalisation du pouvoir politique, et que l’idée de droit porte en elle le germe d’une dépolitisation complète des relations internationales. Il ajoute ensuite que l’État n’est pas une condition nécessaire à l’établissement d’un ordre constitutionnel. Autrement dit, l’instauration d’une république mondiale n’est pas une condition préalable à l’existence d’un droit constitutionnel global. Cette « gouvernance sans gouvernement » est présentée comme la nouvelle condition politique des acteurs internationaux. Habermas rappelle toutefois que si les États ne sont plus les seuls acteurs juridiques internationaux ni les seuls sites d’autorité constitutionnelle, ils demeurent les seuls dépositaires de la légitimité démocratique. C’est pourquoi les États doivent être intégrés dans le processus de la gouvernance multiniveaux, a.n que celle-ci jouisse d’une « légitimité dérivée » (Habermas, 2006). En somme, alors que la république mondiale demeurait chez Kant une idée régulatrice de la raison, la gouvernance globale est chez Habermas un projet politique concret. L’ambition de cet article est de prendre la mesure des conséquences philosophiques de cette mutation de l’universalisme. De la convergence de deux champs : les topiques des nouvelles formes de conflictualité et les réflexions philosophiques contemporaines sur l'État-Nation. Chapuis L. Paris IV Notre question de recherche porte sur la convergence de deux champs apparemment hétérogènes : les topiques des nouvelles formes de con!ictualité et les ré!exions philosophiques contemporaines sur l'État-Nation. Notre hypothèse sera la suivante : au cours de la séquence 1991-2014, les topiques des nouveaux con!its ne peuventelles pas donner un contenu nouveau et inattendu aux ré!exions de philosophie politique, élaborées à l'occasion de la construction de l'Union Européenne, ré!exions portant sur l'érosion du monopole de l'État-Nation comme unique forme politique de la souveraineté ? Pour formuler l'hypothèse différemment : les con!its asymétriques et les guerres irrégulières, caractérisés notamment par l'absence d'affrontement militaire classique et la subversion du droit, ne convergent-ils pas avec d'autres facteurs vers une systématisation possible de la thèse de l’avènement de formes de souveraineté post-étatique, qu'elles soient infra ou supra étatiques ? Si les sujets des con!its armés sont supra-étatiques, reposant sur des États et une philosophie du droit de l'État, mais aussi infra-étatiques, ne reconnaissant ni les États ni le droit international, comment appliquer le droit international humanitaire et surtout, pourquoi continuer à ré!échir stratégiquement, éthiquement et politiquement, avec le concept d'État ? La communication entend interroger la philosophie westphalienne de l'histoire et le "préjugé d'universalité" qu'elle implique, comme les ré!exions contemporaines sur les remises en causes de l'État-Nation comme forme exclusive de la 21 souveraineté. Les philosophies de la guerre: un apport fondamental aux Relations internationales 1 Meszaros T., 1Cumin D. Université Jean Moulin Lyon 31 Les philosophies des relations internationales relèvent de ré!exions générales sur la réalité internationale, issues le plus souvent de « différentes conceptions anthropologiques ou de dé.nitions de la nature humaine » (Ramel, Cumin, p. 11). C’est en ce sens qu’elles concourent à l’élaboration de postulats théoriques. La présente proposition entend apporter un regard philosophique sur un objet fondamental des relations internationales: la guerre. En effet, la ré!exion générale sur la guerre porte : - sur la distinction guerre/violence ; - sur l’ambivalence de l’Etat vis-à-vis de la violence ; - sur trois alternatives : guerre ou paix, guerre juste ou injuste, guerre limitée ou totale qui rencontrent trois questions éthico-politiques : La guerre peut-elle être dépassée (théorie sociologique de l’obsolescence) ou abolie (théorie juridique de la prohibition) ? Peut-elle être juste ? Peut-elle être instrumentalisée, donc utile ou ef.cace ? - sur l’explication de la guerre : selon Kenneth Waltz il existe trois types d’explication de la guerre : la nature humaine dangereuse (l’homme et sa psychologie), la nature autoritaire des régimes politiques (les institutions et leur idéologie), la nature anarchique du système international (les unités politiques et leur souveraineté). La contribution proposée entend ainsi approfondir les quatre points évoqués au travers des différents auteurs dont les philosophies intègrent la question de la guerre. Elle a également comme objectif de favoriser le développement d’une ré!exion renouvelée sur la guerre qui viendrait enrichir la recherche en relations internationales, en polémologie et en philosophie. Lectures de Jeremy Bentham: des relations internationales au cosmopolitisme? Une question de méthode? Bourcier B. Université Catholique de Lille Le philosophe londonien Jeremy Bentham (1748-1832) est davantage connu pour le principe d'utilité et l'opération centrale du calcul moral développée au chapitre 4 d'Introduction aux Principes de la Morale et de la Législation que pour sa ré!exion internationale et/ou globale. Sa pensée internationale a fait l'objet de plusieurs analyses où se rejouent les relations entre philosophie politique et théorie des relations internationales. Nous montrerons tout d'abord que l'on constate une in!uence importante de la discipline des relations internationales. En effet, celle-ci a dominé l'interprétation de sa pensée pour la quali.er de théorie rationaliste des relations internationales tout en identi.ant les différences historiques et conceptuelles avec Grotius et Kant notamment. Cette domination interprétative ajoutée à la relative absence des études benthamiennes en philosophie ont pu contribuer à l'éviction de son étude en philosophie politique. Avec le cas de J. Bentham, nous voudrions donc montrer comment la compréhension d'un auteur peut a posteriori révéler les dif.ciles relations entre ces disciplines (dif.cultés augmentées a fortiori dans un contexte institutionnel français). Nous défendrons l'interprétation philosophique (dépositaire de l'analytique des concepts) de sa pensée laquelle conduit elle à une toute autre compréhension, celle d'une pensée cosmopolitique institutionnelle. The Convivialist Manifesto : a test Case for an Applied Inter-disciplinary Endeavour Gal-Or N. Kwantlen Polytechnic University In 2013, under the leadership of Professor Alain Caillé, an international group of intellectuals (comprising a French majority) published a booklet entitled the Convivialist Manifesto addressing the biggest existential questions currently facing humanity. It attempts to “outline another possible world”. Because the issues addressed in the Manifesto, and especially their gravity, should be of concern to every person on our planet, they naturally lend them themselves to an inter-disciplinary discourse. In this paper, I am examining the Manifesto’s content as a test case for an endeavour to create and sustain an inter-disciplinary dialogue between political philosophers and international relations/international political economy (IR/IPE) scholars, which is both theoretical and practice oriented (hence tentatively also ideological). Fittingly, the other purpose of this proposal is to commence such a dialogue both at the conference and afterwards. After all, these two large disciplines (with history added) have traditionally shaped the formation and transformation of globally dominant socio-political ideas. The Manifesto is an all-encompassing cri de coeur. It lists thirteen current threats, sources of potential catastrophes to our planet and its human non-human inhabitants. In general, they owe to faulty stewardship of the ecosystem, human 22 greed, armed con!ict and various forms of criminality, disintegration of social and political systems, and so on, factors which are all inter-connected. Although the common denominator is the root cause they share – humankind’s inability of “resolving its fundamental problem, namely how to manage rivalry and violence between human beings” - the task of outlining a possible alternative world is not reducible to this human fallibility. In fact, the challenge is formidable. For one, it involves moral, political, ecological, economic, and religious/spiritual questions, any of which in itself, is of colossal magnitude testing anyone’s intellect, dilemmas for which the corresponding extant doctrines have failed to provide an adequate response simultaneously. Secondly, the very existence of the threats is evidence of the shortcomings of prevailing political systems in tackling the problems humankind is facing. The Manifesto attributes this to the “incapacity to reformulate the democratic ideal – the only acceptable ideal because the only one that accommodates opposition and con!ict”. Of special interest here is that within this democratic ideal, the predominant postulate of mainstream political thinking and decision making, and which determines access to and maintenance of, political power remains “the absolute primacy of economic issues over all others”. The Manifesto thus concludes that “[f]aced with the problems of today and tomorrow, political institutions, in their various guises, thus have nothing but yesterday’s answers to offer us. The same is true of the intellectual and scienti.c world, particularly the domain of social science and moral and political philosophy”. Certainly, the complexity of the task of coming up with an answer capable of meeting the threats - defusing and undoing them - necessitates the meeting of many minds in a collective ‘push’ to shift current ‘humanity’s paradigm’. The Manifesto sees the promise in a “new universalism […] for a plurality of voices: a pluriversalism”. It dares thinkers to engage in several urgent, radical deliberative undertakings. Answering this call, I choose to focus on the postulate concerning the absolute primacy of economic issues. In this paper, I will concentrate on a very limited selection of issues noted in several assertions of the Manifesto. My objective is to offer preliminary observations by way of prodding an inter-disciplinary discussion on the economic primacy postulate. As a point of departure, I take the Manifesto’s claim that “giving more and more reality to the homo oeconomicus [sic], [is] to the detriment of all other constituents of what makes up humanity”. I open by discussing this statement in its application to current dominant international political economy, and speci.cally – its presumption of ‘growth’. I then address a speci.c economic issue: The fragmentation of the global trade regime, and as part of this phenomenon, the role played by state capitalism and the contemporary process of economic production. Seeking to comprehend the global political economic dynamic unleashed by an assertive state capitalism and its function in the perpetuation of the growth-premised international economy, I follow with a proposal for suitable context and questions to kick start an inter-disciplinary critique of the extant economic paradigm. I consider such conversation to be constituting a piece of the Manifesto’s pluriversalist agenda aimed at re-shaping the prevailing global economic mindset and advancing a de-growth mentality. Droit de la cyberguerre ? Joubert J. Jean Moulin L'objet de cette contribution est de discuter les remarques de Klaus-Gerd Giesen concernant la « justice dans la Cyberguerre ». Klaus-Gerd Giesen propose de compléter le droit de la guerre par la formulation de nouvelles lois visant à réguler le cyberespace en raison, essentiellement, de risques concernant les atteintes aux personnes civiles dans une cyberguerre. Comme on le sait, la guerre sur l'information a été pour la première fois évoquée par Thomas Rona, chercheur chez Boeing dans une étude de 1976 « Weapon Systems and Information Warfare ». Il faut attendre 1973 pour que le terme de « cyber-guerre » soit avancé pour la première fois dans un essai de John Arquilla et David Ronfelt « Cyberwar is coming ». Comme nous le verrons, la dé.nition du cyberespace demeure problématique et la formulation de stratégies pour le cyberespace est encore, en 2014, une page blanche. Klaus-Gerd Giesen a choisi de discuter du droit de la guerre dans le cyberespace par le biais de Kant et de sa contribution à la théorie de la guerre juste et au droit de la guerre. Je conduirai mes remarques à sa contribution en faisant un détour par le concept de forme. 23 ST 6 : Les apports théoriques et méthodologiques de l’anthropologie à la science politique Apports et défis méthodologiques de l’inspiration anthropologique en études politiques : le cas d'une enquête ethnographique en Chine. Audin J. EHESS Cette proposition de contribution s’intéresse aux usages de l’anthropologie pour les études politiques à travers le cas de l’enquête ethnographique en Chine. Il s’agit d’évaluer les apports de l’enquête ethnographique à la compréhension du politique en Chine, mais aussi de cerner les limites de cette approche méthodologique en ce qui concerne l’inscription disciplinaire. Nous proposons ici de développer une analyse critique sur l’enquête en milieu contraint (à travers le contexte chinois) et ses conséquences sur une recherche en sociologie politique. L’analyse se fonde à partir d’une expérience de recherche de plus de six ans consacrée à la société chinoise urbaine. La capitale chinoise, ville en rapide mutation, offrait un éventail de contextes résidentiels permettant une étude précise des modes d’action et de mobilisation des habitants et des instances de gestion en fonction des types de quartiers. L’enquête de terrain suivait l’idée de Michel Agier selon laquelle "par méthode, l'anthropologue a besoin de s'émanciper de toute dé.nition normative a priori de la ville pour pouvoir en chercher la possibilité partout, travailler à en décrire le processus" (Agier, 2009). La méthodologie d'enquête a donc consisté en un recueil de données par observation (photographies des lieux), observation participante et entretiens approfondis (habitants et membres des comités et des autres travailleurs présents quotidiennement) dans l'espace des quartiers. La recherche s'inspirait de la microsociologie et de l'anthropologie urbaines en vue de comprendre l’évolution des modes de gouvernement et des modes d'habiter à partir des interactions interindividuelles dans les quartiers. Les entretiens qualitatifs réalisés seule, en langue chinoise et sans traducteur, constituent la source de données majeure, mais le protocole d'enquête comporte des spéci.cités contextuelles au terrain chinois (dif.culté d'accepter le dictaphone, par exemple). De ce fait, l’observation a complété les entretiens, prenant en compte des éléments non discursifs (gestes) des scènes quotidiennes dans trois types de quartiers contrastés (quartier ancien de centre-ville, quartier de cité socialiste des années 1960-80, quartier résidentiel d’habitat marchand en périphérie). D’une part, l’inspiration anthropologique a permis à cette recherche de s’affranchir des catégories préconçues sur la société chinoise, notamment des concepts binaires concernant les relations entre les administrations et les administrés : État/société, contrôle/autonomie, autoritarisme/libéralisme. Au contraire, elle introduisait des formulations conceptuelles adaptées au dynamisme des interactions ainsi qu’attentives aux éléments sensibles : hésitations, jeux de rôle, formes d’ironie cachée, gêne. D’autre part cependant, la démarche inductive de recherche à partir d’une enquête ethnographique en Chine soulève des interrogations autour de la dif.culté d’inscription des résultats de l’enquête dans un champ disciplinaire ou dans une thématique de recherche politique. L’induction analytique, l’enquête ethnographique, ainsi que la diversité du matériau recueilli (enregistrements, notes, photographies, coupures de presse, observation participante), nous ont menée à la formulation de concepts hors-champ politique ou relevant de champs pluriels, aboutissant dans une certaine mesure à une friche théorique. Comment le chercheur peut-il s’orienter au sein de ce no-man’s land vers lequel l’enquête ethnographique l’a porté ? Tel est l'objet de notre communication. Drame social, liminalité, rituels. Relire les élections et les partis avec Victor Turner. Faucher F. Sciences Po L’anthropologue britannique Victor Turner a exercé une in!uence considérable sur de nombreuses disciplines, au point que certaines de ses contributions conceptuelles et théoriques sont tenues pour évidentes. Il est également régulièrement cité par les politologues mais une ré!exion systématique sur l’application de ses thèses en science politique manque encore. Cette communication s’attachera à explorer comment ses analyses du « drame social », de la liminalité, de la performance et du rituel peuvent contribuer à enrichir nos analyses de phénomènes et processus politiques contemporains. Ce sont donc les apports théoriques de l’anthropologie qui m’intéresseront ici au premier chef. Néanmoins, j’appliquerai ces grilles de lecture et ces concepts à des objets canoniques de la science politique, à savoir les élections et les partis politiques. Par ailleurs mes analyses s’appuieront sur mes recherches antérieures et donc sur le travail ethnographique réalisé au cours des vingt dernières années dans les partis et lors de campagnes électorales. Je reviendrai notamment sur la manière dont j’ai utilisé les concepts de liminalité et de communitas pour éclairer les comportements politiques des écologistes du début des années 1990 mais prolongerai cette ré!exion théorique sur les apports de Turner sur des groupes non marginaux et des rituels politiques centraux. 24 De l’exotisme du terrain à l’ordinaire de l’objet : des « hackers » à l’institutionnalisation du monde du logiciel libre Depoorter G. Université Picardie Jules Verne L’informaticien a souvent été le parangon du professionnel déconsidéré, de l’individu renvoyé aux marges culturelle, sociale, esthétique. Au début des années 2000, on assiste à une politisation de cet univers. Leur image se transforme radicalement et l’informaticien « est postulé », à travers la .gure du « hacker », à devenir une nouvelle .gure révolutionnaire. À nouveau, « l’imaginaire dominant ne laisse guère le choix au dominé : il faut que ce soit un soushomme ou un sur-homme » (Collovald, Pudal, Sawicki, 1991, p. 40). Depuis quelques années maintenant, il semble que leur image se soit normalisée, mais l’informaticien reste cependant un producteur relativement invisible d’un objet technique devenu central et, le « hacker », le héros d’un univers numérique encore largement mystérieux. Quels sont les processus qui ont contribué à cette trans.guration ? Paradoxalement, cette survalorisation (du « hacker ») ne continue-t-elle pas de jeter dans l’ombre un large pan des pratiques ordinaires du travail informatique ? Nous avons étudié la « communauté des logiciels libres » (considérée souvent comme la communauté la plus importante de « hackers ») de manière qualitative (à la fois sur internet – forum, listes de discussion, sites, etc. – et dans des associations, dans de multiples et récurrentes rencontres physiques oscillants entre une journée et une semaine) de 2006 à 2012, dans le cadre de notre thèse de doctorat. À la .n des années 1970, l’informatique amorce son essor en devenant « personnelle » et en transformant le logiciel en produit commercial. Les codes sources (la recette de fabrication) des programmes informatiques sont transformés en secret industriel. Richard Stallman (informaticien au MIT) lança alors l’idée de logiciels que chacun pourrait utiliser, étudier, modi.er et distribuer (tel que Linux, ou Firefox). Longtemps con.dentiels, les logiciels « libres » sont désormais incontournables et font d’ailleurs l’objet de campagnes publiques pour pousser à leur adoption dans un cadre général de restrictions budgétaires. Par ailleurs, la « communauté du logiciel libre » structurée par des centaines d’associations d’utilisateurs, de défense et de promotion, regroupe des amateurs et des professionnels. Elle se situe ainsi au croisement de nombreux secteurs de la vie sociale. Les usages sociaux en sont extrêmement divers, entre outils de formation pour professionnels, et carrière parallèle pour amateurs éclairés. Cette contribution se propose de revenir sur l’élaboration de notre objet d’enquête (1ère partie de la section thématique). Pour ce faire, nous nous appuierons sur le travail anthropologique de Jean Bazin, et notamment sa distinction entre hypothèse ethnologique et hypothèse anthropologique. Armés de sa critique contigüe de la notion de culture, en ce qu’elle réi.e l’altérité et joue un rôle de causalité dans la description des actions, l’enjeu a pour nous été de mettre à distance l’exotisme premier d’un terrain traversé et souvent étudié sous l’angle de la « culture hacker ». Au terme de ce travail, nous avons ainsi construit notre objet autour de l’observation et de la description de la « communauté du logiciel libre » en tant que monde social impliqué dans un processus d’institutionnalisation. La prémisse anthropologique que Bazin propose de prendre en compte, entendue comme prémisse sociologique, nous a ainsi aidé à mettre à distance les lectures culturalistes de l’univers hacker. Celles-ci ont en effet tendance à réi.er, homogénéiser cette .gure, à produire de l’incommensurable, de l’« extra-ordinaire ». Ce faisant elles revendiquent dans le même temps une profonde et nécessaire transformation des outils classiques de l’analyse en sciences sociales. Réduire les prétentions à l’exception en une prémisse sociologique pour rétablir la possibilité de l’équivalence et de la comparaison ne nous a d’ailleurs pas simplement été inspiré par la lecture de l’anthropologue, mais directement par le terrain. Cependant, mal outillé à cette étape de l’enquête, nous n’avions pas été en mesure d’en rendre compte. Face aux nombreux travaux de sciences sociales (économie, sociologie, anthropologie), de philosophie ou d’ouvrages journalistiques, diffusant le principe d’une radicale singularité des « hackers », nos enquêtés se sont à peu près toujours employés à dégon!er les superlatifs participants à les marginaliser, les stigmatiser, et à les maintenir dans un brouillard d’où l’on ne perçoit que mythes fétichistes, utopies technicistes, et radicalités politiques voire anthropologiques. À l’opposé de ces lectures par lesquels ils ont été politisés, présentés médiatiquement, et se sont hissés dans l’espace public, les données récoltées lors de l’enquête de terrain renvoient davantage à la relative quiétude de pratiques sociales ordinaires (qui n’en restent pas moins fécondes à maints égards). Plutôt que d’opposer les hypothèses ethnologique et anthropologique, celles-ci restituent plutôt la nécessaire progression du travail d’objectivation sociologique qui nous enjoint de réencastrer prudemment l’exotisme premier et la richesse renouvelée des activités humaines dans des processus d’institutionnalisation du monde social. Nous nous proposons ainsi dans un premier temps de revenir sur l’élaboration et les caractéristiques de la « culture hacker », dont nous pointerons les biais et limites dans un deuxième temps. En.n, nous reviendrons sur notre enquête et proposerons des pistes de recherches pour rendre compte de ce type de terrain. Être politiste dans le bush. Punta Gorda, un terrain entre anthropologie et science politique Collombon M. SCIENCES PO AIX Cette communication entend revenir sur la confrontation du chercheur en science politique qui se rend sur un terrain et auprès d’une catégorie d’acteurs qui sont habituellement soumis au seul regard anthropologique. Il s’appuie pour cela 25 sur un récent terrain nicaraguayen (été 2014), auprès d’une communauté indigène Rama de la côte atlantique, dans le village de Punta Gorda supposé être le point d’entrée du futur Grand Canal interocéanique, mégaprojet .nancé par la Chine. Ce terrain s’inscrit dans une enquête plus vaste sur les transformations de l’État au Nicaragua et sur le rôle joué par de grands projets d’aménagement du territoire, notamment le projet de Grand Canal. Ce terrain dans un village très isolé du reste du pays (zone de forêt tropicale humide –bush-, grande dif.culté d’accès, communauté accessible seulement en pirogue) auprès d’une communauté indigène parlant encore la langue traditionnelle Rama a immédiatement confronté le chercheur à la question de l’adaptation ou non des outils d’analyse politologique et à l’usage des outils anthropologiques et du terrain ethnographique. Tout d’abord, parce qu’il s’agit là d’une situation « classique » de terrain anthropologique : un peuple indigène soumis à des transformations qui viennent de loin (État). Ensuite, parce que l’objet de recherche implique un contexte non accueillant pour le chercheur politiste, la discipline étant localement assimilé à l’étude de l’État et de ses institutions, elle y est souvent devancée d'une forme de soupçon. En.n, parce que le terrain conduit à (re)considérer les méthodes de l’anthropologie pour aborder le terrain. Les enquêtés sont plus réceptifs à la lenteur de l’enquête ethnographique et peu enclins à répondre aux sollicitations d’une enquête plus rapide et par entretiens. Le besoin d’apprivoiser le terrain se fait ressentir d’autant plus fortement que le chercheur se distingue des autres visiteurs de la communauté (missionnaires, commerçants, ou plus récemment ingénieurs Chinois). Nous ferons l’hypothèse dans cette communication que l’ « évidence » d’usage des outils anthropologiques doit à son tour être soumise à une évidence des outils du politiste pour analyser les logiques de pouvoir dans de telles con.gurations. Il existe dans de tels contextes une interdépendance souhaitable des approches. Alors que l’analyse anthropologique permet une meilleure connaissance de la con.guration politique locale au sein du village, les outils de science politique permettent plus facilement de mettre en relation cette con.guration avec les transformations globales de l’État et les formes de la domination politique spéci.que au champ politique national. Elles rappellent notamment que des interactions de différents niveaux existent entre le village « isolé » et les institutions de l’État et que ces interactions ont des effets sur les con.gurations locales. Elles permettent en.n aux approches anthropologiques un dépassement du micro. La politique par les côtés : une ethnographie du lien politique ordinaire de L'Estoile B. CNRS Généralement, les enquêtes de politistes sur le « vote populaire » ou la « politisation populaire » partent de la question des élections ou de la politisation. Par conséquent, le point d’entrée sur ces questions se fait généralement par les élections (le vote, les campagnes électorales), les partis et le militantisme politiques, les mobilisations et les « mouvements sociaux », les élus et les « spécialistes de la politique ». Il est dif.cile de rencontrer des électeurs ordinaires, parce qu’ils ne se sentent pas légitimes à parler de politique. Dans cette communication, je voudrais évoquer mon expérience d’une approche de la politique « par les côtés », plutôt que « par le bas », en partant d’une ethnographie au long cours réalisée au Nordeste du Brésil. C’est précisément parce que la politique, locale ou nationale, n’était pas mon objet de recherche initial en anthropologie politique (qui portait sur les colonies rurales produites dans le cadre de la politique de réforme agraire), que j’ai eu un autre accès aux « pratiques ordinaires de la politique ». L’enquête ethnographique offre une opportunité privilégiée d’accéder directement aux mots et aux formulations des acteurs, plutôt qu’à l’aide de catégories analytiques sous-tendues par une visée normative. Décrire la façon dont la politique, dans les monde ruraux du Nordeste du Brésil, loin de constituer une sphère d’action autonome, est encastrée dans la vie sociale, permet de mettre en lumière la construction du lien politique comme relation personnelle, et la façon dont les évaluations politiques impliquent les dimensions morales et affectives, sans recourir aux notions de politisation ou de clientélisme. Cette communication s’inscrit aussi dans les activités de l’atelier TEPSIS « Personnalisation des liens politiques », que j‘anime avec Jean-Louis Briquet. Une cause qui nous irrite. Comment faire l’ethnographie d’une mobilisation dont on s’oppose aux fondements ? Pingaud E. Nanterre Toute situation ethnographique prolongée implique pour l’enquêteur des situations de confrontation avec des gens « qu’on n’aime pas » (Avanza, 2009), des entretiens marqués par une dé.ance, des discours qui heurtent et des rencontres désagréables qui supposent une composition complexe (et souvent source de tensions) entre maintien de la position de recherche et réactions spontanées incorporées de longue date. On voudrait ici revenir sur une enquête singulière traversée de part en part par ces phases particulières du travail de terrain, réalisée auprès d’activistes investis dans les mobilisations parisiennes d’opposition à la « Loi Taubira » ouvrant les droits du mariage aux couples de même sexe. Elle fut pour nous l’occasion de se confronter à une problématique certes classique, mais dont la pratique concrète oblige à maintes manœuvres quotidiennes : comment enquêter sur une mobilisation politique dont on ne partage pas la moindre revendication, et qui suscite malgré le temps qu’on y consacre beaucoup plus d’aversions que d’empathie ? 26 Pour appréhender les ressorts, les motivations et le déroulement concret de la mobilisation, la palette des instruments ethnographiques s’est pourtant imposée comme nécessaire. Si d’autres méthodes ont pu être utilisées conjointement, comme l’analyse de réseaux ou la prosopographie, elles ne permettent qu’imparfaitement de saisir les pratiques de sociabilité concrètes qui se nouent au cœur des mouvements sociaux (McAdam, 2013), rétives aux logiques d’af.liations à des organisations, structures ou associations souvent utilisées comme point d’entrée dans l’ethnographie des mobilisations. Par ailleurs, au contraire de certains mouvements sociaux qui ont déjà donné lieu à une littérature pléthorique (Combes et alii., 2011 ; Mathieu, 2012), la nébuleuse conservatrice ici à l’œuvre reste fort mal connue. L’immersion apparaissait donc comme indispensable pour saisir les taxinomies « indigènes », les catégorisations qui y font sens et les enjeux de lutte et de classements internes aux mobilisés qui peuvent facilement échapper à l’observateur « distant ». En ce sens l’enquête semble pouvoir se rapprocher de certaines considérations évoquées par leurs auteurs dans des cas d’observations de militants de la Ligue du Nord, du Front national (Bizeul, 1995) ou des Jeunesses identitaires (Bouron, 2013). Toutes posent comme centrale la question des conditions de possibilité de l’enquête en milieu hostile, au-delà des attendus élémentaires de l’enquête de terrain. Sans prétendre fournir ici des réponses, on voudrait néanmoins proposer quelques pistes pour nourrir le débat méthodologique en la matière, en évoquant quelques ruses de l’enquêteur mais aussi les biais qu’elles posent : ainsi par exemple la nécessaire dépolitisation des conversations avec les enquêtés, qui permet de rendre moins saillantes les inimitiés « politiques » et de concentrer les discussions sur d’autres aspects, moyen heuristique de saisir des biographies mais qui écarte certains aspects des « rapports ordinaires » au politique ; ou encore le tropisme des « modérés », autrement dit le pouvoir d’attraction exercé par les mobilisés dont les positions apparaissent comme les moins incompatibles avec celles du chercheur, au risque d’occulter une partie du mouvement et d’en décaler la grille de compréhension. Des apports de l'anthropologie à la compréhension du politique : étude de cas avec la socialisation militaire Settoul E. EUI de Florence Notre proposition vise à mettre en lumière les apports et les plus-values que génèrent l'usage de concepts et de techniques issus de l'anthropologie pour les enquêtes de science politique. Fondée sur une thèse de doctorat consacrée à l’engagement militaire de jeunes français issus de l’immigration postcoloniale, notre recherche adopte une méthodologie qualitative, ethnographique et longitudinale. Notre intervention s’articulera principalement autour de deux axes. Il s’agira dans un premier temps de revenir sur les dif.cultés épistémologiques protéiformes que génère ce thème de recherche tant du point de vue du rapport du chercheur à l’objet que de la légitimité de ce dernier dans le contexte sociopolitique français. Le rapport de l’enquêteur à son objet revêt une importance cruciale dans toute investigation à prétention scienti.que. Dans notre cas, il s’agira de montrer comment l’histoire personnelle du chercheur affecte en amont les modalités par lesquelles il envisage et construit son objet. Concrètement comment un enquêteur d’origine algérienne est perçu et comment il aborde une institution au sein duquel la mémoire de la Guerre d’Algérie demeure, sinon un tabou, à tout le moins, un thème encore dif.cile à évoquer de manière non passionnelle (autant du point de vue familial qu’institutionnel)? Notre contribution tentera également d’illustrer les effets de la matrice républicaine française sur la réception de notre objet de recherche. Basé sur le principe théorique d’indifférenciation face aux différences, le modèle d’intégration « à la française » confère à notre sujet de recherche une dimension illégitime. En divisant les personnels militaires sur la base de critères d’origines/ethniques, notre enquête a pu cristalliser un certain nombre de tensions au sein du microcosme militaire notamment auprès des plus fervents partisans du colour blindness. Dans un second temps, nous mettrons en lumière les apports doublement générés par l’usage de techniques ethnographiques et de concepts issus de l’anthropologie dans la compréhension des phénomènes politiques. Les observations ethnographiques réalisées sur plusieurs bases militaires (6 stages d’observation in situ) nous ont permis d'accéder à des données traditionnellement invisibles dans les méthodologies d'enquêtes purement quantitatives et souvent lacunaires dans les stratégies qualitatives se cantonnant au seul recueil d'entretiens. Du point de vue conceptuel, les notions issues du champ de l'anthropologie se sont avérées particulièrement fécondes pour saisir les logiques et les effets de la socialisation militaire sur les jeunes engagés. L'usage de concepts tels que ceux de techniques du corps (Mauss), d’incorporation des hexis en tant que mythologie politique réalisée (Bourdieu) ou de capital corporel (Wacquant) se sont révélés d'une grande pertinence opératoire pour rendre compte des transformations que subissaient les individus. Car ces modi.cations ne sont pas purement physiques et/ou corporels. L’approche longitudinale utilisée dans le cadre de cette recherche nous a permis d'être également témoin de transformations psychologiques et discursives chez les engagés. Celles-ci se traduisaient plus particulièrement sous la forme d'une plus grande mobilisation de référents nationaux (civisme, patriotisme etc.), d’une hausse de l’estime de soi ainsi qu’un sentiment d'appartenance nationale plus prononcé. 27 ST 7 : Politique publique et management public La pérennisation des partenariats publics-privés dans le champ de l’emploi : entre application, interprétation et ajustement du cadre réglementaire 1 Remy C., 1Gerard J., 1Beuker L. Université de Liège1 Dans une perspective de gestion mixte du marché du travail, les services publics de l’emploi sont invités, par la Convention 181 de l’OIT de 1997, à déléguer et à con.er l’exploitation et la gestion de leurs activités à des opérateurs privés de service, dans le cadre d’une entente contractuelle. Alors que les modalités de la collaboration (telles que le public-cible, le type et le nombre d’accompagnements dispensés, les résultats à atteindre, etc.) sont .xées, initialement, par les services publics de l’emploi, elles sont ensuite mises en pratique par les diverses parties-prenantes du partenariat. Les acteurs publics et privés exploitent la part de latitude inhérente à leur fonction pour interpréter et ajuster les termes du contrat ou pour pouvoir réaliser leur mission d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Partant du postulat que la règle est incomplète, notre objectif est d’analyser la mise en œuvre du partenariat en saisissant les arguments avancés par les acteurs pour justi.er et légitimer leurs actions. À partir de cette analyse, nous montrerons que les acteurs du partenariat doivent interpréter les règles – écart entre le travail prescrit et le travail effectivement presté – dans leurs pratiques quotidiennes. Agissant comme des « pseudo » street-level bureaucrats, ces derniers usent de leur pouvoir pour ajuster les règles. En outre, il semblerait que ces pratiques d'indiscipline permettent, en réalité, de maintenir les relations partenariales entre services publics de l’emploi et opérateurs privés, et d’œuvrer, in .ne, à la pérennisation de celles-ci dans le champ de l’emploi. Nous appuierons notre analyse sur un matériau empirique composé d’observations participantes et d’entretiens semi-directifs réalisés auprès des parties-prenantes des PPP, situés en Belgique francophone. La Justice, terrain hostile au nouveau management public ? La difficile introduction de la « gestion intégrale » dans les juridictions en Belgique Ficet J. Université Libre de Bruxelles L’administration belge de la Justice connaît depuis deux décennies en Belgique une vague de réformes inspirées par les préceptes du nouveau management public. Le mouvement a commencé dans la deuxième moitié des années 1990, ou le scandale de l’affaire Dutroux a précipité des changements structurels de grande ampleur du système criminel belge. Dans le monde des tribunaux, toutefois, la réforme s’est enlisée après quelques innovations majeures comme l’instauration d’un Conseil supérieur de la Justice (1999). Notamment, la volonté af.chée de responsabiliser les magistrats sur leur gestion n’a été .nalement pleinement matérialisée que très récemment, par une loi du 18 février 2014 instituant le « management intégral » (décentralisation des compétences de gestion) des parquets et juridictions conformément au principe de séparation entre autorités politiques et agences exécutantes célébré par le nouveau management public. Il est trop tôt pour faire un bilan de la mise en œuvre de la loi. Le présent projet de communication vise plutôt à analyser, dans une perspective néo-institutionnaliste, le lent processus politique ayant mené à la concrétisation des principes du NMP. Une seule approche ne suf.t toutefois pas à rendre compte de la trajectoire et du contenu de la réforme. La communication empruntera donc aux divers courants du néo-institutionnalisme pour comparer leurs apports et mettre en évidence les facteurs explicatifs les plus pertinents. Des conditions et enjeux comparés de la managérialisation (Canada/Suisse): les cadres au carrefour des multiples interactions fondant la spécificité de la gestion publique 1 Fortier I., 2Emery Y., 2Roldan R. IDHEAP2, ENAP1 La managérialisation des organisations publiques, initiée il y a plus de 20 ans sous l’impulsion dominante du mouvement de la nouvelle gestion publique (NGP), modi.e durablement les relations entre les responsables politiques et les cadres dirigeants publics. Au-delà des compétences nouvelles recherchées et des attentes évolutives façonnant leurs relations réciproques (Hood and Lodge 2006), c’est plus généralement à une transformation en profondeur de la conduite de l’administration et des politiques publiques à laquelle nous assistons, une transformation questionnant les fondements-mêmes de la gestion publique, qui la distinguent de la gestion privée. De par leur position centrale au carrefour de réseaux multiples d’interactions internes et externes à l’administration (Agranoff 2006, Emery 2010), les cadres dirigeants publics contribuent de manière souvent déterminante, par leur action au quotidien, à donner sens et façonner la spéci.cité de la gestion publique. Dans le cadre de cette communication, nous voudrions souligner les implications, parfois contradictoires, liées à une tendance forte relevée par différents chercheurs au plan international, consécutive à l’introduction de la NGP (Ongaro 28 2009, Pollitt and Bouckaert 2009, Rouban 2009) : la politisation du management et la managérialisation du politique. Nous les abordons au travers de la dynamique des interactions entre les responsables politiques et les cadres dirigeants de l’administration publique, ainsi que leurs interactions avec les autres acteurs directement impliqués dans l’action publique (agents et professionnels/experts, collaborations horizontales), voire dans sa gouverne (partenaires externes, groupes de pression, autre niveaux de gouvernement). En nous basant sur les narratifs recueillis, nous chercherons à mieux comprendre en quoi ces transformations de l’administration publique participent des conditions de la managérialisation du politique et/ou de la politisation du management. Commissions d'enquête parlementaires : une managérialisation du Politique dans le discours sur les crises -nancières ? 1 Michel-Clupot M., 1Rouot S. Université de Lorraine1 Les enquêtes parlementaires sur les innovations ou dérives .nancières contiennent-elles une reconnaissance de crise et font-elles émerger une tentation de réglementation ? Une analyse textuelle est menée sur deux travaux récents (crise des produits structurés contractés par les collectivités locales et crise de con.ance envers les agences de rating). Puisant parmi les enseignements de la communication de crise et de la théorie des parties prenantes, la recherche étudie les auditions des acteurs, ainsi que leur contribution respective aux conclusions générales du Législateur. Une certaine managérialisation du discours du Politique est décelée, mais surtout, l’in!uence des experts est plus nettement avérée dans les propos tenus. Entre politisation et managérialisme: La réforme des systèmes de personnel au Canada, en Australie et au Royaume-Uni Juillet L. Université d'Ottawa Depuis les réformes inspirées du rapport Northcote-Trevelyan au XIXème siècle, le principe du mérite et les règles y étant associées en matière de dotation ont joué un rôle central dans la protection des administrations publiques de type britannique (dit de Westminster) contre leur politisation excessive. Or, à une époque où les bureaucraties sont transformées sous l’effet croisé de la politisation et du managérialisme, il importe de mieux saisir comment ces systèmes de personnel ont été transformés par ces phénomènes socio-politiques. Au cours des derniers vingt ans, l’Australie, le Canada et le Royaume-Uni ont tous signi.cativement réformé le cadre législatif et institutionnel de leur système de personnel. Dans quelle mesure ces réformes témoignent-elles d’un brouillage croissant des sphères administratives et politiques ou d’un effritement des valeurs publiques sous-tendant l’administration publique traditionnelle ? Dans cette communication, fondée principalement sur une analyse comparée des textes de loi et des dynamiques socio-politiques des réformes des trois pays, nous démontrons comment les trois pays ont répondu de façon divergente aux pressions communes pour plus de « réactivité » politique et d’ef.cience administrative. Ces résultats viennent contraster et complexi.er le portrait peint par les travaux des dernières années sur la politisation et l’émergence d’une « nouvelle gouvernance politique » dans les démocraties parlementaires anglo-saxonnes. Réformes de la politique autochtone au Canada : le jeu du blâme Savard J. ENAP La Cour suprême du Canada a imposé à l’État canadien une obligation de consulter les communautés autochtones pour toute conduite susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux, issus de traités et ceux établis. Cette obligation découle des arrêts Haïda et Taku River de 2004 et celui de la Première nation crie Mikisew de 2005. Selon la cour, cette obligation engage l’honneur de la Couronne et la relation de .duciaire qui existe entre l’État canadien et les communautés autochtones. Suivant cette logique, toute réforme apportée à la politique autochtone canadienne doit d’abord être discutée avec les communautés autochtones et des accommodements doivent leur être accordés pour éviter tous préjudices. À cet égard, le ministère des Affaires autochtones du Canada a créé en 2008 l’Unité de la consultation et des accommodements et émis des lignes directrices à l’intention de ses fonctionnaires, a.n de favoriser un dialogue avec les communautés qui tient compte de cette obligation constitutionnelle de consulter. Ainsi, il se crée une dynamique où lorsque le gouvernement annonce une intention d’apporter des réformes dans sa politique autochtone, les fonctionnaires du ministère doivent négocier avec ces communautés pour respecter l’obligation de consulter. Or, depuis 2008, cette obligation de consulter a été beaucoup plus l’occasion pour les communautés autochtones de s’opposer aux projets de grandes réformes de la politique autochtone canadienne que l’occasion d’un dialogue entre un l’État canadien et ces communautés. Comme les fonctionnaires n’ont ni l’autorité légale ni la légitimité politique d’imposer les réformes souhaitées par leur gouvernement, cette dynamique d’opposition s’est rapidement transformée en con!its politiques entre le gouvernement canadien et les grandes organisations autochtones du pays. 29 Depuis les conclusions du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), les Autochtones ont toujours béné.cié d’un capital de sympathie politique de la part de nombreux groupes d’intérêts canadiens et internationaux, d’organismes supranationaux, particulièrement l’ONU et d’autres États. Les dénonciations que les Autochtones ont faites de leurs conditions ou encore des réformes que cherchait à effecteur le gouvernement canadien dans sa politique autochtone ont maintes fois fait les manchettes de l’actualité et ont été l’occasion de nombreuses pressions nationales, mais surtout internationales sur le gouvernement fédéral pour que ce dernier tienne mieux compte des revendications autochtones. Cette dynamique politique a souvent eu pour conséquence de paralyser les projets de réforme du gouvernement canadien. Pour contrer cette dynamique et pouvoir apporter les réformes désirées à sa politique autochtone, le gouvernement canadien a opté pour une stratégie que Hood (2011) appelle Blame Game que l’on pourrait traduire comme le jeu du blâme. Ainsi, cette communication pose l’hypothèse que pour imposer les réformes voulues à sa politique autochtone, le gouvernement du Canada adopte une stratégie qui consiste à jeter le blâme sur les communautés des Premières nations pour justi.er l’urgence et la nécessité de ces réformes, peu importe les arguments avancés par les associations de défense des droits autochtones. Pour démontrer notre hypothèse, nous baserons notre étude sur un cadre d’analyse proposé par Hood. Ce dernier soutient que dans le jeu du blâme, un gouvernement, une organisation ou même un individu peut s’inscrire dans une logique anticipée – désigner qui est à blâmer pour éviter le blâme – ou dans une logique défensive, c’est-à-dire de réagir au blâme pour s’en défendre. Nous verrons que dans le cas des réformes de la politique autochtone, le gouvernement canadien s’inscrit exclusivement dans la première logique. De là, toujours selon Hood, un gouvernement, une organisation ou un individu peut adopter l’une ou l’autre des trois stratégies suivantes : représentative (mettre en place des moyens pour modi.er la perception de l’autre a.n qu’il porte le blâme), organisationnelle (indiquer qui ou quoi à l’intérieur d’une organisation doit porter le blâme), ou politique (mettre en place des mécanismes qui protège du blâme). Notre communication analysera trois cas récents de réformes de la politique autochtone canadienne : l’éducation des Premières nations, les .nances publiques, la justice pour les femmes. Nous verrons, sur la base de l’analyse du discours du gouvernement canadien, comment ce dernier utilise des stratégies propres au jeu du blâme pour délégitimer les revendications autochtones, justi.er ces réformes et faire . de l’obligation de consulter pour imposer ses réformes. Cette étude permettra de montrer quels moyens concrets, à travers les différentes stratégies mentionnées plus haut, un gouvernement peut mettre de l’avant pour se donner un avantage dans le jeu du blâme et imposer ses réformes, malgré une opposition des communautés autochtones. « Managérialisme et consultocratie » Désacraliser le processus législatif en faisant intervenir des experts: le cas de l’interdiction de la mendicité à Lausanne Wirths D. Lausanne L’article que je propose se concentre sur le fait de plani.er dans les lois la sollicitation ex post d’experts et de consultants via l’introduction d’une clause d’évaluation qui fera intervenir un « juge » scienti.que qui devra se prononcer sur l’impact réel de la loi. Cette mobilisation tend à détourner le pouvoir du législateur vers des experts dont le pouvoir réside dans le fait de pouvoir légitimer une politique sur la base d’une évaluation d’ef.cacité. Lorsqu’une politique publique contient un tel instrument, sa légitimité ne dépendra plus uniquement d’un rapport de force politique (opinion-based) mais également d’une performance (evidence-based) qu’il s’agit de démontrer. Cet objet nécessite donc un regard pluridisciplinaire en mobilisant à la fois une approche de science politique, capable de dégager les enjeux de pouvoir sous-jacents, ainsi qu’une perspective juridique qui puisse rendre compte d’un phénomène de managérialisation du droit public - qui doit de plus en plus démontrer sa pertinence et sa nécessité. Cet article illustre ce mécanisme à travers l’étude d’un cas qui montre comment l’introduction d’une telle clause revient parfois à solliciter une légitimité technocratique. Lorsqu’en 2013, la ville de Lausanne a introduit l’interdiction de la mendicité dans son règlement de police, les opposants proposèrent in extremis d’introduire une clause d’évaluation dans la loi a.n d’en démontrer l’inef.cacité. Après avoir perdu une bataille politique (au parlement communal et dans les urnes), les perdants poursuivirent ainsi la lutte par d’autres moyens en sollicitant des experts a.n de procéder à posteriori à une délégitimation empirique de l’intervention. Ce que savent les consultants : données d’évaluation et management des politiques de jeunesse Bérard J. Université de Montréal L’évaluation des politiques publiques a été promue comme la manière la plus légitime pour les pouvoirs publics 30 d'arbitrer entre des options différentes. L’impératif d’évaluation s’étend dans l’État, et au-delà de l’État, dans les collectivités territoriales qui veulent juger de l’ef.cacité des programmes qu’elles mettent en œuvre, dans les associations qui doivent justi.er auprès de leurs .nanceurs de l’ef.cacité de l’usage des fonds qui leur ont été octroyés etc. Dans ce cadre, le recours à des consultants est fréquent. Cette contribution veut travailler sur les relations entre « les consultants et la réforme des services publics » (Henry, Pierru, 2012). Elle analyse plus spéci.quement le recours à ces conseillers de l’État en France dans le cadre de l’implémentation d’innovations dans le champ des politiques en faveur de la jeunesse, dont le « décalage croissant » avec les jeunes eux-mêmes a été souligné (Loncle, 2013). Elle interroge leur intervention comme instrument de management des projets de politique publique (Halpern, Lascoumes, Le Gales, 2014) en se concentrant sur deux questions : -Que font les consultants lorsqu’ils évaluent l’action publique que l’État ne sait ou ne veut pas faire lui-même ? Quelles données mobilisent-ils ? Quels modèles d’analyse utilisent-ils ? Comment construisent-ils leurs conclusions et recommandations ? -Que fait le recours à ces évaluations au management de l’action publique ? Quels modèles d’interactions entre managers publics et consultants privés ? Et entre les consultants et ceux qu’ils évaluent ? Quelle prise en considération des résultats obtenus ? Pour ce faire, la communication s’appuie sur deux sources : -un corpus d’évaluations produites dans le cadre des projets soutenus entre 2009 et 2011 par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ). Ce fonds a été créé en 2009 avec pour .nalité explicite de mettre en œuvre des projets couplés à des évaluations, ce qu’il a fait à grande échelle, puisque, entre 2009 et 2014, plus de 500 projets et près de 300 rapports d’évaluations ont été lancés. La mise en œuvre des expérimentations du FEJ a conduit à con.er des évaluations importantes à ces équipes universitaires. Mais elle a également conduit à con.er un nombre important d’évaluations de ce type à des cabinets d’évaluation privés, dont j’ai constitué et analysé un corpus de 90 rapports, reposant sur les évaluations achevées des trois premiers appels à projets du FEJ. -Le travail de l’auteur comme chargé d’études puis responsable des évaluations du FEJ (Bérard, Valdenaire, 2014). J’ai quitté ce travail pour reprendre une carrière universitaire à l’Université de Montréal, pour travailler sur l’histoire de l’évaluation des politiques pénales. Il n’est pas évident de travailler sur sa propre expérience, mais, dans ce cas, celle-ci m’a donné un accès privilégié à la manière dont l’État traite avec les cabinets de consultants et dont les résultats obtenus sont investis, ou non, dans le fonctionnement de l’administration, dans les groupes de travail, commissions destinées à ré!échir à des transformations de l’action publique. La proposition de communication s’inscrit donc également dans un travail ré!exif sur une expérience professionnelle. Biliographie HALPERN, Charlotte, LASCOUMES, Pierre, LE GALES, Patrick, L'Instrumentation de l'action publique Controverses, résistance, effets, Paris, Presses de Sciences Po, Académique, 2014. BERARD Jean, VALDENAIRE Mathieu (dir.), De l’Education à l’insertion, dix résultats du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, Paris, La Documentation française, 2014. HENRY Odile, PIERRU Frédéric, « Les consultants et la réforme des services publics », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 193, 2012/3. LONCLE Patricia, « Jeunes et politiques publiques : des décalages croissants ? », Agora débats/Jeunesse, n°64, 2013, pp. 7-18. Lorsque la consultocratie s'invite dans le management public : regards sur la banque centrale française ou la théorie des tiers-composants Nativel j. Université de Limoges Les réformes issues du New Public Management tentent d’introduire un modèle fondé sur la logique du marché ou quasi-marché dans les organisations publiques en proie à des besoins (Hood, 1991 ; Dunleavy et Hood, 1994). En effet, la théorie d’hybridation de Boyer (1997), inspirée de la notion chimie-organique (Pauling, 1939), nous apporte un éclairage théorique sur cette thématique. Selon la théorie d’hybridation, « the best way » ou « the world model » s’avère exceptionnel, voire irréaliste, car aucun contexte n’est identique. Ainsi, la diffusion et la survie d’un modèle nécessitent inévitablement son adaptation à l’espace local (théorie de la .rme évolutionniste : Hamel et Prahalad, (1994) ; Porter, 1979). L’hybridation est un processus d’apprentissage organisationnel (Dodgson, 1993, Midler, 1990)), un changement cognitif (Fiol, 1994) constant. Le recours à des consultants extérieurs permet à l'organisation publique de disposer d’un vivier de compétences nécessaires pour s’adapter au changement de l’environnement (Pasquier, 2011), car les ressources internes sont insuf.santes et inadaptées pour réaliser des missions apportant une valeur ajoutée. Cette "validation" de ce que nous pourrions appeler "par les tiers composants" d'une nouvelle responsabilité publique pose la question suivante : Comment appréhender cette recomposition/décomposition de la légitimité duale ? 31 Notre démarche exploratoire analytique à visée interprétativiste a consisté à analyser cette problématique au sein de la Banque de France. Nous avons interrogé trois dirigeants et réalisé une étude longitudinale sur dix ans pour comprendre l'évolution de l'introduction de la consultocratie en son sein. Les trois théories ci-dessus composent notre revue de littérature. L’expertise médicale, un acteur décisif dans les réformes des financements publics des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes Xing J. École Normale Supérieure de Paris Cette communication s’intéresse au rôle particulier que les experts jouent dans l’élaboration des politiques publiques ainsi qu’aux enjeux et aux conséquences de cette participation. Je me concentre ici sur un type d’experts spéci.ques, les médecins, qui peuvent être des praticiens, des médecins en santé publique et des universitaires, et sur leurs rôles dans l’élaboration des politiques publiques de .nancements des soins en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). En France, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont soumis à des règlementations très complexes : ils sont .nancés, contrôlés, encadrés et tarifés par l’État et les collectivités locales. Depuis les années 1990s, plusieurs réformes ont eu lieu à propos du .nancement public des soins dans ce type d’établissements : jusqu’à la réforme de 1997, l’État accordait un montant forfaitaire à chaque résident de l’établissement dont le montant de .nancement variait en fonction du statut juridique de l’établissement et non selon les dépenses de soins réelles du résident. En 1997, la première réforme de la tari.cation des établissements a introduit d’une part la notion de distribution des .nancements publics de soins « selon l’état de la personne accueillie », d’autre part un outil d’évaluation de l’état de la personne âgée « AGGIR ». Or l’outil d’évaluation AGGIR a été créé par un petit groupe composé d’un informaticien et de quatre médecins, dont le président du syndicat national de gérontologie clinique. Dans les décrets d’application en 1999, l’État .xe un algorithme de calcul des .nancements de soins à partir de l’outil AGGIR en l’utilisant comme un outil de tari.cation. En tant qu’outil pour répartir les .nancements publics de soins parmi les maisons de retraite, cet algorithme a été ensuite modi.é et a été nommé « Dominic » (dotation minimale de convergence) en 2000. L’attribution des .nancements de soins en EHPAD a connu une deuxième réforme en 2007 avec l’introduction de l’outil PATHOS comme outil tarifaire des soins en EHPAD. Cet outil a été créé par le même groupe de médecins, initialement pour servir d’outil d’évaluation de la charge en soins des personnes âgées. Depuis .n 2011, L’État a déclenché une troisième réforme de tari.cation en créant un comité scienti.que composé de 14 professeurs et docteurs, qui vise à réviser l’outil PATHOS. Dans ces trois réformes du .nancement public des soins en établissements, on remarque une forte implication des médecins de différents corps (médecins en santé publique, gériatres, universitaires) en tant que conseillers, alors qu’il s’agit d’une affaire considérée comme « .nancière ». Quels sont les rôles de ces médecins conseillers dans la décision ? Sont-ils neutres scienti.quement ? Sinon, pour quels objectifs visent-ils en participant à ces réformes ? Quelle place leur est accordée par les pouvoirs publics ? Je montrerai que d’une certaine manière, ce sont les gériatres et les médecins experts internes institutionnels qui ont poussé et réellement « piloté » l’élaboration d’une politique publique. Pourtant, les médecins participants ont leur propre objectif et la « neutralité scienti.que » de l’expertise reste marginale. Je montrerai aussi que les objectifs des médecins participants dépendent à la fois des rapports de force à l’intérieur du monde médical : entre médecins en santé publique, les gériatres, et d’autres médecins de différents « corps » (les psychiatres etc.), mais aussi lié entre médecins et d’autres professions qui exercent leur travail dans une même organisation (ici les EHPAD). Par exemple, la deuxième réforme de tari.cation promue par le syndicat national des gériatres a changé profondément les rapports de force entre les médecins coordonnateurs des EHPAD et les directeurs d’établissements. En.n, l’histoire de ces trois réformes montre également une évolution de la place, ainsi que de la légitimité accordée aux experts externes par l’administration centrale. La légitimité scienti.que a tendance à être accordée à un comité, à une commission ou à une autre forme collective des scienti.ques. Par conséquent, le nombre de scienti.ques participants, l’interdisciplinarité et la transparence deviennent des nouveaux critères dominants pour accorder la légitimité scienti.que. Méthodologie de la recherche Cette étude fait partie de ma thèse intitulée « Gouverner par l’instrument de distribution des .nancements publics : la construction collective des marchés des EHPAD et des foyers pour les personnes handicapées ». Elle est conduite à partir de résultats d’enquêtes ethnographiques, que j’ai réalisées dans l’administration centrale et d’autres institutions (le service médical de l’assurance maladie et le syndicat national de gérontologie clinique). Le matériau analysé porte sur l’histoire de la création des outils d’attribution des .nancements publics de soins entre différents EHPAD ainsi que sur le rôle des experts médicaux. La première partie du corpus est composée d’entretiens avec un chef de bureau du ministère de la santé qui a suivi cette affaire, le médecin conseiller du ministre, les médecins conseillers de l’assurance maladie, l’ancien président du syndicat national de gérontologie clinique et deux chefs de service de la Caisse nationale de solidarité pour autonomie. J’ai également réalisé des entretiens avec les médecins conseillers d’une Agence régionale de santé. 32 La seconde partie du corpus comprend des textes juridiques (lois, décrets, circulaires etc.) depuis des années 1970 sur l’attribution du .nancement public des soins en EHPAD, des rapports gouvernementaux, des documents de travail (institutionnels ou techniques appartenant au domaine médical). Management public à l’hôpital et dispositif éthique participatif Smadja D. Université Paris Est MArine-La-Vallée Cette communication vise à poser la question du rapport entre participation et management. Dans ce cadre, les politiques de santé ont récemment intégré un nouvel instrument d’action publique dans le domaine des politiques publiques de santé, le dispositif des Espaces éthiques (EE), par exemple par l’inscription dans le Code de la santé publique de l’obligation légale de mettre en place des Espaces éthiques régionaux. Ainsi, la loi de bioéthique de 2004 prescrit la création d’espaces de ré!exion éthique qui peuvent être institués aussi bien au niveau régional qu’interrégional. A partir d’une inscription dans le champ hospitalo-universitaire, ils ont pour mission de contribuer à la formation et à la documentation, à l’organisation de rencontres et d’échanges au sujet des questions d’éthique biomédicale. Ils exercent également une fonction d’observatoire régional des pratiques éthiques et ils participent à l’organisation du débat public a.n de promouvoir l’information et la consultation des citoyens sur ces questions. En ce sens, relevant à la fois de la séquence de mise en œuvre et d’évaluation des politiques sanitaires, ils se situent dans l’intervalle entre les commissions consultatives ouvertes aux citoyens non élus et les dispositifs de représentation des citoyens usagers dans les services publics (Bacqué, Rey, 2005). En effet, sans atteindre les degrés les plus aboutis de la délégation de pouvoir et du contrôle citoyen, la participation démocratique s’y traduit par l’information, la consultation et la conciliation. Ces dispositifs s’inscrivent également dans un processus de néo-managérialisation de l’hôpital et des politiques de santé. A première vue, ce dernier semble substituer une rationalité technique dominante - celle du manageur et de l’économiste, de l’évaluation et de l’organisation orientées vers l’ef.cience et la rentabilité - à une autre, celle du médecin. Il en découle un recentrage à l’échelle macro vers l’expertise économique et, de ce fait, elle ne ménage aucune place à une quelconque régulation orientée vers la situation morale du malade et vers l’inclusion participative. En même temps, vu sous un autre jour le nouveau cadrage managériale aboutit, non pas nécessairement à une disquali.cation du patient, mais plutôt à sa transformation en usager ou en client. Rapporté à une autre échelle de temps, ce mouvement s’inscrit également dans un processus plus ancien qui fait se succéder un moment de prédominance du regard clinique, autour du XVIIIème et du XIXème siècle, prioritairement orienté vers les maladies et les organes plutôt que vers les malades et les patients, et une période d’in!échissement qui débute lentement à partir des années 1950 et qui tend à ménager une place de plus en plus signi.cative au patient tel que le suppose la relation médicale, et donc à la qualité et à l’ef.cacité de la prise en charge. De plus, si l’on suppose que le Nouveau Management Public vise à développer des outils d’action qui s’appuient sur la responsabilité et l’autonomie des acteurs, alors on peut former l’hypothèse selon laquelle les dispositifs éthiques comme instruments permettent de renouveler les politiques publiques de santé en exploitant une forme d’autonomie, non plus simplement technique, mais morale et ré!exive. D’une part, ce type d’administration peut tout aussi bien donner naissance à une modalité du pouvoir particulièrement complexe, entendu par exemple au sens foucaldien comme « action sur des actions ». A ce propos, évoquant le rôle du temps de ré!exion dans la régulation des pulsions, D. Memmi explique que « l’institution ne s’appuie plus sur des dispositions intériorisées » mais « sur des dispositions à l’intériorisation ». Dans cette direction, il faudrait prendre au sérieux l’utilisation du terme « dispositif » et mettre en avant, dans le prolongement de M. Foucault et dans le sillage des travaux de G. Agamben, sa signi.cation essentiellement contraignante visant à façonner de manière diffuse les individus y compris dans leurs ressorts les plus intérieurs. Bien entendu, ces dispositifs éthiques ne constituent pas des phénomènes suf.samment étendus et signi.catifs pour permettre d’aborder la mutation globale du fonctionnement de la vie hospitalière. Cependant, ils peuvent être appréhendés comme des signes pertinents d’une in!exion et d’une mutation à venir de l’action publique. A ce titre, ils constituent à leur manière des instruments qui apparaissent potentiellement comme « des révélateurs privilégiés du changement ». En effet, l’innovation instrumentale, loin de se limiter dans une perspective fonctionnelle à une simple amélioration des moyens et des méthodes, permet au contraire de saisir « la recomposition de l’État ». En proposant une enquête sociologique consacrée à l’Espace éthique, ce projet de communication vise à apporter un éclairage sur une forme d’action publique participative en phase d’installation - qui relève à la fois de la mise en œuvre et de l’évaluation. Pensé par ses concepteurs puis par le législateur comme une structure institutionnelle visant à accueillir une discussion éthique inclusive (ouverte notamment aux profanes), l’Espace éthique apparaît dans un contexte complexe caractérisé par la remise en question de l’autorité exclusive du médecin et par le développement du néo-management public à l’hôpital. Dès lors, la question se pose de savoir ce qu’il en est de cette participation managériale : relève-t-elle d’une ingénierie administrative ou bien fait-elle apparaître une dynamique délibérative qui lui est propre ? Cette communication trouverait sa place au sein de l’axe « Discipline et indiscipline des agents publics de terrain » de la ST en mettant au jour notamment la manière dont médecins, in.rmières, cadres de santé et aidesoignantes dévient par rapport aux règles délibératives intentionnellement visées par le législateur et, en même temps, innovent dans leurs pratiques de terrain. 33 La participation à l'épreuve de la Nouvelle Gestion Publique : l'expérience des pouvoirs locaux Fallon C. Université de Liège A travers cette contribution, nous développerons une analyse critique des transformations actuelles du recours aux théories et méthodes du management public dans la gestion des politiques, à partir d’une étude des développements récents de l’administration locale en Belgique (Wayenberg et al. 2015). Les autorités locales, politiques et administratives, se voient confrontées à une multiplication des injonctions à une approche stratégique de la gestion publique et aux démarches évaluatives en matière d’analyse politique. Ces outils de rationalisation sont couplés à une extension de la contractualisation de l’administration au niveau des cadres supérieurs. Ces démarches gestionnaires et stratégiques sont diffusées à travers les injonctions réglementaires, les programmes de .nancement des autorités régionales ainsi que les bureaux de consultants. Le panel appelle de façon originale à coupler les deux courants, administration et politique : notre contribution proposera une analyse compréhensive de l’apport d’une mobilisation hybride des concepts du public management et des politiques publiques présentées ci-dessus en prenant appui sur des résultats concrets d’évaluations et d’analyse de l’action publique réalisées au cours des dernières années au niveau des communes wallonnes, mais en y intégrant une mise en perspective des effets liés à la participation des usagers dans l’action publique. L’analyse au niveau local des mécanismes de résistance et d’accélération spéci.ques peuvent y être observés à travers les processus participatifs qui sont déployés. Il s’agit tantôt de l’indiscipline des usagers locaux qui se mobilisent contre le développement de certains projets (Joris & Fallon 2009) ; tantôt de l’intégration des citoyens et riverains dans le développement et le pilotage de l’action publique, voire son évaluation (Fallon & Feron 2014). Il s’agit de mettre en évidence les effets réciproques des processus de rationalisation de l’action publique et de sa démocratisation tels qu’ils résultent de l’appropriation des nouveaux outils de management public et de mécanismes innovants de participation des citoyens et des usagers. Bibliographie Wayenberg E, Reuchamps M., Kravagna M. & Fallon C.. 2015 (Forthcoming) , Policy analysis at local level : steering from below ?, In Brans M & Aubin D., Policy Analysis in Belgium; The International Library of Policy Analysis, Book Series G. Joris and C. Fallon. 2009. L'administration dans un contexte de modernité radicale: quand les instruments de gestion doivent devenir source de ré!exivité. Pyramides 18 (2009): 55-72. C. Fallon and P. Feron. 2014. Quanti.cation des politiques versus démocratisation de l’évaluation : Etude des plans de cohésion sociale en Wallonie. In Usages des chiffres dans l’action publique territoriale. Edited by M. Mespoulet. Rennes, France: PUR, in press. Service public de l’emploi : Les agents de base entre indicateurs prégnants et éthiques professionnelles dans la mise en œuvre des normes d’activation Lavitry L. Aix Marseille Université A l’instar d’autres métiers de l’intervention sociale, le métier de conseiller à l’emploi connaît depuis 2005 en France des transformations importantes, qui passent à la fois par la « personnalisation » du service (un suivi dit personnalisé est assuré par un conseiller référent unique), par la mise en place de nouveaux outils de gestion, et par la modi.cation des normes de suivi des chômeurs. La fusion entre l’ANPE (chargée du placement des demandeurs d’emploi) et l’Assedic (chargée de l’indemnisation) entérine et complète une réorganisation institutionnelle entreprise depuis la loi de programmation pour la Cohésion Sociale en janvier 2005. Les nouvelles normes portent sur un contrôle renforcé des chômeurs indemnisés (Dubois et al, 2006) et un accompagnement individuel visant à un retour plus rapide vers l’emploi. Dans ce contexte, l’activité des intermédiaires des politiques publiques de l’emploi constitue un terrain privilégié d’observation pour rendre compte des transformations de l’État social vers un État social actif (Orianne, 2005), dont l’individualisation est un des leviers. A travers les résultats issus d’une enquête de thèse portant sur 200 rendez-vous entre conseillers et chômeurs, on souhaite montrer que les pratiques professionnelles des conseillers sont in!uencées par des indicateurs prégnants (Boussard, 2001) issus des outils de gestion (I), mais qu’elles révèlent également la construction par les conseillers de compromis sociaux, entre catégories gestionnaires et éthiques professionnelles (II). Dans un premier temps, on s’attachera à décrire le lien entre les outils de gestion inspirés par les nouvelles normes de suivi des chômeurs, et les manières dont les conseillers les intègrent dans leurs pratiques. Une étude quantitative des observations directes des entretiens entre conseillers et chômeurs révèle qu’une bonne partie des pratiques professionnelles observées est conforme à l’objectif d’augmenter le nombre d’offres d’emploi pourvues. Les actes les plus nombreux sont en effet liés aux indicateurs statistiques dominants : le nombre de mises en relation (nombre de positionnements des demandeurs d’emploi pour chaque offre d’emploi) et le nombre de demandeurs d’emploi dits « sans services », c’est-à-dire pour lesquels aucune prestation de courte durée n’a été proposée depuis un nombre 34 déterminé de mois. Ces actes professionnels s’accompagnent plus fréquemment d’un registre coercitif, à l’instar des offres sélectionnées en entretien par les conseillers, qui sont imposées aux chômeurs par plus de la moitié des conseillers observés. A l’inverse, le registre de la négociation est majoritaire pour certains critères qui ne font pas l’objet d’indicateurs aussi prégnants, portant sur les questions de mobilité kilométrique ou professionnelle, les prétentions salariales ou les types de contrats. Un autre aspect de la corrélation entre les indicateurs prégnants et les pratiques dominantes porte sur les pratiques de .ltrage qui apparaissent dans les conclusions d’entretiens que les conseillers remettent aux chômeurs reçus. Ces résultats pourraient donc permettre de conclure à une certaine « discipline », ou du moins la relative conformité des pratiques des agents de base aux injonctions issues du New public management couplé au politiques d’activation. Cependant, les observations révèlent également la construction de compromis sociaux, entre catégories gestionnaires, professionnelles et éthiques. Si le traitement des chômeurs est largement pré-construit par les catégories dont ils relèvent, et marqué par une économie morale de l’accompagnement à l’emploi (Lavitry, 2013), la mise en œuvre des normes d’activation n’a rien de mécanique. En même temps que ces normes instituent une coercition plus marquée, l’individualisation, même si elle est équipée, en amont comme en aval, offre un espace non négligeable aux professionnels pour y inscrire leurs propres normes, en s’appuyant notamment sur la dimension processuelle du suivi et la connaissance des situations personnelles par l’injonction biographique. Dans un second temps, on s’intéressera donc aux variations des jugements et contingences qui s’inscrivent dans plusieurs types de causalités : les normes locales propres à chaque agence, les logiques professionnelles entre éthique de l’accompagnement et éthique du placement, les zones de tension entre normes professionnelles et normes d’activation, les effets de la personnalisation du traitement, et la notion de coproduction dans les arènes de jugement sur l’emploi et la qualité de l’emploi. La comptabilisation des actes professionnels fait notamment apparaître des omissions, des zones grises dans la mise en œuvre des normes managériales, qui correspondent à la tension entre les normes nouvelles de l’activation, la formalisation d’actes auparavant laissés à l’appréciation des conseillers, et leur réinscription, ou leur invisibilisation, à l’intérieur des stratégies professionnelles. Les dispositifs des normes d’activation sont censés réduire l’incertitude sur la qualité des demandeurs d’emploi et élargir les critères de l’employabilité par les conseillers prescripteurs d’offres. Mais ils sont basés sur des présupposés dont la mise en œuvre s’avère délicate : déterminer la volonté, la motivation, la capacité à retrouver un emploi, correspond à des dé.nitions sur l’employabilité qui peuvent diverger car elles mettent en jeu des prescriptions issues des théories du chômeur calculateur. Les conventions légitimes du métier constituent des ressources tactiques et éthiques. Elles s’ajoutent à la personnalisation, qui intègre la notion de processus et favorise les variations et anticipations de jugement. 35 ST 8 : Etudier la transnationalisation et l’hybridation des discours et pratiques liés au genre La Marche mondiale des femmes : au-delà du réseau et du mouvement, un objet multi situé dif-cile à saisir 1 Dufour P., 2Conway J. Université de Montréal1, Brock University2 Cette communication s’inscrit dans l’axe 1 de l’appel à communication. Elle a pour objectif principal de ré!échir aux catégories d’analyse qui guident la sociologie des mouvements sociaux dans leur dé.nition de leur objet de recherche. En partant du cas, à notre avis, exemplaire, de la Marche mondiale des femmes, nous montrerons comment l’action collective transnationale de cet acteur mondial ne peut se résumer à une analyse de réseaux transnationaux, ni de mouvements. Actives à de nombreuses échelles de luttes, dans plus de 60 pays, les militantes de la Marche font vivre un ensemble complexe d’organisations formelles et de réseaux informel, en plus d’exister au niveau international et de créer par leurs actions une appartenance à un ensemble mondial. En partant de l’analyse préliminaire des coordinations nationales de la Marche, mise à jour en 2014 auprès de personnes clefs, nous tenterons d’approcher le phénomène Marche mondiale en mobilisant de manière croisée des outils de la géographie critique et de l’approche cognitive des mouvements sociaux. Sociohistoire de la genèse du champ transnational pour l’égalité à Bruxelles. L’Europe entre savoir sur le genre et politique Rosas E. Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Nous proposons une communication sur l’état des lieux de notre recherche de doctorat dont l’objectif initial est d’éclairer les conditions socio-historiques de la genèse d’un champ transnational spéci.que de l’égalité autour du centre politico-administratif européen à Bruxelles (1966-2010). Cet espace transnational interstitiel, composé d’un nombre relativement restreint d’acteurs permanents à Bruxelles, est historiquement un carrefour décisif de la production et de la circulation des normes juridiques, des « savoirs experts » et académiques en matière de genre, de discrimination et d’égalité. Nos travaux de recherche s’appuient sur les acquis de la sociologie politique de la construction européenne, qui a pour parti pris épistémologique de déconstruire le mythe très prégnant d’une « Europe » présente partout, tout en étant vraiment nulle part. Cette approche soucieuse d’historicité, fondée sur une sociologie de la connaissance (analyse des catégories) et l’analyse des trajectoires des agents et des groupes qui peuplent l’espace politique européen, donne des outils scienti.ques qui permettent, appliqués à la question du « genre », de lever un coin du voile sur le processus de construction des catégories de perception et de compréhension directement héritées de Bruxelles. A ce titre, l’objectif d’incarnation de l’espace politique européen nécessite une mise en perspective des représentations sur les institutions européennes et nous conduit à mettre à distance les grilles de lecture dominantes en science politique, qui fonctionnent souvent selon l’idée de multi-level governance et en termes d’échanges inter-institutionnels. Loin de rigidi.er la division entre acteurs institutionnels et non institutionnels, nous considérons les institutions sous la forme d’un espace de tractations, de négociations et de tensions sociologiques. C’est un axe épistémologique important de notre projet qui permet de donner à voir, en même temps, des acteurs qui formellement sont étiquetés comme noninstitutionnels ou qui sont quali.és d’acteurs périphériques (des groupes d’intérêts, des think tank, des avocats de causes, des réseaux académiques, des associations civiques, des entreprises), et des acteurs identi.ables comme institutionnels (hauts fonctionnaires européens, Commissaires européens, experts gouvernementaux). C’est d’autant plus essentiel que les études biographiques des acteurs qui investissent cet espace transnational bruxellois montrent les multiples points de passage et opportunités de cumul qu’offre l’investissement dans cet espace pour des acteurs en position intermédiaire béné.ciant de propriétés sociales multipositionnelles. Les premiers résultats d’enquêtes réalisées montrent que ces acteurs justi.ant d’une certaine permanence sociologique autour du centre politico-administratif bruxellois se situent aux interstices de plusieurs univers sociaux (académique, militant, politique, voire économique) à la fois nationaux, européens et internationaux. Nous proposons pour cette communication de porter à la discussion la boîte à outils méthodologiques, avec lesquels nous tentons de résoudre les dif.cultés inhérentes à la mise en place d’une enquête de sociologie politique sur un espace transnational. Nous expliquerons de manière circonstanciée en quoi le concept analytique de « champ faible » élaboré par Christian Topalov, accompagné d’un archipel d’outils conceptuels inspirés de la sociologie de Pierre Bourdieu (habitus, capital, champ, sens pratique, etc.), nous semble particulièrement bien ajusté à l’étude du transnational; et surtout en quoi cela permet un croisement particulièrement heuristique des études de genre et de la sociologie politique de l’Europe. 36 Puis nous reviendrons sur les perspectives ouvertes par un axe problématique de la thèse qui porte sur les usages sociaux et politiques de savoirs académiques. En effet la genèse d’un espace de professionnels de l’intermédiaire d’intérêts sur les questions d’égalité à Bruxelles, semble en lien historiquement avec l’émergence de formes de savoirs académiques à l’européenne liées aux études sur le genre et les discriminations. La connaissance experte des études académiques sur le genre et plus généralement sur les discriminations, mais aussi l’usage de savoirs juridiques tels que le droit communautaire de la non-discrimination, sont pour les acteurs permanents et semi-permanents du brussels complex un préalable commun pour investir cet espace transnational. Il nous faudra alors expliquer en quoi l’exigence d’historicité et de ré!exivité nous mène à envisager le genre à la fois comme une catégorie d’analyse critique du monde social, utile pour appréhender des dispositifs de naturalisation des rapports de domination ; mais surtout nous conduit, dans une autre mesure, à appréhender les discours sur le genre comme des « types d’énoncés » dont on peut faire l’histoire et la généalogie des usages dans la perspective d’une histoire sociale des idées. Pris dans cette seconde acception le genre devient en effet une catégorie de « savoir-pouvoir » qui recouvre des enjeux de luttes dé.nitionnelles entre les différents acteurs du champ. De ce point de vue, notre thèse s’inscrit pleinement dans la perspective épistémologique, notamment des recherches féministes et sur le genre, qui travaillent à répertorier les différentes conceptualisations des rapports de domination, à expliciter, problématiser et historiciser les outils théoriques élaborés pour signi.er les rapports de pouvoirs. Il me semble que cette littérature qui cherche à historiciser ses propres catégories d’analyse critique a jusqu’ici relativement ignoré Bruxelles comme lieu privilégié de production et de circulation des savoirs académiques en la matière. Devenir experte des droits des femmes et de l’égalité de genre. Une analyse sur le terrain est-européen saisi à travers des configurations transnationales Cirstocea I. CNRS-Université de Strasbourg Plutôt que de partir d’une dé.nition .gée de l’expertise, nous proposons un questionnement centré sur des processus de production des .gures du féminisme expert ainsi que sur les instances sociales à l’origine de leur consécration nationale et internationale. Il s’agit de la sorte de centrer la démarche analytique sur les apports des approches biographiques à l’étude des circulations internationales et multi-niveaux des normes de genre - une ré!exion développée aussi collectivement dans le cadre du projet ANR « GLOBALGENDER » (MISHA Strasbourg 2013-2015). En orientant la démonstration sur quelques trajectoires d’actrices rencontrées sur nos terrains est-européens et sur la base d’une analyse comparée de CV publics corroborés avec des éléments recueillis en entretien et/ou par le biais de la recherche documentaire, il s’agira de repérer les étapes et les modalités d’une socialisation féministe transnationale au croisement d’arènes académiques, politiques et bureaucratiques, ainsi que les différents supports de construction de la légitimité des porte-paroles régionales du genre institutionnalisé et globalisé, af.rmées pendant les années 1999-2000. 37 ST 9 : Ancien[s] et Nouveau[x]. Perspectives mémorielles et actuelles sur la délimitation et le contenu de la science politique, ‘francophone’ et internationale De la langue globale à la langue « locale ». La science politique francophone dans son environnement après cinquante ans Leca J. Sciences Po I La science politique dans son environnement intellectuel et matériel. 1/ Quelles sont les conditions historiques et leurs perceptions qui ont affecté la science politique et comment ? 2/ Comment est-vue la science politique par l’opinion « éclairée » du double point de vue de sa « scienti.cité » et de sa pertinence ? 3/ Les politiques universitaires ont-elles été accompagnées des mêmes effets généraux en matière d’organisation et de visibilité de la profession ? 4/ Comment est enseignée la science politique dans les milieux « anglophones » ? Y a-t-il une spéci.cité de la langue « locale » (en l’espèce le français) ? Par exemple y a-t-il des « politiques publiques à la française » ou bien font-elles partie d’une « conversation internationale » ? II La science politique « substantielle ». 1/Les domaines généralement balisés ont-ils évolué et vu leurs frontières bouleversées ? Que sont devenues les théories de l’Etat, du « système politique », du « système international » ? L’extension d’une « politique sans frontières » a-t-elle in!uencé les études comparatives et internationales ? Les méthodes quantitatives ont-elles évolué et pourquoi sont-elles relativement sous-représentées ? La méthode ethnographique est-elle devenue dominante? Pourquoi la sociologie analytique est-elle ignorée ? 2/ Six changements ? i/ L’explosion des sources favorise-elle la fragmentation de la discipline en même temps qu’elle fournit une base à la notion d’ « indiscipline » ? ii/ Le « retour de l’histoire » et l’apparition de la « global politics ». iii/ Le[s] « tournants[s] [néo-]institutionnalistes » iv/ Le « tournant discursif » v/ Les « Big data » comme instruments de théorie et de recherche et comme instruments d’action politique vi/ Le retour de la philosophie politique Vers une cartographie inclusive des méthodes en science politique contemporaine : enquête auprès des enseignants de la ECPR Methods School 1 Rihoux B., 2Blanchard P., 1Alamos Concha P. Université catholique de Louvain1, University of Warwick2 Comment mettre en ordre l’offre actuellement très diverse de méthodes en science politique ? Cartographier des méthodes (‘methods mapping’) consiste à les localiser les unes par rapport aux autres dans le même espace de propriété. Une telle approche permet de dépasser d’autres approches (monographiques, ‘mixtes’ ou encyclopédiques) car une ‘carte des méthodes’ permet de visualiser de manière systématique l’ensemble des méthodes de la discipline, ainsi que leurs contrastes, similitudes et complémentarités. Cinquante enseignants, impliqués dans la ECPR Methods School et couvrant une très large diversité de méthodes, ont répondu à un questionnaire d’enquête au sujet de leur méthode de spécialisation, autour de 17 dimensions considérées comme structurantes dans la littérature. Les résultats de l’analyse nous apprennent que le clivage ‘qualitatif-quantitatif’ apparaît structurant, mais pas aussi fortement que d’aucuns le suggèrent. Les cours ‘quantitatifs’ constituent une grappe (cluster) assez cohérente, tandis que les cours ‘qualitatifs’ sont caractérisés par une forte diversité en termes de matériau empirique, d’échelles d’observation, de techniques et d’épistémologies. Au .nal, l’espace actuel de méthodes en science politique est structuré par un plus grand nombre de dimensions que ne le suggèrent les typologies habituelles. Sur base de la ‘carte des méthodes’, nous identi.ons également des combinaisons émergentes de méthodes, ainsi que de nouvelles perspectives qui permettraient d’enseigner les méthodes de manière moins cloisonnée. 38 Livre « Fondements de science politique »; MOOC edX: Découvrir la science politique Schif.no-Leclercq N. UCL Co-auteur d'un nouveau manuel en science politique intitulé "Fondements de science politique", et responsable du MOOC "Découvrir la science politique" pour la plateforme edx créée par Harvard et MIT, l'auteur se propose de participer à la table ronde de la session 2, modérée par B. Rihoux. L'auteur y présentera les résultats collégiaux du manuel et du MOOC qui ont été, l'un et l'autre, produits par des équipes de professeurs en science politique. Les politiques publiques : vecteurs de nouvelles normativités sociales Simard C. Université du Québec à Montréal D’une part, la capacité des États contemporains semble sans limites. D’autre part, bien que de nombreux écrits avancent la thèse de la .n de l’État providence ou celle de son retrait, ils peinent à en démontrer le bien-fondé. À partir d’une question fort simple, à savoir l’examen des effets des politiques publiques, demandons-nous en quoi l’analyse de l’action publique des États modernes demeure si féconde, non seulement auprès des politologues, mais également des juristes, des économistes, des historiens et des gestionnaires. Je répondrai à mon interrogation en revisitant les concepts de cohérence politique, de pouvoir et de changement. Mon propos sera illustré par des controverses récentes où la concrétisation de compromis a contribué à l’émergence de nouvelles normes positives. Seront notamment examinées « les politiques de l’intime » ; la mise à l’agenda de ces dernières, mais surtout leur multiplication, risquant de mettre à mal un des fondements de l’analyse de l’action publique, la distinction public/privé. S’il est vrai que le «privé est politique» comme continuent de le clamer les féministes, les implications d’un tel mantra sur l’action publique d’une part et sur l’analyse des politiques publiques d’autre part nous obligent à en prendre la mesure. L’analyse des rapports sociaux, qu’ils soient de classe, d’ethnie ou de genre, repose entre autres sur le rôle central des rapports de pouvoir ; leur apport ne peut être remis en question. Cela étant, en vue d’explorer des interrelations nouvelles, les concepts de cohérence politique et de changement seront également mis à pro.t au nom d’une sorte de pluralisme explicatif. La science politique est-elle une science de l’observation des faits politiques ? Tournay V. Sciences po Les grands domaines et objets de la science politique (groupes et partis, politiques publiques, institutions politiques et administratives, régimes, mobilisations, changements politiques, transitions, organisations internationales etc.) sont-ils, quelle que soit l’approche adoptée, décrits et appréhendés selon des méthodes d’investigation susceptibles d’être rapportées à une science de l’observation des faits politiques ? Ou devons-nous plutôt considérer que ces objets, qui nous sont pourtant familiers (au moins par le langage), s’inscrivent dans une taxinomie arti.cielle de communautés basées sur des propriétés générales et/ou sur leurs champs d’application (taille, (dé)-cloisonnement sectoriel, programmes ou objectifs poursuivis, agencement stabilisé, rhétorique de continuité ou du changement). Ces arti.ces classi.catoires auraient alors pour fonction de faciliter l’analyse et de décrire de façon partagée le monde qui nous entoure. Sortir de ce dilemme suppose de considérer que les objets de la science politique (et plus largement de la sociologie) ne peuvent pas être appréhendés de façon similaire aux phénomènes vivants car ils ne correspondent pas à des faits bruts comme le rappelle John Searle. Contrairement à la mécanique physique et à la vie biologique, les catégories que nous utilisons pour décrire les communautés humaines et leurs transformations ont une existence et des propriétés qui dépendent des croyances des interprètes ainsi que des descriptions qui peuvent en être données. Un chat est un fait qui existe indépendamment de notre croyance tandis qu’un billet vert équivaut à un dollar parce qu’on lui a collectivement attribué une valeur quanti.able. Cet accord conventionnel attribue une existence objective au fait politique qui repose sur une expérience partagée (lequel a ainsi une double réalité : comme objet de pensée et objet matériel) L’idée de cette communication est de montrer que les méthodes qui alimentent la science politique (et qui s’affrontent : analyses quantitatives multivariées vs approches ethnographiques et pragmatiques par exemple) s’accompagnent de divergences, voire d’incompatibilités très fortes au niveau de l’ontologie des objets investis par ces méthodes sans toutefois parvenir complètement à renoncer à les appréhender comme fait brut (ainsi, le simple fait de désigner une institution, un régime ou une politique publique est un acte de labellisation d’une unité, d’une totalité achevée et extérieur à « l’opinion »). Cette particularité a pour conséquence : 1) La multiplication des implicites explicatifs dans les catégories usuellement employées au sein de la discipline. Pour montrer ces incompatibilités , on peut partir du débat Latour/Favre dans la RFSP en soulignant différentes lignes de désaccord par ordre d’importance a) la nature et l'organisation a priori de la réalité (ontologie) - la dé.nition même de ce qu’est une société, dans ce qu’il est essentiel d’en dire et dans les catégories que nous devons utiliser pour discuter 39 du politique - qui sépare Pierre Favre de Bruno Latour. b) l’espace de validité de la critique scienti.que qui ne se situe pas sur un même plan (action en train de se faire BL/ce que le monde est advenu PF). c) La dialectique du semblable et du différent. d) L’idée de cause .nale et la place de l’intentionnalité des acteurs dans la compréhension des phénomènes sociaux. e) L’échelle d’observation des faits politiques. - 2) une dif.culté à prendre en compte l’expérience ordinaire comme motif structurant d’un objet politique (lequel n’est pas une forme donnée spatialement repérable, modi.able et évoluant par épigénèse relationnelle) - 3) une limite sérieuse à la mesure de l’évaluation de l’ef.cacité et des objectifs d’un groupe, d’une institution ou d’une politique publique en raison de la pluralité des publics ainsi que des rationalités multiples et continument évolutives. - 4) un risque sérieux face à l’exigence croissante de scienti.cité des études du politique accentuée par la rivalité mimétique des sciences sociales avec les sciences « exactes ». La tentation d’assimiler les objets politiques à des faits bruts est importante car elle s’appuie sur des voies de théorisation provenant des sciences exactes ou de la biologie évolutive. Dépasser ce ré!exe analytique reste une gageure car l'essentiel de nos cadres de pensée sont marqués par les logiques explicatives issues des "sciences exactes". Si les modèles évolutionnistes inspirés de la biologie évolutive évitent d’apporter une .guration statique des phénomènes institutionnels par exemple, ils ne parviennent pas à résoudre le problème de l’institution envisagée comme fait brut. Le Dictionnaire des politiques publiques : af-rmation de soi et dialogues d’une sous-discipline au cœur de la science politique 1 Boussaguet L., 2Jacquot S., 3Ravinet P. Sciences Po / Rouen 1, Lille 2 3, Sciences Po2 Si l’on fait la genèse de cet ouvrage collectif, « manuel » atypique de science politique qui prend la forme d’un dictionnaire, elle repose sur une double exigence, apparemment contradictoire : l’af.rmation d’une sous-discipline montante de la science politique, l’analyse des politiques publiques, d’une part ; et la mise en perspective intellectuelle et internationale de ce champ d’étude d’autre part, avec le croisement des approches et le dialogue entre courants d’analyse et entre disciplines. Notre communication s’arrêtera d’abord sur le format de dictionnaire choisi pour cet ouvrage. Ce choix participe bien sûr d’une dynamique d’af.rmation : la publication d’un dictionnaire veut marquer un certain degré de délimitation et d’institutionnalisation de l’analyse des politiques publiques. Mais, par rapport à un manuel présentant plus traditionnellement quelques grandes approches ou questions, il renvoie aussi à une certaine façon de voir la théorie – la métaphore de la boîte à outils étant tout particulièrement adaptée pour une discipline riche en développements théoriques mais souvent jugée jargonnante. A cet égard, il faut noter que le dictionnaire des politiques publiques comprend exclusivement des entrées théoriques (et aucune entrée sectorielle notamment), ce qui le différencie d’autres ouvrages du même format en science politique – et prouve au passage que les concepts, quand on les décortique et les explique, ne rebutent pas tant les étudiants qu’on le croit parfois, les ventes du dictionnaire l’attestent. On ne peut d’ailleurs pas ré!échir au format dictionnaire-boîte à outils comme mise en scène de la discipline pour les étudiants sans poser la question de l’évolution des pratiques de lecture. Au-delà de leur qualité en termes de substance, le nombre et le succès de dictionnaires de science politique parus depuis 10 ans (dictionnaire du vote, des politiques locales, du genre, …) renvoient à un usage plus immédiat et plus ciblé de la littérature chez les étudiants (et les chercheurs ?) et témoignent sans doute des modes de défrichage d’un champ de connaissance et de construction d’argumentation imprégnés par le ré!exe de la recherche de mots clés dans un moteur de recherche. Notre communication reviendra ensuite sur le choix de tenir ensemble un état des lieux de l’analyse des politiques publiques, à travers sa « boîte à outils » spéci.que en l’articulant explicitement aux autres domaines de recherche en science politique – loin donc de la construction d’un isolat analytique. En montrant son évolution, des policy sciences des débuts, à la sociologie de l’action publique plus récemment, l’idée était tout à la fois de circonscrire et délimiter cette sous-discipline, tout en soulignant son inscription pleine et entière dans la science politique, ses similitudes avec la sociologie politique, et ses rapports fructueux avec d’autres approches ou champs d’étude (études européennes, sociologie des organisations, études de genre, relations internationales, etc.). A.n de nourrir les discussions lors de cette session en forme de table-ronde, nous reviendrons par ailleurs sur les autres partis-pris, à nos yeux essentiels, qui ont également guidés l’élaboration du Dictionnaire des politiques publiques. Tout d’abord, l’ouverture internationale (que ce soit en termes de concepts représentés, mais aussi en termes de regards et de contributeurs et contributrices) et la volonté de dialogue avec ce que nous avions appelé l’analyse des politiques publiques « ailleurs », en dehors des sociétés occidentales (comme champ académique et/ou comme objet de recherche). Ensuite, la représentation, au sens plein, d’une discipline ouverte et dynamique, qui s’appuie bien sûr sur les travaux de ceux que l’appel à communication nomme les « seniors », et qui, dans le même temps, fait place aux « juniors », c’est-à-dire les jeunes chercheur.e.s et les doctorant.e.s (que nous étions nous-mêmes alors) qui utilisent et font vivre les concepts de l’analyse des politiques publiques dans leurs travaux. Les manuels de science politique ont-ils un avenir ? A quoi servent les MOOC en science politique ? Schemeil Y. Grenoble Les sites web permettent aujourd’hui de choisir et de stocker des textes téléchargeables en grande quantité, avec la 40 possibilité de les commenter par écrit ou en audio (voire en vidéo). On peut aussi utiliser ces sites pour actualiser des écrits dont la vitesse d’obsolescence s’accélère plus vite qu’il n’y a d’éditions successives d’un ouvrage imprimé. Quel est l’avantage comparatif du manuel par rapport à ces nouveaux supports ? Va-t-on vers une combinaison livre imprimé acheté/annexes vidéo téléchargeables sur abonnement entre deux éditions de l’ouvrage ? Quelle sera la place des manuels spécialisés de petit format par rapport aux manuels de synthèse qui tendent à devenir de plus en plus volumineux ? Comment résisteront-ils aux encyclopédies de sciences sociales de mieux en mieux faites, comme celle de l’IPSA dont les entrées permettent de combler toutes les lacunes possibles dans la formation des étudiants ? Comment les manuels de tout acabit résisteront-ils aux MOOC, sachant que les manuels qui sont les plus vendus comportent des exercices avec des corrigés (notamment dans le monde anglophone) comme le proposent les MOOC sur une autre échelle ? Des cours en ligne massivement diffusés sont en effet réalisés ou vont bientôt l’être dans le monde francophone en science politique. Le vecteur est source d’innovation. Reste à savoir si des MOOC en français peuvent avoir une originalité et s’ils ont un public suf.sant pour assurer leur avenir. Les MOOC peuvent compléter les offres de formation et d’orientation ou s’y substituer. Ils peuvent remplacer les manuels ou aider les apprenants à mieux préparer leur rencontre avec leurs enseignants. 41 ST 10 : Methodology Comparative Process Tracing: A Methodological Framework for Integrating QCA and Process Tracing 1 Gemperle S., 2Williams T. Universität Basel1, Universität Marburg2 Bringing together recent developments in the methodological literature on case selection in multi-method research, design of process tracing studies and the relevance of temporality in the explanation of political processes, this article presents an extension of set-theoretic multi-method research by introducing a comparative process tracing framework based on fuzzy-set Qualitative Comparative Analysis. To facilitate case selection for comparative process tracing, different types of cases in Qualitative Comparative Analysis are de.ned. The comparative process tracing framework, then, speci.es the types of cases to be compared in theory-testing or theory-building process tracing designs where the emphasis lies on the elaboration of the importance of timing and sequencing of conditions leading to an outcome. Classifying Cases in Political Science : Bringing Cluster Analysis in 1 Schnabel J., 1Wirths D. Lausanne1 Ideal types, Archetypes and Categories are widely used in political science research to de.ne concepts and classify cases. The number of methodological tools available for classi.cation, however, is rather small. As recently as in 2014, Filho et al. pointed out that Cluster Analysis is still hardly used when it comes to developing typologies in political science. Rather, political scientists rely on more on intuitive methods or factor analysis. Our paper argues that Cluster Analysis is of great usefulness because it a) focuses on the relationship between cases and not variables and b) draws on empirical data when identifying the clusters. Our paper provides two original examples from Comparative Politics and Public Policy Analysis that illustrate the strength of Cluster Analysis both in testing and generating hypotheses through the establishment of typologies. Looking at Intergovernmental Councils in federal systems, the .rst example shows how Cluster Analysis can be used to test independent variables in order to check if the indicator they represent makes sense and de.ne types of cases based on only those indicators that turn out to matter. The result of the Cluster Analysis, hence, helps to adapt the initial theory. The second example classi.es evaluation clauses in Swiss laws to de.ne the dependent variable and, based on that, develops hypotheses for further analysis. The examples show that Cluster Analysis outperforms more intuitive typologies in managing a large number of cases and variables. Because typologies established through Cluster Analysis rely on a straightforward methodology based on mathematical algorithms, the overall validity of such a typology is higher than more intuitive forms of typology creation such as explanatory typologies. This is because outcomes are easily replicable (reliability), because independent variables are tested for their signi.cance (internal validity) and because the outcome of the cluster analysis offers criteria for the selection of typical cases (“the best of its class”, external validity) for subsequent analysis, e.g. case studies. The fact that Cluster Analysis does not rely on statistical assumptions such as a normal distribution, as does factor analysis as another type of multivariate analysis, but bases its operations on measures of similarity and dissimilarity further increases the validity of results. Measuring the Tonality of Negative Campaigning : A Sentiment Analysis with Crowdcoding 1 Haselmayer M., 1Jenny M. University of Vienna1 In multi-party systems parties have to take future coalition negotiations into account when deciding whom to attack in an election campaign. This paper proposes a new semi-automated procedure for measuring the tonality of negative campaigning by parties, based on a dictionary of negative political vocabulary and crowd-coding the sentiment strength of sentences. We present the basic steps of our measurement procedure and compare initial results with results from manual expert coding. Campaign research in political science has explored the reasons, the timing and the effects of rhetorical attacks on political opponents in election campaigns on vote choice and turnout (e.g.: 1995; Ansolabehere et al. 1994; Finkel and Geer 1998; Lau and Rovner 2009). Studies of negative campaigning initially focused on US elections with a two-party system, but recently extended to European multi-party systems which exhibit more strategic complexity and frequently require the formation of coalition governments. From a vote-maximizing perspective negative campaigning may pay off for parties on election day, but then fail to translate into the much more valuable seats at the government table later (Elmelund-Praestekaer 2008; Walter 2012). Sentiment analysis or opinion mining (see Liu 2012 for reviews; Pang and Lee 2008) has immense potential for the analysis of political communication and computational linguists have occasionally ventured into the study of political texts. They analysed parliamentary speeches to determine the support for legislative proposals (Thomas, Pang and Lee 2006) and studied issue positions in online debates (Somasundaran and Wiebe 2010). Political scientists have also 42 introduced a variety of automated text analyses procedures to political science during the last two decades (Hopkins and King 2010; Laver, Benoit and Garry 2003; Quinn et al. 2006; Schonhardt-Bailey 2008; Slapin and Proksch 2008; Van Atteveldt 2008; Young and Soroka 2012). Two major approaches dominate sentiment analysis (Wang et al. 2014). The dictionary based approach assembles a set of words or phrases and establishes their polarity and intensity. The polarity and intensity of larger textual units is then calculated from these dictionary entries (Lu et al. 2010; Momtazi 2012; Neviarouskaya, Prendinger and Ishizuka 2007; Taboada et al. 2011; Thelwall, Buckley and Paltoglou 2012; Thelwall et al. 2010). A classi.cation-based approach starts out from a set of pre-annotated sample of texts, e.g. rated movie reviews, and processes these with a statistical learning algorithm (Pang, Lee and Vaithyanathan 2002; Turney 2002). The algorithm calculates word polarity and intensity based on word occurrence and patterns in the training set and parameter estimates are then used for the sentiment calculation of new texts. Hybrid approaches assign sentiment strength scores to dictionary words based on their cooccurence in texts with initial sets of pre-annotated ‘seed words’ (Hopkins and King 2010; Remus and Hänig 2011; Remus, Quasthoff and Heyer 2010). The measurement procedure presented in this paper is in the dictionary-based tradition. We describe the basic features of our semi-automated approach for measuring the strength of negative sentiment expressed by Austrian political parties in press releases during the last national election campaign of 2013. We create a sentiment dictionary of negative words extracted from political texts and media reports. Through crowdcoding we establish the negative sentiment strength of individual dictionary items in real political statements and then use the dictionary to establish the tonality of uncoded negative statements. We compare the results from this rule-based estimation approach with results from manual expert coding of a sample of statements. Bibliography Ansolabehere, Stephen, and Shanto Iyengar. 1995. Going Negative: How Attack Ads Shrink and Polarize the Electorate. New York: Free Press. Ansolabehere, Stephen, Shanto Iyengar, Adam Simon, and Nicholas Valentino. 1994. "Does Attack Advertising Demobilize the Electorate." American Political Science Review 88(4):829-38. Elmelund-Praestekaer, Christian. 2008. "Negative Campaigning in a Multiparty System." Scandinavian Political Studies 31(4):408-27. Finkel, Steven E., and John G. Geer. 1998. "A Spot Check Casting Doubt on Demobilizing Effect of Attack Advertising." American Journal of Political Science 42(2):573-95. Hopkins, Daniel J., and Gary King. 2010. "A Method of Automated Nonparametric Content Analysis for Social Science." American Journal of Political Science 54(1):229-47. Lau, Richard R., and Ivy Brown Rovner. 2009. "Negative Campaigning." Annual Review of Political Science 12(1):285-306. Laver, Michael, Kenneth Benoit, and John Garry. 2003. "Extracting policy positions from political texts using words as data." American Political Science Review 97(2):311-31. Liu, Bing. 2012. Sentiment Analysis and Opinion Mining. San Rafael: Morgan & Claypool. Lu, Yao, Xiangfei Kong, Xiaojun Quang, Wenyin Liu, and Yinlong Xu. 2010. "Exploring the sentiment strength of user reviews." Lecture Notes in Computer Science 6184/2010:471-82. Momtazi, Saeedeh. 2012. "Fine-grained German Sentiment Analysis on Social Media." Pp. 1215-20 in Proceedings of the 8th International Conference on Language Resources and Evaluation, 23-25 May. Istanbul, Turkey. Neviarouskaya, Alena, Helmut Prendinger, and Mitsuru Ishizuka. 2007. "Textual Affect Sensing for Sociable and Expressive Online Communication." Pp. 218-29 in Proceedings of the 2nd international conference on Affective Computing and Intelligent Interaction, September 12-14. Lisbon, Portugal. Pang, Bo, and Lillian Lee. 2008. "Opinion Mining and Sentiment Analysis." Foundations and Trends in Information Retrieval 2(1):1-90. Pang, Bo, Lillian Lee, and Shivakumar Vaithyanathan. 2002. "Thumbs Up? Sentiment Classi.cation Using Machine Learning Techniques." Pp. 79-86 in Conference on Empirical Methods in Natural Language Processing (EMNLP2002), July 6-7. Philadelphia, Pennsylvania. Quinn, Kevin M. , Burt L. Monroe, Michael Colaresi, and Michael H. Crespin. 2006. "An Automated Method of TopicCoding Legislative Speech Over Time with Application to the 105th-108th U.S. Senate." in Annual Meeting of the American Political Science Association. Philadelphia, PA. Remus, Robert, and Christian Hänig. 2011. "Towards well grounded phrase level polarity analysis." Pp. 280-392 in 12th International Conference on Intelligent Text Processing and Computational Linguistics (CICLing-2011), February 2026, edited by Alexander Gelbukh. Tokyo, Japan. Remus, Robert, Uwe Quasthoff, and Gerhard Heyer. 2010. "SentiWS – a Publicly Available German-language Resource for Sentiment Analysis." in Proceedings of the 7th International Language Ressources and Evaluation (LREC 2010). Valletta, Malta. 43 Schonhardt-Bailey, Cheryl. 2008. "The Congressional Debate on Partial-Birth Abortion: Constitutional Gravitas and Moral Passion." British Journal of Political Science 38:383-410. Slapin, Jonathan B., and Sven-Oliver Proksch. 2008. "A Scaling Model for Estimating Time-Series Party Positions from Texts." American Journal of Political Science 52(3):705-22. Somasundaran, Swapna, and Janyce Wiebe. 2010. "Recognizing Stances in Ideological On-Line Debates." Pp. 116–24 in Proceedings of the Workshop on Computational Approaches to Analysis and Generation of Emotion in Text (NAACL HLT 2010), June 5. Los Angeles, California: Association for Computational Linguistics. Taboada, Maite, Julian Brooke, Milan To.loski, Kimberly Voll, and Mandred Stede. 2011. "Lexicon Based Methods for Sentiment Analysis." Computational Linguistics 37(2):267-307. Thelwall, Mike, Kevan Buckley, and Georgios Paltoglou. 2012. "Sentiment strength detection for the social web." Journal of the American Society for Information Science and Technology 63(1):163-73 Thelwall, Mike, Kevan Buckley, Georgios Paltoglou, Di Cai, and Arvid Kappas. 2010. "Sentiment strength detection in short informal text." Journal of the American Society for Information Science and Technology 61(12):2544–58. Thomas, Matt, Bo Pang, and Lillian Lee. 2006. "Get out the vote: Determining support or opposition from Congressional !oor-debate transcripts." Pp. 327-35 in Proceedings of the 2006 Conference on Empirical Methods in Natural Language Processing, 22-23 July 2006, , edited by Éric Gaussier Dan Jurafsky. Sydney, Australia. Turney, Peter. 2002. "Thumbs Up or Thumbs Down? Semantic Orientation Applied to Unsupervised Classi.cation of Reviews." Pp. 417-24 in Proceedings of the 40th Meeting of the Association for Computional Linguistics, July 6-12. Philadelphia, Pennsylvania. Van Atteveldt, Wouter. 2008. "Semantic Network Analysis. Techniques for Extracting, Representing, and Querying Media Content." in Department of Political Science: Vrije Universiteit Amsterdam. Walter, Annemarie S. 2012. "Negative Campaigning in Western Europe: Beyond the Vote-Seeking Perspective." in University of Amsterdam. Zutphen: University of Amsterdam. Wang, Hongwei, Pei Yin, Lijuan Zheng, and James N. K. Liu. 2014. "Sentiment classi.cation of online reviews: using sentence-based language model." Journal of Experimental & Theoretical Arti.cial Intelligence 26(1):13-31. Young, Lori, and Stuart Soroka. 2012. "Affective News: The Automated Coding of Sentiment in Political Texts." Political Communication 29(2):205-31. 44 ST 11 : Philanthropie : affaires privées, enjeux publics La lutte publique contre la tuberculose à l’épreuve des réseaux d’assistance philanthropiques : la Catalogne républicaine 1931-1936 Miralles Buil C. Université Lyon 2 Cette communication rend compte des enjeux que soulève l’effort de coopération entre les autorités publiques catalanes et les œuvres philanthropiques dans le cadre de la lutte antituberculeuse dans l’Espagne républicaine. L’avènement de la Seconde République en Espagne (1931) induit un double transfert de compétences vers la Generalitat de Catalunya : descendant, depuis l’État et ascendant depuis les provinces. Ce renforcement institutionnel et politique encourage la Generalitat à se lancer dans un grand projet de « refonte » des services d’assistance de prise en charge sociale et médicale. Dans le cas de la lutte antituberculeuse, cette stratégie passe par création du Service d’assistance sociale aux tuberculeux et vise à structurer la lutte en connectant entre eux les différents organismes publics et privés. Bien qu’il ne s’agisse pas de faire concurrence aux réseaux privés d’assistance (associations philanthropiques, laïques ou religieuses) ces dernières perçoivent largement ce volontarisme comme une intrusion des pouvoirs publics dans leur « chasse gardée ». Les motifs de cette mé.ance sont multiples : des controverses politiques, universalisme vs charité, mais aussi d’ordre socio-médical, modalité de traitement et de prise en charge. Malgré la centralité de ces enjeux, les historiens qui se sont penchés sur cet épisode de l’histoire institutionnelle catalane ne les ont que peu étudié (1). A l’inverse, plusieurs historiens français ont mis en évidence, dans d’autres contextes et cadres géographiques, une situation plus complexe que la simple concurrence entre assistance privée/traditionnelle et assistance publique/moderne (2). Ils ont montré comment la prise en charge publique, arrivée a posteriori, vient souvent compléter un réseau privé, en insistant sur la nécessité de changer d’échelle et d’observer l’interpénétration des réseaux (3). Dans le cas catalan, si les tensions existent réellement, il n’en demeure pas moins qu’une réelle collaboration prend forme en deçà des réseaux de soins, et est perceptible à l’échelle des acteurs individuels. Pour rendre compte de ces transformations, une approche centrée sur les mutations institutionnelles doit être complétée par une étude des stratégies à l’échelle individuelle. A ce titre les carrières médicales des patients nous informent sur les stratégies déployées par les médecins pour pallier aux insuf.sances structurelles. En effet, ces patients circulent entre des lieux de soins privés et publics, religieux ou laïcs au gré des lits disponibles. Ces circulations témoignent de l’importance des réseaux de sociabilité des médecins dans la construction de lutte antituberculeuse. En.n, l’apparition de nouveaux acteurs de la philanthropie change aussi la donne. Aux associations de lutte antituberculeuse contrôlées par des comités de Dames et souvent créées sous le patronage de l’Église catholique, se superposent de nouveaux acteurs laïcs, telles l’œuvre sociale de la Caisse de Pensions par exemple, dont la logique de prise en charge semble plus proche de celle de la Generalitat. C’est souvent avec ces nouveaux acteurs que les autorités publiques doivent et veulent s’accorder, considérant ces généreux donateurs comme plus aptes à prendre en compte des logiques médicales modernes. Pour étudier ces points, nous nous appuierons sur une étude des discours des médecins et des autorités de la Generalitat, croisée avec les informations disponibles dans les .ches cliniques des lieux de soins barcelonais, qui nous permettent de suivre les parcours des patients mais aussi d’observer la correspondance des médecins (4). Nous porterons une attention particulière aux acteurs individuels, en nous intéressant à la mise en place d’une politique publique par le bas. S’il s’agit d’apporter un éclairage historique à travers un cas d’étude précis, nous sortirons volontiers du cadre catalan pour proposer des points de comparaison et développer une ré!exion plus générale. Dans un premier temps nous montrerons comment la Generalitat tente de connecter les différents organismes de lutte antituberculeuse dans une structure qu’elle dirige, pour ensuite passer à l’échelle des acteurs et observer une collaboration entre médecins. En.n, nous ré!échirons au sens que prend l’apparition des « nouveaux philanthropes ». Bibliographie 1. HERVÁS I PUYAL Carles, Sanitat a Catalunya durant la República i la Guerra Civil : política i organització sanitàries: l'impacte del con!icte bèlic, thèse dirigée par TERMES I ARDÈVOL Josep, Universitat Pompeu Fabra. Institut Universitari d'Història Jaume Vicens Vives, Barcelona, 2004. SABATE I CASELLAS, Ferrán, Política sanitària i social de la Mancomunitat de Catalunya (1914-1924), thèse de doctorat dirigée par CORBELLA I CORBELLA, Jacint, Facultat de Medicina, Universitat de Barcelona, 1993. 2. DUPRAT, Catherine, Usages et pratiques de la philanthropie. Pauvreté, action sociale et lien social, à Paris au cours du premier XIXe siècle, Comité d’histoire de la sécurité sociale, 2 volumes, Paris, 1996-1997, 1398 p. MAREC, Yannick, Bienfaisance communale et protection sociale à Rouen (1796-1927). Expériences locales et liaisons nationales, La Documentation française/Association pour l'étude de la l'histoire de la Sécurité sociale, 2 tomes, Paris, 2002, 1362 p. GUESLIN, André, GUILLAUME, Pierre, (dir.), De la charité médiévale à la sécurité sociale, Paris, Les Editions Ouvrières, 1992, 337 p. 45 3. GUESLIN, André, GUILLAUME, Pierre, (dir.), De la charité médiévale à la sécurité sociale, Paris, Les Editions Ouvrières, 1992, 337 p. BEC, Colette, L’assistance en démocratie, Les politiques assistantielles dans la France des XIXe et XXe siècles, Belin, Paris, 1998, 254 p. 4. Voir ma thèse de doctorat d’Histoire : La tuberculose dans l’espace social barcelonais : 1929-1936, dirigée par JeanLuc Pinol (ENS de Lyon) José Luis Oyón (UPC), soutenue le 18 juin 2014. Les fondations d’origine bancaire en Italie : quel rôle dans le domaine culturel ? Quercia F. Lyon 2 Les fondations d’origine bancaire représentent en Italie les acteurs philanthropiques les plus importants. Nées dans les années 90, elles sont le résultat d’importantes transformations déclenchées par la loi 218/1990, visant à moderniser le système bancaire italien. Nées d’anciennes banques, au début leur mission principale consistait dans la possession d’actions dans les banques d’origine. Au .l des années, leur vocation philanthropique s’est accrue et on a assisté à un processus d’autonomisation des fondations des banques d’origine (Barbetta, 2013). La naissance de ces organisations a suscité de nombreux débats, concernant leur rôle ambigu, ainsi que leurs relations avec les banques et les pouvoirs publics. Aujourd’hui, dans un contexte de retrait de l’Etat dans plusieurs domaines publics, ces débats sont d’autant plus actuels, car les fondations revendiquent un rôle central. Dans cette communication, nous analyserons le rôle que ces fondations jouent dans un secteur spéci.que de l’action publique : le secteur culturel. En nous appuyant sur une enquête ethnographique menée à Turin depuis trois ans, nous proposerons plusieurs questionnements. Nous commencerons par questionner les relations que ces fondations entretiennent avec les pouvoirs publics (Schuyt, 2010 ; Lefèvre et Charbonneau, 2011) pour ensuite analyser les conséquences des processus de délégation aux fondations d’un ensemble de services publics sur le fonctionnement des associations (Lambelet, 2011) dans le champ culturel. En.n, nous nous demanderons : quelles sont les représentations que ces associations ont de ces nouveaux .nanceurs ? Quel type de discours mobilisent-elles a.n d’obtenir des .nancements, et quelles relations entretiennent-elles avec eux ? Un exemple de coproduction de l’intérêt général entre privé et public : la reconnaissance d’utilité publique des associations et fondations en France Gaboriaux C. Sciences Po Lyon J’aimerais ici partir du titre donné à la séquence, « les usages philanthropiques de la reconnaissance étatique », qui me semble une bonne entrée en matière dans la problématique soulevée par le cas français. La question des « usages » y est en effet rarement posée, dans la mesure où la reconnaissance étatique apparaît moins comme une ressource mobilisable ou non en fonction des stratégies adoptées par les associations philanthropiques qu’une nécessité pour les groupements dès lors qu’ils aspirent à se développer et qu’ils ont besoin à cette .n de moyens d’action élargis. C’est que la capacité juridique des associations et donc leurs moyens de .nancement, croissent en fonction du degré de reconnaissance étatique dont ces dernières béné.cient. Sans surprise dans un pays souvent taxé de jacobinisme, l’État semble donc sinon tout-puissant, du moins en position d’arbitre dans le développement de la philanthropie. La pratique administrative appelle pourtant à nuancer le jugement. Je tenterai de le montrer à partir de la procédure de reconnaissance d’utilité publique des associations et des fondations telle qu’elle fonctionne depuis 1901, date à laquelle la loi relative aux associations en fait le dernier degré de la hiérarchie des statuts juridiques réservés à ce type de groupements. 1. La reconnaissance étatique comme condition d’existence et de développement de la philanthropie 1.1. Un système progressivement assoupli Le système juridique qui encadre aujourd’hui la philanthropie en France a une origine ancienne, qui remonte au-delà de la Révolution française, ce qu’on oublie encore trop souvent. Sous l’Ancien Régime, le droit des corps intermédiaires repose sur l’idée que la personnalité morale ne peut être attribuée que par l’État et qu’elle est révocable à tout moment par l’État, qui crée à son gré des « établissements d’utilité publique ». La procédure perdure après la Révolution française : avec l’autorisation préfectorale, elle est l’un des seuls moyens légaux des associations dans la mesure où le Code pénal promulgué en 1810 prévoit que « nulle association de plus de vingt personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours ou certains jours marqués, pour s’occuper d’objets religieux, littéraire, politiques ou autres, ne pourra se former qu’avec l’agrément du gouvernement, et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer à la société ». Il faut attendre 1901 pour que la loi consacre la liberté d’association, mais celle-ci est dissociée de la capacité juridique, qui est accordée graduellement selon le statut des associations : quasi inexistante pour les associations non déclarées, réduite pour les associations déclarées, élargie pour les associations reconnues d’utilité publique, qui peuvent notamment recevoir dons et legs (tout comme les fondations reconnues d’utilité publique, qui ne disposent alors que de ce statut). Depuis la loi n’a pas beaucoup changé, mais d’autres dispositifs sont apparus pour faciliter l’appel des associations et fondations à la générosité publique : associations soumises au droit local d’Alsace-Lorraine, associations 46 cultuelles issues de la séparation de l’Église et de l’État en 1905, associations ayant pour but exclusif l’assistance et la bienfaisance depuis 1933, auxquelles s’ajoute la recherche scienti.que ou médicale depuis 1987, unions agréées d’associations familiales depuis 1945, fondations d’entreprise et fondations abritées depuis 1987, fondations de coopération scienti.que depuis 2006, fondations universitaires et fondations partenariales depuis 2007, fonds de dotation depuis 2008, fondations hospitalières depuis 2009. 1.2. Le monopole étatique de l’intérêt général On s’intéressera ici uniquement à la procédure de reconnaissance d’utilité publique, qui est resté longtemps le statut le plus favorable et qui est souvent mise en avant comme une caractéristique propre au système français. Pour Pierre Rosanvallon, elle témoigne ainsi du « jacobinisme amendé » (Le Modèle politique français, 2004, p. 243) qui se met en place à la .n du XIXe siècle et qui, tout en libéralisant le droit d’association, maintient une réticence bien française à l’égard des corps intermédiaires. Trois aspects de la procédure en témoigne : 1) elle est réservée à une minorité de groupements (entre 1000 et 2500 selon la période, aujourd’hui 1948 associations et 633 fondations – chiffres de septembre 2014 – sur plus d’un million d’associations dont plus de 200 000 relèvent de l’action sociale et humanitaire, éducation et formation comprises, et près de 180 000 défendent des droits et des causes – d’après Viviane Tchernonog, Le paysage associatif, Dalloz, 2007) ; 2) elle est prise par décret en Conseil d’État, c’est-à-dire qu’elle n’est pas un droit assorti de recours possibles mais un pouvoir discrétionnaire ; 3) elle a pour contrepartie la tutelle de l’administration sur l’association (contrôle de ses comptes et de son fonctionnement). On comprend dès lors que Pierre Rosanvallon y voie le maintien du monopole étatique sur l’intérêt général, qui selon lui est ainsi mis « à stricte distance de l’activité sociale » (Le Modèle politique français, p. 349). Les débats parlementaires qui ont présidé à l’adoption de la loi 1901 témoignent de la mé.ance alors entretenue par le législateur à l’égard des initiatives privées, y compris philanthropiques, en particulier lorsqu’elles sont issues d’élites dont le ralliement au nouveau régime n’est pas toujours évident. Tout se passe donc comme s’il s’agissait d’établir un contrôle durable sur la société civile en réservant l’accès aux moyens d’action aux œuvres dont la loyauté au régime est assurée et régulièrement véri.ée. A cet égard, c’est l’État qui fait « usage » de la procédure plus que les associations et fondations philanthropiques qui seraient nombreuses à en avoir besoin : à travers des dispositifs variés, qui associent toujours capacité juridique et tutelle administrative, il s’appuie sur des institutions privées pour assumer à peu de frais ses nouvelles missions de service public, sans pour autant perdre la main sur la dé.nition de l’intérêt général. Il y a là un point de crispation durable entre l’État et le mouvement associatif, comme en témoignent notamment les Conférences sur la vie associative tenues en 2006 et 2009 animées du côté des représentants du monde associatif par le souci d’obtenir une véritable « codétention de l’intérêt général ». 2. La reconnaissance étatique en pratique : les usages d’un label 2.1. La géométrie variable de l’intérêt général Quand on se penche non plus sur les enjeux politiques et juridiques soulevés par la procédure de reconnaissance d’utilité publique mais sur sa mise en œuvre concrète, les choses sont pourtant un peu différentes. Pour la première partie du XXe siècle, l’étude est documentée par les archives du Conseil d’État déposées à Pierre.tte. Elles contiennent en général le dossier de demande déposé par l’association ou la fondation, le rapport du bureau des associations du ministère de l’Intérieur, fondé sur les avis du préfet et des pouvoirs publics locaux concernés, les notes et avis des membres du Conseil d’État chargés d’examiner les demandes auxquels il faut parfois ajouter les retranscriptions des discussions dans les sections ou à l’assemblée générale de la haute institution. Ce qui frappe d’emblée, c’est le peu d’intérêt montré pour la dé.nition des objets concernés par l’utilité publique. La plupart des dossiers témoignent plutôt d’une attention portée à des critères formels, comme la taille de l’association, sa situation .nancière, la conformité de ses statuts aux statuts-modèles proposés par le Conseil d’État, son indépendance à l’égard des pouvoirs publics, et du souci de respecter la jurisprudence. Il en résulte une ouverture relative de la procédure qui, quoique réservée à un petit nombre d’associations, ne cible pas spéci.quement les associations républicaines mais offre à une « nébuleuse réformatrice » issue d’horizons politiques divers (Topalov, Laboratoires du nouveau siècle, 1999), les moyens de ses ambitions. Dès lors, les frontières de l’utilité publique se révèlent évolutives. Non seulement les textes juridiques n’en donnent aucune dé.nition, mais le formalisme du Conseil d’État permet une certaine souplesse quant au fond. La liste des associations et des fondations reconnues d’utilité publique en est une bonne illustration. Elle révèle la mutation au .l des ans des catégories (« refuge », « asile », « bienfaisance », qui apparaissent régulièrement dans les noms des œuvres, laissent bientôt la place à « protection », « entraide » puis « assistance » et « action sociale » ; « vieillards » cède le pas à « vieillesse » ou « retraite », etc.), des objets (avec notamment une spécialisation de plus en plus grande en matière de santé) et des organisations (de la bienfaisance organisée sous la forme de la mutuelle ou du patronage à la philanthropie professionnalisée). Faut-il y voir la volonté du Conseil d’État ? Les transformations sont tout autant à mettre sur le compte des demandes, qui se transforment avec le temps. On le voit par exemple avec les réticences grandissantes auxquelles se heurtent les associations philanthropiques fondées sur un réseau de sociabilité (comme les associations d’anciens élèves ou d’élus) après avoir été largement encouragées par l’État. Progressivement concurrencées par des sociétés beaucoup plus puissantes, mieux organisées et de portée nationale, elles apparaissent bientôt comme trop étroitement repliées sur elles-mêmes aux membres du Conseil d’État : le tournant que manifeste la jurisprudence renvoie ici à un changement plus général opéré dans la dé.nition sociale de l’intérêt général et qui pèse sur la nature des demandes. Il faut donc, comme nous y invitent les organisateurs de cette section thématique sortir des dichotomies trop rapides opposant État et initiatives privées. L’étude en cours des relations sociales qui unissent les membres du Conseil d’État et 47 les représentants des associations reconnues d’utilité publique tend plutôt à con.rmer pour cette période l’existence d’un espace social intermédiaire, largement dominé par la grande bourgeoisie, proche des gouvernants mais aussi fortement impliqué dans la vie des sociétés philanthropiques les plus établies (Kaluszynski, « Réformer la société », in Droit et Société, 1998). Au début du XXe siècle, la reconnaissance d’utilité publique apparaît ainsi souvent comme une « faveur », un « honneur » (les termes apparaissent sous la plume des hauts-fonctionnaires) qui vient récompenser autant l’œuvre que les personnalités qui la composent. Plus que la coupure entre État et société civile, elle conduit à formuler l’hypothèse encore à démontrer d’une opposition élites sociales / classes moyennes et populaires et Paris / province (aujourd’hui encore 866 sur 1948 associations reconnues d’utilité publique ont leur siège à Paris). 2.2. L’attrait de la consécration étatique Alors que de nouveaux dispositifs rendent en partie inutile la reconnaissance d’utilité publique, en particulier le fonds de dotation instauré par la loi du 4 août 2008 sur la modernisation de l’économie, la procédure reste pourtant relativement prisée par les associations et fondations philanthropiques. L’enquête est plus dif.cile à mener pour la seconde partie du XXe siècle et le début du XXIe siècle. Les premiers entretiens menés semblent néanmoins con.rmer les conclusions des rapports et enquêtes menés par l’administration et le mouvement associatif. D’une part, si la reconnaissance d’utilité publique n’est accordée qu’au compte-gouttes et à l’issue d’un processus souvent long, la tutelle administrative se révèle ensuite généralement plus légère que ne le prévoient les textes. L’administration dispose en effet de peu de moyens .nancier et humain pour l’exercer et de peu de ressources juridiques pour sanctionner les écarts. Pour reprendre l’expression des inspecteurs de l’administration Rémi Duchêne et Xavier Guiguet : « entre le ‘laissez-faire’ ou l’avertissement amical et ‘l’arme nucléaire’ du retrait de la RUP, le panel des sanctions est insuf.sant » (Rapport sur la tutelle administrative exercée sur les associations et les fondations reconnues d’utilité publique, 2010, p. 20). Cette dernière concerne ainsi plus souvent des associations dissoutes ou disparues que des associations et fondations peu scrupuleuses, que l’honorabilité de leurs objets rend dif.cilement attaquables. Peu gênées par le contrôle de l’administration, les associations et fondations reconnues d’utilité publique béné.cient d’autre part pleinement d’un effet de label, qui légitime leur action aux yeux du public et rassure les éventuels donateurs. Qu’elle soit réelle ou minimale, la tutelle administrative est ainsi mise en avant par les établissements philanthropiques dans leur communication à destination du grand public. Le « paradoxe » relevé par l’étude menée en juin 2010 par le Centre français des Fonds et Fondations sur Les fondations et leurs parties prenantes selon lequel les fondations af.rment être satisfaites du contrôle étatique auquel elles sont soumises tout en avouant pour un peu moins de la moitié d’entre elles que la puissance publique agit en pratique comme une chambre d’enregistrement n’en est pas un. Il s’agit là d’une réalité qui pro.te aux fondations même si elle est dif.cile à exprimer, d’où l’hésitation des répondants qui estiment à 43,1 % que les pouvoirs publics « veillent surtout à ce que [leur] fondation s’inscrive dans l’intérêt général et soit utile à la société » et à 48,5 % qu’ils « ne cherchent pas à intervenir dans les choix de [leur] fondation » (p. 80-81) : comment en effet admettre le faible contrôle de la puissance publique sans saper les fondements d’une légitimité par ailleurs construite en grande partie sur la tutelle administrative ? Contrairement à ce que suggère l’édi.ce juridique mis en place au début du XXe siècle, qui semble reposer tout entier dans la main de l’administration, l’application de la loi laisse en réalité une large place aux « usages philanthropiques de la reconnaissance étatique ». Comme souvent en ce qui concerne le modèle politique français, la pratique vient ainsi nuancer sinon contredire les principes af.chés. L’intérêt de l’objet encore peu étudié qu’est la procédure de reconnaissance d’utilité publique va cependant au-delà de la question du rapport du droit à sa mise en œuvre : parce que les acteurs de la procédure sont aussi et surtout des interprètes du droit et des producteurs de la jurisprudence, ils contribuent en effet à produire de nouvelles normes qui façonnent à leur tour la culture politique française. La philanthropie contre la pauvreté urbaine : une analyse par la réception Duvoux N. Paris Descartes Cette communication se propose de développer une analyse dynamique de la philanthropie à partir de l'étude d'une fondation indépendante qui vise à éradiquer la pauvreté urbaine à Boston. Par analyse dynamique, nous entendons la volonté d'intégrer à la description et à l’analyse des modes d’action et de catégorisation mis en œuvre par cette fondation la réception dont elle fait l’objet par les habitants qui s’investissent dans son « approche » ainsi que les signi.cations que lui donnent ses salariés. Notre hypothèse est que cette réception est décisive pour comprendre la manière dont cette fondation s'intègre dans le champ philanthropique et politique local et saisir sa place dans l'économie d'ensemble de la fourniture de services sociaux aux Etats-Unis. Huit mois d’enquête ethnographique sur deux ans, 52 entretiens avec des salariés et habitants participant aux activités de la fondation constituent la matière de cette recherche. La Fondation pour le Rêve Américain (FRA), nom .ctif donné à la fondation philanthropique étudiée, applique une idéologie de la « soutenabilité » qui valorise le savoir local. Nous montrerons comment la fondation se dé.nit contre l’État social en ce qui concerne les valeurs au nom desquelles elle intervient mais le fait sans remettre en cause les autres formes d’encadrement (dérégulation économique et incarcération de masse) publiques des populations concernées. 48 L’Etat comme ressource symbolique dans le monde philanthropique ?L’exemple des American Friends des institutions culturelles françaises Monier A. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales / Ecole Normale Supérieure S’intéresser à la philanthropie, ce n’est pas simplement se pencher sur des actions privées accomplies au nom du bien public, c’est aussi poser la question, en miroir, du rôle de l’État. Alors que le sens commun oppose souvent public / privé, État / Philanthropie, comme si l’un excluait l’autre, il s’agit ici de souligner au contraire la porosité des frontières, en montrant qu’il existe des relations entre autorités publiques et acteurs philanthropiques. Rares sont les chercheurs qui ont abordé cette question (Rozier, 2001), ceux qui l’ont fait ont montré la complémentarité et les liens qui unissent philanthropie et État (Schuyt, 2010 ; Zunz, 2012). Certains l’ont fait de manière indirecte, notamment en interrogeant le rapport entre philanthropie et capitalisme (Abelès, 2002 ; Guilhot, 2006 ; Lambelet, 2014). Aborder la question de la relation entre autorités publiques et acteurs philanthropiques, c’est s’interroger sur la nature de cette relation, et ainsi tenter de la caractériser (s’agit-il d’un rapport de force ? d’une collaboration ? d’une complémentarité ?), c’est évoquer les acteurs impliqués (qu’entend-on par « autorités publiques » ?), mais également en comprendre les implications, tant pour la sphère publique que pour la sphère privée. Nous allons nous intéresser ici à une forme particulière de philanthropie, celle de la philanthropie culturelle transnationale, à travers l’exemple des associations d’American Friends des institutions culturelles françaises. Les American Friends sont des associations américaines béné.ciant du statut de 501(c)(3) du code .scal américain, qui permet à l’association et à ses donateurs de béné.cier de déductions .scales sur certains impôts, offrant ainsi la possibilité de faire un don dé.scalisé à une organisation basée aux États-Unis, mais œuvrant pour une cause étrangère. Pour lever des fonds, elles organisent pour les mécènes des événements et activités (dîners, conférences, gala, visites, voyages etc) dans les deux pays. Il existe environ 2000 associations d’American Friends, et pour des institutions dans de nombreux pays (tels que la France, Israël, l’Australie, la Guinée, la Thaïlande etc) et dans des domaines divers (culturel, médical, éducatif, environnemental etc). Cette analyse s’appuie sur une recherche qualitative menée dans le cadre de notre Doctorat sur la philanthropie culturelle transnationale, et en particulier les associations d’Amis Américains (« American Friends ») des institutions culturelles françaises (Le Louvre, l’Opéra de Paris, le Musée d’Orsay etc). Cette enquête repose sur des matériaux divers : observations participantes (plusieurs mois de bénévolat auprès de certaines associations), entretiens (avec les responsables de ces organisations, mais également avec les mécènes, ainsi qu’avec de nombreuses personnes des mondes culturels, philanthropiques et diplomatiques français et américain), dépouillement systématique de la presse écrite et web, analyse de la documentation produite par ces associations, ainsi que des archives de la Fondation Rockefeller concernant le don de John D. Rockefeller au Château de Versailles, au Château de Fontainebleau, à la cathédrale de Chartres et à diverses autres institutions culturelles. Dans le cas des American Friends, les liens entre autorités publiques et acteurs philanthropiques sont nombreux. Cette relation s’inscrit dans la nature même de ces associations, puisqu’il s’agit d’associations à but non lucratif qui lèvent de l’argent privé pour des institutions publiques. Les acteurs publics impliqués sont très divers – des directeurs d’institutions aux diplomates, sans oublier les conservateurs et autres fonctionnaires. Dans le contexte actuel de crise économique, les ministères de tutelle appellent les institutions culturelles à augmenter leurs ressources propres a.n d’accroître leur indépendance .nancière. Les échanges sont ainsi nombreux entre les deux sphères et les autorités publiques sont très présentes sur la scène de la philanthropie culturelle transnationale, accompagnant les institutions vers cette indépendance, mais acquérant également, dans le même mouvement, de nouvelles connaissances et pratiques philanthropiques. Les modalités de ces liens étant multiples, nous allons ici nous centrer sur un seul de ses aspects. Il s’agit ici de comprendre comment les autorités publiques soutiennent le développement de la philanthropie en offrant aux acteurs philanthropiques les ressources symboliques à leur disposition. L’État apparaît ainsi comme une caution et un élément de prestige – état de fait d’autant plus important qu’il s’agit d’élites américaines. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à l’ouverture des lieux culturels et de pouvoir pour les événements organisés par les American Friends. Dans un second temps, nous nous pencherons sur le rôle des décorations et autres éléments de reconnaissance. En.n, dans un troisième temps, nous aborderons le rôle diplomatique attribué aux associations d’American Friends. Bibliographie ABELES Marc, Les Nouveaux riches. Un ethnologue dans la Silicon Valley, Paris, Odile Jacob, 2002, 278 p. BORY, Anne, De la générosité en entreprise: Mécénat et bénévolat des salariés dans les grandes entreprises en France et aux États-Unis. Thèse de sociologie, sous la direction de Françoise Piotet, Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne, 2008 GUILHOT Nicolas, Financiers, Philanthropes. Vocations éthiques et reproduction du capital à Wall Street depuis 1970, Paris, Raisons d’Agir, 2004 LAMBELET Alexandre, La philanthropie, Paris, Presses de Science Po, 2014 OSTROWER Francie, Why the Wealthy Give: The Culture of Elite Philanthropy, Princeton University Press, 1997 OSTROWER, Francie, Trustees of Culture: Power, Wealth, and Status on Elite Arts Boards, Chicago, University of Chicago Press, 2004 49 ROZIER Sabine, « L’Entreprise-providence, mécénat des entreprises et transformation de l’action publique dans la France des années 1960-2000 », thèse sous la direction de Michel Offerlé, Paris, décembre 2001 SCHUYT, Theo N.M. « La philanthropie dans les Etats Providences européens», Revue internationale des sciences administratives, 2010/4, vol. 76, p. 811-826 TOURNES Ludovic, L'argent de l'in!uence, les fondations américaines et leurs réseaux européens, Paris, 2008 ZUNZ Olivier,La Philanthropie En Amérique: Argent Privé, Affaires d’Etat. Fayard, 2012. Le développement d’une philanthropie privée francophone au Québec : étude de la Fondation Lucie et André Chagnon Fortin M. Université Laval Un des aspects les plus intéressants de l’essor actuel de la philanthropie est le fait que celle-ci se développe non seulement là où il existe une tradition philanthropique (États-Unis, France, Grande-Bretagne, etc.), mais aussi dans des contextes où une tradition de la sorte était jusqu’à tout récemment quasi-inexistante. C’est le cas du Québec. Bien que le Québec, société majoritairement francophone d’Amérique du nord, ait été fortement in!uencé par les traditions et grands courants politiques, économiques et culturels français, britanniques et américains, la philanthropie ne s’y est que faiblement développée tout au long du 20e siècle et a d’abord et avant tout été le fait des communautés anglophones et juives, largement minoritaires et concentrées dans la région de Montréal. L’apparition d’une philanthropie d’affaire privée francophone est donc un phénomène nouveau dans l’univers socio-économique québécois. Nous pouvons d’ores et déjà retenir la création de la Fondation Lucie et André Chagnon (FLAC) en 2000 comme l’événement symbolique, le moment charnière marquant l’arrivée d’une philanthropie d’affaires privée francophone au Québec. Dotée d’un capital initial de 1,4 milliard de dollars faisant d’elle la fondation la plus riche au Canada, la FLAC, dont la mission est de « prévenir la pauvreté » (FLAC, http://www.fondationchagnon.org), est rapidement devenue l’une des .gures de proue de la philanthropie québécoise. Pro.tant d’un contexte marqué par la « crise des .nances publiques », les compressions budgétaires, le désengagement de l’État et la volonté d’augmenter la place du secteur privé dans des domaines occupés par l’État depuis les années 1960, la Fondation Chagnon est parvenue à signer des ententes de collaboration avec le Gouvernement du Québec, qui, plus tard, deviendront de véritables « partenariats public-philanthropie », communément appelés « PPP sociaux » et protégés par des lois adoptées par l’Assemblée nationale du Québec. Or, depuis quelques temps, plusieurs voix issues du monde communautaire (équivalent du monde associatif en France), syndical et féministe dénoncent ces « PPP sociaux », s’élèvent contre les pratiques et le discours de la Fondation Chagnon tout en critiquant l’impact de la philanthropie privée sur l’action communautaire autonome, la défense collective des droits sociaux et sur la démocratie. Une mobilisation d’une partie du milieu communautaire, syndical et féministe contre un certain type de philanthropie semble donc être en marche au Québec comme en témoigne la création en 2011 de la coalition Non aux PPP sociaux. Une pétition demandant le non-renouvellement des ententes entre la FLAC et le Gouvernement du Québec de même qu’un vaste débat sur ce type d’ententes a d’ailleurs été déposée à l’Assemblée nationale au printemps dernier. En date du 12 mai 2014, la pétition avait recueilli l’appui de 360 groupes de la société civile. L’étude de cas que je mène sur la Fondation Lucie et André Chagnon dans le cadre de mon doctorat en sciences politiques s’inscrit dans le prolongement des travaux qui tentent de développer une analyse critique du phénomène philanthropique fondée sur des observations empiriques. Elle poursuit le travail de mise en lumière des contradictions et des impacts de la philanthropie privée sur l’action communautaire et publique. Directement inspirée des travaux de Donald Fisher (1983), Teresa Odendahl (1989), Nicolas Guilhot (2006), Frédéric Lesemann (2011) et Alexandre Lambelet (2014), elle tente de pallier le manque d’études scienti.ques sur le sujet – du moins au Québec et sur la philanthropie québécoise - tout en amenant un contrepoids au discours apologétique des fondations sur elles-mêmes, à l’enthousiasme d’une kyrielle d’acteurs politiques convertis à la philanthropie et à la complaisance d’une partie des médias face aux grands philanthropes. Dans la mesure où elle s’intéresse à des ententes entre des institutions publiques et un organisme privé, elle tentera par ailleurs de faire ressortir les motivations et les arguments des tenants de la philanthropie d’affaire privée à l’intérieur des ministères et institutions publiques. Mais surtout, elle s’intéressera aux discours et pratiques de la FLAC, de même qu’aux critiques de ses détracteurs. Ma démarche s’articulera autour de trois questions de recherche qui sont les suivantes : 1-Quelle conception de la pauvreté le discours de la FLAC véhicule-t-il ? ; 2-Quelles sont les pratiques de gestion et .nancement de la FLAC dans ses programmes de lutte à la pauvreté ? ; 3-Quels éléments du discours de la FLAC et quelles pratiques de gestion et de .nancement de celle-ci génèrent des critiques au sein des groupes de la société civile ? Du côté des outils méthodologiques, j’entends mener une recension des publications de la FLAC, des publications sur la FLAC et des articles médiatiques sur la FLAC tout en réalisant une série d’entretiens semi-dirigés avec des intervenants communautaires ayant collaboré avec la FLAC, des dirigeants et employés de la FLAC, des opposants à la FLAC impliqués dans la mobilisation contre les PPP sociaux et des fonctionnaires ayant été impliqués dans le dossier des PPP sociaux. 50 De quoi se rendre complice ? La philanthropie de changement social à l’épreuve : l’ethnographie d’une fondation québécoise. Lefèvre S. UQAM La philanthropie, telle qu’incarnée aujourd’hui par de grandes fondations privées, est le plus souvent assimilée à une forme de privatisation et de dépolitisation de l’action publique. On entend par ce terme à la fois la prégnance d’acteurs contestant aux élus et aux bureaucraties d’État le monopole de l’action, de l’expertise et de la légitimité pour intervenir sur des enjeux d’intérêts communs. Mais également, la prééminence d’une vision technicisée des enjeux, où ne s’affronteraient plus des visions clivées du monde mais de « bonnes pratiques » mises en concurrence sur une base objective. Nous voudrions ici nous arrêter sur une fondation québécoise, la Fondation de Mauges, qui contraste singulièrement avec cette tendance. A plus d’un titre, elle possède un caractère atypique, voire énigmatique. D’un côté, elle présente les apparences de la philanthropie la plus traditionnelle et la plus conservatrice : c’est une fondation à caractère religieux (catholique), qui existe depuis plusieurs décennies (sous ce nom ou via des fonds préexistants) grâce à la dotation d’une fortune privée (héritage légué) d’une donatrice qui a souhaité rester anonyme et ne s’implique pas dans la gouvernance de la fondation. Pourtant, de l’autre côté, cette fondation défend une visée de justice sociale exigeante, en .nançant des mouvements sociaux revendicatifs, et le caractère subversif de l’Évangile, dans une relation distante à l’institution ecclésiale et aux pratiques pastorales traditionnelles. Sur son site Internet, elle se présente en faveur d’« un État qui joue son rôle de leader, de régulateur, de législateur et de redistributeur de la richesse. Pour la Fondation [de Mauges], il existe des causes structurelles à la pauvreté. Elle s'oppose à tout discours et pratique qui identi.e l'individu comme l'unique responsable de sa situation ». A côté du type de projet soutenu, il faut en souligner les modalités ; la fondation ne se présente pas comme un bailleur mais comme un « complice » des acteurs soutenus, et dont on souhaite accroître le pouvoir d’agir par des pratiques d’accompagnement spéci.ques. Par tous ses aspects, la Fondation de Mauges correspond à l’idéal-type de la philanthropie de changement social (Social change Philanthropy ou Social Movement Philanthropy), synthétisé par Faber & McCarthy (2005). Ils désignent par là des fondations privilégiant l’action collective, visant un changement structural ou systématique, respectant le principe d’auto-détermination des groupes (grassroots) et augmentant leur pouvoir d’agir (community empowerment). Autrement dit, la fondation doit ôter les barrières à la participation pour que les gens agissent par eux-mêmes et en leurs noms, tout en privilégiant une approche par la défense des droits et non de charité compassionnelle ou d’expertise prophylactique. Surtout, c’est moins le montant .nancier qui importe que la manière dont le don s’opère. Cet idéal-type a notamment été fondé à partir de l’analyse du cas du Haymarket People’s Fund, à Boston, où des activistes siègent sur le comité d’affectation des fonds, brisant symboliquement la distinction aidé/aidant. Mais une enquête ethnographique au sein de cette fondation pointe également toutes les contradictions de cette philanthropie de changement social, et notamment les dif.cultés à concilier l’ambition égalitaire avec d’irréductibles relations (et positions) de pouvoir d’un point de vue social, racial, économique ou culturel (Ostrander, 1995). Ces tensions s’incarnent notamment dans les processus d’évaluation et de reddition de comptes, qui objectivent des positions dissymétriques (Silver, 2007). Autrement dit, il reste à comprendre, au-delà des ambitions af.chées, comment une telle organisation parvient à concilier une relation d’accompagnement avec une relation de pouvoir. C’est ce dé. organisationnel, en même temps que cet éclairage analytique, que nous nous proposons d’explorer à travers le cas de la Fondation de Mauges, dans un contexte québécois bien particulier. En effet, de vives controverses animent le secteur communautaire au Québec sur le rôle des fondations actuellement. En effet, des partenariats de plusieurs centaines de millions de dollars ont été scellés au début des années 2000 entre le gouvernement provincial et une fondation privée, la Fondation Chagnon, pour la conception et la mise en oeuvre de programmes sociaux. Ces partenariats ont été perçus par de nombreux réseaux communautaires comme une prise de pouvoir des fondations dans une province pourtant dotée d’un État social contrastant avec le reste du continent nord-américain (Leseman, 2011). Mais aussi comme une remise en question de leur autonomie, de la part d’une fondation qui a mis en œuvre ces programmes, au delà de l’apport .nancier, en imposant des thématiques et manières de faire aux acteurs .nancés (Ducharme, Lesemann, 2011). Dans cette con.guration, le positionnement de la Fondation de Mauges, et notamment sa volonté de ne pas être un simple bailleur mais un partenaire « complice » des groupes, si elle est pensée comme un contrepoint par ses membres aux pratiques habituelles de la philanthropie .nancière, peut-être ressentie a contrario par les acteurs communautaires comme une intrusion supplémentaire. Le paradoxe étant que cette fondation défend le rôle d’un État social fort, tandis que le gouvernement sous-traite de manière croissante une partie du .nancement du secteur communautaire aux fondations philanthropiques. Notre communication s’appuie sur une enquête ethnographique au sein de la fondation, débutée en juin 2014. Après avoir réalisé des séries d’entretiens avec les salariés, membres du CA et membres du comité de sélection des projets au sein de la fondation, mais aussi avec des groupes .nancés, nous avons entrepris l’observation directe d’un séminaire de ré!exion, de réunions de travail, de sélection et d’évaluation de projets, et de visites aux groupes sollicitant l’accompagnement de la fondation. Il s’agit pour nous de saisir dans ces situations comment se règle, au niveau microsociale de l’interaction concrète entre la Fondation de Mauges et les groupes qu’elle .nance, une relation de pouvoir plus macro-sociale, à travers laquelle sont en jeu les prérogatives respectives des acteurs communautaires, des fondations et de l’État. Le dé. est de penser l’articulation des deux échelles (la manière dont des rapports de force et de sens macro-sociaux cadrent une interaction singulière), mais aussi leur dissociation potentielle, quand la complicité « subjective » vécue au niveau micro-sociale entre la fondation et le groupe communautaire est dédoublée, malgré elle, par une complicité « objective » entre l’action de la fondation et une prise de pouvoir plus générale de la philanthropie sur le .nancement des acteurs communautaires. 51 Bibliographie Ducharme, E., Lesemann, F. 2011. « Les fondations et la “nouvelle philanthropie » : un changement de paradigmes scienti.ques et politiques », Lien social et Politiques, 65, p. 203-224. Faber D., McCarthy D. (eds.), 2005, Foundations for Social Change. Critical Perspectives on Philanthropy and Popular Movements, Rowman & Little.eld Publishers, Inc. Lesemann F., “Nouvelles fondations privées et transition de “regimes institutionnelles””, Lien social et Politiques, 65, p. 79-100. O’Connor A., 2010, “Foundations, Social Movements, and the Contradictions of Liberal Philanthropy”, American Foundations, Roles and Contributions, Anheier H., Hammack D. (ed.), Washington, D.C, Brookings Institution Press, p. 328-346. Ostrander S., 1995, Money for Change : Social Movement Philanthropy at Haymarket People’s Fund, Philadelphia : Temple University Press. Silver I., 2007, « Disentangling Class from Philanthropy: The Double-edged Sword of Alternative Giving », Critical Sociology, vol. 33, no. 3, p. 537-549. « Faire le bien » ou « Bien le faire » ? Etude de cas de la professionnalisation du champ philanthropique en Suisse. Lambelet A. HES-SO La pratique philanthropie est le plus souvent considérée comme la forme emblématique du don gratuit et sans retour, « une action volontaire en faveur du bien public », et est dès lors, de manière quasi générale, étudiée à l’aide des outils de l’anthropologie du don. Pourtant, la philanthropie et la pratique philanthropique ne peuvent se résumer à un acte de don d’un individu. Au contraire, prenant le plus souvent la forme de fondations, voilà des structures qui survivent à leurs donateurs et qui constituées sur ce fonds, ont vocation (pour l’éternité le plus souvent) à poursuivre les buts initialement donnés à la fondation. Dirigées par des conseils de fondations qui peuvent inclure, ou non, des héritiers, elles regroupent des professionnels qui ont pour tâche de conduire, au jour le jour, leur action. « Faire le bien », « améliorer le sort d’autrui », « permettre l’expression de jeunes artistes ou la diffusion d’œuvre artistiques » participe alors bien des objectifs de ces professionnels qui ont à cœur et pour rôle de mener à bien la mission con.ée à la fondation au moment de sa création. En même temps, la complexité de la pratique philanthropique ne saurait être comprise en lien avec cette seule diade « fondation » - « béné.ciaires ». Cette communication veut questionner cette diade « fondation »-« béné.ciaire ». En prenant en compte également les enjeux propres aux professionnels des fondations au regard de la concurrence ou de l’émulation qu’ils peuvent poursuivre avec d’autres fondations (et plus généralement face aux discours portés par les promoteurs de la philanthropie que sont les associations de fondations) mais également du positionnement de la philanthropie face à l’action étatique, elle veut montrer combien un projet philanthropique, s’il vise bien un but d’utilité publique, ne prend tout son sens que face à d’autres auditoires que sont les autres fondations donatrices et l’Etat. Ainsi, à partir d’une ethnographie d’un projet, à savoir le soutien accordé par une Fondation philanthropique suisse dans le domaine social, et en l’insérant dans les débats et enjeux propres au secteur de la philanthropie contemporaine, cet article voudrait tenter de mettre au jour les logiques d’action propres à ce champ de la philanthropie, analyser les pratiques concrètes de ces acteurs, pratiques qui sont les grandes absentes de la littérature. A travers l’étude de cas, il s’agit dès lors de comprendre les enjeux, pour de telles fondations, du soutien et des projets, de ré!échir à ce qui fait courir les fondations, leurs présidents et leurs directeurs, de comprendre le jeu auquel ils participent, a.n de montrer comment cette conduite de projet ne saurait être comprise si l’on ne l’insère pas dans des dynamiques plus larges mais tout aussi chères aux professionnels de la philanthropie. Bref, d’informer sur la pratique philanthropique aujourd’hui. Le choix de travailler sur la Suisse comporte un second intérêt. Si le cas nord-américain est le plus (ou le seul) étudié, même par les chercheurs francophones (on peut citer par exemple, Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street de Nicolas Guyot, Les nouveaux riches. Un ethnologue dans la Silicon Valley de Marc Abélès et surtout, pour des études concrètes de projets, « Un laboratoire urbain. New York sur le policy market de la lutte contre la pauvreté » d’Elisa Chelle ou « La philanthropie contre la pauvreté urbaine. Etude de cas à Boston » de Nicolas Duvoux), tous ces travaux proposent invariablement des études sur la philanthropie américaine et involontairement, participent à la construction d’un exceptionnalisme américain (Elisa Chelle insistant sur le rôle pionnier de la ville de New York, quand Nicolas Duvoux « culturalise » l’action de la fondation qu’il étudie, celle-ci étant pour lui l’illustration d’une conception américaine de la pauvreté qui conduit à une valorisation des solutions en termes de community organizing). Si cet article n’a pas prétention à répondre au problème de la circulation des idées en termes de politiques sociales, ce regard décentré sur un autre contexte social et politique, par la mise en évidence d’un certain nombre de mécanismes similaires, oblige néanmoins à questionner le degré de réalité de cet exceptionnalisme américain. 52 Du risque d’être philanthrope von Schnurbein G. Université de Bâle Dans la compréhension actuelle, la philanthropie est captée amplement et englobe toutes les actions volontaires privées ayant un but d’utilité publique. Malgré cette compréhension positive orientée vers le bien commun, la philanthropie ou soit les philanthropes sont critiqués régulièrement. Les philanthropes bien trop généreux sont rapidement taxés de poursuivre des objectifs privés et de se mettre au point de mire. C’est la raison pour laquelle beaucoup des philanthropes en Suisse cherchent la protection de l’anonymat ce qui est contradictoire au comportement favorable à la société. Les philanthropes sont stylisés comme surhommes et la déception est grande (même) quand ils agissent que de façon humaine. Les projets de la philanthropie privée sont clairement plus rigoureusement jugés que les programmes de soutien gouvernementaux ou les activités des organisations à but non-lucratif et « démocratiques ». Dans les journaux, on trouve les articles sur la philanthropie le plus souvent dans la rubrique d’économie, pas dans celle de la société. J’aimerais dans mon exposé aborder les problèmes de décision du philanthrope, et analyser de plus près les risques qu’il encourt. Me fondant sur l’éthique du risque, je montrerai que la philanthropie recèle des risques tant pour le philanthrope que pour le destinataire au sens large (le béné.ciaire direct, son entourage, la société). Le philanthrope risque de perdre de l’argent et de s’exposer publiquement. Le destinataire risque un changement de sa situation de vie, la simpli.cation de problèmes sociaux, la non prise en compte et .nalement, une mauvaise allocation 53 ST 12 : Penser le présent politique Changements climatiques : quels effets sur le rapport entre l’espace d’expérience et l’horizon d’attente? Arif.n Y. Université de Lausanne Ma contribution examinera la problématique des changements climatiques à la lumière du millénarisme. Ce topos se fonde sur une représentation ambivalente de l’histoire. Bien qu’il ait pour horizon d’attente un règne de bonheur, son espace d’expérience se situe dans un crescendo d’épreuves notamment environnementales. L’attente millénariste associe en effet souffrance et bonheur, destruction et restauration. C’est un temps d’inquiétude et d’espérance où le motif apocalyptique est agité pour faire valoir – ce sera l’argument central de ce papier – la nécessité d’une réorganisation sociale. Je commencerai par présenter brièvement trois .gures distinctes du millénarisme. Celle d’abord de l’Antiquité tardive, qui s’intègre à des prophéties de consolation cherchant à ampli.er auprès de communautés victimes de persécutions la valeur rédemptrice de leur lutte pour la reconnaissance du christianisme. Celle ensuite des Réformés au XVIe siècle, qui voit dans les dérèglements climatiques autant de signes d’une rénovation future de l’Église. Celle en.n, à l’âge classique, des rosicruciens, puis surtout de Bacon, voyant l’accomplissement des temps dans cette grande instauration des sciences qu’il s’agit de réaliser. Avec la problématique des changements climatiques – objet de la deuxième partie de ma contribution – émerge une quatrième .gure du millénarisme. Historiquement associée à une crise énergétique, cette problématique a .ni par conduire les plus réfractaires à accepter la nécessité d’engager un processus de réorganisation sociale susceptible à tout le moins de réduire la dépendance aux énergies fossiles. Les avis restent cependant partagés sur les transformations socioéconomiques à effectuer. Pour les uns que l’on peut quali.er de réformateurs of.ciels (comme Crutzen, inventeur du néologisme “anthropocène”), la solution se trouve dans la perfectibilité humaine qui s’incarne dans cette technostructure industrielle dont ils restent convaincus qu’elle saura remédier au problème en développant les énergies renouvelables, en améliorant l’ef.cacité énergétique, en créant de nouveaux mécanismes de marché incitatifs. Pour les autres, en revanche, la solution doit passer par la décroissance, impliquant une rupture avec la société industrielle. Ma conclusion sera suggestive. Si le discours millénariste a été associé à tant de grandes transformations, c’est peut-être parce qu’il s’agit d’un émotif, autrement dit d’un énoncé qui, à la façon des performatifs, a pour fonction propre d’effectuer une action, mais en l’occurrence de si grande envergure que seule la peur peut en être l’aiguillon pour autant que celle-ci ne verse pas dans la terreur mais soit bornée par un horizon d’espoir. Les émotifs comportent, en effet, les trois aspects relevés par Austin pour l’analyse des performatifs. Ils sont dotés de signi.cation (acte locutoire) ; ils investissent le discours dans lequel ils s’insèrent d’une force particulière (acte illocutoire, comme l’ordre, l’avertissement ou la promesse) ; et ils visent à produire chez le destinataire des effets consécutifs (acte perlocutoire). En signi.ant certaines émotions, l’intention – ou force illocutoire – des émotifs consiste à les intensi.er, et, ce faisant, modi.er, déplacer ou dénier d’autres perceptions possibles de l’objet qu’elles visent. Les subjectivités contemporaines comme voie d’accès au présent : une question politique et anthropologique Moucharik S. Université Paris 8 L’on s’accorde pour af.rmer que le présent est dif.cile à identi.er ; d’où la nécessité de le placer sous le signe de la singularité. Encore faut-il choisir la voie d’accès à son identi.cation et à son analyse. Parmi la multiplicité « des rapports possibles au présent », la communication proposée traitera justement des subjectivations du présent telles qu’elles sont effectuées par les gens. Par là, j’entends l’ensemble des énoncés et des thèses problématisant des situations contemporaines – qu’elles soient des situations de rupture ou dites « ordinaires » – et formulés par les gens, à savoir des habitants d’un pays ou de quartiers populaires, des paysans, des jeunes, des ouvriers, des femmes … Ces subjectivités se caractérisent comme singulières et elles participent pleinement de la singularité subjective du présent. La saisie de cette forme de subjectivité permet d’accéder à des pensées qui ne doivent pas être confondues avec des savoirs, des récits ou des discours que les gens peuvent produire à propos du réel. Cette saisie est indispensable dans le projet de « penser le présent politique ». D’une part, parce qu’aucune théorisation politique ou scienti.que ne peut prétendre déterminer les formes de pensée contemporaines. D’autre part, parce que notre époque se caractérise par une grande volatilité et une multiplicité des subjectivités. Une démarche anthropologique a été fondée dans les années 1980 pour susciter ou recueillir les subjectivités contemporaines ainsi que pour les analyser en procédant en intériorité : l’Anthropologie des singularités subjectives. Je proposerai d’exposer les ressorts théoriques et méthodologiques de cette démarche. Tout d’abord, je reviendrai sur son 54 élaboration telle qu’elle a été effectuée par son fondateur, Sylvain Lazarus, à partir du bilan de la .n du marxisme et précisément la critique et le dépassement de l’historicisme propre au marxisme, critique qu’il a élargie aux sciences sociales. A partir d’une conception renouvelée de la politique – mais qui ne s’y réduit pas – et à partir d’enquêtes d’usines auprès d’ouvriers, S. Lazarus met au point un dispositif d’enquête basé sur des entretiens. Je présenterai donc ce type d’enquête. Je montrerai ainsi que la saisie des subjectivités des gens à propos d’une situation ou d’un lieu se fait notamment par l’identi.cation et l’analyse des mots qui se trouvent être problématisés. A titre d’illustration, j’exposerai quelques résultats tirés d’enquêtes ayant adopté cette démarche anthropologique. Ce travail sur les mots constitue d’autant plus la voie d’accès au présent que les mots sont devenus errants, qu’ils ne sont plus en partage entre l’espace étatique et militant, les sciences sociales et les gens. A côté d’autres disciplines ou démarches, l’Anthropologie des singularités subjectives propose de mettre au jour les mots et les catégories épuisés et ceux qui apparaissent. Il s’agit bien d’une tâche aussi circonscrite qu’exigeante dans une séquence où le mot même de « politique » est congédié ou très dif.cilement saisissable. Mémoire et logique du présent: le cas d'une société minoritaire au Canada, l'Acadie Belkhodja C. Université Concordia Cette communication propose une analyse du rapport entre passé et présent en prenant comme étude de cas une petite société minoritaire en Amérique du nord, l'Acadie du Nouveau-Brunswick. Il s'agit de présenter une lecture phénoménologique de l'expérience acadienne dans un contexte identitaire et socio-politique en mutation depuis les années 2000. Société francophone voisine du Québec, l'Acadie a pu se constituer comme une entité à ambition nationale autour d'un projet de société formé autour d'une représentation territoriale et de valeurs communes : religion catholique et langue française. Une tradition sociologique québécoise et acadienne (Fernand Dumont, Jacques Beauchemin, Joseph Yvon Thériault) analyse bien la construction d'un récit fondateur, considéré comme un élément essentiel de la vitalité du fait francophone. Mais, aujourd'hui, tout semble basculer avec l'émergence d'un temps nouveau qui signi.e pour certains intellectuels l’effacement de la possibilité de faire société. Notre objectif est de questionner cette posture intellectuelle et de proposer les contours d'un vivre ensemble différent. Que signi.e vivre dans le présent pour une petite société francophone? Comment aborder cette problématique du présent? Les postcolonialités du présent Michel N. Université de Genève La pensée critique postcoloniale contemporaine soutient l’idée d’un emmêlement des temps. Ses catégories d’analyse supposent une intrication complexe et non linéaire entre le présent, le passé, et le futur. C’est à travers ce prisme des temps emmêlés qu’elle propose de faire sens de notre « présent postcolonial ». Quelles pensées et quelles politiques des temps sous-tendent ce projet ? Vers quelle conception de la démocratie font-elles signe ? Qu’advient-il des catégories de la modernité politique démocratique, telles que le « sujet », le « citoyen », le « corps » ou encore le « changement social » lorsqu’on les observe à travers le prisme postcolonial ? Cette contribution se propose de dégager des pistes de lecture de notre présent politique par le biais d’une exploration en trois temps d’un corpus de textes contemporains qui, bien qu’ils s’ancrent dans divers courants des études critique de la « race » et de la postcolonialité, semblent se rejoindre dans leur questionnement explicite des politiques du temps. Dans un premier temps, cette contribution propose de revenir sur les apports spéci.ques des pensées postcoloniales à la critique du temps linéaire et de l’idéologie du progrès. Qu’ils se réclament de la pensée radicale noire (Paul Gilroy, Achille Mbembe, Hortense Spillers), des études subalternes (Dipesh Chakrabarty et Gayatri Spivak), de la critique littéraire postcoloniale (David Scott, Homi Bhabha) ou encore de l’étude de l’histoire publique (Michel-Rolph Trouillot), les critiques questionnent la portée prétendument universaliste, le caractère eurocentré, et la dimension raciale et coloniale de la conception du « temps en !èche » qui a prévalu au sein de la pensée politique classique et marxiste. Ces critiques proposent de partir de l’expérience de la marque du « retard permanent » portée par le sujet de la différence raciale pour élaborer une pensée alternative du temps et de l’historicité. Dans un deuxième temps, cette contribution veut offrir une exploration des notions forgées par ces pensées alternatives du temps. Elle passe en revue un certain nombre de notions épistémologiques et éthiques – citons en exemple les « futurs façonnés » de David Scott, l’ « authenticité historique vis-à-vis du présent » de Michel Rolph Trouillot, les « passés projectifs » de Homi Bhabha ou encore les « temps nègre » d’Achille Mbembe. Appréhendé depuis ces notions, le « présent » émerge comme une con.guration opaque, comme un moment instable, intrinsèquement formé par des temps en luttes, hanté par des passés et des futurs. Par conséquent, le « présent postcolonial » se révèle toujours pluriel, dans ses à-venir tout comme dans ses ayant-été. Quels sont les apports critiques et heuristiques d’une telle politique des temps postcoloniaux pour une théorisation de la démocratie ? C’est sur cette question que se penche le troisième temps de cette contribution. 55 Le temps comme discours Sgier L. Central European University Budapest Dans cette contribution, j'aimerais questionner les constats alarmistes "d'oubli" du passé et de "disparation" du futur à partir d'une perspective d'analyse de discours : en prenant le terme de "régime" au mot (dans son sens foucaldien), on doit se demander de quel régime de vérité ces discours font partie ; de quel passé et quel futur (à qui, dans quel espace spatio-temporel) ils parlent ; sur quelle sélection de "faits" le "diagnostic" d'un régime de "présentisme" repose et quelle autre sélection de "faits" aurait été possible ; et .nalement quels sont les effets d'une telle construction du monde, pour le moins discutable pour peu que l'on regarde au-delà du niveau des débats "intellectuels", de l'Europe occidentale, et/ou que l'on adopte une perspective un tant soit peu sociologique. En somme, cette contribution questionnera les ré!exions historico-normatives sur la temporalité non pas en tant que "constats de fait" mais en tant que discours qui posent par dé.nition la question de leurs conditions de possibilité et de leurs effets en termes de pouvoir. Majorité et autonomie Caumières P. Éducation nationale Si l’on admet avec Claude Lefort que la démocratie est un régime d’indétermination foncière, il faut reconnaître qu’il ouvre à une interrogation sans .n quant à son ordre, imposant aux citoyens une remise en cause permanente de leur approche de ce qui est juste ou non. Lefort a du reste bien souligné l’« épreuve » que représente « la dissolution des repères de la certitude » et le risque qu’elle fait encourir à la société démocratique devenue par là insupportable à beaucoup. Cela conduit à entendre la devise des Lumières, qui demande d’avoir le courage de penser par soi-même et de devenir effectivement « majeur », comme une exigence d’ordre pratique. Dégagée de toute perspective téléologique, elle ouvre ainsi une interrogation portant tout à la fois « sur le sens philosophique de l’actualité » à laquelle le penseur appartient et sur le « nous » auquel il est rattaché et à l’égard duquel il doit se situer. Selon Foucault, s’inaugure là une nouvelle approche de la modernité comme « attitude » qui relève d’une « ontologie de l’actualité » engageant un rapport à soi dans la conscience de son inscription dans un temps déterminé. C’est sans doute au travers du célèbre texte de Kant consacré à l’Aufklärung que se manifeste le mieux cette ré!exion philosophique qui ne vise plus à préciser les limites assignées à l’esprit humain en quête de savoir, mais qui envisage un nouveau rapport à soi comme sujet autonome. Cette dimension pratique que Foucault décèle chez Kant nous paraît d’autant plus précieuse qu’elle permet de dé.nir la majorité comme capacité à accepter l’indétermination foncière du social, seule manière comme nous savons de garantir la liberté. Elle pèche toutefois pour ne pas tenir compte de la dimension collective, ce qui conduit à tenter de la ressaisir dans la perspective du projet d’autonomie compris avec Castoriadis comme signi.cation imaginaire. Si cela nous détourne de toute philosophie de l’histoire pour envisager celle-ci dans toute sa dimension créatrice, il est alors possible de capter le présent dans ce qu’il est sans s’accorder pleinement à lui, de l’imaginer autrement qu’il n’est à partir de luimême, en repérant ce qui en lui renvoie à la signi.cation que nous entendons promouvoir, à savoir l’autonomie. Celle-ci apparaît dès lors comme ce qui, tout en étant inscrite dans le présent, le transcende. On peut dès lors entretenir une relation critique avec le passé, seule manière de n’être pas dominé par lui, en redonnant toute leur importance à certains moments n’ayant pourtant guère duré. Ces « rares moments heureux », comme dit Arendt, où liberté et égalité sont allées de pair, ne sont nullement des modèles, mais des exemples qui attestent que l’aspiration à l’autonomie n’est pas un rêve impossible. Penser une Politique Charismatique : Une Exploration de la Présence Dialectique Merleau-Pontien O'Brien J. Oregon, USA (Ret.) Comment dépasser la stase politique actuelle, gelé entre un pilier néo-réactionnaire et un poteau néo-révolutionnaire ? Pourquoi pas de présence politique active qui s’accorde avec les principes démocratiques, d’une nature charismatique mais dépersonnalisée et qui revitalise d’une façon af.rmative les institutions essentielles pour le bien-être général et la stabilité collective ? En assumant qu’on ne jette pas toutes les anticipations des Lumières par la fenêtre, une possibilité pour penser le présent politique différemment serait de commencer par une relativisation du cadre temporel du champ démocratique. On pourrait réorienter la perspective d’interrogation, du présent politique, à la présence politique. L’objectif d’un tel changement serait le déclenchement de processus charismatiques à l’intériorité du système sociétaire, sans imposition des formalismes politiquement rigides de l’extérieur. Dans cette communication, on explore la possibilité que la dialectique-politique avancée par Maurice Merleau-Ponty dans son Aventures de la Dialectique (1955) serve comme un trampoline pour une telle transmutation ; que le processus méthodique au milieu de ses interrogations illustre et explique la réalité dynamique, entre {le citoyen et son futur}, entre {la société et son avenir}, et entre {les institutions historiques et leur présence active} ; et vers une postmodernité, 56 semble-t-il. Les moments historiques importants sont toujours accompagnés par un mélange de réponses contemporaines pour les veilles questions et par une mise en question des ambigüités vives, associées aux tensions entre chaque peuple et tous les autres, mais aussi entre l’ensemble des peuples et notre environnent commun. Dans cette condition historique mondialisée, l’objecti.cation des enjeux qui animent la politique sont d’un ordre nouveau ; qui obscurcit l’interactivité essentielle entre {intérêts individuels et intérêts collectifs}, sur laquelle toute négociation politique est fondée. Le résultat est une démobilisation de la dynamique politique, et un débat muet. Il faut revivi.er l’actualité du comportement collectif en grande allure. D’une perspective dialectique, il y a maints points de contradiction contemporaine : pourquoi les sociétés obsédées par la notion d’ef.cacité instrumentale, gaspillent les ressources naturelles et limitées dont dépend leur lustre technologique ? Pourquoi les sociétés déclarées être orientées par les principes de liberté et justice génèrent avec leurs institutions of.cielles autant de limites sur l’autonomie individuelle et d’inégalités catégoriques ? Pourquoi les sociétés constituées comme réponse aux entraves des dogmatismes aveugles, sont-elles colonisées par autant d’intolérance entre les élites et les sous-communautés diverses qui marquent une société ouverte ? Quel rôle pour les intellectuels dans cet enjeu, pour propulser une présence-politique dialectique, actuelle, omniprésente et charismatique ? Comment éviter de n’être que les serviteurs de ceux qui sont déjà ou voudraient être les Princes de la politique ? Comment contribuer à la construction pragmatique de règles aux quelles les chefs gouvernants devraient se confronter ? Pour penser différemment, il faut agir autrement ; pour ouvrir un chemin attirant vers un avenir prometteur en évitant les options Faustiennes : entre le ‘comme il fut jadis’ de la part de ceux qui portent une admiration presque religieuse pour un passé qu’ils imaginent doré ; vis-à-vis de ceux qui rêvent d’un avenir idéel dans un futur au-delà de tout horizon. Bibliographie Burckhardt J (1860; Tr-Eng 1878; 1954) The Civilization of the Renaissance in Italy. New York, NY: Random House. Chollet A (2012-a) La Modération, une vertue? (Un Recensement de: Aurelian Craiutu, A Virtue for Courageous Minds. Moderation in French Political Thought, 1748-1830. Princeton, Princeton University Press). Chollet A (2012-b) L’accélération au fondement de la ‘modernité’ ? (Un recensement du Rosa H, Accélération, une critique social de temps. EspacesTemps.net. http:// ??? Godin C (2004) Dictionnaire de Philosophie. Paris Fr : Fayard. Guilhaumou J (1991) Reinhart Koselleck, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques. Annales. Économies, Sociétés, Civilisations 46(6) : 1499–1501. Harvey D (1990) The Condition of Postmodernity. Cambridge: Blackwell Publishers. Koselleck R (1990) Le Futur passé. Paris Fr : Edition EHESS. Luhmann N (1982) The Differentiation of Society. New York: Columbia University Press. Merleau-Ponty M (1955) Les aventures de la dialectique. Paris Fr: Gallimard. O’Brien JE (2014-a). Critical Practice from Voltaire to Faucault, Eagleton and Beyond. Leiden, NL: Brill. O’Brien JE (1041-b). Piketty’s Capital: the Gravitational Force for the 21st Century? Critical Sociology (forthcoming). Rosa HR (VFr 2012) Aliénation et accélération : Vers une théorie critique de la modernité tardive [V0-Eng 2010: Alienation and Acceleration: Toward a Critical Theory of Late-Modern Temporality]. Paris Fr: la Découverte. Smelser N J (1962; 2012) Theory of Collective Behavior. New York, NY: The Free Press. Whitehead AN (1929, 1978). Process and Reality [Corrected Edition]. New York, NY: Macmillan Publishing Co. Le présentisme comme dépassement de l’antinomie moderne substantialisme/historicisme ? Gendreau G. Université d'Ottawa Cette proposition vise à interroger l’apport de la notion d’historicisme, entendu comme « la philosophie du relativisme historique » (Aron : 11), dans la ré!exion autour du présentisme contemporain. Si l’on souscrit à l’hypothèse du présentisme comme régime d’historicité contemporain (Hartog), ayant succédé au régime d’historicité moderne, caractérisé par les « grands récits » (Lyotard), tant l’historicisme que le présentisme représentent alors des alternatives au régime d’historicité moderne que sous-tendaient les « philosophies spéculatives de l’histoire » (Lagueux). Alors que le terme de « présentisme » n’est apparu que récemment, nombre d’auteurs relient l’historicisme à l’histoire de la modernité elle-même. Oexle considère l’historicisme comme « un phénomène fondamental et constitutif de la modernité, comparable aux Lumières, à la Révolution, à l’industrialisation, la technicisation et la scienti.sation de toutes les sphères de la vie » (Oexle : 53). On retrouve la même idée chez Monod, qui, reprenant les propos de Hans Blumenberg, fait de l’historicisme un produit de la rationalité moderne (Monod : 219). En effet, l’historicisme est une 57 idée phare de la modernité qui comporte en elle-même, dans ses versions les plus fortes, une aporie : celle du relativisme. Cette aporie, si elle a été soulignée dès la .n du 19e siècle, notamment chez les tenants de la « philosophie allemande critique de l’histoire » des Dilthey, Troeltsch, Rickert, Simmel, Weber (Aron), s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Il ne s’agit évidemment pas d’af.rmer que le présentisme comme tel était déjà présent au sein de la matrice moderne, mais plutôt de rappeler que cette tension essentielle entre substantialisme historique, entendu comme « vision totalisante de l’histoire » (Schumm : 99-100), et historicisme, a traversé la conception moderne de l’Histoire. Dès le départ, l’historicisation générale de tous les termes de la vie sociale a été travaillée de l’intérieur par une perspective plus perspectiviste (d’abord chez Nietzsche, puis, notamment, chez Mannheim). Elle s’est également fait sentir de plus en plus dans la manière qu’ont eu les sciences sociales d’appréhender le monde, de sorte que la part compréhensive, voire constructiviste, inhérente au travail de l’historien et du sociologue, a donc été largement reconnue. Or, dans ses versions radicales, l’historicisme constructiviste en vient à dénier toute possibilité d’objectivité à la connaissance, mettant ainsi en péril la valeur épistémique des propositions sociologiques sur le monde, en ramenant constamment celles-ci à leurs conditions d’élaboration. L’on est ainsi en mesure de se demander si cette antinomie moderne ne se serait pas résolue, dans le sillage d’un dépassement de la modernité, par une forme nouvelle d’historicisme, représentée par le présentisme ? En d’autres termes, le présentisme contemporain serait-il une façon, éminemment critiquable, de surmonter cette tension moderne entre substantialisme et historicisme ? Le présentisme apparaîtrait dès lors non pas tant comme une radicalisation de l’historicisme moderne, mais plutôt comme la victoire du perspectivisme nietzschéen sur le substantialisme historique, ainsi que sur l’historicisme plus modéré des tenants de la philosophie critique allemande de l’histoire. Cette forme d’historicisme mesuré semble aujourd’hui effectivement perdu de vue, spécialement au sein des sciences sociales. Or, si chaque régime d’historicité va de pair avec une certaine forme de subjectivation (Benoist et Merlini : 13), quelle .gure du sujet connaissant des sciences sociales « présentistes » dessinent-elles ? Cette interrogation sur les rapports entre présentisme contemporain et historicisme moderne serait peut-être à même de nous éclairer sur cette forme de subjectivité nouvelle. Bibliographie Aron, Raymond, La philosophie critique de l’histoire. Essai sur une théorie allemande de l’histoire, Paris, Julliard, 1987 (1938). Benoist, Jocelyn et Fabio Merlini (dir.), Après la .n de l’histoire. Temps, monde, historicité, Paris, Vrin, « Problèmes & Controverses », 1998. Hartog, François (2003), Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle ». Lagueux, Maurice, Actualité de la philosophie de l’histoire. L’histoire aux mains des philosophes, PUL, 2001, coll. « Zêtêsis ». Lyotard, Jean-François, La condition postmoderne, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1980. Monod, Jean-Claude, « Métaphores et métamorphoses : Blumenberg et le substantialisme historique », Revue germanique internationale, n° 10, 1998, pp. 215-230. Oexle, Otto Gerhard, L’historisme en débat. De Nietzsche à Kantorowicz, Paris, Aubier, coll. « Collection historique », 2001 (1996). Schumm, Marion, « À propos de Hans Blumenberg. Entretien avec Heinz Wismann », Cahiers philosophiques, n° 123, 4e trimestre, 2010, pp. 89-100. Temporalité politique de la généalogie : du présent comme champs de possibles aux ouvertures utopiques. Kebir A. Rennes 1 La pensée généalogique (Nietzsche et Foucault) a grandement contribué à l’effondrement du futurocentrisme en histoire par sa critique radicale du .nalisme et du continuisme. Quali.ée d’« ontologie de l’actualité » par Foucault, elle invite à porter une attention méticuleuse au présent pour laquelle il n’est pas question de déceler les signes d’un progrès continu, mais de comprendre comment nous sommes devenus ce que nous sommes sous l’effet de rapports de pouvoir discontinus et sans télos. L’enjeu est critique : se libérer en contestant les modalités par lesquels nous avons été constitués. Deux objectifs sont ici poursuivis. Premièrement, contester le reproche d’enfermement présentiste formulé par Habermas, pour qui la généalogie réduit toute subjectivité à un pur produit du pouvoir, l’isolant ainsi dans une actualité sans issue. Au contraire, on verra qu’elle pense le présent comme ouverture de possibilités : non pas le résultat nécessaire du passé, mais la cristallisation de rapports de forces contingents, toujours susceptibles de déplacements ménageant des espaces de liberté. La généalogie ouvre des futurs au sein du présent en le dénaturalisant par l’histoire des contingences qui l’ont constitué sans le nécessiter. Ensuite, on marquera l’insuf.sance de la conception foucaldienne de la généalogie qui la juge incompatible avec la 58 formulation d’utopies – i.e. l’énonciation d’alternatives substantielles – pour la limiter à l’indication de possibles indé.nis. On montrera qu’au contraire la généalogie recèle une exigence utopique distincte de l’idéologie du progrès et qui se pense comme approfondissement imaginaire des virtualités alternatives existantes dans les brèches du présent. L’ontologie du présent sera, simultanément, proposition d’avenirs. La centralité du présent dans le cadre de l'expérience démocratique ou comment ré5échir le temps sur le plan politique. Poirier N. Université Paris Ouest L'objet de cette communication est de faire ressortir la centralité du présent dans le cadre du régime démocratique, en montrant que les critiques de ce qui est habituellement caractérisé sous les termes de « présentisme » manquent leur cible, puisqu'en faisant du présentisme le symptôme d'une incapacité à se projeter dans le temps, celles-ci ne parviennent pas à accorder un statut positif au processus de ré!exivité permettant de vivre le présent de manière authentique. Nous nous efforcerons de montrer que loin d'être un handicap rédhibitoire pour qui veut se situer avec vérité dans le temps, l'ancrage assumé dans le présent constitue au contraire la condition de possibilité d'une activité éthique et politique visant la transformation du rapport que l'individu et la société entretiennent respectivement avec ce qu'ils sont. 59 ST 13 : Quelle(s) discipline(s) face aux évolutions des politiques scienti-ques ? Pourquoi déposer un projet (à l'ANR) ? Étude de sociologie des sciences sur les rationalités d'accès aux ressources. Schultz É. Paris Sorbonne Le .nancement par projet compétitif de la recherche a existé en France longtemps avant la création en 2005 de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR). Néanmoins, en devenant la première agence nationale pluridisciplinaire, l'ANR a largement contribué à l'institutionnalisation du .nancement par projet avec diverses conséquences autant sur la conduite quotidienne des recherches que sur l'organisation des laboratoires, des organismes de recherche et des universités. Mais par-delà l'apparence d'unité que confère l'usage de la notion de « .nancement par projets », les formats sont multiples comme peuvent aussi l'être les contextes de recherche. Cette communication poursuit le travail d'analyse de l'appariement entre dispositifs d'allocation de .nancement et pratiques de recherche (Schultz, 2013) en se concentrant sur l'analyse du sens donné par les acteurs à la soumission de projets à l'ANR puis à l'obtention ou à l'échec de celui-ci. J'exploiterai pour cela corpus d'une centaine d'entretiens réalisés auprès de chercheurs ayant participé à deux programmes thématiques de l'ANR – respectivement en biologie végétale et en chimie, complété par des entretiens dans d'autres disciplines. J’insisterai particulièrement sur la distinction entre d’une part la construction du sens réalisé par les chercheurs, les contraintes ressenties et vécues, et la spéci.cité disciplinaire, organisationnelle et matérielle des activités de recherche. Un résultat important est la mise en évidence de différentes formes de rationalités instrumentales de gestion des ressources transversales au contexte disciplinaire qui favorisent la division du travail entre le « travail à la paillasse » et management d'équipe. Entre tradition et innovation, l'impact des demandes sociales sur l'évolution des disciplines techniques en Suisse Romande Didier J. HEP Vaud Nous abordons cette thématique de l’évolution disciplinaire face aux évolutions des politiques scienti.ques en se concentrant précisément sur la question de la « demande sociale » et de ses incidences sur la transformation des disciplines techniques dans la scolarité obligatoire en Suisse Romande. Dans ce contexte, nous investiguons sur les disciplines techniques initialement désignées sous la dénomination travaux manuels et couture. Ces disciplines re!ètent une évolution et une transformation radicale aux contacts d’une demande sociale (Jouve, 2005) dans les années 1970 (Didier et Leuba, 2011, Leuba et al., 2012). L’approche historique et sociologique que nous adoptons dresse une compréhension épistémologique de ces disciplines qui évoluent au contact des demandes sociales. Ces disciplines scolaires apparaissant à la .n du 19ème siècle avaient pour mission de préparer des futurs ouvriers quali.és (Clerc, 1891). Dans une vision traditionnelle et utilitariste de la pédagogie, ces disciplines scolaires ont longtemps été refermées sur elles-mêmes (Charlier et St Jacques, 1985). Dans un contexte de transformation sociale postérieur à mai 1968 (Legoff, 2008), nous observons l’introduction dans le plan d’étude scolaire vaudois du concept de créativité (Didier & Leuba, 2011). Face à une demande sociale forte fondée sur la nécessité de laisser au sujet la possibilité de s’exprimer sur un plan artistique et personnel, ces disciplines techniques se sont vues rebaptisées activités créatrices et activités créatrices sur textiles (Didier, 2011). Une instabilité disciplinaire sur un plan identitaire s’observe suite à cette rencontre entre un concept de créativité non dé.ni et des pratiques sociales toujours de vigueur (Didier et Leuba, 2011). A partir de 2010, l’introduction de la créativité en tant que capacité transversale dans le plan d’étude romand (Leuba & al., 2012) re!ète une transformation des politiques éducatives. En effet, l’intrusion d’une dimension internationale dans les politiques éducatives (Charlier, 2005) s’observe de manière intéressante dans les enquêtes PISA. Dans ce contexte, l’apparition de l’innovation et du développement de la créativité chez l’élève se voit progressivement observé et évalué dans sa capacité à résoudre des problèmes de manière innovante et adaptée. Ceci relance le rôle et la fonction de ces disciplines techniques, devenues accidentellement ambassadrices de la créativité et de l’innovation. Dans cette perspective de changement éducatif nous revenons sur le concept d’ouverture (Charlier et St-Jacques, 1985 ) pour mieux comprendre ces évolutions scolaires induites par les demandes sociales. Dans le but d’accompagner cette ouverture sur un plan disciplinaire, nous introduisons un modèle théorique « Conception-Réalisation-Socialiation » (Didier et Leuba, 2011, Leuba et al., 2012, Quinche et Didier, 2014) permettant de développer une créativité contextualisée et maîtrisée dans la cadre de la réalisation d’objets ou de projets d’objets en milieu scolaire. Ainsi, notre recherche tente de dresser l’évolution de ces disciplines techniques qui au contact de différentes demandes sociales ont évolué de manière signi.catives au niveau des savoirs et de la formation (Didier et al., 2014). Bibliographie 60 Charlier, J.-E. (2005). De quelques enjeux et effets de la mondialisation. Education et société, 16, 17-22 Charlier, J.-E., St-Jacques, M. (1985). Ouverture et transcation scolaire. Revue des sciences de l’éducation, 11. 3, 459475 CIIP (2010). Plan d’Etudes Romand. Neuchâtel, Switzerland: Conférences Intercantonnal de l’Instruction Publique de la Suisse romande et du Tessin. Clerc, E. (1891). Conférence d’ouverture du Cours normal de la Société suisse pour la propagation des travaux manuels dans les écoles de garçons. Perspectives, 5. 27-28. Didier, J. Leuba, D. Perrin, N. Vanini De Carlo, K. (2014). Se former à enseigner la créativité? – ré!exions et synergies autour de quatre concepts au service de la transformation d’une profession. Communication au colloque international. Créativité et apprentissage : un tandem à réinventer, Hep Vaud, Lausanne, 15-16 mai. Didier, J. (2012). La mise en œuvre de la créativité dans l’enseignement des activités créatrices et techniques. Communication au colloque international de sociologie et didactiques, HEP Vaud, Lausanne, Suisse, 13 et 14 septembre. Didier,J.(2012). Culture technique et éducation. Prismes, 16, 14-15 Didier, J., & Leuba, D., (2011). La conception d’un objet : un acte créatif. Prismes, 15, 32-33. Jouve, N. (2005). La démocratie en métropoles : gouvernance, participation et citoyenneté. Revue française de science politique, 2. 55, 317-337 Latour, B. et Woolgar, S. (1988). La vie de laboratoire. La production des faits scienti.ques. Paris : La Découverte. Legoff, J.-P. (2008). Mai 68 : la France entre deux mondes. Le Débat, 149, 83-100. Lubart, T. (2003). Psychologie de la créativité. Paris : Armand Colin. Leuba, D. (2014). Créatif en AC&M… oui, mais comment ? Revue Educateur, 2. 14, 6-7. Leuba, D., Didier,J., Perrin, N. Puozzo, I., & Vanini De Carlo, K. (2012). Développer la créativité par la conception d'un objet à réaliser. Mise en place d'un dispositif de Learning Study dans la formation des maîtres. Revue Education et Francophonie XL2, 177-193. Quinche, F. & Didier, J. (2014). Développer la créativité des élèves au moyen de la robotique. Educateur, 2. 11-12 Des recherches indisciplinées dans des laboratoires sans murs 1 Fallon C., 2Thoreau F. Université de Liège 1, Université de LIège / Ecole des Mines 2 Les chercheurs en sciences politiques et sociales, voire les philosophes politiques, sont de plus en plus souvent « embarqués » dans des projets résolument transdisciplinaires, portés par les groupes de recherche de différentes disciplines, engagés dans les développement scienti.co-technologiques les plus pointus (que ce soit dans le secteur des nanotechnologies ou des biotechnologies médicale, voire de la gestion de la sécurité nucléaire, pour citer trois exemples récents). Le point de départ de notre proposition est l’observation du décloisonnement majeur opéré entre les disciplines de médecine et de sciences au cours des dix dernières années. Le GIGA est un centre de référence de l’Université de Liège qui rassemble dans un espace sans mur (Fallon 2011) des centaines de chercheurs af.liés à des facultés d’enseignement et des secteurs disciplinaires précis, mais engagés dans des projets de recherche interdisciplinaires : le rassemblement physique du GIGA favorise le partage des équipements sophistiqués mais aussi le brassage des disciplines et des connaissances tacites des chercheurs autour de projets ou de questions partagées. Ce développement a été favorisé par les opportunités portées par le .nancement de projets (régionaux, européens, internationaux) reposant sur des apports disciplinaires croisés. La transformation la plus récente qui justi.e cette proposition d’intervention est l’embarquement ab initio d’un groupe de chercheurs en science politique et philosophie dans le cadre du développement de thérapies géniques et de diagnostics prénatals. Ce projet GIGS (Gouvernementalité, génomique & santé) résulte en grande partie des ré!exions d’un groupe de généticiens du centre hospitalo-universitaire qui observe avec étonnement des pratiques innovantes outre Atlantique, où l’embarquement des sciences humaines au cœur même des projets de sciences naturelles et médicales est une réalité. Si les apports potentiels de cette démarche sur le développement des sciences naturelles sont bien documentés dans la littérature STS (Van Oudheusden & Laurent 2013 ; Meyers et al 2014 ), la plupart de ces travaux traitent moins des effets de ces embarquements sur le développement de la discipline source, par exemple la science politique. Il est dans ce cas important de poser une double question sur l’embarquement des sciences humaines. La première ligne de ré!exion s’interroge sur les conditions de transfert des expériences étrangères et les conditions de possibilité de nouvelles entités hybrides qui se déploient à l’écart du cloisonnement facultaire. Il faut aussi dans un second temps se poser la question des conditions de développement disciplinaire propre, pour les politologues et les autres chercheurs, dans un environnement aussi intégré que le GIGA où vétérinaires, médecins, ingénieurs et bientôt politologues et philosophes se côtoient, transformant les patients et leurs ADN autant que leurs propres outils disciplinaires tout en 61 conservant un ancrage disciplinaire spéci.que fort pour garantir la cohérence de leurs questionnements et l’acuité de leurs méthodes d’investigation face à un terrain partagé (Thoreau & Despret 2014). En.n, la présentation proposera des pistes de discussion sur une question subsidiaire : la recon.guration des modes de gouvernance universitaire et des modalités de construction disciplinaires permet-elle d’envisager la construction d’un centre interdisciplinaire aujourd’hui particulièrement exposé aux exigences internationales dans un environnement très concurrentiel (Fallon & Delvenne 2009). Bibliographie Fallon C. 2011. Les acteurs-réseaux redessinent la science. Le régime de politique scienti.que révélé par les instruments. Thélème 8. Louvain La Neuve, Belgique: Academia Bruylant, 2011. Fallon C. et Delvenne P.. 2009. Les transformations actuelles du régime de l’innovation en Wallonie : une analyse des pôles de compétitivité. Innovation: the European Journal of Social Science Research 22, no. 4 (December 2009): 411421. Van Oudheusden M, Laurent B., 2013. Shifting and Deepening Engagements: Experimental Normativity in Public Participation in Science and Technology. Science technology innovation studies. 01/2013 Meyers G, Van Oudheusden, M. & Thoreau, F.2014. Introducing the Belgian Science and Technology Studies Network (BSTS). Conference EASST- 17-19/9/2014 - Situating Solidarties: Social Challenges for Science and Technology Studies, Torun, Pologne Thoreau, F. & Despret, V., 2014, La ré!exivité : de la vertu épistémologique aux versions mises en rapports, en passant par les incidents diplomatiques in Revue d'Anthropologie des Connaissances (2014), 8(2), 391-424 La technologie comme science politique Lequin Y. UTBM (Université de technologie de Belfort-Montbéliard (France) La technologie comme science politique, quel devenir ? La technologie a été inventée en Allemagne, comme science politique universitaire, voici deux siècles et demi ; longtemps ignorée en France puis dé.gurée, car jugée irrecevable par le libéralisme depuis 1815, à nouveau sollicitée après 1968 puis à nouveau rétrécie, elle reste pour l’essentiel ignorée des sciences politiques contemporaines, si bien que les « élites » françaises (hauts fonctionnaires, parlementaires, etc.) apparaissent aujourd’hui comme « techniquement incultes ». Quel devenir peut-on concevoir en ce domaine, en même temps qu’une démocratisation technique de la société ? --Discipline née en Allemagne, comme prolongement pédagogique de l’Encyclopédie de Diderot et de ses planches, au moment même où débutait la révolution industrielle en Angleterre ; enseignée, parmi les sciences camérales, aux futurs dirigeants politiques des villes libres et des États germaniques, elle eut un immense succès en Europe (de Strasbourg à Saint-Pétersbourg, et de Vienne à Upsal, mais ni en France, ni en Angleterre, ni en Europe du Sud). Selon F. Sigaut (1987), elle suscita « une masse fantastique de publications » (complètement ignorée aujourd’hui encore en France), avant de s’essouf!er .n XIXe siècle. Marx, en 1867, à qui cette discipline est familière, préconise d’« introduire l’enseignement de la technologie, pratique et théorique, dans les écoles du peuple » (Le Capital). Malgré des essais prestigieux pour la promouvoir, elle ne trouva pas place en France : 1792, Haffner ; 1793, Hassenfratz et Lavoisier ; 1802, Chaptal ; 1816, G.-J. Christian à Polytechnique ; 1808 et 1819, projets de Cuvier (une ENA avec de la technologie). On lui préféra une « science industrielle » destinée aux futurs ingénieurs ou chefs d’entreprises (CNAM, Centrale), puis…rien pour les responsables administratifs et politiques ; les universités et les écoles d’ingénieurs se développèrent en ordre séparé, sans technologie ; les facultés de droit l’ignorèrent, comme les Écoles supérieures : l’École libre des sciences politiques (1872) comme l’ENA de 1945 (qui semble avoir été davantage inspirée de l’École d’Uriage que du programme du CNR, Conseil national de la Résistance). Le savoir professionnel enseigné reste tronçonné, à l’image d’une division cloisonnée des fonctions. De manière dominante, la technique est perçue comme application de sciences de la nature, donc comme phénomène indiscutable et indécidable, rationnel et universel, non comme résultat de choix sociaux, culturels, économiques, politiques. En dé.nitive, la France actuelle a les élites les plus incultes…techniquement parlant (Cahiers de RECITS n°9, 2013). Pour positives qu’elles soient, les innovations pédagogiques des années 1950-1960 (introduction d’humanités dans certaines écoles d’ingénieurs : INSA [1957], universités de technologie [1972], ou introduction d’une technologie en collège [1962] comme transition vers l’usine puis comme « culture technique ») ne comblent pas cette lacune dans les sciences politiques enseignées en France ; et de moins en moins, car le mouvement actuel du regroupement d’établissements d’enseignement supérieur tend à évincer aussi bien les sciences humaines des enseignements techniques (en formation d’ingénieurs notamment) et professionnels, que le peu de culture technique incluse dans quelques enseignements généraux. On reste encore loin ou plutôt on s’éloigne encore du premier programme tracé en France, en 1792, par Isaac Haffner, professeur en théologie à l’université de Strasbourg, programme qui parait pourtant encore plus actuel aujourd’hui : «Ce 62 ne sont pas seulement des théologiens, des légistes, des médecins, des littérateurs, des philosophes, dont on ait besoin dans un grand État ; il y faut aussi des administrateurs intelligents. Les domaines, les .nances, la direction des monnaies, le commerce, les manufactures, l’industrie, les moyens de la faire !eurir dans ses différentes branches, tout ce qui regarde les revenus et la grande police d’un État, les mines, les salines, l’économie rurale et forestière : ce sont là autant d’objets sur lesquels il faut avoir acquis des connaissances particulières, lorsqu’on se destine à être législateur ou membre d’un département. » (Haffner Isaac.- De l’éducation littéraire, ou essai sur l’organisation d’un établissement pour les hautes sciences.- Strasbourg : Librairie académique.- 1792.- 343 p. (p 230-232). De nos jours, dans nos sociétés, des mégasystèmes techniques (privés ou étatiques) disposent d’un pouvoir exceptionnel sur le devenir individuel et collectif, sans que les citoyens ne prennent part à leur décision, sauf à émettre quelques avis ou suggestions. Ne pourrait-on imaginer une « démocratie technique », où s’exerce une souveraineté populaire sur ces mégasystèmes techniques ? Une souveraineté qu’exerceraient tous ceux qui y travaillent, ainsi que des représentants des organismes qui contribuent à leur .nancement (États, collectivités locales), des établissements qui leur apportent leur concours, des utilisateurs en.n. Cette souveraineté s’exercerait à tous les niveaux des processus techniques où se font des choix fondamentaux. Devant une telle perspective, et en se plaçant dans l’esprit d’Isaac Haffner, ne devrait-on pas reconsidérer l’enseignement français, a.n d’y développer une technologie qui donne à tous, et à tous niveaux, les éléments de compréhension des principaux processus techniques et des enjeux des principaux choix qui s’y font et s’y feront ? Bibliographie Lamard Pierre et Lequin Yves-Claude.- La technologie entre à l’université. Compiègne, Sevenans, BelfortMontbéliard… Belfort : Pôle éditorial UTBM. 2006. 392 p. Lequin Yves-Claude.- Cuvier et la préhistoire…de la technologie (1786-1820), pp. 325-331, in Revue de Paléobiologie, Genève, décembre 2013, n° 32 (2). Lequin Yves-Claude.- France : une pensée sans technique ?, pp. 137-167, in Cahiers de RECITS, n° 9, 2013.Belfort : Pôle editorial UTBM.- 182 p. Lequin Yves-Claude.-Technology for an inclusive democracy. - pp. 107-126, in New Elements of Technology. - Belfort : Pôle editorial UTBM.- 2012.- 146 p. Lequin Yves-Claude.- Quelle démocratie technique, hier et demain ? (colloque SFHST : « Formations technologiques et démocratie technique : quelle pertinence ?», Lyon 28-30 avril 2014.- Livre à paraitre .n 2014). Politiques réalistes, politiques constructivistes Angeletti T. FMSH / Université de Cambridge Pour saisir les transformations de la politique scienti.que relative à la science économique, il est possible d’étudier les institutions qui en assurent la diffusion, l’implantation et le .nancement (Pollak, 1976). Une autre solution consiste, pour alimenter ces recherches, à mobiliser des éléments morphologiques permettant de dé.nir l’évolution des économistes universitaires, d’en comparer les transformations relatives, d’en étudier en.n les oppositions (Godechot, 2011). Il est également possible – et c’est la solution privilégiée pour cette communication – d’analyser comment certains économistes, occupant des postes dans l’administration ou bien y intervenant au titre d’experts, peuvent contribuer à orienter les politiques économiques. La systématisation de ces interventions, la multiplication des rapports d’expertise et l’extension prise par les travaux des économistes dans le champ administratif peut en effet être vue comme une politique scienti.que en tant que telle, même si sa forme apparaît peu institutionnalisée et structurée. On arguera ainsi – en mobilisant ici les principaux résultats dans le cadre de notre thèse de sociologie (Angeletti, 2013) – que les transformations qui touchent la science économique peuvent être saisies à travers le type d’actions politiques qu’elles sous-tendent, et approchées ici à travers le cas de la France dans les dernières décennies du XXe siècle. La science économique en France s’est en effet développée de manière privilégiée dans le champ administratif à l’inverse, par exemple, des économistes américains plus investis dans le secteur privé (Fourcade, 2009). À partir d’une étude de l’activité des économistes depuis les années 1960 dans des institutions telles que le Plan, l’INSEE et le ministère des Finances, il apparaît possible de distinguer, dans le cadre de cette communication, deux grandes formes d’actions politiques appuyées sur les travaux des économistes. Conditions et formes de l’internationalisation scientifique. Une étude comparative des carrières de politistes français et britanniques Boncourt T. Paris 1 / EHESS La sociologie et la sociologie politique des sciences ont, ces dernières années, fait l’objet de regains d’intérêts. En particulier, plusieurs travaux ont mis en évidence la manière dont l’action publique (à l’image des politiques de massi.cation de l’enseignement supérieur dans les années 1960), des organisations (comme les fondations philanthropiques) ou des contextes politiques particuliers (comme celui de la Guerre froide intellectuelle) créent les 63 conditions d’une institutionnalisation, d’une autonomisation ou encore d’une internationalisation des disciplines scienti.ques. Nombre de ces travaux se situent néanmoins à un niveau d’analyse méso-social : en prenant pour objet principal des associations professionnelles, des départements universitaires ou des revues scienti.ques, ils ne s’intéressent aux carrières individuelles des universitaires que de manière secondaire. Cette proposition de communication, tout en s’inscrivant dans le mouvement général des travaux évoqués, vise à prolonger la ré!exion en se centrant sur l’étude de parcours scienti.ques. Plus précisément, elle s’intéresse aux conditions sociales de possibilité et aux modalités pratiques de l’internationalisation des parcours scienti.ques. Elle mobilise, pour ce faire, un matériau biographique qualitatif collecté par récits de vie auprès de 45 politistes français et britanniques. Ainsi, elle permet de tirer des conclusions comparatives quant à la manière dont plusieurs facteurs façonnent l’internationalisation des parcours individuels : les politiques de .nancement de la recherche, les dispositifs d’évaluation scienti.que, les institutions de rattachement des acteurs étudiés, les paramètres linguistiques et l’historicité propre de la discipline dans les champs nationaux concernés. Ces différents facteurs se combinent pour créer les conditions d’une internationalisation d’intensité et de direction différentes dans les deux pays : au Royaume-Uni, l’internationalisation apparaît à la fois fréquente et orientée vers les arènes scienti.ques centrales de l’espace mondial de la science politique (Association Américaine de Science Politique, par exemple) ; en France, elle apparaît moins spontanée et plus fréquemment orientée vers des arènes alternatives, relevant de disciplines connexes comme la sociologie ou l’anthropologie. En dernière analyse, cette communication permet ainsi d’interroger la géométrie variable des disciplines dans différents champs nationaux. Les enjeux linguistiques pour l’intégration régionale : quand l’isomorphisme se substitue à la qualité des disciplines académiques Imaniriho D. Université Catholique de Louvain Dans un système mondialisé, les idées éducatives circulent facilement d’un système à l’autre, mais aussi d’un pays à l’autre. Ce phénomène de regroupement dans l’ensemble déclenche des changements considérables dans l’enseignement supérieur. Le processus d’incorporation et de réappropriation de ces changements varie selon les spéci.cités nationales ou régionales. Par conséquent, il n’est pas rare que au sein d’un même système éducatif, différentes réformes académiques se fassent fatalement concurrence, en fonction des intérêts politiques mis en jeux. Dans cette perspective, la présente proposition de communication s’intéresse à une confrontation linguistique dans l’enseignement supérieur au Rwanda et son impact sur la recon.guration des disciplines académiques. Soucieux de s’intégrer dans l’ensemble des pays du CEPGL (Communauté Economique des Pays des Grands Lacs) et de la CAE (Communauté de l’Afrique de l’Est), deux groupements dont la diversité linguistique est en quelque sorte problématique et déroutante, le Rwanda a entrepris des transformations académiques remarquables en matière linguistique. Toutefois, l’évolution de la langue d’enseignement dans le système éducatif rwandais n’est pas un phénomène récent. Dans moins d’un siècle, différentes langues ont été adoptées en tant que langues d’enseignement créant parfois une confusion dans le processus de transmission des savoirs : du Swahili à l’Allemand, de l’Allemand au Français, du Français au Kinyarwanda, du Kinyarwanda au Français et en .n, du Français à l’Anglais. Partant de cette dynamique linguistique dif.cilement stabilisée, la présente communication se propose de mettre à jour les enjeux liés à l’internationalisation linguistique dans le milieu académique. Le questionnement s’intéresse sur les conditions sociohistoriques ainsi que sur les visées politiques qui sous-tendent ces modi.cations linguistiques itératives en vue de mieux appréhender les idiosyncrasies nationales sous-jacentes. Cette communication souscrit à l’approche cognitive des politiques publiques. Partant des concepts de matrice cognitive partagée (Muller, 2000) et d’institutionnalisation par imprégnation (Simoulin, 2000), elle montre que les transformations linguistiques dans le milieu académiques au Rwanda découlent d’un souci d’homogénéisation des pratiques académiques plutôt que de la qualité des disciplines académiques dispensées. Cette proposition de communication ne porte pas spéci.quement sur l’espace francophone. Quoique l’analyse s’intéresse sur les transformations linguistiques dans le milieu académique au Rwanda, elle fait également appel aux données issues des pays anglophones tels que l’Uganda et le Kenya. Toutefois, elle s’inscrit dans l’étude des transformations des politiques publiques et leur impact sur la dynamique académique. L’objectif est de mettre en évidence la manière dont la rencontre entre les traditions nationales et les injonctions internationales engendre des transformations des disciplines académiques. Cette communication s’appuie sur l’étude des documents produits au Rwanda en particulier mais aussi en Afrique de l’Est en général, à partir des années 1990 jusqu’à aujourd’hui. Elle analyse le discours des acteurs académiques pour déceler les dynamiques linguistiques et leur impact sur les transformations des disciplines dispensées dans le milieu académique au Rwanda. Bibliographie Muller, P. (2000). L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique. Dans Revue française de science politique, 50e année, nº2, p. 189-208. Muller, P. & Surel, Y. (1998). L’analyse des politiques publiques. Paris : Mont-chrestien. 64 Munyankesha, P. (2011). Quel avenir pour le français dans la nouvelle politique linguistique au Rwanda. Dans les Cahiers du GRELCEF No 2, Mai 2011. Ntakirutimana, E. (2012a). Rwanda: une cohabitation linguistique complexe. Dans Francophonies du Sud, no 29, juillet-août, 2012. Simoulin, V. (2000). Emission, médiation, réception… Les opérations constitutives d’une reforme par imprégnation. Dans Revue française de science politique, 50e année, nº2, p. 333-350. Réformes de l'enseignement supérieur et transformations disciplinaires : le cas de la Géologie en Suisse. 1 Fouradoulas A.-V., 1Leresche J.-P. Lausanne1 Dé.nies ici comme des instances de savoir et des institutions de contrôle socio-politique, les disciplines académiques constituent des lieux de pouvoir et de reproduction du pouvoir qui se manifestent autant à travers l’innovation scienti.que et pédagogique que les résistances institutionnelles (Gorga, Leresche, 2015). Depuis bientôt deux décennies, les disciplines académiques connaissent d’importantes transformations dans un triple contexte de globalisation scienti.que, de spécialisation accrue des savoirs et de revendications/injonctions plus larges d’interdisciplinarité. A ces facteurs généraux, à la fois endogènes et exogènes aux disciplines, s’ajoutent les développements relatifs à l’autonomie institutionnelle accrue des universités à la suite de la mise en place de mécanismes propres au New public management (Braun, Merrien, 1999; Ferlie et al., 2008), aux développements de l’évaluation et de l’assurance-qualité (Louvel, Lange, 2010 ; Gorga, 2011 ; Fallon, Leclercq, 2013 ; Romainville et al., 2013) et à l’introduction de la réforme de Bologne en Europe accompagnant le projet de construction d’un Espace européen de l’enseignement supérieur (Ravinet, 2011) et son cortège de « techniques » pédagogiques (learning outcomes, etc.) (Charlier, Croché, Leclercq, 2012). En Suisse, la Géologie a expérimenté des transformations importantes comme discipline durant ces 20 dernières années. Dès le début des années 1990, dans un contexte de restrictions budgétaires accrues dans les collectivités publiques (cantons et Confédération), la Géologie est citée dans les médias comme une discipline coûteuse en équipement en regard d’un nombre relativement faible d’étudiants. Elle fait alors l’objet d’une injonction à la fois politique et médiatique de coordination inter-universitaire, en particulier à l’échelle de la Suisse romande (Leresche et al., 2012). A l’époque, le débat sur une rationalisation de l’offre en Géologie se déroule à plusieurs échelles (cantonales, intercantonales et fédérales). Puis, dans les années 2000, comme d’autres disciplines, la Géologie est soumise aux prescriptions et à la mise en œuvre de la réforme de Bologne (Amaral, Veiga, 2006 ; Musselin, 2006). Dans une perspective de sociologie historique de l’action publique, ce papier vise d’abord à comprendre les effets de réformes (cantonales, nationales et internationales) de l’enseignement supérieur sur cette discipline à partir de ses évolutions curriculaires suivies sur deux décennies (1990-2010) dans les universités de Fribourg (UNIFR) et de Lausanne (UNIL). A.n de mettre en lumière le parcours disciplinaire de la Géologie, il est prévu d’examiner principalement les transformations des curricula académiques (Forquin, 2008), les modi.cations structurelles, ainsi que le discours des acteurs. Autrement dit, il s’agit d’analyser dans quelle mesure les cursus de Géologie ont varié dans la période étudiée et quels sont les stratégies et discours de défense mobilisés par les divers acteurs de la discipline pour assurer la reproduction de celle-ci au plan de l’enseignement. Pour ce faire, ce papier cherche à pointer les convergences et divergences disciplinaires dans les curricula de Géologie. Dans un second temps, il est question d’examiner si un effet institutionnel propre aux universités ou facultés considérées (universités de Fribourg et de Lausanne) peut être observé ou non. Comment deux établissements universitaires se sont-ils approprié des réformes politiques internes et externes et ont-ils mobilisé des « ressources contextuelles » (Merz, 2015) pour introduire le changement en Géologie ? Ce papier ambitionne donc d’évaluer l’impact de réformes cantonales, nationales et internationales sur les programmes d’études d’une discipline, et ses déclinaisons et adaptations curriculaires au niveau des établissements sélectionnés, conçus comme autant « d’ordres sociaux locaux » (Paradeise, Thoenig, 2013). L’une des hypothèses de cette proposition de papier est que si un certain nombre de dynamiques propres à la Géologie se donne à voir dans le cadre suisse de l’enseignement supérieur, on peut également identi.er des « ordres disciplinaires » locaux liés aux spéci.cités institutionnelles des universités (Musselin, Texeira, 2010). Ce papier postule également que cette discipline « établie » (Merz, 2015) est particulièrement réticente aux politiques de changement, qui sont ressenties comme imposées de l’extérieur et parfois de nature à l’affaiblir. Il s’agit donc d’étudier les transformations curriculaires successives de cette discipline (avec par exemple le glissement sémantique de Géologie à Sciences de la Terre) en essayant également d’identi.er un effet institutionnel/organisationnel dans ces changements. Au plan méthodologique, l’analyse qualitative se base sur des sources écrites – à savoir les programmes et les règlements d’étude en Géologie entre 1990 et 2010 – et des entretiens semi-directifs menés auprès de responsables académiques et institutionnels des universités de Fribourg et de Lausanne dans le cadre d’un projet du Fonds national suisse de la recherche scienti.que (FNS) mené entre 2013 et 2015 intitulé « Changement d’architecture et architecture du changement : fabrique des curricula universitaires en Suisse et réforme de Bologne ». 65 Bibliographie AMARAL A., VEIGA A., « The Open Method of Coordination and the Implementation of the Bologna Process », Tertiary Education and Management, vol. 12, no 4, 2006, pp. 283-295. BENNINGHOFF M., LERESCHE J.-P., « The Internationalization of National Decision-Making Processes: the Case of the Bologna Declaration in Switzerland », in NAHRATH S., VARONE F. (Eds), Rediscovering Public Law and Public Administration in Comparative Analysis, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires, 2009, pp. 197-214. BRAUN D., MERRIEN F.-X. (eds), Towards a new Model of Governance for Universities. A Comparative View, Londres, Jessica Kingsley, 1999. CHARLIER J.-E., CROCHÉ S., LECLERQ B. (eds), Contrôler la qualité dans l’enseignement supérieur, Louvain-LaNeuve, Academia/L’Harmattan, 2012. FALLON C., LECLERQ B. (eds), Leurres de la qualité dans l’enseignement supérieur ? Variations internationales sur un thème ambigu, Louvain-La-Neuve, Academia/L’Harmattan, 2013. FERLIE E., MUSSELIN C., ANDRESANI G., « The Steering of Higher Education Systems: a public management perspective », Higher Education, 56, 2008, pp. 325-348. FORQUIN J.-C., Sociologie du Curriculum, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008. GORGA A., Les jeux de la qualité, Louvain-La-Neuve, Bruylant-Academia, 2011. GORGA A., LERESCHE J.-Ph. (eds), Disciplines académiques en transformation. Entre innovation et résistances, Paris, Editions des archives contemporaines (à paraître en janvier 2015). LERESCHE J.-Ph., JOYE-CAGNARD F., BENNINGHOFF M., RAMUZ R., Gouverner les universités. L’exemple de la coordination Genève-Lausanne, Lausanne, PPUR, 2012. LOUVEL S., LANGE S., « L’évaluation de la recherche : l’exemple de trois pays européens », Sciences de la société, vol. 79, 2010, pp. 11-26. MERZ M., « Dynamique locale des nanosciences au croisement de disciplines établies », in GORGA A., LERESCHE J.-Ph. (eds), Disciplines académiques en transformation. Entre innovation et résistances, Paris, Editions des archives contemporaines (à paraître en janvier 2015). MUSSELIN C., « Les paradoxes de Bologne : l'enseignement supérieur français face à un double processus de normalisation et de diversi.cation », in LERESCHE J.-Ph. et al. (eds), La fabrique des sciences, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2006, pp. 25-42. MUSSELIN C., TEXEIRA P. (eds), Reforming Higher Education: Public Policy Design and Implementation, Dordrecht, Springer, 2014. PARADEISE C., THOENIG J.-C., « Academic Institutions in Search of Quality. Local Orders and Global Standards », Organization Studies, vol. 34, no 2, 2013, pp. 195-224. RAVINET P., « La coordination européenne “à la bolognaise”. Ré!exions sur l’instrumentation de l’espace européen d’enseignement supérieur », Revue française de science politique, vol. 61, no 1, 2011, pp. 23-49. ROMAINVILLE M., GOASDOUE R., VANTOUROUT M. (eds), Evaluation et enseignement supérieur, Bruxelles, De Boeck, 2013. La construction sociale des disciplines universitaires françaises. Ordres locaux et action publique indifférenciée Le Cozanet L. Paris Dauphine Nombre d’instances représentatives du monde académique français (syndicats, associations, sections CNU…) – s’accordent sur plusieurs constats quant aux tendances actuelles des conditions de travail scienti.que : insuf.sance des moyens .nanciers ; appauvrissement thématique du fait du .nancement par projet ; injonction à la publication et à l’internationalisation via les dispositifs d’évaluation, sources de concurrence nuisible ; explosion des tâches administratives faisant concurrence au temps consacré aux activités de recherche etc. Dans les établissements, les enseignants-chercheurs évoquent aussi facilement ces éléments, généralement pour les regretter. Aux deux niveaux, des politiques scienti.ques récentes et les opérateurs en découlant (AERES, ANR…) sont accusés d’être à la source de ces transformations. Lorsque l'on se penche sur les prescriptions de la « tutelle » ministérielle associées à ces politiques, elles semblent faire peu de cas des différences entre disciplines, du moins pas explicitement. Cela lui est d’ailleurs reproché par les instances évoquées plus haut, qui réclament souvent la reconnaissance de « spéci.cités disciplinaires ». Or, en comparant de façon plus approfondie le discours des enseignants-chercheurs, des différences notables apparaissent selon les disciplines et les établissements. Travail individuel ou collectif, importance des manifestations scienti.ques, des ressources matérielles et humaines, relation avec les contenus d’enseignement, développement de partenariats extraacadémiques… L’accent n’est pas mis sur les mêmes enjeux, les zones de frictions ne se situent pas aux mêmes 66 endroits, et les effets identi.és diffèrent. Dès lors, sont soulevées les questions du rôle des politiques scienti.ques dans ces transformations, et de l’existence de « spéci.cités » disciplinaires. On se propose de relire à l’aune de ce questionnement 120 entretiens réalisés auprès d’enseignants-chercheurs dans le cadre d’une recherche doctorale sur la professionnalisation des formations universitaires. Centré sur le travail d’enseignement, ce corpus explore également l’articulation des multiples activités universitaires. Cette communication défend l’argument selon lequel l’activité éducative doit être prise en compte pour comprendre les transformations dans la recherche. Le cas de la professionnalisation comme succès d’une injonction diffuse ayant des effets jusque dans les pratiques de recherche est emblématique, et la comparaison de quatre disciplines (lettres, droit, physique et sciences de l’information et de la communication), représentées à chaque fois dans deux établissements français, permet de tester l’hypothèse disciplinaire. Dans un premier temps, on présentera plusieurs situations, mettant en évidence le caractère structurant de l’ancrage local des disciplines, en particulier à travers les .lières d’enseignement. On montrera ainsi ce que les transformations des activités scienti.ques présentées par les enquêtés disent de (et doivent à) la construction locale de la demande sociale. On défendra l’idée selon laquelle, sans abandonner la grille de lecture disciplinaire pour céder aux sirènes présentant l’établissement comme seule variable déterminante, une façon d’échapper aux conceptions les plus naturalisantes des disciplines, tout en restant ouvert à d’éventuelles spéci.cités « historiquement et socialement situées », est de penser les disciplines (et les établissements) comme des institutions, au degré variable d’institutionnalisation, d’incarnation par des individus au premier rang desquels les enseignants-chercheurs. Dans un second temps, s’interroger sur le rôle de l’action publique, reviendra donc à s’intéresser au changement institutionnel. Dans contexte de vaches maigres, le ministère incite, oriente, favorise, et ainsi participe au dessin de l’espace concurrentiel dans lequel évoluent les universitaires incarnant disciplines et établissements. Plusieurs travaux ont étudié ces processus en ce qui concerne les politiques en matière de recherche, mais peu ont comparé les disciplines, et la relation avec les activités d’enseignement a souvent été ignorée. On montrera que la puissance publique ne peut être considérée comme le chef d’orchestre des transformations disciplinaires. En revanche, du fait de la présence d’institutions (disciplines et établissements), elle contribue, précisément en produisant des discours et des dispositifs d’action publique a priori indifférenciés, à la différenciation interne au monde académique, dont un des résultat les plus visibles est la répartition territoriale des disciplines et des thématiques de recherche. 67 ST 14 : (Inter)dépendance et pouvoir de l’Etat dans le monde contemporain Le pouvoir et l'interdépendance des Etats dans le contexte institutionnel international contemporain. Le cas des micro-Etats Grigoriou P. Université de l'Egée Pour bien coopérer, mener la diplomatie et imposer le respect de leurs propres intérêts nationaux, les États ont besoin d'un cadre institutionnel pour se concerter en vue de traiter leurs affaires ensemble, dans un esprit d'entente et de paix. Pour ce faire, les États, en leur qualité de sujets originaires de Droit International, créent des organisations internationales poursuivant un certain nombre d'objectifs dans l'intérêt commun. De ce fait, nous allons mettre l'accent sur les matières relatives à l'organisation de la communauté internationale, dotée d'un cadre institutionnel, promouvant par excellence la coopération internationale et la diplomatie multilatérale. La vision géopolitique de la présence et du fonctionnement normal des micro-États au sein de la communauté internationale, en qualité de membres à part entière et sur un pied d’égalité avec tous leurs autres partenaires à ce niveau, s’appuie fortement sur le fait qu’il s’agit d’entités étatiques dont l’institution remonte en profondeur dans le temps. De cette manière, les micro-États préservent leurs droits souverains ainsi qu’ils s’engagent à respecter leurs obligations qui en découlent. Pourtant, les micro-États assurent une participation équitable avec tout autre États, plus ou moins grand, dans les institutions internationales à caractère économique, .nancier ou politique. Cela signi.e que la production .ctive de micro-États sans aucune régularisation de leur participation dans la vie internationale affecte et ridiculise complètement leur dé.nition en droit international et leur rôle dans les relations internationales. En général, les micro-États présentent une politique étrangère limitée, un secteur public très faible et un dé.cit remarquable de personnel administratif et politique. Nature du pouvoir et stratégies des puissances émergentes Vercauteren P. Université Catholique de Louvain La survenance et l'évolution de la gouvernance globale a été autant le révélateur qu'un facteur de modi.cation de la nature du pouvoir, en particulier de l'Etat, dans le monde contemporain au cours de ces dernières décennies. Dans ce contexte, les puissances émergentes vont tirer pro.t des modi.cations de la structure du système international et de la nature de la puissance pour développer des stratégies leur permettant de poursuivre leurs intérêts nationaux. L'objet de la présente contribution consiste à préciser ces stratégies qui se déploient tant dans les instances formelles qu'informelles de la gouvernance globale. L'interdépendance comme source de pouvoir pour l'Etat Palau Y. université Paris-Est Créteil L'interdépendance comme source de pouvoir pour l’État. L'interdépendance est souvent analysée comme une source de perte de pouvoir en interne ou en externe pour l’État érodant sa souveraineté et conduisant à sa banalisation parmi d'autres acteurs politiques. L'objet de cette communication est de nuancer cette analyse courante et de montrer que d'une part l'interdépendance peut être une source de pouvoir pour l’État d'autant plus qu'il en est souvent à l'origine et qu'il contrôle au moins partiellement le périmètre dans lequel se déploient les autres acteurs politiques et que d'autre part cette interdépendance produit moins une perte de pouvoir pour l’État qu'un déploiement d'autres dispositifs de pouvoir, déploiement souvent nommé à travers le terme de gouvernance. Sortir du nationalisme méthodologique pour penser l’État et la souveraineté Floss S. Rennes1 L’État-Nation tel qu’il s’est construit n’apparaît plus comme un cadre pertinent d’exercice du pouvoir. Le développement de la biopolitique et le processus de coalescence croissante des sociétés entrainé par les progrès technologiques et la mondialisation ont entrainé une modi.cation profonde des structures étatiques, à tel point que les concepts d’État et de souveraineté ne semblent plus fournir un cadre théorique satisfaisant pour penser le pouvoir politique. En effet, le polycentrisme croissant des États et leur imbrication de plus en plus grande au sein de structures 68 internationales remettent en cause le modèle hiérarchique pyramidale wébérien, la dimension nationale des États et la distinction entre interne et externe. Or tant la dimension nationale de l’État et son organisation légale-rationnelle sur le modèle wébérien ne sont pas essentiellement liées à l’État. Elles sont le fruit du nationalisme méthodologique qui amène à réduire l’État aux formes qu’il a prises au XIXe et XXe siècles, c'est-à-dire à l’État-Nation légal-rationnel. En ce sens, les théories de la souveraineté, ayant été pensée avant l’apparition tant des Nations que de la bureaucratie, peuvent paradoxalement apporter des éléments théoriques permettant de penser les évolutions contemporaines des structures politiques. Cette intervention s’attachera à montrer qu’il est possible de penser l’unité de l’État et du droit à travers l’idée de souveraineté en revenant à sa dé.nition première de puissance de commandement. Cette dé.nition a un triple intérêt. Elle permet d'une part de récuser la distinction traditionnelle entre souveraineté interne et souveraineté externe. Elle permet d'autre part de distinguer la logique de l’État (commandement) de celle du gouvernement (production d'effets sociaux). Elle permet en.n de remettre en cause la différence entre acteurs privés et acteurs publics. Il apparaîtra alors que les évolutions contemporaines des structures politiques traduisent un renforcement du pouvoir de l’État et une augmentation de la capacité de contrôle des gouvernants. L’État devient plurinational et incorpore une part de plus en plus grande des acteurs de la société civile. Proposition de réflexion structurale : l’étape de la dissociation de la production et de la distribution Verjans P. Université de Liège Partant de l’hypothèse post-rokkanienne que quatre questions fondamentales se posent aux collectivités et que la manière d’y répondre tend souvent à former une bipolarité d’intérêts, signi.ants politiques (Centre-Périphérie ; ÉgliseÉtat ; Ville-Campagne que je remplace par Marché-Terroir ; Capital-Travail), nous avons proposé d’y associer respectivement des paires de valeurs, signi.és politiques (Inclusivisme-Exclusivisme ; Autonomie-Hétéronomie ; Individualisme-Holisme ; Égalitarisme-Élitisme). Les travaux sur la gouvernance internationale sont surtout nés après l’affrontement Est-Ouest, permettant la construction d’un espace commun de gestion collective, avec l’émergence d’un Centre (trilatéral) dominant des Périphéries subjuguées. C’est dans cette euphorie de la .n de l’histoire que l’Organisation mondiale du commerce émerge, couronnée par un Organe de règlement des différends qui impose ses décisions aux États bien plus ef.cacement que le Conseil de Sécurité des Nations unies. Triomphe de la question de la production et des paradigmes d’intérêt Marché et d’idée Individualisme, stigmatisé par la dénonciation du triomphe de la cupidité et du monde unidimensionnel. Considérons que la parenthèse du choc des civilisations et de la mise en évidence pôles Église et Hétéronomie vivent par à-coups depuis le 11 septembre 2001 ne constituent qu’un glissement syntagmatique de court terme. La question qui se pose depuis le choc bancaire de 2008 consiste à savoir si les travaux du G20 permettent de croire en un glissement syntagmatique plus important : celui du dépassement de la priorité au Marché par une priorité au Travail, de la priorité à l’Individualisme par la priorité à l’Égalitarisme. Autrement dit, le Capital au XXIe siècle sera-t-il le signe d’un retournement aussi signi.catif que le New Deal et la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie l’ont été pour la promotion des solutions keynésiennes aux crises du capitalisme du siècle dernier. L’écart entre les positions de nombre d’économistes autrefois économètres et de leurs suppôts et disciples actuellement aux manettes des institutions .nancières mondiales et qui restent dans la vulgate monétariste sur les solutions à adopter pour que les États sortent des dif.cultés où le laxisme vis-à-vis des banques a mené le monde illustre peut-être un retour de la question de l’égalité dans le capitalisme mondial. L’État neutralisé par le marché. L’exemple de la régulation de l’usage des pesticides en France Ansaloni M. Institut d'études politiques de Bordeaux L’instrumentation de l’action publique par le marché constitue une modalité centrale d’exercice du pouvoir politique contemporain. Les États gouvernent en créant des marchés et ce, quelque soient les secteurs d’intervention publique – domaines régaliens inclus. Cette manière de gouverner renouvelle en profondeur les interdépendances entre États et sociétés civiles, la fourniture des services publics étant de plus en plus le fait de fournisseurs privés. Sociologues et politistes n’ont guère investi le phénomène. Théoriques, les analyses disponibles se scindent en un débat binaire : les uns, majoritaires, estiment que le recours par l’État à la forme du marché renforce ses capacités de « pilotage à distance » (Le Galès et Scott ; Hibou ; Weiss ; Levy) ; les autres défendent l’idée selon laquelle le recours par l’État au marché signe au contraire sa perte de capacité d’action autonome. Soumis à de puissants intérêts privés, l’État démissionnerait, abandonnant de nombreuses matières à des entreprises privées ou parapubliques (Friedland ; Jobert ; Crouch). À partir de l’exemple du marché de la certi.cation de l’usage des pesticides en France, cette communication investit ce débat en interrogeant les conditions d’effectivité de cette manière de gouverner. Fondée empiriquement, elle montre que l’instrumentation de l’action publique par le marché neutralise la capacité d’action autonome de l’État : dépendants de 69 leurs prestataires de service, ses agents perdent la main sur le marché qu’ils ont institué, donc sur l’action publique qui le fonde. Poursuivant un objectif ambitieux, mais dépourvus de ressources suf.santes, les agents de l’État ont été contraints d’externaliser la gestion de l’action publique pour en con.er la responsabilité à des fournisseurs privés. Le langage de la gouvernance climatique Hufty M. IHEID Le pouvoir passe par le langage. Au sens du linguiste, lorsque dire c'est faire (Austin), mais aussi au sens du constructiviste, lorsque nommer et dé.nir, c'est faire exister. On gouverne certes par les instruments (Lascoumes), mais aussi par le discours, dé.ni comme un ensemble spéci.que d'idées, de concepts et catégorisations qui sont produites, reproduites, et transformée en un ensemble de pratiques et à travers lequel la signi.cation est donnée à la réalité physique et sociale (Hajer). Le discours est aussi un champ social (Bourdieu), au sein duquel les valeurs sont distribuées inégalement, un espace doté de normes et reposant sur les institutions sociales où ceux qui maîtrisent la parole légitime produisent la croyance au sujet de la réalité. Les récits et les métaphores du discours dominant, si familier qu’il passe inaperçu malgré le fait qu’il contient une culture et une idéologie spéci.ques, construisent les objets de la gouvernance, ce qui est en jeu, mais aussi, dans un processus de méta-gouvernance le référentiel lui-même (Jobert & Muller). Ce discours performatif transforme les perceptions, contraint et exclut (Foucault). Cette perspective s'applique à tous les domaines de la gouvernance. Dans le cadre d'un projet de recherche sur l'adaptation au changement climatique .nancé par le Fonds national suisse, nous nous sommes intéressés à la façon dont le discours et les normes du régime climatique internationales sont créés, depuis l'IPCC (communauté épistémique, Haas) jusqu'au niveau du terrain (ici Brésil, Pakistan, Pérou), en passant par les Etats et les médias. Notre hypothèse principale est celle de l'existence d'une « matrice d'adaptation à l'adaptation » qui produit et reproduit un certain ordre du monde, inégal. Cet ordre change, il est en transformation constante, mais de façon incrémentale. Ainsi la gouvernance environnementale globale et en particulier du climat se caractérise par une dépendance au sentier (Pierson) et un ordre du discours identi.able et analysable. La gouvernance multiniveau peut-elle impacter les politiques nationales ? Le cas du transfert de mécanismes de certi-cation de minerais en République démocratique du Congo Weerts A. Université de Liège Dans le cadre de la lutte contre l’exploitation illégale des minerais, la République démocratique du Congo (RDC) expérimente actuellement des mécanismes de certi.cation. Intimement liée à la traçabilité, la certi.cation permet de garantir le suivi des minerais depuis leur site d’extraction jusqu’au consommateur .nal. La RDC a ainsi pris part, avec d’autres pays de la région dans le cadre de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), à la création d’un mécanisme de certi.cation régional. Chacun des pays membres de la conférence s’est ainsi engagé à mettre sur pied un mécanisme similaire dans leur pays. Durant l’été 2013, la RDC a procédé au lancement of.ciel des certi.cats CIRGL-RDC. Bien qu’encore récente, l’objectif de la mesure est d’assainir les .lières minières tout en répondant aux exigences formulées à l’international, notamment par l’ONU, l’OCDE ou encore les USA. En mobilisant les théories sur le transfert et la diffusion des politiques publiques, l’objectif de cette contribution est de ré!échir aux relations et aux rapports de pouvoir entre la RDC et ces acteurs nationaux et internationaux sur la question du transfert des normes et autres outils pour établir un processus de certi.cation des minerais. Plus généralement, il s’agira de s’interroger sur la possibilité, pour cette « gouvernance multiniveau », d’impacter ou non les politiques minières congolaises. Partant d’un état des lieux du secteur minier en RDC, nous nous intéresserons dans un premier temps aux outils de certi.cation, à leurs objectifs et à leur provenance. Dans un second temps, nous nous pencherons sur la réception et la (ré)appropriation de ces outils en RDC, ainsi que sur les résultats obtenus. La Formulation des Politiques Publiques des Services au Brésil et les Accords de l'OMC 1 Ribeiro Alves G., 2Fonseca V. UniCEUB; Unieuro1, Unieuro2 La création des organisations internationales au début du XXème siècle est soi-même importante ; innovatrice et révolutionnaire, car elle a fortement in!uencé l'évolution de la pensée et la coexistence paci.que de l’humanité, avec un re!ex très important en ce qui concerne la souveraineté des États nationaux. Mais au-delà de cette contribution, la création des organisations internationales constitue un facteur innovateur et accélérateur de la mondialisation du Droit. Il convient d'ajouter que l'expansion des règles du Droit existe non seulement en ce qui concerne l'augmentation du nombre de pays associées aux organisations internationales, mais aussi au degré d'intégration des normes qui sont négociés. Dans ce contexte, on remarque que les efforts de coopération sont nombreux et ils ont surtout le but d’améliorer l’ensemble des politiques publiques brésiliennes. Ces efforts peuvent être positifs, notamment ceux qui sont 70 là pour augmenter les interactions politiques entre le Brésil et l'OMC. Les États modernes cherchent plus fortement le « libéralisme contrôlé ». Autrement dit, ils cherchent l'application des mécanismes capables d'éviter les distorsions entre les politiques nationales et celles négociées au sein des organisations internationales. L'objectif de cet effort intellectuel est celui de véri.er l'in!uence des normes internationales, en particulier celles de l'Accord de Services de l'OMC (AGCS), dans les formulations des politiques publiques du Brésil. (Inter)dépendance de la Commission européenne face à l'expertise des think tanks Collura R. UCL Mons Dès que l’avenir de l’Union européenne est discuté, l’ensemble du questionnement reposent sur la meilleure méthode pour aborder les questions institutionnelles ; cette dernière se balance entre méthode communautaire et intergouvernementalisme. Partisane du renforcement de la méthode communautaire au sein de l’Union Européenne, la Commission européenne a, à travers ces différents présidents, mis en avant un argumentaire en faveur de cette méthode. Dans le cadre de cette communication, la formation de cet argumentaire sera analysé sous l’angle de la contribution faite par son think tank interne. Se basant sur le néo-institutionnalisme de choix rationnel, nous analyserons comment la Commission européenne instrumentalise son think tank interne a.n de lui construire un argumentaire lié à ses préférences ? Comment est construit cet argumentaire ? Quels sont les arguments développés en faveur d’une méthode communautaire au sein de l’Union Européenne ? A.n de répondre à ces questions, nous analyserons tout d’abord la relation de principal-agent entre la Commission européenne et son think tank interne. Ensuite, sur base d’une méthodologie déductive, nous analyserons comment le think tank institutionnel de la Commission européenne répond à la demande de son principal ; notre analyse portera sur les demandes et réponses (c’est-à-dire argumentaires) développés par ce think tank lors des présidences de Romano Prodi et de José Manuel Barroso. Généralement analysé sous l’angle Conseil européen (principal) – Commission européenne (agent), notre application du modèle du principal – agent analysera comment la Commission européenne (principal) délègue au think tank gouvernemental (agent) la formation des préférences de la Commission européenne, se basant sur un argumentaire d’expertise. Dès lors, la délégation devient une variable dépendante à analyser. Renégocié mais renforcé. Modalités contemporaines du gouvernement de l’État dans le cas du contrôle des compagnies de sécurité privée Magnon-Pujo C. Paris 1 Panthéon-Sorbonne La contribution que nous proposons ici vise à revenir, à partir d’un cas d’étude précis, sur les modalités contemporaines de gouvernement des phénomènes internationaux. Nous appuyant sur une analyse de la construction d’un contrôle autour des compagnies de sécurité privée – à travers le développement d’une « Association du Code de conduite international pour les fournisseurs de services de sécurité privée », nous y démontrerons comment les interactions entre entreprises privées, organisations de la « société civile », et États ont produit un mécanisme de régulation inédit, où le pouvoir apparait partagé entre ces différentes entités. Initié en 2006 en Suisse, le processus étudié donne en effet à voir comment des acteurs privés ont réinvesti un forum interétatique visant à placer des entreprises telles Blackwater sous le coup du droit. Il nous permet de constater la circulation d’individus, de savoirs et de pratiques entre échelon national et international, ainsi qu’entre institutions publiques et privées. Nous observons alors la construction d’une norme et d’une manière de normer qui ne saurait être considérée comme du ressort de l’un ou de l’autre. De cette intrication du privé et du public, il ressort au contraire tout à la fois une co-constitution du contrôle en question, une « économisation » de l’État – au travers d’une volonté politique de dépolitiser une politique publique – et sa réaf.rmation paradoxale comme entité légitimatrice. Loin de témoigner d’un « retrait de l’État », nous l’analysons in .ne comme sa respéci.cation, sa renégociation, sous le coup d’interactions entre agents publics et privés. Il s’agit ainsi, dans cette communication, de partir de l’observation des pratiques de la «gouvernance multi-niveaux » et de son instrumentalisation par des agents en quête de légitimation, pour réévaluer ses effets sur les agents eux-mêmes. L’accent est mis ici sur l’État. Au-delà de sa position et de son autorité, c’est son périmètre même qui est mis en question par son insertion dans des dispositifs de gouvernance où le partage du pouvoir fait l’objet de négociations. Intersectionality and women’s policy agencies: How the triumphal procession of intersectionality arrives in public administrations worldwide. Opportunities for mutual international learning Scheidegger C. Gender inequality is persisting worldwide. From the 1970s onwards - as one answer to societal inequalities - states worldwide established women’s policy agencies to promote women’s empowerment and gender equality. Since more than two decades, scholars and practitioners debate lively how to handle the intersecting categories of societal 71 inequalities, such as race, sexual orientation, class, age, disability and others more. The United Kingdom was the .rst country in Europe to abolish its separate institutions for various societal inequalities. Instead it created a single equality body, which addresses for instance gender and ethnicity in an integrated manner. However, is this institutional change of the UK women’s policy agencies representative in a global perspective? The worldwide comparison of the mandates and the activities of women’s policy agencies in 151 countries shows to what extend the feminist intersectionality debate became law and got institutionalised in women’s policy agencies. Intersectionality as one of the key theoretical contributions of gender studies, is part of gender equality policies today, but it is not yet part of gender equality polities. Le Sénégal entre mandat et capacité d’action. Le pouvoir de l’Etat pour les coordonnateurs de projet de développement. Haussaire M. Lille 2 Au Sénégal, l’aide publique au développement représente le quart du budget de l’Etat et près de la moitié de l’investissement public. La forte présence des bailleurs étrangers transforme nécessairement le rôle et les missions de l’Etat. Mode de délivrance privilégié de l’aide, les « projets » .nancés par les bailleurs étrangers sont également devenus un mode d’exécution habituel des politiques publiques. Au cœur des échanges entre l’Etat et la sphère internationale, .nancés et rendant des comptes (de manière inégale) aux deux parties, les coordonnateurs de projets incarnent l’interdépendance entre les différents niveaux de gouvernement. Ils peuvent donc être une porte d’entrée intéressante pour questionner la place et le pouvoir de l’Etat au Sénégal. Dans cette communication, j’interrogerai le rôle de l’Etat à partir des représentations de ces agents. La présence des bailleurs semble construire ces représentations de deux manières. D’une part, elle renforce l’idée d’une souveraineté de l’Etat décisionnaire, toute une littérature relayée par les organisations internationales insistant sur le leadership que doit prendre l’Etat dans la dé.nition et la mise en œuvre des politiques publiques. D’autre part, elle révèle la faiblesse de l’Etat comme acteur exécutif ou d’orientation, les moyens des bailleurs révélant par comparaison la faiblesse de l’administration nationale. Ces deux images de l’Etat ne sont pas contradictoires, puisque pour les coordonnateurs, l’action de l’Etat et celle des bailleurs sont plus associées qu'opposées. 72 ST 15 : Ce que le capitalisme fait aux mouvements sociaux contemporains Repenser la production sociale de la révolte Johsua F. Université de Lausanne Au cours des dernières décennies en France, comme dans la plupart des pays industrialisés, les recon.gurations de la structure économique et sociale, avec la précarisation des emplois, l’augmentation des contrats temporaires (type contrat à durée déterminée), du travail à temps partiel et du recours aux stages, le recul de l’âge de l’entrée sur le marché du travail, la hausse du chômage, et plus spéci.quement celui des jeunes, sont autant d’éléments qui ont conduit à une déstructuration profonde du monde du travail, et en amont, à une précarisation croissante des conditions d’entrée dans la vie active. La question de la traduction politique de ces évolutions a déjà été traitée, mais surtout sous l’angle de la démobilisation : du monde ouvrier, des milieux populaires ou plus largement du monde du travail, notamment par le biais de la crise du syndicalisme et de la hausse de l’abstention. Sans contredire ces analyses, mais plutôt en les complétant, ma recherche doctorale sur les transformations de l’engagement anticapitaliste en France du milieu des années 1960 au début des années 2000 pousse à soulever une question connexe : ces évolutions structurelles n’ont-elles pas également eu un impact sur le champ politique, à plus long terme, repérable sous la forme d’une politisation d’une fraction particulière de la population, à l’origine d’un phénomène de mobilisation politique ? C’est une des conclusions à laquelle m’a amenée cette étude, qui semble indiquer que la crise économique – et les mobilités sociales descendantes qu’elle engendre – ont des effets politiques qui ne se réduisent pas à la dépolitisation et à l’apathie, ou à la montée de la droite extrême et xénophobe ; et c’est cette thématique, encore peu explorée, qu’aborde la communication. L’étude porte sur la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), un parti-mouvement qui s’est caractérisé depuis ses origines par des frontières poreuses avec l’espace des mouvements sociaux. L’analyse focalise plus particulièrement l’attention sur une strate d’engagement, celle des « nouveaux » militants ayant rejoint la LCR à partir de l’année 2002 (à la suite du premier tour de l’élection présidentielle française), pour s’intéresser aux facteurs qui peuvent rendre compte de ces engagements anticapitalistes. La recherche s’appuie sur un important travail empirique qui a articulé une approche statistique fondée sur la réalisation de quatre enquêtes quantitatives (et notamment sur les résultats d’une enquête par questionnaire menée au niveau national auprès des militants de la LCR), à une approche compréhensive de l’engagement reposant sur la réalisation de quarante cinq entretiens (semi-directif et de type « récit de vie ») et d’un travail d’observation de type ethnographique du socle routinier des activités militantes. En développant une approche objectivante et subjectiviste du social, la recherche propose de repenser les processus de la production sociale de la révolte, en étudiant comment l’expérience vécue d’une mobilité sociale (en particulier descendante, de type intergénérationnelle ou sous la forme du déclassement scolaire) peut participer aux processus de politisation des individus et des groupes et contribuer, ce faisant, à éclairer les logiques sociales des engagements individuel et collectif. En insistant sur le rôle des représentations du monde social, nous chercherons à préciser le contenu des processus de « politisation ». Parce qu’elle a également mis en lumière la fragilité particulière de ces engagements précaires, la recherche amène aussi à interroger la façon dont les crises économiques modi.ent les conditions de la mobilisation, à la fois ses formes (par exemple, la précarisation des conditions de travail des nouveaux militants explique leur moindre syndicalisation, et la diminution au sein du groupe du pro.l « multipositionné » pourtant longtemps dominant en son sein) et sa durabilité (la précarité des insertions professionnelles et les déstabilisations dans les trajectoires individuelles qu’elle engendre rend également compte d’un turnover élevé – et de formes d’engagement s’inscrivant dif.cilement dans la longue durée). Les formes de l'engagement militant au prisme des trajectoires socio-économiques et professionnelles : le cas des mouvements de chômeurs en Argentine Rodriguez Blanco M. Ecole des hautes études en sciences sociales Cette communication se propose d’examiner, sous le rapport de facteurs socioéconomiques, professionnels et diachroniques (avant et après la crise de décembre 2001) les trajectoires de chômeurs engagés dans les mouvements appelés « piqueteros » (en raison de leur mode d’action à savoir le barrage de routes). Il s’agira plus précisément de donner à voir, à partir de l’étude des modalités et des usages de l’engagement au sein de cette mouvance contestataire, les enjeux et les tensions qui traversent les groupes populaires tant dans la gestion des ressources que les pratiques militantes. Les organisations « piqueteras » qui réclament à l’État du travail, voient le jour, à la .n des années 1990, dans le contexte des transformations économiques profondes affectant principalement les classes populaires et des fractions des classes moyennes. Ancrées localement à l’échelle du pays et de taille variable (allant jusqu’à 100 000 participants), elles gagnent rapidement en visibilité médiatique, réclament à l’État du travail pour leurs membres et deviennent en quelques années des « gestionnaires » des services publics sur les territoires. Longtemps appréhendés par la littérature académique sous l'angle théorique des « nouveaux mouvements sociaux » voire des « nouvelles formes politiques », ces lieux de recomposition militante ont surtout été caractérisés dans leur rapport aux idéologies politiques. D’où la tendance globale à les analyser en dehors des processus dynamiques issus du 73 monde social et économique et ce même lorsque l’on considère ses participants comme des « exclus ». Or, l’approche par les trajectoires biographiques des membres de ces organisations s’avère particulièrement ef.ciente pour observer les effets des propriétés sociales et des capitaux accumulés sur leurs participations militantes. Notre analyse s’appuie ici sur une série d’enquêtes de terrain de longue durée, menées dans deux provinces argentines (Buenos Aires et Jujuy) entre 2000 et 2007, auprès de différentes catégories de participants (dirigeants, leaders intermédiaires, membres) au sein de plusieurs associations des chômeurs : la Corriente clasista y combativa (CCC), le Mouvement des travailleurs au chômage (MTD) de La Matanza, le Mouvement des chômeurs du père Olmedo, la Centrale des travailleurs de l’Argentine (CTA), le Mouvement social et culturel Tupaj Katari et l’Organisation des quartiers Tupac Amaru. Nous avons donc multiplié, sur une période cumulée de deux années, des entretiens biographiques approfondis (N=70) et constitué, à travers des observations ethnographiques, un corpus empirique de plusieurs centaines de notes de terrain. Outre les assemblées organisées au sein des associations, ont été étudiées, par exemple, les multiples activités notamment solidaires et économiques de .nancement de l’activité militante que sont les échanges économiques ou « clubs de troc », la vente des produits fabriqués dans les coopératives de travail, les fêtes et les loteries, etc. De notre analyse procèdent trois idéaux-types qui variant selon différents facteurs socioéconomiques (l’origine sociale, la carrière professionnelle, les origines migrantes, le genre, etc.), correspondent à des usages et des représentations différenciés de l’engagement au sein de l’organisation. Une première catégorie de participants caractérise des militants surinvestis dont la trajectoire ascendante vers les classes moyennes connaît objectivement ou subjectivement le déclassement : elle correspond, par exemple, aux cas de travailleurs sociaux ou d’étudiants qui, précarisés, trouvent dans les associations des chômeurs l’opportunité de s’investir dans une cause militante. Un deuxième groupe de participants se rapportent à ceux qui, a contrario des militants surinvestis, sont eux enclins à des formes d’engagement intermittentes dans l’action collective en lien avec des carrières professionnelles marquées par l’instabilité et l’employabilité incertaine. Pour les agents de ce second groupe, les organisations piqueteras incarnent d’ailleurs davantage un guichet de l’État susceptible de les sortir de la précarité qu’un lieu de socialisation militante. Un dernier groupe rassemble, en.n, des individus marginalisés au regard des caractéristiques modales des participants sur le plan des ressources économiques ou des origines migrantes. 'You are not a loan' : occupations et communautés en résistance face à la dette Haeringer N. Pas de rattachement « Chère Madame, cher Monsieur, Nous vous écrivons pour vous annoncer une bonne nouvelle : Rolling Jubilee, une organisation à but non lucratif, a racheté le compte mentionné ci-dessous. (…) Par conséquent, vous ne devez plus le montant de cette dette. Elle est effacée, et c'est un cadeau sans contre-partie. Vous n'êtes plus dans l'obligation de régler ce montant auprès du créditeur, d'un collecteur ou de qui que ce soit d'autre ». Ce courrier singulier, plus de 3000 ménages états-uniens l'ont reçu depuis 2013. Ces « réfugiés du système américain de la dette », comme les appelle l'anthropologue David Graeber, ne parvenaient alors plus à rembourser les sommes qu'ils avaient dû emprunter pour se soigner ou se loger. Ces cas sont loin d'être isolés : la dette représente aux USA 154 % du revenu des ménages. Or, l'un des ressorts du système de la dette est d’inverser les positions : en brouillant les pistes entre morale et politiques, entre une incompétence personnelle (gérer un budget), la fatalité et des formes de domination et d’oppression organisées, les victimes se vivent elles-mêmes comme des coupables. Être endetté devient une faute – et l'endettement est, de ce fait, une situation individuelle sur la base de laquelle il est dif.cile de construire des mobilisations sociales. Comment organiser cette « armée silencieuse » des endettés ? Comment construire des mobilisations à partir d'une situation que l'on cherche à cacher, sinon à fuir (quand on ne fuit pas littéralement les huissiers) ? Comment construire de l'action collective alors que les endettés sont isolés – même lorsqu'ils s'engagent dans une résistance indirecte ( « Au départ, nous pensions que la forme de désobéissance civile la plus appropriée serait d’appeler à faire une grève de la dette, à ne pas payer les traites. Mais nous avons réalisé aussitôt que c’était déjà le cas : les situations de défaut de paiement sont nombreuses », explique ainsi David Graeber). C'est l'une des tâches à laquelle s'est attelé une partie des militants d'Occupy Wall Street : imaginer des mobilisations qui articulent l’entraide et la construction d’un rapport de forces, la charité et un projet de transformation sociale. Cette contribution propose de retracer l'évolution d'Occupy Wall Street, de l'occupation du Parc de Zucotti à l'initiation de ce mouvement nommé « Strike Debt ! », en mettant l'accent sur les formes d'organisation et de campagne que les militants ont inventé pour faire face à une précarité toujours plus diffuse. Ma proposition de communication est basée sur des entretitreens réalisés entre 2011 et 2013 avec des acteurs d'Occupy Wall Street, ainsi que sur une série d’observations participantes à New York et lors de rassemblements tels que le Forum Social Mondial. À travers l'exemple des stratégies de lutte contre la dette des ménages aux USA, cette communication entend proposer quelques pistes de ré!exion pour comprendre les évolutions plus générales des mobilisations contemporaines, et en particulier au regard de la dynamique altermondialiste des années 2000. 74 Les "travailleurs" et les "paysans" face au capitalisme. La participation de producteurs fermiers aux modes d'existence de classe et biopolitique dans le contexte contemporain Artoisenet J. Université Catholique de Louvain-la-Neuve Depuis quelques années, la phase actuelle de développement du capitalisme provoque dans la littérature le retour d'une préoccupation pour la structure de classe, son évolution et les enseignements qui peuvent être tirés de son analyse pour mieux comprendre le contexte et/ou expliquer les contours de l'action collective contestataire contemporaine (Chauvel 2001, Dubet 2003, Bouffartigue 2004, Lebaron 2012). D'un côté, la .nanciarisation du capitalisme se déployant dans un environnement politique néolibéral, la mise en concurrence mondiale des États et de leurs populations, l'endettement croissant des États vis-à-vis du secteur privé, la concentration des richesses et les inégalités de patrimoine particulièrement importantes (Piketty 2013) mettent à l'épreuve les acteurs mobilisés et les actions qu'ils mènent collectivement. D'un autre côté, l'expansion de l'économie capitaliste, ou "l'accumulation par la dépossession", fait surgir "les enjeux politiques du milieu de vie" (Harvey 2003) : l'appropriation privée des terres, la commodi.cation des semences, la destruction de l'environnement et, plus globalement, la marchandisation de la nature sont des contenus dont tentent de se saisir nombre de mouvements sociaux. Ce contexte historique se caractérisant également, en Europe, par la désarticulation entre "classe en soi" (condition objective) et "classe pour soi" (représentation subjective) au sein de la classe des travailleurs, c'est la dimension symbolique du discours de classe et de sa disparition depuis les années '80 ainsi que la diversi.cation des référents identitaires au travail (Dubar 2003) qui constituent la trame de fond sur laquelle se produisent des mobilisations d'acteurs traversées par un rapport de classe (Dubet 2003), c'est-à-dire dont une partie au moins de l'explication réside dans le con!it portant sur l'appropriation des richesses. La communication qui sera réalisée se propose d'envisager la question de la recomposition de solidarités et d'acteurs collectifs face à ce contexte global par le biais d'une enquête qualitative menée dans le cadre d'une recherche doctorale FNRS en cours depuis 2 ans et portant sur la redé.nition de la représentation politique agricole en Belgique francophone (Wallonie) au-delà de ses frontières professionnelles. Le terrain étudié s'est construit sur la base des alliances que certains représentants du monde agricole tentent de tisser avec d'autres types d'acteurs (syndicats de salariés, d'employés et de fonctionnaires, associations culturelles et environnementalistes, ONG's, consom'acteurs, "nouveaux paysans"...) tout en considérant des enjeux d'une nature plus large que strictement professionnelle, notamment la distribution des richesses et l'avenir biologique de l'espèce humaine. Le matériau empirique, utilisé en grande partie pour étudier les représentations cognitives des producteurs qui redé.nissent leur identité collective dans ces coalitions, se structure à travers 3 types de données. 20 entretiens compréhensifs semi-directifs ont été réalisés avec ces représentants, 30 autres seront réalisés pour la .n de l'année 2014. Des observations directes d'actions collectives ont également été effectuées. Celles-ci sont de 3 types : - actions contestataires (tentative de blocage d'un sommet européen et tentative d'encerclement de l'European Business Summit a.n de dénoncer le TTIP/TAFTA et le Traité de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance européen, rassemblement devant le parlement européen pour dénoncer la réforme actuelle concernant la législation sur les semences, occupation d'un terrain agricole destinée à un projet d'urbanisation...) - action de mobilisation interne (distribution de pommes de terre pour informer de la condition matérielle de certains agriculteurs et de travailleurs salariés, marches pour "sensibiliser l'opinion publique" aux "politiques d'austérité", discussions publiques d'acteurs mettant en commun leur expérience au travail...) - action de délibération (Symposium Populaire de l'Agriculture Paysanne, meeting d'une alliance inter-professionnelle, assemblée fondatrice d'un acteur collectif...). Une recherche documentaire d'interventions dans l'espace public des représentants étudiés est également effectuée et consiste en la récolte de tracts, de communiqués de presse et, surtout, de journaux agricoles. Plusieurs points seront abordés. Premièrement, le rapport des agriculteurs au capitalisme doit être brièvement resitué. Les représentants étudiés font partie d'une économie agricole reposant sur des structures, appelées couramment des fermes, qui ne sont pas en elle-même capitalistes, c'est-à-dire dans lesquelles il n'y a pas de séparation capital/travail (Ploeg 2013). Ensuite, il s'agira de mettre en évidence les soubassements socio-économiques et socio-culturels des acteurs engagés au sein des coalitions étudiées, ainsi que leurs trajectoires professionnelles a.n de mettre en évidence les convergences dont est vecteur le contexte économique actuel. Parmi ceux-ci, deux couches sociales sont identi.ables. D'un côté, des producteurs qui ont joué la carte de la révolution verte (mécanisation, emploi d'intrants extérieurs (pesticides et engrais de synthèse), augmentation de la productivité par individu) et qui font face aux limites de leur développement au sein de l'économie mondiale qui accroit encore un peu plus le degré de dépendance à l'agroindustrie (producteurs de machines et d’équipement agricoles), à l'agro-alimentaire (transformation des produits agricoles bruts) et à la grande distribution. Subissant d'une manière particulière les rapports de domination capitalistes, par la médiation du marché, ils portent avec d'autres une critique commune du capitalisme dans sa phase néolibérale tout en construisant le caractère collectif de l'expérience au travail dans ce contexte. De l'autre côté, des producteurs qui, notamment en maitrisant davantage la production, la transformation et la distribution eux-mêmes, parviennent à conserver davantage de valeur économique et qui cherchent à reconstruire ce qu'ils appellent "une paysannerie" au travers d'alliances avec des amateurs et des candidats dits "paysans". L'origine socio-économique des acteurs avec 75 lesquels ces représentants tentent de s'allier sera également précisée. En.n, il s'agira de montrer comment ces deux groupes sociaux, pour faire face à la menace qui pèse sur eux dans le contexte actuel, sont confrontés à deux modes d'existence politique. Cette notion, inscrite dans la .liation théorique constructiviste de l'étude de la formation des entités collectives (Thompson 2012 [1963], Boltanski 1982, Bourdieu 1984, Thévenot 2006) est dé.nie comme un ensemble cohérent de représentations mentales du monde, de soi et d'une entité collective en formation qui balise la manière dont la représentation politique et les actions collectives s'effectuent et qui sert de support à un type particulier d'existence collective dans l'espace public. D'un côté, les rapports de domination capitalistes qui structurent l'expérience au travail rapprochent ces producteurs de l'identi.cation au groupe dits des "travailleurs" dé.ni dans son opposition à la classe dirigeante. De l'autre, c'est en tant qu'identi.cation à l'espèce humaine dé.nie de manière biologique que le deuxième groupe tente de s'insérer dans une action collective contestataire qui repose sur la critique des techniques de production industrielles et de la marchandisation de la nature tout en faisant de la .gure du "paysan" le gardien de l'ordre biologique face à l'expansion capitaliste. Confrontés à ces deux modes d'existence politique, ils ne se confondent pas avec mais s'y rapportent d'une manière complexe, entre proximité et distanciation. Bibliographie Chauvel L., 2001 : « Le retour des classes sociales ? », Revue de l'OFCE, n°79, pp. 315-359. Dubet F., 2003 : « Que faire de classes sociales ? », Lien social et Politiques, n°49, pp.71-81. Bouffartigue P. (dir.), 2004 : Le retour des classes sociales, La Dispute. Lebaron F., 2012 : « L'éternel retour du « retour des classes sociales » », Revue Française de Socio-Economie, n°10, pp.281-287. Piketty Th., 2013 : Le Capital au XXIè siècle, Paris, Seuil. Harvey D., 2003 : The New Imperialism, Oxford, Oxford University Press. Dubar C., 2003 : « Sociétés sans classes ou sans discours de classes ? », Liens social et Politiques, n°49, pp.35-44. Ploeg J. D. Van der, 2013 : Peasants and the art of farming. A Chayanov manifesto, Canada, Fernwood Publishing. Thompson E. P., 2012 [1963] : La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Le Seuil. Boltanski L., 1982 : Les Cadres. La formation d'un groupe social, Paris, Minuit. Bourdieu P., 1984 : « Espace social et genèse des « classes » », Actes de la recherche en sciences sociales, vol.52-53, pp. 3-14. Thévenot L., 2006 : L'action au pluriel. Sociologie des régimes d'engagement, Paris, La Découverte. La crise comme opportunité et argument : la mobilisation de dirigeantes économiques en faveur des quotas d’administratrices (France, 2008-2011) Rabier M. Bretagne Occidentale « Des entreprises mâles dirigées » : tel est le titre de la Une du quotidien Métro, le 20 janvier 2010, alors que l'Assemblée Nationale examine la proposition de loi visant à instaurer un quota de 40% de femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises. En jouant sur l’homophonie de « mal » et « mâle », ce titre illustre les revendications et les arguments employés par les dirigeantes mobilisées en faveur des quotas d’administratrices. Audelà de la sous-représentation des femmes aux postes de décision dans les entreprises, l’expression renvoie à la critique d’une « mauvaise » gouvernance des entreprises, « révélée » par la crise économique. Cette double dénonciation, mise en parallèle, résume l'argument moral et économique employé par les organisations de dirigeantes (associations de femmes chefs d'entreprise, de cadres dirigeantes, de créatrices d'entreprise, d'anciennes élèves de grandes écoles...) et leurs porte-paroles, dans un contexte économique particulier. En effet, sans nier les effets de la crise économique, qui a touché plus durement les femmes que les hommes (licenciements, précarité, réduction du temps de travail…), il s’agit ici de montrer que la crise économique constitue, pour des dirigeantes engagées, une opportunité, médiatique et discursive, pour se faire entendre et légitimer leur cause (l’accès des femmes aux postes de direction) en proposant un autre modèle de gouvernance des entreprises (mixte plutôt que masculin). Cette communication propose de revenir sur une mobilisation « respectueuse », dont l’expertise est le registre central du répertoire d’action. La production et la diffusion d’expertises par les organisations de dirigeantes a contribué, tout d’abord, à imposer un diagnostic et à construire un problème public : celui de la sous-représentation des femmes aux postes à responsabilité. Le manque de femmes est d'abord analysé comme une des causes de la crise économique, la crise étant perçue par ces groupes comme l'échec du modèle « masculin » de l'exercice du pouvoir (compétitivité, individualisme, prise de risques...), qui proposent, à l'inverse, un modèle « mixte » de direction des entreprises où la présence de femmes favoriserait une meilleure gouvernance économique, en raison des qualités prétendument « féminines » que ces dirigeantes promeuvent. Si le système libéral n'est pas remis en cause, il s'agit de « l'équilibrer », par une présence accrue des femmes. Un plus grand nombre de femmes dirigeantes est aussi envisagé comme un remède à la crise économique : les organisations s'appuient en cela sur des études anglo-saxonnes et françaises qui, depuis le début des années 2000, tendent à établir une corrélation entre la présence de femmes dans les instances de 76 direction et la performance économique des entreprises. Dans un premier temps, cette communication reviendra sur les actrices mobilisées sur ce dossier. Les entrepreneuses de la cause sont les « béné.ciaires potentielles » de cette mobilisation, des cadres dirigeantes de grandes entreprises qui cumulent un grand nombre de ressources (scolaires, professionnelles…) et se distinguent des cheffes de petites et moyennes entreprises, plutôt opposées aux quotas. Il s’agira, ensuite, de s’interroger sur le cadrage opéré par cette mobilisation, dont l’argument central repose sur la « performance de la mixité » : un argument économique (plutôt que moral ou politique) justi.ant les quotas d’administratrices au nom de la performance économique que la présence des femmes à la tête des entreprises entraînerait. Cette communication s'appuiera sur un travail de thèse en science politique (soutenue en 2013) sur l'espace de la représentation et les formes de mobilisation des dirigeantes économiques en France, réalisé à partir de 80 entretiens approfondis auprès de dirigeantes et de leurs représentantes (présidentes d'associations professionnelles, clubs, responsables politiques...), d'observations directes et de l’analyse d'un corpus documentaire et de presse. Manifestations contre la vie chère et crise économique au soudan : comprendre ce qui mobilise et ce qui sépare dans la contestation au Soudan Chevrillon-Guibert R. Université d'Auvergne (Clermont 1) Dans cette communication je me propose de revenir sur les mobilisations soudanaises du printemps 2012 et de septembre 2013 pour voir ce qu’elles nous apprennent de la contestation au Soudan et du rôle joué par la crise économique dans la mobilisation. L’ampleur des manifestations ont suscité l’espoir d’une chute paci.que du régime à l’instar de ce qui s’était passé dans le pays en 1983 et des exemples voisins. La mobilisation de la petite bourgeoisie d’ordinaire favorable au régime apparaît comme la grande nouveauté de ces manifestations. S’interroger sur les facteurs qui poussent ces personnes à manifester contre le régime alors qu’elles ne se sont pas révoltées auparavant constitue un point fondamental pour comprendre aujourd’hui la contestation au Soudan et discuter de son éventuelle nouveauté. Néanmoins, les manifestations n’ont pas abouti au renversement du régime qui se maintient toujours malgré des guerres récurrentes dans les régions périphériques et des mobilisations plus ponctuelles qui persistent encore aujourd’hui dans de nombreuses grandes villes du pays. Beaucoup de raisons sont généralement avancées pour expliquer l’essouf!ement des grandes manifestations et le fait qu’elles n’aient pas abouti à la chute du régime : une adhésion malgré tout limitée de la population, la coercition du régime, la peur de la guerre civile, l’objectif premier de survie des personnes, la géographie de Khartoum, etc. Si tous ces éléments apportent leur part de lumière sur la contestation, revenir sur ces mobilisations « qui ne prennent pas » en interrogeant les trajectoires des acteurs engagés dans les manifestations et de ceux qui choisissent de ne pas descendre dans la rue apporte un élément de compréhension crucial de la contestation soudanaise et son insertion avec les autres formes de mobilisations, partisanes et armées. Ainsi, nous discuterons dans cette communication du rôle de la crise économique dans la création de nouvelles mobilisations et le rapprochement des contestations. Nous verrons notamment que les manifestations de 2012 ont réuni des acteurs pour l’essentiel extérieurs à l’alliance hégémonique islamiste, alors qu’en 2013 et 2014, une part de la petite bourgeoisie liée au régime est aussi descendue dans la rue. Nous discuterons également des limites à ce rapprochement car cette réunion des contestations s’est avérée éphémère et n’a pas abouti à une alliance qui dépasse le temps de la manifestation. A travers l’étude de ces trajectoires appréhendées grâce à des biographies, nous essayerons donc de déceler certains facteurs qui favorisent et ceux qui empêchent la constitution d’une contestation uni.ée des différents acteurs des manifestations mais aussi de ces acteurs avec ceux d’autres organisations contestant le pouvoir (opposition partisane, opposition armée). La société civile face à la crise en Europe : créativités, registres de protestation et échelles du politique Canabate A. Denis Diderot - Paris VII La crise .nancière de 2007 a bloqué les mécanismes économiques dans les grands pays industrialisés. Après la faillite de Lehmann Brothers, et son impact sur l’ensemble des compartiments du marché du crédit, le risque systémique a pris une forme concrète. La crise .nancière s’est transformée en une crise économique mondiale, révélant ainsi les limites de certains dogmes établis. En premier chef : l’idée que le marché peut, en toute circonstance, s’autoréguler. La crise qui frappe l’Europe est donc aussi une crise d’une certaine forme de rationalité mimétique, dans la mesure où le développement d’un certain fondamentalisme de marché est allé de pair avec un type précis de pouvoir économique, politique et idéologique. Face à cette situation, des élans d’indignation citoyenne ont vu le jour. En effet, d’importants mouvements contestataires ont émergé, à partir de 2011 en Europe, traduisant le sursaut des peuples qui souffrent le plus de la crise : « Mouvement des places » en Grèce, « 15M » en Espagne, « 12M » au Portugal. Ces différents mouvements civils dénoncent l’ingérence de la Troïka et plus largement les formes de la représentation politique. Car les mesures d’austérité mises en place dans les pays fortement impactés par la crise dans le but d’équilibrer les budgets suite au sauvetage des banques, ont eu pour effet d’aggraver la pauvreté et les inégalités. Ces politiques ont généré des effets en chaîne particulièrement nocifs, comme le démantèlement de droits sociaux. Les services essentiels tels que l’éducation et la santé ont fait l’objet de compressions ou de privatisations, enfermant les populations frappées par ces mesures dans le cercle vicieux de la pauvreté. 77 Ces mouvements sociaux s’opposent à la fois à la domination des logiques de marché et à la fois aux excès de pouvoir d’un État perçu comme extérieur à la société. En cela, il s’agit de « mouvements pré-.guratifs » (Pleyers, Clasius, 2013) qui proposent des cadres d’expériences visant l’élaboration d’un autre monde, davantage en adéquation avec les valeurs de justice sociale qu’ils souhaitent incarner. Ces différentes protestations agrègent d’une certaine manière les « subjectivités rebelles », les « surnuméraires » (Negt, 2007) et laissés-pour-compte de l’Europe néolibérale. De nombreuses initiatives d’économie alternative sont nées de ces mouvements. Souvent proche de l’économie sociale et solidaire, elles mettent en place des réseaux de solidarité qui visent à pourvoir aux besoins essentiels de la population, en veillant à instituer un cadre démocratique de délibération « par le bas ». Ainsi, depuis 2009, voit-on s’accroître un enthousiasme réel pour la récupération d’entreprises et le coopérativisme. La séduction que les coopératives opèrent provient du fait qu’il s’agit de substituer le schéma hiérarchique et déresponsabilisant d’un patron envers ses salariés, à une structure ouverte où les individus sont associés et mutualisent les risques, grandes décisions et orientations stratégiques. D’autres types de mobilisations ont émergé, conjuguant combat politique et forme de vie et visant à réintroduire, dans les mécanismes économiques, des facteurs traditionnellement laissés à la marge, par une sorte de moralisation de l’économie. Pour ce type d’initiative, les préoccupations environnementales sont intégrées au sein des procédures préexistantes de la démocratie représentative. Il existe ainsi de plus en plus de forums délibératifs, dans lesquels sont remis pratiquement en question la dé.nition du commun, le partage des ressources et les conditions d’accès. Il s’y articule un désir de redé.nition des valeurs partagées et d’expérimentations concrètes permettant une transition vers d’autres manières de vivre prenant en compte la matérialité des territoires. En.n, en Espagne, Grèce et Portugal, se sont créés des espaces de stimulation du lien social : centres sociaux autogérés, dispensaires sociaux, marchés communautaires etc. Ces espaces se caractérisent par leur aspect autogéré, gratuit et délibératif. Certains existaient avant la crise, investis par des réseaux militants mais la plupart ont vu leur vocation s’ampli.er et leur fréquentation exploser, en Espagne notamment. D’autres se focalisent sur un besoin précis, l’objectif étant de proposer des solutions immédiates et localisées aux problèmes générés par les politiques d’austérité. En.n, les systèmes locaux d’échanges et les monnaies complémentaires se sont également beaucoup développés car ils offrent un outil de préservation de la richesse locale, et permettent d'échanger des compétences, des services, des savoir-faire et des produits selon une unité d’échange virtuelle, le plus souvent basée sur le temps. Ces structures disparates et ces mouvements coagulent d’une certaine manière - à l’intérieur d’un processus de « démocratie en continu » (Ferret, 2013) - des groupes qui œuvraient dans leur coin de manière locale et sectorielle. Il s’agit d’une forme d’opposition critique à des dominations complexes et à des valeurs culturelles globales, telles que la verticalité des rapports sociaux ou les effets de certaines idéologies dominantes. Ils marquent ainsi une rupture avec les mouvements sociaux traditionnels en ce que leurs actions concernent des problèmes identi.ables, « universels dans le concret » (Ferret, 2013b). Nous nous proposons ainsi, dans un premier temps d’exposer les différents types de registre de ces initiatives alternatives qui ont émergé en temps de crise. Puis, dans un deuxième temps, d’interroger la forme de ces mouvements contestataires qui cherchent semble-t-il à incarner un nouveau type de délibération. Nous exposerons en.n, en quoi certains éléments mènent à considérer qu’il s’agit d’un renouvellement des registres de protestation et un changement de rationalité politique quand aux échelles de mobilisation. Concernant le matériau empirique, cette communication est basée sur un travail de terrain réalisé en 2013 en Grèce, en Espagne et au Portugal, dans le cadre d’une recherche commanditée par le Parlement Européen et ayant fait l’objet d’un rapport édité, et intitulé : « La cohésion sociale en temps de récession prolongée : initiatives alternatives et formes des résistances – Espagne, Grèce, Portugal », Rapport d’étude pour le Groupe EELV/EFA, Bruxelles, 2014. Les conclusions majeures ont été exposées lors d’un colloque éponyme au parlement Européen en février 2014. D’autres éléments ont fait l’objet de communications (passés et à venir) tels que : Alice Canabate : « Les initiatives de transition écologicosociale impulsées par la crise : imaginaires circonstanciers ou chemin politique vers des principes de coagulation de luttes ? », Colloque international « Les chemins politiques de la transition écologique », ENS Lyon, 27-28 octobre 2014 (à venir). Ou encore de chapitre d’ouvrage, à paraître : Alice Canabate, « Subjectivités rebelles et espaces publics oppositionnels : vers la construction d’un autre commun ? », in Brigitte Frelat Kahn, Jan Spurk et Pierre-Antoine Chardel, Espace public et reconstruction du politique, Presses des Mines, (parution prévue janvier 2015). Les mobilisations sociales aux Antilles françaises entre anticapitalisme et critique post-coloniale : le cas du collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon au prisme de la crise guadeloupéenne (2009) Odin P. Sciences Po - IEP de Paris Cette contribution se propose d'apporter des éléments de compréhension concernant les acteurs et les dynamiques à l'œuvre dans les mobilisations sociales aux Antilles françaises, à l'aune de l'exemple que constituent la grève générale survenue en Guadeloupe durant l'hiver 2009 à l’appel du collectif LKP (Liyannaj Kont Pwo.tasyon – unité contre l’exploitation). Ce collectif de 48 organisations, créé le 5 décembre 2008 et toujours à l’œuvre actuellement, se donnait pour but de mobiliser la population guadeloupéenne contre la « vie chère », en désignant le système d’échange économique entre la métropole et la Guadeloupe comme responsable d’une hausse des prix ressentie d’autant plus durement par la population que l’île subissait les conséquences de la crise économique. Il est intéressant de rappeler que, dans un bref article publié au sujet de la Guadeloupe en 2009, Immanuel Wallerstein décrivait la situation en Guadeloupe comme un cas paroxystique de montée des contradictions liées à l'épuisement de l'économie héritée de l'ère des conquêtes coloniales, soulignant l'impossibilité pour les intérêts du capitalisme français de continuer à prospérer dans la con.guration actuelle - notamment d'assurer la continuité de l'appropriation 78 monopolistique du produit des échanges économiques au pro.t des élites locales au milieu de la « catastrophe économique planétaire » ( Wallerstein, 2009). Reprenant ce constat, cette contribution se donne pour but premier de montrer comment le capitalisme, avec ses temporalités et ses crises, inhibe ou facilite des identités et des solidarités collectives au travers des rapports sociaux de classe à l’intérieur des mouvements (Hetland & Goodwin, 2013). Dans ce cadre, nous insisterons particulièrement sur la manière dont le contexte économique façonne des mouvements contestataires adoptant la lutte de classe comme référentiel principal, même si ces mouvements ne présentent pas d’assise de classe - ou de « conscience de classe » - au sens marxiste du terme. Nous verrons que les acteurs mobilisés mettent également en avant des appartenances ethniques et raciales sans cesse articulées à des problématiques économiques endémiques, dans la mesure où ces « identités de lutte » renvoient à des formes d’oppression spéci.ques considérées comme spéci.quement coloniales (Mc Adam, 1964 ; James, 1967). Nous souhaitons également revenir sur le rôle joué par les organisations ouvrières en Guadeloupe en interrogeant la posture offensive af.chée par les syndicats et les partis membres du LKP dans l'économie générale de la mobilisation, à contre-courant de la domestication des con!its sociaux et des con!its du travail telle qu'elle est envisagée par les promoteurs du « dialogue social ». D’abord, en rendant compte des usages contestataires du registre syndical aux Antilles : fortement in!uencé par l’histoire commune aux organisations et les luttes menées dans le passé, mais également capable de mobiliser largement autour de lui en raison de l’implantation et de la capacité à aménager des espaces d’expression, de participation et d’expérimentation en fonction des con.gurations locales démontrée par les syndicats. Ensuite, en envisageant le syndicalisme comme lieu historique d'insubordination et de développement d'une politique indépendantiste aux Antilles françaises : de penser l'insubordination comme un facteur de cohésion et d’agrégation sociale qui permette aux organisations de dépasser leur dé.ance réciproque en vue d’une lutte commune, mais aussi d'impulser et de polariser les luttes en dehors du lieu de travail où s'exprime traditionnellement le registre syndical. En.n, cette contribution a également été pensée comme une exploration du versant idéologique de la matrice anticolonialiste dont se revendiquent ces coalitions protestataires, a.n d'en restituer les controverses et de comprendre en quoi ces lignes de clivage sous-tendent les orientations stratégiques des différentes organisations anticolonialistes. Elle doit également permettre de comprendre, à la fois au contact des analyses systémiques (Balibar &Wallerstein, 2007) et des travaux des cultural studies qui dialoguent avec le marxisme (Hall 2008 et 2013), en quoi la dualité spéci.que de la conjecture sociale et politique aux Antilles, entendue à la fois comme une « crise sociale » et une crise « raciale » a poussé les acteurs à faire travailler ces catégories dans un sens convergeant, et à transformer leurs différentes grilles de lecture idéologique en ressources critiques pour discréditer l'appareillage colonial de l’État français. Bibliographie BALIBAR, Etienne; WALLERSTEIN, Immanuel. Race, nation, classe?: Les identités ambiguës. Editions La Découverte, 2007, 307 p. BARKER, Colin, COX, Laurence, KRINSKY, John, et al. Marxism and Social Movements. Leiden : Brill, 2013, 476 p. BONILLA, Yaminar. Guadeloupe : labor protest. International Encyclopedia of Revolution and Protest, ed. Immanuel Ness, Blackwell Publishing, Chicago : 2009, p. 1468–1471. ---.Guadeloupe Is Ours. The Pre.gurative Politics of the Mass Strike in the French Antilles. Interventions: International Journal of Postcolonial Studies 12(1): University of Virgnia : 2010, p. 125-137. FANON, Frantz. Les damnés de la terre. Paris : La Découverte, 2004, 311 p. GUERIN, Daniel, CESAIRE, Aimé. Les Antilles décolonisées. Nouv. éd. Editions Présence Africaine, 1986, 188 p. GIRCOUR, Frédéric, REY, Nicolas. LKP Guadeloupe : le mouvement des 44 jours. Editions Syllepse, 2010, 187 p. HALL, Stuart. Identités et cultures?: politiques des cultural studies. Édition : Seconde édition, revue et augmentée. Paris : Editions Amsterdam, 2008, 411 p. - Identités et cultures 2?: Politiques des différences. Paris : Editions Amsterdam, 2013, 283 p. JAMES, C. L. R., et al. Sur la question noire?: La question noire aux Etats-Unis 1935-1967. Paris; Que?be?c (Canada) : Editions Syllepse, 2012, 170 p. LENINE, V. I. Lénine -Préface de Monmousseau, Gérard. Du rôle et des taches des syndicats. 1949. MCADAM, Doug. Freedom Summer?: Luttes pour les droits civiques, Mississippi 1964. Marseille : Agone, 2012, 496 p. MONETA, Jacob. La politique du parti communiste francais dans la question coloniale, 1920-1963. François MASPERO Collection Livres Rouges. Ed François MASPERO Collection Livres Rouges, Paris : 1971. PIERRE CHARLES, Philippe (entretien). La dynamique de la lutte sociale aux Antilles. Actuel Marx. 2010, vol. 47, p. 54. TOMICHE, Paul. Luttes syndicales et politiques en Guadeloupe : Tome 2, Mai 67, La Répression. L’Harmattan, Paris : 2008, 280 p. 79 WALLERSTEIN, Immanuel. Commentary No. 252 “Guadeloupe: Obscure Key to World Crisis"| Fernand Braudel Center, Binghamton University. Mar. 1, 2009. 80 ST 16 : Les nouveaux rapports au politique et leurs mécanismes de socialisation Développer un sens civique à travers des sociabilités festives et récréatives: la socialisation politique des jeunes en milieu rural Daf!on A. Université de Lausanne La socialisation politique des jeunes a longtemps été analysée à partir de l’enfance sous le prisme d’instances classiques que sont l’école et la famille (Jennings, Niemi, 1981 ; Maurer, 2000 ; Muxel, 2001 ; Sears and Levy, 2003 ; Sapiro, 2004, Tournier, 2009). Concluant pour certains à la force de la transmission familiale et à la précocité de la .xation des préférences partisanes, ces travaux ont fortement sous-estimé les mécanismes de formation ultérieure. Mais surtout, s’appuyant sur des analyses quantitatives et des récits rétrospectifs, la compréhension des processus par lesquels les « jeunes adultes » façonnent leurs attitudes politiques n’est que très partielle. En.n, en adoptant une dé.nition restrictive de la socialisation politique, ils se sont surtout intéressés à ses résultats, c’est-à-dire à la « réussite » de la transmission d’opinions politiques, de préférences partisanes et d’orientations électorales, excluant par là même toutes les attitudes ne se rapportant pas à un univers politique spécialisé. En dé.nitive, ces perspectives de recherche ont minimisé la politisation des jeunes tout en réduisant ses formes à de grands facteurs explicatifs. Tous ces angles morts s’inscrivent plus généralement dans le constat qu’effectuent une nouvelle génération de travaux (Juhem, 2001; Bargel, 2009 ; Pagis 2009 ; Abendschön, 2013) sur les enjeux de dé.nition et d’opérationnalisation que pose la notion de socialisation politique. Il semble donc nécessaire et intéressant d’interroger « ce qui se joue » politiquement à la .n de l’adolescence et au début de l’âge adulte pour suggérer de nouvelles manières d’aborder et d’analyser la socialisation politique. Cette communication se propose ainsi d’étudier les nouveaux rapports au politique et leurs mécanismes de socialisation à partir d’une enquête ethnographique multisituée auprès de jeunes engagés dans des sociétés de jeunesse campagnarde en Suisse romande . Je tiens à montrer tout l’intérêt de passer par des activités « ordinaires » (au sens où elles ne se rapportent pas directement à la politique), à savoir les sociabilités juvéniles en milieu rural, pour comprendre comment la socialisation à la politique s’effectue. Pour ce faire, il convient de déplacer le questionnement de la socialisation « reconstituée » à la socialisation « en train de se faire », de la scruter en actes à partir de ses rouages concrets, et d’adopter une conception du rapport au politique qui ne se réduit pas à l’identi.cation de prises de positions « proprement politiques » mais qui prenne en compte l’ensemble des schèmes de perception et d’action relatifs au monde politique ou participant d’un « rapport politique au monde social » (Maurer, 2000). Cette acception large du politique invite à repérer davantage de processus de politisation qu’une dé.nition resserrée ne l’autorise et correspond mieux aux expériences que vivent les jeunes en milieu rural. Lors de ces dernières, le politique ne se dit pas politique. Il ne renvoie pas à des partis, à des idéologies ou à des objets de votation. Il s’exprime davantage à travers des positions et des valeurs orientées vers les clivages et les enjeux de la société civile (Gamson, 1992 ; Eliasoph, 2010, Hamidi, 2010). En effet, les sociétés de jeunesse campagnarde, que l’on retrouve dans beaucoup de villages de Suisse romande, sont caractérisées par un véritable « évitement du politique » (Eliasoph, 2010). Se donnant pour but « la promotion d’activités sportives et culturelles dans un esprit festif et un climat d'intense amitié », les activités auxquelles les jeunes participent (manifestations villageoises, soirées festives, sorties « culturelles » et sportives, voyages) ne sont jamais quali.ées et considérées comme politiques par les membres. Bien plus que ça, les discussions sur des objets politiques ou d’actualités sont extrêmement rares et très vites esquivées. Or, à y regarder de plus prêt on constate qu’une multitude de mécanismes de socialisation ne s’inscrivant pas directement dans l’univers politique, a des effets en termes de politisation (Bourdieu, 1977). Non seulement les processus qui conduisent à éviter le politique produisent des conséquences sur le sentiment d’autorité à l’égard de la politique institutionnelle, mais surtout au travers de sociabilités festives et récréatives, se développe un véritable sens civique, c’est-à-dire un attachement au monde environnant et une disposition à s’engager collectivement et par la voie délibérative pour résoudre les problèmes de la cité (Putnam, 2000 ; Sapiro, 2006). Nous verrons premièrement que la transmission des manières de voir, de dire, de sentir et d’agir s’effectue dans des contextes de fête et de loisirs et par l’intermédiaire de .gures et d’images emblématiques facilitant ainsi le caractère implicitement politique des mécanismes de socialisation (Corbin et al., 1994). Nous constaterons par ailleurs que cette familiarisation au politique est également le produit d’inculcations (volontaires ou involontaires) morales ou pédagogiques reposant sur des dispositifs contraignants et impliquant un certain nombre d’apprentissages manifestes. Deuxièmement, j’insisterai sur ce qui est appris, désappris, modi.é et mis en veille au cours des sociabilités juvéniles. Dans un contexte où les transformations du rural helvétique romand bouleversent la cohésion sociale des habitants et où les jeunes ruraux sont davantage susceptibles d’évoluer dans des mondes divers et variés, nous verrons que les sociabilités festives poussent les membres à maintenir une unité et une langue commune, par la perpétuation et/ou la création de symboles et de traditions. Dès lors se développent chez les jeunes un fort sentiment d’attachement et d’appartenance à l’espace environnant qui les amène à défendre collectivement des positions qui nourrissent à bien des égards leur rapport à la politique et plus particulièrement au vote, puisque l’on constate une très forte participation politique. Je veux parler ici des divisions qui sont opérées entre le « nous » et le « eux » (Hoggart, 1957), entre la tradition et le progrès, entre l’activité et l’inactivité, entre le rural et l’urbain, entre le local, le national et l’étranger, entre la culture légitime et illégitime, entre la pute, le pédé et la sexualité « respectable », en d’autres termes aux divisions qui sont effectuées entre les différents groupes sociaux qu’ils soient de classe, de genre, de race et d’âge. En.n, en insistant sur la pluralité des parcours de vie je montrerais que les expériences vécues en société de jeunesse ne 81 sont pas réceptionnées de la même manière par tous les individus (Lahire, 2002). Si l’on partage ici l’idée que la socialisation est un processus très largement inconscient qui transforme les contraintes sociales en évidences « naturelles » (Durkheim, 1911), les individus ne sont pas des surfaces vierges sur lesquels s’impriment toutes les in!uences sociales. Au contraire, dans ce processus le socialisé est actif et remet en cause certains aspects de la société (Percheron, 1993). Dans ce cadre, les variations classiques en termes de classe, de genre et d’âge permettront de comprendre les modalités par lesquelles les jeunes négocient et se réapproprient les contenus des sociabilités juvéniles. Cependant, on montrera surtout que la réalité à laquelle ils font face s’assimile et s’accommode différemment selon le caractère dissonant ou harmonieux des différentes sources de socialisation auxquelles les jeunes sont exposés (Lahire, 1998 ; Darmon, 2006). En dé.nitive, cette communication a pour but de situer le rapport au politique sur un continuum (qui va de la sphère politique institutionnalisée aux rapports de pouvoir et de domination qui animent les activités sociales les plus ordinaires) et de considérer que tous les éléments de la socialisation sont susceptibles de fonctionner comme des opérateurs d’identi.cation et d’appréciation politiques dès lors qu’ils structurent le rapport des individus à eux-mêmes, à leurs univers d’appartenance et au monde environnant. Bibliographie ABENDSCHÖN, Simone (dir.), Growing into Politics: Contexts and Timing of Political Socialisation, Colchester, UK : ECPR Press, 2013. BARGEL, Lucie, Jeunes socialistes/ Jeunes UMP. Lieux et processus de socialisation politique, Paris, Dalloz, 2009. BOURDIEU, Pierre, « Questions de politique », in Actes de la recherche en sciences sociales, 16, 1977. CORBIN, Alain, et al., Les usages politiques de la fête aux XIXe – Xxe siècles, Paris, Presses de la Sorbonne, 1994. DARMON, Muriel, La Socialisation, Paris, A. Colin, 2006. DURKHEIM, Emile, (1911) Education et sociologie, Paris, PUF, 1966. ELIASOPH, Nina, L'évitement du politique - Comment les Américains produisent l'apathie dans la vie quotidienne, Broché, Paris, 2010. GAMSON, William, Talking politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. HAMIDI, Camille, La société civile dans les cités : engagement associatif et politisation dans des associations de quartier, Paris, Economica, 2010. HOGGART, Richard, (1957) La culture du pauvre, Paris, Minuit (coll. Le sens commun), 1970. JENNINGS, M. K., NIEMI R. G., Generations and Politics. A panel study of young adults and their parents, Princeton, Princeton University Press, 1981. JUHEM, Philippe, « Entreprendre en politique. De l’extrême gauche au PS : la professionnalisation politique des fondateurs de SOS-Racisme », Revue française de science politique, avril 2001, 51 (1-2). LAHIRE, Bernard, (1998) L’homme pluriel : les ressorts de l’action, Paris, Hachette Littératures, 2007. LAHIRE, Bernard, Portraits sociologiques : dispositions et variations individuelles, Paris, Nathan, 2002. MAURER, Sophie, « Ecole, famille et politique : socialisations politiques et apprentissages de la citoyenneté. Bilan des recherches en science politique », Dossier d’Etude n°15. Allocations familiales, décembre 2000. MUXEL, Anne, L’expérience politique des jeunes, Paris, Presses de Sciences Po, 2001. PAGIS, Julie, Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68. Une enquête sur deux générations familiales : des « soixante-huitards » et leurs enfants scolarisés dans deux écoles expérimentales, Thèse de doctorat en sociologie, ENS/EHESS, Paris, 2009. PERCHERON, Annick, La socialisation politique, Paris, A. Colin, 1993. PUTNAM, R. D., Bowling Alone. The Collapse and Revival of American Community, New York, Simon and Schuster, 2000. SAPIRO, Virginia, “Not Your Parents’ Political Socialization: Introduction for a New Generation.” Annual Review of Political Science, 7, 2004 : 1-23. SAPIRO, Virginia, « Gender, Social Capital, and Politics », in O’NEILL, Brenda and GIDENGIL, Elisabeth, eds., Gender and Social Capital, Routledge, 2006, pp.151-83. SEARS, David O., and LEVY, Sheri, « Childhood and Adult Political Development », in SEARS, David O., Leonie HUDDY, and Robert JERVIS (eds), Oxford Handbook of Political Psychology, Oxford, Oxford University press, 2003. TOURNIER, V., « Le rôle de la famille dans la transmission politique entre les générations : histoire et bilan des études de socialisation politique », In QUENIARD, A, and Hurtubise, Roch. (dir.), L'intergénérationnel. Regards pluridisciplinaires, Paris: Presses de l'EHESP, 2009. 82 Nouvelles familles? Nouvelles mères? Autres rapports au politique? Réguer-Petit M. Sciences Po Paris Les expériences des séparations conjugales et recompositions familiales peuvent-elles in!uer sur le rapport au politique des femmes et sur leur rôle d’agent socialisateur ? Cette question émerge du décalage entre la sociologie de la famille soulignant la diversi.cation des con.gurations familiales (Segalen, Martial 2013) et la prédominance d’un modèle nucléaire convoqué par les travaux sur la socialisation politique (Dolan 1995). Cette communication éclaire par ailleurs le paradoxe émergeant des travaux soulignant la prédominance des mères dans la socialisation politique familiale (Zuckerman, al. 2007; Muxel 2011). Comment expliquer que les femmes, moins politisées, selon les indicateurs communément utilisés (Chiche, Haegel 2002; Lizotte, Sidman 2009) , soient des agents centrales de socialisation politique ? L’usage d’une dé.nition élargie du politique et de méthodes spéci.ques de repérage du politique (Duchesne, Haegel 2004) éclairent ce paradoxe en saisissant les mécanismes quotidiens qui pèsent sur le rapport au politique. Les résultats s’appuient sur 80 entretiens semi-directifs réalisés auprès de mères en familles nucléaires, en familles monoparentales et belles-mères. La structure familiale in!ue sur le contenu de la socialisation politique. La critique d’un modèle patriarcal développée par les mères seules et belles-mères mais aussi l’expérience de la justice vécue par les femmes dans des contextes de séparations conjugales favorise la transmission de valeurs féministes d’une part et d’un sentiment de dé.ance à l’égard des institutions étatiques d’autre part. En.n, la structure familiale in!ue sur les mécanismes de socialisation. Les stratégies de transmission et les pratiques quotidiennes, porteuses de dispositions politiques, varient selon la con.guration familiale. L’opinion comme apprentissage : analyse de la formation de l’opinion personnelle chez les enfants Simon A. Université Montpellier 1 Dès l’école primaire, la plupart des enfants sont en mesure de formuler des opinions politiques qu’ils revendiquent comme personnelles (Throssell 2009 ; Lignier, Pagis 2013). Faut-il voir dans leurs paroles une répétition mécanique des propos entendus dans l’entourage adulte, comme le veulent les études classiques de socialisation qui cherchent avant tout à repérer les mécanismes de transmission (par exemple Lane 1959 ; Hess, Torney 1967 ; Jennings, Stoker, Bowers 2001) ou au contraire une dynamique de création à travers laquelle l’enfant se constitue en tant qu’acteur, comme le suggèrent les courants des Childhood Studies et de Sociologie de l’enfance (par exemple James, Prout 1997 ; Rayou 2000, Sirota 2005) ? L’étude des opinions politiques enfantines, au delà des questions théoriques et méthodologiques qu’elle pose, constitue une entrée pour observer la socialisation politique « entrain de se faire » en ce qu’elle interroge la façon dont les enfants traitent, négocient et s’approprient les informations normatives provenant de leur environnement. Cette communication présentera les résultats d’une étude empirique menée au printemps 2014 dans 6 écoles primaires de Montpellier, choisies pour être aussi hétérogènes que possible. 275 enfants âgés de 8 à 11 ans ont été interrogés par questionnaire sur leur perception du monde politique (entendu au sens strict) et 32 d’entre eux ont également participé à des entretiens ludiques plus approfondis. Il s’agira de présenter ce protocole de recherche ainsi que les enjeux méthodologiques qui lui sont associés, et d’en livrer les premiers résultats autour de la notion d’opinion personnelle. Cette enquête montre que le développement de l’opinion politique, au croisement entre mécanismes d’apprentissage et d’identi.cation, constitue une étape de l’af.rmation de soi. Les enfants apprennent progressivement à donner du sens aux informations provenant de leur environnement, qu’ils interprètent au prisme de leur expérience quotidienne. Ainsi, les opinions politiques formulées par les enfants sont fortement marquées par leur caractère enfantin, mais n’en demeurent pas moins une première étape de la constitution d’un système d’idées et de valeurs susceptible d’être durable. Il apparait néanmoins que la capacité à formuler des opinions sur des sujets variés et à les défendre est inégalement répartie selon les milieux sociaux, le genre, l’âge et la compétence technique des enfants. Des signes précoces d’un sentiment d’illégitimité politique, accentué par la domination inhérente au statut enfantin, apparaissent ainsi dans les propos des enquêtés. Bibliographie - Hess R.D., Torney J. (1967), The development of Political Attitudes in Children, Chicago, Aldine Press. - James A., Prout A. (1997), Constructing and Reconstructing Childhood ; contemporary issues in the sociological study of childhood, London, Routledge. - Jennings K., Stoker L., Bowers J. (2001), Politics Across Generations: Family Transmission Reexamined, UC Berkeley, Institute of Governmental Studies. 83 - Lane R. (1959), « Fathers and sons: Foundations of political belief », American Sociological Review, 24 (4). - Lignier W., Pagis J. (2013), « La gauche c’est les gentils, la droite chez les méchants » ; Sociogenèse des représentations enfantines du clivage gauche/droite, Papier présenté au congrès de l’Association Française de Science Politique, Paris. - Rayou P. (2000), « Une société de cour ; les compétences politiques des enfants à l’épreuve de la récréation », in Saadi-Mokrane D. (dir.), Sociétés et cultures enfantines, Lille, Université Lille 3, Travaux et recherches. - Sirota R. (dir.) (2005), Éléments pour une sociologie de l’enfance, Rennes, Presses universitaires de Rennes. - Throssell K. (2009), « Tous les enfants de ma classe votent Ségolène », Agora Débats/Jeunesse, n°51. « L'évitement du politique » dans les conseils municipaux d'enfants : une socialisation au consensus Boone D. Lille 2 Traditionnellement, on imagine que la socialisation politique doit avoir un contenu facilement identi.able. Ce projet de communication, issu d'un travail de thèse, soutient que l'indifférence et l'initiation au consensus constituent tout autant des contenus de la socialisation politique, et qu'elles s'apprennent au même titre qu'un contenu davantage considéré en termes de savoirs plus « mesurables ». Pour ce faire, je présenterai l'un des terrains sur lesquels j'ai enquêté lors de ma recherche doctorale : les Conseils Municipaux d'Enfants (CME). Les CME sont présentés par leurs promoteurs comme un « apprentissage de la démocratie » ou de la « citoyenneté » pour des enfants généralement âgés de 9 à 11 ans, et visent deux objectifs : permettre à leurs jeunes membres de s'exprimer sur des problèmes qui les concerneraient directement, et servir d'apprentissage politique en se frottant à une citoyenneté « grandeur nature ». Cependant, les CME sont le lieu de diverses formes de dépolitisations : la dimension politique de telles structures est largement niée par leurs promoteurs, au motif que la population qui les compose serait imperméable à toute forme de politisation ou de rapport au/à la politique ; les parents des jeunes élus tendent à revendiquer le monopole de l'éveil politique de leur enfant ; les élus et employés municipaux, qui organisent le déroulement concret des CME, demeurent très prudents vis-à-vis de tout risque d' « endoctrinement » dont on pourrait les accuser ; tandis que les enseignants, qui ont pour tâche de prendre en charge le déroulement des élections dans les enceintes scolaires, sont pris dans diverses contraintes de rôles qui limite leur évocation de la politique à ses aspects institutionnels. Au .nal, ces divers acteurs et processus cantonnent les enfants à des activités qui les enferment dans les représentations sociales qu'on porte sur eux, à savoir des êtres politiquement innocents, prompts à faire preuve de générosité dans le cadre d'activité avant tout philanthropiques. Concrètement, dans les CME, les principaux indicateurs de repérage du politique sont absents : les références à la politique institutionnelle y sont rares ; la con!ictualité quasi-inexsitante, au pro.t de la défense de causes consensuelles, portées par des enfants dont on ignore les différences sociales ; les montées en généralité bannies, et ce a.n de favoriser des actions qui sont des réponses immédiates, et à portée, de problèmes donnés. Aussi, il est dif.cile d'établir la liste d'un contenu politique en termes d'accumulation de savoirs et de savoirs-faire qu'auraient acquis les enfants. Autrement dit, selon les indicateurs traditionnellement utilisés, en termes de contenus, la socialisation politique dans les CME n'existerait pour ainsi dire presque pas, et les effets socialisateurs concrets de ces structures sur leurs membres seraient contradictoires avec l'objectif af.ché d'initiation à la citoyenneté. Cependant, je défends l'idée que la socialisation politique pratiquée dans les CME n'est pas pour autant dépourvue de contenu. Seulement, ce contenu est moins visible, se cache dans des positions de retrait plus que dans des mises en avant ; dans des silences davantage que dans des paroles énoncées ; dans des labellisations plus que dans des pratiques concrètes. Plus qu'un tremplin vers le monde politique, dé.ni avant tout par le caractère con!ictuel et la montée en généralité des débats qui s'y déroulent, les CME s'apparentent à une socialisation anti-con!ictuelle, c'est-à-dire une socialisation au consensus, où l'essentiel de ce qui constituerait des activités, des débats, et des discussions politisés, est évacué, rejeté, invisibilisé, au nom de principes selon lesquels les questions « politiques » heurteraient les enfants, ou du moins l'image que l'on se fait d'eux. Je développerai donc quelques-uns des mécanismes qui aboutissent à un évitement de la parole, de la ré!exion et de l'action politiques (descente en singularité, recherche du consensus et de l'unanimité, technicisation des problèmes, euphémisation des différences), tout en illustrant la façon dont les enfants des CME les intériorisent et se socialisent, de fait, à une politique dépolitisée. A la recherche de nouveaux protocoles de recherche dans l’étude des mécanismes de socialisation politique Fournier B. Vrije Universiteit Brussel Depuis plusieurs années, les études de socialisation politique ont retrouvé un intérêt certain auprès des chercheurs. La grande disponibilité de bases de données l’explique sans doute, mais elle pose plusieurs questions. On observe parfois une certaine « stérilité scienti.que » lorsqu’une démarche strictement quantitative est entreprise. On ne possède souvent 84 pas des informations assez .nes pour étudier les mécanismes de socialisation et les processus d’assimilation et d’accommodation de l’environnement, comme l’avaient déjà proposé Jean Piaget ou Annick Percheron. Dans cette logique, chaque individu est exposé à une réalité politique qui est assimilée par l’individu et s’accommode à ce qu’il connaît déjà. Il y a donc un processus de construction de la réalité politique dont la .nesse doit être conservée. Nous souhaiterions présenter ici un cadre théorique sociologique qui permettrait d’étudier ces mécanismes de socialisation politique. La dynamique piagétienne sera rappelée, mais pour la replacer rapidement dans ces nouvelles perspectives dites des « sociologies de l’individu » qui ont été développées par Martuccelli et de Singly. Puis, nous transposerons l’idée de mécanisme dans celle de raisonnement qu’utilise Shawn W. Rosenberg à partir, justement, des travaux de Piaget (voir « The Structure of Political Thinking », AJPS, 32(3) : 539-566, 1988). En travaillant ainsi sur les raisonnements, la logique d’assimilation/accommodation peut être approchée davantage. Ces pistes demeureront cependant partielles. L’étude des raisonnements ne doit pas faire oublier que c’est avant tout dans la singularité des pratiques individuelles que la socialisation politique se comprend réellement. Voilà le véritable dé. de la recherche actuelle. Expérience du chômage et confiance politique : Interactions avec l’Etat et socialisation politique des jeunes chômeurs Lorenzini J. European University Institute Les études récentes portant sur la socialisation politique ont élargi le concept a.n d’aller au-delà de la socialisation au sein de la famille ou à l’école au cours de l’enfance et d’étudier également la socialisation politique à l’âge adulte. En effet, l’apprentissage de la politique, le façonnement des attitudes et des comportements politiques ne s’arrêtent pas à la .n de l’adolescence. Tout au long de la vie, les rôles sociaux, les rencontres et certains événements marquants contribuent à la socialisation politique des citoyen-ne-s. Dans cette contribution, je propose de me focaliser sur un élément marquant dans la vie d’une personne, le chômage de longue durée, et d’analyser, plus spéci.quement, comment les interactions entre les jeunes chômeurs de longue durée et les employé-e-s de l’état travaillant à l’of.ce du chômage contribuent à la socialisation politique des jeunes chômeurs de longue durée, en particulier à la construction de la con.ance politique. Je propose de répondre à cette question en me basant à la fois sur des entretiens approfondis menés avec des jeunes chômeurs de longue durée à Genève et sur des données de sondage recueillies auprès de la même population. Le recours à ces deux types de données me permet à la fois de comprendre les mécanismes qui participent de la socialisation politique des jeunes chômeurs et de tester certains de ces mécanismes sur un échantillon représentatif de jeunes chômeurs de longue durée. Une cause (racialisée) de classe supérieure : retour sur la formation de dispositions à la dépolitisation des rapports sociaux de ‘race’ Mesgarzadeh S. Université de Lausanne A partir d’une enquête ethnographique prolongée dans trois « clubs » de cadres et de dirigeants « noirs », « musulmans » et « issus de la diversité » en Ile-de-France, nous proposons d’analyser la formation de dispositions à la dépolitisation des rapports sociaux de ‘race’. Contrairement aux dé.nitions médianes de la politisation, qui considèrent la montée en généralité et la désignation d’adversaires comme des indicateurs de politisation saisis à travers les discours (Duschesne et Hagel, 2001 ; Gamson, 1992), nous proposons de considérer l’absence de montée en généralité et de désignation d’adversaires comme une forme singulière de politisation, dont il s’agit d’étudier les mécanismes de socialisation. Cette proposition se fonde sur le paradoxe suivant : selon la littérature existante, nous nous attendions à ce que les membres des « clubs » de cadres et de dirigeants issus des minorités témoignent, en entretien, d’expériences de discriminations (Fassin, 2010) qu’ils chercheraient à faire reconnaître en imputant la responsabilité à un adversaire identi.able. Or, la plupart des fondateurs et membres de ces associations tendent à euphémiser, dans les entretiens comme dans l’action associative, les préjudices rencontrés. Ce constat nous invite donc à appréhender l’absence de désignation de responsable et de montée en généralité comme une forme singulière de politisation, dont il s’agit précisément de rendre compte à travers l’examen de la socialisation des acteurs, au sens de « l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit […] par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert […] des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement » (Darmon, 2010 [2002] : 6). A travers l’analyse des traits de socialisation primaire communs aux membres de ces associations, nous montrerons notamment que, quelles que soient leurs origines sociales, ceux-ci ont été élevés dans des familles mettant activement en œuvre des stratégies résidentielles et scolaires visant soit la reproduction d’une appartenance aux catégories sociales supérieures, soit la prise de distance avec les catégories sociales dominée du groupe de référence « noir » ou « musulman » (ces acteurs disent avoir été élevés à Paris intramuros, pour « éviter » les banlieues, avoir été scolarisés en école privée, etc.). Socialisés dans les centres urbains plus que périurbains, pour ceux qui sont nés et ont grandi en France, ou dans des familles appartenant aux élites traditionnelles locales ou aux catégories dirigeantes du pays d’origine, ces acteurs ont intériorisés les distinctions de classes entre minoritaires. Leur engagement dans les « clubs » de cadres et de dirigeants minoritaires active cette disposition à la défense des distinctions de classe entre minoritaires, bien plus qu'une disposition à la remise en cause des hiérarchies entre minoritaires et majoritaires. En ce sens, nous 85 considérons que l’absence de système d’opposition entre un nous « Noirs » ou « Musulmans » et un vous « majoritaires » renvoie bien à une forme de socialisation particulière, encore renforcée par l’insertion dans des milieux professionnels valorisant le respect des hiérarchies socio-économiques (cabinets d’affaires, grandes entreprises). Sur le plan méthodologique, cette proposition repose sur une analyse de la socialisation primaire et secondaire des acteurs à partir de 40 entretiens biographiques d’une durée moyenne de 2 heures. Elle a pour objectif de contribuer à la ré!exion théorique sur les nouveaux rapports au politique à travers une forme singulière d’ « évitement du politique » (Eliasoph, 2010), en le rapportant à la socialisation primaire et professionnelle des acteurs. Bibliographie DARMON, Muriel, 2010 (2002), La socialisation, Paris : Armand Colin (2e édition). DUSCHESNE, Sophie, HAEGEL, Florence, 2001, « Entretiens dans la cité, ou comment la parole se politise. », EspacesTemps Les Cahiers, n° 76-77, p. 95-109. ELIASOPH, Nina, 2010, L’évitement du politique. Comment les Américains produisent de l’apathie dans la vie quotidienne, Economica. FASSIN, Didier (dir.), 2010, Les nouvelles frontières de la société française, Paris : La Découverte. GAMSON, William, 1992, Talking Politics, Cambridge/New York : Cambridge University Press. Football et politisation ordinaire : Le supportérisme en Russie comme lieu de construction du politique Gloriozova E. Université Libre de Bruxelles Notre papier a pour but d’explorer la sphère du supportérisme footballistique en Russie en tant que lieu d’expression et de construction du politique. Notre dé.nition du supportérisme s’inspire d’enquêtes ethnographiques (Armstrong 1998, Giulianotti 2002) qui mettent en lumière la fonction symbolique du football, c'est-à-dire la manière dont il est susceptible de faire sens, et qui décrivent la diversité des modalités de soutien à une équipe. Par supportérisme nous désignons ainsi l’ensemble des activités, expériences et modes de communication particuliers, relatif à la passion et au soutien portés à une équipe de football, laquelle acquiert une dimension symbolique et identi.catoire. L’analyse des mécanismes de construction du politique au sein du supportérisme nécessite d’adopter une dé.nition élargie de la politisation. Il ne s’agira pas d’étudier l’acquisition d’un savoir politique spécialisé ou les facteurs pesant sur le choix électoral, mais cette « étape intermédiaire entre la socialisation individuelle et la production de préférences spéci.quement politiques : celles des visions du monde, des « instruments de mise en ordre » de celui-ci, qui révèlent (…) d’une politisation entendue en un sens élargi ». (Hamidi 2006, p.12) La question générale qui guide notre recherche peut se présenter comme suit : Comment le supportérisme intervient-il au sein des supports, contextes, registres de légitimation, modes de construction et de transmission d’expressions, d’idées ou revendications à caractère politique ? En plus d’être très peu explorée par la littérature scienti.que, la question de la politisation au sens large au sein d’une sphère de loisir comme le football comporte un intérêt particulier dans le cas russe. En effet, dans un contexte où l’acquisition et l’expression de préférences politiques spécialisées à travers les canaux de participation politique traditionnels sont dif.ciles (Brenez & Merlin 2011), le supportérisme peut constituer un vecteur d’expression politique alternatif particulièrement intéressant à explorer. La recherche se base sur deux types de données empiriques. Les entretiens approfondis et semi-directifs avec les supporters de trois grands clubs de Moscou (Spartak, Dinamo et Torpedo Moscou) serviront à explorer la manière dont les expériences supportéristes et le registre footballistique interviennent dans la politisation de la parole. Nous utiliserons en particulier la grille de repérage du politique au sein des discours développée par Sohie Duchesne et Florence Haegel (2001). Pour rendre compte des mécanismes qui in!uent sur le rapport au politique, la méthode des entretiens permettra de resituer les valorisations subjectives dont ce rapport est le produit (Gaxie, 2002). Ces appréciations seront mises en lien avec les trajectoires biographiques, les récits des expériences supportéristes et les discours sur le rapport personnel au club, aux membres du groupe ou aux autres supporters. La recherche se base également sur une analyse du contenu de réseaux sociaux supportéristes (forums et communautés virtuelles). A travers ces données, nous tenterons de voir la manière dont le registre footballistique et ses modes de communication spéci.ques (mélange des registres footballistique, humoristique et politique) interviennent dans la construction et la transmission d’expressions à caractère politique. 86 Socialisation politique et homosexualité. Comment la socialisation sociosexuelle des gays et lesbiennes informe-t-elle leur rapport au politique ? Durand M. Sciences Po Paris En 2012, une enquête CEVIPOF-Ifop révélait l’ « ancrage à gauche » des homosexuel.le.s et bisexuel.le.s qui auraient « une conscience politique plus aigüe » (Kraus, 2012). Plus récemment, les débats sur le Mariage pour tous en France ont montré que les questions d’homosexualité mobilisent toujours, « politisent », les gays et lesbiennes, certains en faveur du projet, d’autres en opposition au projet de loi. Si les logiques de l’engagement homosexuel ont fait l’objet d’études (Broqua, 2006; Broqua & Fillieule, 2001), les mécanismes de leur socialisation politique n’ont pas été analysés. Quel est le rapport au politique des individus homosexuel.le.s ? Des travaux nord-américains con.rment le tropisme à gauche de la population lesbienne/gaie /bi (LGB) (Hertzog, 1996; Perrella, Brown, & Kay, 2012). Pour expliquer cette spéci.cité (« distinctiveness ») de leur comportement politique, P. Egan avance que la socialisation en milieu gai n’est pas nécessaire mais que cette « distinctiveness » est à rechercher en amont de la socialisation secondaire en milieu gay : par leur cheminement identitaire en marge de la norme hétérosexuelle, les gays et lesbiennes acquierent un corpus de valeurs et d’attitudes qui les sensibilisent au libéralisme et à la gauche (Egan, 2008). Ce cheminement identitaire est porteur d’une socialisation politique spéci.que, mais les mécanismes restent inconnus. En France, la question des liens entre les socialisations sociosexuelle et politique n’a pas été traitée à ce jour. Seuls les travaux de P. Adam montrent une corrélation entre la socialisation sociosexuelle des hommes gays et leur prise de position sur l’axe universalisme/communautarisme : le recentrement sur la sphère privée et une conjugalité « classique » favorisent un positionnement politique universaliste. P. Adam met ainsi à jour les implications politiques des expériences homosexuelles (Adam, 1999, 2001). La construction identitaire des gays et lesbiennes permettrait de comprendre leur rapport au politique. Le processus de construction identitaire des gays et lesbiennes fait l’objet d’analyse depuis quelques décennies (Broqua, 2011; Pollak, 1982; Schiltz, 1997), et parmi les travaux récents (Adam, 1999; Chetcuti, 2010; Verdrager, 2007) certains décrivent un processus en plusieurs étapes, qui commence par un sentiment de différence ; viennent ensuite les étapes de « nomination » (verbaliser la réalité de sa sexualité), de « dévoilement » (processus de coming-out) et parfois de « renforcement » (socialisation secondaire en milieu gai/lesbien). Cette construction identitaire s’explique par la « contrainte à l’hétérosexualité » (Rich, 1981) issue des structures hétéronormées du monde social, principale obstacle dans la socialisation sociosexuelle des gays et lesbiennes. A la différence d’autres groupes sociaux (religieux ou ethniques notamment), l’individu gay/lesbien n’est pas « socialisé à être homosexuel.le ». Une prise de distance d’avec le monde social intériorisé dans la socialisation primaire doit s’opérer : qu’est-ce qu’un tel « décentrement » induit dans le rapport au politique ? La socialisation sociosexuelle des gays et lesbiennes relève de ce que Berger et Luckmann appellent une « socialisation ratée » (Berger & Luckmann, 2012), concept qui met en avant le décalage entre le monde subjectif de l’individu et le monde objectif intériorisé dans la socialisation. Considérer que la socialisation sociosexuelle « ratée » des gay et lesbiennes est politisante repose sur une vision élargie du politique qui ne considère pas seulement la politique institutionnelle mais aussi les valeurs, le rapport au monde social, et les dynamiques de con!ictualisation (Duchesne et al., 2003; Leca, 1973; Percheron, 1987). Nous considérons alors que « la socialisation proprement politique ne prétend pas épuiser la compréhension des mécanismes de formation des représentations et des pratiques politiques » (Percheron, 1985, p. 173) et qu’une place doit être faite aux socialisations « ratées », encore trop peu étudiées dans les analyses de socialisation politique. Cette communication s’attachera à montrer comment la socialisation sociosexuelle des gays et lesbiennes informe leur rapport au politique et à donner des éléments de compréhension du rôle de la socialisation sociosexuelle dans la genèse de dispositions politiques. Elle s’appuie sur un travail de thèse en cours. Le matériau, en cours de constitution, sera composé d’ici le congrès d’une quinzaine d’entretiens semi-directifs approfondis, de type récits de vie, avec des hommes et des femmes s’auto-dé.nissant comme homosexuel.le.s. L’échantillon sera composé d’acteurs associatifs et non-associatifs. La communication s’organisera en trois temps : nous reviendrons sur la littérature que l’on peut mobiliser, puis sur les hypothèses que l’on peut formuler pour expliquer le rapport au politique des gays et lesbiennes, et en.n sur les premiers résultats de l’enquête. Il s’agira d’évaluer le poids de la socialisation sociosexuelle « ratée » dans le rapport au politique, comparativement aux autres socialisations (socialisation politique familiale et religieuse notamment), et leur articulation , et d’analyser le rôle de la socialisation secondaire en milieu gai dans la politisation des individus. Bibliographie -Adam, Philippe. 2001. « Lutte contre le sida, pacs et élections municipales. L’évolution des expériences homosexuelles et ses conséquences politiques », Sociétés contemporaines, no 41-42 : 83-110. -Adam, Philippe. 1999. « Bonheur dans le ghetto ou bonheur domestique?? Enquête sur l’évolution des expériences homosexuelles », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 128: 56-67. -Berger, Peter et Thomas Luckmann. 2012. La construction sociale de la réalité, Armand Colin., Paris. -2011. Genre, sexualité & société, hors série 1 « La construction sociale de l’homosexualité ». 87 -Broqua, Christophe. 2006. Agir pour ne pas mourir?! Act-Up, les homosexuels et le sida, Les Presses de Sciences Po., Paris. -Broqua, Christophe et Olivier Fillieule. 2001. Trajectoires d’engagement. AIDES et Act Up, Textuel., Paris. Chetcuti, Natacha . 2010. Se dire lesbienne?: vie de couple, sexualité, représentation de soi, Payot., Paris. -Duchesne, Sophie, Florence Haegel, Céline Braconnier, Camille Hamidi, Pierre Lefébure, Sophie Maurer et Vanessa Scherrer. 2003. « Politisation et con!ictualisation?: de la compétence à l’implication », in Pascal Perrineau (éd.) Le désenchantement démocratique, Editions de l’Aube., La Tour-d’Aigues: 107-129. -Egan, Patrick J. 2008. « Explaining the Distinctiveness of Lesbians, Gays, and Bisexuals in American Politics », Rochester, NYSocial Science Research Network. -Hertzog, Mark. 1996. The lavender vote?: lesbians, gay men, and bisexuals in American electoral politics, New York University Press., New York. -Kraus, François. 2012. Gays, Bis, Lesbiennes?: des minorités sexuelles ancrées à gauche CEVIPOF-Ifop, "Les électorats sociologiques". -Leca, Jean. 1973. « Le repérage du politique », Projet, no 71 : 11-24. -Percheron, Annick. 1987. « La socialisation politique?: un domaine de recherche encore à développer », Revue Internationale de science politique, vol. 8, no 3 : 199-203. -Percheron, Annick. 1985. « La socialisation politique. Défense et illustration », in Jean Leca et Madeleine Grawitz (éds.) Traité de science politique, Presses Universitaires de France., Paris: 165?235. -Perrella, Andrea M.L., Steven D. Brown et Barry J. Kay. 2012. « Voting Behaviour among the Gay, Lesbian, Bisexual and Transgendered Electorate », Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, vol. 45, no 01 : 89-117. -Pollak, Michaël. 1982. « L’homosexualité masculine, ou le bonheur dans le ghetto? », Communications, no 35 : p. 3755. -Rich, Adrienne. 1981. « La contrainte à l’hétérosexualité et l’existence lesbienne. », Nouvelles Questions féministes, no 1 : 15-43. -Schiltz, Marie-Ange. 1997. « Parcours de jeunes homosexuels dans le contexte du VIH?: La conquête de modes de vie », Population (French Edition), 52ème année, no 6 : 1485-1537. -Verdrager, Pierre. 2007. L’homosexualité dans tous ses états, Les Empêcheurs de penser en rond., Paris. Les musulmans en Europe : unis dans la diversité ? Une analyse des relations entre religion et politique à partir de l’European Social Survey (ESS) Tournier V. Institut d'études politiques En quelques décennies, l’islam est devenu un enjeu important en Europe. Une forte population musulmane réside désormais dans plusieurs pays européens, ce qui provoque des débats et parfois des tensions, au point de faire émerger ce que l’on pourrait appeler une « question musulmane ». Connaître les caractéristiques de cette population constitue toutefois un dé.. Les données statistiques sont rares et limitées. Plus encore, il existe peu de données comparatives. Or, la comparaison est aujourd’hui indispensable car elle seule permet d’aborder des questions telles que : quel est le degré d’homogénéité des musulmans en Europe ? A-t-on affaire à une population très diversi.ée ou, au contraire, à une population relativement homogène ? Les musulmans ontils des valeurs similaires quel que soit leur pays de résidence, ou sont-ils .nalement très proches des valeurs et des cultures nationales, soumis en cela à un processus de socialisation et d’intégration plus ef.cace que ne le laisse entendre l’actualité ? Deux hypothèses concurrentes peuvent être suggérées. La première est que la religion musulmane est suf.samment structurante pour faire émerger un ensemble spéci.que de valeurs sociales et politiques, de sorte que les musulmans présenteront des valeurs comparables dans tous les pays. Cette hypothèse peut s’appuyer sur le fait que l’islam connaît un regain de religiosité, ce qui peut ampli.er l’impact de la religion sur la détermination des autres valeurs. Une hypothèse concurrente est au contraire qu’il existe de fortes disparités au sein des musulmans européens : selon les pays, les musulmans auront donc des valeurs sociales et politiques différentes, ce qui peut résulter soit de l’histoire des migrations dans chacun des différents pays européens (les Turcs en Allemagne, les Maghrébins en France, les Asiatiques en Angleterre, etc.), soit des contextes de socialisation propres à chaque pays, de sorte que les musulmans subissent l’in!uence de la culture nationale du pays où ils se trouvent. Ce sont ces deux hypothèses que l’on voudrait tester dans cette communication. Pour cela, nous proposons d’exploiter l’une des rares sources de données comparatives disponibles, à savoir les enquêtes de l’European Social Survey. Ces enquêtes sont réalisées tous les deux ans depuis 2002. Lorsqu’on regarde les échantillons des différents pays pour chaque vague d’enquête, les musulmans sont insuf.samment nombreux pour envisager des analyses détaillées. C’est 88 pourquoi nous allons travailler sur les données cumulées en utilisant les cinq premières vagues (2002, 2004, 2006, 2008 et 2010). Cette opération permet d’obtenir une proportion de musulmans plus conséquente, assez comparables aux statistiques produites par le Pew Research Center dans son rapport de 2011 (http://www.pewforum.org/2011/01/27/table-muslim-population-by-country/). Pour nos investigations, nous ne retiendrons que les pays pour lesquels il est possible d’avoir au moins une centaine de musulmans. Ce critère permet de conserver douze pays européens : Allemagne, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Suède et Suisse. Nous intégrerons également la Russie pour élargir la comparaison. Données cumulées ESS pour les pays où le nombre de musulmans est supérieur à 100. Effectif Musulmans total cumulé Effectifs % Allemagne 7619 292 3,7 Belgique 3701 268 6,8 Bulgarie 3099 654 17,4 Danemark 4502 112 Espagne 6833 149 2,1 France 2608 190 6,8 Grande-Bretagne 3045 158 Grèce 8835 180 2,0 Norvège 4521 114 2,5 Pays-Bas 3938 197 Suède 2710 125 4,4 Suisse 6024 220 3,5 Russie 3659 406 10,0 2,4 4,9 4,8 Source : ESS, données cumulées 2002-2010. Chiffres non pondérés. Dans la communication, nous tâcherons de véri.er deux éléments : d’une part le degré d’homogénéité des musulmans en Europe sur le plan des valeurs sociales et politiques, y compris sur le degré de religiosité, d’autre part les différences dans les valeurs avec la population non-musulmane. Les données permettent d’effectuer cette double analyse sur plusieurs variables : la politisation, la participation politique, la con.ance (envers les autres et envers les institutions) ou encore l’orientation politique (axe gauche-droite). L’enquête fournit également des indicateurs originaux sur la perception des discriminations, les mœurs (l’homosexualité) ou les enjeux sécuritaires (le terrorisme). Bibliographie Amiraux, Valérie, 2004, « Les musulmans dans l’espace politique européen. La délicate expérience du pluralisme confessionnel », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 82, avril-juin, p. 119-130. Bisin, Alberto, Thierry Verdier, Eleonora Patacchini et Yves Zenou, 2008, « Are Muslim Immigrants Different in Terms of Cultural Integration? », Journal of the European Economic Association, vol. 6, nos 2-3, p. 445-456. Bréchon, Pierre, 2013, « Religion et valeurs en Europe », Futuribles, no 393, mars-avril, p. 75-87. Caldwell, Christopher, 2011, Une révolution sous nos yeux. Comment l’Islam va transformer la France et l’Europe, Paris, Toucan. Inglehart, Ronald et Pippa Norris, 2002, « Islam and the West: Testing the Clash of Civilizations Thesis », consulté sur Internet (http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=316506) en juin 2012. Inglehart, Ronald et Pippa Norris, 2012, « Muslim Integration into Western Cultures: Between Origins and Destinations », Political Studies, vol. 60, no 2, p. 228-251. International Crisis Group, 2006, La France face à ses musulmans : émeutes, jihadisme et dépolitisation, Rapport Europe no 172. Hamel, Christelle, 2011, « Immigrées et .lles d’immigrées : le recul des mariages forcés », Population et sociétés, no 479, juin. Lambert, Yves, 2004, « Des changements dans l’évolution religieuse de l’Europe et de la Russie », Revue française de sociologie, vol. 45, no 2, p. 307-338. Lamchichi, Abderrahim, 1999, Islam et musulmans de France : pluralisme, laïcité et citoyenneté, Paris, L’Harmattan. 89 Pew Research Center, 2011, The Future of the Global Muslim Population. Projections for 2010-2030, consulté sur Internet (http://features.pewforum.org/muslim-population) en juin 2013. Saint-Blancat, Chantal, 1995, « Une diaspora musulmane en Europe ? », Archives de sciences sociales des religions, no 92, octobre-décembre, p. 9-24. Tournier, Vincent, 2011, « Modalités et spéci.cités de la socialisation des jeunes musulmans en France. Résultats d’une enquête grenobloise », Revue française de sociologie, vol. 52, no 2, p. 311-352. Willaime, Jean-William, 2006, « La sécularisation : une exception européenne ? Retour sur un concept et sa discussion en sociologie des religions », Revue française de sociologie, vol. 47, no 4, p. 755-783. 90 ST 17 : La sociologie politique à l’épreuve des relations professionnelles Panel 1 – Le répertoire de l’action collective syndicale La négociation collective travaillée par un regard (de) politiste : pour une sociologie politique des relations professionnelles Gantois M. Université Paris I - Panthéon Sorbonne Cette proposition de communication repose sur un travail de thèse en cours de .nition. Il s’agit de revenir sur la manière dont on a construit empiriquement et théoriquement un objet en sociologie politique sur un sujet en principe dévolu à la sociologie des relations professionnelles : la pratique de la négociation collective en France. Comment étudier la négociation collective, objet « propre » à la sociologie des relations professionnelles, en sociologie politique ? L’enjeu n’est pas tant d’étendre les frontières d’une discipline que de montrer les apports et les pistes de recherche soulevées par une démarche résolument interdisciplinaire. En premier lieu, on s’attachera à présenter à grands traits les apports des recherches sur ce thème en sociologie des relations professionnelles en posant un regard de politiste sur ces travaux pour soulever des dimensions restées dans l’ombre dans les études aux démarches ancrées dans les héritages de la sociologie du travail et des organisations. En France, si la sociologie des relations professionnelles s’inscrit plus largement en « relations industrielles » ("industrial relations"), ses pères fondateurs ont en quelque sorte « borné » la manière d’étudier les « relations professionnelles », et notamment la manière d’envisager les relations entre employeurs et représentants de salariés en entreprise. Le double héritage de la sociologie du travail et des organisations permet d’éclairer la construction formelle du cadre de la négociation collective tout en laissant dans l’ombre les acteurs et leurs usages « au concret » des règles de négociations collectives ainsi que le rôle joué par les responsables des organisations patronales et syndicales dans la construction d’un « espace des possibles » parmi d’autres pour encadrer cette pratique. La négociation tend à être communément dé.nie au regard des contours formellement tracés par la loi et traditionnellement étudiée par ce qu’elle produit, c'est-àdire des « règles », ou pour reprendre les termes de Jean-Daniel Reynaud « de la régulation sociale ». Les travaux laissent ainsi dans l’ombre les manières dont les acteurs patronaux et syndicaux abordent cette pratique, la représentent et se l’approprient. En second lieu, on mobilisera le terrain effectué en thèse pour montrer en quoi un décloisonnement du regard posé sur ce thème permet d’interroger autrement cette dimension de la « démocratie sociale ». À partir d’un travail de recherche ancré en sociologie politique avec une démarche interdisciplinaire mobilisant les outils de l’historien, de l’ethnologue et de l’anthropologue et à la suite de précédents travaux ouvrant la voie pour un décloisonnement de sujets traditionnellement investis par les sociologues du travail et des relations professionnelles, on propose de ré!échir sur trois dimensions non éclairées dans les précédents travaux. Premièrement, à partir d’un travail sur archives, on reviendra sur la manière dont la négociation collective a été institutionnalisée en France. Deuxièmement, on s’attachera à porter un intérêt particulier sur les logiques d’action prônées au sein des organisations syndicales pour « bien » négocier, montrant ainsi la diversi.cation des approches idéalisées de la pratique selon les organisations étudiées. Troisièmement, par une démarche à la fois compréhensive et dynamique ancrée sur un travail de terrain long effectué dans une entreprise, on esquissera des manières d’investir les mandats d’élus et de représentants du personnel, en particulier le mandat de négociateur avec un regard posé à la fois du côté patronal et du côté syndical, ainsi que des manières informelles d’user du « droit » de la négociation en pratiques. Contribution à une sociologie des lieux de production symbolique des relations professionnelles : Cornell et le « renouveau syndical » Yon K. Lille 2 Le thème du « renouveau du syndicalisme » est apparu dans les études syndicales anglo-saxonnes à la .n des années 1990 pour désigner un ensemble de pratiques censées rompre avec les routines syndicales antérieures. Bien que tout un courant de recherche se soit engouffré depuis lors dans cette voie, il a déjà été souligné à quel point le label du « renouveau » ou de la « revitalisation syndicale », coproduit par des syndicalistes et des intellectuels, est à la fois ambivalent, plus souvent postulé que démontré et fréquemment normatif. La notion s’avère ainsi beaucoup plus opérationnelle qu’analytique, renvoyant au fait que, dans le monde anglo-saxon – là où l’univers académique des « relations professionnelles » s’est historiquement constitué – industrial relations et labor studies sont plus une science du gouvernement des relations de travail ou de l’action collective qu’une science ré!exive. C’est sur ce plan que je voudrais souligner un possible apport de la sociologie politique à l’analyse des relations professionnelles : le développement d’un regard ré!exif qui ne porte pas seulement sur les faits sociaux, mais aussi sur les catégories employées pour les désigner. Ce regard fait bien souvent défaut dans le champ des relations professionnelles où se confondent les mots et choses. Le « renouveau syndical » y est ainsi pris comme un fait réel et univoque dont l’existence s’expliquerait par les seules transformations internes au champ syndical, comme la 91 désinstitutionnalisation du système de relations professionnelles ou l’accès aux responsabilités d’une génération de dirigeants syndicaux marqués par l’expérience des mouvements sociaux des années 1960-70. À l’inverse, ma communication entend prolonger une analyse critique de la catégorie "renouveau syndical". Je voudrais montrer que la constitution de ce label, sa diffusion et sa mise en visibilité ont aussi pour conditions de possibilité des transformations qui ne se limitent pas au champ syndical mais renvoient aussi à des évolutions parallèles dans le monde universitaire et, plus largement, à une recon.guration des rapports entre syndicalistes et intellectuels. Ce travail s’inscrit dans la continuité de mes recherches sur la production du sens syndical, dont la sociologie des dispositifs de formation en France constituait un premier jalon (cf. autre proposition de communication avec N. Ethuin). Pour ce faire, je m’appuierai sur une étude de cas, à travers la socio-histoire de l’école de relations industrielles de Cornell (ILR) et, plus spéci.quement, des intellectuels et experts qui interagissent avec les syndicalistes. Travailler sur la genèse des catégories mobilisées par les professionnels des relations professionnelles suppose en effet de s’intéresser à leurs lieux de production symbolique. À cet égard, l’ILR, lieu d’échange entre les mondes syndical, patronal, politique et intellectuel dans l’État de New York, mais aussi bien au-delà, est un site central dans l’univers des relations professionnelles. Le matériau empirique sera constitué d’entretiens, d’archives et d’observations de situations récoltés au cours d’un séjour de recherche de plusieurs mois au sein de l’école. L’étude des transformations institutionnelles de l’ILR et des contraintes qui pèsent sur le travail de ses agents permet ainsi de constater que la formalisation du thème du « renouveau syndical » renvoie moins à un renouvellement ou à une revitalisation des échanges entre universitaires et syndicalistes qu’à une recon.guration impliquant tout à la fois la réduction de certains services intellectuels aux syndiqués et la privatisation de certains autres. La circulation transnationale des pratiques du renouveau syndical et leur réception en France et en Allemagne Thomas A. CEPS/INSTEAD Aux États-Unis, de nombreux syndicats sont engagés depuis les années 1990 dans des pratiques quali.ées par euxmêmes et par des universitaires engagés de « revitalisation » ou de « renouveau » syndical (union revitalization ou renewal). Les travaux universitaires sur le renouveau syndical ont fait un ample usage des outils de la sociologie des mouvements sociaux, insistant sur l’importance des stratégies et du répertoire d’action adopté par les syndicats et postulant la possibilité d’une revitalisation interne du syndicalisme américain, sans faire de nouvelles régulations étatiques des relations professionnelles un préalable (Bronfenbrenner, Friedman, Hurd 1998 ; Milkman, Voss 2004). La littérature sur la revitalisation syndicale rompt ainsi avec un certain nombre de présupposés du courant d’études des industrial relations, qui a mis l’accent sur la variété des institutions des relations professionnelles. Le discours sur la revitalisation syndicale construit une dichotomie entre deux types de syndicalismes censément homogènes : un « syndicalisme gestionnaire » (buisness unionism), focalisé sur la négociation et la gestion des conventions collectives et des groupes de membres existants, et un « syndicalisme renouvelé », engagé dans la syndicalisation de nouveaux groupes de travailleurs (organizing) et menant des campagnes publiques visant à exercer une pression sur des employeurs (campaigning) (Thomas 2011). Développés aux États-Unis, le discours et les pratiques de la revitalisation syndicale se sont d’abord diffusés à d’autres pays anglo-américains (Canada, Grande-Bretagne, Australie, Nouvelle Zélande), avant d’être discutées et mises en pratique dans des pays d’Europe continentale. En particulier, les pratiques de l’organizing ont été discutées ; elles visent à syndiquer de nouveaux groupes de salariés tels que des travailleurs immigrés, ainsi que des femmes et des travailleurs précaires ou à faible salaire (Frege 2000). Des universitaires européens ont repris des thèmes de recherche liés à la revitalisation syndicale. La reprise des travaux anglo-américains sur la revitalisation syndicale contribue à accréditer l’idée que des développements positifs sont à l’œuvre dans le syndicalisme international et à légitimer des approches « engagées » du syndicalisme et des relations professionnelles. Un effet générationnel est également à l’œuvre, avec des chercheurs, nouveaux entrants dans le champ des études sur le syndicalisme, qui se saisissent des thèmes de la revitalisation syndicale pour tenter de redé.nir les objets légitimes du champ, se mettre en scène comme incarnant le « nouveau » ou le « renouveau », mais aussi mettre en cohérence prédispositions militantes et intérêts scienti.ques. Cette contribution analysera la circulation transnationale des pratiques et de la littérature sur la revitalisation syndicale à l’exemple de la France et de l’Allemagne. Elle reviendra sur les conditions de diffusion de ces pratiques, ainsi que sur les acteurs, les thèmes et les supports de cette diffusion. Cette analyse implique une ré!exion sur la manière dont les pratiques et les catégories d’analyse du renouveau syndical développées aux États-Unis sont reçus, traduits et utilisés dans d’autres contextes des relations professionnelles et dans d’autres espaces universitaires (Bourdieu 2002). Elle implique aussi une ré!exion sur la transformation des modalités de l’internationalisme ouvrier, ainsi que sur la place des institutions nationales des relations professionnelles dans la circulation des idées politiques et des pratiques organisationnelles. 92 Repenser les répertoires d’action à l’aune des mobilisations syndicales Roullaud E. Université Lyon 2 L’objet de cette contribution est de rendre compte des apports de l’étude de l’action syndicale à l’analyse des répertoires d’action au travers de deux axes de questionnement : premièrement, il s’agira de questionner l’antagonisme classique entre actions « conventionnelles » et « non conventionnelles » puis, deuxièmement, de saisir ce que doit le choix des modes d’action aux relations de concurrence entre organisations professionnelles. La sociologie des mobilisations collectives a connu son essor, notamment en France, en prenant pour sujet d’étude central ce qui a été appelé les formes « non conventionnelles » de participation politique. De ce fait, jusqu’aux années 1990, ces travaux ont marqué une opposition entre les actions protestataires dé.nies comme publiques, collectives et portant leur revendication par le biais de la confrontation aux pouvoirs publics et les actions institutionnelles dites dénuées de contestation. Si bien que le syndicalisme, perçu comme une forme institutionnalisée de participation politique, a constitué un angle mort des mobilisations collectives. Travailler sur l’objet syndical offre la possibilité de s’intéresser à des formes d’action dites «institutionnelles» – telles que la négociation, la participation à des groupes de travail ministériels – et incite à questionner la pertinence de cette césure en examinant les usages protestataires qui en sont faits par les syndicalistes. Il convient alors de porter son attention sur les représentations et le sens donné par les acteurs à ces actions et de les réinscrire dans le déroulé des mobilisations a.n d’étudier leur articulation avec d’autres formes d’action. Il s’agit ici de prendre au sérieux l’idée d’un continuum d’actions et de montrer comment des types de mobilisation distincts s’articulent sans présumer de leur nature « institutionnelle » ou « contestataire ». Par ailleurs, dans son ouvrage Contentious Performances, Charles Tilly rappelle le poids déterminant des «contraintes extérieures » dans la construction et la mise en œuvre du répertoire d’action. Ces dernières se rapportent aux structures de pouvoir, les gouvernements et l’État. Elles encadreraient l’espace des possibles des mobilisations en délimitant les actions prescrites, tolérées ou prohibées et réprimant, le cas échéant, par la menace et la sanction. Néanmoins, l’État ne peut être considéré comme la cible unique des actions syndicales. En effet, les mobilisations servent également à se positionner par rapport à ses adversaires dans l’espace de la représentation syndicale. Le choix des modes d’action peut alors être étudié comme un échange de « coups », au sens de Dobry, entre différents syndicats pour se démarquer les uns des autres et délégitimer ses rivaux. L’analyse du répertoire d’action d’un syndicat doit donc rendre compte de sa position dans l’espace de la représentation syndical et des rapports de concurrence qu’il entretient avec les organisations adverses. L’étude que nous proposons de développer ici s’appuie sur une enquête menée auprès d’un syndicat agricole français, la Confédération paysanne, dans le cadre de notre doctorat de science politique. Cette recherche empirique repose sur la combinaison de différentes méthodes d’enquêtes et d’une grande variété de sources qui ont permis de saisir de manière relationnelle et processuelle les mobilisations syndicales. Le dépouillement des archives de la Confédération paysanne, notamment le journal interne La lettre des paysans, a rendu possible l’examen exhaustif des actions menées relatives aux réformes de la Politique agricole commune entre 1987 et 2007. Parallèlement, l’analyse du journal de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA, principal syndicat agricole français), L’information agricole, offre une vision des actions menées par cette structure sur la même problématique et permet de les mettre en lien avec celles des syndicats adverses. À partir de ces sources, un catalogue d’action a été établi. Contrairement à la méthode de la Protest event analysis, nous ne nous limitons pas à lister les types d’actions syndicales menées mais cherchons à les décrire (nombre de participants, déroulé de l’action, cibles) et à les replacer dans leur contexte a.n de saisir l’articulation des différents modes d’action. De plus, les comptes rendus de réunion interne de la Confédération paysanne sont une source particulièrement riche pour connaître les anticipations et objectifs assignés aux mobilisations par les responsables syndicaux. Ils permettent ainsi de rendre compte des logiques de concurrence qui structurent les choix d’action. En.n, les entretiens semi-directifs menés avec les représentants nationaux de la Confédération paysanne informent sur les perceptions qu’ont ces acteurs des mobilisations ainsi que sur leurs dispositions sociales qui structurent également leur horizon pratique. Panel 2 – Les enjeux politiques de la lutte syndicale Pourquoi et comment faire la sociologie des idéologies syndicales ? Présentation d’une enquête collective sur les dispositifs de formation syndicale en France 1 Ethuin N., 2Yon K. Lille 21, CERAPS2 Il est d’usage courant d’attribuer aux grandes centrales syndicales un type de « culture » qui orienterait le comportement et les visions du monde des militants de ces organisations. Un ensemble de représentations et de stéréotypes émergent souvent lorsque sont évoqués les syndicalistes. Ainsi, en France, la CGT, pour le dire de façon simpliste, a été longtemps associée, selon ses pourfendeurs, à une culture du refus et de blocage des négociations et pour ses partisans, à une organisation de lutte, de résistance à l’idéologie dominante. La CFDT incarne pour certains le « syndicalisme responsable et constructif », pour d’autres le reniement de la culture de lutte. On pourrait multiplier les exemples à l’envi. Pour stéréotypées qu’elles soient, ces représentations attirent l’attention sur le lien entre une appartenance 93 syndicale et des visions du monde, des façons de penser et d’agir. Si chaque organisation syndicale est évidemment plurielle et diverse, à l’instar d’autres groupements militants, il n’en demeure pas moins qu’elles contribuent à « administrer du sens » et que l’expérience en leur sein informe les rôles et les catégories de pensée des militants. Prendre au sérieux cette dimension nécessite d’appréhender les organisations syndicales comme des institutions, qui façonnent les militants autant que ceux-ci les façonnent, pour reprendre un principe fondamental de la sociologie des institutions. Celle-ci a permis d’enrichir la sociologie du militantisme et des mobilisations et permet de poser, de façon renouvelée, nombre de questions longtemps écartées des travaux sur le syndicalisme. Parmi ces angles morts, aujourd’hui en cours de réinvestissements, nous voudrions insister dans cette communication sur la question des idéologies syndicales. L’objectif sera d’abord de résumer les principaux facteurs permettant de comprendre pourquoi cette vieille question, qui a pourtant alimenté des travaux importants sur le syndicalisme , a été délaissée, sinon explicitement considérée comme dépassée et désuète, dans la plupart des travaux s’inscrivant tant dans la sociologie des mouvements sociaux que dans celle des relations professionnelles. Ensuite, il s’agira de proposer une opérationnalité empirique du concept d’idéologie syndicale, à partir d’une discussion théorique sur l’usage qu’il nous semble pertinent d’en faire. En effet, comme le terme « culture », le concept d’idéologie fait courir le risque d’une approche homogénéisante et atemporelle, l’une et l’autre notion pouvant être comprise comme un invariant planant au-dessus de la tête des acteurs. Pour conjurer ce risque, il convient d’adopter une conception matérialiste de la culture . Sous cet angle, la formule de Pierre Ansart, qui dé.nit l’idéologie comme un « schème collectif d’interprétation du monde » est intéressante. Celle-ci ne devient objet de sociologie que si sont analysées les « conditions de production et de reproduction, ses moyens de diffusion et d’inculcation ». C’est ce cadre d’analyse que nous avons privilégié dans une recherche collective sur les dispositifs de formation syndicale dans les organisations de salariés en France. La formation syndicale constitue en effet un observatoire particulièrement adapté pour explorer cette piste. Si les dispositifs de formation ne sont qu’une des modalités possibles d’administration du sens syndical parmi d’autres – congrès, réunions, presse syndicale, discussions informelles, piquets de grève, etc. – ils ont la spéci.cité d’être explicitement orientés vers la transmission de savoirs, visant à « améliorer » l’activité syndicale et à conforter l’autorité organisationnelle. Ils constituent un idéal-type des modes de socialisation par « inculcation idéologique-symbolique de croyances » . En outre, il s’agit de dispositifs objectivés dans des supports, organisés dans des appareils, incarnés par des acteurs ; en d’autres termes, de l’idéologie matérialisée. Dès lors, étudier l’histoire des pratiques d’éducation syndicale, leur conception et leurs actualisations, c’est observer l’idéologie syndicale en train de se faire et, plus précisément, en train de faire doublement corps : devenir corpus institutionnel et s’incarner dans les militants. Cette section thématique pourrait nous donner l’occasion de présenter cette recherche collective, en montrant pourquoi et comment nous avons été amenés à puiser dans des traditions d’analyse qui sont rarement associées. En effet, avec un souci de décloisonnement des frontières disciplinaires et sous-disciplinaires, nous avons braconné dans diverses boîtes à outils : la sociologie du travail et des relations professionnelles bien sûr, mais aussi la sociologie de l’éducation et de la formation, la sociologie des institutions et des mobilisations sans oublier l’histoire sociale des idées. Ce décloisonnement s’est avéré nécessaire et utile pour ne pas se contenter de répondre à la question : à quoi sert la formation syndicale ? Pour paraphraser Michel Offerlé à propos des partis politiques , si la formation syndicale sert à quelque chose, elle ne sert pas à la même chose dans toutes les institutions et pour tous les syndicalistes. Dès lors, il convient aussi de se demander comment différents acteurs « la servent » et « s’en servent ». La démarche comparative, sur le plan à la fois historique et organisationnel, mise en œuvre dans notre enquête collective, permet d’apporter des réponses à ces questions. Action syndicale et modes de politisations des classes populaires : trajectoires et socialisations militantes de travailleurs précaires à la CGT Berthonneau C. Aix-Marseille Alors que la sociologie des relations professionnelles tend à réduire le syndicalisme à une activité institutionnalisée et déconnectée des rapports sociaux qui produisent le sens de l'engagement syndical, resituer la CGT dans l'espace des mouvements sociaux fait apparaître cette organisation comme une des seules disposant d'une assise sociale aussi large et capable de promouvoir des membres de classes populaires à des postes de responsabilité face aux représentants du patronat ou de l’État. S'intéresser à l'action syndicale de la CGT est donc une entrée privilégiée pour poser un regard nouveau sur un sujet qui est surtout abordé actuellement à partir de la sociologie des comportement électoraux, à savoir le rapport au politique des classes populaires. A partir d'une recherche en cours sur les trajectoires et socialisations militantes de salariés syndiqués à la CGT et travaillant dans les secteurs précaires de l'emploi privé (grande distribution, service à la personne, sous-traitance industrielle etc), c'est la question des conditions de possibilité de la participation des fractions subalternes de classes populaires aux luttes sociales que nous voulons poser. Pour cela, nous mobilisons les outils conceptuels de l’interactionnisme symbolique qui ont participé au renouvellement de la sociologie politique française des mouvement sociaux (carrière militante, dimension processuelle de l'engagement, façonnage organisationnel, effets de l'engagement etc), - renouveau au sein duquel le syndicalisme demeure quelque peu délaissé -, en recourant à une méthode d'enquête ethnographique faite d'entretiens biographiques et d'observation participante dans les Unions locales CGT (structures chargées de coordonner l'activité syndicale au niveau interprofessionnel, à l'échelle d'un territoire). 94 Le but est donc de saisir la dimension processuelle de l'engagement syndical des travailleurs précaires (adhésion, apprentissage du travail syndical, prise de responsabilité ou au contraire marginalisation, etc) en prenant en compte leur ancrage socio-professionnel et les rapports qu'ils entretiennent avec les militants établis de la CGT, chargés de les familiariser au fonctionnement et aux attentes de l'organisation pour favoriser leur prise de responsabilité. En appréhendant les formes d'engagement syndical à travers les aspects pratiques et relationnels du travail syndical, nous montrerons en quoi la spéci.cité de l'offre militante de la CGT, en tant qu'activité inscrite dans les rapports pratiques de domination au travail et valorisant un habitus de classe oppositionnel, favorise l'attachement à l'organisation de travailleurs précaires distants des modes de politisation à dominante scolaire propres aux membres de classes supérieures. Mais si la CGT réussit ainsi à mobiliser des membres de classes populaires tenus à l'écart d'autres formes de participation militante (partis politiques, associations etc), la technicisation des relations professionnelles, qui nécessite d'être complètement familiarisé au droit et à l'usage de l'écrit, reproduit des mécanismes d'auto-censure ou de délégation dans l'action syndicale de la part des travailleurs précaires. L'institutionnalisation de la con!ictualité sociale en entreprise, de par les compétences à caractère scolaire qu'elle requiert, participe ainsi à la marginalisation des fractions subalternes de classes populaires au pro.t des fractions stabilisées à fort capital militant. Mettre la sociologie politique à l'épreuve de l'action syndicale permet donc d'appréhender un problème plus large relatif à la professionnalisation croissante des espaces politiques de délibération et à ses effets démobilisateurs pour les fractions de classes populaires les plus démunis en capital culturel. Syndicalisme et science politique au Québec : proposition pour des retrouvailles Collombat T. Université du Québec en Outaouais Dans le contexte nord-américain, le syndicalisme québécois apparaît comme un objet de choix pour les politologues. Connaissant le taux de syndicalisation le plus élevé de la région, il a historiquement contribué de façon signi.cative à l’édi.cation de l’État social moderne en développant une relation privilégiée (quoi que parfois contradictoire) avec le gouvernement provincial (Gagnon 1994, Jenson et Mahon 1993). S’étant explicitement prononcé en faveur de la souveraineté du Québec, les centrales syndicales québécoises sont généralement considérées comme plus militantes et plus visibles politiquement que leurs consœurs du reste du Canada et des États-Unis (Tanguay 1993, Collombat 2014). Pourtant, la science politique québécoise contemporaine semble aussi frileuse que son alter ego française à « élever l’objet syndical au rang de thème d’étude central » (Béroud 2005 : 3). Un simple survol des cours offerts aux étudiants et des af.chages de postes de professeurs donne un premier aperçu de cette absence. Dans les revues de science politique québécoises comme canadiennes, l’objet syndical est largement ignoré, si ce n’est lorsqu’il est intégré à l’ensemble plus vaste des « mouvements sociaux », perdant ainsi nombre de ses spéci.cités. L’objet de cette communication est double : elle vise dans un premier temps à identi.er les facteurs ayant mené à ce divorce apparent entre science politique et syndicalisme au Québec. Elle cherche ensuite à avancer une proposition de recherche pouvant contribuer, de façon originale, à un retour de l’objet syndical dans ce champ disciplinaire. Les explications avancées seront de deux ordres. Empirique, d’abord, dans la mesure où la perte d’intérêt pour le syndicalisme re!ète sa perte d’in!uence dans le champ politique. Ce constat doit par ailleurs être nuancé puisque, sur le plan des effectifs, le syndicalisme québécois n’a pas connu une crise de la même ampleur que celle traversée par les autres syndicalismes du monde industrialisé. Il a même su conserver jusqu’à très récemment un rôle clé dans la prise de décision publique, notamment par le biais de mécanismes quasi-néo-corporatistes (Graefe 2012). Disciplinaire, ensuite, avec la présence en Amérique du nord et au Québec en particulier d’une discipline à part entière, les relations industrielles, ayant accaparé l’objet syndical et imposé un programme de recherche largement dénué de dimension politique (Gagnon 1991, Harrod 1997). Les organisations syndicales y sont non seulement réduites à leur rôle d’agent de négociation collective mais la dimension proprement politique de cette activité (espace de lutte de classes, outil de résistance à l’arbitraire patronal, mécanisme de redistribution de la richesse dont la portée dépasse le strict cadre de l’entreprise) est évacuée. À cet égard, il faut sans doute voir d’un œil positif la création récente d’une Association canadienne d’études du travail et du syndicalisme (ACETS) où se côtoient politologues, sociologues, historiens, géographes et autres universitaires n’ayant pas trouvé leur place dans leurs associations professionnelles respectives. Au-delà de ce constat, il est intéressant de noter que cette con.guration de la recherche sur le syndicalisme a laissé de nombreux objets de recherche orphelins. Parmi eux : les organisations syndicales régionales (OSR). En effet, les deux plus grandes centrales syndicales disposent de structures destinées à rassembler leurs syndicats af.liés par région. Il s’agit des Conseils régionaux à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et des Conseils centraux à la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Espaces de solidarité interprofessionnelle et de mobilisation collective, les OSR sont par dé.nition des structures profondément politiques. Impliquées dans les luttes sociales, elles ont pour objet de briser les corporatismes et de créer, bon an mal an, une conscience de classe au sein des rangs syndicaux. Or, très peu a été écrit sur ces structures, sans doute en raison de leur éloignement relatif des enjeux de négociation collective qui constituent le cœur du programme de recherche en relations industrielles. Ce champ est donc ouvert et c’est à la science politique de s’en emparer. Peut-être trouvera-t-elle là un premier élément de réconciliation avec l’objet syndical. 95 Bibliographie Béroud, Sophie. 2005. « Le syndicalisme construit par la science politique » dans Vincent Chambarlhac et Georges Ubbiali (dir.), Épistémologie du syndicalisme, Paris : L’Harmattan : 13-34. Collombat, Thomas. 2014. « Labor and Austerity in Québec: Lessons from the Maple Spring » Labor Studies Journal no. 39 (2): 140-159. Gagnon, Mona-Josée. 1991. « Le syndicalisme: du mode d'appréhension à l'objet sociologique. » Sociologie et sociétés no. 23 (2): 79-95. ———. 1994. Le syndicalisme : état des lieux et enjeux. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture. Graefe, Peter. 2012. « Québec Labour: Days of Glory or the Same Old Story? » dans Stephanie Ross et Larry Savage (dir.), Rethinking the Politics of Labour in Canada, Halifax et Winnipeg : Fernwood : 62-74. Jenson, Jane, et Rianne Mahon. 1993. « North American Labour: Divergent Trajectories. » dans Jane Jenson et Rianne Mahon (dir.), The Challenge of Restructuring. North American Labor Movements Respond., Philadelphie : Temple University Press: 3-18. Tanguay, A. Brian. 1993. « An Uneasy Alliance: The Parti Québécois and the Unions. » dans Jane Jenson et Rianne Mahon (dir.), The Challenge of Restructuring. North American Labor Movements Respond., Philadelphie : Temple University Press: 154-179. La politique des syndicats guadeloupéens : regards croisés sur « l’affaire Pinard » et la « grève du port » (Avril-Mai 2014) Odin P. Sciences Po - IEP de Paris Cette contribution se propose de présenter quelques éléments caractéristiques de l’investissement des organisations syndicales au sein de l’espace des mouvements sociaux en Guadeloupe à travers une étude de cas comparative, en portant un regard croisé sur deux actions syndicales différentes qui participent de la même séquence de mobilisation : la mobilisation de l’Union Générale des Travailleurs de la Guadeloupe (UGTG) en soutien à Jocelyn Pinard – ancien gérant de la station-service Total de Valkanërs sur la commune de Gourbeyre, et de la mobilisation de la CGT Guadeloupe (CGTG) pour la réintégration et la titularisation de quatre dockers du Port Autonome de Jarry. Notre intervention s’appuiera sur l’observation in situ de ces deux mobilisations, dans la mesure où nous avons été amenés à suivre une partie des négociations et des manifestations qui se sont tenues au cours du mois de mai en Guadeloupe autour de ces deux « affaires ». Par là-même, cette intervention se propose d'apporter des éléments de compréhension quant aux usages contestataires du registre syndical aux Antilles. Nous reviendrons notamment sur les logiques concurrentielles du recours à l’action collective au sein du champ syndical guadeloupéen en dehors des mobilisations d’ampleur telles que celles du collectif Liyannaj Kont Pwo.tasyon en 2009, mettant en évidence les principes de différenciation qui caractérisent les orientations des organisations syndicales. Au-delà, nous essaierons d’esquisser les contours de la politique des syndicats guadeloupéens engagés dans les luttes sociales, telle que celle-ci se donne à voir dans les répertories d’action déployés ou le pro.l public de ces mobilisations, a.n de montrer comment cette politique des syndicats s’articule avec les stratégies de recrutement et la formation propres à ces deux organisations dans le cadre de la gestion des relations professionnelles en Guadeloupe. Pour cela, notre travail s’organisera principalement autour de la présentation d’éléments empiriques, rassemblés dans le but de montrer ce que nous apprend la concomitance et la superposition de deux registres d’interventions syndicaux marqués par des pratiques et des représentations différenciées quant à l’état du « champ syndical » - entendu comme un espace relationnel au sein duquel se donnent à voir des cultures syndicales différentes et concurrentes - et aux relations de travail (Béroud &Yon, 2014). Le caractère concurrentiel possède une importance centrale, précisément dans cette perspective à la fois relationnelle et structurale. Premièrement : il permet de penser de penser l’activité syndicale non comme un « tout » homogène mais comme une pluralité de rôles, de pratiques, d’appréciations stratégiques et tactiques , qui peuvent être investies ou utilisées par les syndicalistes mobilisés en fonction de l’idée que ceux-ci se forgent de la situation et des opportunités qu’elle présente. Ensuite, cette entrée par la concurrence invite à comprendre deux choses : d’une part, que la con!ictualité sociale occupe une place centrale dans la vie des principales organisations guadeloupéennes, « toujours déjà » prêtes à se mobiliser pour investir le champ des luttes sociales a.n d’exister politiquement. D’autre part, cette entrée permet de comprendre qu’en-dehors des périodes de mobilisation unitaires, le fait syndical guadeloupéen demeure profondément in!uencé par cultures organisationnelles plus anciennes enracinées dans des domaines socioprofessionnels particuliers ; cultures qui resurgissent sous la forme de registres de justi.cation, et qui permettent aux organisations syndicales de se démarquer les unes par rapport aux autres et de faire valoir de leur légitimité. C’est en tirant les .ls cet entrecroisement de mobilisations que nous entendons montrer les ressorts organisationnels de la politique des syndicats en Guadeloupe. Nous partirons du principe que la sociologie du syndicalisme s’est enrichie au contact de la sociologie des mouvements sociaux, notamment en faisant valoir que les syndicats demeurent des « appareils de mobilisations dans le champ des luttes sociales » (Beroud, Yon). Cette perspective possède un fort potentiel heuristique aux Antilles françaises, où le champ syndical, particulièrement politisé, constitue un lieu privilégié pour se saisir de la surface politique occupée par les organisations syndicales dans le cadre des con!its sociaux. Au croisement de la sociologie politique et de la sociologie des relations professionnelles, la prise en compte de cette politique des organisations syndicales demande à envisager deux dimensions du recours à l’action collective – on pourrait presque 96 parler de logiques de l’action collective pour dédoubler l’approche classique d’Olson (Yon, 2014). La première de ces dimensions est la situation de con!it, centrée sur les enjeux de redistribution, les acteurs en présence et leurs ressources. La deuxième dimension est, quant à elle, centrée sur les formes politiques du con!it. C’est-à-dire, sur la forme opérationnelle d’organisation communautaire telle qu’elle vise à entretenir chez les syndicalistes des dispositions à agir et à se mobiliser. C’est sur cette seconde dimension que nous souhaitons le plus nous attarder ici, en insistant sur les enjeux liés à la production de frontières qui délimitent l’action syndicale. Bien plus qu’un processus d’auto-limitation ou d’autoassignation, cette production des frontières témoigne selon nous d’une capacité d’intervention et un registre de participation particuliers. Dès lors, appréhender le rapport à la politique des organisations syndicales guadeloupéennes implique d’envisager la politisation non seulement comme une requali.cation politique de l’activité syndicale sous sa forme routinisée, mais également sous la forme d’un rapport pouvoir face à divers acteurs institutionnels (le patronat et l’État en particulier). Car c’est précisément ce rapport au pouvoir qui se donne à voir de façon différenciée selon les échelons de la hiérarchie, les domaines d’expertise et d’intervention socioprofessionnels, et qui a également intimement partie liée avec les processus de recrutement et les domaines syndicalisation - ces derniers étant souvent envisagés dans une perspective stratégique dont le cadre se voit modi.é au contact des mobilisations et en fonction de l’amplitude de celles-ci. Bibliographie Béroud, S., 2002. Un renouveau de la critique syndicale?? Mouvements 24, 39–45. Giraud, B., 2006. Au-delà du déclin. Dif.cultés, rationalisation et réinvention du recours à la grève dans les stratégies confédérales des syndicats. Revue française de science politique 56, 943–968. Giraud, B., 2009. Des con!its du travail à la sociologie des mobilisations?: les apports d’un décloisonnement empirique et théorique. Politix 86, 13–29. Mezzi, D., Collectif, 2013. Nouveau siècle, nouveau syndicalisme. Editions Syllepse. Penissat, É., 2005. Les occupations de locaux dans les années 1960-1970?: Processus sociohistoriques de «? réinvention?» d’un mode d’action. Genèses 59, 71–93. Sommier, I., 1993. Virilité et culture ouvrière?: pour une lecture des actions spectaculaires de la CGT. Cultures & Con!its. Yon, K., 2014. Offe, la démocratie dialogique et la lutte des classes?: une critique participationniste du mouvement ouvrier. Participations 8, 127–146. Panel 3 – Syndicalisme et action publique L'européanisation de la concertation sociale en Belgique Conter B. IWEPS L’action publique dépasse le cadre de l’État central ; elle inclut également des niveaux de pouvoir supra et infranationaux. Mais l’action publique est aussi exercée, dans un cadre d’autonomie ou de délégation par les acteurs de la concertation sociale. Les politiques de l’emploi sont l’objet depuis une quinzaine d’année d’une in!uence croissante de l’Union européenne. Les prescrits de la stratégie européenne pour l’emploi, qui n’associe formellement que les États nationaux, s’adressent aux régions et aux « partenaires sociaux ». Il est donc pertinent de s’interroger sur l’in!uence effective sur les contenus et les formes de la concertation. Plusieurs approches, devenues classiques de la science politique, seront mobilisées à cette .n. L’objet de notre communication sera la concertation sociale en Belgique. Les approches cognitives des politiques publiques proposent des concepts (référentiels, médiateurs, rapport global sectoriel) qui permettent d’expliquer le rôle des idées dans le changement des politiques (Muller, 1985, 1996). Mais les idées ne peuvent être des vecteurs de changement que si elles sont portées par des acteurs qui les relaient, qui y trouvent des sources de légitimité ou des argumentaires. Les acteurs de la concertation peuvent ainsi adopter une attitude programmatique d’appui sur le prescrit européen pour introduire des réformes ou, au contraire, adopter une position de veto (Hassenteufel, 2008). Les approches cognitives et par les acteurs permettent d’analyser les comportements des organisations syndicales et patronales belges en termes d’usage, en distinguant les usages cognitifs, instrumentaux et de légitimation (Jacquot, Woll, 2004, 2008). Notre analyse montre que les usages de l’Europe par les interlocuteurs sociaux belges sont d’abord sélectifs. Tant les organisations patronales que syndicales s’appuient fréquemment sur des lignes directrices ou des recommandations européennes dans leurs discours, leurs revendications ou leurs négociations. Mais ces deux types d’acteurs s’appuient rarement sur une même thématique (formation professionnelle et qualité de l’emploi pour les syndicats, activation, !exibilité, coût du travail pour les organisations patronales). Ensuite, elle montre que les usages sont variables dans le temps. Le renforcement du caractère contraignant des politiques européennes (la substitution de la nouvelle gouvernance économique à la méthode ouverte de coordination) (Degryse, 2012 ; Conter, 2012) et la focalisation du discours européen sur des éléments de compétitivité ont modi.é l’équilibre entre acteurs de la concertation en augmentant les ressources de légitimité et en orientant l’agenda politique. 97 Les outils d’analyse des politiques publiques et de l’européanisation des politiques constituent des leviers intéressants pour l’analyse des transformations de la concertation sociale dont l’autonomie est bridée par le pouvoir politique qui agit au nom du prescrit européen. La communication s’appuie sur un matériau constitué d’une étude documentaire et d’une soixantaine d’entretiens réalisés dans le cadre d’une recherche sur les effets et usages de la stratégie européenne pour l’emploi en Wallonie. Bibliographie Conter Bernard, 2012, La stratégie européenne pour l’emploi. De l’enthousiasme à l’effacement, CRSP, Bruxelles. Degryse Christophe, 2012, « La nouvelle gouvernance économique européenne », Courrier hebdomadaire du CRISP n° 2148-2149. Hassenteufel Patrick, 2008, Sociologie politique : l’action publique, Armand Colin, Paris. Jacquot Sophie, Woll Cornelia, 2004, Les usages de l’Europe. Acteurs et transformations européennes, L’Harmattan, Paris. Jacquot Sophie, Woll Cornelia, 2008, « Action publique européenne : les acteurs stratégiques face à l’Europe », Politique européenne n°25, pp. 161-192. Léonard Evelyne, 2010, « Le modèle belge et l’Union européenne », dans Arcq E., Capron M., Léonard E., Reman P., Dynamiques de la concertation sociale, CRISP, Bruxelles. Muller Pierre 1996, « Cinq dé.s pour l’analyse des politiques publiques », Revue française de science politique vol 46, n°1, pp. 96-102. Muller Pierre, 1985, « Un schéma d’analyse des politiques sectorielles », Revue française de science politique vol 35, n°2, pp. 165-189. Les relations professionnelles et les organisations agricoles suisses à l’épreuve des prix Surdez M. Fribourg L’analyse des organisations professionnelles de défense des intérêts des agriculteurs pose à plusieurs titres des questions intéressantes à la sociologie politique des relations professionnelles. Comme l’indiquent les auteurs d’un récent numéro de la Revue Politix (« Représenter les agriculteurs », vol 26, no103, 2013), les syndicats agricoles sont traités « à part » plutôt qu’étudiés en tant que syndicats comme les autres. Cette catégorisation particularisante résulte du travail réussi de ces organisations pour se présenter, ainsi que leur secteur et leur action, comme spéciale ou atypique. En Suisse, cette distinction est d’autant plus prégnante que ces organisations ne s’appellent pas syndicats et qu’elles regroupent des producteurs qui se considèrent comme des entrepreneurs indépendants et non comme des salariés. Toutefois, ces organisations participent bien à dé.nir les conditions de travail des exploitants, notamment parce qu’ils sont habilités à négocier les prix des produits agricoles avec d’autres acteurs, principalement les représentants de la grande distribution, des industries de la transformation et des intermédiaires commerciaux. Sur la base d’une enquête exploratoire auprès des membres du syndicat Uniterre, syndicat agricole minoritaire surtout actif dans la partie romande de la Suisse, et auprès des responsables d’organisations professionnelles bien établies (USP, organisations de .lières), notre contribution vise à montrer comment les formes routinisées de .xation des prix entravent le déploiement de formes syndicales plus contestataires et comment autour de cet enjeu se cristallisent des visions antagoniques de la meilleure façon de défendre les intérêts des producteurs agricoles. A travers cette description, se dessinent des pistes d’analyse encore largement inexplorées pour la Suisse, développées par la sociologie politique des groupes d’intérêt et que la sociologie bourdieusienne avait déjà pointées pour les agriculteurs : l’étude des ressources et trajectoires des représentants agricoles qui peuvent se révéler très hétérogènes, avec des représentants qui restent exploitants et des professionnels du travail de représentation plus ou moins issus par leur origine sociale du monde et des formations agricoles. S’esquisse aussi en creux le rôle des instances étatiques dans la perpétuation de formes institutionnelles de négociations entre « partenaires sociaux », même dans un secteur qui comme l’agriculture est caractérisé par une forte dérégulation. En.n, il serait intéressant de s’interroger empiriquement sur les obstacles objectifs qui entravent la mise en place de liens plus étroits entre syndicats agricoles et syndicats de salariés, dans une période où les organisations agricoles, en tous les cas en Suisse, cherchent à se créer des alliés supplémentaires pour défendre la production locale ou nationale. Les paradoxes du syndicalisme québécois Lapointe P. Université Laval Les syndicats québécois sont incapables de transformer leur présence élevée dans les milieux de travail (tel que mesurée 98 par un taux de couverture syndicale de 40%) en un levier d'amélioration des conditions de travail et d'emploi. Comment expliquer ce paradoxe ? Trois grandes explications peuvent être mobilisées. En premier lieu, une étude approfondie de la présence syndicale selon les secteurs d'activités révèle une dépendance accrue des syndicats à l'égard de l'État, comme employeur et comme .nanceur de certaines activités (construction, services d'utilité publique et transport) dont ils représentent les salariés. Dans ces secteurs, la libre négociation collective et l'exercice du droit de grève ont pratiquement disparu, compte tenu de l'usage fréquent du pouvoir législatif pour imposer les conditions de travail et interdire le droit de grève. Deuxièmement, dans le sillage de la mondialisation et de la possibilité de délocaliser les établissements de production et de service, on assiste à l’émergence d’un nouveau régime de relations du travail qui affaiblit considérablement le pouvoir de négociation des syndicats et rend excessivement dif.cile le recrutement de nouveaux membres. Ce régime se caractérise notamment par une nouvelle économie des con!its de travail : baisse considérable de l'occurrence et durcissement des con!its (prédominance des lockouts et accroissement de leur durée), autour d'enjeux reliés à l'emploi et à la sous-traitance. En troisième lieu, le cadre institutionnel des relations du travail est inadapté aux nouvelles réalités du travail et de l’emploi. Conçu et introduit au milieu du siècle dernier, à une époque où dominaient les grands établissements industriels dans le secteur de la production des biens et pour assurer également une représentation des employés de l’État dont les activités connaissaient une croissance accélérée, alors que les emplois salariés permanents à temps plein étaient la norme, le code du travail n’est plus garant d’un véritable droit à la représentation collective dans un monde de l’emploi caractérisé par la précarisation, par la prédominance du tertiaire privé, des établissements de petite taille et par l’émergence de nouvelles formes d’entreprise (franchisage, agences d’emploi et sous-traitance). Il n’assure plus en outre l’équilibre des pouvoirs entre les patrons, d’une part, et les syndicats et les employés, d’autre part, compte tenu du pouvoir énorme que la mondialisation, les nouvelles formes d’entreprise et la .nanciarisation procurent aux employeurs. Comment changer la situation et le cours des événements ? Pour le moment, les acteurs sociaux sont dans une situation de blocage : les syndicats sont réticents à modi.er le code du travail, car ils craignent d’être pris dans une situation de marchandage et d’une négociation donnant/donnant, voire de dialogue social sans pouvoir, qui les affaibliraient davantage. Une telle logique de « dialogue social » favorise le monde patronal qui détient alors un droit sur toute modi.cation. Et la primauté du « dialogue social » entre les partenaires sociaux s’impose de telle sorte que l’État se cantonne dans une logique de neutralité ! Force est-il alors de regarder du côté des mobilisations sociales et politiques. Et sur le terrain, le monde syndical semble être en panne d’imagination créative. Panel 4 – Les dynamiques professionnelles de l’action syndicale La dichotomie public/privé à l’épreuve des relations ancillaires : une étude comparée entre la Bolivie et le Pérou Carpentier-Goffre L. Sciences Po Paris « - Amalia Pando : Pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi tant de violence ? - Felipe Quispe : Pour que ma .lle ne soit pas ton employée domestique. » Ce vif échange entre la journaliste Amalia Pando et Felipe Quispe, leader indigène révolutionnaire bolivien, nous semble révélateur de la saillance d’un fait social qui a pourtant longtemps été invisibilisé par les sciences sociales, et notamment par la sociologie politique, à savoir le travail domestique salarié en Amérique latine. Tandis que le secteur du travail domestique emploie environ 1 femme active sur 13 à l’échelle mondiale, ce ratio est en effet estimé par l'OIT à 1 sur 6 en Amérique latine et dans les Caraïbes. Dans cette communication, je m’intéresserai plus particulièrement aux relations ancillaires en Bolivie et au Pérou, en m’appuyant sur un travail ethnographique de 5 mois à La Paz et de 3 mois à Lima – fondé sur des entretiens biographiques et de l’observation participante auprès de syndicats de travailleuses domestiques et d’agences d’emploi spécialisées. Selon l’OIT, 11,6 % des femmes actives boliviennes et 7 % des femmes actives péruviennes travaillent dans le secteur du service domestique, qui reste marqué par une forte informalité se traduisant notamment par une proportion de contrats écrits estimée entre 20 % et 35 % selon les estimations au Pérou et de seulement 5 % en Bolivie. Les rapports ancillaires constituent une con.guration atypique de relations professionnelles qui relève de ce Dominique Memmi appelle la « domination rapprochée » (Memmi, 2003), c’est-à-dire une domination qui se joue dans l'intimité du foyer et redé.nit ainsi la frontière public/privé. Nous questionnerons ici la dichotomie public/privé en examinant d’une part, dans quelle mesure ce qui se passe dans la sphère privée est un objet digne d’intérêt pour la science politique et d’autre part, comment la sphère privée contribue à structurer les représentations et les pratiques des élu.e.s et des fonctionnaires publics. Les relations sociales qui se jouent dans l’espace privé constituent « une entrée précieuse pour saisir des enjeux sociaux qui le dépassent » (Collignon & Staszak, 2003, p.9.) : en l’occurrence les processus de co-formation des rapports sociaux de sexe, de classe et de race – triptyque analytique central pour la science politique – peuvent être observés à l’échelle microsociale dans leur dimension interactionniste (Fenstermaker & West, 2002a). Le cas des rapports ancillaires en Bolivie et au Pérou est à cet égard digne d’intérêt : en Bolivie, 97 % des travailleur.se.s domestiques sont 99 des femmes, dont 79 % sont issues de zones rurales et 50 % se dé.nissent comme « indigènes » et plus de la moitié touche un salaire inférieur au minimum national. Au Pérou, 94,5 % des travailleur.se.s domestiques sont des femmes, dont 70 % sont issues de zones rurales – l’absence de statistiques ethnicisées de ce secteur au Pérou fera l’objet d’une analyse à part entière – et 68 % touchent un salaire inférieur au minimum national. Par ailleurs, 49 % des travailleuses domestiques boliviennes et 32 % de leurs homologues péruviennes logent chez leurs employeurs, ce qui pourrait nous amener à penser cette con.guration de « brouillage » des frontières entre vie professionnelle et vie privée/affective comme un cas paroxystique de domination. La travailleuse domestique exerçant dans ce cadre est en quelque sorte l' « intruse permanente », prise en étau entre hypersurveillance et absence d'intimité d'une part, et inclusion spatiale et exclusion sociale (par exemple à travers le port obligatoire d'un uniforme, l'exclusion de la commensalité, ou les restrictions concernant l'usage personnel de certains objets et appareils de la maison) d'autre part. Nous verrons pourtant que cette con.guration panoptique est plus ambivalente qu’il n’y paraît et peut constituer un terreau fertile de « résistances quotidiennes » (Scott, 2008), telles que le colportage de rumeurs sur la vie privée des patrons. Dans un second temps, nous examinerons la façon dont les logiques sociales sur lesquelles reposent les rapports ancillaires traversent les acteurs et les institutions publiques, notamment à travers l'analyse des processus de mise à l'agenda d'une législation encadrant le travail domestique et des débats qui s'ensuivirent en Bolivie et au Pérou. La comparaison entre deux pays nous permettra de démontrer comment l’implication personnelle des législateurs, des fonctionnaires – notamment du Ministère du Travail où les travailleuses domestiques peuvent déposer plainte en cas de contentieux avec leurs employeurs – ou encore des juristes dans des relations de domesticité a des conséquences tant sur les processus de mise à l’agenda que sur le contenu des lois ou encore l’issue des procès entre employeurs et travailleuses domestiques. Nous verrons également que le cadrage des rapports sociaux de genre, de classe et de race par les élites dirigeantes peut in!uencer les relations entre travailleuses domestiques et employeurs. A ce titre, l’élection d’Evo Morales à la présidence en 2005, considéré et auto-revendiqué comme le premier président indigène de Bolivie, constitue une rupture particulièrement intéressante à analyser. Au croisement de la sociologie politique et de la sociologie des groupes professionnels: la mobilisation symbolique du groupe professionnel des concierges d'hôtel de luxe Menoux T. EHESS/CESSP Cette communication cherchera à montrer l'intérêt d'adopter une approche complémentaire entre sociologie politique et sociologie des groupes professionnels pour comprendre les buts de la mobilisation collective d'un groupe professionnel, en partant de l'exemple d'un métier traditionnel prestigieux de l'hôtellerie haut-de-gamme, celui des concierges d'hôtel de luxe. On cherchera notamment à saisir la manière dont se nouent des alliances entre ce groupe professionnel, les acteurs économiques du milieu, l'opinion publique et l’État. On tentera en.n de souligner les modalités spéci.que d'une mobilisation qui a la particularité de se jouer avant tout sur le plan symbolique. Face à l'émergence de nouvelles conditions de travail précaires ou de formes d'emploi atypiques, la sociologie s'est récemment intéressée à la façon dont les travailleurs pouvaient malgré tout se mobiliser pour défendre leurs intérêts alors même que les conditions de leur mobilisation (fort turn-over, absence de culture combattive, précarité, fort contrôle patronal, etc.) ne lui semblaient pas propices (Collovald et Mathieu, 2009). On propose ici de poser la question sous un angle un peu différent en s'intéressant non pas à des travailleurs dont l'action syndicale collective est rendue improbable par la précarité de leurs conditions d'emploi, mais plutôt à ceux qui, même si la stabilité de leur situation professionnelle leur permettrait en apparence de se mobiliser syndicalement de façon collective, préfèrent pourtant éviter l'option syndicale parce qu'ils la jugeraient politiquement et stratégiquement incompatible avec leur fonction. Il s'agit en quelques sortes d'une impossibilité du syndicalisme qui se jouerait non plus « par le bas » mais « par le haut ». On commencera par tenter de reconstituer la genèse de ce qu'on pourrait appeler un substitut délibéré au syndicalisme, en esquissant l'histoire de l'activité de l'association professionnelle depuis sa fondation en 1929. A mi-chemin entre amicale, bureau de placement et société de secours mutuel, l'association a toujours évité de se revendiquer of.ciellement d'une quelconque action syndicale collective (1). Ensuite, on explorera, de façon plus microsociologique, à l'échelle du positionnement professionnel des concierges au carrefour de plusieurs loyautés contradictoires mais également à partir de leur socialisation primaire et secondaire, la sociogénèse de cette mé.ance envers un mode d'action collectif syndicale (2). Il faudra en.n s'interroger sur les enjeux plus actuels auxquels le groupe professionnel est confronté, et montrer comment ce qu'on pourrait appeler un mode d'action symbolique, une stratégie des signes et de la mise en scène des alliances et du prestige, permet d'accomplir dans la défense des intérêts du groupe professionnel (3). Cette ré!exion se base sur un matériau volontairement varié : enquête ethnographique, exploitation d’archives et travail statistique. 100 "En venir au travail": un regard de sociologie politique sur les syndicats sudafricains après l’apartheid Botiveau R. Université Paris 1 - Sapienza Università di Roma Cette communication sera l'occasion de revenir sur la démarche de recherche concrète mise en œuvre dans le cadre d’un parcours doctoral entamé en 2009 (soutenance le 12 décembre 2014). Initialement porté sur l'étude des organisations politiques sud-africaines après l'apartheid, j'en suis venu à considérer le monde du travail, à travers l'étude du cas d'un syndicat de mineurs approché comme organisation (notamment politique), et au prisme de la notion de négociation dont j’avais pu observer la mise en pratique (corpus d’une centaine d’entretiens semi directifs et d’une cinquantaine d’observations non participantes notamment). Je retracerai ici le cheminement concret qui a été le mien, quels outils et concepts (principalement issus de la sociologie politique) étaient à ma disposition au départ et quels autres (empruntés à la sociologie du travail et des relations professionnelles) j'ai utilisé. Ce sera ici l'occasion de pointer des dif.cultés rencontrées, mais également la richesse de ce regard disciplinaire extérieur sur un objet dont l'étude avait jusqu'ici été le quasi monopole de sociologues du travail. Mes emprunts à d’autres disciplines m’ont également permis d’enrichir ma posture initiale en reconsidérant par exemple certains phénomènes organisationnels sous un jour nouveau pour moi (approches des dynamiques d’organisation en relation avec les notions de négociation intra et inter organisationnelles par exemple). 101 ST 18 : La science politique face aux objets complexes Voyage au cœur des politiques publiques -santé et gaz de schiste Gagnon F. TÉLUQ (Université du Québec) Dans le contexte du développement durable, la régulation des activités liées au gaz de schiste représente un véritable dé. pour les gouvernements de plusieurs juridictions. Complexité, incertitude, controverse caractérisent la problématique du gaz de schiste et ce, alors que plusieurs acteurs des secteurs publics, privés, porteurs de diverses expertises, interviennent. Au Québec, alors que la santé publique est un acteur institutionnel relativement présent dans les débats publics, la santé et le bien-être de la population sont posés comme enjeux incontournables. Cette présentation s’appuie sur la recherche, l’évaluation prospective d’impact sur la santé et le bien-être de la population et la politique de développement ou de non développement du gaz de schiste au Québec (2013-15). Elle se base également sur mon expérience de plusieurs années en matière d’Actions concertées, soit des projets de recherche qui répondent aux exigences des organismes subventionnaires reconnus, mais dont le .nancement provient d’un partenaire ministériel. Recherche et résolution de problème cohabitent donc. Pour les .ns de cette présentation, je ferai d’abord le point sur le contexte de la recherche en matière d’Actions concertées et sur les liens entre politiques publiques et santé publique au Québec. Je ferai ensuite ressortir les enjeux que pose la recherche sur les activités liées au gaz de schiste comme nouveau problème et dans le contexte d’une action concertée. Je terminerai sur les dé.s à relever pour les chercheurs en science politique et les apports de celle-ci dans ce type de problématique. Les financements de l'Union Européenne : entre pertinence politique et recherche académique Riousset P. Université Libre de Berlin Rendre la recherche académique pertinente pour le développement des politiques publiques n'est pas une mince affaire. Comme la profusion d'articles scienti.ques sur le sujet le suggère, de nombreux obstacles font barrage à l'utilisation des sciences en politique : des contraintes institutionnelles aux micro-processus qui encadrent l'échange des chercheurs et des décideurs publics, le voyage qui mène à l'utilisation des connaissances en support de l'action publique est semé d'embûches. Dans cette contribution, adoptant les lentilles analytiques du "institutional interplay" (e.g. Young 2002), nous nous intéresserons à l'évolution du discours tenu par la Direction Générale de la Recherche et de l'Innovation de la Commission Européenne concernant l'importance de la production de recherche pertinente pour les décisions prises par la Commission Européenne. Nous confronterons ce discours aux expériences de trois équipes de recherche, dont les projets ont été .nancés par les programmes cadres 6 - pour deux d'entre eux - et 7 de l'Union Européenne en ce qui concerne leur capacité à entrer en contact avec les parties prenantes les plus pertinentes et à satisfaire les besoins de chacune des parties. Les résultats montrent de fortes incohérences entre le discours tenu dans les appels à candidatures des programmes-cadres européens et le comportement des acteurs institutionnels une fois les projets de recherche engagés. Les résultats montrent qu'au cours de la décennie 2000, le "political interplay" joué par la Direction Générale Recherche & Innovation était largement unilatéral et de ce fait incomplet et que ceci a contribué à l'inef.cacité du régime de soutien à la recherche, en d'autres termes au manque d'utilisation des connaissances produites sous ces trois projets par les décideurs publiques de la Commission Européenne. Les victimes d'affaires de santé publique comme objets complexes: Comment intégrer incertitudes et contradictions des données scientifiques dans le travail sociologique? Salaris C. Sciences Po Bordeaux Certains cadres empiriques de la science politique sont étroitement liés à d'autres disciplines qui - comme la santé publique - imposent aux politistes de nouvelles contingences dans leur démarche de compréhension des problèmes auxquels il s'attachent. L'objet d'étude peut alors être quali.é d'objet complexe, tant les logiques de ces domaines annexes d'une part, mais également les attentes des acteurs à l'intersection de ces différentes disciplines d'autres part, constituent des dé.s à la fois méthodologiques et théoriques pour le chercheur. Outre la nécessité d'intégrer un savoir a priori étranger à sa discipline, il faut aussi pouvoir intégrer au travail sociologique, les exigences - mais aussi les limites - de cette discipline étrangère. 102 L'étude de la formation et de la mobilisation de groupes de victimes dans le cadre d'affaires de santé publique invite à se concentrer sur le cadre d'émergence spéci.que de ces mobilisations, les "affaires de santé publique". Celles-ci sont en effet indissociables d'un savoir scienti.que et technique, à la frontière de multiples domaines aux logiques propres comme la médecine, l'épidémiologie, la toxicologie, ou même le droit et que ne possède pas a priori le politiste... Depuis une vingtaine d’années - et notamment à la suite d’affaires comme le sang contaminé (Fillion 2005) ou l’amiante (Henry 2007) - le paysage de l’action collective en France s’est progressivement émaillé de mobilisations de victimes liées à des questions de santé publique. Ces associations de victimes sont ainsi porteuses d’« identités blessées » (Pollak, 1993) : les agents en jeu dans ces mobilisations sont affectés par une expérience traumatique commune à laquelle le collectif victimaire tente de donner du sens. Il s'agit alors pour ces collectifs d’effectuer un important travail de reconstitution de leur expérience et de « mise en cause » pour valider et faire valider leur situation. L'action de ces associations consiste donc à dénoncer des faits intervenus en contradiction avec les principes fondateurs d'une politique de santé publique (Fassin, 2004). Les acteurs du monde scienti.que, médecins, médecins du travail, épidémiologistes, toxicologues constituent donc des interlocuteurs privilégiés et des acteurs clefs de ces affaires. Cette communication se propose ainsi d'analyser plus spéci.quement l'une des dif.cultés majeures de l'étude de l'objet complexe que nous venons d'aborder : la question de l'incertitude et des contradictions existantes - voire inhérentes entre de multiples études de santé publique publiées sur le cas retenu. Ces données divergentes sont souvent encore en débat chez les spécialistes et impactent donc largement leurs discours. Elles prennent d'ailleurs d'autant plus d'importance dans le cadre d'une étude sur des victimes qui, dans leur mobilisation, revendiquent au contraire une forme de certitude au travers de la désignation d'un problème de santé publique mais aussi de la demande de reconnaissance de leur dommage. Ces affaires de santé publique constituent donc par nature des cadres de débats scienti.ques. Comment alors intégrer un savoir scienti.que incertain dans son travail de compréhension d'un problème social et politique? Que faire de données scienti.ques mouvantes, incertaines voire contradictoires, alors même que la réponse à ces débats serait déterminante dans la dé.nition de son objet mais également dans la tournure des conclusions de son travail? A un autre niveau, il faut s'interroger sur la manière d'appréhender la notion de prudence et d'incertitude scienti.que face à l'attente de groupes mobilisés et en attente de réparation. On ne peut ainsi ignorer le fort décalage entre la lenteur, la prudence, voire la perplexité de certains débats scienti.ques et la demande souvent urgente de groupes mobilisés, marqués "par corps" (Fassin, Rechtman, 2007) . Comment alors se positionner face à des exigences contradictoires entre réalité sociologique des victimes et incertitudes scienti.ques qui devraient pourtant constituer une forme de réponse ou d'appui pour les victimes? Il faudra en.n s'interroger sur les différents enjeux politiques contenus dans cette incertitude scienti.que, autrement dit sur la question des différents rapports de force à la fois politiques et économiques qui en découlent. Terrain : Pour répondre à cette problématique, nous proposons d’appuyer cette communication sur la question de la nocivité des produits phytopharmaceutiques chez les agriculteurs exposés dans le cadre de leur travail. Si la première association d'agriculteurs victimes des pesticides fondée en mars 2011, "Phyto-victimes" tente de faire intégrer le caractère nocif systématique des pesticides dans le cadre professionnel, les différents expertises scienti.ques sur le sujet divergent. Utilisés de manière massive dans l’agriculture française conventionnelle depuis l’après-guerre, les pesticides ont été intégrés comme une norme indispensable à ce secteur, alors que les risques liés à une manipulation quotidienne de ces produits sont connus de longue date et font l’objet d’interrogations intermittentes depuis les années 1960. Méthodologie : Le travail de terrain s’appuie principalement sur une trentaine d'entretiens semi-directifs approfondis réalisés entre 2012 et 2014 auprès de différents acteurs intervenant sur la question des pesticides. Ces entretiens ont tout d'abord été effectués auprès de victimes – ou de membres de familles de victimes -, membres de l’association "Phyto-victimes" mais également auprès de professionnels et scienti.ques, médecins de santé publique, médecins du travail intervenant dans le domaine. Le travail empirique s'appuie également sur la lecture d'articles et rapports scienti.ques régulièrement publiés ces dernières années, et dont les différents points de vue peuvent diverger quant au niveau de dangerosité des produits incriminés par les victimes. Bibliographie : Barthe Yannick, "Cause politique et politique des causes", la mobilisation des vétérans des essais nucléaires français", Politix, volume 23, n°91/2010, p.71-102. Fassin Didier, in Lecourt Dominique (dir.), Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, Paris, 2004. Fassin Didier et Rechtman Richard, L'empire du traumatisme, Enquête sur la condition de la victime, Flammarion, Paris, 2007. Fillion Emmanuelle, « Que font les scandales ? La médecine de l’hémophilie à l’épreuve du sang contaminé », in Politix, vol. 71, n° 18, 2005, p. 191-214. Henry Emmanuel, Amiante, un scandale improbable, sociologie d’un problème public, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2007. Pollak Michael, Une identité blessée, Métaillé, Paris, 1993. 103 Quand les sciences de la Terre rencontrent l’analyse de l’action publique : retour sur les expériences de la Soufrière et de Montserrat 1 Ribémont T., 2Dèves M. Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité1, Institut Physique du Globe / Sciences Po 2 Les crises associées aux manifestations terrestres, comme les séismes ou les éruptions volcaniques, sont quali.ables de « wicked problems ». Nous avons choisi de nous intéresser à deux cas de gestion de crise, associées à l’aléa volcanique : l’éruption phréatique de la Soufrière de Guadeloupe en 1976, et l’éruption magmatique de la Soufrière de Montserrat (1995-2015, en cours). Ces deux crises - à l’instar des travaux de Francis Chateauraynaud et Didier Torny sur l’amiante, le nucléaire et les maladies à prions - éclairent, en creux, deux scenarii possibles de circulations des savoirs et de controverse au sein de la communauté de recherche elle-même, et entre les chercheurs et les décideurs. La « crise de 76 » a donné lieu à d’intenses polémiques. Elle est restée célèbre comme l’exemple à ne pas suivre dans la gestion des crises (Stieltjes, 2004 ). Les vicissitudes rencontrées alors par les différents acteurs rappellent combien les frontières entre recherche, expertise et décision peuvent devenir !oue en contexte d’incertitude. Fort du retour d’expérience de la « crise de 76 », la crise de Montserrat donna lieu à une gestion de crise très différente. On s’appuya notamment sur l’analyse structurée du jugement des experts et sur des outils probabilistes de quanti.cation de l'incertitude et d'aide à la décision (e.g. Aspinall, 2010 ; Hincks et al., 2014 ). La comparaison entre ces deux crises permet de mettre en évidence le rôle clé joué par l’introduction des instruments probabilistes dans l’évolution des controverses. Notre analyse comparée s’appuie sur un regard croisé associant des chercheurs en sciences de la Terre et en science politique. L’hybridation de ces « disciplines », avec leurs ensembles différents de culture, de savoirs et de savoir-faire, doit permettre de dépasser la logique duale qui oppose traditionnellement l’Homme à la Nature, et les Sciences Humaines et Sociales aux Sciences de la Nature. Il s’agit donc de prendre au sérieux l’idée selon laquelle l’approche interdisciplinaire est susceptible de contribuer à une meilleure compréhension de l’articulation entre recherche, expertise et décision . En terme de méthode, nous nous appuyons sur une analyse de la littérature en sciences de la Terre et en sciences politiques (analyse de l’action publique), et sur l’étude des nombreux documents d’archives récoltés par les équipes de l’Institut Physique du Globe de Paris (IPGP) à propos de la « crise de 76 » (rapports de l’observatoire de la Guadeloupe, communiqués de presse, articles scienti.ques, etc.). Pour ce qui est de la « crise de Montserrat », nous nous appuyons principalement sur la revue de la littérature et les rapports produits par les experts dans la gestion de cette crise. Notre présentation s’articulera en deux temps. Dans une première partie, nous reviendrons sur certains concepts de l’analyse de l’action publique : l’expertise, les notions de controverse et d’instrument. Dans une seconde partie, nous explorerons l’utilisation de ces concepts à partir des deux cas d’études précités. Faut-il dé(cons)truire les objets complexes ? Ré5exions à partir d’une recherche critique sur les politiques de « l’air intérieur » 1 Le Bourhis J.-P., 2Ferron B. Université Paris 122, Université de Picardie1 La communication rend compte des enseignements tirés d’un projet de recherche (2012-2015) qui aborde un problème public fortement transversal : la pollution de l’air intérieur. L’exposition à des substances dangereuses pour la santé en espace con.né fait l’objet d’un traitement passablement complexe, juxtaposant plusieurs actions publiques sectorielles : mesures hygiénistes et de santé publique, lutte contre l’insalubrité, contrôle des substances chimiques, règles de la construction, etc.. À celles-ci s’ajoutent une catégorisation et une problématisation spéci.ques qui ont émergé plus récemment : la « qualité de l’air intérieur », dotée depuis le début des années 2000 d’un Observatoire statistique, de textes réglementaires et de nouveaux acteurs professionnels (conseillers médicaux en environnement intérieur). L’enquête s’appuie sur la participation des auteurs au projet de recherche mentionné, mobilisant les sciences sociales pour étudier le développement de ces « politiques de l’air intérieur ». Dans le cadre de la présente section thématique, l’objectif est d’analyser la conception et les évolutions de notre recherche autour de cet « objet complexe » en explorant deux questions en particulier : - l’ajustement entre les objectifs scienti.ques initiaux et ceux de .nanceurs orientés vers l’action (un ministère, un organisme de recherche appliqué et une agence de moyen à vocation sectorielle), ainsi que les conditions – institutionnelles, sociales et sémantiques - de leur convergence, notamment par l’analyse croisée de l’appel à projet et de la proposition de recherche. - les conséquences du travail scienti.que, conduisant à déconstruire progressivement l’objet et le cadrage institutionnel initial (« les politiques de l’air intérieur ») tout en produisant des connaissances utiles à l’action - quoique différemment de ce qui était envisagé au point d’origine. Cette déconstruction s’appuie en particulier sur une étude parallèle des discours médiatiques, des mobilisations et des structures de mise en œuvre associés au problème de l’air intérieur. Ces éléments empiriques nous conduisent à proposer une réponse provisoire à la question de la possible conciliation entre projet scienti.que centré sur la compréhension des phénomènes et projet bureaucratique, orienté vers la production de solutions : si cette conciliation reste entravée par le malentendu épistémologique initial, elle est rendue possible par un travail critique sur les catégories de l’entendement bureaucratique mobilisant les apports constructivistes. Toute la dif.culté de ce « détour productif » réside toutefois dans la capacité à déconstruire sans les détruire les objets complexes insérés dans la demande institutionnelle de produits de recherche. 104 Ce résultat sera mis en relation avec les ré!exions portant sur la commande publique et ses effets sur les sciences sociales dans d’autres secteurs (social, ville, éducation) en explorant notamment les stratégies, positionnement et apports des enquêtes privilégiant un type d’approche critique. La science politique face à l'Ebola et à l'Organisation mondiale de la santé Vanel J. Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines La santé publique occupe une place particulière dans les sociétés occidentales. La récente épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest a rappelé aux pays occidentaux la porosité des frontières face aux maladies transmissibles, et la nécessité, mais aussi les dif.cultés, à coopérer dans la gestion de ces crises sanitaires dans un contexte de mondialisation et de complexi.cation des enjeux. D’autres domaines comme la lutte contre les maladies chroniques (et en particulier les cancers), bien que moins polémiques en apparence, mobilisent aussi les États au niveau tant national qu’international. Ainsi, non seulement les questions sanitaires ont acquis une visibilité nouvelle, mais elles ont aussi pris plus que jamais une dimension multinationale, pour ne pas dire transnationale. De plus, la santé publique ne peut laisser le politologue indifférent, tant elle renvoie à cet « État en action » qui, tout du moins depuis le XVIIIe siècle avec les politiques hygiénistes, cherche à préserver et si possible à améliorer la santé des populations. Pour ce faire, les États ont notamment mis en place des institutions, aussi bien nationales qu’internationales ; l’Organisation Mondiale de la Santé, née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en constitue certainement la forme la plus aboutie dans le domaine de la santé publique internationale. Si l’on admet que les États se tournent aujourd’hui vers les organisations internationales pour trouver des solutions et des moyens d’action en vue de résoudre les problèmes complexes qui s’imposent à eux, quali.er cette relation pose cependant un ensemble de dé.s à la science politique. En effet, une telle approche suppose de croiser des sousdisciplines qui ont peu dialogué jusqu’à aujourd’hui, en particulier l’étude des relations internationales et l’analyse des politiques publiques. Si la première s’est longtemps désintéressée des organisations internationales pour ne considérer que les États comme acteurs (c’est-à-dire dotés d’un pouvoir d’agir), la seconde n’a que très tardivement questionné l’internationalisation des politiques publiques. De plus, si l’on considère la tension qui traverse historiquement l’analyse des politiques publiques, en particulier sectorielles, entre d’une part une approche qui consiste à s’inscrire dans le domaine spécialisé et à apporter des solutions concrètes aux pouvoirs publics, et d’autre part celle qui met l’accent sur une démarche compréhensive mettant à jour les rapports de force en présence, on comprend alors que l’internationalisation de l’action publique dans le domaine sanitaire constitue un objet de recherche complexe. Cette contribution s’appuie sur une expérience de recherche : celle d’une jeune chercheuse en science politique ayant choisi pour objet les programmes d’éducation sanitaire de l’OMS. Nous prendrons pour point de départ l’opportunité que représente la sociologie politique pour l’analyse de l’action publique, en particulier lorsqu’il s’agit d’étudier une institution comme l’OMS. En effet, il nous est apparu que l’observation participante, couplée à des entretiens semidirectifs, se trouvait être une approche méthodologique pertinente pour identi.er les rapports de force au cœur de l’action publique internationale dans le domaine sanitaire. Cependant, les dé.s méthodologiques se sont révélés nombreux aussi, et ce plus particulièrement du fait de l’interdisciplinarité qui caractérise l’analyse de l’action publique dans un domaine spécialisé. Comment par exemple combiner stage à l’OMS et recherche en science politique ? Le premier suppose d’acquérir le langage indigène (par exemple distinguer éducation sanitaire et promotion de la santé) et des compétences « nécessaires » à l’institution (comme évaluer un programme d’action en élaborant des indicateurs). La seconde invite à mettre à distance ces « acquis » pour apporter un regard critique à l’expérience vécue. C’est donc plus largement cet exercice (intellectuel) que nous proposons de discuter. 105 106 ST 20 : Discours, mots et politique : les enjeux de l’analyse textuelle en Science politique Comprendre les programmes électoraux : comparaison des méthodes d’encodage manuel et automatique 1 Piet G., 2Dandoy R., 3Joly J. Université Libre de Bruxelles 2, Université de Liège1, McGill University3 Dans le sillage de Robertson (1976) et de Budge and Farlie (1983), la science politique s’est penchée sur la saliency theory. Selon cette théorie, le point de vue des partis politiques sur certaines thématiques publiques peut être analysé sur base de leurs priorités politiques plutôt que sur base de leurs positions. Les partis choisissent ainsi stratégiquement de mettre l’accent sur certaines thématiques plutôt que d’autres, a.n de se différencier des autres partis. Le principal avantage des programmes électoraux est qu’ils permettent une comparaison dans le temps et dans l’espace, entre partis, sur toute une série de thématiques de politiques publiques. La visée de cet article méthodologique porte sur la comparaison de deux méthodes d’analyse de textes et d’encodage des données (l’une, manuelle et l’autre, automatique). La méthode CAP (Comparative Analysis Project), utilisée dans de nombreux pays et recherches en science politique, se base sur un encodage manuel, phrase par phrase, des priorités politiques à l’aide d’un codebook reprenant 249 catégories thématiques rassemblées par domaine de politique publique (économie, politique .scale, environnement, affaires étrangères, affaires sociales, etc.). La méthode d’encodage automatique des priorités politiques s’appuie sur le logiciel Prospéro (Chateauraynaud, 2003). Elle se base sur le même codebook et les mêmes 249 catégories thématiques mais applique un encodage par mots-clés et expressions préencodées. Ainsi, le contenu des programmes électoraux pour toutes les élections fédérales belges organisées entre 1987 et 2007 sera analysé pour tous les partis représentés au parlement. Les 64 programmes électoraux produits par ces 12 partis politiques seront analysés. Évolution de discours et dynamiques de coalitions Van Neste S. Université de Montréal Cette proposition de communication vise à aborder l'usage de l'analyse de discours pour l'étude de la formation et de l'évolution des coalitions. Tor.ng (2005) et Howarth (2010) ont soutenu que l'analyse de discours est particulièrement utile à la science politique pour saisir les dynamiques d'alliances et de coalitions, tandis que Chatauraynaud (2010) a mis à l'avant plan l'interaction entre la trajectoire des acteurs et des arguments. Cette communication va aborder les liens entre les coalitions et l'évolution de leur discours, avec une approche combinant différentes ressources théoriques. La principale théorie de discours mobilisée est celle de Laclau et Mouffe (1987) sur le processus d'articulation dans un champ antagoniste, par lequel se construit des chaînes d'équivalences. Ces chaînes d'équivalence discursives lient des éléments ensembles pour donner sens à des nœuds. Autant les coalitions que leurs opposants cherchent à redé.nir les mêmes nœuds en les liant à des éléments différents; dans une série de 'tests' que constituent des débats publics et des interactions internes aux groupes et coalitions (Chateauraynaud 2010). Le champ discursif évolue avec les modi.cations dans les chaînes d'équivalence, qui modi.ent aussi les collectifs en retraçant leur frontières par l'inclusion et l'exclusion d'éléments de sens. Les chaînes d'équivalence peuvent se moduler en répertoires interprétatifs (Potter and Wetherell 1987) qui permettent une certaine élasticité aux collectifs, tout en conservant l'adhérence à une utopie commune. L'approche a été utilisée pour étudier quatre cas de coalitions sur les enjeux de mobilité à Montréal (Canada) et à Rotterdam La Haie (Pays-Bas), et s'est avérée utile pour saisir la cohésion de même que la rupture de coalitions et de leur discours commun. Dépolitisation par les mots : le cas des af-ches électorales suisses de 2008 à 2014. Satineau M. Politologue membre ASSP Nous proposons une ré!exion basée sur un corpus d’af.ches présentes dans l’espace public suisse francophone entre 2008 et 2014, au gré des nombreuses consultations populaires que permet le régime de démocratie directe de la Confédération helvétique. Dans cette base empirique, chacune de ces cinquante af.ches ne comporte qu’un fragment de texte, que l’on ne peut toutefois réduire au terme de slogan compris au sens publicitaire du terme. Cependant, par la répétition des échéances de vote, il se constitue au .l du temps un corpus de textes volumineux. En d’autres termes, si l’analyse du discours travaille avec des unités supérieures à la phrase (Bardin 1977), le discours peut être reconstitué au .l du temps par des fragments repérés et répertoriés sur un même support et dans un même exercice, l’af.che dans le cas présent. 107 Ce volume de discours est signi.ant dans ses pratiques, tant du point de vue de l’émetteur du discours que du point de vue du récepteur potentiel qu’est le citoyen ainsi appelé aux urnes. Il s’agit de dépasser l’analyse purement systémique de la communication pour aborder une analyse textuelle où la représentation physique du texte dans l’espace public et sa sémiologie sont susceptibles de participer à un processus de dépolitisation du langage politique. De plus, il conviendra de s’interroger sur les interactions, voire sur la frontière, entre les mots et l’image proposée par l’af.che politique, dans un possible processus de substitution allant au-delà de la complémentarité classique entre chaque unité textuelle et l’illustration qui lui est associée. Par dépolitisation, nous entendrons dans cette recherche une perte de substance politique du discours au pro.t d’autres signi.cations, ce qui permet indirectement de redé.nir le positionnement du discours dit populiste dans l’espace public de communication. L’évitement sémantique, voire la modi.cation de sens, peuvent d’ailleurs conduire à des imbrications complexes entre dépolitisation et nouvelle politisation du discours (Freyermuth 2013). Dès lors, l’argumentation a besoin d’une conception élargie qui tente de l’appréhender dans son fonctionnement discursif (Amossy 2006). Ce dernier ne saurait être limité à sa capacité d’ef.cacité ou d’échec dans le cadre d’une campagne électoral. Il s’agit plutôt de l’examiner comme un discours socio-culturel permanent, cette permanence étant renforcée par les mécanismes de démocratie directe suisse. Ces observations peuvent déboucher sur une reconstruction du processus argumentaire, lui-même étant susceptible de favoriser une dépolitisation, dont l’ampleur reste à déterminer, selon deux axes principaux : 1) La dépolitisation du sujet traité au pro.t d’autres représentations. Ce phénomène est à mettre en relation avec la complexité croissante des objets tranchés dans les urnes par les citoyens. 2) La dépolitisation d’un discours plus général sur l’avenir commun, ce qui implique des convergences dans les pratiques discursives allant au-delà des clivages partisans, pour une nouvelle narration, sinon une explication, du fait politique. Au lieu d’un outil-re!et au sens de Bourdieu (1982), le discours devient alors un outil de façonnement du fait collectif. Les unités discursives étudiées contribuent à un acte de communication aisément repérable mais aussi à un système de pensée (Charaudeau 2005) aux contours moins précis. Souveraineté perdue, souveraineté retrouvée ? Quand les élus de la nation évoquent le peuple pour (dé)construire l’Europe Jadot C. Université libre de Bruxelles Condition sine qua non de toute forme d’intégration politique, la mise en commun des souverainetés que requiert l‘intégration européenne pose un dilemme aux formes traditionnelles de représentation politique. D’une part, la construction européenne viderait de sa substance la souveraineté populaire, remettant ainsi en question le caractère indivisible et incessible de cette dernière. D’autre part, l’intégration européenne traduirait la volonté politique de s’adapter à un environnement globalisé, où les décisions se prennent largement au-delà des frontières nationales ; plus qu’une perte, l’Europe offrirait l’opportunité d’un rattrapage de souveraineté. Entre renforcement et effritement, cette recherche interroge les stratégies de légitimation sous-jacentes au discours des députés français en la matière face à la double injonction de « faire l’Europe sans défaire la France ». D’un refus catégorique de toute forme de compromission à de possibles accommodements, quels équilibres les élus mobilisent-ils et sur quelles bases les justi.ent-ils ? Construite sur une comparaison des positions adoptées par les parlementaires à l’Assemblée nationale lors des débats de rati.cation des traités européens, l’étude se focalise sur les interventions parlementaires consacrées à l’exercice de la souveraineté nationale dans un contexte de gouvernance multiniveaux. L’hypothèse défendue est qu’au-delà des considérations idéologiques et stratégiques présentes dans le discours des députés, la culture discursive produirait l’effet d’un tropisme qui cadre en pratique la nature des interventions. Méthodologiquement, les interventions issues des débats parlementaires ont été systématiquement codées avant d’être quantitativement et qualitativement interprétées. Théoriquement, la contribution vise à contribuer à la littérature sur l’européanisation des discours politiques nationaux et s’inscrit dans le cadre plus large d’une ré!exion sur les formes de réhabilitation de la nation en politique. Empiriquement, en se penchant sur dépouillement des annales parlementaires, elle explore une source de données trop souvent ignorée. Potentiel et limite de l’analyse textuelle appliquée aux discours parlementaires. Morel B. ENS Cachan « Dans Parlement, il y a parle et il y a ment », raillait Léo Campion. Après un relativement long silence, la Science Politique tend à s’intéresser à nouveau au premier terme de ce diptyque. Bien sûr, les chercheurs ont depuis longtemps puisé dans les débats parlementaires les ressources pour la compréhension des politiques publiques et l’élaboration de la norme (Par exemple : Commaille J, L’esprit sociologique des lois. Essai de sociologie politique du droit, Paris, Puf, 1994) . Mais l’idée d’une analyse du discours parlementaire pour lui-même, en en dégageant les logiques et les enjeux propres, a connu ces dernières années une nouvelle naissance . Celle-ci s’est appuyée tout à la fois sur l’emploi des logiciels d’analyses textuelles (notamment Alceste voir par exemple : De Galermber Claire, « Alceste, un outil d’investigation de la fabrique parlementaire du droit », dans Faire Parler le Parlement, dir. De Galembert C, Roenberg O. Vigour C., Droit et Société n°27, LGDJ, 2013 ), mais aussi sur le renouveau de la ré!exion concernant la délibération parlementaire (par exemple : Clément Viktorovitc, Parler, pour quoi faire, La délibération parlementaire à l'Assemblée nationale et au Sénat (2008-2012), Thèse de doctorat en Science politique soutenu à l’IEP de Paris, 2013) . Si le Parlement parle, il s’agit à présent de situer sa parole dans un processus discursif développant ses objets et ses 108 objectifs propres. On ne peut que constater que ces derniers sont bien souvent très éloignés de ce que les droits constitutionnels et parlementaires prescrivent. Les débats parlementaires s’écartent en effet aisément de la logique délibérative tendant vers le bien commun pour développer des grammaires propres (Voir notamment : Heurtin JeanPhilippe, L'Espace public parlementaire. Essai sur les raisons du législateur, PUF, 1999). L’analyse textuelle permet de situer ces dernières et de révéler leur logique d’apparition. Le but premier de cette présentation sera donc de montrer en quoi l’analyse textuelle permet de repenser le jeu parlementaire et donc pour partie, son rôle, sa place, dans l’architecture institutionnelle. Si ces études permettent d’approfondir notre connaissance, elles n’en comportent pas moins des risques évidents. Profondément tributaires des comptes rendus intégraux de Séance (rédigés par un service dédié), elles doivent faire face à des sources biaisées. D’abord, ces comptes rendus font l’objet d’une relecture par les fonctionnaires, visant consciemment et inconsciemment à projeter une image de l’institution qu’ils servent. L’exercice est ainsi codi.é et obéit à des canons propres. Ensuite le compte rendu ne rend que très imparfaitement les enjeux pesant sur le discours. La présence du ministre, d’une audience, d’un collègue silencieux, mais in!uent… sont autant de facteurs que l’analyse textuelle tend à ignorer. De même en va-t-il du rapport au temps. Ce temps si rare en Séance avec la mise en place du parlementarisme rationalisé. Ce temps dont le déroulement échappe aux parlementaires et conditionne leur capacité à argumenter et à délibérer. En.n, l’absence de comptes rendus intégraux des débats en commission tend à rendre l’analyse textuelle des débats parlementaires borgne. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 en effet, les assemblées débattent sur le texte de la commission. Ainsi une grande partie des débats échappent-ils aux chercheurs, faisant souvent de l’analyse textuelle des comptes rendus de Séance celle d’une pièce de théâtre déjà écrite. Si les acteurs sont présents sur scène, ils savent déjà, tout comme leurs spectateurs, comment doit se conclure la tragédie. Dès lors se développe une grammaire spéciale dont on peut douter qu’elle suf.se à dé.nir l’activité parlementaire. À travers des exemples concrets (empruntés aux débats sénatoriaux), nous tâcherons donc de montrer que si l’analyse textuelle permet de faire progresser notre connaissance des débats parlementaires, elle est aussi une voie dangereuse qui mérite de repenser ses sources et de mettre en perspective ses conclusions. En .n de compte, nous verrons que si une analyse des débats parlementaires, débarrassés de ce type de biais, est possible, elle s’avère, dans les faits, dif.cile à mettre en œuvre eu égard aux rigidités des acteurs. Car si Marc Abélès avait nommé le préambule de son ouvrage « un huron à l’Assemblée », la tribu parlementaire sait garder jalousement ses temples et son discours ne se laisse pas entendre sans s’altérer. Le poids des mot « climatiques », le choc des discours « catastrophistes » Scotto L. Université Montpellier 3 L’analyse lexicométrique en sciences sociales et plus particulièrement en sociologie des sciences et de l’environnement est peu à peu investie par la recherche, principalement à travers la balistique sociologique de Francis Chateauraynaud (2011), consistant à analyser les « jeux d’acteurs et d’arguments », et de comparer les « trajectoires visées par les acteurs ». Rares sont les études lexicométriques concernant le climat, et plus particulièrement les controverses climatiques, (Chetouani, 2007 ; Scotto d’Apollonia, Luxardo et Piet, 2014). Cette communication apporte une contribution à la ré!exion sur l’usage de l’analyse textuelle dans le domaine environnemental et plus particulièrement le cas du réchauffement climatique. Dans un travail de thèse récent (Scotto d’Apollonia, 2011-2014) l’analyse linguiste et plus particulièrement la lexicométrie ont été intégrées dans un cadre d’analyse socioépistémique plus large. Ainsi utilisée comme un outil d’analyse à part entière mais aussi complémentaire d’autres modes d’investigation, l’analyse textuelle présente un potentiel heuristique particulièrement fécond qui sera commenté à la lumière des résultats concernant le cas du réchauffement climatique. Après un panorama des pratiques discursives des actants impliqués, le poids des mots « climatiques » et le choc des discours « catastrophistes » dans le cas des controverses climatiques, cette communication se focalisera plus particulièrement sur deux points. Le premier concerne les apports de l’analyse textuelle sur la posture du chercheur et les questions de ré!exivité particulièrement délicate pour les problèmes environnementaux aux enjeux politiques majeurs présentant de fortes incertitudes alors que des décisions politiques doivent être prise rapidement. Le second concerne les limites épistémologiques de l’analyse textuelle dans ce type de problématique. En effet la construction et l’analyse des corpus se heurtent d’une part à la très grande hétérogénéité des volumes et des espaces de publicisation des acteurs impliqués dans les problématiques environnementales et d’autre part à la construction a priori de catégorie d’acteurs dont la pertinence demeure un point délicat de questionnement. Plus généralement cette communication soulève les dif.cultés des pratiques interdisciplinaires et la façon dont l’usage de l’analyse textuelle renouvèle les rapports entre sciences politiques, sociologie et linguistique. Bibliographie Chateauraynaud, F., (2011). Argumenter dans un champ de forces, Essai de balistique sociologique, Edition Petra, Paris. Chetouani, L., (2007). « Les mots de la controverse sur le changement climatique », Le Télémaque n° 31, Presses universitaires de Caen, pp. 81-104 Scotto d’Apollonia, L., (2011-2014). Les controverses climatiques : une analyse socioépistémique, Thèse de doctorat soutenue le 14 octobre 2014, Université Paul Valéry Montpellier 3. https://univ-montp3.academia.edu/LionelScottoDapollonia Scotto d’Apollonia, L., G. Luxardo and G. Piet (2014). « Approche lexicométrique des controverses climatiques », in 109 JADT 2014: 12es Journées internationales d’Analyse statistique des Données Textuelles. N. Emilie, D. Jean-Michel, V. Matthieu and F. Serge, p. 606-616. Analyser le discours des organisations internationales (OI) : Enjeux et exemple à partir d’une analyse lexicométrique du discours de l’Organisation internationale du Travail (OIT) Leterme C. Université libre de Bruxelles Dans un article paru en 2011, Gobin et Deroubaix regrettaient que l’intérêt pratique et théorique de l’analyse du discours des organisations internationales (OI) ne se soit pas encore traduit par d’avantage de recherches dans ce domaine (Gobin & Deroubaix, 2011). L’objectif de cette communication ne sera pas tant de ré!échir aux raisons de cet état de fait que de montrer, à travers un exemple concret, les enjeux théoriques et méthodologiques soulevés par l’analyse du discours des OI. Cet exemple sera tiré d’une étude en cours qui porte sur « les imaginaires du travail dans la mondialisation » et qui repose principalement sur une analyse lexicométrique des rapports annuels produits par l’Organisation internationale du Travail (OIT) entre 1970 et aujourd’hui. D’un point de vue théorique, nous montrerons d’abord que ce type de recherche consiste à analyser une forme particulière de « discours institutionnel » (Krieg-Planque, 2012) dont nous estimons qu’il faut chercher à la fois la spéci.cité et la continuité avec les autres formes de discours institutionnel, notamment nationales. C’est pourquoi nous proposerons de partir de la dé.nition donnée par Boltanski des institutions en générale (« des êtres sans corps à qui est déléguée la tâche de dire ce qu'il en est de ce qui est » (Boltanski, 2009: 117)) pour faire des OI en particulier une instance clé dans la constitution (notamment discursive) d’une certaine réalité mondiale. L’exemple de l’OIT nous permettra ici d’illustrer la dimension constitutive de cette institution (et de son discours) dans l’ordre mondial d’aprèsguerre (Cox, 1987; Murphy, 1994), de même que leur évolution respective dans le contexte d’une « mondialisation néolibérale » qui est venue miner les principaux fondements matériels et symboliques (Fairclough, 2006). Nous tenterons ensuite d’exposer, cette fois d’un point de vue méthodologique, les avantages et limites des différentes méthodes d’analyse du discours des OI, en insistant autant que possible sur leur complémentarité plutôt que sur leurs divergences. Nous verrons notamment, dans le cadre de notre exemple, que si la lexicométrie s’est presque naturellement imposée à nous comme principale méthode d’analyse étant données la longueur de la période étudiée (40 ans) et l’importance du corpus qui lui est associé (plus de 2 millions d’occurrences !), les lacunes généralement associées à l’utilisation de cette méthode (ex : Le Bart, 1998) nous ont néanmoins amené à ré!échir aux différents moyens d’y remédier (en tout ou en partie). Il en va d’ailleurs de même pour la question centrale du matériel choisi pour étudier le discours d’une OI comme l’OIT, de même que pour celle - peut-être encore plus fondamentale - de savoir dans quelle mesure on peut prétendre analyser le discours d’une institution dont la pluralité intrinsèque est pourtant une caractéristique irréductible (Gayon, 2009). Nous tenterons ici de justi.er les choix posés dans le cadre de notre étude (considérer que le discours de l’OIT est bel et bien analysable par le biais de ses rapports annuels), tout en reconnaissant qu’ils laissent irrésolus certains aspects importants de ces questions. En dé.nitive, tout ceci devrait nous permettre, d’une part, de démontrer l’intérêt de l’analyse discursive des OI, mais surtout, d’autre part, d’en explorer les ressources théoriques et méthodologiques sous-jacentes, lesquelles soulèvent, selon nous, des enjeux dont les implications dépassent de loin le simple cadre de l’étude de ces institutions particulières. Bibliographie Boltanski, L. (2009). De la critique?: précis de sociologie de l’émancipation (p. 294). Paris: Galimard. Cox, R. W. (1987). Production, Power, and World Order?: Social Forces in the Making of History (p. 500). New York: Columbia University Press. Fairclough, N. (2006). Language and Globalization. London & New York: Routledge. Gayon, V. (2009). "Un atelier d’écriture internationale : l’OCDE au travail. Éléments de sociologie de la forme « rapport »". Sociologie Du Travail, 51(3), 324–342. Gobin, C., & Deroubaix, J. (2011). "L’analyse du discours des organisations internationales. Un vaste champ encore peu exploré." Mots. Les Langages Du Politique, 94, 107–114. Krieg-Planque, A. (2012). Analyser les discours institutionnels (p. 238). Paris: Armand Colin. Le Bart, C. (1998). Le discours politique (p. 127). Paris: Presses Universitaires de France. Murphy, C. (1994). International Organization and Industrial Change?: Global Governance since 1850 (p. 337). Cambridge: Polity Press. 110 ST 21 : La sélection des candidats : quelle combinaison des niveaux et des pro-ls ? Comment expliquer l’entrée ou la sortie de candidats à la mairie lors des élections municipales au Québec ? Un test du modèle du citoyen-candidat dans le monde réel. Couture J. Université Laval Selon le modèle du citoyen-candidat (Osborne et Slivinski, 1996 ; Besley et Coate, 1997), tout citoyen est un candidat potentiel à une élection. Le nombre de candidat est donc endogène à l’électorat lui-même. Il ne résulte pas d'une sélection réalisée au préalable par les partis politiques. Ce modèle décrit donc plutôt bien la dynamique électorale municipales au Québec puisqu'il n'existe pas de véritable système partisan lors de ces élections. En effet, les candidats indépendants y sont la règle. Ce contexte va nous permettre de tester plusieurs hypothèses qui découlent du modèle du citoyen-candidat. Nous allons donc expliquer l'entrée de citoyens dans la course électorale ou encore la sortie de candidat sortant par la variation dans les dépenses publiques et la taxation, la performance électorale passée du candidat sortant, par le salaire des élus, par les coûts d'une campagne électorale, par le pro.l socio-économique des élus ainsi que par le pro.l socio-économique de la population d'une municipalité. Le pro.l socio-économique étant un indicateur des habiletés politiques du candidat ou du bassin électoral. Ainsi, nous allons pouvoir tester 16 hypothèses de recherche à partir d'une régression logistique au sujet des lices électorales à la mairie de 945 municipalités québécoises lors des élections municipales de 2009. Les résultats montrent que la variation dans les dépenses publiques, le salaire des élus, l'âge du candidat sortant, les coûts de campagne électorale, le niveau d'éducation de la population ainsi que le taux de propriétaires sur le territoire expliquent l'entrée de citoyens dans le jeu électoral ou encore la sortie de candidats sortants. Toutefois, la variation dans la taxation, le sexe du candidat sortant, la taille de la municipalité et sa richesse ainsi que le taux de chômage n'expliquent aucun de ces deux phénomènes. Cette étude est innovatrice puisqu'elle présente un premier test empirique du modèle du citoyen-candidat dans le monde réel alors que les démonstrations empiriques reposaient jusqu'à présent seulement sur des expérimentations (Cadigan, 2005). En outre, ce modèle étant de plus en plus populaire dans les formalisations en économie politique qui sont publiées dans les grandes revues d'économie et de science politique. Carrières étoilées ou météoritiques ? Les enjeux de la sélection des candidats frontistes aux élections municipales de 2014 Crippa M. Paris-Dauphine En 2014, l’agenda politique français a été rythmé par deux scrutins électoraux : les élections municipales et les élections européennes. Les résultats de ces deux évènements ont consacré l’ascension (et la stabilisation ?) du Front National (FN) dans le paysage politique français : 1.300 élus municipaux et 25 députés européens ont été nommés ce printemps. Deux succès électoraux « historiques » pour le parti de la famille Le Pen qui a habituellement agi aux marges du système des partis. Exclu du pouvoir en raison de sa .liation extrême droitière, le FN a toujours manqué de candidats prêts à s’engager, notamment aux élections locales. Mais, les résultats encourageants du parti aux dernières élections présidentielles et législatives semblent avoir changé la donne. Plusieurs candidats ont franchi le pas : 597 listes ont été présentées aux municipales de 2014 contre 114 en 2008. Parmi les candidats, de nouvelles recrues et des frontistes « de souche » se partagent les positions éligibles sur les listes. Dotés de ressources variables, la plupart de ces colistiers sont des profanes en politique, même si l’on compte certains transfuges des partis dits de gouvernements, notamment de l’UMP. Dans ce contexte, on peut se demander dans quelle mesure la présence sur une liste et la participation à une campagne électorale constituent des expériences « professionnalisantes » pour les candidats frontistes. Les résultats présentés dans cette communication se basent sur l’analyse des listes FN dans trois départements français et sur un corpus de vingt entretiens effectués avec les candidats desdites listes. Nous verrons comment les différentes con.gurations municipales in!uencent les dynamiques de sélection (et d’élection) des candidats par le parti. Ce dernier alterne des logiques de sélection informelles et locales à des logiques formelles et centralisées (Lovenduski, Norris, 1995). Les outils méthodologiques employés ont permis de décrypter comment les ressources des candidats en position « éligible » sont valorisées par le parti. En confrontant ces ressources avec celles des candidats aux élections européennes, on découvre que les ressources de nouveaux venus aux élections locales sont contingentes (Gaïti, 1990 ; Dulong, Lévêque, 2002 ; Delwitt et al., 2003 ; Cartier et al., 2010). Le genre et l’âge des candidats sont, par exemple, secondaires par rapport à l’ancienneté partisane. Celle-ci est un critère de sélection fondamental lorsque les rétributions symboliques (des places électives gagnables) et les rétributions matérielles (des places électives rémunérées) s’additionnent. 111 Les entretiens effectués montrent également que les motivations des candidats à s’engager sur une liste locale entrent souvent en collision avec les contraintes auxquelles ils doivent faire face lors de la sélection. La perception de ces contraintes varie néanmoins selon les propriétés des enquêtés, notamment l’âge et le genre. Ce qui ne signi.e pas pour autant l’absence de rétributions. Les candidats peuvent obtenir notamment une forme de reconnaissance sociale et une expérience considérée comme professionnalisante. Au .nal, seulement certains candidats sont facilités dans leur ascension politique. Si la pénurie de candidats disposant de capitaux transférables en politique permet à des nouvelles recrues d’espérer une carrière « facile » au FN, certaines ressources comme l’ancienneté partisane sont valorisées par le parti et font défaut aux nouveaux venus. Ces derniers sont, par conséquent, moins susceptibles de devenir des professionnels de la politique. Bibliographie Achin, C., Bargel, L., Dulong, D., Fassin, E., (2007), Sexes, genre et politique. (Paris : Economica). Achin, C., Paoletti, M., (2002), « Le « salto » du stigmate. Genre et construction des listes aux municipales de 2001 », Politix, Vol. 15, N°60. Quatrième trimestre 2002, pp. 33-54. Agrikoliansky, E., Heurtaux, J., Le Grignou, B., (2008), Paris en campagne. Les élections municipales de mars 2008 dans deux arrondissements parisiens. (Bellecombe-en-Bauges : Éditions du Croquant). Cartier, M., Coutant, I, Masclet, O., Siblot, Y, (2008), « Promotion et marginalisation des candidats de la « diversité » dans une commune de la banlieue parisienne », Politix 3/ 2010 (n° 91), p. 179-205. Crépon, S., (2011), Enquête au cœur du nouveau Front national. (Paris : Nouveau Monde). Delwitt et al. (2003), Delwit Pascal et al., « Le pro.l des candidats francophones aux élections fédérales du 18 mai 2003 », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2005/9-10 n° 1874-1875, p. 5-69. Dulong Delphine, Lévêque Sandrine. « Une ressource contingente. Les conditions de reconversion du genre en ressource politique », Politix, Vol. 15, N°60. Quatrième trimestre 2002. pp. 81-111. Gaïti, B. (1990), « Des ressources politiques à valeur relative : le dif.cile retour de Valéry Giscard d'Estaing », Revue française de science politique, 40e année, n°6, 1990, pp. 902-917. Le Bart, C., Léfèbvre, R., (2005), La proximité en politique. (Rennes : Presses universitaires de Rennes, Coll. « Res Publica »). Lovenduski, J., Norris, P., Political Recruitment: Gender, Race and Class in the British Parliament. (Cambridge : Cambridge University Press). Paoletti, M. (2008), « Les grillons du foyer municipal, les femmes au foyer en politique », Travail, genre et sociétés, Vol. 1, Nº 19, p. 111-130. La professionnalisation du personnel politique local : l'exemple des candidats aux élections législatives et cantonales du PS français (1988-2012) Hû G. Strasbourg L’examen sur une longue durée du recrutement du personnel politique fait apparaître sa professionnalisation grandissante au sens d’une intensi.cation de la spécialisation politique en lien avec l’accroissement de la division sociale du travail politique (Garraud, 1989). En France, la professionnalisation politique s’est d’abord traduite par une démocratisation de l’accès aux mandats (Dogan, 1967 ; Best Heinrich et Gaxie Daniel), avant d'en devenir une .nalité (Ostrogorski, 1993 ; Weber, 2002). A partir des années 1960, la professionnalisation croissante du métier d’élu devient le corollaire de l’élévation du recrutement social du personnel politique (Birnbaum, 1994 ; Dogan, 1967; Gaxie, 1980). Cette professionnalisation s’est encore accentuée à partir des années 2000 avec un renouvellement des élus, au niveau national, issus du groupe des collaborateurs d'élus (Behr et Michon, 2013). Au cours de ces trente dernières années, les élus ont vu s’accroître leur accès aux ressources des institutions politiques (collectivité territoriale, position de parlementaire) qui leur permettent de salarier un ou plusieurs collaborateurs. Sous l'effet des lois de décentralisation de 1982-1984 et de la formalisation des postes d’assistants parlementaires à partir de la .n des années 1970 (Courty, 2005 ; Demazière et Le Lidec, 2014), les élus s'entourent d'un nombre croissant de collaborateurs d'élus. Au niveau local, le parti socialiste constitue une entrée privilégiée pour analyser l'accès de ces collaborateurs d'élus sur la scène politique locale. En effet, à partir de leur prise de pouvoir au niveau local en 1977, les socialistes détiennent un grand nombre de collectivités territoriales. Au début des années 2000, selon Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, le parti socialiste est celui qui compte le plus grand nombre d’élus locaux (Lefebvre et Sawicki, 2006). Dès lors, dans quelle mesure ce processus de renouvellement du personnel politique établi au niveau national est-il également observable au niveau local ? Quel est, en outre, le degré de stabilité du personnel politique local ? Selon les types de positions politiques étudiées, observe-t-on une évolution similaire ? Notre communication visera entre autres à 112 répondre à ces questions. Il s'agira d'analyser la professionnalisation du personnel politique socialiste sur deux terrains d'enquête, l'un où le parti socialiste est durablement au pouvoir (le Nord) et le second durablement dans l'opposition (le Bas-Rhin). Plus précisément, nous nous baserons sur l'étude des pro.ls, réalisés dans le cadre de notre thèse (Hû, 2014), de 130 candidats aux élections législatives dans le Nord et 43 dans le Bas-Rhin ainsi que de 301 candidats aux élections cantonales dans le Nord et 153 dans le Bas-Rhin entre 1988 et 2012. Nous démontrerons ainsi la professionnalisation du parti socialiste tant sous l'angle du renouvellement de son personnel politique qu'à travers la stabilité de son personnel politique local. Bibliographie BEHR Valentin et MICHON Sébastien, « The representativeness of French Cabinet Members: a smokescreen? », French Politics, 2013, vol. 11, no 4 BIRNBAUM Pierre, Les sommets de l’E?tat?: essai sur l’e?lite du pouvoir en France, Paris, Seuil, 1994. COURTY Guillaume (éd.), Le travail de collaboration avec les élus, Paris, Michel Houdiard, 2005 DEMAZIERE Didier et LIDEC Patrick LE (éds.), Les mondes du travail politique?: les e?lus et leurs entourages, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014 GARRAUD Philippe, Profession homme politique?: la carrie?re politique des maires urbains, Paris, L’Harmattan, 1989 DOGAN Mattei, « Les .lières de la carrière politique en France », Revue française de sociologie, 1967, vol. 8, no 4, pp. 468?492 BEST Heinrich et GAXIE Daniel, « Detours to Modernity: Long Term Trends of Parliamentary Recruitment in Republican France 1848-1999 », in Heinrich BEST et Maurizio COTTA (éds.), Parliamentary representatives in Europe, 1848-2000?: legislative recruitment and careers in eleven European countries, Oxford, Oxford University Press, 2000 GAXIE Daniel, « Les logiques du recrutement politique », Revue française de science politique, 1980, vol. 30, no 1, pp. 5?45 HÛ GREGORY, Les roses déracinées. Transformation du recrutement du personnel socialiste : des logiques sociales aux logiques politiques (Fin XIXe-2012), Thèse de doctorat sous la dir. de Yves Deloye et Hélène Michel, Université de Strasbourg, Strasbourg, 2014. LEFEBVRE Rémi et SAWICKI Frédéric, La socie?te? des socialistes?: le PS aujourd’hui, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2006 OSTROGORSKII Moise? Iakovlevitch, La De?mocratie et les partis politiques, Paris, Fayard, 1993 WEBER Max, Le savant et le politique, Paris, 10-18, 2002 You win some, you lose some: the geographical manipulation of candidate lists in the Belgian flexible list PR system 1 Put G.-J., 1Maddens B., 1Verleden F. University of Leuven1 How do parties change the geographical composition of candidate lists in PR systems after electoral defeat? Parties confronted with heavy electoral losses in local areas might be inclined to increase the number of local candidates from those losing areas on the list. Previous research has shown that candidates with local roots often enjoy an electoral advantage compared to non-local competitors (Parker, 1987; Marsh, 1987; Blais et al., 2003; Wauters, 2004). Consequently, by raising local candidate presence, the parties hope to recover from the electoral setback in an area during the next election. Do parties indeed manipulate the candidate list for the next elections in order to increase electoral support in those areas? And will they also change the composition of the party list in the event of electoral success? By means of their candidate selection processes, parties are able to strategically manipulate the composition of their party lists to in!uence local election results. Self-evidently, the !exibility to change the list composition depends on the nature of internal candidate selection methods. Based on the existing literature, we expect that especially parties with centralized and exclusive candidate selection methods are able to develop a clear strategic behavior in this sense. In other words, it will be easier in centralized and exclusive methods to modify existing geographical representation equilibria. To answer the abovementioned questions, we analyze candidate lists of eight Belgian political parties for a number of consecutive Lower House elections. We estimate .xed effects regression models to estimate the effect of change in local party share on the presence of local candidates. The ‘arrondissements’ within a constituency are the units of analysis for this paper. 113 Quel candidat pour quelle élection ? La sélection des candidats des élections présidentielles et législatives de 2013 à Bamako Traore L. Université Paris 1 Le propos de cette communication sera de se pencher sur les pro.ls des candidats aux élections présidentielles et législatives de 2013 à Bamako, au Mali. Elle est basée sur une recherche de terrain de 8 mois à Bamako pour le suivi des campagnes électorales dans la capitale à l’occasion de ces deux élections. Cette recherche s’est centrée sur deux partis aux élections présidentielles et une liste commune de trois partis aux élections législatives. Dans le contexte de post-coup d’État et de crise sécuritaire dans lequel ont eu lieu les élections de 2013 au Mali, les deux partis étudiés lors des présidentielles, l’ont été choisis pour leurs caractéristiques très différentes l’un de l’autre : l’un étant un « ancien » parti, l’URD - Union pour la république et la démocratie - aguerri aux campagnes électorales alors que l’autre, le CAP - Convergence d’actions pour le peuple - est un nouveau parti créé quelques mois avant l’élection, constitué en majorité de jeunes cadres novices en politique se présentant comme une alternative à « l’ancienne garde ». Lors des élections législatives, dans une commune de Bamako, les trois partis étudiés (URD, Adema, MPR) en alliance sur une liste commune de candidats ont une longue expérience politique en matière d’élections. Cette communication s’intéressera au mode de sélection des candidats à partir des règlements internes des partis politiques, de la loi électorale, mais également des pratiques propres aux partis qui varient selon les contextes électoraux. D’abord, nous établirons un panorama des pro.ls des candidats de tous les partis concurrents aux élections présidentielles, ainsi qu’une comparaison des pro.ls des candidats aux élections législatives selon les contextes locaux dans différentes circonscriptions du pays. Pour ces élections, la demande de candidats varie en fonction des enjeux locaux au niveau de la circonscription, allant de l’homme politique de notoriété nationale, voire internationale, au notable local bienfaiteur de sa circonscription sans étiquette partisane marquée. Les pro.ls des candidats en sont ainsi diversi.és sur toute l’étendue du territoire. Au contraire, dans le cadre de l’élection présidentielle, les pro.ls des candidats sont davantage uniformisés et tendent vers des caractéristiques communes. Les candidats eux-mêmes s’en réclament ou tentent de s’en rapprocher comme un gage de leur crédibilité. Ces critères sont, notamment, le niveau élevé de l’éducation, avec un plus pour les études à l’étranger, l’occupation de fonctions importantes au sein de l’appareil d’État, la maitrise à la fois du français et du bambara (langue majoritairement parlée dans la capitale) quelque soit la langue maternelle, le mariage comme situation conjugale, la catégorie socioprofessionnelle supérieure (professions libérales, haute fonction publique nationale ou internationale, grands commerçants), l’expérience (donc l’âge avancé). Ce dernier critère a néanmoins été légèrement remis en cause par l’accroissement du nombre de candidats se présentant comme « jeunes » pour les élections présidentielles de l’année 2013 et se revendiquant de n’avoir jamais participé à la gestion des affaires de l’État. Dans une deuxième partie, nous nous concentrerons sur le cas du parti URD, deuxième force politique du pays en termes de nombre total d’élus, dont le candidat aux présidentielles est allé au second tour face au président actuel du Mali et le candidat aux législatives de la commune bamakoise étudiée s’est également hissé au second tour. A travers ces cas précis, analysés en profondeur sur la base d’enquêtes de terrain auprès des candidats, des responsables du parti et de ses militants, il s’agira de mettre en lumière les liens entre les modes de sélection et le pro.l des candidats. En effet, s’intéresser à la manière dont l’URD gère la sélection de ses candidats à différentes échelles de scrutin, selon des situations variées allant de la désignation d’un candidat naturel aux élections présidentielles, à la tenue de primaires dans la commune VI de Bamako pour les législatives ; selon la combinaison de critères et de règles d’origines et de nature différentes ; voire même selon le mode de scrutin (élection de candidats individuels ou de liste majoritaire de candidats de partis en alliance) permet de mieux en comprendre les effets et les écarts (réels ou ressentis de la part des enquêtés) entre qui peut être choisi et qui est effectivement choisi. Au-delà de ces processus de sélection et de leurs effets, il s’agit également de questionner l’idée de renouvellement du personnel politique à la faveur du coup d’État de mars 2012 et de la rhétorique de changement qui l’a accompagné dans un Mali en crise. Les logiques de sélection des élus intercommunaux en France. Ouverture ou clôture de l’espace politique intercommunal après les élections municipales de 2014 ? 1 Vignon S., 2Le Saout R. Université de Nantes2, UPJV1 L’objectif de cette communication est d’appréhender les logiques de sélection sociale et politique à l’œuvre sur les marchés électoraux intercommunaux, et plus particulièrement au sein des communautés d’agglomération françaises dans un contexte de réforme du système électoral. Jusqu’à présent, les membres des communautés de communes, d’agglomération, des communautés urbaines et des métropoles, élus au second degré, étaient désignés par les conseils municipaux. En mars 2014, et pour la première fois depuis qu’existe l’intercommunalité en France - c’est-à-dire depuis la .n du XIXème siècle -, les électeurs étaient invités à élire simultanément les élus municipaux et intercommunaux . 114 L’introduction de la parité sur les listes au sein des communes de plus de 1 000 habitants, la réduction du nombre de vice-présidences au sein des EPCI, l’entrée des oppositions municipales au sein des assemblées communautaires et la socialisation croissante des élus à l’égard des institutions intercommunales sont également des mesures qui peuvent faire évoluer les critères de sélection des candidats, et partant des élus, qui sont placés à la tête des structures intercommunales. Assiste-t-on à l’entrée d’élus issus de groupes sociaux jusqu’à présent tenus à l’écart du pouvoir intercommunal, ou à l’inverse, à un renforcement de la clôture sociale de l’espace intercommunal ? La concurrence électorale s’est-elle intensi.ée ? La recherche permanente du consensus et la gestion « trans-partisane » qui caractérise ces instances, contrairement à d’autres arènes politiques locales à l’instar des mairies des grandes villes, et la composition de leurs organes exécutifs sont-elles désormais contrariées ? Quel est le rôle des appartenances partisanes et des formations politiques dans le choix du personnel politique intercommunal ? Au pro.t de quelles autres ressources électorales fonctionne le cas échéant cette « dépolitisation » des élections intercommunales ? Pour apporter des éléments de réponse à ces questionnements, nous avons mobilisé un dispositif d’enquête privilégiant la complémentarité des méthodes (données statistiques et entretiens). Au .nal, cette étude relative aux mécanismes de sélection des exécutifs de dix communautés d’agglomération montre que les réformes engagées n'ont guère modi.ées, ou à la marge, un ordre communautaire qui assure la promotion de pro.ls d’élus qui ne sont que très imparfaitement les re!ets sociologiques des conseils municipaux et qui contribue toujours à concentrer le pouvoir politique au pro.t des maires les plus puissants. Dans ce jeu de positionnement, l'appartenance partisane ne semble pas fonctionner comme une ressource politique centrale. La sélection des candidats relève beaucoup plus de la reproduction des hiérarchies municipale et sociale comme si sur ce marché politique spéci.que relativement clos et éloigné du contrôle citoyen, les partis politiques éprouvaient des dif.cultés à structurer l'offre électorale. Cela dit, pour alimenter le débat, il est possible de poser comme hypothèse que l'offre électorale est d'autant moins encadrée par les partis politiques que la visibilité publique de l'institution est faible. Dans ce type d'institutions discrètes, tout porte à croire que c'est moins un label partisan qui est déterminant pour la conquête des postes de pouvoir que les ressources institutionnelles accumulées par les candidats qui sont construites comme autant d'indicateurs de leurs capacités supposées à défendre l'institution qu'ils représentent. 115 ST 22 : Les ressources du pouvoir urbain Pouvoir urbain en Suisse. Régimes urbains et échanges de ressources d'action dans trois métropoles helvétiques Lambelet S. Université de Genève Stone (1989, 1993) dé.nit l'échange de ressources d'action comme un élément indispensable à l'émergence d'un régime urbain. Pourtant, la théorie ne spéci.e pas quelles ressources doivent être échangées pour permettre à une coalition de s'imposer sur le long terme. Stone (2005) reconnaît lui-même cette omission et stipule que les ressources échangées dépendent de l'agenda politique établi par la coalition dominante. Cette communication s'efforce de combler cette lacune théorique. Nous tentons de démontrer que la mobilisation et l'échange de certaines ressources d'action comme le droit, le sol, l'expertise, l'argent ou le soutien politique (cf. Knoepfel et al. 2006) sont indispensables à l'établissement d'une coalition de régime urbain, indépendamment de son agenda politique. En d'autres termes, la coalition en place est contrainte d'intégrer les acteurs qui contrôlent ces ressources pour conserver sa position dominante et concrétiser ses projets urbains. Notre analyse empirique porte sur le développement urbain de six villes suisses (Zurich, Winterthur, Berne, Bienne, Genève et Nyon) depuis le début des années 2000. Dans chacune de ces villes, nous étudions le processus d'élaboration et de mise en œuvre d'un projet emblématique, visant à densi.er ou à renouveler le milieu urbain. Nous retraçons l'évolution de ces projets à l'aide de plusieurs sources primaires (articles de presse, rapports d'activité, procès-verbaux, conventions d'objectifs) ainsi que sur la base de 50 entretiens semi-directifs menés avec des acteurs clés (maires, chefs d'entreprise, chefs de service, parlementaires, associations d'habitants) entre avril 2013 et novembre 2014. L'échange politique pour penser les politiques urbaines : Promoteurs immobiliers et élus locaux dans les politiques du logement en France Pollard J. UNIL Empiriquement, l’objectif de cette communication est d’analyser comment les promoteurs immobiliers in!uencent les politiques locales du logement en France. Autrement dit, il s’agit de quali.er les interactions de ces acteurs économiques privés avec les acteurs publics locaux, d’observer l’articulation de leurs stratégies avec les politiques de peuplement des maires, et de comprendre comment in .ne ils participent à la fabrication des politiques locales. Le propos s’appuiera sur deux études de cas en Ile-de-France, Saint-Denis et Issy-les-Moulineaux. Cet enjeu empirique nous permettra de contribuer à l’une des questions centrales de cette section thématique, relative à l’évolution de la position des pouvoirs exécutifs locaux dans la fabrique des politiques urbaines – et notamment à leur rôle dans la structuration de coalitions avec des acteurs privés. Au plan théorique, cette communication propose de mobiliser, et de décliner au niveau local, certains outils de la sociologie des groupes d’intérêt. Pour rendre compte de l’in!uence locale des promoteurs immobiliers, une approche en termes d’échange politique constitue en effet une alternative heuristique aux cadres analytiques dominants de la recherche urbaine, centrés sur les coalitions de croissance et les régimes urbains (Fainstein 2001; Harvey 1973; Harvey 1989; Judge, Stoker, and Wolman 1995; Logan and Molotch 1987; Molotch 1976; Stone 1989; Stone 1993). La notion d’échange politique (Beyers, Eising, and Maloney 2010; Blau 1964; Bouwen 2004) permet de rendre compte .nement des interactions entre groupes d’intérêt et acteurs publics locaux, en plaçant l’accent sur deux dimensions essentielles, qui seront développées dans la communication et nous conduiront à travailler sur les ressources mobilisées par les acteurs du gouvernement urbain. Tout d’abord, les acteurs en présence sont fortement interdépendants car mutuellement dépendants des ressources possédées par les uns et les autres. Identi.er les ressources échangées par les acteurs, ainsi que les ‘gains’ attendus (Bull 1992) nous permettra d’éclairer l’échange dans sa dimension substantive (Molina Romo 2006). Ensuite, deuxième dimension, le développement de relations d’échange se traduit par une stabilité des interactions développées. Nous nous centrerons ici sur la manière dont se font les échanges, en nous attachant à la dimension procédurale de l’échange de ressources. Bibliographie Beyers, Jan, Rainer Eising, and William A. Maloney. 2010. Interest group politics in Europe : lessons from EU studies and comparative politics. London: Routledge. Blau, Peter Michael. 1964. Exchange and power in social life. New York: J. Wiley. Bouwen, Pieter. 2004. "Exchanging access goods for access: A comparative study of business lobbying in the European Union institutions." European Journal of Political Research 43:337-369. Bull, Martin J. . 1992. "The Corporatist Ideal-Type and Political Exchange." Political Studies 40:255–272. 116 Fainstein, Susan S. 2001. The city builders : property development in New York and London, 1980-2000. Lawrence: University Press of Kansas. Harvey, David. 1973. Social justice and the city. London: E. Arnold. —. 1989. "From Managerialism to Entrepreneurialism: The Transformation in Urban Governance in Late Capitalism." Geogra.ska Annaler 71. Judge, David, Gerry Stoker, and Harold Wolman. 1995. Theories of urban politics. London: Sage. Logan, John R. and Harvey Molotch. 1987. Urban fortunes : the political economy of place. Berkeley, CA: University of California Press. Molina Romo, Óscar. 2006. "Trade union strategies and change in Neo-corporatist concertation: A new century of political exchange? ." West European Politics 29:640-664. Molotch, Harvey. 1976. "The City as a Growth Machine: Toward a Political Economy of Place." The American Journal Of Sociology 82:309 - 332. Stone, Clarence N. 1989. Regime politics : governing Atlanta, 1946-1988. Lawrence, Kan.: University Press of Kansas. —. 1993. "Urban regimes and the capacity to govern : A Political Economy Approach." Journal of Urban Affairs 15:1– 28. Politiques de la contrainte budgétaire et maitrise de la rente dans la transformation du foncier militaire : les ressources des maires face à l’État en restructuration Artioli F. Sciences Po Paris Ce papier porte sur les négociations et les con!its autour de la transformation du foncier militaire dans les villes françaises et italiennes (Rome et Udine en Italie et Paris et Metz en France). Ce qui se joue autour de la transformation des biens militaires permet d’explorer la double tension à laquelle sont soumis les gouvernements urbains. L’augmentation des compétences et responsabilités a valorisé la capacité des maires à mobiliser ressources et acteurs, mais a aussi augmenté les attentes et les demandes dont ils font l’objet (Anquetin and Freyermuth, 2008; Borraz and John, 2004; Pinson, 2009). En même temps, le renforcement de politiques de la contrainte budgétaire et de la rationalisation administrative (Bezès, 2009; Bezès and Siné, 2011) ont modi.é les objectifs, les instruments, les logiques de l’intervention des États sur les territoires et posé de nouvelles contraintes à l’action collective (Le Lidec, 2011; Perulli, 2010). Après avoir été le décor du travail administratif et un élément qui structure les espaces urbains, l’immobilier public est aujourd’hui l’objet de demandes contrastées. D’une part, la contraction des organisations militaires fait des infrastructures militaires un objet privilégié des politiques publiques nationales de réduction des dé.cits publics. Ces dernières ont par objectif la rationalisation et la vente de ces biens, conçus comme une ressource .nancière permettant de faire face à des besoins budgétaires. Ici, les stratégies des administrations centrales des États (ministères de la Défense et du Budget notamment) visent la mise sur le marché de ces biens et attendent une vente au prix le plus élevé. D’autre part, la maitrise des changements fonciers est au cœur des activités des gouvernements urbains, elle permet de redistribuer la rente foncière, d’in!uencer le peuplement, ou encore de produire de nouvelles images de la ville par la réalisation de projets phares. Les immeubles ayant perdu leur fonction administrative sont ici conçus comme une ressource foncière qui, en raison de son caractère public, peut répondre à des besoins et demandes localisées d’équipements ou services. L’étude de l’action collective dans la transformation des immeubles publics permet d’interroger les systèmes de ressources et de contraintes qui expliquent les inégales capacités des gouvernements urbains à agréger des intérêts divergents et construire des objectifs partagés autour de la transformation du foncier et la maîtrise de la rente. D’abord, l’articulation entre retrait des armées et projets d’aménagement urbain produit des négociations qui portent sur le foncier, conçu tant comme un bien marchand que comme ressource pour l’action publique. Ce qui est en jeu dans ces échanges est alors l’étendue du recours au marché comme mode de coordination entre acteurs. Il s’agit de dé.nir ce qui peut être vendu parmi les nombreux sites militaires dans chaque ville et jusqu’à quel point le marché immobilier est un référent valable ou légitime pour organiser les transformations de l’immobilier public et déterminer les usages futurs des biens. Pourtant, la capacité des acteurs urbains à orienter les transformations foncières diffère. Ce papier montre qu’elle s’explique par l’articulation propre à chaque ville entre, d’une part, modes d’intervention par les centres nationaux et, de l’autre, la manière dont les exécutifs urbains inscrivent ce problème foncier dans des systèmes d’action stabilisés. Les modes d’intervention des administrations centrales de l’État dans les villes sont différenciés à partir de logiques plus ou moins poussées de maximisation du levier de la rente : la contrainte exercée par les administrations centrales de l’État est plus intense à Rome et Paris, elle l’est moins à Udine et à Metz. Face à cela, les ressources qui permettent aux exécutifs urbains de maîtriser les transformations foncières sont de deux ordres. Soit elles dépendent des ressources politiques « classiques » propres au personnel élu et qui lui permettent de faire valoir des intérêts locaux vis-à-vis du centre national. Soit elles sont tirées de l’inscription du problème du foncier militaire dans des systèmes de relations existants, créé lors d’autres projets d’aménagement. L’insertion de la question militaire dans un réseau d’acteurs 117 stabilisé augmente les capacités des élus à gouverner ces changements. Dans les villes françaises, les ressources politiques et les ressources tirées de l’institutionnalisation de politiques précédentes facilitent les compromis sur la valeur et l’étendue du recours au marché. En revanche, les gouvernements urbains italiens sont à la fois trop faibles pour imposer une coordination et négocier l’étendue du recours au marché, mais aussi trop forts par rapport aux sociétés urbaines qu’ils représentent et qui portent des demandes intenses pour le maintien d'un usage public de ces biens. Gouverner la production urbaine à Beyrouth dans l’après-guerre (1990-2014) : vers l’émergence d’un «régime de développement» ? Marot B. McGill « Beyrouth a été plus dé.gurée et détruite en temps de paix qu’en temps de guerre. » Cette observation, faite par des activistes locaux, témoigne de l’ampleur et de la manière dont la capitale libanaise a été le théâtre de profondes transformations depuis le début des années 1990. Bien que ce processus ait reçu moins d’attention que le projet urbain de reconstruction du centre-ville (Solidere) démarré à la sortie de la guerre civile (1975-1990), il a fait profondément évoluer le tissu urbain et les équilibres socio-économiques du Grand Beyrouth ainsi que les structures et les pratiques de pouvoir qui y gouvernent la fabrique de la ville. Dans un contexte d’après-guerre où l’État libanais est souvent présenté comme faible ou « failli », en particulier en matière de politique de l’habitat, il s’avère que ce dernier occupe un rôle clé dans la construction de l’offre et de la demande de ce marché immobilier particulièrement dynamique, sous l’impulsion d’une coalition élitiste rassemblant agents privés et publics. Quelles sont alors les principales ressources mobilisées par cette coalition ? Sur quelle(s) base(s) est-elle structurée ? Dans quelle mesure l’environnement con!ictuel du Liban affecte alors le rôle, les comportements, et les stratégies de ses agents ? Et, d’un point de vue plus théorique, qu’est-ce que l’étude de Beyrouth nous apprend sur la gouvernance des villes contestées ainsi que sur le rôle qu’y tiennent la structure ainsi que la capacité d’action des acteurs (agency)? Avec un cadre analytique s’inspirant du mouvement nord-américain d’économie politique urbaine, dite sociologisée, et des travaux de Pierre Bourdieu théorisant la construction sociale du marché du logement, cette communication a pour objectif de montrer comment, dans le régime urbain à l’œuvre à Beyrouth, la coalition dominante mobilise la fabrique de la loi comme principale ressource immatérielle a.n de poursuivre un agenda centré sur la croissance des secteurs bancaire et immobilier ainsi que sur la sécurisation de rentes foncières. Cette étude, s’appuyant sur le cas empirique de la réforme du contrôle des loyers adoptée par le Parlement au printemps 2014, montre que la capacité à gouverner la capitale libanaise dépend fortement de la capacité à créer une coalition dépassant les clivages politico-confessionnels. Si le fonctionnement du champ de production urbaine est relativement semblable à de nombreux pays avec la domination d’une vision néolibérale de l’espace urbain et un rôle clé de l’État dans la construction du marché immobilier, le processus et les acteurs constitutifs de ce « régime de développement » (Stone, 1993) semblent propres au contexte politico-confessionnel, socio-économique, et institutionnel libanais – con.rmant ainsi le rôle clé du policy environment dans la constitution des modèles de gouvernance. Cette communication montre par ailleurs que, dans un « pays capitaliste dépendant » (Giddens, 1993) tel que le Liban où la structure sociale n’est pas le seul principe organisateur de la société (Traboulsi, 2014), les explications politico-confessionnelles et les explications de classe ne sont pas mutuellement exclusives pour comprendre les politiques urbaines – au sens de policies et de politics – dans la période de l’après -guerre. En d’autres termes, s’il n’existe pas de déterminisme dans les effets de la structure socio-économique sur la fabrique de la ville, l’exemple de Beyrouth montre que, dans des contextes de tensions civiles, il n’y a pas non plus de déterminisme dans la primauté de la logique politico-confessionnelle sur la logique de classe. Ces deux logiques se croisent et interagissent, souvent de manière complexe, dans le comportement et l’agenda des élites. En ce sens, cette forme de (re)développement urbain à tendance spéculative, fortement dépendante de l’af!ux de capitaux extérieurs, transforme la ville mais aussi ses structures de pouvoir. Elle ne remet pas en cause la capacité d’action des agents locaux mais renforce ou diminue leur pouvoir en fonction des cas. Ainsi, aussi singulière qu’elle soit, la production urbaine à Beyrouth dans l’après-guerre nous rappelle que, même dans les villes en con!it ouvertes à l’économie globalisée, la politique locale reste le principal élément médiateur des in!uences extérieures et le régulateur majeur des con!its et des intérêts (Le Galès, 1995, 83). Bibliographie Giddens, A. (1993). “Strati.cation and Class Structure”. In Sociology, 2nd Édition, Cambridge, pp. 211-250 Le Galès, P. (1995). Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine. Revue française de science politique, 45, 1, 57-95. Stone, C. (1993). Urban regimes and the Capacity to Govern: A Political Economy Approach. Journal of Urban Affairs, 15(1), 1-28. Traboulsi, F. (2014). Social Classes and Political Power in Lebanon. Beyrouth : Heinrich Böll Foundation. 118 Le « développement économique par la culture » comme ressource au service de la légitimation du pouvoir urbain Matz K. Université de Strasbourg Dans un contexte de réformes administratives, de mondialisation des !ux économiques (poids des industries culturelles et créatives) et de raréfaction de l'argent public, le modèle malrucien de politiques culturelles territoriales connaît une crise sans précédent depuis le début du XXIème siècle (Saez, 2004). Suivant ces évolutions, les modes de justi.cation et d'encadrement des politiques culturelles opèrent à un glissement rhétorique de la « démocratisation culturelle » au « développement économique par la culture » sans pour autant que les pratiques et projets afférents au premier credo ne disparaissent complétement au pro.t du second (Dubois, Bastien, Matz, & Freyermuth, 2012). Là où les ressources .nancières permettaient jusqu'à la .n des années 1980 de réguler la production des politiques culturelles de manière relativement paci.ée selon la logique du « jeu du catalogue » (Urfalino, 2004), le déclin du mythe de la démocratisation (Donnat, 1989), associé à un amoindrissement considérable des capacités de .nancement des collectivités, laisse les élus locaux et leurs entourages politiques démunis face aux revendications budgétaires, sociales et politiques des professionnels de la culture (Teillet, 2004). Ces transformations matérielles ne sont pas sans effets sur les processus de légitimation de l'action publique, les élus étant contraints de réinventer un modèle économique de politique culturelle ajusté à la fois au contexte institutionnel et .nancier des années 2000 et aux évolutions des rôles et ressources légitimes dans la compétition politique locale (Anquetin & Freyermuth, 2009; Freyermuth, 2012). Nous souhaitons ainsi analyser dans cette communication la tentative d'imposition d'un modèle économicisé de politique culturelle opérée, in concreto, par la mise en récit localisée de la culture comme moteur du développement économique du territoire. L'analyse des politiques publiques, attachée à expliquer le rôle des idées dans les transformations de l'action publique (Muller, 2005) fait souvent l'impasse sur le travail politique de production localisée des ressources nécessaires à l'entretien de la légitimité politique des élus et leurs projets (Pinson, 2009). Une approche con.gurationnelle (Elias, 2008) et relationnelle de l'action publique s'avère pourtant utile pour comprendre l'espace de production des politiques publiques et les échanges de ressources qui permettent leur mise en œuvre concrète (Dubois, 2010). Ainsi, nous chercherons à montrer de quelles manières et selon quelles modalités le mythe du « développement économique par la culture », au travers de ses étendards les plus visibles à l'instar des concepts de «classe créative » (Florida, 2003) et « d'économie créative » (Landry & Bianchini, 1995), est approprié et converti en expertise culturelle localisée, mobilisée comme ressource par et pour le pouvoir urbain. L'analyse s’appuiera essentiellement sur l'analyse d'un dispositif de « diagnostic participatif » du secteur culturel conduit de 2008 à 2010 par la Ville de Strasbourg, en contexte d'alternance municipale. Elle repose sur une année de participation observante (Alam, Gurruchaga, & O’Miel, 2012) en tant qu'expert au sein de l'équipe chargée de la préparation et de la mise en œuvre du dispositif (ateliers) et sur une trentaine d'entretiens effectués en aval de la « participation ». Nous déploierons deux axes d'analyse, principalement dédié à la compréhension des effets du mythe dans la redé.nition du rôle des élites politiques urbaines et dans les processus de mise en scène de leur capacité d'action sur les territoires. Les mythes de l'action publique (Desage & Godard, 2005) constituent en effet des ressources puissantes au service de la régulation des relations entre le pouvoir municipal et les professionnels de la culture (1). Ils participent aussi aux dynamiques de légitimation managériale du personnel politique local (Le Bart, 2003) (2). Fabrique et usage d'une ressource territorialisée par et pour le pouvoir urbain (1). Les élus et leurs entourages politico-administratifs mettent en place un dispositif participatif pour refonder la politique culturelle municipale. Dans le cadre de sa préparation, élus, agents administratifs, acteurs culturels, consultants participent de concert à la fabrique du mythe, mobilisant et réinterprétant des données locales hétérogènes, disparates et scienti.quement peu .ables pour faire exister le potentiel économique de la culture et accréditer localement la théorie de la classe créative au sein d'un document de « diagnostic partagé ». Viens ensuite le temps de la concertation, effectuée dans le cadre de plusieurs ateliers réunissant responsables politiques locaux et professionnels de la culture. Le « développement économique par la culture » : un mythe-ressource dépolitisante au service de la légitimation économique des politiques de la culture (2). Une fois le mythe fondé par « l'évidence du chiffre » dans le « diagnostic partagé », il est « imposé » par les mécanismes de la participation (par la gestion de la parole administrée, imposition des thèmes, relégation des revendications au rang de constats). Les ressources localisées tirées de ce travail de territorialisation du mythe assoient et légitiment la mise en place d'une coalition de « silence » entre la municipalité et les acteurs culturels les plus .nancés visant à faire du « développement économique » la .nalité cardinale et le leitmotiv (re)fondateur de la politique culturelle municipale. Incitant ainsi l'ensemble des professionnels du secteur à faire le deuil des augmentations de budget, à diversi.er leurs ressources .nancières et à générer des recettes propres, cette coalition, toute précaire et momentanée, cherche à neutraliser tous con!its lié à une remise en cause (pourtant revendiquée au sein de ces ateliers) de la répartition des crédits au pro.t des «gros » acteurs culturels. L'intérêt pour la municipalité (PS) est, dans un contexte d'instabilité politique (début de mandat), de maintenir le statu quoi sur le budget et de maintenir un régime d'inaction publique en matière culturelle propice à éviter toutes frictions avec l'opposition (UMP). En assourdissant de 119 concert les prises de parole revendicatives par une orchestration concertée des arguments-ressources du mythe au sein des ateliers participatifs, cette coalition réaf.rme la centralité du politique dans les processus de prise de décision, au détriment de l'autonomie du champ culturel et de ses agents. Plus encore, la mobilisation de cette rhétorique permet, nous le verrons, de réenchanter la capacité d'action de élus sur leur territoire, confortant du même coup la .gure politiquement valorisante de l'élu manageur et décideur. Bibliographie Alam, T., Gurruchaga, M., & O’Miel, J. (2012). Science de la science de l’État ?: la perturbation du chercheur embarqué comme impensé épistémologique. Sociétés Contemporaines, 3(87), 155–173. Anquetin, V., & Freyermuth, A. (2009). La Figure de “l’habitant”: Sociologie politique de la “demande sociale” (p. 192). Presses universitaires de Rennes. Bart, C. Le. (2003). Les maires: sociologie d’un rôle (p. 222). Presses Univ. Septentrion. Desage, F., & Godard, J. (2005). Désenchantement idéologique et réenchantement mythique des politiques locales. Revue Française de Science Politique, 55(4), 633–661. Donnat, O. (1989). Les dépenses culturelles des ménages (p. 75). La Documentation française. Dubois, V. (2010). Les champs de l’action publique (pp. 1–27). Strasbourg. Dubois, V., Bastien, C., Matz, K., & Freyermuth, A. (2012). L’artiste, le politique et le gestionnaire. (Re)con.gurations locales et (dé)politisation de la culture (Editons du., pp. 1–274). Bellecombe-en-Bauges: Editions du Croquant. Elias, N. (2008). La société de cour (p. 330). Flammarion. Florida, R. (2003). The Rise of the Creative Class: And How It’s Transforming Work, Leisure, Community and Everyday Life (p. 434). San Val, Incorporated. Freyermuth, A. (2012). « La culture dans les luttes d’institution?: les fondements politiques de l'intercommunalité culturelle ». In Vincent Dubois (Dir.), L’artiste, le politique et le gestionnaire, Bellecombe-en-Bauges, Le Croquant, 2012 (Vol. 2008). Landry, C., & Bianchini, F. (1995). The Creative City (p. 66). Demos. Muller, P. (2005). Esquisse d’une théorie du changement dans l'action publique. Structures, acteurs et cadres cognitifs. Revue Française de Science Politique, 55(1), 155–187. Pinson, G. (2009). Gouverner la ville par projet: Urbanisme et gouvernance des villes européennes (p. 420). Les Presses de Sciences Po. Saez, G. (2004). « Gouvernance culturelle territoriale : les acteurs ». In Guy Saez (Dir.) Institutions et vie culturelles (p. 172). Documentation française. Teillet, P. P. (2004). L’artiste et le politique?: je t'aime moi non plus?! L’Observatoire. Grenoble. Urfalino, P. (2004). L’invention de la politique culturelle (p. 427). Hachette Littératures. Le rapport aux agences nationales est-il une ressource politique pour structurer une capacité de gouvernement à l’échelle d’une ville ? L’exemple des relations établies avec l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine et l’Agence Nationale pour l’Habitat dans le renouvellement urbain des quartiers de Saint-Étienne (France). DORMOIS R. Université de St-Etienne Cette communication propose d’analyser le rapport entre les acteurs locaux, publics et privés, mobilisés dans le renouvellement urbain des quartiers de St-Etienne et deux agences nationales : l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU), l’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH). Dans un premier temps, nous reviendrons sur les modalités de travail entre les acteurs locaux et les représentants de ces deux agences. Nous identi.erons les acteurs impliqués et nous analyserons aussi la façon dont le rapport au local est formalisé, codi.é par chacune des agences. Dans un second temps, nous montrerons que les agences ne sont pas seulement pourvoyeuses de ressources budgétaires mais aussi de ressources politiques (visibilité au plan national, moyen de produire du collectif au sein de l’équipe politique municipale) et de ressources organisationnelles pour initier des dynamiques de changements. Dans un troisième temps, nous mettrons en évidence que le rapport au local n’est pas identique pour les deux agences. La façon dont chacune l’envisage a un impact direct sur sa place dans la coalition d’acteurs publics et privés qui agit en 120 matière de renouvellement urbain. Cette analyse par le « bas » permettra de nuancer des travaux antérieurs qui avaient conclu à la disparition des services déconcentrés de l’État avec la mise en place d’un « gouvernement à distance » via ces agences. Les services déconcentrés de l’État tirent du rapport aux agences nationales des ressources pour continuer à faire partie des coalitions de gouvernement. Cette communication ouvre aussi des perspectives pour un programme de recherche comparatif international. "Privatisme" et marginalisation des acteurs publics d'une ville en déclin : la rénovation urbaine à Detroit Briche H. Université de Saint-Etienne Cette communication a pour objectif l’analyse des ressources mobilisées par les acteurs de l’urbain dans le cadre spéci.que d’une ville en crise urbaine : Detroit, Michigan. Ce papier s’attache tout particulièrement à la question de la rénovation urbaine lancée depuis les années 2000, objet d’un travail de thèse en cours. Par dé.nition, Detroit, comme toute « shrinking city » (Oswalt et Riniets, 2006), se caractérise par une absence de ressources .nancières due à une déprise démographique depuis les années 1950 et à la fuite des ménages les plus solvables laissant une ville-centre dévastée (le taux de pauvreté atteint of.ciellement 33% en 2013). Une analyse de la gouvernance urbaine à Detroit révèle alors ce contexte spéci.que d’une ville en déclin. Deux contraintes pèsent en effet sur l’accès aux ressources pour les acteurs publics. Tout d’abord, la ressource politique s’est vue particulièrement circonscrite avec la nomination en mars 2013 d’un administrateur d’urgence, Kevyn Orr, pour une durée de 18 mois. Répondant à de stricts principes de restrictions .nancières et disposant de prérogatives très larges (dont la capacité à .xer le budget et à restructurer les services municipaux), il relègue le maire et le conseil municipal à un rôle de .guration, générant une véritable mise sous tutelle administrative et politique de la ville. Mais Detroit, c’est aussi 18 milliards de dollars de dette à rééchelonner, ce qui oblige la municipalité à avoir recours à un processus de restructuration .nancier très lourd l’empêchant d’investir, de choisir ses types de partenariats et in .ne d’avoir un poids conséquent dans la dé.nition des politiques urbaines. De cette double contrainte politique et .nancière résulte alors une mise à l’écart des acteurs publics (locaux et fédéraux) en faveur d’une montée en puissance des acteurs privés, qui se manifeste sous la forme d’une dépendance totale. Ainsi, l’actuelle politique de rénovation urbaine, ou plutôt les diverses opérations peu coordonnées qui secouent la ville depuis plus de dix ans maintenant, sont toutes marquées par l’initiative privée et l’absence de régulation publique. Pour mieux cerner cette tendance, nous reprenons le concept de « privatisme », développé par les politistes américains dès la .n des années 1960 (Warner, 1968 ; Bernakov & Rich, 1974) et entendu comme la domination de l’idéologie du recours au marché dans l’orientation des politiques urbaines se caractérisant par un recours quasi automatique du partenariat public-privé, par l’externalisation/privatisation croissante des services publics, par le contrôle strict du budget municipal réduisant drastiquement les dépenses sociales ; ce que plus généralement beaucoup de travaux rassemblent sous le concept de ville « privatisée » (Greene, 1996). C’est donc la situation particulière d’une ville en crise urbaine qui justi.e le fait que les acteurs municipaux donnent non seulement carte blanche aux acteurs privés mais .nancent en grande partie leurs projets urbains. Nous avons pu tirer au moins trois dimensions de ce « privatisme » dans la politique de rénovation urbaine développée à Detroit. 1 – La montée en puissance des fondations qui semblent désormais être les seuls acteurs pourvoyeurs de logements dits « abordables ». En réalité, les fondations suivent plutôt des logiques de marché en répondant aux directives de leur board (composé de représentants de .rmes puissantes) et ont pour mission d’agir en faveur d’un retour du marché et d’une hausse des prix immobiliers. 2 – Une rénovation urbaine dé.nie avant tout par l’action sur le bâti plutôt que sur le social. La politique principale menée par la municipalité - et relayée par des acteurs privés - est la lutte contre les friches urbaines (blight removal) détruisant des quartiers entiers (pourtant encore habités) en lieu et place de leur rénovation (que le programme fédéral HOME pourrait pourtant prendre en charge). Le projet à long terme de l’équipe municipale est en effet de créer les conditions propices à un retour d’investissements privés sur ces terrains. 3 – La vente du downtown par la municipalité aux deux principaux milliardaires locaux. D’abord Mike Ilitch, dont la ville subventionne à plus de 60% la construction de sa salle de hockey et lui vend à un $1 symbolique 39 parcelles pourtant valorisées à $3 millions. Mais aussi son alter ego Dan Gilbert, désormais propriétaire de 60 immeubles dans le centre .nancier de la ville et rachetés à la municipalité à prix dérisoires, conférant au downtown le nouveau surnom de « Gilbertville ». Ainsi, l’exemple de Detroit est bien celui d’une « néolibéralisation de l’urbain » (Peck & Tickell 2002), un processus cependant accentué par les spéci.cités d’une ville en crise. Le fait que la rénovation urbaine soit aux mains d’une poignée d’acteurs privés con.rme ainsi la menace de « dé-démocratisation » (Brown, 2006) que fait peser ce système de gouvernance urbaine. 121 ST 23 : Frontières, migrations, droits. Le contrôle politique des mobilités et ses dispositifs La sélectivité sociale de la frontière nationale : le durcissement différentiel de la frontière dans les demandes de visas au Togo et aux Comores Bréant H. Paris 1 Panthéon Sorbonne Dans le cadre de ma thèse, qui porte sur les trajectoires d’émigration togolaise et comorienne en France, j’ai pu enquêter par entretiens et observations sur le moment particulier du franchissement de la frontière. Ce travail s’inscrit dans le prolongement des recherches menées par la politiste Federica Infantino mais offre plutôt le point de vue des demandeurs de visas, puisque j’ai principalement observé et interrogé les représentations et les pratiques des individus face aux dispositifs mis en place par les acteurs consulaires français. La délivrance des visas est devenue un instrument central de la politique de gestion des migrations. Mais la sélection des dossiers et le soupçon grandissant des agents consulaires vis-à-vis des potentiels émigrés ne construisent pas une frontière homogène et étanche pour tous. Cette communication souhaite montrer comment ce contrôle des mobilités n’est pas un travail politique uniforme. Les individus sont considérés comme des immigrés inégalement indésirables, et ce pour trois raisons : - d’une part, les règles de droit sont dans une certaine mesure mouvantes, à la fois dans le temps et dans l’espace. D’abord, bien qu’elles tendent à rendre plus étanche la frontière au .l des décennies, les conditions de la mobilité internationale n’ont pas toujours été les mêmes dans les deux pays étudiés. Alors que les Comores ont fait face à un durcissement continu des frontières, voire à une criminalisation des migrants, le Togo a longtemps béné.cié d’un régime plus souple. Par ailleurs, les dossiers sont de plus en plus individualisés et traités en grande partie au cas par cas, ce qui favorise les écarts entre les règles de droit et les pratiques. - d’autre part, le durcissement continu des conditions de la mobilité internationale oblige à détenir d’importantes ressources et favorise une hiérarchisation des dossiers selon le milieu social d’origine des demandeurs. Si la sélectivité sociale est forte au moment du départ, il ne s’agit pas d’un processus mécanique. En effet, on peut constater que les demandes des familles populaires, même quand elles connaissent déjà des expériences d’émigration, sont souvent rejetées. Mais en observant également ceux qui parviennent à franchir la frontière, on observe qu’il existe des pratiques de mobilisation très différenciée des capitaux .nanciers et sociaux selon les pro.ls sociologiques des demandeurs de visas. - en.n, les dispositifs mis en place ne favorisent pas seulement une sélectivité sociale entre ceux qui possèdent des ressources et ceux qui n’en disposent pas. En effet, il ne suf.t pas de disposer des ressources matérielles pour émigrer puisque la frontière est également l’instrument d’un .ltre identitaire. Les agents consulaires mesurent avant même le départ le degré d’altérité du demandeur et sa capacité à s’insérer dans le pays d’accueil. Dès lors, les classes populaires sont doublement exclues de l’émigration et certains membres des classes sociales plus favorisées peuvent voir leur demande rejetée. En d’autres termes, cette communication, appuyée sur une recherche comparative menée dans deux anciennes colonies françaises permet de montrer que la mobilité internationale des citoyens africains est limitée par le caractère d’exceptionnalité de la délivrance de visas, au regard du droit, mais également que la frontière produit de fortes inégalités au sein même du groupe des demandeurs de visas, en fonction de leur pro.l sociologique. Colonialisme, régime d’exception expérimentation administrative et état de guerre : les conditions d’une Lavault T. Paris 1 Panthéon-Sorbonne Il s’agira, dans le cadre de cette section thématique, d’interroger, au moment de la guerre d’Algérie, l’importation en métropole de certains dispositifs militaires de contrôle de populations ciblées et, dans un contexte postcolonial de « paci.cation », les continuités qui ont pu se révéler. Si cette question a déjà été approchée par certains historiens, tels que les anglais Jim House et Neil MacMaster, mais aussi Raphaëlle Branche ou Emmanuel Blanchard, et également par des chercheurs en sciences sociales tels qu’Alexis Spire ou Mathieu Rigouste, je souhaiterais pour ma part, à partir de l’exploitation de certaines archives de la préfecture de police de Paris, me focaliser sur l’étude d’un service d’assistance auprès de la population algérienne créé sous l’égide de Maurice Papon, alors Préfet de police de Paris, en août 1958 : le Service d’Assistance Technique aux Français Musulmans d’Algérie (SAT-FMA). Parler d’une importation des dispositifs de guerre en cours sur le sol algérien permet, en interrogeant les conditions mêmes de ce processus d’importation, de mieux saisir les particularités du contexte métropolitain. En effet, il faut ici bien distinguer les conséquences institutionnelles de la guerre en Algérie et en métropole, tant du point de vue juridique que de celui des pratiques. Les recherches que j’effectue dans le cadre de ma thèse, consacrée à l’étude philosophico-historique du Service d’Assistance Technique, concourent à éclairer le mouvement qui apparait au moment de la décolonisation de l’Algérie, de recodi.cation administrative de certaines pratiques de guerre expérimentées lors du con!it. Il s’agit ici d’analyser les 122 conditions d’élaboration de ces savoirs militaires relatifs à l’assistance des populations, puis de suivre leur reproduction dans le cadre administratif de la préfecture de police de Paris, et cela a.n de comprendre ensuite l’enjeu de leur réinvestissement postcolonial. Je souhaiterais naturellement me limiter ici à une illustration succincte de cette généalogie administrative à travers quelques exemples tirés de mes travaux en cours. Il s’agira dans un premier temps de revenir sur les savoirs et pratiques élaborés et expérimentés en Algérie, a.n d’éclairer les conditions de leur transfert dans un contexte métropolitain institutionnellement « paci.é ». Il sera abordé en particulier les in!uences directes et indirectes des théories de la « guerre psychologique » sur les modes de gestion administrative de la population algérienne de Paris. C’est donc, dans un premier temps, la portée stratégique de l’assistance aux populations qui retiendra notre attention et, par conséquent, les particularités que présente ce type de dispositif dans un contexte militaire. Le propos se limitera ici aux seules pratiques d’assistance : pratiques issues en l’occurrence de la rencontre entre des pratiques coloniales d’assistance (avec l’action des services des Affaires indigènes - ici des Affaires Algériennes -) et la théorie de la guerre psychologique importée par les cadres de l’armée de retour d’Indochine. Cette rencontre sera traitée à partir de la création des Sections Administratives Spécialisées (ou Sections Administratives Urbaines dans les villes). Ces services, qui s’intégraient pleinement aux protocoles d’action psychologique, visaient à mettre en place une stratégie de guerre intérieure où l’ennemi devait être identi.é grâce à une meilleure connaissance de son « milieu ». Il s’agissait d’être sur le terrain, d’organiser le renseignement local, de comprendre les administrés et de gagner leur con.ance a.n de favoriser, à terme, une participation active de la population à la lutte contre les structures indépendantistes. Les enjeux épistémiques et de contrôle sont donc liés : mieux connaître le milieu grâce à une intensi.cation du contrôle administratif au moyen d’un quadrillage étroit du territoire. En pratique, l’action psychologique en Algérie, et notamment l’action de ces services spécialisés, consistait dans la mise en place d’un vaste réseau de surveillance fondée sur l’implantation locale des structures administratives d’accueil et d’assistance des populations. L’assistance devenant ainsi à la fois un argument de propagande en faveur de l’administration coloniale et une source précieuse de renseignements de tous ordres. Ces quadrillages militaroadministratifs vont servir de modèle au Service d’Assistance Technique qui, en plus de reproduire ce mode de gestion territoriale pour le département de la Seine, va utiliser le réseau de SAS/SAU pour mieux identi.er les différentes « communautés » composant la population algérienne de Paris. Ce mode d’identi.cation consistait en un croisement des informations recueillies par la police parisienne et les renseignements détenus par les services locaux en Algérie, renseignements concernant par exemple la commune d’origine, l’appartenance ethnique, les pratiques religieuses, ou encore les activités politiques et syndicales des immigrés algériens. Il s’agira donc dans un second temps d’interroger les pratiques de la Préfecture de police de Paris, en tant qu’elle fut impliquée dans un processus de guerre dirigé contre un ennemi intérieur. Si les modalités de l’Etat d’urgence et des différents régimes d’exception à l’œuvre en Algérie ne concernaient pas la métropole, la mobilisation de trois of.ciers de l’armée coloniale pour élaborer et organiser l’activité du SAT marquait cependant l’introduction d’une organisation de type militaire au sein de l’appareil préfectoral. Suivant donc le modèle administratif algérien, le SAT-FMA organisait une assistance spécialisée de la population algérienne de Paris sur différents niveaux, tels que le contrôle de salubrité des logements, les accès à l’emploi, des médiations au sein de querelles communautaires, ou encore un accompagnement administratif et psychologique. Il s’agissait en fait d’appréhender administrativement une population ethniquement différenciée a.n de répondre de manière adaptée à ses besoins considérés comme spéci.ques. Les objectifs de cette intervention spécialisée étaient explicites et sans équivoque : il s’agissait de neutraliser la menace indépendantiste grâce à l’application des protocoles de la guerre psychologique. Dans ce contexte de guerre intérieure, les modes de légitimation de telles pratiques sont pensées dans un registre lexical proprement militaire de menace permanente sur l’intégrité nationale. Or, cette représentation de la menace dans ce cadre de guerre dans la foule amène à considérer la « dangerosité » d’une population, dangerosité qui devient inhérente à l’identité culturelle ou ethnique qui lui est alors attribuée. Cette importation de dispositifs militaires au sein d’une administration civile, et a fortiori, policière permet de s’interroger sur les in!uences de telles pratiques d’exception dans la construction de ce qu’on pourrait quali.er « d’expérience administrative ». Cette idée permettra de mieux saisir le processus d’institutionnalisation d’une administration d’exception telle que le SAT. Se révélant un champ d’expérimentation rendu possible par le contexte de guerre, ce laboratoire administratif va devenir expérience à partir du moment où, dans un contexte de paix, seront conservées un certain nombre de pratiques, alors qu’elles avaient été légitimées par les seuls critères d’urgence et d’exceptionnalité. C’est cette idée d’expérience administrative de la guerre qui introduira notre dernier point de cette communication qui se propose d’interroger, à travers le maintien du SAT jusqu’au début des années 1980, certaines continuités au sein de l’administration préfectorale de modèles militaires et coloniaux d’encadrement des populations. Seront également évoqués, pour compléter ce questionnement, des formes analogues de réinvestissement de ces savoirs et pratiques spéci.ques dans le champ de la gestion industrielle des travailleurs immigrés. En effet, plusieurs rapports issus des archives du SAT révèlent une coalition d’intérêts dans les modes de contrôle des travailleurs algériens entre les services préfectoraux et le grand patronat parisien. L’idée d’une prévalence des intérêts économiques dans la gestion de contrôle de l’immigration n’est pas une idée nouvelle, mais il s’agira ici de montrer les perspectives particulières que dévoilent la fonction économique de ce service de surveillance. A partir de l’étude du compte-rendu d’une réunion entre des of.ciers de l’Etat major, la direction du SAT, et des représentants du patronat de la région parisienne. S’intéresser à ces formes d’encadrement colonial dépasse ainsi la seule dimension administrative, en s’insérant dans un rapport économique d’exploitation coloniale avec une mise au service des modes de contrôle de l’Etat pour la gestion patronale de la main d’œuvre coloniale. La volonté af.chée d’insérer ce type de dispositifs au sein même des lieux de travail des Algériens nous dévoile les corrélations entre intérêt économique, exploitation salariale et techniques policières de surveillance. Au-delà de l’analogie, il s’agit d’interroger les modalités d’une matrice commune de contrôle qui semble mêler dans son usage maintien de l’ordre d’un côté et organisation et exploitation de forces de travail de l’autre. Cette question ne doit donc pas être circonscrite à la seule période coloniale, puisque nous avons pu trouver des traces de collaborations 123 similaires plusieurs années après l’indépendance, et s’intègre en cela pleinement dans cette problématique du transfert de certains modèles d’origines coloniale et militaire. Policing the Schengen internal borders - Evolution of practices, representations and organization of the French border police at the France-Italy border Casella Colombeau S. Université Aix-Marseille Analyses of security practices at the border have focused on the dematerialization (Amoore, 2006; Salter, 2006) and deterritorialization (Balibar, 2003; McNevin, 2014; Walters, 2006) of the individuals’ mobility control. This paper explores the nature of the control the state still exercises over individuals’ mobility at national borders. This analysis focuses on a border which is supposed to have been lifted: the Schengen borders between France and Italy. It is based on the analysis of the practices and representations and organization of the French border police of.cers. It analyzes the legal and organizational transformations due to the implementation of the Schengen Convention at the France-Italy border. It then turns to the study of the targeting practices of the border police of.cers thanks to the notion de.ned by Heyman of “plausible story”. Finally it assesses the in!uence of deportation practices on the territoriality of individuals’ mobility control as well as its effects on targeting practices. These borders are at the core of the interaction between the construction of a new political center, the European one and the af.rmation of an old one, the national political center. This paper demonstrates that border police of.cers are in charge of dealing with the tension, this double bind, emerging from this interaction. The national internal borders are still a venue where state exercises a management of individuals’ mobility. La reproduction de la frontière dans les mobilisations collectives de migrants 1 Deleixhe M., 2Vertongen Y. Université Saint-Louis Bruxelles (USL-B)2, Katholiek Universiteit van Leuvent (KUL)1 Les frontières (entendues dans leur acceptation la plus large comme un ensemble déterritorialisé de dispositifs de régulation de l'immigration) échouent spectaculairement dans leur objectif de réguler les !ux migratoires (Brown, 2009, Rodier, 2012). En revanche, elles remplissent de plus en plus fréquemment, et avec une ef.cacité remarquable, une fonction plus discrète . Elles classi.ent, et ce faisant, hiérarchisent les migrants suivant des catégories socio-juridiques qui s’ordonnent selon leur proximité avec le statut de « citoyen ». Cette redé.nition des rôles et des fonctions conférés par les pouvoirs publics à l’institution frontalière a dernièrement fait l’objet d’un nombre croissant de travaux importants (Bigo et Guild, 2005, Balibar, 1997, Guiraudon, 2001, Lochak, 1985). Cette littérature met en lumière d’une part la réverbération de la frontière dans une myriade d’institutions sociales au sein desquelles on ne l’aurait pas précédemment localisée et d’autre part son caractère intrinsèquement inégalitaire. Cette approche souffre cependant d’une limitation théorique : considérant la frontière comme une institution (supra-)étatique, elle n'envisage dès lors que les seuls pouvoirs publics comme présidant à sa création. S’appuyant sur un ensemble de concepts déjà présents dans ce débat, notre projet de communication se propose d’élargir ce cadre théorique et d'étudier comment se diffuse la frontière jusque dans un lieu inattendu : au cœur des mobilisations collectives de migrants pour la reconnaissance de leurs droits. Sur la base d’une observation participante à différentes luttes de migrants réclamant la régularisation de leur situation juridique (Barron et al., 2011, Siméant, 1998), nous formulons l’hypothèse selon laquelle, dans certaines circonstances, la frontière se prolonge jusque dans les pratiques militantes des acteurs qui cherchent à la transgresser. Les migrants, au cours de leur parcours de régularisation, jouent stratégiquement avec les catégories juridiques dé.nies par l’État (Lendja Ngnemzue, 2008, Sayad, 2001) et l’un des effets majeurs de cette catégorisation est une segmentarisation des mobilisations collectives des migrants. Cette segmentarisation s’opère, à notre sens, à un double niveau : entre les catégories socio-juridiques dé.nies par l’État (entre réfugiés, demandeurs d'asile, clandestins, sans-papiers), premièrement, et, deuxièmement, entre les "communautés nationales" ou pour être plus exact, entre groupes de réfugiés de nationalités différentes échoués sur un même territoire d'asile. Puissant dispositif disciplinaire, la frontière, intériorisée par les migrants au point d'en façonner la subjectivité, déborde le cadre étatique pour se perpétuer dans les pratiques intangibles de distinction entre les migrants eux-mêmes (Foucault, 1975, 1976, Deleuze, 1990). Partant de cette hypothèse, l’ambition de notre communication est double. D’une part, en revenant sur l’expérience de la mobilisation collective d’un groupe de demandeurs d’asile afghans à Bruxelles en 2013 et 2014, nous aimerions éclairer la dynamique sociologique qui aboutit à une segmentarisation des mobilisations collectives de migrants. Nous souhaiterions en particulier identi.er les questions juridiques et administratives autour desquels se cristallisent les divisions entre migrants. D’autre part, en scrutant les suggestions politiques avancées par la Caravane européenne des migrants partie de Strasbourg à destination de Bruxelles en juin 2014, nous aimerions défendre que le mouvement de la démocratie égalitaire accompagne celui de la transgression de ces catégories. Bibliographie Alaluf, M., « Les droits politiques des étrangers : débats dans le monde politique belge », in Magnette, P., De l'étranger au citoyen : construire la citoyenneté européenne, De Boeck, Bruxelles, 1997. 124 Balibar, Étienne, « Qu'est-ce qu'une frontière ? » in Balibar, Étienne, La crainte des masses. Politique et philosophie avant et après Marx, coll. « La philosophie en effet », dir. Derrida, Jacques ; Koffman, Sarah ; Lacoue-Labarte, Philippe ; Nancy, Jean-Luc, Galilée, Paris, 1997, pp. 371-80. Barron, Pierre ; Bory, Anne ; Chauvin, Sébastien ; Jounin, Nicolas et Tourette, Lucie, On bosse ici, on reste ici ! La grève des sans-papiers : une aventure inédite, coll. « Cahiers libres », La Découverte, Paris, 2011. Bassel, L., « Contemporay Grammars of Resistance : Two French social Movements », Sociology, octobre 2013 Beltran, G., Lutter en démocratie. Tensions et recon.gurations dans le militantisme pro-immigré à Tours et à Malaga, entre droit à la vie et droit d’avoir des droits, Thèse pour l’obtention du doctorat en anthropologie sociale et ethnologie de l’EHESS, Paris, 2011 Bigo, Didier and Guild, Elspeth (dir.), Controlling Frontiers. Free Movement Into and Within Europe, Asghate Publishing, Burlington, 2005. Brown, Wendy, Murs. Les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique, trad. Vieillescazes, Nicolas, coll. « Penser/croiser », dir. Cusset, François et Toulouse, Rémy, Les prairies ordinaires, Paris, 2009. Deleuze, Gilles, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », L’autre journal, n°1, 1990. Foucault, Michel, Histoire de la sexualité, tome I. La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976. Foucault, Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975. Guiraudon, V., Controlling a New Migration World, Routledge, Londres, 2001 Lendja Ngnemzue, Ange Bergson, Les étrangers illégaux à la recherche de papiers, préface de Wihtol de Wenden, Catherine, coll. « Questions contemporaines », dir. Chagnollaud, J. P., Péquignot, B. et Rolland, D., L'Harmattan, Paris, 2008. Lochak, Danièle, Étrangers, de quel droit ?, Paris, PUF, 1985. Rea A et al., Histoire sans-papiers. Trajectoires des sans-papiers en Belgique, Vie ouvrière, Bruxelles, 2002. Rodier, Claire, Xénophobie Business. A quoi servent les contrôles migratoires ?, coll. « Cahiers libres », La Découverte, Paris, 2012. Sayad, A., L'immigration ou les paradoxes de l'altérité, De Boeck, Bruxelles, 1991. Siméant, Johanna, La cause des sans-papiers, Presses de Sciences Po, Paris, 1998. Migrants et réfugiés dans les institutions évangéliques au Liban : une modalité singulière et complexe d’insertion et de contrôle social Kaoues F. Aix-Marseille Le Liban accueille plus d’un million de réfugiés syriens et des centaines de milliers de migrants venus de tous les continents. Ce petit pays dont la population ne dépasse pas les 5 millions d’habitants dispose ainsi de la plus importante population réfugiée et migrante rapportée à sa population totale. Nous nous proposons d’étudier un mode particulier et cependant croissant d’intégration des migrants et réfugiés : celui offert par les ONG et églises protestantes évangéliques, qui connaissent elles-mêmes un essor grandissant dans le pays. Le monde arabe est, depuis quelques années, le théâtre d’un activisme évangélique qui, sous les traits principaux du pentecôtisme, rencontre un succès inédit (Dirèche, 2009 ; Boissevain, 2013). Le Liban, du fait de sa plus grande ouverture en matière d’expression religieuse et du nombre important de travailleurs migrants et de réfugiés qu’il accueille, dispose d’une place particulière dans la région. Ces étrangers constituent, pour les missionnaires, une cible privilégiée. A partir d’outils analytiques transdisciplinaires (empruntés notamment à la sociologie politique et à l’anthropologie) et des données empiriques collectées sur le terrain libanais de 2009 à 2014, nous nous proposons de mettre en lumière les modalités d’intégration et de contrôle des migrants et réfugiés au sein des institutions évangéliques, leurs liens avec des tiers (État libanais, Nations Unies, ambassades occidentales, etc.) et les enjeux sociaux d’un tel développement . Anthropologue de la ville dans les pays du Sud, Michel Agier s’intéresse aux urbanités spéci.ques et a démontré, s’agissant de l’exemple libanais, que l’organisation communautaire et ethnique se matérialise au plan spatial dans ce pays. Dès lors, la question de la visibilité est posée, interrogeant fondamentalement l’ordre politique et moral de la société dominante. L’hétérotopie, notion empruntée à M. Foucault s’avère en l’espèce signi.cative. L’hétérotopie est un lieu « autre » qui révèle une altérité indépassable (Foucault, 2009). Ce qui caractérise les lieux d’hétérotopie, ce sont des notions d’exception, d’extra-territorialité et d’exclusion (Agier, 2008). La création de frontières communautaires est l’un des aspects les plus complexes et problématiques de la société libanaise, d’autant que ces frontières sont rigidi.ées par le fait même de leur institutionnalisation. En l’espèce, la conversion remet fondamentalement en question l’ordonnancement spatial des communautés. Ainsi, l’Église Church of God (Église de Dieu, en arabe Kanîsat Allah) a connu une rapide expansion depuis sa fondation, en 2010. Installée dans la banlieue populaire de Burj Hammoud, cette Église accueille des .dèles provenant du Sri-Lanka, du Ghana, 125 d’Éthiopie, du Nigéria et des Philippines ainsi que des réfugiés syriens, en collaboration avec l’ONG Mutual Faith. Les conversions religieuses en contexte migratoire forcé ou volontaire ont font l’objet de nombreuses études. En Égypte, Fabienne Le Houérou a observé les trajectoires de convertis sud-soudanais et mis en évidence des motivations essentiellement économiques et matérielles, dans un contexte de dénuement extrême (Le Houérou, 2008). Dans les cas que nous avons observés, les béné.ces attendus s’avèrent autrement plus diversi.és. Outre les études qualitatives de type récits de vie et d’entretiens, nous avons recours à des données quantitatives empruntées à une grand étude statistique conduite par Ray Jureidini sur les travailleurs migrants au Liban. Il s’agit majoritairement de femmes employées comme domestiques et logées au domicile de leurs employeurs. Traités comme des travailleurs de passage ou des réfugiés en situation de transit, ces individus sont en réalité, pour nombre d’entre eux, installés durablement dans le pays. Le contraste entre le traitement politique et administratif de ces étrangers (caractérisé par l’urgence et le transitoire) et la réalité de leur vécu nous intéresse particulièrement. Exclues du droit du travail libanais, les migrantes employées en qualité de domestiques ne béné.cient en effet d’aucune protection légale. Nous suggérons que l’intégration de milliers de femmes au sein de l’univers protestant évangélique constitue le moyen pour elles d’étendre considérablement le champ de leurs libertés et de leurs opportunités sociales. L’observation des pratiques de socialisation des migrants et réfugiés, sur une base religieuse permet de mettre en lumière certains modes spéci.ques de construction d’un nous collectif. Il s’agira de mettre en évidence les modalités offertes aux migrants et réfugiés a.n de tenter de dépasser ou contourner leurs conditions dif.ciles d’existence, les enjeux et limites d’un tel développement. Bibliographie AGIER Michel. Gérer les indésirables : des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Paris, Flammarion, 2008. DAHDAH Assaf, « L’art du faible », les migrantes non arabes dans le Grand Beyrouth (Liban, Beyrouth, Presses de l’Ifpo, 2012. DUBAR Claude et NASR Salim, Les classes sociales au Liban, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1976. FOUCAULT Michel, Le corps utopique, les Hétérotopies, Editions Lignes, 2009. JUREIDINI Ray, « Traf.cking and Contract Migrant Workers in the Middle East », International Migration, Vol. 48 (4) August 2010, pp. 142-163. KAOUES Fatiha, « Présence évangélique au Liban, enjeux socio-politiques et culturels d’un engagement multiforme », Social Compass, juin 2013, N° 60, pp. 204-217. LE HOUEROU Fabienne, « Le christ s’est-il arrêté à quatre et demi ? Les conversions alimentaires des Sud Soudanais en Egypte », in La croyance dans tous ses E(é)tats, sous la dir. de Raphaël Logier, Institut d’Etudes politiques d’Aix-enProvence, actes du colloque du 14-15 novembre 2008, Disponible en ligne : http://www.imagmundi.com/articles/Le_Christ_a_quatre_et_demi.pdf « Agents d’accueil » en centre de rétention : entre gestion et médiation, les nouveaux acteurs privés de l’enfermement des étrangers Tassin L. Nice Sophia Antipolis Depuis la .n des années 2000, les lieux d’enfermement destinés aux étrangers en instance d’expulsion dans l’Union européenne ont vu leur gestion en partie déléguée à des sociétés privées, ce qui n’est pas sans conséquences mais reste encore peu étudié en raison notamment des dif.cultés d’accès au terrain. Fondée sur une enquête ethnographique menée dans un des plus grands centres de rétention administrative (CRA) de France, cette communication propose d’approfondir cette question en s’intéressant aux enjeux de la sous-traitance de plusieurs services – nettoyage, buanderie, restauration et « accueil » – dans une institution qui matérialise, par le renvoi des individus sans titre de séjour hors du territoire, la souveraineté de l’État. A partir d’observations quotidiennes dans le centre et d’une soixantaine d’entretiens, dont une trentaine auprès d’agents employés par des prestataires extérieurs, il s’agit d’analyser les ressorts de la privatisation de certains secteurs en rétention et d’examiner ses effets possibles sur les formes et les modalités du contrôle des étrangers en situation irrégulière. Si la libéralisation des lieux de détention, notamment des prisons, n’est pas nouvelle (Salle, 2006), celle des centres de rétention s’inscrit dans une histoire récente et représente un marché !orissant à l’échelle de l’Union européenne (Rodier, 2012). En France, c’est en 2007 que la gestion matérielle des personnes retenues, qui incombait jusque-là à des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, est déléguée à une entreprise choisie à l’issue d’un appel d’offre a.n de rationaliser le coût du dispositif. Comment s’est opérée cette transformation et quelles en sont les implications, tant pour le fonctionnement quotidien des centres que pour la prise en charge des étrangers enfermés ? Comment des acteurs publics et privés collaborent-ils dans un dispositif étatique voué à appliquer la loi ? La question de la sous-traitance au sein des institutions régaliennes se pose avec d’autant plus d’acuité dans les centres de rétention que la privatisation, en transformant les conditions de travail, a modi.é le pro.l des employés affectés à ces 126 postes. Elle a favorisé l’émergence d’un nouveau corps professionnel socialement proche des personnes retenues : dans le centre étudié, des hommes et des femmes étrangers ou issus de l’immigration, en majorité maghrébins, qui pour la plupart ont fait auparavant l’expérience de la clandestinité et se trouvent désormais dans une situation socioéconomique précaire. Quel(s) rôle(s) vont jouer ces acteurs vis-à-vis des retenus et des autres agents de l’institution – fonctionnaires de police, membres du service médical, intervenants associatifs et médiateurs de l’O.i (Of.ce français de l’immigration et de l’intégration) ? Comment l’objectif étatique de minimisation des dépenses, corrélé à la recherche d’intérêts économiques des prestataires, se traduit-il dans les pratiques professionnelles des agents ? Cette intervention sera organisée en trois temps. Je reviendrai d’abord sur la genèse de l’ouverture de la rétention aux marchés privés, processus qui se développe non seulement à l’échelle nationale mais aussi, à des degrés divers et sous des modalités variées, dans la majeure partie des pays européens. J’analyserai ensuite les transformations induites par ce phénomène en termes d’organisation du travail et de division des tâches au sein du centre étudié ; je montrerai comment sont ainsi redé.nis les contours de la mission des fonctionnaires et, à travers eux, la fonction et les prérogatives de l’État dans l’institution. En.n, je chercherai à caractériser l’activité des agents privés qui, au-delà de leur mission formelle d’intendance généralement déconsidérée, tendent à jouer un rôle de médiateur – linguistique, social et psychologique – essentiel au fonctionnement du centre et au maintien d’un certain apaisement (ou non) en son sein. Bibliographie FISCHER Nicolas, « Entre urgence et contrôle. Eléments d’analyse du dispositif contemporain de rétention administrative pour les étrangers en instance d’éloignement du territoire », Recueil Alexandries, 2007 GUIRAUDON Virginie, « Logiques et pratiques de l’Etat délégateur : les compagnies de transport dans le contrôle migratoire à distance », Cultures & Con!its, n°45, 2002, p. 51-113 LYNN DOTY Roxanne, SHANNON WHEATLEY Elizabeth, “The privatization of border security”, Center for Research on International and Global Studies (RIGS), University of California, 2011 MAKAREMI Chowra, « Vies « en instance » : Le temps et l’espace du maintien en zone d’attente. Le cas de la « Zapi 3 » de Roissy-Charles-De-Gaulle », REVUE Asylon(s), n°2, 2007 RODIER Claire, Xénophobie business. À quoi servent les contrôles migratoires ?, Paris, La Découverte, 2012 SALLE Grégory, « État de droit, État gestionnaire », Champ pénal/Penal .eld, Vol. III, 2006 “Build the border fence” versus “Secure trade and travel”. Deux conceptions technologiques de la sécurisation frontalière en Arizona Simonneau D. Sciences Po Bordeaux Nous souhaitons contribuer à la ré!exion du troisième axe « dispositif de contrôle et économie de la frontière » en nous fondant sur une enquête ethnographique auprès d’une coalition d’acteurs pro-« barrière frontalière » de l’Arizona, dans le cadre de nos recherches doctorales. Dans cet État, le processus continu de militarisation de la zone frontalière avec le Mexique se heurte aux réticences des réseaux d’entreprises de commerce transfrontalier. Au sein d’un forum de débat public sur la sécurité frontalière au Parlement de l’Arizona (entre 2011 et 2013), les controverses sur les modalités de sécurisation entre acteurs du marché et acteurs politiques et professionnels de la sécurité se font jour. Les premiers plaident, expertise technologique à l’appui, pour une sécurisation des Ports of Entry a.n de !uidi.er les !ux commerciaux et de travailleurs mexicains. Les seconds souhaitent lever des fonds pour construire une barrière tout le long de la frontière. Derrière les débats sur les investissements technologiques à effectuer, se dessinent deux coalitions de cause (une économique, une nativiste) plébiscitant toutes deux la militarisation de la zone. Nous présentons les controverses techniques sur la sécurisation lors des auditions de ce forum et nous dessinons ces coalitions à partir de leurs représentations de la frontière et de l’Autre mexicain (conformément au concept d’Advocacy Coalition Framework, Sabatier 2007). Au .nal, nous tentons de mesurer l’in!uence des intérêts marchands dans l’élaboration des politiques de militarisation de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, à l’échelle de l’Arizona. Mobilités, transactions et économie parallèle aux frontières terrestres de la Tunisie dans un contexte régional bouleversé. Boubakri H. Université de SOUSSE (Tunisie) Le papier proposé est destiné à ouvrir un espace de débat et d'échanges avec les spécialistes au sujet du fonctionnement des frontières tuniso-libyennes et tuniso-algériennes depuis les changements politiques et sociaux majeurs (révolutions, rébellions, asile, mobilités et guerres) qui ont affecté la Tunisie, la Libye et même les pays de la rive sud de Sahara depuis 2011. Les modes classiques de gestion et d'administration des frontières par les anciens régimes ont beaucoup 127 évolué depuis, en raison de l'émergence d'un nouveau contexte régional caractérisé par l'affaiblissement des capacités de contrôle territorial des États (Tunisie) ou de ce qui en reste (Libye), par un développement extraordinaire de la contrebande et de l'économie parallèle transfrontalières, et surtout par l'émergence et même le renforcement des organisations et des groupes islamistes radicaux et terroristes qui mettent à rude épreuve les systèmes étatiques de sécurités et de contrôles des mobilités et des !ux aussi bien dans les zones frontalières qu'à l'intérieur des territoires. Les traditions historiques d'échanges entre les communautés transfrontalières (économie parallèle transfrontalière, contrebande locale) et les formes de mobilités traditionnelles entre ces pays voisins (migrations irrégulières, circulation transfrontalière des personnes, migrations de travail) sont perturbées par l'arrivée (ou le renforcement) de ces acteurs transnationaux dont les stratégies et les visées dépassent les cadres nationaux des États directement concernés vers des dimensions globales. Ceci pose d'énormes dé.s d'adaptation et de redéploiement des moyens et des modes de contrôle de ces États, de leurs frontières et des !ux (humains, matériels...etc) de différentes natures qui les traversent. Des -chiers d'identi-cation au principe des discriminations : le cas des inégalités de traitement pénal selon la nationalité en France Léonard T. Lille 2 La période récente se caractérise par une multiplication considérable du nombre et de l'usage de .chiers contenant des données à caractère personnel dans une optique d'amélioration de la sécurité publique (Piazza, 2009). En matière de justice pénale, de nombreuses études attestent de l'importance de ces différents .chiers, et en premier lieu du casier judiciaire dans les décisions rendues (Danet et al., 2013). L'importance de ces .chiers tient en premier lieu à leur crédit, et à leur .abilité supposée. A l'inverse de nombres d'informations jugées aisément falsi.ables par les magistrats, ce qui réduit leur crédit (Herpin, 1977), ces .chiers ont la réputation de fournir des informations « objectives » et .ables. Le développement des .chiers d'identi.cation apparaît alors aux magistrats comme améliorant quantitativement les informations disponibles et qualitativement les décisions qu'ils rendent. Ce développement des .chiers d'identi.cation s'inscrit en outre dans un contexte de développement de « l'idéologie gestionnaire » (De Gauléjac, 2005) au sein des administrations publiques, imposant aux magistrats l'amélioration de l' « ef.cience » judiciaire, ce qui se caractérise concrètement par la nécessité de rendre davantage de décisions à moyens constants (Bastard, Mouhanna, 2007). En conséquence, les magistrats ont été tenus de se doter d'outils d'aide à la décision, tels que les barèmes décisionnels (Bastard, Mouhanna, 2007), et, plus généralement, de s'appuyer sur les outils leur apparaissant présenter un rapport coût/avantage satisfaisant : les .chiers d'identi.cation apparaissent aux magistrats comme des outils particulièrement performants en la matière. Ceci renforce alors la catégorisation et la hiérarchisation des mis en cause en fonction de leurs antécédents judiciaires au détriment d'autres critères, la sévérité des peines croissant avec les antécédents rendus visibles aux juges (Danet et al., 2013). L'impact des .chiers d'identi.cation sur les décisions est cependant variable selon les propriétés sociales des mis en cause et notamment selon leur nationalité (Léonard, 2010). Schématiquement, alors que l'existence d'antécédents judiciaires est une quasi-nécessité pour prononcer une peine d'emprisonnement ferme lorsque le prévenu est de nationalité française, cette exigence est moins forte pour les prévenus étrangers, a fortiori s'ils sont issus d'un pays d'Europe de l'est (Léonard, 2011). Réputés .ables pour les prévenus de nationalité française et pour certains étrangers, notamment issus de pays limitrophes – notamment en raison de l'accès aux casiers judiciaires de certains pays étrangers suite à des accords internationaux – , ces .chiers d'identi.cation semblent inadaptés pour d'autres individus étrangers, à plus forte raison si leurs mouvements sont réputés dif.ciles à contrôler, puisque ces mis en cause sortent des cadres interprétatifs habituels : suspectés d'avoir déjà été condamnés dans d'autres pays, l'absence de condamnations inscrites à leurs casiers n'est alors pas nécessairement perçue comme l'indice de l'absence d'ancrage dans la délinquance comme c'est le cas pour les Français. A mesure que les .chiers d'identi.cation se développent, ils deviennent des cadres de plus en plus nécessaires à l'acte de décider pour les magistrats du parquet et du siège. Dès lors, pour juger les individus « hors-cadres », les magistrats s'appuient alors sur leurs représentations notamment relatives à la nationalité. On voit alors émerger une pluralité de .gures de l'étranger, lesquels sont interprétés à l'aune de leur nationalité ou de leur origine supposée. Alors que les uns semblent faire l'objet d'un traitement similaire aux Français (comme les Européens de l'Ouest), d'autres sont traités plus sévèrement (comme c'est visible de manière !agrante dans les cas de vols commis par des Européens de l'Est). Quand se développent les .chiers d'identi.cation, la distance entre ceux pour lesquels ils apparaissent .ables et les autres s’accroît alors corrélativement. Cette contribution s'appuie sur un matériau à la fois qualitatif et quantitatif. Les observations réalisées au sein des permanences téléphoniques de trois parquets français nous ont ainsi permis de comprendre les critères décisionnels des magistrats, de quelle manière ceux-ci se servent des .chiers d'identi.cation, et comment cet usage entre en interaction avec les représentations, notamment culturalistes, qu'ils ont intériorisées. Des minutes issues de six tribunaux différents ont été collectées, lesquelles nous fournissent des données quantitatives sur les jugements rendus à l'encontre de 1735 prévenus dont 322 sont étrangers. Ceci nous permet alors d'objectiver statistiquement la différence de traitement dont font l'objet les prévenus en fonction de leurs nationalités respectives. 128 L’attribution du statut de réfugié ou la légitimation morale de la mobilité – Les cas égyptien et israélien Brücker P. Sciences Po Nous abordons ici les espaces du contrôle politique des migrations par la mise en place de dispositifs de légitimation a posteriori de la mobilité. Nous nous interrogeons sur le statut de réfugié et les modalités de son attribution comme moyen de justi.cation de la mobilité. Nous interrogeons par ailleurs le rôle du HCR comme garant d’un système d’asile et de mobilité sous contrôle. Nous nous intéresserons aux processus de RSD (« refugee Status determination ») telle que mises en place par l’organisation. Autrement dit, nous décrivons un système cherchant à dé.nir qui était légitime à partir et qui nécessite, moralement, une forme de protection particulière. Nous nous interrogeons donc sur les fondations morales de processus de sélection des individus et sur la mise en place d’un dispositif d’enquête déterminant les « vrais » au sein du groupe prétendant au statut. Il est question de trouver – ou de créer – les réfugiés, essentialisant de fait, la « réfugéité ». Cet article entend monter les limites de cette essentialisation. Cette étude se fonde sur un terrain d’un an et une insertion au sein de la section RSD du HCR au Caire. Travail de sociologie politique, il emprunte méthodologiquement à l’ethnologie et à l’anthropologie. L’immersion et l’observation au sein de l’organisation et auprès des communautés réfugiées, la formation en tant qu’of.cier d’attribution du statut au HCR fonde la majeure partie des données recueillies. Notre étude s’intéresse au cas égyptien en ce que celui ci présente divers attraits : un système d’asile contrôlé par un gouvernement autoritaire mais laissé à la charge d’une organisation internationale au rôle de fait ambigu ; une diversité de pro.ls migratoires en provenance d’Afrique de l’Est, du Moyen Orient et de l’extrême Orient, et en.n de l’Afrique de l’Ouest ; un quota important de réinstallations en Occident. Le cas égyptien permet en effet l’étude d’un État en apparence peu concerné par les questions migratoires et d’asile. A l’exception de cas très largement minoritaires où le gouvernement intervient directement dans la politique du HCR – nous pouvons ici citer les cas libyen et palestinien, les responsabilités en matière d’asile sont intégralement dévolues à l’organisation internationale en charge à la fois des procédures administratives et du maintien des garanties juridiques. L’appareillage bureaucratique des États d’accueil met en place ce tri juridique - tri ‘extériorisé’ dans le cas égyptien. Les procédures d’attribution, c’est à dire les mesures administratives mises en place par le HCR, répondent à cette réclamation de « tri ». Elles questionnent via un entretien et une évaluation d’entretien les conditions et motifs ayant entrainé le départ et le franchissement de la frontière ; les conditions d’habitat possibles dans le pays d’origine ; les risques encourus et les risques à venir. L’obtention du statut et les conditions de son attribution varient selon le pays d’origine, la région d’origine, le contexte politique actuel dans le pays d’origine, et le contexte politique dans le pays d’accueil. Il dépend également de la quali.cation internationale des faits générant le départ, et de fait des acteurs en charge de cette labélisation – acteurs humanitaires, ONGs, ONU, Ministères de l’Intérieur. C’est ces variations et leurs origines que cet article entend dans un premier temps mettre en lumière. La situation égyptienne, avec un taux de reconnaissance qui atteint 95%, met en place, à ses dépens, une « réfugiété humanitaire ». La seule perspective pour eux est de fuir à nouveau. Les plus chanceux pro.tent des programmes de réinstallations, mais les places sont limitées et donnent lieu à des nouveaux dispositifs de tri. Dans un deuxième temps, nous mettons en exergue la spéci.cité d’une reconnaissance par le HCR – par comparaison à un statut ‘étatique’ - par une étude comparée avec la situation israélienne, qui accueille une grande partie des demandeurs d’asile ayant trouvé refuge en Égypte. Cette approche nous permet également de révéler les variations étymologiques du concept d’asile d’une frontière à l’autre. Plus concrètement, nous étudions comment des candidats à l’asile en Égypte, souvent acceptés par l’organisation internationale se retrouve déboutés de l’autre côté de la frontière. Nous interrogeons les conséquences en termes de droits pour ces populations passées de demandeuses d’asile à migrants illégaux. Depuis la passation des responsabilités en matière d’asile du HCR au gouvernement, le statut de réfugiés est un concept vain en Israël révélant, au contraire de l’Égypte, une politique de non légitimation des étrangers présents sur son territoire. Selon l’argumentaire utilisé, ces personnes ne seraient pas des demandeurs d’asile parce qu’ils l’ont demandé en Égypte et qu’ainsi leurs !ux s’effectuent dans un mouvement secondaire de recherche non plus d’asile mais de perspectives économiques. Cette perspective, assimilable à la politique européenne d’asile (Dublin II) selon laquelle le demandeur n’aurait pas le droit de choisir son pays d’asile, se justi.e selon les gouvernements par une idée essentielle : le réfugié légitime, c’est à dire le réfugié moralement acceptable, est celui qui à force de misère prend sans se plaindre ce que l’on était moralement contraint de lui donner. Il n’est donc pas acteur de choix mais receveur de charité morale. Parce qu’il est réfugié, il entre dans une catégorie secondaire, titulaire de droits mais déclassé. La critique d’un tel système est rendue illégitime parce qu’elle remet en cause les fondations d’un système moral justi.ant la charité, dont découle la notion de protection internationale et celle d’asile. Pourtant, contredisant ces deux approches, les réfugiés, demandeurs d’asile ou migrants, quelles que soient les catégories dans lesquelles ils sont localement classés, s’interrogent et s’organisent. Ils critiquent un système qu’ils découvrent facteur de déclassement et de désorganisation sociale. Ils se mobilisent des deux côtés de la frontière : au delà de leur catégorisation administrative et juridique, c’est leur existence et leur présence qu’ils tentent de légitimer. 129 Le contrôle des demandes d’asile en Suisse : des dispositifs aux pratiques de « lutte contre les abus » Miaz J. Université de Lausanne En Suisse, dans le débat public, la question de la politique d’asile est posée de manière récurrente. Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’asile en 1981, on assiste à une in!ation normative en la matière et à une politisation de la question en termes de "lutte contre les abus" et "d’accélération des procédures", justi.ant politiquement des mesures de durcissement du droit et de la procédure. Les dispositifs qui en découlent contribuent à resserrer le contrôle et le "tri" des migrant.e.s ; tendant à les sélectionner et à les hiérarchiser (Cultures&Con!its 2011). Dans cette communication, je chercherai d’abord à montrer comment les "faux réfugiés" et les "abus" sont devenus des catégories d’action publique (Dubois 2009) et comment des mesures de contrôles et de durcissement ont été mis en place, instaurant une logique de suspicion à l’égard des migrant.e.s. Puis, je montrerai comment cette logique se concrétise dans les pratiques des fonctionnaires de l’administration chargé.e.s d’instruire les demandes d’asile et de rendre une décision à leur égard. En dé.nitive, cette communication vise à répondre à un double questionnement. D’une part, comment les dispositifs de contrôle des demandes d’asile s’actualisent-ils dans les pratiques des fonctionnaires de l’Of.ce fédéral des migrations (ODM) ? D’autre part, quel est lien entre les catégories d’appréhension de la question de l’asile dans l’espace public, les dispositifs de contrôle des demandes d’asile et les pratiques qui les actualisent ? Cette communication s’appuie sur une thèse de doctorat menée entre 2010 et 2014. Ma recherche combine une enquête ethnographique sur les usages sociaux du droit d’asile au sein de l’Of.ce fédéral des migrations, de services d’aide juridique aux migrant.e.s et du Tribunal administratif fédéral avec une importante recherche documentaire. Légiférer dans le non-droit : statut des sans-papiers et droit au mariage en Suisse el-Wakil A. Université de Zurich Depuis janvier 2011, l’Article 98 al. 4 du code civil suisse interdit aux personnes sans autorisation de séjour sur le territoire de se marier. Les sans-papiers sont ainsi formellement exclus de l’accès à un droit fondamental qui constituait jusqu’alors pour eux l’une des voies les moins arbitraires vers la régularisation (Carbajal et Ljuslin 2010). Si l’application de cette loi continue de faire débat dans le milieu juridique, la présente contribution se propose de mettre en lumière son impact sur la conception du statut (Cuttitta 2007) de ces migrants non régularisés. Cette mesure leur confère en effet un statut juridique paradoxal. En Suisse comme ailleurs dans le monde occidental, les sans-papiers sont placés dans un espace de non-droit, réduits à une « inexistence » (Bolzman 2007) juridique de facto. S’ils demeurent formellement détenteurs de droits humains de base, ils se voient dans l’impossibilité de les faire valoir du fait de leur absence de statut juridique légal (Carens 2008, 2013). « Hors de tout système de droit » (Caloz-Tschopp 2000), ils sont ignorés par une société et se retrouvent dans la posture de l’Apatride telle que théorisée par Arendt (Arendt 2006 (1951)). Néanmoins, l’interdiction explicite du mariage aux migrants sans autorisation de séjour que contient le code civil suisse reconnaît de fait leur présence sur le territoire national – mais cette reconnaissance n’est utilisée que pour interdire à ces personnes l’accès à un droit fondamental. Après avoir analysé ce que ce paradoxe nous enseigne sur l’utilisation du droit, traditionnellement vecteur de création des normes du « vivre ensemble », nous montrerons l’impact de cette loi sur le statut des sans-papiers. N’ayant d’autre justi.cation que la non-correspondance entre l’identité du migrant et les critères des politiques migratoires, l’interdiction du mariage paraît en effet nier l’existence de ces personnes, les rejetant ainsi au rang de Parias (Arendt 2006). Bibliographie Arendt, H., L’Impérialisme, Paris, Points, 2006 (1951). Bolzman C., Entre inexistence statutaire et utilitarisme économique : les réseaux invisibles des sans-papiers, L’inexistence sociale. Essais sur le déni de l’Autre, 2007, p. 73-97. Caloz-Tschopp M.-C., Les sans-état dans la philosophie d’Hannah Arendt : les humains super!us, le droit d’avoir des droits et la citoyenneté, Lausanne, Payot, 2000. Carbajal M., Ljuslin N., Jeunes sans-papiers d’Amérique latine en Suisse ou devenir adulte sur fond de recomposition des rôles, Lien Social et Politique, no 64, 2010, 125-135. Carens, J., The Ethics of Immigration, New York, Oxford University Press, 2013. Carens, J., The Rights of Irregular Migrants, Ethics and International Affairs, no 26, vol. 2, 2008. Cuttitta P., Le monde-frontière. Le contrôle de l’immigration dans l’espace globalisé, Cultures & Con!its, n° 68, 2007, p. 61-84. 130 Devenir « résident permanent » au Québec : entre compétences et altérités. Araya-Moreno J. Université de Montréal La plupart des immigrants qui émigrent au Québec le font à travers un processus administratif qui sélectionne ceux qui sont estimés le plus capables de s’intégrer à la société québécoise et dont les compétences professionnelles seraient le plus susceptibles d’être économiquement rentabilisées par le pays. Avant même leur entrée sur le territoire québécois, les candidats échangent des documents avec les ministères canadien et québécois de l’immigration et passent une entrevue de sélection avec un fonctionnaire, entre autres démarches ; puis, une fois au Québec, ils poursuivent ce processus en suivant des cours de formation sur la culture et les valeurs québécoises. Cette communication rend compte d’une recherche qui, en adoptant une approche ethnographique, explore l’expérience de ces immigrants sélectionnés et de leur relation avec les États canadien et québécois. Dans un premier temps, la communication se concentre sur la manière dont les compétences – professionnelles, culturelles, morales – des candidats sont mises en lien avec la catégorie administrative qui leur est attribuée, celle de « résidents permanents ». Dans un deuxième temps, la communication propose plus spéci.quement une ré!exion sur la manière dont le processus de sélection des immigrants est structuré par des références à la culture : paradoxalement, à travers ce processus ayant pour objectif de faciliter l’intégration des nouveaux arrivants, les candidats sont construits comme « autres ». Le contrôle comme quotidien : pratiques des fonctionnaires en charge de la migration familiale Mascia C. ULB Depuis une dizaine d’années, nous assistons à de nombreuses modi.cations législatives en matière de migration familiale en Europe (Pascouau & Labayle, 2011). Ces modi.cations ont mené au déploiement de pratiques visant à discipliner et contrôler certains !ux migratoires (Groenendijk, 2011 & d’Aoust, 2013 & Lavanchy, 2013). La présente communication questionne les récentes modi.cations législatives en Belgique et déploiement de pratiques de contrôle à partir de la mise en œuvre de la politique de regroupement familiale par les échelons les plus bas de l’administration. Cette communication se base sur une recherche ethnographique, mêlant entretiens et observations, effectuée dans deux services d’une même commune belge. Le décalage existant entre la reconnaisse du droit à vivre en famille par le législateur belge et l’effectivité de ce droit (Nys, 2002) n’est pas à considérer comme le résultat d’un dysfonctionnement mais bien comme partie intégrante de la politique (Brodkin, 2000). Les fonctionnaires en contact avec les citoyens prennent une part active à la dé.nition des politiques qu’ils mettent en œuvre (Dubois, 2010) et déterminent l’accès aux droits et biens délivrés par l’État (Lipsky, 2010). En outre, les différentes législations visant à restreindre l’immigration ont été couplées avec la mise en place de dispositifs donnant davantage de pouvoir discrétionnaire aux fractions subalternes de l’Administration, au niveau local. C’est dans la relation de face-à-face que les lois d’apparence respectueuses des droits se révèlent être restrictives. Il est donc essentiel de s’intéresser aux pratiques et à l’application des textes juridiques (Spire, 2008). Plus précisément nous nous attacherons à saisir le traitement des dossiers par les fonctionnaires (Weller, 2012), les logiques présidant à la sélection d’individus « à risques » (Heyman, 2009) lors du traitement des demandes, tant de mariage que de permis de séjour, et les différents types de pouvoir discrétionnaire dont jouissent les fonctionnaires (Evans, 2010). A l’instar de Lipsky (2010), nous replacerons la question du pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires et leurs pratiques dans le contexte plus large des conditions de travail, de la division et l’organisation du travail au sein d’administration. Bibliographie Brodkin E. Z, Investigating policy's 'practical' meaning: street-level research on welfare policy, Working Paper, March 2000 D’Aoust A.-M., In the Name of Love: Marriage Migration, Governmentality, and Technologies of Love, International Political Sociology 7, no. 3, 2013, p. 258–74. Dubois V., La vie au guichet, 3e édition., ed. Economica, 2010 Groenendijk K., Pre-Departure Integration Strategies in the European Union: Integration or Immigration Policy?, European Journal of Migration & Law, 13, no. 1, 2011 McC. Heyman, J., Risque et con.ance dans le contrôle des frontières américaines, Politix, n° 87, no. 3, 2009, p. 21–46. Lavanchy A., L’amour Aux Service de L’état Civil: Régulation Institutionnelles de L’imitimité et Fabrique de La Ressemblance Nationale En Suisse, Migrations Société 25, no. 15, 2013 Lispsky M., Street-Level Bureaucracy. Dilemmas of the Individual in Public Services, Russel Sage Foundation, New York, 2010 Nys M., L’immigration familiale à l’épreuve du droit: le droit de l’étranger à mener une vie familiale normale?: de l’existence d’un principe général de droit à sa reconnaissance, Bruylant, 2002 131 Pascouau, Y., et Labayle H., Les conditions d’accès au regroupement familial. Une étude Comparative dans neuf Etats membres de l’UE , Fondation Roi Baudouin, November 2011. Spire A., Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Editions Raisons d’agir, 2008 Weller J-M., An Ethnographer among Street-Level Bureaucrats and New Public Management, Working Paper N° 12/033 2012 Corps dangereux ou corps en danger? Quelques remarques sur l'accès aux droits des victimes de la traite des êtres humains Jaksic M. Ens Cachan La condition des victimes de la traite des êtres humains est prise dans une contradiction majeure. Considérées d’une part comme victimes d’exploitation sexuelle, contraintes à la prostitution par des proxénètes qui les font travailler à leur pro.t, elles sont dans le même temps appréhendées comme coupables d’infractions de racolage et de séjour irrégulier, soit comme une menace potentielle pour l’ordre public et une cible des politiques de l’immigration et de la prostitution. Dans un État où la prostitution n’est pas formellement interdites, seules les personnes exerçant la prostitution sous contrainte sont considérées comme victimes. Or, prouver l’emploi de la contrainte n’est pas toujours une démarche aisée. Ce n’est donc qu’au gré d’un long parcours, émaillé de multiples épreuves (interpellation par les services de police, gardes à vue, identi.cation policière et associative, dépôt de plainte ou témoignage, procès) que les femmes migrantes exerçant la prostitution sous contrainte parviennent à accéder au statut d’ayant droit. La présente contribution se concentre sur un moment du parcours des victimes de la traite : l’entretien à la préfecture de police en vue de l’obtention d’un titre de séjour. Plus que toute autre épreuve, cet entretien constitue un enjeu majeur pour les victimes. Elles y franchissent une frontière : celle du passage de sans-papiers à un séjour légalisé sur le territoire national. On se demandera donc à quelles conditions s’opère le passage du « corps dangereux », perçu comme une menace pour l’ordre public et l’intégrité de l’État, au « corps en danger » qui mérite une protection et un soutien inconditionnels. Cette contribution s’appuie sur une enquête de terrain menée pendant six mois dans un bureau en charge de la délivrance des titres de séjour aux victimes de la traite. Un soupçon permanent pèse sur les personnes venues réclamer leur titre de séjour en raison d’une crainte de « détournement de procédure » ou de fraude que les agents de la préfecture cherchent à détecter. L’un des enjeux des observations menées dans ce bureau de la préfecture a été donc de regarder comment les institutions s’emploient à établir la distinction entre corps dangereux et corps en danger. Selon quelles logiques de classement et de distinction ? En obéissant à quelles contraintes de jugement ? Pour donner un exemple concret, comment un agent chargé de délivrance des titres de séjour, dans son activité quotidienne de surveillance et de contrôle, parvient-il à opérer la distinction entre victime de la traite et personne exerçant cette activité sans contrainte ? On espère ainsi contribuer à une meilleure compréhension de la manière dont les frontières de l’État se déploient en son intérieur. Il s'agit en dernier lieu de décloisonner le débat sur la traite de la seule prostitution, et de regarder de plus près comment les politiques de contrôle des migrations et de l'accès à l'emploi des travailleurs migrants participent aux logiques de contrôle et de surveillance des femmes migrantes se livrant à la prostitution. Usages sociaux du droit des migrants chinois en position précaire : Soin psychiatrique transformé en ressource juridique Wang S. Ecole Normale Supérieure Dans le cadre d’une thèse de sociologie qui a porté sur des expériences migratoires au prisme des usages sociaux des soins psychiatriques/psychothérapeutiques/psychanalytiques parmi les migrants chinois et leurs descendants en région parisienne, je propose une communication s’appuyant sur un chapitre de ma thèse, qui traite des usages stratégiques de la prise en charge psychiatrique dans les procédures juridiques, en se centrant sur la manière dont les migrants, notamment ceux issus d’un milieu populaire, peuvent faire usage du droit (Fassin, 2013), ou, plus précisément, la manière dont des patients en psychiatrie peuvent utiliser leurs parcours de soin comme ressources dans une procédure juridique. Cette communication est issue d’observations participantes conduites lors de consultations psychiatriques avec des familles d’origine chinoise et d’entretiens semi-directifs individuels ou collectifs, effectués depuis septembre 2010 à l’extérieur du champ médical, auprès des professionnels de santé ainsi qu’auprès des patients et de membres de leur famille. Pour les migrants chinois ici étudiés, démarrer une prise en charge en psychiatrie peut faciliter une procédure administrative de régularisation ou de naturalisation (en fournissant des preuves de présence sur le territoire) ; ou encore servir dans le cadre de con!its conjugaux, familiaux ou de voisinage. Pour reformuler, je m’intéresse à l’accès aux droits des acteurs migrants – donc à l'établissement d'une relation entre les migrants et l’État – en articulant en l'occurrence un parcours de soin en psychiatrie et une procédure juridique. Je propose d’examiner les manières dont ces acteurs profanes – dont la plupart sont des sans-papiers – tentent d’échapper à l’emprise du droit en le subvertissant par des tactiques multiples, en somme, en se débrouillant « face, avec, contre le droit » (Pélisse, 2010) à travers un usage de 132 soin psychiatrique. Plus loin, j’essaie de montrer, dans quelle mesure, la manière dont l’acteur perçoit son « trouble » et son parcours de soin d’une part, et la manière dont il construit son projet migratoire et son rapport à l’administration et aux papiers d’autre part, sont entrelacées. 133 ST 24 : Un état des « lieux » de la résistance à l’État. De l’utilité de décentrer le regard sociologique sur les protestations Parentèles en tension, sortie de village et politisation : quelques dynamiques locales d’une contestation transnationale Buu-Sao D. IEP de Paris Il existe en Amérique latine une tendance croissante à l’expression d’une critique, de la part de groupes qui protestent au nom d’une identité « indienne », « autochtone » ou « indigène », à l’encontre des politiques et des projets d’extraction des ressources naturelles (Coklin et Graham, 1995 ; Fontaine, 2006 ; Svampa, 2011 ; Sawyer et Gomez, 2012). Les fondements de ces critiques sont souvent pris pour acquis, dans les discours militants mais aussi, dans une certaine mesure, dans certaines analyses de sciences sociales. L’existence de relations de domination (qu’elles s’expriment en termes de race, de classe, de l’urbain sur le rural…), d’une violence spéci.que à la nature des ressources extraites (Watts, 2001), de « structures d’opportunité politiques » et de « réseaux de cause transnationaux » (Keck et Sikkink, 1998 ; Brysk, 2000) favorables à l’expression de revendications au nom d’une identité « indigène » sont autant de facteurs qui permettraient d’expliquer l’entrée dans l’action contestataire. Pourtant, l’observation des espaces périphériques dont se revendiquent les leaders de ces mobilisations, du quotidien vécu en dehors des moments protestataires, laisse voir que, tandis que certains apprennent à manier les codes de la contestation, d’autres demeurent en retrait et ne considèrent pas que l’expression de revendications à l’attention de l’État constitue la solution à leurs préoccupations. Comment expliquer ces différences dans le rapport à la critique et à l’État ? La sociologie politique de l’action collective a apporté bien des éléments de réponse en se penchant sur les questions de socialisation politique. Mais comment par exemple comprendre l’apparition et la réalisation de certaines « dispositions contestataires » sur des terrains de faible différentiation sociale ? Et comment ce sens critique en vient-il à se construire à l’attention de l’État plus qu’à celle de cet interlocuteur quotidien des villages que sont les compagnies pétrolières ? Entre 2012 et 2014, j’ai réalisé quinze mois d’enquête au Pérou sur une con.guration d’acteurs formée autour de l’activité d’un projet pétrolier précis et de sa critique. J’ai pu observer le quotidien d’organisations « indigènes », d’ONG péruviennes, d’habitants et rencontrer des membres de fondations nord-américaines et européennes, des fonctionnaires péruviens, des cadres et employés des compagnies pétrolières, de manière à capter la diversité des perspectives sur ces espaces de rencontre surgis aux abords des installations pétrolière. En suivant les réseaux d’interaction dans lesquels s’insèrent ces acteurs, j’en suis venue à m’immerger dans des lieux très différents : dans la capitale nationale, dans la capitale de l’Amazonie péruvienne de moins de 400 000 habitants, dans des villages amazoniens d’une cinquantaine de familles situés aux frontières du pays et aux portes des installations pétrolières. En tant qu’historiquement construite comme marge géographique à distance des centres nationaux, l’Amazonie est un lieu de « friction » (Tsing, 2005), de rencontres entre des mondes de signi.cation qui se constitués à distance ou en opposition. Ses habitants « originaires », regroupés en petits villages et vivant principalement, jusqu’à il y a quelques décennies, de l’horticulture, de la chasse et de la pêche, « se dé.nissent par rapport à d’autres espaces, déterminés par des temporalités autres » (Bayart, 1985, p.350) que celles des seuls dominants : ils se peuvent par exemple se structurer en opposition à d’autres groupes de parenté du fait de l’enjeu du contrôle et de l’expansion territoriale en ces terres argileuses où cultiver la terre et chasser le gibier implique l’accès à un vaste territoire. En interrogeant les « mouvements indigènes » depuis le quotidien des populations qu’ils entendent représenter, en examinant les réseaux de sociabilité et notamment de parenté dans lesquelles elles s’inscrivent, cette communication se propose d’apporter quelques éléments de compréhension à ces dynamiques de contestation et de consentement observables aux abords des compagnies pétrolières. Elle entrera dans le détail des relations de parenté, d’af.nité et d’inimitié qui structurent le rapport à l’espace et impliquent, parfois, d’en sortir pour se positionner par rapport aux cliques concurrentes. Elle montrera alors que c’est cette sortie du village, motivée par des dynamiques locales, qui rend possible la sensibilisation à la critique d’un projet politique national reposant sur l’extraction privée des ressources naturelles. Bibliographie BAYART Jean-François, 1985, « L’énonciation du politique », Revue française de science politique, 1985, vol. 35, no 3, p. 343?373. BRYSK Alison, 2000, From Tribal Village to Global Village. Indian Rights and International Relations in Latin America, Standford, Standford University Press, 400 p. CONKLIN Beth A. et GRAHAM Laura R., 1995, « The shifting middle ground: Amazonian indians and eco-politics », American Anthropologist, 1995, vol. 97, no 4, p. 695?710. FONTAINE Guillaume, 2006, « Convergences et tensions entre ethnicité et écologisme en Amazonie », Autrepart, 2006, vol. 38, no 2, p. 63?80. 134 MATHIEU Lilian, 2012, L’espace des mouvements sociaux, Paris, Editions du Croquant, 285 p. SAWYER Suzana et TERENCE GOMEZ Edmund (eds.), 2012, The Politics of Resource Extraction. Indigenous Peoples, Multinational Corporations and the State, Basingstoke, Palgrave McMillan, 336 p. SVAMPA Maristella, 2011, « Néo-“développementisme” extractiviste, gouvernements et mouvements sociaux en Amérique latine », Problèmes d’Amérique latine, traduit par Georges Durand, 2011, vol. 3, no 81, p. 101?127. TSING Anna Lowenhaupt, 2005, Friction. An Ethnography of Global Connection, Princeton, University Press, 321 p. N.J., Princeton WATTS Michael, 2001, « Petro-Violence: Community, Extraction, and Political Ecology of a Mythical Commodity » dans Nancy Lee Peluso et Michael Watts (eds.), Violent environments, Ithaca and London, Cornell University Press. Ancrage chiapanèque des protestations transnationales Collombo M. Sciences Po Aix Si de plus en plus de travaux tendent à dépasser la seule et nécessaire historicisation des mouvements sociaux pour prendre en compte leur dimension spatiale et localisée, à l’échelle transnationale, la déconnexion avec l’espace physique semble être la norme. Cette communication se propose de mobiliser la dimension spatiale pour analyser les mobilisations transnationales. Elle défend l’idée selon laquelle une analyse située, ancrée dans le territoire dans lequel se produisent le plus d’interactions d’acteurs, permet de mieux comprendre la construction des mouvements contestataires transnationaux. Nous nous baserons sur une étude de cas latino-américaine. En mai 2001, des organisations du Mexique et d’Amérique centrale se réunissent à l’occasion d’un forum régional contre les politiques néolibérales de développement. La mobilisation donne naissance au Forum Social Mésoaméricain, mobilisant près de 300 organisations au niveau régional. Une attention plus tenue à la fabrique de la mobilisation dévoile son ancrage très spatialisé, marginal, le Chiapas. Ce lieu emblématique de la protestation produit en outre la mobilisation de ressources très spéci.ques au territoire (registre discursif, juridique, indigène). Le Chiapas apparaît dès lors dans toute son ambivalence, à la fois ressource de mobilisation et espace de confrontations et de contraintes. Il permet d’interroger la notion de territoire en formulant deux pistes de ré!exion. Une première met en perspective le territoire du Chiapas présenté comme une entité géographique, sociale, politique et historique cohérente. Elle s’intéresse plus particulièrement à la mise en récit et à l’usage mémoriel du Chiapas dans les mobilisations transnationales. Une seconde piste interroge les effets retours d’une telle homogénéisation sur le champ militant local. Les espaces publics favorisent-ils l'intégration à la ville? Le cas des réfugiés syriens dans la banlieue Est de Beyrouth, Liban. Madoré M. Sciences Po Cette communication s'intéresse aux espaces urbains interstitiels laissés disponibles à l’appropriation par les habitantspassagers. Nous tentons d'apporter un éclairage sur le rôle joué par ces espaces publics dont l’usage n'est pas affecté a priori. Dans quel mesure ces lieux d'entre-deux, ces places poreuses, permettent-ils d’inventer des modes de résistances à des modèles citadins imposés? Et quel est leur impact dans la structuration d’un corps social? Ici, c’est bien la matérialité de l’espace public – disposition des bancs publics, largeur des trottoirs ou mise en place d’un couvre-feu – qui est sert de porte d’entrée analytique pour saisir les relations entre autorités et collectifs et les dynamiques de contestation. Nous explorons l’idée stimulante, que les espaces publics ne sont pas seulement des récipiendaires des faits sociaux mais bien qu’ils conditionnent dans une certaine mesure les relations qui s’y nouent et les tensions qui s’y créent. Le cas étudié est celui des réfugiés syriens dans la banlieue de Beyrouth au Liban. Beyrouth reste un des exemples les plus frappants de villes divisées hôte d’une société fracturée où la notion d’espaces publics est porteuse d’attentes fortes. Un temps vus comme des outils potentiels de réconciliation, on attend de ces espaces qu’ils jouent un rôle d’apaisement des relations sociales et de promotion du vivre ensemble. Durant les trois dernières années, l'immense majorité des réfugiés syriens parvenus jusqu'à l'aire métropolitaine de Beyrouth se sont installés en périphérie de la ville et notamment dans sa banlieue Est. Nous interrogeons ici les mécanismes qui président à l'arrivée en ville des réfugiés syriens. Quel est l'impact des espaces publics sur le choix d'installation et sur l'intégration au tissu social préexistant? Nous formulons l'hypothèse d'un droit différentiel à être en ville, c'est à dire à l'habiter et à être présents dans ses espaces publics. Les espaces publics du centre-ville de Beyrouth semblent être verrouillés au pro.t des résidents les plus aisés. La concentration de réfugiés syriens dans la banlieue Est pourrait partiellement s'expliquer par une plus grande plasticité de la trame urbaine dans cette zone périphérique. 135 Tracing demobilising effects of informality in the political context of contention Rao Dhananka S. Lausanne Un décentrement du regard sociologique au niveau spatial signi.e aussi de considérer en quoi consistent les différences entre le contexte “occidental” bien connu par les théories classiques des mouvements sociaux et les “lieux” autre-part. Cet article mettra en avant que pour que les théories des mouvements sociaux soient applicables au monde postcolonial, elles doivent considérer les dimensions propres aux opportunités politiques dans de tels contextes, notamment le rapport entre les dimensions formelles et informelles. L’argument central consistera à démontrer que les circuits de corruption biaisent considérablement les opportunités politiques qui peuvent exister formellement. Une interaction spéci.que entre le formel et l’informel sera analysée en détail. La dimension de la représentation dé.nit par Kriesi et al 1995 sera décryptée pour déterminer les opportunités politiques en interaction avec le fonctionnement informel du clientélisme pour la ville de Bangalore, dans le Sud de l’Inde. L’étude de cas démontrera que par la considération et l’analyse des dimensions informelles, tel que le clientélisme, les réelles conditions d’émergences des mouvements sociaux peuvent être appréhendées. Ceci rend l’analyse des mouvement sociaux dans de tels contextes plus riche et complète. Politiques de contestation des classes populaires et contribution des réseaux de proximité ordinaires : mobilisations contre la détérioration des services publics en Haute Égypte Laveille Y. London School of Economics and Political Science (LSE) En-dehors des pays démocratiques et des grandes agglomérations, les protestations de citoyens ordinaires contre la vie chère, l’augmentation des prix, les coupures d’eau ou d’électricité, ou encore la dégradation des infrastructures routières ou sanitaires, passent le plus souvent inaperçues. En effet, ces mouvements étant rarement considérés en-dehors de leur dimension locale, sont le plus souvent éphémères car contenus dans l’espace géographique qui leur est propre. Sans activistes expérimentés pour faire le lien entre différentes mobilisations pour la même cause, et sans médias d’envergure pour en assurer la couverture, ces protestations ne sauraient durablement inquiéter les autorités. Pourtant, leurs demandes socioéconomiques dépassent souvent leur ancrage local et traduisent un manque de volonté, une négligence, ou une incapacité de l’État à assurer les services les plus basiques. Ces mobilisations socioéconomiques posent la question de la culture politique et protestataire de populations relativement marginalisées et éloignées du militantisme des villes. Comment des citoyens ordinaires, sans expérience militante préalable, en arrivent-ils à bloquer des routes, à fermer des administrations publiques, ou encore à occuper des espaces publics pour réclamer ce qu’ils considèrent comme leur droit ? Sont-ils mobilisés par des activistes locaux ? Ou bien sont-ils in!uencés par le comportement d’acteurs similaires ayant obtenu gain de cause ? Au-delà de la théorie des mouvements sociaux, qui étudie majoritairement des mouvements urbains et organisés, je me suis intéressée à ces micromouvements de protestations à l’organisation basique, fortement ancrés dans leur dimension locale, et sans lien apparent avec d’autres mouvements. Ces protestations vont plus loin que les ‘non-mouvements’ et sont plus audibles que ‘l’empiètement discret’ ou ‘quiet encroachment’ conceptualisés par Asef Bayat. Le cas égyptien présente à cet égard bien des pistes à explorer. La détérioration des services publics, qui s’est accélérée durant les dix dernières années de l’ère Moubarak et n’a cessé de s’aggraver depuis le soulèvement de janvier-février 2011, a entraîné de nombreuses protestations partout dans le pays. Or, peu d’acteurs politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, y ont accordé une véritable attention en proposant des solutions concrètes à, notamment, une crise énergétique sans précédent. Grâce à un travail de terrain de plusieurs mois dans le sud de la Haute Égypte, en particulier dans les régions d’Assouan et de Louxor, j’ai pu rassembler de nombreuses données sur la mobilisation de gens ordinaires en dehors des grandes villes. Des dizaines d’entretiens réalisés, il ressort un profond clivage entre ces protestataires occasionnels d’une part, et les activistes et élites politiques et intellectuelles des grandes villes d’autre part. Ce fossé explique en partie le retour au pouvoir d’une institution militaire réputée forte, malgré son autoritarisme contraire aux aspirations démocratiques exprimées lors de la révolution du 25 janvier 2011. En-dehors de rares exceptions, les études de phénomènes de contestations en Égypte ont jusqu’ici largement ignoré les régions ‘périphériques’ telles que la Haute Égypte, dont le destin ne saurait pourtant être dissocié du reste du pays. Il est vrai que ces provinces, réputées conservatrices, n’ont pas activement participé au soulèvement de 2011 comme Le Caire, Alexandrie, ou diverses provinces du Delta. Pourtant, si la ‘révolution’ de 2011 n’est, en effet, pas partie de ces régions éloignées et négligées par le pouvoir central du Caire, elle y a eu un impact indéniable sur des populations qui ont subi ses retombées économiques (les économies des provinces de Louxor et d’Assouan ont tout particulièrement souffert de la baisse du nombre de touristes), et ont par la suite acquis une toute nouvelle culture protestataire. Les deux années ayant suivi le soulèvement ont vu se multiplier les protestations, y compris en milieu rural, relatives à des problèmes qui existaient parfois depuis de nombreuses années. Les ‘Saidi’ ou habitants du sud de l’Égypte ont ensuite participé en masse aux manifestations du 30 juin 2013. Or, bien plus que des activistes ou groupes politiques locaux, ce sont des réseaux de proximité tissés dans les quartiers populaires ou villages, et maintenus par l’appartenance à une population particulière, l’adhésion à ou la fréquentation d’un club culturel ou sportif, d’un café, d’un établissement 136 éducatif, qui facilitent la mobilisation de ces protestataires occasionnels. En outre, dans ces espaces géographiques plus restreints, où tout le monde se connaît, la sociologie politique ne saurait faire l’impasse sur les différentes loyautés à l’œuvre, telles que la famille élargie et les allégeances tribales. C’est la contribution à la mobilisation des classes populaires de ces multiples réseaux et appartenances qui se chevauchent que je me propose d’étudier, à travers des exemples de protestations qui m’ont été rapportées dans les régions de Louxor et d’Assouan entre février 2011 et mai 2014. Au-delà des processus locaux de mobilisation, je m’intéresserai aux implications de ces mouvements sur l’évolution du rapport à l’autorité (politique, militaire, morale…). Je m’interrogerai également sur leurs limites, notamment les raisons de leur caractère éphémère, ainsi que leur vulnérabilité à la puissance démobilisatrice de médias tels que la télévision, et à la cooptation dans un environnement politico-culturel qui demeure fortement marqué par le patronage et le clientélisme. Entre centralité et marginalité. La résistance et la politisation d’un quartier contre la transformation urbaine à Ankara Erdi Lelandais G. CNRS Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, des projets d’aménagement et de transformation urbains sont entrepris dans l’ensemble du pays, restructurant en profondeur la morphologie sociale, politique et culturelle des villes turques. Dans ce cadre, de nombreux quartiers ont été totalement détruits et/ou rénovés, engendrant parfois des déplacements forcés, évictions, con!its et ségrégations. Ces phénomènes provoquent, comme dans le cas de Dikmen, des réactions, voire des résistances de la part d’habitants concernés posant comme question le rapport à l’espace en tant que créateur des mémoires collectives et des appartenances identitaires et culturelles, notamment à l’échelle du quartier. Mon objectif, par cette communication, est d’analyser ces formes de résistance et de politisation à la lumière de l’exemple de Dikmen. Tout en adoptant une approche processuelle, j’analyserai ces résistances sous deux catégories. Je m’intéresse d’une part aux formes de mobilisations collectives entreprises par les habitants à travers des répertoires d’action comme affrontement de rue, construction de barricades, actions de sit-in devant le Parlement, fondation d’un bureau du droit au logement, établissement de canaux politiques et juridiques de soutien au quartier et leur participation aux résistances de Gezi Park en juin 2013. D’autre part, j’étudie les pratiques quotidiennes des résistances des habitants, à travers l’observation de leur vie de tous les jours. Ces pratiques s’inscrivent davantage dans une stratégie d’appropriation de l’espace du quartier et dans une posture d’identi.cation via des stratégies de survie. On peut donner l’exemple de l’embellissement des jardins, de l’établissement de relations de solidarité y compris avec les chiffonniers et les réfugiés syriens installés récemment par la mairie dans le quartier, du maintien des relations de voisinage et de l’établissement d’un système de guet et de contrôle d’accès au quartier. Il s’agira là d'un effort de la part des habitants d’intégrer dans la centralité urbaine leur quartier localisé et dé.ni dans les marges. Situant mon analyse aux croisées des travaux d’Henri Lefebvre sur le droit à la ville et la production de l’espace, de James Scott sur la culture subalterne et le « hidden transcript » et de Michel de Certeau sur les manières de faire qui consistent à exprimer une certaine contestation à travers les pratiques spatiales de la vie quotidienne, je tenterai de démontrer l’ambiguïté socio_politique de ce quartier entre centralité et marginalité. L'hypothèse de cette recherche est la suivante : A l’exception de certains quartiers connus par leur engagement politique historique dès les années 1970 dans l’ensemble de la Turquie et des militants déjà engagés dans différentes organisations de défense des causes, la politisation d’une grande partie des habitants dans les métropoles turques semble être la conséquence d’une urbanisation néolibérale visant directement leur espace de vie. Le quartier caractérisant cet espace de vie avec tous les liens, réseaux et solidarités sociaux et contribuant de ce fait à une grande partie de la socialisation des individus joue un rôle important dans la formation de leur identité et mémoire collective. Dans ce cadre, toute tentative visant sa transformation et destruction est considérée par une partie des habitants comme une menace contre leur existence au sein de la ville. Dans la plupart des cas, la peur de se faire éloigner de la ville et de perdre son quartier et ses liens sociaux ne se transforme pas en une résistance ni entraîne une politisation. Les habitants acceptent souvent les projets, les solutions proposées et les décisions prises par les autorités publiques sur leur sort. Néanmoins, il arrive également parfois que la disparition ou le risque de disparition de leur quartier ou les discours de stigmatisation utilisées par des acteurs publics sur leur quartier pour justi.er la rénovation politisent les habitants auparavant non-politisés et leur fournit une conscience politique au cours de la résistance organisée. « Göttingen, c'est une bulle » ? Espace commun/espaces séparés et rapport genré à l'espace dans la gauche radicale de Göttingen. Fourment E. Sciences Po Ce projet de communication s'appuie sur un travail ethnographique de 5 mois effectué pour mon mémoire de master. Durant cette période, j'ai partagé la vie des militant.e.s féministes et/ou antifascistes de Göttingen (Allemagne, 120.000 habitants), que ce soit dans les colocations, les bars ou en manifestation, tenant quotidiennement mon carnet de terrain. J'ai par ailleurs mené 24 entretiens de 2 à 5 heures avec des militant.e.s féministes et parcouru les archives disponibles. J'aimerais ici prolonger ce travail par des ré!exions sur le rapport des militant.e.s aux espaces urbains qu'ils/elles traversent et construisent. En partant d'une conceptualisation de l'espace comme à la fois structuré et structurant (Auyero, 2005), et ainsi, comme engagé dans un processus constant de redé.nition dans l’interaction militant.e.s/contraintes spatiales et géographiques, ce projet de communication propose de se pencher sur la façon dont 137 les militant.e.s décrivent, d'une part, « la scène de gauche » de Göttingen comme un espace protégé commun, une « bulle », et distinguent, d'autre part, au sein de cette « bulle » deux espaces séparés : les « scènes » féministe et antifasciste. Je mobiliserai pour cela des travaux prenant en compte le rôle de l'espace dans les mouvements sociaux ainsi que les ré!exions menées en études de genre sur le rapport genré à l'espace. L'histoire militante de Göttingen se caractérise par une forte présence du mouvement autonome à partir des années 1980. Ses militant.e.s s'y sont distingué.e.s du reste de la gauche « alternative » de la ville en ce qu'ils/elles ont posé comme priorité politique l'appropriation d'une maison pour en faire un centre culturel et politique (Schwarzmeier, 1999). De façon générale, les autonomes allemands ont ceci d'intéressant qu'ils/elles ont activement et consciemment voulu créer ces « espaces libres et protégés » que W.H. Sewell (2001) considère comme la condition d'existence même d'un mouvement social. Tel qu'expliqué par d'ancien.ne.s militant.e.s, il s'agissait de créer des lieux – des bars, des squats culturels, des collocations, des magasins « alternatifs » – et par là une routine, un quotidien qui rassemble les militant.e.s au sein d'une « scène » et assure une capacité de mobilisation (Schultze&Grosss, 1997:17). Aujourd'hui, les militant.e.s de la gauche radicale de Göttingen ne se désignent plus comme « autonomes » mais comme antifascistes. Ils et elles ont hérité d’espaces à la fois structurés par les caractéristiques géographiques de la ville et par la conception politique de l’espace de leurs prédécesseur.e.s. J'aimerais ici montrer que ces éléments sont essentiels à la compréhension du sentiment des militant.e.s d'à la fois posséder la ville et d'appartenir à une même unité protégée, la « scène », la « bulle » : les lieux politiques culturels et de loisirs sont ceux aménagés par les autonomes ; la petitesse de la ville a fait de la réappropriation de son centre un enjeu majeur, des années 80 à aujourd’hui ; elle a aussi amené à des alliances inédites entre différentes tendances politiques ; l'activité de l'université, qui dé.nit l'identité même de la ville, impose son rythme et sa population. Les travaux de D. Zhao (1998) et de Y. El Chazli (2012) ayant montré qu'une con.guration spatiale (les dortoirs étudiants à Beijing, la place Tahrir au Caire) peut être productrice d'une sociabilité spéci.que, je m'intéresserai ici particulièrement aux types de relations sociales nouées au sein de ces espaces. Néanmoins, cette description de Göttingen comme une espace commun protégé coexiste avec une distinction fréquemment faite entre « scène féministe » et « scène antifasciste ». Les militant.e.s féministes et antifascistes évoluant dans les mêmes espaces, voire étant les mêmes personnes, cette distinction entre en contradiction avec l'idée autonome selon laquelle la fréquentation de mêmes lieux créent le sentiment d'appartenir à une même « scène ». On retiendra ici l'observation de C. Hmed (2008:160) selon laquelle la coprésence ne suf.t pas à créer des appropriations et représentations communes d'un espace si les frontières sociales qu'elle cache ne sont pas surmontées. Ce projet de communication aimerait montrer que cette séparation entre deux espaces relève d'un rapport genré des individus à l'espace public, selon leur socialisation et leur inscription dans des rapports de domination liés à leur identité de genre (femmes, hommes, trans). Je montrerai qu'à Göttingen, la politique féministe de l'espace consiste à s'approprier et à aménager des lieux, non seulement protégés de l'extérieur (des néonazis, du contrôle de l'État), mais aussi préservés des « dangers » de l'intérieur, à savoir, du manque de con.ance en soi dans la prise de parole, du manque de prise au sérieux des émotions, du regard sexualisant des hommes et des violences sexuelles. Plus que des espaces libres et protégés, les militant.e.s féministes cherchent à créer des espaces que j'appellerai ici « bienveillants », dans lesquels les valeurs défendues relèvent de l'éthique du care (Gilligan, 1982) et qui sont révélateurs des rapports de genre qui traversent la gauche radicale de Göttingen. Les travaux effectué sur le genre dans les milieux militants (Fillieule&Roux, 2009) ainsi que la description de J.Halberstam (1998) du « bathroom problem » nous aideront ici à comprendre comment une dichotomie féminin/masculin est reproduite dans la construction des espaces militants de Göttingen. Bibliographie AUYERO J. « 'L'espace des luttes' Topographie des mobilisations collectives ». Actes de la recherche en sciences sociales, 2005/5 n°160, p. 1226132. EL CHAZLI Y. « Sur les sentiers de la révolution. Comment des Égyptiens « dépolitisés » sont-ils devenus révolutionnaires ? Revue française de science politique, 2012/5 Vol 62, p.843-865. FILLIEULE O.&ROUX P. dir. Le sexe du militantisme. Paris : Presses de Sciences Po, 2009. GILLIGAN C. « In a different voice : women’s conception of self and morality. » Harward Educational Review, 1982, vol.47, n°4, p.481-517. HALBERSTAM J. Female Masculinity. Londres: Duke University Press, 1998. HMED C. « Des mouvements sociaux 'sur une tête d'épingle' ? Le rôle de l'espace physitque dans la processus contestataire à partir de l'exemple des mobilisations dans les foyers de travailleurs migrants. Politix, 2008/4 n°84, p.145-165 SCHULTZE&GROSSS. Die Autonomen [Les autonomes]. Hamburg: Konkret Literatur Verlag, 1997. SCHWARZMEIER J. Die Autonomen zwischen Subkultur und sozialer Bewegung. [Les autonomes, entre subculture et mouvement social] Göttingen : Books on Demand. 2000. SEWELL W.H. « Space in Contentious Politics » In : AMINZADE R.&all. Silence and Voice in the Study of Contentious Politics. Cambridge : Cambridge University Press, 2001, p.51-88. ZHAO D. « Ecologies of social Movements : Student Mobilization during the 1989 Prodemocracy Movement in Beijing ». American Journal of Sociology, vol. 103, n°6, 1998, p.1493-1529. 138 ST 25 : Les recompositions des espaces politiques post-crises : mobilisations, engagement, désengagement et transitions Session 1 : Crises et recompositions post-crise de l’espace politique Coups de forces et recomposition de l’espace politique au Mali Camara B. Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB) A la différence du coup d’Etat militaire de 1968, ceux de 1991 et 2012 ont été occasionné en amont ou en aval par des mouvements sociaux contestataires. Celui de 1991 a favorisé l’amorce du processus démocratique au Mali en 1992. Le mouvement démocratique de la .n des années 1980 était composé de plusieurs associations et groupements d’intérêts opposés au régime dictatorial du Général Moussa Traoré. Cette opposition et les luttes de diverses formes contre le régime a donné naissance au coup d’Etat en 1991 suivi d’une transition et des élections libres. De 1992 à 2014, plusieurs « élections démocratiques » ont eu lieu. Des partis politiques sont nés, des coalitions de partis et d’associations ont vu le jour pour la conquête du pouvoir. En fait, depuis 2006, le Mali est confronté à l’une des graves crises de son existence : la mal gouvernance, des tra.cs de tous ordres, la rébellion et le terrorisme au Nord du pays, la débandade de l’armée face à l’irrédentisme touareg et le coup d’Etat de mars 2012. Des partis politiques se sont disloqués, d’autres sont nés et de nouvelles associations (religieuses, politiques ou apolitiques), des groupes d’intérêt et de coalitions de partis ou d’associations ayant des intérêts divergents et des objectifs différents ont vu le jour. Ces groupes d’intérêt politiques ou non ont tous lutté pour le changement ou ont combattu le pouvoir en place pour atteindre des objectifs politiques religieux ou territoriaux. La question centrale est de savoir comment l’espace politique malien s’est recomposé après la révolution et le coup d’Etat de 1991 et le coup de force de 2012. Quel était l’objectif général des différents groupes d’intérêt qui se sont formés après ces crises majeures ? À l'ombre du coup, en marge du champ, au centre du monde : intelligentsia militante et routinisation-par-extraversion du jeu politique de crise au Venezuela (1999-2014) Andréani F. CERI-Sciences-Po / CERAPS-Lille2 Cette communication explore les logiques socio-spatiales de polarisation de (contre-)mobilisations multisectorielles au cours de la principale crise (proto-revolutionnaire) qu'a connu le Venezuela bolivarien (à ce jour) -- soit entre 2002-2004 --, ainsi que de leur routinisation ultérieure, et en particulier des rapports qui s'y jouent entre leur re-sectorisation et leur trans-nationalisation relatives (2005-2013). Elle se base sur une enquête qualitative (entretiens, observations, archives) menée au Venezuela (2007-10) et en France (2009-14) auprès d'une centaine d'acteurs travaillant dans les (sous-)secteurs culturels et/ou (para-)étatiques constitutifs des réseaux de 'solidarité' entre les gauches européennes (PG, PCF & partis de GUE, NPA ...) et les organisations coalisées dans le gouvernement bolivarien (PSUV, PCV, chavisme 'critique', trotskyste) : médias 'alternatifs' (Monde Diplo, Acrimed et 'équivalents' (semi-of.ciels) outre-atlantique), éducation 'populaire' (universités bolivariennes, ATTAC) et arts 'urbains', conseil et contre-expertise (CEPS, CADTM), diplomatie militante (ambassade, Cercles bolivariens). Dans le cours de la crise multisectorielle de 2002-2004 -- coup d'État et contre-coup, (contre-)black-out médiatique, (contre-)lock-out pétrolier, (contre-)campagne pour la révocation référendaire de Chávez --, se (re)forment des cadrages géopolitiques concurrents qui jouent le rôle de palliatifs à l'incertitude cognitive qui traverse aussi bien le camp antichaviste et (alors) nettement inter-élitaire (gérance pétrolière, haut gradés, patronat, médias, syndicats, église) que la coalition (post-)électorale d'outsiders (ex-putschistes, ex-guérilleros, of.ciers, 'collectifs', 'marginaux' et quelques patrons 'excentriques'). À partir de .n 2004, la démultiplication des circulations Nord-Sud constitutives des 'solidarités' nées dans la crise -- et en partie professionnalisées -- accompagne (et nourrit) la routinisation d'un jeu électoral à la fois ultra-polarisé et partiellement re-sectorisé (médias, institutions culturelles). Cette (contre-)'campagne globale' permanente est le terreau de la réi.cation durable d'une géopolitique imaginaire du vote -- 'bataille idéologique', 'guérilla communicationnelle', 'lutte pour la contre-hégémonie' --, qui fonctionne autant (sinon plus) à l'asymétrie qu'à l'homologie de positions transnationales entre ses co-producteurs vénézuéliens et 'alliés'. Au sein du chavisme, la globalisation des enjeux électoraux (et leur primauté dans l'agenda 'révolutionnaire') participe de l'invisibilisation (sinon de la relativisation) de la ré-actualisation (précoce) de transactions collusives inter- (et néo-) élitaires, et de la subordination subséquente de la redistribution matérielle (santé, éducation, logement …) au régime d'accumulation ordinaire du pétro-État (illégalismes économiques privés et publiques, impunité des putschistes et saboteurs). Aussi la récente crise politique de 2014 (post-Chávez) peut-elle être vue comme le paroxysme de cette logique, mais en présence (effective cette fois) d'une dégradation des conditions matérielles des classes moyennes libérales (outre des chavistes et des classes populaires, mais qui sont à ce jour toujours relativement dé-mobilisées) : ultra-polarisation des discours et modularité renouvelée des répertoires – violences étudiantes et (para-)policières ; pseudo-« dialogues de paix » entre bureaucratie chaviste et patronat (légalisation de contournements consumés de la législation sociale et 139 .nancière) ; entérinement de la marginalisation et de la criminalisation des protestations dissidentes du bloc traditionnel d'allégeances chaviste (ouvriers, indigènes) ; et prises de position corrélatives oscillant entre "voice", "loyalty" et "apathy" du côté des secteurs culturels 'critiques' (locaux) qui s'auto-identi.ent toujours comme 'bases' ou 'marges' du chavisme (réserves de votes 'conditionnées'). Bibliographie - Andréani F., "Du nomadisme idéologique à l'allégeance partisane: les mondes franco-vénézuéliens de la réélection de Hugo Chavez", Critique Internationale, 2013 (59), p. 119-132. - Bayart J.-F. & alii, « Le concept de situation thermidorienne ... », Questions Recherche / CERI, 2008 (24). - Bennani-Chraïbi M., Fillieule O., « Pour une sociologie des situations révolutionnaires (...) », RFSP, 2012/5 (62), p. 767-796. - Coronil F., The magical State. Nature, money, and modernity in Venezuela, Univ. of Chicago Press, 1997. - Diez F., McCoy J., International mediation in Venezuela, Washington D.C., U.S. Institute of Peace, 2011. - Discepolo T. & alii (dir.), « Les intellectuels, la critique et le pouvoir » {dossier}, Agone, 2009 (41-42), p. 9-273. - Dobry M., « Ce dont sont faites les logiques de situation », in Favre P. & alii (dir.), L'atelier du politiste, Découverte, 2007, p. 119-148. - Fassin D., Vasquez-Lezama. P., « Humanitarian exception as the rule (…) in Venezuela », American Ethnologist, 2005 (32/3), p. 389-405. - Friedman J., « Des racines et (dé)routes. Tropes pour trekkers », L’Homme, 2000 (156), p. 187-206. - Hachemaoui M., « La rente entrave-t-elle la démocratie ? Réexamen critique (...) », RFSP, 2012/2 (62), p. 207-230. - Harvey D., Géographie et capital. Vers un matérialisme historico-géographique, Paris, Syllepse, 2010. - Lander L. E., López-Maya M., « El socialismo rentista de Venezuela (...) », in Daiber B. (dir.), La izquierda en el gobierno (...), Bruxelles, Rosa Luxembourg Fondation, 2009, p. 221-240. - Sapiro G., « Le champ est-il national ? La théorie de la différenciation (...) », ARSS, 2013/5 (200), p. 70-85. Une mutation idéologique ? Salafistes en mouvement et mouvements salafistes : les facteurs de l’intégration de l’islam « orthodoxe » dans le jeu politique égyptien depuis 2011 Adraoui M European University Institute Notre proposition a pour vocation de faire la lumière sur les conditions de changement d’éthique politique et de stratégie de prédication qui caractérisent certains mouvements sala.stes égyptiens depuis l’amorce révolutionnaire de 2011. Si le sala.sme est un concept religieux indéniablement pluriel, il est néanmoins possible de procéder à un essai de typologie en vertu duquel certaines acceptions du terme débouchent sur un militantisme organisé au sein duquel l’effort de prédication prend la forme d’un activisme politique « classique » (création de partis, animation de journaux, organisation de manifestations…), parallèlement à d’autres visions insistant sur l’action violente révolutionnaire ou encore sur la stricte exhortation par l’enseignement et le prêche. La société égyptienne offre l’intérêt d’avoir abrité en quelques mois un changement de pratique politique puisque certains mouvement d’obédience « sala.ste » ont fait le choix de pro.ter de la fenêtre d’opportunité offerte par la dynamique révolutionnaire pour opérer une transformation doctrinale majeure. Passant d’un mouvement réfractaire à l’engagement institutionnel à un modèle plus « traditionnel » d’activisme fondé sur la création de partis. Si l’effet d’opportunité permis par le chute de Moubarak et la promesse d’une entreprise révolutionnaire l’a emporté sur le conservatisme qui aurait justi.é de rester en dehors du jeu politique institutionnel, cela ne veut pas dire que l’appel du militantisme organisé n’aurait pas joué tôt ou tard. Nous mettrons en avant la thèse d’une « contrainte » trop forte du politique lorsqu’un mouvement souhaite exercer un magistère moral et un contrôle social conséquents. La formation d'une « société civile islamique » en Tunisie : le cas de Sfax De Facci D. Paris 7 Le changement de régime en Tunisie ne se caractérise pas tout simplement par l'af.rmation des libertés politiques, mais aussi par la poussée de l'engagement civique avec la création d'une multitude d'associations. La situation politique de « transition » ouvre des nouveaux espaces d'organisation, où les actions menées par les associations se nouent avec les administrations publiques, les ONG internationales, les partis politiques, les entreprises et les universités. La 140 structuration et l'institutionnalisation de ces espaces se font sur la base de mouvements sociaux de plus longue durée et de con!its politiques conjoncturels. Le cas de la ville de Sfax – pôle industriel connu pour son dynamisme entrepreneurial et son conservatisme religieux – montre qu'autour d'associations culturelles, religieuses et caritatives semble se mettre en place un ensemble d'activités non gouvernementales structurées, qui opèrent, en synergie entre elles, vers la même direction de l'organisation d'une société complexe selon des principes d'action reconnus comme « islamiques ». De ce point de vue, et même par opposition à une société civile existante qui s'est quali.ée elle-même comme « laïque », il semble possible de parler d'une véritable « société civile islamique », qui serait plus qu'une multiplicité d'actions non coordonnées entre elles, mais moins qu'un mouvement social diffus, avec une stratégie, des leaders et un public. Associations de promotion de l'économie islamique et de la zakat (aumône), associations d'enseignement des sciences religieuses et du Coran, associations de bienfaisance et de développement local : l'activité de ces associations se lie – par l'identité des militants, la coordination des actions, les partenariats of.ciels et le partage des objectifs – aux activités de la faculté de sciences économiques et gestion, des partis islamistes, d'entreprises guidées par des entrepreneurs « pieux », des banques islamiques, ainsi qu'aux celles des grandes ONG du Golfe. Loin d’être un phénomène nouveau et inattendu, cet activisme islamique a ses racines dans les mouvements islamistes d'opposition à l'ancien régime : cette expérience est généralement partagée par les militants associatifs de la vieille génération. Pourtant, la situation politique actuelle permet l'institutionnalisation d'un réseau structuré qui ressemble une multitude d'activités différentes sous un même référent islamique. Si la nouvelle génération de militants peut être considérée comme l'élite future produite par cette « société civile islamique », à l'intérieur de la nouvelle comme de la vieille génération il existe un dualisme entre une partie plus liée aux expériences de mouvement et une autre partie plus portée à l'institutionnalisation. Ce dualisme peut être saisi en suivant les stratégies différentes assumées par les militants des associations. Il est important de focaliser l'analyse sur le processus d'institutionnalisation, qui a son moment le plus abouti dans la structuration d'un « pôle » d'économie islamique, menant les militants associatifs vers la formation au master de .nance islamique et vers l'emploi dans les banques islamiques. L'exposé abordera trois questions principales concernant les parcours et les stratégies d'adhésion des personnes engagées dans les associations considérées (1), la structuration et l'institutionnalisation du réseau qui se noue autour de ces associations (2) et les modalités de légitimation du modèle de société promu par ces associations et leur réseau (3). L'objectif sera de comprendre le statut et la portée de cette « société civile islamique » et de se demander dans quelle mesure est-elle le fruit d'une stratégie d'hégémonie sur la société pensée au préalable. Cette recherche se base sur une enquête de terrain – en cours – réalisée à travers des entretiens semi-directifs et des récits de vie auprès de responsables et militants associatifs, ainsi que du personnel des organisations de leur réseau, et d'observations participantes aux activités associatives. Seront utilisées aussi des analyses spatiales et des documents produits par les organisations considérées. Bibliographie Bozzo, Anna, et Pierre-Jean Luizard. 2011. Les sociétés civiles dans le monde musulman. Paris: La Découverte. Camau, Michel. 2002. « Sociétés civiles “réelles” et téléologie de la démocratisation ». Revue internationale de politique comparée 9 (2): 213?232. Haenni, Patrick. 2005. L’Islam de marché?: L’autre révolution conservatrice. Paris: Seuil. Soli, Evie, et Fabio Merone. 2013. « Tunisia: the Islamic associative system as a social counter-power ». https://www.opendemocracy.net/arab-awakening/evie-soli-fabio-merone/tunisia-islamic-associative-system-as-socialcounter-power Session 2 : Mobilisations multisectorielles et réformes #R4bia ou la transnationalisation paradoxale de la mobilisation des Frères musulmans égyptiens Vannetzel M. Sciences Po Paris La restauration autoritaire en Égypte permet de renouveler la ré!exion sur la transnationalisation des mobilisations, qui peut intervenir dans les espaces politiques post-crises marqués par la répression d’un ou plusieurs de ses acteurs. Plus précisément, il s’agit de s’interroger sur la transnationalisation contrainte d’un type de mobilisation sous-étudié par la sociologie des mouvements transnationaux, à savoir les mobilisations politico-religieuses (Siméant, 2010), à partir du cas des Frères musulmans égyptiens. En effet, la répression brutale mise en œuvre par le régime militaire au pouvoir depuis juillet 2013 a contraint à l’exil des milliers de membres de cette organisation. Celle-ci était fortement dotée en ressources internationales (liens historiques avec des mouvements se revendiquant de la même matrice idéologique) et internes (moyens .nanciers, discipline organisationnelle…), qui paraissaient pouvoir garantir la diffusion transnationale de la mobilisation frériste. Or, l’analyse empirique des modalités et des acteurs de cette transnationalisation met en évidence un paradoxe : les principaux mobilisés dans ce processus ne sont pas des militants fervents de l’organisation frériste, mais des dissidents marginalisés ou des agents extérieurs à celle-ci. Et cette transnationalisation a moins pris la forme d’un redéploiement des stratégies et ressources de l’organisation à partir d’un nouveau territoire que celle de 141 l’émergence d’un réseau de défense de la cause « Frères musulmans ». Ce réseau s’est principalement constitué sur le territoire turc, qui a connu l’af!ux de plusieurs centaines d’exilés, et autour d’un événement : le massacre de la place Rab’a al-‘Adawiyya au Caire, le 14 août 2013. Ce jour-là, environ un millier de manifestants, qui occupaient la place en soutien au président Frère musulman Mohamed Morsi, élu en juin 2012 et destitué un an plus tard, avaient été tués par la police et l’armée égyptiennes. Le 17 août, le premier ministre turc, opposé au nouveau régime militaire égyptien, déclarait publiquement son soutien aux manifestants et aux victimes, en faisant de la main le signe qui était alors en train de devenir le symbole du massacre de Rab’a : quatre doigts tendus et le pouce replié. La diffusion de ce symbole et du hashtag #R4bia (nom stylisé de Rab’a), à partir de la Turquie, s’est étendue à de nombreux pays à travers les réseaux sociaux virtuels ; une plateforme rassemblant de multiples organisations et personnalités s’est mise en place; plusieurs manifestations et sit-in ont été organisés; et des médias de contreinformation sur l’Égypte ont commencé à émettre depuis Istanbul. Le tout semble constituer un réseau cohérent structuré autour d’une stratégie homogène et d’une division organisée du travail militant. Pourtant, ces actions ont été portées, sans agenda unitaire, voire sans coordination, par des agents locaux extérieurs à l’organisation frériste ou par des militants (ex-)Frères musulmans en voie de désengagement ou désengagés au cours de la période 2006-2011 (Vannetzel, 2014). Ainsi la constitution paradoxale de ce réseau montre comment la transnationalisation d’une mobilisation peut intervenir, suivant des logiques contingentes, en même temps que l’organisation initialement porteuse est en crise (Grojean, 2013). Elle éclaire aussi comment un événement peut contribuer à recomposer les contours et les hiérarchies de ce réseau: non seulement ses effets socialisateurs peuvent susciter ou renforcer l’empathie pour la cause, mais il ouvre également des possibilités de réinvestissements et donc de redé.nitions de la cause. Les mobilisés ne font pas que soutenir les Frères musulmans victimes de la violence de Rab’a, mais se réapproprient l’événement à partir de leurs différentes positions (agents extérieurs aux pro.ls variés, désengagés, dissidents, militants loyaux, leaders), en construisent leurs propres mises en récit et signi.cations, et l’inscrivent dans des stratégies concurrentes. La communication s’appuiera sur une enquête de terrain originale menée à Istanbul entre août et décembre à partir d’observations et d’entretiens semi-directifs, et combinera étude des trajectoires et cartographie du réseau militant. Bibliographie O. Grojean, « Comment gérer une crise politique interne ? Façonnage organisationnel du militantisme, maintien de l'engagement et trajectoires de défection », Politix, 2013/2. J. Siméant, « La transnationalisation de l’action collective », in Eric Agrikoliansky, Olivier Fillieule et Isabelle Sommier, Penser les mouvements sociaux, La Découverte, 2010, p. 121-144. M. Vannetzel, « Liaison tourmentées: affection, désaffection et défection chez deux jeunes ex-Frères musulmans égyptiens », Critique internationale, octobre 2014, à paraître. L’indépendance de la justice dans le processus constituant postrévolutionnaire. Mobilisations collectives et conjoncture 5uide. tunisien SOM I J. IRMC-TUNIS Le 23 octobre 2011, les tunisiens élisent lors d’une élection pluraliste une assemblée nationale constituante de 217 membres ayant parmi ses missions principales la rédaction de la nouvelle constitution démocratique postrévolutionnaire de la Tunisie. Cette assemblée nationale constituant siège ensuite pendant trois ans et dote la Tunisie d’une constitution qui est de l’avis de tous garante d’un régime démocratique. Tout ne va pas pourtant de soi au soir du 14 janvier 2011 après la fuite de Ben Ali. En effet, la Commission pour la réforme politique mise en place par Mohammed Ghanouchi et présidée par Yadh Ben Achour va s’engager dans un premier temps dans un processus de révision constitutionnelle. Il faudra les mobilisations collectives Kasbah 1 et Kasbah 2 pour orienter la trajectoire du changement politique vers une assemblée constituante élue. L’objectif de cette communication est alors de montrer, en se servant du processus d’écriture de la constitution comme .l rouge, dans quelle mesure la trajectoire de changement de régime est demeuré incertaine entre le 14 janvier 2011 et le 27 janvier 2014. Il s’agit notamment d’insister sur l’importance des mobilisations collectives dans la détermination de cette trajectoire. Notre attention est portée sur le tissage constitutionnel dans les dispositions relatives à l’indépendance de la justice. Il s’agira alors d’observer comment les organisations de magistrats, d’avocats, de justiciables, tout comme d’ailleurs les députés de l’Assemblée Nationale Constituante vont se mobiliser à travers des grèves, sit-ins et autres mobilisations pour in!uencer le processus constituant. Il s’agit alors de saisir le processus constituant en Tunisie comme un moment de la transition démocratique. Plus concrètement, nous allons tenter de répondre à la série de questions ci-après. Comment la constitution et surtout son écriture deviennent un enjeu central du processus de démocratisation ? Cela va t-il de soi ou cela résulte de la trajectoire incertaine de la transformation de régime en Tunisie ? Quels sont les institutions, organes, organisations impliqués dans ce processus de rédaction constitutionnelle ? Quel est le rôle de chaque acteur durant ce processus ? Celui-ci est-il linéaire, erratique, imbriqué, uni ou plurimodal ? Dans quels espaces s’écrit la constitution ? Quelle place 142 accordée aux externalités, notamment les mobilisations collectives, les dynamiques politiques nationales et régionales voire mondiales ? Dans le cadre de cette modeste étude, nous avons conduis vingt neuf entretiens semi-directifs formels pour cette étude. Ces entretiens concernent des députés de l’ANC, les acteurs d’organisations internationales, les représentants des professionnels de la justice et les associations tunisiennes. A travers le rôle des organisations de magistrats, nous montrons comment des acteurs vont faire sortir l’élaboration constitutionnelle en dehors de l’ANC. La puissante Association des Magistrats Tunisiens (AMT) participe ainsi d’un mouvement de désectorisation car ce qui peut paraître une affaire de spécialistes devient très vite un débat de société. Les rivalités entre l’AMT et le Syndicat des Magistrats Tunisiens (SMT) montrent que les acteurs ont conscience des enjeux et de l’opportunité d’in!uer sur la trajectoire du changement qui est en cours. Nous assistons donc ainsi à une transformation des organismes de représentation de la magistrature qui correspond aussi à certains égards à une mise en concurrence des intérêts et des agendas. Nous montrons que le gouvernement Ennahdha va faire alliance avec un appareil bureaucratique qui lui a été longtemps hostile durant l’ère Ben Ali. Cette recomposition des alliances s’observe aussi entre Nahdah qui devient hostile aux organisations de défense des libertés ou au tribunal administratif qui constituaient avant la chute de l’ancien régime des recours face à celui-ci. Nous montrons que l’ANC est soumise à tout ce qui se passe en dehors, souvent hors de frontières. Les rapports de force sont tout le temps fragiles. Il y a une permanente négociation. Il s’agit de montrer que au sein même de l’ANC, dans chaque commission, s’inscrit à faible ou grande amplitude selon les moments, le vaste mouvement de la !uidité politique. En somme, cet article montre la place centrale, et à certains moments prépondérante, des mobilisations collectives dans le processus d’écriture constitutionnel. Plus fondamentalement, à partir du cas de la rédaction du chapitre V sur ces dispositions en matière d’indépendance de la justice, nous mettons en lumière le rôle de premier ordre des mobilisations collectives dans la dé.nition de la trajectoire du changement de régime de la Tunisie depuis le 14 janvier 2011 au 27 janvier 2014. La réforme (impossible?) de la police au Kenya. Maupeu H. Université de Pau et des Pays de l'Adour Après les terribles violences post-électorales de 2008 (près de 1500 morts), le Kenya a usé de la palette habituelle des techniques de « peacebuilding » dont la classique réforme de la police. Peu après la crise, une commission d’enquête a étudié le rôle des forces de l’ordre durant le con!it et a recommandé de nombreux changements. Depuis, cette réforme a été globalement mise en œuvre, sans que les méthodes, l’ef.cacité et les perceptions populaires de cette administration ne changent. Nous étudions cette réforme en tant que site d’observation signi.catif pour appréhender les recompositions des espaces politiques au Kenya, en mettant l’accent sur deux angles d’approche. -Police et autres réformes post-crise : dans quelle mesure la lutte contre l’impunité des responsables des massacres de 2008 in!ue sur le travail des policiers, sachant que deux des inculpés de la Cour pénale internationale sont devenus en 2013, Président et Vice-Président de la République ? La réforme de la justice a donné davantage d’indépendance aux juges. Comment réagissent-ils face à des pratiques policières peu conformes à l’état de droit ? La décentralisation con.e aux autorités décentralisées des fonctions de police. Comment se négocient les relations entre les structures nationales et les forces locales ? -Police et gestion de l’insécurité : nous étudierons trois situations : la lutte contre la criminalité dans les villes, les massacres récurrents dans les zones semi-désertiques du pays et la lutte contre le terrorisme. Session 3 : Processus de politisation, parcours militants De la guerre civile à l’émergence politique des jeunes en Côte d’Ivoire Koné G. Université Alassane Ouattara de Bouaké La littérature sur la problématique des jeunes face à l’ordre politique en Afrique est traversée par le constat d’une jeunesse plutôt dominée, manipulée et soumise au diktat des aînés. Contrairement à cet argument qui a, tout de même, re!été la réalité des rapports politiques intergénérationnels d’une époque dans la vie des pays africains nouvellement indépendants, la Côte d’Ivoire offre un tout autre spectacle marqué par une amorce d’émergence politique des jeunes depuis la .n de la décennie de guerre civile (2002-2010). Certes, du côté des ex-Jeunes Patriotes au sud du pays, la lecture du phénomène d’af.rmation politique de la catégorie jeune reste encore brouillée eu égard à leur nonparticipation aux élections locales de l’après-guerre en raison notamment de la .n tragique de la crise postélectorale de 2010 et de la perte du pouvoir d’État par leur soutien politique, l’ancien Président Laurent Gbagbo. Force est cependant de reconnaître que l’élan d’émancipation politique s’exprime avec beaucoup d’acuité au sein des jeunes de l’aile politique des ex-Forces Nouvelles de la rébellion. A titre d’illustration, l’ancien secrétaire général de la rébellion Guillaume Soro - est devenu ministre d’État en 2003 à 31 ans avant d’accéder au poste de Premier ministre en 2007 143 puis de président de l’Assemblée nationale en 2011. Le phénomène qui s’observe avec les jeunes du nord de la Côte d’Ivoire laisse croire que dans une Afrique qui présente le paradoxe d’être le continent dont la population est la plus jeune du monde mais qui est gouvernée par les dirigeants les plus vieux de la planète, la jeunesse - confrontée à la crise du système censé leur donner les chances d’une autonomisation et la crise sévère de l’emploi qui s’en suit – semble avoir pris conscience qu’elle peut s’imposer politiquement en s’organisant. L’enjeu de cette communication n’est pas de revenir sur la question largement débattue des motivations de l’engagement politique de la jeunesse ivoirienne durant dix ans de con!it armé mais bien plutôt de comprendre les registres que ces jeunes mobilisent parmi tant d’autres pour s’auto-légitimer dans le jeu politique en contexte post-crise. Notre analyse se base sur des enquêtes directes réalisées de 2007 à 2010 auprès des Jeunes Patriotes dans le cadre de nos recherches doctorales ainsi que sur un travail de terrain réalisé depuis 2012 auprès des ex-Jeunes Patriotes, des députés de moins de 40 ans au sein de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire (projet postdoctoral .nancé par la Fondation Volkswagen). Nos enquêtes précédentes avaient déjà montré comment les parlements de rue abidjanais constituaient, pour les Jeunes Patriotes, des lieux d’apprentissage quotidien de l’art oratoire et, par de-là, la politique (voir Gnangadjomon Koné 2014 Les Jeunes Patriotes ou la revanche des porteurs de chaises en Cote d’Ivoire. Ouvrage à paraitre). Alors que le « modèle ivoirien » de promotion sociale se basait sur l’institution scolaire et l’intégration des jeunes à la fonction publique, l’engagement des jeunes dans la violence politique a pris la place de l’école, depuis la .n des années 1990, comme espace privilégié de lutte entre cadets et aînés sociaux. Cette communication se propose de retracer les dynamiques de ces luttes pendant et après la profonde crise politique que la Côte d’Ivoire a traversée. Bibliographie Aguilar Mario I. (1998) The politics of Age and Gerontocracy in Africa. Africa World Press, Inc. Any-Gbayéré, S. (2003). «Financement de l’éducation et démocratisation en Côte d’Ivoire.» Revue Ivoirienne des Lettres et Sciences Humaines(6) Pp.83-94. Banégas, R. (2007). «Côte d’Ivoire : les jeunes « se lèvent en hommes » Anticolonialisme et ultranationalisme chez les Jeunes patriotes d’Abidjan.» Les études du CERI Vol.137 (Juillet): 52 pages. Coquery-Vidrovitch C. (1992) Des jeunes dans le passé et dans le future du sahel. In Hélène d’Almei- da-Topor ; Cathrine Coquery- Vidrovitch et al. (Eds) Les jeunes en Afrique. Evolution et rôle (XIXème siècle) Tom1, L’harmattan pp35-63 Fauré, Y. (1993). “Democracy and Realism: Re!ections on the Case of Cote d’Ivoire.” Journal of the International African Institute Vol.63, N°.3, Understanding Elections in Africa: Pp.313-329. Koné, G. (2014). Les Jeunes Patriotes ou la revanche des porteurs de chaises en Côte d’Ivoire. Abidjan, Editions Les Classiques Ivoiriens Mampilly Zachariah C. (2011) Rebel Rulers. Insurgent governance and civilian Life during war. Crnell University Press Proteau, L., Ed. (2002). Passions scolaires en Côte d’Ivoire : École, État et société. Paris, Karthala. Quivy, La construction sociale et politique d’une nouvelle catégorie d’acteur politique : les « jeunes » dans le processus de transition politique au Yémen Breton M. Université Paris 1 La Sorbonne Suite au mouvement contestataire de 2011 au Yémen, la Conférence du Dialogue national, organisée sous l’égide des Nations Unies du 18 mars 2013 au 24 janvier 2014, a été l’occasion d’une recomposition symbolique de la société yéménite. Des groupes peu représentés politiquement jusqu’alors ont pu faire leur entrée sur la scène politique : les « jeunes » et « femmes ». Dans une société patriarcale où par dé.nition la parole des hommes prime sur celle des femmes, et celle des aîné•e•s sur les jeunes, la participation de « jeunes » et de « femmes », avec à la fois des listes spéci.ques et des quotas, a été présentée non seulement comme une manière de donner la possibilité de s’exprimer à celles et ceux qui sont exclu•e•s de la scène politique mais aussi de renouveler le personnel politique et de moderniser la vie politique. Dans cette communication, nous nous proposons d’analyser la construction sociale et symbolique de la catégorie « jeunes » en la considérant comme un analyseur à la fois des transformations en jeu dans cette transition politique et des enjeux qui sous-tendent l’institutionnalisation de cette nouvelle catégorie (Bennani-Chraïbi et Farag, 2007). En d’autres termes, il s’agira d’analyser d’une part le rapport des acteurs du champ politique yéménite et des organisations gouvernementales internationales à cette jeunesse, d’autre part le rapport de la jeunesse yéménite au politique. Certes, le mouvement contestataire de 2011 est généralement appelé « la révolution paci.que de la jeunesse » et les jeunes en sont considéré•e•s comme les initiatrices et initiateurs. Des coalitions et plateformes de jeunes révolutionnaires sont apparues qui mettent en avant cet aspect de leur identité, telles la Coalition Civile de la Révolution 144 de la jeunesse. Mais la dé.nition de la catégorie « jeunes » au sein de la Conférence du Dialogue National comme des personnes âgées de moins de 40 ans, surprend dans un pays où près de 63% de la population a moins de vingt-cinq ans. S’agit-il dès lors de limiter la participation des plus jeunes pour privilégier des trentenaires que l’on espère plus « mesurés » mais aussi plus enclins à adopter les règles du jeu politique institué ? Comment les bailleurs occidentaux, particulièrement préoccupés par les jeunes hommes yéménites, considérés comme de potentielles recrues pour des groupes terroristes, ont-ils contribué à construire cette catégorie ces dernières décennies ? On peut noter à cet égard l’opposition opérée implicitement par les bailleurs entre d’un côté la catégorie « jeunes », généralement pensée comme des jeunes hommes en dif.culté d’intégration et donc potentiellement un « groupe à problème », et de l’autre côté la catégorie des « femmes » envisagées principalement comme « victimes ». Cette opposition interroge sur les jeux de concurrence et d’alliance qui peuvent en résulter. Quelles ont été les stratégies mises en place par les « jeunes » membres de la conférence du dialogue national ? Ces représentants des « jeunes » » et des « femmes » portent-ils des revendications communes ou ne partagent-ils rien d’autre que des caractéristiques physiques (être de sexe féminin d’une part, avoir moins de 40 ans d’autre part) ? En.n, et plus largement, ces nouveaux et nouvelles venu•e•s bousculent-ils le jeu politique institué ? Telles sont les deux séries de questions auxquelles nous tâcherons de répondre dans cette communication qui s’inscrit dans le cadre d’une thèse effectuée à Paris 1 sous la direction de Delphine Dulong portant sur les conditions d’émergence d’une conscience de genre au Yémen, et pour laquelle un terrain de trois années a été réalisé auprès notamment d’une association féminine. Cette communication repose sur le matériau empirique recueilli sur place au printemps 2014 , soit une vingtaine d’entretiens semi-directifs, l’observation de réunions et la collecte de documents institutionnels, portant principalement sur la Conférence du Dialogue National. Les chrétiens dans la crise égyptienne, enjeux et perspectives d’une militance plurielle Kaoues F. Aix-Marseille L’Égypte connaît une transition politique extrêmement troublée depuis le renversement le 3 juillet 2013 de Mohammed Morsi, le premier président démocratiquement élu dans le pays. À la suite de ces évènements, le pays a été le théâtre de violences massives qui ont particulièrement ciblé les Frères musulmans et leurs alliés. En outre, les heurts intercommunautaires ont connu au même moment un seuil inégalé, ciblant particulièrement les chrétiens. A partir d’un terrain réalisé en Égypte et en France de 2009 à 2014, nous proposons d’analyser les recompositions à l’œuvre au sein des chrétiens égyptiens, dans le contexte d’une polarisation politique de plus en plus af.rmée. Pendant des décennies, les coptes égyptiens ont manifesté une particulière passivité en matière politique et une forme de retrait de la scène publique. Depuis quelques années cependant, de nombreux chrétiens égyptiens ont renoué avec une forme de militance sociale et politique, et participé de manière enthousiaste au soulèvement populaire qui a abouti à la chute de Moubarak en janvier 2011. Il est possible de distinguer deux courants principaux au sein des chrétiens égyptiens ayant rejoint la scène publique depuis quelques années. Le premier est un courant of.ciel, composé de représentants communautaires reconnus par les autorités. Il s’agit d’un courant légaliste, pragmatique, travaillant à une modi.cation progressive des statuts des minorités qui prenne en compte la réalité sociopolitique de l’Égypte. Un second courant est constitué de mouvements militants très politisés qui s’organisent en dehors des institutions cultuelles et ont connu un fort essor ces dernières années. Cette mouvance est souvent décrite par les médias comme « progressiste » mais elle paraît par trop hétérogène pour être quali.ée de la sorte. Le plus souvent, ces chrétiens s’organisent à distance de la hiérarchie de l’Église, refusant la mainmise des clercs sur leurs affaires. Leurs principaux leaders rejettent catégoriquement toute référence à l'article 2 de la Constitution qu’ils tiennent pour une institutionnalisation de la discrimination envers les non-musulmans. En.n, un autre type d’acteurs qui s’intègre dans cette seconde tendance est constitué d’organisations de la diaspora qui manifestent un particulier dynamisme dans leurs activités militantes. Il s’agit de groupes qui ont pour singularité de s’opposer de manière frontale au système politique existant et qui mobilisent en particulier leurs forces contre les islamistes, dans une perspective transnationale. Ainsi, il est notable que les chrétiens ne constituent nullement un bloc homogène, bien que chaque partie prétende s’exprimer au nom des chrétiens dans leur globalité. C’est un ensemble marqué de dissensions qui traverse tout le spectre social et politique du pays. Cette présence d’associations issues de la diaspora égyptienne pose des questions fort complexes et parfois embarrassantes aux chrétiens égyptiens. En effet, certaines organisations de la diaspora sont dirigées par des individus proches des milieux extrémistes ultra-conservateurs ou évangéliques islamophobes. Les chrétiens sont partie prenante de ce processus transitionnel des plus complexes que traverse l’Égypte, pour le meilleur et pour le pire. En recourant à des outils analytiques transdisciplinaires (sociologie politique, sociologie des religions) et à des données empiriques collectées en Égypte et auprès des diasporas, nous proposons une étude des militances chrétiennes égyptiennes, a.n de mettre en évidence les ambiguïtés, limites et enjeux de telles mobilisations. Bibliographie DENIS É., « Cent ans de localisation de la population chrétienne égyptienne, Les éléments d’une distanciation entre 145 citadins et villageois », Astrolabe, CNRS-CEDEJ, Le Caire, 1999. DROZ-VINCENT P., « Quel avenir pour les autoritarismes dans le monde arabe ? », Revue française de science politique, Vol.24, 2004, N°6, pp. 945-979. EL KHAWAGA D., Le Renouveau copte : la communauté comme acteur politique, Paris, IEP, Thèse de doctorat en sciences politiques, 1993. GUIRGUIS L., (dir.) Conversions religieuses et mutations politiques en Égypte, éd. Non Lieu, 2008. FARGUES P., « Violences et démographie en Égypte », dans Phénomène de la violence politique, perspectives comparatistes et paradigme égyptien, Les Dossiers du CEDEJ, Le Caire, 1994. SCOTT R., The Challenge of Political Islam: Non-Muslims and the Egyptian State, Stanford University Press, 2010. Renouvellement et institutionnalisation du capital collectif des syndicats dans le Venezuela chaviste Posado T. Paris-VIII Le champ syndical vénézuélien a connu plusieurs recompositions répondant à la polarisation autour du gouvernement Chávez. Trois centrales syndicales majoritaires se sont succédées en moins de dix ans incarnant trois temps de la crise politique du pays : une direction liée au parti social-démocrate anciennement dominant, une situation révolutionnaire qui voit l’émergence aux plus hautes responsabilités d’une nouvelle génération de responsables syndicaux, plus jeunes et aux origines sociales plus populaires puis le retour de dirigeants issus des anciens partis dominants dans une situation qu’on peut dé.nir comme thermidorienne. La professionnalisation d’une nouvelle élite syndicale semble entrer en contradiction avec l’inexpérience observée à cause de l’absorption de certains cadres syndicaux dans d’autres champs et la dif.cile prise de parole au sein du chavisme. Une sociographie de ces directions et de courts récits de vie permettent de déceler ces transformations. Bibliographie Bourdieu, Pierre, « La délégation et le fétichisme en politique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 52-53, juin 1984, p. 49-55. Ellner Steve, El sindicalismo en Venezuela en el contexto democrático (1958-1994), Caracas, Ed. Tropykos, 1995. Hirschman, Albert, Exit, voice, loyalty, Défection et prise de parole, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2011, 158 p. {1970}. Posado Thomas, « Révolution et recompositions syndicales : le court été de l’autonomie syndicale », in Le Venezuela d’Hugo Chávez, bilan de quatorze ans de pouvoir, sous la direction d’Olivier Folz, Nicole Fourtané, Michèle Guiraud, Presses Universitaires de Nancy – Editions Universitaires de Lorraine, 2013, pp.193-220. Posado Thomas, « Itinéraire d’un syndicaliste devenu candidat à la présidentielle : utilisation et contention d’un militant ouvrier dans le Venezuela de Chávez », Amérique Latine Histoire et Mémoire. Les Cahiers ALHIM, n°26, 2014, mis en ligne le 17 janvier 2014. Disponible en ligne : http://alhim.revues.org/4828 Urquijo José Ignacio, El Movimiento Obrero de Venezuela, Caracas, OIT-UCAB-INAESIN, 2000. 146 ST 26 : Comment Internet change (ou pas) les règles du jeu politique Médias sociaux et campagnes présidentielles américaines : le côté sombre du processus électoral 1 Prémont K., 2Millette C.-A. Université de Sherbrooke 1, Université du Québec à Montréal2 Alors que les médias sociaux ont rapidement transformé la façon dont sont menées les campagnes présidentielles américaines (West, 2014), un examen attentif de leurs effets sur les électeurs, les candidats et le processus électoral luimême tend à démontrer qu’ils accentuent de manière signi.cative l’aspect négatif des campagnes et ce, de quatre façons : la personnalisation accrue des attaques, l’« anecdotisation » des campagnes, la décentralisation des informations et le microciblage des électeurs. Les conséquences de cet effet néfaste des médias sociaux sur les campagnes présidentielles sont de deux ordres. Ils agissent d’abord sur la participation politique des citoyens : alors qu’ils permettent effectivement une plus grande mobilisation des individus – en particulier de groupes d’électeurs qui participent traditionnellement moins aux élections –, on constate que cette participation en est souvent une de façade. Ensuite, les médias sociaux, en raison de leur instantanéité, font en sorte que les candidats perdent plus rapidement le contrôle de leur image, ce qui rend les campagnes encore plus imprévisibles. Notre proposition a deux objectifs : présenter l’état des lieux quant au rôle des médias sociaux durant les élections présidentielles américaines et ensuite, démontrer comment ces médias sociaux, en raison de leur décentralisation et de leur accessibilité, font en sorte de rendre les campagnes encore plus négatives que ne le font les médias traditionnels. POLIWEB2014 Européennes, campagne et internet Castel G. Université Stendhal, Grenoble 3 Les premières publications scienti.ques en matière d’utilisation des technologies de la communication et de l’information en politique (‘The Electronic Commonwealth’ de J. Abramson, ‘Computers for Political Change’ de J.D.H Downing) datent de la .n des années 80, trouvant leurs origines dans les initiatives alors isolées d’individus ou d’organismes essentiellement nord-américains. La recherche dans ce domaine s’est depuis considérablement enrichie au .l de l’adoption d’outils en constant renouvellement dans des contextes divers. Ces travaux se focalisent pour la plupart sur des stratégies déployées nationalement, de manière descendante, lors d’élections perçues comme majeures. A l’inverse, le projet POLIWEB2014 vise à étudier les productions numériques de candidats aux élections européennes de mai 2014 sur leurs sites personnels ainsi que sur leurs comptes Twitter et Facebook depuis deux circonscriptions tests, celles du Sud-est français et anglais. L’objectif est d’aboutir à une compréhension plus approfondie des pratiques en ligne des équipes de campagne à l’échelle locale, et de la corrélation entre initiatives militantes et directives issues des niveaux hiérarchiques supérieurs des dix partis étudiés de part et d’autre de la Manche. Ce projet repose sur la mise au point d’outils informatiques puissants permettant la collecte, l’archivage et l’exploitation scienti.que de données volumineuses (Big Data) issues d’internet, complétées par un travail empirique mêlant questionnaires en ligne et rencontres de candidats. Il rassemble par conséquent des chercheurs issus de disciplines diverses mais impérativement complémentaires. Cette présentation se propose d’aborder les questionnements thématiques de même que les dé.s méthodologiques liés à ce projet. La politique des netroots. Mobilisations militantes et stratégie électorale au sein du Parti Démocrate américain au milieu des années 2000 Benvegnu N. Sciences Po Paris Depuis une quinzaine d’années, des recherches portent sur les usages militants du web, parmi lesquelles un certain nombre sont consacrées au rôle que peut jouer internet au sein des partis politiques. Dans ce dernier cas, le web est souvent envisagé comme un moyen de renouveler les liens que les partis tissent avec leur base militante, voire la constitue et la mobilise en vue d’une joute électorale à venir. Cette communication propose de renverser cette perspective en questionnant les usages du web que font des groupes militants dans le cadre de stratégies de conquête des instances dirigeantes du parti politique auquel ils sont af.liés. Elle s’appuie pour cela sur la partie d’une enquête de terrain réalisée dans le cadre d’une thèse de doctorat (La politique des netroots : la démocratie à l’épreuve d’outils informatiques de débat public, École des Mines de Paris, 2011) qui porte sur des phénomènes observés au sein du Parti Démocrate américain au milieu des années 2000 : plus précisément, elle analyse la stratégie numérique de conquête des instances dirigeantes du Parti Démocrate par des groupes de militants qui en constituent alors l’aile gauche. 147 De 1998 à 2004, le Parti Démocrate américain a subi au niveau fédéral une importante série de revers électoraux (la Présidence et les deux chambres du Congrès sont alors tenus par les Républicains). Chez les Démocrates, l’analyse des défaites et la dé.nition de la stratégie à adopter pour reprendre le pouvoir donnent lieu à de vifs débats et un divorce se produit progressivement entre les caciques du parti et des acteurs plus marginaux qui entament une opération de reconquête en prétendant s’appuyer sur la base pour dé.nir la stratégie à tenir. Au début des années 2000, ces acteurs s’organisent autour d’organisations comme Move-On ou de blogs comme MyDD ou DailyKos pour s’opposer à l’administration Bush.Entre septembre 2005 et mai 2006, des militants du Parti Démocrate préparent de manière ouverte et collaborative sur le site DailyKos un plan de politique énergétique en vingt mesures, Energize America. Ils parviennent à le faire endosser par des candidats en campagne pour les élections de mi-mandat pour le Congrès de novembre 2006, puis par des Représentants élus à ce même Congrès fédéral. L’énergie des militants doit dans l’optique des promoteurs du plan servir à élaborer des politiques publiques en vue de dé.nir la ligne de leur parti et de donner le ton d’une campagne électorale en af.rmant une nouvelle ligne politique : les candidats de leur propre camp qui sont interpellés sur Energize America sont en effet mis face à un « leadership par le bas » (Mc Kibben, 2007). Le mouvement Netroots Nation est lancé : il s’invite à la table de la vie politique américaine, si nécessaire en « forçant l’entrée » (l’ouvrage de l’initiateur de Daily Kos, Markos Moulitsas, paru en 2006, est intitulé Crashing the gate). Ce mouvement s’en prend directement au pouvoir des lobbys qui gangrènent selon eux Washington, mais aussi aux groupes thématiques qui auraient fait des programmes des partis politiques de simples catalogues qui juxtaposent des mesures destinées à répondre à des revendications sectorielles. Qui sont les militants à l’origine de cette stratégie de conquête qui s’appuie sur la force d’une communauté assemblée par le réseau ? Les « Kossaks » (militants qui fréquentent le site DailyKos) pré.gurent-ils le netroots qu’ils clament, c’est à dire une forme de grassroots du XXIème siècle qui prolongerait sur le net l’idéal de la démocratie américaine ? Comment ces groupes construisent-ils la légitimité de leur démarche et des mesures d’action publique qu’ils portent ? En quoi la dimension communautaire et la participation qu’ils revendiquent et qu’ils promeuvent leur donne le pouvoir de s’opposer voire de faire chanceler l’establishment de leur propre parti, alors que le rapport de force s’annonçait a priori totalement déséquilibré ? En quoi leur travail politique se démarque t-il des lobbyistes qu’ils pourfendent ? Quel modèle politique promeuvent-ils ? C’est autour de ces questions qu’est organisée cette contribution qui propose d’apporter des éléments critiques sur l’émergence d’une politique des netroots au sein de l’un des deux grands partis américains. Les posts du maire de Paris en temps ordinaires. Des stratégies de visibilisation du travail politique sur Facebook ? 1 Marrel G., 2Reiffers A. Université d'Avignon1, INRIA2 Projet d’émancipation politique à l'origine, Internet est désormais réinvesti par l'ensemble des acteurs centraux et institutionnels de la vie politique des démocraties représentatives. Mais la nature conversationnelle des formes politiques du Web limite a priori l'investissement partisan institutionnel (Blondeau-Coulet and Allard, 2007 ; Cardon, 2010). De fait l'Internet politique est longtemps resté un Internet militant (Granjon, 2001), reposant principalement sur les sites des groupes activistes périphériques, les blogs et pages Facebook des personnalités politiques, les sites de campagne des candidats où sont valorisés l'individualisation de l'expression et l'échange conversationnel. Cette soit-disant « web-incompatibilité » des partis politiques est néanmoins aujourd'hui contestée par les faits et dans les travaux de science politique (Gibson and Ward, 2009; Greffet, 2012). Tous les partis sont aujourd'hui visibles et actifs en ligne. Les net-campagnes se systématisent dès 2002 en France et la « cyberisation » des organisations partisanes semble s'accélérer à chaque nouveau scrutin. La plupart des travaux disponibles se focalisent néanmoins sur la manière dont l'Internet affecte les acteurs de la compétition électorale et concentrent donc l'attention sur les périodes de campagne et les acteurs collectifs qui les animent, au détriment des temps politiques ordinaires. De fait, moins nombreuses sont les enquêtes consacrées à l'usage du Web par les élus durant leur mandat et la manière dont les formes renouvelées de communication en ligne affectent le travail politique de représentation « hors campagne » (Marques et al., 2014; Norton, 2007). En France, de telles recherches restent rares (Nicot, 2012), alors que les pratiques des élus et de leurs entourages contribuent à la restructuration « par le bas » des règles du jeu politique. Or la communication politique en ligne dépasse largement le cadre et le moment d'intensité particulier auxquels correspond la campagne. Une fois élus, le député ou le maire maintiennent désormais le plus souvent une importante activité de communication numérique en ligne sur leur activité de représentation, via les sites institutionnels de leurs collectivités, leurs blogs, leurs pages Facebook et leurs comptes Twitter. Cette activité de valorisation et de légitimation par la mise en récit et la mise en scène de l'action politique, occupe une place de premier ordre dans les collectifs de travail politique, voire dans l'emploi du temps de l'élu lui même lorsque celui-ci investit personnellement et réellement l’échange conversationnel. Cette analyse de la mise en scène de l'action politique en ligne s'inscrit dans le cadre d'un projet de recherche plus large engagé sur le travail politique local (Demazière and Le Lidec, 2014) et l'examen de l'agenda et de l'emploi du temps des membres d'exécutifs locaux participant directement à la production de l'action publique (Godmer and Marrel, 2014). Comment le travail politique hors campagne est-il impacté par l'usage des outils d'information numériques ? Qui diffuse, quand, par quels outils et avec quels relais ? Qu'est-ce que le Web restitue des événements de l'emploi du temps d'un maire de grande ville ? Les stratégies de communication de ce type d'élu sont-elles affectées par les nouveaux vecteurs de diffusion de l'information ? Les entreprises politiques à la tête des exécutifs municipaux maîtrisent-elles leur image numérique ? Peut-on identi.er des modèles de diffusion de l'information concernant les événements de l'activité 148 du maire sur le Web, les acteurs qui y prennent part, la rapidité et la structure de la propagation d'une information traitée de manière positive ou négative ? En.n, les formes de la diffusion de l'information et les feedbacks qu'en restitue le Web rétroagissent-elles sur la manière de communiquer sur l'agenda du maire, voire sur la manière de « faire de la politique » et donc sur l'emploi du temps effectif de l'élu ? Il s'agit ici d'observer et de modéliser les stratégies de communication en ligne d'un élu en charge d'un exécutif local. Cette étude s'inscrit dans le cadre d'une collaboration de recherche engagée à l'Université d'Avignon entre sociologie du travail politique et analyse des réseaux sociaux en science informatique, autour du projet de recherche Tr@nspolo. La contribution s'appuie sur une enquête originale en cours sur les pratiques de communication numérique du maire de Paris, Anne Hidalgo, à partir de son compte Facebook. L'enquête limitée dans un premier temps à ce corpus homogène et cohérent s'apparente à une analyse de popularité des contenus des réseaux sociaux en ligne (Richier et al., 2014), où il s'agit de lier la popularité des messages de l'élue à leur visibilité en ligne. La « visibilité » est dé.nie ici comme la chance pour un message d'être lu en fonction des caractéristiques physiques de sa présence à l'écran (Reiffers et al., 2014). La « popularité » s'entend pour sa part comme la chance pour un message lu de susciter des réactions (likes, partages, commentaires...). Cette étude mobilise des outils du traitement automatique du langage naturel (NLP : classi.cation, reconnaissance d’entités nommées, détection d'événements) et de la théorie des .les d'attente (Queuing theory). Elle se décompose en six étapes : 1. L'extraction des messages sur la page Facebook de l'élue, jusqu'à l'ouverture du compte, 2. La catégorisation et le tri des messages par apprentissage supervisé (récit d'un événement auquel a participé l'élue, commentaire d'actualité ou prise de position, information…) 3. L'isolement des messages relatifs à un événement et l'extraction pour chacun d'entre eux de l'objet, de la date et du lieu (détection d'événement). 4. La caractérisation de la stratégie de communication : dé.nition des paramètres et des variables pour construire une méthode d'analyse. - La visibilité (nombre et moment de poste des messages sur une période donnée, par rapport à un événement…, durée du maintien en première position (chaque message rétrograde le précédent) - La popularité (nombre de likes, de commentaires et de partages…, rythme des postes sur des séquences données) - Interprétation statistique sur différentes échelles de temps de la relation entre les courbes de visibilité et de popularité. 5. Élargissement de l'étude de la popularité d'un événement publié sur Facebook à d'autres espaces de communication en ligne (Twitter et le reste du Web via Google news). 6. Construction d'un algorithme d'automatisation de la stratégie de communication et évaluation à partir d'une simulation de communication en ligne. L'expérience vise in .ne à caractériser les usages des posts de l'équipe du maire de Paris sur sa page Facebook, a.n d'identi.er des stratégies plus ou moins délibérées et ef.caces de communication sur ses actes de gouvernement urbain. L'étude prévoit à terme une extension de l’expérimentation de l'outil de modélisation aux comptes des édiles des vingt premières villes de France. Internet et participation politique : bilan et perspectives d'une décennie de recherches Vedel T. Sciences Po / CNRS Depuis une quinzaine d'années, les travaux sur les relations entre l'internet et la participation politique se sont multipliés et l'on dispose aujourd'hui d'une littérature signi.cative : entre 50 et 60 enquêtes publiées dans des revues internationales selon les méta-analyses de Bouliane (2009 et 2014) et une douzaine d'ouvrages ou d'articles défendant une thèse majeure sur le sujet (comme, par exemple, le célèbre Preaching to Converted de Norris, 2001, Post-broadcast Democracy de Prior, 2007, ou The Myth of Digital Democracy de Hindman 2009 ). Cette communication se propose de dresser un bilan des recherches menées depuis une décennie et de ré!échir aux nouvelles directions de recherche qui pourraient être fructueuses. Les travaux menés sur l'internet et la participation politique font apparaître des problématiques diverses et ont porté aussi bien sur : les effets de l'internet sur les niveaux ou les types de participation, les mécanismes causaux à l'œuvre (en termes de ressources, exposition à l'information, lien social), les caractéristiques sociodémographiques favorisant la participation en ligne. Néanmoins, deux grands questionnements ont été dominants. Le premier porte sur la capacité de l'internet à élargir l'espace public : l'internet intéresse-t-il à la politique de nouveaux groupes de la population ; contribue-t-il à réduire les inégalités de participation entre les citoyens actifs et les autres ? Les conclusions des chercheurs sur ce thème ne sont pas univoques : certains travaux ont montré le potentiel de mobilisation politique de l'internet chez les jeunes (Delli Carpini, 2000; Bakker & de Vreese, 2011) mais d'autres travaux, (particulièrement dans la période récente qui a vu l'acculturation de classes d'âge plus âgées à l'internet,) ont souligné que l'internet reste the weapon of strong (Lehman Schlozman et al. 2010). Le second questionnement s'intéresse davantage aux pratiques politiques : l'internet favorise-t-il l'émergence de 149 nouvelles façons de faire de la politique ; ou au contraire la participation politique en ligne n'est-elle qu'une réplication électronique des répertoires d'action politique traditionnels ? Là encore, les conclusions sont diverses. Certains travaux continuent à soutenir la thèse du Politics as usual (Margolis& Resnick,2000). Cependant, les recherches les plus récentes mettent en avant l'originalité des formes de participation apparues avec les réseaux sociaux (Vissers & Stolle, 2013). Pour le futur, trois directions de recherche nous semblent devoir être davantage explorées. Il semble d'abord nécessaire d'approfondir la conceptualisation de la participation politique en ligne. Les enquêtes sur le sujet font apparaître des nomenclatures et des index de participation relativement divers (Gibson et Cantijoch, 2013). L'évolution technique du Web vers des formes plus dynamiques (Web2.0), le développement des réseaux sociaux ainsi que la diversi.cation des supports de réception (et la différenciation corollaire des applications) ont d'ailleurs rendu cette tâche plus complexe. Une harmonisation des dé.nitions et des indicateurs paraît nécessaire a.n de favoriser les comparaisons internationales ou longitudinales. En second lieu, l'opposition traditionnelle entre activités en ligne et hors ligne, qui reprend la distinction entre réel et virtuel, doit probablement être dépassée. On assiste aujourd'hui à une hybridation des pratiques en ligne et hors ligne, les unes et les autres interagissant pour se stimuler ou se conforter et produire des pratiques parfois inédites dont il reste toutefois à identi.er les logiques. En d'autres termes, aujourd'hui on ne fait pas de la politique hors ligne OU en ligne, mais probablement un peu (ou beaucoup) des deux et selon des con.gurations multiples et changeantes. En.n, une attention plus grande devrait être portée aux signi.cations attachées aux pratiques politiques en ligne. Si les travaux identi.ant les caractéristiques individuelles des internautes politiquement actifs sont abondants, on dispose de moins d'études sur la façon dont les pratiques politiques en ligne sont associées à certaines normes d'action, valeurs ou représentations du politique (voir néanmoins Morozov 2011 pour sa critique du slactivism). Il s'agit d'ici de reprendre l'hypothèse d'un changement de nature de l'engagement politique formulée par Ion (1997) lorsqu'il oppose militantisme total du passé et activisme distancié du présent. Cette communication s'appuiera sur les données suivantes : une analyse de la littérature sur le sujet menée régulièrement depuis une quinzaine d'années ; les données des enquêtes du projet ANR Mediapolis (Information politique et citoyenneté numérique) que j'ai coordonné, pour illustrer certains problèmes conceptuels ou méthodologiques ; les communications présentées au colloque international Civic political engagement in a digital environnement que j'ai co-organisé à Paris en juin 2014 et qui ont fait un état des lieux des objets de recherche actuellement étudiés dans le domaine. 150 ST 27 : Le vivant et l’environnement au prisme de la science politique : quel renouvellement des questionnements sur l’action publique ? Gouvernance et environnement en Afrique de l’ouest : l’autorité des pouvoirs publiques en question Diatta P. Université Paris XIII « Les États nés du processus de décolonisation sont-ils réellement souverains? » « L’État-nation est-il une réalité en Afrique noire ? » Voilà quelques-unes des interrogations, certes légitimes, que l’on retrouve fréquemment dans la littérature dès lors qu’il s’agit d’appréhender la nature et le fonctionnement concret de l’État dans le contexte africain. Aujourd’hui encore (peut-être plus qu’hier), avec les nouvelles conceptions du développement associées à la durabilité, à la préservation de l’environnement et à l’implication d’acteurs non étatiques (le privé comme la société civile) qui ouvrent une nouvelle ère porteuse de nouvelles visions et créatrice de recon.gurations inédites des champs politiques nationaux et locaux, de telles questions trouvent un nouvel écho. De plus, quand on sait que la prise en compte des préoccupations environnementales dans cette région a été en grande partie progressivement imposée à travers des accords de partenariats et de .nancements entre ces États et les pays occidentaux ou les organisations internationales, l’on ne peut manquer de reposer la question du principe de souveraineté de ces jeunes États africains (nés en 1960 pour la plupart) déjà sous tutelle des bailleurs de fonds internationaux pour leurs politiques publiques. Par exemple, l’UE qui avait l’habitude d’axer sa coopération avec l’Afrique sur le volet économique (cf. la convention de Lomé de 1975), l’a réoriente désormais depuis 1989 (cf. convention de Lomé 4) sur les questions d’environnement et de durabilité. Il y a aussi les nombreux textes internationaux qui imposent aux États membres des Nations Unies (et pas seulement ceux du Sud) de développer des politiques environnementales. Pourtant, quand on examine au plus près la situation, dans le secteur de l’environnement plus précisément, l’on se rend compte que les asymétries de pouvoir entre ces États et leurs partenaires .nanciers internationaux ne sont pas nécessairement unidirectionnelles. Les pouvoirs publics africains (États comme collectivités locales) savent exploiter les prérogatives et autres marges de manœuvre garanties par la constitution pour s’approprier, « détourner » ou réinterpréter ces nouvelles injonctions et renforcer ainsi leur pouvoir et leur autorité politiques. Dans ce cas, l’objet de ma communication sera de montrer à partir de mes terrains maliens et sénégalais qu’on a là des États à la fois faibles – faute de ressources .nancières, techniques et humaines adéquates – et autoritaires et centralisateurs qui aspirent à tout contrôler. Il s’agira donc d’arriver à mettre en lumière ce mélange d’autoritarisme et de laxisme caractéristique de la nature et du fonctionnement de l’État en contexte africain. Participation, accès aux connaissances et dynamiques de changement dans l’univers des politiques publiques agricoles 1 Landel P., 2Laurent C. INRA2, AgroParisTech1 Le changement dans les politiques publiques liées à l’agriculture a fait l’objet de nombreuses études en science politique (Muller, 1985, 1992 ; Delorme, 2004 ; Fouilleux, 2003). Aujourd’hui, face aux enjeux environnementaux et sanitaires auxquels est confronté le secteur, et dans le cadre des débats autour de l’ « écologisation » de l’agriculture, cette analyse du changement dans les politiques agricoles est toujours d’actualité. Plus de 50 ans après la mise en œuvre de la modernisation agricole, le problème de la réorientation technique et technologique du modèle de développement de l’agriculture est posé. Dans ce contexte les connaissances, en particulier les connaissances scienti.ques, sont une ressource particulière pour l’action publique : non seulement elles sont nécessaires pour les acteurs du changement (agriculteurs, conseillers, décideurs) ; mais elles acquièrent aussi un nouveau statut tandis que l’information est conçue comme un instrument clé de la conduite des politiques publiques et que le rôle de l’État se recompose autour de fonctions de régulatrices (ce qui se manifeste avec la création d’agences ou la multiplication de normes réglementaires au contenu technique très précis). Au cœur de ces évolutions, la référence à l’idée de participation est omniprésente dans le domaine agricole, comme moyen de faciliter l’accès aux connaissances pour le débat public et de mutualiser les dispositifs matériels d’accès aux connaissances pour accompagner le changement vers un nouveau modèle d’agriculture. A partir de ce constat, cette communication propose d’analyser, de façon complémentaire aux différentes dimensions cognitives du changement dans les politiques publiques et en mobilisant les travaux d’économie politique sur l’utilisation des connaissances pour la décision publique (Laurent et al., 2010 ; Nutley et al., 2007), un aspect peu abordé dans la littérature francophone en sociologie politique : celui des dispositifs concrets d’accès aux connaissances pour les acteurs des politiques publiques. Par ce biais, elle propose d’analyser la déclinaison de l’idée de participation dans un univers concret d’action publique, et ses effets sur des recompositions sociales et politiques globales, en réponse à certaines limites des travaux normatifs ou ethnographiques sur la participation (Behrer, 2011 ; Blondiau, 151 Fourniau, 2011). La présentation s’appuiera sur les résultats d’un travail de thèse mené à partir du cas de la diffusion en France et au Brésil d’un nouveau modèle candidat à l’agriculture durable : l’Agriculture de Conservation. Le développement de ce modèle est porté par une diversité d’acteurs et d’intérêts (.rmes privées, réseaux locaux d’agriculteurs…), qui proposent des innovations techniques plus ou moins porteuses d’un risque de dépendance à l’utilisation d’herbicides, et donc plus ou moins susceptibles de répondre aux impératifs de réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires. Une analyse en termes de réseaux d’action publique (policy networks) met à jour une situation d’inégalité entre ces acteurs pour l’accès aux connaissances et, ce faisant, les dif.cultés d’accès aux connaissances adéquates dans les processus de politiques publiques pour accompagner le changement vers un nouveau modèle d’agriculture répondant aux exigences environnementales et sanitaires. Par ailleurs, ces réseaux sont porteurs de différentes doctrines sur la participation qui contribuent à accompagner ou légitimer les évolutions actuelles des conditions d’accès aux connaissances et des rôles joués par les différents acteurs impliqués (.rmes privées, État, organisations de recherche et de conseil). L’« autoritarisme vert » de la politique incitative des forêts privées Costariciennes : une régulation du PPSE marquée par le pluralisme limité Cathelin C. Lyon 2 Une partie de la littérature en analyse des politiques publiques a cherché à saisir les évolutions d’une action publique contemporaine qui serait davantage multi-niveau et ouverte à la participation de nouveaux acteurs, notamment privés (Lascoumes 1994; Le Galès 1995; Le Galès et Thatcher 1995). Ces transformations auraient conduit à une déhiérarchisation de l’action publique et à des formes de décentrement de l’État qui ne serait .nalement plus qu’un « acteur comme les autres ». Dans ce contexte, l’environnement est alors considéré comme un « laboratoire où s’inventent en permanence de nouvelles formes de gouvernance » qui possèdent une « part incontestable d’innovation démocratique », notamment à travers l’émergence de dispositifs et d’instruments moins contraignants qu’incitatifs, horizontaux, basés sur la coopération et la participation de multiples acteurs (Theys 2003). Les politiques environnementales conduiraient alors implicitement à des formes de « démocratisation de la démocratie » (Massardier 2013). Notre ré!exion théorique interroge ces analyses. Elle est fondée empiriquement sur une vaste enquête de terrain menée au Costa Rica, dans le cadre d’un doctorat portant sur la politique incitative des forêts privées, et en particulier sur le programme de Paiement pour Services Environnementaux (PPSE), introduit en 1996. Objet d’analyse choyé par les chercheurs en économie environnementale (Zbinden et Lee 2005; Russo et Candela 2006; Sierra et Russman 2006; Wunder, Engel, et Pagiola 2008; Pagiola 2008; Arriagada et al. 2009; Cole 2010; Porras 2010) mais aussi par quelques travaux en économie institutionnelle (Muradian et al. 2010; Legrand, Froger, et Le Coq 2011; Le Coq et al. 2012; Le Coq et al. 2013), les PSE n’ont jusqu’alors peu intéressé les politistes. Dans la perspective d’un dialogue interdisciplinaire, cette communication cherche à la fois à mettre en avant les apports d’une analyse des PSE par la science politique et à justi.er les choix théoriques réalisés pour appréhender ce programme public Costaricien. L’enquête de terrain nous a permis d’observer deux décalages : d’une part entre les différents travaux sur les Paiement pour Services Environnementaux (PSE) et nos observations empiriques sur le PPSE Costaricien et d’autre part entre les analyses des chercheurs sur la « démocratisation » de l’action publique et le PPSE du Costa Rica. Souvent présenté comme un instrument de conservation innovant puisque basé sur le marché (MBI ), le PPSE est en réalité un programme composé de différents instruments incitatifs, dont certains .nancent des activités forestières productives comme l’établissement de plantations commerciales (PSE-Plantations) ou encore la gestion extractive quali.ée de durable des forêts (PSE-Gestion des forêts) même si d’autres soutiennent bien des activités de conservation (PSEConservation). Le caractère d’instrument de marché des PSE du Costa Rica a été longtemps revendiqué tant par les acteurs du programme que les chercheurs pour .nir par être remis en question (Le Coq et al. 2012; Fletcher et Breitling 2012; Matulis 2013). Créé par l’État au travers de ses pouvoirs législatifs (loi forestière) et exécutifs (règlement à la loi), le programme est essentiellement .nancé par des ressources étatiques d’origine .scale, mis en œuvre par une agence publique sous la tutelle du Ministère de l’environnement et fonctionne sur un modèle redistributif, ce qui l’assimile à des « subventions déguisées » (Fletcher et Breitling 2012). En s’inscrivant dans la trajectoire d’anciennes subventions forestières en vigueur avant 1996 qui se trouvent menacées par des accords avec le FMI, le PPSE innove moins qu’il renouvelle la politique publique en faveur des forestiers en ce sens qu’il traduit une nouvelle stratégie discursive pour préserver le soutien .nancier de l’État aux activités forestières (Le Coq et al. 2012). Le PPSE est un programme incitatif plutôt « classique », dont la gestion par l’État s’avère principalement centralisée, exempt de dimension participative et capturée par des coalitions d’acteurs élitistes, hiérarchisées et con.nées dans le sous-système des forêts privées (Massardier 2008), ce qui témoigne d’un second type de décalage entre le PPSE Costaricien et les travaux sur la « démocratisation » de l’action publique. Guidé par notre objet, un autre cadre théorique s’est progressivement imposé : la littérature sur les régimes politiques. En privilégiant une entrée par le policymaking (Camau et Massardier 2009) du PPSE, nous cherchons à in.rmer les thèses de la « démocratisation » de la démocratie en nous appuyant sur un concept clef : le « pluralisme limité » (Linz 1964) de l’action publique. Il renvoie à deux recompositions a priori contradictoires : d’une part, la multiplication des acteurs considérés comme pertinents dans l’action publique qui privent l’État du monopole de la fabrique du PPSE et d’autre part, l’existence d’espaces oligarchiques fermés et peu concurrentiels de décision, dont l’accès est limité par des processus de sélection et d’exclusion des acteurs (Le Naour et Massardier, Gilles 2013), ce qui conduit à l’établissement de monopole de certains groupes élitistes sur les espaces décisionnels, à des formes d’« insularisation des procédures de discussion » (Hermet 152 2004) et de déparlementarisation (Leca 1996; Massardier 2008). La régulation du PPSE peut ainsi s’apparenter à des formes d’« autoritarisme vert ». Les outils juridiques dans la gouvernance internationale des océans : retour au droit pour penser la fragmentation institutionnelle de l’action publique Frozel Barros N. Paris 1 Panthéon-Sorbonne Comment réglementer et réguler l’usage des ressources biogénétiques des fonds marins internationaux ? De l’OMC, au Programme des Nations Unies pour l’Environnement (Convention sur la Diversité Biologique), en passant par l’AG de l’ONU sur le droit de la mer (Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer, CNUDM), sont nombreuses les institutions « compétentes » qui essaient d’y répondre. Nous proposons de revenir sur ce phénomène de fragmentation institutionnelle dans la gouvernance de l’environnement sous la focale des outils juridiques internationaux, tout en croisant la sociologie politique de l’action publique et le droit. Notre « pari » empirique est de démontrer comment la fragmentation de la gouvernance environnementale internationale est conditionnée par le développement et des mécanismes propres au droit international tout d’abord, pour ensuite démontrer que ce phénomène crée des impacts à long terme dans l’appréhension des problèmes environnementaux. L’ambition méthodo-théorique est celle de revenir sur le droit, non pas dans le strict sens d’un objet d’étude, mais plutôt comme discipline pouvant nous offrir de nouvelles pistes d’analyses. Après avoir souligné brièvement certains outils et débats théoriques de la part des deux disciplines, nous exposerons notre étude de cas portant sur les négociations onusiennes quant à la réglementation des ressources biogénétiques en mers internationales. Pour ce faire, nous mobiliserons nos notes d’observation de deux cycles de négociations (2011, 2014), des entretiens et de la littérature grise des institutions étudiées. Dans un premier temps, nous traiterons de la fragmentation de la gouvernance à travers la question de la convergence des politiques publiques supranationales. Entre les théoriciens de la convergence (de normes, problèmes et représentation de l’action publique) et ceux de la traduction et du transcodage, nous partirons des travaux portant sur l’européanisation pour dresser un parallèle avec la scène internationale. Un décalage cognitif entre les acteurs du niveau « européen » (ex. Commission Européenne) et ceux des niveaux nationaux (ex. Ministères) serait à l’origine des traductions inégales ou de la non-convergence des politiques publiques entre les décideurs et les acteurs de la mise en œuvre. Or au niveau mondial, la fragmentation a lieu entre institutions plus autonomes, plus horizontales et moins centralisées que dans le cas européen. Nous voulons repenser les traductions inégales ou la non-convergence de la fragmentation horizontale. Si dans le premier cas, on observe, notamment, un décalage entre les niveaux de régulation (UE) et de mise en œuvre (État), nous allons expliquer le décalage cognitif de la fragmentation horizontale dans l’écart pris par l’« activité juridique » entre les différents forums institutionnels qui prétendent à une compétence sur l’affaire analysée. Dans cette perspective, nous étudions dans un deuxième temps le droit et le débat juridique sur la discontinuité des normes au niveau international (un débat parallèle à celui de l’action publique). Mettre les activités juridiques de chacune de ces institutions au centre du débat est pertinent dans la mesure où l’histoire de l’évolution du droit international nous apprend une tendance secondaire de fragmentation juridique (le relativisme) dans le mouvement général d’occidentalisation du droit (sous l’égide de « l’universalisme »). À l’image du !ou des politiques culturelles décrits par V. Dubois, ce relativisme entre les ordres juridiques (économique, humanitaire, etc.) serait ce qui rend possible l’existence même d’un droit international avec la supposition d’un universalisme, selon M. Delmas-Marty. Nous montrerons comment ce relativisme juridique théorisé par la science juridique se traduit dans notre regard politiste sous la forme, non seulement d’un produit de la compétition intra-institutionnelle pour la compétence sur une certaine affaire, mais surtout, sous la forme d’une spécialisation juridique nécessaire à la dynamique internationale fragmentant l’objet réglementé/gouverné. Le droit, en tant qu’outil universel, se fragmente en plusieurs outils stabilisés de gouvernance qui, quoique multipliant apparemment le champ des possibles, empêchent une appréhension intégrale de la question environnementale dans un scénario international décentralisé. Ainsi, dans un dernier temps, et en tenant compte de ces deux débats, nous présenterons notre objet de thèse : les négociations internationales de l’AG de l’ONU pour la réglementation de l’exploitation des ressources biogénétiques des fonds marins. Bien que la négociation soit, pour l’instant, centralisée au sein de l’AG, nous montrerons que les diplomates rencontrent des obstacles à réaliser leur tâche de réglementation découlant de l’instrumentalisation des ordres juridiques multiples et contradictoires entre elles, qu’ils mobilisent. En effet, nous constatons à quel point le processus de négociation est marqué par des discours changeants. Les « propatrimonialisation » des ressources biogénétiques se heurtent aux règles de brevetage (propriété intellectuelle) dictées par l’OMC. Il ne s’agit pas seulement de signaler le décalage cognitif entre OMC et CNUDM : le premier, bastion de la « loi du marché », le second, contenant le principe de Patrimoine Commun de l’Humanité. Il s’agit d’agrémenter cette approche propre à la sociologie de l’action publique en prenant sérieusement en compte les effets des ordres juridiques multiples objectivées tout au long de la négociation et qui semblent conditionner ces décalages cognitifs. Plus particulièrement, nous montrerons comment, dans le cas d’une négociation multilatérale, les diplomates instrumentalisent ces décalages d’ordre juridique comme des outils de négociation (blocage, contournement, renforcement de demandes) – plutôt qu’une compétition entre représentants d’institutions à discours cognitifs différents. La conséquence directe est la fragmentation de l’appréhension et du traitement des questions environnementales et biogénétiques. 153 Tout l’intérêt de cette approche interdisciplinaire est de démontrer comment la complexité des thématiques de l’environnement découle, aussi, de ce jeu d’adaptation des outils juridiques établis (ordres juridiques) à des nouveaux enjeux comme le vivant dans une zone internationale. Etudier les changements de l’action publique dans la gouvernance globale des ressources naturelles: le cas du secteur forestier Montouroy Y. Saint Louis Dans le cadre de l’axe 1 de l’appel, l’objet de cette communication est de présenter un exemple de grille d’analyse, construite en décloisonnant sociologie des relations internationales et sociologie de l’action publique, ses résultats et en.n les interrogations en découlant pour éclairer la construction collective de la régulation du secteur forestier mondialisé, et par là les dynamiques à l’œuvre lorsque sont étudiées les gouvernances de ressources naturelles strictement localisées. Les constats récurrents de la constante dégradation des écosystèmes forestiers, de leur dif.cile préservation et de leur gouvernance collective con!ictuelle posent de nombreux dé.s à l’action publique, que ce soit pour analyser la gouvernance globale (Smouts, 2001 ; Humphreys, 2006 ; Delmas et Young, 2009 ; Cadman, 2011) ou l’action publique locale (Knoepfel, 2001 ; Dupuy et Halpern, 2009 ; Sergent, 2010 ; Bouleau et Pont, 2014). Ainsi, que cela soit depuis la sociologie des relations internationales ou depuis la sociologie de l’action publique, la gouvernance – supranationale, transnationale et locale – des ressources naturelles donne à voir de multiples acteurs publics et privés en interaction sur plusieurs échelles autour de la dé.nition des risques avérés ou à venir et de la responsabilité des coûts à supporter (Petiteville, 2009) et ce, au sein des processus d’action collective, aux intérêts variés et con!ictuels (Shapiro, 1999 ; Boy et al., 2012). Dans ces conditions, la question centrale tourne autour des conditions à réunir pour impulser les changements nécessaires de politiques publiques a.n de protéger ces biens communs. Un autre constat tient précisément en la compréhension qu’offre la science politique de ces changements en cours. Pris séparément, ces deux sous champs apportent des théories, des analyses et des éclairages sur les évolutions à l’œuvre à travers les niveaux de gouvernance, depuis le local jusqu’au global. Pour autant, la gouvernance des ressources naturelles est dé.nie comme objet multiniveaux et multiscalaires à travers lesquels les acteurs de la régulation circulent pour valoriser leurs intérêts (Young, 2000 ; Carter et Smith, 2008). La gouvernance complexe de l’environnement ne permet plus aux acteurs de participer à distance mais les conduit à circuler à travers les échelles pour participer à chaque dé.nition des problèmes sectoriels et publics, au choix des instruments, anticiper sur les effets, jusqu’à être des acteurs de la territorialisation de l’action publique, et vice versa. Ainsi, la compartimentation de la discipline se heurte à l’étude de la régulation de l’accès aux ressources naturelles dont la valeur est tout à la fois dé.nie par des politiques internationales et des stratégies transnationales, des régulations sectorielles, des opportunités de marché et des contraintes locales ? Le renouvellent des perspectives, des hypothèses théoriques des des questionnements sur l’action publique est pensé ici comme un décloisonnement. La sociologie de l’action publique met en avant l’intérêt des approches institutionnalistes problèmes-instruments-effets dans lesquelles il s’agit de comprendre qui a participé, comment et pour gagner quoi dans la régulation du secteur (Lascoumes et Le Galès, 2004 ; Hassenteufel, 2011; Muller, 2012; Smith, 2013). Les approches fortement sociologisées de la gouvernance complexe des forêts mettent pour leur part en avant les interactions d’acteurs et le déplacement de la concurrence publique/privée à travers les niveaux de gouvernance (Bersntein et Cashore, 2012; Sabel et Zeitlin, 2012). Prises ensemble, elles permettent d’intégrer le triptyque analytique « acteur – territoire – instrument » pour analyser la problématisation, la politisation, la territorialisation et le choix des instruments publics. Fondés sur les résultats de notre thèse en science politique portant sur l’action des acteurs européens dans la régulation du secteur forestier mondial et de notre participation à l’ANR Circulex sur la gouvernance complexe de l’environnement, et sur une méthodologie qualitative, notre présentation visera à présenter la construction d’une telle grille d’analyse résolument néo-institutionaliste et constructiviste pour saisir les jeux d’acteur et le changement dans la régulation d’un secteur mondialisé. Quatre décennies de mises en économie de l'environnement : une chronologie et typologie faites à partir des rapports de l'OCDE, 1970-2010 Pestre D. EHESS Le but de ce travail (en cours) est de montrer comment l'environnement a cessé d'être un problème en soi à partir de la .n des années 1960 pour devenir un problème de gestion économique. Cela se fait dans le cadre de politiques publiques, les États et leurs diverses administrations étant centraux dans ce mouvement d'économicisation de la question environnementale. Ce travail décrira, pour quatre périodes, les outils privilégiés, les discours "théologiques" qui les accompagnent, et les mises en œuvre effectives, souvent plus politiques que marchandes. Il analysera en particulier le tournant des années 1980-90, moment capital de transformation et d'émergence d'un nouveau contrat social, d'un nouveau cadrage et dé.nition de l'objet, d'un mode de discours et de gestion des dégâts du progrès centré sur une hégémonie nouvelle articulée sur les grandes entreprises agissant pour le bien collectif par des engagements volontaires 154 et des marchés de droits, en alliance étroite avec de multiples ONG. Quand le vivant devient politique. Présence publique et recomposition de l'action publique Tournay V. Sciences po Quel que soit leur objectif, les interventions humaines sur le monde vivant suscitent des controverses qui mettent en cause les laboratoires utilisant la matière vivante à la base de leur activité. Les cellules-souches à .nalité médicale ou les plantes génétiquement modi.ées sont régulièrement évoquées. La prise en charge de notre condition biologique dé.nit une autre facette qui concerne la naissance, la sexualité, les personnes mourantes ou en proie à des situations dramatiques d’invalidités profondes. Aussi, les « politiques du vivant » sont-elles autant traversées par des polémiques relatives à la gouvernance des biotechnologies que par des enjeux liés à la médicalisation des populations. Les « politiques du vivant » dé.nissent un très bon laboratoire social pour expérimenter l’action publique et plus particulièrement les dynamiques institutionnelles. En effet, le cadrage des technologies relatives au vivant est par dé.nition beaucoup plus dif.cile à stabiliser que celui des matières inertes car les scienti.ques et les acteurs politiques font face à des entités qui prolifèrent, qui ne se reproduisent pas à l’identique et qui se transforment parfois de façon imprévisible. Par exemple, l’embryon est controversé parce qu’il peut être appréhendé comme le produit d’un avortement, il peut aussi incarner une solution dans le cadre de la mise en œuvre des procréations médicalement assistées, ou encore être à l’origine d’une prolifération de cellules souches. Il n’est pas rare d’assister à de fréquentes entreprises de requali.cation juridique lorsque ces objets biotechnologiques offrent des transformations qui s’échappent des cadres préalables dans lesquels elles étaient censées être contenues. Ainsi, les pratiques conduites sur ces produits biologiques s’avèrent passionnantes à étudier car elles n’arrêtent pas de déborder des cadres institutionnels dans lesquels les acteurs essaient, souvent en vain, de les enfermer. Il est frappant de constater que les technologies médicales fortement controversées et inscrites à l’agenda médiatique au milieu des années 1990 renvoient majoritairement aux techniques de procréation médicalement assistée, à la problématique du don d’organes, à la médecine génétique prédictive et à une alimentation adaptée à nos besoins « personnalisés » en matière de santé. Si ces questions demeurent aujourd’hui encore très présentes dans les esprits, elles forment néanmoins le théâtre de recompositions thématiques, défaisant et rassemblant de nouveaux faisceaux de questionnements. On assiste aujourd’hui à d’autres modalités de présence publique des technologies du vivant. La traditionnelle démarcation entre les biotechnologies vertes, c’est-à-dire celles se rapportant au développement de plantes génétiquement modi.ées dans l’agriculture et l’alimentation, et les biotechnologies rouges relatives à la santé humaine, tend à s’estomper dans les représentations européennes. Si bien que la culture de plantes génétiquement modi.ées, de même que les promesses thérapeutiques liées à des protocoles de recombinaisons génétiques sont des sujets à haut niveau de risque « éthique » qui peuvent tout autant devenir la cible de contestations sociales. La préservation de la biodiversité intervient dorénavant comme un puissant leitmotiv de mobilisations sociales susceptible de s’adresser à la biologie médicale et aux sciences environnementales. À l’inverse de ces technologies développées sur ces dix dernières années, d’autres préoccupations collectives autour du corps semblent faiblement altérées par les transformations du paysage technologique au cours des décennies. Le premier code français de déontologie médicale écrit par Simon (1845) illustre un continuum de controverses depuis les premiers objets de la morale médicale jusqu’aux débats contemporains de la bioéthique. Les situations complexes autour des états de conscience altérés et des conditions de réanimation, dont les questionnements publics s’avèrent des constantes historiques, se trouvent régulièrement réactivées par des cas tragiques. Les présences publiques des technologies du vivant sont donc extrêmement contrastées et évolutives. Si on se place dans une perspective historique, on observe une évolution continue des modes de présence publique des technologies du vivant. Ce constat nous incite à examiner les technologies du vivant non pas sous l’angle de l’assemblage technique que chacun de ces agencements suppose, mais plutôt à suivre la multiplicité des modes d’existence corporels et de leur traitement politique. Cette communication ne vise pas tant à traiter de l’impact sociétal des technologies du vivant qu’à interroger les conditions de possibilités de leur présence publique. Quelles sont les activités de coordination ainsi que les dispositifs de quali.cation déployés par les acteurs pour constituer les technologies du vivant en un problème public et leur attribuer un caractère de bien commun ? Comment un assemblage matériel passe-t-il du statut restreint d’objet « privé » du laboratoire à celui d’objet largement controversé ayant une réalité publique ? Cela revient à nous interroger sur la ou les façons dont les acteurs glissent d’un régime d’engagement de proximité vers la poursuite d’enjeux de nature publique. Répondre à ces questionnements suppose d’inverser la démarche familière qui consiste à suivre l’élaboration des politiques publiques d’encadrement d’objets scienti.ques indiscutables en soi pour reconnaître au contraire que les certitudes fragiles et provisoires de la recherche s’ajoutent aux certitudes fragiles et provisoires de l’action publique. La dimension matérielle détient une bonne place, non seulement parce qu’elle éprouve des connaissances scienti.ques en constitution mais aussi parce qu’elle est à l’origine de coopérations nouvelles faisant intervenir des acteurs aux compétences diversi.ées. 155 Ecologie : quelle neutralité des sciences politiques ? Flipo F. Université Paris 7 Remarquons alors que la critique est à géométrie variable, en sciences. On peut être très engagé dans la cause des Intouchables en Inde et être un bon chercheur, on peut être engagé dans la cause des sans-papiers, des salariés etc. et être un très bon voire un excellent chercheur. Si ce n’est pas l’engagement en tant que tel, alors qu’est-ce qui fait que le travail sur l’écologie, ou sur le féminisme, se trouvent stigmatisés ? L’exemple de Bourdieu et de centaines d’autres moins connus le montrent, l’engagement est inévitable, pour autant qu’on le prenne au sens large d’un intérêt pour un objet. Ce n’est pas pour autant que l’on va confondre le travail du chercheur (exposer des faits indubitables de l’expérience) avec celui du militant (convaincre de l’importance d’une cause). D’ailleurs le militant le sait bien. Les rapports entre militantisme et recherche sont donc plus complexes qu’ils n’y paraissent. Venons-en à l’écologie. On évoquera dans la communication deux aspects particuliers. Un premier problème particulier que pose ce sujet est que les faits dont le militant veut témoigner sont attestés par les sciences naturelles, et non par les sciences sociales. Un second problème particulier est la portée des faits dont attestent les militants écologistes, en termes sociaux et politiques. Le problème que pose la portée est particulier en ce qu'il s’inscrit dans l’avenir, or la science dans sa démarche la plus rigoureuse est empirique et il n’y a donc science que du passé. 156 ST 28 : Participation publique, professionnalisation et diversi-cation Conduire le dialogue avec les citoyens ou institutionnaliser un nouvel acteur des processus décisionnels ? Procéduralisation du débat et professionnalisations des commissions particulières du débat public en France Fourniau J. IFSTTAR En onze ans d’existence en tant qu’autorité administrative indépendante (2002-2013), la Commission nationale du débat public (CNDP) a organisé elle-même 68 débats, chacun conduit par une commission particulière du débat public (CPDP) comprenant de 5 à 7 membres nommés par elle, et s’appuyant sur une équipe technique de taille comparable, recrutée par le président de la commission particulière. Ainsi, près de 350 membres d’une CPDP et près de 150 secrétaires généraux et chargés de mission composant les équipes techniques, ont donné consistance à cette « expérience française de démocratie participative ». Ils constituent une importante population de spécialistes du dialogue avec les citoyens, la seconde en importance, que l’on compare les membres de CPDP à la vaste population des commissaires enquêteurs, ou les équipes techniques à celle, croissante, des « chargés de participation » des collectivités territoriales. C’est à l’analyse, jamais entreprise, de cette population qu’est consacrée cette communication a.n d’éclairer le processus de professionnalisation du débat public qui est au cœur de son institutionnalisation. Trois points seront examinés. En premier lieu, l’examen des caractéristiques sociodémographiques des membres de CPDP, si on les compare aux commissaires enquêteurs, indique que l'institutionnalisation du débat public a créé un nouveau type de volontaires spécialisés dans le dialogue avec les citoyens, ce qui con.rme la rupture qu’introduit le débat public dans l’histoire longue de l’utilité publique en France. En effet, il s’agit d’une population plus jeune, comptant peu de retraités, plus fortement issue du secteur privé et comprenant, parmi les agents publics, une forte participation d’universitaires. Cependant, malgré ce renouvellement des pro.ls, le mode d'institutionnalisation de la CNDP et le mode de recrutement des présidents et membres des CPDP n'ont pas favorisé la diversité sociale du recrutement. Rares sont ceux qui n’ont pas atteint un niveau universitaire avancé, alors même qu’un des rôles premiers d’une commission est de s’assurer de la lisibilité du dossier du maître d’ouvrage par tous les citoyens… En ce sens, les membres de CPDP ne sont pas plus semblables au « grand public » auquel ils s’adressent et donnent la parole qu'aux hommes politiques. En second lieu, cette distance sociale vis-à-vis des citoyens ordinaires n’est pas sans conséquence sur la conception que les commissions ont de leur activité. L’attention aux outils de communication cherche, par exemple, à combler ce décalage. Celui-ci a également favorisé la forte procéduralisation du débat, conduisant aujourd’hui à une dif.culté à innover et à faire face aux nouvelles situations de contestation du débat lui-même. Mais la procéduralisation du débat a également joué pour les Commissions, beaucoup moins expérimentées que les équipes de concertation des grands maîtres d’ouvrage, d’instrument d’af.rmation de leur indépendance vis-à-vis du maître d’ouvrage. Le débat est ainsi conçu comme se déroulant entre trois acteurs : le maître d’ouvrage, la commission et le public, la commission ayant à construire la « bonne » distance vis-à-vis des deux autres acteurs.. En dernier lieu, les modalités de recrutement de membres s’investissant dans le débat en tant que procédure formalisée, a favorisé la « professionnalisation » de cette activité volontaire et quasi-bénévole. La reconduction des mêmes membres dans plusieurs CPDP ayant le même président et, plus fortement encore, des mêmes équipes techniques, est devenue courante. Cette « professionnalisation » a favorisé la diffusion, et .nalement la domination, de règles de fonctionnement du débat public liées aux conceptions de quelques présidents. L’institutionnalisation du débat public crée donc un nouvel acteur des processus décisionnels, la CNDP et ses déclinaisons par projets, les CPDP. Mais la procéduralisation du débat procède moins de la loi qui a créé le débat public que des pratiques des Commissions, fortement dépendantes des caractéristiques de leurs membres et de leurs modes de recrutement. Le rôle de représentants au sein de comités de concertation Fortier J. Université du Québec à Trois-Rivières La concertation compte parmi les modalités utilisées en participation publique. Elle incarne une réalité sociopolitique d’importance à propos de laquelle il existe des sources théoriques et un savoir empirique accessibles. Toutefois, en dépit des ouvrages sur le sujet et d’une multiplication de sa pratique en des lieux et contextes divers depuis les années quatrevingt, la signi.cation de la concertation demeure !oue tant au plan théorique que pragmatique. Deux caractéristiques apparaissent néanmoins universelles à toute concertation. De une, elle se concentre sur la discussion et le débat entre acteurs réunis autour d’un projet commun. De deux, elle est rarement ouverte à l’ensemble des acteurs d’une collectivité. La concertation s’avère, de façon générale, du registre de la représentation collective : qu’elle soit élective ou associative. La participation à ce processus se fait rarement à titre individuel. Les gens sont surtout convoqués en raison de leur appartenance à un groupe ou de leur statut organisationnel. La nature même de la concertation, par le pouvoir et l’espace qu’elle consent aux participants, en fait un dispositif qui ne peut être ef.cace qu’en réunissant une 157 minorité d’acteurs ciblés. La clarté du rôle de représentation apparait ici centrale. La confusion dans la participation s’installe, entre autres, lorsque l’on se questionne sur la représentation des acteurs réunis (Bochel, 2006). Qui représentent-ils? Quel est leur mandat à titre de représentants? À quel point sont-ils représentatifs? Une clarté du rôle de la représentation peut affecter positivement l’engagement des acteurs et les résultats du processus tel que le spéci.e Bochel (2006: 17) : « […] more consistent use of clear guidelines at the outset might help reduce confusion and increase the chance of positive impacts for those involved and for policy outcomes ». Cette auteure insiste sur l’importance d’informer les participants sur les raisons de leur participation, d’en dé.nir les limites et de déterminer les attentes face à leur participation et leur représentation. La question de la légitimité de la représentation est également posée par Parkinson (2003). Il questionne, tout comme Bochel, la représentativité des participants à la délibération ainsi que leur rôle. En référence au modèle de représentation de Catt (1999), il avance que la démocratie délibérative se base davantage sur le « trustee model » dans lequel le représentant dispose du pouvoir de décider au nom du groupe représenté en s’en tenant à sa propre perception, plutôt qu’au « delegate model » qui oblige le représentant à tenir compte des décisions du groupe représenté. Le modèle « trustee » caractérise davantage la délibération par la souplesse laissée au représentant qui lui permet de demeurer ouvert aux arguments des autres et à une évolution de sa pensée; principe central à l’approche délibérative. Cependant, dans une situation idéale, la représentation est considérée légitime lorsqu’elle correspond aux deux modèles : « Thus, the « better arguments » that persuade representatives within the deliberative forum should also convince those people outside it once they have been exposed to those arguments by their representatives in their own, separate deliberations » (Parkinson, 2003: 188). Young (2000: 127) partage cette vision, af.rmant que la fonction d’une représentation légitime consiste à exercer un jugement indépendant tout en connaissant et en anticipant ce que les personnes représentées désirent. Cette auteure ne partage pas la vision de la représentation fondée sur la substitution ou l’identi.cation. La représentation politique devrait être pensée comme un processus engageant une relation de médiation entre les membres de l’assemblée, et entre le représentant et les représentés. Certaines représentations ne sont pas démocratiques, car les représentants ont cessé cette relation. Les représentants ne devraient pas seulement informer les représentés sur la façon dont ils mènent leur mandat de représentation; ils doivent surtout les persuader de la justesse de leur jugement (Young, 2000). En réponse à Mansbridge (2003), Rehfeld (2009) propose huit types de représentation basés sur trois éléments : 1) Aims (the good of all or the good of a part); 2) Source of Judgment (relies on their own judgment or relies on the judgment of others); 3) Responsiveness (less responsive to sanction or more responsive to sanction). Selon cet auteur, le débat « trustee/delegate » accorde, de façon erronée, une place centrale à la notion d’autorité et délaisse ces trois éléments pourtant fondamentaux. Le principal enjeu selon l’auteur n’est pas de savoir qui a l’autorité de décider, mais plutôt de savoir qui a l’autorité de décider de quelle façon les décisions doivent être prises. Notre analyse s’inspire principalement des ré!exions de Catt (1999) et de Rehfeld (2009 et 2011) sur la représentation démocratique. Leurs modèles permettent de saisir et de mesurer les particularités et les caractéristiques de la représentation exercée, la nature du rôle, la qualité des relations et l’imputabilité. Deux études exploratoires ont été effectuées à partir d’entretiens semi-dirigées (Fortier 2009 et 2012). Les résultats de ces études ont permis de distinguer trois « temps » dans le rôle de représentant : avant (la procédure de nomination), pendant (la représentation exercée en comité de concertation) et après (type de suivi). Les résultats ont également permis de constater que divers modèles de représentation sont utilisés par les représentants dont le rôle et le mandat apparaissent souvent confus puisqu’ils n’ont pas été formellement dé.nis au préalable, ni par l’organisation, ni par les organismes représentés, ni par les membres du comité. L’approche de représentation prisée par les représentants des organismes et institutions du milieu participant à des comités de concertation se veut quasi spéci.que à chacun des acteurs. S’exerce alors une représentation hybride qui se dessine en cours de mandat et au .l des apprentissages. Commande publique participative et segmentation de la « nébuleuse participative ». Une étude des marchés publics de la participation française 1 Nonjon M., 2Mazeaud A. UAPV1, Université La Rochelle2 L'institutionnalisation et la professionnalisation de la démocratie participative ne semblent aujourd'hui épargner aucun secteur d'action publique. Le nombre de marchés publics renvoyant à des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage, d'animation ou d'évaluation de démarches participatives peut constituer en soi un indice de cette diffusion de la norme participative sur des secteurs aussi différents que l'aménagement, l'environnement, la politique de la ville, la santé, etc. Ces logiques de diffusion traduisent-elles pour autant la consolidation d'une norme participative commune et identique portée et outillée par les mêmes types de professionnels quelque soit les secteurs d'activités concernés ? C'est à cette question que nous nous proposons d'apporter des éléments de réponse en nous appuyant sur un matériau original et étonnamment peu étudié - les appels d'offre liés aux marchés publics de la participation - et la manière dont ces derniers renseignent la structuration du marché de la démocratie participative en France. Cette communication sera ainsi l'occasion de rappeler que loin de pouvoir être appréhendé comme le seul résultat de la production d'une commande publique participative par les collectivités (en particulier territoriales), le marché de la démocratie participative français est largement entretenu par l'existence des professionnels de la participation, et en premier lieu des prestataires privés, qui ont contribué à assoir la nécessité de la participation en fournissant argumentaires et méthodes. A ce titre, la procédure de marché public peut être analysée comme le principal point de rencontre entre l'offre et la demande, entre les prestataires et les maitres d'ouvrage. 158 Plusieurs dynamiques seront interrogées dans cette communication. Nous montrerons en quoi l'analyse des marchés publics de la participation renseigne autant l'extrême fragmentation du marché de la démocratie participative (local/national ; en fonction du type de procédure ; du type de prestation), l'intensité des concurrences qui s'y exercent que les logiques de standardisation des pratiques. Il s'agira ainsi d'étudier comment, dans la co-construction de la commande publique, des offres de prestations et des outils, se redistribuent les cartes des positions de dominants et de dominés sur le marché, se construisent des standards, des logiques de palmares chez les consultants comme au sein des collectivités. Bibliographie Champy (F.), 1999, « Commande publique d'architecture et segmentation de la profession d'architecte les effets de l'organisation administrative sur la répartition du travail entre architectes, Genèses, 37. Deffontaines (G.), 2012, « Les consultants dans les ppp : entre expertise au service du client public et intermédiation pour protéger le marché », PMP, 29. Gourgues (G.), 2013, Les politiques de la démocratie participatives, PUG. Lascoumes (P.), Lorrain (D.), 2007, « Les trous noirs du pouvoir. Les intermédiaires de l'action publique », Sociologie du travail, 49(1). Le Velly (R.), Bréchet (JP), 2011, « Le marché comme rencontre d'activités de régulation : initiatives et innovations dans l'approvisionnement en bio et local de la restauration collective », Sociologie du travail, 53 Linossier (R.), 2012, « Le conseil en stratégies et projets urbains : un marché atypique », PMP, 29/1. Mazeaud (A.), Nonjon (M.), Le marché de la démocratie participative. Institutionnalisation de la norme participative et transformation de l'action publique, Les éditions du Croquant, A paraître .n 2014. Quaderni, 2012, Produire la démocratie. Ingénieries et ingénieurs de l'offre publique de participation, n°79. La circulation du e-budget participatif au Brésil 1 Sa Vilas Boas M.-H., 1Nonjon M. Université d'Avignon1 En 2007, la municipalité de Belo Horizonte recevait le prix « Bonnes pratiques en participation citoyenne », décerné par l'Observatoire International de la Démocratie Participative, pour son budget participatif (BP) réalisé exclusivement en ligne. Le BP numérique circule depuis lors sur le territoire brésilien et une dizaine d'expériences ont été recensées depuis le début des années 2000. Bien que la notion de BP numérique recouvre une diversité de design et de pratiques, une certaine standardisation est observable autour d'un modèle, celui que Rafael Sampaio nomme « participe en présence, vote en ligne »1. Celui-ci comprend une phase de délibération en face-à-face et une procédure de vote, réalisée exclusivement en ligne. Cette communication vise à analyser le processus de circulation du BP numérique au Brésil. Plus précisément, nous présenterons une étude en cours, menée dans le cadre du projet Tr@nspolo (université d'Avignon), portant sur les acteurs œuvrant à la diffusion de ce dispositif et les conceptions de la participation qu'ils promeuvent. Alors que le modèle « original » du budget participatif a parfois été considéré comme l'idéal type de la démocratie participative, comment et pourquoi ce dispositif a-t-il fait l'objet d'une traduction numérique, partielle ou totale ? Quels sont les effets de la technicisation du BP sur le champ de la démocratie participative ? Nous nous appuierons sur l'étude du design et sur l'analyse de la trajectoire des promoteurs de trois BP numériques (Belo Horizonte, Porto Alegre et Etat du Rio Grande do Sul) a.n d'explorer deux hypothèses. La première est que la promotion du BP numérique est assurée par des acteurs partiellement distincts de ceux qui valorisent le BP traditionnel. Alors que les organisations du mouvement social et certains acteurs politiques ont joué un rôle de premier plan dans le processus de création et la circulation du modèle initial, la diffusion du BP numérique semble plutôt être le fait d'acteurs disposant de compétences techniques, en particulier de spécialistes des nouvelles technologies engagés par les administrations locales. La seconde hypothèse est que la technicisation de la démocratie participative conduit à une évolution des objectifs qui justi.aient initialement le BP. A Belo Horizonte, la création du BP numérique est allée de pair avec une redé.nition du public visé - les milieux populaires étant moins la cible privilégiée que dans le BP traditionnel - et des formes de participation – le vote individualisé se substituant à la délibération collective autour des priorités d'investissement. Plus généralement, l'on se demandera si l'adoption d'outils participatifs numériques alimente un processus de professionnalisation de la démocratie participative au Brésil. 159 Quelle participation publique ? Les dispositifs québécois en environnement et en urbanisme 1 Simard L., 2Bherer L., 3Gauthier M. Université de Montréal2, Université d'ottawa1, UQO3 L’objectif de cet article est de s’interroger sur la variété des dispositifs participatifs et leurs modalités a.n de proposer une synthèse. Jusqu’à maintenant, les études sur la participation publique se sont principalement penchées sur la dynamique interne des dispositifs de participation publique ou leur contexte immédiat de mise en œuvre. La complexi.cation du domaine de la participation publique et la multiplication des espaces et dispositifs exigent toutefois de passer d’un cadre d’analyse qu’on peut quali.er de « monographique » à une analyse plus transversale qui permette d’étudier dans une perspective plus large la portée et la diversité. En d’autres termes, l’article souhaite contribuer à l’étude des instruments participatifs (IP) dans deux secteurs proli.ques, celui de l’environnement et de l’urbanisme, dans la mesure où ils apparaissent comme des références et participent à l’encadrement de la gouvernance en laissant voir une certaine conception du citoyen, un type de participation et du degré d’in!uence sur l’action publique. L’histoire d’un Comité de bon voisinage : Le chantier du Centre de santé de l’Université McGill 1 Vandermeulen C., 2Bornstein L. Hafencity Univserity1, McGill University2 En 2010, le Centre Universitaire de Santé McGill (CUSM), responsable du développement d’un nouveau mégacampus hospitalier, décida de mettre sur pied un forum d’échanges sur le chantier de construction de ce dernier. Avec trois autres partenaires - la Ville de Montréal, l’Arrondissement de Notre-Dame-de-Grâce/Côte-des-Neiges et le Groupe Immobilier de Santé McGill - on développe un « Comité de bon voisinage », ayant recours pour la première fois à Montréal à ce mécanisme communautaire ouvert au public pour discuter avec les riverains des questions entourant le chantier de construction jusqu’à l’ouverture du Centre en 2015. Établissant une nouvelle forme de « participation » au chantier de construction, le CUSM ne se contente pas de l’usage ordinaire de communiqués aux riverains émis par la poste ou par l’entremise des médias sociaux. Il souhaite à chaque rencontre discuter des éléments portant sur les travaux des prochains mois. La Ville de Montréal pour sa part avance ce mécanisme de participation, car l’expérience a démontré que les procédures habituelles pour les chantiers plus restreints ne suf.sent pas dans le cas des mégaprojets de longue durée. Les réactions riveraines manifestées témoignent de la dif.culté de réunir de multiples acteurs locaux, régionaux et provinciaux autour d’une même table – dont certains sont notamment absents. Le modérateur professionnel peine à restreindre la discussion aux travaux à venir. Les riverains veulent participer à la plani.cation du chantier, au projet, et apportent bien d’autres questions à la table. Le Comité de bon voisinage inaugure une forme de dialogue qui se renouvelle déjà avec d’autres mégaprojets. À travers la courte histoire de ce comité nous proposons d’examiner : (a) le rôle des riverains et des acteurs professionnels ; (b) le déroulement de la discussion et les thèmes visés par les uns et par les autres ; (c) la qualité de la participation des acteurs ; et (d) l’impact du comité sur la prise de décision à l’égard du nouveau campus de santé. Participation traditionnelle et participation en ligne dans le débat public urbain : pratiques, logiques et perspectives? Éléments de réponse et de cadrage à travers le cas de la politique de consultation publique de la Ville de Québec Mericskay B. Rennes 2 Le recours aux dispositifs en ligne par les autorités territoriales a.n de mettre à disposition diverses informations ou de permettre aux citoyens de s’exprimer sur les projets urbains s’est généralisé en quelques années. Avec le développement exponentiel d’Internet et l’émergence du Web social (Web 2.0), les modalités de communication des autorités autour des projets urbains autant que les formes d’engagement des citoyens au sein des processus de plani.cation participative sont en pleine mutation (documentation en ligne, mise en place de sites Web, concertation en ligne, utilisation des réseaux sociaux). Et de manière générale, l’appropriation grandissante des TIC tant par les élus, les praticiens que la société civile (citoyens, associations) participe activement à transformer les métiers de l'urbain en opérant des modi.cations sur les formes d'échange du savoir et de l'expertise dans les processus de gestion et de plani.cation des villes. Toutefois dans les faits, cette généralisation de la mobilisation des dispositifs en ligne dans le cadre du débat public au même titre que l’appropriation des outils du Web social par des organismes locaux n’est pas forcément synonyme d’une plus grande ou d’une meilleure participation citoyenne. D’une part, la plupart des maîtres d’ouvrage et des collectivités qui décident de mobiliser Internet dans le cadre de débats publics se limitent à des démarches timides et essentiellement informatives. D’autre part, le recours à ses nouveaux outils par les différentes parties prenantes renvoie bien souvent à des logiques de communication, de marketing voire de contestation, et ce au détriment d’une réelle participation publique basée sur l’échange, le dialogue et le consensus. Et de manière générale, Internet est avant tout envisagé et mobilisé par les autorités, les organismes et les citoyens comme une source d’information et un média de communication et très peu en tant que sphère virtuelle du débat public. En s'appuyant sur les résultats d'une recherche doctorale de quatre années (basée notamment sur l'observation des 160 pratiques numériques des acteurs du débat public urbain de la Ville de Québec), cette communication a comme ambition de faire le point sur les dispositifs de participation en ligne (formes, acteurs, logiques, tendances) et de mettre en perspective cette utilisation grandissante avec les formes traditionnelles de participation citoyenne. Articulée autour de trois parties, notre communication a pour objectif : (1) de faire un tour d’horizon des pratiques numériques actuelles en matière de participation publique ; (2) d’expliciter plusieurs thématiques à enjeux sur la question de la participation en ligne ; et (3) de proposer une synthèse et de mettre en perspective la question des interactions entre dispositifs traditionnels et dispositifs numériques. Il s’agira dans un premier temps de présenter les formes d'usages actuels d'Internet par les parties prenantes de l'action publique (autorités, organismes et citoyens) en prenant comme exemple le cas de la Ville de Québec. Nous présenterons ainsi : (1) les dispositifs institutionnels (sites Web, consultation en ligne, médias sociaux) ; (2) les formes d’appropriation d’Internet par les organismes locaux à l’image des conseils de quartier et des comités citoyens (sites Web, blogues, réseaux sociaux) ; et (3) les usages numériques des citoyens dans le cadre de leur implication dans la vie de leur quartier et de leur ville. A la suite de ce tour d’horizon des pratiques en ligne actuelles, nous présenterons certains résultats de la thèse en développant plusieurs problématiques contemporaines sous-jacentes à la question de la participation en ligne. Il sera notamment question de la représentativité en ligne (incapacité à mobiliser au-delà des personnes habituellement présentes dans les procédures ordinaires), des formes et des logiques du débat public sur Internet (conception limitée de la discussion en ligne selon des logiques non dialogiques et discursives sans véritables délibérations et consensus), du rôle et de l’intérêt des réseaux sociaux (outils de communication qui par nature ne peuvent supporter un véritable débat), et de la question de la surabondance de l’information institutionnelle (laquelle ne vient pas encourager la participation, bien au contraire). Finalement, il sera question des interactions entre dispositifs numériques et dispositifs traditionnels. Nous développerons ainsi le fait que même si Internet dispose d’un potentiel considérable, il ne vient pour l’instant que compléter les instruments traditionnels de participation publique. Il est en effet clairement apparu au cours de notre étude que l’hybridation de tous les supports et de tous les modes d’expression permet aux citoyens de prendre part au débat le plus diversement possible sur les sujets qui vont les intéresser. Nous présenterons en ce sens les risques de dérives liés au « tout numérique » par le biais d’un exemple concret de consultation en ligne, lequel est assez révélateur des limites que connaissent ces nouveaux outils en termes de participation citoyenne. Nouvelles technologies et consultations citoyennes : quelle contribution à la gouvernance globale du développement durable ? Sénit C. VU University Amsterdam / Iddri Sciences Po Plaçant les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) au cœur de leur dispositif, d’innovants mécanismes de consultation citoyenne !eurissent aujourd’hui dans le cadre des négociations internationales sur le développement durable. De par leur créativité méthodologique, les Dialogues du développement durable de Rio+20 ont marqué le début d’une nouvelle ère pour la participation de la société civile, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour la démocratisation de la gouvernance globale du développement durable. En prenant l’exemple des Dialogues de Rio+20, cet article vise à analyser les effets de l’utilisation des NTIC sur la légitimité des consultations citoyennes et leur in!uence sur les négociations internationales. Nous procédons en trois temps. Premièrement, nous conceptualisons la légitimité, dé.nissons ses principales variables – l’inclusion, la transparence et la redevabilité – et examinons les effets de l’utilisation des NTIC sur chacune d’entre elles. Deuxièmement, nous étudions l’in!uence des consultations citoyennes en ligne sur les négociations internationales, et nous demandons dans quelle mesure le niveau observé d’in!uence peut être corrélé au degré d’inclusion de la consultation. Nous avançons que si l’utilisation des NTIC dans les processus participatifs constitue un levier important pour disséminer l’information et mobiliser la société civile au-delà des réseaux institutionnalisés, plusieurs facteurs, dont les ressources et la temporalité des consultations, biaisent la participation, réduisent son in!uence sur les négociations, et atténuent par là même la capacité de ces nouvelles méthodes participatives à démocratiser la gouvernance globale du développement durable. Cependant, en stimulant l’échange d’informations et la discussion, les consultations en ligne permettent à la société civile de renforcer ses capacités, de développer de nouveaux partenariats, et d’améliorer la compréhension mutuelle, autant d’effets indirects à même d’accroitre l’in!uence des acteurs de la société civile sur les négociations internationales. Troisièmement, nous proposons des recommandations visant à améliorer la légitimité des consultations citoyennes en ligne et leur in!uence sur les négociations internationales dans le domaine du développement durable. 161 ST 29 : Quelle place pour l’histoire dans la philosophie politique normative ? John Rawls, historien de la philosophie politique ? Desmons O. Lille 3 Lorsqu'on tient John Rawls pour l'un des penseurs les plus marquants de la philosophie politique contemporaine, c'est, le plus souvent, pour son œuvre normative. Théorie de la justice, dit-on, revient à des considérations normatives, après la longue domination des questions méta-éthiques. La démarche contextualiste de Rawls – il se donne pour objectif de dé.nir des principes valables ici et maintenant – contribue également à déconnecter la pratique de Rawls de l'histoire de la philosophie politique. Cette façon de concevoir l'œuvre de Rawls n'est pas dénuée de pertinence. Il faut néanmoins remarquer, comme l'indique la publication des Lectures on the History of Political Philosophy, que Rawls n'a cessé de s'intéresser à l'histoire de la philosophie politique. Faut-il n'y voir que l'effet de ses obligations d'enseignement ? Ou s'ouvrir à l'hypothèse selon laquelle l'histoire de la philosophie jouerait un rôle important dans la pensée normative de Rawls ? Je soutiendrai que, si Rawls ne doit sans doute pas être considéré comme un historien de la philosophie politique, il développe une pratique originale de l'histoire de la philosophie politique. Cette pratique repose sur l'idée que s'il est possible d'apprendre quelque chose sur les auteurs qu'on lit (learn about), on doit également chercher à apprendre quelque chose d'eux (learn from). Si cette façon de procéder pose un certain nombre de problèmes herméneutiques, notamment celui de la projection, elle donne aussi à voir un exemple de pratique philosophique de l'histoire de la philosophie, qui met à mal l'opposition entre histoire de la philosophie et philosophie normative. La philosophie politique normative peut-elle répondre au défi historiciste ? Hamel C. Université libre de Bruxelles La philosophie politique normative peut-elle sans contradiction se positionner dans une tradition de pensée ? Cette question est problématique parce que d’un côté, elle doit maintenir l’indépendance de ses énoncés à l’égard de l’histoire : une telle indépendance est en effet nécessaire pour que le critère de validité de ses énoncés demeure une évaluation normative et non un débat historique. Mais, d’un autre côté, parce que l’essentiel des notions qu’elle mobilise pour en faire des concepts ont de fait une histoire, la philosophie politique normative se positionne aussi, presque toujours et plus ou moins fermement, dans une tradition de pensée intellectuelle. Cette communication propose d’illustrer ce problème et d’y apporter quelques éléments de réponse. (i) D’abord, en reconstruisant le dé. historiciste, lancé par Quentin Skinner et adressé non seulement à ceux qui s’appuient sur des auteurs du passé pour élaborer leur philosophie politique normative (Skinner 2002a) mais également à ceux qui prétendent s’abstraire des débats historiques pour raisonner en termes strictement contemporains (Skinner 2002b ; 2002c). Il s’agira d’identi.er la spéci.cité de ces reproches adressés à ces deux attitudes, et de préciser le terrain sur lequel des réponses peuvent être apportées au dé. historiciste. La suite de cette communication présentera la façon dont plusieurs théoriciens politiques prétendant à l’autonomie normative de leur philosophie politique, ont néanmoins cherché à y ménager une place à l’histoire de la pensée politique. Mon but sera de montrer que cette volonté d’articuler un souci d’ancrage d’historique à une prétention à l’autonomie normative expose ces philosophies à des tensions. (ii) Tout d’abord, j’examinerai le poids considérable que joue l’histoire dans Political Liberalism de John Rawls : conscient que le désaccord raisonnable s’applique également à la raison philosophique, Rawls prétend que la base commune et nécessaire à l’existence d’une société suppose « l’examen de la culture publique elle-même en tant que fond partagé d’idées et de principes implicitement partagés » (p. 8 éd. angl). Or, Rawls caractérise cette culture publique par les institutions politiques d’un régime constitutionnel mais aussi par « les traditions publiques d’interprétation de ces institutions (y compris l’interprétation des institutions judiciaires), ainsi que les textes et documents historiques qui relèvent de la connaissance commune » (p. 13-4). Or, le problème soulevé par cette caractérisation est que chacun des éléments qui forment cette culture publique est l’objet de débats intellectuels in.nis, tant dans le discours politique public que dans le champ académique spécialisé. Autrement dit, la culture politique commune envisagée par Rawls ne fournit pas le terrain politique commun dont il a besoin pour défendre sa conception politique de la justice : il fournit davantage un champ de bataille intellectuelle et idéologique. (iii) Ensuite, j’étudierai la façon dont Jeremy Waldron a tenté à la fois de pendre en considération l’avertissement historiciste selon lequel la philosophie politique normative ne devrait pas négliger l’histoire de la pensée politique, tout en maintenant la nécessité d’une interrogation philosophique autonome (Waldron 1996 ; 1993). Ce double souci est net dans son ouvrage sur la conception théologique de l’égalité développée par Locke (Waldron 2002), conception que Waldron restitue a.n d’interroger des questions non questionnées par les égalitaristes contemporains. Or, si une telle démarche est effectivement susceptible d’enrichir, quoique de façon indirecte, la philosophie politique normative, il se 162 trouve que Waldron, en prétendant restituer la pensée de Locke, importe de façon indue des considérations étrangères à l’univers lockien (cf. Waldron 1999 ; Hamel et Roussin 2014), s’exposant ainsi à la critique historiciste mentionnée plus haut. (iv) En.n, j’étudierai la façon dont Philip Pettit cherche à maintenir d’un côté l’autonomie normative de sa philosophie politique républicaine (Pettit 2004, p. 11 ; 2012, p. 19), tout en prétendant ne faire qu’adapter et réélaborer certaines idées qu’il tire de la tradition républicaine (Pettit 2004, p. 35-75 ; 2012, p. 1-25 ; 2014, p. 1-27). La question n’est pas seulement de savoir si les éléments d’histoire de la pensée qu’il propose sont .ables historiquement, mais de savoir comment il justi.e cette articulation. (v) En conclusion, je tenterai de dégager, à la lumière des cas étudiés, les conditions auxquelles la philosophie politique normative peut prétendre faire une place à l’histoire sans ruiner ses prétentions normatives. L’usage de l’histoire dans la théorie normative des relations internationales : Raymond Aron et John Rawls Brice B. EHESS John Rawls, considéré comme l’un des principaux philosophes politiques normatifs, laisse une place inhabituelle à l’histoire dans The Law of Peoples (1999), même dans la première partie qui traite de la « théorie idéale ». Il doit en effet donner une certaine crédibilité historique au concept de « paix démocratique », emprunté à la théorie des relations internationales, car c’est ce concept qui fait de son Droit des peuples une « utopie réaliste » (§5). Pour étayer sa démonstration, John Rawls mobilise notamment la notion de « paix de satisfaction » qu’il trouve dans le traité de Raymond Aron sur les relations internationales, Paix et guerre entre les nations (1962). Aron occupe lui aussi une position particulière dans le champ de la philosophie politique : s’il fait une large place aux matériaux historiques dans son traité, il ne craint pas d’avancer simultanément des propositions normatives, ce qui lui a souvent été reproché. Il paraît donc possible de nouer un dialogue entre ces deux textes sur l’utilité du recours à l’histoire dans la philosophie politique normative, puisque le philosophe ne rechigne pas à s’appuyer sur les données historiques tandis que le sociologue ne craint pas de se servir des faits pour chercher ce qui doit être. John Rawls montre en quoi les sociétés libérales sont satisfaites (ce qui ne veut toutefois pas dire que chaque citoyen y est heureux), et comment cette satisfaction permet une paix réelle entre elles. Cependant, dans le texte original, Raymond Aron doutait qu’il soit possible d’instaurer une véritable « paix de satisfaction » ; pour cela il faudrait supprimer « ce qui a été l’essence de la politique internationale : la rivalité d’États qui tiennent à honneur et devoir de se faire justice eux-mêmes » (ch. VI). En se fondant sur l’étude de l’histoire des relations entre corps politiques, notamment sur le récit de Thucydide, Aron souligne la permanence de certains affects humains qui rendent peu probable une « paix de satisfaction », au premier rang desquels se trouvent « l’orgueil de régner » (ibid.). De son côté, le philosophe américain évoque bien la notion de pride dans son texte, mais il s’agit à chaque fois de caractériser les nonliberal peoples, qu’ils soient anciens ou contemporains ; selon lui, ces passions n’auraient désormais plus cours dans les sociétés libérales (§5). L’enjeu de cette communication sera de montrer que le recours à l’histoire se révèle un instrument indispensable pour toute élaboration normative. Assurément, en partant de la prémisse selon laquelle le désir de domination aurait disparu des sociétés libérales, John Rawls court le risque d’interpréter certaines expériences historiques dans le sens le plus favorable aux principes de son Droit des peuples. Par exemple, le philosophe américain, à propos des Burdened Societies, évoque les États non libéraux qui cherchèrent à imposer leur volonté sur l’Europe moderne : l’Espagne, la France, l’Autriche et l’Allemagne (§15). Sans doute est-ce négliger un peu vite l’audace conquérante de pays comme l’Angleterre et les Provinces-Unies qui dominèrent les mers à partir du XVIIe siècle. Même chose à propos des ÉtatsUnis : Rawls reconnaît que ce pays a pu renverser certaines démocraties naissantes, mais il af.rme que cela s’était fait à l’insu de l’opinion publique et reposait sur la défense de la sécurité américaine (§5). Or, Raymond Aron, comme un bon nombre d’historiens, aurait plutôt tendance à insister sur l’orgueil ou la démesure d’une nation qui serait prise par l’ivresse de la puissance. Notre thèse sera donc que l’étude attentive de l’histoire (les événements historiques aussi bien que l’histoire de la philosophie politique) a peut-être permis à Raymond Aron d’envisager un aspect des relations internationales qui n’apparaît pas dans le texte de John Rawls. En effet, bien que ce dernier auteur porte une grande attention à la notion de self-respect depuis son ouvrage de 1971, et qu’il veille, dans The Law of Peoples, à ce que l’amour-propre des États non libéraux ne soit pas trop blessé (§7), il ne semble pas porter attention aux motifs qui animent les grandes puissances libérales lorsqu’elles s’immiscent dans les affaires internes des autres États pour les réformer, lorsqu’elles entendent instaurer en.n une véritable « paix de satisfaction » ou lorsqu’elles remettent les « États hors-la-loi » dans le droit chemin. N’éprouvent-elles pas d’une certaine manière une immense .erté à l’idée que leurs sociétés jouissent seules d’une authentique liberté et d’un régime supérieur à tous les autres (ibid.) ? Peut-être l’étude de l’histoire dans la théorie normative des relations internationales permet-elle de prendre un relatif recul ré!exif par rapport à certains des présupposés de la philosophie politique libérale, notamment par rapport à l’idée selon laquelle l’ « orgueil de régner », évoqué par Aron, aurait désormais disparu. 163 Pourquoi l’histoire de la théorie politique n’est pas (encore) écrite? Simard A. Université de Montréal « History is subtle lore and it may lock us in the longest argument in a circle that one can imagine » (Herbert Butter.eld) Dans cette communication, j’aimerais éclairer de manière latérale la place de l’histoire en théorie politique — ou, à mieux dire, d’en repérer quelques usages possibles — en attirant l’attention sur la façon dont cette question s’est posée dans des disciplines parentes, au moment de leur institutionnalisation. Il s’agira, en somme, de proposer une mise en perspective historiques des usages de l’histoire (!) ayant cours dans notre discipline, en portant attention à la façon dont un style historiographique idiosyncratique peut servir non seulement à asseoir les fondements épistémiques d’une nouvelle discipline, mais aussi à dé.nir son ethos académique, ses agendas et son identité institutionnelle. L’essentiel de mon propos portera sur l’exemple de la science juridique en Angleterre, qui se constitue comme discipline universitaire à la toute .n du XIXe siècle, dans un effort désespéré de la part des juristes anglais pour rattraper la Rechtwissenschaft allemande. L’exemple est éclairant dans la mesure où il a donné lieu à une série de prises de positions sur la place que devrait occuper l’histoire dans le cursus et dans la méthodologie juridique en général. En dépit du prestige intellectuel dont jouissaient les partisans de ce qu’on appelait la « méthode historique » (Maine, Pollock, Maitland, etc.), les universités anglaises vont orienter leur enseignement vers une approche plus analytique, puisant à l’œuvre de John Austin. Plus précisément, je voudrais m’attarder à la ré!exion que Frederic W. Maitland, développe dans sa célèbre leçon inaugurale « Why the history of English law is not written » (1889). Maitland déplore que les juristes anglais, en dépit de la nature essentiellement « historique » de leurs objets, aient résisté de manière si opiniâtre à l’enquête et à l’érudition historiques, contrairement à leurs homologues allemands ou américains. Il suggère qu’une historiographie « endogène », à usage interne et orientée vers les besoins des praticiens, a empêché le développement d’une méthode historique sérieuse et a neutralisé tout travail de critique des sources. Tout se passe comme si le discours disciplinaire (celui des juristes, mais cela vaut aussi pour celui des philosophes et, par extension, des politologues) générait un récit mémoriel qui l’immunise contre les effets critiques et la perplexité induits par la véritable science historique. Il ne s’agit donc plus de plaider pour plus d’histoire, mais surtout d’interroger le style historiographique mobilisé par le nonhistorien, et la manière dont il est employé dans les disciplines connexes. Maitland s’attaque ici à l’archétype de l’histoire whig, et lui oppose l’idéal ascétique d’une histoire « totale » (sociale, économique, intellectuelle) du droit. Cette opposition demeure, chez lui, la contrepartie d’un libéralisme teinté d’ironie, se mé.ant des grands événements politiques, préférant trouver la liberté moderne (i.e. anglaise) « in what looks at .rst sight like a technical tri!e ». J’aimerais ensuite retracer la façon dont cette opposition à l’histoire whig a servi, chez les historiens des générations ultérieures, à dé.nir une posture radicale, visant non pas à rendre la science historique assimilable pour la théorie politique, le droit ou les sciences sociales émergentes, mais à la puri.er et en faire l’instance critique par excellence — d’où lui viendrait, paradoxalement, sa valeur inestimable pour la ré!exion politique. Je m’intéresserai tout spécialement à la manière dont ce paradoxe a été formulé d’abord par Hebert Butter.eld, puis par son élève, le jeune John G. A. Pocock. Dans The Whig Interpretation of History (1931), Butter.eld procède à un démontage systématique des tropes de l’histoire « monumentale », au pro.t de ce qu’il appelle la « technical history » — une historiographie de spécialistes, exigeante et axiologiquement neutre, bien que solidaire de la doctrine chrétienne de la providence. Quant à Pocock, il propose dans son premier ouvrage The Ancient Constitution and the Feudal Law (1957) une mise en lumière de le pluralité des « langages » historiographiques des juristes anglais et de leur dimension pragmatique, posant par-là la pierre d’assise de ce qui deviendra l’« école de Cambridge ». Les relations entre histoire et philosophie selon R.Aron Chapuis L. Paris IV L’œuvre d'Aron propose plusieurs outils pour traiter des relations entre histoire et normativité philosophiques. De « La philosophie critique de l'histoire » datant de 1934-1935, jusqu'aux « Leçons sur l'histoire » de 1972, les relations de la connaissance de l'histoire à celle du présent sont omniprésentes. Le premier outil est « épistémo-politique ». La question posée par Aron dans sa thèse est la suivante : « une science historique universellement valable est-elle possible ? ». Aron nous invite à ne pas dissocier théorie de la connaissance et théorie politique. Le second outil est général : il distingue plusieurs usages de l'histoire. Le premier usage du concept d'histoire relève d'une épistémologie de l'histoire, le second relève d'une philosophie de l'histoire. Ces deux usages ont chacun leur mot à dire sur la normativité. Le troisième est central : il répond à la question « que faire des théories politiques passées ? ». Dans l'article publié en 1964, intitulé « De la vérité historique des philosophies politiques », Aron traite du rapport entre passé et présent. La communication développera l'apport de chacun de ces outils. L'universalité, ceteris paribus, et l'anhistoricité des principes politiques est caduque : le sens dans lequel nous comprenons des principes universellement valables — par exemple la démocratie — varie dans le temps. Un système normatif formalisé échouerait en fait comme en droit puisqu'en politique, l'expérience scienti.que, contrôlée et reproductible, fait défaut : néanmoins, la philosophie politique 164 aronienne ne cède jamais non plus sur la priorité du problématique sur l'historique. Historicité et normativité du concept de gouvernementalité Mercure-Jolette F. Université de Montréal Cette présentation étudie le problème de la portée normative des travaux d'histoire de la philosophie en se concentrant sur les recherches sur la gouvernementalité, concept forgé par Michel Foucault dans ses travaux sur l'histoire des systèmes de pensée et des mécanismes de pouvoir et qui sera abondamment repris, notamment dans les « gouvernmentality studies » (Rose, Lemke). Dans « Nietzsche, la généalogie, l'histoire », Foucault af.rme que sa méthode se caractérise par « un certain acharnement dans l’érudition », a.n de problématiser, voire parodier, les idées reçues et « faire de l’histoire une contre-mémoire ». Loin des idées classiques faisant de l'histoire un livre d'exemples et de l'historien un chercheur de trésors oubliés (Skinner), la portée normative de la généalogie serait ainsi essentiellement négative : critique des universaux et historicisation irrévérencieuse des idées importantes de la tradition. Or, dans ses travaux plus tardifs, Foucault ouvre la porte à un sens plus positif. Se distinguant de la tradition analytique qui tente d'établir ici et maintenant les critères et conditions de possibilité des jugements justes, il soutient que ses recherches servent à une ontologie historique de nous-mêmes, c'est-à-dire à problématiser les limites du champ actuel des expériences possibles. Ainsi, leur normativité serait moins de l’ordre d’une série de recommandations impératives, que dans leurs effets indirects, dans le déplacement théorique et la re-description de nous-mêmes qu’elles produisent. La question de la portée normative du concept de gouvernementalité deviendrait alors celle de son potentiel narratif, c'està-dire de sa capacité à produire de nouvelles descriptions de soi-même qui rendent visibles de nouvelles problématiques. En étudiant l'utilisation et la réception du concept de gouvernementalité et en utilisant en partie le vocabulaire de Koselleck, nous analyserons son historicité, c'est-à-dire la manière dont il in!échit le champ de l'expérience et l'horizon d'attente et montrerons comment cet in!échissement peut être conçu comme un effet normatif. 165 ST 30 : La science politique entre indiscipline et discipline en postcolonie africaine Embargo sur la science politique et gouvernance barbare en Côte d’Ivoire Adjagbe M. Université d'Ottawa Le peuple ivoirien apparaît avoir le plus souffert de la transition démocratique en Afrique occidentale francophone. La Côte d’Ivoire a sombré dans le clash des autoritarismes après la longue gouvernance féodale de Félix HouphouëtBoigny. La césarienne du capitalisme monopoliste engendre un régime nativiste lorsque les forces sociales nationalitaires se sont emparées du pouvoir. La sourde oreille aux appels à la percée constitutionnelle, soutenue par une accumulation primitive institutionnalisée de la France, suscite la rébellion pro-Ouattara et la crise postélectorale de 2010. La violence politique est devenue le mode de gouvernance. Bien que la défaillance structurelle de l’état et le néolibéralisme disciplinaire soient pertinents, ces facteurs ne racontent pas tout le con!it qui structure la vie politique ivoirienne depuis la .n des années 1980. Sans ignorer ces facteurs, ma communication soutient que la dépendance de sentier et la désertion de la science politique des amphithéâtres en Côte d’Ivoire ayant renfermé le savoir en matière de gouvernance et d’accession au pouvoir dans les cercles des partis politiques souvent instruits par des marabouts en recyclage de vieilles idées ont fait !otter les gouvernants au dessus de la société ivoirienne. La communication en conclut que la réconciliation nationale et le désarmement des cœurs ne peuvent ignorer la réintroduction de la science politique dans les universités ivoiriennes. La science politique entre indiscipline et discipline en post colonie africaine Chouala Y. Université de Yaoundé 2 Le paradigme du « pacte colonial » apparaît comme une disposition structurante qui rend compte de la situation de l’Afrique dans l’univers historique de la production des connaissances, de l’accumulation et du partage des savoirs et de la circulation internationale des idées. Une esquisse généalogique de la modernité scienti.que africaine révèle qu’en ses fondements baptismaux se trouve le pacte scienti.que colonial qui structure ses logiques, détermine ses aspirations et oriente ses trajectoires et résultats. Il s’agit, dans le monde scienti.que africain, de ce qu’on pourrait appeler, suivant une formule nietzschéenne, une séquence de l’histoire monumentale du continent ; c’est-à-dire celle qui fait de l’effet en tout temps et en tout lieu. C’est donc dire qu’aussi bien le savoir africain que l’Afrique dans le savoir mondial est structurellement marquée du sceau du colonialisme qui marque les courants de pensée les plus importants à l’instar du post-colonialisme et de l’afrocentrisme. L’Afrique dans le savoir mondial reste largement régie par le « pacte scienti.que colonial » où prédomine une logique du savoir de traite ; logique qui l’intègre dans ce marché du savoir à partir de la perspective d’un comptoir d’accès aux matières premières scienti.ques brutes (cultures, mythes, croyances, religions) destinées à la transformation en produits intellectuels .nis, en modèles de connaissances par les autres centres d’études et de recherche occidentaux. L’Afrique fournit les matières premières scienti.ques pour les laboratoires occidentaux. L’on est sans doute ici au fondement de la relation inégale entre l’Afrique et le reste du monde constitutive du syndrome dé.citaire structurel de l’émergence et de l’af.rmation du continent noir à la pleine maturité scienti.que. Il s’ensuit que, historiquement, les contextes de collaboration scienti.que ont été ceux de la dépendance de la domination et de la marginalisation ayant procédé à la structuration d’une relation spéci.que de l’Afrique au savoir mondial. Cette contribution voudrait replonger dans cette longue marche de l’interaction scienti.que entre l’Afrique et le Nord en cette ère de la nouvelle raison du monde marquée par la mondialisation néolibérale dont le substrat philosophicopolitique est d’organiser le monde suivant le principe universel de la concurrence. La mondialisation peut-elle changer la posture historique de l’Afrique vis-à-vis de la production des idées ainsi que le modèle traditionnel de la circulation des connaissances entre l’Afrique et le Nord ? Peut-il y avoir de coproduction scienti.que possible dans un contexte d’inégalité structurelle des infrastructures scienti.ques et de la formation des chercheurs ? Il s’agit de voir si le dialogue des savoirs entre l’Afrique et le monde peut sortir de la lutte perpétuelle entre le savoir occidental dominant et la revendication d’une reprise de l’initiative en matière de production des connaissances sur soi se projetant soit sous le mode radical du « retournement copernicien a.n que l’Afrique tourne autour d’elle-même et pour elle-même » ; d’une strangulation des épistémologies dominantes constituées sur le continent ; soit sur le mode modéré et réaliste de partenariats innovants d’échanges mutuels d’expériences et des savoirs. La science politique entre indiscipline et discipline en postcolonie africaine Belomo Essono P. Université catholique d'Afrique centrale La question de la science politique se pose en Afrique en termes de démarcation d’avec le politique. Les ambitions de « totalisation » des pouvoirs politiques continuent de marquer l’in!uence du politique sur la discipline et ses acteurs. L’instrumentalisation de la science politique procède d’un triptyque dans son ordre de déploiement. Elle s’inscrit primo 166 dans une perspective d’arrimage scienti.que avec la Raison occidentalo-centrée qui réfute une déconstruction et un questionnement scienti.que autre que sa propre objectivation et sa construction de la réalité scienti.que, politique et sociale. Toutefois, si la science politique en Afrique s’édi.e dans l’universalisation de la pensée, elle s’autonomise et tente de produire un discours scienti.que singulier. Secundo, l’instrumentalisation de cette discipline est l’œuvre du politique dont les ressorts sont liés à la capture de toutes les forces centrifuges et centripètes avec pour but de les inscrire dans l’espace de domination politique. Tertio, le discours scienti.que sur le politique contribue à la légitimation du pouvoir politique. La politique, objet de cette discipline procède à son assimilation au point où la distanciation entre pensée du politique et production de la science devient ténue. Le système af.nitaire entre le politiste et le politique conduit à une légitimation du pouvoir autoritaire. La stratégie politique consiste à dévoyer et à transformer l’essence du propos scienti.que a.n de l’introduire dans un éthos politique dont la rationalité est aux antipodes du fondement et de la téléologie de la science. Au demeurant, la dialectique entre légitimation des pouvoirs et production d’une rationalité scienti.que permet d’interroger la construction et les avancées de cette discipline dans cette sphère. La Science Politique entre technologies pratiques de gouvernement et savoir scientifiques : les errements des sciences du développement au Cameroun Ngwe L. Fondation Maison Science de l'Homme Le savoir scolaire, particulièrement les certi.cats sociaux qui l’attestent (diplômes, titres…) se prête à tous les usages sociaux dans différents champs. Il autorise une prise de parole légitime dans les champs scienti.que et académique, politique et médiatique sans pour autant qu’aucune distinction ni séparation en termes de posture, d’usages ne soient introduites. Cependant, tous les savoirs, notamment issus des différentes disciplines académiques ne sont pas concernés au même degré. En effet, la science politique s’illustre particulièrement dans ces différents usages. Considérée comme un savoir de gouvernement et propulsée autant que le droit à cette fonction au moment de la constitution de l’État, la Science politique n’a cessé d’entretenir un rapport ambigu avec l’action politique. Et ses usages dans les différents champs oscillent entre des formes de technologies pratiques de gouvernement et un savoir scienti.que, mais dont le point de rencontre de ces différents points de vue et postures est leur utilisation directe et indirecte dans l’action politique. Ce positionnement de la Science politique et de ses acteurs est particulièrement réactivé et visible à toutes les séquences qui scandent la vie politique du pays. Cette contribution entend rendre compte, à partir d’une analyse croisée des prises de position des politistes, particulièrement des universitaires, de leurs pratiques, de leur trajectoires professionnelles ainsi que de leurs productions scienti.ques et intellectuelles, les rapports ambigus au pouvoir politique que charrie le savoir politiste. Elle entend également opérer une mise en perspective du savoir scolaire (et des certi.cats sociaux qu’il délivre) et subséquemment des sciences du développement dans lequel ce savoir s’inscrit. L’interdisciplinarité ‘’contrainte’’ : réflexions sur le statut de la science politique au Maroc Belarbi M. Mohammed V Rabat-Agdal L'examen du statut de la science politique comme discipline au Maroc pose des questions ayant trait à son ancrage ou plutôt à son positionnement dans le champ scienti.que, notamment sur le plan épistémologique. Sur ce, la formation des politistes elle-même et leur position dans le champ académique posent aussi problème. La plupart des politistes /politologues marocains ne peuvent se réclamer entièrement de la science politique comme discipline, parce qu'ils sont habitués à la faire en circulant à la marge d’autres disciplines telles que le droit constitutionnel, l’anthropologie, la sociologie ou encore l’histoire. Leur travail est le fruit d'une interdisciplinarité contrainte. La science politique au Maroc est donc au centre de cette galerie. À nos jours, elle est encore dans la confusion de cette interdisciplinarité inévitable. Vu de cet angle, nous avons de bonnes raisons de prendre le temps de ré!échir sur l’anthropologisation, sur l’ascendant juridique, entre autres, de l’exercice politologique marocain. De façon plus générale, il s’avère que le rôle d’un savant politiste au Maroc n’est pas d’imposer une voie politiste, destinée à faire autorité et à connecter une communauté : même chez ses fervents porteurs, l’exercice se rétrécit à ouvrir les pistes et à rester au stand des « coups d’œil ». Bien entendu, si certes enrichissement et nécessité il y a en scrutant cette interdisciplinarité "obligée", toutefois toute recherche qui relève de plusieurs disciplines rencontre inéluctablement des obstacles pour son identi.cation et pour son accumulation. Ma thèse porte sur les trajectoires de la science politique au Maroc : une analyse socio-historique de la tension entre savoir et fait caméral : ma soutenance est prévue prochainement). Elle a fait l’objet d’une communication : « La science politique au Maroc : autonomie vs syndrome caméral », présentée au 10ème congrès de l’AFSP/ 2009 /Section thématique 49. 167 Existe-il des relations internationales africaines ? Réflexion autour de la logique de fission disciplinaire des relations internationales. Batchom P. Université de YaoundéII La parution récente d’un Traité de relations internationales sous la direction de Thierry Balzacq et Frédéric Ramel et la ligne éditoriale adoptée soulèvent à nouveau la querelle quant à la pertinence des approches universalistes dans le traitement paradigmatique des relations internationales. La discipline portée par les réalistes, libéraux et autres, avait une perception universaliste des schèmes. Cette posture jugée universalisante par les auteurs critiques et les révisionnistes a nourri une multiplication des postures relativistes. La spéci.cité des conduites des relations internationales s’impose à tous dès lors que chaque sphère géographique peut revendiquer ses logiques, acteurs, institutions et facteurs propres. De plus, la querelle entre l’universalisme et le relativisme paradigmatique et épistémologique rend bien compte d’un désir de s’émanciper du western way of studying international politics. En Afrique, de plus en plus de chercheurs et d’enseignants de la discipline revendiquent avec véhémence l’existence des relations internationales africaines et les enseignent dans les facultés. Que renferme cette appellation ? Les relations internationales africaines existent-elles vraiment en tant que discipline ou alors existe-il une manière spéci.que de faire les relations internationales en Afrique, distincte de la pratique en Occident? Cette communication se veut une ré!exion autour de cette tendance à la .ssion pour penser qu’il existe des réalités propres à chaque région et qui informent sa conduite des relations internationales mais la discipline a des paradigmes et schèmes universels que l’on gagnerait à enrichir par les exotismes régionaux. Le politiste africaniste, éminent sociologue de l’Etat ? 1 Mandjem Y., 1Bigombe Logo P. Université de Yaoundé II 1 Y a-t-il meilleur usage épistémique de la science politique que celui de la pensée de l’État ? En fait, bien que l’étude du pouvoir se soit finalement imposée comme l’objet privilégié de la science politique, l’État n’a cessé, à travers les âges, de constituer une question centrale des études politistes africanistes. Le lien entre la science politique africaniste et l’État est resté intime. C’est un mariage, à la fois, de cœur et de raison. L’obsession de l’État dans la pensée politiste africaniste reste prégnante. L’État attire, fascine et obnubile. Comment cet État est-il cerné et (re)pensé aujourd’hui, à l’aune des travaux anciens et récents ? Comment cette construction du vivre ensemble, attirante et repoussante à la fois, qu’on dit en crise et dévoyée depuis de longues années sous toutes ses formes (souveraineté relative, territorialité incertaine, population diversifiée et éclatée, greffe, importation et universalisation douteuses, etc.), réussit-elle à perdurer, à s’accommoder de l’ordre et du désordre, de la mondialisation et des replis nationaux ? Comment (re)découvrir l’État en Afrique comme une configuration mouvante, une « invention dérivant de pratiques sociales elles-mêmes situées dans l’espace et dans le temps, dans une trajectoire et par rapport à une culture qui lui donne sens » ? Comment les États en pointillé, en (éternelle ?) quête de « stabilité », se recomposent, se transforment et maintiennent-ils ? La déjuridicisation de la science politique au Bénin: discipline ou indiscipline Kitti H. Université D'Abomey-Calavi La déjuridicisation de la science politique amorcée en 2008 a été consacrée en 2013 au Bénin. L'évolution contextuelle de la discipline identique à celle de la France et des universités francophones de l'Afrique a trouvé une dynamique interne favorable au détour de la restauration de la démocratie et des réformes universitaires. On s'interroge sur ses outils pour assurer sa fonction scienti.que et didactique. Par ailleurs, on problématise sur l'avenir de la discipline dans une faculté de droit où l'indiscipline reste un dé.. Bibliographie - Thierry Balzacq et Frédéric Ramel (2013), Traité des relations internationales, Presses des sciensPo - Ibriga (L.M.) et Sampana (L.) (2013) « l’Afrique de l’Ouest francophone. Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Sénégal » in Thierry Balzacq et Frédéric Ramel (2013), Traité des relations internationales, Presses des sciensPo, p.90 - UEMOA (2004), Etude sur l’enseignement supérieur dans les pays de l’UEMOA, rapport .nal,, Ouagadougou, Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), p 6 - Berthelot (J-M.) (2000), Sociologie : épistémologie d’une discipline. Textes fondamentaux, Bruxelles, De Boeck, p. 31 168 - Leclerc (M.) (1982), La science politique au Québec. Essai sur le développement institutionnel 1920-1980, Montréal, l’hexagone, p 25 - Leclerc (M.) (1989), « la notion de discipline scienti.que », politique, 15, pp. 23-51 - Baudoin (J) (2000) « Introduction à la science politique, Paris, Dalozz, p. 15 - Pierre FAVRE (1989), Naissance de la science politique en France, 1870-1914, Paris, Fayard, p 83 et sq - Braud P. (2011), sociologie politique, Paris, LGDJ, 10e édition, p. 18 La science politique camerounaise à la croisée des chemins Mandjem Y. Université De Yaoundé II La science politique camerounaise a progressé au point de forcer l’admiration des collègues africains et étrangers. Autrefois bannie et considérée comme un discours et un mode de connaissance subversifs au Cameroun, la science politique connaît un regain d’intérêt et est (ou fait) l’objet de multiples investissements parfois ma.eux (l'usurpation du titre de politiste ou d’analyste politique est à la mode) : ressource politique (titre d’accréditation, certi.cat de compétence), instrument de régulation politique (discours politologique comme discours légitimateur, usage démagogique du discours politologique). Informée historiquement par le bilinguisme de la société camerounaise, la science politique camerounaise apparaît à l’expérience comme étant encore massivement francophone. Cependant, cette science politique conquérante au plan international, généreuse et courtisée au plan interne, n’a pas encore .ni de faire le procès des tribulations qui jalonnent le sentier vers la constitution de la science politique comme une discipline autonome. Dès lors, la trajectoire de la science politique camerounaise oscille entre spéci.cité d’un itinéraire !exible et dynamique et globalité des problèmes et dé.s. L’objectif de cette communication est d’éclairer la dynamique d’autonomisation de la science politique camerounaise. Notre propos est de dire que le processus d’émancipation de la science politique camerounaise comme une discipline autonome s’est fait dans le cadre d’une armistice politique d’avec la discipline du droit et la tentation hégémonique des facultés de droit et des structures institutionnelles de recherche en droit. Il en découle une autonomie contrôlée de la science politique qui est davantage mise à mal par ses usages sociaux et politiques. Cette communication se propose de dresser un portrait collectif de la science politique camerounaise aujourd’hui. Elle présente l’état de la discipline et analyse ses récentes évolutions au Cameroun comme alimentant un mouvement pendulaire d’équilibre de forces qui tantôt tend vers l’autonomisation de la discipline (le projet de création d’un institut d’études politiques de Yaoundé s’inscrit dans l’horizon d’attente de certains politistes), tantôt vers la régression (avec des tentatives de reconquête de cette autonomie par le droit). Ce portrait collectif sera scruté à partir d’une observation de l’évolution des objets d’étude des politistes camerounais, des méthodes mobilisées par eux, les programmes d’enseignement de science politique, les supports de publication camerounais (POLIS/RCSP, RCEI, RAEPS, RCDSP) et étrangers, le rayonnement au niveau des instances africaines de recherche (CODESRIA) et de gouvernance universitaire (CAMES), les structures d’enseignement et de rattachement institutionnel de la science politique (Facultés de droit), les laboratoires de recherche (GRAPS, CREPS) et les sociétés savantes (SOCASP, AASP, AISP, etc.). Vers une (nouvelle) anthropologie politiste en Afrique ? 1 Njoya J., 1Bigombe Logo P. Université de Yaoundé II 1 La constitution de l’anthropologie politique comme champ spéci.que de la science politique en Afrique est récente. L’obsession de l’étude de l’Etat comme institution monopolistique et totalisante de l’espace social ayant longtemps éclipsé l’étude des formes et dynamiques générales du politique dans les sociétés africaines, les politistes ont, pendant longtemps et ce à leur corps défendant, repris, diffusé et vulgarisé les typologies construites par l’anthropologie fonctionnaliste britannique autour d’Evans-Pritchard et Fortes Meyer, dans Les Systèmes Politiques Africains (1940). Mais, cette situation a changé avec la publication de L’Anthropologie Politique (1967) de Georges Balandier, des Systèmes Politiques des Hautes Terres Birmanes (1972) d’Edmund Leach et, un peu plus tard, de l’Anthropologie de l’Etat (1990) de Marc Abelès. L’école dynamiste a déclassé l’école fonctionnaliste, permettant ainsi de postuler l’universalité du politique dans les sociétés humaines et de fonder une science du politique analysant les propriétés communes du politique dans la diversité des sociétés humaines. Cette orientation est aujourd’hui la référence de l’anthropologie politiste en Afrique. Elle postule, à la fois, l’universalité du politique et la diversité des formes de gouvernement des sociétés humaines. En somme, et bien que les typologies aient la peau dure et soient encore, de temps en temps, abordées dans les enseignements et les débats académiques, elles sont fondamentalement remises en question et progressivement abandonnées. Il n’est plus simplement question de décrire et d’analyser les systèmes politiques des sociétés exotiques, primitives ou traditionnelles, mais d’analyser les diverses dynamiques et logiques qui fondent et structurent le gouvernement des sociétés humaines dans leur con.guration plurielle, historique, sociologique et géographique. Le dé. qui se pose aujourd’hui à l’anthropologie politiste en Afrique est d’explorer et de saisir les dimensions symboliques du politique et leurs effets apparents et latents sur l’évolution des sociétés politiques africaines contemporaines. 169 ST 31 : Les études sur la mémoire comme sous-champ de la science politique francophone ? Between international embeddedness and political interests: developments in Hungarian Memory Studies Zombory M. Hungarian Academy of Sciences The paper will overview the main recent developments of memory studies in Hungary from the 1980s. On the one hand, it will trace the beginnings of the academic practice related to the problem of memory three decades ago, and the thorough transformation of the .eld caused by the change of regime in 1989. The discussion of the main resarch topics and the disciplinary structuration of the research .led will also be undertaken. The paper argues that - due to the integration of the Hungarian research .eld into the European academic (and political) spaces - the main interest in "recovering national memory" in the early 1990s was gradually replaced by a focus on national memory with dictatorial regimes and their victims in its sphere of interest. Besides the perspective on the content and paradigms of memory studies, on the other hand, the paper will also investigate its main social actors by demonstrating the recent intstitutional restructuration of the .eld. The argument here is that in order to explain the development of memory studies one has to take into account the interest of politics in large sense of the word, and especially that of the state gouvernments. Quand science politique et droit dialogue : quelle typologie des instruments mémoriels ? Grandjean G. Université de Liège Envisager les études sur la mémoire comme sous-champ de la science politique francophone ouvre des pistes enrichissantes pour les politologues, notamment lorsqu’ils sont amenés à analyser les instruments mémoriels régissant un ou plusieurs système(s) politique(s). Dans cette perspective, la communication vise à présenter, d’un point de vue épistémologique, les apports découlant de l’interaction entre les sciences politique et juridique dans le processus de consolidation des études sur la mémoire comme sous-champ disciplinaire de la science politique. Plus précisément, la communication vise à offrir une typologie des instruments mémoriels en fonction du degré de contrainte et d’imposition d’une mémoire of.cielle. Par exemple, une résolution adoptée par une assemblée législative est faiblement contraignante alors qu’une loi réprimant le négationnisme impose à la fois une mémoire of.cielle tout en sanctionnant pénalement les citoyens qui ne la respectent pas. La typologie passe en revue les multiples instruments mémoriels pouvant être adoptés par les autorités publiques : résolution, loi déclarative, loi pénale, plan de commémorations ou encore mise en valeur d’un lieu de mémoire. L’accent est mis sur les instruments mémoriels de deux pays francophones : la Belgique et la France. Au .nal, cette communication permet d’insister sur l’apport de la science politique en analysant l’exercice de prérogatives de puissance publique et sur l’apport de la science juridique en classi.ant les types d’instruments mémoriels en fonction du degré de contrainte ; tout en faisant dialoguer des cas d’étude différents. Présentation biographique Geoffrey Grandjean est chargé de cours au Département de science politique de l’Université de Liège. Il a notamment publié La concurrence mémorielle (Armand Colin, 2011), Les jeunes et le génocide des Juifs : analyse sociopolitique (De Boeck, 2014) et La répression du négationnisme : de la réussite législative au blocage politique (Droit et société, 2011). Il dirige les Cahiers Mémoire et politique. Ce que la "mémoire" peut apprendre à la science politique Gensburger S. CNRS Depuis une dizaine d'années, les "memory studies" se constituent en un champ de recherche interdisciplinaire et internationalisé. Elles reposent sur l'idée que la création de méthodologies et de concepts spéci.ques sont indispensables à une meilleure compréhension de "l'in!ation mémorielle" sensée caractériser le débat politique au sein de nos sociétés contemporaines. Dans cette dynamique disciplinaire, la science politique est pourtant quasi-inexistante tandis que très peu de chercheurs français se revendiquent au .nal de ce courant. Il s'avère à l'inverse que la science politique française est depuis quelques années un lieu où se développe une forme d'école à la française de l'analyse des rapports entre "mémoire" et "politique" qui s'oppose terme à terme à 170 l'institutionnalisation en cours des "memory studies". Les chercheurs qui s'inscrivent dans ce courant mobilisent en effet les concepts et méthodologies ordinaires de la discipline pour traiter d'un objet "mémoire" qu'ils construisent délibérément comme banal. Dans cette communication, il s'agira de présenter cette approche, dans laquelle mes travaux ont joué un rôle moteur, et, plus important, d'expliciter en quoi la "mémoire" constitue précisément un objet qui peut aider la science politique à résoudre certaines des apories qui sont les siennes telles que l'articulation entre policy et polity, la nature symbolique des politiques publiques ou encore l'articulation entre État et société civile. Au-delà de la dimension théorique et épistémologique, cette communication prendra appui sur plusieurs terrains empiriques conduits depuis plusieurs années en France. Les études sur les mémoires postcoloniales : un objet de la science politique francophone Comtat E. Grenoble Alpes Université La demande d’histoire et de mémoire coloniales et postcoloniales est plus prégnante que jamais. L’étude du passé colonial et de ses conséquences a longtemps été laissée aux historiens. Mais l’accroissement de revendications et de con!its mémoriels amène les politistes à se positionner dans ces débats. La présente communication propose d’analyser comment les études sur les mémoires postcoloniales ont pris place dans la science politique francophone depuis une vingtaine d’années. Quels sont les apports spéci.ques de la science politique dans la production d’un savoir renouvelé en sciences sociales sur les représentations du passé colonial ? Qu’est-ce qui distingue ces travaux de ceux d’historiens et de sociologues qui ont aussi réinvesti ces questions et comment la science politique dialogue-t-elle avec ces disciplines ? Quelles transformations politiques et sociétales, quels acteurs et quelles temporalités ont favorisé leur émergence dans la science politique ? Est-ce que les réticences en France à aborder les questions postcoloniales au plan académique ont orienté les approches et les contenus et ont eu raison de leur place (« marginale émergente ») dans la discipline ? En cela, est-ce que l’étude des mémoires postcoloniales reste en elle-même un cas spéci.que au sein du champ des études mémorielles ? Pourquoi des politistes ont-ils décidé de s’intéresser à ces questions ? Comment s’en saisissent-ils ? Quels sont les questionnements et les approches privilégiées dans leurs travaux ? Quels outils théoriques et cadres analytiques propres au champ disciplinaire sont utilisés et quels sont les emprunts faits aux autres disciplines ? Nous examinerons les méthodologies retenues dans leurs études. Nous proposons de faire un inventaire des travaux réalisés et un état des lieux dans la science politique. Nous observerons également comment l’objet d’études « mémoires postcoloniales » s’insère dans les sous-champs de la science politique et de quelle manière les transversalités qu’il provoque implique une prise en charge particulière et des approches renouvelées dans la discipline ? L’accent sera mis sur l’étude des mémoires postcoloniales dans la science politique francophone, mais des comparaisons pourront être faites sur la manière dont la science politique anglo-saxonne aborde ces questions, y compris dans les travaux qui s’intéressent aussi aux enjeux politiques et sociaux des mémoires coloniales de la France. D’une brève histoire de la mémoire comme objet disciplinaire Mourre M. EHESS/Université de Montréal On peut identi.er plusieurs moments des études sur la mémoire. Les travaux du « père fondateur » Maurice Halbwachs dans les années 1920 (Halbawachs, 1925) visaient d’abord à développer autant une sociologie du souvenir qu’une sociologie de la mémoire. Au prix d’un bond chronologique, on doit ensuite mentionner les travaux qui paraissent dans les années 1970, ceux du sociologue Roger Bastide reprenant ceux d’Halbwachs (Bastide, 1970) et, d’un point de vue historien, ceux de Nora .nalisés dans l’introduction et la conclusion de l’œuvre collective, Les lieux de mémoire (Nora, 1984-1992). Ce dernier s’intéressant alors plus aux usages politiques du passé. À cette même époque, toujours d’un point de vue historien, notamment les travaux de l’école sur les subalternes en Inde, ceux de la microstoria en Italie (Ginzburg et Poni, 1981), ou ceux de l’histoire orale en France (Joutard, 1977) – et même avant sur le continent africain, notamment après les indépendances et l’ouvrage majeure de Jan Vansina (1961) – ont contribué, chacun à leur manière à renouveler des approches méthodologiques qui rejoignaient des questionnement sur la mémoire des communautés – bien que toutes ces approches ne cherchèrent pas explicitement à s’inscrire dans un tel sous-champ. Les années 1970 correspondent aussi à une montée concomitante des enjeux de mémoire, principalement liée à la Shoah, et à la question du patrimoine, liée alors à une entité supranationale : l’UNESCO. La chute du mur de Berlin en 1989 a participé indubitablement d’une redé.nition des rapports au passé en Europe de l’Est (Robin, 2003) tandis qu’en France à la .n des 1990, c’est peut-être l’ouvrage de Jean-Michel Chaumont, et sa formule de la « concurrence des victimes », qui participe d’une nouvelle modalité d’appréhender la mémoire des groupes. Citons en.n, au milieu des années 2000, la parution de l’ouvrage du politiste Romain Bertrand, Mémoire d’Empire, parallèlement à une montée des enjeux sur l’histoire coloniale dans l’espace public (Bertrand, 2006). Dans ce dernier cas, cette entreprise est liée à la loi du 23 février 2005 et son article 4 sur le « rôle positif de la colonisation », cela amène peut-être l’idée que l’appréhension de la mémoire en science politique est d’abord liée aux politiques publiques et en premier lieu à leur formes législatives – voir également l’ouvrage de Johannes Michel (2010). Cette communication se propose donc de suivre ce qui apparaît comme une augmentation des enjeux de mémoires dans l’espace public en en retraçant certains jalons, suivant une échelle nationale française, comme à une échelle 171 transnationale, et en la mettant en parallèle avec la littérature afférente. À travers la littérature citée ici, et d’autres, il s’agit de suivre ce qui relève quant à l’objet mémoire d’ouvertures disciplinaires, de transmissions, d’héritages. Deux questions liées à « l’objet mémoire » se trouvent alors formulées, celle du « dialogue disciplinaire » mais aussi la question, plus ample, de l’évolution des disciplines au sein des sciences sociales. Bibliographie BASTIDE Roger, 1970, « Mémoire collective et sociologie du bricolage ». L’Année Sociologique, 21 : 65-108. BERTRAND Romain, 2006, Mémoires d’Empires. La controverse autour du ‘fait colonial’, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du croquant. CHAUMONT Jean-Michel, 1997, La concurrence des victimes. Génocides, identités, reconnaissance. Paris, la Découverte. GINZBURG Carlo et PONI Carlo, 1981 [1979]. « La micro histoire », Le Débat, 17 : 133-136. HALBWACHS Maurice, 1994 [1925], Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin. JOUTARD Philippe, 1977, La légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Paris Gallimard. MICHEL Johann, 2010, Gouverner les mémoires. Les politiques mémorielles en France, Paris, Presse Universitaire de France. ROBIN Régine, 2003, La mémoire saturée, Paris, Stock. 172 ST 32 : Le concept d’émergence Le numérique : une révolution « virtuelle » ? La question de la « transition numérique » dans la diffusion cinématographique à l’aune du concept d’ « émergence » Pinto A. Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle La « transition numérique » dans les salles de cinéma désigne le mouvement de dématérialisation des copies de .lms et le remplacement des « projecteurs 35 mm » par des équipements numériques qui l’accompagne; elle a été introduite par les studios américains au début des années 2000 et, dans certains pays comme la France, est aujourd’hui achevée. L’enjeu de cette nouvelle technologie est triple : un enjeu de politique internationale dans la mesure où les normes techniques de projection sont aujourd’hui dé.nies, à l’échelle internationale, par les acteurs dominants du marché ; un enjeu économique lié à la transformation des marchés locaux de l’exploitation cinématographique (mesurable à la capacité de .nancement et d’amortissement de nouveaux équipements par les salles de cinéma) et en.n un enjeu esthétique qui renvoie à la re-dé.nition de l’image cinématographique. Cette communication vise à discuter, à partir de cette enquête, la notion de « révolution numérique » à l’aune du concept d’ « émergence ». S’il s’agit en premier lieu de s’opposer à toute forme de « déterminisme technologique » (souvent sous-tendu par une fascination implicite pour le « nouveau »), notre thèse est que la complexité des causalités à l’œuvre dans ce phénomène demande une méthode originale d’élucidation que le concept d’émergence permet d’élaborer. On se propose ici d’exposer une approche (en mentionnant quelques résultats) qui permet de rendre raison d’un changement technologique : la combinaison d’une analyse multidimensionnelle et d’une analyse multi-niveaux. I. Une analyse multidimensionnelle Il convient d’abord de faire une sociologie des sciences et des techniques par une approche socio-historique sur le temps long (exemples d’innovations cinématographiques depuis le siècle dernier) et sur la période récente (en retraçant .nement le processus non-linéaire de l’équipement numérique des salles). Analyser l’importation de la transition numérique demande, ensuite, en termes d’analyse de politiques publiques, de mettre en évidence les processus de « mise sur agenda » des enjeux qui lui sont liés, les luttes autour de la dé.nition des cadres du marché de la diffusion cinématographique, ainsi que la diversité des con.gurations sociales nationales dans lesquelles s’inscrit l’arrivée de la diffusion numérique en salles (cinémas états-uniens équipés par auto-.nancement /plan « Cinenum » mis en place par le CNC en France). L’analyse des cadres de l’activité marchande dé.nis par l’action publique conduit, à la suite de nombreux travaux en sociologie économique, à mettre en évidence les transformations des équilibres de marché par la redé.nition des modalités de transaction entre différents acteurs économiques, dont les pratiques engendrent des effets d’hystérèse. Ensuite, une approche inspirée des travaux sur les groupes professionnels se concentrera sur les usages sociaux de cette technologie par les intermédiaires de marché dans toute leur diversité (des équipementiers aux exploitants en passant par les projectionnistes). En.n, bien que l’on se concentre ici sur l’aval de la .lière cinématographique, c’est aussi à une sociologie de l’art que cette enquête contribue, en adoptant une approche qui ne serait pas centrée sur les créateurs eux-mêmes, mais sur la remise en question des frontières du cinéma induite par la recomposition de l’espace de la production et de la circulation des biens cinématographiques. II. Une analyse multi-niveaux Ce cadre conceptuel renvoie, très concrètement, à des stratégies de terrain qu’il s’agit d’adapter au type de causalité multiple que l’on souhaite mettre en évidence. Si le concept d’émergence invite à remettre en cause des chaînes linéaires de causalité, il faut se donner les moyens de recomposer des con.gurations causales qui empruntent à différentes échelles d’analyse. L’analyse se fait d’abord à une échelle internationale a.n de rendre compte des modalités de mise au point de nouvelles normes techniques (ici, « Hollywood ») et d’adoption de ces nouvelles spéci.cations par les marchés nationaux de la diffusion cinématographique, eux-mêmes fortement structurés par les traditions d’intervention publique en matière industrielle et culturelle. La dimension internationale (circulation de normes techniques et juridiques) et nationale (effets combinés de cette importation et des politiques publiques nationales spéci.ques) ne doit pas faire écran à la question de l’appropriation de cette nouvelle technologie observable à des échelles beaucoup plus .nes. L’observation des transformations du métier de projectionniste, permet de voir comment s’incarne le changement technologique dans les gestes techniques. Cette échelle d’observation n’est cependant pas conçue comme l’aboutissement de causalités « supérieures », mais plutôt comme le lieu de la réfraction des facteurs explicatifs mis en lumière précédemment. 173 L'émergence improbable de la fédération syndicale SUD-PTT. La dynamogénie, un opérateur de catalyse dans les processus d'action collective Renou G. Strasbourg Dans le cadre d’une recherche doctorale sur le syndicalisme soutenue en 2012 , nous avons analysé la naissance d’une organisation syndicale contestataire française, la fédération syndicale SUD (Solidaires Unitaires Démocratiques) des PTT. Constitué à partir d’un effectif très faible de militants fondateurs exclus de la CFDT, privé des ressources matérielles minimales, confronté à une situation prolongée de non-reconnaissance juridique de la part des autorités publiques, cet acteur collectif fondé en 1989 avait bien peu de chance de se pérenniser. Pourtant, il s’est institutionnalisé et il est aujourd'hui devenu la cheville ouvrière d’un rassemblement interprofessionnel (non-confédéral) important, constitué en partie sur l’imitation de son modèle d’organisation : l’Union Solidaires. La notion d’émergence, avec la polysémie qui la caractérise, peut s'avérer une façon de donner une .gure à la dynamique d’un mouvement dont le succès semblait, au départ, « improbable ». Elle contribue à en porter une interrogation concernant la prétention à caractériser « objectivement » une situation et ses composants à un temps t0 de façon à construire un schème explicatif satisfaisant. Du même coup, c’est l’idée mécaniste de l’imputation de causalité en sciences sociales qui est posée. Dans notre approche, la .gure de l’émergence renvoie conceptuellement à la critique nietzschéenne de la causalité (« Cause et effet : pareille dualité n’existe probablement jamais – en réalité nous avons affaire à un continuum dont nous isolons quelques fractions. (…). Un intellect capable de voir la cause et l’effet (…) en tant que continuum, donc capable de voir le !euve des événements – rejetterait la notion de cause et d’effet, et nierait toute conditionnalité » (Gai Savoir, § 112), mais aussi à l’idée bergsonienne paradoxale que le « possible » est moins que le « réel ». Cette idée philosophique a trouvé des échos au XXème siècle dans les sciences des systèmes dynamiques avec la notion d'"attracteur" et celle de "bootstrapping" et de "self-organization" en cybernétique, qui brisent le rapport de causalité linéaire de la mécanique en instaurant notamment des boucles de rétroaction. Dans quelle mesure ce réseau conceptuel peut-il offrir davantage que des analogies pour penser des processus historiques aussi complexes que la formation, sur plusieurs années, d'une organisation syndicale dans laquelle sont impliquées des milliers de personnes ? La communication propose de saisir les innovations conceptuelles des sciences de la nature comme des invitations à trouver des modalités empiriques pour donner une place, dans les sciences sociales, à une pluralisation des régimes d'explication des phénomènes, tout en conservant l'idée d'une spéci.cité épistémologique propre aux sciences historiques (Passeron). Pour rendre compte de l'émergence de SUD-PTT, nous proposons de développer la notion de dynamogénie, proposée par Durkheim en 1912 pour penser les phénomènes religieux mais oubliée depuis, pour saisir la façon dont les dynamiques .duciaires de la con.ance de groupe sont irréductibles au paradigme mécaniste de la causalité dans la mesure où une forme de "transition de phase" est impliquée, bouleversant du même coup les valeurs des "conditions préalables" et leur prédictibilité. L'analyse de la dynamogénie semble ressortir davantage à une épistémologie alternative au mécanisme que, provisoirement, on peut quali.er d'une "logique de l'émergence". Mais ils nous importe de noter qu'elle se déploient selon des processus proprement sociaux et anthropologiques qui s'avèrent probablement irréductibles à ceux objectivés par les sciences de la nature et des systèmes complexes. En effet, le niveau d'intégration des ensembles sociaux n'est pas du même ordre que celui qui prévaut au niveau moléculaire, cellulaire ou même à celui de l'organisme. 174 ST 33 : Dans et en-dehors des partis politiques : quel renouvellement des questionnements sur l’action publique ? Vers une perméabilisation des frontières partisanes ? L’identité incertaine du sympathisant au Parti socialiste Lefebvre R. université Lille 2 Le parti socialiste s’est longtemps pensé et donné à voir comme un parti de militants, cette valorisation du militant constituant un élément important de son identité organisationnelle. Si l’électeur socialiste pouvait être valorisée dans un parti où la légitimité électorale est forte, la .gure du sympathisant, entendu comme un électeur .dèle lié au parti, a longtemps relevé de l’interdit organisationnel (il s’agit de conjurer le risque d’un « parti de supporters » « américanisé » diluant le militant-activiste traditionnel) ou de l’impensé (cette catégorie n’est pas pensée comme telle, par déni ou par absence de ré!exion sur le militantisme). Si depuis les années 1990, une ré!exion sur le militantisme excédant les cadres traditionnels a émergé et si les primaires ouvertes de 2012 ont !uidi.é les frontières partisanes (le militant n’est plus le seul souverain dans le processus de désignation, le sympathisant jouit d’un droit nouveau), la .gure du sympathisant reste incertaine et peu problématisée. Si les primaires participent d’une dévaluation du militantisme traditionnel, les modes d’af.liation au parti restent dominés par la .gure de l’adhésion dans un parti où les enjeux électoraux et le poids des élus conduisent à la maîtrise des électorats militants (comme l’a montré le faible développement des primaires ouvertes lors des municipales de 2014). Le processus d’assouplissement des frontières de l’institution partisane qui présentent des limites (le parti reste une communauté plus ou moins close) n’est donc ni linéaire ni univoque. Sympathiser avec un parti politique en Argentine contemporaine. Analyse des caractéristiques différentielles des « sympathisants » à partir des données d'une enquête par questionnaire Lorenc Valcarce F. Universidad de Buenos Aires En Argentine, la plupart des gens disent ne pas s’intéresser à la politique et ne pas sympathiser avec aucun parti. Ces réponses aux questions soulevées par les sondages coïncident avec ce qu’on entend dans la conversation courante, et qui est ensuite ampli.ée par les commentaires des journalistes, des politologues et des chercheurs en sciences sociales. À leur tour, les pratiques de participation politique atteignent une minorité de la population. Même dans ses formes les plus nouvelles et les moins coûteuses, la participation est très faible. L’activisme plus ou moins régulier dans les partis politiques concerne moins de 5% de la population. En général, la plupart de la population tient un discours anti-parti. Or, lorsqu’on demande aux gens si il y a un parti qui les représente mieux que d’autres, ou si ils sont invités à produire un jugement sur les partis, certains traits distinctifs qui indiquent l’existence de « sympathie » en ce qui concerne les partis apparaissent. Cela implique plus de la moitié des personnes interrogées. Dans de nombreux cas, ces sympathies coïncident avec celles des parents, mais surtout ont leurs racines dans les caractéristiques sociales des individus. Dans cette communication, on s’interroge, en premier lieu, sur l’ampleur et les variétés de sympathies partisanes en Argentine. On entend souvent que les partis n’y existent pas. Cela peut se référer à la forte volatilité des labels électoraux, à l’explosion des organisations partisanes après une courte période de relative vigueur ou à la généralisation de coalitions transversales qui comprennent des entreprises politiques de différents partis. Mais il semble y avoir une certaine persistance de l’attachement à certaines familles politiques : péroniste, radical, gauche nouvelle ou ancienne, nouvelle droite. Ces sympathies sont manifestées en termes de préférences pour certains partis, mais aussi par l’évaluation de certains dirigeants politiques et par le comportement électoral. Après avoir identi.é les sympathies partisanes dans ses différents aspects et niveaux d’analyse, on observe quels sont les traits distinctifs des sympathisants par rapport au reste de la population, et quels sont les caractéristiques spéci.ques de ceux qui adhèrent à différentes familles politiques : âge, niveau de diplôme, type de l’éducation, occupation et compétence politique. En.n, on explore des effets possibles des sympathies partisanes sur la participation sociale et politique au-delà des partis, le comportement des électeurs et les prises de position à l’égard de certains problèmes sociaux et politiques. Ce travail s’inscrit dans le cadre des résultats du projet « Une crise de légitimité: dé.s à l’ordre politique en Argentine, au Chili et en Uruguay », .nancé par le Centre de recherche en développement international (CRDI, Canada) et dirigé par Alfredo Joignant (Université Diego Portales, Chili). Tout d’abord, on a construit un questionnaire qui visait à combiner les questions plus classiques des études d’opinion et d’autres à caractère plus sociologique. Ce questionnaire a été administré à un échantillon représentatif de la population de 18 ans à travers le pays. Nous avons interrogé un total de 1200 personnes en face à face et dans leurs lieux de résidence. L’échantillon a une erreur inférieure à 3% et le niveau de con.ance de 95%. En parallèle à des enquêtes similaires menées au Chili et en Uruguay, les entrevues ont été réalisées en Argentine entre le 20 Novembre et le 13 Décembre 2013. 175 L'évolution de la notion de sympathisant dans deux contextes politiques et culturels différents. Le cas du PS et du Parti Québécois et le débat sur les primaires Olivier L. Université de Lorraine Les frontières de l'intégration partisanes sont plus ou moins !oues. Cela correspond à des considérations culturelles, mais aussi à des contextes politiques spéci.ques, et des conjonctures. La comparaison de la France et du Québec permet d'interroger le statut de sympathisant, son évolution, voire les phénomènes de transferts transnationaux d'expériences (le cas des primaires). Selon Penning et Hazan, dans les démocraties représentatives « post-modernes », le lien entre partis et électeurs s'est affaibli. Les citoyens sont de plus en plus indépendants des partis. Les partis, tributaires d'électorats !ottants, instables, ont alors opéré des ruptures stratégiques pour élargir et sécuriser leur base électorale (Kaase 1994, Scarrow 1999, Wattenberg 1991). La tradition d'un parti doté de nombreux adhérents semble notable au Québec, alors que la France est caractérisée par un faible taux d'adhésion. Des pratiques militantes sont inégalement valorisées. Le rapport aux adhérents est différent, les adhérents péquistes étant, proportionnellement, par rapport à la population, plus nombreux qu'en France.1 Les cotisations sont beaucoup moins chère au PQ (- de 4 euros) qu'au PS (de 20 euros minimum ou proportionnel au revenu). Cependant ces différences peuvent masquer un activisme différencié et une conception plus ou moins stricte du militantisme. La démocratisation interne du PS promeut depuis quelques années, surtout après 2002, une démarche participative de plus en plus élargie. Le PQ revendique plutôt la proximité avec les communautés. Le Parti socialiste est très ancré dans un milieu sociétal (Sawicki), fait de réseaux locaux et d'élus. La politisation partisane locale est faible au Québec ou du moins ne renvoie pas à la réalité partisane provinciale, alors que la force du socialisme en France réside dans ses collectivités territoriales. Les pratiques militantes traditionnelles valorisées en France ne sont pas nécessairement les mêmes qu'au Québec. Ainsi, un jeune péquiste français, par ailleurs membre du PS, déplorait que l'on ne reconnaissait pas le militantisme de terrain comme le tractage, « boitage », alors qu'on lui demandait d'assurer une soirée de .nancement (appel à dons auprès de militants et sympathisants, au téléphone), pratique peu fréquente au parti socialiste. Cette dimension .nancière semble plus importante ici que dans les partis sociaux-démocrates d'Europe comme en France, qui sont largement .nancés par l’État (cartellisation Katz, Mair, 1995). Au PS, la dimension procédurale, (démocratie interne, referendum militant, primaires), est présentée comme une valeur ajoutée devenue prioritaire au référentiel socialiste, alors que le PQ semblait davantage en phase avec les positions de Schnatschneider, Duverger, ou Epstein, selon lesquels la démocratie interne est une limite à la démocratie externe, le pouvoir ayant été concentré sur les instances dirigeantes selon un processus de « dédémocratisation » (Lawson, Montigny). Le PQ, a misé sur une démarche plus élitiste, en organisant des colloques nationaux à partir de textes soumis par la direction et ne faisant pas l'objet de délibérations et d'amendements avec remontée du texte après participation militante. La logique d'externalisation du processus de légitimation militante (Lefebvre, 2011) s'est progressivement af.rmée. La légitimité populaire, enjeu de perfectionnement des procédures de vote, longtemps peu codi.ées et souvent transgressées (Lefebvre, 2009), a contribué à susciter indirectement une ré!exion sur l'ouverture électorale interne du PS, point commun avec le PQ, plus récemment. Cette ouverture produit un effet de mimétisme par rapport aux pratiques représentatives du vote. Par le jeu des primaires, les partis édulcorent ou banalisent le lien de légitimation partisane. La question de la distinction entre sympathisants et adhérents relève d'une surenchère participative menant à un certain mimétisme ou « contagion » (seyd 1999, cross, Blay, 2010, p.4), national (les primaires du PS comme source d'inspiration d'autres partis) ou transnational. La primaire s'inspire, par greffe ou hybridation, des rituels des pratiques ordinaires du politique, réinterprétées, du vote. Parallèlement, cette distinction a suscité un débat normatif sur la qualité de l'engagement et la légitimité de celui qui s'engage dans un parti à un degré ou un autre, les sympathisants étant parfois considérés comme s'inscrivant dans un engagement mineur et minimaliste (le thème des sous-adhérents ou des faux adhérents (primaires socialiste de 2006). L'enjeu de la distinction n'est pas que symbolique ou terminologique, puisqu'il affecte la légitimité des acteurs partisans. Ainsi, par exemple, bien avant la primaire de 2011, le referendum interne sur le TCE, avait suscité un débat sur la souveraineté militante (la majorité partisane revendiquait le monopole des moyens de campagne), opposée à la souveraineté externe au parti (pour les partisans du « non », la légitimité du parti n'était pas la seule pertinente). Concernant la « course à la chefferie », dont on ne sait encore si elle se déroulera sous forme de primaire ouverte, il est déjà prévu que les candidats à la direction devront s'acquitter de 35 000$ pour l'inscription et pourront dépenser jusqu'à 300 000$ en frais de campagne. Cette dimension fortement .nancière du scrutin suggère en tout cas une attente d'audience dépassant les bornes de la légitimité partisane. Les mutations du militantisme peuvent révéler la dimension dynamique et processuelle de la distinction dedans-dehors. Les dissidences feutrées, les défections ou les trajectoires de marginalisation (subie ou voulues), sont aussi des éléments d’appréhension du phénomène du sympathisant, comme ancien militant. D'où l'intérêt des phases de l'engagement, itinéraires, parcours intermittents (hors et dans l'élection). Le militantisme présente une dimension intrinsèquement provisoire ou intermittente comme le soulignait Daniel Gaxie dès 1977. Le militantisme partisan serait multipositionné, et pointilliste (à l’image d’un militantisme « post-it », (Mathieu). Les socialisations militantes différenciées en France et au Québec peuvent de ce point de vue être instructives et à mettre en relation avec les différents types de linkage, et de multi-militantisme se traduisant par des phases de re!ux et de compensation vers d'autres types d'activisme, d'hybridation de l'engagement multiple. Des situations transitionnelles entre le dedans et le dehors pourraient alors être 176 identi.ées de façon comparative. La distinction entre militantisme intermittent et militantisme intemporel peut en outre être nuancée par l’apparition d’un cyber-militantisme, moins contextualisé et territorialisé (Greffet, 2011). L’élection primaire organisée en 2011 par le PS en vue de l’investiture présidentielle constitue un exemple de travail pré-électoral qui contribue à l’extension de l’activité électorale d’un parti. Son organisation, qui suppose un investissement militant très lourd, contrastant d’ailleurs avec la remise en cause du statut même de militants créée par ce dispositif (Lefebvre, 2011), s’est déroulée au sein des différentes sections dès la .n de l’année 2010. On pourra s'interroger sur la dimension captive de cette procédure de sélection par les sympathisants dans la perspective d'autres échéances électorales et comme préparation à l'intégration partisane. La territorialisation de la primaire peut également entraîner un autre rapport à l'engagement, en reproduisant le modèle électoral général. La question de la distinction entre adhérent et sympathisant dépend aussi de l'événement ou de la conjoncture. L'arbitrage populaire de la sélection du leader, lorsque le parti connaît une crise de légitimité du leadership, tend à devenir un mode de régulation de plus en plus fréquent. Le débat sur les primaires se déroule dans une con.guration politique un peu comparable au PS et au PQ, une perte d'audience électorale lourde ou durable et l'absence de chef légitime. Dans les deux cas l'hypothèse d'un appel au peuple sympathisant (plutôt que l'arbitrage restrictif par des adhérents, ou des militants), (un peu dans la logique du parti cartel) a été suggérée pour réduire une crise intrapartisane. C'était le cas du PS, alors qu'aucun leader ne s'imposait avec évidence après le congrès de Reims de 2008. C'est aussi le cas lors de l'élection générale de 2014 au Québec, lorsque le Parti québécois après son pire résultat depuis 1970, entame une restructuration idéologique et structurelle parallèlement à l'élection à la direction. Alors que le PQ était au pouvoir, mais minoritaire, il a déclenché des élections. Le gouvernement est tombé face au Parti libéral du Québec. C'est dans ce contexte qu'a été évoquée et débattue l'idée d'une primaire ouverte, inspirée par le cas du PS français. La question de l'évolution du rôle du sympathisant, voire de sa consécration par rapport au militant, a alors pu faire l'objet d'une logique de transferts transnationaux et d'hybridations. Des opérateurs de transfert ont construit l'hypothèse d'une nouvelle forme de légitimité sympathisante (Jean-François Lisée), comme avait pu le faire A. Montebourg et Terra Nova en France. Mais précisément, ce débat n'a t-il pas eu pour effet de solidi.er la distinction adhérent/sympathisant, jusqu'alors peu opératoire (Un nombre d'adhérents proportionnellement plus élevé au PQ qu'au PS, mais faiblement intégré ?) Ainsi, la notion d'adhérent ne s'est elle pas rigidi.ée et réduite ? En quoi le débat sur les primaires obéit-il aux mêmes logiques et ressorts, en termes de légitimation par les sympathisants, au parti québécois qu'en France. L'insertion dans le milieu partisan et associatif entraîne t-il des modalités d'interaction comparable entre sympathisants et adhérents ? La con.guration de l'offre partisane, le système politique, l'existence d'un régime parlementaire, distinct de celui de la Vè République, la concurrence entre partis joue t-elle de façon identique ? Cependant, au delà du débat sur les primaires, on pourra se demander si la construction statutaire et sociale du sympathisant répond, dans ces deux situations partisanes, aux mêmes critères compte tenu de contextes politiques culturels et institutionnels différents. Peut-on alors identi.er des phénomènes d'homogénéisation des pratiques d'élargissement, et des séquences identiques dans le processus d'évolution des rapports militants adhérents ? La distinction sympathisant / adhérent, est-elle liée à l'identité idéologique du parti, et à son degré d'ouverture sociologique ? L'identité politique propre au PQ, parti souverainiste, interclassiste et dépassant le clivage droite-gauche, pourrait davantage favoriser un faible degré d'intégration militante et une recherche de soutien à l’extérieur du parti (parti « attrappe-tout » (Kirchheimer), d'autant que d'autres partis partagent le même champ de la défense souverainiste, le paysage souverainiste s'étant émietté au .l des ans. Surtout, les électeurs, les associations nombreuses, et les mouvements sociaux, clubs, dans la mouvance souverainiste peuvent drainer une sympathie souverainiste sans s'identi.er au parti qui porte ces valeurs. La chose se complique encore par le fait que le parti Québécois a un équivalent fédéral, le bloc québécois, sans qu'il y ait de lien automatique de l'un à l'autre sur le point de vue de l'adhésion. Ainsi, cette recherche nous amènera à nous interroger sur la diversité des dynamiques d'évolution du rapport adhérent/sympathisant, sur les remises en question de la conception et de la construction du statut de sympathisant dans une perspective comparative et transnationale. In or Out ? La régulation des “sympathisants” de parti en Europe Occidentale 1 von Nostitz F.-C., 2Sandri G. Université Catholique de Lille2, University of Exeter1 Au cours de la dernière décennie, plusieurs partis européens ont introduit des nouvelles catégories d’af.liation qui élargissent l’éventail des possibilités de participation politique traditionnelle au niveau individuel (Gauja, 2013 ; Scarrow, 2014). Ces innovations organisationnelles ont permis de renforcer la capacité de recrutement et d’attraction sociale des organisations politiques. La nouvelle catégorie d’af.liation plus fréquemment utilisée est celle du ‘sympathisant’. Malgré l’usage désormais assez répandu au sein des partis européens de cette catégorie des ‘sympathisants’, une certaine confusion persiste quant à sa nature, à ses implications pour la dimension organisationnelle des partis au sens large et quant aux différences en termes de conceptualisation et d’usage empirique de la catégorie par les partis. A.n de pouvoir évaluer la portée analytique de cette catégorie dans la cadre des études de partis, de la participation politique et de l’adhésion partisane en perspective comparée, il est crucial d’en établir la nature et la signi.cation à travers les pays et les organisations partisanes. Une façon de compenser à cette lacune dans la littérature comparée sur la dimension organisationnelle des partis, c’est d’analyser dans quelle mesure et selon quelles modalités cette catégorie est régulée au sein des statuts et des règles de fonctionnement internes des partis. Ce papier se propose donc d’identi.er les dimensions principales de la régulation formelle de l’intégration des ‘sympathisants’ au sein des partis européens. Les dimensions analysées incluent les droits et devoirs des sympathisants, les coûts de leur 177 af.liation, les procédures de recrutement et leur niveau de centralisation, les prérequis à l’entrée et les règles d’expulsion. Les principales questions de recherche de cette étude sont les suivantes : qui sont les sympathisants de partis ? Dans quelle mesure ils participent aux activités partisanes selon les pays, les familles politiques et les types de partis ? La catégorie de "sympathisant" peut-elle être stabilisée sur base des règles formelles des partis ? En s’appuyant sur une base de données originelle explorant les statuts et constitutions internes des partis européens, nous procédons à une catégorisation des différentes typologies de sympathisants sur base de leur degré d’intégration dans les activités de parti. De plus, Maor (1997) a montré que différents modèles organisationnels ou types de partis impliquent différents typologies d’adhésion partisane. Depuis l’élaboration de la théorie du parti cartel (Kats et Mair, 1995, 2009), les politistes ont associé des rôles et des caractéristiques différentes de l’adhésion partisane à chaque modèle organisationnel de parti (van Haute, 2009). Notre base de données nous permet donc de tester empiriquement cette hypothèse aussi pour le cas des sympathisants de partis et d’explorer donc la portée explicative des modèles organisationnels des partis quant à la variation des caractéristiques de ces différentes formes d’af.liation partisane. L’analyse est développée à partir d’une base de données comparées observant les règles internes sur l’af.liation et l’engagement des sympathisants au sein des principaux partis parlementaires dans 10 démocraties européennes (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Irlande, Italie, Portugal, Royaume-Uni, Suisse). Le développement d’organisation para-partisane comme instrument de renouvellement et d’expansion d’une entreprise politique : le cas du FN en France Reungoat E. Université Montpellier 1 En France, le Front National semble s’inscrire dans les évolutions contemporaines qui touchent les partis politiques au travers du développement d’organisations para-partisanes offrant des alternatives à l’adhésion militante à l’organisation et visant à élargir la surface et les frontières de celle-ci ainsi qu’à intégrer des supporters non adhérents. Cette communication propose de décrire ce nouveau développement au sein de l’organisation d’extrême droite et d’analyser ses usages dans l’économie interne du parti et ses effets sur l’organisation. Nous travaillons ici sur la base d’une méthodologie de recherche articulant un travail d’archive (archive de presse et archives partisane) et la passation d’entretiens avec des membres et cadres du parti (en cours). Nous choisissons de nous focaliser en particulier sur le Rassemblement Bleu Marine (RBM), organisation fondée sous le statut d’une association (loi française de 1901) par la nouvelle direction du FN en particulier pendant la campagne présidentielle 2012. Crée à l’origine pour labelliser une coalition électorale pour l’élection législative, l’association s’est pérennisée et ouverte aux membres de base. Notre analyse vise donc à comprendre les enjeux de l’évolution des af.liations proposées par le FN, en particulier à ses cadres et candidats, mais également aux militants de base. Nous questionnerons d’abord la capacité du RBM à ampli.er et renouveler le militantisme partisan ou para-partisan et à s’adapter à de nouveaux modes de mobilisations. Il s’agira d’évaluer en quoi la création du RBM ainsi que d’un groupement spéci.que, « Les jeunes avec Marine » réseau informel crée en 2010 visant à rassembler jeunes membres et non membres du FN supporters de Marine Le Pen, peuvent apparaitre comme des organisations visant à soutenir ou renouveler l’activité des militants de base et à s’adapter à de nouveaux modes de mobilisation. On fera ici l’hypothèse que ces organisations semblent moins remplir ces objectifs que mettre en scène l’ouverture et la légitimité du parti renouvelé. Nous analyserons ensuite le RBM comme un instrument mobilisé par la nouvelle direction du FN autour de Marine Le Pen a.n de parvenir à faire évoluer l’organisation, à sécuriser son contrôle et à supporter la marque politique personnelle de « Marine Le Pen ». Trois usages de l’organisation para-partisane peuvent être dégagés en particulier. 1) La création de l’association vient servir la stratégie de communication mise en place par la nouvelle direction visant à policer et « dédiaboliser » l’image du parti ; stratégie elle-même inscrite dans une double pratique traditionnelle du FN alternant démarcation et normalisation. L’association de nouveaux candidats issus de la « société civile », transfuges d’autres organisations partisanes ou personnalités médiatiques permet au parti de s’approprier les différentes légitimés qui leurs sont associés, mais aussi de chercher à élargir l’électorat visé par le FN. 2) Outre l’ouverture du spectre politique couvert par le parti, la création de cette organisation para-partisane permet un renouvellement partiel des cadres locaux, régionaux et nationaux ainsi que l’expansion de l’entreprise politique. Dans une organisation marquée depuis sa naissance par une carence chronique de cadres et de candidats éduqués, expérimentés et compétent, le RBM permet d’étendre largement l’effectif de candidats investis sur l’ensemble du territoire français lors des élections législatives de 2012 et des élections locales et européennes de 2014. 3) En.n, la publicité faire autour de nouveaux supporters attachés à sa personne et la promotion de nouveaux cadres et/ou élus fortement dépendants de la présidente quant à leur statut ou ré-élection vient renforcer la position de la président du parti récemment élue ainsi que sa légitimité, tant au sein de l’organisation que dans la compétition nationale. Les sympathisants socialistes au prisme de la primaire de 2011 : Sociologie des sympathisants-électeurs dans la commune d’Amiens (80) 1 Mongaux P., 1Taghavi B. Université de Picardie/Curapp-ESS 1 Lors de la primaire ouverte organisée par le Parti socialiste (PS) en 2011, nous procédions à la passation d’un « 178 questionnaire sortie des urnes » dans les bureaux de votes de la commune d’Amiens dans le département de la Somme. Ce sont les résultats de cette enquête par questionnaire auprès d’électeurs de la primaire socialiste que nous nous proposons d’exposer. L’idée sous-jacente, et qui gagnera sans doute à être discutée, est la suivante : la primaire du PS peut-être analysée comme une cristallisation ou une objectivation partielles des réseaux partisans en général, et du halo de ses sympathisants en particulier. Si la catégorie d’adhérent de parti politique a été plus souvent abordée par les chercheurs, c’est peut-être que cette catégorie est plus facilement objectivable que celle de sympathisant. Notre communication contourne le problème de la dé.nition abstraite et ex-nihilo des frontières de cette catégorie – sans y parvenir complétement nous le verrons – en prenant appui sur une population qui, par ses pratiques sociales et politiques (en l’occurrence : se déplacer un dimanche pour désigner le candidat socialiste à l’élection présidentielle) peut être approchée, sous plusieurs conditions à dé.nir, comme sympathisante du PS. Cette communication vise donc à apporter quelques éléments sociographiques sur un échantillon de sympathisants du PS extrait d’une base de données constituée à partir du vote de la primaire de 2011 dans le département de la Somme et plus précisément à Amiens. Qui sont ces sympathisants ? Comment les caractériser et quelles sont leurs propriétés sociales ? Quels sont leurs types d’engagements ? Dans quelle mesure et sous quelle(s) forme(s) sont-ils liés au PS ? Identi.er des sympathisants : la mise en œuvre dif.cile d’une idée simple. A partir d’un millier de répondants au total, il s’agit alors d’entamer une première ré!exion sur le traitement des réponses : celles-ci sont le fait d’adhérents du PS, d’adhérents à un autre parti, d’ex adhérents, et de non-adhérents (présents ou passés) à quelque parti que ce soit. Or, cette dernière catégorie peut-elle être considérée comme celle des sympathisants ? Nous verrons qu’elle peut encore se subdiviser en deux sous-ensembles : celui des non-adhérents qui se déclarent sympathisants du PS et celui des non-adhérents qui déclarent ne pas être sympathisants d’un parti. Bref, il s’opère ici un jeu de labellisation voire d’auto-labellisation qu’il convient d’analyser au regard des propriétés sociales et politiques des répondants. Qui sont les sympathisants ? Propriétés sociales et représentativité Les questionnaires traités apportent des informations de type sociographique sur les répondants (âge, sexe, niveau de diplôme, profession et catégorie sociale, etc.). Nous nous proposerons de tester la représentativité de l’échantillon de sympathisants sous plusieurs rapports. En premier lieu, nous comparerons cet échantillon à la population en âge de voter dans la commune concernée. Cela a.n de mieux comprendre quelles sont les frontières sociales de ce groupe de sympathisants. Les données pourront également être mises en perspective avec les résultats d’une enquête par questionnaire auprès des adhérents du PS dans la Somme en 2011. Les différences éventuelles constitueront autant d’éléments permettant de circonscrire cette catégorie de sympathisants. Engagements et liens avec le PS Nous proposerons en.n d’analyser les différents types d’engagement de ce groupe de sympathisants socialistes en portant une attention particulière à leurs engagements dans d’autres organisations (partisanes, syndicales ou associatives). Nous tenterons donc de déterminer dans quelle mesure ce groupe de sympathisants socialistes est objectivement lié, de près ou de loin, au parti. Conclusion Ce que la primaire fait à la notion de sympathisant et à l’institution partisane Les statuts des partis politiques font désormais place aux sympathisants. Au PS, ils sont « inscrits sur le .chier des sympathisants de la section » et peuvent participer aux réunions, aux débats et même à certains votes. Mais en dé.nitive, ces sympathisants ne revêtent que peu d’existence pratique (ils sont totalement absents de la fédération de la Somme du PS par exemple) et d’importance discursive (on parle de quelques occurrences sur près de 60 pages de textes statutaires). Pourtant, bien qu’il n’existe pas de dé.nition institutionnelle (au sens de dé.nition « of.cielle ») du sympathisant, il semble tout de même que les primaires constituent l’institutionnalisation de la dé.nition du sympathisant (au sens dé.nition d’un rôle partisan). L’émergence de cette nouvelle catégorie d’acteurs non-adhérents mais néanmoins partisans appelle à des anticipations et à des ajustements de comportement pour les militants et les cadres du parti. En d’autres termes, l’analyse de ce halo de sympathisants doit chercher à comprendre ce qu’il fait à l’institution partisane. On ne peut l’interpréter sans revenir sur le processus qui a amené le PS (mais aujourd’hui d’autres partis encore ) à 179 imaginer et à mettre en place cette procédure de sélection du candidat à l’élection présidentielle. Loin d’être seulement une « entreprise de disquali.cation de la forme partisane et de son supposé "archaïsme" » , la primaire du PS s’inscrit dans des processus de transformation profond de l’organisation . La cause essentiellement endogène résidant dans l’évolution du recrutement militant et des habitus partisans : « le modus operandi que portent en eux les membres d’un parti politique vient alors redé.nir l’opus operatum que représente l’institution partisane. » Autrement dit, mieux connaître les sympathisants (le dehors) c’est aussi mieux comprendre la forme partisane (le dedans). 180 ST 34 : Micro-politique des revendications matérielles : ce qu'elles nous apprennent sur la dynamique des protestations et sur leur théorisation, avec l’appui de l’ERC WAFAW La langue de ceux d’en dessous : désaveu et désamour organisationnel dans les grèves minières sud-africaines Botiveau R. Université Paris 1 - Sapienza Università di Roma Partant des grandes grèves qui ont secoué les mines sud-africaines depuis 2012, cette communication se propose de mettre en perspective les revendications – principalement salariales – des travailleurs en lutte. D’abord dirigées contre les grandes .rmes multinationales du secteur, leurs mobilisations ont en effet remis en cause le syndicat historique des mineurs, allié à l’African National Congress au pouvoir, et le récit de la « transformation » post-apartheid dont il se voulait l’incarnation dans les mines. Si l’articulation entre mouvements locaux et aspirations à un changement social et politique plus large fait ici problème, cela tient notamment au fait que ces grèves sont marquées par le réinvestissement de répertoires et formes de solidarités antérieurs, aujourd’hui ambigus, qui visent aussi à préserver des cadres de vie et de travail menacés par le dit processus de « transformation ». Qui sont les voyous ? Les représentations ouvrières du politique et du matériel dans un contexte de fermeture d’usine dans le sud-ouest de la France 1 Rouger A., 2Darras E. IEP Aix en Provence 1, IEP Toulouse2 Le con!it Connex [anonymisation] qui commence en octobre 2008 suite à la fermeture d’une usine de connectique automobile dans le sud-ouest de la France offre un cas d’étude pour interroger les intérêts et limites des approches et dé.nitions distinguant entre luttes pratiques militantes et cadrage d’une cause collective, celles qui relèveraient de revendications matérielles par opposition aux revendications politiques. La fermeture de l’usine de Saint Jean La Rivière provoque une mobilisation des salariés de l’usine qui, suivant la stratégie développée par les délégués CGT et dans un contexte où la confédération est ultra-majoritaire, « monte en généralité » et .nira même, pour beaucoup, par symboliser la « lutte pour le maintien de l’emploi industriel en France ». Au même moment, d’autres con!its sociaux issus de fermeture d’usines analogues sous l’in!uence d’autres traditions et institutions intellectuelles et politiques des leaders CGT vont être présentés comme privilégiant à l’inverse le singulier et l’intérêt individuel à court termes autour de revendications beaucoup plus matérielles parce qu’indemnitaires (Continental, par exemple). Mais la partition entre revendication matérielle et symbolique apparait sur le terrain plus complexe, !uctuante et poreuse qu’il n’y semble. Par ailleurs, les revendications « matérielles » sont précisément volontiers dénoncées à ce titre dans les journaux comme dans la lutte ; une stigmatisation qui se retrouve jusque dans la littérature d’analyse lorsqu’elle mobilise de manière caricaturale une telle opposition qui emprunterait du coup à un mépris de classe qui semble souvent s’ignorer. Pour ce qui concerne notre étude de cas, les oppositions notionnelles qui se déclinent entre petites et grandes causes, matérielles vs politiques, individuelles vs collectives, privé vs public, clientélismes et organisation rationnelle… rencontrent vite leurs limites. Près d'un an s’est écoulé entre l’annonce de la fermeture le 23 octobre 2008 et le vote d’un avis sur le PSE par les représentants des salariés au comité d’entreprise, le 15 septembre 2009. Durant cette période, les salariés semblent hésiter et ne se mettent alors en grève que ponctuellement. La grève est perlée jusqu’en juillet 2009 où les salariés tiennent un mois en se relayant devant l’usine. C’est un lock-out patronal d’août 2009 qui met .n à la grève. Les salariés votent la reprise du travail mais des « cerbères » de la direction empêchent tout accès à l’usine. Ils continuent alors à se relayer devant leur entreprise pour protéger l’outil de travail (le vol des moules et des machines – une revendication particulièrement matérielle mais hautement symbolique et économiquement décisive, on se souvient du sac des machines par les luddites). Les leaders syndicaux licenciés, ceux qui étaient les plus prompts à monter en généralité, et qui pourront être engagés dans une carrière politique ou syndicale, sont alors dénoncés par d’autres comme intéressés, clientélistes, comme des « pro.teurs ». Pour dépasser ces interprétations normatives, pour comprendre les mobilisations populaires, il faut comprendre l’entrechoquement des logiques et des représentations (de ce qu’est l’économie, le vol, la politique, le travail, un ouvrier, une carrière, la responsabilité d’une entreprise et de ses dirigeants…) qui constitue la trame de toute une série d’éléments constitutifs de ce con!it et que nous souhaiterions présenter dans le cadre de cette communication. Le con!it Connex nous a offert l’opportunité d’une tentative d’actualisation de la démonstration historique d’E-P Thompson ; notre projet sociologique originel s’inscrivant dans la perspective ouverte par la formation de la classe ouvrière anglaise refusant précisément de reprendre les termes et conceptualisations of.cielles, juridiques et économiques, celles jusqu’alors dominantes des mobilisations populaires pour réhabiliter à l’inverse l’autonomie (mais relative…) de la classe ouvrière qui se reforme et se réinvente avec la révolution industrielle britannique. Reste que nous fûmes confrontés aux dif.cultés de la comparaison de l’incomparable (M. Detienne) qui oblige au raisonnement par des analogies particulièrement prudentes. D’où l’intérêt d’une discussion tant méthodologique que théorique avec des spécialistes des mobilisations africaines plus récentes sur lesquelles nous n’avons toutefois aucune quali.cation. 181 L’enquête collective sur laquelle se base cette proposition associe au .nal 9 enseignants-chercheurs, doctorants et postdoctorants. Elle a béné.cié d’un .nancement ANR, et depuis 2010, permis de réaliser une centaine d’entretiens avec des anciens salariés de l’usine mais aussi des acteurs qui, à un titre ou à un autre (journalistes, avocats, experts, responsables politiques, dirigeants étasuniens), ont joué un rôle à tous les niveaux de l’histoire de cette fermeture d’usine et de la lutte de ces salariés. La recherche se fonde également sur de nombreuses observations dans des circonstances variées qu’elles aient à voir avec la lutte (audiences au tribunal, cortèges lors de manifestations, événements musicaux et plus largement culturels liés à la lutte, assemblées générales de l’association) ou qu’elles procèdent des dispositifs de l’enquête (en immersion collective et par séjours réguliers d’une semaine, 2 à 3 fois par an ou au travers de rencontres plus ponctuelles et informelles mais régulières) : en travaillant régulièrement au sein du local de l’association des personnels licenciés, nous avons eu accès à des aspects relevant du quotidien de ces anciens salariés et de leur collectif/organisation. Patronage, loyauté et prise de parole. L'étude de cas du conflit salarial chez Spinneys (Liban) Scala M. Aix-Marseille Le con!it salarial qui s'est produit en 2012 dans les supermarchés Spinneys au Liban nous donne un exemple d'intersection de patronage et action collective (Auyero 2011). Née suite au refus de l'entreprise d'appliquer la nouvelle loi d'augmentation du salaire minimum, la revendication des travailleurs semble ne pas pouvoir s'expliquer qu'à l'aune d'une réaction à un préjudice matériel. Des enjeux moraux semblent s’être superposés aux enjeux pragmatiques de protestation (Thompson 1963, Scott 1976), la nature des rapports entre employés et cadres patronaux ne se limitant pas au lien professionnel, mais impliquant une liaison de clientèle. À partir de l'étude de cas du con!it-Spinneys, nous ambitionnons de ré!échir sur les implications morales qui accompagnent la mise en place de démarches protestataires dans des systèmes patrimoniaux complexes où se côtoient des modes de contrôle et de gestion de type ultralibéraux et des formes de cadrage, de répression, mais aussi de protection clientélistes. Plus particulièrement, à partir de l'hypothèse que les formes protestataires qui se produisent dans des contextes de travail marqués par des logiques de gestion clientélistes ne pourraient pas s'expliquer qu'au travers d'une paupérisation des cadres mobilisés et qu'une dimension morale parvient à déclencher la détermination à l'action des acteurs mobilisés, nous envisageons de traiter des thèmes suivants : Dans quelle mesure le clientélisme fonctionne comme inhibiteur de l'action collective ? Comment expliquer le recours à une action concertée dans des contextes où le recours aux relations personnalisées semblerait plus rentable que le coût de l'engagement dans une contestation collective ? Par rapport à ce dernier point et dans une perspective théorique, nous nous efforcerons également de montrer comment introduire la dimension morale d'une protestation qui se produit dans un contexte de travail clientélisé, ce qui ne signi.e pas nécessairement sous-estimer sa valeur utilitaire. Dans une con.guration du travail caractérisée par la présence d'un système de distribution des ressources personnalisées, l'anticipation des coûts de l'engagement dans une action collective de la part des employés pris dans une relation de clientèle paraît improbable dans la mesure où celle-ci impliquerait la sortie de ce réseau. Pour cela, la mise en marche d'une contestation pourrait être lue à l'aune d'un calcul individualiste de la part des acteurs mobilisés ne trouvant plus avantageuse dans la relation de clientèle (Olson 1968). Notre propos, vise précisément à décloisonner ces approches d'analyse (économie morale et individualisme méthodologique) - au premier abord exclusives l'une de l'autre - et à démontrer que les questionnements théoriques posés par ces deux approches conservent une valeur heuristique indépendante de la méthode d’enquête utilisée. L’Etat du plaidoyer. Mobilisations contraintes autour de la gestion des revenus des ressources minières au Cameroun. Lickert V. Paris 1 Panthéon Sorbonne Depuis la .n des années 1990, à la faveur d’une fugace ouverture démocratique, le Président camerounais Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, a été contraint d’ouvrir un pan de la gestion des revenus pétroliers. Quelques acteurs du monde associatif camerounais se sont engouffrés dans cette brèche a.n de dénoncer l’opacité du processus de prise de décision et la mauvaise gestion des revenus pétroliers et miniers par les autorités camerounaises. Ces militants, majoritairement installés à Yaoundé non loin des institutions politiques et des organisations internationales, ont fait le choix d’une forme d’engagement qui n’est pas anodine, celle d’une mobilisation sans protestation, autrement appelée plaidoyer ou advocacy. Le plaidoyer est une technique de mobilisation policée, c’est-à-dire dénuée de l’essentiel de ses aspects confrontationnels, particulièrement utilisée au sein du monde du développement (ONG, réseaux transnationaux d’ONG, coalitions etc.) sur des problématiques liées plus particulièrement aux enjeux de développement, aux droits de l’homme et à l’humanitaire. 182 A rebours de thèses communément admises sur le plaidoyer dans le « sud », simple re!et d’une imposition directe d’un registre de mobilisation en vogue dans les pays du « nord » par des ONG à l’échelle locale, cette proposition souligne que le choix de ce registre de mobilisation est plutôt la conséquence d’un calcul raisonnable au regard des possibilités de prises de paroles disponibles ou autorisées par le gouvernement camerounais et des perceptions du jouable et du pensable en termes de protestation au Cameroun. Le plaidoyer « prend » avant tout au Cameroun car il est la forme de mobilisation la moins coûteuse d’un point de vue politique et humain (au sens « sécuritaire ») et qu’il s’appuie sur la mémoire d’un État fermé à toute autre forme de dialogue. [note : A.n de se protéger des intimidations et menaces physiques que peuvent subir les militants faisant usage de forme de mobilisations plus confrontationnelles. A l’image de l’incarcération en 2012 de Bouba Norbert, président de la Cellule de veille et de protection des victimes des activités minières de Figuil (CelPro) accusé d’« incitation au soulèvement, troubles à l’ordre public », du fait de ses dénonciations relatives à la non perception au niveau local des redevances issues de l’exploitation minière par les entreprises opérant à Figuil au Cameroun. Voir Communiqué de presse de PWYP du 7 décembre 2012, http://www.publishwhatyoupay.org/fr/resources/cameroun-intimidation-de-la-soci%C3%A9t%C3%A9-civile] Dans cette communication je propose donc de m’arrêter sur les pratiques de ces militants camerounais et sur le processus de cadrage de leur action collective au travers du registre du plaidoyer utilisé a.n de lutter pour une plus grande justice économique. Face aux multiples détournements possibles et aux nombreuses lacunes juridiques du code minier, ces quelques ONG se sont engagées dans la .xation du droit et de la réglementation minière, en particulier aux règles touchant aux redevances minières et à leur redistribution. Pour ce faire, ces ONG ont développé une véritable expertise du droit qu’elles réinvestissent dans leurs pratiques au quotidien. Comprendre le choix du plaidoyer comme registre de mobilisation plutôt qu’un autre demande ainsi de s’arrêter sur le lien entre mobilisations et rapport à l’État (et donc corrélativement, sur ce que ce lien produit quant à la structuration d’une forme de mobilisation plus ou moins consensuelle) et sur les conceptions populaires de la légitimité, de la justice et de l’État providence. En effet, l’étude du plaidoyer ne doit pas être déconnectée de celle des autorités et des effets que les relations entre ces groupes d’acteurs peuvent avoir en termes de construction d’un registre, de (dé)politisation et de représentation de la responsabilité des dirigeants en matière de subsistance. C’est sur ces deux idées centrales ; le plaidoyer est une forme d’action politique qui « prend » parce que qu’elle est la seule vraiment possible et, si les militants soulignent leur volonté de dépolitiser leur message, ils concourent paradoxalement à le politiser en replaçant l’État au cœur du mécanisme de juste répartition des richesses ; que je souhaite me pencher dans cette communication. Le terrain pour cette recherche a été effectué en 2011 lors d’un séjour de deux mois au Cameroun ; à la fois par une présence quotidienne au sein de l’ONG Relufa (Réseau de lutte contre la faim) et le contact quotidien avec les militants d’autres ONG, en particulier le CED (Centre pour l’environnement et le développement) et la FOCARFE (Fondation Camerounaise pour une action rationnalisée des femmes sur l’environnement; précédemment Fondation Camerounaise d'Actions Rationalisées et de Formation sur l’environnement) et, par de nombreux entretiens auprès des interlocuteurs et cibles de ces militants (organisations internationales, entreprises, gouvernement camerounais, députés camerounais). Protestation et secteur minier au Burkina Faso Capitant S. Université Paris 1 Le secteur minier en Afrique de l’Ouest représente depuis 5 ans un terrain propice aux revendications, mobilisations et contestations. Le registre de “matérialité” de ces mobilisations est varié (accès au travail, meilleurs béné.ces pour les populations environnantes, con!its fonciers, défense de l’orpaillage face à l’exploitation industrielle, inquiétudes environnementales), les acteurs impliqués diversi.és (populations, creuseurs, autorités locales, ONG, syndicats, groupes de jeunes) et les répertoires d’actions multiples (marche, violence, pétition etc.). Cette communication entend, à partir d’une enquête de terrain menée au Burkina Faso en 2014/2015, proposer une ré!exion sur des mouvement de protestations observés autour des sites miniers industriels au Burkina Faso. Alors que le contexte politique burkinabè est très marqué par des mobilisations plus « classiques » d’un point de vue analytique même si elles demeurent originales au regard des dynamiques nationales (marches de l’opposition, refus de la modi.cation de la constitution etc..), les protestations liées au secteur minier apparaissent comparativement très matérielles, voir matérialistes. Les jeunes de Dori mettent le feu à la ville pour marquer leur colère face à l’absence d’embauche locale, malgré les promesses de l’industrie minière installée à proximité. Les orpailleurs usent de la violence pour maintenir de force leur activité sur des terrains dont les titres ont été légalement achetés par des exploitants industriels ou semi-industriels. Des populations protestent contre leur condition de relogement ou contre les nuisances environnementales. Ces mobilisations qui relèvent plus de la micro-politique (J. Scott) que de mouvements sociaux (E. Neveu) sont en décalage par rapport à l’actualité politique urbaine très intense du pays mais structuré de manière plus conforme aux mouvements sociaux. Ces mouvement de contestation observés autour des mines partagent des caractéristiques avec d’autre épisodes contestataires comme la mobilisation éphémère et plus ou moins spontanée d’habitants d’un quartier contre les accidents mortels de circulation répétés du fait de l’absence de travaux urbains, ou contre l’exercice non sanctionné de la violence par des corps habillés. L’intuition de cette communication est de montrer de quelle manière ces actions protestataires caractérisées par une plus forte « matérialité » que les marches politiques, offrent justement un point de vue original sur le renouvellement des modes de contestation : plus violents, peu d’acteurs structurés, retour vers le rural, faible couverture médiatique, pérennité fragile etc. Le secteur minier représente aujourd’hui un contexte très favorable d’observation de ce renouvellement et permet d’interroger avec force la « nature » et la « portée » de ces revendications matérielles. 183 Entre « défense de l’Amazonie » et « bénéfices de la pollution ». Mobilisations indigènes et économie du consentement aux abords d’un site pétrolier Buu-Sao D. IEP de Paris A priori bien loin des ateliers d’usine et des grèves d’ouvriers, les mobilisations « indigènes » pourraient s’apparenter aux mouvements post-matérialistes théorisées par les tenants des Nouveaux mouvements sociaux (NMS). La contestation indigène, ainsi analysée, reposerait sur la médiatisation de rassemblements jouant plus souvent sur les symboles que sur le nombre, sur la solidarité d’une société civile transnationale mise en réseau grâce aux nouvelles technologies, sur des revendications post-matérialistes telles que la défense d’une identité culturelle, de droits spéci.ques qui leur sont associés ou de l’environnement au nom d’un rapport à la nature intrinsèquement harmonieux (voir par exemple : Alvarez et Escobar, 1992 ; Keck et Sikkink, 1998 ; Brysk, 2000 ; Yashar, 2005). Les entrepreneurs de la contestation « indigène » côtoyés à l’occasion de plusieurs enquêtes de terrain, menées aux abords d’un site pétrolier de l’Amazonie péruvienne, performent de manière convaincante cette façade si appréciée de leurs alliés transnationaux : ils réapprennent à porter le costume, osent interpeler des hauts fonctionnaires et ministres en quechua, versent des larmes sincères, dans les assemblées de village comme face aux caméras, à l’évocation des déversements de pétrole qui ont lieu sur des territoires qui leur sont pourtant reconnus par le droit national et international. L’immersion dans le quotidien des familles au nom desquelles ils entendent parler laisse entrevoir d’autres pratiques et discours. Certains habitants accepteront de participer à une mobilisation dans l’espoir de toucher les « béné.ces de la pollution », expression maladroite aux yeux des avocats engagés aux côtés des leaders « indigènes », mais directement associée à ces notions plus juridiques que sont la « compensation » et l’« indemnisation » du fait des dommages environnementaux causés par l’extraction de pétrole. D’autres célèbreront le 1er mai, appelé « jour de l’ouvrier », car les entreprises sous-traitantes leur offrent régulièrement un contrat d’un mois pour effectuer en bleu de travail des tâches non quali.ées d’entretien des pipelines ou des routes qui permettent de connecter, en pleine forêt amazonienne, un puits d’extraction au reste du réseau de production. Faut-il pour autant considérer le registre identitaire et écologiste comme un leurre masquant les véritables exigences des populations, matérielles, qui découleraient automatiquement de leur place dans une structure de production donnée (comme suggéré par exemple dans Veltmeyer, 1997 ; Eckstein et Wickham-Crowley, 2010) ? Il serait peut-être plus intéressant de s’interroger sur les ressorts de cette coexistence de revendications matérielles et d’une façade postmatérialiste. Dans cet espace historiquement construit comme marginal et inhospitalier qu’est l’Amazonie, l’État semble se « décharger » (Hibou, 1999) auprès de compagnies étrangères d’une partie de ses fonctions. Au quotidien, la compagnie détentrice de la concession est la première interlocutrice des villageois, qu’ils expriment le besoin d’un emploi temporaire, d’une consultation dans sa clinique privée, de cahiers pour les écoliers ou d’un moyen de transport rapide pour obtenir plus facilement leur document d’identité national (et, ainsi, pouvoir travailler pour cette même compagnie). Les habitants s’entretiennent régulièrement avec des responsables de « relations communautaires » de l’entreprise titulaire de la concession chargés de décider de l’allocation de ces ressources à certaines familles et non à d’autres. Ces transactions sont ainsi assimilables à des relations de type clientélaire qui, en entretenant cette « amitié paradoxale »(Briquet, 1999) que sont des relations de « bon voisinage » entre les compagnies transnationales et les populations rurales, reproduisent des structures de dépendance économique tout en les légitimant. Pour autant, ces mêmes personnes peuvent participer aux mobilisations organisées par des leaders « indigènes » qui, eux, passent plus de temps dans les villes à rencontrer leurs alliés et à négocier avec leurs adversaires – et, exceptionnellement, acceptent de s’embarquer dans l’avion de la compagnie pétrolière pour s’épargner la semaine de voyage par voie !uviale, coûteuse en temps et en argent, qui sépare les villages de la capitale régionale ou nationale. En quoi la prise en compte de cette ambivalence entre différents types d’interaction enrichit-elle la compréhension de la contestation et notamment du lien que les mobilisations peuvent entretenir avec une certaine économie du consentement ? Cette communication se propose d’inscrire l’analyse de l’action collective dans le quotidien extraprotestataire, de ne pas l’isoler de pratiques auxquelles elle peut être paradoxalement liée telles que le clientélisme. L’ambivalence des revendications exprimées sera d’abord examinée à la lumière des tensions internes aux populations locales et de leurs pratiques économiques. L’observation du quotidien de ces populations et des relations de parenté, d’af.nité et d’inimitié qu’elles entretiennent entre elles, permet de comprendre les différentes stratégies de captation de ressources adoptées, qu’elles s’orientent vers les compagnies privées, la bureaucratie locale ou l’écologisme indigéniste. Puis il s’agira d’examiner comment ces mobilisations, qui ne se réduisent ni au pur antagonisme, ni à la seule relation de clientèle, articulent ces deux modes de relation. La communication analysera alors comment se jouent, autour de ces ambivalences, les adaptations réciproques entre les acteurs de la critique sociale et les acteurs de la con.rmation d’un ordre économique et politique construit autour de l’exploitation privée des ressources naturelles. Les données mobilisées pour cette communication, produites au long des quinze mois de l'enquête menée entre 2011 et 2014, comprendront des entretiens avec des habitants, leaders « indigènes », membres d’ONG, fonctionnaires de l’exécutif et cadres de la compagnie pétrolière ; l’observation de moments de rencontre entre ces différents acteurs et les archives produites à ces occasions ; des généalogies de familles ; des observations de leur quotidien et des journées de travail dans les installations pétrolières. Bibliographie ALVAREZ Sonia E et ESCOBAR Arturo, 1992, The Making Of Social Movements In Latin America: Identity, Strategy, And Democracy, Boulder, Westview Press. 184 BRIQUET Jean-Louis, 1999, « Des amitiés paradoxales. Echanges intéressés et morale du désintéressement dans les relations de clientèle », Politix, 1999, vol. 12, no 45, p. 7?20. BRYSK Alison, 2000, From Tribal Village to Global Village. Indian Rights and International Relations in Latin America, Standford, Standford University Press, 400 p. ECKSTEIN Susan et WICKHAM-CROWLEY Timothy, 2010, « Économie et sociologie politiques du militantisme et des répertoires des mouvements sociaux récents en Amérique latine », Revue internationale de politique comparée, 2010, vol. 2, no 17, p. 29?52. HIBOU Béatrice (ed.), 1999, La privatisation des Etats, Paris, Karthala, 398 p. KECK Margaret E. et SIKKINK Kathryn, 1998, Activists beyond Borders: Activist Networks in International Politics, Ithaca and London, Cornell University Press, 240 p. VELTMEYER Henry, 1997, « New social movements in Latin America: The dynamics of class and identity », Journal of Peasant Studies, 1997, vol. 25, no 1, p. 139-169. YASHAR Deborah J., 2005, Contesting Citizenship in Latin America. the Rise of Indigenous Movements and the Postliberal Challenge, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 365 p. Micro-politique des revendications pour l'emploi dans le bassin minier du sud jordanien Fioroni C. Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement Cette contribution analyse les actions collectives protestataires menées par de jeunes hommes sans emploi dans le bassin minier du sud jordanien. Elles ont commencé au début de l'année 2011, peu après l’amorce des soulèvements populaires dans la région arabe. La principale revendication des manifestants est l'accès à l'emploi et leurs demandes visent directement ou indirectement l’entreprise jordanienne de phosphate, la Jordan Phosphate Mines Company (JPMC), dont la privatisation en 2006 a exclu la population locale de l'une des principales opportunités d'emploi. Quel est le fondement de ces revendications ? Du point de vue empirique, cette contribution apporte un éclairage « par le bas » sur les conséquences politiques de la privatisation de la JPMC à partir de l’analyse des mobilisations pour l’emploi dans le bassin minier du sud jordanien. Du point de vue théorique, il s’agit de discuter les mérites et les limites de l’approche de l’ économie morale pour l’analyse ces revendications. Dans la première partie, j’introduis les pratiques de recrutement qui ont façonné la moralité de l’emploi dans le sud jordanien depuis l’établissement du royaume Hachémite de Jordanie. Je montre notamment que les pratiques de recrutement dans le secteur public, y compris à la JPMC, représente une dimension clef des relations de souveraineté entre la population locale et la monarchie Hachémite dans le sud jordanien et que celles-ci ont contribué au développement d’une logique de l’emploi comme une forme de distribution de richesse. Dans la seconde partie, je présente la manière dont mes interlocuteurs justi.ent leur revendication pour l’emploi. Ces derniers mobilisent une variété de registres. Toutes ne sont pas réductibles à la logique de l’emploi comme forme de distribution. Cette dernière occupe néanmoins une place prépondérante : elle constitue le fondement du « droit » à l’emploi revendiqué par les jeunes chômeurs. La prépondérance de l’emploi comme forme de distribution dans la manière dont les manifestants justi.ent leurs demandes traduit l’effet structurel des pratiques de recrutement sur l’économie morale des demandeurs d’emploi. Dans la troisième partie, j’approfondis l’argument de l’économie morale a.n d’en discuter les mérites pour la compréhension de l’effet de la privatisation pour les relations entre gouvernés et gouvernants. En particulier, l’approche de l’économie morale offre une perspective intéressante pour lier analytiquement les revendications pour l’emploi aux conséquences de la privatisation. Elle permet également d’expliquer la temporalité des protestations et leur virulence. Dans la dernière partie, je discute les limites de cette perspective. En plaçant le consensus autour duquel les relations entre gouvernants et gouvernés s’articulent au cœur de l’analyse, le concept d'économie morale comporte le risque de réitérer la perspective dominante au détriment des voix dissidentes qui comportent en elles les germes d’une émancipation potentielle. 185 ST 35 : Les sciences sociales à l’épreuve de l’expertise en développement et en sécurité internationales La convergence des pratiques de la sécurité par les réseaux : le cas des réseaux militaires internationaux Forget A. Cornell Depuis les années 1990, la multiplication des échanges et des modes de production en dehors des institutions et de l’État ont contribué à la constitution d’un monde plus décentralisé que jamais. Face aux dé.s théoriques et méthodologiques posés par cette réalité, les recherches sur les réseaux internationaux connaissent un regain d’intérêt. Ces études permettent de cartographier les relations entre les acteurs de la sécurité au-delà des frontières nationales, des cadres institutionnels et des champs professionnels, mais peinent encore à expliquer le changement que ces réseaux transnationaux produisent sur le domaine de la sécurité. La contribution de cette communication est triple. Nous ferons d’abord un état des lieux de l’étude des réseaux en sécurité internationale, en soulignant leur potentiel pour qui s’intéresse aux pratiques des différentes catégories d’acteurs de la sécurité internationale. Nous illustrons dans un deuxième temps les possibilités offertes par cette approche en présentant les résultats d’une étude longitudinale menée sur plus de deux ans auprès d’un réseau militaire international (le Multinational Interoperability Council) et qui révèle les effets de convergence des pratiques des militaires en dehors des frontières institutionnelles. Cette convergence concerne autant les pratiques militaires conventionnelles, comme l’harmonisation technique et la recherche et le développement de technologies, que les interventions humanitaires en cas de désastres, la coopération civilo-militaires, etc. De plus, nous verrons que ces réseaux militaires entretiennent des liens avec d’autres catégories professionnelles telles que les fonctionnaires civils, les organisations humanitaires (comme la Croix-Rouge) et les organisations internationales (comme l’UE, et l’UA), avec qui leurs représentants conviennent de protocoles d’intervention, de meilleures pratiques, etc. Finalement, nous échangerons sur les limites de la démarche empruntée dans le cadre de cette recherche, en commentant de façon ré!exive l’expérience sociologique du chercheur dans la collecte des données utilisées et dans l’échange d’expertise. Securitizing Professions? A sociology of humanitarian security professionals and their practices of protection Beerli M. Université de Genève; Sciences Po Paris Since the late 1990s, statistical accounts point to a rise in the absolute number of direct targeted attacks against aid workers. However, based on the disproportionate number of attacks taking place in three countries alongside a lack of evidence proving a subsequent increase in the relative number of direct, the objectivity of announcements referring to increased insecurity experienced by humanitarian agents is uncertain. Despite this ambiguity, the recruitment of security directors both at the headquarters and .eld of.ce level of many humanitarian organizations, the increasing reformation and standardization of security protocols, the multiplication of security consultancy training .rms and hence the drastic expansion of security-related services available for humanitarian staff points to the establishment of an intricate nexus through which professionals of security are directly implicated in the humanitarian milieu. Refusing an epistemological interpretation which holds the maintenance of security as the natural state of order, the professionals enforcing this order and the practices through which they do so need to be analyzed. Based on this premise, this paper proposes a sociological analysis of the professionals managing humanitarian security. It argues that there is the emergence of a new professional category in the humanitarian space charged with managing security. This organizational change is rationalized within a set of justi.catory frames. Lastly, socializing opportunities push for the solidi.cation of this professional group, which performs a speci.c set of security practices. « Risky business ». Risque politique et politique du risque dans la coopération avec les États fragiles 1 Matagne G., 2Leclercq S. ULB/UCL2, Université de Liège1 Les politiques d’aide au développement à destination des pays sortant d’un con!it violent se caractérisent, depuis une dizaine d’années, par une nouvelle ré!exion visant à lutter contre les « situations de fragilité et de con!it ». La notion de fragilité, promue notamment par l’OCDE, a connu un essor au sein de la communauté du développement (Bouchet 2011). Fonctionnellement ambiguë (Nay 2013 ; Rist), elle permet de renvoyer à plusieurs registres, dont celui de la sécurisation et de l’ef.cacité de l’aide (OCDE). On observe que les travaux théoriques menés au sein de forums 186 internationaux comme le CAD sont en décalage avec les contraintes administratives des bailleurs de fonds dont les mécanismes techniques et .nanciers laissent peu de place à la souplesse et à l’innovation, générant des dilemmes, des contradictions et une posture de prudence s’appuyant sur une appréhension technique d’enjeux politiques. Cette prudence s’incarne notamment par l’adoption de mécanismes « incitatifs », par la libération progressive de fractions des budgets d’aide publique au développement soumise à l’atteinte de progrès en matière de gouvernance, selon des critères parfois hésitants (macro-économiques ou politiques), par une hésitation à « tenter l’aventure » de l’appui budgétaire. S’appuyant sur plus de cinq années d’expériences de terrain (observation participante, consultation à titre d’expert, au siège de la coopération belge, en RDC, au Rwanda et au Burundi) au sein du groupe de recherche en appui aux politiques de paix (GRAPAX), cette communication propose d’analyser cette « fragilité » des politiques de coopération elles-mêmes sous l’angle du rapport au risque et du recours à l’expertise. Différentes perceptions et représentations du risque sont dé.nies et une typologie est présentée (risques sécuritaires, politico-diplomatiques, humanitaires, .duciaires, techniques, climatiques et liés à la question de la gouvernance, corruption et mauvaise utilisation des moyens .nanciers mis à disposition par les bailleurs). Parmi les instruments pensés et mis en œuvre pour accommoder ces risques, l’accent est mis sur les questions des tranches incitatives et du double ancrage (décentralisation). Haïti après le séisme de 2010 : Gouvernement humanitaire, gouvernement sécuritaire ? Worlein J. Université Paris Ouest Nanterre Haïti, qu’on appelait déjà une « république des ONG » avant le séisme de 2010, est devenu un des pays avec la plus grande densité d’organisations humanitaires du monde. Cette situation persiste étant donné la multiplication des crises comme l’épidémie du choléra à partir de 2010 ou l’ouragan Sandy en 2012. Quatre ans après le séisme, Haïti est donc encore un cas d'étude pertinent en tant qu’espace transnational qui rassemble une multiplicité et une diversité d'acteurs humanitaires, avec une gestion sécuritaire de la crise humanitaire. La communauté internationale a en effet créé en Haïti des structures partiellement analogues à une structure étatique avec ce qui a été appelé les « tables sectorielles », puis le « système cluster » onusien et des institutions hybrides, comme la Commission Intermédiaire pour la Reconstruction d'Haïti, au sens où elles regroupent des acteurs actifs à différentes échelles (nationale, internationale, transnationale). Ces institutions rassemblent des fonctionnaires de l’État haïtien et des salariés d’ONG et organismes internationaux présents sur place, spécialistes d’un secteur de gouvernement (cluster alimentation, cluster santé, cluster communication, etc.). Ce « gouvernement humanitaire », un enchevêtrement de différents types d'acteurs avec des relations complexes entre acteurs, échelles d’action et situations d’interaction, est traversé par une gestion sécuritaire de la crise. Cette gestion sécuritaire constitue un prolongement de la réaction internationale aux émeutes avant et après l'exil forcé d'Aristide en 2004 ; elle est également la conséquence de la perception internationale du pays comme un État failli. Cette gestion sécuritaire est particulièrement visible dans le maintien de la mission de paix onusienne MINUSTAH, alors qu’Haïti a l’un des taux d’homicides le plus bas de la région, ainsi que dans les mesures de sécurité imposées aux agents humanitaires sur place (couvre-feu, limites à la librecirculation, pression pour habiter dans les quartiers protégés, etc.) Cette proposition de communication s'intéresse pour cette raison à l'articulation entre la classi.cation d'une crise humanitaire comme sécuritaire et des modes d'intervention spéci.ques qui en découlent. La communication sera structurée en trois parties. Dans une première partie, je présenterais une généalogie des crises haïtiennes à partir de 1991 jusqu'aujourd'hui en me focalisant sur l'application des notions d’État failli et État faible. Je montrerai les origines de ce cadre discursif de la situation haïtienne et ses effets sur les dispositifs sécuritaires mise en place par la communauté internationale. Ensuite, j'analyserai dans une deuxième partie la structuration du paysage institutionnel tel qu’il existe aujourd'hui en Haïti. Je me focaliserai particulièrement sur l’application de standards humanitaires dans un environnement dans lequel une grande partie des décisions est prise de manière décentralisée dans des projets ou organisations autonomes. D’une part, la transmission de normes doit donc transgresser des limites sectorielles et professionnelles ; d’autre part, les acteurs humanitaires sont positionnés sur différents échelles d'actions et ils circulent avec une grande vitesse entre des positions formelles et informelles, entre le niveau national haïtien, national étranger, international (ONU, Banque mondiale) et transnational (ONG), ce qui complexi.e un peu plus la situation. Finalement, je montrerai comment les praticiens de l’humanitaire tentent de stabiliser les normes de leur action dans un environnement soumis à des impératifs de sécurité, ce qui vient fortement contraindre à la fois leur autonomie (et donc leur accès au terrain) et leur perception de leur travail au quotidien. Mon analyse se fonde sur une approche de type ethnographique (observation participante des réunions et interactions sur le long terme avec les acteurs dans leur vie quotidienne et sur leur lieu de travail), des entretiens qualitatifs semidirigés et l’analyse de documents collectés sur le terrain (notamment les présentations powerpoint, l’ordre du jour et les comptes rendus de réunions, et la production de cartes – comme production de savoirs codi.és). Une telle démarche par « le bas » offre en effet une plus grande sensibilité à la complexité et la contradiction dans la circulation des différentes formes des savoirs et de pratiques dans un environnement transnational. 187 L' "Anglosphere" et ses standards au sein des réseaux de l'expertise internationale " (Eléments pour une discussion élargie aux questions méthodologiques) MAKKI S. Sciences Po Lille A partir des travaux de l'auteur sur les réseaux britanniques et américains en matière de gestion des crises internationales, cette communication tentera de proposer un cadre de ré!exion et d'échanges pour les intervenants de la ST 35. Plus précisément, il s'agira de revenir sur les aspects méthodologiques (observations participantes, entretiens informels et participation aux réseaux de l'expertise en respectant les règles de Chatham House) pour parvenir à mieux saisir les spéci.cités des dispositifs anglo-saxons et leurs représentations des dispositifs complexes et de la recherche d'une ef.cacité budgétaire et opérationnelle depuis la .n de la Guerre froide. En.n, ces éléments de terrain autour de l'émergence de nouveaux standards doivent questionner le monde de la recherche francophone sur ses capacités à dépasser cette in!uence d'un cadre d'analyse issue de "l'anglosphere" (Srdjan Vucetic, 2011) pour mieux contextualiser les futures approches interdisciplinaires. 188 ST 36 : Gérer les affaires européennes au niveau local : vers l’émergence d’un nouveau champ professionnel ? Les effets de la professionnalisation contestée des chargés Europe sur la prise en charge de l’Europe au sein d'organisations patronales françaises. Yohann M. Ecole normale supérieure Cette communication traite des employés suivant les sujets européens au sein d’organisations patronales françaises. Basés à Paris, ces chargés Europe ne font pas partie des travaux sur les « lobbyistes » présents à Bruxelles (Michel, 2006). De même, les recherches sur l’européanisation des groupes d’intérêt nationaux (Saurugger, 2007) saisissent rarement leur activité ou leur trajectoire professionnelle. Pourtant, le passage par les chargés Europe éclaire la diversité des pratiques professionnelles de l’Europe dans l’espace national. En effet, leur monopole des compétences européennes est notamment contesté au sein de l’organisation par les experts spécialisés sur une thématique (environnement, politique commerciale, etc.). L’enjeu pour les chargés Europe est donc d’imposer leur pratique professionnelle comme la seule légitime. Dès lors, comment la professionnalisation des chargés Europe contribue à faire évoluer la dé.nition et les formes de prise en charge des questions européennes au sein de l’organisation ? Pour ce faire, ils dé.nissent notamment l’Europe comme un sujet autonome nécessitant une expertise transversale et non thématique. Nous avons réalisé une vingtaine d’entretiens avec les chargés Europe de cinq organisations patronales françaises (quatre fédérations et le MEDEF). Nous disposons également d’un questionnaire auquel ont répondu les chargés Europe d’une quinzaine d’organisations. Nos enquêtés, relativement jeunes, sont issus de formations variées et les femmes y sont très représentées. Leur position contestée dans le groupe contraste avec la valorisation croissante des chargés Europe au sein d’une institution locale (de Lassalle, 2010). La légitimation de leur rôle passe par la revendication de savoirs-faires particuliers (lobbying) et d’un rôle de « petits entrepreneurs d’Europe » (Aldrin, Dakowska, 2011). Faire carrière dans les métiers de l’Europe au local : accès, savoirs spécifiques et dynamiques des carrières Michon S. Université de Strasbourg La communication propose d’aborder les pro.ls et les trajectoires d’un ensemble de professionnels de l’Europe politique au niveau local. D’une part, il s’agit d’apporter des éléments de connaissance sur les pro.ls de ceux qui embrassent des carrières dans les métiers de l’Europe au local, notamment du point de vue des instances de socialisation à l’Union européenne, à l’international et aux métiers de l’Europe. L’objectif est de mettre en exergue les savoirs et les savoir-faire spéci.ques à de telles carrières et les parcours qui favorisent leur acquisition. D’autre part, il s’agit de questionner la fermeture de l’espace des métiers et la circulation entre différents niveaux de l’action publique mais aussi au sein même du marché des postes au local. Une enquête par questionnaire et par entretiens auprès d’anciens élèves de Masters qui forment aux métiers de l’Europe politique (en France) permet de renseigner les pro.ls de professionnels de l’Europe au local, de les comparer au sein de l’échantillon réuni à ceux de professionnels de l’Europe qui exercent à Bruxelles, d’appréhender certains processus d’acquisition de savoirs et de savoir-faire spéci.ques à l’exercice de tels métiers, et d’observer la dynamique de leurs carrières au moyen de l’analyse de séquences (optimal matching). « Une professionnalisation inachevée ? Ré5exions sur l’incapacité des chargés d’affaires européennes des collectivités territoriales françaises à se faire entendre de leur hiérarchie sur la question du respect du cadre européen des Services d’Intérêt Économique Général ». Daniel B. Rennes 1 Cette communication s’appuie sur une recherche qui porte sur l’institutionnalisation, au sein des collectivités locales françaises (CLF) du cadre des Services d’Intérêt Économique Général (SIEG). Cet instrument juridique européen encadre les modalités de subventionnement des services publics locaux par les CLF. Cette recherche a permis de mettre en lumière des éléments de compréhension sur les modalités de diffusion et d’institutionnalisation des pratiques professionnelles de l’Europe au sein des CLF. Cette recherche con.rme (de Lassalle, 2010) que la professionnalisation des chargés d’affaires européennes (CAE) en collectivité s’est accompagnée d’une monopolisation de l’expertise 189 européenne par ces derniers, d’une concentration de leurs activités sur les .nancements européens et d’une externalisation partielle des tâches d’intermédiation européenne vers les associations de collectivités (professionnalisation au niveau mezzo). Cette situation est rendue possible par la faiblesse des contraintes que l’UE fait peser sur l’action publique locale, contrairement au sens commun. La spéci.cité du cadre SIEG est que son respect nécessite une mobilisation horizontale des services : placés en position subordonnée à d’autres directions – juridiques… – les CAE ont du mal à sensibiliser au problème. Pourquoi alors, à Lille et Nantes, les CAE ont réussi à impulser une démarche de conformation SIEG ? Le portage politique de l’Europe y a eu des effets transformationnels sur le rôle et la place des CAE et sur la pratique des savoirs européens des administratifs lambdas. Cette nouvelle organisation des pratiques professionnelles européennes risque de se propager à d’autres CLF eut égard au volontarisme récent de la Commission de faire respecter ces normes. Le lobbying subnational au niveau européen : les stratégies de représentation au prisme des professionnels qui les construisent Guisset A. Université Saint-Louis La politique agricole commune (PAC) a été réformée à de multiples reprises, entrainant chaque fois un lot de changements à mettre en œuvre dans les États membres. À charge pour les acteurs nationaux et subnationaux concernés d’adapter à leur niveau les décisions prises au niveau européen. En Belgique, les régions sont à la manœuvre en ce qui concerne la mise en œuvre de la PAC au niveau local (l’agriculture est en effet une compétence quasi entièrement régionalisée). Dès lors, les groupes d’intérêt concernés par les décisions politiques dans ce secteur particulier sont également organisés sur une base subnationale (wallonne/!amande). Ces groupes sont variés et peuvent aussi bien être des syndicats agricoles que des industries, ou encore des ONG environnementales. Pour construire un lobbying ef.cace et destiné à in!uencer le contenu des politiques dans un sens favorable à l’intérêt particulier qu’ils représentent, les professionnels qui travaillent au sein des groupes d’intérêt subnationaux doivent forcément agir au niveau européen, puisque c’est à cette échelle que les politiques les affectant sont adoptées avant d’être mises en œuvre. Cette communication exploitera les données récoltées par le biais d’interviews des personnes en charge du lobbying européen au sein de six groupes d’intérêt subnationaux (deux syndicats, deux industries, et deux ONG environnementales, chaque paire étant constituée d’un pendant !amand et d’un pendant wallon). Les personnes interviewées dans chacun des groupes ont été interrogées sur les stratégies de lobbying menées au niveau européen dans le cadre de la dernière réforme de la PAC (entre 2010 et 2013). Une analyse de l’organisation interne des groupes d’intérêt subnationaux permet de constater que la fonction de lobbyiste au niveau européen incombe bien souvent à une personne en particulier, qui devient la personne de référence quand il s’agit de lier niveau européen et niveau subnational. En comparant les différents groupes, il apparaît que ces « lobbyistes européens » : 1) occupent un poste dont le statut varie d’un groupe à l’autre (il peut aussi bien s’agir du secrétaire-général que d’un employé affecté précisément à la représentation du groupe au niveau européen) ; 2) diffèrent dans leur manière de représenter l’intérêt du groupe subnational au niveau européen (la manière de représenter l’intérêt résulte d’un choix entre les différentes voies d’accès du niveau subnational vers le niveau européen). Le propos de la communication sera de lier ces deux af.rmations en soutenant l’hypothèse que les caractéristiques du poste de « lobbyiste européen » au sein des groupes d’intérêt subnationaux a certainement un impact sur les voies d’accès choisies pour atteindre le niveau européen. En outre, l’étude de la profession de « lobbyiste européen » dans les différents groupes d’intérêt subnationaux peut être éclairante a.n de détecter à quel point le groupe d’intérêt subnational se sent concerné par les prises de décision situées au niveau européen. L’Europe en pratique(s) : profils, trajectoires et socialisation des acteurs de la mise en œuvre de la politique régionale de l’Union européenne en France Lebrou V. Strasbourg La politique régionale de l’Union européenne constitue le principal instrument d’intervention de l’Union européenne au sein des États membres (Nay, 2002). Sa mise en œuvre a notamment abouti à la structuration d’un espace de positions professionnelles situées pour la plupart d’entre elles dans l’espace politique et administratif local. Si les recon.gurations territoriales suscitées par l’apparition de ces nouveaux dispositifs ont été explorées (Hélie, 2004), on sait assez peu de choses du pro.l et des pratiques de ces acteurs qui font l’ « Europe au quotidien » (Pasquier, Weisbein, 2009). Notre communication vise à combler une partie de ce vide sociologique en nous intéressant à l’espace que forment les acteurs concernés par la gestion des fonds structurels européens, qu’ils soient en charge de l’instruction des dossiers, de l’animation des dispositifs ou du contrôle des modalités de leur utilisation. Basée sur un matériau empirique conséquent, une centaine d’entretiens semi-directifs représentatifs de l’ensemble des institutions concernées, notre communication s’intéressera successivement aux contours de cet espace, aux pro.ls de ses principaux agents ainsi qu’au développement de nouvelles pratiques qu’implique leur intervention. 190 Dans la première partie de notre démonstration, nous nous attacherons à tracer les principaux contours de cette con.guration en constante redé.nition. L’objectivation de cet espace de positions nous amènera notamment à interroger son articulation avec l’existant : loin de faire disparaître l’État ou de se jouer en parallèle des routines institutionnelles en vigueur dans l’espace national, la mise en œuvre de la politique de cohésion fait se rencontrer deux phénomènes pensés le plus souvent de manière distincte. Le fait de se doter d’une vision globale de l’espace des positions investies dans la mise en œuvre d’une politique communautaire permet au contraire de montrer le niveau élevé de son imbrication avec les politiques publiques participant de la « construction du souci de soi de l’État » (Bezes, 2002). Loin de constituer un espace clos qui agirait de manière déconnectée des univers institutionnels avec lesquels ses agents sont amenés à entrer en contact, le champ de la politique de cohésion constitue bien davantage le lieu d’élaboration et de diffusion d’af.nités électives entre les politiques communautaires et le renforcement de la .gure de l’État social actif (Dubois, 2007). Notre communication vise en second lieu à mieux connaître le pro.l de ces acteurs. Loin de contribuer à l’émergence d’un pro.l homogène comme pourrait le laisser croire la multiplication des diplômes dédiés à la formation aux questions européennes (Michon, 2009), nous chercherons à mettre en évidence la variété des ressources et des trajectoires dont les fonds communautaires se font le support de développement. Sur ce point, nous montrerons notamment que les chargés de mission Europe au local (mais également ceux positionnés à l’échelon national), se distinguent de leurs homologues bruxellois par la faiblesse du capital communautaire accumulé. Que ce soit sur le plan scolaire ou professionnel, peu nombreux sont ceux qui franchissent la frontière bruxelloise pour pénétrer la partie la plus centrale du champ de l’Eurocratie (Georgakakis, 2012). De la même manière, l’importance progressivement accordée à des enjeux d’audit et de contrôle des fonds ont contribué à la valorisation de ressources gestionnaires au détriment de dispositions plus internationales. La mise en œuvre de la politique de cohésion en France ne peut alors être perçue comme le prolongement naturel des normes et décisions bruxelloises. L’analyse relationnelle des ressources accumulées par ces acteurs et des conditions de leur mobilisation laisse au contraire apparaître une forme de coupure entre espaces qui tend à reléguer au second plan l’objectif politique de cohésion au pro.t de problématiques plus en phase avec la managerialisation en cours des administrations publiques. La confrontation aux normes et schèmes de pensée communautaires nécessite en.n de la part de ces acteurs un processus de socialisation que cette communication se propose de décrire. A la fois en raison de la nouveauté de leur contenu, mais également parce que la mobilisation de fonds européens fait l’objet de contrôles récurrents, les normes communautaires nécessitent apprentissage couteux. Les professionnels de l’Europe au local sont notamment contraints de se familiariser avec la culture de contrôle que véhiculent les fonds structurels européens. Plus que l’atteinte d’un objectif politique de cohésion, l’impératif de traçabilité des dépenses constitue le principal « objet, agent et enjeu de socialisation » (Michel, Robert 2010) de ces acteurs. Leur rôle consiste alors davantage à gérer les risques inhérents à l’obtention d’enveloppes de fonds européens, que ce soit comme gestionnaire ou béné.ciaire, ce qui revient le plus souvent à trouver les astuces administratives et comptables qui leur permettent de ne pas tomber sous le coup d’une sanction communautaire pour gestion défaillante. La survalorisation de compétences gestionnaires dans un cadre communautaire périphérique contribue à détourner la politique de cohésion de son objectif de départ. Conformément à une logique globale de responsabilisation des béné.ciaires de subsides publics, l’enjeu réside dans la délimitation des contours de la .gure du bon gestionnaire. En d’autres termes, les agents en charge de la politique de cohésion sont moins à la recherche de solutions qu’imposeraient les disparités économiques et sociales qui jalonnent l’Europe, qu’à « la recherche des problèmes correspondant aux solutions dont ils disposent » (Mauger, 2001). Le contrôle systématique des modalités de gestion des fonds constitue désormais la préoccupation centrale de ces agents, au risque de susciter un non-recours de plus en plus massif de la part de ses béné.ciaires potentiels désireux d’éviter un .nancement devenu trop contraignant. Ce détournement marquerait alors l’échec des fonds européens et érigerait la politique de cohésion en facteur de « destruction massive des richesses » (Warin, 2013) alors même que son objectif de départ consistait à en créer. Bibliographie - Philippe Bezes, « Aux origines des politiques de réforme administrative sous la 5ème République : construction du « souci de soi de l’Etat », Revue française d’administration publique, 2002/2, n°102, p. 307-325. - Vincent Dubois, « Etat social actif et contrôle des chômeurs : un tournant rigoriste entre tendances européennes et logiques nationales », Politique européenne, 2007/1, n°21, p. 73-95. - Didier Georgakakis (dir.), Le champ de l’Eurocratie. Une sociologie politique de l’Union européenne, Paris, Economica, 2012, 368 p. - Thomas Hélie, « Cultiver l’Europe. Eléments pour une approche localisée de l’ « européanisation » des politiques culturelles », Politique européenne, 2004/1, n°12, p. 66-83. - Gérard Mauger, « Les politiques d’insertion. Une contribution paradoxale à la déstabilisation du marché du travail », Actes de la recherche en sciences sociales, Actes de la recherche en sciences sociales, 2001, vol. 136, n°136-137, p. 514. - Hélène Michel, Cécile Robert, « L’Europe comme objet, agent et enjeu de socialisation », in Hélène Michel, Cécile Robert (dir.), La fabrique des « Européens » : processus de socialisation et construction européenne, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg 2010, p. 5-28. - Sébastien Michon, « Faire carrière dans les métiers de l’Europe politique : dispositions, savoirs spéci.ques et types de carrière. Enquête auprès d’élèves et d’anciens élèves de master « Politiques européennes », Politique européenne, 191 2012/3, n°38, p. 185-193. - Olivier Nay, « Négocier le parenariat : jeux et con!its dans la mise en œuvre de la politique communautaire en France », Revue française de science politique, 51 (3), 2001, p. 459-481. - Romain Pasquier, Julien Weisbein, « L’Europe au quotidien », in Antonin Cohen, Bernard Lacroix, Philippe Riutort (dir.), Nouveau manuel de science politique, Paris, La Découverte, 2009, p. 651-664. - Philippe Warin, « La face cachée de la fraude sociale », Le Monde diplomatique, juillet 2013. La fabrication de nouveaux professionnels en Europe ? L'exemple des agents municipaux chargés de l' "intégration des étrangers" Flamant A. Université de Lyon Une série de grandes villes européennes ont investi au cours de la décennie 2000 l'espace européen en participant à des réseaux de villes thématiques. Ces derniers se sont concentrés sur l' "intégration des étrangers", un domaine d'action restant sous la coupe des États-membres mais pour lequel la Commission européenne a multiplié depuis 2004 les dispositifs incitatifs pour son harmonisation (Politique européenne, 2010). Ces réseaux de villes organisent principalement leurs activités autour de projets d'échanges de pratiques entre les municipalités pour capter des .nancements européens et s'imposer comme des interlocuteurs des institutions européennes (Le Galès, Halpern, 2001 ; Payre, Spahic, 2012). Surtout, ces réseaux de villes s’appuient sur du personnel au sein de chaque municipalité européenne a.n de rendre possible ces échanges de pratiques. Ces acteurs municipaux sont pour la plupart très éloignés de Bruxelles, puisqu’ils occupent des postes au sein de leurs municipalités principalement dédiés aux questions d’ « intégration des étrangers », d’ « égalité », de « lutte contre les discriminations » ou de « promotion de la diversité ». Or, à cet égard, ils se distinguent fortement des analyses produites par les travaux de sociologie et de science politique sur les élites européennes (Georgakakis, 2010) en ne faisant pas de l’Europe le lieu de leur carrière. Nous pourrions plutôt évoquer pour ces agents municipaux le fait que l’Europe s’impose dans leur carrière. Notre communication propose de se focaliser sur l’étude d’un groupe de travail « Migration & Intégration » du réseau de villes Eurocités auquel participent plus d’une dizaine d’agents municipaux de l’ensemble de l’Union européenne entre 2006 et 2012. Il s’agira de questionner, d’une part, l’existence ou non d’une .gure professionnelle émergente d’agents municipaux investis sur l’ « intégration des étrangers » avec un même type de parcours et de formation à Bruxelles, l’existence in .ne d’un champ professionnel. D’autre part, nous nous intéresserons aux effets d’une telle participation aussi bien dans les représentations et dans les pratiques de ces acteurs municipaux ainsi que pour leur propre parcours professionnel. Pour répondre à ce questionnement, nous montrerons dans un premier temps comment les représentations et cadres nationaux relatifs à l’ « intégration des étrangers » pèsent fortement dans les façons d’investir par les agents municipaux ce groupe de travail « Migration & Intégration ». Il s’agit ainsi de démontrer qu’en s’investissant sur une thématique pour laquelle les compétences continuent d’être principalement détenues par les autorités étatiques, ces « professionnels de l’Europe » peinent à première vue à échanger et à constituer un champ professionnel. Pour autant, dans un deuxième temps, nous montrerons comment la participation récurrente et régulière aux réunions de ce groupe de travail et aux projets d’échanges de pratiques laisse apparaître les signes de trajectoires professionnelles communes s’appuyant sur ces ressources européennes pour justi.er et légitimer leurs positions au sein de leur propre administration municipale. Ils deviennent des « spécialistes de l’Europe » et parviennent à adopter un discours commun sur ce que doit être une politique municipale d’ « intégration des étrangers ». Bibliographie "Les effets de l'européanisation des politiques d'asile", Politique européenne, n°31, vol.2, 2010 C.Halpern, P. Le Galès, "Pas d'action publique sans instruments propres", Revue française de science politique, n°1, vol 61, 2011, pp 51-78 R.Payre, M.Spahic, "Le tout petit monde des politiques urbaines européennes. Réseaux de villes et métiers urbains de l’Europe. Le cas du CCRE et d’Eurocities", Pole Sud,n°36, 2012, pp 117-1337. D. Georgakakis, Le champ de l'Eurocratie. Une sociologie politique du personnel de l'UE, Paris, Economica, 2012. 192 ST 37 : Saisir les politiques sociales par leurs acteurs. Les articulations entre entretiens de recherche, observation participante et intervention sociologique Plaidoyer pour une approche transversale de l’action publique. Réflexions à partir d’une ethnographie socio-historique et multisituée du traitement public du chômage artistique en France Sigalo Santos L. Paris 8 L’analyse des politiques publiques repose fréquemment sur des oppositions de sens commun – passé vs. présent, Etat vs. administration, décision vs. exécution – qui ont favorisé une division du travail scienti.que entre politistes et sociologues : les premiers se sont surtout concentrés sur l’histoire de l’élaboration de ces politiques, privilégiant l’exploitation d’archives institutionnelles et d’entretiens avec des élus et hauts fonctionnaires ; les seconds ont favorisé l’observation ethnographique de leur mise en œuvre auprès d’agents administratifs de terrain. Ce morcellement des objets et méthodes est préjudiciable en ce qu’il conduit certains chercheurs à oublier que les politiques publiques sont d’abord et avant tout des « actes d’État » (Bourdieu), incarnés par des acteurs sociaux investis de rôles institutionnels. Nous plaidons dans cette communication pour une analyse transversale de l’action publique, de sa mise en forme historique à sa mise en œuvre quotidienne, à partir de notre recherche doctorale sur le traitement public du chômage des artistes en France (Paris/ Gironde). Ce « jeu d’échelle » (Revel) est rendu possible par l’articulation des méthodes sociohistorique et ethnographique : l’exploitation d’archives administratives et d’entretiens avec d’anciens cadres permet de restituer l’historicité des logiques institutionnelles qui norment le travail bureaucratique d’insertion ; l’observation directe de ce travail auprès d’agents de Pôle emploi et des services sociaux donne à voir de façon immédiate les incertitudes auxquelles ceux-ci sont confrontés, au lendemain de transformations d’ampleur des politiques sociales et d’emploi – création de Pôle emploi et du RSA en 2008. Ethnographier la mise en œuvre d'une politique publique de rénovation urbaine : enjeux méthodologiques et épistémologiques Habouzit R. UVSQ Dans mon travail de thèse, portant sur la trajectoire des habitants d’un quartier de Seine Saint-Denis (Clichy-sous-Bois / Montfermeil) concerné par un programme de rénovation urbaine visant la démolition de 1624 logements (dont 1 040 en copropriété) et le relogement des occupants, je m’intéresse notamment à la façon dont s’opère la mise en œuvre de cette politique publique au travers des interactions entre habitants et professionnels. Dans ce contexte, les habitants que je rencontre sont des anciens locataires du parc privé ou des propriétaires occupants expropriés. Tous sont relogés dans le parc social. Les professionnels sont issus du monde associatifs (médiateurs, travailleurs sociaux), des bailleurs sociaux (gardiens d’immeuble, chargés de gestion et chargés de développement social urbain) et des communes signataires du programme (directeurs, chargés de missions politiques de la ville et de missions développement local). Ma méthode s’appuie aussi bien sur des entretiens biographiques (auprès des professionnels et des habitants) que sur des temps d’observation (réunions publiques, pratiques professionnelles, espaces habités). Dans cette communication, je propose de questionner en quoi l’articulation entre observation et entretien s’avère être un outil pertinent pour comprendre les effets de cette politique publique de rénovation urbaine sur la trajectoire des habitants de ce quartier. En premier lieu, et au moment de commencer mon travail de recherche, il est rapidement apparu que l’emploi de ces méthodes s’est présenté comme un moyen d’accéder au terrain. En effet, dès mes premières investigations sur ce territoire, je me suis aperçu que celui-ci était régulièrement convoité par d’autres chercheurs, journalistes et/ou étudiants pour la réalisation de leurs enquêtes, reportages ou mémoires. De plus, au regard de certaines de mes caractéristiques sociologiques : blanc, français, jeune, issus des classes moyennes supérieures, diplômé de l’enseignement supérieur et parisien ma position était a priori différente de celle des habitants de ces deux communes majoritairement immigrés, de nationalité étrangère, faiblement diplômés et issus des classes populaires. Partant de ces constats, l’élaboration de ma méthode a très vite été associée à ma volonté de réduire au maximum les effets associés à la présence d’un chercheur supplémentaire aux caractéristiques sociologiques différenciées. Ainsi, alors que dans un tel contexte un recueil de données uniquement composé d’entretiens risquerait de rendre la démarche intrusive, l’adoption d’une posture ethnographique (combinant entretiens et observations) devenait quant à elle le moyen d’amoindrir cet effet. Ensuite, en plus de cet enjeu lié à l’accès au terrain, la combinaison de ces deux méthodes s’associe aussi à un intérêt scienti.que. En effet, précisons qu’alors que les opérations se déploient localement en Programme de Rénovation Urbaine (PRU), les .nancements, les décisions et les grandes orientations sont, elles, centralisées autour de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) dont l’objectif est de faire « évoluer ces quartiers [dits stigmatisés] vers des espaces urbains « ordinaires » (anru.fr). Face à ces orientations nationales, l’analyse sociologique, par la mobilisation des méthodes de l’observation et de l’entretien auprès des acteurs professionnels et des habitants, donne à voir comment se construit concrètement cette politique sur le terrain : 193 D’une part, les entretiens réalisés auprès des professionnels permettent de saisir la façon dont ces objectifs nationaux sont intériorisés et appropriés par les acteurs de terrain. Au regard de mes données empiriques, il apparaît ainsi que la volonté de transformation en quartiers ordinaires se décline, chez les professionnels, par l’adoption d’une posture normative vis-à-vis des habitants. En effet, les professionnels entendent leurs activités auprès des habitants comme un moyen de les « éduquer », de les « conformer » à de nouvelles normes résidentielles. Ce travail commence dès la préparation au relogement puisque, pour pouvoir être relogés dans le logement social, les professionnels interviennent pour une régularisation des situations des habitants (contrôle du paiement des loyers, mise en place d’échéancier en cas de dettes locatives, demande de titre de séjour) mais aussi sur les manières d’habiter (décohabitation des familles polygames, des ménages multi-générationnels). Ensuite, une fois locataires du logement social, les habitants doivent se soumettre à un règlement intérieur qu’ils signent en même temps que leur bail (ne pas faire de bruit, avoir une bonne utilisation des locaux, ne pas laisser des objets sur le paliers et sur les balcons) et il est aussi conseillé d’adopter certaines pratiques (faire le tri sélectif, surveiller sa consommation d’eau et d’énergie, veiller au bon état des parties communes). Au quotidien, l’observation des pratiques professionnelles éclaire sur la construction de ce rapport normatif dans le sens où ces règles de bon usage sont régulièrement rappelées par les professionnels au moment des interactions qu’ils ont avec les habitants (réunions de locataires, porte à porte, action de sensibilisation, courriers). Durant ces interactions, les actions d’encadrement et les rappels des règles sont légitimés par des arguments en faveur de la revalorisation de l’image du quartier (l’adoption de bons comportements et de nouvelles normes d’habiter concourant à la dé-stigmatisation du quartier) auxquels s’ajoutent des arguments sécuritaires et économiques (un immeuble entretenu réduit le risque d’accidents et amoindri les charges de gestion). D’autre part et face à ces injonctions normatives, les entretiens auprès des habitants renseignent sur la façon dont de ceux-ci perçoivent les effets de ce travail prescriptif. Pour le comprendre, précisons qu’avec le relogement, ces habitants, majoritairement issus de l’immigration et anciens propriétaires ou locataires du parc privé, manifestent le sentiment d’avoir été dépossédés de leurs logements, de leurs réseaux de sociabilité et de solidarité, de la maîtrise qu’ils pouvaient avoir de leur trajectoire résidentielle et de leurs possibilités de pouvoir s’installer durablement sur le territoire. En considérant le logement et, plus généralement, le quartier, comme des supports de protection, il apparaît que le relogement et la perspective de démolition provoquent chez ces habitants des situations d’incertitude, de déstabilisation de leurs ancrages individuels et l’obligation de s’en remettre à la décision des professionnels pour être relogés. En complément des entretiens, l’observation des interactions entre ces habitants et les professionnels illustre comment les habitants réagissent face à ces injonctions normatives. Ici, en plus de la fragilisation provoquée par la perte du logement, l’observation des interactions montre que face aux arguments qu’utilisent les professionnels pour légitimer leurs actions, toute forme de contestation de leur travail est rendue plus dif.cile, voire inexistante, pour les habitants. Dans cette communication, nous montrerons donc que la combinaison des méthodes de l’entretien et de l’observation répond aussi bien à des enjeux d’accès au terrain - en limitant le risque d’une démarche intrusive - qu’à des enjeux scienti.ques - en faisant d’un regard aussi bien attentif aux discours qu’aux pratiques l’occasion de comprendre que derrière l’objectif de transformation des quartiers se joue localement une logique d’encadrement des classes populaires. Observer la mise en œuvre du Fonds Social Européen au niveau du projet, une proposition de méthode entre politiques publiques et valuation studies Sbaraglia F. Université Libre de Bruxelles Quand on s’intéresse aux actions sociales initiées par l’Union européenne (UE), on observe rapidement que la littérature sur l’européanisation domestique a laissé pour compte ses acteurs de mise en œuvre au niveau domestique. Elle s’est concentrée sur le transfert de normes, sur leur confrontation aux différents modèles sociaux domestiques, aux différents types d’instruments (comme la Méthode ouverte de coordination), mais peu de travaux ont été jusqu’au raz-du-sol (Weisbein, 2004) pour observer l’action sociale de l’UE, là où elle se fait au niveau domestique. Pourtant, c’est à ce niveau que se développent des projets .nancés par l’UE : les acteurs socio-politiques qui travaillent quotidiennement à leur mise en œuvre interprètent les instruments européens et se les réapproprient, pour in .ne, diffuser et implanter des projets. Dès lors, ce papier se propose de questionner comment observer la mise en œuvre de l’action sociale de l’Europe là où elle se fait, au travers de ses acteurs ? Pour répondre à cette question, nous proposerons une méthode et une démarche de recherche originales inspirées des valuations studies (Lamont, 2012) qui placent la perception des acteurs au cœur de l’analyse. En associant les valuation studies à un objet de politique publique, nous soutenons l’hypothèse selon laquelle ce sont les perceptions que les acteurs ont de l’instrument européen qui déterminent la manière dont celui-ci sera mis en œuvre dans leur contexte de diffusion. A.n d’appliquer empiriquement notre méthode de recherche, nous avons sélectionné un instrument (objet de réappropriation des acteurs) et un contexte de diffusion : Premièrement, nous travaillons autour du Fonds Social Européen, véritable bras .nancier de la Politique de Cohésion, il subsidie des actions d’intégration socioprofessionnelle, de formation tout au long de la vie et de lutte contre la pauvreté. Ensuite, a.n de circonscrire au mieux notre objet d’étude (Yin, 1994) et d’observer le FSE dans un espace de mise en œuvre précis, nous nous intéressons au niveau régional, et plus particulièrement, au cas de la Région Wallonne (Belgique). Au travers de cette étude de cas, qui repose sur des entretiens et des séances d’observation participante avec des porteurs de projets FSE, il s’agira premièrement d’appliquer notre méthode de recherche, mais aussi de discuter de la dif.culté des terrains au plus près des acteurs socio-politiques et de rendre compte de spéci.cités qui lui sont inhérentes. 194 Saisir l' «urgence sociale » par l’action bénévole : une observation participante dans les dispositifs d’aide alimentaire à Paris Aranda M. Université Paris Ouest Nanterre Dans cette communication, nous proposons de montrer, à partir des résultats d’une recherche sur l’urgence sociale, politique sociale d’exception (Lipsky, Smith, 2011), comment la conjugaison de différentes méthodes d’enquête peut être propice pour l’analyse de l’action publique. La politique publique de l’urgence sociale est la réponse d’assistance que les pouvoirs publics et les associations donnent depuis les années 1980 au problème public des « SDF », ce qui a donné lieu à la mise en place d’un ensemble de dispositifs destinés à les prendre en charge, souvent ponctuellement (Cefaï, Gardella, 2011 ; Gardella, 2014). L’urgence sociale est par ailleurs marquée par la « délégation » de cette réponse aux associations de bénévoles. Des auteurs ont signalé en ce sens que l’action bénévole apporte des distorsions dans l’« équité » de la distribution des « biens publics » (Bruneteaux, Terrolle, 2008 ; Lipsky, Smith, 2011). Notre recherche initiale a voulu donner des pistes de compréhension de ce qu’est fait de l’urgence sociale en tant qu’association de bénévoles (voire en tant que délégataire d’un service public). Pour cela, nous avons choisi d’étudier un cas spéci.que : les dispositifs alimentaires pour « SDF » des Restos du cœur de Paris. De même, nous nous sommes placés dans la lignée des « travaux davantage centrés sur les acteurs, qui analysent les pratiques et les relations au travers desquelles l’action publique se réalise.» (Dubois, 2012 : p.84). Notre enquête de terrain a été réalisée, entre novembre 2012 et juin 2013, au sein de deux dispositifs mis en œuvre dans l’espace public : les Camions du cœur et les maraudes. Cette enquête s’est nourrie de différentes méthodes : une observation participante prolongée, des entretiens ethnographiques auprès des bénévoles et d’une analyse de documents produits par l’association. Le choix de conjuguer les méthodes a été opéré pour éviter les écueils qui sont fréquemment reprochés aux études utilisant uniquement des entretiens (Bongrand, Laborier, 2005). Assez souvent le produit sorti de l’atelier (Becker, 2004) tend à effacer tous les petits procédés qui l’ont conduit à son état .nal. Il s’agira par conséquent de montrer comment nous avons utilisé ces différentes méthodes, à quels moments de l’enquête, et comment celles-ci ont permis d’avancer dans notre recherche – autant du point de vue pratique que du point de vue théorique. Nous avons commencé, par exemple, par l’observation des pratiques des bénévoles vis-à-vis des « béné.ciaires » lors des distributions. Nous avons constaté des dilemmes traduits par des moments d’incertitude face aux demandes des « béné.ciaires ». Cependant, cela n’est pas complètement compréhensible si l’on ne tient pas compte des règles que l’association demande de suivre a.n d’assurer l’ « équité » dans la distribution. Nous avons eu accès à celles-ci par l’intermédiaire d’entretiens ethnographiques avec les bénévoles – et notamment avec les responsables qui s’occupent souvent de les rappeler - de même que par la lecture de documents of.ciels édités par l’association et distribués lors de leurs formations facultatives. Nous avons pu ainsi constater l’existence d’un registre règlementaire et d’un registre personnel (ou expressif) dans l’action bénévole (Weller, 1999). De manière complémentaire, nous proposons de ré!échir aux conditions de possibilité pour le bon déroulement d’une enquête de ce type. Nous parlerons de la manière dont nous avons géré notre présentation de soi (Goffman, 1973). Comment avons-nous présenté notre enquête et à qui au sein de l’association ? Est-ce que le statut de « bénévole » - ou être reconnu comme tel - a joué en notre faveur ou pas? Et dans quelles circonstances ? Nous verrons que le « jeux de rôles » (Gold, 2003) – entre bénévole et étudiant en sciences sociales - a été primordial pour mener à bien cette enquête (obtention facile des entretiens, accès à la documentation, etc.) Bibliographie BECKER Howard S., Ecrire les sciences sociales. Commencer et terminer son article, sa thèse ou son livre, Paris, Economica, 2004 [1986]. BONGRAND Philippe, LABORIER Pascale, « L’entretien dans l’analyse des politiques publiques : un impensé méthodologique ? », Revue française de science politique, 2005/1, Vol. 55, p.73-111. BRUNETEAUX Patrick, TERROLLE Daniel, « La lutte contre la « grande pauvreté » : un marché ? », Regards croisés sur l’économie, 2008/2, n°4, p. 223-233. CEFAI Daniel, GARDELLA Édouard, L’urgence sociale en action. Ethnographie du Samusocial de Paris, Paris, La Découverte, 2011. DUBOIS Vincent, « Ethnographier l’action publique. Les transformations de l’État social au prisme de l’enquête de terrain », Gouvernement et action publique, 2012/1, n°1, p. 83-101. GARDELLA Édouard, « L’urgence comme chronopolitique », Temporalités [En ligne], 19 | 2014, mis en ligne le 25 juin 2014, consulté le 25 juin 2014. URL : http://temporalites.revues.org/2764 GOFFMAN Erving, La mise en scène de la vie quotidienne. 1.La présentation de soi, Paris, Minuit, 1973. GOLD Raymond I., « Jeux de rôles sur le terrain. Observation et participation dans l’enquête sociologique », in CEFAI, Daniel (éd), L’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2003, p.340-349. LIPSKY Michael, SMITH Steven Rathgeb, « Traiter les problèmes sociaux comme des urgences », Tracés. Revue de 195 Sciences Humaines, n°20, 2011 [1989], p. 125-149. WELLER Jean-Marc, L’Etat au guichet. Sociologie cognitive du travail et modernisation administrative des services publics, Desclée de Brouwer, Paris, 1999. Les dé-s des enquêtes de terrain visant à comprendre la question sociale : le cas d’une recherche doctorale sur le logement et les rapports sociaux inégalitaires Goyer R. Université de Montréal La présente proposition de communication vise à présenter la petite histoire d’une recherche doctorale intéressée par la relation entre le logement et les inégalités sociales à travers la perspective des acteurs collectifs dans ce domaine, en particulier ceux impliqués dans la défense du droit au logement au Québec. Le logement est en soi un bien complexe, faisant intervenir une ou plusieurs de ces inégalités et peut être considéré comme le lieu d’interactions entre ses multiples dimensions. Dans ce sens, le logement possède une caractéristique physique comprenant des dimensions architecturale et environnementale mais aussi .nancière par son inscription dans le marché immobilier. Il se caractérise également par sa localisation géographique et l’espace comprenant le voisinage et l’accès aux services. Finalement, le logement procure de la .erté, une fondation pour la famille, une identité culturelle et collective, un réseau social, un support social et une sécurité pour les gens qui l’habitent (Carter et Polevychok, 2004). Par conséquent, l’étude des conditions de logement dans les villes constitue un point d’entrée intéressant pour comprendre ce qui caractérise les expériences sociales contemporaines, mais surtout sa question sociale (Beider, 2009; Vaillancourt et Ducharme, 2001). Pour ce faire, il apparaît pertinent de se tourner vers les mouvements sociaux urbains engagés dans le domaine du logement. Ces derniers, par leur dénonciation des différents rapports de domination liés ou non au capitalisme (Hamel, 2008) et par leur effort à relever les contradictions des sociétés contemporaines (Castells, 1983) peuvent synthétiser expérience personnelle et expérience socio-politique des inégalités liées au logement et contribuer ainsi à la compréhension des différents éléments de la question sociale contemporaine, compréhension à la base du développement de nouvelles politiques sociales. La question de recherche proposée était la suivante : quelles analyses les locataires construisent-ils des rapports sociaux inégalitaires à partir de leur expérience du logement ? Les objectifs de recherche sont les suivants : 1) décrire les expériences de logement telles que vécues individuellement par des locataires et négociées collectivement par des acteurs collectifs (avec le comité logement) ; 2) dégager les analyses des rapports sociaux inégalitaires qui traversent leurs expériences de logement. Pour répondre à ces objectifs, nous avons construit un devis de recherche avec le comité logement basé sur un travail d’observation participante et sur des entrevues avec des acteurs et des locataires. Nous adoptons l’approche de l’intervention sociologique adaptée par Dubet (1994) qui la considère comme une « méthode active dans laquelle les chercheurs dégagent les divers niveaux de signi.cation de […] l’expérience et, surtout, dans laquelle ils mettent les acteurs en position de reconstruire analytiquement le sens de leur pratique » (Dubet, 1995 : 119). Toutefois, plusieurs imprévus nous ont obligé à modi.er notre approche et de se tourner plutôt vers l’enquête proprement ethnographique, tout en conservant la sociologie de l’expérience comme cadre théorique. À cet égard, notre communication évoquera les choix et ajustements qui ont marqué notre recherche et les impacts que ces derniers ont eut sur les données et les résultats. En outre, nous discuterons des apports et limites de l’intervention sociologique et de l’enquête ethnographique à partir de notre expérience. Sortir des catégories de la -gure du pauvre : ré5exions méthodologiques à partir d’un enquête réalisée auprès de femmes enceintes en situation de précarité 1 Jacques B., 1Purgues S. Université de Bordeaux1 Cette communication présentera les résultats de la partie sociologique d’une étude pluridisciplinaire qui a porté sur l’accès aux soins des femmes en santé génésique et reproductive sur un territoire du Grand Sud-Ouest. Le choix de cibler notre questionnement sur la santé reproductive et génésique chez les femmes (15-65 ans) précaires et/ou migrantes vivant dans un territoire rural, résulte de multiples constats. S’il existe des travaux sur chacune des thématiques concernant la santé génésique et reproductif : l’IVG, la contraception, la grossesse..., peu l’approchent dans sa globalité en s’intéressant à la fois aux parcours de vie et aux itinéraires thérapeutiques. Les situations de précarité et/ou de migration, ont été saisies comme des éléments explicatifs des choix de recours, de non recours, de renoncement tout au long d’une histoire de vie génésique. Ce travail a ainsi permis de croiser les dimensions classiques du genre, de la précarité et d’y superposer la question de la ruralité. L’objectif de cette enquête était double. Il s’agissait d’une part de comprendre comment les principaux dispositifs sanitaires et sociaux existants sur le territoire étudié in!uencent ou déterminent les parcours et itinéraires thérapeutiques de femmes précaires et /ou migrantes en matière de santé (génésique et reproductive) et de comprendre comment ces dispositifs peuvent produire du non recours ou du renoncement. D’autre part, nous voulions saisir comment, en même temps que les professionnels du territoire tentent de répondre aux besoins de ces publics, les catégories qu’ils construisent pour appréhender leurs publics, interviennent dans leurs pratiques (de suivi, d’accompagnement et d’information) et ont des effets sur l’accès aux soins des femmes. La thématique choisie pour notre étude nous a amené à devoir ré!échir avec attention à la méthodologie et aux outils 196 d’investigation. L’approche qualitative s’est imposée en raison de plusieurs éléments. Tout d’abord nous sommes parties du constat d’un manque de données (de type statistiques et qualitatives) approfondies sur le territoire étudié et plus particulièrement en ce qui concerne la santé génésique et reproductive. Deuxièmement compte tenu, du caractère privé et intime de nos questionnements, il paraissait évident de privilégier cette approche. Nous avons mené 53 entretiens de type semi-directifs auprès d’intervenants sociaux, de professionnels médicaux et auprès de femmes enceintes en situation de précarité. Nous avons par ailleurs réalisé de nombreuses observations (plus d’une centaine) auprès des professionnels des structures socio-sanitaires du territoire (sages-femmes, gynécologues, travailleurs sociaux au sein du service de maternité de l’unique structure hospitalière du territoire, mais aussi au sein des services de Maisons Départementales de la Solidarité et de l’Insertion (MDSI), de Protection Maternelle et Infantile (PMI), du Planning Familial) et au domicile des parturientes. Enquêter sur une population présentée comme fragile implique de s’interroger sur la posture de l’enquêteur jamais dénuée de sentiments et d’a priori. Quand on travaille sur la maladie, la précarité, la disquali.cation, il faut d’autant plus s’interroger sur le sens commun du chercheur : ses émotions, ses préjugés, les interprétations dictées par sa position sociale, son genre. D’ailleurs les enquêtés interrogent, interpellent, somment le chercheur de se justi.er, de participer, de prendre parti. Mais plus que cela il faut surtout s’interroger sur la gestion d’un rapport social dissymétrique (chercheur/personne en situation de précarité) qui peut créer une situation de malaise, de trouble, de violence symbolique, un dilemme moral. Considérant les pratiques des enquêtés comme des objets de connaissance, on suppose implicitement que la maîtrise pratique de «techniques de neutralisation » rend ce dispositif « invisible » et permet l'observation in situ des enquêtés dans une situation de communication « transparente ». Or, il n’en est rien. Ici la disquali.cation sociale accroit l’asymétrie et empêche l’idéal de la relation d’enquête (la relation de réciprocité qui permet la ré!exivité). Par ailleurs, les individus que nous étudions sont largement marqués par une activité de typi.cation. Nous enquêtons auprès d’individus qui sont déjà dé.nis et appréhendés de multiples façons par les institutions. L’enquêteur doit donc essayer de s’affranchir de ce travail de catégorisation, même si cette typi.cation est souvent intériorisée pas les acteurs eux-mêmes qui les intègrent à leurs conduites et leurs discours. 197 ST 38 : Recherches sur le problème des violences envers les femmes L’ordinaire, le culturel et le pathologique. Registres de qualification des hommes auteurs de violences conjugales Trachman M. Ined Depuis les années 2000 se sont développés en France des dispositifs de prise en charge des auteurs de violences conjugales. Prenant place dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, ces espaces articulent fonction répressive et thérapeutique, apprentissage de la loi, entretiens psychologiques et groupes de parole. Ils supposent certaines conceptions de la violence conjugale, de ses causes, des manières dont on peut imputer à l’individu les faits dont il est accusé. Ces registres de quali.cation ne sont pas homogènes, et varient selon les disciplines et les objectifs pratiques : qu’est-ce qui les distinguent et comment comprendre la mobilisation d’un registre plutôt que d’un autre ? En m’appuyant sur une revue de littérature sur les hommes auteurs de violences conjugales et une enquête sur une association mandatée pour prendre en charge ces hommes, dans le Val d’Oise, je distinguerai trois registres de quali.cation : celui qui conçoit les hommes auteurs comme des hommes ordinaires, qui s’ancre dans les approches en termes de rapports sociaux de sexe ; celui qui met en avant les causes culturelles des violences conjugales, conduisant à faire de celles-ci une spéci.cité des populations immigrées ; celui qui identi.e les dysfonctionnements psychiques de l’individu, dans une approche psychologique. Ces registres ne sont pas seulement des théories issues de disciplines distinctes, ce sont des outils qui permettent d’intervenir sur les hommes auteurs et de justi.er leurs prises en charge, euxmêmes issus de processus d’objectivation variables. Ces contraintes pratiques n’empêchent pas de s’interroger sur les enjeux politiques des différents registres. Intégration de la sociologie de l’immigration à l’étude des violences envers les femmes Khazaei F. Université de Neuchâtel Un tour d’horizon rapide de la littérature sur les violences faites aux femmes nous montre que la conceptualisation de ces violences en tant qu’un problème lié à des rapports sociaux hommes-femmes inégalitaires ne fait pas consensus. Cette explication est en effet fréquemment remise en cause en interprétant ces violences non pas par le système de genre, mais par les problèmes psychologiques relevant de l’individu et non pas du social (Hanmer et Maynard, 1987 ; Debauche et Hamel, 2013). À ces explications psychologiques s’ajoutent les études criminologiques qui avancent la consommation de l’alcool ou le parcours violent et criminel en général pour expliquer les violences conjugales (Killias, 2011). Tout devient encore plus compliqué lorsqu’on croise le débat public sur les violences envers les femmes en général (et les violences conjugales ‘dites domestiques’ en particulier) et le débat sur la problématisation de la migration. Dans ce cas, les explications culturelles et ethniques s’ajoutent aux facteurs explicatifs de ce phénomène. Dans cette diversité d’approches, les chercheurs et chercheuses venant des différentes disciplines de la psychologie, de la science politique, de la sociologie à la criminologie investiguent la problématique des violences conjugales avec leurs propres paradigmes. L’enjeu sera donc de préparer une boite à outils s’inspirant des outils proposés par ces différentes disciplines en fonction de ce qui émergent du travail de terrain pour étudier ce phénomène. Dans le cadre de notre travail de thèse portant sur la prise en charge par l’État des violences conjugales, nous utilisons en effet le cadre analytique offert par les études genre, le cadre le plus courant pour travailler sur les violences faites aux femmes. Cependant, après avoir terminé un premier séjour ethnographique de terrain, nous constatons que chez les professionnel.le.s cohabitent deux modèles explicatifs contradictoires des violences conjugales. L’un inscrit les violences faites aux femmes dans les structures sociales, à la « culture », l’autre au contraire attribue ces violences aux individus, à la psychologie. Pour cette contribution, nous souhaitons montrer comment l’intégration de concepts et théories issues de la sociologie de l’immigration, apporte de nombreux éléments de compréhension très féconds pour analyser cette contradiction. En l’occurrence, il nous aide à comprendre l’utilisation de ces deux modèles explicatifs différents parce qu’elle nous aide à comprendre la construction des différences sociales. 198 Entre « domination masculine » et « pervers narcissique », ambivalences et effets des lectures croisées mobilisées par les intervenant.e.s Deroff M. Bretagne Occidentale - Brest Dans le cadre de travaux menés en collaboration avec des actrices et acteurs de terrain, professionnel.le.s et bénévoles, depuis 2007 et portant tour à tour sur la question de l’enfant dans les violences conjugales puis les parcours institutionnels de femmes victimes de violences conjugales, nous avons pu mesurer à la fois la reconnaissance acquise par la question des violences conjugales et les controverses dont elles sont l’objet. Ainsi avons-nous observé les résistances persistantes à l’égard d’une lecture des violences sous l’angle du genre, suspecte d’être avant tout militante quand d’autres semblent être garantes d’une scienti.cité inattaquable et présentent l’avantage de fournir une explication à l’incompréhensible. Ainsi devons-nous aujourd’hui constater le « succès » de la .gure du pervers narcissique. Il ne s’agit pas ici de contester les catégories produites par la psychologie, mais d’interroger leur diffusion et leur mobilisation par les acteurs et actrices de terrain. Comment comprendre un tel « succès » ? Et quels effets pouvons-nous observer lorsque cette lecture compose avec une lecture dénonçant les violences conjugales comme expression de la domination masculine ? Si les discours des intervenant.e.s composant avec ces deux lectures nous semblent parfois ambivalents, il convient également d’interroger les effets de lectures exclusives. Dans l’accompagnement des femmes, et au-delà dans la reconnaissance des violences conjugales comme problème public, quels peuvent être les effets d’une identi.cation trop rapide des situations de con!its de couples aux situations de violences conjugales ? Analyser deux dispositifs français de lutte contre les violences conjugales sous le regard croisé du droit et de la sociologie politique. 1 Jouanneau S., 1Czerny E., 1Matteoli A., 2Airiau M. université de Strasbourg 2, université de Strasbourg1 Depuis Janvier 2014, nous formons le noyau dur d’une enquête collective menée dans le cadre d’un .nancement de la Mission recherche française Droit et Justice. Ce projet de recherche vise à analyser les conditions de mises en œuvre de deux dispositifs français de lutte contre les violences conjugales à l’échelle d’un département de l’Est de la France. Le premier, mis en place par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 (art. 515-9 du code civil) et renforcé par la loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour « l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » permet au juge aux affaires familiales de délivrer une « ordonnance de protection », alliant mesures civiles (ex : attribution du logement) et pénales (ex : interdiction d’approcher la victime), lorsque les "violences exercées au sein du couple ou au sein de la famille, par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants". Le second, intitulé « Téléphone portable d’Alerte », a été expérimenté dans différents départements dès 2010 avant d’être récemment généralisé à toute la France. Il consiste à permettre aux procureurs de la République d’attribuer aux femmes repérées comme étant en « très grand danger » un téléphone portable d’urgence. Celui-ci une fois déclenché permet d’être immédiatement connecté à une plateforme vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, avec des opérateurs formés, provoquant si besoin l'envoi des forces de police ou gendarmerie. Or parce que la moitié de ce noyau dur est composé de juristes (Marine Airiau et Anna Matteoli, toutes deux doctorantes en droit privé) et l’autre de sociologues du politique (Estelle Czerny et Solenne Jouanneau, respectivement ingénieure de recherche et maîtresse de conférences), nos discussions collectives rentrent évidemment très souvent en résonance avec les questionnements soulevés tant par les axes 1 et 3 de la Session 38. En effet, nous partageons bien sûr des questionnements communs (modalités concrètes de fonctionnement des dispositifs, représentations et pratiques des professionnels censés les mettre en œuvre, dé.nitions pratiques que les professionnels associés à ces dispositifs donnent aux termes « violences » et « danger », pro.l des béné.ciaires, etc.). Cependant, il est peu à peu apparu que l’intérêt ou la .nalité de l’enquête n’était sans doute pas de même nature en fonction de nos appartenances disciplinaire. Évidemment, pour Marine et Anna ce projet a des implications proprement théoriques (évolution des dé.nitions juridiques des « violences conjugales », conditions pratiques d’application des lois, positionnement concret des Juges aux affaires familiales ou des procureurs de la République vis-à-vis de ces dispositifs, etc). Mais il a aussi des implications pratiques et politiques parfaitement assumées. Leur objectif est, en effet, aussi d’évaluer l’ef.cience des dispositifs étudiés en vue de permettre leur amélioration. Cela est d’autant plus vrai pour Anna qui – parallèlement à sa thèse – est salariée au CIDFF (Centre d’information des Femmes et des Familles), une association qui localement participe aux différents dispositifs existant de lutte contre les violences conjugales. Pour Estelle et Solenne, quel que puisse être par ailleurs le carburant politique les ayant amené à participer à cette enquête, la démarche de recherche adoptée se veut moins normative. Elle consiste avant tout à ré!échir sur le pouvoir de l’État à pénétrer la sphère privée et la manière dont certains de ses agents, au niveau central et déconcentré, participent (en interaction avec d’autres acteurs) à construire et à prendre en charge « les violences conjugales » en tant que problème public. Or ces différences épistémologiques n’ont pas que des implications intellectuelles ou théoriques. Elles ont aussi des implications très concrètes. Ainsi, dans le cadre de cette communication nous reviendrons principalement sur l’impact concret et les discussions qu’a pu susciter entre nous quatre, la décision initialement prise par Anna et Marine de très directement associer à l’enquête, via la mise en place d’un « Comité de Pilotage » mixte « chercheur(e)s » / « professionnels », les principales administrations ou associations chargées de la mise en œuvre des deux dispositifs 199 étudiés (Tribunal, Police, Gendarmerie, Associations d’aide aux Victimes, etc.). Le traitement policier des violences conjugales en actes Bargeau A. Université de Strasbourg Depuis la .n des années 1970, les mobilisations féministes ont entraîné une reconnaissance publique des violences envers les femmes et ont permis de constituer les violences conjugales en objet de politiques publiques, notamment au sein de la sphère pénale. On s'intéressera dans cette communication à un maillon spéci.que de traitement des violences conjugales au sein de la sphère pénale : l'institution policière. Ce choix d'objet se justi.e par le fait que la police constitue l'endroit de jonction avec le reste de la sphère pénale (suites judiciaires ou non) et de la sphère associative, et constitue un maillon fondamental de la reconnaissance publique (notamment statistique) des violences conjugales. D'autre part, depuis le début des années 2000, des dispositifs spéci.ques ont été mis en place ayant trait à l'accueil des victimes de violences conjugales au sein de la police nationale. Le terrain sur lequel j'ai réalisé mon enquête (de deux mois), un hôtel de police dans une ville de province, fait partie des sites d'expérimentation de ce type de dispositifs : en 2004, une assistante sociale a été introduite au sein de l'hôtel de police, et en 2007 une psychologue, destinées à la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales. Cellesci viennent en majorité d'un service dit « généraliste » (le Quart) , au sein duquel les affaires de violences conjugales occupent une part importante de l'activité des policiers. J'ai progressivement resserré mon observation sur ce type d'affaires, en raison de l'importance qu'elles occupaient dans les activités professionnelles, et de mon intérêt personnel et politique pour ces questions. La perspective ethnographique (observations d'interrogatoires, entretiens avec les professionnels habilités à prendre en charge les violences conjugales et sexuelles) m'a semblé particulièrement pertinente, dans la mesure où elle permet de sortir du projet global et abstrait de la prise en charge de ce type d'affaires pour poser des questions concrètes au terrain. Parmi celles-ci : Quels sont, du point de vue policier, les critères qui entrent en compte, même implicitement, dans la reconnaissance - ou le refus - du statut de « victime » de violences conjugales ? Alors même que la reconnaissance de ce statut est ce qui conditionne l'accès au droit de suivi par une assistante sociale et/ou psychologue? Dit autrement : Comment se font, ou se défont, les affaires de violences conjugales dans/par les pratiques policières? Plus largement, quelles sont les conditions de possibilité pour que les politiques de prise en charge des violences envers les femmes soient effectives? Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur notre matériau empirique et présenterons plusieurs con.gurations de traitement policier des violences conjugales. Dans cette perspective, l'enquête ethnographique nous semble particulièrement pertinente dans la mesure où elle permet d'accéder au traitement policier des violences conjugales en actes. Toutefois, elle appelle aussi certaines ré!exions et questionnements méthodologiques. En effet, que signi.e enquêter sur le traitement des violences conjugales quand on est soi-même engagée dans des problématiques féministes en dehors de ce terrain? Cette question est d'autant plus légitime quand on est soi-même, en tant que femme, interpellée et éprouvée (au sens de mise à l'épreuve) en tant que telle sur le terrain, par exemple dans les affaires de viol : « si vous, vous… »? A partir de ces questions, c'est plus largement celle de l'engagement sur le terrain qui sera interrogée : comment faire tenir ensemble, le rôle d'observatrice à laquelle on a appris, tout au long de sa formation, l'injonction à la « neutralité » scienti.que et l'engagement, intime et politique, vécu par ailleurs sur ces questions? Dans cette perspective, nous n'exclurons pas l'étude de certaines « gaffes » sur le terrain, même relatives, dans la mesure où elles ont pu entraîner certaines mé.ances ou certaines proximités avec les policier(e)s concerné(e)s, et ont ainsi permis d'approfondir différentes prises de position des professionnel(le)s sur les violences conjugales. "Vraies victimes" ou "menteuses" - Représentations concurrentes des femmes violées chez les policiers et les associations féministes d'aide aux victimes Pérona O. Université de Versailles Saint-Quentin Cette proposition de communication se fonde sur les recherches que j’entreprends dans le cadre de ma thèse de Science Politique, qui questionne le traitement différentiel des personnes victimes de violences sexuelles par le système pénal. En croisant les approches de l’analyse de la construction des problèmes publics, de la sociologie des organisations et de la sociologie des professions, je me propose d’éclairer les tensions entre savoirs judiciaires et savoirs féministes autour des personnes violées, ainsi que les effets de ces tensions sur les politiques de prise en charge des victimes. Je m’intéresse en effet à une arène particulière de rencontre entre savoirs administratifs judiciaires et savoirs féministes militants : la commission « Prise en charge par les services de police des femmes victimes de viol » d’un département francilien. Celle-ci réunit des associations féministes d’aide aux victimes, des magistrat-e-s, des médecins procédant aux examens de victimes, des représentant-e-s de la municipalité, ainsi que des policiers et des policières. Je m’attache à comprendre les con!its que cette collaboration entre des acteurs aux cultures professionnelles différentes provoque, notamment du point de vue de la dé.nition et de la hiérarchisation des victimes. Il s’agit d’appréhender quels sont les savoirs en présence autour des personnes violées, quelles représentations de celles-ci ils produisent, et dans quelle mesure ces représentations sont partagées par les acteurs de la prise en charge judiciaire des victimes. Mon propos est ici de démontrer que ces savoirs s’affrontent plus qu’ils ne se complètent, en insistant particulièrement 200 sur le clivage entre représentations policières et représentations féministes des personnes violées. Les policiers partitionnent les plaignant-e-s entre « vraies » et « fausses victimes », en fonction du type d’agressions qu’elles décrivent, des éléments matériels réunis pendant l’enquête, des suites données par le Parquet, mais également de critères moraux. Les victimes agressées par leur conjoint, les victimes alcoolisées qui connaissaient leur agresseur, mais également les personnes prostituées sont plus susceptibles que les autres d’être considérées par les policiers comme des « fausses victimes ». A l’inverse, les femmes agressées par un inconnu dans l’espace public sont davantage quali.ées de « vraies victimes ». Par ailleurs, les policiers font parfois porter une part de la responsabilité de l’agression sur la personne qui la subit. Ainsi, les femmes violées pendant qu'elles sont ivres sont considérées comme partiellement responsables de leur viol. Ces représentations orientent les choix policiers en matière de prévention des violences sexuelles. La directrice des services départementaux de la police judiciaire, qui préside la commission « Prise en charge par les services de police des femmes victimes de viol », souhaite ainsi organiser une campagne de sensibilisation à destination des jeunes femmes. Cette campagne mettrait en avant les risques de prédation sexuelle encourus par les jeunes .lles alcoolisées. Cette initiative rencontre une vive résistance au sein des associations féministes de soutien aux victimes, qui dénoncent la culpabilisation des victimes qu’engendrerait une telle campagne, ainsi que la nonresponsabilisation des auteurs. Les données qui seront analysées dans ma présentation sont issues d’un travail de terrain en cours depuis le mois d’avril 2014, qui sera achevé au moment du congrès. Ce travail a pour origine une enquête ethnographique au sein d’un service de Police Judiciaire francilien dont l’essentiel de l’activité consiste en la prise en charge des personnes violées et de leurs agresseurs. Cette ethnographie se double de la constitution d’une base de données à partir de 300 procédures de viols ou d’agressions sexuelles traitées par le service de 2012 à 2013. A ce jour, 169 dossiers ont été collectés. Ce terrain se prolonge au sein de la commission « Prise en charge par les services de police des femmes victimes de viol », dont je suis membre depuis le mois d’avril. J’assiste aux réunions de travail de cette commission qui se tiennent environ une fois par mois en dehors de la période estivale, et je suis destinataire de tous les échanges de courriel qui lui sont relatifs. J’ai également débuté une campagne d’entretiens semi-directifs avec les acteurs et actrices de cette commission.J’ai déjà réalisé cinq entretiens avec des actrices de la commission : la directrice des services départementaux de la Police Judiciaire, une médecin légiste, une policière, une magistrate et une responsable d’une association féministe d’aide aux victimes. Ma qualité de membre de la commission me permettra de rencontrer l’ensemble de ses membres (environ dix personnes) avant le mois de décembre, dans le cadre d’un entretien. 201 ST 39 : La spéci-cité française des relations à l’Afrique dans le monde académique Entre science, posture critique et imperium français : l’africanisme des années 1970 en France Dozon J. EHESS Mon intervention sera une sorte de témoignage ré!exif sur ce qui a constitué pour moi un moment fort, mais sans doute également problématique, de l’africanisme français. Il s’agit des années 1970 qui correspondent au tout début de ma carrière en même temps qu’à une présence assez massive, voire hégémonique des études africaines dans le champ des sciences sociales en France, particulièrement en anthropologie (ou socio-anthropologie) et en géographie. On pointera donc plus spéci.quement les institutions de recherche (CNRS, ORSTOM devenu aujourd’hui IRD) ainsi que les types d’enquêtes de terrain qui ont permis un tel développement des études africaines. Mais on soulignera aussi et surtout la façon dont l’africanisme a fortement œuvré au renouvellement du marxisme en s’efforçant de rendre intelligible l’ensemble des sociétés africaines, que ce soit les différents types de modes de production, d’organisation et de commerces précoloniaux ou les modes de domination et d’exploitation qu’elles ont subis depuis les colonisations. En.n, on mettra en relation ce développement des études africaines, y compris dans leur critique du néocolonialisme, avec l’importance prise par l’Afrique dans le fonctionnement général de l’Etat français, de ce que j’ai plus précisément appelé, en me démarquant de la formule « Françafrique, « l’Etat franco-africain ». Les transformations de la position et du rôle des diplômés de France au CongoBrazzaville dans les relations universitaires franco-congolaises : l’effacement d’un lien singulier (1960-1997). Blum Le Coat J. Université Denis Diderot Paris 7 Les migrations pour études d’étudiants et stagiaires du Congo-Brazzaville en France, amorcées dans les années 1950, se développent très progressivement après l’indépendance du Congo (1960), et constituent alors un enjeu diplomatique de premier plan : la formation des cadres du Congo. Organisées et favorisées par les États congolais et français, ces migrations permettent le maintien de l’in!uence française dans l’enseignement supérieur congolais dans le cadre d’une évolution des relations diplomatiques franco-congolaises qui se concrétise dans ce domaine par le passage du contrôle direct des établissements de formation congolais par l’université française (1960-1971) à une « congolisation » de ces établissements. Les étudiants et stagiaires congolais formés en France remplacent à leur retour les personnels de l’assistance technique française aux postes d’enseignants dans ces établissements (ce processus débuté dans les années 1960 ne prend .n que dans les années 1980) et mettent en place des accords inter-universitaires de coopération avec les universités françaises à partir des années 1970. A partir de 1986, sous l’effet de la double transformation de la situation économique et politique congolaise et de la politique française d’accueil des étudiants étrangers, ces migrations pour études se voient assimilées aux autres migrations de Congolais en France. En 1986, face à la dégradation de la situation économique et des .nances publiques du Congo, un premier plan d’ajustement structurel (PAS) est imposé par le FMI et la Banque mondiale, dont l’un des volets est l’arrêt des recrutements dans la fonction publique. D’autre part, une convention de circulation francocongolaise signée en 1974 et son avenant de 1978, mettant .n au régime de libre circulation mis en place en 1960, entrent en vigueur en 1981 et marquent le début d’un processus ininterrompu depuis de durcissement des conditions d’entrée et de séjour des Congolais en France. Ce nouveau régime migratoire produit ses effets sur les étudiants et stagiaires voulant étudier en France à partir de 1986 avec la mise en œuvre du PAS, qui met .n à la politique généreuse d’octroi de bourses d’études par l’État congolais. Ces évolutions, qui seront aggravées par les guerres civiles qui marquent le Congo-Brazzaville dans les années 1990, conduisent les étudiants et stagiaires, qui voient leurs attentes remises en cause, à élaborer de nouveaux projets migratoires et à réorienter leurs trajectoires migratoires pour s’installer en France. Elles conduisent également à une distanciation des universitaires congolais vis-à-vis de la France, du fait du traitement dégradant que leur font subir les administrations en charge du contrôle de l’entrée et du séjour en France, mais également en raison du rôle joué par les autorités françaises durant la guerre civile de 1997. Etre étudiants africains en France : à quand la -n de la même (vielle) histoire. Seck A. Université Gaston Berger Cette communication embrasse un corpus couvrant une séquence temporelle allant de 1950 à 2010 et tente de documenter, à partir de productions artistiques, militantes et littéraires les mises en discours des expériences sociales et académiques des étudiants africains en France. Ce faisant, elle tente de dessiner les contours des subjectivités qui 202 traversent ou structurent le rapport de ces étudiants à l’espace d’accueil français, pour en dégager des repères plus ou moins nets et inscrits dans la durée et la diversité des expériences singulières. Revenant, en un premier temps, sur le contexte historique et général de ces expériences, cette communication insistera, en un deuxième temps, sur un jeu de passage entre travail documentaire et archivistique (revues, ouvrages, mémoires, archives sonores et audiovisuelles) et travail d’enquête de terrain (entretien avec une dizaine d’anciens étudiants ayant fait leurs études en France durant ce dernier quart de siècle). Dans la problématique qu’elle se propose d’investiguer, cette contribution voudra voir comment et pourquoi, en grande partie, l’expérience des étudiants africains en France demeure à la fois traumatisante et salvatrice néanmoins. En effet, sa principale hypothèse de travail est que cette expérience constituerait un creuset constructeur de sens, dans lequel une certaine opposition à la France et ses institutions de recherche et de formation se forge, à travers des suites de « renaissances » qui préparent l’étudiant à se « détourner » de la France pour « aller se chercher » ailleurs. Elle montrera également que cette sortie de l’ « appareillage franco-francophone » est loin d’être une aventure facile tant sur le plan académique que social. Ce travail interrogera également comment et pourquoi, vue du côté des expériences africaines et de leurs mises en récit, les rapports du champs académique français à l’Afrique constitue, sans amalgame possible, un des rouages forts qui déterminent encore les besoins pressants d’indépendance et d’authentique partenariat qui reviennent comme une rengaine dans les voix des anciens étudiants africains de France. Qu’ils soient restés, rentrés ou, ailleurs, repartis. De l'africanisme comme rente à l'utopie de l'africanisme comme communauté Atenga T. Université de Douala Darbon (2003) remarquait que « l’étiquette africanisme / africaniste est une « marque », un fond de commerce qui prélégitime l’évidence de la légitimité scienti.que des dispositifs, de la reconduction des moyens, le repositionnement tactique des chercheurs sur le marché international de la consultance médiatisée sur l’Afrique ou la formulation de nouvelles demandes de recherche, et permet de s’assurer un contrôle (accès ou domination) sur un marché intellectuel, médiatique et .nancier signi.catif ». Plus d’une décennie plus tard, qu’est-ce qui a véritablement changé au Nord comme en Afrique subsaharienne francophone ? A l’âge où la légitimité des objets de recherche est plus que jamais une affaire de capacités technologiques et .nancières, une mutation de l’africanisme comme rente à l’africanisme comme communauté intellectuelle est-elle envisageable ? Comment concilier l’Africanisme comme ressource stratégique et l’Africanisme autocentré au nom de l’authenticité africaine, de l’exotisme, du provincialisme ? Ce papier avance l’hypothèse que le repositionnement de l’africanisme au cœur des aires culturelles à forts enjeux organisationnels et épistémologiques passe par cette évolution. Il s’agit de travailler à la .n des affrontements binaires entre chercheurs africains et français (Obenga, 2001), des controverses sclérosantes, et de la dialectique subtile du jeu d’acteurs où chaque critique qui questionne les impasses de la recherche africaniste française est reçue comme un « nouvel avatar de l’atlantisme académique » (Bayart, 2010) que des chercheurs-militants Français ou francophones veulent constituer en « rente d’éminence ». Les terrains africains peuvent-ils cesser d’être des lieux de lutte (Obenga, 2001) pour déboucher vers l’énonciation d’un africanisme dans l’espace francophone qui permet d’échapper au déclassement par des processus d'hybridation et d'innovation culturelles ? Dix ans après la thèse de Science politique que j’ai préparée et soutenue dans un laboratoire africaniste en France, j’en suis encore à espérer. 203 ST 40 : Economie et sociologie politiques internationales Subalternity and Capitalism Ritu V. University of Aberdeen Subalternity as a site of postcolonial difference has become central to ongoing attempts to think the international otherwise. Drawing principally on claims about subaltern modes of being that inhabit different cosmologies, cultures, or communities, postcolonial International Relations Theory has developed powerful critiques of hegemonic IR theory in both its mainstream and critical iterations. Conceived outside the domain of capitalist sociality, however, current deployments of subalternity as a generative site for critical IR fail to recognize its duality: marked by its negative production (as subaltern) in capitalist society, the aspiration to move out of subalternity is nevertheless also produced within the circuits of capitalist logic. How does the subaltern’s emplotment within capital revise postcolonial theorizations of the international? Eschewing recent attempts to dismiss the subaltern in favour of capital as the more generative category for a critically in!ected postcolonial IR, this paper attempts to develop an account of ‘subaltern capitalism’ and its implications for thinking the international. To do so, the paper draws on an ethnographic study of work and production in Dharavi, a large slum in Mumbai, India. Une coalition transnationale de -rme face au changement climatique : comment s'organise le travail d'intellectuel organique ? Moussu N. Université de Lausanne L'implication des .rmes transnationales au travers de larges coalitions qui les représentent dans la politique environnementale globale a suscité dernièrement une attention grandissante, menant à des travaux aux conclusions divergentes, voir contradictoires. Passant en revue trois approches du rôle des coalitions de .rmes dans le domaine du changement climatique, notre contribution visera à dépasser une vision trop souvent homogénéisante de ces acteurs en distinguant ceux-ci sur un continuum entre corporatisme et universalisme. La mobilisation d'une approche théorique néo-gramscienne et d'un cas d'étude spéci.que – le World Business Council for Sustainable Development – nous permettra d'illustrer le rôle d'intellectuel organique que cette coalition endosse dans une lutte pour l’hégémonie. Selon nous, ce rôle dépasse largement celui d'une défense corporatiste d'intérêts sectoriels dans un processus de décision donné, tel qu'il est souvent compris dans les études sur le lobbying. Ce rôle à dimension hégémonique peut être ainsi illustré à différents niveaux, en particulier par le grand nombre de membres de cette coalition et la variété de leurs activités industrielles ou de services, ou par le large travail doctrinal entrepris par cette coalition portant sur la compatibilité même du capitalisme face au changement climatique. Pourtant, la dimension que nous soulignerons particulièrement dans notre contribution aura trait au mode d'inclusion des membres au sein de la coalition, a.n d'analyser cette dernière comme une interface, à la fois porte-parole des prises de position les plus progressistes de ses membres envers l'extérieur, et initiatrice de réformes et changements dans leurs activités et opérations à l’interne. Le dialogue entre sociologie politique et économie politique internationales comme projet critique Chenou J. Université de Lausanne Si l'émergence des approches de sociologie politique internationale et d'économie politique internationale sont liées à des contextes historiographiques différents, leurs objets d'études actuels semblent souvent relativement proches. De la sociologie politique des pratiques internationales à l'économie politique internationale du quotidien (everyday), en passant par la sociologie des professions et l'étude des réseaux transnationaux d'élites, un certain nombre de chercheurs/euses des deux sous-disciplines se retrouvent autour de la tentative de dépassement des approches structuralistes et de l'ambition de proposer une vision plus nuancée et différenciée des relations internationales. Cependant, la sociologie politique internationale, tout comme les approches contemporaines d'économie politique internationale, courent le risque de négliger l'apport de l'économie politique internationale critique à l'analyse de la mondialisation depuis les années 1970. Bien que l'analyse centrée sur les pratiques et les agents, notamment au-delà des dominants, apportent richesse et .nesse d'analyse ainsi qu'une prise en compte plus aboutie des pratiques de résistance, l'abandon de l'analyse structurelle et de la critique fondamentale des approches dominantes en relations internationales risquent d'affaiblir les approches contemporaines de SPI et d'EPI, de les spécialiser à outrance, voire de les rendre solubles dans un discours dominant. Face à ces dif.cultés, la présente contribution souligne l'importance de l'étude des liens entre local et global, et entre particulier et général. Elle met en relation les concepts de champ mondial du pouvoir et d'imaginaire hégémonique a.n d'explorer les passerelles entre EPI et SPI et d'ancrer un programme de recherche dans un projet critique des relations internationales dans la continuité des approches néo-gramsciennes. 204 Appraising transnational private labour regulation : the International Finance Corporation’s contractual approach to social standards compliance 1 Cradden C., 1Graz J.-C., 1Pamingle L. Lausanne1 The sociological turn in international political economy has prompted new studies on transnational private labour regulation (TPLR). As an approach to social standards compliance, TPLR can be characterized by its reliance on the enforcement of labour standards clauses in private commercial contracts. Up to now, most research into such systems of ‘governance by contract’ has been qualitative in nature and based on individual or comparative case studies. While this kind of approach is indispensable in the quest for an in-depth understanding of these new and controversial forms of governance, estimating the overall impact of TPLR demands a level of research coverage that cannot be attained using qualitative methods alone. This paper presents an assessment of the impact of one particular TPLR system on collective labour rights. The assessment centres on a quantitative comparative analysis of trade union membership levels in businesses that apply the regulation and similar businesses that do not. The analysis draws on data gathered in the course of a comprehensive study of the most prominent investment conditionality scheme for the private sector in developing countries, the International Finance Corporation’s ‘Performance Standards’ system. The study surveyed managers, union representatives and workers in 58 IFC client businesses in eight countries across 3 continents. At the time of writing the results of the study have yet to be fully examined, but preliminary analyses suggest that the application of TPLR in this case has had no discernible impact on levels of union membership. Politiques publiques globales. Enjeux et processus de construction du référentiel de marché Fouilleux E. CNRS La communication proposée (dont le présent résumé est en français mais qui sera rédigée en anglais) se situe à l’intersection entre économie politique internationale et sociologie politique internationale dans la mesure où elle s’intéresse à la fabrication des politiques publiques globales, et plus précisément aux modalités de construction, fabrication, légitimation inter/transnationale du référentiel libéral de marché qui s’impose aux politiques domestiques tant nationales que régionales au sens des relations internationales. Pensée à partir d’un cadre d’analyse et d’une méthodologie issus de l’analyse cognitive des politiques publiques –parfois plus largement baptisée « institutionnalisme discursif »- cette communication présente une cartographie des différentes organisations (publiques et privées) inter et transnationales impliquées dans la production de représentations et de normes pour les politiques publiques et la régulation des marchés et des .lières et de leur inter-relations. Elle s’intéresse aux rapports de force et dispositifs de hiérarchisation qui s’établissent entre elles dans ce travail politique. Nourrie des nombreux travaux empiriques antérieurs et actuels de l’auteure et d’une revue de la littérature contemporaine en matière d’analyse des politiques globales, elle souligne en particulier la répartition des tâches qui s’établit entre les diverses organisations en présence. Elle analyse les activités, formes de légitimation et interactions entre (i) les organisations productrices de règles ou de mécanismes d’arbitrage s’imposant aux Etats et autres acteurs du système international (OMC, FMI, BM), (ii) celles dont l’in!uence passe par la production d’instruments d’évaluation et de benchmarking des politiques publiques (BM, OCDE) orientant les débats globaux, (iii) les organisations sectorielles pour la plupart plus ou moins habiles à produire un discours autonome (FAO, OIE, PNUE, etc.), et (iv) celles –essentiellement privées- produisant des formes de ‘soft law’ globale (ISO, ISEAL, IASB etc.). The social and political economy : the negleted Tradition of Austrian economics Kessler O. Universität Erfurt Austrian economics is usually associated with market fetishism and libertarian political theory. Yet this paper argues that there is a neglected side to Austrian economics where Austrian economics is closely linked to sociology. This paper reconstructs this side through a rereading of Carl Menger, Weber and Schumpeter. At the same time, this paper argues that it is not good enough to take the old Austrian economics as vantage point, but to look at modern economic sociology and the sociology of economics to revive this Tradition. 205 Creating and blurring boundaries through the de-nition of representativeness : a comparative analysis of the International Labour Organization (ILO) and the International Organization for Standardization (the ISO) 1 Ruwet C., 2Louis M. SciencesPo Paris2, ICHEC1 International organizations are subject to new demands forcing them to reconsider the foundations of their legitimacy including rethinking their representativeness. These recon.gurations blur the contours of the international landscape, including the boundary between state organizations and non-governmental organizations or between public and private norms. In this paper, we shed new light on these contemporary upheavals in global governance through the comparison of two international organizations, namely the International Labour Organization (ILO) and the International Organization for Standardization (the ISO). How have these two major international players faced the challenge of representation in recent years? What are the consequences of these contemporary recon.gurations on the power relationships (North/South, social/economic actors) inside them? Bringing together a body of empirical data on recent developments within the two organizations, this paper, which is rooted in the International Political Sociology approach aims at questioning the way international organizations legitimate their existence and power at the international level, by looking at actors, practices and discourses. Established in 1919 and composed of 185 countries (as of 2012), the International Labour Organization has long been celebrated as a major political innovation because of its tripartite structure. Tripartism makes organizations of workers and employers alongside governments possible whilst the composition of the other international organizations is purely inter-governmental. For its part, the ISO, often referred to as a "hybrid" organization because it consists o
© Copyright 2024 Paperzz