Livre des résumés

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6ème Congrès des Associations Francophones de Science Politique
Congrès annuel de l’Association Suisse de Science Politique (ASSP)
CoSPoF 2015
Organisé par
Institut d’Etudes Politiques, Historiques et Internationales
Université de Lausanne, Suisse
5 - 7 février 2015
Livre des résumés
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Table des matières
ST 1 : Cartographier / opérationnaliser la politique de sécurité........................................................... 3
ST 2 : Regional Powers : Actors and Institutions................................................................................. 6
ST 3 : Environment and Development............................................................................................... 11
ST 4 : Recent Challenges for Economic Policymaking and Political Representation.......................14
ST 5 : Philosophie politique et relations internationales.................................................................... 17
ST 6 : Les apports théoriques et méthodologiques de l’anthropologie à la science politique............28
ST 7 : Politique publique et management public................................................................................34
ST 8 : Etudier la transnationalisation et l’hybridation des discours et pratiques liés au genre..........46
ST 9 : Ancien[s] et Nouveau[x]. Perspectives mémorielles et actuelles sur la délimitation et le
contenu de la science politique, ‘francophone’ et internationale........................................................48
ST 10 : Methodology.......................................................................................................................... 52
ST 11 : Philanthropie : affaires privées, enjeux publics..................................................................... 56
ST 12 : Penser le présent politique..................................................................................................... 65
ST 13 : Quelle(s) discipline(s) face aux évolutions des politiques scientifiques ?.............................71
ST 14 : (Inter)dépendance et pouvoir de l’Etat dans le monde contemporain...................................79
ST 15 : Ce que le capitalisme fait aux mouvements sociaux contemporains.....................................84
ST 16 : Les nouveaux rapports au politique et leurs mécanismes de socialisation............................93
ST 17 : La sociologie politique à l’épreuve des relations professionnelles......................................103
ST 18 : La science politique face aux objets complexes.................................................................. 115
ST 20 : Discours, mots et politique : les enjeux de l’analyse textuelle en Science politique...........121
ST 21 : La sélection des candidats : quelle combinaison des niveaux et des profils ?.....................126
ST 22 : Les ressources du pouvoir urbain........................................................................................ 131
ST 23 : Frontières, migrations, droits. Le contrôle politique des mobilités et ses dispositifs..........139
ST 24 : Un état des « lieux » de la résistance à l’État. De l’utilité de décentrer le regard sociologique
sur les protestations.......................................................................................................................... 152
ST 25 : Les recompositions des espaces politiques post-crises : mobilisations, engagement,
désengagement et transitions............................................................................................................ 158
ST 26 : Comment Internet change (ou pas) les règles du jeu politique............................................169
ST 27 : Le vivant et l’environnement au prisme de la science politique : quel renouvellement des
questionnements sur l’action publique ?.......................................................................................... 173
ST 28 : Participation publique, professionnalisation et diversification............................................179
ST 29 : Quelle place pour l’histoire dans la philosophie politique normative ?..............................184
1
ST 30 : La science politique entre indiscipline et discipline en postcolonie africaine.....................188
ST 31 : Les études sur la mémoire comme sous-champ de la science politique francophone ?......192
ST 32 : Le concept d’émergence...................................................................................................... 195
ST 33 : Dans et en-dehors des partis politiques : quel renouvellement des questionnements sur
l’action publique ?............................................................................................................................ 197
ST 34 : Micro-politique des revendications matérielles : ce qu'elles nous apprennent sur la
dynamique des protestations et sur leur théorisation, avec l’appui de l’ERC WAFAW...................203
ST 35 : Les sciences sociales à l’épreuve de l’expertise en développement et en sécurité
internationales...................................................................................................................................208
ST 36 : Gérer les affaires européennes au niveau local : vers l’émergence d’un nouveau champ
professionnel ?..................................................................................................................................210
ST 37 : Saisir les politiques sociales par leurs acteurs. Les articulations entre entretiens de
recherche, observation participante et intervention sociologique....................................................214
ST 38 : Recherches sur le problème des violences envers les femmes............................................ 219
ST 39 : La spécificité française des relations à l’Afrique dans le monde académique....................224
ST 40 : Economie et sociologie politiques internationales...............................................................226
ST 41 : Contestation et gestion des foules : perspective comparée sur la régulation des usages de la
rue..................................................................................................................................................... 232
ST 42 : Genre et politique du/des droit/s.......................................................................................... 238
ST 43 : Expertise scientifique dans le domaine de la politique sociale. Perspectives transnationales
.......................................................................................................................................................... 244
ST 44 : La rue – un objet politique au croisement des sciences sociales.........................................246
ST 45 : Le « peuple » dans la démocratie en Afrique. Analyse des discours des politiques d’Afrique
centrale – cas de la République Démocratique du Congo................................................................ 251
ST 46 : Médias et communication : des objets de science politique ?.............................................254
ST libre............................................................................................................................................. 263
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ST 1 : Cartographier / opérationnaliser la politique de sécurité
Five Accounts of the “Making of a Terrorist”: a Micro-Political Sociology of EU
Experts On Radicalization
Ragazzi F.
Leiden University
What is the role of expertise in the production of European policies on radicalization, and to what extent do they
in!uence and shape European policy-making? Through the in-depth analysis of the actors involved in a key episode of
European counter-terrorism - the dismissal of the European Commission’s Expert Group on Radicalization, and the
subsequent publication of four alternative reports in 2008 - the aim of this exploratory paper is to analyse the relation
between the bureaucratic .eld, the academic .eld, and an interstitial (Stampnisky) or weak (Vauchez) .eld of expertise.
On the one hand, the research shows that while eager to show it consults experts, the EU commission easily dismisses
opinions that do not go in its favour even from radicalisation experts endowed with the highest symbolic capital suggesting therefore a limited role of expertise. On the other, it shows that the sub.eld of expertise on radicalisation
serves as a privileged location of conversion of capitals, where dominated academics and community representatives
can gain symbolic capital endowed by the bureaucratic .eld.
Le champ, vecteur de la mondialisation
Mérand F.
Université de Montréal
Depuis le tournant du 21e siècle, l’œuvre de Pierre Bourdieu rencontre un écho considérable dans l’étude des relations
internationales. Ce succès est autant attribuable à l’investissement de ses élèves et émules dans un nombre croissant de
phénomènes internationaux qu’à la curiosité d’internationalistes ayant trouvé dans sa sociologie des réponses aux
apories de leur discipline. Si les sociologues, souvent français, ont voulu développer une « sociologie des relations
internationales », les internationalistes, souvent anglo-américains, ont associé son nom à un « tournant pratique » qui
vise à dépasser le débat entre idéalisme et matérialisme. Dans cet article, je me concentre sur ce qui constitue selon moi
la contribution la plus originale de Bourdieu à l’étude des relations internationales, à savoir le concept de champ. Je ne
prétends pas qu’il s’agisse du concept le plus important chez Bourdieu, et je ne tranche pas le débat sur la pertinence
d’employer un élément du tryptique bourdieusien en faisant abstraction des autres. Mais pour des raisons que je vais
tenter d’illustrer à partir du cas de la mondialisation, le champ est un concept qui ne trouve aucun équivalent en théorie
des relations internationales alors qu’il apporte un éclairage utile sur des questions fondamentales que se pose la
discipline.
Mapping the -eld of security in Switzerland: Articulating technological,
informational, and international capitals in a transnational -eld
1
Hagmann J., 2Davidshofer S.
Université de Genève 2, ETH Zürich1
The Bourdieusian inspired hypothesis of an emerging transnational .eld of (in)security in Europe has laid the ground
for a promising research agenda. However, despite interesting conceptual innovations, a strong weakness yet remains in
the lack of (time-intensive) operationalization of the various arguments made by this scholarly literature. This paper
addresses this issue by discussing the preliminary results of a research project dedicated to mapping Swiss security,
which draws on data generated by a survey collecting biographical information on Swiss security professionals. It starts,
by using the statistical method of multiple correspondence analysis (MCA) in order to build relationally the social space
of Swiss security. Then, it discusses the three main structuring oppositions of this space, which are the possession of
technological, informational and international capitals. Interestingly, it appears that these resources are more effective
only when combined by some agents of the .eld. The last section of the paper draws on these .rst results in order to
address some methodological stakes raised by the analysis of a transnational social .eld.
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Expliquer le changement par les réseaux : du réseau-comme-structure au réseaucomme-acteur
Forget A.
Cornell
L’analyse formelle (ou structurelle) des réseaux est un outil qui nous apprend beaucoup sur la con.guration des
relations de pouvoir de la gouvernance de la sécurité. Il convient toutefois de comprendre les limites de la cartographie.
Nous en identi.ons cinq : 1) il s’agit d’abord d’une méthode issue de la sociologie structuraliste, et non d’une théorie du
monde social 2) la cartographie ne représente qu’un instantané d’une con.guration de relations, et non sa progression
dans le temps; 3) elle est dépendante du contexte, et est donc dif.cilement généralisable à l’ensemble des secteurs de la
sécurité ; 4) elle ne peut prédire les résultats des effets de structures; 5) elle évacue rapidement la notion de sens donné
aux relations par les acteurs qui composent ces réseaux. Ainsi, l’analyse formelle des réseaux ne peut suf.re à expliquer
le changement et son usage est limité.
Cette communication propose une approche complémentaire, qui permet d’expliquer le changement des con.gurations
de réseau en retraçant l’évolution d’un réseau de sécurité dans le temps. En reprenant la catégorisation de Kahler et al.
entre les réseaux-comme-structures de relations d’échanges et des réseaux-comme-acteurs coordonnés de la sécurité
(2009), nous détaillerons pourquoi et comment il convient de distinguer ces deux catégories ainsi que le processus
temporel qui permet aux individus qui les composent d’en faire soit des réseaux plus près d’un réseau ad minima ou des
réseaux dotés d’identité, d’intérêts et de capacités d’action collective.
Nous utilisons ensuite cette approche dans le cadre d’une recherche longitudinale qui s’intéresse aux pratiques des
participants d’un type de réseaux spéci.que, les réseaux militaires internationaux. L’étude révèle que les militaires de
ces réseaux ont produit de façon intentionnelle et stratégique leurs propres capacités d’action collective et leurs propres
pratiques qui ont eu des effets sur l’évolution du réseau en lui-même et sur la gouvernance de la sécurité internationale.
Nous conclurons sur le potentiel empirique et les limites d’une telle démarche.
Eurosur's multiple maps and the (nearly) real-time cartography.
Tazzioli M.
University of Oulu (Finland)
In this paper I will take into account the recent developments of EUROSUR system, with a speci.c focus on its
implementation in the Mediterranean area and the way in which how it is used also in monitoring tragedies at sea and in
cooperating with the monitoring system of Italian authorities. This presentation is the result of my current .eldwork
concerning the politics of (in)visibility in the Mediterranean and of the interviews I conducted with the Italian Home
Of.ce section that manages the national coordination point in Italy, and with the Italian Navy (currently involved in
Mare Nostrum operation) and the Coast Guard. This study is situated within a counter-mapping perspective, that tries to
unpack the regime of visibility in the Southern region of Europe, and with a speci.c focus on the Mediterranean sea.
Counter-mapping is conceived here as a methodological approach aimed at anlyzing what is left outside of
governmental maps (for technical limits but also for political strategies) and which space of governmentality emerges
from the articulation of the different migration maps that are produced By state and non-state actors in Europe, among
which the EUROSUR cartography, that is in turn the result of multiple database and monitoring systems. What is
mapped by Eurosur? Differently from other coordinated monitoring system – like for instance CISE, the Common
Information Sharing Environment under construction – Eurosur’s task is to report on a shared (nearly) real-time
map/platform all events that are labelled by national authorities or by Frontex as “illegal migration” and “cross-border
crime”. But is it really Eurosur a real-time map? . Indeed, between the instant of the data insertion and the time
necessary for the system to elaborate the data, it could take some hours and up to a day. Moreover, since Eurosur stores
only events of illegal immigration and cross-border crime, in many cases the event itself must be accomplished before
being signalled on the map: However, after all, it seems that the real-time border picture actually is not the main stake,
since as the Italian Eurosur responsible stresses, “Eurosur does not work as a pre-emptive mechanism of control and
rescue: rather, it helps to understand what are the most affected border zones and to create risk analyses” as it has been
declared by an Italian Home Of.ce authority in charge of monitoring the national coordination centre. Thus, more than
a dispositive of control-and-rescue, as it has been frequently presented, Eurosur is a data-.lter and a data-composer that
select information from different existing monitoring systems having access to all of them – AIS, JORA, national
coordinating centres, EMSA – and that produces a sort of “reactive border cartography” recoding different data in terms
of “events of concern”. More precisely, Eurosur manages the visibility of borders creating “events”, namely putting on
the map data and information revealing that a cross-border crime took place.
This presentation concludes with an analysis concerning the ways in which humanitarian and security issue articulate
each other in the current monitoring and mapping devices.
4
The Race to Quantify the Insecurity-Exposure of Humanitarians: New
Professional Spaces through the Power of Statistics
Beerli M.
Université de Genève; Sciences Po Paris
While humanitarian work has always implied a certain level of risk, in the last two decades, there has been a growing
concern that humanitarian agents are exposed to unprecedented levels of insecurity. Primarily based on perceptions
drawn from exceptional incidents, such statements are reinforced by quantitative studies which attempt to identify,
measure, and document threats to humanitarians. As opposed to having direct implications for the delivery of aid, this
paper would like to suggest that such forms of calculable knowledge production can be better understood as a means by
which to open up new professional arenas and the legitimization of these perforations, speci.cally the
institutionalization of security management. For example, one database tracks the absolute number of security incidents
incurred by humanitarians and codes countries according to a paradigm of risk. While many practitioners challenge the
utility of generalizing to understanding speci.c contexts, efforts to quantify humanitarian danger are nonetheless
multiplying. Given their practical limitations, the boom in producing statistics is instead emblematic of professional
competition and power struggles over the “right way” to count. Lastly, while seemingly detached from what is taking
place on the ground, this paper will explore the political implications evoked by the power to count.
5
ST 2 : Regional Powers : Actors and Institutions
United, but Unique? Patterns of Democracy in the USA
Bernauer J.
Uni Bern
While varieties of democracy have been analyzed in depth from an international perspective, much less is known about
political-institutional con.gurations at the subnational level. In particular and surprisingly, there is no study of patterns
of democracy within the United States of America. At the conceptual level, the study seeks to explore this potential
subnational variance of the character of democracy. Are there differences in the extent to which power is concentrated
in the hands of governors? Can judicial courts or second chambers veto government policy? How much power is
granted to the people via direct democratic institutions? The further research interests are whether international
dimensions of power dispersion in the political-institutional system travel to the subnational level, and how alternative
con.gurations have emerged. The analysis draws on a novel data set covering executive and legislative power
dispersion, veto institutions and direct democracy in the 50 states between 1990 and 2014. Three research steps are
undertaken: First, the data is analyzed using exploratory Bayesian measurement modelling, identifying the underlying
dimensional con.guration of political-institutional traits. Second, the subnational US patterns are compared to a
selection of advanced democracies to assess their relative magnitude of power dispersion. Third, an investigation of
possible explanations such as the circumstances of settlement or socio-geographic factors seeks to explain the
subnational variance of power dispersion in the United States.
Committed to Coordination? Institutionalization, Salience and Bindingness of
Intergovernmental Councils in Federal Systems
Schnabel J.
Université de Lausanne
Since the second half of the 20th century, a large number of Intergovernmental Councils (IGC) have been set up in all
democratic federations. In a modern and complex world, governments invest in Intergovernmental Relations (IGR), i.e.
systems of horizontal and/or vertical IGC within one federation, to manage legislative, administrative and .scal
interdependencies (Bolleyer/Thorlakson 2012) inherent to federal systems. I de.ne IGC as institutions in which
members of government participate to coordinate their policies. However, IGC differ in the degree of commitment they
create depending on institutionalization (Bolleyer 2009), salience (Trench 2006) and bindingness of outcomes. We can
expect strong commitment when the level of institutionalization and the degree of bindingness are high and salience is
low. Strong commitment, thus, reduces incentives to exit coordination. Commitment is weak when IGC are weakly
institutionalized, outcomes are not binding and salience is high. Based on 15 variables capturing the three dimensions
de.ning commitment, the paper presents a typology of IGC in several democratic federations. It applies Cluster
Analysis to identify types of IGC and test the robustness of the indicators chosen. The results can be used both as the
dependent or independent variable in further studies on IGR. The paper hereby contributes to the comparative study of
IGR, still rather underdeveloped, despite recent attempts of Bolleyer (2009) and Parker (2012) to move beyond singlecase studies. Based on the results of the Cluster Analysis, IGR regimes can be de.ned and distinguished by looking at
the share of types of IGC in a given federation.
How does regional government participation in5uence strategies of regionalist
parties? A comparison among the Lega dei Ticinesi, the Südtiroler Volkspartei and
the Union Valdôtaine
1
Mazzoleni O., 1Bottel M., 2Pallaver G.
Université de Innsbruck2, Université de Lausanne1
In the last decades, several Western European countries experienced the rise of regionalist parties providing a protest
stance against the respective national centres (e.g. Fitjar 2010). As this phenomenon appears far from ephemeral,
electoral advances are in some cases relevant. Therefore, one of the main consequences is a more or less durable
participation within a subnational government (e.g. Delwit 2005; De Winter & Türsan 1998; McAngus 2014), in
particular on the regional parties themself. Which are the consequences of this participation on the regionalist party
strategy? Do the electoral successes and of.ce experience contribute to a shift from a protest to a mainstream regional
parties? Under which conditions this shift occurred and what are the reasons of a persistent protest dimension in party
behaviour?
Although this theoretical issue has been rarely considered until now, we argue that it would be heuristically useful to
assess under which internal and contextual conditions regionalist parties may change their behaviour in respect their
original goal. In our perspective, party behaviour cannot be considered unchangeable, but strictly linked with some
events (e.g. electoral success) that characterise its position both in the institutions and in the party-system (Strøm 1990).
In particular, we expect a complex trade-off among votes, of.ce, and policy-seeking strategies because parties that
obtain electoral success or become of.ce-holder in national arena can make hard decisions in order to change their
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strategy (Müller & Strøm 1999). Trying to answers to the questions above, we will compare three regionalist parties in
Switzerland and in Italy (Lega dei Ticinesi, Südtiroler Volkspartei and Union Valdôtaine) that gained electoral success
and enter in a durable way into regional government in the 1990s and 2000s.
Bibliography
Fitjar Rune Dahl, 2010. The Rise of Regionalism: Causes of Regional Mobilization in Western Europe, London & New
York, Routledge.
McAngus Craig, 2014. “Of.ce and Policy at the Expense of Votes: Plaid Cymru and the One Wales Government”,
Regional & Federal Studies, 24: 2, 209-227.
De Winter Lieven and Türsan Huri (eds), 1998. Regionalist Parties in Western Europe, London: Routledge-ECPR.
Strøm Kaare (1990). “A behavioral theory of competitive political parties”, American journal of political science, 34: 2,
565-598.
Strøm Kaare, Müller C. Wolfgang (eds.), 1999, Policy, of.ce, or votes? : how political parties in Western Europe make
hard decisions. Cambridge University Press.
Cantonal Initiatives as a Means of Peripheral Protest? The politics of shared rule
in the Swiss Confederation
Müller S.
Université de Berne
The Swiss Confederation is almost unanimously regarded as a successful case of regional integration into a coherent
and meaningful unity while still leaving substantial autonomy with its constituent units, the 26 cantons. Nevertheless,
the end of the Cold War, European integration as well as the recent economic crisis have contributed to a growing partypolitical polarisation and elite consensus dis-integration at the national level. At the same time, contention has also
increases “vertically”, between the Confederation and some cantons – especially those located at the Swiss “periphery”,
such as Ticino and Geneva. In theory, the ideal instrument to channel such peripheral protest is the cantonal initiative
that allows any one single canton to directly petition the Swiss parliament. In studying all the cantonal initiatives put
forth over the past 20 years and those of Geneva and Ticino in particular, in this paper, we are thus able to answer the
question as to what extent the cantonal initiative is or has become an instrument for peripheral protest, or shared rule, in
the Swiss Confederation – and, if not, to speculate about the reasons why the cantons regard other instruments as more
ef.cient means to in!uence national decision-making.
Les entrepreneurs des politiques publiques et le changement des politiques
régionales : le cas de la politique culturelle en Suisse
Marx L.
Université de Genève
Ce papier propose une investigation du puzzle du changement des politiques publiques au niveau régional et souligne
plus particulièrement le rôle crucial joué par des individus "entrepreneurs des politiques publiques" (Kingdon 1984)
dans l'organisation des coalitions, la détermination des résultats des processus de formulation des politiques publiques et
dans les éventuels changements dans les politiques publiques. Cela est d'autant plus particulièrement pertinent au niveau
régional et local, où les acteurs d'un secteur de politique publique se connaissent souvent depuis longtemps et peuvent
occuper des positions multiples de manière synchronique ou diachronique (cf. Boltanski 1973), et forment une élite des
politiques publiques interconnectée (cf. Christopoulos 2006).
Plus précisément, cette communication va étudier les processus récents de (re)formulation des politiques culturelles
dans trois cantons suisses (Berne, Bâle, Genève), en utilisant une méthode de process-tracing basée sur une analyse
documentaire approfondie et des entretiens. Le domaine culturel et les arts ont historiquement été une compétence
cantonale en Suisse, mais les villes et les communes jouent également un rôle important sur le terrain et la toute
première loi nationale sur la culture entrée en vigueur en 2012. Les processus de politique culturelle au niveau régional
sont ainsi également la scène d'interactions et de négociations entre acteurs du niveau municipal, cantonal ou national.
Une première partie du papier spéci.e la variable dépendante de cette recherche : la distribution du pouvoir décisionnel
dans la politique culturelle, soit l'articulation des acteurs et institutions chargés d'implémenter la politique culturelle de
chaque canton, ainsi que les éventuels changements de cette architecture suite aux récents processus politiques. Cet
arrangement de mise en œuvre est conceptualisé sur deux axes : il peut donner plus de pouvoir a) au secteur public ou
privé (p.ex. aux artistes eux-mêmes), suivant une approche plus ou moins interventionniste concernant la régulation et
le soutien public de la culture (cf. Hillman et McChartrand 1989), et b) au niveau local ou cantonal/régional. Mon
analyse montre que, malgré certaines différences, les politiques culturelles des trois cantons varient sur les deux axes et
que les changements des politiques culturelles vont dans différentes directions.
La deuxième partie du papier cherche ensuite à expliquer ces résultats divergents par des différences dans la
con.guration (Elias 1970) d'acteurs prenant part à chaque processus cantonal, et particulièrement par l'action
d'entrepreneurs de politique publique. Ce faisant, je montre comment des entrepreneurs des politiques publiques
7
multipositionnels – des acteurs publics ou privés qui organisent des intérêts, maintiennent et utilisent un grand réseau de
contacts, interagissent et collaborent avec d'autres acteurs, jouissent d'une bonne réputation dans un secteur donné et
promeuvent certaines idées et solutions politiques – peuvent façonner les processus politiques de manière décisive en
choisissant certaines arènes, organisant des coalitions, etc. Les caractéristiques sociales et professionnelles des
entrepreneurs des politiques publiques identi.és seront ensuite brièvement abordées en conclusion.
Universités belges francophones et régionalisation : vieilles habitudes et nouvelles
stratégies
Maes R.
Université libre de Bruxelles
L'enseignement supérieur en Belgique francophone a connu un grand nombre de réformes visant à l'aligner sur les
prescriptions des déclarations ministérielles du "Processus de Bologne". Cependant, depuis le premier décret "Bologne"
de 2004, les réformes du "paysage de l'enseignement supérieur" - selon l'expression désormais consacrée - se sont
largement in!échies dans le sens d'un renforcement de logiques régionalistes/sous-régionalistes. Celles-ci sont
particulièrement manifestes dans le dernier décret en date, qui organise des "pôles d'enseignement supérieur" dont les
frontières correspondent grosso modo aux limites des provinces, chargés de rapprocher les institutions des « besoins des
bassins locaux » (notamment en garantissant une meilleure « adéquation » entre l'orientation des futurs étudiants et les «
besoins locaux d'emplois »). Ce redécoupage s'accompagne également d'un renforcement des compétences des régions
en matière de recherche appliquée, dans une optique similaire, les institutions étant chargées de « garantir l'innovation »
nécessaire pour assurer la « compétitivité régionale ».
Par ailleurs, l’enseignement supérieur belge est organisé depuis 1834 comme un « quasi-marché » caractérisé par une
très forte concurrence entre ses institutions, se structurant autour des oppositions historiques notamment entre
catholiques et laïques. Plus récemment, cette logique de concurrence a connu une première intensi.cation dans le cadre
des plans d’austérité budgétaires des années 80 et, à leur suite, de la communautarisation de l’enseignement supérieur,
et un second et important renforcement lors du passage du .nancement en « enveloppe fermée » : la dotation pour
l’ensemble des institutions est désormais une ligne budgétaire .xe, répartie au prorata du nombres d’étudiants inscrits
dans chacune d’entre elles.
Dans ce cadre, notre communication vise à questionner l’in!uence du renforcement de la logique régionale en matière
d’enseignement supérieur et de recherche sur les stratégies mises en place par les institutions dans les luttes qu’elles
mènent entre elles. Nous nous consacrons en particulier aux stratégies des deux plus grandes universités complètes,
l’Université catholique de Louvain et l’Université libre de Bruxelles, pour renforcer leur présence en régions wallonne
et bruxelloise.
Dans un premier temps, nous réalisons un bref historique de la structuration de l’enseignement supérieur belge, en
insistant plus fortement sur les mesures adoptées depuis sa communautarisation. Nous décrivons comment les réformes
successives ont contribué à renforcer fortement la concurrence interuniversitaire et, simultanément, ont augmenté
l’in!uence du niveau régional (voire infra-régional) sur les institutions. Nous montrons en particulier l’impact de cette
évolution sur l’organisation interne des universités, notamment en termes d’intervenants dans la conception des
stratégies de développement et de missions des autorités académiques.
Dans une seconde partie, nous nous consacrons aux stratégies de développement régional des deux universités depuis
2004, en nous fondant notamment sur un corpus de discours of.ciels prononcés par les responsables de ces deux
institutions à l’occasion d’événements à forte portée politique – notamment par la présence de députés. Ces éléments
permettent à la fois de comprendre quelques ressorts des luttes de « territoire » entre institutions mais aussi
d’appréhender leurs options stratégiques différentes.
Dans une troisième et dernière partie, nous nous consacrons en particulier aux mécanismes par lesquels les deux
universités organisent leur « lobby » régional, en analysant à la fois les jeux d’in!uence entre institutions se marquant
par des rapprochements, partenariats et fusions, mais aussi une série de sorties presses et de documents collectés à
l’occasion des débats récents sur le « paysage de l’enseignement supérieur » (2012-2013). Nous décrivons notamment
les jeux « d’in!uence » sur les parlementaires, liés aux proximités historiques des partis politiques et des institutions.
Nous concluons notre présentation en mettant en exergue les points de friction des stratégies que nous avons décrites, se
marquant par une indécision des autorités universitaires quant aux objectifs stratégiques à poursuivre : la volonté de
participer à la « course européenne » à « l’excellence » en recherche et celle de contribuer directement au
développement industriel local par le déploiement d’une recherche appliquée ad hoc ; la volonté de former une main
d’œuvre quali.ée directement employable à la sortie des études et celle de former une élite intellectuelle rompue aux
méthodes de recherche les plus poussées ; etc. Nous discutons alors de l’impact de la montée en puissance des régions
sur la manière dont les institutions dé.niront leurs choix stratégiques.
8
En quête d'une stature d'acteur majeur de la coopération Nord-Sud : soutien aux
solidarités diasporiques et coopération décentralisée en Région Rhône-Alpes
Vincent-Mory C.
Paris Ouest Nanterre La Défense
A côté des ONG, des OIG, des États ou des entreprises multinationales, des entités subétatiques comme les collectivités
locales s'af.rment aujourd'hui sur la scène internationale (Duchaceki 1990, Viltard 2008). En France, depuis les années
1990, les Régions développent une action extérieure de coopération Nord-Sud et élaborent une véritable paradiplomatie,
en particulier dans le cadre de la coopération décentralisée (Gallet 2007). La Région Rhône-Alpes est la première région
de France – après l'Ile de France, cas d'exception – en terme de nombre de programmes de coopération décentralisée, de
volumes investis et de nombre d'acteurs associatifs et institutionnels agissant pour la solidarité internationale depuis son
territoire. Aujourd'hui, elle af.che ouvertement sa prétention à devenir un acteur incontournable de la coopération
internationale (Payre 2013). Par ailleurs, sur son territoire, on observe la présence importante d'organisations
diasporiques engagées dans des activités de coopération Nord-Sud. Nouveaux entrants dans les réseaux de la solidarité
internationale, les acteurs associatifs transnationaux issus des migrations peinent à être reconnus comme des acteurs
légitimes. Seule, la Région Rhône-Alpes semble leur accorder du crédit. Pourquoi et comment la Région Rhône-Alpes
se saisit-elle de la présence d'associations diasporiques sur son territoire pour se construire une stature d'acteur
international ?
Notre ré!exion s'appuie sur un travail d'enquête sociologique en Région Rhône-Alpes mené entre 2012 et 2014. Il allie
observations, entretiens semi-directifs et lecture d'archives, à la Région mais également auprès des principaux acteurs de
la solidarité internationale de son territoire (ONG, associations issues des migrations, plate-formes – GIP Resacoop,
COSIM -, collectivités locales).
La politique extérieure de la Région Rhône-Alpes, dans sa dé.nition comme dans sa mise en œuvre est contrainte par le
jeu d'acteurs multiples qui poursuivent leurs propres intérêts et se positionnent pour certains comme des concurrents (en
interne : ONG, plate-formes associatives et autres collectivités locales du territoire - Grand Lyon- ; au-delà de l'échelon
régional : État Français et MAE, AFD, politiques européennes). Dans ce contexte, la Région Rhône-Alpes est sommée
de donner légitimité et signi.cation à son activité internationale, pour se différencier. Dès lors, une des stratégies
déployée est d'appuyer la dynamique associative issue des migrations (soutiens .nanciers et appui technique), de
soutenir sa structuration (relations privilégiées entre des leaders associatifs et des fonctionnaires et des élus à la Région)
et d'intégrer les réseaux diasporiques présents sur le territoire rhône-alpin à sa politique de coopération décentralisée
(Tombouctou, Saint-Louis et Matam). Par ailleurs, cette stratégie fait écho à une injonction forte des programmes
européens depuis la .n des années 2000. Or, dans un contexte universaliste républicain marqué par une injonction à
l'intégration et le principe d'aveuglement aux différences, en particulier ethnico-nationales, cette stratégie semble
illégitime par de nombreux aspects. Dès lors, ce positionnement affaiblit les relations entre la Région Rhône-Alpes et
les autres acteurs associatifs et institutionnels de son territoire, fermement opposés à ce qu'ils identi.ent comme des
dérives communautaristes. En outre, en contribuant à la reconnaissance de la dynamique associative diasporique, la
Région voit se modi.er les équilibres associatifs et militants sur son territoire. Les contraintes pesant sur la dé.nition de
sa politique extérieure se modi.ent. Ainsi, la stature d'acteur majeur de la coopération internationale n'est pas acquise et
reste à conquérir, pour la Région Rhône-Alpes.
Cette stratégie et ces résultats ambigüe en matière de pouvoir politique pour la Région Rhône-Alpes révèlent deux
processus problématiques, dans les réseaux français de la coopération internationale : une ethnicisation des acteurs
d'une part, une exacerbation de la compétition sur un marché concurrentiel, d'autre part. L'exemple de la Région RhôneAlpes nous prouve cependant que les pouvoirs régionaux peuvent susciter l'émergence d'espaces de coopération
internationale jusque là non identi.és et favoriser le renouvellement des modes de gestion de l'intervention
internationale (Massart-Pierard 2005).
Sub-state diplomacy in malfunctioning states: The Republika Srpska’s bid in
Bosnia Herzegovina
Marciacq F.
Université du Luxembourg
Diplomacy is no longer the preserve of the state. It is also conducted at the sub-state level as an instrument of
contestation against the authority of the state. In malfunctioning states like Bosnia-Herzegovina, this issue is of
paramount importance, given the structural risk of instability, which twenty years of state-building have not alleviated.
This paper investigates speci.c aspects of this complex issue. It claims that the development of paradiplomatic activities
at the sub-state level in the Republika Srpska both responds and contributes to the malfunctioning of the state of BosniaHerzegovina. More speci.cally, it assesses the level of diplomatic actorness of the Republika Srpska and examines
whether this has grown in collaboration or in competition with state diplomacy.
9
Sub-states as international democracy promoters
Powel D.
Aberystwyth University
This paper compares the international democracy promotion activities of Wales and Flanders, arguing that the activity
itself is a means by which sub-state actors pursue domestic, nationalist or nation-building objectives. While the
motivations are solipsistic, the methods meanwhile tend to conform to global norms and practices, arguably supporting
the development and perpetuation of a narrow, market-orientated liberal democracy. Sub-states differ from other
promoters of democracy however in the more open and inclusive conceptualization of democracy present amongst the
actors. The paper breaks new ground by incorporating sub-state actors into the broader understanding of democracy
promotion. Largely absent from the IR literature and invisible to scholars of democracy promotion, sub-states such as
Wales and Flanders nevertheless engage in activities which both explicitly and implicitly promote democracy
internationally. In employing and developing Andre Lecours’ framework of multi-level ‘opportunity structures’ (2002) –
the web of institutions conditioning opportunities for sub-state international activity – the paper also contributes to
attempts to develop a theory of sub-state international activity; a key element, still missing from the paradiplomacy
literature. The paper draws on recently conducted empirical research; elite interviews and an extensive examination of
international policies and activities over the past twenty years. In employing an historical institutionalist method to
explore the ‘opportunity structures’, the paper offers an explanation of why and how sub-states have become the
democracy promoters they are today.
Beyond foreign policy. The Role of Sub-National Actors in the Reordering of
North American Relations
Frankowski P.
Jagiellonian University
In the past .fty years the American states and Canadian provinces have become in!uential actors on the world stage. As
sub-national actors have gained more power, and as legislatures and administrations have become increasingly
professionalized, sub-national units have not only asserted themselves vis-a-vis the federal government, they have also
become more active in world politics. Close relations over the 49th parallel have turned into change of perceptions of
close neighbours, as relations between Canada and the US seem to be natural and non-foreign affairs. Because relations
between two neighbouring federal countries and their sub-national units differ from global relations of American states
and their partners the proposed project will seek to answer the question of whether the states treat Canadian
counterparts as just another state. Thus proposed project will document and analyze the motivations, methods, and
spheres of cross-border relations at two levels: political-strategic/ trade-commercial. This article argues that the research
on paradiplomacy in the North America has been very successful in conceptualizing the .rst wave of theoretical
undertakings, but it has not yet delivered satisfactory explanations for reality of complex North American relations. The
article suggests that concept of paradiplomacy should be complemented with institutionalist theory, where sub-national
units from both countries bypass of.cial relations, and create joint working institutions, beyond of.cial foreign policy.
10
ST 3 : Environment and Development
Transnational networks and community forestry in Mesoamerica: scalar dynamics
in the transformation of global norms
Dupuits E.
Université de Genève
Global forest governance is generally analyzed as highly fragmented, meaning that it involves a multiplicity of actors
and institutions. However, some norms and discourses around global forest governance have gained more in!uence on
the international arena. One major example is the REDD+ program implemented by the UN to reduce carbon emissions
from deforestation, in the global goal to .ght climate change. This program is mainly focused on a market-based
approach and a distributive conception of equity. Facing these new global pressures, community forestry organizations
in the Mesoamerican region are seeking, through the creation of transnational networks, to promote alternative norms
around their own model of governance. They are especially defending their right to participate on decision-making
processes, as equal partners of the UN and nation-states.
Based on a transnational political sociology perspective and on discourse analysis, this paper aims to capture the
mechanisms through which transnational community-based networks transform global norms of forest governance. The
argument will be conducted through an empirical case study of one particular actor, the Mesoamerican Alliance of
Peoples and Forests (AMPB). Three mechanisms will be analyzed: the construction of a transnational identity around
forest owners, the establishment of strategic alliances with powerful international actors, and the circulation inside
existing arenas of global forest governance or indigenous rights. Finally, the major contribution of this paper is to
question the traditional approaches of the international relations, which overlook the capacity of community
organizations to transform their own nature, and key global norms of governance.
« Mise en valeur » et « conservation » des forêts tropicales. Les racines
institutionnelles, techniques et épistémiques d’un régime global sur les forêts
Viard-Crétat A.
EHESS
Éléments biographiques
Pour analyser l’expertise impliquée dans le dispositif REDD+, ma thèse en cours de .nalisation confronte
l’ethnographie de terrains variés (conférences internationales, cas du Cameroun, modélisation du carbone forestier…) à
une mise en perspective historique de la problématique « déforestation », entremêlant sphères technico-scienti.ques et
négociations internationales sur l’environnement et le développement.
Résumé
L’agenda international sur les forêts connait récemment un renouveau autour d’un dispositif de la convention climat, le
REDD+(1). Bien que celui-ci soit souvent présenté comme résultant de la rencontre entre les enjeux forestiers et
climatiques(2), c’est surtout le système international d’aide au développement qui est au cœur de sa mise en œuvre ; la
Banque mondiale, « chief arbitrer of development »(3), se retrouve ainsi leader du processus. Et le marché carbone
semble pouvoir offrir une opportunité « gagnant-gagnant », tant pour l’environnement que pour le développement.
Pour comprendre comment ce paysage institutionnel et le cadrage du problème forestier qu’il promeut se sont mis en
place, un retour sur l’histoire des négociations internationales forestières est utile. Un « régime des forêts » aurait
émergé dans les années 1980, quoiqu’il soit toujours considéré comme peu ef.cace et dispersé(4). Or, depuis la .n du
XIXème siècle, les enjeux de « mise en valeur » et de « conservation » des forêts se sont articulés et confrontés à
l’échelle globale. En revenant sur les rouages et les con!its de cette institutionnalisation, et en les situant dans leurs
contextes techniques, politiques et économiques (guerres, décolonisations, outils satellitaires…), mon étude dégagera
deux pistes de ré!exion, thématique et théorique :
- Quels enseignements peut-on tirer de cette généalogie longue pour mieux comprendre la tension qui se rejoue
récemment entre environnement et développement, et notamment au sein du processus REDD+ (relations pays
pauvres/bailleurs, rôle de la coopération technique au développement, statut des organisations multilatérales, approche
par le marché…) ?
- Cette étude de cas sera aussi utilisée pour rediscuter la notion de « régime », et en particulier le rôle des «
communautés épistémiques »(5) et les enjeux de l’idée d’une ré!exivité récente sur les tensions entre environnement et
développement économique(6).
Notes
(1) "Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts [REDD], et le rôle de la
conservation, la gestion durable des forêts et l’amélioration du stock de carbone forêt dans les pays en voie de
développement [+]".
11
(2) Buizer M., Humphreys D., de Jong W. (2014). « Climate change and deforestation: the evolution of an intersecting
policy domain ». Environmental Science & Policy 35, pp. 1–11.
(3) Goldman, M. (2005). Imperial Nature : The World Bank and Struggles for Social Justice in the Age of
Globalization. New Haven et Londres, Yale University Press.
(4) Humphreys, D. (2006). Logjam. Deforestation and the Crisis of Global Governance. Londres, Earthscan.
Dimotrov R. S., Sprinz D. F., DiGiusto G. F. et Kelle A. (2007). « International Nonregimes: A Research Agenda ».
International Studies Review, 9, pp.230–258.
Smouts M.- C. (2008). «The issue of an International Forest Regime », International Forestry Review, 10(3), pp. 229232.
Karsenty A., Guéneau S., Capistrano D., Singer B. et Peyron J.-L. (2008). « Régime international, déforestation évitée
et évolution des politiques publiques et privées affectant les forêts dans les pays du Sud », Idées pour le débat, IDDRI,
7.
(5) Haas, P.M. (1989). « Do Regimes Matter? Epistemic Communities and Mediterranean Pollution Control ».
International Organization, 43 (3), pp. 377-403.
Haas, P.M. (1992). « Introduction: Epistemic Communities and International Policy Coordination ». International
Organization 46 (1), pp. 1?35.
(6) Fressoz, J.-B. (2011). « Les leçons de la catastrophe. Critique historique de l’optimisme postmoderne ». La vie des
idées, 13 mai.
Ressorts, contributions et limites de la -nance « verte » comme outil de l’aide
environnementale : le cas d’une ligne de crédit en Egypte
1
Krichewsky D., 2Leménager T.
Agence Francaise de Développement 2, Université de Bonn1
La mise à contribution des marchés .nanciers et des banques à la réalisation d’objectifs environnementaux s’est
imposée comme un des grands thèmes associés au développement durable. Tandis que la .nance « verte » a gagné en
importance dans les pays du Nord et, dans une moindre mesure, dans les pays émergents, les acteurs .nanciers des pays
du Sud restent largement en marge du phénomène. Ce constat n’a pas échappé aux bailleurs de fond bilatéraux et
multilatéraux, qui multiplient les projets visant à soutenir les activités des banques des pays du Sud dans le .nancement
d’investissements « verts ». Si le discours accompagnant cette stratégie d’aide environnementale vante les capacités de
tels outils « du marché » à aligner développement économique et préservation de l’environnement, cette perspective fait
débat. Mobilisant l’étude d’une ligne de crédit environnementale (LCE) mise en place par un consortium de bailleurs de
fond en réponse au problème des pollutions industrielles dans le delta du Nil, le papier analyse les ressorts et le potentiel
environnemental de tels dispositifs. Loin des clichés sur les outils « du marché », l’étude révèle une combinaison entre
régulations publiques contraignantes et incitations marchandes, dont l’ef.cacité requiert la présence d’un acteur
environnemental fort. La dépendance du dispositif aux ressources ponctuelles apportées par les bailleurs conduit
toutefois à interroger les capacités de tels projets pilotes à changer de façon pérenne les modèles de développement
économique dans un sens plus favorable à la préservation de l’environnement.
Clientelism : The Case of Natural Disasters
Mannino M.
University of St.Gallen
Do governments strategically exploit natural disasters to buy votes from the electorate? Prominent theories of political
behavior and .ndings from cognitive psychology suggest that natural disasters provide a unique opportunity for
authorities to buy votes from electors by, for instance, signaling leadership qualities or providing timely assistance in
the aftermath of a natural catastrophe. This paper explores whether governments strategically distribute disaster relief
aid and preparedness spending. To this purpose I make use of a newly collected database containing data on natural
disasters, federal disaster relief aid and preparedness spending, and presidential election results at the United States
county-level extending from 1988 to 2012. This allows me to test for a political bias in government spending with
regards to natural disasters, i.e. to test whether disaster related government spending deviates from a purely affectedness
allocation. The results shed light on clientelist strategies with respect to the allocation of government spending in the
presence of negative environmental shocks.
12
ST 4 : Recent Challenges for Economic Policymaking and Political
Representation
Labour market disadvantage, political orientations and voting: How adverse labour
market experiences translate into electoral behaviour
1
Schraff D., 1Emmenegger P., 2Marx P.
University of Southern Denmark2, Universität St. Gallen1
How does labour market disadvantage translate into political behaviour ? Bringing together the literatures on political
alienation, redistribution preferences insider and outsider politics, we identify three mechanisms by which labour
market disadvantages are likely to in!uence voting behaviour.
Disadvantages may increase support for redistribution, reduce internal political ef.cacy or lower external political
ef.cacy, which translates into support for pro-redistribution parties, vote abstention or support for protest parties. Using
the Dutch LISS survey, we observe the twin effect of increased support for redistribution and decreased external
ef.cacy. Mediated through redistributive preferences we .nd a positive effect of labour market disadvantage on voting
for left parties. Mediated through external ef.cacy we .nd a positive effect of labour market disadvantage on protest
voting. In contrast, we do not .nd any effect of labour market disadvantage on internal ef.cacy. Hence, the observed
effect of labour market disadvantage on political abstention is entirely mediated by external ef.cacy.
Perceived Labor Market Risk and the Erosion of Political Trust: The Ambiguous
Effect of Temporary Employment
Schraff D.
Universität St. Gallen
This paper investigates how individual experiences of temporary employment translate into reduced levels of political
trust. Recently, research started to investigate cross-sectional associations between temporary employment and political
attitudes and behavior. One major argument in this literature - the disenchantment hypothesis – supposes that the
economic insecurity associated with .xed-term employment erodes peoples' trust into the political system. Yet, research
so far relies on cross-sectional data, which cannot account for the individual changes implied by the theoretical
argument. Using household panel data, we take up the task of following the theory more closely by investigating the
mechanism behind the disenchantment hypothesis. It is argued that temporary employment induces a rather
heterogeneous effect on political trust and cross-sectional research therefore struggles in gathering empirical insights on
the disenchantment hypothesis. We propose a strategy to capture the adverse effects of temporary employment which
builds on measures of perceived economic risk. Fixed effects regressions show that if temporary employment
experiences are translated by increased job insecurity and a worsening .nancial expectation, political trust starts to
erode.
The Electoral Politics of Employment-Centred Family Policy
1
Giger N., 2Nelson M.
Université de Genève 1, Lund University2
The orientation of family policies shifted in recent decades towards policies which enable parents to combine work and
family, such as leave schemes and daycare. Importantly, contrary to the general trend to cut down the welfare state this
sub.eld of social policy has seen sizable expansion during past years. We explore the electoral politics of employmentcentred family policies to gain leverage in understanding of why some governments expanded family allowances
whereas others did not. We posit that electoral incentives shape incumbents’ decisions to expand or retrench
employment-centered family policies. Our results provide evidence that left parties gain votes for expanding and liberal
and conservative parties lose votes for expanding the duration of maternity leave and generosity of parental leave,
respectively. Second, we examine the effect of policy change on the composition of parties’ constituencies in two
representative welfare states to tap into whether parties enact policy change to attract particular groups of voters (i.e.
female or younger voters), rather than simply maximizing votes overall.
The political economy of the gender preference gap – women’s changing political
alignment since the late 1970s
Schwander H.
University of Bremen
The paper examines the political process of women’s changing political alignment since the late 1970s in three steps.
First, we examine women’s political preferences. Following the reasoning of the literature about a ’new gender vote
13
gap’ one could expect women not only to support more often left parties than men, but display also more ‘leftist’
preferences for speci.c policies. Based on data from the European and World Value Surveys as well as several
Eurobarometer Surveys we look more closely in which countries, to what extent and in what dimension women have
developed distinct political preferences from men. Our paper also looks at the context of preferences formation, in
particular on the impact of employment and family constellations. In a second step, we analyze the reactions of parties
to the new electoral potential. More precisely, we trace their strategies re-con.guration around a progressive family or
the traditional family model in Germany and France. As a last step we link the party con.guration and the changes in
preferences by analyzing the voting behavior of women in different family and employment constellations.
Business cycles and the partisan politics of -scal policy, 1981-2010
Raess D.
Université de Genève
This paper investigates .scal policy responses to the Great Recession of 2008-10 in historical perspective. It explores
general trends in the frequency, size and composition of .scal policy as well as the impact of government partisanship
on .scal policy outputs during the four international recessions and the ensuing recoveries of the early 1980s, the early
1990s, the early 2000s and the late 2000s. Encompassing 17-23 OECD countries, the analysis shows that while .scal
policy activism in response to downturns has increased since the early 1980s, .scal policy over the cycle has not
become more expansionary. Regarding government partisanship, we do not .nd any signi.cant direct partisan effects on
the size of either .scal stimulus or consolidation, but we do .nd such effects on the composition of .scal policy in the
two recessions of the 2000s, with Left-leaning governments distinctly more prone to engaging in discretionary spending
increases during downturns and in discretionary spending cuts during the consolidation phase.
Policy convergence? Macroeconomic party positions in the context of the financial
crisis
Traber D.
Université de Zurich
After 2008 the crisis has quickly spread from the United States to Europe, causing public debt to rise to unsustainable
levels in many countries. With a number of European countries now repaying their bail-out loans, others taking the risk
of being affected by the continuing recession and slow growth of the most severely hit countries, it is not at all clear
what leeway national European parties still have in choosing macroeconomic policy. In other words, the current crisis,
which triggered an unprecedented integration of the eurozone, puts into question whether political parties are still able
to provide voters with meaningful democratic choices.
This paper analyzes the European parties’ policy positions during the recent economic crisis. I argue that the crisis
dramatically increases the already existing constraints on parties’ policy choices. Therefore, the crisis is an ideal case to
study the convergence hypothesis, because it allows to compare the parties’ policy positions before and during the
global economic downturn.
The main argument in this paper is that the Eurocrisis has allegedly lead to contradictory pulls for parties: The austerity
measures are very unpopular and it is risky for parties to promote the painful budget cuts that have become necessary in
most European countries. However, not all parties are equally constrained : I argue that we have to take into account
two factors that lead to different degrees of constraints : the parties’ government status and the impact of the crisis on
the national economy.
The analysis is based on expert judgements of party positions in 24 European countries 2 before and during the
economic crisis.
Does Economic Hardship Erode Political Trust ? Evidence from the Euro Crisis
Liesch R.
University of St. Gallen
Many argue that trust determines the long-term fate of democratic systems, and therefore, to the extent that times of
economic crises weaken political trust, periods of poor economic performance may also threaten the quality of
democracy. This paper explores the impact of the Euro Crisis on trust in political institutions. Prominent theories of
voting behavior predict that a deteriorating economy erodes trust in political institutions. The Euro crisis has affected
the EU member countries unequally: One set of countries experiences ongoing economic hardship while other countries
have remained relatively unaffected. Based on this distinction between more and less affected countries and using
Eurobarometer data, I estimate the effects of economic hardship by applying a difference-in-differences design. This
allows me to compare the evolution of trust in countries that experienced periods of extended economic recession with
political trust in a set of control countries. The results shed light on the political repercussions of an unprecedented
economic recession and provide us with knowledge about the economic origin of trust in political institutions.
14
The effect of the economic and -nancial crisis on Corporate Social Responsibility
activities in companies in Germany and the United Kingdom
1
Raess D., 1Lang F.
Université de Genève 1
The purpose of this paper is to study the effect of the economic and .nancial crisis of 2008 and 2009 on companies
CSR activities in Germany and the UK. It is suggested that in times of crisis British companies will reduce CSR
activities more or increase less than German companies due to different drivers for CSR. To test this assumption a
comparative case study is conducted between two German and two British medium-sized multinational companies
operating in the chemical sector. Data is collected through content analysis of companies’ sustainability reports and
subsequent categorisation according to the ISO 26000. (Also a company questionnaire is executed.) Results show that
German companies increased CSR activities or reduced them less than British companies especially in the area of
labour practice and community involvement activities. This differential behaviour in relation to CSR activities in times
of crisis of German and British companies is attributed to the factor of the different institutional structure of a country.
15
ST 5 : Philosophie politique et relations internationales
Vers la « justice réparatrice » internationale : le paci-sme juridico-idéaliste de
Léon Bourgeois
Tixier C.
Université Panthéon-Assas
Équilibre circonstanciel entre résistances au libéralisme et revendications collectivistes, la doctrine solidariste de Léon
Bourgeois est érigée par Ferdinand Buisson, dès 1901, comme l’esprit ultime du parti radical et radical-socialiste. Dans
le cadre d’une acception spéci.que de la République, Léon Bourgeois et les radicaux promeuvent un idéal de solidarité
qui a vocation à s’appliquer, non pas seulement à l’échelon national, mais également aux relations internationales.
Dès lors, cette communication entend examiner, au moyen d’une méthode inductive, les différentes phases
d’institutionnalisation morale et politique de la paix proposées par le solidarisme.
Selon Ferdinand Buisson, la doctrine solidariste, « esprit ultime du parti-radical et radical-socialiste », est tout d’abord
expérimentée sur le plan national. Puis, très vite, Léon Bourgeois et d’autres radicaux-socialistes, probablement inspirés
par le modèle stoïcien des cercles concentriques, ampli.ent leur démarche solidariste a.n qu’elle puisse désormais
devenir une nouvelle théorie des obligations et des sanctions préalablement consenties entre les différents États-nations.
Néanmoins, le solidarisme repose sur une contradiction fondamentale. Il tend, en effet, à concilier deux présupposés :
un empirisme porté vers le patriotisme et un idéalisme juridique tendanciellement paci.ste.
Par le rejet de toute idée d’édi.cation d’un État mondial, le paci.sme de Léon Bourgeois, assorti de sentiments
patriotiques catégoriques, incarne pleinement la volonté de voir les intérêts vitaux français s’imposer dans l’élaboration
d’une future Société des Nations armée. Pré.gurant l’approche transnationaliste, le solidarisme juridique, en tant que
doctrine porteuse d’un normativisme paci.que, rend l’opposition classique entre réalisme et idéalisme spécieuse. En
outre, elle constitue une offensive sociologique, aux contours certes nébuleux, qui remet directement en cause le rôle de
l’État. L’entité État, dépourvue d’une force sui generis, est considérée comme une simple chose en soi. Refusant
alternativement toute substantialisation de l’État et toute édi.cation d’un État mondial, Léon Bourgeois envisage les
relations interétatiques comme l’émanation et la continuation des relations individuelles.
Dans cette perspective, la reconnaissance juridique de « l’autre » comme « semblable » dans les rapports
interindividuels, transposée aux relations internationales, détermine l’établissement d’un « contrat commutatif » entre
les États, obligés les uns envers les autres. Ce contrat spéci.que présente la particularité d’avoir pour .n ultime un
accord volontaire sur la « justice réparatrice ». Ici réside l’application, à l’échelon international, de la théorie du « quasi
contrat » de Léon Bourgeois. De cette conception solidariste de la justice réparatrice, manifestée par un paci.sme
juridico-idéaliste, naîtra ainsi l’idée de mutualisme international, en vue de l’édi.cation de la future Société des
Nations.
Alexis de Tocqueville : quelle utilité pour les relations internationales ?
Baranets E.
Bordeaux
Nous proposons de discuter l’apport d’Alexis de Tocqueville dans les études sur la guerre et la paix en relations
internationales. Nous nous attachons essentiellement à montrer que l’œuvre du penseur français dans ce domaine est
riche, mais traitée de manière encore trop super.cielle.
En substance, la ré!exion que mène Tocqueville dans "De la démocratie en Amérique" se prête particulièrement bien à
une utilisation en science politique sur le thème de la guerre et de la paix. C’est le premier point que nous soulignons.
D’une part, importer Tocqueville en relations internationales ne relève pas d’une opération intellectuelle hasardeuse,
dans la mesure où ce dernier traite du sujet qui nous intéresse de manière explicite. En outre, les questions qu’il se pose,
et pour lesquelles il apporte des réponses claires et précises, sont similaires aux questions soulevées par au moins deux
débats contemporains en relations internationales. Le premier concerne l’état de paix qui existe entre pays
démocratiques : on parle de paix démocratique. Le second concerne la propension des démocraties à triompher
militairement : on parle de victoire démocratique.
D’autre part, Tocqueville af.che les qualités propres aux auteurs les plus illustres, et qui font précisément défaut à la
plupart des autres : son raisonnement clairvoyant est profond et ses explications parcimonieuses. Tocqueville embrasse
donc une vision cohérente de la démocratie réduite à peu d’éléments. Il en déduit ensuite de manière logique les
attributs qui seront les siens à l’égard de la guerre. D’ailleurs, il parvient à lier la question de la paix à celle de
l’ef.cacité en guerre.
Qu’en est-il plus précisément de son apport sur ces sujets ? Perspicace, Tocqueville propose une explication de
l’absence de guerre à venir entre pays démocratiques entre eux. Les arguments développés sont similaires à ceux
qu’utiliseront beaucoup de théoriciens de la paix démocratique près d’un siècle et demi plus tard. Tocqueville est
pourtant ignoré par ces derniers, préférant mentionner l’héritage d’Emmanuel Kant.
Quant à la victoire démocratique, Tocqueville propose une ré!exion très détaillée, mais cohérente, sur ce qui fait les
16
forces et les faiblesses des démocraties en guerre. Nous n’avons la place ici que pour brièvement en résumer les
principes. Tocqueville souligne, d’abord de manière générale, le manque de continuité très préjudiciable qui existe en
démocratie, et qui favorise l’ennemi. La versatilité de l’opinion tranche avec la constance que nécessite une politique
étrangère ef.cace. À propos de la guerre plus précisément, les démocraties sont fragilisées en raison d’un triple
manque, lié à leur situation de paix prolongée : celui d’intérêt à faire la guerre, celui de culture guerrière et en.n celui
de considération pour le métier des armes. Ces caractères démocratiques ont comme origine commune profonde
l’égalité des conditions, et ils s’observent dans ce sens précis, c’est en raison de la situation de paix prolongée dans
laquelle les démocraties se retrouvent. Fort logiquement, ces caractères voient leur portée limitée à mesure que
l’affrontement armé voit la sienne grandir. La force des trois facteurs s’érode lorsque le con.t armé est engagé ; elle
disparaît lorsqu’il se prolonge et gagne en envergure.
Tocqueville est régulièrement cité par les théoriciens de la victoire démocratique en relations internationales. Mais son
œuvre est décrite de manière tronquée. Il s’agit du second point que nous abordons avec cette contribution. Rapidement
mentionné, Tocqueville est généralement associé à l’idée que les démocraties sont défavorisées en temps de guerre.
Tout au plus est-il précisé que le temps joue pour la démocratie. Mais les arguments de Tocqueville ne sont pas discutés.
Si son nom n’est pas ignoré, son œuvre l’est largement, alors même que celle-ci pourrait être fort utile, comme nous
l’avons exposé précédemment. Nous nous demanderons pourquoi il en est ainsi.
Nous offrons un élément de réponse avec la manière dont, en relations internationales, on puise généralement dans
l’héritage des grands noms de la philosophie politique. Machiavel, Hobbes, Locke, Kant ou Rousseau : les grands
penseurs y semblent omniprésents. Leurs idées sont pourtant souvent traitées de manière super.cielle. C’est moins la
ré!exion de ces auteurs qui semblent compter que l’étiquette. En substance, nous pensons que la discipline des relations
internationales est moins façonnée qu’elle n’y paraît par la philosophie politique.
Les politologues ont tout à gagner à se référer, dans leurs analyses, à l’œuvre des grands auteurs en philosophie
politique. Néanmoins, nous préconisons, pour conclure, d’être précautionneux dans la manière de procéder à cette
importation, notamment d’un point de vue conceptuel. Se pose donc ici la question plus large des conditions requises
pour envisager l’interdisciplinarité.
Philosophie politique, pensée critique et relations internationales : le cas Hannah
Arendt
Rémi B.
Université de Genève
Hannah Arendt est aujourd’hui communément considérée comme une des philosophes politiques majeures du XXème
siècle qui, en formalisant les concepts de totalitarisme, de nazisme, de révolution et de violence politique, aurait été en
mesure d’assurer le passage entre philosophie politique et science politique. Dans les faits, pourtant, hormis dans le
domaine de la théorie politique, branche à part entière de la science politique, les considérations de la philosophe sur le
politique n’ont aucunement enrichi le savoir pourtant intégratif de la science politique : ses analyses du rapport de force
en matière de relations internationales, ses réévaluations du concept de révolution en lien avec celui de liberté, ou
encore ses analyses sur l’action politique et publique n’ont pas participé d’une théorie politique des relations
internationales. Hormis l’école réaliste, les écoles libérale, constructiviste et institutionnaliste ont superbement ignoré
ses contributions.
L’exemple d’Arendt illustre le fait qu’en dépit de la puissance de sa pensée philosophique dans le domaine des relations
internationales, la science des relations internationales a pu superbement ignorer ses travaux et ne fut en rien redevable
à sa philosophie. Aucun métissage n’a pu se faire entre sa pensée du politique et le domaine des relations
internationales. Le cas Arendt témoigne des dif.cultés structurelles et conceptuelles qui ont marqué l’asymétrie des
relations et échanges entre les deux disciplines au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
L’objet de cette intervention porte sur l’analyse des causes de cette impossibilité de dialogue que traduit, dans le cas
Arendt, un positionnement particulier. Il est avant tout du au rejet du concept même de philosophie politique qu’elle
dé.nit comme contradictio in adjecto suscitant par là-même l’opprobre de la philosophie straussienne. Il est ensuite lié à
sa revendication de demeurer une philosophe qui fait œuvre hors de son domaine au pro.t de la théorie politique.
Nous souhaiterions explorer ici trois points majeurs :
•En quoi l’œuvre d’Arendt a-t-elle déconstruit le concept de philosophie politique ? Quelles ont été ses incidences sur
son analyse des relations internationales ?
•En quoi l’œuvre d’Arendt n’a-t-elle pu de son vivant produire du sens en matière de science politique des relations
internationales ? Comment s’est construite sa marginalité intellectuelle dans ce domaine ?
•Quelle est aujourd’hui l’actualité d’Hannah Arendt dans le domaine des relations internationales ? Compte-tenu des
évolutions majeures de notre monde – retour de la barbarie, con!its infra-étatiques, montée des extrémismes – la
réévaluation de son travail ne pourrait-elle combler un dé.cit de penser dans nos façons d’appréhender les nouvelles
con!ictualités des relations internationales ?
Biliographie
. Miguel Abensour. Hannah Arendt contre la philosophie politique ? Paris, Sens&Tonka, 2006.
17
. Hannah Arendt, Conditions de l’homme moderne, Paris, Calmann-Levy, 1961 (1958).
. Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Le Seuil, 1995.
. Hannah Arendt, Essai sur la Révolution, Paris, Gallimard, 1967.
. Hannah Arendt, Du Mensonge à la violence, Paris, Calmann-Levy, 1972
. Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, Paris, Le Seuil, 1972, 1973, 1982.
. Alexander D.Barber, David M.McCourt, « Rethinking International History, Theory and the Event with Hannah Arendt
», Journal of International Political Theory, 6, (2), pp.117-41.
. Anthony F.Lang (Editor), John Williams (Editor), Hannah Arendt and International Relations : Reading across the
Lines, 2005.
. Bhikhu Parekh, Hannah Arendt and the Search for a New Political Philosophy, Humanities Press, 1981.
. Maurizio Passerin d’Entrèves, The Political Philosophy of Hannah Arendt, London, Rouledge, 1994.
. Etienne Tassin, Le Trésor perdu. Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique, Paris, Payot, 1999.
. Jacques Taminiaux, La Fille de Thrace et le Penseur professionnel, Arendt et Heidegger, Paris, Payot, 1992.
Rethinking Gift in The Global Age
Elena P.
Université de Florence
The gift paradigm, inspired by Marcel Mauss, is particularly relevant to Social philosophy because it proposes a vision
of the social bond alternative to the paradigm of homo economicus - consolidated by the liberal tradition - founding it
not on self-interest and sel.sh passions, but on solidarity and empathetic passions.
The gift does not only imply a face-to-face relationship. Just think of that particular form analysed by Godbout and
Caillé : namely, the gift to the unknown. The logic of the gift implies the constant and progressive enlargement of the
.gure of the other because of the constitutive and ontological inclusiveness of the gift. This is not to trace it back to an
ecumenical altruism - if altruism means being for the other - but to a dimension which is as constitutive of the subject as
egoism and utilitarianism, because it responds to a profound need or desire of the Self : namely, the desire for bonding
and belonging.
My thesis is that globalization, or rather what I prefer to call the global age, produces a new and unprecedented
extension of the other because it includes in our "circle of concern" (Nussbaum) the distant other, whom we can
consider the current and most recent variation of the unknown other. Globalization indeed profoundly transforms the
concept of "distance" due to at least two radical changes :
1) the erosion of territorial boundaries (great migrations, multicultural societies) that weakens the traditional separation
between an inside and outside and causes the other, so far con.ned to a separate and remote elsewhere, to penetrate our
territories, becoming what has been called the "stranger within” (Simmel);
2) the interdependence of events and the interconnection of lives (Butler) that make every separation between ourselves
and others illusory, potentially turning us into one humanity (Manifeste convivialiste). Globalization in other words
reduces or compresses the distance, thereby making objectively signi.cant for us both the other-distant-in-space (the
poor and disadvantaged of the world etc.), and the other-distant-in-time (namely future generations).
In my opinion, today a response can be given to these two radical transformations by two exemplary forms of the gift:
the gift of hospitality, directed to the other-distant-in-space; and the gift of the future, directed to the other-distant-intime.
Universalisme démocratique et relations internationales chez Francis Fukuyama :
Du néoconservatisme au "Wilsonisme réaliste"
Bourgois P.
Université de Bordeaux
Philosophe ou politologue des relations internationales ? La classi.cation à proprement parler de Francis Fukuyama
semble être devenue aujourd’hui une tâche particulièrement ardue. Celui qui est, peut-être, un des intellectuels les plus
in!uents aux États-Unis, béné.cie également d’une attention toute particulière dans le monde et ce, depuis la parution
en 1992 de son Best-seller La .n de l’histoire et le dernier homme , ouvrage développant la thèse d’un article publié en
1989 dans la revue The National Interest et traduit cette même année dans la revue française Commentaire, sous le titre
« La .n de l’histoire? ». Cet essai, publié à des millions d’exemplaires dans une vingtaine de pays, fut certainement l’un
des plus controversés à cette époque et suscite encore aujourd’hui de nombreux débats parmi les intellectuels du monde
entier. Fukuyama af.rmait ainsi, au lendemain des événements de 1989 et de l’effondrement de l’URSS peu après, que
la démocratie libérale, c'est-à-dire un régime fondé sur les valeurs de liberté et d’égalité, en passe de triompher de toutes
les idéologies rivales, "pourrait bien constituer le « point .nal de l’évolution idéologique de l’humanité » et la « forme
.nale de tout gouvernement humain »".S’inspirant en grande partie de l’histoire des idées politiques et plus
18
particulièrement de la pensée du jeune Hegel, Fukuyama s’inscrit en cela dans un courant philosophique bien déterminé
et réactualisa au cours des années 1990 les débats philosophiques relatifs au sens de l’histoire et à la place occupée par
le libéralisme dans l’évolution de l’humanité.Il serait toutefois réducteur d’assimiler la .n de l’histoire de Fukuyama à
sa « seule » dimension philosophique. S’inscrivant dans un contexte nouveau d’hégémonie mondiale américaine, cette
thèse se nourrit effectivement en grande partie d’objets spéci.quement internationaux, l’entraînant ouvertement vers
l’étude des relations internationales. Ainsi, si pour le philosophe américain, le triomphe libéral est évident sur le plan
des idées, force est de constater, comme il le reconnaît lui-même, que la pratique est toute autre.
Il distingue notamment, dans la .n de l’histoire, un système politique international futur divisé en deux parties : un
monde « post-historique » qui pourrait s’incarner dans une Europe démocratique multipolaire dominée
économiquement par l’Allemagne, où « l’axe principal d’interaction entre les États serait économique et dans lequel les
anciennes règles de puissance perdraient de leur importance », mais également un monde « resté dans l’histoire », qui
continuerait à être « divisé par une grande variété de con!its religieux, nationaux et idéologiques, en fonction du stade
de développement des pays concernés, dans lesquels les anciennes règles de la politique de puissance continueront de
s’appliquer ». On peut dès lors s’interroger sur le rôle que doivent jouer les démocraties libérales pour faire sortir ce
second monde de l’histoire.
Cette ré!exion, d’ordre idéologique, nous renvoie inéluctablement vers l’appartenance du philosophe américain à un
courant de pensée fortement associé à l’hégémonie américaine. Fukuyama fut effectivement considéré, pendant de
nombreuses années, comme un membre éminent du mouvement néoconservateur américain, s’inscrivant aux yeux de
l’historien français Justin Vaïsse dans le « deuxième âge » du néoconservatisme.Assimilé à l’idéologie conservatrice
dominante dès ses études universitaires, il est notamment durant longtemps « demeuré proche du parti républicain,
ayant travaillé dans les administrations de R. Reagan et de G. Bush père et .ls », Au cours des années 1990, on retrouve
ainsi aisément, dans sa pensée politique, les quatre grands principes qui dé.nissent, à ses yeux, le néoconservatisme en
matière de politique étrangère ; d’une certaine mé.ance af.chée envers les institutions internationales et tout ambitieux
projet d’ingénierie sociale, en passant par la critique de l’approche Réaliste des relations internationales et l’idée que les
États-Unis agissent nécessairement à des .ns morales . La thèse de la .n de l’histoire met notamment en avant un des
principaux leitmotive de la pensée néoconservatrice en matière de politique étrangère, à savoir qu’il existe un intérêt
universel à diffuser les valeurs démocratiques (et occidentales) à l’échelle mondiale.C’est d’ailleurs dans cette logique
que Fukuyama participa au Projet pour le Nouveau Siècle Américain (PNAC), think tank néoconservateur américain
fondé au printemps 1997 par William Kristol et Robert Kagan, dont l’objectif af.ché est la promotion du leadership
américain dans le monde.Prônant l’universalité des valeurs occidentales, il estime de fait, au lendemain des événements
du 11 septembre 2001, que le radicalisme islamique reste une « action d’arrière-garde désespérée, qui sera dépassée un
jour par la marée montante de la modernisation ».
L’évolution de la politique étrangère américaine dans les mois suivant ces événements entraîna cependant une rupture
importante concernant sa vision des relations internationales. Fukuyama dénonce effectivement, à partir de 2004, les
interventions militaires américaines telles qu’elles furent menées en Afghanistan (2001) et surtout en Irak (2003),
rompant par la même occasion avec l’administration Bush et le mouvement néoconservateur américain dont il semblait
pourtant être un membre éminent jusqu’ici.À cet égard, il déplore désormais la dérive « léniniste » prise par
l’administration Bush et les néoconservateurs américains, qui ont cru que les États-Unis pouvaient accélérer le
changement, notamment en privilégiant de façon systématique la force militaire sur les facteurs politiques et
économiques et en considérant par la même occasion la menace terroriste comme une menace globale pour l’Occident
et pour la démocratie.Pointant du doigt la thématique de l’hégémonie bienveillante et militant pour une nouvelle
approche en matière de développement prenant en compte les nombreuses dif.cultés politiques, économiques et
sociales du « Nation-Building », il préconise désormais le recours au « Soft Power » dans les processus de
démocratisation. À travers cette palinodie, Fukuyama souhaite effectivement redé.nir la politique étrangère américaine
au-delà de l’héritage néoconservateur et prône de fait aujourd’hui, son appartenance à un nouveau mouvement en
matière de relations internationales : le « Wilsonisme Réaliste ». Pour lui, la bataille doit se faire sur le terrain des
idées.Après tout, « à la .n de l’histoire, il n’est pas nécessaire que toutes les sociétés deviennent des sociétés libérales
réussies ; il suf.t qu’elles renoncent à leur prétention de représenter des formes différentes et supérieures de
l’organisation humaine ».
Ce travail tentera ainsi de mettre en avant la vision « Fukuyamienne » des relations internationales depuis sa célèbre
thèse de la .n de l’histoire, de son appartenance au mouvement néoconservateur américain jusqu’à sa rupture. Quelle
place accorde-t-il aujourd’hui à la démocratie libérale au sein du système politique international ?Si Fukuyama
revendique désormais une nouvelle approche en matière de politique étrangère, nous défendrons l’hypothèse selon
laquelle il considère toujours, à l’instar des principes néoconservateurs, que la démocratie libérale est un régime
potentiellement universel. L’enjeu sera donc ici de montrer qu’en réfutant désormais de nombreux postulats portés par
le néoconservatisme et par l’administration Bush au début des années 2000, comme la thématique de l’hégémonie
bienveillante ou la logique de guerre préventive, Fukuyama ne s’éloigne pas pour autant de la thématique de
l’universalisme démocratique qui reste profondément attachée à sa vision des relations internationales.
Le Sénégal entre mandat et capacité d’action. Le pouvoir de l’Etat pour les
coordonnateurs de projet de développement.
Haussaire M.
Lille 2
Au Sénégal, l’aide publique au développement représente le quart du budget de l’Etat et près de la moitié de
l’investissement public. La forte présence des bailleurs étrangers transforme nécessairement le rôle et les missions de
19
l’Etat. Mode de délivrance privilégié de l’aide, les « projets » .nancés par les bailleurs étrangers sont également
devenus un mode d’exécution habituel des politiques publiques. Au cœur des échanges entre l’Etat et la sphère
internationale, .nancés et rendant des comptes (de manière inégale) aux deux parties, les coordonnateurs de projets
incarnent l’interdépendance entre les différents niveaux de gouvernement. Ils peuvent donc être une porte d’entrée
intéressante pour questionner la place et le pouvoir de l’Etat au Sénégal.
Dans cette communication, j’interrogerai le rôle de l’Etat à partir des représentations de ces agents. La présence des
bailleurs semble construire ces représentations de deux manières. D’une part, elle renforce l’idée d’une souveraineté de
l’Etat décisionnaire, toute une littérature relayée par les organisations internationales insistant sur le leadership que doit
prendre l’Etat dans la dé.nition et la mise en œuvre des politiques publiques. D’autre part, elle révèle la faiblesse de
l’Etat comme acteur exécutif ou d’orientation, les moyens des bailleurs révélant par comparaison la faiblesse de
l’administration nationale. Ces deux images de l’Etat ne sont pas contradictoires, puisque pour les coordonnateurs,
l’action de l’Etat et celle des bailleurs sont plus associées qu'opposées.
Dé-nir la guerre avec Hobbes : « la volonté avérée de s’affronter » et ses
interprétations
Schu A.
Université de Bordeaux
Comment distinguer la guerre de la paix ? A cette question essentielle, la réponse la plus courante consiste à promouvoir
la notion d’usage de la force armée : la guerre recouvrirait la présence de violence entre deux groupes organisés ;
inversement, la paix se caractériserait par l’absence de violence entre deux groupes organisés. Raymond Aron a résumé
cette idée en une formule ef.cace : « La guerre ne continue pas quand les armes se taisent ». Or, en réalité, au court de
la guerre elle-même, les armes se taisent plus qu’elles ne parlent. La guerre ne consiste pas en une grande et longue
bataille, mais plutôt en une succession d’épisodes violents, entrecoupés de périodes de non-emploi de la force – ce que
Clausewitz appelle l’inaction.
Que la violence dans la guerre ne soit pas ininterrompue est particulièrement problématique pour distinguer dans la
réalité la guerre de la paix. En effet, il nous faut admettre que la guerre ne consiste pas tant en l’application continue de
la force armée qu’en l’alternance entre la présence et l’absence de violence. Dès lors, comment reconnaître l’absence de
violence spéci.que à la guerre et l’absence de violence caractéristique de la paix ? Comment différencier la paix de
l’inaction dans la guerre ? Comment distinguer la guerre de la paix ? La solution la plus convaincante a été proposée par
Hobbes dans le Léviathan. Elle consiste à remplacer comme critère de distinction l’action violente par l’intention
violente : « Car la guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans des combats effectifs ; mais dans un espace
de temps où la volonté de s’affronter en des batailles est suf.samment avérée. […] De même en effet que la nature du
mauvais temps ne réside pas dans une ou deux averses, mais dans une tendance qui va dans ce sens, pendant un grand
nombre de jours consécutifs, de même la nature de la guerre ne consiste pas dans un combat effectif, mais dans une
disposition avérée, allant dans ce sens, aussi longtemps qu’il n’y a pas d’assurance du contraire. Tout autre temps se
nomme la paix ».
Cet apport majeur de Hobbes s’accompagne toutefois d’une certaine ambigüité quant ce que recouvrent concrètement la
« volonté avérée » et de la « disposition avérée » de s’affronter. Deux interprétations dominantes et opposées méritent
d’être relevées et étudiées. La première est celle offerte par la théorie néoréaliste des Relations internationales. Les
théoriciens de ce courant, s’inscrivant dans la continuité directe de Hobbes, nous expliquent que la structure anarchique
du système international rend constamment possible le recours à la force et place les États dans « la situation et la
posture des gladiateurs, leurs armes pointées, les yeux de chacun .xés sur l’autre » (Hobbes). Selon eux, « jamais les
États n’excluent le recours à la force armée dans leurs relations mutuelles […] : ‘‘La disposition avérée de s’affronter’’
est donc permanente » (Battistella). Dès lors, la guerre serait permanente. De même, si le combat peut à tout moment
reprendre, alors la paix n’existe plus – ou du moins, elle ne peut plus être comprise que dans le sens de trêve, c’est-àdire de suspension temporaire de la mise en œuvre de la violence. Raymond Aron fait sienne cette conception quand il
évoque « la guerre israélo-arabe, avec ses quatre batailles de 1948, 1956, 1967, 1973 » : il n’y aurait pas eu quatre
guerres distinctes, mais une seule et même guerre, continue. En adoptant ainsi une conception élargie de la « disposition
avérée » de s’affronter, et en faisant du recours possible à la force l’horizon indépassable des Relations internationales,
la théorie néoréaliste s’af.rme comme une théorie de la guerre perpétuelle.
A cette première approche s’oppose une interprétation plus restrictive que nous appellerons clausewitzienne. Clausewitz
fait de la guerre un phénomène délimité temporellement et considère que « la décision .nale de toute une guerre ne doit
pas toujours être considérée comme un absolu ». Clausewitz établit donc une distinction fondamentale entre la
possibilité permanente qui est donnée aux États de recourir à la violence et le choix par ces derniers d’y recourir
effectivement. Dans cette perspective, la « volonté avérée » de s’affronter qu’évoque Hobbes doit être interprétée non
pas comme recouvrant la suspicion et la crainte des États les uns vis-à-vis des autres, mais bel et bien comme la
résolution à employer la force armée. Cette résolution doit s’incarner par la mise en œuvre d’un plan de guerre et la
conduite d’opérations militaires dirigées contre l’ennemi. C’est seulement avec ce sens restrictif que la formule
hobbesienne permet d’établir une distinction radicale entre la guerre de la paix, entendues comme les deux phases
alternatives du commerce entre États.
20
Les fondements philosophiques de l’universalisme en droit international
Bibeau-Picard G.
Université de Paris Panthéon-Assas (Paris II)
Le constitutionnalisme global, ou la constitutionnalisation du droit international, est un thème à la mode, et pas
seulement chez les juristes : philosophes, politologues, sociologues, économistes, écologistes et spécialistes des
relations internationales sont de plus en plus nombreux à se saisir du vocabulaire et des principes du droit
constitutionnel en réponse aux multiples changements rassemblés sous l’étiquette de la « mondialisation ». Or, un
certain !ou conceptuel accompagne l’utilisation du terme « constitutionnalisation » dont le rapport au
constitutionnalisme classique demeure imprécis. Comme la théorie du constitutionnalisme global est en grande partie un
« artefact académique » (Weiler, 2003), voire une position politique, un examen strictement juridique du caractère
constitutionnel du droit international ne permet pas de saisir à la fois la force et les limites de cette proposition. Le
présent article postule que la meilleure manière d’élucider l’ambigüité de ce terme consiste à entreprendre un exercice
de clari.cation des idées philosophiques qui sous-tendent la théorie du constitutionnalisme global. L’idée centrale, dont
l’examen fait l’objet du présent article, est celle d’universalisme.
Cette idée trouve son articulation la plus complète et la plus in!uente sous la plume de Kant. Dans la Métaphysique des
moeurs, et surtout dans le Traité pour la paix universelle, Kant énonce les conditions de possibilité du droit public, à la
manière d’une critique inachevée du jugement politique. Étant donné la condition de liberté naturelle de l’individu, la
république représentative est la seule organisation politique conforme aux lois de la raison. Elle est également la
condition de possibilité de la paix universelle, que Kant envisage comme une fédération des républiques nationales à
l’intérieur d’une république mondiale. L’exposé de la doctrine kantienne de l’universalisme fera l’objet de la première
section de l’article. L’argument central de cette section sera que l’union politique de l’humanité dans une république
universelle est présentée par Kant comme une idée régulatrice de la raison humaine, dont la réalisation parfaite est
impossible, mais qui peut néanmoins guider l’activité humaine en vue de son perfectionnement.
La seconde section de l’article examinera l’in!uence de l’universalisme kantien sur la philosophie politique
d’Habermas, dont la théorie du constitutionnalisme global est largement tributaire. Habermas constate l’existence d’une
connexion conceptuelle entre les notions de paix et de droit, et il présente la « juridi.cation » des relations
internationales comme un commandement de la raison pratique. L’universalisme habermasien implique une
transformation du droit interétatique vers un droit cosmopolite où les individus sont également sujets de droit
international. L’ordre global qui en découle n’est pas celui d’une république mondiale d’inspiration kantienne, mais
plutôt un réseau de gouvernance multiniveaux, où le droit cosmopolite joue un rôle complémentaire par rapport aux
constitutions nationales. La justi.cation théorique de cette gouvernance globale repose sur trois arguments. D’abord,
Habermas af.rme que le droit est une rationalisation du pouvoir politique, et que l’idée de droit porte en elle le germe
d’une dépolitisation complète des relations internationales. Il ajoute ensuite que l’État n’est pas une condition
nécessaire à l’établissement d’un ordre constitutionnel. Autrement dit, l’instauration d’une république mondiale n’est
pas une condition préalable à l’existence d’un droit constitutionnel global. Cette « gouvernance sans gouvernement » est
présentée comme la nouvelle condition politique des acteurs internationaux. Habermas rappelle toutefois que si les États
ne sont plus les seuls acteurs juridiques internationaux ni les seuls sites d’autorité constitutionnelle, ils demeurent les
seuls dépositaires de la légitimité démocratique. C’est pourquoi les États doivent être intégrés dans le processus de la
gouvernance multiniveaux, a.n que celle-ci jouisse d’une « légitimité dérivée » (Habermas, 2006). En somme, alors
que la république mondiale demeurait chez Kant une idée régulatrice de la raison, la gouvernance globale est chez
Habermas un projet politique concret. L’ambition de cet article est de prendre la mesure des conséquences
philosophiques de cette mutation de l’universalisme.
De la convergence de deux champs : les topiques des nouvelles formes de
conflictualité et les réflexions philosophiques contemporaines sur l'État-Nation.
Chapuis L.
Paris IV
Notre question de recherche porte sur la convergence de deux champs apparemment hétérogènes : les topiques des
nouvelles formes de con!ictualité et les ré!exions philosophiques contemporaines sur l'État-Nation.
Notre hypothèse sera la suivante : au cours de la séquence 1991-2014, les topiques des nouveaux con!its ne peuventelles pas donner un contenu nouveau et inattendu aux ré!exions de philosophie politique, élaborées à l'occasion de la
construction de l'Union Européenne, ré!exions portant sur l'érosion du monopole de l'État-Nation comme unique forme
politique de la souveraineté ?
Pour formuler l'hypothèse différemment : les con!its asymétriques et les guerres irrégulières, caractérisés notamment
par l'absence d'affrontement militaire classique et la subversion du droit, ne convergent-ils pas avec d'autres facteurs
vers une systématisation possible de la thèse de l’avènement de formes de souveraineté post-étatique, qu'elles soient
infra ou supra étatiques ? Si les sujets des con!its armés sont supra-étatiques, reposant sur des États et une philosophie
du droit de l'État, mais aussi infra-étatiques, ne reconnaissant ni les États ni le droit international, comment appliquer le
droit international humanitaire et surtout, pourquoi continuer à ré!échir stratégiquement, éthiquement et politiquement,
avec le concept d'État ?
La communication entend interroger la philosophie westphalienne de l'histoire et le "préjugé d'universalité" qu'elle
implique, comme les ré!exions contemporaines sur les remises en causes de l'État-Nation comme forme exclusive de la
21
souveraineté.
Les philosophies de la guerre: un apport fondamental aux Relations
internationales
1
Meszaros T., 1Cumin D.
Université Jean Moulin Lyon 31
Les philosophies des relations internationales relèvent de ré!exions générales sur la réalité internationale, issues le plus
souvent de « différentes conceptions anthropologiques ou de dé.nitions de la nature humaine » (Ramel, Cumin, p. 11).
C’est en ce sens qu’elles concourent à l’élaboration de postulats théoriques. La présente proposition entend apporter un
regard philosophique sur un objet fondamental des relations internationales: la guerre. En effet, la ré!exion générale sur
la guerre porte :
- sur la distinction guerre/violence ;
- sur l’ambivalence de l’Etat vis-à-vis de la violence ;
- sur trois alternatives : guerre ou paix, guerre juste ou injuste, guerre limitée ou totale qui rencontrent trois questions
éthico-politiques : La guerre peut-elle être dépassée (théorie sociologique de l’obsolescence) ou abolie (théorie
juridique de la prohibition) ? Peut-elle être juste ? Peut-elle être instrumentalisée, donc utile ou ef.cace ?
- sur l’explication de la guerre : selon Kenneth Waltz il existe trois types d’explication de la guerre : la nature humaine
dangereuse (l’homme et sa psychologie), la nature autoritaire des régimes politiques (les institutions et leur idéologie),
la nature anarchique du système international (les unités politiques et leur souveraineté).
La contribution proposée entend ainsi approfondir les quatre points évoqués au travers des différents auteurs dont les
philosophies intègrent la question de la guerre. Elle a également comme objectif de favoriser le développement d’une
ré!exion renouvelée sur la guerre qui viendrait enrichir la recherche en relations internationales, en polémologie et en
philosophie.
Lectures de Jeremy Bentham: des relations internationales au cosmopolitisme?
Une question de méthode?
Bourcier B.
Université Catholique de Lille
Le philosophe londonien Jeremy Bentham (1748-1832) est davantage connu pour le principe d'utilité et l'opération
centrale du calcul moral développée au chapitre 4 d'Introduction aux Principes de la Morale et de la Législation que
pour sa ré!exion internationale et/ou globale. Sa pensée internationale a fait l'objet de plusieurs analyses où se rejouent
les relations entre philosophie politique et théorie des relations internationales. Nous montrerons tout d'abord que l'on
constate une in!uence importante de la discipline des relations internationales. En effet, celle-ci a dominé
l'interprétation de sa pensée pour la quali.er de théorie rationaliste des relations internationales tout en identi.ant les
différences historiques et conceptuelles avec Grotius et Kant notamment. Cette domination interprétative ajoutée à la
relative absence des études benthamiennes en philosophie ont pu contribuer à l'éviction de son étude en philosophie
politique. Avec le cas de J. Bentham, nous voudrions donc montrer comment la compréhension d'un auteur peut a
posteriori révéler les dif.ciles relations entre ces disciplines (dif.cultés augmentées a fortiori dans un contexte
institutionnel français). Nous défendrons l'interprétation philosophique (dépositaire de l'analytique des concepts) de sa
pensée laquelle conduit elle à une toute autre compréhension, celle d'une pensée cosmopolitique institutionnelle.
The Convivialist Manifesto : a test Case for an Applied Inter-disciplinary
Endeavour
Gal-Or N.
Kwantlen Polytechnic University
In 2013, under the leadership of Professor Alain Caillé, an international group of intellectuals (comprising a French
majority) published a booklet entitled the Convivialist Manifesto addressing the biggest existential questions currently
facing humanity. It attempts to “outline another possible world”. Because the issues addressed in the Manifesto, and
especially their gravity, should be of concern to every person on our planet, they naturally lend them themselves to an
inter-disciplinary discourse. In this paper, I am examining the Manifesto’s content as a test case for an endeavour to
create and sustain an inter-disciplinary dialogue between political philosophers and international relations/international
political economy (IR/IPE) scholars, which is both theoretical and practice oriented (hence tentatively also ideological).
Fittingly, the other purpose of this proposal is to commence such a dialogue both at the conference and afterwards. After
all, these two large disciplines (with history added) have traditionally shaped the formation and transformation of
globally dominant socio-political ideas. The Manifesto is an all-encompassing cri de coeur. It lists thirteen current threats, sources of potential catastrophes to
our planet and its human non-human inhabitants. In general, they owe to faulty stewardship of the ecosystem, human
22
greed, armed con!ict and various forms of criminality, disintegration of social and political systems, and so on, factors
which are all inter-connected. Although the common denominator is the root cause they share – humankind’s inability
of “resolving its fundamental problem, namely how to manage rivalry and violence between human beings” - the task
of outlining a possible alternative world is not reducible to this human fallibility. In fact, the challenge is formidable.
For one, it involves moral, political, ecological, economic, and religious/spiritual questions, any of which in itself, is of
colossal magnitude testing anyone’s intellect, dilemmas for which the corresponding extant doctrines have failed to
provide an adequate response simultaneously. Secondly, the very existence of the threats is evidence of the
shortcomings of prevailing political systems in tackling the problems humankind is facing. The Manifesto attributes this
to the “incapacity to reformulate the democratic ideal – the only acceptable ideal because the only one that
accommodates opposition and con!ict”. Of special interest here is that within this democratic ideal, the predominant
postulate of mainstream political thinking and decision making, and which determines access to and maintenance of,
political power remains “the absolute primacy of economic issues over all others”. The Manifesto thus concludes that
“[f]aced with the problems of today and tomorrow, political institutions, in their various guises, thus have nothing but
yesterday’s answers to offer us. The same is true of the intellectual and scienti.c world, particularly the domain of
social science and moral and political philosophy”.
Certainly, the complexity of the task of coming up with an answer capable of meeting the threats - defusing and undoing
them - necessitates the meeting of many minds in a collective ‘push’ to shift current ‘humanity’s paradigm’. The
Manifesto sees the promise in a “new universalism […] for a plurality of voices: a pluriversalism”. It dares thinkers to
engage in several urgent, radical deliberative undertakings. Answering this call, I choose to focus on the postulate
concerning the absolute primacy of economic issues.
In this paper, I will concentrate on a very limited selection of issues noted in several assertions of the Manifesto. My
objective is to offer preliminary observations by way of prodding an inter-disciplinary discussion on the economic
primacy postulate. As a point of departure, I take the Manifesto’s claim that “giving more and more reality to the homo
oeconomicus [sic], [is] to the detriment of all other constituents of what makes up humanity”. I open by discussing this
statement in its application to current dominant international political economy, and speci.cally – its presumption of
‘growth’. I then address a speci.c economic issue: The fragmentation of the global trade regime, and as part of this
phenomenon, the role played by state capitalism and the contemporary process of economic production. Seeking to
comprehend the global political economic dynamic unleashed by an assertive state capitalism and its function in the
perpetuation of the growth-premised international economy, I follow with a proposal for suitable context and questions
to kick start an inter-disciplinary critique of the extant economic paradigm. I consider such conversation to be
constituting a piece of the Manifesto’s pluriversalist agenda aimed at re-shaping the prevailing global economic mindset
and advancing a de-growth mentality. Droit de la cyberguerre ?
Joubert J.
Jean Moulin
L'objet de cette contribution est de discuter les remarques de Klaus-Gerd Giesen concernant la « justice dans la
Cyberguerre ». Klaus-Gerd Giesen propose de compléter le droit de la guerre par la formulation de nouvelles lois visant
à réguler le cyberespace en raison, essentiellement, de risques concernant les atteintes aux personnes civiles dans une
cyberguerre.
Comme on le sait, la guerre sur l'information a été pour la première fois évoquée par Thomas Rona, chercheur chez
Boeing dans une étude de 1976 « Weapon Systems and Information Warfare ». Il faut attendre 1973 pour que le terme
de « cyber-guerre » soit avancé pour la première fois dans un essai de John Arquilla et David Ronfelt « Cyberwar is
coming ».
Comme nous le verrons, la dé.nition du cyberespace demeure problématique et la formulation de stratégies pour le
cyberespace est encore, en 2014, une page blanche. Klaus-Gerd Giesen a choisi de discuter du droit de la guerre dans le
cyberespace par le biais de Kant et de sa contribution à la théorie de la guerre juste et au droit de la guerre. Je conduirai
mes remarques à sa contribution en faisant un détour par le concept de forme.
23
ST 6 : Les apports théoriques et méthodologiques de l’anthropologie à la
science politique
Apports et défis méthodologiques de l’inspiration anthropologique en études
politiques : le cas d'une enquête ethnographique en Chine.
Audin J.
EHESS
Cette proposition de contribution s’intéresse aux usages de l’anthropologie pour les études politiques à travers le cas de
l’enquête ethnographique en Chine. Il s’agit d’évaluer les apports de l’enquête ethnographique à la compréhension du
politique en Chine, mais aussi de cerner les limites de cette approche méthodologique en ce qui concerne l’inscription
disciplinaire. Nous proposons ici de développer une analyse critique sur l’enquête en milieu contraint (à travers le
contexte chinois) et ses conséquences sur une recherche en sociologie politique.
L’analyse se fonde à partir d’une expérience de recherche de plus de six ans consacrée à la société chinoise urbaine. La
capitale chinoise, ville en rapide mutation, offrait un éventail de contextes résidentiels permettant une étude précise des
modes d’action et de mobilisation des habitants et des instances de gestion en fonction des types de quartiers. L’enquête
de terrain suivait l’idée de Michel Agier selon laquelle "par méthode, l'anthropologue a besoin de s'émanciper de toute
dé.nition normative a priori de la ville pour pouvoir en chercher la possibilité partout, travailler à en décrire le
processus" (Agier, 2009).
La méthodologie d'enquête a donc consisté en un recueil de données par observation (photographies des lieux),
observation participante et entretiens approfondis (habitants et membres des comités et des autres travailleurs présents
quotidiennement) dans l'espace des quartiers. La recherche s'inspirait de la microsociologie et de l'anthropologie
urbaines en vue de comprendre l’évolution des modes de gouvernement et des modes d'habiter à partir des interactions
interindividuelles dans les quartiers. Les entretiens qualitatifs réalisés seule, en langue chinoise et sans traducteur,
constituent la source de données majeure, mais le protocole d'enquête comporte des spéci.cités contextuelles au terrain
chinois (dif.culté d'accepter le dictaphone, par exemple). De ce fait, l’observation a complété les entretiens, prenant en
compte des éléments non discursifs (gestes) des scènes quotidiennes dans trois types de quartiers contrastés (quartier
ancien de centre-ville, quartier de cité socialiste des années 1960-80, quartier résidentiel d’habitat marchand en
périphérie).
D’une part, l’inspiration anthropologique a permis à cette recherche de s’affranchir des catégories préconçues sur la
société chinoise, notamment des concepts binaires concernant les relations entre les administrations et les administrés :
État/société, contrôle/autonomie, autoritarisme/libéralisme. Au contraire, elle introduisait des formulations
conceptuelles adaptées au dynamisme des interactions ainsi qu’attentives aux éléments sensibles : hésitations, jeux de
rôle, formes d’ironie cachée, gêne.
D’autre part cependant, la démarche inductive de recherche à partir d’une enquête ethnographique en Chine soulève des
interrogations autour de la dif.culté d’inscription des résultats de l’enquête dans un champ disciplinaire ou dans une
thématique de recherche politique. L’induction analytique, l’enquête ethnographique, ainsi que la diversité du matériau
recueilli (enregistrements, notes, photographies, coupures de presse, observation participante), nous ont menée à la
formulation de concepts hors-champ politique ou relevant de champs pluriels, aboutissant dans une certaine mesure à
une friche théorique. Comment le chercheur peut-il s’orienter au sein de ce no-man’s land vers lequel l’enquête
ethnographique l’a porté ? Tel est l'objet de notre communication.
Drame social, liminalité, rituels. Relire les élections et les partis avec Victor
Turner.
Faucher F.
Sciences Po
L’anthropologue britannique Victor Turner a exercé une in!uence considérable sur de nombreuses disciplines, au point
que certaines de ses contributions conceptuelles et théoriques sont tenues pour évidentes. Il est également régulièrement
cité par les politologues mais une ré!exion systématique sur l’application de ses thèses en science politique manque
encore. Cette communication s’attachera à explorer comment ses analyses du « drame social », de la liminalité, de la
performance et du rituel peuvent contribuer à enrichir nos analyses de phénomènes et processus politiques
contemporains. Ce sont donc les apports théoriques de l’anthropologie qui m’intéresseront ici au premier chef.
Néanmoins, j’appliquerai ces grilles de lecture et ces concepts à des objets canoniques de la science politique, à savoir
les élections et les partis politiques. Par ailleurs mes analyses s’appuieront sur mes recherches antérieures et donc sur le
travail ethnographique réalisé au cours des vingt dernières années dans les partis et lors de campagnes électorales. Je
reviendrai notamment sur la manière dont j’ai utilisé les concepts de liminalité et de communitas pour éclairer les
comportements politiques des écologistes du début des années 1990 mais prolongerai cette ré!exion théorique sur les
apports de Turner sur des groupes non marginaux et des rituels politiques centraux.
24
De l’exotisme du terrain à l’ordinaire de l’objet : des « hackers » à
l’institutionnalisation du monde du logiciel libre
Depoorter G.
Université Picardie Jules Verne
L’informaticien a souvent été le parangon du professionnel déconsidéré, de l’individu renvoyé aux marges culturelle,
sociale, esthétique. Au début des années 2000, on assiste à une politisation de cet univers. Leur image se transforme
radicalement et l’informaticien « est postulé », à travers la .gure du « hacker », à devenir une nouvelle .gure
révolutionnaire. À nouveau, « l’imaginaire dominant ne laisse guère le choix au dominé : il faut que ce soit un soushomme ou un sur-homme » (Collovald, Pudal, Sawicki, 1991, p. 40). Depuis quelques années maintenant, il semble que
leur image se soit normalisée, mais l’informaticien reste cependant un producteur relativement invisible d’un objet
technique devenu central et, le « hacker », le héros d’un univers numérique encore largement mystérieux.
Quels sont les processus qui ont contribué à cette trans.guration ? Paradoxalement, cette survalorisation (du « hacker »)
ne continue-t-elle pas de jeter dans l’ombre un large pan des pratiques ordinaires du travail informatique ?
Nous avons étudié la « communauté des logiciels libres » (considérée souvent comme la communauté la plus
importante de « hackers ») de manière qualitative (à la fois sur internet – forum, listes de discussion, sites, etc. – et dans
des associations, dans de multiples et récurrentes rencontres physiques oscillants entre une journée et une semaine) de
2006 à 2012, dans le cadre de notre thèse de doctorat.
À la .n des années 1970, l’informatique amorce son essor en devenant « personnelle » et en transformant le logiciel en
produit commercial. Les codes sources (la recette de fabrication) des programmes informatiques sont transformés en
secret industriel. Richard Stallman (informaticien au MIT) lança alors l’idée de logiciels que chacun pourrait utiliser,
étudier, modi.er et distribuer (tel que Linux, ou Firefox). Longtemps con.dentiels, les logiciels « libres » sont
désormais incontournables et font d’ailleurs l’objet de campagnes publiques pour pousser à leur adoption dans un cadre
général de restrictions budgétaires. Par ailleurs, la « communauté du logiciel libre » structurée par des centaines
d’associations d’utilisateurs, de défense et de promotion, regroupe des amateurs et des professionnels. Elle se situe ainsi
au croisement de nombreux secteurs de la vie sociale. Les usages sociaux en sont extrêmement divers, entre outils de
formation pour professionnels, et carrière parallèle pour amateurs éclairés.
Cette contribution se propose de revenir sur l’élaboration de notre objet d’enquête (1ère partie de la section thématique).
Pour ce faire, nous nous appuierons sur le travail anthropologique de Jean Bazin, et notamment sa distinction entre
hypothèse ethnologique et hypothèse anthropologique. Armés de sa critique contigüe de la notion de culture, en ce
qu’elle réi.e l’altérité et joue un rôle de causalité dans la description des actions, l’enjeu a pour nous été de mettre à
distance l’exotisme premier d’un terrain traversé et souvent étudié sous l’angle de la « culture hacker ». Au terme de ce
travail, nous avons ainsi construit notre objet autour de l’observation et de la description de la « communauté du logiciel
libre » en tant que monde social impliqué dans un processus d’institutionnalisation.
La prémisse anthropologique que Bazin propose de prendre en compte, entendue comme prémisse sociologique, nous a
ainsi aidé à mettre à distance les lectures culturalistes de l’univers hacker. Celles-ci ont en effet tendance à réi.er,
homogénéiser cette .gure, à produire de l’incommensurable, de l’« extra-ordinaire ». Ce faisant elles revendiquent dans
le même temps une profonde et nécessaire transformation des outils classiques de l’analyse en sciences sociales.
Réduire les prétentions à l’exception en une prémisse sociologique pour rétablir la possibilité de l’équivalence et de la
comparaison ne nous a d’ailleurs pas simplement été inspiré par la lecture de l’anthropologue, mais directement par le
terrain. Cependant, mal outillé à cette étape de l’enquête, nous n’avions pas été en mesure d’en rendre compte. Face aux
nombreux travaux de sciences sociales (économie, sociologie, anthropologie), de philosophie ou d’ouvrages
journalistiques, diffusant le principe d’une radicale singularité des « hackers », nos enquêtés se sont à peu près toujours
employés à dégon!er les superlatifs participants à les marginaliser, les stigmatiser, et à les maintenir dans un brouillard
d’où l’on ne perçoit que mythes fétichistes, utopies technicistes, et radicalités politiques voire anthropologiques. À
l’opposé de ces lectures par lesquels ils ont été politisés, présentés médiatiquement, et se sont hissés dans l’espace
public, les données récoltées lors de l’enquête de terrain renvoient davantage à la relative quiétude de pratiques sociales
ordinaires (qui n’en restent pas moins fécondes à maints égards).
Plutôt que d’opposer les hypothèses ethnologique et anthropologique, celles-ci restituent plutôt la nécessaire
progression du travail d’objectivation sociologique qui nous enjoint de réencastrer prudemment l’exotisme premier et la
richesse renouvelée des activités humaines dans des processus d’institutionnalisation du monde social.
Nous nous proposons ainsi dans un premier temps de revenir sur l’élaboration et les caractéristiques de la « culture
hacker », dont nous pointerons les biais et limites dans un deuxième temps. En.n, nous reviendrons sur notre enquête et
proposerons des pistes de recherches pour rendre compte de ce type de terrain.
Être politiste dans le bush. Punta Gorda, un terrain entre anthropologie et science
politique
Collombon M.
SCIENCES PO AIX
Cette communication entend revenir sur la confrontation du chercheur en science politique qui se rend sur un terrain et
auprès d’une catégorie d’acteurs qui sont habituellement soumis au seul regard anthropologique. Il s’appuie pour cela
25
sur un récent terrain nicaraguayen (été 2014), auprès d’une communauté indigène Rama de la côte atlantique, dans le
village de Punta Gorda supposé être le point d’entrée du futur Grand Canal interocéanique, mégaprojet .nancé par la
Chine. Ce terrain s’inscrit dans une enquête plus vaste sur les transformations de l’État au Nicaragua et sur le rôle joué
par de grands projets d’aménagement du territoire, notamment le projet de Grand Canal.
Ce terrain dans un village très isolé du reste du pays (zone de forêt tropicale humide –bush-, grande dif.culté d’accès,
communauté accessible seulement en pirogue) auprès d’une communauté indigène parlant encore la langue
traditionnelle Rama a immédiatement confronté le chercheur à la question de l’adaptation ou non des outils d’analyse
politologique et à l’usage des outils anthropologiques et du terrain ethnographique. Tout d’abord, parce qu’il s’agit là
d’une situation « classique » de terrain anthropologique : un peuple indigène soumis à des transformations qui viennent
de loin (État). Ensuite, parce que l’objet de recherche implique un contexte non accueillant pour le chercheur politiste,
la discipline étant localement assimilé à l’étude de l’État et de ses institutions, elle y est souvent devancée d'une forme
de soupçon. En.n, parce que le terrain conduit à (re)considérer les méthodes de l’anthropologie pour aborder le terrain.
Les enquêtés sont plus réceptifs à la lenteur de l’enquête ethnographique et peu enclins à répondre aux sollicitations
d’une enquête plus rapide et par entretiens. Le besoin d’apprivoiser le terrain se fait ressentir d’autant plus fortement
que le chercheur se distingue des autres visiteurs de la communauté (missionnaires, commerçants, ou plus récemment
ingénieurs Chinois).
Nous ferons l’hypothèse dans cette communication que l’ « évidence » d’usage des outils anthropologiques doit à son
tour être soumise à une évidence des outils du politiste pour analyser les logiques de pouvoir dans de telles
con.gurations. Il existe dans de tels contextes une interdépendance souhaitable des approches. Alors que l’analyse
anthropologique permet une meilleure connaissance de la con.guration politique locale au sein du village, les outils de
science politique permettent plus facilement de mettre en relation cette con.guration avec les transformations globales
de l’État et les formes de la domination politique spéci.que au champ politique national. Elles rappellent notamment
que des interactions de différents niveaux existent entre le village « isolé » et les institutions de l’État et que ces
interactions ont des effets sur les con.gurations locales. Elles permettent en.n aux approches anthropologiques un
dépassement du micro.
La politique par les côtés : une ethnographie du lien politique ordinaire
de L'Estoile B.
CNRS
Généralement, les enquêtes de politistes sur le « vote populaire » ou la « politisation populaire » partent de la question
des élections ou de la politisation. Par conséquent, le point d’entrée sur ces questions se fait généralement par les
élections (le vote, les campagnes électorales), les partis et le militantisme politiques, les mobilisations et les «
mouvements sociaux », les élus et les « spécialistes de la politique ». Il est dif.cile de rencontrer des électeurs
ordinaires, parce qu’ils ne se sentent pas légitimes à parler de politique. Dans cette communication, je voudrais évoquer
mon expérience d’une approche de la politique « par les côtés », plutôt que « par le bas », en partant d’une ethnographie
au long cours réalisée au Nordeste du Brésil. C’est précisément parce que la politique, locale ou nationale, n’était pas
mon objet de recherche initial en anthropologie politique (qui portait sur les colonies rurales produites dans le cadre de
la politique de réforme agraire), que j’ai eu un autre accès aux « pratiques ordinaires de la politique ». L’enquête
ethnographique offre une opportunité privilégiée d’accéder directement aux mots et aux formulations des acteurs, plutôt
qu’à l’aide de catégories analytiques sous-tendues par une visée normative. Décrire la façon dont la politique, dans les
monde ruraux du Nordeste du Brésil, loin de constituer une sphère d’action autonome, est encastrée dans la vie sociale,
permet de mettre en lumière la construction du lien politique comme relation personnelle, et la façon dont les
évaluations politiques impliquent les dimensions morales et affectives, sans recourir aux notions de politisation ou de
clientélisme.
Cette communication s’inscrit aussi dans les activités de l’atelier TEPSIS « Personnalisation des liens politiques », que
j‘anime avec Jean-Louis Briquet.
Une cause qui nous irrite. Comment faire l’ethnographie d’une mobilisation dont
on s’oppose aux fondements ?
Pingaud E.
Nanterre
Toute situation ethnographique prolongée implique pour l’enquêteur des situations de confrontation avec des gens «
qu’on n’aime pas » (Avanza, 2009), des entretiens marqués par une dé.ance, des discours qui heurtent et des rencontres
désagréables qui supposent une composition complexe (et souvent source de tensions) entre maintien de la position de
recherche et réactions spontanées incorporées de longue date. On voudrait ici revenir sur une enquête singulière
traversée de part en part par ces phases particulières du travail de terrain, réalisée auprès d’activistes investis dans les
mobilisations parisiennes d’opposition à la « Loi Taubira » ouvrant les droits du mariage aux couples de même sexe.
Elle fut pour nous l’occasion de se confronter à une problématique certes classique, mais dont la pratique concrète
oblige à maintes manœuvres quotidiennes : comment enquêter sur une mobilisation politique dont on ne partage pas la
moindre revendication, et qui suscite malgré le temps qu’on y consacre beaucoup plus d’aversions que d’empathie ?
26
Pour appréhender les ressorts, les motivations et le déroulement concret de la mobilisation, la palette des instruments
ethnographiques s’est pourtant imposée comme nécessaire. Si d’autres méthodes ont pu être utilisées conjointement,
comme l’analyse de réseaux ou la prosopographie, elles ne permettent qu’imparfaitement de saisir les pratiques de
sociabilité concrètes qui se nouent au cœur des mouvements sociaux (McAdam, 2013), rétives aux logiques
d’af.liations à des organisations, structures ou associations souvent utilisées comme point d’entrée dans l’ethnographie
des mobilisations. Par ailleurs, au contraire de certains mouvements sociaux qui ont déjà donné lieu à une littérature
pléthorique (Combes et alii., 2011 ; Mathieu, 2012), la nébuleuse conservatrice ici à l’œuvre reste fort mal connue.
L’immersion apparaissait donc comme indispensable pour saisir les taxinomies « indigènes », les catégorisations qui y
font sens et les enjeux de lutte et de classements internes aux mobilisés qui peuvent facilement échapper à l’observateur
« distant ».
En ce sens l’enquête semble pouvoir se rapprocher de certaines considérations évoquées par leurs auteurs dans des cas
d’observations de militants de la Ligue du Nord, du Front national (Bizeul, 1995) ou des Jeunesses identitaires (Bouron,
2013). Toutes posent comme centrale la question des conditions de possibilité de l’enquête en milieu hostile, au-delà
des attendus élémentaires de l’enquête de terrain. Sans prétendre fournir ici des réponses, on voudrait néanmoins
proposer quelques pistes pour nourrir le débat méthodologique en la matière, en évoquant quelques ruses de l’enquêteur
mais aussi les biais qu’elles posent : ainsi par exemple la nécessaire dépolitisation des conversations avec les enquêtés,
qui permet de rendre moins saillantes les inimitiés « politiques » et de concentrer les discussions sur d’autres aspects,
moyen heuristique de saisir des biographies mais qui écarte certains aspects des « rapports ordinaires » au politique ; ou
encore le tropisme des « modérés », autrement dit le pouvoir d’attraction exercé par les mobilisés dont les positions
apparaissent comme les moins incompatibles avec celles du chercheur, au risque d’occulter une partie du mouvement et
d’en décaler la grille de compréhension.
Des apports de l'anthropologie à la compréhension du politique : étude de cas avec
la socialisation militaire
Settoul E.
EUI de Florence
Notre proposition vise à mettre en lumière les apports et les plus-values que génèrent l'usage de concepts et de
techniques issus de l'anthropologie pour les enquêtes de science politique. Fondée sur une thèse de doctorat consacrée à
l’engagement militaire de jeunes français issus de l’immigration postcoloniale, notre recherche adopte une
méthodologie qualitative, ethnographique et longitudinale.
Notre intervention s’articulera principalement autour de deux axes. Il s’agira dans un premier temps de revenir sur les
dif.cultés épistémologiques protéiformes que génère ce thème de recherche tant du point de vue du rapport du
chercheur à l’objet que de la légitimité de ce dernier dans le contexte sociopolitique français. Le rapport de l’enquêteur
à son objet revêt une importance cruciale dans toute investigation à prétention scienti.que. Dans notre cas, il s’agira de
montrer comment l’histoire personnelle du chercheur affecte en amont les modalités par lesquelles il envisage et
construit son objet. Concrètement comment un enquêteur d’origine algérienne est perçu et comment il aborde une
institution au sein duquel la mémoire de la Guerre d’Algérie demeure, sinon un tabou, à tout le moins, un thème encore
dif.cile à évoquer de manière non passionnelle (autant du point de vue familial qu’institutionnel)? Notre contribution
tentera également d’illustrer les effets de la matrice républicaine française sur la réception de notre objet de recherche.
Basé sur le principe théorique d’indifférenciation face aux différences, le modèle d’intégration « à la française » confère
à notre sujet de recherche une dimension illégitime. En divisant les personnels militaires sur la base de critères
d’origines/ethniques, notre enquête a pu cristalliser un certain nombre de tensions au sein du microcosme militaire
notamment auprès des plus fervents partisans du colour blindness.
Dans un second temps, nous mettrons en lumière les apports doublement générés par l’usage de techniques
ethnographiques et de concepts issus de l’anthropologie dans la compréhension des phénomènes politiques. Les
observations ethnographiques réalisées sur plusieurs bases militaires (6 stages d’observation in situ) nous ont permis
d'accéder à des données traditionnellement invisibles dans les méthodologies d'enquêtes purement quantitatives et
souvent lacunaires dans les stratégies qualitatives se cantonnant au seul recueil d'entretiens. Du point de vue conceptuel,
les notions issues du champ de l'anthropologie se sont avérées particulièrement fécondes pour saisir les logiques et les
effets de la socialisation militaire sur les jeunes engagés. L'usage de concepts tels que ceux de techniques du corps
(Mauss), d’incorporation des hexis en tant que mythologie politique réalisée (Bourdieu) ou de capital corporel
(Wacquant) se sont révélés d'une grande pertinence opératoire pour rendre compte des transformations que subissaient
les individus. Car ces modi.cations ne sont pas purement physiques et/ou corporels. L’approche longitudinale utilisée
dans le cadre de cette recherche nous a permis d'être également témoin de transformations psychologiques et discursives
chez les engagés. Celles-ci se traduisaient plus particulièrement sous la forme d'une plus grande mobilisation de
référents nationaux (civisme, patriotisme etc.), d’une hausse de l’estime de soi ainsi qu’un sentiment d'appartenance
nationale plus prononcé.
27
ST 7 : Politique publique et management public
La pérennisation des partenariats publics-privés dans le champ de l’emploi : entre
application, interprétation et ajustement du cadre réglementaire
1
Remy C., 1Gerard J., 1Beuker L.
Université de Liège1
Dans une perspective de gestion mixte du marché du travail, les services publics de l’emploi sont invités, par la
Convention 181 de l’OIT de 1997, à déléguer et à con.er l’exploitation et la gestion de leurs activités à des opérateurs
privés de service, dans le cadre d’une entente contractuelle. Alors que les modalités de la collaboration (telles que le
public-cible, le type et le nombre d’accompagnements dispensés, les résultats à atteindre, etc.) sont .xées, initialement,
par les services publics de l’emploi, elles sont ensuite mises en pratique par les diverses parties-prenantes du partenariat.
Les acteurs publics et privés exploitent la part de latitude inhérente à leur fonction pour interpréter et ajuster les termes
du contrat ou pour pouvoir réaliser leur mission d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Partant du postulat que
la règle est incomplète, notre objectif est d’analyser la mise en œuvre du partenariat en saisissant les arguments avancés
par les acteurs pour justi.er et légitimer leurs actions. À partir de cette analyse, nous montrerons que les acteurs du
partenariat doivent interpréter les règles – écart entre le travail prescrit et le travail effectivement presté – dans leurs
pratiques quotidiennes. Agissant comme des « pseudo » street-level bureaucrats, ces derniers usent de leur pouvoir pour
ajuster les règles. En outre, il semblerait que ces pratiques d'indiscipline permettent, en réalité, de maintenir les relations
partenariales entre services publics de l’emploi et opérateurs privés, et d’œuvrer, in .ne, à la pérennisation de celles-ci
dans le champ de l’emploi. Nous appuierons notre analyse sur un matériau empirique composé d’observations
participantes et d’entretiens semi-directifs réalisés auprès des parties-prenantes des PPP, situés en Belgique
francophone.
La Justice, terrain hostile au nouveau management public ? La difficile
introduction de la « gestion intégrale » dans les juridictions en Belgique
Ficet J.
Université Libre de Bruxelles
L’administration belge de la Justice connaît depuis deux décennies en Belgique une vague de réformes inspirées par les
préceptes du nouveau management public. Le mouvement a commencé dans la deuxième moitié des années 1990, ou le
scandale de l’affaire Dutroux a précipité des changements structurels de grande ampleur du système criminel belge.
Dans le monde des tribunaux, toutefois, la réforme s’est enlisée après quelques innovations majeures comme
l’instauration d’un Conseil supérieur de la Justice (1999). Notamment, la volonté af.chée de responsabiliser les
magistrats sur leur gestion n’a été .nalement pleinement matérialisée que très récemment, par une loi du 18 février
2014 instituant le « management intégral » (décentralisation des compétences de gestion) des parquets et juridictions
conformément au principe de séparation entre autorités politiques et agences exécutantes célébré par le nouveau
management public. Il est trop tôt pour faire un bilan de la mise en œuvre de la loi. Le présent projet de communication
vise plutôt à analyser, dans une perspective néo-institutionnaliste, le lent processus politique ayant mené à la
concrétisation des principes du NMP. Une seule approche ne suf.t toutefois pas à rendre compte de la trajectoire et du
contenu de la réforme. La communication empruntera donc aux divers courants du néo-institutionnalisme pour
comparer leurs apports et mettre en évidence les facteurs explicatifs les plus pertinents.
Des conditions et enjeux comparés de la managérialisation (Canada/Suisse): les
cadres au carrefour des multiples interactions fondant la spécificité de la gestion
publique
1
Fortier I., 2Emery Y., 2Roldan R.
IDHEAP2, ENAP1
La managérialisation des organisations publiques, initiée il y a plus de 20 ans sous l’impulsion dominante du
mouvement de la nouvelle gestion publique (NGP), modi.e durablement les relations entre les responsables politiques
et les cadres dirigeants publics. Au-delà des compétences nouvelles recherchées et des attentes évolutives façonnant
leurs relations réciproques (Hood and Lodge 2006), c’est plus généralement à une transformation en profondeur de la
conduite de l’administration et des politiques publiques à laquelle nous assistons, une transformation questionnant les
fondements-mêmes de la gestion publique, qui la distinguent de la gestion privée. De par leur position centrale au
carrefour de réseaux multiples d’interactions internes et externes à l’administration (Agranoff 2006, Emery 2010), les
cadres dirigeants publics contribuent de manière souvent déterminante, par leur action au quotidien, à donner sens et
façonner la spéci.cité de la gestion publique.
Dans le cadre de cette communication, nous voudrions souligner les implications, parfois contradictoires, liées à une
tendance forte relevée par différents chercheurs au plan international, consécutive à l’introduction de la NGP (Ongaro
28
2009, Pollitt and Bouckaert 2009, Rouban 2009) : la politisation du management et la managérialisation du politique.
Nous les abordons au travers de la dynamique des interactions entre les responsables politiques et les cadres dirigeants
de l’administration publique, ainsi que leurs interactions avec les autres acteurs directement impliqués dans l’action
publique (agents et professionnels/experts, collaborations horizontales), voire dans sa gouverne (partenaires externes,
groupes de pression, autre niveaux de gouvernement).
En nous basant sur les narratifs recueillis, nous chercherons à mieux comprendre en quoi ces transformations de
l’administration publique participent des conditions de la managérialisation du politique et/ou de la politisation du
management.
Commissions d'enquête parlementaires : une managérialisation du Politique dans
le discours sur les crises -nancières ?
1
Michel-Clupot M., 1Rouot S.
Université de Lorraine1
Les enquêtes parlementaires sur les innovations ou dérives .nancières contiennent-elles une reconnaissance de crise et
font-elles émerger une tentation de réglementation ? Une analyse textuelle est menée sur deux travaux récents (crise des
produits structurés contractés par les collectivités locales et crise de con.ance envers les agences de rating). Puisant
parmi les enseignements de la communication de crise et de la théorie des parties prenantes, la recherche étudie les
auditions des acteurs, ainsi que leur contribution respective aux conclusions générales du Législateur. Une certaine
managérialisation du discours du Politique est décelée, mais surtout, l’in!uence des experts est plus nettement avérée
dans les propos tenus.
Entre politisation et managérialisme: La réforme des systèmes de personnel au
Canada, en Australie et au Royaume-Uni
Juillet L.
Université d'Ottawa
Depuis les réformes inspirées du rapport Northcote-Trevelyan au XIXème siècle, le principe du mérite et les règles y
étant associées en matière de dotation ont joué un rôle central dans la protection des administrations publiques de type
britannique (dit de Westminster) contre leur politisation excessive. Or, à une époque où les bureaucraties sont
transformées sous l’effet croisé de la politisation et du managérialisme, il importe de mieux saisir comment ces
systèmes de personnel ont été transformés par ces phénomènes socio-politiques. Au cours des derniers vingt ans,
l’Australie, le Canada et le Royaume-Uni ont tous signi.cativement réformé le cadre législatif et institutionnel de leur
système de personnel. Dans quelle mesure ces réformes témoignent-elles d’un brouillage croissant des sphères
administratives et politiques ou d’un effritement des valeurs publiques sous-tendant l’administration publique
traditionnelle ? Dans cette communication, fondée principalement sur une analyse comparée des textes de loi et des
dynamiques socio-politiques des réformes des trois pays, nous démontrons comment les trois pays ont répondu de façon
divergente aux pressions communes pour plus de « réactivité » politique et d’ef.cience administrative. Ces résultats
viennent contraster et complexi.er le portrait peint par les travaux des dernières années sur la politisation et
l’émergence d’une « nouvelle gouvernance politique » dans les démocraties parlementaires anglo-saxonnes.
Réformes de la politique autochtone au Canada : le jeu du blâme
Savard J.
ENAP
La Cour suprême du Canada a imposé à l’État canadien une obligation de consulter les communautés autochtones pour
toute conduite susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux, issus de traités et ceux établis. Cette
obligation découle des arrêts Haïda et Taku River de 2004 et celui de la Première nation crie Mikisew de 2005. Selon la
cour, cette obligation engage l’honneur de la Couronne et la relation de .duciaire qui existe entre l’État canadien et les
communautés autochtones. Suivant cette logique, toute réforme apportée à la politique autochtone canadienne doit
d’abord être discutée avec les communautés autochtones et des accommodements doivent leur être accordés pour éviter
tous préjudices.
À cet égard, le ministère des Affaires autochtones du Canada a créé en 2008 l’Unité de la consultation et des
accommodements et émis des lignes directrices à l’intention de ses fonctionnaires, a.n de favoriser un dialogue avec les
communautés qui tient compte de cette obligation constitutionnelle de consulter. Ainsi, il se crée une dynamique où
lorsque le gouvernement annonce une intention d’apporter des réformes dans sa politique autochtone, les fonctionnaires
du ministère doivent négocier avec ces communautés pour respecter l’obligation de consulter.
Or, depuis 2008, cette obligation de consulter a été beaucoup plus l’occasion pour les communautés autochtones de
s’opposer aux projets de grandes réformes de la politique autochtone canadienne que l’occasion d’un dialogue entre un
l’État canadien et ces communautés. Comme les fonctionnaires n’ont ni l’autorité légale ni la légitimité politique
d’imposer les réformes souhaitées par leur gouvernement, cette dynamique d’opposition s’est rapidement transformée
en con!its politiques entre le gouvernement canadien et les grandes organisations autochtones du pays.
29
Depuis les conclusions du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), les Autochtones ont
toujours béné.cié d’un capital de sympathie politique de la part de nombreux groupes d’intérêts canadiens et
internationaux, d’organismes supranationaux, particulièrement l’ONU et d’autres États. Les dénonciations que les
Autochtones ont faites de leurs conditions ou encore des réformes que cherchait à effecteur le gouvernement canadien
dans sa politique autochtone ont maintes fois fait les manchettes de l’actualité et ont été l’occasion de nombreuses
pressions nationales, mais surtout internationales sur le gouvernement fédéral pour que ce dernier tienne mieux compte
des revendications autochtones.
Cette dynamique politique a souvent eu pour conséquence de paralyser les projets de réforme du gouvernement
canadien. Pour contrer cette dynamique et pouvoir apporter les réformes désirées à sa politique autochtone, le
gouvernement canadien a opté pour une stratégie que Hood (2011) appelle Blame Game que l’on pourrait traduire
comme le jeu du blâme.
Ainsi, cette communication pose l’hypothèse que pour imposer les réformes voulues à sa politique autochtone, le
gouvernement du Canada adopte une stratégie qui consiste à jeter le blâme sur les communautés des Premières nations
pour justi.er l’urgence et la nécessité de ces réformes, peu importe les arguments avancés par les associations de
défense des droits autochtones.
Pour démontrer notre hypothèse, nous baserons notre étude sur un cadre d’analyse proposé par Hood. Ce dernier
soutient que dans le jeu du blâme, un gouvernement, une organisation ou même un individu peut s’inscrire dans une
logique anticipée – désigner qui est à blâmer pour éviter le blâme – ou dans une logique défensive, c’est-à-dire de réagir
au blâme pour s’en défendre. Nous verrons que dans le cas des réformes de la politique autochtone, le gouvernement
canadien s’inscrit exclusivement dans la première logique. De là, toujours selon Hood, un gouvernement, une
organisation ou un individu peut adopter l’une ou l’autre des trois stratégies suivantes : représentative (mettre en place
des moyens pour modi.er la perception de l’autre a.n qu’il porte le blâme), organisationnelle (indiquer qui ou quoi à
l’intérieur d’une organisation doit porter le blâme), ou politique (mettre en place des mécanismes qui protège du blâme).
Notre communication analysera trois cas récents de réformes de la politique autochtone canadienne : l’éducation des
Premières nations, les .nances publiques, la justice pour les femmes. Nous verrons, sur la base de l’analyse du discours
du gouvernement canadien, comment ce dernier utilise des stratégies propres au jeu du blâme pour délégitimer les
revendications autochtones, justi.er ces réformes et faire . de l’obligation de consulter pour imposer ses réformes.
Cette étude permettra de montrer quels moyens concrets, à travers les différentes stratégies mentionnées plus haut, un
gouvernement peut mettre de l’avant pour se donner un avantage dans le jeu du blâme et imposer ses réformes, malgré
une opposition des communautés autochtones.
« Managérialisme et consultocratie »
Désacraliser le processus législatif en faisant intervenir des experts: le cas de
l’interdiction de la mendicité à Lausanne
Wirths D.
Lausanne
L’article que je propose se concentre sur le fait de plani.er dans les lois la sollicitation ex post d’experts et de
consultants via l’introduction d’une clause d’évaluation qui fera intervenir un « juge » scienti.que qui devra se
prononcer sur l’impact réel de la loi.
Cette mobilisation tend à détourner le pouvoir du législateur vers des experts dont le pouvoir réside dans le fait de
pouvoir légitimer une politique sur la base d’une évaluation d’ef.cacité. Lorsqu’une politique publique contient un tel
instrument, sa légitimité ne dépendra plus uniquement d’un rapport de force politique (opinion-based) mais également
d’une performance (evidence-based) qu’il s’agit de démontrer.
Cet objet nécessite donc un regard pluridisciplinaire en mobilisant à la fois une approche de science politique, capable
de dégager les enjeux de pouvoir sous-jacents, ainsi qu’une perspective juridique qui puisse rendre compte d’un
phénomène de managérialisation du droit public - qui doit de plus en plus démontrer sa pertinence et sa nécessité.
Cet article illustre ce mécanisme à travers l’étude d’un cas qui montre comment l’introduction d’une telle clause revient
parfois à solliciter une légitimité technocratique. Lorsqu’en 2013, la ville de Lausanne a introduit l’interdiction de la
mendicité dans son règlement de police, les opposants proposèrent in extremis d’introduire une clause d’évaluation dans
la loi a.n d’en démontrer l’inef.cacité. Après avoir perdu une bataille politique (au parlement communal et dans les
urnes), les perdants poursuivirent ainsi la lutte par d’autres moyens en sollicitant des experts a.n de procéder à
posteriori à une délégitimation empirique de l’intervention.
Ce que savent les consultants : données d’évaluation et management des politiques
de jeunesse
Bérard J.
Université de Montréal
L’évaluation des politiques publiques a été promue comme la manière la plus légitime pour les pouvoirs publics
30
d'arbitrer entre des options différentes. L’impératif d’évaluation s’étend dans l’État, et au-delà de l’État, dans les
collectivités territoriales qui veulent juger de l’ef.cacité des programmes qu’elles mettent en œuvre, dans les
associations qui doivent justi.er auprès de leurs .nanceurs de l’ef.cacité de l’usage des fonds qui leur ont été octroyés
etc. Dans ce cadre, le recours à des consultants est fréquent. Cette contribution veut travailler sur les relations entre « les
consultants et la réforme des services publics » (Henry, Pierru, 2012). Elle analyse plus spéci.quement le recours à ces
conseillers de l’État en France dans le cadre de l’implémentation d’innovations dans le champ des politiques en faveur
de la jeunesse, dont le « décalage croissant » avec les jeunes eux-mêmes a été souligné (Loncle, 2013). Elle interroge
leur intervention comme instrument de management des projets de politique publique (Halpern, Lascoumes, Le Gales,
2014) en se concentrant sur deux questions :
-Que font les consultants lorsqu’ils évaluent l’action publique que l’État ne sait ou ne veut pas faire lui-même ? Quelles
données mobilisent-ils ? Quels modèles d’analyse utilisent-ils ? Comment construisent-ils leurs conclusions et
recommandations ?
-Que fait le recours à ces évaluations au management de l’action publique ? Quels modèles d’interactions entre
managers publics et consultants privés ? Et entre les consultants et ceux qu’ils évaluent ? Quelle prise en considération
des résultats obtenus ?
Pour ce faire, la communication s’appuie sur deux sources :
-un corpus d’évaluations produites dans le cadre des projets soutenus entre 2009 et 2011 par le Fonds d’expérimentation
pour la jeunesse (FEJ). Ce fonds a été créé en 2009 avec pour .nalité explicite de mettre en œuvre des projets couplés à
des évaluations, ce qu’il a fait à grande échelle, puisque, entre 2009 et 2014, plus de 500 projets et près de 300 rapports
d’évaluations ont été lancés. La mise en œuvre des expérimentations du FEJ a conduit à con.er des évaluations
importantes à ces équipes universitaires. Mais elle a également conduit à con.er un nombre important d’évaluations de
ce type à des cabinets d’évaluation privés, dont j’ai constitué et analysé un corpus de 90 rapports, reposant sur les
évaluations achevées des trois premiers appels à projets du FEJ.
-Le travail de l’auteur comme chargé d’études puis responsable des évaluations du FEJ (Bérard, Valdenaire, 2014). J’ai
quitté ce travail pour reprendre une carrière universitaire à l’Université de Montréal, pour travailler sur l’histoire de
l’évaluation des politiques pénales. Il n’est pas évident de travailler sur sa propre expérience, mais, dans ce cas, celle-ci
m’a donné un accès privilégié à la manière dont l’État traite avec les cabinets de consultants et dont les résultats obtenus
sont investis, ou non, dans le fonctionnement de l’administration, dans les groupes de travail, commissions destinées à
ré!échir à des transformations de l’action publique. La proposition de communication s’inscrit donc également dans un
travail ré!exif sur une expérience professionnelle.
Biliographie
HALPERN, Charlotte, LASCOUMES, Pierre, LE GALES, Patrick, L'Instrumentation de l'action publique
Controverses, résistance, effets, Paris, Presses de Sciences Po, Académique, 2014.
BERARD Jean, VALDENAIRE Mathieu (dir.), De l’Education à l’insertion, dix résultats du Fonds d’expérimentation
pour la jeunesse, Paris, La Documentation française, 2014.
HENRY Odile, PIERRU Frédéric, « Les consultants et la réforme des services publics », Actes de la recherche en
sciences sociales, n° 193, 2012/3.
LONCLE Patricia, « Jeunes et politiques publiques : des décalages croissants ? », Agora débats/Jeunesse, n°64, 2013,
pp. 7-18.
Lorsque la consultocratie s'invite dans le management public : regards sur la
banque centrale française ou la théorie des tiers-composants
Nativel j.
Université de Limoges
Les réformes issues du New Public Management tentent d’introduire un modèle fondé sur la logique du marché ou
quasi-marché dans les organisations publiques en proie à des besoins (Hood, 1991 ; Dunleavy et Hood, 1994). En effet,
la théorie d’hybridation de Boyer (1997), inspirée de la notion chimie-organique (Pauling, 1939), nous apporte un
éclairage théorique sur cette thématique. Selon la théorie d’hybridation, « the best way » ou « the world model » s’avère
exceptionnel, voire irréaliste, car aucun contexte n’est identique. Ainsi, la diffusion et la survie d’un modèle nécessitent
inévitablement son adaptation à l’espace local (théorie de la .rme évolutionniste : Hamel et Prahalad, (1994) ; Porter,
1979). L’hybridation est un processus d’apprentissage organisationnel (Dodgson, 1993, Midler, 1990)), un changement
cognitif (Fiol, 1994) constant.
Le recours à des consultants extérieurs permet à l'organisation publique de disposer d’un vivier de compétences
nécessaires pour s’adapter au changement de l’environnement (Pasquier, 2011), car les ressources internes sont
insuf.santes et inadaptées pour réaliser des missions apportant une valeur ajoutée.
Cette "validation" de ce que nous pourrions appeler "par les tiers composants" d'une nouvelle responsabilité publique
pose la question suivante : Comment appréhender cette recomposition/décomposition de la légitimité duale ?
31
Notre démarche exploratoire analytique à visée interprétativiste a consisté à analyser cette problématique au sein de la
Banque de France. Nous avons interrogé trois dirigeants et réalisé une étude longitudinale sur dix ans pour comprendre
l'évolution de l'introduction de la consultocratie en son sein. Les trois théories ci-dessus composent notre revue de
littérature.
L’expertise médicale, un acteur décisif dans les réformes des financements publics
des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
Xing J.
École Normale Supérieure de Paris
Cette communication s’intéresse au rôle particulier que les experts jouent dans l’élaboration des politiques publiques
ainsi qu’aux enjeux et aux conséquences de cette participation. Je me concentre ici sur un type d’experts spéci.ques, les
médecins, qui peuvent être des praticiens, des médecins en santé publique et des universitaires, et sur leurs rôles dans
l’élaboration des politiques publiques de .nancements des soins en établissements d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes (EHPAD).
En France, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont soumis à des
règlementations très complexes : ils sont .nancés, contrôlés, encadrés et tarifés par l’État et les collectivités locales.
Depuis les années 1990s, plusieurs réformes ont eu lieu à propos du .nancement public des soins dans ce type
d’établissements : jusqu’à la réforme de 1997, l’État accordait un montant forfaitaire à chaque résident de
l’établissement dont le montant de .nancement variait en fonction du statut juridique de l’établissement et non selon les
dépenses de soins réelles du résident. En 1997, la première réforme de la tari.cation des établissements a introduit
d’une part la notion de distribution des .nancements publics de soins « selon l’état de la personne accueillie », d’autre
part un outil d’évaluation de l’état de la personne âgée « AGGIR ». Or l’outil d’évaluation AGGIR a été créé par un
petit groupe composé d’un informaticien et de quatre médecins, dont le président du syndicat national de gérontologie
clinique. Dans les décrets d’application en 1999, l’État .xe un algorithme de calcul des .nancements de soins à partir
de l’outil AGGIR en l’utilisant comme un outil de tari.cation. En tant qu’outil pour répartir les .nancements publics de
soins parmi les maisons de retraite, cet algorithme a été ensuite modi.é et a été nommé « Dominic » (dotation minimale
de convergence) en 2000. L’attribution des .nancements de soins en EHPAD a connu une deuxième réforme en 2007
avec l’introduction de l’outil PATHOS comme outil tarifaire des soins en EHPAD. Cet outil a été créé par le même
groupe de médecins, initialement pour servir d’outil d’évaluation de la charge en soins des personnes âgées. Depuis .n
2011, L’État a déclenché une troisième réforme de tari.cation en créant un comité scienti.que composé de 14
professeurs et docteurs, qui vise à réviser l’outil PATHOS.
Dans ces trois réformes du .nancement public des soins en établissements, on remarque une forte implication des
médecins de différents corps (médecins en santé publique, gériatres, universitaires) en tant que conseillers, alors qu’il
s’agit d’une affaire considérée comme « .nancière ». Quels sont les rôles de ces médecins conseillers dans la décision ?
Sont-ils neutres scienti.quement ? Sinon, pour quels objectifs visent-ils en participant à ces réformes ? Quelle place
leur est accordée par les pouvoirs publics ?
Je montrerai que d’une certaine manière, ce sont les gériatres et les médecins experts internes institutionnels qui ont
poussé et réellement « piloté » l’élaboration d’une politique publique. Pourtant, les médecins participants ont leur
propre objectif et la « neutralité scienti.que » de l’expertise reste marginale. Je montrerai aussi que les objectifs des
médecins participants dépendent à la fois des rapports de force à l’intérieur du monde médical : entre médecins en santé
publique, les gériatres, et d’autres médecins de différents « corps » (les psychiatres etc.), mais aussi lié entre médecins
et d’autres professions qui exercent leur travail dans une même organisation (ici les EHPAD). Par exemple, la deuxième
réforme de tari.cation promue par le syndicat national des gériatres a changé profondément les rapports de force entre
les médecins coordonnateurs des EHPAD et les directeurs d’établissements.
En.n, l’histoire de ces trois réformes montre également une évolution de la place, ainsi que de la légitimité accordée
aux experts externes par l’administration centrale. La légitimité scienti.que a tendance à être accordée à un comité, à
une commission ou à une autre forme collective des scienti.ques. Par conséquent, le nombre de scienti.ques
participants, l’interdisciplinarité et la transparence deviennent des nouveaux critères dominants pour accorder la
légitimité scienti.que.
Méthodologie de la recherche
Cette étude fait partie de ma thèse intitulée « Gouverner par l’instrument de distribution des .nancements publics : la
construction collective des marchés des EHPAD et des foyers pour les personnes handicapées ». Elle est conduite à
partir de résultats d’enquêtes ethnographiques, que j’ai réalisées dans l’administration centrale et d’autres institutions (le
service médical de l’assurance maladie et le syndicat national de gérontologie clinique). Le matériau analysé porte sur
l’histoire de la création des outils d’attribution des .nancements publics de soins entre différents EHPAD ainsi que sur
le rôle des experts médicaux.
La première partie du corpus est composée d’entretiens avec un chef de bureau du ministère de la santé qui a suivi cette
affaire, le médecin conseiller du ministre, les médecins conseillers de l’assurance maladie, l’ancien président du
syndicat national de gérontologie clinique et deux chefs de service de la Caisse nationale de solidarité pour autonomie.
J’ai également réalisé des entretiens avec les médecins conseillers d’une Agence régionale de santé.
32
La seconde partie du corpus comprend des textes juridiques (lois, décrets, circulaires etc.) depuis des années 1970 sur
l’attribution du .nancement public des soins en EHPAD, des rapports gouvernementaux, des documents de travail
(institutionnels ou techniques appartenant au domaine médical).
Management public à l’hôpital et dispositif éthique participatif
Smadja D.
Université Paris Est MArine-La-Vallée
Cette communication vise à poser la question du rapport entre participation et management. Dans ce cadre, les
politiques de santé ont récemment intégré un nouvel instrument d’action publique dans le domaine des politiques
publiques de santé, le dispositif des Espaces éthiques (EE), par exemple par l’inscription dans le Code de la santé
publique de l’obligation légale de mettre en place des Espaces éthiques régionaux. Ainsi, la loi de bioéthique de 2004
prescrit la création d’espaces de ré!exion éthique qui peuvent être institués aussi bien au niveau régional
qu’interrégional. A partir d’une inscription dans le champ hospitalo-universitaire, ils ont pour mission de contribuer à la
formation et à la documentation, à l’organisation de rencontres et d’échanges au sujet des questions d’éthique
biomédicale. Ils exercent également une fonction d’observatoire régional des pratiques éthiques et ils participent à
l’organisation du débat public a.n de promouvoir l’information et la consultation des citoyens sur ces questions. En ce
sens, relevant à la fois de la séquence de mise en œuvre et d’évaluation des politiques sanitaires, ils se situent dans
l’intervalle entre les commissions consultatives ouvertes aux citoyens non élus et les dispositifs de représentation des
citoyens usagers dans les services publics (Bacqué, Rey, 2005). En effet, sans atteindre les degrés les plus aboutis de la
délégation de pouvoir et du contrôle citoyen, la participation démocratique s’y traduit par l’information, la consultation
et la conciliation.
Ces dispositifs s’inscrivent également dans un processus de néo-managérialisation de l’hôpital et des politiques de
santé. A première vue, ce dernier semble substituer une rationalité technique dominante - celle du manageur et de
l’économiste, de l’évaluation et de l’organisation orientées vers l’ef.cience et la rentabilité - à une autre, celle du
médecin. Il en découle un recentrage à l’échelle macro vers l’expertise économique et, de ce fait, elle ne ménage aucune
place à une quelconque régulation orientée vers la situation morale du malade et vers l’inclusion participative.
En même temps, vu sous un autre jour le nouveau cadrage managériale aboutit, non pas nécessairement à une
disquali.cation du patient, mais plutôt à sa transformation en usager ou en client. Rapporté à une autre échelle de
temps, ce mouvement s’inscrit également dans un processus plus ancien qui fait se succéder un moment de
prédominance du regard clinique, autour du XVIIIème et du XIXème siècle, prioritairement orienté vers les maladies et
les organes plutôt que vers les malades et les patients, et une période d’in!échissement qui débute lentement à partir
des années 1950 et qui tend à ménager une place de plus en plus signi.cative au patient tel que le suppose la relation
médicale, et donc à la qualité et à l’ef.cacité de la prise en charge. De plus, si l’on suppose que le Nouveau
Management Public vise à développer des outils d’action qui s’appuient sur la responsabilité et l’autonomie des acteurs,
alors on peut former l’hypothèse selon laquelle les dispositifs éthiques comme instruments permettent de renouveler les
politiques publiques de santé en exploitant une forme d’autonomie, non plus simplement technique, mais morale et
ré!exive.
D’une part, ce type d’administration peut tout aussi bien donner naissance à une modalité du pouvoir particulièrement
complexe, entendu par exemple au sens foucaldien comme « action sur des actions ». A ce propos, évoquant le rôle du
temps de ré!exion dans la régulation des pulsions, D. Memmi explique que « l’institution ne s’appuie plus sur des
dispositions intériorisées » mais « sur des dispositions à l’intériorisation ». Dans cette direction, il faudrait prendre au
sérieux l’utilisation du terme « dispositif » et mettre en avant, dans le prolongement de M. Foucault et dans le sillage
des travaux de G. Agamben, sa signi.cation essentiellement contraignante visant à façonner de manière diffuse les
individus y compris dans leurs ressorts les plus intérieurs.
Bien entendu, ces dispositifs éthiques ne constituent pas des phénomènes suf.samment étendus et signi.catifs pour
permettre d’aborder la mutation globale du fonctionnement de la vie hospitalière. Cependant, ils peuvent être
appréhendés comme des signes pertinents d’une in!exion et d’une mutation à venir de l’action publique. A ce titre, ils
constituent à leur manière des instruments qui apparaissent potentiellement comme « des révélateurs privilégiés du
changement ». En effet, l’innovation instrumentale, loin de se limiter dans une perspective fonctionnelle à une simple
amélioration des moyens et des méthodes, permet au contraire de saisir « la recomposition de l’État ».
En proposant une enquête sociologique consacrée à l’Espace éthique, ce projet de communication vise à apporter un
éclairage sur une forme d’action publique participative en phase d’installation - qui relève à la fois de la mise en œuvre
et de l’évaluation. Pensé par ses concepteurs puis par le législateur comme une structure institutionnelle visant à
accueillir une discussion éthique inclusive (ouverte notamment aux profanes), l’Espace éthique apparaît dans un
contexte complexe caractérisé par la remise en question de l’autorité exclusive du médecin et par le développement du
néo-management public à l’hôpital. Dès lors, la question se pose de savoir ce qu’il en est de cette participation
managériale : relève-t-elle d’une ingénierie administrative ou bien fait-elle apparaître une dynamique délibérative qui
lui est propre ? Cette communication trouverait sa place au sein de l’axe « Discipline et indiscipline des agents publics
de terrain » de la ST en mettant au jour notamment la manière dont médecins, in.rmières, cadres de santé et aidesoignantes dévient par rapport aux règles délibératives intentionnellement visées par le législateur et, en même temps,
innovent dans leurs pratiques de terrain.
33
La participation à l'épreuve de la Nouvelle Gestion Publique : l'expérience des
pouvoirs locaux
Fallon C.
Université de Liège
A travers cette contribution, nous développerons une analyse critique des transformations actuelles du recours aux
théories et méthodes du management public dans la gestion des politiques, à partir d’une étude des développements
récents de l’administration locale en Belgique (Wayenberg et al. 2015). Les autorités locales, politiques et
administratives, se voient confrontées à une multiplication des injonctions à une approche stratégique de la gestion
publique et aux démarches évaluatives en matière d’analyse politique. Ces outils de rationalisation sont couplés à une
extension de la contractualisation de l’administration au niveau des cadres supérieurs. Ces démarches gestionnaires et
stratégiques sont diffusées à travers les injonctions réglementaires, les programmes de .nancement des autorités
régionales ainsi que les bureaux de consultants.
Le panel appelle de façon originale à coupler les deux courants, administration et politique : notre contribution
proposera une analyse compréhensive de l’apport d’une mobilisation hybride des concepts du public management et des
politiques publiques présentées ci-dessus en prenant appui sur des résultats concrets d’évaluations et d’analyse de
l’action publique réalisées au cours des dernières années au niveau des communes wallonnes, mais en y intégrant une
mise en perspective des effets liés à la participation des usagers dans l’action publique. L’analyse au niveau local des
mécanismes de résistance et d’accélération spéci.ques peuvent y être observés à travers les processus participatifs qui
sont déployés. Il s’agit tantôt de l’indiscipline des usagers locaux qui se mobilisent contre le développement de certains
projets (Joris & Fallon 2009) ; tantôt de l’intégration des citoyens et riverains dans le développement et le pilotage de
l’action publique, voire son évaluation (Fallon & Feron 2014). Il s’agit de mettre en évidence les effets réciproques des
processus de rationalisation de l’action publique et de sa démocratisation tels qu’ils résultent de l’appropriation des
nouveaux outils de management public et de mécanismes innovants de participation des citoyens et des usagers.
Bibliographie
Wayenberg E, Reuchamps M., Kravagna M. & Fallon C.. 2015 (Forthcoming) , Policy analysis at local level : steering
from below ?, In Brans M & Aubin D., Policy Analysis in Belgium; The International Library of Policy Analysis, Book
Series
G. Joris and C. Fallon. 2009. L'administration dans un contexte de modernité radicale: quand les instruments de gestion
doivent devenir source de ré!exivité. Pyramides 18 (2009): 55-72.
C. Fallon and P. Feron. 2014. Quanti.cation des politiques versus démocratisation de l’évaluation : Etude des plans de
cohésion sociale en Wallonie. In Usages des chiffres dans l’action publique territoriale. Edited by M. Mespoulet.
Rennes, France: PUR, in press.
Service public de l’emploi : Les agents de base entre indicateurs prégnants et
éthiques professionnelles dans la mise en œuvre des normes d’activation
Lavitry L.
Aix Marseille Université
A l’instar d’autres métiers de l’intervention sociale, le métier de conseiller à l’emploi connaît depuis 2005 en France des
transformations importantes, qui passent à la fois par la « personnalisation » du service (un suivi dit personnalisé est
assuré par un conseiller référent unique), par la mise en place de nouveaux outils de gestion, et par la modi.cation des
normes de suivi des chômeurs. La fusion entre l’ANPE (chargée du placement des demandeurs d’emploi) et l’Assedic
(chargée de l’indemnisation) entérine et complète une réorganisation institutionnelle entreprise depuis la loi de
programmation pour la Cohésion Sociale en janvier 2005. Les nouvelles normes portent sur un contrôle renforcé des
chômeurs indemnisés (Dubois et al, 2006) et un accompagnement individuel visant à un retour plus rapide vers
l’emploi. Dans ce contexte, l’activité des intermédiaires des politiques publiques de l’emploi constitue un terrain
privilégié d’observation pour rendre compte des transformations de l’État social vers un État social actif (Orianne,
2005), dont l’individualisation est un des leviers.
A travers les résultats issus d’une enquête de thèse portant sur 200 rendez-vous entre conseillers et chômeurs, on
souhaite montrer que les pratiques professionnelles des conseillers sont in!uencées par des indicateurs prégnants
(Boussard, 2001) issus des outils de gestion (I), mais qu’elles révèlent également la construction par les conseillers de
compromis sociaux, entre catégories gestionnaires et éthiques professionnelles (II).
Dans un premier temps, on s’attachera à décrire le lien entre les outils de gestion inspirés par les nouvelles normes de
suivi des chômeurs, et les manières dont les conseillers les intègrent dans leurs pratiques. Une étude quantitative des
observations directes des entretiens entre conseillers et chômeurs révèle qu’une bonne partie des pratiques
professionnelles observées est conforme à l’objectif d’augmenter le nombre d’offres d’emploi pourvues. Les actes les
plus nombreux sont en effet liés aux indicateurs statistiques dominants : le nombre de mises en relation (nombre de
positionnements des demandeurs d’emploi pour chaque offre d’emploi) et le nombre de demandeurs d’emploi dits «
sans services », c’est-à-dire pour lesquels aucune prestation de courte durée n’a été proposée depuis un nombre
34
déterminé de mois. Ces actes professionnels s’accompagnent plus fréquemment d’un registre coercitif, à l’instar des
offres sélectionnées en entretien par les conseillers, qui sont imposées aux chômeurs par plus de la moitié des
conseillers observés. A l’inverse, le registre de la négociation est majoritaire pour certains critères qui ne font pas l’objet
d’indicateurs aussi prégnants, portant sur les questions de mobilité kilométrique ou professionnelle, les prétentions
salariales ou les types de contrats.
Un autre aspect de la corrélation entre les indicateurs prégnants et les pratiques dominantes porte sur les pratiques de
.ltrage qui apparaissent dans les conclusions d’entretiens que les conseillers remettent aux chômeurs reçus. Ces
résultats pourraient donc permettre de conclure à une certaine « discipline », ou du moins la relative conformité des
pratiques des agents de base aux injonctions issues du New public management couplé au politiques d’activation.
Cependant, les observations révèlent également la construction de compromis sociaux, entre catégories gestionnaires,
professionnelles et éthiques.
Si le traitement des chômeurs est largement pré-construit par les catégories dont ils relèvent, et marqué par une
économie morale de l’accompagnement à l’emploi (Lavitry, 2013), la mise en œuvre des normes d’activation n’a rien
de mécanique. En même temps que ces normes instituent une coercition plus marquée, l’individualisation, même si elle
est équipée, en amont comme en aval, offre un espace non négligeable aux professionnels pour y inscrire leurs propres
normes, en s’appuyant notamment sur la dimension processuelle du suivi et la connaissance des situations personnelles
par l’injonction biographique. Dans un second temps, on s’intéressera donc aux variations des jugements et
contingences qui s’inscrivent dans plusieurs types de causalités : les normes locales propres à chaque agence, les
logiques professionnelles entre éthique de l’accompagnement et éthique du placement, les zones de tension entre
normes professionnelles et normes d’activation, les effets de la personnalisation du traitement, et la notion de
coproduction dans les arènes de jugement sur l’emploi et la qualité de l’emploi.
La comptabilisation des actes professionnels fait notamment apparaître des omissions, des zones grises dans la mise en
œuvre des normes managériales, qui correspondent à la tension entre les normes nouvelles de l’activation, la
formalisation d’actes auparavant laissés à l’appréciation des conseillers, et leur réinscription, ou leur invisibilisation, à
l’intérieur des stratégies professionnelles. Les dispositifs des normes d’activation sont censés réduire l’incertitude sur la
qualité des demandeurs d’emploi et élargir les critères de l’employabilité par les conseillers prescripteurs d’offres. Mais
ils sont basés sur des présupposés dont la mise en œuvre s’avère délicate : déterminer la volonté, la motivation, la
capacité à retrouver un emploi, correspond à des dé.nitions sur l’employabilité qui peuvent diverger car elles mettent en
jeu des prescriptions issues des théories du chômeur calculateur.
Les conventions légitimes du métier constituent des ressources tactiques et éthiques. Elles s’ajoutent à la
personnalisation, qui intègre la notion de processus et favorise les variations et anticipations de jugement.
35
ST 8 : Etudier la transnationalisation et l’hybridation des discours et
pratiques liés au genre
La Marche mondiale des femmes : au-delà du réseau et du mouvement, un objet
multi situé dif-cile à saisir
1
Dufour P., 2Conway J.
Université de Montréal1, Brock University2
Cette communication s’inscrit dans l’axe 1 de l’appel à communication. Elle a pour objectif principal de ré!échir aux
catégories d’analyse qui guident la sociologie des mouvements sociaux dans leur dé.nition de leur objet de recherche.
En partant du cas, à notre avis, exemplaire, de la Marche mondiale des femmes, nous montrerons comment l’action
collective transnationale de cet acteur mondial ne peut se résumer à une analyse de réseaux transnationaux, ni de
mouvements. Actives à de nombreuses échelles de luttes, dans plus de 60 pays, les militantes de la Marche font vivre un
ensemble complexe d’organisations formelles et de réseaux informel, en plus d’exister au niveau international et de
créer par leurs actions une appartenance à un ensemble mondial.
En partant de l’analyse préliminaire des coordinations nationales de la Marche, mise à jour en 2014 auprès de personnes
clefs, nous tenterons d’approcher le phénomène Marche mondiale en mobilisant de manière croisée des outils de la
géographie critique et de l’approche cognitive des mouvements sociaux.
Sociohistoire de la genèse du champ transnational pour l’égalité à Bruxelles.
L’Europe entre savoir sur le genre et politique
Rosas E.
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Nous proposons une communication sur l’état des lieux de notre recherche de doctorat dont l’objectif initial est
d’éclairer les conditions socio-historiques de la genèse d’un champ transnational spéci.que de l’égalité autour du centre
politico-administratif européen à Bruxelles (1966-2010).
Cet espace transnational interstitiel, composé d’un nombre relativement restreint d’acteurs permanents à Bruxelles, est
historiquement un carrefour décisif de la production et de la circulation des normes juridiques, des « savoirs experts » et
académiques en matière de genre, de discrimination et d’égalité.
Nos travaux de recherche s’appuient sur les acquis de la sociologie politique de la construction européenne, qui a pour
parti pris épistémologique de déconstruire le mythe très prégnant d’une « Europe » présente partout, tout en étant
vraiment nulle part.
Cette approche soucieuse d’historicité, fondée sur une sociologie de la connaissance (analyse des catégories) et
l’analyse des trajectoires des agents et des groupes qui peuplent l’espace politique européen, donne des outils
scienti.ques qui permettent, appliqués à la question du « genre », de lever un coin du voile sur le processus de
construction des catégories de perception et de compréhension directement héritées de Bruxelles.
A ce titre, l’objectif d’incarnation de l’espace politique européen nécessite une mise en perspective des représentations
sur les institutions européennes et nous conduit à mettre à distance les grilles de lecture dominantes en science politique,
qui fonctionnent souvent selon l’idée de multi-level governance et en termes d’échanges inter-institutionnels.
Loin de rigidi.er la division entre acteurs institutionnels et non institutionnels, nous considérons les institutions sous la
forme d’un espace de tractations, de négociations et de tensions sociologiques. C’est un axe épistémologique important
de notre projet qui permet de donner à voir, en même temps, des acteurs qui formellement sont étiquetés comme noninstitutionnels ou qui sont quali.és d’acteurs périphériques (des groupes d’intérêts, des think tank, des avocats de
causes, des réseaux académiques, des associations civiques, des entreprises), et des acteurs identi.ables comme
institutionnels (hauts fonctionnaires européens, Commissaires européens, experts gouvernementaux). C’est d’autant
plus essentiel que les études biographiques des acteurs qui investissent cet espace transnational bruxellois montrent les
multiples points de passage et opportunités de cumul qu’offre l’investissement dans cet espace pour des acteurs en
position intermédiaire béné.ciant de propriétés sociales multipositionnelles. Les premiers résultats d’enquêtes réalisées
montrent que ces acteurs justi.ant d’une certaine permanence sociologique autour du centre politico-administratif
bruxellois se situent aux interstices de plusieurs univers sociaux (académique, militant, politique, voire économique) à
la fois nationaux, européens et internationaux.
Nous proposons pour cette communication de porter à la discussion la boîte à outils méthodologiques, avec lesquels
nous tentons de résoudre les dif.cultés inhérentes à la mise en place d’une enquête de sociologie politique sur un espace
transnational. Nous expliquerons de manière circonstanciée en quoi le concept analytique de « champ faible » élaboré
par Christian Topalov, accompagné d’un archipel d’outils conceptuels inspirés de la sociologie de Pierre Bourdieu
(habitus, capital, champ, sens pratique, etc.), nous semble particulièrement bien ajusté à l’étude du transnational; et
surtout en quoi cela permet un croisement particulièrement heuristique des études de genre et de la sociologie politique
de l’Europe.
36
Puis nous reviendrons sur les perspectives ouvertes par un axe problématique de la thèse qui porte sur les usages
sociaux et politiques de savoirs académiques. En effet la genèse d’un espace de professionnels de l’intermédiaire
d’intérêts sur les questions d’égalité à Bruxelles, semble en lien historiquement avec l’émergence de formes de savoirs
académiques à l’européenne liées aux études sur le genre et les discriminations. La connaissance experte des études
académiques sur le genre et plus généralement sur les discriminations, mais aussi l’usage de savoirs juridiques tels que
le droit communautaire de la non-discrimination, sont pour les acteurs permanents et semi-permanents du brussels
complex un préalable commun pour investir cet espace transnational.
Il nous faudra alors expliquer en quoi l’exigence d’historicité et de ré!exivité nous mène à envisager le genre à la fois
comme une catégorie d’analyse critique du monde social, utile pour appréhender des dispositifs de naturalisation des
rapports de domination ; mais surtout nous conduit, dans une autre mesure, à appréhender les discours sur le genre
comme des « types d’énoncés » dont on peut faire l’histoire et la généalogie des usages dans la perspective d’une
histoire sociale des idées. Pris dans cette seconde acception le genre devient en effet une catégorie de « savoir-pouvoir »
qui recouvre des enjeux de luttes dé.nitionnelles entre les différents acteurs du champ.
De ce point de vue, notre thèse s’inscrit pleinement dans la perspective épistémologique, notamment des recherches
féministes et sur le genre, qui travaillent à répertorier les différentes conceptualisations des rapports de domination, à
expliciter, problématiser et historiciser les outils théoriques élaborés pour signi.er les rapports de pouvoirs. Il me
semble que cette littérature qui cherche à historiciser ses propres catégories d’analyse critique a jusqu’ici relativement
ignoré Bruxelles comme lieu privilégié de production et de circulation des savoirs académiques en la matière.
Devenir experte des droits des femmes et de l’égalité de genre. Une analyse sur le
terrain est-européen saisi à travers des configurations transnationales
Cirstocea I.
CNRS-Université de Strasbourg
Plutôt que de partir d’une dé.nition .gée de l’expertise, nous proposons un questionnement centré sur des processus de
production des .gures du féminisme expert ainsi que sur les instances sociales à l’origine de leur consécration nationale
et internationale. Il s’agit de la sorte de centrer la démarche analytique sur les apports des approches biographiques à
l’étude des circulations internationales et multi-niveaux des normes de genre - une ré!exion développée aussi
collectivement dans le cadre du projet ANR « GLOBALGENDER » (MISHA Strasbourg 2013-2015). En orientant la
démonstration sur quelques trajectoires d’actrices rencontrées sur nos terrains est-européens et sur la base d’une analyse
comparée de CV publics corroborés avec des éléments recueillis en entretien et/ou par le biais de la recherche
documentaire, il s’agira de repérer les étapes et les modalités d’une socialisation féministe transnationale au croisement
d’arènes académiques, politiques et bureaucratiques, ainsi que les différents supports de construction de la légitimité des
porte-paroles régionales du genre institutionnalisé et globalisé, af.rmées pendant les années 1999-2000.
37
ST 9 : Ancien[s] et Nouveau[x]. Perspectives mémorielles et actuelles
sur la délimitation et le contenu de la science politique, ‘francophone’ et
internationale
De la langue globale à la langue « locale ». La science politique francophone dans
son environnement après cinquante ans
Leca J.
Sciences Po
I La science politique dans son environnement intellectuel et matériel.
1/ Quelles sont les conditions historiques et leurs perceptions qui ont affecté la science politique et comment ?
2/ Comment est-vue la science politique par l’opinion « éclairée » du double point de vue de sa « scienti.cité » et de sa
pertinence ?
3/ Les politiques universitaires ont-elles été accompagnées des mêmes effets généraux en matière d’organisation et de
visibilité de la profession ?
4/ Comment est enseignée la science politique dans les milieux « anglophones » ? Y a-t-il une spéci.cité de la langue «
locale » (en l’espèce le français) ? Par exemple y a-t-il des « politiques publiques à la française » ou bien font-elles
partie d’une « conversation internationale » ?
II La science politique « substantielle ».
1/Les domaines généralement balisés ont-ils évolué et vu leurs frontières bouleversées ? Que sont devenues les théories
de l’Etat, du « système politique », du « système international » ? L’extension d’une « politique sans frontières » a-t-elle
in!uencé les études comparatives et internationales ?
Les méthodes quantitatives ont-elles évolué et pourquoi sont-elles relativement sous-représentées ? La méthode
ethnographique est-elle devenue dominante? Pourquoi la sociologie analytique est-elle ignorée ?
2/ Six changements ?
i/ L’explosion des sources favorise-elle la fragmentation de la discipline en même temps qu’elle fournit une base à la
notion d’ « indiscipline » ?
ii/ Le « retour de l’histoire » et l’apparition de la « global politics ».
iii/ Le[s] « tournants[s] [néo-]institutionnalistes »
iv/ Le « tournant discursif »
v/ Les « Big data » comme instruments de théorie et de recherche et comme instruments d’action politique
vi/ Le retour de la philosophie politique
Vers une cartographie inclusive des méthodes en science politique contemporaine :
enquête auprès des enseignants de la ECPR Methods School
1
Rihoux B., 2Blanchard P., 1Alamos Concha P.
Université catholique de Louvain1, University of Warwick2
Comment mettre en ordre l’offre actuellement très diverse de méthodes en science politique ? Cartographier des
méthodes (‘methods mapping’) consiste à les localiser les unes par rapport aux autres dans le même espace de propriété.
Une telle approche permet de dépasser d’autres approches (monographiques, ‘mixtes’ ou encyclopédiques) car une
‘carte des méthodes’ permet de visualiser de manière systématique l’ensemble des méthodes de la discipline, ainsi que
leurs contrastes, similitudes et complémentarités. Cinquante enseignants, impliqués dans la ECPR Methods School et
couvrant une très large diversité de méthodes, ont répondu à un questionnaire d’enquête au sujet de leur méthode de
spécialisation, autour de 17 dimensions considérées comme structurantes dans la littérature. Les résultats de l’analyse
nous apprennent que le clivage ‘qualitatif-quantitatif’ apparaît structurant, mais pas aussi fortement que d’aucuns le
suggèrent. Les cours ‘quantitatifs’ constituent une grappe (cluster) assez cohérente, tandis que les cours ‘qualitatifs’ sont
caractérisés par une forte diversité en termes de matériau empirique, d’échelles d’observation, de techniques et
d’épistémologies. Au .nal, l’espace actuel de méthodes en science politique est structuré par un plus grand nombre de
dimensions que ne le suggèrent les typologies habituelles. Sur base de la ‘carte des méthodes’, nous identi.ons
également des combinaisons émergentes de méthodes, ainsi que de nouvelles perspectives qui permettraient d’enseigner
les méthodes de manière moins cloisonnée.
38
Livre « Fondements de science politique »; MOOC edX: Découvrir la science
politique
Schif.no-Leclercq N.
UCL
Co-auteur d'un nouveau manuel en science politique intitulé "Fondements de science politique", et responsable du
MOOC "Découvrir la science politique" pour la plateforme edx créée par Harvard et MIT, l'auteur se propose de
participer à la table ronde de la session 2, modérée par B. Rihoux. L'auteur y présentera les résultats collégiaux du
manuel et du MOOC qui ont été, l'un et l'autre, produits par des équipes de professeurs en science politique.
Les politiques publiques : vecteurs de nouvelles normativités sociales
Simard C.
Université du Québec à Montréal
D’une part, la capacité des États contemporains semble sans limites. D’autre part, bien que de nombreux écrits avancent
la thèse de la .n de l’État providence ou celle de son retrait, ils peinent à en démontrer le bien-fondé. À partir d’une
question fort simple, à savoir l’examen des effets des politiques publiques, demandons-nous en quoi l’analyse de
l’action publique des États modernes demeure si féconde, non seulement auprès des politologues, mais également des
juristes, des économistes, des historiens et des gestionnaires.
Je répondrai à mon interrogation en revisitant les concepts de cohérence politique, de pouvoir et de changement. Mon
propos sera illustré par des controverses récentes où la concrétisation de compromis a contribué à l’émergence de
nouvelles normes positives. Seront notamment examinées « les politiques de l’intime » ; la mise à l’agenda de ces
dernières, mais surtout leur multiplication, risquant de mettre à mal un des fondements de l’analyse de l’action
publique, la distinction public/privé. S’il est vrai que le «privé est politique» comme continuent de le clamer les
féministes, les implications d’un tel mantra sur l’action publique d’une part et sur l’analyse des politiques publiques
d’autre part nous obligent à en prendre la mesure.
L’analyse des rapports sociaux, qu’ils soient de classe, d’ethnie ou de genre, repose entre autres sur le rôle central des
rapports de pouvoir ; leur apport ne peut être remis en question. Cela étant, en vue d’explorer des interrelations
nouvelles, les concepts de cohérence politique et de changement seront également mis à pro.t au nom d’une sorte de
pluralisme explicatif.
La science politique est-elle une science de l’observation des faits politiques ?
Tournay V.
Sciences po
Les grands domaines et objets de la science politique (groupes et partis, politiques publiques, institutions politiques et
administratives, régimes, mobilisations, changements politiques, transitions, organisations internationales etc.) sont-ils,
quelle que soit l’approche adoptée, décrits et appréhendés selon des méthodes d’investigation susceptibles d’être
rapportées à une science de l’observation des faits politiques ? Ou devons-nous plutôt considérer que ces objets, qui
nous sont pourtant familiers (au moins par le langage), s’inscrivent dans une taxinomie arti.cielle de communautés
basées sur des propriétés générales et/ou sur leurs champs d’application (taille, (dé)-cloisonnement sectoriel,
programmes ou objectifs poursuivis, agencement stabilisé, rhétorique de continuité ou du changement). Ces arti.ces
classi.catoires auraient alors pour fonction de faciliter l’analyse et de décrire de façon partagée le monde qui nous
entoure.
Sortir de ce dilemme suppose de considérer que les objets de la science politique (et plus largement de la sociologie) ne
peuvent pas être appréhendés de façon similaire aux phénomènes vivants car ils ne correspondent pas à des faits bruts
comme le rappelle John Searle. Contrairement à la mécanique physique et à la vie biologique, les catégories que nous
utilisons pour décrire les communautés humaines et leurs transformations ont une existence et des propriétés qui
dépendent des croyances des interprètes ainsi que des descriptions qui peuvent en être données. Un chat est un fait qui
existe indépendamment de notre croyance tandis qu’un billet vert équivaut à un dollar parce qu’on lui a collectivement
attribué une valeur quanti.able. Cet accord conventionnel attribue une existence objective au fait politique qui repose
sur une expérience partagée (lequel a ainsi une double réalité : comme objet de pensée et objet matériel)
L’idée de cette communication est de montrer que les méthodes qui alimentent la science politique (et qui s’affrontent :
analyses quantitatives multivariées vs approches ethnographiques et pragmatiques par exemple) s’accompagnent de
divergences, voire d’incompatibilités très fortes au niveau de l’ontologie des objets investis par ces méthodes sans
toutefois parvenir complètement à renoncer à les appréhender comme fait brut (ainsi, le simple fait de désigner une
institution, un régime ou une politique publique est un acte de labellisation d’une unité, d’une totalité achevée et
extérieur à « l’opinion »). Cette particularité a pour conséquence :
1) La multiplication des implicites explicatifs dans les catégories usuellement employées au sein de la discipline. Pour
montrer ces incompatibilités , on peut partir du débat Latour/Favre dans la RFSP en soulignant différentes lignes de
désaccord par ordre d’importance a) la nature et l'organisation a priori de la réalité (ontologie) - la dé.nition même de
ce qu’est une société, dans ce qu’il est essentiel d’en dire et dans les catégories que nous devons utiliser pour discuter
39
du politique - qui sépare Pierre Favre de Bruno Latour. b) l’espace de validité de la critique scienti.que qui ne se situe
pas sur un même plan (action en train de se faire BL/ce que le monde est advenu PF). c) La dialectique du semblable et
du différent. d) L’idée de cause .nale et la place de l’intentionnalité des acteurs dans la compréhension des phénomènes
sociaux. e) L’échelle d’observation des faits politiques.
- 2) une dif.culté à prendre en compte l’expérience ordinaire comme motif structurant d’un objet politique (lequel n’est
pas une forme donnée spatialement repérable, modi.able et évoluant par épigénèse relationnelle)
- 3) une limite sérieuse à la mesure de l’évaluation de l’ef.cacité et des objectifs d’un groupe, d’une institution ou d’une
politique publique en raison de la pluralité des publics ainsi que des rationalités multiples et continument évolutives.
- 4) un risque sérieux face à l’exigence croissante de scienti.cité des études du politique accentuée par la rivalité
mimétique des sciences sociales avec les sciences « exactes ». La tentation d’assimiler les objets politiques à des faits
bruts est importante car elle s’appuie sur des voies de théorisation provenant des sciences exactes ou de la biologie
évolutive. Dépasser ce ré!exe analytique reste une gageure car l'essentiel de nos cadres de pensée sont marqués par les
logiques explicatives issues des "sciences exactes". Si les modèles évolutionnistes inspirés de la biologie évolutive
évitent d’apporter une .guration statique des phénomènes institutionnels par exemple, ils ne parviennent pas à résoudre
le problème de l’institution envisagée comme fait brut.
Le Dictionnaire des politiques publiques : af-rmation de soi et dialogues d’une
sous-discipline au cœur de la science politique
1
Boussaguet L., 2Jacquot S., 3Ravinet P.
Sciences Po / Rouen 1, Lille 2 3, Sciences Po2
Si l’on fait la genèse de cet ouvrage collectif, « manuel » atypique de science politique qui prend la forme d’un
dictionnaire, elle repose sur une double exigence, apparemment contradictoire : l’af.rmation d’une sous-discipline
montante de la science politique, l’analyse des politiques publiques, d’une part ; et la mise en perspective intellectuelle
et internationale de ce champ d’étude d’autre part, avec le croisement des approches et le dialogue entre courants
d’analyse et entre disciplines.
Notre communication s’arrêtera d’abord sur le format de dictionnaire choisi pour cet ouvrage. Ce choix participe bien
sûr d’une dynamique d’af.rmation : la publication d’un dictionnaire veut marquer un certain degré de délimitation et
d’institutionnalisation de l’analyse des politiques publiques. Mais, par rapport à un manuel présentant plus
traditionnellement quelques grandes approches ou questions, il renvoie aussi à une certaine façon de voir la théorie – la
métaphore de la boîte à outils étant tout particulièrement adaptée pour une discipline riche en développements
théoriques mais souvent jugée jargonnante. A cet égard, il faut noter que le dictionnaire des politiques publiques
comprend exclusivement des entrées théoriques (et aucune entrée sectorielle notamment), ce qui le différencie d’autres
ouvrages du même format en science politique – et prouve au passage que les concepts, quand on les décortique et les
explique, ne rebutent pas tant les étudiants qu’on le croit parfois, les ventes du dictionnaire l’attestent. On ne peut
d’ailleurs pas ré!échir au format dictionnaire-boîte à outils comme mise en scène de la discipline pour les étudiants sans
poser la question de l’évolution des pratiques de lecture. Au-delà de leur qualité en termes de substance, le nombre et le
succès de dictionnaires de science politique parus depuis 10 ans (dictionnaire du vote, des politiques locales, du genre,
…) renvoient à un usage plus immédiat et plus ciblé de la littérature chez les étudiants (et les chercheurs ?) et
témoignent sans doute des modes de défrichage d’un champ de connaissance et de construction d’argumentation
imprégnés par le ré!exe de la recherche de mots clés dans un moteur de recherche.
Notre communication reviendra ensuite sur le choix de tenir ensemble un état des lieux de l’analyse des politiques
publiques, à travers sa « boîte à outils » spéci.que en l’articulant explicitement aux autres domaines de recherche en
science politique – loin donc de la construction d’un isolat analytique. En montrant son évolution, des policy sciences
des débuts, à la sociologie de l’action publique plus récemment, l’idée était tout à la fois de circonscrire et délimiter
cette sous-discipline, tout en soulignant son inscription pleine et entière dans la science politique, ses similitudes avec la
sociologie politique, et ses rapports fructueux avec d’autres approches ou champs d’étude (études européennes,
sociologie des organisations, études de genre, relations internationales, etc.).
A.n de nourrir les discussions lors de cette session en forme de table-ronde, nous reviendrons par ailleurs sur les autres
partis-pris, à nos yeux essentiels, qui ont également guidés l’élaboration du Dictionnaire des politiques publiques. Tout
d’abord, l’ouverture internationale (que ce soit en termes de concepts représentés, mais aussi en termes de regards et de
contributeurs et contributrices) et la volonté de dialogue avec ce que nous avions appelé l’analyse des politiques
publiques « ailleurs », en dehors des sociétés occidentales (comme champ académique et/ou comme objet de
recherche). Ensuite, la représentation, au sens plein, d’une discipline ouverte et dynamique, qui s’appuie bien sûr sur les
travaux de ceux que l’appel à communication nomme les « seniors », et qui, dans le même temps, fait place aux «
juniors », c’est-à-dire les jeunes chercheur.e.s et les doctorant.e.s (que nous étions nous-mêmes alors) qui utilisent et
font vivre les concepts de l’analyse des politiques publiques dans leurs travaux.
Les manuels de science politique ont-ils un avenir ? A quoi servent les MOOC en
science politique ?
Schemeil Y.
Grenoble
Les sites web permettent aujourd’hui de choisir et de stocker des textes téléchargeables en grande quantité, avec la
40
possibilité de les commenter par écrit ou en audio (voire en vidéo). On peut aussi utiliser ces sites pour actualiser des
écrits dont la vitesse d’obsolescence s’accélère plus vite qu’il n’y a d’éditions successives d’un ouvrage imprimé. Quel
est l’avantage comparatif du manuel par rapport à ces nouveaux supports ? Va-t-on vers une combinaison livre imprimé
acheté/annexes vidéo téléchargeables sur abonnement entre deux éditions de l’ouvrage ? Quelle sera la place des
manuels spécialisés de petit format par rapport aux manuels de synthèse qui tendent à devenir de plus en plus
volumineux ? Comment résisteront-ils aux encyclopédies de sciences sociales de mieux en mieux faites, comme celle
de l’IPSA dont les entrées permettent de combler toutes les lacunes possibles dans la formation des étudiants ?
Comment les manuels de tout acabit résisteront-ils aux MOOC, sachant que les manuels qui sont les plus vendus
comportent des exercices avec des corrigés (notamment dans le monde anglophone) comme le proposent les MOOC
sur une autre échelle ? Des cours en ligne massivement diffusés sont en effet réalisés ou vont bientôt l’être dans le
monde francophone en science politique. Le vecteur est source d’innovation. Reste à savoir si des MOOC en français
peuvent avoir une originalité et s’ils ont un public suf.sant pour assurer leur avenir. Les MOOC peuvent compléter les
offres de formation et d’orientation ou s’y substituer. Ils peuvent remplacer les manuels ou aider les apprenants à mieux
préparer leur rencontre avec leurs enseignants.
41
ST 10 : Methodology
Comparative Process Tracing: A Methodological Framework for Integrating QCA
and Process Tracing
1
Gemperle S., 2Williams T.
Universität Basel1, Universität Marburg2
Bringing together recent developments in the methodological literature on case selection in multi-method research,
design of process tracing studies and the relevance of temporality in the explanation of political processes, this article
presents an extension of set-theoretic multi-method research by introducing a comparative process tracing framework
based on fuzzy-set Qualitative Comparative Analysis. To facilitate case selection for comparative process tracing,
different types of cases in Qualitative Comparative Analysis are de.ned. The comparative process tracing framework,
then, speci.es the types of cases to be compared in theory-testing or theory-building process tracing designs where the
emphasis lies on the elaboration of the importance of timing and sequencing of conditions leading to an outcome.
Classifying Cases in Political Science : Bringing Cluster Analysis in
1
Schnabel J., 1Wirths D.
Lausanne1
Ideal types, Archetypes and Categories are widely used in political science research to de.ne concepts and classify
cases. The number of methodological tools available for classi.cation, however, is rather small. As recently as in 2014,
Filho et al. pointed out that Cluster Analysis is still hardly used when it comes to developing typologies in political
science. Rather, political scientists rely on more on intuitive methods or factor analysis. Our paper argues that Cluster
Analysis is of great usefulness because it a) focuses on the relationship between cases and not variables and b) draws on
empirical data when identifying the clusters. Our paper provides two original examples from Comparative Politics and
Public Policy Analysis that illustrate the strength of Cluster Analysis both in testing and generating hypotheses through
the establishment of typologies. Looking at Intergovernmental Councils in federal systems, the .rst example shows how
Cluster Analysis can be used to test independent variables in order to check if the indicator they represent makes sense
and de.ne types of cases based on only those indicators that turn out to matter. The result of the Cluster Analysis,
hence, helps to adapt the initial theory. The second example classi.es evaluation clauses in Swiss laws to de.ne the
dependent variable and, based on that, develops hypotheses for further analysis. The examples show that Cluster
Analysis outperforms more intuitive typologies in managing a large number of cases and variables. Because typologies
established through Cluster Analysis rely on a straightforward methodology based on mathematical algorithms, the
overall validity of such a typology is higher than more intuitive forms of typology creation such as explanatory
typologies. This is because outcomes are easily replicable (reliability), because independent variables are tested for their
signi.cance (internal validity) and because the outcome of the cluster analysis offers criteria for the selection of typical
cases (“the best of its class”, external validity) for subsequent analysis, e.g. case studies. The fact that Cluster Analysis
does not rely on statistical assumptions such as a normal distribution, as does factor analysis as another type of
multivariate analysis, but bases its operations on measures of similarity and dissimilarity further increases the validity of
results.
Measuring the Tonality of Negative Campaigning : A Sentiment Analysis with
Crowdcoding
1
Haselmayer M., 1Jenny M.
University of Vienna1
In multi-party systems parties have to take future coalition negotiations into account when deciding whom to attack in
an election campaign. This paper proposes a new semi-automated procedure for measuring the tonality of negative
campaigning by parties, based on a dictionary of negative political vocabulary and crowd-coding the sentiment strength
of sentences. We present the basic steps of our measurement procedure and compare initial results with results from
manual expert coding.
Campaign research in political science has explored the reasons, the timing and the effects of rhetorical attacks on
political opponents in election campaigns on vote choice and turnout (e.g.: 1995; Ansolabehere et al. 1994; Finkel and
Geer 1998; Lau and Rovner 2009). Studies of negative campaigning initially focused on US elections with a two-party
system, but recently extended to European multi-party systems which exhibit more strategic complexity and frequently
require the formation of coalition governments. From a vote-maximizing perspective negative campaigning may pay off
for parties on election day, but then fail to translate into the much more valuable seats at the government table later
(Elmelund-Praestekaer 2008; Walter 2012).
Sentiment analysis or opinion mining (see Liu 2012 for reviews; Pang and Lee 2008) has immense potential for the
analysis of political communication and computational linguists have occasionally ventured into the study of political
texts. They analysed parliamentary speeches to determine the support for legislative proposals (Thomas, Pang and Lee
2006) and studied issue positions in online debates (Somasundaran and Wiebe 2010). Political scientists have also
42
introduced a variety of automated text analyses procedures to political science during the last two decades (Hopkins and
King 2010; Laver, Benoit and Garry 2003; Quinn et al. 2006; Schonhardt-Bailey 2008; Slapin and Proksch 2008; Van
Atteveldt 2008; Young and Soroka 2012).
Two major approaches dominate sentiment analysis (Wang et al. 2014). The dictionary based approach assembles a set
of words or phrases and establishes their polarity and intensity. The polarity and intensity of larger textual units is then
calculated from these dictionary entries (Lu et al. 2010; Momtazi 2012; Neviarouskaya, Prendinger and Ishizuka 2007;
Taboada et al. 2011; Thelwall, Buckley and Paltoglou 2012; Thelwall et al. 2010). A classi.cation-based approach starts
out from a set of pre-annotated sample of texts, e.g. rated movie reviews, and processes these with a statistical learning
algorithm (Pang, Lee and Vaithyanathan 2002; Turney 2002). The algorithm calculates word polarity and intensity
based on word occurrence and patterns in the training set and parameter estimates are then used for the sentiment
calculation of new texts. Hybrid approaches assign sentiment strength scores to dictionary words based on their cooccurence in texts with initial sets of pre-annotated ‘seed words’ (Hopkins and King 2010; Remus and Hänig 2011;
Remus, Quasthoff and Heyer 2010).
The measurement procedure presented in this paper is in the dictionary-based tradition. We describe the basic features
of our semi-automated approach for measuring the strength of negative sentiment expressed by Austrian political parties
in press releases during the last national election campaign of 2013. We create a sentiment dictionary of negative words
extracted from political texts and media reports. Through crowdcoding we establish the negative sentiment strength of
individual dictionary items in real political statements and then use the dictionary to establish the tonality of uncoded
negative statements. We compare the results from this rule-based estimation approach with results from manual expert
coding of a sample of statements.
Bibliography
Ansolabehere, Stephen, and Shanto Iyengar. 1995. Going Negative: How Attack Ads Shrink and Polarize the Electorate.
New York: Free Press.
Ansolabehere, Stephen, Shanto Iyengar, Adam Simon, and Nicholas Valentino. 1994. "Does Attack Advertising
Demobilize the Electorate." American Political Science Review 88(4):829-38.
Elmelund-Praestekaer, Christian. 2008. "Negative Campaigning in a Multiparty System." Scandinavian Political Studies
31(4):408-27.
Finkel, Steven E., and John G. Geer. 1998. "A Spot Check Casting Doubt on Demobilizing Effect of Attack
Advertising." American Journal of Political Science 42(2):573-95.
Hopkins, Daniel J., and Gary King. 2010. "A Method of Automated Nonparametric Content Analysis for Social
Science." American Journal of Political Science 54(1):229-47.
Lau, Richard R., and Ivy Brown Rovner. 2009. "Negative Campaigning." Annual Review of Political Science
12(1):285-306.
Laver, Michael, Kenneth Benoit, and John Garry. 2003. "Extracting policy positions from political texts using words as
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ST 11 : Philanthropie : affaires privées, enjeux publics
La lutte publique contre la tuberculose à l’épreuve des réseaux d’assistance
philanthropiques : la Catalogne républicaine 1931-1936
Miralles Buil C.
Université Lyon 2
Cette communication rend compte des enjeux que soulève l’effort de coopération entre les autorités publiques catalanes
et les œuvres philanthropiques dans le cadre de la lutte antituberculeuse dans l’Espagne républicaine.
L’avènement de la Seconde République en Espagne (1931) induit un double transfert de compétences vers la Generalitat
de Catalunya : descendant, depuis l’État et ascendant depuis les provinces. Ce renforcement institutionnel et politique
encourage la Generalitat à se lancer dans un grand projet de « refonte » des services d’assistance de prise en charge
sociale et médicale. Dans le cas de la lutte antituberculeuse, cette stratégie passe par création du Service d’assistance
sociale aux tuberculeux et vise à structurer la lutte en connectant entre eux les différents organismes publics et privés.
Bien qu’il ne s’agisse pas de faire concurrence aux réseaux privés d’assistance (associations philanthropiques, laïques
ou religieuses) ces dernières perçoivent largement ce volontarisme comme une intrusion des pouvoirs publics dans leur
« chasse gardée ». Les motifs de cette mé.ance sont multiples : des controverses politiques, universalisme vs charité,
mais aussi d’ordre socio-médical, modalité de traitement et de prise en charge.
Malgré la centralité de ces enjeux, les historiens qui se sont penchés sur cet épisode de l’histoire institutionnelle
catalane ne les ont que peu étudié (1). A l’inverse, plusieurs historiens français ont mis en évidence, dans d’autres
contextes et cadres géographiques, une situation plus complexe que la simple concurrence entre assistance
privée/traditionnelle et assistance publique/moderne (2). Ils ont montré comment la prise en charge publique, arrivée a
posteriori, vient souvent compléter un réseau privé, en insistant sur la nécessité de changer d’échelle et d’observer
l’interpénétration des réseaux (3).
Dans le cas catalan, si les tensions existent réellement, il n’en demeure pas moins qu’une réelle collaboration prend
forme en deçà des réseaux de soins, et est perceptible à l’échelle des acteurs individuels. Pour rendre compte de ces
transformations, une approche centrée sur les mutations institutionnelles doit être complétée par une étude des stratégies
à l’échelle individuelle. A ce titre les carrières médicales des patients nous informent sur les stratégies déployées par les
médecins pour pallier aux insuf.sances structurelles. En effet, ces patients circulent entre des lieux de soins privés et
publics, religieux ou laïcs au gré des lits disponibles. Ces circulations témoignent de l’importance des réseaux de
sociabilité des médecins dans la construction de lutte antituberculeuse.
En.n, l’apparition de nouveaux acteurs de la philanthropie change aussi la donne. Aux associations de lutte
antituberculeuse contrôlées par des comités de Dames et souvent créées sous le patronage de l’Église catholique, se
superposent de nouveaux acteurs laïcs, telles l’œuvre sociale de la Caisse de Pensions par exemple, dont la logique de
prise en charge semble plus proche de celle de la Generalitat. C’est souvent avec ces nouveaux acteurs que les autorités
publiques doivent et veulent s’accorder, considérant ces généreux donateurs comme plus aptes à prendre en compte des
logiques médicales modernes.
Pour étudier ces points, nous nous appuierons sur une étude des discours des médecins et des autorités de la Generalitat,
croisée avec les informations disponibles dans les .ches cliniques des lieux de soins barcelonais, qui nous permettent de
suivre les parcours des patients mais aussi d’observer la correspondance des médecins (4). Nous porterons une attention
particulière aux acteurs individuels, en nous intéressant à la mise en place d’une politique publique par le bas. S’il s’agit
d’apporter un éclairage historique à travers un cas d’étude précis, nous sortirons volontiers du cadre catalan pour
proposer des points de comparaison et développer une ré!exion plus générale.
Dans un premier temps nous montrerons comment la Generalitat tente de connecter les différents organismes de lutte
antituberculeuse dans une structure qu’elle dirige, pour ensuite passer à l’échelle des acteurs et observer une
collaboration entre médecins. En.n, nous ré!échirons au sens que prend l’apparition des « nouveaux philanthropes ».
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Editions Ouvrières, 1992, 337 p.
45
3. GUESLIN, André, GUILLAUME, Pierre, (dir.), De la charité médiévale à la sécurité sociale, Paris, Les Editions
Ouvrières, 1992, 337 p. BEC, Colette, L’assistance en démocratie, Les politiques assistantielles dans la France des
XIXe et XXe siècles, Belin, Paris, 1998, 254 p.
4. Voir ma thèse de doctorat d’Histoire : La tuberculose dans l’espace social barcelonais : 1929-1936, dirigée par JeanLuc Pinol (ENS de Lyon) José Luis Oyón (UPC), soutenue le 18 juin 2014.
Les fondations d’origine bancaire en Italie : quel rôle dans le domaine culturel ?
Quercia F.
Lyon 2
Les fondations d’origine bancaire représentent en Italie les acteurs philanthropiques les plus importants. Nées dans les
années 90, elles sont le résultat d’importantes transformations déclenchées par la loi 218/1990, visant à moderniser le
système bancaire italien. Nées d’anciennes banques, au début leur mission principale consistait dans la possession
d’actions dans les banques d’origine. Au .l des années, leur vocation philanthropique s’est accrue et on a assisté à un
processus d’autonomisation des fondations des banques d’origine (Barbetta, 2013). La naissance de ces organisations a
suscité de nombreux débats, concernant leur rôle ambigu, ainsi que leurs relations avec les banques et les pouvoirs
publics. Aujourd’hui, dans un contexte de retrait de l’Etat dans plusieurs domaines publics, ces débats sont d’autant plus
actuels, car les fondations revendiquent un rôle central.
Dans cette communication, nous analyserons le rôle que ces fondations jouent dans un secteur spéci.que de l’action
publique : le secteur culturel.
En nous appuyant sur une enquête ethnographique menée à Turin depuis trois ans, nous proposerons plusieurs
questionnements. Nous commencerons par questionner les relations que ces fondations entretiennent avec les pouvoirs
publics (Schuyt, 2010 ; Lefèvre et Charbonneau, 2011) pour ensuite analyser les conséquences des processus de
délégation aux fondations d’un ensemble de services publics sur le fonctionnement des associations (Lambelet, 2011)
dans le champ culturel. En.n, nous nous demanderons : quelles sont les représentations que ces associations ont de ces
nouveaux .nanceurs ? Quel type de discours mobilisent-elles a.n d’obtenir des .nancements, et quelles relations
entretiennent-elles avec eux ?
Un exemple de coproduction de l’intérêt général entre privé et public : la
reconnaissance d’utilité publique des associations et fondations en France
Gaboriaux C.
Sciences Po Lyon
J’aimerais ici partir du titre donné à la séquence, « les usages philanthropiques de la reconnaissance étatique », qui me
semble une bonne entrée en matière dans la problématique soulevée par le cas français. La question des « usages » y est
en effet rarement posée, dans la mesure où la reconnaissance étatique apparaît moins comme une ressource mobilisable
ou non en fonction des stratégies adoptées par les associations philanthropiques qu’une nécessité pour les groupements
dès lors qu’ils aspirent à se développer et qu’ils ont besoin à cette .n de moyens d’action élargis. C’est que la capacité
juridique des associations et donc leurs moyens de .nancement, croissent en fonction du degré de reconnaissance
étatique dont ces dernières béné.cient. Sans surprise dans un pays souvent taxé de jacobinisme, l’État semble donc
sinon tout-puissant, du moins en position d’arbitre dans le développement de la philanthropie. La pratique
administrative appelle pourtant à nuancer le jugement. Je tenterai de le montrer à partir de la procédure de
reconnaissance d’utilité publique des associations et des fondations telle qu’elle fonctionne depuis 1901, date à laquelle
la loi relative aux associations en fait le dernier degré de la hiérarchie des statuts juridiques réservés à ce type de
groupements.
1. La reconnaissance étatique comme condition d’existence et de développement de la philanthropie
1.1. Un système progressivement assoupli
Le système juridique qui encadre aujourd’hui la philanthropie en France a une origine ancienne, qui remonte au-delà de
la Révolution française, ce qu’on oublie encore trop souvent. Sous l’Ancien Régime, le droit des corps intermédiaires
repose sur l’idée que la personnalité morale ne peut être attribuée que par l’État et qu’elle est révocable à tout moment
par l’État, qui crée à son gré des « établissements d’utilité publique ». La procédure perdure après la Révolution
française : avec l’autorisation préfectorale, elle est l’un des seuls moyens légaux des associations dans la mesure où le
Code pénal promulgué en 1810 prévoit que « nulle association de plus de vingt personnes, dont le but sera de se réunir
tous les jours ou certains jours marqués, pour s’occuper d’objets religieux, littéraire, politiques ou autres, ne pourra se
former qu’avec l’agrément du gouvernement, et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer à la
société ». Il faut attendre 1901 pour que la loi consacre la liberté d’association, mais celle-ci est dissociée de la capacité
juridique, qui est accordée graduellement selon le statut des associations : quasi inexistante pour les associations non
déclarées, réduite pour les associations déclarées, élargie pour les associations reconnues d’utilité publique, qui peuvent
notamment recevoir dons et legs (tout comme les fondations reconnues d’utilité publique, qui ne disposent alors que de
ce statut). Depuis la loi n’a pas beaucoup changé, mais d’autres dispositifs sont apparus pour faciliter l’appel des
associations et fondations à la générosité publique : associations soumises au droit local d’Alsace-Lorraine, associations
46
cultuelles issues de la séparation de l’Église et de l’État en 1905, associations ayant pour but exclusif l’assistance et la
bienfaisance depuis 1933, auxquelles s’ajoute la recherche scienti.que ou médicale depuis 1987, unions agréées
d’associations familiales depuis 1945, fondations d’entreprise et fondations abritées depuis 1987, fondations de
coopération scienti.que depuis 2006, fondations universitaires et fondations partenariales depuis 2007, fonds de
dotation depuis 2008, fondations hospitalières depuis 2009.
1.2. Le monopole étatique de l’intérêt général
On s’intéressera ici uniquement à la procédure de reconnaissance d’utilité publique, qui est resté longtemps le statut le
plus favorable et qui est souvent mise en avant comme une caractéristique propre au système français. Pour Pierre
Rosanvallon, elle témoigne ainsi du « jacobinisme amendé » (Le Modèle politique français, 2004, p. 243) qui se met en
place à la .n du XIXe siècle et qui, tout en libéralisant le droit d’association, maintient une réticence bien française à
l’égard des corps intermédiaires. Trois aspects de la procédure en témoigne : 1) elle est réservée à une minorité de
groupements (entre 1000 et 2500 selon la période, aujourd’hui 1948 associations et 633 fondations – chiffres de
septembre 2014 – sur plus d’un million d’associations dont plus de 200 000 relèvent de l’action sociale et humanitaire,
éducation et formation comprises, et près de 180 000 défendent des droits et des causes – d’après Viviane Tchernonog,
Le paysage associatif, Dalloz, 2007) ; 2) elle est prise par décret en Conseil d’État, c’est-à-dire qu’elle n’est pas un droit
assorti de recours possibles mais un pouvoir discrétionnaire ; 3) elle a pour contrepartie la tutelle de l’administration sur
l’association (contrôle de ses comptes et de son fonctionnement).
On comprend dès lors que Pierre Rosanvallon y voie le maintien du monopole étatique sur l’intérêt général, qui selon
lui est ainsi mis « à stricte distance de l’activité sociale » (Le Modèle politique français, p. 349). Les débats
parlementaires qui ont présidé à l’adoption de la loi 1901 témoignent de la mé.ance alors entretenue par le législateur à
l’égard des initiatives privées, y compris philanthropiques, en particulier lorsqu’elles sont issues d’élites dont le
ralliement au nouveau régime n’est pas toujours évident. Tout se passe donc comme s’il s’agissait d’établir un contrôle
durable sur la société civile en réservant l’accès aux moyens d’action aux œuvres dont la loyauté au régime est assurée
et régulièrement véri.ée. A cet égard, c’est l’État qui fait « usage » de la procédure plus que les associations et
fondations philanthropiques qui seraient nombreuses à en avoir besoin : à travers des dispositifs variés, qui associent
toujours capacité juridique et tutelle administrative, il s’appuie sur des institutions privées pour assumer à peu de frais
ses nouvelles missions de service public, sans pour autant perdre la main sur la dé.nition de l’intérêt général. Il y a là
un point de crispation durable entre l’État et le mouvement associatif, comme en témoignent notamment les
Conférences sur la vie associative tenues en 2006 et 2009 animées du côté des représentants du monde associatif par le
souci d’obtenir une véritable « codétention de l’intérêt général ».
2. La reconnaissance étatique en pratique : les usages d’un label
2.1. La géométrie variable de l’intérêt général
Quand on se penche non plus sur les enjeux politiques et juridiques soulevés par la procédure de reconnaissance
d’utilité publique mais sur sa mise en œuvre concrète, les choses sont pourtant un peu différentes. Pour la première
partie du XXe siècle, l’étude est documentée par les archives du Conseil d’État déposées à Pierre.tte. Elles contiennent
en général le dossier de demande déposé par l’association ou la fondation, le rapport du bureau des associations du
ministère de l’Intérieur, fondé sur les avis du préfet et des pouvoirs publics locaux concernés, les notes et avis des
membres du Conseil d’État chargés d’examiner les demandes auxquels il faut parfois ajouter les retranscriptions des
discussions dans les sections ou à l’assemblée générale de la haute institution.
Ce qui frappe d’emblée, c’est le peu d’intérêt montré pour la dé.nition des objets concernés par l’utilité publique. La
plupart des dossiers témoignent plutôt d’une attention portée à des critères formels, comme la taille de l’association, sa
situation .nancière, la conformité de ses statuts aux statuts-modèles proposés par le Conseil d’État, son indépendance à
l’égard des pouvoirs publics, et du souci de respecter la jurisprudence. Il en résulte une ouverture relative de la
procédure qui, quoique réservée à un petit nombre d’associations, ne cible pas spéci.quement les associations
républicaines mais offre à une « nébuleuse réformatrice » issue d’horizons politiques divers (Topalov, Laboratoires du
nouveau siècle, 1999), les moyens de ses ambitions.
Dès lors, les frontières de l’utilité publique se révèlent évolutives. Non seulement les textes juridiques n’en donnent
aucune dé.nition, mais le formalisme du Conseil d’État permet une certaine souplesse quant au fond. La liste des
associations et des fondations reconnues d’utilité publique en est une bonne illustration. Elle révèle la mutation au .l
des ans des catégories (« refuge », « asile », « bienfaisance », qui apparaissent régulièrement dans les noms des œuvres,
laissent bientôt la place à « protection », « entraide » puis « assistance » et « action sociale » ; « vieillards » cède le pas
à « vieillesse » ou « retraite », etc.), des objets (avec notamment une spécialisation de plus en plus grande en matière de
santé) et des organisations (de la bienfaisance organisée sous la forme de la mutuelle ou du patronage à la philanthropie
professionnalisée). Faut-il y voir la volonté du Conseil d’État ? Les transformations sont tout autant à mettre sur le
compte des demandes, qui se transforment avec le temps. On le voit par exemple avec les réticences grandissantes
auxquelles se heurtent les associations philanthropiques fondées sur un réseau de sociabilité (comme les associations
d’anciens élèves ou d’élus) après avoir été largement encouragées par l’État. Progressivement concurrencées par des
sociétés beaucoup plus puissantes, mieux organisées et de portée nationale, elles apparaissent bientôt comme trop
étroitement repliées sur elles-mêmes aux membres du Conseil d’État : le tournant que manifeste la jurisprudence
renvoie ici à un changement plus général opéré dans la dé.nition sociale de l’intérêt général et qui pèse sur la nature des
demandes.
Il faut donc, comme nous y invitent les organisateurs de cette section thématique sortir des dichotomies trop rapides
opposant État et initiatives privées. L’étude en cours des relations sociales qui unissent les membres du Conseil d’État et
47
les représentants des associations reconnues d’utilité publique tend plutôt à con.rmer pour cette période l’existence
d’un espace social intermédiaire, largement dominé par la grande bourgeoisie, proche des gouvernants mais aussi
fortement impliqué dans la vie des sociétés philanthropiques les plus établies (Kaluszynski, « Réformer la société », in
Droit et Société, 1998). Au début du XXe siècle, la reconnaissance d’utilité publique apparaît ainsi souvent comme une
« faveur », un « honneur » (les termes apparaissent sous la plume des hauts-fonctionnaires) qui vient récompenser
autant l’œuvre que les personnalités qui la composent. Plus que la coupure entre État et société civile, elle conduit à
formuler l’hypothèse encore à démontrer d’une opposition élites sociales / classes moyennes et populaires et Paris /
province (aujourd’hui encore 866 sur 1948 associations reconnues d’utilité publique ont leur siège à Paris).
2.2. L’attrait de la consécration étatique
Alors que de nouveaux dispositifs rendent en partie inutile la reconnaissance d’utilité publique, en particulier le fonds
de dotation instauré par la loi du 4 août 2008 sur la modernisation de l’économie, la procédure reste pourtant
relativement prisée par les associations et fondations philanthropiques.
L’enquête est plus dif.cile à mener pour la seconde partie du XXe siècle et le début du XXIe siècle. Les premiers
entretiens menés semblent néanmoins con.rmer les conclusions des rapports et enquêtes menés par l’administration et
le mouvement associatif.
D’une part, si la reconnaissance d’utilité publique n’est accordée qu’au compte-gouttes et à l’issue d’un processus
souvent long, la tutelle administrative se révèle ensuite généralement plus légère que ne le prévoient les textes.
L’administration dispose en effet de peu de moyens .nancier et humain pour l’exercer et de peu de ressources juridiques
pour sanctionner les écarts. Pour reprendre l’expression des inspecteurs de l’administration Rémi Duchêne et Xavier
Guiguet : « entre le ‘laissez-faire’ ou l’avertissement amical et ‘l’arme nucléaire’ du retrait de la RUP, le panel des
sanctions est insuf.sant » (Rapport sur la tutelle administrative exercée sur les associations et les fondations reconnues
d’utilité publique, 2010, p. 20). Cette dernière concerne ainsi plus souvent des associations dissoutes ou disparues que
des associations et fondations peu scrupuleuses, que l’honorabilité de leurs objets rend dif.cilement attaquables.
Peu gênées par le contrôle de l’administration, les associations et fondations reconnues d’utilité publique béné.cient
d’autre part pleinement d’un effet de label, qui légitime leur action aux yeux du public et rassure les éventuels
donateurs. Qu’elle soit réelle ou minimale, la tutelle administrative est ainsi mise en avant par les établissements
philanthropiques dans leur communication à destination du grand public. Le « paradoxe » relevé par l’étude menée en
juin 2010 par le Centre français des Fonds et Fondations sur Les fondations et leurs parties prenantes selon lequel les
fondations af.rment être satisfaites du contrôle étatique auquel elles sont soumises tout en avouant pour un peu moins
de la moitié d’entre elles que la puissance publique agit en pratique comme une chambre d’enregistrement n’en est pas
un. Il s’agit là d’une réalité qui pro.te aux fondations même si elle est dif.cile à exprimer, d’où l’hésitation des
répondants qui estiment à 43,1 % que les pouvoirs publics « veillent surtout à ce que [leur] fondation s’inscrive dans
l’intérêt général et soit utile à la société » et à 48,5 % qu’ils « ne cherchent pas à intervenir dans les choix de [leur]
fondation » (p. 80-81) : comment en effet admettre le faible contrôle de la puissance publique sans saper les fondements
d’une légitimité par ailleurs construite en grande partie sur la tutelle administrative ?
Contrairement à ce que suggère l’édi.ce juridique mis en place au début du XXe siècle, qui semble reposer tout entier
dans la main de l’administration, l’application de la loi laisse en réalité une large place aux « usages philanthropiques de
la reconnaissance étatique ». Comme souvent en ce qui concerne le modèle politique français, la pratique vient ainsi
nuancer sinon contredire les principes af.chés. L’intérêt de l’objet encore peu étudié qu’est la procédure de
reconnaissance d’utilité publique va cependant au-delà de la question du rapport du droit à sa mise en œuvre : parce que
les acteurs de la procédure sont aussi et surtout des interprètes du droit et des producteurs de la jurisprudence, ils
contribuent en effet à produire de nouvelles normes qui façonnent à leur tour la culture politique française.
La philanthropie contre la pauvreté urbaine : une analyse par la réception
Duvoux N.
Paris Descartes
Cette communication se propose de développer une analyse dynamique de la philanthropie à partir de l'étude d'une
fondation indépendante qui vise à éradiquer la pauvreté urbaine à Boston. Par analyse dynamique, nous entendons la
volonté d'intégrer à la description et à l’analyse des modes d’action et de catégorisation mis en œuvre par cette
fondation la réception dont elle fait l’objet par les habitants qui s’investissent dans son « approche » ainsi que les
signi.cations que lui donnent ses salariés. Notre hypothèse est que cette réception est décisive pour comprendre la
manière dont cette fondation s'intègre dans le champ philanthropique et politique local et saisir sa place dans l'économie
d'ensemble de la fourniture de services sociaux aux Etats-Unis.
Huit mois d’enquête ethnographique sur deux ans, 52 entretiens avec des salariés et habitants participant aux activités
de la fondation constituent la matière de cette recherche. La Fondation pour le Rêve Américain (FRA), nom .ctif donné
à la fondation philanthropique étudiée, applique une idéologie de la « soutenabilité » qui valorise le savoir local. Nous
montrerons comment la fondation se dé.nit contre l’État social en ce qui concerne les valeurs au nom desquelles elle
intervient mais le fait sans remettre en cause les autres formes d’encadrement (dérégulation économique et incarcération
de masse) publiques des populations concernées.
48
L’Etat comme ressource symbolique dans le monde philanthropique ?L’exemple
des American Friends des institutions culturelles françaises
Monier A.
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales / Ecole Normale Supérieure
S’intéresser à la philanthropie, ce n’est pas simplement se pencher sur des actions privées accomplies au nom du bien
public, c’est aussi poser la question, en miroir, du rôle de l’État. Alors que le sens commun oppose souvent public /
privé, État / Philanthropie, comme si l’un excluait l’autre, il s’agit ici de souligner au contraire la porosité des frontières,
en montrant qu’il existe des relations entre autorités publiques et acteurs philanthropiques. Rares sont les chercheurs qui
ont abordé cette question (Rozier, 2001), ceux qui l’ont fait ont montré la complémentarité et les liens qui unissent
philanthropie et État (Schuyt, 2010 ; Zunz, 2012). Certains l’ont fait de manière indirecte, notamment en interrogeant le
rapport entre philanthropie et capitalisme (Abelès, 2002 ; Guilhot, 2006 ; Lambelet, 2014). Aborder la question de la
relation entre autorités publiques et acteurs philanthropiques, c’est s’interroger sur la nature de cette relation, et ainsi
tenter de la caractériser (s’agit-il d’un rapport de force ? d’une collaboration ? d’une complémentarité ?), c’est évoquer
les acteurs impliqués (qu’entend-on par « autorités publiques » ?), mais également en comprendre les implications, tant
pour la sphère publique que pour la sphère privée.
Nous allons nous intéresser ici à une forme particulière de philanthropie, celle de la philanthropie culturelle
transnationale, à travers l’exemple des associations d’American Friends des institutions culturelles françaises. Les
American Friends sont des associations américaines béné.ciant du statut de 501(c)(3) du code .scal américain, qui
permet à l’association et à ses donateurs de béné.cier de déductions .scales sur certains impôts, offrant ainsi la
possibilité de faire un don dé.scalisé à une organisation basée aux États-Unis, mais œuvrant pour une cause étrangère.
Pour lever des fonds, elles organisent pour les mécènes des événements et activités (dîners, conférences, gala, visites,
voyages etc) dans les deux pays. Il existe environ 2000 associations d’American Friends, et pour des institutions dans
de nombreux pays (tels que la France, Israël, l’Australie, la Guinée, la Thaïlande etc) et dans des domaines divers
(culturel, médical, éducatif, environnemental etc).
Cette analyse s’appuie sur une recherche qualitative menée dans le cadre de notre Doctorat sur la philanthropie
culturelle transnationale, et en particulier les associations d’Amis Américains (« American Friends ») des institutions
culturelles françaises (Le Louvre, l’Opéra de Paris, le Musée d’Orsay etc). Cette enquête repose sur des matériaux
divers : observations participantes (plusieurs mois de bénévolat auprès de certaines associations), entretiens (avec les
responsables de ces organisations, mais également avec les mécènes, ainsi qu’avec de nombreuses personnes des
mondes culturels, philanthropiques et diplomatiques français et américain), dépouillement systématique de la presse
écrite et web, analyse de la documentation produite par ces associations, ainsi que des archives de la Fondation
Rockefeller concernant le don de John D. Rockefeller au Château de Versailles, au Château de Fontainebleau, à la
cathédrale de Chartres et à diverses autres institutions culturelles.
Dans le cas des American Friends, les liens entre autorités publiques et acteurs philanthropiques sont nombreux. Cette
relation s’inscrit dans la nature même de ces associations, puisqu’il s’agit d’associations à but non lucratif qui lèvent de
l’argent privé pour des institutions publiques. Les acteurs publics impliqués sont très divers – des directeurs
d’institutions aux diplomates, sans oublier les conservateurs et autres fonctionnaires. Dans le contexte actuel de crise
économique, les ministères de tutelle appellent les institutions culturelles à augmenter leurs ressources propres a.n
d’accroître leur indépendance .nancière. Les échanges sont ainsi nombreux entre les deux sphères et les autorités
publiques sont très présentes sur la scène de la philanthropie culturelle transnationale, accompagnant les institutions
vers cette indépendance, mais acquérant également, dans le même mouvement, de nouvelles connaissances et pratiques
philanthropiques. Les modalités de ces liens étant multiples, nous allons ici nous centrer sur un seul de ses aspects.
Il s’agit ici de comprendre comment les autorités publiques soutiennent le développement de la philanthropie en offrant
aux acteurs philanthropiques les ressources symboliques à leur disposition. L’État apparaît ainsi comme une caution et
un élément de prestige – état de fait d’autant plus important qu’il s’agit d’élites américaines. Dans un premier temps,
nous nous intéresserons à l’ouverture des lieux culturels et de pouvoir pour les événements organisés par les American
Friends. Dans un second temps, nous nous pencherons sur le rôle des décorations et autres éléments de reconnaissance.
En.n, dans un troisième temps, nous aborderons le rôle diplomatique attribué aux associations d’American Friends.
Bibliographie
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Chicago Press, 2004
49
ROZIER Sabine, « L’Entreprise-providence, mécénat des entreprises et transformation de l’action publique dans la
France des années 1960-2000 », thèse sous la direction de Michel Offerlé, Paris, décembre 2001
SCHUYT, Theo N.M. « La philanthropie dans les Etats Providences européens», Revue internationale des sciences
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ZUNZ Olivier,La Philanthropie En Amérique: Argent Privé, Affaires d’Etat.
Fayard, 2012.
Le développement d’une philanthropie privée francophone au Québec : étude de la
Fondation Lucie et André Chagnon
Fortin M.
Université Laval
Un des aspects les plus intéressants de l’essor actuel de la philanthropie est le fait que celle-ci se développe non
seulement là où il existe une tradition philanthropique (États-Unis, France, Grande-Bretagne, etc.), mais aussi dans des
contextes où une tradition de la sorte était jusqu’à tout récemment quasi-inexistante. C’est le cas du Québec. Bien que le
Québec, société majoritairement francophone d’Amérique du nord, ait été fortement in!uencé par les traditions et
grands courants politiques, économiques et culturels français, britanniques et américains, la philanthropie ne s’y est que
faiblement développée tout au long du 20e siècle et a d’abord et avant tout été le fait des communautés anglophones et
juives, largement minoritaires et concentrées dans la région de Montréal. L’apparition d’une philanthropie d’affaire
privée francophone est donc un phénomène nouveau dans l’univers socio-économique québécois. Nous pouvons d’ores
et déjà retenir la création de la Fondation Lucie et André Chagnon (FLAC) en 2000 comme l’événement symbolique, le
moment charnière marquant l’arrivée d’une philanthropie d’affaires privée francophone au Québec. Dotée d’un capital
initial de 1,4 milliard de dollars faisant d’elle la fondation la plus riche au Canada, la FLAC, dont la mission est de «
prévenir la pauvreté » (FLAC, http://www.fondationchagnon.org), est rapidement devenue l’une des .gures de proue de
la philanthropie québécoise. Pro.tant d’un contexte marqué par la « crise des .nances publiques », les compressions
budgétaires, le désengagement de l’État et la volonté d’augmenter la place du secteur privé dans des domaines occupés
par l’État depuis les années 1960, la Fondation Chagnon est parvenue à signer des ententes de collaboration avec le
Gouvernement du Québec, qui, plus tard, deviendront de véritables « partenariats public-philanthropie », communément
appelés « PPP sociaux » et protégés par des lois adoptées par l’Assemblée nationale du Québec. Or, depuis quelques
temps, plusieurs voix issues du monde communautaire (équivalent du monde associatif en France), syndical et féministe
dénoncent ces « PPP sociaux », s’élèvent contre les pratiques et le discours de la Fondation Chagnon tout en critiquant
l’impact de la philanthropie privée sur l’action communautaire autonome, la défense collective des droits sociaux et sur
la démocratie. Une mobilisation d’une partie du milieu communautaire, syndical et féministe contre un certain type de
philanthropie semble donc être en marche au Québec comme en témoigne la création en 2011 de la coalition Non aux
PPP sociaux. Une pétition demandant le non-renouvellement des ententes entre la FLAC et le Gouvernement du Québec
de même qu’un vaste débat sur ce type d’ententes a d’ailleurs été déposée à l’Assemblée nationale au printemps dernier.
En date du 12 mai 2014, la pétition avait recueilli l’appui de 360 groupes de la société civile.
L’étude de cas que je mène sur la Fondation Lucie et André Chagnon dans le cadre de mon doctorat en sciences
politiques s’inscrit dans le prolongement des travaux qui tentent de développer une analyse critique du phénomène
philanthropique fondée sur des observations empiriques. Elle poursuit le travail de mise en lumière des contradictions et
des impacts de la philanthropie privée sur l’action communautaire et publique. Directement inspirée des travaux de
Donald Fisher (1983), Teresa Odendahl (1989), Nicolas Guilhot (2006), Frédéric Lesemann (2011) et Alexandre
Lambelet (2014), elle tente de pallier le manque d’études scienti.ques sur le sujet – du moins au Québec et sur la
philanthropie québécoise - tout en amenant un contrepoids au discours apologétique des fondations sur elles-mêmes, à
l’enthousiasme d’une kyrielle d’acteurs politiques convertis à la philanthropie et à la complaisance d’une partie des
médias face aux grands philanthropes. Dans la mesure où elle s’intéresse à des ententes entre des institutions publiques
et un organisme privé, elle tentera par ailleurs de faire ressortir les motivations et les arguments des tenants de la
philanthropie d’affaire privée à l’intérieur des ministères et institutions publiques. Mais surtout, elle s’intéressera aux
discours et pratiques de la FLAC, de même qu’aux critiques de ses détracteurs.
Ma démarche s’articulera autour de trois questions de recherche qui sont les suivantes : 1-Quelle conception de la
pauvreté le discours de la FLAC véhicule-t-il ? ; 2-Quelles sont les pratiques de gestion et .nancement de la FLAC dans
ses programmes de lutte à la pauvreté ? ; 3-Quels éléments du discours de la FLAC et quelles pratiques de gestion et de
.nancement de celle-ci génèrent des critiques au sein des groupes de la société civile ? Du côté des outils
méthodologiques, j’entends mener une recension des publications de la FLAC, des publications sur la FLAC et des
articles médiatiques sur la FLAC tout en réalisant une série d’entretiens semi-dirigés avec des intervenants
communautaires ayant collaboré avec la FLAC, des dirigeants et employés de la FLAC, des opposants à la FLAC
impliqués dans la mobilisation contre les PPP sociaux et des fonctionnaires ayant été impliqués dans le dossier des PPP
sociaux.
50
De quoi se rendre complice ? La philanthropie de changement social à l’épreuve :
l’ethnographie d’une fondation québécoise.
Lefèvre S.
UQAM
La philanthropie, telle qu’incarnée aujourd’hui par de grandes fondations privées, est le plus souvent assimilée à une
forme de privatisation et de dépolitisation de l’action publique. On entend par ce terme à la fois la prégnance d’acteurs
contestant aux élus et aux bureaucraties d’État le monopole de l’action, de l’expertise et de la légitimité pour intervenir
sur des enjeux d’intérêts communs. Mais également, la prééminence d’une vision technicisée des enjeux, où ne
s’affronteraient plus des visions clivées du monde mais de « bonnes pratiques » mises en concurrence sur une base
objective.
Nous voudrions ici nous arrêter sur une fondation québécoise, la Fondation de Mauges, qui contraste singulièrement
avec cette tendance. A plus d’un titre, elle possède un caractère atypique, voire énigmatique. D’un côté, elle présente les
apparences de la philanthropie la plus traditionnelle et la plus conservatrice : c’est une fondation à caractère religieux
(catholique), qui existe depuis plusieurs décennies (sous ce nom ou via des fonds préexistants) grâce à la dotation d’une
fortune privée (héritage légué) d’une donatrice qui a souhaité rester anonyme et ne s’implique pas dans la gouvernance
de la fondation. Pourtant, de l’autre côté, cette fondation défend une visée de justice sociale exigeante, en .nançant des
mouvements sociaux revendicatifs, et le caractère subversif de l’Évangile, dans une relation distante à l’institution
ecclésiale et aux pratiques pastorales traditionnelles. Sur son site Internet, elle se présente en faveur d’« un État qui joue
son rôle de leader, de régulateur, de législateur et de redistributeur de la richesse. Pour la Fondation [de Mauges], il
existe des causes structurelles à la pauvreté. Elle s'oppose à tout discours et pratique qui identi.e l'individu comme
l'unique responsable de sa situation ». A côté du type de projet soutenu, il faut en souligner les modalités ; la fondation
ne se présente pas comme un bailleur mais comme un « complice » des acteurs soutenus, et dont on souhaite accroître le
pouvoir d’agir par des pratiques d’accompagnement spéci.ques.
Par tous ses aspects, la Fondation de Mauges correspond à l’idéal-type de la philanthropie de changement social (Social
change Philanthropy ou Social Movement Philanthropy), synthétisé par Faber & McCarthy (2005). Ils désignent par là
des fondations privilégiant l’action collective, visant un changement structural ou systématique, respectant le principe
d’auto-détermination des groupes (grassroots) et augmentant leur pouvoir d’agir (community empowerment).
Autrement dit, la fondation doit ôter les barrières à la participation pour que les gens agissent par eux-mêmes et en leurs
noms, tout en privilégiant une approche par la défense des droits et non de charité compassionnelle ou d’expertise
prophylactique. Surtout, c’est moins le montant .nancier qui importe que la manière dont le don s’opère. Cet idéal-type
a notamment été fondé à partir de l’analyse du cas du Haymarket People’s Fund, à Boston, où des activistes siègent sur
le comité d’affectation des fonds, brisant symboliquement la distinction aidé/aidant. Mais une enquête ethnographique
au sein de cette fondation pointe également toutes les contradictions de cette philanthropie de changement social, et
notamment les dif.cultés à concilier l’ambition égalitaire avec d’irréductibles relations (et positions) de pouvoir d’un
point de vue social, racial, économique ou culturel (Ostrander, 1995). Ces tensions s’incarnent notamment dans les
processus d’évaluation et de reddition de comptes, qui objectivent des positions dissymétriques (Silver, 2007).
Autrement dit, il reste à comprendre, au-delà des ambitions af.chées, comment une telle organisation parvient à
concilier une relation d’accompagnement avec une relation de pouvoir.
C’est ce dé. organisationnel, en même temps que cet éclairage analytique, que nous nous proposons d’explorer à
travers le cas de la Fondation de Mauges, dans un contexte québécois bien particulier. En effet, de vives controverses
animent le secteur communautaire au Québec sur le rôle des fondations actuellement. En effet, des partenariats de
plusieurs centaines de millions de dollars ont été scellés au début des années 2000 entre le gouvernement provincial et
une fondation privée, la Fondation Chagnon, pour la conception et la mise en oeuvre de programmes sociaux. Ces
partenariats ont été perçus par de nombreux réseaux communautaires comme une prise de pouvoir des fondations dans
une province pourtant dotée d’un État social contrastant avec le reste du continent nord-américain (Leseman, 2011).
Mais aussi comme une remise en question de leur autonomie, de la part d’une fondation qui a mis en œuvre ces
programmes, au delà de l’apport .nancier, en imposant des thématiques et manières de faire aux acteurs .nancés
(Ducharme, Lesemann, 2011). Dans cette con.guration, le positionnement de la Fondation de Mauges, et notamment sa
volonté de ne pas être un simple bailleur mais un partenaire « complice » des groupes, si elle est pensée comme un
contrepoint par ses membres aux pratiques habituelles de la philanthropie .nancière, peut-être ressentie a contrario par
les acteurs communautaires comme une intrusion supplémentaire. Le paradoxe étant que cette fondation défend le rôle
d’un État social fort, tandis que le gouvernement sous-traite de manière croissante une partie du .nancement du secteur
communautaire aux fondations philanthropiques.
Notre communication s’appuie sur une enquête ethnographique au sein de la fondation, débutée en juin 2014. Après
avoir réalisé des séries d’entretiens avec les salariés, membres du CA et membres du comité de sélection des projets au
sein de la fondation, mais aussi avec des groupes .nancés, nous avons entrepris l’observation directe d’un séminaire de
ré!exion, de réunions de travail, de sélection et d’évaluation de projets, et de visites aux groupes sollicitant
l’accompagnement de la fondation. Il s’agit pour nous de saisir dans ces situations comment se règle, au niveau microsociale de l’interaction concrète entre la Fondation de Mauges et les groupes qu’elle .nance, une relation de pouvoir
plus macro-sociale, à travers laquelle sont en jeu les prérogatives respectives des acteurs communautaires, des
fondations et de l’État. Le dé. est de penser l’articulation des deux échelles (la manière dont des rapports de force et de
sens macro-sociaux cadrent une interaction singulière), mais aussi leur dissociation potentielle, quand la complicité «
subjective » vécue au niveau micro-sociale entre la fondation et le groupe communautaire est dédoublée, malgré elle,
par une complicité « objective » entre l’action de la fondation et une prise de pouvoir plus générale de la philanthropie
sur le .nancement des acteurs communautaires.
51
Bibliographie
Ducharme, E., Lesemann, F. 2011. « Les fondations et la “nouvelle philanthropie » : un changement de paradigmes
scienti.ques et politiques », Lien social et Politiques, 65, p. 203-224.
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Temple University Press.
Silver I., 2007, « Disentangling Class from Philanthropy: The Double-edged Sword of Alternative Giving », Critical
Sociology, vol. 33, no. 3, p. 537-549.
« Faire le bien » ou « Bien le faire » ? Etude de cas de la professionnalisation du
champ philanthropique en Suisse.
Lambelet A.
HES-SO
La pratique philanthropie est le plus souvent considérée comme la forme emblématique du don gratuit et sans retour, «
une action volontaire en faveur du bien public », et est dès lors, de manière quasi générale, étudiée à l’aide des outils de
l’anthropologie du don. Pourtant, la philanthropie et la pratique philanthropique ne peuvent se résumer à un acte de don
d’un individu. Au contraire, prenant le plus souvent la forme de fondations, voilà des structures qui survivent à leurs
donateurs et qui constituées sur ce fonds, ont vocation (pour l’éternité le plus souvent) à poursuivre les buts initialement
donnés à la fondation. Dirigées par des conseils de fondations qui peuvent inclure, ou non, des héritiers, elles
regroupent des professionnels qui ont pour tâche de conduire, au jour le jour, leur action. « Faire le bien », « améliorer
le sort d’autrui », « permettre l’expression de jeunes artistes ou la diffusion d’œuvre artistiques » participe alors bien
des objectifs de ces professionnels qui ont à cœur et pour rôle de mener à bien la mission con.ée à la fondation au
moment de sa création. En même temps, la complexité de la pratique philanthropique ne saurait être comprise en lien
avec cette seule diade « fondation » - « béné.ciaires ».
Cette communication veut questionner cette diade « fondation »-« béné.ciaire ». En prenant en compte également les
enjeux propres aux professionnels des fondations au regard de la concurrence ou de l’émulation qu’ils peuvent
poursuivre avec d’autres fondations (et plus généralement face aux discours portés par les promoteurs de la
philanthropie que sont les associations de fondations) mais également du positionnement de la philanthropie face à
l’action étatique, elle veut montrer combien un projet philanthropique, s’il vise bien un but d’utilité publique, ne prend
tout son sens que face à d’autres auditoires que sont les autres fondations donatrices et l’Etat.
Ainsi, à partir d’une ethnographie d’un projet, à savoir le soutien accordé par une Fondation philanthropique suisse dans
le domaine social, et en l’insérant dans les débats et enjeux propres au secteur de la philanthropie contemporaine, cet
article voudrait tenter de mettre au jour les logiques d’action propres à ce champ de la philanthropie, analyser les
pratiques concrètes de ces acteurs, pratiques qui sont les grandes absentes de la littérature. A travers l’étude de cas, il
s’agit dès lors de comprendre les enjeux, pour de telles fondations, du soutien et des projets, de ré!échir à ce qui fait
courir les fondations, leurs présidents et leurs directeurs, de comprendre le jeu auquel ils participent, a.n de montrer
comment cette conduite de projet ne saurait être comprise si l’on ne l’insère pas dans des dynamiques plus larges mais
tout aussi chères aux professionnels de la philanthropie. Bref, d’informer sur la pratique philanthropique aujourd’hui.
Le choix de travailler sur la Suisse comporte un second intérêt. Si le cas nord-américain est le plus (ou le seul) étudié,
même par les chercheurs francophones (on peut citer par exemple, Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street
de Nicolas Guyot, Les nouveaux riches. Un ethnologue dans la Silicon Valley de Marc Abélès et surtout, pour des
études concrètes de projets, « Un laboratoire urbain. New York sur le policy market de la lutte contre la pauvreté »
d’Elisa Chelle ou « La philanthropie contre la pauvreté urbaine. Etude de cas à Boston » de Nicolas Duvoux), tous ces
travaux proposent invariablement des études sur la philanthropie américaine et involontairement, participent à la
construction d’un exceptionnalisme américain (Elisa Chelle insistant sur le rôle pionnier de la ville de New York, quand
Nicolas Duvoux « culturalise » l’action de la fondation qu’il étudie, celle-ci étant pour lui l’illustration d’une
conception américaine de la pauvreté qui conduit à une valorisation des solutions en termes de community organizing).
Si cet article n’a pas prétention à répondre au problème de la circulation des idées en termes de politiques sociales, ce
regard décentré sur un autre contexte social et politique, par la mise en évidence d’un certain nombre de mécanismes
similaires, oblige néanmoins à questionner le degré de réalité de cet exceptionnalisme américain.
52
Du risque d’être philanthrope
von Schnurbein G.
Université de Bâle
Dans la compréhension actuelle, la philanthropie est captée amplement et englobe toutes les actions volontaires privées
ayant un but d’utilité publique. Malgré cette compréhension positive orientée vers le bien commun, la philanthropie ou
soit les philanthropes sont critiqués régulièrement. Les philanthropes bien trop généreux sont rapidement taxés de
poursuivre des objectifs privés et de se mettre au point de mire. C’est la raison pour laquelle beaucoup des
philanthropes en Suisse cherchent la protection de l’anonymat ce qui est contradictoire au comportement favorable à la
société. Les philanthropes sont stylisés comme surhommes et la déception est grande (même) quand ils agissent que de
façon humaine. Les projets de la philanthropie privée sont clairement plus rigoureusement jugés que les programmes de
soutien gouvernementaux ou les activités des organisations à but non-lucratif et « démocratiques ». Dans les journaux,
on trouve les articles sur la philanthropie le plus souvent dans la rubrique d’économie, pas dans celle de la société.
J’aimerais dans mon exposé aborder les problèmes de décision du philanthrope, et analyser de plus près les risques qu’il
encourt. Me fondant sur l’éthique du risque, je montrerai que la philanthropie recèle des risques tant pour le
philanthrope que pour le destinataire au sens large (le béné.ciaire direct, son entourage, la société). Le philanthrope
risque de perdre de l’argent et de s’exposer publiquement. Le destinataire risque un changement de sa situation de vie,
la simpli.cation de problèmes sociaux, la non prise en compte et .nalement, une mauvaise allocation
53
ST 12 : Penser le présent politique
Changements climatiques : quels effets sur le rapport entre l’espace d’expérience
et l’horizon d’attente?
Arif.n Y.
Université de Lausanne
Ma contribution examinera la problématique des changements climatiques à la lumière du millénarisme. Ce topos se
fonde sur une représentation ambivalente de l’histoire. Bien qu’il ait pour horizon d’attente un règne de bonheur, son
espace d’expérience se situe dans un crescendo d’épreuves notamment environnementales. L’attente millénariste
associe en effet souffrance et bonheur, destruction et restauration. C’est un temps d’inquiétude et d’espérance où le
motif apocalyptique est agité pour faire valoir – ce sera l’argument central de ce papier – la nécessité d’une
réorganisation sociale.
Je commencerai par présenter brièvement trois .gures distinctes du millénarisme. Celle d’abord de l’Antiquité tardive,
qui s’intègre à des prophéties de consolation cherchant à ampli.er auprès de communautés victimes de persécutions la
valeur rédemptrice de leur lutte pour la reconnaissance du christianisme. Celle ensuite des Réformés au XVIe siècle, qui
voit dans les dérèglements climatiques autant de signes d’une rénovation future de l’Église. Celle en.n, à l’âge
classique, des rosicruciens, puis surtout de Bacon, voyant l’accomplissement des temps dans cette grande instauration
des sciences qu’il s’agit de réaliser.
Avec la problématique des changements climatiques – objet de la deuxième partie de ma contribution – émerge une
quatrième .gure du millénarisme. Historiquement associée à une crise énergétique, cette problématique a .ni par
conduire les plus réfractaires à accepter la nécessité d’engager un processus de réorganisation sociale susceptible à tout
le moins de réduire la dépendance aux énergies fossiles. Les avis restent cependant partagés sur les transformations
socioéconomiques à effectuer. Pour les uns que l’on peut quali.er de réformateurs of.ciels (comme Crutzen, inventeur
du néologisme “anthropocène”), la solution se trouve dans la perfectibilité humaine qui s’incarne dans cette
technostructure industrielle dont ils restent convaincus qu’elle saura remédier au problème en développant les énergies
renouvelables, en améliorant l’ef.cacité énergétique, en créant de nouveaux mécanismes de marché incitatifs. Pour les
autres, en revanche, la solution doit passer par la décroissance, impliquant une rupture avec la société industrielle.
Ma conclusion sera suggestive. Si le discours millénariste a été associé à tant de grandes transformations, c’est peut-être
parce qu’il s’agit d’un émotif, autrement dit d’un énoncé qui, à la façon des performatifs, a pour fonction propre
d’effectuer une action, mais en l’occurrence de si grande envergure que seule la peur peut en être l’aiguillon pour autant
que celle-ci ne verse pas dans la terreur mais soit bornée par un horizon d’espoir. Les émotifs comportent, en effet, les
trois aspects relevés par Austin pour l’analyse des performatifs. Ils sont dotés de signi.cation (acte locutoire) ; ils
investissent le discours dans lequel ils s’insèrent d’une force particulière (acte illocutoire, comme l’ordre,
l’avertissement ou la promesse) ; et ils visent à produire chez le destinataire des effets consécutifs (acte perlocutoire).
En signi.ant certaines émotions, l’intention – ou force illocutoire – des émotifs consiste à les intensi.er, et, ce faisant,
modi.er, déplacer ou dénier d’autres perceptions possibles de l’objet qu’elles visent.
Les subjectivités contemporaines comme voie d’accès au présent : une question
politique et anthropologique
Moucharik S.
Université Paris 8
L’on s’accorde pour af.rmer que le présent est dif.cile à identi.er ; d’où la nécessité de le placer sous le signe de la
singularité. Encore faut-il choisir la voie d’accès à son identi.cation et à son analyse.
Parmi la multiplicité « des rapports possibles au présent », la communication proposée traitera justement des
subjectivations du présent telles qu’elles sont effectuées par les gens. Par là, j’entends l’ensemble des énoncés et des
thèses problématisant des situations contemporaines – qu’elles soient des situations de rupture ou dites « ordinaires » –
et formulés par les gens, à savoir des habitants d’un pays ou de quartiers populaires, des paysans, des jeunes, des
ouvriers, des femmes …
Ces subjectivités se caractérisent comme singulières et elles participent pleinement de la singularité subjective du
présent.
La saisie de cette forme de subjectivité permet d’accéder à des pensées qui ne doivent pas être confondues avec des
savoirs, des récits ou des discours que les gens peuvent produire à propos du réel. Cette saisie est indispensable dans le
projet de « penser le présent politique ». D’une part, parce qu’aucune théorisation politique ou scienti.que ne peut
prétendre déterminer les formes de pensée contemporaines. D’autre part, parce que notre époque se caractérise par une
grande volatilité et une multiplicité des subjectivités.
Une démarche anthropologique a été fondée dans les années 1980 pour susciter ou recueillir les subjectivités
contemporaines ainsi que pour les analyser en procédant en intériorité : l’Anthropologie des singularités subjectives. Je
proposerai d’exposer les ressorts théoriques et méthodologiques de cette démarche. Tout d’abord, je reviendrai sur son
54
élaboration telle qu’elle a été effectuée par son fondateur, Sylvain Lazarus, à partir du bilan de la .n du marxisme et
précisément la critique et le dépassement de l’historicisme propre au marxisme, critique qu’il a élargie aux sciences
sociales. A partir d’une conception renouvelée de la politique – mais qui ne s’y réduit pas – et à partir d’enquêtes
d’usines auprès d’ouvriers, S. Lazarus met au point un dispositif d’enquête basé sur des entretiens. Je présenterai donc
ce type d’enquête. Je montrerai ainsi que la saisie des subjectivités des gens à propos d’une situation ou d’un lieu se fait
notamment par l’identi.cation et l’analyse des mots qui se trouvent être problématisés. A titre d’illustration, j’exposerai
quelques résultats tirés d’enquêtes ayant adopté cette démarche anthropologique. Ce travail sur les mots constitue
d’autant plus la voie d’accès au présent que les mots sont devenus errants, qu’ils ne sont plus en partage entre l’espace
étatique et militant, les sciences sociales et les gens.
A côté d’autres disciplines ou démarches, l’Anthropologie des singularités subjectives propose de mettre au jour les
mots et les catégories épuisés et ceux qui apparaissent. Il s’agit bien d’une tâche aussi circonscrite qu’exigeante dans
une séquence où le mot même de « politique » est congédié ou très dif.cilement saisissable.
Mémoire et logique du présent: le cas d'une société minoritaire au Canada,
l'Acadie
Belkhodja C.
Université Concordia
Cette communication propose une analyse du rapport entre passé et présent en prenant comme étude de cas une petite
société minoritaire en Amérique du nord, l'Acadie du Nouveau-Brunswick. Il s'agit de présenter une lecture
phénoménologique de l'expérience acadienne dans un contexte identitaire et socio-politique en mutation depuis les
années 2000. Société francophone voisine du Québec, l'Acadie a pu se constituer comme une entité à ambition nationale
autour d'un projet de société formé autour d'une représentation territoriale et de valeurs communes : religion catholique
et langue française. Une tradition sociologique québécoise et acadienne (Fernand Dumont, Jacques Beauchemin, Joseph
Yvon Thériault) analyse bien la construction d'un récit fondateur, considéré comme un élément essentiel de la vitalité du
fait francophone. Mais, aujourd'hui, tout semble basculer avec l'émergence d'un temps nouveau qui signi.e pour
certains intellectuels l’effacement de la possibilité de faire société. Notre objectif est de questionner cette posture
intellectuelle et de proposer les contours d'un vivre ensemble différent. Que signi.e vivre dans le présent pour une petite
société francophone? Comment aborder cette problématique du présent?
Les postcolonialités du présent
Michel N.
Université de Genève
La pensée critique postcoloniale contemporaine soutient l’idée d’un emmêlement des temps. Ses catégories d’analyse
supposent une intrication complexe et non linéaire entre le présent, le passé, et le futur. C’est à travers ce prisme des
temps emmêlés qu’elle propose de faire sens de notre « présent postcolonial ». Quelles pensées et quelles politiques des
temps sous-tendent ce projet ? Vers quelle conception de la démocratie font-elles signe ? Qu’advient-il des catégories de
la modernité politique démocratique, telles que le « sujet », le « citoyen », le « corps » ou encore le « changement social
» lorsqu’on les observe à travers le prisme postcolonial ? Cette contribution se propose de dégager des pistes de lecture
de notre présent politique par le biais d’une exploration en trois temps d’un corpus de textes contemporains qui, bien
qu’ils s’ancrent dans divers courants des études critique de la « race » et de la postcolonialité, semblent se rejoindre
dans leur questionnement explicite des politiques du temps.
Dans un premier temps, cette contribution propose de revenir sur les apports spéci.ques des pensées postcoloniales à la
critique du temps linéaire et de l’idéologie du progrès. Qu’ils se réclament de la pensée radicale noire (Paul Gilroy,
Achille Mbembe, Hortense Spillers), des études subalternes (Dipesh Chakrabarty et Gayatri Spivak), de la critique
littéraire postcoloniale (David Scott, Homi Bhabha) ou encore de l’étude de l’histoire publique (Michel-Rolph
Trouillot), les critiques questionnent la portée prétendument universaliste, le caractère eurocentré, et la dimension
raciale et coloniale de la conception du « temps en !èche » qui a prévalu au sein de la pensée politique classique et
marxiste. Ces critiques proposent de partir de l’expérience de la marque du « retard permanent » portée par le sujet de
la différence raciale pour élaborer une pensée alternative du temps et de l’historicité.
Dans un deuxième temps, cette contribution veut offrir une exploration des notions forgées par ces pensées alternatives
du temps. Elle passe en revue un certain nombre de notions épistémologiques et éthiques – citons en exemple les «
futurs façonnés » de David Scott, l’ « authenticité historique vis-à-vis du présent » de Michel Rolph Trouillot, les «
passés projectifs » de Homi Bhabha ou encore les « temps nègre » d’Achille Mbembe. Appréhendé depuis ces notions,
le « présent » émerge comme une con.guration opaque, comme un moment instable, intrinsèquement formé par des
temps en luttes, hanté par des passés et des futurs. Par conséquent, le « présent postcolonial » se révèle toujours pluriel,
dans ses à-venir tout comme dans ses ayant-été. Quels sont les apports critiques et heuristiques d’une telle politique des
temps postcoloniaux pour une théorisation de la démocratie ? C’est sur cette question que se penche le troisième temps
de cette contribution.
55
Le temps comme discours
Sgier L.
Central European University Budapest
Dans cette contribution, j'aimerais questionner les constats alarmistes "d'oubli" du passé et de "disparation" du futur à
partir d'une perspective d'analyse de discours : en prenant le terme de "régime" au mot (dans son sens foucaldien), on
doit se demander de quel régime de vérité ces discours font partie ; de quel passé et quel futur (à qui, dans quel espace
spatio-temporel) ils parlent ; sur quelle sélection de "faits" le "diagnostic" d'un régime de "présentisme" repose et quelle
autre sélection de "faits" aurait été possible ; et .nalement quels sont les effets d'une telle construction du monde, pour
le moins discutable pour peu que l'on regarde au-delà du niveau des débats "intellectuels", de l'Europe occidentale, et/ou
que l'on adopte une perspective un tant soit peu sociologique. En somme, cette contribution questionnera les ré!exions
historico-normatives sur la temporalité non pas en tant que "constats de fait" mais en tant que discours qui posent par
dé.nition la question de leurs conditions de possibilité et de leurs effets en termes de pouvoir.
Majorité et autonomie
Caumières P.
Éducation nationale
Si l’on admet avec Claude Lefort que la démocratie est un régime d’indétermination foncière, il faut reconnaître qu’il
ouvre à une interrogation sans .n quant à son ordre, imposant aux citoyens une remise en cause permanente de leur
approche de ce qui est juste ou non. Lefort a du reste bien souligné l’« épreuve » que représente « la dissolution des
repères de la certitude » et le risque qu’elle fait encourir à la société démocratique devenue par là insupportable à
beaucoup.
Cela conduit à entendre la devise des Lumières, qui demande d’avoir le courage de penser par soi-même et de devenir
effectivement « majeur », comme une exigence d’ordre pratique. Dégagée de toute perspective téléologique, elle ouvre
ainsi une interrogation portant tout à la fois « sur le sens philosophique de l’actualité » à laquelle le penseur appartient
et sur le « nous » auquel il est rattaché et à l’égard duquel il doit se situer. Selon Foucault, s’inaugure là une nouvelle
approche de la modernité comme « attitude » qui relève d’une « ontologie de l’actualité » engageant un rapport à soi
dans la conscience de son inscription dans un temps déterminé. C’est sans doute au travers du célèbre texte de Kant
consacré à l’Aufklärung que se manifeste le mieux cette ré!exion philosophique qui ne vise plus à préciser les limites
assignées à l’esprit humain en quête de savoir, mais qui envisage un nouveau rapport à soi comme sujet autonome.
Cette dimension pratique que Foucault décèle chez Kant nous paraît d’autant plus précieuse qu’elle permet de dé.nir la
majorité comme capacité à accepter l’indétermination foncière du social, seule manière comme nous savons de garantir
la liberté. Elle pèche toutefois pour ne pas tenir compte de la dimension collective, ce qui conduit à tenter de la ressaisir
dans la perspective du projet d’autonomie compris avec Castoriadis comme signi.cation imaginaire. Si cela nous
détourne de toute philosophie de l’histoire pour envisager celle-ci dans toute sa dimension créatrice, il est alors possible
de capter le présent dans ce qu’il est sans s’accorder pleinement à lui, de l’imaginer autrement qu’il n’est à partir de luimême, en repérant ce qui en lui renvoie à la signi.cation que nous entendons promouvoir, à savoir l’autonomie. Celle-ci
apparaît dès lors comme ce qui, tout en étant inscrite dans le présent, le transcende. On peut dès lors entretenir une
relation critique avec le passé, seule manière de n’être pas dominé par lui, en redonnant toute leur importance à certains
moments n’ayant pourtant guère duré. Ces « rares moments heureux », comme dit Arendt, où liberté et égalité sont
allées de pair, ne sont nullement des modèles, mais des exemples qui attestent que l’aspiration à l’autonomie n’est pas
un rêve impossible.
Penser une Politique Charismatique : Une Exploration de la Présence Dialectique
Merleau-Pontien
O'Brien J.
Oregon, USA (Ret.)
Comment dépasser la stase politique actuelle, gelé entre un pilier néo-réactionnaire et un poteau néo-révolutionnaire ?
Pourquoi pas de présence politique active qui s’accorde avec les principes démocratiques, d’une nature charismatique
mais dépersonnalisée et qui revitalise d’une façon af.rmative les institutions essentielles pour le bien-être général et la
stabilité collective ?
En assumant qu’on ne jette pas toutes les anticipations des Lumières par la fenêtre, une possibilité pour penser le
présent politique différemment serait de commencer par une relativisation du cadre temporel du champ démocratique.
On pourrait réorienter la perspective d’interrogation, du présent politique, à la présence politique. L’objectif d’un tel
changement serait le déclenchement de processus charismatiques à l’intériorité du système sociétaire, sans imposition
des formalismes politiquement rigides de l’extérieur.
Dans cette communication, on explore la possibilité que la dialectique-politique avancée par Maurice Merleau-Ponty
dans son Aventures de la Dialectique (1955) serve comme un trampoline pour une telle transmutation ; que le processus
méthodique au milieu de ses interrogations illustre et explique la réalité dynamique, entre {le citoyen et son futur},
entre {la société et son avenir}, et entre {les institutions historiques et leur présence active} ; et vers une postmodernité,
56
semble-t-il.
Les moments historiques importants sont toujours accompagnés par un mélange de réponses contemporaines pour les
veilles questions et par une mise en question des ambigüités vives, associées aux tensions entre chaque peuple et tous
les autres, mais aussi entre l’ensemble des peuples et notre environnent commun. Dans cette condition historique
mondialisée, l’objecti.cation des enjeux qui animent la politique sont d’un ordre nouveau ; qui obscurcit l’interactivité
essentielle entre {intérêts individuels et intérêts collectifs}, sur laquelle toute négociation politique est fondée. Le
résultat est une démobilisation de la dynamique politique, et un débat muet. Il faut revivi.er l’actualité du
comportement collectif en grande allure.
D’une perspective dialectique, il y a maints points de contradiction contemporaine : pourquoi les sociétés obsédées par
la notion d’ef.cacité instrumentale, gaspillent les ressources naturelles et limitées dont dépend leur lustre technologique
? Pourquoi les sociétés déclarées être orientées par les principes de liberté et justice génèrent avec leurs institutions
of.cielles autant de limites sur l’autonomie individuelle et d’inégalités catégoriques ? Pourquoi les sociétés constituées
comme réponse aux entraves des dogmatismes aveugles, sont-elles colonisées par autant d’intolérance entre les élites et
les sous-communautés diverses qui marquent une société ouverte ?
Quel rôle pour les intellectuels dans cet enjeu, pour propulser une présence-politique dialectique, actuelle, omniprésente
et charismatique ? Comment éviter de n’être que les serviteurs de ceux qui sont déjà ou voudraient être les Princes de la
politique ? Comment contribuer à la construction pragmatique de règles aux quelles les chefs gouvernants devraient se
confronter ? Pour penser différemment, il faut agir autrement ; pour ouvrir un chemin attirant vers un avenir prometteur
en évitant les options Faustiennes : entre le ‘comme il fut jadis’ de la part de ceux qui portent une admiration presque
religieuse pour un passé qu’ils imaginent doré ; vis-à-vis de ceux qui rêvent d’un avenir idéel dans un futur au-delà de
tout horizon.
Bibliographie
Burckhardt J (1860; Tr-Eng 1878; 1954) The Civilization of the Renaissance in Italy. New York, NY: Random House.
Chollet A (2012-a) La Modération, une vertue? (Un Recensement de: Aurelian Craiutu, A Virtue for Courageous Minds.
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Godin C (2004) Dictionnaire de Philosophie. Paris Fr : Fayard.
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Le présentisme comme dépassement de l’antinomie moderne
substantialisme/historicisme ?
Gendreau G.
Université d'Ottawa
Cette proposition vise à interroger l’apport de la notion d’historicisme, entendu comme « la philosophie du relativisme
historique » (Aron : 11), dans la ré!exion autour du présentisme contemporain. Si l’on souscrit à l’hypothèse du
présentisme comme régime d’historicité contemporain (Hartog), ayant succédé au régime d’historicité moderne,
caractérisé par les « grands récits » (Lyotard), tant l’historicisme que le présentisme représentent alors des alternatives
au régime d’historicité moderne que sous-tendaient les « philosophies spéculatives de l’histoire » (Lagueux). Alors que
le terme de « présentisme » n’est apparu que récemment, nombre d’auteurs relient l’historicisme à l’histoire de la
modernité elle-même. Oexle considère l’historicisme comme « un phénomène fondamental et constitutif de la
modernité, comparable aux Lumières, à la Révolution, à l’industrialisation, la technicisation et la scienti.sation de
toutes les sphères de la vie » (Oexle : 53). On retrouve la même idée chez Monod, qui, reprenant les propos de Hans
Blumenberg, fait de l’historicisme un produit de la rationalité moderne (Monod : 219). En effet, l’historicisme est une
57
idée phare de la modernité qui comporte en elle-même, dans ses versions les plus fortes, une aporie : celle du
relativisme. Cette aporie, si elle a été soulignée dès la .n du 19e siècle, notamment chez les tenants de la « philosophie
allemande critique de l’histoire » des Dilthey, Troeltsch, Rickert, Simmel, Weber (Aron), s’est perpétuée jusqu’à nos
jours. Il ne s’agit évidemment pas d’af.rmer que le présentisme comme tel était déjà présent au sein de la matrice
moderne, mais plutôt de rappeler que cette tension essentielle entre substantialisme historique, entendu comme « vision
totalisante de l’histoire » (Schumm : 99-100), et historicisme, a traversé la conception moderne de l’Histoire. Dès le
départ, l’historicisation générale de tous les termes de la vie sociale a été travaillée de l’intérieur par une perspective
plus perspectiviste (d’abord chez Nietzsche, puis, notamment, chez Mannheim). Elle s’est également fait sentir de plus
en plus dans la manière qu’ont eu les sciences sociales d’appréhender le monde, de sorte que la part compréhensive,
voire constructiviste, inhérente au travail de l’historien et du sociologue, a donc été largement reconnue. Or, dans ses
versions radicales, l’historicisme constructiviste en vient à dénier toute possibilité d’objectivité à la connaissance,
mettant ainsi en péril la valeur épistémique des propositions sociologiques sur le monde, en ramenant constamment
celles-ci à leurs conditions d’élaboration.
L’on est ainsi en mesure de se demander si cette antinomie moderne ne se serait pas résolue, dans le sillage d’un
dépassement de la modernité, par une forme nouvelle d’historicisme, représentée par le présentisme ? En d’autres
termes, le présentisme contemporain serait-il une façon, éminemment critiquable, de surmonter cette tension moderne
entre substantialisme et historicisme ? Le présentisme apparaîtrait dès lors non pas tant comme une radicalisation de
l’historicisme moderne, mais plutôt comme la victoire du perspectivisme nietzschéen sur le substantialisme historique,
ainsi que sur l’historicisme plus modéré des tenants de la philosophie critique allemande de l’histoire. Cette forme
d’historicisme mesuré semble aujourd’hui effectivement perdu de vue, spécialement au sein des sciences sociales. Or, si
chaque régime d’historicité va de pair avec une certaine forme de subjectivation (Benoist et Merlini : 13), quelle .gure
du sujet connaissant des sciences sociales « présentistes » dessinent-elles ? Cette interrogation sur les rapports entre
présentisme contemporain et historicisme moderne serait peut-être à même de nous éclairer sur cette forme de
subjectivité nouvelle.
Bibliographie
Aron, Raymond, La philosophie critique de l’histoire. Essai sur une théorie allemande de l’histoire, Paris, Julliard, 1987
(1938).
Benoist, Jocelyn et Fabio Merlini (dir.), Après la .n de l’histoire. Temps, monde, historicité, Paris, Vrin, « Problèmes &
Controverses », 1998.
Hartog, François (2003), Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, coll. « La librairie du
XXIe siècle ».
Lagueux, Maurice, Actualité de la philosophie de l’histoire. L’histoire aux mains des philosophes, PUL, 2001, coll. «
Zêtêsis ».
Lyotard, Jean-François, La condition postmoderne, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1980.
Monod, Jean-Claude, « Métaphores et métamorphoses : Blumenberg et le substantialisme historique », Revue
germanique internationale, n° 10, 1998, pp. 215-230.
Oexle, Otto Gerhard, L’historisme en débat. De Nietzsche à Kantorowicz, Paris, Aubier, coll. « Collection historique »,
2001 (1996).
Schumm, Marion, « À propos de Hans Blumenberg. Entretien avec Heinz Wismann », Cahiers philosophiques, n° 123,
4e trimestre, 2010, pp. 89-100.
Temporalité politique de la généalogie : du présent comme champs de possibles
aux ouvertures utopiques.
Kebir A.
Rennes 1
La pensée généalogique (Nietzsche et Foucault) a grandement contribué à l’effondrement du futurocentrisme en
histoire par sa critique radicale du .nalisme et du continuisme. Quali.ée d’« ontologie de l’actualité » par Foucault, elle
invite à porter une attention méticuleuse au présent pour laquelle il n’est pas question de déceler les signes d’un progrès
continu, mais de comprendre comment nous sommes devenus ce que nous sommes sous l’effet de rapports de pouvoir
discontinus et sans télos. L’enjeu est critique : se libérer en contestant les modalités par lesquels nous avons été
constitués.
Deux objectifs sont ici poursuivis. Premièrement, contester le reproche d’enfermement présentiste formulé par
Habermas, pour qui la généalogie réduit toute subjectivité à un pur produit du pouvoir, l’isolant ainsi dans une actualité
sans issue. Au contraire, on verra qu’elle pense le présent comme ouverture de possibilités : non pas le résultat
nécessaire du passé, mais la cristallisation de rapports de forces contingents, toujours susceptibles de déplacements
ménageant des espaces de liberté. La généalogie ouvre des futurs au sein du présent en le dénaturalisant par l’histoire
des contingences qui l’ont constitué sans le nécessiter.
Ensuite, on marquera l’insuf.sance de la conception foucaldienne de la généalogie qui la juge incompatible avec la
58
formulation d’utopies – i.e. l’énonciation d’alternatives substantielles – pour la limiter à l’indication de possibles
indé.nis. On montrera qu’au contraire la généalogie recèle une exigence utopique distincte de l’idéologie du progrès et
qui se pense comme approfondissement imaginaire des virtualités alternatives existantes dans les brèches du présent.
L’ontologie du présent sera, simultanément, proposition d’avenirs.
La centralité du présent dans le cadre de l'expérience démocratique ou comment
ré5échir le temps sur le plan politique.
Poirier N.
Université Paris Ouest
L'objet de cette communication est de faire ressortir la centralité du présent dans le cadre du régime démocratique, en
montrant que les critiques de ce qui est habituellement caractérisé sous les termes de « présentisme » manquent leur
cible, puisqu'en faisant du présentisme le symptôme d'une incapacité à se projeter dans le temps, celles-ci ne
parviennent pas à accorder un statut positif au processus de ré!exivité permettant de vivre le présent de manière
authentique. Nous nous efforcerons de montrer que loin d'être un handicap rédhibitoire pour qui veut se situer avec
vérité dans le temps, l'ancrage assumé dans le présent constitue au contraire la condition de possibilité d'une activité
éthique et politique visant la transformation du rapport que l'individu et la société entretiennent respectivement avec ce
qu'ils sont.
59
ST 13 : Quelle(s) discipline(s) face aux évolutions des politiques
scienti-ques ?
Pourquoi déposer un projet (à l'ANR) ? Étude de sociologie des sciences sur les
rationalités d'accès aux ressources.
Schultz É.
Paris Sorbonne
Le .nancement par projet compétitif de la recherche a existé en France longtemps avant la création en 2005 de l'Agence
Nationale de la Recherche (ANR). Néanmoins, en devenant la première agence nationale pluridisciplinaire, l'ANR a
largement contribué à l'institutionnalisation du .nancement par projet avec diverses conséquences autant sur la conduite
quotidienne des recherches que sur l'organisation des laboratoires, des organismes de recherche et des universités. Mais
par-delà l'apparence d'unité que confère l'usage de la notion de « .nancement par projets », les formats sont multiples
comme peuvent aussi l'être les contextes de recherche.
Cette communication poursuit le travail d'analyse de l'appariement entre dispositifs d'allocation de .nancement et
pratiques de recherche (Schultz, 2013) en se concentrant sur l'analyse du sens donné par les acteurs à la soumission de
projets à l'ANR puis à l'obtention ou à l'échec de celui-ci. J'exploiterai pour cela corpus d'une centaine d'entretiens
réalisés auprès de chercheurs ayant participé à deux programmes thématiques de l'ANR – respectivement en biologie
végétale et en chimie, complété par des entretiens dans d'autres disciplines.
J’insisterai particulièrement sur la distinction entre d’une part la construction du sens réalisé par les chercheurs, les
contraintes ressenties et vécues, et la spéci.cité disciplinaire, organisationnelle et matérielle des activités de recherche.
Un résultat important est la mise en évidence de différentes formes de rationalités instrumentales de gestion des
ressources transversales au contexte disciplinaire qui favorisent la division du travail entre le « travail à la paillasse » et
management d'équipe.
Entre tradition et innovation, l'impact des demandes sociales sur l'évolution des
disciplines techniques en Suisse Romande
Didier J.
HEP Vaud
Nous abordons cette thématique de l’évolution disciplinaire face aux évolutions des politiques scienti.ques en se
concentrant précisément sur la question de la « demande sociale » et de ses incidences sur la transformation des
disciplines techniques dans la scolarité obligatoire en Suisse Romande. Dans ce contexte, nous investiguons sur les
disciplines techniques initialement désignées sous la dénomination travaux manuels et couture. Ces disciplines re!ètent
une évolution et une transformation radicale aux contacts d’une demande sociale (Jouve, 2005) dans les années 1970
(Didier et Leuba, 2011, Leuba et al., 2012). L’approche historique et sociologique que nous adoptons dresse une
compréhension épistémologique de ces disciplines qui évoluent au contact des demandes sociales. Ces disciplines
scolaires apparaissant à la .n du 19ème siècle avaient pour mission de préparer des futurs ouvriers quali.és (Clerc,
1891). Dans une vision traditionnelle et utilitariste de la pédagogie, ces disciplines scolaires ont longtemps été
refermées sur elles-mêmes (Charlier et St Jacques, 1985). Dans un contexte de transformation sociale postérieur à mai
1968 (Legoff, 2008), nous observons l’introduction dans le plan d’étude scolaire vaudois du concept de créativité
(Didier & Leuba, 2011). Face à une demande sociale forte fondée sur la nécessité de laisser au sujet la possibilité de
s’exprimer sur un plan artistique et personnel, ces disciplines techniques se sont vues rebaptisées activités créatrices et
activités créatrices sur textiles (Didier, 2011). Une instabilité disciplinaire sur un plan identitaire s’observe suite à cette
rencontre entre un concept de créativité non dé.ni et des pratiques sociales toujours de vigueur (Didier et Leuba, 2011).
A partir de 2010, l’introduction de la créativité en tant que capacité transversale dans le plan d’étude romand (Leuba &
al., 2012) re!ète une transformation des politiques éducatives. En effet, l’intrusion d’une dimension internationale dans
les politiques éducatives (Charlier, 2005) s’observe de manière intéressante dans les enquêtes PISA. Dans ce contexte,
l’apparition de l’innovation et du développement de la créativité chez l’élève se voit progressivement observé et évalué
dans sa capacité à résoudre des problèmes de manière innovante et adaptée. Ceci relance le rôle et la fonction de ces
disciplines techniques, devenues accidentellement ambassadrices de la créativité et de l’innovation. Dans cette
perspective de changement éducatif nous revenons sur le concept d’ouverture (Charlier et St-Jacques, 1985 ) pour
mieux comprendre ces évolutions scolaires induites par les demandes sociales. Dans le but d’accompagner cette
ouverture sur un plan disciplinaire, nous introduisons un modèle théorique « Conception-Réalisation-Socialiation »
(Didier et Leuba, 2011, Leuba et al., 2012, Quinche et Didier, 2014) permettant de développer une créativité
contextualisée et maîtrisée dans la cadre de la réalisation d’objets ou de projets d’objets en milieu scolaire. Ainsi, notre
recherche tente de dresser l’évolution de ces disciplines techniques qui au contact de différentes demandes sociales ont
évolué de manière signi.catives au niveau des savoirs et de la formation (Didier et al., 2014).
Bibliographie
60
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Clerc, E. (1891). Conférence d’ouverture du Cours normal de la Société suisse pour la propagation des travaux manuels
dans les écoles de garçons. Perspectives, 5. 27-28.
Didier, J. Leuba, D. Perrin, N. Vanini De Carlo, K. (2014). Se former à enseigner la créativité? – ré!exions et synergies
autour de quatre concepts au service de la transformation d’une profession. Communication au colloque international.
Créativité et apprentissage : un tandem à réinventer, Hep Vaud, Lausanne, 15-16 mai.
Didier, J. (2012). La mise en œuvre de la créativité dans l’enseignement des activités créatrices et techniques.
Communication au colloque international de sociologie et didactiques, HEP Vaud, Lausanne, Suisse, 13 et 14
septembre.
Didier,J.(2012). Culture technique et éducation. Prismes, 16, 14-15
Didier, J., & Leuba, D., (2011). La conception d’un objet : un acte créatif. Prismes, 15, 32-33.
Jouve, N. (2005). La démocratie en métropoles : gouvernance, participation et citoyenneté. Revue française de science
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Latour, B. et Woolgar, S. (1988). La vie de laboratoire. La production des faits scienti.ques. Paris : La Découverte.
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Lubart, T. (2003). Psychologie de la créativité. Paris : Armand Colin.
Leuba, D. (2014). Créatif en AC&M… oui, mais comment ? Revue Educateur, 2. 14, 6-7.
Leuba, D., Didier,J., Perrin, N. Puozzo, I., & Vanini De Carlo, K. (2012). Développer la créativité par la conception d'un
objet à réaliser. Mise en place d'un dispositif de Learning Study dans la formation des maîtres. Revue Education et
Francophonie XL2, 177-193.
Quinche, F. & Didier, J. (2014). Développer la créativité des élèves au moyen de la robotique. Educateur, 2. 11-12
Des recherches indisciplinées dans des laboratoires sans murs
1
Fallon C., 2Thoreau F.
Université de Liège 1, Université de LIège / Ecole des Mines 2
Les chercheurs en sciences politiques et sociales, voire les philosophes politiques, sont de plus en plus souvent «
embarqués » dans des projets résolument transdisciplinaires, portés par les groupes de recherche de différentes
disciplines, engagés dans les développement scienti.co-technologiques les plus pointus (que ce soit dans le secteur des
nanotechnologies ou des biotechnologies médicale, voire de la gestion de la sécurité nucléaire, pour citer trois exemples
récents).
Le point de départ de notre proposition est l’observation du décloisonnement majeur opéré entre les disciplines de
médecine et de sciences au cours des dix dernières années. Le GIGA est un centre de référence de l’Université de Liège
qui rassemble dans un espace sans mur (Fallon 2011) des centaines de chercheurs af.liés à des facultés d’enseignement
et des secteurs disciplinaires précis, mais engagés dans des projets de recherche interdisciplinaires : le rassemblement
physique du GIGA favorise le partage des équipements sophistiqués mais aussi le brassage des disciplines et des
connaissances tacites des chercheurs autour de projets ou de questions partagées. Ce développement a été favorisé par
les opportunités portées par le .nancement de projets (régionaux, européens, internationaux) reposant sur des apports
disciplinaires croisés.
La transformation la plus récente qui justi.e cette proposition d’intervention est l’embarquement ab initio d’un groupe
de chercheurs en science politique et philosophie dans le cadre du développement de thérapies géniques et de
diagnostics prénatals. Ce projet GIGS (Gouvernementalité, génomique & santé) résulte en grande partie des ré!exions
d’un groupe de généticiens du centre hospitalo-universitaire qui observe avec étonnement des pratiques innovantes
outre Atlantique, où l’embarquement des sciences humaines au cœur même des projets de sciences naturelles et
médicales est une réalité.
Si les apports potentiels de cette démarche sur le développement des sciences naturelles sont bien documentés dans la
littérature STS (Van Oudheusden & Laurent 2013 ; Meyers et al 2014 ), la plupart de ces travaux traitent moins des
effets de ces embarquements sur le développement de la discipline source, par exemple la science politique. Il est dans
ce cas important de poser une double question sur l’embarquement des sciences humaines. La première ligne de
ré!exion s’interroge sur les conditions de transfert des expériences étrangères et les conditions de possibilité de
nouvelles entités hybrides qui se déploient à l’écart du cloisonnement facultaire. Il faut aussi dans un second temps se
poser la question des conditions de développement disciplinaire propre, pour les politologues et les autres chercheurs,
dans un environnement aussi intégré que le GIGA où vétérinaires, médecins, ingénieurs et bientôt politologues et
philosophes se côtoient, transformant les patients et leurs ADN autant que leurs propres outils disciplinaires tout en
61
conservant un ancrage disciplinaire spéci.que fort pour garantir la cohérence de leurs questionnements et l’acuité de
leurs méthodes d’investigation face à un terrain partagé (Thoreau & Despret 2014).
En.n, la présentation proposera des pistes de discussion sur une question subsidiaire : la recon.guration des modes de
gouvernance universitaire et des modalités de construction disciplinaires permet-elle d’envisager la construction d’un
centre interdisciplinaire aujourd’hui particulièrement exposé aux exigences internationales dans un environnement très
concurrentiel (Fallon & Delvenne 2009).
Bibliographie
Fallon C. 2011. Les acteurs-réseaux redessinent la science. Le régime de politique scienti.que révélé par les
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pôles de compétitivité. Innovation: the European Journal of Social Science Research 22, no. 4 (December 2009): 411421.
Van Oudheusden M, Laurent B., 2013. Shifting and Deepening Engagements: Experimental Normativity in Public
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Meyers G, Van Oudheusden, M. & Thoreau, F.2014. Introducing the Belgian Science and Technology Studies Network
(BSTS). Conference EASST- 17-19/9/2014 - Situating Solidarties: Social Challenges for Science and Technology
Studies, Torun, Pologne
Thoreau, F. & Despret, V., 2014, La ré!exivité : de la vertu épistémologique aux versions mises en rapports, en passant
par les incidents diplomatiques in Revue d'Anthropologie des Connaissances (2014), 8(2), 391-424
La technologie comme science politique
Lequin Y.
UTBM (Université de technologie de Belfort-Montbéliard (France)
La technologie comme science politique, quel devenir ?
La technologie a été inventée en Allemagne, comme science politique universitaire, voici deux siècles et demi ;
longtemps ignorée en France puis dé.gurée, car jugée irrecevable par le libéralisme depuis 1815, à nouveau sollicitée
après 1968 puis à nouveau rétrécie, elle reste pour l’essentiel ignorée des sciences politiques contemporaines, si bien
que les « élites » françaises (hauts fonctionnaires, parlementaires, etc.) apparaissent aujourd’hui comme «
techniquement incultes ». Quel devenir peut-on concevoir en ce domaine, en même temps qu’une démocratisation
technique de la société ?
--Discipline née en Allemagne, comme prolongement pédagogique de l’Encyclopédie de Diderot et de ses planches, au
moment même où débutait la révolution industrielle en Angleterre ; enseignée, parmi les sciences camérales, aux futurs
dirigeants politiques des villes libres et des États germaniques, elle eut un immense succès en Europe (de Strasbourg à
Saint-Pétersbourg, et de Vienne à Upsal, mais ni en France, ni en Angleterre, ni en Europe du Sud). Selon F. Sigaut
(1987), elle suscita « une masse fantastique de publications » (complètement ignorée aujourd’hui encore en France),
avant de s’essouf!er .n XIXe siècle. Marx, en 1867, à qui cette discipline est familière, préconise d’« introduire
l’enseignement de la technologie, pratique et théorique, dans les écoles du peuple » (Le Capital).
Malgré des essais prestigieux pour la promouvoir, elle ne trouva pas place en France : 1792, Haffner ; 1793, Hassenfratz
et Lavoisier ; 1802, Chaptal ; 1816, G.-J. Christian à Polytechnique ; 1808 et 1819, projets de Cuvier (une ENA avec de
la technologie). On lui préféra une « science industrielle » destinée aux futurs ingénieurs ou chefs d’entreprises
(CNAM, Centrale), puis…rien pour les responsables administratifs et politiques ; les universités et les écoles
d’ingénieurs se développèrent en ordre séparé, sans technologie ; les facultés de droit l’ignorèrent, comme les Écoles
supérieures : l’École libre des sciences politiques (1872) comme l’ENA de 1945 (qui semble avoir été davantage
inspirée de l’École d’Uriage que du programme du CNR, Conseil national de la Résistance).
Le savoir professionnel enseigné reste tronçonné, à l’image d’une division cloisonnée des fonctions. De manière
dominante, la technique est perçue comme application de sciences de la nature, donc comme phénomène indiscutable et
indécidable, rationnel et universel, non comme résultat de choix sociaux, culturels, économiques, politiques. En
dé.nitive, la France actuelle a les élites les plus incultes…techniquement parlant (Cahiers de RECITS n°9, 2013). Pour
positives qu’elles soient, les innovations pédagogiques des années 1950-1960 (introduction d’humanités dans certaines
écoles d’ingénieurs : INSA [1957], universités de technologie [1972], ou introduction d’une technologie en collège
[1962] comme transition vers l’usine puis comme « culture technique ») ne comblent pas cette lacune dans les sciences
politiques enseignées en France ; et de moins en moins, car le mouvement actuel du regroupement d’établissements
d’enseignement supérieur tend à évincer aussi bien les sciences humaines des enseignements techniques (en formation
d’ingénieurs notamment) et professionnels, que le peu de culture technique incluse dans quelques enseignements
généraux.
On reste encore loin ou plutôt on s’éloigne encore du premier programme tracé en France, en 1792, par Isaac Haffner,
professeur en théologie à l’université de Strasbourg, programme qui parait pourtant encore plus actuel aujourd’hui : «Ce
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ne sont pas seulement des théologiens, des légistes, des médecins, des littérateurs, des philosophes, dont on ait besoin
dans un grand État ; il y faut aussi des administrateurs intelligents. Les domaines, les .nances, la direction des
monnaies, le commerce, les manufactures, l’industrie, les moyens de la faire !eurir dans ses différentes branches, tout
ce qui regarde les revenus et la grande police d’un État, les mines, les salines, l’économie rurale et forestière : ce sont là
autant d’objets sur lesquels il faut avoir acquis des connaissances particulières, lorsqu’on se destine à être législateur ou
membre d’un département. » (Haffner Isaac.- De l’éducation littéraire, ou essai sur l’organisation d’un établissement
pour les hautes sciences.- Strasbourg : Librairie académique.- 1792.- 343 p. (p 230-232).
De nos jours, dans nos sociétés, des mégasystèmes techniques (privés ou étatiques) disposent d’un pouvoir exceptionnel
sur le devenir individuel et collectif, sans que les citoyens ne prennent part à leur décision, sauf à émettre quelques avis
ou suggestions. Ne pourrait-on imaginer une « démocratie technique », où s’exerce une souveraineté populaire sur ces
mégasystèmes techniques ? Une souveraineté qu’exerceraient tous ceux qui y travaillent, ainsi que des représentants des
organismes qui contribuent à leur .nancement (États, collectivités locales), des établissements qui leur apportent leur
concours, des utilisateurs en.n. Cette souveraineté s’exercerait à tous les niveaux des processus techniques où se font
des choix fondamentaux. Devant une telle perspective, et en se plaçant dans l’esprit d’Isaac Haffner, ne devrait-on pas
reconsidérer l’enseignement français, a.n d’y développer une technologie qui donne à tous, et à tous niveaux, les
éléments de compréhension des principaux processus techniques et des enjeux des principaux choix qui s’y font et s’y
feront ?
Bibliographie
Lamard Pierre et Lequin Yves-Claude.- La technologie entre à l’université. Compiègne, Sevenans, BelfortMontbéliard… Belfort : Pôle éditorial UTBM. 2006. 392 p.
Lequin Yves-Claude.- Cuvier et la préhistoire…de la technologie (1786-1820), pp. 325-331, in Revue de
Paléobiologie, Genève, décembre 2013, n° 32 (2).
Lequin Yves-Claude.- France : une pensée sans technique ?, pp. 137-167, in Cahiers de RECITS, n° 9, 2013.Belfort : Pôle editorial UTBM.- 182 p.
Lequin Yves-Claude.-Technology for an inclusive democracy. - pp. 107-126, in New Elements of Technology.
- Belfort : Pôle editorial UTBM.- 2012.- 146 p.
Lequin Yves-Claude.- Quelle démocratie technique, hier et demain ? (colloque SFHST : « Formations
technologiques et démocratie technique : quelle pertinence ?», Lyon 28-30 avril 2014.- Livre à paraitre .n 2014).
Politiques réalistes, politiques constructivistes
Angeletti T.
FMSH / Université de Cambridge
Pour saisir les transformations de la politique scienti.que relative à la science économique, il est possible d’étudier les
institutions qui en assurent la diffusion, l’implantation et le .nancement (Pollak, 1976). Une autre solution consiste,
pour alimenter ces recherches, à mobiliser des éléments morphologiques permettant de dé.nir l’évolution des
économistes universitaires, d’en comparer les transformations relatives, d’en étudier en.n les oppositions (Godechot,
2011). Il est également possible – et c’est la solution privilégiée pour cette communication – d’analyser comment
certains économistes, occupant des postes dans l’administration ou bien y intervenant au titre d’experts, peuvent
contribuer à orienter les politiques économiques. La systématisation de ces interventions, la multiplication des rapports
d’expertise et l’extension prise par les travaux des économistes dans le champ administratif peut en effet être vue
comme une politique scienti.que en tant que telle, même si sa forme apparaît peu institutionnalisée et structurée.
On arguera ainsi – en mobilisant ici les principaux résultats dans le cadre de notre thèse de sociologie (Angeletti, 2013)
– que les transformations qui touchent la science économique peuvent être saisies à travers le type d’actions politiques
qu’elles sous-tendent, et approchées ici à travers le cas de la France dans les dernières décennies du XXe siècle. La
science économique en France s’est en effet développée de manière privilégiée dans le champ administratif à l’inverse,
par exemple, des économistes américains plus investis dans le secteur privé (Fourcade, 2009). À partir d’une étude de
l’activité des économistes depuis les années 1960 dans des institutions telles que le Plan, l’INSEE et le ministère des
Finances, il apparaît possible de distinguer, dans le cadre de cette communication, deux grandes formes d’actions
politiques appuyées sur les travaux des économistes.
Conditions et formes de l’internationalisation scientifique. Une étude comparative
des carrières de politistes français et britanniques
Boncourt T.
Paris 1 / EHESS
La sociologie et la sociologie politique des sciences ont, ces dernières années, fait l’objet de regains d’intérêts. En
particulier, plusieurs travaux ont mis en évidence la manière dont l’action publique (à l’image des politiques de
massi.cation de l’enseignement supérieur dans les années 1960), des organisations (comme les fondations
philanthropiques) ou des contextes politiques particuliers (comme celui de la Guerre froide intellectuelle) créent les
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conditions d’une institutionnalisation, d’une autonomisation ou encore d’une internationalisation des disciplines
scienti.ques.
Nombre de ces travaux se situent néanmoins à un niveau d’analyse méso-social : en prenant pour objet principal des
associations professionnelles, des départements universitaires ou des revues scienti.ques, ils ne s’intéressent aux
carrières individuelles des universitaires que de manière secondaire. Cette proposition de communication, tout en
s’inscrivant dans le mouvement général des travaux évoqués, vise à prolonger la ré!exion en se centrant sur l’étude de
parcours scienti.ques. Plus précisément, elle s’intéresse aux conditions sociales de possibilité et aux modalités
pratiques de l’internationalisation des parcours scienti.ques.
Elle mobilise, pour ce faire, un matériau biographique qualitatif collecté par récits de vie auprès de 45 politistes français
et britanniques. Ainsi, elle permet de tirer des conclusions comparatives quant à la manière dont plusieurs facteurs
façonnent l’internationalisation des parcours individuels : les politiques de .nancement de la recherche, les dispositifs
d’évaluation scienti.que, les institutions de rattachement des acteurs étudiés, les paramètres linguistiques et l’historicité
propre de la discipline dans les champs nationaux concernés.
Ces différents facteurs se combinent pour créer les conditions d’une internationalisation d’intensité et de direction
différentes dans les deux pays : au Royaume-Uni, l’internationalisation apparaît à la fois fréquente et orientée vers les
arènes scienti.ques centrales de l’espace mondial de la science politique (Association Américaine de Science Politique,
par exemple) ; en France, elle apparaît moins spontanée et plus fréquemment orientée vers des arènes alternatives,
relevant de disciplines connexes comme la sociologie ou l’anthropologie. En dernière analyse, cette communication
permet ainsi d’interroger la géométrie variable des disciplines dans différents champs nationaux.
Les enjeux linguistiques pour l’intégration régionale : quand l’isomorphisme se
substitue à la qualité des disciplines académiques
Imaniriho D.
Université Catholique de Louvain
Dans un système mondialisé, les idées éducatives circulent facilement d’un système à l’autre, mais aussi d’un pays à
l’autre. Ce phénomène de regroupement dans l’ensemble déclenche des changements considérables dans
l’enseignement supérieur. Le processus d’incorporation et de réappropriation de ces changements varie selon les
spéci.cités nationales ou régionales. Par conséquent, il n’est pas rare que au sein d’un même système éducatif,
différentes réformes académiques se fassent fatalement concurrence, en fonction des intérêts politiques mis en jeux.
Dans cette perspective, la présente proposition de communication s’intéresse à une confrontation linguistique dans
l’enseignement supérieur au Rwanda et son impact sur la recon.guration des disciplines académiques.
Soucieux de s’intégrer dans l’ensemble des pays du CEPGL (Communauté Economique des Pays des Grands Lacs) et
de la CAE (Communauté de l’Afrique de l’Est), deux groupements dont la diversité linguistique est en quelque sorte
problématique et déroutante, le Rwanda a entrepris des transformations académiques remarquables en matière
linguistique. Toutefois, l’évolution de la langue d’enseignement dans le système éducatif rwandais n’est pas un
phénomène récent. Dans moins d’un siècle, différentes langues ont été adoptées en tant que langues d’enseignement
créant parfois une confusion dans le processus de transmission des savoirs : du Swahili à l’Allemand, de l’Allemand au
Français, du Français au Kinyarwanda, du Kinyarwanda au Français et en .n, du Français à l’Anglais. Partant de cette
dynamique linguistique dif.cilement stabilisée, la présente communication se propose de mettre à jour les enjeux liés à
l’internationalisation linguistique dans le milieu académique. Le questionnement s’intéresse sur les conditions
sociohistoriques ainsi que sur les visées politiques qui sous-tendent ces modi.cations linguistiques itératives en vue de
mieux appréhender les idiosyncrasies nationales sous-jacentes.
Cette communication souscrit à l’approche cognitive des politiques publiques. Partant des concepts de matrice cognitive
partagée (Muller, 2000) et d’institutionnalisation par imprégnation (Simoulin, 2000), elle montre que les
transformations linguistiques dans le milieu académiques au Rwanda découlent d’un souci d’homogénéisation des
pratiques académiques plutôt que de la qualité des disciplines académiques dispensées. Cette proposition de
communication ne porte pas spéci.quement sur l’espace francophone. Quoique l’analyse s’intéresse sur les
transformations linguistiques dans le milieu académique au Rwanda, elle fait également appel aux données issues des
pays anglophones tels que l’Uganda et le Kenya. Toutefois, elle s’inscrit dans l’étude des transformations des politiques
publiques et leur impact sur la dynamique académique. L’objectif est de mettre en évidence la manière dont la rencontre
entre les traditions nationales et les injonctions internationales engendre des transformations des disciplines
académiques.
Cette communication s’appuie sur l’étude des documents produits au Rwanda en particulier mais aussi en Afrique de
l’Est en général, à partir des années 1990 jusqu’à aujourd’hui. Elle analyse le discours des acteurs académiques pour
déceler les dynamiques linguistiques et leur impact sur les transformations des disciplines dispensées dans le milieu
académique au Rwanda.
Bibliographie
Muller, P. (2000). L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique. Dans
Revue française de science politique, 50e année, nº2, p. 189-208.
Muller, P. & Surel, Y. (1998). L’analyse des politiques publiques. Paris : Mont-chrestien.
64
Munyankesha, P. (2011). Quel avenir pour le français dans la nouvelle politique linguistique au Rwanda. Dans les
Cahiers du GRELCEF No 2, Mai 2011.
Ntakirutimana, E. (2012a). Rwanda: une cohabitation linguistique complexe. Dans Francophonies du Sud, no 29,
juillet-août, 2012.
Simoulin, V. (2000). Emission, médiation, réception… Les opérations constitutives d’une reforme par imprégnation.
Dans Revue française de science politique, 50e année, nº2, p. 333-350.
Réformes de l'enseignement supérieur et transformations disciplinaires : le cas de
la Géologie en Suisse.
1
Fouradoulas A.-V., 1Leresche J.-P.
Lausanne1
Dé.nies ici comme des instances de savoir et des institutions de contrôle socio-politique, les disciplines académiques
constituent des lieux de pouvoir et de reproduction du pouvoir qui se manifestent autant à travers l’innovation
scienti.que et pédagogique que les résistances institutionnelles (Gorga, Leresche, 2015). Depuis bientôt deux
décennies, les disciplines académiques connaissent d’importantes transformations dans un triple contexte de
globalisation scienti.que, de spécialisation accrue des savoirs et de revendications/injonctions plus larges
d’interdisciplinarité. A ces facteurs généraux, à la fois endogènes et exogènes aux disciplines, s’ajoutent les
développements relatifs à l’autonomie institutionnelle accrue des universités à la suite de la mise en place de
mécanismes propres au New public management (Braun, Merrien, 1999; Ferlie et al., 2008), aux développements de
l’évaluation et de l’assurance-qualité (Louvel, Lange, 2010 ; Gorga, 2011 ; Fallon, Leclercq, 2013 ; Romainville et al.,
2013) et à l’introduction de la réforme de Bologne en Europe accompagnant le projet de construction d’un Espace
européen de l’enseignement supérieur (Ravinet, 2011) et son cortège de « techniques » pédagogiques (learning
outcomes, etc.) (Charlier, Croché, Leclercq, 2012).
En Suisse, la Géologie a expérimenté des transformations importantes comme discipline durant ces 20 dernières années.
Dès le début des années 1990, dans un contexte de restrictions budgétaires accrues dans les collectivités publiques
(cantons et Confédération), la Géologie est citée dans les médias comme une discipline coûteuse en équipement en
regard d’un nombre relativement faible d’étudiants. Elle fait alors l’objet d’une injonction à la fois politique et
médiatique de coordination inter-universitaire, en particulier à l’échelle de la Suisse romande (Leresche et al., 2012). A
l’époque, le débat sur une rationalisation de l’offre en Géologie se déroule à plusieurs échelles (cantonales,
intercantonales et fédérales). Puis, dans les années 2000, comme d’autres disciplines, la Géologie est soumise aux
prescriptions et à la mise en œuvre de la réforme de Bologne (Amaral, Veiga, 2006 ; Musselin, 2006).
Dans une perspective de sociologie historique de l’action publique, ce papier vise d’abord à comprendre les effets de
réformes (cantonales, nationales et internationales) de l’enseignement supérieur sur cette discipline à partir de ses
évolutions curriculaires suivies sur deux décennies (1990-2010) dans les universités de Fribourg (UNIFR) et de
Lausanne (UNIL). A.n de mettre en lumière le parcours disciplinaire de la Géologie, il est prévu d’examiner
principalement les transformations des curricula académiques (Forquin, 2008), les modi.cations structurelles, ainsi que
le discours des acteurs. Autrement dit, il s’agit d’analyser dans quelle mesure les cursus de Géologie ont varié dans la
période étudiée et quels sont les stratégies et discours de défense mobilisés par les divers acteurs de la discipline pour
assurer la reproduction de celle-ci au plan de l’enseignement. Pour ce faire, ce papier cherche à pointer les convergences
et divergences disciplinaires dans les curricula de Géologie.
Dans un second temps, il est question d’examiner si un effet institutionnel propre aux universités ou facultés
considérées (universités de Fribourg et de Lausanne) peut être observé ou non. Comment deux établissements
universitaires se sont-ils approprié des réformes politiques internes et externes et ont-ils mobilisé des « ressources
contextuelles » (Merz, 2015) pour introduire le changement en Géologie ? Ce papier ambitionne donc d’évaluer
l’impact de réformes cantonales, nationales et internationales sur les programmes d’études d’une discipline, et ses
déclinaisons et adaptations curriculaires au niveau des établissements sélectionnés, conçus comme autant « d’ordres
sociaux locaux » (Paradeise, Thoenig, 2013).
L’une des hypothèses de cette proposition de papier est que si un certain nombre de dynamiques propres à la Géologie
se donne à voir dans le cadre suisse de l’enseignement supérieur, on peut également identi.er des « ordres disciplinaires
» locaux liés aux spéci.cités institutionnelles des universités (Musselin, Texeira, 2010). Ce papier postule également
que cette discipline « établie » (Merz, 2015) est particulièrement réticente aux politiques de changement, qui sont
ressenties comme imposées de l’extérieur et parfois de nature à l’affaiblir. Il s’agit donc d’étudier les transformations
curriculaires successives de cette discipline (avec par exemple le glissement sémantique de Géologie à Sciences de la
Terre) en essayant également d’identi.er un effet institutionnel/organisationnel dans ces changements.
Au plan méthodologique, l’analyse qualitative se base sur des sources écrites – à savoir les programmes et les
règlements d’étude en Géologie entre 1990 et 2010 – et des entretiens semi-directifs menés auprès de responsables
académiques et institutionnels des universités de Fribourg et de Lausanne dans le cadre d’un projet du Fonds national
suisse de la recherche scienti.que (FNS) mené entre 2013 et 2015 intitulé « Changement d’architecture et architecture
du changement : fabrique des curricula universitaires en Suisse et réforme de Bologne ».
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Bibliographie
AMARAL A., VEIGA A., « The Open Method of Coordination and the Implementation of the Bologna Process »,
Tertiary Education and Management, vol. 12, no 4, 2006, pp. 283-295.
BENNINGHOFF M., LERESCHE J.-P., « The Internationalization of National Decision-Making Processes: the
Case of the Bologna Declaration in Switzerland », in NAHRATH S., VARONE F. (Eds), Rediscovering Public Law and
Public Administration in Comparative Analysis, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires, 2009, pp. 197-214.
BRAUN D., MERRIEN F.-X. (eds), Towards a new Model of Governance for Universities. A Comparative View,
Londres, Jessica Kingsley, 1999.
CHARLIER J.-E., CROCHÉ S., LECLERQ B. (eds), Contrôler la qualité dans l’enseignement supérieur, Louvain-LaNeuve, Academia/L’Harmattan, 2012.
FALLON C., LECLERQ B. (eds), Leurres de la qualité dans l’enseignement supérieur ? Variations internationales sur
un thème ambigu, Louvain-La-Neuve, Academia/L’Harmattan, 2013.
FERLIE E., MUSSELIN C., ANDRESANI G., « The Steering of Higher Education Systems: a public management
perspective », Higher Education, 56, 2008, pp. 325-348.
FORQUIN J.-C., Sociologie du Curriculum, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008.
GORGA A., Les jeux de la qualité, Louvain-La-Neuve, Bruylant-Academia, 2011.
GORGA A., LERESCHE J.-Ph. (eds), Disciplines académiques en transformation. Entre innovation et résistances,
Paris, Editions des archives contemporaines (à paraître en janvier 2015).
LERESCHE J.-Ph., JOYE-CAGNARD F., BENNINGHOFF M., RAMUZ R., Gouverner les universités. L’exemple de
la coordination Genève-Lausanne, Lausanne, PPUR, 2012.
LOUVEL S., LANGE S., « L’évaluation de la recherche : l’exemple de trois pays européens », Sciences de la société,
vol. 79, 2010, pp. 11-26.
MERZ M., « Dynamique locale des nanosciences au croisement de disciplines établies », in GORGA A., LERESCHE
J.-Ph. (eds), Disciplines académiques en transformation. Entre innovation et résistances, Paris, Editions des archives
contemporaines (à paraître en janvier 2015).
MUSSELIN C., « Les paradoxes de Bologne : l'enseignement supérieur français face à un double processus de
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MUSSELIN C., TEXEIRA P. (eds), Reforming Higher Education: Public Policy Design and Implementation,
Dordrecht, Springer, 2014.
PARADEISE C., THOENIG J.-C., « Academic Institutions in Search of Quality. Local Orders and Global Standards »,
Organization Studies, vol. 34, no 2, 2013, pp. 195-224.
RAVINET P., « La coordination européenne “à la bolognaise”. Ré!exions sur l’instrumentation de l’espace européen
d’enseignement supérieur », Revue française de science politique, vol. 61, no 1, 2011, pp. 23-49.
ROMAINVILLE M., GOASDOUE R., VANTOUROUT M. (eds), Evaluation et enseignement supérieur, Bruxelles, De
Boeck, 2013.
La construction sociale des disciplines universitaires françaises. Ordres locaux et
action publique indifférenciée
Le Cozanet L.
Paris Dauphine
Nombre d’instances représentatives du monde académique français (syndicats, associations, sections CNU…) –
s’accordent sur plusieurs constats quant aux tendances actuelles des conditions de travail scienti.que : insuf.sance des
moyens .nanciers ; appauvrissement thématique du fait du .nancement par projet ; injonction à la publication et à
l’internationalisation via les dispositifs d’évaluation, sources de concurrence nuisible ; explosion des tâches
administratives faisant concurrence au temps consacré aux activités de recherche etc. Dans les établissements, les
enseignants-chercheurs évoquent aussi facilement ces éléments, généralement pour les regretter. Aux deux niveaux, des
politiques scienti.ques récentes et les opérateurs en découlant (AERES, ANR…) sont accusés d’être à la source de ces
transformations.
Lorsque l'on se penche sur les prescriptions de la « tutelle » ministérielle associées à ces politiques, elles semblent faire
peu de cas des différences entre disciplines, du moins pas explicitement. Cela lui est d’ailleurs reproché par les
instances évoquées plus haut, qui réclament souvent la reconnaissance de « spéci.cités disciplinaires ». Or, en
comparant de façon plus approfondie le discours des enseignants-chercheurs, des différences notables apparaissent
selon les disciplines et les établissements. Travail individuel ou collectif, importance des manifestations scienti.ques,
des ressources matérielles et humaines, relation avec les contenus d’enseignement, développement de partenariats extraacadémiques… L’accent n’est pas mis sur les mêmes enjeux, les zones de frictions ne se situent pas aux mêmes
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endroits, et les effets identi.és diffèrent. Dès lors, sont soulevées les questions du rôle des politiques scienti.ques dans
ces transformations, et de l’existence de « spéci.cités » disciplinaires.
On se propose de relire à l’aune de ce questionnement 120 entretiens réalisés auprès d’enseignants-chercheurs dans le
cadre d’une recherche doctorale sur la professionnalisation des formations universitaires. Centré sur le travail
d’enseignement, ce corpus explore également l’articulation des multiples activités universitaires. Cette communication
défend l’argument selon lequel l’activité éducative doit être prise en compte pour comprendre les transformations dans
la recherche. Le cas de la professionnalisation comme succès d’une injonction diffuse ayant des effets jusque dans les
pratiques de recherche est emblématique, et la comparaison de quatre disciplines (lettres, droit, physique et sciences de
l’information et de la communication), représentées à chaque fois dans deux établissements français, permet de tester
l’hypothèse disciplinaire.
Dans un premier temps, on présentera plusieurs situations, mettant en évidence le caractère structurant de l’ancrage
local des disciplines, en particulier à travers les .lières d’enseignement. On montrera ainsi ce que les transformations
des activités scienti.ques présentées par les enquêtés disent de (et doivent à) la construction locale de la demande
sociale. On défendra l’idée selon laquelle, sans abandonner la grille de lecture disciplinaire pour céder aux sirènes
présentant l’établissement comme seule variable déterminante, une façon d’échapper aux conceptions les plus
naturalisantes des disciplines, tout en restant ouvert à d’éventuelles spéci.cités « historiquement et socialement situées
», est de penser les disciplines (et les établissements) comme des institutions, au degré variable d’institutionnalisation,
d’incarnation par des individus au premier rang desquels les enseignants-chercheurs. Dans un second temps,
s’interroger sur le rôle de l’action publique, reviendra donc à s’intéresser au changement institutionnel. Dans contexte
de vaches maigres, le ministère incite, oriente, favorise, et ainsi participe au dessin de l’espace concurrentiel dans lequel
évoluent les universitaires incarnant disciplines et établissements. Plusieurs travaux ont étudié ces processus en ce qui
concerne les politiques en matière de recherche, mais peu ont comparé les disciplines, et la relation avec les activités
d’enseignement a souvent été ignorée. On montrera que la puissance publique ne peut être considérée comme le chef
d’orchestre des transformations disciplinaires. En revanche, du fait de la présence d’institutions (disciplines et
établissements), elle contribue, précisément en produisant des discours et des dispositifs d’action publique a priori
indifférenciés, à la différenciation interne au monde académique, dont un des résultat les plus visibles est la répartition
territoriale des disciplines et des thématiques de recherche.
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ST 14 : (Inter)dépendance et pouvoir de l’Etat dans le monde
contemporain
Le pouvoir et l'interdépendance des Etats dans le contexte institutionnel
international contemporain. Le cas des micro-Etats
Grigoriou P.
Université de l'Egée
Pour bien coopérer, mener la diplomatie et imposer le respect de leurs propres intérêts nationaux, les États ont besoin
d'un cadre institutionnel pour se concerter en vue de traiter leurs affaires ensemble, dans un esprit d'entente et de paix.
Pour ce faire, les États, en leur qualité de sujets originaires de Droit International, créent des organisations
internationales poursuivant un certain nombre d'objectifs dans l'intérêt commun.
De ce fait, nous allons mettre l'accent sur les matières relatives à l'organisation de la communauté internationale, dotée
d'un cadre institutionnel, promouvant par excellence la coopération internationale et la diplomatie multilatérale.
La vision géopolitique de la présence et du fonctionnement normal des micro-États au sein de la communauté
internationale, en qualité de membres à part entière et sur un pied d’égalité avec tous leurs autres partenaires à ce
niveau, s’appuie fortement sur le fait qu’il s’agit d’entités étatiques dont l’institution remonte en profondeur dans le
temps. De cette manière, les micro-États préservent leurs droits souverains ainsi qu’ils s’engagent à respecter leurs
obligations qui en découlent. Pourtant, les micro-États assurent une participation équitable avec tout autre États, plus ou
moins grand, dans les institutions internationales à caractère économique, .nancier ou politique. Cela signi.e que la
production .ctive de micro-États sans aucune régularisation de leur participation dans la vie internationale affecte et
ridiculise complètement leur dé.nition en droit international et leur rôle dans les relations internationales.
En général, les micro-États présentent une politique étrangère limitée, un secteur public très faible et un dé.cit
remarquable de personnel administratif et politique.
Nature du pouvoir et stratégies des puissances émergentes
Vercauteren P.
Université Catholique de Louvain
La survenance et l'évolution de la gouvernance globale a été autant le révélateur qu'un facteur de modi.cation de la
nature du pouvoir, en particulier de l'Etat, dans le monde contemporain au cours de ces dernières décennies. Dans ce
contexte, les puissances émergentes vont tirer pro.t des modi.cations de la structure du système international et de la
nature de la puissance pour développer des stratégies leur permettant de poursuivre leurs intérêts nationaux.
L'objet de la présente contribution consiste à préciser ces stratégies qui se déploient tant dans les instances formelles
qu'informelles de la gouvernance globale.
L'interdépendance comme source de pouvoir pour l'Etat
Palau Y.
université Paris-Est Créteil
L'interdépendance comme source de pouvoir pour l’État.
L'interdépendance est souvent analysée comme une source de perte de pouvoir en interne ou en externe pour l’État
érodant sa souveraineté et conduisant à sa banalisation parmi d'autres acteurs politiques. L'objet de cette communication
est de nuancer cette analyse courante et de montrer que d'une part l'interdépendance peut être une source de pouvoir
pour l’État d'autant plus qu'il en est souvent à l'origine et qu'il contrôle au moins partiellement le périmètre dans lequel
se déploient les autres acteurs politiques et que d'autre part cette interdépendance produit moins une perte de pouvoir
pour l’État qu'un déploiement d'autres dispositifs de pouvoir, déploiement souvent nommé à travers le terme de
gouvernance.
Sortir du nationalisme méthodologique pour penser l’État et la souveraineté
Floss S.
Rennes1
L’État-Nation tel qu’il s’est construit n’apparaît plus comme un cadre pertinent d’exercice du pouvoir. Le
développement de la biopolitique et le processus de coalescence croissante des sociétés entrainé par les progrès
technologiques et la mondialisation ont entrainé une modi.cation profonde des structures étatiques, à tel point que les
concepts d’État et de souveraineté ne semblent plus fournir un cadre théorique satisfaisant pour penser le pouvoir
politique. En effet, le polycentrisme croissant des États et leur imbrication de plus en plus grande au sein de structures
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internationales remettent en cause le modèle hiérarchique pyramidale wébérien, la dimension nationale des États et la
distinction entre interne et externe.
Or tant la dimension nationale de l’État et son organisation légale-rationnelle sur le modèle wébérien ne sont pas
essentiellement liées à l’État. Elles sont le fruit du nationalisme méthodologique qui amène à réduire l’État aux formes
qu’il a prises au XIXe et XXe siècles, c'est-à-dire à l’État-Nation légal-rationnel. En ce sens, les théories de la
souveraineté, ayant été pensée avant l’apparition tant des Nations que de la bureaucratie, peuvent paradoxalement
apporter des éléments théoriques permettant de penser les évolutions contemporaines des structures politiques.
Cette intervention s’attachera à montrer qu’il est possible de penser l’unité de l’État et du droit à travers l’idée de
souveraineté en revenant à sa dé.nition première de puissance de commandement.
Cette dé.nition a un triple intérêt. Elle permet d'une part de récuser la distinction traditionnelle entre souveraineté
interne et souveraineté externe. Elle permet d'autre part de distinguer la logique de l’État (commandement) de celle du
gouvernement (production d'effets sociaux). Elle permet en.n de remettre en cause la différence entre acteurs privés et
acteurs publics.
Il apparaîtra alors que les évolutions contemporaines des structures politiques traduisent un renforcement du pouvoir de
l’État et une augmentation de la capacité de contrôle des gouvernants. L’État devient plurinational et incorpore une part
de plus en plus grande des acteurs de la société civile.
Proposition de réflexion structurale : l’étape de la dissociation de la production et
de la distribution
Verjans P.
Université de Liège
Partant de l’hypothèse post-rokkanienne que quatre questions fondamentales se posent aux collectivités et que la
manière d’y répondre tend souvent à former une bipolarité d’intérêts, signi.ants politiques (Centre-Périphérie ; ÉgliseÉtat ; Ville-Campagne que je remplace par Marché-Terroir ; Capital-Travail), nous avons proposé d’y associer
respectivement des paires de valeurs, signi.és politiques (Inclusivisme-Exclusivisme ; Autonomie-Hétéronomie ;
Individualisme-Holisme ; Égalitarisme-Élitisme). Les travaux sur la gouvernance internationale sont surtout nés après
l’affrontement Est-Ouest, permettant la construction d’un espace commun de gestion collective, avec l’émergence d’un
Centre (trilatéral) dominant des Périphéries subjuguées. C’est dans cette euphorie de la .n de l’histoire que
l’Organisation mondiale du commerce émerge, couronnée par un Organe de règlement des différends qui impose ses
décisions aux États bien plus ef.cacement que le Conseil de Sécurité des Nations unies. Triomphe de la question de la
production et des paradigmes d’intérêt Marché et d’idée Individualisme, stigmatisé par la dénonciation du triomphe de
la cupidité et du monde unidimensionnel. Considérons que la parenthèse du choc des civilisations et de la mise en
évidence pôles Église et Hétéronomie vivent par à-coups depuis le 11 septembre 2001 ne constituent qu’un glissement
syntagmatique de court terme. La question qui se pose depuis le choc bancaire de 2008 consiste à savoir si les travaux
du G20 permettent de croire en un glissement syntagmatique plus important : celui du dépassement de la priorité au
Marché par une priorité au Travail, de la priorité à l’Individualisme par la priorité à l’Égalitarisme. Autrement dit, le
Capital au XXIe siècle sera-t-il le signe d’un retournement aussi signi.catif que le New Deal et la Théorie générale de
l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie l’ont été pour la promotion des solutions keynésiennes aux crises du capitalisme
du siècle dernier. L’écart entre les positions de nombre d’économistes autrefois économètres et de leurs suppôts et
disciples actuellement aux manettes des institutions .nancières mondiales et qui restent dans la vulgate monétariste sur
les solutions à adopter pour que les États sortent des dif.cultés où le laxisme vis-à-vis des banques a mené le monde
illustre peut-être un retour de la question de l’égalité dans le capitalisme mondial.
L’État neutralisé par le marché. L’exemple de la régulation de l’usage des
pesticides en France
Ansaloni M.
Institut d'études politiques de Bordeaux
L’instrumentation de l’action publique par le marché constitue une modalité centrale d’exercice du pouvoir politique
contemporain. Les États gouvernent en créant des marchés et ce, quelque soient les secteurs d’intervention publique –
domaines régaliens inclus. Cette manière de gouverner renouvelle en profondeur les interdépendances entre États et
sociétés civiles, la fourniture des services publics étant de plus en plus le fait de fournisseurs privés.
Sociologues et politistes n’ont guère investi le phénomène. Théoriques, les analyses disponibles se scindent en un débat
binaire : les uns, majoritaires, estiment que le recours par l’État à la forme du marché renforce ses capacités de «
pilotage à distance » (Le Galès et Scott ; Hibou ; Weiss ; Levy) ; les autres défendent l’idée selon laquelle le recours par
l’État au marché signe au contraire sa perte de capacité d’action autonome. Soumis à de puissants intérêts privés, l’État
démissionnerait, abandonnant de nombreuses matières à des entreprises privées ou parapubliques (Friedland ; Jobert ;
Crouch).
À partir de l’exemple du marché de la certi.cation de l’usage des pesticides en France, cette communication investit ce
débat en interrogeant les conditions d’effectivité de cette manière de gouverner. Fondée empiriquement, elle montre que
l’instrumentation de l’action publique par le marché neutralise la capacité d’action autonome de l’État : dépendants de
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leurs prestataires de service, ses agents perdent la main sur le marché qu’ils ont institué, donc sur l’action publique qui
le fonde. Poursuivant un objectif ambitieux, mais dépourvus de ressources suf.santes, les agents de l’État ont été
contraints d’externaliser la gestion de l’action publique pour en con.er la responsabilité à des fournisseurs privés.
Le langage de la gouvernance climatique
Hufty M.
IHEID
Le pouvoir passe par le langage. Au sens du linguiste, lorsque dire c'est faire (Austin), mais aussi au sens du
constructiviste, lorsque nommer et dé.nir, c'est faire exister. On gouverne certes par les instruments (Lascoumes), mais
aussi par le discours, dé.ni comme un ensemble spéci.que d'idées, de concepts et catégorisations qui sont produites,
reproduites, et transformée en un ensemble de pratiques et à travers lequel la signi.cation est donnée à la réalité
physique et sociale (Hajer). Le discours est aussi un champ social (Bourdieu), au sein duquel les valeurs sont distribuées
inégalement, un espace doté de normes et reposant sur les institutions sociales où ceux qui maîtrisent la parole légitime
produisent la croyance au sujet de la réalité. Les récits et les métaphores du discours dominant, si familier qu’il passe
inaperçu malgré le fait qu’il contient une culture et une idéologie spéci.ques, construisent les objets de la gouvernance,
ce qui est en jeu, mais aussi, dans un processus de méta-gouvernance le référentiel lui-même (Jobert & Muller). Ce
discours performatif transforme les perceptions, contraint et exclut (Foucault).
Cette perspective s'applique à tous les domaines de la gouvernance. Dans le cadre d'un projet de recherche sur
l'adaptation au changement climatique .nancé par le Fonds national suisse, nous nous sommes intéressés à la façon dont
le discours et les normes du régime climatique internationales sont créés, depuis l'IPCC (communauté épistémique,
Haas) jusqu'au niveau du terrain (ici Brésil, Pakistan, Pérou), en passant par les Etats et les médias. Notre hypothèse
principale est celle de l'existence d'une « matrice d'adaptation à l'adaptation » qui produit et reproduit un certain ordre
du monde, inégal. Cet ordre change, il est en transformation constante, mais de façon incrémentale. Ainsi la
gouvernance environnementale globale et en particulier du climat se caractérise par une dépendance au sentier (Pierson)
et un ordre du discours identi.able et analysable.
La gouvernance multiniveau peut-elle impacter les politiques nationales ? Le cas
du transfert de mécanismes de certi-cation de minerais en République
démocratique du Congo
Weerts A.
Université de Liège
Dans le cadre de la lutte contre l’exploitation illégale des minerais, la République démocratique du Congo (RDC)
expérimente actuellement des mécanismes de certi.cation. Intimement liée à la traçabilité, la certi.cation permet de
garantir le suivi des minerais depuis leur site d’extraction jusqu’au consommateur .nal. La RDC a ainsi pris part, avec
d’autres pays de la région dans le cadre de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), à la
création d’un mécanisme de certi.cation régional. Chacun des pays membres de la conférence s’est ainsi engagé à
mettre sur pied un mécanisme similaire dans leur pays. Durant l’été 2013, la RDC a procédé au lancement of.ciel des
certi.cats CIRGL-RDC. Bien qu’encore récente, l’objectif de la mesure est d’assainir les .lières minières tout en
répondant aux exigences formulées à l’international, notamment par l’ONU, l’OCDE ou encore les USA.
En mobilisant les théories sur le transfert et la diffusion des politiques publiques, l’objectif de cette contribution est de
ré!échir aux relations et aux rapports de pouvoir entre la RDC et ces acteurs nationaux et internationaux sur la question
du transfert des normes et autres outils pour établir un processus de certi.cation des minerais. Plus généralement, il
s’agira de s’interroger sur la possibilité, pour cette « gouvernance multiniveau », d’impacter ou non les politiques
minières congolaises.
Partant d’un état des lieux du secteur minier en RDC, nous nous intéresserons dans un premier temps aux outils de
certi.cation, à leurs objectifs et à leur provenance. Dans un second temps, nous nous pencherons sur la réception et la
(ré)appropriation de ces outils en RDC, ainsi que sur les résultats obtenus.
La Formulation des Politiques Publiques des Services au Brésil et les Accords de
l'OMC
1
Ribeiro Alves G., 2Fonseca V.
UniCEUB; Unieuro1, Unieuro2
La création des organisations internationales au début du XXème siècle est soi-même importante ; innovatrice et
révolutionnaire, car elle a fortement in!uencé l'évolution de la pensée et la coexistence paci.que de l’humanité, avec un
re!ex très important en ce qui concerne la souveraineté des États nationaux. Mais au-delà de cette contribution, la
création des organisations internationales constitue un facteur innovateur et accélérateur de la mondialisation du Droit.
Il convient d'ajouter que l'expansion des règles du Droit existe non seulement en ce qui concerne l'augmentation du
nombre de pays associées aux organisations internationales, mais aussi au degré d'intégration des normes qui sont
négociés. Dans ce contexte, on remarque que les efforts de coopération sont nombreux et ils ont surtout le but
d’améliorer l’ensemble des politiques publiques brésiliennes. Ces efforts peuvent être positifs, notamment ceux qui sont
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là pour augmenter les interactions politiques entre le Brésil et l'OMC. Les États modernes cherchent plus fortement le «
libéralisme contrôlé ». Autrement dit, ils cherchent l'application des mécanismes capables d'éviter les distorsions entre
les politiques nationales et celles négociées au sein des organisations internationales. L'objectif de cet effort intellectuel
est celui de véri.er l'in!uence des normes internationales, en particulier celles de l'Accord de Services de l'OMC
(AGCS), dans les formulations des politiques publiques du Brésil.
(Inter)dépendance de la Commission européenne face à l'expertise des think tanks
Collura R.
UCL Mons
Dès que l’avenir de l’Union européenne est discuté, l’ensemble du questionnement reposent sur la meilleure méthode
pour aborder les questions institutionnelles ; cette dernière se balance entre méthode communautaire et
intergouvernementalisme. Partisane du renforcement de la méthode communautaire au sein de l’Union Européenne, la
Commission européenne a, à travers ces différents présidents, mis en avant un argumentaire en faveur de cette méthode.
Dans le cadre de cette communication, la formation de cet argumentaire sera analysé sous l’angle de la contribution
faite par son think tank interne. Se basant sur le néo-institutionnalisme de choix rationnel, nous analyserons comment la
Commission européenne instrumentalise son think tank interne a.n de lui construire un argumentaire lié à ses
préférences ? Comment est construit cet argumentaire ? Quels sont les arguments développés en faveur d’une méthode
communautaire au sein de l’Union Européenne ?
A.n de répondre à ces questions, nous analyserons tout d’abord la relation de principal-agent entre la Commission
européenne et son think tank interne. Ensuite, sur base d’une méthodologie déductive, nous analyserons comment le
think tank institutionnel de la Commission européenne répond à la demande de son principal ; notre analyse portera sur
les demandes et réponses (c’est-à-dire argumentaires) développés par ce think tank lors des présidences de Romano
Prodi et de José Manuel Barroso.
Généralement analysé sous l’angle Conseil européen (principal) – Commission européenne (agent), notre application du
modèle du principal – agent analysera comment la Commission européenne (principal) délègue au think tank
gouvernemental (agent) la formation des préférences de la Commission européenne, se basant sur un argumentaire
d’expertise. Dès lors, la délégation devient une variable dépendante à analyser.
Renégocié mais renforcé. Modalités contemporaines du gouvernement de l’État
dans le cas du contrôle des compagnies de sécurité privée
Magnon-Pujo C.
Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La contribution que nous proposons ici vise à revenir, à partir d’un cas d’étude précis, sur les modalités contemporaines
de gouvernement des phénomènes internationaux. Nous appuyant sur une analyse de la construction d’un contrôle
autour des compagnies de sécurité privée – à travers le développement d’une « Association du Code de conduite
international pour les fournisseurs de services de sécurité privée », nous y démontrerons comment les interactions entre
entreprises privées, organisations de la « société civile », et États ont produit un mécanisme de régulation inédit, où le
pouvoir apparait partagé entre ces différentes entités.
Initié en 2006 en Suisse, le processus étudié donne en effet à voir comment des acteurs privés ont réinvesti un forum
interétatique visant à placer des entreprises telles Blackwater sous le coup du droit. Il nous permet de constater la
circulation d’individus, de savoirs et de pratiques entre échelon national et international, ainsi qu’entre institutions
publiques et privées. Nous observons alors la construction d’une norme et d’une manière de normer qui ne saurait être
considérée comme du ressort de l’un ou de l’autre. De cette intrication du privé et du public, il ressort au contraire tout à
la fois une co-constitution du contrôle en question, une « économisation » de l’État – au travers d’une volonté politique
de dépolitiser une politique publique – et sa réaf.rmation paradoxale comme entité légitimatrice. Loin de témoigner
d’un « retrait de l’État », nous l’analysons in .ne comme sa respéci.cation, sa renégociation, sous le coup d’interactions
entre agents publics et privés.
Il s’agit ainsi, dans cette communication, de partir de l’observation des pratiques de la «gouvernance multi-niveaux » et
de son instrumentalisation par des agents en quête de légitimation, pour réévaluer ses effets sur les agents eux-mêmes.
L’accent est mis ici sur l’État. Au-delà de sa position et de son autorité, c’est son périmètre même qui est mis en
question par son insertion dans des dispositifs de gouvernance où le partage du pouvoir fait l’objet de négociations.
Intersectionality and women’s policy agencies: How the triumphal procession of
intersectionality arrives in public administrations worldwide. Opportunities for
mutual international learning
Scheidegger C.
Gender inequality is persisting worldwide. From the 1970s onwards - as one answer to societal inequalities - states
worldwide established women’s policy agencies to promote women’s empowerment and gender equality. Since more
than two decades, scholars and practitioners debate lively how to handle the intersecting categories of societal
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inequalities, such as race, sexual orientation, class, age, disability and others more. The United Kingdom was the .rst
country in Europe to abolish its separate institutions for various societal inequalities. Instead it created a single equality
body, which addresses for instance gender and ethnicity in an integrated manner. However, is this institutional change of
the UK women’s policy agencies representative in a global perspective? The worldwide comparison of the mandates
and the activities of women’s policy agencies in 151 countries shows to what extend the feminist intersectionality
debate became law and got institutionalised in women’s policy agencies. Intersectionality as one of the key theoretical
contributions of gender studies, is part of gender equality policies today, but it is not yet part of gender equality polities.
Le Sénégal entre mandat et capacité d’action. Le pouvoir de l’Etat pour les
coordonnateurs de projet de développement.
Haussaire M.
Lille 2
Au Sénégal, l’aide publique au développement représente le quart du budget de l’Etat et près de la moitié de
l’investissement public. La forte présence des bailleurs étrangers transforme nécessairement le rôle et les missions de
l’Etat. Mode de délivrance privilégié de l’aide, les « projets » .nancés par les bailleurs étrangers sont également
devenus un mode d’exécution habituel des politiques publiques. Au cœur des échanges entre l’Etat et la sphère
internationale, .nancés et rendant des comptes (de manière inégale) aux deux parties, les coordonnateurs de projets
incarnent l’interdépendance entre les différents niveaux de gouvernement. Ils peuvent donc être une porte d’entrée
intéressante pour questionner la place et le pouvoir de l’Etat au Sénégal.
Dans cette communication, j’interrogerai le rôle de l’Etat à partir des représentations de ces agents. La présence des
bailleurs semble construire ces représentations de deux manières. D’une part, elle renforce l’idée d’une souveraineté de
l’Etat décisionnaire, toute une littérature relayée par les organisations internationales insistant sur le leadership que doit
prendre l’Etat dans la dé.nition et la mise en œuvre des politiques publiques. D’autre part, elle révèle la faiblesse de
l’Etat comme acteur exécutif ou d’orientation, les moyens des bailleurs révélant par comparaison la faiblesse de
l’administration nationale. Ces deux images de l’Etat ne sont pas contradictoires, puisque pour les coordonnateurs,
l’action de l’Etat et celle des bailleurs sont plus associées qu'opposées.
72
ST 15 : Ce que le capitalisme fait aux mouvements sociaux
contemporains
Repenser la production sociale de la révolte
Johsua F.
Université de Lausanne
Au cours des dernières décennies en France, comme dans la plupart des pays industrialisés, les recon.gurations de la
structure économique et sociale, avec la précarisation des emplois, l’augmentation des contrats temporaires (type
contrat à durée déterminée), du travail à temps partiel et du recours aux stages, le recul de l’âge de l’entrée sur le
marché du travail, la hausse du chômage, et plus spéci.quement celui des jeunes, sont autant d’éléments qui ont conduit
à une déstructuration profonde du monde du travail, et en amont, à une précarisation croissante des conditions d’entrée
dans la vie active. La question de la traduction politique de ces évolutions a déjà été traitée, mais surtout sous l’angle de
la démobilisation : du monde ouvrier, des milieux populaires ou plus largement du monde du travail, notamment par le
biais de la crise du syndicalisme et de la hausse de l’abstention. Sans contredire ces analyses, mais plutôt en les
complétant, ma recherche doctorale sur les transformations de l’engagement anticapitaliste en France du milieu des
années 1960 au début des années 2000 pousse à soulever une question connexe : ces évolutions structurelles n’ont-elles
pas également eu un impact sur le champ politique, à plus long terme, repérable sous la forme d’une politisation d’une
fraction particulière de la population, à l’origine d’un phénomène de mobilisation politique ? C’est une des conclusions
à laquelle m’a amenée cette étude, qui semble indiquer que la crise économique – et les mobilités sociales descendantes
qu’elle engendre – ont des effets politiques qui ne se réduisent pas à la dépolitisation et à l’apathie, ou à la montée de la
droite extrême et xénophobe ; et c’est cette thématique, encore peu explorée, qu’aborde la communication. L’étude
porte sur la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), un parti-mouvement qui s’est caractérisé depuis ses origines par
des frontières poreuses avec l’espace des mouvements sociaux. L’analyse focalise plus particulièrement l’attention sur
une strate d’engagement, celle des « nouveaux » militants ayant rejoint la LCR à partir de l’année 2002 (à la suite du
premier tour de l’élection présidentielle française), pour s’intéresser aux facteurs qui peuvent rendre compte de ces
engagements anticapitalistes. La recherche s’appuie sur un important travail empirique qui a articulé une approche
statistique fondée sur la réalisation de quatre enquêtes quantitatives (et notamment sur les résultats d’une enquête par
questionnaire menée au niveau national auprès des militants de la LCR), à une approche compréhensive de
l’engagement reposant sur la réalisation de quarante cinq entretiens (semi-directif et de type « récit de vie ») et d’un
travail d’observation de type ethnographique du socle routinier des activités militantes. En développant une approche
objectivante et subjectiviste du social, la recherche propose de repenser les processus de la production sociale de la
révolte, en étudiant comment l’expérience vécue d’une mobilité sociale (en particulier descendante, de type
intergénérationnelle ou sous la forme du déclassement scolaire) peut participer aux processus de politisation des
individus et des groupes et contribuer, ce faisant, à éclairer les logiques sociales des engagements individuel et collectif.
En insistant sur le rôle des représentations du monde social, nous chercherons à préciser le contenu des processus de «
politisation ». Parce qu’elle a également mis en lumière la fragilité particulière de ces engagements précaires, la
recherche amène aussi à interroger la façon dont les crises économiques modi.ent les conditions de la mobilisation, à la
fois ses formes (par exemple, la précarisation des conditions de travail des nouveaux militants explique leur moindre
syndicalisation, et la diminution au sein du groupe du pro.l « multipositionné » pourtant longtemps dominant en son
sein) et sa durabilité (la précarité des insertions professionnelles et les déstabilisations dans les trajectoires individuelles
qu’elle engendre rend également compte d’un turnover élevé – et de formes d’engagement s’inscrivant dif.cilement
dans la longue durée).
Les formes de l'engagement militant au prisme des trajectoires socio-économiques
et professionnelles : le cas des mouvements de chômeurs en Argentine
Rodriguez Blanco M.
Ecole des hautes études en sciences sociales
Cette communication se propose d’examiner, sous le rapport de facteurs socioéconomiques, professionnels et
diachroniques (avant et après la crise de décembre 2001) les trajectoires de chômeurs engagés dans les mouvements
appelés « piqueteros » (en raison de leur mode d’action à savoir le barrage de routes). Il s’agira plus précisément de
donner à voir, à partir de l’étude des modalités et des usages de l’engagement au sein de cette mouvance contestataire,
les enjeux et les tensions qui traversent les groupes populaires tant dans la gestion des ressources que les pratiques
militantes.
Les organisations « piqueteras » qui réclament à l’État du travail, voient le jour, à la .n des années 1990, dans le
contexte des transformations économiques profondes affectant principalement les classes populaires et des fractions des
classes moyennes. Ancrées localement à l’échelle du pays et de taille variable (allant jusqu’à 100 000 participants), elles
gagnent rapidement en visibilité médiatique, réclament à l’État du travail pour leurs membres et deviennent en quelques
années des « gestionnaires » des services publics sur les territoires.
Longtemps appréhendés par la littérature académique sous l'angle théorique des « nouveaux mouvements sociaux »
voire des « nouvelles formes politiques », ces lieux de recomposition militante ont surtout été caractérisés dans leur
rapport aux idéologies politiques. D’où la tendance globale à les analyser en dehors des processus dynamiques issus du
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monde social et économique et ce même lorsque l’on considère ses participants comme des « exclus ». Or, l’approche
par les trajectoires biographiques des membres de ces organisations s’avère particulièrement ef.ciente pour observer les
effets des propriétés sociales et des capitaux accumulés sur leurs participations militantes.
Notre analyse s’appuie ici sur une série d’enquêtes de terrain de longue durée, menées dans deux provinces argentines
(Buenos Aires et Jujuy) entre 2000 et 2007, auprès de différentes catégories de participants (dirigeants, leaders
intermédiaires, membres) au sein de plusieurs associations des chômeurs : la Corriente clasista y combativa (CCC), le
Mouvement des travailleurs au chômage (MTD) de La Matanza, le Mouvement des chômeurs du père Olmedo, la
Centrale des travailleurs de l’Argentine (CTA), le Mouvement social et culturel Tupaj Katari et l’Organisation des
quartiers Tupac Amaru. Nous avons donc multiplié, sur une période cumulée de deux années, des entretiens
biographiques approfondis (N=70) et constitué, à travers des observations ethnographiques, un corpus empirique de
plusieurs centaines de notes de terrain. Outre les assemblées organisées au sein des associations, ont été étudiées, par
exemple, les multiples activités notamment solidaires et économiques de .nancement de l’activité militante que sont les
échanges économiques ou « clubs de troc », la vente des produits fabriqués dans les coopératives de travail, les fêtes et
les loteries, etc.
De notre analyse procèdent trois idéaux-types qui variant selon différents facteurs socioéconomiques (l’origine sociale,
la carrière professionnelle, les origines migrantes, le genre, etc.), correspondent à des usages et des représentations
différenciés de l’engagement au sein de l’organisation.
Une première catégorie de participants caractérise des militants surinvestis dont la trajectoire ascendante vers les classes
moyennes connaît objectivement ou subjectivement le déclassement : elle correspond, par exemple, aux cas de
travailleurs sociaux ou d’étudiants qui, précarisés, trouvent dans les associations des chômeurs l’opportunité de
s’investir dans une cause militante. Un deuxième groupe de participants se rapportent à ceux qui, a contrario des
militants surinvestis, sont eux enclins à des formes d’engagement intermittentes dans l’action collective en lien avec des
carrières professionnelles marquées par l’instabilité et l’employabilité incertaine. Pour les agents de ce second groupe,
les organisations piqueteras incarnent d’ailleurs davantage un guichet de l’État susceptible de les sortir de la précarité
qu’un lieu de socialisation militante. Un dernier groupe rassemble, en.n, des individus marginalisés au regard des
caractéristiques modales des participants sur le plan des ressources économiques ou des origines migrantes.
'You are not a loan' : occupations et communautés en résistance face à la dette
Haeringer N.
Pas de rattachement
« Chère Madame, cher Monsieur,
Nous vous écrivons pour vous annoncer une bonne nouvelle : Rolling Jubilee, une organisation à but non lucratif, a
racheté le compte mentionné ci-dessous. (…) Par conséquent, vous ne devez plus le montant de cette dette. Elle est
effacée, et c'est un cadeau sans contre-partie. Vous n'êtes plus dans l'obligation de régler ce montant auprès du créditeur,
d'un collecteur ou de qui que ce soit d'autre ».
Ce courrier singulier, plus de 3000 ménages états-uniens l'ont reçu depuis 2013. Ces « réfugiés du système américain de
la dette », comme les appelle l'anthropologue David Graeber, ne parvenaient alors plus à rembourser les sommes qu'ils
avaient dû emprunter pour se soigner ou se loger. Ces cas sont loin d'être isolés : la dette représente aux USA 154 % du
revenu des ménages.
Or, l'un des ressorts du système de la dette est d’inverser les positions : en brouillant les pistes entre morale et
politiques, entre une incompétence personnelle (gérer un budget), la fatalité et des formes de domination et
d’oppression organisées, les victimes se vivent elles-mêmes comme des coupables. Être endetté devient une faute – et
l'endettement est, de ce fait, une situation individuelle sur la base de laquelle il est dif.cile de construire des
mobilisations sociales.
Comment organiser cette « armée silencieuse » des endettés ? Comment construire des mobilisations à partir d'une
situation que l'on cherche à cacher, sinon à fuir (quand on ne fuit pas littéralement les huissiers) ? Comment construire
de l'action collective alors que les endettés sont isolés – même lorsqu'ils s'engagent dans une résistance indirecte ( « Au
départ, nous pensions que la forme de désobéissance civile la plus appropriée serait d’appeler à faire une grève de la
dette, à ne pas payer les traites. Mais nous avons réalisé aussitôt que c’était déjà le cas : les situations de défaut de
paiement sont nombreuses », explique ainsi David Graeber).
C'est l'une des tâches à laquelle s'est attelé une partie des militants d'Occupy Wall Street : imaginer des mobilisations
qui articulent l’entraide et la construction d’un rapport de forces, la charité et un projet de transformation sociale.
Cette contribution propose de retracer l'évolution d'Occupy Wall Street, de l'occupation du Parc de Zucotti à l'initiation
de ce mouvement nommé « Strike Debt ! », en mettant l'accent sur les formes d'organisation et de campagne que les
militants ont inventé pour faire face à une précarité toujours plus diffuse.
Ma proposition de communication est basée sur des entretitreens réalisés entre 2011 et 2013 avec des acteurs d'Occupy
Wall Street, ainsi que sur une série d’observations participantes à New York et lors de rassemblements tels que le Forum
Social Mondial.
À travers l'exemple des stratégies de lutte contre la dette des ménages aux USA, cette communication entend proposer
quelques pistes de ré!exion pour comprendre les évolutions plus générales des mobilisations contemporaines, et en
particulier au regard de la dynamique altermondialiste des années 2000.
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Les "travailleurs" et les "paysans" face au capitalisme. La participation de
producteurs fermiers aux modes d'existence de classe et biopolitique dans le
contexte contemporain
Artoisenet J.
Université Catholique de Louvain-la-Neuve
Depuis quelques années, la phase actuelle de développement du capitalisme provoque dans la littérature le retour d'une
préoccupation pour la structure de classe, son évolution et les enseignements qui peuvent être tirés de son analyse pour
mieux comprendre le contexte et/ou expliquer les contours de l'action collective contestataire contemporaine (Chauvel
2001, Dubet 2003, Bouffartigue 2004, Lebaron 2012).
D'un côté, la .nanciarisation du capitalisme se déployant dans un environnement politique néolibéral, la mise en
concurrence mondiale des États et de leurs populations, l'endettement croissant des États vis-à-vis du secteur privé, la
concentration des richesses et les inégalités de patrimoine particulièrement importantes (Piketty 2013) mettent à
l'épreuve les acteurs mobilisés et les actions qu'ils mènent collectivement. D'un autre côté, l'expansion de l'économie
capitaliste, ou "l'accumulation par la dépossession", fait surgir "les enjeux politiques du milieu de vie" (Harvey 2003) :
l'appropriation privée des terres, la commodi.cation des semences, la destruction de l'environnement et, plus
globalement, la marchandisation de la nature sont des contenus dont tentent de se saisir nombre de mouvements
sociaux.
Ce contexte historique se caractérisant également, en Europe, par la désarticulation entre "classe en soi" (condition
objective) et "classe pour soi" (représentation subjective) au sein de la classe des travailleurs, c'est la dimension
symbolique du discours de classe et de sa disparition depuis les années '80 ainsi que la diversi.cation des référents
identitaires au travail (Dubar 2003) qui constituent la trame de fond sur laquelle se produisent des mobilisations
d'acteurs traversées par un rapport de classe (Dubet 2003), c'est-à-dire dont une partie au moins de l'explication réside
dans le con!it portant sur l'appropriation des richesses.
La communication qui sera réalisée se propose d'envisager la question de la recomposition de solidarités et d'acteurs
collectifs face à ce contexte global par le biais d'une enquête qualitative menée dans le cadre d'une recherche doctorale
FNRS en cours depuis 2 ans et portant sur la redé.nition de la représentation politique agricole en Belgique
francophone (Wallonie) au-delà de ses frontières professionnelles. Le terrain étudié s'est construit sur la base des
alliances que certains représentants du monde agricole tentent de tisser avec d'autres types d'acteurs (syndicats de
salariés, d'employés et de fonctionnaires, associations culturelles et environnementalistes, ONG's, consom'acteurs,
"nouveaux paysans"...) tout en considérant des enjeux d'une nature plus large que strictement professionnelle,
notamment la distribution des richesses et l'avenir biologique de l'espèce humaine. Le matériau empirique, utilisé en
grande partie pour étudier les représentations cognitives des producteurs qui redé.nissent leur identité collective dans
ces coalitions, se structure à travers 3 types de données. 20 entretiens compréhensifs semi-directifs ont été réalisés avec
ces représentants, 30 autres seront réalisés pour la .n de l'année 2014. Des observations directes d'actions collectives
ont également été effectuées. Celles-ci sont de 3 types :
- actions contestataires (tentative de blocage d'un sommet européen et tentative d'encerclement de l'European Business
Summit a.n de dénoncer le TTIP/TAFTA et le Traité de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance européen,
rassemblement devant le parlement européen pour dénoncer la réforme actuelle concernant la législation sur les
semences, occupation d'un terrain agricole destinée à un projet d'urbanisation...)
- action de mobilisation interne (distribution de pommes de terre pour informer de la condition matérielle de certains
agriculteurs et de travailleurs salariés, marches pour "sensibiliser l'opinion publique" aux "politiques d'austérité",
discussions publiques d'acteurs mettant en commun leur expérience au travail...)
- action de délibération (Symposium Populaire de l'Agriculture Paysanne, meeting d'une alliance inter-professionnelle,
assemblée fondatrice d'un acteur collectif...).
Une recherche documentaire d'interventions dans l'espace public des représentants étudiés est également effectuée et
consiste en la récolte de tracts, de communiqués de presse et, surtout, de journaux agricoles.
Plusieurs points seront abordés. Premièrement, le rapport des agriculteurs au capitalisme doit être brièvement resitué.
Les représentants étudiés font partie d'une économie agricole reposant sur des structures, appelées couramment des
fermes, qui ne sont pas en elle-même capitalistes, c'est-à-dire dans lesquelles il n'y a pas de séparation capital/travail
(Ploeg 2013). Ensuite, il s'agira de mettre en évidence les soubassements socio-économiques et socio-culturels des
acteurs engagés au sein des coalitions étudiées, ainsi que leurs trajectoires professionnelles a.n de mettre en évidence
les convergences dont est vecteur le contexte économique actuel. Parmi ceux-ci, deux couches sociales sont
identi.ables. D'un côté, des producteurs qui ont joué la carte de la révolution verte (mécanisation, emploi d'intrants
extérieurs (pesticides et engrais de synthèse), augmentation de la productivité par individu) et qui font face aux limites
de leur développement au sein de l'économie mondiale qui accroit encore un peu plus le degré de dépendance à l'agroindustrie (producteurs de machines et d’équipement agricoles), à l'agro-alimentaire (transformation des produits
agricoles bruts) et à la grande distribution. Subissant d'une manière particulière les rapports de domination capitalistes,
par la médiation du marché, ils portent avec d'autres une critique commune du capitalisme dans sa phase néolibérale
tout en construisant le caractère collectif de l'expérience au travail dans ce contexte. De l'autre côté, des producteurs qui,
notamment en maitrisant davantage la production, la transformation et la distribution eux-mêmes, parviennent à
conserver davantage de valeur économique et qui cherchent à reconstruire ce qu'ils appellent "une paysannerie" au
travers d'alliances avec des amateurs et des candidats dits "paysans". L'origine socio-économique des acteurs avec
75
lesquels ces représentants tentent de s'allier sera également précisée. En.n, il s'agira de montrer comment ces deux
groupes sociaux, pour faire face à la menace qui pèse sur eux dans le contexte actuel, sont confrontés à deux modes
d'existence politique. Cette notion, inscrite dans la .liation théorique constructiviste de l'étude de la formation des
entités collectives (Thompson 2012 [1963], Boltanski 1982, Bourdieu 1984, Thévenot 2006) est dé.nie comme un
ensemble cohérent de représentations mentales du monde, de soi et d'une entité collective en formation qui balise la
manière dont la représentation politique et les actions collectives s'effectuent et qui sert de support à un type particulier
d'existence collective dans l'espace public. D'un côté, les rapports de domination capitalistes qui structurent l'expérience
au travail rapprochent ces producteurs de l'identi.cation au groupe dits des "travailleurs" dé.ni dans son opposition à la
classe dirigeante. De l'autre, c'est en tant qu'identi.cation à l'espèce humaine dé.nie de manière biologique que le
deuxième groupe tente de s'insérer dans une action collective contestataire qui repose sur la critique des techniques de
production industrielles et de la marchandisation de la nature tout en faisant de la .gure du "paysan" le gardien de
l'ordre biologique face à l'expansion capitaliste. Confrontés à ces deux modes d'existence politique, ils ne se confondent
pas avec mais s'y rapportent d'une manière complexe, entre proximité et distanciation.
Bibliographie
Chauvel L., 2001 : « Le retour des classes sociales ? », Revue de l'OFCE, n°79, pp. 315-359.
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Bouffartigue P. (dir.), 2004 : Le retour des classes sociales, La Dispute.
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Ploeg J. D. Van der, 2013 : Peasants and the art of farming. A Chayanov manifesto, Canada, Fernwood Publishing.
Thompson E. P., 2012 [1963] : La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Le Seuil.
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Bourdieu P., 1984 : « Espace social et genèse des « classes » », Actes de la recherche en sciences sociales, vol.52-53,
pp. 3-14.
Thévenot L., 2006 : L'action au pluriel. Sociologie des régimes d'engagement, Paris, La Découverte.
La crise comme opportunité et argument : la mobilisation de dirigeantes
économiques en faveur des quotas d’administratrices (France, 2008-2011)
Rabier M.
Bretagne Occidentale
« Des entreprises mâles dirigées » : tel est le titre de la Une du quotidien Métro, le 20 janvier 2010, alors que
l'Assemblée Nationale examine la proposition de loi visant à instaurer un quota de 40% de femmes dans les conseils
d'administration des grandes entreprises. En jouant sur l’homophonie de « mal » et « mâle », ce titre illustre les
revendications et les arguments employés par les dirigeantes mobilisées en faveur des quotas d’administratrices. Audelà de la sous-représentation des femmes aux postes de décision dans les entreprises, l’expression renvoie à la critique
d’une « mauvaise » gouvernance des entreprises, « révélée » par la crise économique. Cette double dénonciation, mise
en parallèle, résume l'argument moral et économique employé par les organisations de dirigeantes (associations de
femmes chefs d'entreprise, de cadres dirigeantes, de créatrices d'entreprise, d'anciennes élèves de grandes écoles...) et
leurs porte-paroles, dans un contexte économique particulier. En effet, sans nier les effets de la crise économique, qui a
touché plus durement les femmes que les hommes (licenciements, précarité, réduction du temps de travail…), il s’agit
ici de montrer que la crise économique constitue, pour des dirigeantes engagées, une opportunité, médiatique et
discursive, pour se faire entendre et légitimer leur cause (l’accès des femmes aux postes de direction) en proposant un
autre modèle de gouvernance des entreprises (mixte plutôt que masculin).
Cette communication propose de revenir sur une mobilisation « respectueuse », dont l’expertise est le registre central du
répertoire d’action. La production et la diffusion d’expertises par les organisations de dirigeantes a contribué, tout
d’abord, à imposer un diagnostic et à construire un problème public : celui de la sous-représentation des femmes aux
postes à responsabilité. Le manque de femmes est d'abord analysé comme une des causes de la crise économique, la
crise étant perçue par ces groupes comme l'échec du modèle « masculin » de l'exercice du pouvoir (compétitivité,
individualisme, prise de risques...), qui proposent, à l'inverse, un modèle « mixte » de direction des entreprises où la
présence de femmes favoriserait une meilleure gouvernance économique, en raison des qualités prétendument «
féminines » que ces dirigeantes promeuvent. Si le système libéral n'est pas remis en cause, il s'agit de « l'équilibrer »,
par une présence accrue des femmes. Un plus grand nombre de femmes dirigeantes est aussi envisagé comme un
remède à la crise économique : les organisations s'appuient en cela sur des études anglo-saxonnes et françaises qui,
depuis le début des années 2000, tendent à établir une corrélation entre la présence de femmes dans les instances de
76
direction et la performance économique des entreprises.
Dans un premier temps, cette communication reviendra sur les actrices mobilisées sur ce dossier. Les entrepreneuses de
la cause sont les « béné.ciaires potentielles » de cette mobilisation, des cadres dirigeantes de grandes entreprises qui
cumulent un grand nombre de ressources (scolaires, professionnelles…) et se distinguent des cheffes de petites et
moyennes entreprises, plutôt opposées aux quotas. Il s’agira, ensuite, de s’interroger sur le cadrage opéré par cette
mobilisation, dont l’argument central repose sur la « performance de la mixité » : un argument économique (plutôt que
moral ou politique) justi.ant les quotas d’administratrices au nom de la performance économique que la présence des
femmes à la tête des entreprises entraînerait.
Cette communication s'appuiera sur un travail de thèse en science politique (soutenue en 2013) sur l'espace de la
représentation et les formes de mobilisation des dirigeantes économiques en France, réalisé à partir de 80 entretiens
approfondis auprès de dirigeantes et de leurs représentantes (présidentes d'associations professionnelles, clubs,
responsables politiques...), d'observations directes et de l’analyse d'un corpus documentaire et de presse.
Manifestations contre la vie chère et crise économique au soudan : comprendre ce
qui mobilise et ce qui sépare dans la contestation au Soudan
Chevrillon-Guibert R.
Université d'Auvergne (Clermont 1)
Dans cette communication je me propose de revenir sur les mobilisations soudanaises du printemps 2012 et de
septembre 2013 pour voir ce qu’elles nous apprennent de la contestation au Soudan et du rôle joué par la crise
économique dans la mobilisation. L’ampleur des manifestations ont suscité l’espoir d’une chute paci.que du régime à
l’instar de ce qui s’était passé dans le pays en 1983 et des exemples voisins. La mobilisation de la petite bourgeoisie
d’ordinaire favorable au régime apparaît comme la grande nouveauté de ces manifestations. S’interroger sur les facteurs
qui poussent ces personnes à manifester contre le régime alors qu’elles ne se sont pas révoltées auparavant constitue un
point fondamental pour comprendre aujourd’hui la contestation au Soudan et discuter de son éventuelle nouveauté.
Néanmoins, les manifestations n’ont pas abouti au renversement du régime qui se maintient toujours malgré des guerres
récurrentes dans les régions périphériques et des mobilisations plus ponctuelles qui persistent encore aujourd’hui dans
de nombreuses grandes villes du pays. Beaucoup de raisons sont généralement avancées pour expliquer l’essouf!ement
des grandes manifestations et le fait qu’elles n’aient pas abouti à la chute du régime : une adhésion malgré tout limitée
de la population, la coercition du régime, la peur de la guerre civile, l’objectif premier de survie des personnes, la
géographie de Khartoum, etc. Si tous ces éléments apportent leur part de lumière sur la contestation, revenir sur ces
mobilisations « qui ne prennent pas » en interrogeant les trajectoires des acteurs engagés dans les manifestations et de
ceux qui choisissent de ne pas descendre dans la rue apporte un élément de compréhension crucial de la contestation
soudanaise et son insertion avec les autres formes de mobilisations, partisanes et armées.
Ainsi, nous discuterons dans cette communication du rôle de la crise économique dans la création de nouvelles
mobilisations et le rapprochement des contestations. Nous verrons notamment que les manifestations de 2012 ont réuni
des acteurs pour l’essentiel extérieurs à l’alliance hégémonique islamiste, alors qu’en 2013 et 2014, une part de la petite
bourgeoisie liée au régime est aussi descendue dans la rue. Nous discuterons également des limites à ce rapprochement
car cette réunion des contestations s’est avérée éphémère et n’a pas abouti à une alliance qui dépasse le temps de la
manifestation. A travers l’étude de ces trajectoires appréhendées grâce à des biographies, nous essayerons donc de
déceler certains facteurs qui favorisent et ceux qui empêchent la constitution d’une contestation uni.ée des différents
acteurs des manifestations mais aussi de ces acteurs avec ceux d’autres organisations contestant le pouvoir (opposition
partisane, opposition armée).
La société civile face à la crise en Europe : créativités, registres de protestation et
échelles du politique
Canabate A.
Denis Diderot - Paris VII
La crise .nancière de 2007 a bloqué les mécanismes économiques dans les grands pays industrialisés. Après la faillite
de Lehmann Brothers, et son impact sur l’ensemble des compartiments du marché du crédit, le risque systémique a pris
une forme concrète. La crise .nancière s’est transformée en une crise économique mondiale, révélant ainsi les limites
de certains dogmes établis. En premier chef : l’idée que le marché peut, en toute circonstance, s’autoréguler. La crise
qui frappe l’Europe est donc aussi une crise d’une certaine forme de rationalité mimétique, dans la mesure où le
développement d’un certain fondamentalisme de marché est allé de pair avec un type précis de pouvoir économique,
politique et idéologique. Face à cette situation, des élans d’indignation citoyenne ont vu le jour. En effet, d’importants
mouvements contestataires ont émergé, à partir de 2011 en Europe, traduisant le sursaut des peuples qui souffrent le
plus de la crise : « Mouvement des places » en Grèce, « 15M » en Espagne, « 12M » au Portugal. Ces différents
mouvements civils dénoncent l’ingérence de la Troïka et plus largement les formes de la représentation politique. Car
les mesures d’austérité mises en place dans les pays fortement impactés par la crise dans le but d’équilibrer les budgets
suite au sauvetage des banques, ont eu pour effet d’aggraver la pauvreté et les inégalités. Ces politiques ont généré des
effets en chaîne particulièrement nocifs, comme le démantèlement de droits sociaux. Les services essentiels tels que
l’éducation et la santé ont fait l’objet de compressions ou de privatisations, enfermant les populations frappées par ces
mesures dans le cercle vicieux de la pauvreté.
77
Ces mouvements sociaux s’opposent à la fois à la domination des logiques de marché et à la fois aux excès de pouvoir
d’un État perçu comme extérieur à la société. En cela, il s’agit de « mouvements pré-.guratifs » (Pleyers, Clasius, 2013)
qui proposent des cadres d’expériences visant l’élaboration d’un autre monde, davantage en adéquation avec les valeurs
de justice sociale qu’ils souhaitent incarner. Ces différentes protestations agrègent d’une certaine manière les «
subjectivités rebelles », les « surnuméraires » (Negt, 2007) et laissés-pour-compte de l’Europe néolibérale. De
nombreuses initiatives d’économie alternative sont nées de ces mouvements. Souvent proche de l’économie sociale et
solidaire, elles mettent en place des réseaux de solidarité qui visent à pourvoir aux besoins essentiels de la population,
en veillant à instituer un cadre démocratique de délibération « par le bas ». Ainsi, depuis 2009, voit-on s’accroître un
enthousiasme réel pour la récupération d’entreprises et le coopérativisme. La séduction que les coopératives opèrent
provient du fait qu’il s’agit de substituer le schéma hiérarchique et déresponsabilisant d’un patron envers ses salariés, à
une structure ouverte où les individus sont associés et mutualisent les risques, grandes décisions et orientations
stratégiques. D’autres types de mobilisations ont émergé, conjuguant combat politique et forme de vie et visant à
réintroduire, dans les mécanismes économiques, des facteurs traditionnellement laissés à la marge, par une sorte de
moralisation de l’économie. Pour ce type d’initiative, les préoccupations environnementales sont intégrées au sein des
procédures préexistantes de la démocratie représentative. Il existe ainsi de plus en plus de forums délibératifs, dans
lesquels sont remis pratiquement en question la dé.nition du commun, le partage des ressources et les conditions
d’accès. Il s’y articule un désir de redé.nition des valeurs partagées et d’expérimentations concrètes permettant une
transition vers d’autres manières de vivre prenant en compte la matérialité des territoires. En.n, en Espagne, Grèce et
Portugal, se sont créés des espaces de stimulation du lien social : centres sociaux autogérés, dispensaires sociaux,
marchés communautaires etc. Ces espaces se caractérisent par leur aspect autogéré, gratuit et délibératif. Certains
existaient avant la crise, investis par des réseaux militants mais la plupart ont vu leur vocation s’ampli.er et leur
fréquentation exploser, en Espagne notamment. D’autres se focalisent sur un besoin précis, l’objectif étant de proposer
des solutions immédiates et localisées aux problèmes générés par les politiques d’austérité. En.n, les systèmes locaux
d’échanges et les monnaies complémentaires se sont également beaucoup développés car ils offrent un outil de
préservation de la richesse locale, et permettent d'échanger des compétences, des services, des savoir-faire et des
produits selon une unité d’échange virtuelle, le plus souvent basée sur le temps.
Ces structures disparates et ces mouvements coagulent d’une certaine manière - à l’intérieur d’un processus de «
démocratie en continu » (Ferret, 2013) - des groupes qui œuvraient dans leur coin de manière locale et sectorielle. Il
s’agit d’une forme d’opposition critique à des dominations complexes et à des valeurs culturelles globales, telles que la
verticalité des rapports sociaux ou les effets de certaines idéologies dominantes. Ils marquent ainsi une rupture avec les
mouvements sociaux traditionnels en ce que leurs actions concernent des problèmes identi.ables, « universels dans le
concret » (Ferret, 2013b). Nous nous proposons ainsi, dans un premier temps d’exposer les différents types de registre
de ces initiatives alternatives qui ont émergé en temps de crise. Puis, dans un deuxième temps, d’interroger la forme de
ces mouvements contestataires qui cherchent semble-t-il à incarner un nouveau type de délibération. Nous exposerons
en.n, en quoi certains éléments mènent à considérer qu’il s’agit d’un renouvellement des registres de protestation et un
changement de rationalité politique quand aux échelles de mobilisation.
Concernant le matériau empirique, cette communication est basée sur un travail de terrain réalisé en 2013 en Grèce, en
Espagne et au Portugal, dans le cadre d’une recherche commanditée par le Parlement Européen et ayant fait l’objet d’un
rapport édité, et intitulé : « La cohésion sociale en temps de récession prolongée : initiatives alternatives et formes des
résistances – Espagne, Grèce, Portugal », Rapport d’étude pour le Groupe EELV/EFA, Bruxelles, 2014. Les conclusions
majeures ont été exposées lors d’un colloque éponyme au parlement Européen en février 2014. D’autres éléments ont
fait l’objet de communications (passés et à venir) tels que : Alice Canabate : « Les initiatives de transition écologicosociale impulsées par la crise : imaginaires circonstanciers ou chemin politique vers des principes de coagulation de
luttes ? », Colloque international « Les chemins politiques de la transition écologique », ENS Lyon, 27-28 octobre 2014
(à venir). Ou encore de chapitre d’ouvrage, à paraître : Alice Canabate, « Subjectivités rebelles et espaces publics
oppositionnels : vers la construction d’un autre commun ? », in Brigitte Frelat Kahn, Jan Spurk et Pierre-Antoine
Chardel, Espace public et reconstruction du politique, Presses des Mines, (parution prévue janvier 2015).
Les mobilisations sociales aux Antilles françaises entre anticapitalisme et critique
post-coloniale : le cas du collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon au prisme de la crise
guadeloupéenne (2009)
Odin P.
Sciences Po - IEP de Paris
Cette contribution se propose d'apporter des éléments de compréhension concernant les acteurs et les dynamiques à
l'œuvre dans les mobilisations sociales aux Antilles françaises, à l'aune de l'exemple que constituent la grève générale
survenue en Guadeloupe durant l'hiver 2009 à l’appel du collectif LKP (Liyannaj Kont Pwo.tasyon – unité contre
l’exploitation). Ce collectif de 48 organisations, créé le 5 décembre 2008 et toujours à l’œuvre actuellement, se donnait
pour but de mobiliser la population guadeloupéenne contre la « vie chère », en désignant le système d’échange
économique entre la métropole et la Guadeloupe comme responsable d’une hausse des prix ressentie d’autant plus
durement par la population que l’île subissait les conséquences de la crise économique.
Il est intéressant de rappeler que, dans un bref article publié au sujet de la Guadeloupe en 2009, Immanuel Wallerstein
décrivait la situation en Guadeloupe comme un cas paroxystique de montée des contradictions liées à l'épuisement de
l'économie héritée de l'ère des conquêtes coloniales, soulignant l'impossibilité pour les intérêts du capitalisme français
de continuer à prospérer dans la con.guration actuelle - notamment d'assurer la continuité de l'appropriation
78
monopolistique du produit des échanges économiques au pro.t des élites locales au milieu de la « catastrophe
économique planétaire » ( Wallerstein, 2009). Reprenant ce constat, cette contribution se donne pour but premier de
montrer comment le capitalisme, avec ses temporalités et ses crises, inhibe ou facilite des identités et des solidarités
collectives au travers des rapports sociaux de classe à l’intérieur des mouvements (Hetland & Goodwin, 2013). Dans ce
cadre, nous insisterons particulièrement sur la manière dont le contexte économique façonne des mouvements
contestataires adoptant la lutte de classe comme référentiel principal, même si ces mouvements ne présentent pas
d’assise de classe - ou de « conscience de classe » - au sens marxiste du terme. Nous verrons que les acteurs mobilisés
mettent également en avant des appartenances ethniques et raciales sans cesse articulées à des problématiques
économiques endémiques, dans la mesure où ces « identités de lutte » renvoient à des formes d’oppression spéci.ques
considérées comme spéci.quement coloniales (Mc Adam, 1964 ; James, 1967).
Nous souhaitons également revenir sur le rôle joué par les organisations ouvrières en Guadeloupe en interrogeant la
posture offensive af.chée par les syndicats et les partis membres du LKP dans l'économie générale de la mobilisation, à
contre-courant de la domestication des con!its sociaux et des con!its du travail telle qu'elle est envisagée par les
promoteurs du « dialogue social ». D’abord, en rendant compte des usages contestataires du registre syndical aux
Antilles : fortement in!uencé par l’histoire commune aux organisations et les luttes menées dans le passé, mais
également capable de mobiliser largement autour de lui en raison de l’implantation et de la capacité à aménager des
espaces d’expression, de participation et d’expérimentation en fonction des con.gurations locales démontrée par les
syndicats. Ensuite, en envisageant le syndicalisme comme lieu historique d'insubordination et de développement d'une
politique indépendantiste aux Antilles françaises : de penser l'insubordination comme un facteur de cohésion et
d’agrégation sociale qui permette aux organisations de dépasser leur dé.ance réciproque en vue d’une lutte commune,
mais aussi d'impulser et de polariser les luttes en dehors du lieu de travail où s'exprime traditionnellement le registre
syndical.
En.n, cette contribution a également été pensée comme une exploration du versant idéologique de la matrice
anticolonialiste dont se revendiquent ces coalitions protestataires, a.n d'en restituer les controverses et de comprendre
en quoi ces lignes de clivage sous-tendent les orientations stratégiques des différentes organisations anticolonialistes.
Elle doit également permettre de comprendre, à la fois au contact des analyses systémiques (Balibar &Wallerstein,
2007) et des travaux des cultural studies qui dialoguent avec le marxisme (Hall 2008 et 2013), en quoi la dualité
spéci.que de la conjecture sociale et politique aux Antilles, entendue à la fois comme une « crise sociale » et une crise «
raciale » a poussé les acteurs à faire travailler ces catégories dans un sens convergeant, et à transformer leurs différentes
grilles de lecture idéologique en ressources critiques pour discréditer l'appareillage colonial de l’État français.
Bibliographie
BALIBAR, Etienne; WALLERSTEIN, Immanuel. Race, nation, classe?: Les identités ambiguës. Editions La
Découverte, 2007, 307 p.
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FANON, Frantz. Les damnés de la terre. Paris : La Découverte, 2004, 311 p.
GUERIN, Daniel, CESAIRE, Aimé. Les Antilles décolonisées. Nouv. éd. Editions Présence Africaine, 1986, 188 p.
GIRCOUR, Frédéric, REY, Nicolas. LKP Guadeloupe : le mouvement des 44 jours. Editions Syllepse, 2010, 187 p.
HALL, Stuart. Identités et cultures?: politiques des cultural studies. Édition : Seconde édition, revue et augmentée. Paris
: Editions Amsterdam, 2008, 411 p.
-
Identités et cultures 2?: Politiques des différences. Paris : Editions Amsterdam, 2013, 283 p.
JAMES, C. L. R., et al. Sur la question noire?: La question noire aux Etats-Unis 1935-1967. Paris; Que?be?c (Canada) :
Editions Syllepse, 2012, 170 p.
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MCADAM, Doug. Freedom Summer?: Luttes pour les droits civiques, Mississippi 1964. Marseille : Agone, 2012, 496
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MONETA, Jacob. La politique du parti communiste francais dans la question coloniale, 1920-1963. François
MASPERO Collection Livres Rouges. Ed François MASPERO Collection Livres Rouges, Paris : 1971.
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2008, 280 p.
79
WALLERSTEIN, Immanuel. Commentary No. 252 “Guadeloupe: Obscure Key to World Crisis"| Fernand Braudel
Center, Binghamton University. Mar. 1, 2009.
80
ST 16 : Les nouveaux rapports au politique et leurs mécanismes de
socialisation
Développer un sens civique à travers des sociabilités festives et récréatives: la
socialisation politique des jeunes en milieu rural
Daf!on A.
Université de Lausanne
La socialisation politique des jeunes a longtemps été analysée à partir de l’enfance sous le prisme d’instances classiques
que sont l’école et la famille (Jennings, Niemi, 1981 ; Maurer, 2000 ; Muxel, 2001 ; Sears and Levy, 2003 ; Sapiro,
2004, Tournier, 2009). Concluant pour certains à la force de la transmission familiale et à la précocité de la .xation des
préférences partisanes, ces travaux ont fortement sous-estimé les mécanismes de formation ultérieure. Mais surtout,
s’appuyant sur des analyses quantitatives et des récits rétrospectifs, la compréhension des processus par lesquels les «
jeunes adultes » façonnent leurs attitudes politiques n’est que très partielle. En.n, en adoptant une dé.nition restrictive
de la socialisation politique, ils se sont surtout intéressés à ses résultats, c’est-à-dire à la « réussite » de la transmission
d’opinions politiques, de préférences partisanes et d’orientations électorales, excluant par là même toutes les attitudes
ne se rapportant pas à un univers politique spécialisé. En dé.nitive, ces perspectives de recherche ont minimisé la
politisation des jeunes tout en réduisant ses formes à de grands facteurs explicatifs. Tous ces angles morts s’inscrivent
plus généralement dans le constat qu’effectuent une nouvelle génération de travaux (Juhem, 2001; Bargel, 2009 ; Pagis
2009 ; Abendschön, 2013) sur les enjeux de dé.nition et d’opérationnalisation que pose la notion de socialisation
politique. Il semble donc nécessaire et intéressant d’interroger « ce qui se joue » politiquement à la .n de l’adolescence
et au début de l’âge adulte pour suggérer de nouvelles manières d’aborder et d’analyser la socialisation politique.
Cette communication se propose ainsi d’étudier les nouveaux rapports au politique et leurs mécanismes de socialisation
à partir d’une enquête ethnographique multisituée auprès de jeunes engagés dans des sociétés de jeunesse campagnarde
en Suisse romande . Je tiens à montrer tout l’intérêt de passer par des activités « ordinaires » (au sens où elles ne se
rapportent pas directement à la politique), à savoir les sociabilités juvéniles en milieu rural, pour comprendre comment
la socialisation à la politique s’effectue. Pour ce faire, il convient de déplacer le questionnement de la socialisation «
reconstituée » à la socialisation « en train de se faire », de la scruter en actes à partir de ses rouages concrets, et
d’adopter une conception du rapport au politique qui ne se réduit pas à l’identi.cation de prises de positions «
proprement politiques » mais qui prenne en compte l’ensemble des schèmes de perception et d’action relatifs au monde
politique ou participant d’un « rapport politique au monde social » (Maurer, 2000). Cette acception large du politique
invite à repérer davantage de processus de politisation qu’une dé.nition resserrée ne l’autorise et correspond mieux aux
expériences que vivent les jeunes en milieu rural. Lors de ces dernières, le politique ne se dit pas politique. Il ne renvoie
pas à des partis, à des idéologies ou à des objets de votation. Il s’exprime davantage à travers des positions et des
valeurs orientées vers les clivages et les enjeux de la société civile (Gamson, 1992 ; Eliasoph, 2010, Hamidi, 2010).
En effet, les sociétés de jeunesse campagnarde, que l’on retrouve dans beaucoup de villages de Suisse romande, sont
caractérisées par un véritable « évitement du politique » (Eliasoph, 2010). Se donnant pour but « la promotion
d’activités sportives et culturelles dans un esprit festif et un climat d'intense amitié », les activités auxquelles les jeunes
participent (manifestations villageoises, soirées festives, sorties « culturelles » et sportives, voyages) ne sont jamais
quali.ées et considérées comme politiques par les membres. Bien plus que ça, les discussions sur des objets politiques
ou d’actualités sont extrêmement rares et très vites esquivées. Or, à y regarder de plus prêt on constate qu’une multitude
de mécanismes de socialisation ne s’inscrivant pas directement dans l’univers politique, a des effets en termes de
politisation (Bourdieu, 1977). Non seulement les processus qui conduisent à éviter le politique produisent des
conséquences sur le sentiment d’autorité à l’égard de la politique institutionnelle, mais surtout au travers de sociabilités
festives et récréatives, se développe un véritable sens civique, c’est-à-dire un attachement au monde environnant et une
disposition à s’engager collectivement et par la voie délibérative pour résoudre les problèmes de la cité (Putnam, 2000 ;
Sapiro, 2006).
Nous verrons premièrement que la transmission des manières de voir, de dire, de sentir et d’agir s’effectue dans des
contextes de fête et de loisirs et par l’intermédiaire de .gures et d’images emblématiques facilitant ainsi le caractère
implicitement politique des mécanismes de socialisation (Corbin et al., 1994). Nous constaterons par ailleurs que cette
familiarisation au politique est également le produit d’inculcations (volontaires ou involontaires) morales ou
pédagogiques reposant sur des dispositifs contraignants et impliquant un certain nombre d’apprentissages manifestes.
Deuxièmement, j’insisterai sur ce qui est appris, désappris, modi.é et mis en veille au cours des sociabilités juvéniles.
Dans un contexte où les transformations du rural helvétique romand bouleversent la cohésion sociale des habitants et où
les jeunes ruraux sont davantage susceptibles d’évoluer dans des mondes divers et variés, nous verrons que les
sociabilités festives poussent les membres à maintenir une unité et une langue commune, par la perpétuation et/ou la
création de symboles et de traditions. Dès lors se développent chez les jeunes un fort sentiment d’attachement et
d’appartenance à l’espace environnant qui les amène à défendre collectivement des positions qui nourrissent à bien des
égards leur rapport à la politique et plus particulièrement au vote, puisque l’on constate une très forte participation
politique. Je veux parler ici des divisions qui sont opérées entre le « nous » et le « eux » (Hoggart, 1957), entre la
tradition et le progrès, entre l’activité et l’inactivité, entre le rural et l’urbain, entre le local, le national et l’étranger,
entre la culture légitime et illégitime, entre la pute, le pédé et la sexualité « respectable », en d’autres termes aux
divisions qui sont effectuées entre les différents groupes sociaux qu’ils soient de classe, de genre, de race et d’âge.
En.n, en insistant sur la pluralité des parcours de vie je montrerais que les expériences vécues en société de jeunesse ne
81
sont pas réceptionnées de la même manière par tous les individus (Lahire, 2002). Si l’on partage ici l’idée que la
socialisation est un processus très largement inconscient qui transforme les contraintes sociales en évidences «
naturelles » (Durkheim, 1911), les individus ne sont pas des surfaces vierges sur lesquels s’impriment toutes les
in!uences sociales. Au contraire, dans ce processus le socialisé est actif et remet en cause certains aspects de la société
(Percheron, 1993). Dans ce cadre, les variations classiques en termes de classe, de genre et d’âge permettront de
comprendre les modalités par lesquelles les jeunes négocient et se réapproprient les contenus des sociabilités juvéniles.
Cependant, on montrera surtout que la réalité à laquelle ils font face s’assimile et s’accommode différemment selon le
caractère dissonant ou harmonieux des différentes sources de socialisation auxquelles les jeunes sont exposés (Lahire,
1998 ; Darmon, 2006).
En dé.nitive, cette communication a pour but de situer le rapport au politique sur un continuum (qui va de la sphère
politique institutionnalisée aux rapports de pouvoir et de domination qui animent les activités sociales les plus
ordinaires) et de considérer que tous les éléments de la socialisation sont susceptibles de fonctionner comme des
opérateurs d’identi.cation et d’appréciation politiques dès lors qu’ils structurent le rapport des individus à eux-mêmes,
à leurs univers d’appartenance et au monde environnant.
Bibliographie
ABENDSCHÖN, Simone (dir.), Growing into Politics: Contexts and Timing of Political Socialisation, Colchester, UK :
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82
Nouvelles familles? Nouvelles mères? Autres rapports au politique?
Réguer-Petit M.
Sciences Po Paris
Les expériences des séparations conjugales et recompositions familiales peuvent-elles in!uer sur le rapport au politique
des femmes et sur leur rôle d’agent socialisateur ?
Cette question émerge du décalage entre la sociologie de la famille soulignant la diversi.cation des con.gurations
familiales (Segalen, Martial 2013) et la prédominance d’un modèle nucléaire convoqué par les travaux sur la
socialisation politique (Dolan 1995).
Cette communication éclaire par ailleurs le paradoxe émergeant des travaux soulignant la prédominance des mères dans
la socialisation politique familiale (Zuckerman, al. 2007; Muxel 2011). Comment expliquer que les femmes, moins
politisées, selon les indicateurs communément utilisés (Chiche, Haegel 2002; Lizotte, Sidman 2009) , soient des agents
centrales de socialisation politique ? L’usage d’une dé.nition élargie du politique et de méthodes spéci.ques de
repérage du politique (Duchesne, Haegel 2004) éclairent ce paradoxe en saisissant les mécanismes quotidiens qui pèsent
sur le rapport au politique.
Les résultats s’appuient sur 80 entretiens semi-directifs réalisés auprès de mères en familles nucléaires, en familles
monoparentales et belles-mères.
La structure familiale in!ue sur le contenu de la socialisation politique. La critique d’un modèle patriarcal développée
par les mères seules et belles-mères mais aussi l’expérience de la justice vécue par les femmes dans des contextes de
séparations conjugales favorise la transmission de valeurs féministes d’une part et d’un sentiment de dé.ance à l’égard
des institutions étatiques d’autre part.
En.n, la structure familiale in!ue sur les mécanismes de socialisation. Les stratégies de transmission et les pratiques
quotidiennes, porteuses de dispositions politiques, varient selon la con.guration familiale.
L’opinion comme apprentissage : analyse de la formation de l’opinion personnelle
chez les enfants
Simon A.
Université Montpellier 1
Dès l’école primaire, la plupart des enfants sont en mesure de formuler des opinions politiques qu’ils revendiquent
comme personnelles (Throssell 2009 ; Lignier, Pagis 2013). Faut-il voir dans leurs paroles une répétition mécanique des
propos entendus dans l’entourage adulte, comme le veulent les études classiques de socialisation qui cherchent avant
tout à repérer les mécanismes de transmission (par exemple Lane 1959 ; Hess, Torney 1967 ; Jennings, Stoker, Bowers
2001) ou au contraire une dynamique de création à travers laquelle l’enfant se constitue en tant qu’acteur, comme le
suggèrent les courants des Childhood Studies et de Sociologie de l’enfance (par exemple James, Prout 1997 ; Rayou
2000, Sirota 2005) ? L’étude des opinions politiques enfantines, au delà des questions théoriques et méthodologiques
qu’elle pose, constitue une entrée pour observer la socialisation politique « entrain de se faire » en ce qu’elle interroge
la façon dont les enfants traitent, négocient et s’approprient les informations normatives provenant de leur
environnement.
Cette communication présentera les résultats d’une étude empirique menée au printemps 2014 dans 6 écoles primaires
de Montpellier, choisies pour être aussi hétérogènes que possible. 275 enfants âgés de 8 à 11 ans ont été interrogés par
questionnaire sur leur perception du monde politique (entendu au sens strict) et 32 d’entre eux ont également participé à
des entretiens ludiques plus approfondis. Il s’agira de présenter ce protocole de recherche ainsi que les enjeux
méthodologiques qui lui sont associés, et d’en livrer les premiers résultats autour de la notion d’opinion personnelle.
Cette enquête montre que le développement de l’opinion politique, au croisement entre mécanismes d’apprentissage et
d’identi.cation, constitue une étape de l’af.rmation de soi. Les enfants apprennent progressivement à donner du sens
aux informations provenant de leur environnement, qu’ils interprètent au prisme de leur expérience quotidienne. Ainsi,
les opinions politiques formulées par les enfants sont fortement marquées par leur caractère enfantin, mais n’en
demeurent pas moins une première étape de la constitution d’un système d’idées et de valeurs susceptible d’être
durable. Il apparait néanmoins que la capacité à formuler des opinions sur des sujets variés et à les défendre est
inégalement répartie selon les milieux sociaux, le genre, l’âge et la compétence technique des enfants. Des signes
précoces d’un sentiment d’illégitimité politique, accentué par la domination inhérente au statut enfantin, apparaissent
ainsi dans les propos des enquêtés.
Bibliographie
- Hess R.D., Torney J. (1967), The development of Political Attitudes in Children, Chicago, Aldine Press.
- James A., Prout A. (1997), Constructing and Reconstructing Childhood ; contemporary issues in the sociological study
of childhood, London, Routledge.
- Jennings K., Stoker L., Bowers J. (2001), Politics Across Generations: Family Transmission Reexamined, UC
Berkeley, Institute of Governmental Studies.
83
- Lane R. (1959), « Fathers and sons: Foundations of political belief », American Sociological Review, 24 (4).
- Lignier W., Pagis J. (2013), « La gauche c’est les gentils, la droite chez les méchants » ; Sociogenèse des
représentations enfantines du clivage gauche/droite, Papier présenté au congrès de l’Association Française de Science
Politique, Paris.
- Rayou P. (2000), « Une société de cour ; les compétences politiques des enfants à l’épreuve de la récréation », in
Saadi-Mokrane D. (dir.), Sociétés et cultures enfantines, Lille, Université Lille 3, Travaux et recherches.
- Sirota R. (dir.) (2005), Éléments pour une sociologie de l’enfance, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
- Throssell K. (2009), « Tous les enfants de ma classe votent Ségolène », Agora Débats/Jeunesse, n°51.
« L'évitement du politique » dans les conseils municipaux d'enfants : une
socialisation au consensus
Boone D.
Lille 2
Traditionnellement, on imagine que la socialisation politique doit avoir un contenu facilement identi.able. Ce projet de
communication, issu d'un travail de thèse, soutient que l'indifférence et l'initiation au consensus constituent tout autant
des contenus de la socialisation politique, et qu'elles s'apprennent au même titre qu'un contenu davantage considéré en
termes de savoirs plus « mesurables ». Pour ce faire, je présenterai l'un des terrains sur lesquels j'ai enquêté lors de ma
recherche doctorale : les Conseils Municipaux d'Enfants (CME).
Les CME sont présentés par leurs promoteurs comme un « apprentissage de la démocratie » ou de la « citoyenneté »
pour des enfants généralement âgés de 9 à 11 ans, et visent deux objectifs : permettre à leurs jeunes membres de
s'exprimer sur des problèmes qui les concerneraient directement, et servir d'apprentissage politique en se frottant à une
citoyenneté « grandeur nature ». Cependant, les CME sont le lieu de diverses formes de dépolitisations : la dimension
politique de telles structures est largement niée par leurs promoteurs, au motif que la population qui les compose serait
imperméable à toute forme de politisation ou de rapport au/à la politique ; les parents des jeunes élus tendent à
revendiquer le monopole de l'éveil politique de leur enfant ; les élus et employés municipaux, qui organisent le
déroulement concret des CME, demeurent très prudents vis-à-vis de tout risque d' « endoctrinement » dont on pourrait
les accuser ; tandis que les enseignants, qui ont pour tâche de prendre en charge le déroulement des élections dans les
enceintes scolaires, sont pris dans diverses contraintes de rôles qui limite leur évocation de la politique à ses aspects
institutionnels. Au .nal, ces divers acteurs et processus cantonnent les enfants à des activités qui les enferment dans les
représentations sociales qu'on porte sur eux, à savoir des êtres politiquement innocents, prompts à faire preuve de
générosité dans le cadre d'activité avant tout philanthropiques.
Concrètement, dans les CME, les principaux indicateurs de repérage du politique sont absents : les références à la
politique institutionnelle y sont rares ; la con!ictualité quasi-inexsitante, au pro.t de la défense de causes consensuelles,
portées par des enfants dont on ignore les différences sociales ; les montées en généralité bannies, et ce a.n de favoriser
des actions qui sont des réponses immédiates, et à portée, de problèmes donnés. Aussi, il est dif.cile d'établir la liste
d'un contenu politique en termes d'accumulation de savoirs et de savoirs-faire qu'auraient acquis les enfants. Autrement
dit, selon les indicateurs traditionnellement utilisés, en termes de contenus, la socialisation politique dans les CME
n'existerait pour ainsi dire presque pas, et les effets socialisateurs concrets de ces structures sur leurs membres seraient
contradictoires avec l'objectif af.ché d'initiation à la citoyenneté.
Cependant, je défends l'idée que la socialisation politique pratiquée dans les CME n'est pas pour autant dépourvue de
contenu. Seulement, ce contenu est moins visible, se cache dans des positions de retrait plus que dans des mises en
avant ; dans des silences davantage que dans des paroles énoncées ; dans des labellisations plus que dans des pratiques
concrètes. Plus qu'un tremplin vers le monde politique, dé.ni avant tout par le caractère con!ictuel et la montée en
généralité des débats qui s'y déroulent, les CME s'apparentent à une socialisation anti-con!ictuelle, c'est-à-dire une
socialisation au consensus, où l'essentiel de ce qui constituerait des activités, des débats, et des discussions politisés, est
évacué, rejeté, invisibilisé, au nom de principes selon lesquels les questions « politiques » heurteraient les enfants, ou du
moins l'image que l'on se fait d'eux.
Je développerai donc quelques-uns des mécanismes qui aboutissent à un évitement de la parole, de la ré!exion et de
l'action politiques (descente en singularité, recherche du consensus et de l'unanimité, technicisation des problèmes,
euphémisation des différences), tout en illustrant la façon dont les enfants des CME les intériorisent et se socialisent, de
fait, à une politique dépolitisée.
A la recherche de nouveaux protocoles de recherche dans l’étude des mécanismes
de socialisation politique
Fournier B.
Vrije Universiteit Brussel
Depuis plusieurs années, les études de socialisation politique ont retrouvé un intérêt certain auprès des chercheurs. La
grande disponibilité de bases de données l’explique sans doute, mais elle pose plusieurs questions. On observe parfois
une certaine « stérilité scienti.que » lorsqu’une démarche strictement quantitative est entreprise. On ne possède souvent
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pas des informations assez .nes pour étudier les mécanismes de socialisation et les processus d’assimilation et
d’accommodation de l’environnement, comme l’avaient déjà proposé Jean Piaget ou Annick Percheron. Dans cette
logique, chaque individu est exposé à une réalité politique qui est assimilée par l’individu et s’accommode à ce qu’il
connaît déjà. Il y a donc un processus de construction de la réalité politique dont la .nesse doit être conservée. Nous
souhaiterions présenter ici un cadre théorique sociologique qui permettrait d’étudier ces mécanismes de socialisation
politique. La dynamique piagétienne sera rappelée, mais pour la replacer rapidement dans ces nouvelles perspectives
dites des « sociologies de l’individu » qui ont été développées par Martuccelli et de Singly. Puis, nous transposerons
l’idée de mécanisme dans celle de raisonnement qu’utilise Shawn W. Rosenberg à partir, justement, des travaux de
Piaget (voir « The Structure of Political Thinking », AJPS, 32(3) : 539-566, 1988). En travaillant ainsi sur les
raisonnements, la logique d’assimilation/accommodation peut être approchée davantage. Ces pistes demeureront
cependant partielles. L’étude des raisonnements ne doit pas faire oublier que c’est avant tout dans la singularité des
pratiques individuelles que la socialisation politique se comprend réellement. Voilà le véritable dé. de la recherche
actuelle.
Expérience du chômage et confiance politique : Interactions avec l’Etat et
socialisation politique des jeunes chômeurs
Lorenzini J.
European University Institute
Les études récentes portant sur la socialisation politique ont élargi le concept a.n d’aller au-delà de la socialisation au
sein de la famille ou à l’école au cours de l’enfance et d’étudier également la socialisation politique à l’âge adulte. En
effet, l’apprentissage de la politique, le façonnement des attitudes et des comportements politiques ne s’arrêtent pas à la
.n de l’adolescence. Tout au long de la vie, les rôles sociaux, les rencontres et certains événements marquants
contribuent à la socialisation politique des citoyen-ne-s. Dans cette contribution, je propose de me focaliser sur un
élément marquant dans la vie d’une personne, le chômage de longue durée, et d’analyser, plus spéci.quement, comment
les interactions entre les jeunes chômeurs de longue durée et les employé-e-s de l’état travaillant à l’of.ce du chômage
contribuent à la socialisation politique des jeunes chômeurs de longue durée, en particulier à la construction de la
con.ance politique. Je propose de répondre à cette question en me basant à la fois sur des entretiens approfondis menés
avec des jeunes chômeurs de longue durée à Genève et sur des données de sondage recueillies auprès de la même
population. Le recours à ces deux types de données me permet à la fois de comprendre les mécanismes qui participent
de la socialisation politique des jeunes chômeurs et de tester certains de ces mécanismes sur un échantillon représentatif
de jeunes chômeurs de longue durée.
Une cause (racialisée) de classe supérieure : retour sur la formation de
dispositions à la dépolitisation des rapports sociaux de ‘race’
Mesgarzadeh S.
Université de Lausanne
A partir d’une enquête ethnographique prolongée dans trois « clubs » de cadres et de dirigeants « noirs », « musulmans
» et « issus de la diversité » en Ile-de-France, nous proposons d’analyser la formation de dispositions à la dépolitisation
des rapports sociaux de ‘race’. Contrairement aux dé.nitions médianes de la politisation, qui considèrent la montée en
généralité et la désignation d’adversaires comme des indicateurs de politisation saisis à travers les discours (Duschesne
et Hagel, 2001 ; Gamson, 1992), nous proposons de considérer l’absence de montée en généralité et de désignation
d’adversaires comme une forme singulière de politisation, dont il s’agit d’étudier les mécanismes de socialisation.
Cette proposition se fonde sur le paradoxe suivant : selon la littérature existante, nous nous attendions à ce que les
membres des « clubs » de cadres et de dirigeants issus des minorités témoignent, en entretien, d’expériences de
discriminations (Fassin, 2010) qu’ils chercheraient à faire reconnaître en imputant la responsabilité à un adversaire
identi.able. Or, la plupart des fondateurs et membres de ces associations tendent à euphémiser, dans les entretiens
comme dans l’action associative, les préjudices rencontrés.
Ce constat nous invite donc à appréhender l’absence de désignation de responsable et de montée en généralité comme
une forme singulière de politisation, dont il s’agit précisément de rendre compte à travers l’examen de la socialisation
des acteurs, au sens de « l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit […] par la société globale et
locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert […] des façons de faire, de penser et d’être
qui sont situées socialement » (Darmon, 2010 [2002] : 6).
A travers l’analyse des traits de socialisation primaire communs aux membres de ces associations, nous montrerons
notamment que, quelles que soient leurs origines sociales, ceux-ci ont été élevés dans des familles mettant activement
en œuvre des stratégies résidentielles et scolaires visant soit la reproduction d’une appartenance aux catégories sociales
supérieures, soit la prise de distance avec les catégories sociales dominée du groupe de référence « noir » ou «
musulman » (ces acteurs disent avoir été élevés à Paris intramuros, pour « éviter » les banlieues, avoir été scolarisés en
école privée, etc.). Socialisés dans les centres urbains plus que périurbains, pour ceux qui sont nés et ont grandi en
France, ou dans des familles appartenant aux élites traditionnelles locales ou aux catégories dirigeantes du pays
d’origine, ces acteurs ont intériorisés les distinctions de classes entre minoritaires. Leur engagement dans les « clubs »
de cadres et de dirigeants minoritaires active cette disposition à la défense des distinctions de classe entre minoritaires,
bien plus qu'une disposition à la remise en cause des hiérarchies entre minoritaires et majoritaires. En ce sens, nous
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considérons que l’absence de système d’opposition entre un nous « Noirs » ou « Musulmans » et un vous « majoritaires
» renvoie bien à une forme de socialisation particulière, encore renforcée par l’insertion dans des milieux professionnels
valorisant le respect des hiérarchies socio-économiques (cabinets d’affaires, grandes entreprises).
Sur le plan méthodologique, cette proposition repose sur une analyse de la socialisation primaire et secondaire des
acteurs à partir de 40 entretiens biographiques d’une durée moyenne de 2 heures. Elle a pour objectif de contribuer à la
ré!exion théorique sur les nouveaux rapports au politique à travers une forme singulière d’ « évitement du politique »
(Eliasoph, 2010), en le rapportant à la socialisation primaire et professionnelle des acteurs.
Bibliographie
DARMON, Muriel, 2010 (2002), La socialisation, Paris : Armand Colin (2e édition).
DUSCHESNE, Sophie, HAEGEL, Florence, 2001, « Entretiens dans la cité, ou comment la parole se politise. »,
EspacesTemps Les Cahiers, n° 76-77, p. 95-109.
ELIASOPH, Nina, 2010, L’évitement du politique. Comment les Américains produisent de l’apathie dans la vie
quotidienne, Economica.
FASSIN, Didier (dir.), 2010, Les nouvelles frontières de la société française, Paris : La Découverte.
GAMSON, William, 1992, Talking Politics, Cambridge/New York : Cambridge University Press.
Football et politisation ordinaire : Le supportérisme en Russie comme lieu de
construction du politique
Gloriozova E.
Université Libre de Bruxelles
Notre papier a pour but d’explorer la sphère du supportérisme footballistique en Russie en tant que lieu d’expression et
de construction du politique. Notre dé.nition du supportérisme s’inspire d’enquêtes ethnographiques (Armstrong 1998,
Giulianotti 2002) qui mettent en lumière la fonction symbolique du football, c'est-à-dire la manière dont il est
susceptible de faire sens, et qui décrivent la diversité des modalités de soutien à une équipe. Par supportérisme nous
désignons ainsi l’ensemble des activités, expériences et modes de communication particuliers, relatif à la passion et au
soutien portés à une équipe de football, laquelle acquiert une dimension symbolique et identi.catoire.
L’analyse des mécanismes de construction du politique au sein du supportérisme nécessite d’adopter une dé.nition
élargie de la politisation. Il ne s’agira pas d’étudier l’acquisition d’un savoir politique spécialisé ou les facteurs pesant
sur le choix électoral, mais cette « étape intermédiaire entre la socialisation individuelle et la production de préférences
spéci.quement politiques : celles des visions du monde, des « instruments de mise en ordre » de celui-ci, qui révèlent
(…) d’une politisation entendue en un sens élargi ». (Hamidi 2006, p.12)
La question générale qui guide notre recherche peut se présenter comme suit :
Comment le supportérisme intervient-il au sein des supports, contextes, registres de légitimation, modes de construction
et de transmission d’expressions, d’idées ou revendications à caractère politique ?
En plus d’être très peu explorée par la littérature scienti.que, la question de la politisation au sens large au sein d’une
sphère de loisir comme le football comporte un intérêt particulier dans le cas russe. En effet, dans un contexte où
l’acquisition et l’expression de préférences politiques spécialisées à travers les canaux de participation politique
traditionnels sont dif.ciles (Brenez & Merlin 2011), le supportérisme peut constituer un vecteur d’expression politique
alternatif particulièrement intéressant à explorer.
La recherche se base sur deux types de données empiriques. Les entretiens approfondis et semi-directifs avec les
supporters de trois grands clubs de Moscou (Spartak, Dinamo et Torpedo Moscou) serviront à explorer la manière dont
les expériences supportéristes et le registre footballistique interviennent dans la politisation de la parole. Nous
utiliserons en particulier la grille de repérage du politique au sein des discours développée par Sohie Duchesne et
Florence Haegel (2001). Pour rendre compte des mécanismes qui in!uent sur le rapport au politique, la méthode des
entretiens permettra de resituer les valorisations subjectives dont ce rapport est le produit (Gaxie, 2002). Ces
appréciations seront mises en lien avec les trajectoires biographiques, les récits des expériences supportéristes et les
discours sur le rapport personnel au club, aux membres du groupe ou aux autres supporters. La recherche se base
également sur une analyse du contenu de réseaux sociaux supportéristes (forums et communautés virtuelles). A travers
ces données, nous tenterons de voir la manière dont le registre footballistique et ses modes de communication
spéci.ques (mélange des registres footballistique, humoristique et politique) interviennent dans la construction et la
transmission d’expressions à caractère politique.
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Socialisation politique et homosexualité. Comment la socialisation sociosexuelle
des gays et lesbiennes informe-t-elle leur rapport au politique ?
Durand M.
Sciences Po Paris
En 2012, une enquête CEVIPOF-Ifop révélait l’ « ancrage à gauche » des homosexuel.le.s et bisexuel.le.s qui auraient «
une conscience politique plus aigüe » (Kraus, 2012). Plus récemment, les débats sur le Mariage pour tous en France ont
montré que les questions d’homosexualité mobilisent toujours, « politisent », les gays et lesbiennes, certains en faveur
du projet, d’autres en opposition au projet de loi. Si les logiques de l’engagement homosexuel ont fait l’objet d’études
(Broqua, 2006; Broqua & Fillieule, 2001), les mécanismes de leur socialisation politique n’ont pas été analysés. Quel
est le rapport au politique des individus homosexuel.le.s ?
Des travaux nord-américains con.rment le tropisme à gauche de la population lesbienne/gaie /bi (LGB) (Hertzog, 1996;
Perrella, Brown, & Kay, 2012). Pour expliquer cette spéci.cité (« distinctiveness ») de leur comportement politique, P.
Egan avance que la socialisation en milieu gai n’est pas nécessaire mais que cette « distinctiveness » est à rechercher en
amont de la socialisation secondaire en milieu gay : par leur cheminement identitaire en marge de la norme
hétérosexuelle, les gays et lesbiennes acquierent un corpus de valeurs et d’attitudes qui les sensibilisent au libéralisme et
à la gauche (Egan, 2008). Ce cheminement identitaire est porteur d’une socialisation politique spéci.que, mais les
mécanismes restent inconnus. En France, la question des liens entre les socialisations sociosexuelle et politique n’a pas
été traitée à ce jour. Seuls les travaux de P. Adam montrent une corrélation entre la socialisation sociosexuelle des
hommes gays et leur prise de position sur l’axe universalisme/communautarisme : le recentrement sur la sphère privée
et une conjugalité « classique » favorisent un positionnement politique universaliste. P. Adam met ainsi à jour les
implications politiques des expériences homosexuelles (Adam, 1999, 2001).
La construction identitaire des gays et lesbiennes permettrait de comprendre leur rapport au politique. Le processus de
construction identitaire des gays et lesbiennes fait l’objet d’analyse depuis quelques décennies (Broqua, 2011; Pollak,
1982; Schiltz, 1997), et parmi les travaux récents (Adam, 1999; Chetcuti, 2010; Verdrager, 2007) certains décrivent un
processus en plusieurs étapes, qui commence par un sentiment de différence ; viennent ensuite les étapes de «
nomination » (verbaliser la réalité de sa sexualité), de « dévoilement » (processus de coming-out) et parfois de «
renforcement » (socialisation secondaire en milieu gai/lesbien). Cette construction identitaire s’explique par la «
contrainte à l’hétérosexualité » (Rich, 1981) issue des structures hétéronormées du monde social, principale obstacle
dans la socialisation sociosexuelle des gays et lesbiennes. A la différence d’autres groupes sociaux (religieux ou
ethniques notamment), l’individu gay/lesbien n’est pas « socialisé à être homosexuel.le ». Une prise de distance d’avec
le monde social intériorisé dans la socialisation primaire doit s’opérer : qu’est-ce qu’un tel « décentrement » induit dans
le rapport au politique ?
La socialisation sociosexuelle des gays et lesbiennes relève de ce que Berger et Luckmann appellent une « socialisation
ratée » (Berger & Luckmann, 2012), concept qui met en avant le décalage entre le monde subjectif de l’individu et le
monde objectif intériorisé dans la socialisation. Considérer que la socialisation sociosexuelle « ratée » des gay et
lesbiennes est politisante repose sur une vision élargie du politique qui ne considère pas seulement la politique
institutionnelle mais aussi les valeurs, le rapport au monde social, et les dynamiques de con!ictualisation (Duchesne et
al., 2003; Leca, 1973; Percheron, 1987). Nous considérons alors que « la socialisation proprement politique ne prétend
pas épuiser la compréhension des mécanismes de formation des représentations et des pratiques politiques » (Percheron,
1985, p. 173) et qu’une place doit être faite aux socialisations « ratées », encore trop peu étudiées dans les analyses de
socialisation politique.
Cette communication s’attachera à montrer comment la socialisation sociosexuelle des gays et lesbiennes informe leur
rapport au politique et à donner des éléments de compréhension du rôle de la socialisation sociosexuelle dans la genèse
de dispositions politiques. Elle s’appuie sur un travail de thèse en cours. Le matériau, en cours de constitution, sera
composé d’ici le congrès d’une quinzaine d’entretiens semi-directifs approfondis, de type récits de vie, avec des
hommes et des femmes s’auto-dé.nissant comme homosexuel.le.s. L’échantillon sera composé d’acteurs associatifs et
non-associatifs. La communication s’organisera en trois temps : nous reviendrons sur la littérature que l’on peut
mobiliser, puis sur les hypothèses que l’on peut formuler pour expliquer le rapport au politique des gays et lesbiennes,
et en.n sur les premiers résultats de l’enquête. Il s’agira d’évaluer le poids de la socialisation sociosexuelle « ratée »
dans le rapport au politique, comparativement aux autres socialisations (socialisation politique familiale et religieuse
notamment), et leur articulation , et d’analyser le rôle de la socialisation secondaire en milieu gai dans la politisation des
individus.
Bibliographie
-Adam, Philippe. 2001. « Lutte contre le sida, pacs et élections municipales. L’évolution des expériences homosexuelles
et ses conséquences politiques », Sociétés contemporaines, no 41-42 : 83-110.
-Adam, Philippe. 1999. « Bonheur dans le ghetto ou bonheur domestique?? Enquête sur l’évolution des expériences
homosexuelles », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 128: 56-67.
-Berger, Peter et Thomas Luckmann. 2012. La construction sociale de la réalité, Armand Colin., Paris.
-2011. Genre, sexualité & société, hors série 1 « La construction sociale de l’homosexualité ».
87
-Broqua, Christophe. 2006. Agir pour ne pas mourir?! Act-Up, les homosexuels et le sida, Les Presses de Sciences Po.,
Paris.
-Broqua, Christophe et Olivier Fillieule. 2001. Trajectoires d’engagement. AIDES et Act Up, Textuel., Paris.
Chetcuti, Natacha . 2010. Se dire lesbienne?: vie de couple, sexualité, représentation de soi, Payot., Paris.
-Duchesne, Sophie, Florence Haegel, Céline Braconnier, Camille Hamidi, Pierre Lefébure, Sophie Maurer et Vanessa
Scherrer. 2003. « Politisation et con!ictualisation?: de la compétence à l’implication », in Pascal Perrineau (éd.) Le
désenchantement démocratique, Editions de l’Aube., La Tour-d’Aigues: 107-129.
-Egan, Patrick J. 2008. « Explaining the Distinctiveness of Lesbians, Gays, and Bisexuals in American Politics »,
Rochester, NYSocial Science Research Network.
-Hertzog, Mark. 1996. The lavender vote?: lesbians, gay men, and bisexuals in American electoral politics, New York
University Press., New York.
-Kraus, François. 2012. Gays, Bis, Lesbiennes?: des minorités sexuelles ancrées à gauche CEVIPOF-Ifop, "Les
électorats sociologiques".
-Leca, Jean. 1973. « Le repérage du politique », Projet, no 71 : 11-24.
-Percheron, Annick. 1987. « La socialisation politique?: un domaine de recherche encore à développer », Revue
Internationale de science politique, vol. 8, no 3 : 199-203.
-Percheron, Annick. 1985. « La socialisation politique. Défense et illustration », in Jean Leca et Madeleine Grawitz
(éds.) Traité de science politique, Presses Universitaires de France., Paris: 165?235.
-Perrella, Andrea M.L., Steven D. Brown et Barry J. Kay. 2012. « Voting Behaviour among the Gay, Lesbian, Bisexual
and Transgendered Electorate », Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, vol. 45,
no 01 : 89-117.
-Pollak, Michaël. 1982. « L’homosexualité masculine, ou le bonheur dans le ghetto? », Communications, no 35 : p. 3755.
-Rich, Adrienne. 1981. « La contrainte à l’hétérosexualité et l’existence lesbienne. », Nouvelles Questions féministes,
no 1 : 15-43.
-Schiltz, Marie-Ange. 1997. « Parcours de jeunes homosexuels dans le contexte du VIH?: La conquête de modes de vie
», Population (French Edition), 52ème année, no 6 : 1485-1537.
-Verdrager, Pierre. 2007. L’homosexualité dans tous ses états, Les Empêcheurs de penser en rond., Paris.
Les musulmans en Europe : unis dans la diversité ? Une analyse des relations
entre religion et politique à partir de l’European Social Survey (ESS)
Tournier V.
Institut d'études politiques
En quelques décennies, l’islam est devenu un enjeu important en Europe. Une forte population musulmane réside
désormais dans plusieurs pays européens, ce qui provoque des débats et parfois des tensions, au point de faire émerger
ce que l’on pourrait appeler une « question musulmane ».
Connaître les caractéristiques de cette population constitue toutefois un dé.. Les données statistiques sont rares et
limitées. Plus encore, il existe peu de données comparatives. Or, la comparaison est aujourd’hui indispensable car elle
seule permet d’aborder des questions telles que : quel est le degré d’homogénéité des musulmans en Europe ? A-t-on
affaire à une population très diversi.ée ou, au contraire, à une population relativement homogène ? Les musulmans ontils des valeurs similaires quel que soit leur pays de résidence, ou sont-ils .nalement très proches des valeurs et des
cultures nationales, soumis en cela à un processus de socialisation et d’intégration plus ef.cace que ne le laisse entendre
l’actualité ?
Deux hypothèses concurrentes peuvent être suggérées. La première est que la religion musulmane est suf.samment
structurante pour faire émerger un ensemble spéci.que de valeurs sociales et politiques, de sorte que les musulmans
présenteront des valeurs comparables dans tous les pays. Cette hypothèse peut s’appuyer sur le fait que l’islam connaît
un regain de religiosité, ce qui peut ampli.er l’impact de la religion sur la détermination des autres valeurs.
Une hypothèse concurrente est au contraire qu’il existe de fortes disparités au sein des musulmans européens : selon les
pays, les musulmans auront donc des valeurs sociales et politiques différentes, ce qui peut résulter soit de l’histoire des
migrations dans chacun des différents pays européens (les Turcs en Allemagne, les Maghrébins en France, les
Asiatiques en Angleterre, etc.), soit des contextes de socialisation propres à chaque pays, de sorte que les musulmans
subissent l’in!uence de la culture nationale du pays où ils se trouvent.
Ce sont ces deux hypothèses que l’on voudrait tester dans cette communication. Pour cela, nous proposons d’exploiter
l’une des rares sources de données comparatives disponibles, à savoir les enquêtes de l’European Social Survey. Ces
enquêtes sont réalisées tous les deux ans depuis 2002. Lorsqu’on regarde les échantillons des différents pays pour
chaque vague d’enquête, les musulmans sont insuf.samment nombreux pour envisager des analyses détaillées. C’est
88
pourquoi nous allons travailler sur les données cumulées en utilisant les cinq premières vagues (2002, 2004, 2006, 2008
et 2010). Cette opération permet d’obtenir une proportion de musulmans plus conséquente, assez comparables aux
statistiques
produites
par
le
Pew
Research
Center
dans
son
rapport
de
2011
(http://www.pewforum.org/2011/01/27/table-muslim-population-by-country/).
Pour nos investigations, nous ne retiendrons que les pays pour lesquels il est possible d’avoir au moins une centaine de
musulmans. Ce critère permet de conserver douze pays européens : Allemagne, Belgique, Bulgarie, Danemark,
Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Suède et Suisse. Nous intégrerons également la Russie
pour élargir la comparaison.
Données cumulées ESS pour les pays où le nombre de musulmans est supérieur à 100.
Effectif Musulmans
total cumulé
Effectifs %
Allemagne
7619
292
3,7
Belgique
3701
268
6,8
Bulgarie 3099
654
17,4
Danemark
4502
112
Espagne 6833
149
2,1
France 2608
190
6,8
Grande-Bretagne 3045
158
Grèce
8835
180
2,0
Norvège 4521
114
2,5
Pays-Bas
3938
197
Suède
2710
125
4,4
Suisse
6024
220
3,5
Russie 3659
406
10,0
2,4
4,9
4,8
Source : ESS, données cumulées 2002-2010. Chiffres non pondérés.
Dans la communication, nous tâcherons de véri.er deux éléments : d’une part le degré d’homogénéité des musulmans
en Europe sur le plan des valeurs sociales et politiques, y compris sur le degré de religiosité, d’autre part les différences
dans les valeurs avec la population non-musulmane. Les données permettent d’effectuer cette double analyse sur
plusieurs variables : la politisation, la participation politique, la con.ance (envers les autres et envers les institutions) ou
encore l’orientation politique (axe gauche-droite). L’enquête fournit également des indicateurs originaux sur la
perception des discriminations, les mœurs (l’homosexualité) ou les enjeux sécuritaires (le terrorisme).
Bibliographie
Amiraux, Valérie, 2004, « Les musulmans dans l’espace politique européen. La délicate expérience du pluralisme
confessionnel », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 82, avril-juin, p. 119-130.
Bisin, Alberto, Thierry Verdier, Eleonora Patacchini et Yves Zenou, 2008, « Are Muslim Immigrants Different in Terms
of Cultural Integration? », Journal of the European Economic Association, vol. 6, nos 2-3, p. 445-456.
Bréchon, Pierre, 2013, « Religion et valeurs en Europe », Futuribles, no 393, mars-avril, p. 75-87.
Caldwell, Christopher, 2011, Une révolution sous nos yeux. Comment l’Islam va transformer la France et l’Europe,
Paris, Toucan.
Inglehart, Ronald et Pippa Norris, 2002, « Islam and the West: Testing the Clash of Civilizations Thesis », consulté sur
Internet (http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=316506) en juin 2012.
Inglehart, Ronald et Pippa Norris, 2012, « Muslim Integration into Western Cultures: Between Origins and Destinations
», Political Studies, vol. 60, no 2, p. 228-251.
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Europe no 172.
Hamel, Christelle, 2011, « Immigrées et .lles d’immigrées : le recul des mariages forcés », Population et sociétés, no
479, juin.
Lambert, Yves, 2004, « Des changements dans l’évolution religieuse de l’Europe et de la Russie », Revue française de
sociologie, vol. 45, no 2, p. 307-338.
Lamchichi, Abderrahim, 1999, Islam et musulmans de France : pluralisme, laïcité et citoyenneté, Paris, L’Harmattan.
89
Pew Research Center, 2011, The Future of the Global Muslim Population. Projections for 2010-2030, consulté sur
Internet (http://features.pewforum.org/muslim-population) en juin 2013.
Saint-Blancat, Chantal, 1995, « Une diaspora musulmane en Europe ? », Archives de sciences sociales des religions, no
92, octobre-décembre, p. 9-24.
Tournier, Vincent, 2011, « Modalités et spéci.cités de la socialisation des jeunes musulmans en France. Résultats d’une
enquête grenobloise », Revue française de sociologie, vol. 52, no 2, p. 311-352.
Willaime, Jean-William, 2006, « La sécularisation : une exception européenne ? Retour sur un concept et sa discussion
en sociologie des religions », Revue française de sociologie, vol. 47, no 4, p. 755-783.
90
ST 17 : La sociologie politique à l’épreuve des relations professionnelles
Panel 1 – Le répertoire de l’action collective syndicale
La négociation collective travaillée par un regard (de) politiste : pour une
sociologie politique des relations professionnelles
Gantois M.
Université Paris I - Panthéon Sorbonne
Cette proposition de communication repose sur un travail de thèse en cours de .nition. Il s’agit de revenir sur la manière
dont on a construit empiriquement et théoriquement un objet en sociologie politique sur un sujet en principe dévolu à la
sociologie des relations professionnelles : la pratique de la négociation collective en France. Comment étudier la
négociation collective, objet « propre » à la sociologie des relations professionnelles, en sociologie politique ? L’enjeu
n’est pas tant d’étendre les frontières d’une discipline que de montrer les apports et les pistes de recherche soulevées par
une démarche résolument interdisciplinaire.
En premier lieu, on s’attachera à présenter à grands traits les apports des recherches sur ce thème en sociologie des
relations professionnelles en posant un regard de politiste sur ces travaux pour soulever des dimensions restées dans
l’ombre dans les études aux démarches ancrées dans les héritages de la sociologie du travail et des organisations. En
France, si la sociologie des relations professionnelles s’inscrit plus largement en « relations industrielles » ("industrial
relations"), ses pères fondateurs ont en quelque sorte « borné » la manière d’étudier les « relations professionnelles », et
notamment la manière d’envisager les relations entre employeurs et représentants de salariés en entreprise. Le double
héritage de la sociologie du travail et des organisations permet d’éclairer la construction formelle du cadre de la
négociation collective tout en laissant dans l’ombre les acteurs et leurs usages « au concret » des règles de négociations
collectives ainsi que le rôle joué par les responsables des organisations patronales et syndicales dans la construction
d’un « espace des possibles » parmi d’autres pour encadrer cette pratique. La négociation tend à être communément
dé.nie au regard des contours formellement tracés par la loi et traditionnellement étudiée par ce qu’elle produit, c'est-àdire des « règles », ou pour reprendre les termes de Jean-Daniel Reynaud « de la régulation sociale ». Les travaux
laissent ainsi dans l’ombre les manières dont les acteurs patronaux et syndicaux abordent cette pratique, la représentent
et se l’approprient.
En second lieu, on mobilisera le terrain effectué en thèse pour montrer en quoi un décloisonnement du regard posé sur
ce thème permet d’interroger autrement cette dimension de la « démocratie sociale ». À partir d’un travail de recherche
ancré en sociologie politique avec une démarche interdisciplinaire mobilisant les outils de l’historien, de l’ethnologue et
de l’anthropologue et à la suite de précédents travaux ouvrant la voie pour un décloisonnement de sujets
traditionnellement investis par les sociologues du travail et des relations professionnelles, on propose de ré!échir sur
trois dimensions non éclairées dans les précédents travaux. Premièrement, à partir d’un travail sur archives, on
reviendra sur la manière dont la négociation collective a été institutionnalisée en France. Deuxièmement, on s’attachera
à porter un intérêt particulier sur les logiques d’action prônées au sein des organisations syndicales pour « bien »
négocier, montrant ainsi la diversi.cation des approches idéalisées de la pratique selon les organisations étudiées.
Troisièmement, par une démarche à la fois compréhensive et dynamique ancrée sur un travail de terrain long effectué
dans une entreprise, on esquissera des manières d’investir les mandats d’élus et de représentants du personnel, en
particulier le mandat de négociateur avec un regard posé à la fois du côté patronal et du côté syndical, ainsi que des
manières informelles d’user du « droit » de la négociation en pratiques.
Contribution à une sociologie des lieux de production symbolique des relations
professionnelles : Cornell et le « renouveau syndical »
Yon K.
Lille 2
Le thème du « renouveau du syndicalisme » est apparu dans les études syndicales anglo-saxonnes à la .n des années
1990 pour désigner un ensemble de pratiques censées rompre avec les routines syndicales antérieures. Bien que tout un
courant de recherche se soit engouffré depuis lors dans cette voie, il a déjà été souligné à quel point le label du «
renouveau » ou de la « revitalisation syndicale », coproduit par des syndicalistes et des intellectuels, est à la fois
ambivalent, plus souvent postulé que démontré et fréquemment normatif. La notion s’avère ainsi beaucoup plus
opérationnelle qu’analytique, renvoyant au fait que, dans le monde anglo-saxon – là où l’univers académique des «
relations professionnelles » s’est historiquement constitué – industrial relations et labor studies sont plus une science du
gouvernement des relations de travail ou de l’action collective qu’une science ré!exive.
C’est sur ce plan que je voudrais souligner un possible apport de la sociologie politique à l’analyse des relations
professionnelles : le développement d’un regard ré!exif qui ne porte pas seulement sur les faits sociaux, mais aussi sur
les catégories employées pour les désigner. Ce regard fait bien souvent défaut dans le champ des relations
professionnelles où se confondent les mots et choses. Le « renouveau syndical » y est ainsi pris comme un fait réel et
univoque dont l’existence s’expliquerait par les seules transformations internes au champ syndical, comme la
91
désinstitutionnalisation du système de relations professionnelles ou l’accès aux responsabilités d’une génération de
dirigeants syndicaux marqués par l’expérience des mouvements sociaux des années 1960-70.
À l’inverse, ma communication entend prolonger une analyse critique de la catégorie "renouveau syndical". Je voudrais
montrer que la constitution de ce label, sa diffusion et sa mise en visibilité ont aussi pour conditions de possibilité des
transformations qui ne se limitent pas au champ syndical mais renvoient aussi à des évolutions parallèles dans le monde
universitaire et, plus largement, à une recon.guration des rapports entre syndicalistes et intellectuels. Ce travail s’inscrit
dans la continuité de mes recherches sur la production du sens syndical, dont la sociologie des dispositifs de formation
en France constituait un premier jalon (cf. autre proposition de communication avec N. Ethuin).
Pour ce faire, je m’appuierai sur une étude de cas, à travers la socio-histoire de l’école de relations industrielles de
Cornell (ILR) et, plus spéci.quement, des intellectuels et experts qui interagissent avec les syndicalistes. Travailler sur
la genèse des catégories mobilisées par les professionnels des relations professionnelles suppose en effet de s’intéresser
à leurs lieux de production symbolique. À cet égard, l’ILR, lieu d’échange entre les mondes syndical, patronal, politique
et intellectuel dans l’État de New York, mais aussi bien au-delà, est un site central dans l’univers des relations
professionnelles. Le matériau empirique sera constitué d’entretiens, d’archives et d’observations de situations récoltés
au cours d’un séjour de recherche de plusieurs mois au sein de l’école.
L’étude des transformations institutionnelles de l’ILR et des contraintes qui pèsent sur le travail de ses agents permet
ainsi de constater que la formalisation du thème du « renouveau syndical » renvoie moins à un renouvellement ou à une
revitalisation des échanges entre universitaires et syndicalistes qu’à une recon.guration impliquant tout à la fois la
réduction de certains services intellectuels aux syndiqués et la privatisation de certains autres.
La circulation transnationale des pratiques du renouveau syndical et leur
réception en France et en Allemagne
Thomas A.
CEPS/INSTEAD
Aux États-Unis, de nombreux syndicats sont engagés depuis les années 1990 dans des pratiques quali.ées par euxmêmes et par des universitaires engagés de « revitalisation » ou de « renouveau » syndical (union revitalization ou
renewal).
Les travaux universitaires sur le renouveau syndical ont fait un ample usage des outils de la sociologie des mouvements
sociaux, insistant sur l’importance des stratégies et du répertoire d’action adopté par les syndicats et postulant la
possibilité d’une revitalisation interne du syndicalisme américain, sans faire de nouvelles régulations étatiques des
relations professionnelles un préalable (Bronfenbrenner, Friedman, Hurd 1998 ; Milkman, Voss 2004). La littérature sur
la revitalisation syndicale rompt ainsi avec un certain nombre de présupposés du courant d’études des industrial
relations, qui a mis l’accent sur la variété des institutions des relations professionnelles.
Le discours sur la revitalisation syndicale construit une dichotomie entre deux types de syndicalismes censément
homogènes : un « syndicalisme gestionnaire » (buisness unionism), focalisé sur la négociation et la gestion des
conventions collectives et des groupes de membres existants, et un « syndicalisme renouvelé », engagé dans la
syndicalisation de nouveaux groupes de travailleurs (organizing) et menant des campagnes publiques visant à exercer
une pression sur des employeurs (campaigning) (Thomas 2011).
Développés aux États-Unis, le discours et les pratiques de la revitalisation syndicale se sont d’abord diffusés à d’autres
pays anglo-américains (Canada, Grande-Bretagne, Australie, Nouvelle Zélande), avant d’être discutées et mises en
pratique dans des pays d’Europe continentale. En particulier, les pratiques de l’organizing ont été discutées ; elles visent
à syndiquer de nouveaux groupes de salariés tels que des travailleurs immigrés, ainsi que des femmes et des travailleurs
précaires ou à faible salaire (Frege 2000).
Des universitaires européens ont repris des thèmes de recherche liés à la revitalisation syndicale. La reprise des travaux
anglo-américains sur la revitalisation syndicale contribue à accréditer l’idée que des développements positifs sont à
l’œuvre dans le syndicalisme international et à légitimer des approches « engagées » du syndicalisme et des relations
professionnelles. Un effet générationnel est également à l’œuvre, avec des chercheurs, nouveaux entrants dans le champ
des études sur le syndicalisme, qui se saisissent des thèmes de la revitalisation syndicale pour tenter de redé.nir les
objets légitimes du champ, se mettre en scène comme incarnant le « nouveau » ou le « renouveau », mais aussi mettre
en cohérence prédispositions militantes et intérêts scienti.ques.
Cette contribution analysera la circulation transnationale des pratiques et de la littérature sur la revitalisation syndicale à
l’exemple de la France et de l’Allemagne. Elle reviendra sur les conditions de diffusion de ces pratiques, ainsi que sur
les acteurs, les thèmes et les supports de cette diffusion. Cette analyse implique une ré!exion sur la manière dont les
pratiques et les catégories d’analyse du renouveau syndical développées aux États-Unis sont reçus, traduits et utilisés
dans d’autres contextes des relations professionnelles et dans d’autres espaces universitaires (Bourdieu 2002). Elle
implique aussi une ré!exion sur la transformation des modalités de l’internationalisme ouvrier, ainsi que sur la place des
institutions nationales des relations professionnelles dans la circulation des idées politiques et des pratiques
organisationnelles.
92
Repenser les répertoires d’action à l’aune des mobilisations syndicales
Roullaud E.
Université Lyon 2
L’objet de cette contribution est de rendre compte des apports de l’étude de l’action syndicale à l’analyse des répertoires
d’action au travers de deux axes de questionnement : premièrement, il s’agira de questionner l’antagonisme classique
entre actions « conventionnelles » et « non conventionnelles » puis, deuxièmement, de saisir ce que doit le choix des
modes d’action aux relations de concurrence entre organisations professionnelles.
La sociologie des mobilisations collectives a connu son essor, notamment en France, en prenant pour sujet d’étude
central ce qui a été appelé les formes « non conventionnelles » de participation politique. De ce fait, jusqu’aux années
1990, ces travaux ont marqué une opposition entre les actions protestataires dé.nies comme publiques, collectives et
portant leur revendication par le biais de la confrontation aux pouvoirs publics et les actions institutionnelles dites
dénuées de contestation. Si bien que le syndicalisme, perçu comme une forme institutionnalisée de participation
politique, a constitué un angle mort des mobilisations collectives. Travailler sur l’objet syndical offre la possibilité de
s’intéresser à des formes d’action dites «institutionnelles» – telles que la négociation, la participation à des groupes de
travail ministériels – et incite à questionner la pertinence de cette césure en examinant les usages protestataires qui en
sont faits par les syndicalistes. Il convient alors de porter son attention sur les représentations et le sens donné par les
acteurs à ces actions et de les réinscrire dans le déroulé des mobilisations a.n d’étudier leur articulation avec d’autres
formes d’action. Il s’agit ici de prendre au sérieux l’idée d’un continuum d’actions et de montrer comment des types de
mobilisation distincts s’articulent sans présumer de leur nature « institutionnelle » ou « contestataire ».
Par ailleurs, dans son ouvrage Contentious Performances, Charles Tilly rappelle le poids déterminant des «contraintes
extérieures » dans la construction et la mise en œuvre du répertoire d’action. Ces dernières se rapportent aux structures
de pouvoir, les gouvernements et l’État. Elles encadreraient l’espace des possibles des mobilisations en délimitant les
actions prescrites, tolérées ou prohibées et réprimant, le cas échéant, par la menace et la sanction. Néanmoins, l’État ne
peut être considéré comme la cible unique des actions syndicales. En effet, les mobilisations servent également à se
positionner par rapport à ses adversaires dans l’espace de la représentation syndicale. Le choix des modes d’action peut
alors être étudié comme un échange de « coups », au sens de Dobry, entre différents syndicats pour se démarquer les
uns des autres et délégitimer ses rivaux. L’analyse du répertoire d’action d’un syndicat doit donc rendre compte de sa
position dans l’espace de la représentation syndical et des rapports de concurrence qu’il entretient avec les organisations
adverses.
L’étude que nous proposons de développer ici s’appuie sur une enquête menée auprès d’un syndicat agricole français, la
Confédération paysanne, dans le cadre de notre doctorat de science politique. Cette recherche empirique repose sur la
combinaison de différentes méthodes d’enquêtes et d’une grande variété de sources qui ont permis de saisir de manière
relationnelle et processuelle les mobilisations syndicales. Le dépouillement des archives de la Confédération paysanne,
notamment le journal interne La lettre des paysans, a rendu possible l’examen exhaustif des actions menées relatives
aux réformes de la Politique agricole commune entre 1987 et 2007. Parallèlement, l’analyse du journal de la Fédération
nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA, principal syndicat agricole français), L’information agricole,
offre une vision des actions menées par cette structure sur la même problématique et permet de les mettre en lien avec
celles des syndicats adverses. À partir de ces sources, un catalogue d’action a été établi. Contrairement à la méthode de
la Protest event analysis, nous ne nous limitons pas à lister les types d’actions syndicales menées mais cherchons à les
décrire (nombre de participants, déroulé de l’action, cibles) et à les replacer dans leur contexte a.n de saisir
l’articulation des différents modes d’action. De plus, les comptes rendus de réunion interne de la Confédération
paysanne sont une source particulièrement riche pour connaître les anticipations et objectifs assignés aux mobilisations
par les responsables syndicaux. Ils permettent ainsi de rendre compte des logiques de concurrence qui structurent les
choix d’action. En.n, les entretiens semi-directifs menés avec les représentants nationaux de la Confédération paysanne
informent sur les perceptions qu’ont ces acteurs des mobilisations ainsi que sur leurs dispositions sociales qui
structurent également leur horizon pratique.
Panel 2 – Les enjeux politiques de la lutte syndicale
Pourquoi et comment faire la sociologie des idéologies syndicales ?
Présentation d’une enquête collective sur les dispositifs de formation syndicale en
France
1
Ethuin N., 2Yon K.
Lille 21, CERAPS2
Il est d’usage courant d’attribuer aux grandes centrales syndicales un type de « culture » qui orienterait le comportement
et les visions du monde des militants de ces organisations. Un ensemble de représentations et de stéréotypes émergent
souvent lorsque sont évoqués les syndicalistes. Ainsi, en France, la CGT, pour le dire de façon simpliste, a été
longtemps associée, selon ses pourfendeurs, à une culture du refus et de blocage des négociations et pour ses partisans,
à une organisation de lutte, de résistance à l’idéologie dominante. La CFDT incarne pour certains le « syndicalisme
responsable et constructif », pour d’autres le reniement de la culture de lutte. On pourrait multiplier les exemples à
l’envi. Pour stéréotypées qu’elles soient, ces représentations attirent l’attention sur le lien entre une appartenance
93
syndicale et des visions du monde, des façons de penser et d’agir.
Si chaque organisation syndicale est évidemment plurielle et diverse, à l’instar d’autres groupements militants, il n’en
demeure pas moins qu’elles contribuent à « administrer du sens » et que l’expérience en leur sein informe les rôles et
les catégories de pensée des militants.
Prendre au sérieux cette dimension nécessite d’appréhender les organisations syndicales comme des institutions, qui
façonnent les militants autant que ceux-ci les façonnent, pour reprendre un principe fondamental de la sociologie des
institutions. Celle-ci a permis d’enrichir la sociologie du militantisme et des mobilisations et permet de poser, de façon
renouvelée, nombre de questions longtemps écartées des travaux sur le syndicalisme. Parmi ces angles morts,
aujourd’hui en cours de réinvestissements, nous voudrions insister dans cette communication sur la question des
idéologies syndicales.
L’objectif sera d’abord de résumer les principaux facteurs permettant de comprendre pourquoi cette vieille question, qui
a pourtant alimenté des travaux importants sur le syndicalisme , a été délaissée, sinon explicitement considérée comme
dépassée et désuète, dans la plupart des travaux s’inscrivant tant dans la sociologie des mouvements sociaux que dans
celle des relations professionnelles. Ensuite, il s’agira de proposer une opérationnalité empirique du concept d’idéologie
syndicale, à partir d’une discussion théorique sur l’usage qu’il nous semble pertinent d’en faire. En effet, comme le
terme « culture », le concept d’idéologie fait courir le risque d’une approche homogénéisante et atemporelle, l’une et
l’autre notion pouvant être comprise comme un invariant planant au-dessus de la tête des acteurs. Pour conjurer ce
risque, il convient d’adopter une conception matérialiste de la culture . Sous cet angle, la formule de Pierre Ansart, qui
dé.nit l’idéologie comme un « schème collectif d’interprétation du monde » est intéressante. Celle-ci ne devient objet
de sociologie que si sont analysées les « conditions de production et de reproduction, ses moyens de diffusion et
d’inculcation ».
C’est ce cadre d’analyse que nous avons privilégié dans une recherche collective sur les dispositifs de formation
syndicale dans les organisations de salariés en France. La formation syndicale constitue en effet un observatoire
particulièrement adapté pour explorer cette piste. Si les dispositifs de formation ne sont qu’une des modalités possibles
d’administration du sens syndical parmi d’autres – congrès, réunions, presse syndicale, discussions informelles, piquets
de grève, etc. – ils ont la spéci.cité d’être explicitement orientés vers la transmission de savoirs, visant à « améliorer »
l’activité syndicale et à conforter l’autorité organisationnelle. Ils constituent un idéal-type des modes de socialisation
par « inculcation idéologique-symbolique de croyances » . En outre, il s’agit de dispositifs objectivés dans des supports,
organisés dans des appareils, incarnés par des acteurs ; en d’autres termes, de l’idéologie matérialisée. Dès lors, étudier
l’histoire des pratiques d’éducation syndicale, leur conception et leurs actualisations, c’est observer l’idéologie
syndicale en train de se faire et, plus précisément, en train de faire doublement corps : devenir corpus institutionnel et
s’incarner dans les militants.
Cette section thématique pourrait nous donner l’occasion de présenter cette recherche collective, en montrant pourquoi
et comment nous avons été amenés à puiser dans des traditions d’analyse qui sont rarement associées. En effet, avec un
souci de décloisonnement des frontières disciplinaires et sous-disciplinaires, nous avons braconné dans diverses boîtes à
outils : la sociologie du travail et des relations professionnelles bien sûr, mais aussi la sociologie de l’éducation et de la
formation, la sociologie des institutions et des mobilisations sans oublier l’histoire sociale des idées. Ce
décloisonnement s’est avéré nécessaire et utile pour ne pas se contenter de répondre à la question : à quoi sert la
formation syndicale ? Pour paraphraser Michel Offerlé à propos des partis politiques , si la formation syndicale sert à
quelque chose, elle ne sert pas à la même chose dans toutes les institutions et pour tous les syndicalistes. Dès lors, il
convient aussi de se demander comment différents acteurs « la servent » et « s’en servent ». La démarche comparative,
sur le plan à la fois historique et organisationnel, mise en œuvre dans notre enquête collective, permet d’apporter des
réponses à ces questions.
Action syndicale et modes de politisations des classes populaires : trajectoires et
socialisations militantes de travailleurs précaires à la CGT
Berthonneau C.
Aix-Marseille
Alors que la sociologie des relations professionnelles tend à réduire le syndicalisme à une activité institutionnalisée et
déconnectée des rapports sociaux qui produisent le sens de l'engagement syndical, resituer la CGT dans l'espace des
mouvements sociaux fait apparaître cette organisation comme une des seules disposant d'une assise sociale aussi large et
capable de promouvoir des membres de classes populaires à des postes de responsabilité face aux représentants du
patronat ou de l’État. S'intéresser à l'action syndicale de la CGT est donc une entrée privilégiée pour poser un regard
nouveau sur un sujet qui est surtout abordé actuellement à partir de la sociologie des comportement électoraux, à savoir
le rapport au politique des classes populaires. A partir d'une recherche en cours sur les trajectoires et socialisations
militantes de salariés syndiqués à la CGT et travaillant dans les secteurs précaires de l'emploi privé (grande distribution,
service à la personne, sous-traitance industrielle etc), c'est la question des conditions de possibilité de la participation
des fractions subalternes de classes populaires aux luttes sociales que nous voulons poser. Pour cela, nous mobilisons
les outils conceptuels de l’interactionnisme symbolique qui ont participé au renouvellement de la sociologie politique
française des mouvement sociaux (carrière militante, dimension processuelle de l'engagement, façonnage
organisationnel, effets de l'engagement etc), - renouveau au sein duquel le syndicalisme demeure quelque peu délaissé -,
en recourant à une méthode d'enquête ethnographique faite d'entretiens biographiques et d'observation participante dans
les Unions locales CGT (structures chargées de coordonner l'activité syndicale au niveau interprofessionnel, à l'échelle
d'un territoire).
94
Le but est donc de saisir la dimension processuelle de l'engagement syndical des travailleurs précaires (adhésion,
apprentissage du travail syndical, prise de responsabilité ou au contraire marginalisation, etc) en prenant en compte leur
ancrage socio-professionnel et les rapports qu'ils entretiennent avec les militants établis de la CGT, chargés de les
familiariser au fonctionnement et aux attentes de l'organisation pour favoriser leur prise de responsabilité. En
appréhendant les formes d'engagement syndical à travers les aspects pratiques et relationnels du travail syndical, nous
montrerons en quoi la spéci.cité de l'offre militante de la CGT, en tant qu'activité inscrite dans les rapports pratiques de
domination au travail et valorisant un habitus de classe oppositionnel, favorise l'attachement à l'organisation de
travailleurs précaires distants des modes de politisation à dominante scolaire propres aux membres de classes
supérieures.
Mais si la CGT réussit ainsi à mobiliser des membres de classes populaires tenus à l'écart d'autres formes de
participation militante (partis politiques, associations etc), la technicisation des relations professionnelles, qui nécessite
d'être complètement familiarisé au droit et à l'usage de l'écrit, reproduit des mécanismes d'auto-censure ou de délégation
dans l'action syndicale de la part des travailleurs précaires. L'institutionnalisation de la con!ictualité sociale en
entreprise, de par les compétences à caractère scolaire qu'elle requiert, participe ainsi à la marginalisation des fractions
subalternes de classes populaires au pro.t des fractions stabilisées à fort capital militant. Mettre la sociologie politique à
l'épreuve de l'action syndicale permet donc d'appréhender un problème plus large relatif à la professionnalisation
croissante des espaces politiques de délibération et à ses effets démobilisateurs pour les fractions de classes populaires
les plus démunis en capital culturel.
Syndicalisme et science politique au Québec : proposition pour des retrouvailles
Collombat T.
Université du Québec en Outaouais
Dans le contexte nord-américain, le syndicalisme québécois apparaît comme un objet de choix pour les politologues.
Connaissant le taux de syndicalisation le plus élevé de la région, il a historiquement contribué de façon signi.cative à
l’édi.cation de l’État social moderne en développant une relation privilégiée (quoi que parfois contradictoire) avec le
gouvernement provincial (Gagnon 1994, Jenson et Mahon 1993). S’étant explicitement prononcé en faveur de la
souveraineté du Québec, les centrales syndicales québécoises sont généralement considérées comme plus militantes et
plus visibles politiquement que leurs consœurs du reste du Canada et des États-Unis (Tanguay 1993, Collombat 2014).
Pourtant, la science politique québécoise contemporaine semble aussi frileuse que son alter ego française à « élever
l’objet syndical au rang de thème d’étude central » (Béroud 2005 : 3). Un simple survol des cours offerts aux étudiants
et des af.chages de postes de professeurs donne un premier aperçu de cette absence. Dans les revues de science
politique québécoises comme canadiennes, l’objet syndical est largement ignoré, si ce n’est lorsqu’il est intégré à
l’ensemble plus vaste des « mouvements sociaux », perdant ainsi nombre de ses spéci.cités.
L’objet de cette communication est double : elle vise dans un premier temps à identi.er les facteurs ayant mené à ce
divorce apparent entre science politique et syndicalisme au Québec. Elle cherche ensuite à avancer une proposition de
recherche pouvant contribuer, de façon originale, à un retour de l’objet syndical dans ce champ disciplinaire.
Les explications avancées seront de deux ordres. Empirique, d’abord, dans la mesure où la perte d’intérêt pour le
syndicalisme re!ète sa perte d’in!uence dans le champ politique. Ce constat doit par ailleurs être nuancé puisque, sur le
plan des effectifs, le syndicalisme québécois n’a pas connu une crise de la même ampleur que celle traversée par les
autres syndicalismes du monde industrialisé. Il a même su conserver jusqu’à très récemment un rôle clé dans la prise de
décision publique, notamment par le biais de mécanismes quasi-néo-corporatistes (Graefe 2012).
Disciplinaire, ensuite, avec la présence en Amérique du nord et au Québec en particulier d’une discipline à part entière,
les relations industrielles, ayant accaparé l’objet syndical et imposé un programme de recherche largement dénué de
dimension politique (Gagnon 1991, Harrod 1997). Les organisations syndicales y sont non seulement réduites à leur
rôle d’agent de négociation collective mais la dimension proprement politique de cette activité (espace de lutte de
classes, outil de résistance à l’arbitraire patronal, mécanisme de redistribution de la richesse dont la portée dépasse le
strict cadre de l’entreprise) est évacuée. À cet égard, il faut sans doute voir d’un œil positif la création récente d’une
Association canadienne d’études du travail et du syndicalisme (ACETS) où se côtoient politologues, sociologues,
historiens, géographes et autres universitaires n’ayant pas trouvé leur place dans leurs associations professionnelles
respectives.
Au-delà de ce constat, il est intéressant de noter que cette con.guration de la recherche sur le syndicalisme a laissé de
nombreux objets de recherche orphelins. Parmi eux : les organisations syndicales régionales (OSR). En effet, les deux
plus grandes centrales syndicales disposent de structures destinées à rassembler leurs syndicats af.liés par région. Il
s’agit des Conseils régionaux à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et des Conseils centraux
à la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Espaces de solidarité interprofessionnelle et de mobilisation
collective, les OSR sont par dé.nition des structures profondément politiques. Impliquées dans les luttes sociales, elles
ont pour objet de briser les corporatismes et de créer, bon an mal an, une conscience de classe au sein des rangs
syndicaux. Or, très peu a été écrit sur ces structures, sans doute en raison de leur éloignement relatif des enjeux de
négociation collective qui constituent le cœur du programme de recherche en relations industrielles. Ce champ est donc
ouvert et c’est à la science politique de s’en emparer. Peut-être trouvera-t-elle là un premier élément de réconciliation
avec l’objet syndical.
95
Bibliographie
Béroud, Sophie. 2005. « Le syndicalisme construit par la science politique » dans Vincent Chambarlhac et Georges
Ubbiali (dir.), Épistémologie du syndicalisme, Paris : L’Harmattan : 13-34.
Collombat, Thomas. 2014. « Labor and Austerity in Québec: Lessons from the Maple Spring » Labor Studies Journal
no. 39 (2): 140-159.
Gagnon, Mona-Josée. 1991. « Le syndicalisme: du mode d'appréhension à l'objet sociologique. » Sociologie et sociétés
no. 23 (2): 79-95.
———. 1994. Le syndicalisme : état des lieux et enjeux. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture.
Graefe, Peter. 2012. « Québec Labour: Days of Glory or the Same Old Story? » dans Stephanie Ross et Larry Savage
(dir.), Rethinking the Politics of Labour in Canada, Halifax et Winnipeg : Fernwood : 62-74.
Jenson, Jane, et Rianne Mahon. 1993. « North American Labour: Divergent Trajectories. » dans Jane Jenson et Rianne
Mahon (dir.), The Challenge of Restructuring. North American Labor Movements Respond., Philadelphie : Temple
University Press: 3-18.
Tanguay, A. Brian. 1993. « An Uneasy Alliance: The Parti Québécois and the Unions. » dans Jane Jenson et Rianne
Mahon (dir.), The Challenge of Restructuring. North American Labor Movements Respond., Philadelphie : Temple
University Press: 154-179.
La politique des syndicats guadeloupéens : regards croisés sur « l’affaire Pinard »
et la « grève du port » (Avril-Mai 2014)
Odin P.
Sciences Po - IEP de Paris
Cette contribution se propose de présenter quelques éléments caractéristiques de l’investissement des organisations
syndicales au sein de l’espace des mouvements sociaux en Guadeloupe à travers une étude de cas comparative, en
portant un regard croisé sur deux actions syndicales différentes qui participent de la même séquence de mobilisation : la
mobilisation de l’Union Générale des Travailleurs de la Guadeloupe (UGTG) en soutien à Jocelyn Pinard – ancien
gérant de la station-service Total de Valkanërs sur la commune de Gourbeyre, et de la mobilisation de la CGT
Guadeloupe (CGTG) pour la réintégration et la titularisation de quatre dockers du Port Autonome de Jarry. Notre
intervention s’appuiera sur l’observation in situ de ces deux mobilisations, dans la mesure où nous avons été amenés à
suivre une partie des négociations et des manifestations qui se sont tenues au cours du mois de mai en Guadeloupe
autour de ces deux « affaires ». Par là-même, cette intervention se propose d'apporter des éléments de compréhension
quant aux usages contestataires du registre syndical aux Antilles. Nous reviendrons notamment sur les logiques
concurrentielles du recours à l’action collective au sein du champ syndical guadeloupéen en dehors des mobilisations
d’ampleur telles que celles du collectif Liyannaj Kont Pwo.tasyon en 2009, mettant en évidence les principes de
différenciation qui caractérisent les orientations des organisations syndicales. Au-delà, nous essaierons d’esquisser les
contours de la politique des syndicats guadeloupéens engagés dans les luttes sociales, telle que celle-ci se donne à voir
dans les répertories d’action déployés ou le pro.l public de ces mobilisations, a.n de montrer comment cette politique
des syndicats s’articule avec les stratégies de recrutement et la formation propres à ces deux organisations dans le cadre
de la gestion des relations professionnelles en Guadeloupe.
Pour cela, notre travail s’organisera principalement autour de la présentation d’éléments empiriques, rassemblés dans le
but de montrer ce que nous apprend la concomitance et la superposition de deux registres d’interventions syndicaux
marqués par des pratiques et des représentations différenciées quant à l’état du « champ syndical » - entendu comme un
espace relationnel au sein duquel se donnent à voir des cultures syndicales différentes et concurrentes - et aux relations
de travail (Béroud &Yon, 2014). Le caractère concurrentiel possède une importance centrale, précisément dans cette
perspective à la fois relationnelle et structurale. Premièrement : il permet de penser de penser l’activité syndicale non
comme un « tout » homogène mais comme une pluralité de rôles, de pratiques, d’appréciations stratégiques et
tactiques , qui peuvent être investies ou utilisées par les syndicalistes mobilisés en fonction de l’idée que ceux-ci se
forgent de la situation et des opportunités qu’elle présente. Ensuite, cette entrée par la concurrence invite à comprendre
deux choses : d’une part, que la con!ictualité sociale occupe une place centrale dans la vie des principales organisations
guadeloupéennes, « toujours déjà » prêtes à se mobiliser pour investir le champ des luttes sociales a.n d’exister
politiquement. D’autre part, cette entrée permet de comprendre qu’en-dehors des périodes de mobilisation unitaires, le
fait syndical guadeloupéen demeure profondément in!uencé par cultures organisationnelles plus anciennes enracinées
dans des domaines socioprofessionnels particuliers ; cultures qui resurgissent sous la forme de registres de justi.cation,
et qui permettent aux organisations syndicales de se démarquer les unes par rapport aux autres et de faire valoir de leur
légitimité.
C’est en tirant les .ls cet entrecroisement de mobilisations que nous entendons montrer les ressorts organisationnels de
la politique des syndicats en Guadeloupe. Nous partirons du principe que la sociologie du syndicalisme s’est enrichie au
contact de la sociologie des mouvements sociaux, notamment en faisant valoir que les syndicats demeurent des «
appareils de mobilisations dans le champ des luttes sociales » (Beroud, Yon). Cette perspective possède un fort potentiel
heuristique aux Antilles françaises, où le champ syndical, particulièrement politisé, constitue un lieu privilégié pour se
saisir de la surface politique occupée par les organisations syndicales dans le cadre des con!its sociaux. Au croisement
de la sociologie politique et de la sociologie des relations professionnelles, la prise en compte de cette politique des
organisations syndicales demande à envisager deux dimensions du recours à l’action collective – on pourrait presque
96
parler de logiques de l’action collective pour dédoubler l’approche classique d’Olson (Yon, 2014). La première de ces
dimensions est la situation de con!it, centrée sur les enjeux de redistribution, les acteurs en présence et leurs ressources.
La deuxième dimension est, quant à elle, centrée sur les formes politiques du con!it. C’est-à-dire, sur la forme
opérationnelle d’organisation communautaire telle qu’elle vise à entretenir chez les syndicalistes des dispositions à agir
et à se mobiliser.
C’est sur cette seconde dimension que nous souhaitons le plus nous attarder ici, en insistant sur les enjeux liés à la
production de frontières qui délimitent l’action syndicale. Bien plus qu’un processus d’auto-limitation ou d’autoassignation, cette production des frontières témoigne selon nous d’une capacité d’intervention et un registre de
participation particuliers. Dès lors, appréhender le rapport à la politique des organisations syndicales guadeloupéennes
implique d’envisager la politisation non seulement comme une requali.cation politique de l’activité syndicale sous sa
forme routinisée, mais également sous la forme d’un rapport pouvoir face à divers acteurs institutionnels (le patronat et
l’État en particulier). Car c’est précisément ce rapport au pouvoir qui se donne à voir de façon différenciée selon les
échelons de la hiérarchie, les domaines d’expertise et d’intervention socioprofessionnels, et qui a également intimement
partie liée avec les processus de recrutement et les domaines syndicalisation - ces derniers étant souvent envisagés dans
une perspective stratégique dont le cadre se voit modi.é au contact des mobilisations et en fonction de l’amplitude de
celles-ci.
Bibliographie
Béroud, S., 2002. Un renouveau de la critique syndicale?? Mouvements 24, 39–45.
Giraud, B., 2006. Au-delà du déclin. Dif.cultés, rationalisation et réinvention du recours à la grève dans les stratégies
confédérales des syndicats. Revue française de science politique 56, 943–968.
Giraud, B., 2009. Des con!its du travail à la sociologie des mobilisations?: les apports d’un décloisonnement empirique
et théorique. Politix 86, 13–29.
Mezzi, D., Collectif, 2013. Nouveau siècle, nouveau syndicalisme. Editions Syllepse.
Penissat, É., 2005. Les occupations de locaux dans les années 1960-1970?: Processus sociohistoriques de «?
réinvention?» d’un mode d’action. Genèses 59, 71–93.
Sommier, I., 1993. Virilité et culture ouvrière?: pour une lecture des actions spectaculaires de la CGT. Cultures &
Con!its.
Yon, K., 2014. Offe, la démocratie dialogique et la lutte des classes?: une critique participationniste du mouvement
ouvrier. Participations 8, 127–146.
Panel 3 – Syndicalisme et action publique
L'européanisation de la concertation sociale en Belgique
Conter B.
IWEPS
L’action publique dépasse le cadre de l’État central ; elle inclut également des niveaux de pouvoir supra et infranationaux. Mais l’action publique est aussi exercée, dans un cadre d’autonomie ou de délégation par les acteurs de la
concertation sociale. Les politiques de l’emploi sont l’objet depuis une quinzaine d’année d’une in!uence croissante de
l’Union européenne. Les prescrits de la stratégie européenne pour l’emploi, qui n’associe formellement que les États
nationaux, s’adressent aux régions et aux « partenaires sociaux ». Il est donc pertinent de s’interroger sur l’in!uence
effective sur les contenus et les formes de la concertation.
Plusieurs approches, devenues classiques de la science politique, seront mobilisées à cette .n. L’objet de notre
communication sera la concertation sociale en Belgique. Les approches cognitives des politiques publiques proposent
des concepts (référentiels, médiateurs, rapport global sectoriel) qui permettent d’expliquer le rôle des idées dans le
changement des politiques (Muller, 1985, 1996). Mais les idées ne peuvent être des vecteurs de changement que si elles
sont portées par des acteurs qui les relaient, qui y trouvent des sources de légitimité ou des argumentaires. Les acteurs
de la concertation peuvent ainsi adopter une attitude programmatique d’appui sur le prescrit européen pour introduire
des réformes ou, au contraire, adopter une position de veto (Hassenteufel, 2008). Les approches cognitives et par les
acteurs permettent d’analyser les comportements des organisations syndicales et patronales belges en termes d’usage, en
distinguant les usages cognitifs, instrumentaux et de légitimation (Jacquot, Woll, 2004, 2008).
Notre analyse montre que les usages de l’Europe par les interlocuteurs sociaux belges sont d’abord sélectifs. Tant les
organisations patronales que syndicales s’appuient fréquemment sur des lignes directrices ou des recommandations
européennes dans leurs discours, leurs revendications ou leurs négociations. Mais ces deux types d’acteurs s’appuient
rarement sur une même thématique (formation professionnelle et qualité de l’emploi pour les syndicats, activation,
!exibilité, coût du travail pour les organisations patronales). Ensuite, elle montre que les usages sont variables dans le
temps. Le renforcement du caractère contraignant des politiques européennes (la substitution de la nouvelle
gouvernance économique à la méthode ouverte de coordination) (Degryse, 2012 ; Conter, 2012) et la focalisation du
discours européen sur des éléments de compétitivité ont modi.é l’équilibre entre acteurs de la concertation en
augmentant les ressources de légitimité et en orientant l’agenda politique.
97
Les outils d’analyse des politiques publiques et de l’européanisation des politiques constituent des leviers intéressants
pour l’analyse des transformations de la concertation sociale dont l’autonomie est bridée par le pouvoir politique qui
agit au nom du prescrit européen.
La communication s’appuie sur un matériau constitué d’une étude documentaire et d’une soixantaine d’entretiens
réalisés dans le cadre d’une recherche sur les effets et usages de la stratégie européenne pour l’emploi en Wallonie.
Bibliographie
Conter Bernard, 2012, La stratégie européenne pour l’emploi. De l’enthousiasme à l’effacement, CRSP, Bruxelles.
Degryse Christophe, 2012, « La nouvelle gouvernance économique européenne », Courrier hebdomadaire du CRISP n°
2148-2149.
Hassenteufel Patrick, 2008, Sociologie politique : l’action publique, Armand Colin, Paris.
Jacquot Sophie, Woll Cornelia, 2004, Les usages de l’Europe. Acteurs et transformations européennes, L’Harmattan,
Paris.
Jacquot Sophie, Woll Cornelia, 2008, « Action publique européenne : les acteurs stratégiques face à l’Europe »,
Politique européenne n°25, pp. 161-192.
Léonard Evelyne, 2010, « Le modèle belge et l’Union européenne », dans Arcq E., Capron M., Léonard E., Reman P.,
Dynamiques de la concertation sociale, CRISP, Bruxelles.
Muller Pierre 1996, « Cinq dé.s pour l’analyse des politiques publiques », Revue française de science politique vol 46,
n°1, pp. 96-102.
Muller Pierre, 1985, « Un schéma d’analyse des politiques sectorielles », Revue française de science politique vol 35,
n°2, pp. 165-189.
Les relations professionnelles et les organisations agricoles suisses à l’épreuve des
prix
Surdez M.
Fribourg
L’analyse des organisations professionnelles de défense des intérêts des agriculteurs pose à plusieurs titres des questions
intéressantes à la sociologie politique des relations professionnelles. Comme l’indiquent les auteurs d’un récent numéro
de la Revue Politix (« Représenter les agriculteurs », vol 26, no103, 2013), les syndicats agricoles sont traités « à part »
plutôt qu’étudiés en tant que syndicats comme les autres. Cette catégorisation particularisante résulte du travail réussi de
ces organisations pour se présenter, ainsi que leur secteur et leur action, comme spéciale ou atypique. En Suisse, cette
distinction est d’autant plus prégnante que ces organisations ne s’appellent pas syndicats et qu’elles regroupent des
producteurs qui se considèrent comme des entrepreneurs indépendants et non comme des salariés. Toutefois, ces
organisations participent bien à dé.nir les conditions de travail des exploitants, notamment parce qu’ils sont habilités à
négocier les prix des produits agricoles avec d’autres acteurs, principalement les représentants de la grande distribution,
des industries de la transformation et des intermédiaires commerciaux.
Sur la base d’une enquête exploratoire auprès des membres du syndicat Uniterre, syndicat agricole minoritaire surtout
actif dans la partie romande de la Suisse, et auprès des responsables d’organisations professionnelles bien établies (USP,
organisations de .lières), notre contribution vise à montrer comment les formes routinisées de .xation des prix
entravent le déploiement de formes syndicales plus contestataires et comment autour de cet enjeu se cristallisent des
visions antagoniques de la meilleure façon de défendre les intérêts des producteurs agricoles.
A travers cette description, se dessinent des pistes d’analyse encore largement inexplorées pour la Suisse, développées
par la sociologie politique des groupes d’intérêt et que la sociologie bourdieusienne avait déjà pointées pour les
agriculteurs : l’étude des ressources et trajectoires des représentants agricoles qui peuvent se révéler très hétérogènes,
avec des représentants qui restent exploitants et des professionnels du travail de représentation plus ou moins issus par
leur origine sociale du monde et des formations agricoles. S’esquisse aussi en creux le rôle des instances étatiques dans
la perpétuation de formes institutionnelles de négociations entre « partenaires sociaux », même dans un secteur qui
comme l’agriculture est caractérisé par une forte dérégulation. En.n, il serait intéressant de s’interroger empiriquement
sur les obstacles objectifs qui entravent la mise en place de liens plus étroits entre syndicats agricoles et syndicats de
salariés, dans une période où les organisations agricoles, en tous les cas en Suisse, cherchent à se créer des alliés
supplémentaires pour défendre la production locale ou nationale.
Les paradoxes du syndicalisme québécois
Lapointe P.
Université Laval
Les syndicats québécois sont incapables de transformer leur présence élevée dans les milieux de travail (tel que mesurée
98
par un taux de couverture syndicale de 40%) en un levier d'amélioration des conditions de travail et d'emploi. Comment
expliquer ce paradoxe ? Trois grandes explications peuvent être mobilisées.
En premier lieu, une étude approfondie de la présence syndicale selon les secteurs d'activités révèle une dépendance
accrue des syndicats à l'égard de l'État, comme employeur et comme .nanceur de certaines activités (construction,
services d'utilité publique et transport) dont ils représentent les salariés. Dans ces secteurs, la libre négociation
collective et l'exercice du droit de grève ont pratiquement disparu, compte tenu de l'usage fréquent du pouvoir législatif
pour imposer les conditions de travail et interdire le droit de grève.
Deuxièmement, dans le sillage de la mondialisation et de la possibilité de délocaliser les établissements de production et
de service, on assiste à l’émergence d’un nouveau régime de relations du travail qui affaiblit considérablement le
pouvoir de négociation des syndicats et rend excessivement dif.cile le recrutement de nouveaux membres. Ce régime se
caractérise notamment par une nouvelle économie des con!its de travail : baisse considérable de l'occurrence et
durcissement des con!its (prédominance des lockouts et accroissement de leur durée), autour d'enjeux reliés à l'emploi
et à la sous-traitance.
En troisième lieu, le cadre institutionnel des relations du travail est inadapté aux nouvelles réalités du travail et de
l’emploi. Conçu et introduit au milieu du siècle dernier, à une époque où dominaient les grands établissements
industriels dans le secteur de la production des biens et pour assurer également une représentation des employés de
l’État dont les activités connaissaient une croissance accélérée, alors que les emplois salariés permanents à temps plein
étaient la norme, le code du travail n’est plus garant d’un véritable droit à la représentation collective dans un monde de
l’emploi caractérisé par la précarisation, par la prédominance du tertiaire privé, des établissements de petite taille et par
l’émergence de nouvelles formes d’entreprise (franchisage, agences d’emploi et sous-traitance). Il n’assure plus en outre
l’équilibre des pouvoirs entre les patrons, d’une part, et les syndicats et les employés, d’autre part, compte tenu du
pouvoir énorme que la mondialisation, les nouvelles formes d’entreprise et la .nanciarisation procurent aux
employeurs.
Comment changer la situation et le cours des événements ? Pour le moment, les acteurs sociaux sont dans une situation
de blocage : les syndicats sont réticents à modi.er le code du travail, car ils craignent d’être pris dans une situation de
marchandage et d’une négociation donnant/donnant, voire de dialogue social sans pouvoir, qui les affaibliraient
davantage. Une telle logique de « dialogue social » favorise le monde patronal qui détient alors un droit sur toute
modi.cation. Et la primauté du « dialogue social » entre les partenaires sociaux s’impose de telle sorte que l’État se
cantonne dans une logique de neutralité ! Force est-il alors de regarder du côté des mobilisations sociales et politiques.
Et sur le terrain, le monde syndical semble être en panne d’imagination créative.
Panel 4 – Les dynamiques professionnelles de l’action syndicale
La dichotomie public/privé à l’épreuve des relations ancillaires : une étude
comparée entre la Bolivie et le Pérou
Carpentier-Goffre L.
Sciences Po Paris
« - Amalia Pando : Pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi tant de violence ?
- Felipe Quispe : Pour que ma .lle ne soit pas ton employée domestique. »
Ce vif échange entre la journaliste Amalia Pando et Felipe Quispe, leader indigène révolutionnaire bolivien, nous
semble révélateur de la saillance d’un fait social qui a pourtant longtemps été invisibilisé par les sciences sociales, et
notamment par la sociologie politique, à savoir le travail domestique salarié en Amérique latine. Tandis que le secteur
du travail domestique emploie environ 1 femme active sur 13 à l’échelle mondiale, ce ratio est en effet estimé par l'OIT
à 1 sur 6 en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Dans cette communication, je m’intéresserai plus particulièrement aux relations ancillaires en Bolivie et au Pérou, en
m’appuyant sur un travail ethnographique de 5 mois à La Paz et de 3 mois à Lima – fondé sur des entretiens
biographiques et de l’observation participante auprès de syndicats de travailleuses domestiques et d’agences d’emploi
spécialisées. Selon l’OIT, 11,6 % des femmes actives boliviennes et 7 % des femmes actives péruviennes travaillent
dans le secteur du service domestique, qui reste marqué par une forte informalité se traduisant notamment par une
proportion de contrats écrits estimée entre 20 % et 35 % selon les estimations au Pérou et de seulement 5 % en Bolivie.
Les rapports ancillaires constituent une con.guration atypique de relations professionnelles qui relève de ce Dominique
Memmi appelle la « domination rapprochée » (Memmi, 2003), c’est-à-dire une domination qui se joue dans l'intimité du
foyer et redé.nit ainsi la frontière public/privé. Nous questionnerons ici la dichotomie public/privé en examinant d’une
part, dans quelle mesure ce qui se passe dans la sphère privée est un objet digne d’intérêt pour la science politique et
d’autre part, comment la sphère privée contribue à structurer les représentations et les pratiques des élu.e.s et des
fonctionnaires publics.
Les relations sociales qui se jouent dans l’espace privé constituent « une entrée précieuse pour saisir des enjeux sociaux
qui le dépassent » (Collignon & Staszak, 2003, p.9.) : en l’occurrence les processus de co-formation des rapports
sociaux de sexe, de classe et de race – triptyque analytique central pour la science politique – peuvent être observés à
l’échelle microsociale dans leur dimension interactionniste (Fenstermaker & West, 2002a). Le cas des rapports
ancillaires en Bolivie et au Pérou est à cet égard digne d’intérêt : en Bolivie, 97 % des travailleur.se.s domestiques sont
99
des femmes, dont 79 % sont issues de zones rurales et 50 % se dé.nissent comme « indigènes » et plus de la moitié
touche un salaire inférieur au minimum national. Au Pérou, 94,5 % des travailleur.se.s domestiques sont des femmes,
dont 70 % sont issues de zones rurales – l’absence de statistiques ethnicisées de ce secteur au Pérou fera l’objet d’une
analyse à part entière – et 68 % touchent un salaire inférieur au minimum national. Par ailleurs, 49 % des travailleuses
domestiques boliviennes et 32 % de leurs homologues péruviennes logent chez leurs employeurs, ce qui pourrait nous
amener à penser cette con.guration de « brouillage » des frontières entre vie professionnelle et vie privée/affective
comme un cas paroxystique de domination. La travailleuse domestique exerçant dans ce cadre est en quelque sorte l' «
intruse permanente », prise en étau entre hypersurveillance et absence d'intimité d'une part, et inclusion spatiale et
exclusion sociale (par exemple à travers le port obligatoire d'un uniforme, l'exclusion de la commensalité, ou les
restrictions concernant l'usage personnel de certains objets et appareils de la maison) d'autre part. Nous verrons pourtant
que cette con.guration panoptique est plus ambivalente qu’il n’y paraît et peut constituer un terreau fertile de «
résistances quotidiennes » (Scott, 2008), telles que le colportage de rumeurs sur la vie privée des patrons.
Dans un second temps, nous examinerons la façon dont les logiques sociales sur lesquelles reposent les rapports
ancillaires traversent les acteurs et les institutions publiques, notamment à travers l'analyse des processus de mise à
l'agenda d'une législation encadrant le travail domestique et des débats qui s'ensuivirent en Bolivie et au Pérou. La
comparaison entre deux pays nous permettra de démontrer comment l’implication personnelle des législateurs, des
fonctionnaires – notamment du Ministère du Travail où les travailleuses domestiques peuvent déposer plainte en cas de
contentieux avec leurs employeurs – ou encore des juristes dans des relations de domesticité a des conséquences tant sur
les processus de mise à l’agenda que sur le contenu des lois ou encore l’issue des procès entre employeurs et
travailleuses domestiques. Nous verrons également que le cadrage des rapports sociaux de genre, de classe et de race
par les élites dirigeantes peut in!uencer les relations entre travailleuses domestiques et employeurs. A ce titre, l’élection
d’Evo Morales à la présidence en 2005, considéré et auto-revendiqué comme le premier président indigène de Bolivie,
constitue une rupture particulièrement intéressante à analyser.
Au croisement de la sociologie politique et de la sociologie des groupes
professionnels: la mobilisation symbolique du groupe professionnel des concierges
d'hôtel de luxe
Menoux T.
EHESS/CESSP
Cette communication cherchera à montrer l'intérêt d'adopter une approche complémentaire entre sociologie politique et
sociologie des groupes professionnels pour comprendre les buts de la mobilisation collective d'un groupe professionnel,
en partant de l'exemple d'un métier traditionnel prestigieux de l'hôtellerie haut-de-gamme, celui des concierges d'hôtel
de luxe. On cherchera notamment à saisir la manière dont se nouent des alliances entre ce groupe professionnel, les
acteurs économiques du milieu, l'opinion publique et l’État. On tentera en.n de souligner les modalités spéci.que d'une
mobilisation qui a la particularité de se jouer avant tout sur le plan symbolique.
Face à l'émergence de nouvelles conditions de travail précaires ou de formes d'emploi atypiques, la sociologie s'est
récemment intéressée à la façon dont les travailleurs pouvaient malgré tout se mobiliser pour défendre leurs intérêts
alors même que les conditions de leur mobilisation (fort turn-over, absence de culture combattive, précarité, fort
contrôle patronal, etc.) ne lui semblaient pas propices (Collovald et Mathieu, 2009). On propose ici de poser la question
sous un angle un peu différent en s'intéressant non pas à des travailleurs dont l'action syndicale collective est rendue
improbable par la précarité de leurs conditions d'emploi, mais plutôt à ceux qui, même si la stabilité de leur situation
professionnelle leur permettrait en apparence de se mobiliser syndicalement de façon collective, préfèrent pourtant
éviter l'option syndicale parce qu'ils la jugeraient politiquement et stratégiquement incompatible avec leur fonction. Il
s'agit en quelques sortes d'une impossibilité du syndicalisme qui se jouerait non plus « par le bas » mais « par le haut ».
On commencera par tenter de reconstituer la genèse de ce qu'on pourrait appeler un substitut délibéré au syndicalisme,
en esquissant l'histoire de l'activité de l'association professionnelle depuis sa fondation en 1929. A mi-chemin entre
amicale, bureau de placement et société de secours mutuel, l'association a toujours évité de se revendiquer
of.ciellement d'une quelconque action syndicale collective (1). Ensuite, on explorera, de façon plus microsociologique,
à l'échelle du positionnement professionnel des concierges au carrefour de plusieurs loyautés contradictoires mais
également à partir de leur socialisation primaire et secondaire, la sociogénèse de cette mé.ance envers un mode d'action
collectif syndicale (2). Il faudra en.n s'interroger sur les enjeux plus actuels auxquels le groupe professionnel est
confronté, et montrer comment ce qu'on pourrait appeler un mode d'action symbolique, une stratégie des signes et de la
mise en scène des alliances et du prestige, permet d'accomplir dans la défense des intérêts du groupe professionnel (3).
Cette ré!exion se base sur un matériau volontairement varié : enquête ethnographique, exploitation d’archives et travail
statistique.
100
"En venir au travail": un regard de sociologie politique sur les syndicats sudafricains après l’apartheid
Botiveau R.
Université Paris 1 - Sapienza Università di Roma
Cette communication sera l'occasion de revenir sur la démarche de recherche concrète mise en œuvre dans le cadre d’un
parcours doctoral entamé en 2009 (soutenance le 12 décembre 2014). Initialement porté sur l'étude des organisations
politiques sud-africaines après l'apartheid, j'en suis venu à considérer le monde du travail, à travers l'étude du cas d'un
syndicat de mineurs approché comme organisation (notamment politique), et au prisme de la notion de négociation dont
j’avais pu observer la mise en pratique (corpus d’une centaine d’entretiens semi directifs et d’une cinquantaine
d’observations non participantes notamment). Je retracerai ici le cheminement concret qui a été le mien, quels outils et
concepts (principalement issus de la sociologie politique) étaient à ma disposition au départ et quels autres (empruntés à
la sociologie du travail et des relations professionnelles) j'ai utilisé. Ce sera ici l'occasion de pointer des dif.cultés
rencontrées, mais également la richesse de ce regard disciplinaire extérieur sur un objet dont l'étude avait jusqu'ici été le
quasi monopole de sociologues du travail. Mes emprunts à d’autres disciplines m’ont également permis d’enrichir ma
posture initiale en reconsidérant par exemple certains phénomènes organisationnels sous un jour nouveau pour moi
(approches des dynamiques d’organisation en relation avec les notions de négociation intra et inter organisationnelles
par exemple).
101
ST 18 : La science politique face aux objets complexes
Voyage au cœur des politiques publiques -santé et gaz de schiste
Gagnon F.
TÉLUQ (Université du Québec)
Dans le contexte du développement durable, la régulation des activités liées au gaz de schiste représente un véritable
dé. pour les gouvernements de plusieurs juridictions. Complexité, incertitude, controverse caractérisent la
problématique du gaz de schiste et ce, alors que plusieurs acteurs des secteurs publics, privés, porteurs de diverses
expertises, interviennent. Au Québec, alors que la santé publique est un acteur institutionnel relativement présent dans
les débats publics, la santé et le bien-être de la population sont posés comme enjeux incontournables.
Cette présentation s’appuie sur la recherche, l’évaluation prospective d’impact sur la santé et le bien-être de la
population et la politique de développement ou de non développement du gaz de schiste au Québec (2013-15). Elle se
base également sur mon expérience de plusieurs années en matière d’Actions concertées, soit des projets de recherche
qui répondent aux exigences des organismes subventionnaires reconnus, mais dont le .nancement provient d’un
partenaire ministériel. Recherche et résolution de problème cohabitent donc.
Pour les .ns de cette présentation, je ferai d’abord le point sur le contexte de la recherche en matière d’Actions
concertées et sur les liens entre politiques publiques et santé publique au Québec. Je ferai ensuite ressortir les enjeux
que pose la recherche sur les activités liées au gaz de schiste comme nouveau problème et dans le contexte d’une action
concertée. Je terminerai sur les dé.s à relever pour les chercheurs en science politique et les apports de celle-ci dans ce
type de problématique.
Les financements de l'Union Européenne : entre pertinence politique et recherche
académique
Riousset P.
Université Libre de Berlin
Rendre la recherche académique pertinente pour le développement des politiques publiques n'est pas une mince affaire.
Comme la profusion d'articles scienti.ques sur le sujet le suggère, de nombreux obstacles font barrage à l'utilisation des
sciences en politique : des contraintes institutionnelles aux micro-processus qui encadrent l'échange des chercheurs et
des décideurs publics, le voyage qui mène à l'utilisation des connaissances en support de l'action publique est semé
d'embûches.
Dans cette contribution, adoptant les lentilles analytiques du "institutional interplay" (e.g. Young 2002), nous nous
intéresserons à l'évolution du discours tenu par la Direction Générale de la Recherche et de l'Innovation de la
Commission Européenne concernant l'importance de la production de recherche pertinente pour les décisions prises par
la Commission Européenne. Nous confronterons ce discours aux expériences de trois équipes de recherche, dont les
projets ont été .nancés par les programmes cadres 6 - pour deux d'entre eux - et 7 de l'Union Européenne en ce qui
concerne leur capacité à entrer en contact avec les parties prenantes les plus pertinentes et à satisfaire les besoins de
chacune des parties. Les résultats montrent de fortes incohérences entre le discours tenu dans les appels à candidatures
des programmes-cadres européens et le comportement des acteurs institutionnels une fois les projets de recherche
engagés.
Les résultats montrent qu'au cours de la décennie 2000, le "political interplay" joué par la Direction Générale Recherche
& Innovation était largement unilatéral et de ce fait incomplet et que ceci a contribué à l'inef.cacité du régime de
soutien à la recherche, en d'autres termes au manque d'utilisation des connaissances produites sous ces trois projets par
les décideurs publiques de la Commission Européenne.
Les victimes d'affaires de santé publique comme objets complexes: Comment
intégrer incertitudes et contradictions des données scientifiques dans le travail
sociologique?
Salaris C.
Sciences Po Bordeaux
Certains cadres empiriques de la science politique sont étroitement liés à d'autres disciplines qui - comme la santé
publique - imposent aux politistes de nouvelles contingences dans leur démarche de compréhension des problèmes
auxquels il s'attachent. L'objet d'étude peut alors être quali.é d'objet complexe, tant les logiques de ces domaines
annexes d'une part, mais également les attentes des acteurs à l'intersection de ces différentes disciplines d'autres part,
constituent des dé.s à la fois méthodologiques et théoriques pour le chercheur. Outre la nécessité d'intégrer un savoir a
priori étranger à sa discipline, il faut aussi pouvoir intégrer au travail sociologique, les exigences - mais aussi les limites
- de cette discipline étrangère.
102
L'étude de la formation et de la mobilisation de groupes de victimes dans le cadre d'affaires de santé publique invite à se
concentrer sur le cadre d'émergence spéci.que de ces mobilisations, les "affaires de santé publique". Celles-ci sont en
effet indissociables d'un savoir scienti.que et technique, à la frontière de multiples domaines aux logiques propres
comme la médecine, l'épidémiologie, la toxicologie, ou même le droit et que ne possède pas a priori le politiste...
Depuis une vingtaine d’années - et notamment à la suite d’affaires comme le sang contaminé (Fillion 2005) ou
l’amiante (Henry 2007) - le paysage de l’action collective en France s’est progressivement émaillé de mobilisations de
victimes liées à des questions de santé publique. Ces associations de victimes sont ainsi porteuses d’« identités blessées
» (Pollak, 1993) : les agents en jeu dans ces mobilisations sont affectés par une expérience traumatique commune à
laquelle le collectif victimaire tente de donner du sens. Il s'agit alors pour ces collectifs d’effectuer un important travail
de reconstitution de leur expérience et de « mise en cause » pour valider et faire valider leur situation. L'action de ces
associations consiste donc à dénoncer des faits intervenus en contradiction avec les principes fondateurs d'une politique
de santé publique (Fassin, 2004). Les acteurs du monde scienti.que, médecins, médecins du travail, épidémiologistes,
toxicologues constituent donc des interlocuteurs privilégiés et des acteurs clefs de ces affaires.
Cette communication se propose ainsi d'analyser plus spéci.quement l'une des dif.cultés majeures de l'étude de l'objet
complexe que nous venons d'aborder : la question de l'incertitude et des contradictions existantes - voire inhérentes entre de multiples études de santé publique publiées sur le cas retenu. Ces données divergentes sont souvent encore en
débat chez les spécialistes et impactent donc largement leurs discours. Elles prennent d'ailleurs d'autant plus
d'importance dans le cadre d'une étude sur des victimes qui, dans leur mobilisation, revendiquent au contraire une forme
de certitude au travers de la désignation d'un problème de santé publique mais aussi de la demande de reconnaissance
de leur dommage. Ces affaires de santé publique constituent donc par nature des cadres de débats scienti.ques.
Comment alors intégrer un savoir scienti.que incertain dans son travail de compréhension d'un problème social et
politique? Que faire de données scienti.ques mouvantes, incertaines voire contradictoires, alors même que la réponse à
ces débats serait déterminante dans la dé.nition de son objet mais également dans la tournure des conclusions de son
travail? A un autre niveau, il faut s'interroger sur la manière d'appréhender la notion de prudence et d'incertitude
scienti.que face à l'attente de groupes mobilisés et en attente de réparation. On ne peut ainsi ignorer le fort décalage
entre la lenteur, la prudence, voire la perplexité de certains débats scienti.ques et la demande souvent urgente de
groupes mobilisés, marqués "par corps" (Fassin, Rechtman, 2007) . Comment alors se positionner face à des exigences
contradictoires entre réalité sociologique des victimes et incertitudes scienti.ques qui devraient pourtant constituer une
forme de réponse ou d'appui pour les victimes? Il faudra en.n s'interroger sur les différents enjeux politiques contenus
dans cette incertitude scienti.que, autrement dit sur la question des différents rapports de force à la fois politiques et
économiques qui en découlent.
Terrain :
Pour répondre à cette problématique, nous proposons d’appuyer cette communication sur la question de la nocivité des
produits phytopharmaceutiques chez les agriculteurs exposés dans le cadre de leur travail. Si la première association
d'agriculteurs victimes des pesticides fondée en mars 2011, "Phyto-victimes" tente de faire intégrer le caractère nocif
systématique des pesticides dans le cadre professionnel, les différents expertises scienti.ques sur le sujet divergent.
Utilisés de manière massive dans l’agriculture française conventionnelle depuis l’après-guerre, les pesticides ont été
intégrés comme une norme indispensable à ce secteur, alors que les risques liés à une manipulation quotidienne de ces
produits sont connus de longue date et font l’objet d’interrogations intermittentes depuis les années 1960.
Méthodologie :
Le travail de terrain s’appuie principalement sur une trentaine d'entretiens semi-directifs approfondis réalisés entre 2012
et 2014 auprès de différents acteurs intervenant sur la question des pesticides. Ces entretiens ont tout d'abord été
effectués auprès de victimes – ou de membres de familles de victimes -, membres de l’association "Phyto-victimes" mais également auprès de professionnels et scienti.ques, médecins de santé publique, médecins du travail intervenant
dans le domaine. Le travail empirique s'appuie également sur la lecture d'articles et rapports scienti.ques régulièrement
publiés ces dernières années, et dont les différents points de vue peuvent diverger quant au niveau de dangerosité des
produits incriminés par les victimes.
Bibliographie :
Barthe Yannick, "Cause politique et politique des causes", la mobilisation des vétérans des essais nucléaires français",
Politix, volume 23, n°91/2010, p.71-102.
Fassin Didier, in Lecourt Dominique (dir.), Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, Paris, 2004.
Fassin Didier et Rechtman Richard, L'empire du traumatisme, Enquête sur la condition de la victime, Flammarion,
Paris, 2007.
Fillion Emmanuelle, « Que font les scandales ? La médecine de l’hémophilie à l’épreuve du sang contaminé », in
Politix, vol. 71, n° 18, 2005, p. 191-214.
Henry Emmanuel, Amiante, un scandale improbable, sociologie d’un problème public, Presses universitaires de Rennes,
Rennes, 2007.
Pollak Michael, Une identité blessée, Métaillé, Paris, 1993.
103
Quand les sciences de la Terre rencontrent l’analyse de l’action publique : retour
sur les expériences de la Soufrière et de Montserrat
1
Ribémont T., 2Dèves M.
Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité1, Institut Physique du Globe / Sciences Po 2
Les crises associées aux manifestations terrestres, comme les séismes ou les éruptions volcaniques, sont quali.ables de
« wicked problems ». Nous avons choisi de nous intéresser à deux cas de gestion de crise, associées à l’aléa
volcanique : l’éruption phréatique de la Soufrière de Guadeloupe en 1976, et l’éruption magmatique de la Soufrière de
Montserrat (1995-2015, en cours). Ces deux crises - à l’instar des travaux de Francis Chateauraynaud et Didier Torny
sur l’amiante, le nucléaire et les maladies à prions - éclairent, en creux, deux scenarii possibles de circulations des
savoirs et de controverse au sein de la communauté de recherche elle-même, et entre les chercheurs et les décideurs. La
« crise de 76 » a donné lieu à d’intenses polémiques. Elle est restée célèbre comme l’exemple à ne pas suivre dans la
gestion des crises (Stieltjes, 2004 ). Les vicissitudes rencontrées alors par les différents acteurs rappellent combien les
frontières entre recherche, expertise et décision peuvent devenir !oue en contexte d’incertitude. Fort du retour
d’expérience de la « crise de 76 », la crise de Montserrat donna lieu à une gestion de crise très différente. On s’appuya
notamment sur l’analyse structurée du jugement des experts et sur des outils probabilistes de quanti.cation de
l'incertitude et d'aide à la décision (e.g. Aspinall, 2010 ; Hincks et al., 2014 ). La comparaison entre ces deux crises
permet de mettre en évidence le rôle clé joué par l’introduction des instruments probabilistes dans l’évolution des
controverses. Notre analyse comparée s’appuie sur un regard croisé associant des chercheurs en sciences de la Terre et
en science politique. L’hybridation de ces « disciplines », avec leurs ensembles différents de culture, de savoirs et de
savoir-faire, doit permettre de dépasser la logique duale qui oppose traditionnellement l’Homme à la Nature, et les
Sciences Humaines et Sociales aux Sciences de la Nature. Il s’agit donc de prendre au sérieux l’idée selon laquelle
l’approche interdisciplinaire est susceptible de contribuer à une meilleure compréhension de l’articulation entre
recherche, expertise et décision . En terme de méthode, nous nous appuyons sur une analyse de la littérature en sciences
de la Terre et en sciences politiques (analyse de l’action publique), et sur l’étude des nombreux documents d’archives
récoltés par les équipes de l’Institut Physique du Globe de Paris (IPGP) à propos de la « crise de 76 » (rapports de
l’observatoire de la Guadeloupe, communiqués de presse, articles scienti.ques, etc.). Pour ce qui est de la « crise de
Montserrat », nous nous appuyons principalement sur la revue de la littérature et les rapports produits par les experts
dans la gestion de cette crise. Notre présentation s’articulera en deux temps. Dans une première partie, nous reviendrons
sur certains concepts de l’analyse de l’action publique : l’expertise, les notions de controverse et d’instrument. Dans une
seconde partie, nous explorerons l’utilisation de ces concepts à partir des deux cas d’études précités.
Faut-il dé(cons)truire les objets complexes ? Ré5exions à partir d’une recherche
critique sur les politiques de « l’air intérieur »
1
Le Bourhis J.-P., 2Ferron B.
Université Paris 122, Université de Picardie1
La communication rend compte des enseignements tirés d’un projet de recherche (2012-2015) qui aborde un problème
public fortement transversal : la pollution de l’air intérieur. L’exposition à des substances dangereuses pour la santé en
espace con.né fait l’objet d’un traitement passablement complexe, juxtaposant plusieurs actions publiques sectorielles :
mesures hygiénistes et de santé publique, lutte contre l’insalubrité, contrôle des substances chimiques, règles de la
construction, etc.. À celles-ci s’ajoutent une catégorisation et une problématisation spéci.ques qui ont émergé plus
récemment : la « qualité de l’air intérieur », dotée depuis le début des années 2000 d’un Observatoire statistique, de
textes réglementaires et de nouveaux acteurs professionnels (conseillers médicaux en environnement intérieur).
L’enquête s’appuie sur la participation des auteurs au projet de recherche mentionné, mobilisant les sciences sociales
pour étudier le développement de ces « politiques de l’air intérieur ». Dans le cadre de la présente section thématique,
l’objectif est d’analyser la conception et les évolutions de notre recherche autour de cet « objet complexe » en explorant
deux questions en particulier :
- l’ajustement entre les objectifs scienti.ques initiaux et ceux de .nanceurs orientés vers l’action (un ministère, un
organisme de recherche appliqué et une agence de moyen à vocation sectorielle), ainsi que les conditions –
institutionnelles, sociales et sémantiques - de leur convergence, notamment par l’analyse croisée de l’appel à projet et
de la proposition de recherche.
- les conséquences du travail scienti.que, conduisant à déconstruire progressivement l’objet et le cadrage institutionnel
initial (« les politiques de l’air intérieur ») tout en produisant des connaissances utiles à l’action - quoique différemment
de ce qui était envisagé au point d’origine. Cette déconstruction s’appuie en particulier sur une étude parallèle des
discours médiatiques, des mobilisations et des structures de mise en œuvre associés au problème de l’air intérieur.
Ces éléments empiriques nous conduisent à proposer une réponse provisoire à la question de la possible conciliation
entre projet scienti.que centré sur la compréhension des phénomènes et projet bureaucratique, orienté vers la
production de solutions : si cette conciliation reste entravée par le malentendu épistémologique initial, elle est rendue
possible par un travail critique sur les catégories de l’entendement bureaucratique mobilisant les apports
constructivistes. Toute la dif.culté de ce « détour productif » réside toutefois dans la capacité à déconstruire sans les
détruire les objets complexes insérés dans la demande institutionnelle de produits de recherche.
104
Ce résultat sera mis en relation avec les ré!exions portant sur la commande publique et ses effets sur les sciences
sociales dans d’autres secteurs (social, ville, éducation) en explorant notamment les stratégies, positionnement et
apports des enquêtes privilégiant un type d’approche critique.
La science politique face à l'Ebola et à l'Organisation mondiale de la santé
Vanel J.
Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines
La santé publique occupe une place particulière dans les sociétés occidentales. La récente épidémie d’Ebola en Afrique
de l’Ouest a rappelé aux pays occidentaux la porosité des frontières face aux maladies transmissibles, et la nécessité,
mais aussi les dif.cultés, à coopérer dans la gestion de ces crises sanitaires dans un contexte de mondialisation et de
complexi.cation des enjeux. D’autres domaines comme la lutte contre les maladies chroniques (et en particulier les
cancers), bien que moins polémiques en apparence, mobilisent aussi les États au niveau tant national qu’international.
Ainsi, non seulement les questions sanitaires ont acquis une visibilité nouvelle, mais elles ont aussi pris plus que jamais
une dimension multinationale, pour ne pas dire transnationale.
De plus, la santé publique ne peut laisser le politologue indifférent, tant elle renvoie à cet « État en action » qui, tout du
moins depuis le XVIIIe siècle avec les politiques hygiénistes, cherche à préserver et si possible à améliorer la santé des
populations. Pour ce faire, les États ont notamment mis en place des institutions, aussi bien nationales qu’internationales
; l’Organisation Mondiale de la Santé, née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en constitue certainement la
forme la plus aboutie dans le domaine de la santé publique internationale.
Si l’on admet que les États se tournent aujourd’hui vers les organisations internationales pour trouver des solutions et
des moyens d’action en vue de résoudre les problèmes complexes qui s’imposent à eux, quali.er cette relation pose
cependant un ensemble de dé.s à la science politique. En effet, une telle approche suppose de croiser des sousdisciplines qui ont peu dialogué jusqu’à aujourd’hui, en particulier l’étude des relations internationales et l’analyse des
politiques publiques. Si la première s’est longtemps désintéressée des organisations internationales pour ne considérer
que les États comme acteurs (c’est-à-dire dotés d’un pouvoir d’agir), la seconde n’a que très tardivement questionné
l’internationalisation des politiques publiques. De plus, si l’on considère la tension qui traverse historiquement l’analyse
des politiques publiques, en particulier sectorielles, entre d’une part une approche qui consiste à s’inscrire dans le
domaine spécialisé et à apporter des solutions concrètes aux pouvoirs publics, et d’autre part celle qui met l’accent sur
une démarche compréhensive mettant à jour les rapports de force en présence, on comprend alors que
l’internationalisation de l’action publique dans le domaine sanitaire constitue un objet de recherche complexe.
Cette contribution s’appuie sur une expérience de recherche : celle d’une jeune chercheuse en science politique ayant
choisi pour objet les programmes d’éducation sanitaire de l’OMS. Nous prendrons pour point de départ l’opportunité
que représente la sociologie politique pour l’analyse de l’action publique, en particulier lorsqu’il s’agit d’étudier une
institution comme l’OMS. En effet, il nous est apparu que l’observation participante, couplée à des entretiens semidirectifs, se trouvait être une approche méthodologique pertinente pour identi.er les rapports de force au cœur de
l’action publique internationale dans le domaine sanitaire. Cependant, les dé.s méthodologiques se sont révélés
nombreux aussi, et ce plus particulièrement du fait de l’interdisciplinarité qui caractérise l’analyse de l’action publique
dans un domaine spécialisé. Comment par exemple combiner stage à l’OMS et recherche en science politique ? Le
premier suppose d’acquérir le langage indigène (par exemple distinguer éducation sanitaire et promotion de la santé) et
des compétences « nécessaires » à l’institution (comme évaluer un programme d’action en élaborant des indicateurs).
La seconde invite à mettre à distance ces « acquis » pour apporter un regard critique à l’expérience vécue. C’est donc
plus largement cet exercice (intellectuel) que nous proposons de discuter.
105
106
ST 20 : Discours, mots et politique : les enjeux de l’analyse textuelle en
Science politique
Comprendre les programmes électoraux : comparaison des méthodes d’encodage
manuel et automatique
1
Piet G., 2Dandoy R., 3Joly J.
Université Libre de Bruxelles 2, Université de Liège1, McGill University3
Dans le sillage de Robertson (1976) et de Budge and Farlie (1983), la science politique s’est penchée sur la saliency
theory. Selon cette théorie, le point de vue des partis politiques sur certaines thématiques publiques peut être analysé sur
base de leurs priorités politiques plutôt que sur base de leurs positions. Les partis choisissent ainsi stratégiquement de
mettre l’accent sur certaines thématiques plutôt que d’autres, a.n de se différencier des autres partis. Le principal
avantage des programmes électoraux est qu’ils permettent une comparaison dans le temps et dans l’espace, entre partis,
sur toute une série de thématiques de politiques publiques.
La visée de cet article méthodologique porte sur la comparaison de deux méthodes d’analyse de textes et d’encodage
des données (l’une, manuelle et l’autre, automatique). La méthode CAP (Comparative Analysis Project), utilisée dans
de nombreux pays et recherches en science politique, se base sur un encodage manuel, phrase par phrase, des priorités
politiques à l’aide d’un codebook reprenant 249 catégories thématiques rassemblées par domaine de politique publique
(économie, politique .scale, environnement, affaires étrangères, affaires sociales, etc.). La méthode d’encodage
automatique des priorités politiques s’appuie sur le logiciel Prospéro (Chateauraynaud, 2003). Elle se base sur le même
codebook et les mêmes 249 catégories thématiques mais applique un encodage par mots-clés et expressions préencodées. Ainsi, le contenu des programmes électoraux pour toutes les élections fédérales belges organisées entre 1987
et 2007 sera analysé pour tous les partis représentés au parlement. Les 64 programmes électoraux produits par ces 12
partis politiques seront analysés.
Évolution de discours et dynamiques de coalitions
Van Neste S.
Université de Montréal
Cette proposition de communication vise à aborder l'usage de l'analyse de discours pour l'étude de la formation et de
l'évolution des coalitions. Tor.ng (2005) et Howarth (2010) ont soutenu que l'analyse de discours est particulièrement
utile à la science politique pour saisir les dynamiques d'alliances et de coalitions, tandis que Chatauraynaud (2010) a
mis à l'avant plan l'interaction entre la trajectoire des acteurs et des arguments. Cette communication va aborder les liens
entre les coalitions et l'évolution de leur discours, avec une approche combinant différentes ressources théoriques. La
principale théorie de discours mobilisée est celle de Laclau et Mouffe (1987) sur le processus d'articulation dans un
champ antagoniste, par lequel se construit des chaînes d'équivalences. Ces chaînes d'équivalence discursives lient des
éléments ensembles pour donner sens à des nœuds. Autant les coalitions que leurs opposants cherchent à redé.nir les
mêmes nœuds en les liant à des éléments différents; dans une série de 'tests' que constituent des débats publics et des
interactions internes aux groupes et coalitions (Chateauraynaud 2010). Le champ discursif évolue avec les modi.cations
dans les chaînes d'équivalence, qui modi.ent aussi les collectifs en retraçant leur frontières par l'inclusion et l'exclusion
d'éléments de sens. Les chaînes d'équivalence peuvent se moduler en répertoires interprétatifs (Potter and Wetherell
1987) qui permettent une certaine élasticité aux collectifs, tout en conservant l'adhérence à une utopie commune.
L'approche a été utilisée pour étudier quatre cas de coalitions sur les enjeux de mobilité à Montréal (Canada) et à
Rotterdam La Haie (Pays-Bas), et s'est avérée utile pour saisir la cohésion de même que la rupture de coalitions et de
leur discours commun.
Dépolitisation par les mots : le cas des af-ches électorales suisses de 2008 à 2014.
Satineau M.
Politologue membre ASSP
Nous proposons une ré!exion basée sur un corpus d’af.ches présentes dans l’espace public suisse francophone entre
2008 et 2014, au gré des nombreuses consultations populaires que permet le régime de démocratie directe de la
Confédération helvétique.
Dans cette base empirique, chacune de ces cinquante af.ches ne comporte qu’un fragment de texte, que l’on ne peut
toutefois réduire au terme de slogan compris au sens publicitaire du terme. Cependant, par la répétition des échéances
de vote, il se constitue au .l du temps un corpus de textes volumineux. En d’autres termes, si l’analyse du discours
travaille avec des unités supérieures à la phrase (Bardin 1977), le discours peut être reconstitué au .l du temps par des
fragments repérés et répertoriés sur un même support et dans un même exercice, l’af.che dans le cas présent.
107
Ce volume de discours est signi.ant dans ses pratiques, tant du point de vue de l’émetteur du discours que du point de
vue du récepteur potentiel qu’est le citoyen ainsi appelé aux urnes. Il s’agit de dépasser l’analyse purement systémique
de la communication pour aborder une analyse textuelle où la représentation physique du texte dans l’espace public et
sa sémiologie sont susceptibles de participer à un processus de dépolitisation du langage politique. De plus, il
conviendra de s’interroger sur les interactions, voire sur la frontière, entre les mots et l’image proposée par l’af.che
politique, dans un possible processus de substitution allant au-delà de la complémentarité classique entre chaque unité
textuelle et l’illustration qui lui est associée.
Par dépolitisation, nous entendrons dans cette recherche une perte de substance politique du discours au pro.t d’autres
signi.cations, ce qui permet indirectement de redé.nir le positionnement du discours dit populiste dans l’espace public
de communication. L’évitement sémantique, voire la modi.cation de sens, peuvent d’ailleurs conduire à des
imbrications complexes entre dépolitisation et nouvelle politisation du discours (Freyermuth 2013). Dès lors,
l’argumentation a besoin d’une conception élargie qui tente de l’appréhender dans son fonctionnement discursif
(Amossy 2006). Ce dernier ne saurait être limité à sa capacité d’ef.cacité ou d’échec dans le cadre d’une campagne
électoral. Il s’agit plutôt de l’examiner comme un discours socio-culturel permanent, cette permanence étant renforcée
par les mécanismes de démocratie directe suisse.
Ces observations peuvent déboucher sur une reconstruction du processus argumentaire, lui-même étant susceptible de
favoriser une dépolitisation, dont l’ampleur reste à déterminer, selon deux axes principaux : 1) La dépolitisation du sujet
traité au pro.t d’autres représentations. Ce phénomène est à mettre en relation avec la complexité croissante des objets
tranchés dans les urnes par les citoyens. 2) La dépolitisation d’un discours plus général sur l’avenir commun, ce qui
implique des convergences dans les pratiques discursives allant au-delà des clivages partisans, pour une nouvelle
narration, sinon une explication, du fait politique. Au lieu d’un outil-re!et au sens de Bourdieu (1982), le discours
devient alors un outil de façonnement du fait collectif. Les unités discursives étudiées contribuent à un acte de
communication aisément repérable mais aussi à un système de pensée (Charaudeau 2005) aux contours moins précis.
Souveraineté perdue, souveraineté retrouvée ?
Quand les élus de la nation évoquent le peuple pour (dé)construire l’Europe
Jadot C.
Université libre de Bruxelles
Condition sine qua non de toute forme d’intégration politique, la mise en commun des souverainetés que requiert
l‘intégration européenne pose un dilemme aux formes traditionnelles de représentation politique. D’une part, la
construction européenne viderait de sa substance la souveraineté populaire, remettant ainsi en question le caractère
indivisible et incessible de cette dernière. D’autre part, l’intégration européenne traduirait la volonté politique de
s’adapter à un environnement globalisé, où les décisions se prennent largement au-delà des frontières nationales ; plus
qu’une perte, l’Europe offrirait l’opportunité d’un rattrapage de souveraineté. Entre renforcement et effritement, cette
recherche interroge les stratégies de légitimation sous-jacentes au discours des députés français en la matière face à la
double injonction de « faire l’Europe sans défaire la France ». D’un refus catégorique de toute forme de compromission
à de possibles accommodements, quels équilibres les élus mobilisent-ils et sur quelles bases les justi.ent-ils ?
Construite sur une comparaison des positions adoptées par les parlementaires à l’Assemblée nationale lors des débats de
rati.cation des traités européens, l’étude se focalise sur les interventions parlementaires consacrées à l’exercice de la
souveraineté nationale dans un contexte de gouvernance multiniveaux. L’hypothèse défendue est qu’au-delà des
considérations idéologiques et stratégiques présentes dans le discours des députés, la culture discursive produirait l’effet
d’un tropisme qui cadre en pratique la nature des interventions. Méthodologiquement, les interventions issues des
débats parlementaires ont été systématiquement codées avant d’être quantitativement et qualitativement interprétées.
Théoriquement, la contribution vise à contribuer à la littérature sur l’européanisation des discours politiques nationaux
et s’inscrit dans le cadre plus large d’une ré!exion sur les formes de réhabilitation de la nation en politique.
Empiriquement, en se penchant sur dépouillement des annales parlementaires, elle explore une source de données trop
souvent ignorée.
Potentiel et limite de l’analyse textuelle appliquée aux discours parlementaires.
Morel B.
ENS Cachan
« Dans Parlement, il y a parle et il y a ment », raillait Léo Campion. Après un relativement long silence, la Science
Politique tend à s’intéresser à nouveau au premier terme de ce diptyque. Bien sûr, les chercheurs ont depuis longtemps
puisé dans les débats parlementaires les ressources pour la compréhension des politiques publiques et l’élaboration de la
norme (Par exemple : Commaille J, L’esprit sociologique des lois. Essai de sociologie politique du droit, Paris, Puf,
1994) . Mais l’idée d’une analyse du discours parlementaire pour lui-même, en en dégageant les logiques et les enjeux
propres, a connu ces dernières années une nouvelle naissance . Celle-ci s’est appuyée tout à la fois sur l’emploi des
logiciels d’analyses textuelles (notamment Alceste voir par exemple : De Galermber Claire, « Alceste, un outil
d’investigation de la fabrique parlementaire du droit », dans Faire Parler le Parlement, dir. De Galembert C, Roenberg
O. Vigour C., Droit et Société n°27, LGDJ, 2013 ), mais aussi sur le renouveau de la ré!exion concernant la
délibération parlementaire (par exemple : Clément Viktorovitc, Parler, pour quoi faire, La délibération parlementaire à
l'Assemblée nationale et au Sénat (2008-2012), Thèse de doctorat en Science politique soutenu à l’IEP de Paris, 2013) .
Si le Parlement parle, il s’agit à présent de situer sa parole dans un processus discursif développant ses objets et ses
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objectifs propres. On ne peut que constater que ces derniers sont bien souvent très éloignés de ce que les droits
constitutionnels et parlementaires prescrivent. Les débats parlementaires s’écartent en effet aisément de la logique
délibérative tendant vers le bien commun pour développer des grammaires propres (Voir notamment : Heurtin JeanPhilippe, L'Espace public parlementaire. Essai sur les raisons du législateur, PUF, 1999). L’analyse textuelle permet de
situer ces dernières et de révéler leur logique d’apparition. Le but premier de cette présentation sera donc de montrer en
quoi l’analyse textuelle permet de repenser le jeu parlementaire et donc pour partie, son rôle, sa place, dans
l’architecture institutionnelle.
Si ces études permettent d’approfondir notre connaissance, elles n’en comportent pas moins des risques évidents.
Profondément tributaires des comptes rendus intégraux de Séance (rédigés par un service dédié), elles doivent faire face
à des sources biaisées. D’abord, ces comptes rendus font l’objet d’une relecture par les fonctionnaires, visant
consciemment et inconsciemment à projeter une image de l’institution qu’ils servent. L’exercice est ainsi codi.é et obéit
à des canons propres. Ensuite le compte rendu ne rend que très imparfaitement les enjeux pesant sur le discours. La
présence du ministre, d’une audience, d’un collègue silencieux, mais in!uent… sont autant de facteurs que l’analyse
textuelle tend à ignorer. De même en va-t-il du rapport au temps. Ce temps si rare en Séance avec la mise en place du
parlementarisme rationalisé. Ce temps dont le déroulement échappe aux parlementaires et conditionne leur capacité à
argumenter et à délibérer. En.n, l’absence de comptes rendus intégraux des débats en commission tend à rendre
l’analyse textuelle des débats parlementaires borgne. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 en effet, les
assemblées débattent sur le texte de la commission. Ainsi une grande partie des débats échappent-ils aux chercheurs,
faisant souvent de l’analyse textuelle des comptes rendus de Séance celle d’une pièce de théâtre déjà écrite. Si les
acteurs sont présents sur scène, ils savent déjà, tout comme leurs spectateurs, comment doit se conclure la tragédie. Dès
lors se développe une grammaire spéciale dont on peut douter qu’elle suf.se à dé.nir l’activité parlementaire.
À travers des exemples concrets (empruntés aux débats sénatoriaux), nous tâcherons donc de montrer que si l’analyse
textuelle permet de faire progresser notre connaissance des débats parlementaires, elle est aussi une voie dangereuse qui
mérite de repenser ses sources et de mettre en perspective ses conclusions. En .n de compte, nous verrons que si une
analyse des débats parlementaires, débarrassés de ce type de biais, est possible, elle s’avère, dans les faits, dif.cile à
mettre en œuvre eu égard aux rigidités des acteurs. Car si Marc Abélès avait nommé le préambule de son ouvrage « un
huron à l’Assemblée », la tribu parlementaire sait garder jalousement ses temples et son discours ne se laisse pas
entendre sans s’altérer.
Le poids des mot « climatiques », le choc des discours « catastrophistes »
Scotto L.
Université Montpellier 3
L’analyse lexicométrique en sciences sociales et plus particulièrement en sociologie des sciences et de l’environnement
est peu à peu investie par la recherche, principalement à travers la balistique sociologique de Francis Chateauraynaud
(2011), consistant à analyser les « jeux d’acteurs et d’arguments », et de comparer les « trajectoires visées par les
acteurs ». Rares sont les études lexicométriques concernant le climat, et plus particulièrement les controverses
climatiques, (Chetouani, 2007 ; Scotto d’Apollonia, Luxardo et Piet, 2014). Cette communication apporte une
contribution à la ré!exion sur l’usage de l’analyse textuelle dans le domaine environnemental et plus particulièrement le
cas du réchauffement climatique. Dans un travail de thèse récent (Scotto d’Apollonia, 2011-2014) l’analyse linguiste et
plus particulièrement la lexicométrie ont été intégrées dans un cadre d’analyse socioépistémique plus large. Ainsi
utilisée comme un outil d’analyse à part entière mais aussi complémentaire d’autres modes d’investigation, l’analyse
textuelle présente un potentiel heuristique particulièrement fécond qui sera commenté à la lumière des résultats
concernant le cas du réchauffement climatique. Après un panorama des pratiques discursives des actants impliqués, le
poids des mots « climatiques » et le choc des discours « catastrophistes » dans le cas des controverses climatiques, cette
communication se focalisera plus particulièrement sur deux points. Le premier concerne les apports de l’analyse
textuelle sur la posture du chercheur et les questions de ré!exivité particulièrement délicate pour les problèmes
environnementaux aux enjeux politiques majeurs présentant de fortes incertitudes alors que des décisions politiques
doivent être prise rapidement. Le second concerne les limites épistémologiques de l’analyse textuelle dans ce type de
problématique. En effet la construction et l’analyse des corpus se heurtent d’une part à la très grande hétérogénéité des
volumes et des espaces de publicisation des acteurs impliqués dans les problématiques environnementales et d’autre
part à la construction a priori de catégorie d’acteurs dont la pertinence demeure un point délicat de questionnement. Plus
généralement cette communication soulève les dif.cultés des pratiques interdisciplinaires et la façon dont l’usage de
l’analyse textuelle renouvèle les rapports entre sciences politiques, sociologie et linguistique.
Bibliographie
Chateauraynaud, F., (2011). Argumenter dans un champ de forces, Essai de balistique sociologique, Edition Petra, Paris.
Chetouani, L., (2007). « Les mots de la controverse sur le changement climatique », Le Télémaque n° 31, Presses
universitaires de Caen, pp. 81-104
Scotto d’Apollonia, L., (2011-2014). Les controverses climatiques : une analyse socioépistémique, Thèse de doctorat
soutenue le 14 octobre 2014, Université Paul Valéry Montpellier 3.
https://univ-montp3.academia.edu/LionelScottoDapollonia
Scotto d’Apollonia, L., G. Luxardo and G. Piet (2014). « Approche lexicométrique des controverses climatiques », in
109
JADT 2014: 12es Journées internationales d’Analyse statistique des Données Textuelles. N. Emilie, D. Jean-Michel, V.
Matthieu and F. Serge, p. 606-616.
Analyser le discours des organisations internationales (OI) : Enjeux et exemple à
partir d’une analyse lexicométrique du discours de l’Organisation internationale
du Travail (OIT)
Leterme C.
Université libre de Bruxelles
Dans un article paru en 2011, Gobin et Deroubaix regrettaient que l’intérêt pratique et théorique de l’analyse du
discours des organisations internationales (OI) ne se soit pas encore traduit par d’avantage de recherches dans ce
domaine (Gobin & Deroubaix, 2011). L’objectif de cette communication ne sera pas tant de ré!échir aux raisons de cet
état de fait que de montrer, à travers un exemple concret, les enjeux théoriques et méthodologiques soulevés par
l’analyse du discours des OI. Cet exemple sera tiré d’une étude en cours qui porte sur « les imaginaires du travail dans
la mondialisation » et qui repose principalement sur une analyse lexicométrique des rapports annuels produits par
l’Organisation internationale du Travail (OIT) entre 1970 et aujourd’hui.
D’un point de vue théorique, nous montrerons d’abord que ce type de recherche consiste à analyser une forme
particulière de « discours institutionnel » (Krieg-Planque, 2012) dont nous estimons qu’il faut chercher à la fois la
spéci.cité et la continuité avec les autres formes de discours institutionnel, notamment nationales. C’est pourquoi nous
proposerons de partir de la dé.nition donnée par Boltanski des institutions en générale (« des êtres sans corps à qui est
déléguée la tâche de dire ce qu'il en est de ce qui est » (Boltanski, 2009: 117)) pour faire des OI en particulier une
instance clé dans la constitution (notamment discursive) d’une certaine réalité mondiale. L’exemple de l’OIT nous
permettra ici d’illustrer la dimension constitutive de cette institution (et de son discours) dans l’ordre mondial d’aprèsguerre (Cox, 1987; Murphy, 1994), de même que leur évolution respective dans le contexte d’une « mondialisation
néolibérale » qui est venue miner les principaux fondements matériels et symboliques (Fairclough, 2006).
Nous tenterons ensuite d’exposer, cette fois d’un point de vue méthodologique, les avantages et limites des différentes
méthodes d’analyse du discours des OI, en insistant autant que possible sur leur complémentarité plutôt que sur leurs
divergences. Nous verrons notamment, dans le cadre de notre exemple, que si la lexicométrie s’est presque
naturellement imposée à nous comme principale méthode d’analyse étant données la longueur de la période étudiée (40
ans) et l’importance du corpus qui lui est associé (plus de 2 millions d’occurrences !), les lacunes généralement
associées à l’utilisation de cette méthode (ex : Le Bart, 1998) nous ont néanmoins amené à ré!échir aux différents
moyens d’y remédier (en tout ou en partie). Il en va d’ailleurs de même pour la question centrale du matériel choisi pour
étudier le discours d’une OI comme l’OIT, de même que pour celle - peut-être encore plus fondamentale - de savoir
dans quelle mesure on peut prétendre analyser le discours d’une institution dont la pluralité intrinsèque est pourtant une
caractéristique irréductible (Gayon, 2009). Nous tenterons ici de justi.er les choix posés dans le cadre de notre étude
(considérer que le discours de l’OIT est bel et bien analysable par le biais de ses rapports annuels), tout en reconnaissant
qu’ils laissent irrésolus certains aspects importants de ces questions.
En dé.nitive, tout ceci devrait nous permettre, d’une part, de démontrer l’intérêt de l’analyse discursive des OI, mais
surtout, d’autre part, d’en explorer les ressources théoriques et méthodologiques sous-jacentes, lesquelles soulèvent,
selon nous, des enjeux dont les implications dépassent de loin le simple cadre de l’étude de ces institutions particulières.
Bibliographie
Boltanski, L. (2009). De la critique?: précis de sociologie de l’émancipation (p. 294). Paris: Galimard.
Cox, R. W. (1987). Production, Power, and World Order?: Social Forces in the Making of History (p. 500). New York:
Columbia University Press.
Fairclough, N. (2006). Language and Globalization. London & New York: Routledge.
Gayon, V. (2009). "Un atelier d’écriture internationale : l’OCDE au travail. Éléments de sociologie de la forme «
rapport »". Sociologie Du Travail, 51(3), 324–342.
Gobin, C., & Deroubaix, J. (2011). "L’analyse du discours des organisations internationales. Un vaste champ encore peu
exploré." Mots. Les Langages Du Politique, 94, 107–114.
Krieg-Planque, A. (2012). Analyser les discours institutionnels (p. 238). Paris: Armand Colin.
Le Bart, C. (1998). Le discours politique (p. 127). Paris: Presses Universitaires de France.
Murphy, C. (1994). International Organization and Industrial Change?: Global Governance since 1850 (p. 337).
Cambridge: Polity Press.
110
ST 21 : La sélection des candidats : quelle combinaison des niveaux et
des pro-ls ?
Comment expliquer l’entrée ou la sortie de candidats à la mairie lors des élections
municipales au Québec ? Un test du modèle du citoyen-candidat dans le monde
réel.
Couture J.
Université Laval
Selon le modèle du citoyen-candidat (Osborne et Slivinski, 1996 ; Besley et Coate, 1997), tout citoyen est un candidat
potentiel à une élection. Le nombre de candidat est donc endogène à l’électorat lui-même. Il ne résulte pas d'une
sélection réalisée au préalable par les partis politiques. Ce modèle décrit donc plutôt bien la dynamique électorale
municipales au Québec puisqu'il n'existe pas de véritable système partisan lors de ces élections. En effet, les candidats
indépendants y sont la règle. Ce contexte va nous permettre de tester plusieurs hypothèses qui découlent du modèle du
citoyen-candidat. Nous allons donc expliquer l'entrée de citoyens dans la course électorale ou encore la sortie de
candidat sortant par la variation dans les dépenses publiques et la taxation, la performance électorale passée du candidat
sortant, par le salaire des élus, par les coûts d'une campagne électorale, par le pro.l socio-économique des élus ainsi que
par le pro.l socio-économique de la population d'une municipalité. Le pro.l socio-économique étant un indicateur des
habiletés politiques du candidat ou du bassin électoral. Ainsi, nous allons pouvoir tester 16 hypothèses de recherche à
partir d'une régression logistique au sujet des lices électorales à la mairie de 945 municipalités québécoises lors des
élections municipales de 2009. Les résultats montrent que la variation dans les dépenses publiques, le salaire des élus,
l'âge du candidat sortant, les coûts de campagne électorale, le niveau d'éducation de la population ainsi que le taux de
propriétaires sur le territoire expliquent l'entrée de citoyens dans le jeu électoral ou encore la sortie de candidats
sortants. Toutefois, la variation dans la taxation, le sexe du candidat sortant, la taille de la municipalité et sa richesse
ainsi que le taux de chômage n'expliquent aucun de ces deux phénomènes. Cette étude est innovatrice puisqu'elle
présente un premier test empirique du modèle du citoyen-candidat dans le monde réel alors que les démonstrations
empiriques reposaient jusqu'à présent seulement sur des expérimentations (Cadigan, 2005). En outre, ce modèle étant
de plus en plus populaire dans les formalisations en économie politique qui sont publiées dans les grandes revues
d'économie et de science politique.
Carrières étoilées ou météoritiques ? Les enjeux de la sélection des candidats
frontistes aux élections municipales de 2014
Crippa M.
Paris-Dauphine
En 2014, l’agenda politique français a été rythmé par deux scrutins électoraux : les élections municipales et les élections
européennes. Les résultats de ces deux évènements ont consacré l’ascension (et la stabilisation ?) du Front National
(FN) dans le paysage politique français : 1.300 élus municipaux et 25 députés européens ont été nommés ce printemps.
Deux succès électoraux « historiques » pour le parti de la famille Le Pen qui a habituellement agi aux marges du
système des partis.
Exclu du pouvoir en raison de sa .liation extrême droitière, le FN a toujours manqué de candidats prêts à s’engager,
notamment aux élections locales. Mais, les résultats encourageants du parti aux dernières élections présidentielles et
législatives semblent avoir changé la donne. Plusieurs candidats ont franchi le pas : 597 listes ont été présentées aux
municipales de 2014 contre 114 en 2008. Parmi les candidats, de nouvelles recrues et des frontistes « de souche » se
partagent les positions éligibles sur les listes. Dotés de ressources variables, la plupart de ces colistiers sont des profanes
en politique, même si l’on compte certains transfuges des partis dits de gouvernements, notamment de l’UMP. Dans ce
contexte, on peut se demander dans quelle mesure la présence sur une liste et la participation à une campagne électorale
constituent des expériences « professionnalisantes » pour les candidats frontistes.
Les résultats présentés dans cette communication se basent sur l’analyse des listes FN dans trois départements français
et sur un corpus de vingt entretiens effectués avec les candidats desdites listes. Nous verrons comment les différentes
con.gurations municipales in!uencent les dynamiques de sélection (et d’élection) des candidats par le parti. Ce dernier
alterne des logiques de sélection informelles et locales à des logiques formelles et centralisées (Lovenduski, Norris,
1995).
Les outils méthodologiques employés ont permis de décrypter comment les ressources des candidats en position «
éligible » sont valorisées par le parti. En confrontant ces ressources avec celles des candidats aux élections européennes,
on découvre que les ressources de nouveaux venus aux élections locales sont contingentes (Gaïti, 1990 ; Dulong,
Lévêque, 2002 ; Delwitt et al., 2003 ; Cartier et al., 2010). Le genre et l’âge des candidats sont, par exemple,
secondaires par rapport à l’ancienneté partisane. Celle-ci est un critère de sélection fondamental lorsque les rétributions
symboliques (des places électives gagnables) et les rétributions matérielles (des places électives rémunérées)
s’additionnent.
111
Les entretiens effectués montrent également que les motivations des candidats à s’engager sur une liste locale entrent
souvent en collision avec les contraintes auxquelles ils doivent faire face lors de la sélection. La perception de ces
contraintes varie néanmoins selon les propriétés des enquêtés, notamment l’âge et le genre. Ce qui ne signi.e pas pour
autant l’absence de rétributions. Les candidats peuvent obtenir notamment une forme de reconnaissance sociale et une
expérience considérée comme professionnalisante.
Au .nal, seulement certains candidats sont facilités dans leur ascension politique. Si la pénurie de candidats disposant
de capitaux transférables en politique permet à des nouvelles recrues d’espérer une carrière « facile » au FN, certaines
ressources comme l’ancienneté partisane sont valorisées par le parti et font défaut aux nouveaux venus. Ces derniers
sont, par conséquent, moins susceptibles de devenir des professionnels de la politique.
Bibliographie
Achin, C., Bargel, L., Dulong, D., Fassin, E., (2007), Sexes, genre et politique. (Paris : Economica).
Achin, C., Paoletti, M., (2002), « Le « salto » du stigmate. Genre et construction des listes aux
municipales de 2001 », Politix, Vol. 15, N°60. Quatrième trimestre 2002, pp. 33-54.
Agrikoliansky, E., Heurtaux, J., Le Grignou, B., (2008), Paris en campagne. Les élections municipales de mars 2008
dans deux arrondissements parisiens. (Bellecombe-en-Bauges : Éditions du Croquant).
Cartier, M., Coutant, I, Masclet, O., Siblot, Y, (2008), « Promotion et marginalisation des candidats de la « diversité »
dans une commune de la banlieue parisienne », Politix 3/ 2010 (n° 91), p. 179-205.
Crépon, S., (2011), Enquête au cœur du nouveau Front national. (Paris : Nouveau Monde).
Delwitt et al. (2003), Delwit Pascal et al., « Le pro.l des candidats francophones aux élections fédérales du 18 mai 2003
», Courrier hebdomadaire du CRISP, 2005/9-10 n° 1874-1875, p. 5-69.
Dulong Delphine, Lévêque Sandrine. « Une ressource contingente. Les conditions de reconversion du genre en
ressource politique », Politix, Vol. 15, N°60. Quatrième trimestre 2002. pp. 81-111.
Gaïti, B. (1990), « Des ressources politiques à valeur relative : le dif.cile retour de Valéry Giscard d'Estaing », Revue
française de science politique, 40e année, n°6, 1990, pp. 902-917.
Le Bart, C., Léfèbvre, R., (2005), La proximité en politique. (Rennes : Presses universitaires de Rennes, Coll. « Res
Publica »).
Lovenduski, J., Norris, P., Political Recruitment: Gender, Race and Class in the British Parliament. (Cambridge :
Cambridge University Press).
Paoletti, M. (2008), « Les grillons du foyer municipal, les femmes au foyer en politique »,
Travail, genre et sociétés, Vol. 1, Nº 19, p. 111-130.
La professionnalisation du personnel politique local : l'exemple des candidats aux
élections législatives et cantonales du PS français (1988-2012)
Hû G.
Strasbourg
L’examen sur une longue durée du recrutement du personnel politique fait apparaître sa professionnalisation
grandissante au sens d’une intensi.cation de la spécialisation politique en lien avec l’accroissement de la division
sociale du travail politique (Garraud, 1989). En France, la professionnalisation politique s’est d’abord traduite par une
démocratisation de l’accès aux mandats (Dogan, 1967 ; Best Heinrich et Gaxie Daniel), avant d'en devenir une .nalité
(Ostrogorski, 1993 ; Weber, 2002). A partir des années 1960, la professionnalisation croissante du métier d’élu devient
le corollaire de l’élévation du recrutement social du personnel politique (Birnbaum, 1994 ; Dogan, 1967; Gaxie, 1980).
Cette professionnalisation s’est encore accentuée à partir des années 2000 avec un renouvellement des élus, au niveau
national, issus du groupe des collaborateurs d'élus (Behr et Michon, 2013).
Au cours de ces trente dernières années, les élus ont vu s’accroître leur accès aux ressources des institutions politiques
(collectivité territoriale, position de parlementaire) qui leur permettent de salarier un ou plusieurs collaborateurs. Sous
l'effet des lois de décentralisation de 1982-1984 et de la formalisation des postes d’assistants parlementaires à partir de
la .n des années 1970 (Courty, 2005 ; Demazière et Le Lidec, 2014), les élus s'entourent d'un nombre croissant de
collaborateurs d'élus. Au niveau local, le parti socialiste constitue une entrée privilégiée pour analyser l'accès de ces
collaborateurs d'élus sur la scène politique locale. En effet, à partir de leur prise de pouvoir au niveau local en 1977, les
socialistes détiennent un grand nombre de collectivités territoriales. Au début des années 2000, selon Rémi Lefebvre et
Frédéric Sawicki, le parti socialiste est celui qui compte le plus grand nombre d’élus locaux (Lefebvre et Sawicki,
2006).
Dès lors, dans quelle mesure ce processus de renouvellement du personnel politique établi au niveau national est-il
également observable au niveau local ? Quel est, en outre, le degré de stabilité du personnel politique local ? Selon les
types de positions politiques étudiées, observe-t-on une évolution similaire ? Notre communication visera entre autres à
112
répondre à ces questions. Il s'agira d'analyser la professionnalisation du personnel politique socialiste sur deux terrains
d'enquête, l'un où le parti socialiste est durablement au pouvoir (le Nord) et le second durablement dans l'opposition (le
Bas-Rhin). Plus précisément, nous nous baserons sur l'étude des pro.ls, réalisés dans le cadre de notre thèse (Hû, 2014),
de 130 candidats aux élections législatives dans le Nord et 43 dans le Bas-Rhin ainsi que de 301 candidats aux élections
cantonales dans le Nord et 153 dans le Bas-Rhin entre 1988 et 2012. Nous démontrerons ainsi la professionnalisation du
parti socialiste tant sous l'angle du renouvellement de son personnel politique qu'à travers la stabilité de son personnel
politique local.
Bibliographie
BEHR Valentin et MICHON Sébastien, « The representativeness of French Cabinet Members: a smokescreen? »,
French Politics, 2013, vol. 11, no 4
BIRNBAUM Pierre, Les sommets de l’E?tat?: essai sur l’e?lite du pouvoir en France, Paris, Seuil, 1994.
COURTY Guillaume (éd.), Le travail de collaboration avec les élus, Paris, Michel Houdiard, 2005
DEMAZIERE Didier et LIDEC Patrick LE (éds.), Les mondes du travail politique?: les e?lus et leurs entourages,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014
GARRAUD Philippe, Profession homme politique?: la carrie?re politique des maires urbains, Paris, L’Harmattan, 1989
DOGAN Mattei, « Les .lières de la carrière politique en France », Revue française de sociologie, 1967, vol. 8, no 4, pp.
468?492
BEST Heinrich et GAXIE Daniel, « Detours to Modernity: Long Term Trends of Parliamentary Recruitment in
Republican France 1848-1999 », in Heinrich BEST et Maurizio COTTA (éds.), Parliamentary representatives in Europe,
1848-2000?: legislative recruitment and careers in eleven European countries, Oxford, Oxford University Press, 2000
GAXIE Daniel, « Les logiques du recrutement politique », Revue française de science politique, 1980, vol. 30, no 1, pp.
5?45
HÛ GREGORY, Les roses déracinées. Transformation du recrutement du personnel socialiste : des logiques sociales
aux logiques politiques (Fin XIXe-2012), Thèse de doctorat sous la dir. de Yves Deloye et Hélène Michel, Université de
Strasbourg, Strasbourg, 2014.
LEFEBVRE Rémi et SAWICKI Frédéric, La socie?te? des socialistes?: le PS aujourd’hui, Bellecombe-en-Bauges,
Éditions du Croquant, 2006
OSTROGORSKII Moise? Iakovlevitch, La De?mocratie et les partis politiques, Paris, Fayard, 1993
WEBER Max, Le savant et le politique, Paris, 10-18, 2002
You win some, you lose some: the geographical manipulation of candidate lists in
the Belgian flexible list PR system
1
Put G.-J., 1Maddens B., 1Verleden F.
University of Leuven1
How do parties change the geographical composition of candidate lists in PR systems after electoral defeat? Parties
confronted with heavy electoral losses in local areas might be inclined to increase the number of local candidates from
those losing areas on the list. Previous research has shown that candidates with local roots often enjoy an electoral
advantage compared to non-local competitors (Parker, 1987; Marsh, 1987; Blais et al., 2003; Wauters, 2004).
Consequently, by raising local candidate presence, the parties hope to recover from the electoral setback in an area
during the next election. Do parties indeed manipulate the candidate list for the next elections in order to increase
electoral support in those areas? And will they also change the composition of the party list in the event of electoral
success?
By means of their candidate selection processes, parties are able to strategically manipulate the composition of their
party lists to in!uence local election results. Self-evidently, the !exibility to change the list composition depends on the
nature of internal candidate selection methods. Based on the existing literature, we expect that especially parties with
centralized and exclusive candidate selection methods are able to develop a clear strategic behavior in this sense. In
other words, it will be easier in centralized and exclusive methods to modify existing geographical representation
equilibria.
To answer the abovementioned questions, we analyze candidate lists of eight Belgian political parties for a number of
consecutive Lower House elections. We estimate .xed effects regression models to estimate the effect of change in local
party share on the presence of local candidates. The ‘arrondissements’ within a constituency are the units of analysis for
this paper.
113
Quel candidat pour quelle élection ? La sélection des candidats des élections
présidentielles et législatives de 2013 à Bamako
Traore L.
Université Paris 1
Le propos de cette communication sera de se pencher sur les pro.ls des candidats aux élections présidentielles et
législatives de 2013 à Bamako, au Mali.
Elle est basée sur une recherche de terrain de 8 mois à Bamako pour le suivi des campagnes électorales dans la capitale
à l’occasion de ces deux élections. Cette recherche s’est centrée sur deux partis aux élections présidentielles et une liste
commune de trois partis aux élections législatives. Dans le contexte de post-coup d’État et de crise sécuritaire dans
lequel ont eu lieu les élections de 2013 au Mali, les deux partis étudiés lors des présidentielles, l’ont été choisis pour
leurs caractéristiques très différentes l’un de l’autre : l’un étant un « ancien » parti, l’URD - Union pour la république et
la démocratie - aguerri aux campagnes électorales alors que l’autre, le CAP - Convergence d’actions pour le peuple - est
un nouveau parti créé quelques mois avant l’élection, constitué en majorité de jeunes cadres novices en politique se
présentant comme une alternative à « l’ancienne garde ». Lors des élections législatives, dans une commune de
Bamako, les trois partis étudiés (URD, Adema, MPR) en alliance sur une liste commune de candidats ont une longue
expérience politique en matière d’élections.
Cette communication s’intéressera au mode de sélection des candidats à partir des règlements internes des partis
politiques, de la loi électorale, mais également des pratiques propres aux partis qui varient selon les contextes
électoraux. D’abord, nous établirons un panorama des pro.ls des candidats de tous les partis concurrents aux élections
présidentielles, ainsi qu’une comparaison des pro.ls des candidats aux élections législatives selon les contextes locaux
dans différentes circonscriptions du pays. Pour ces élections, la demande de candidats varie en fonction des enjeux
locaux au niveau de la circonscription, allant de l’homme politique de notoriété nationale, voire internationale, au
notable local bienfaiteur de sa circonscription sans étiquette partisane marquée. Les pro.ls des candidats en sont ainsi
diversi.és sur toute l’étendue du territoire. Au contraire, dans le cadre de l’élection présidentielle, les pro.ls des
candidats sont davantage uniformisés et tendent vers des caractéristiques communes. Les candidats eux-mêmes s’en
réclament ou tentent de s’en rapprocher comme un gage de leur crédibilité. Ces critères sont, notamment, le niveau
élevé de l’éducation, avec un plus pour les études à l’étranger, l’occupation de fonctions importantes au sein de
l’appareil d’État, la maitrise à la fois du français et du bambara (langue majoritairement parlée dans la capitale) quelque
soit la langue maternelle, le mariage comme situation conjugale, la catégorie socioprofessionnelle supérieure
(professions libérales, haute fonction publique nationale ou internationale, grands commerçants), l’expérience (donc
l’âge avancé). Ce dernier critère a néanmoins été légèrement remis en cause par l’accroissement du nombre de
candidats se présentant comme « jeunes » pour les élections présidentielles de l’année 2013 et se revendiquant de
n’avoir jamais participé à la gestion des affaires de l’État.
Dans une deuxième partie, nous nous concentrerons sur le cas du parti URD, deuxième force politique du pays en
termes de nombre total d’élus, dont le candidat aux présidentielles est allé au second tour face au président actuel du
Mali et le candidat aux législatives de la commune bamakoise étudiée s’est également hissé au second tour. A travers
ces cas précis, analysés en profondeur sur la base d’enquêtes de terrain auprès des candidats, des responsables du parti
et de ses militants, il s’agira de mettre en lumière les liens entre les modes de sélection et le pro.l des candidats. En
effet, s’intéresser à la manière dont l’URD gère la sélection de ses candidats à différentes échelles de scrutin, selon des
situations variées allant de la désignation d’un candidat naturel aux élections présidentielles, à la tenue de primaires
dans la commune VI de Bamako pour les législatives ; selon la combinaison de critères et de règles d’origines et de
nature différentes ; voire même selon le mode de scrutin (élection de candidats individuels ou de liste majoritaire de
candidats de partis en alliance) permet de mieux en comprendre les effets et les écarts (réels ou ressentis de la part des
enquêtés) entre qui peut être choisi et qui est effectivement choisi.
Au-delà de ces processus de sélection et de leurs effets, il s’agit également de questionner l’idée de renouvellement du
personnel politique à la faveur du coup d’État de mars 2012 et de la rhétorique de changement qui l’a accompagné dans
un Mali en crise.
Les logiques de sélection des élus intercommunaux en France.
Ouverture ou clôture de l’espace politique intercommunal après les élections
municipales de 2014 ?
1
Vignon S., 2Le Saout R.
Université de Nantes2, UPJV1
L’objectif de cette communication est d’appréhender les logiques de sélection sociale et politique à l’œuvre sur les
marchés électoraux intercommunaux, et plus particulièrement au sein des communautés d’agglomération françaises
dans un contexte de réforme du système électoral. Jusqu’à présent, les membres des communautés de communes,
d’agglomération, des communautés urbaines et des métropoles, élus au second degré, étaient désignés par les conseils
municipaux. En mars 2014, et pour la première fois depuis qu’existe l’intercommunalité en France - c’est-à-dire depuis
la .n du XIXème siècle -, les électeurs étaient invités à élire simultanément les élus municipaux et intercommunaux .
114
L’introduction de la parité sur les listes au sein des communes de plus de 1 000 habitants, la réduction du nombre de
vice-présidences au sein des EPCI, l’entrée des oppositions municipales au sein des assemblées communautaires et la
socialisation croissante des élus à l’égard des institutions intercommunales sont également des mesures qui peuvent
faire évoluer les critères de sélection des candidats, et partant des élus, qui sont placés à la tête des structures
intercommunales. Assiste-t-on à l’entrée d’élus issus de groupes sociaux jusqu’à présent tenus à l’écart du pouvoir
intercommunal, ou à l’inverse, à un renforcement de la clôture sociale de l’espace intercommunal ? La concurrence
électorale s’est-elle intensi.ée ? La recherche permanente du consensus et la gestion « trans-partisane » qui caractérise
ces instances, contrairement à d’autres arènes politiques locales à l’instar des mairies des grandes villes, et la
composition de leurs organes exécutifs sont-elles désormais contrariées ? Quel est le rôle des appartenances partisanes
et des formations politiques dans le choix du personnel politique intercommunal ? Au pro.t de quelles autres ressources
électorales fonctionne le cas échéant cette « dépolitisation » des élections intercommunales ?
Pour apporter des éléments de réponse à ces questionnements, nous avons mobilisé un dispositif d’enquête privilégiant
la complémentarité des méthodes (données statistiques et entretiens). Au .nal, cette étude relative aux mécanismes de
sélection des exécutifs de dix communautés d’agglomération montre que les réformes engagées n'ont guère modi.ées,
ou à la marge, un ordre communautaire qui assure la promotion de pro.ls d’élus qui ne sont que très imparfaitement les
re!ets sociologiques des conseils municipaux et qui contribue toujours à concentrer le pouvoir politique au pro.t des
maires les plus puissants. Dans ce jeu de positionnement, l'appartenance partisane ne semble pas fonctionner comme
une ressource politique centrale. La sélection des candidats relève beaucoup plus de la reproduction des hiérarchies
municipale et sociale comme si sur ce marché politique spéci.que relativement clos et éloigné du contrôle citoyen, les
partis politiques éprouvaient des dif.cultés à structurer l'offre électorale. Cela dit, pour alimenter le débat, il est possible
de poser comme hypothèse que l'offre électorale est d'autant moins encadrée par les partis politiques que la visibilité
publique de l'institution est faible. Dans ce type d'institutions discrètes, tout porte à croire que c'est moins un label
partisan qui est déterminant pour la conquête des postes de pouvoir que les ressources institutionnelles accumulées par
les candidats qui sont construites comme autant d'indicateurs de leurs capacités supposées à défendre l'institution qu'ils
représentent.
115
ST 22 : Les ressources du pouvoir urbain
Pouvoir urbain en Suisse. Régimes urbains et échanges de ressources d'action
dans trois métropoles helvétiques
Lambelet S.
Université de Genève
Stone (1989, 1993) dé.nit l'échange de ressources d'action comme un élément indispensable à l'émergence d'un régime
urbain. Pourtant, la théorie ne spéci.e pas quelles ressources doivent être échangées pour permettre à une coalition de
s'imposer sur le long terme. Stone (2005) reconnaît lui-même cette omission et stipule que les ressources échangées
dépendent de l'agenda politique établi par la coalition dominante.
Cette communication s'efforce de combler cette lacune théorique. Nous tentons de démontrer que la mobilisation et
l'échange de certaines ressources d'action comme le droit, le sol, l'expertise, l'argent ou le soutien politique (cf.
Knoepfel et al. 2006) sont indispensables à l'établissement d'une coalition de régime urbain, indépendamment de son
agenda politique. En d'autres termes, la coalition en place est contrainte d'intégrer les acteurs qui contrôlent ces
ressources pour conserver sa position dominante et concrétiser ses projets urbains.
Notre analyse empirique porte sur le développement urbain de six villes suisses (Zurich, Winterthur, Berne, Bienne,
Genève et Nyon) depuis le début des années 2000. Dans chacune de ces villes, nous étudions le processus d'élaboration
et de mise en œuvre d'un projet emblématique, visant à densi.er ou à renouveler le milieu urbain. Nous retraçons
l'évolution de ces projets à l'aide de plusieurs sources primaires (articles de presse, rapports d'activité, procès-verbaux,
conventions d'objectifs) ainsi que sur la base de 50 entretiens semi-directifs menés avec des acteurs clés (maires, chefs
d'entreprise, chefs de service, parlementaires, associations d'habitants) entre avril 2013 et novembre 2014.
L'échange politique pour penser les politiques urbaines : Promoteurs immobiliers
et élus locaux dans les politiques du logement en France
Pollard J.
UNIL
Empiriquement, l’objectif de cette communication est d’analyser comment les promoteurs immobiliers in!uencent les
politiques locales du logement en France. Autrement dit, il s’agit de quali.er les interactions de ces acteurs
économiques privés avec les acteurs publics locaux, d’observer l’articulation de leurs stratégies avec les politiques de
peuplement des maires, et de comprendre comment in .ne ils participent à la fabrication des politiques locales. Le
propos s’appuiera sur deux études de cas en Ile-de-France, Saint-Denis et Issy-les-Moulineaux. Cet enjeu empirique
nous permettra de contribuer à l’une des questions centrales de cette section thématique, relative à l’évolution de la
position des pouvoirs exécutifs locaux dans la fabrique des politiques urbaines – et notamment à leur rôle dans la
structuration de coalitions avec des acteurs privés.
Au plan théorique, cette communication propose de mobiliser, et de décliner au niveau local, certains outils de la
sociologie des groupes d’intérêt. Pour rendre compte de l’in!uence locale des promoteurs immobiliers, une approche en
termes d’échange politique constitue en effet une alternative heuristique aux cadres analytiques dominants de la
recherche urbaine, centrés sur les coalitions de croissance et les régimes urbains (Fainstein 2001; Harvey 1973; Harvey
1989; Judge, Stoker, and Wolman 1995; Logan and Molotch 1987; Molotch 1976; Stone 1989; Stone 1993). La notion
d’échange politique (Beyers, Eising, and Maloney 2010; Blau 1964; Bouwen 2004) permet de rendre compte .nement
des interactions entre groupes d’intérêt et acteurs publics locaux, en plaçant l’accent sur deux dimensions essentielles,
qui seront développées dans la communication et nous conduiront à travailler sur les ressources mobilisées par les
acteurs du gouvernement urbain. Tout d’abord, les acteurs en présence sont fortement interdépendants car mutuellement
dépendants des ressources possédées par les uns et les autres. Identi.er les ressources échangées par les acteurs, ainsi
que les ‘gains’ attendus (Bull 1992) nous permettra d’éclairer l’échange dans sa dimension substantive (Molina Romo
2006). Ensuite, deuxième dimension, le développement de relations d’échange se traduit par une stabilité des
interactions développées. Nous nous centrerons ici sur la manière dont se font les échanges, en nous attachant à la
dimension procédurale de l’échange de ressources.
Bibliographie
Beyers, Jan, Rainer Eising, and William A. Maloney. 2010. Interest group politics in Europe : lessons from EU studies
and comparative politics. London: Routledge.
Blau, Peter Michael. 1964. Exchange and power in social life. New York: J. Wiley.
Bouwen, Pieter. 2004. "Exchanging access goods for access: A comparative study of business lobbying in the European
Union institutions." European Journal of Political Research 43:337-369.
Bull, Martin J. . 1992. "The Corporatist Ideal-Type and Political Exchange." Political Studies 40:255–272.
116
Fainstein, Susan S. 2001. The city builders : property development in New York and London, 1980-2000. Lawrence:
University Press of Kansas.
Harvey, David. 1973. Social justice and the city. London: E. Arnold.
—. 1989. "From Managerialism to Entrepreneurialism: The Transformation in Urban Governance in Late Capitalism."
Geogra.ska Annaler 71.
Judge, David, Gerry Stoker, and Harold Wolman. 1995. Theories of urban politics. London: Sage.
Logan, John R. and Harvey Molotch. 1987. Urban fortunes : the political economy of place. Berkeley, CA: University
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political exchange? ." West European Politics 29:640-664.
Molotch, Harvey. 1976. "The City as a Growth Machine: Toward a Political Economy of Place." The American Journal
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Stone, Clarence N. 1989. Regime politics : governing Atlanta, 1946-1988. Lawrence, Kan.: University Press of Kansas.
—. 1993. "Urban regimes and the capacity to govern : A Political Economy Approach." Journal of Urban Affairs 15:1–
28.
Politiques de la contrainte budgétaire et maitrise de la rente dans la transformation
du foncier militaire : les ressources des maires face à l’État en restructuration
Artioli F.
Sciences Po Paris
Ce papier porte sur les négociations et les con!its autour de la transformation du foncier militaire dans les villes
françaises et italiennes (Rome et Udine en Italie et Paris et Metz en France). Ce qui se joue autour de la transformation
des biens militaires permet d’explorer la double tension à laquelle sont soumis les gouvernements urbains.
L’augmentation des compétences et responsabilités a valorisé la capacité des maires à mobiliser ressources et acteurs,
mais a aussi augmenté les attentes et les demandes dont ils font l’objet (Anquetin and Freyermuth, 2008; Borraz and
John, 2004; Pinson, 2009). En même temps, le renforcement de politiques de la contrainte budgétaire et de la
rationalisation administrative (Bezès, 2009; Bezès and Siné, 2011) ont modi.é les objectifs, les instruments, les
logiques de l’intervention des États sur les territoires et posé de nouvelles contraintes à l’action collective (Le Lidec,
2011; Perulli, 2010).
Après avoir été le décor du travail administratif et un élément qui structure les espaces urbains, l’immobilier public est
aujourd’hui l’objet de demandes contrastées. D’une part, la contraction des organisations militaires fait des
infrastructures militaires un objet privilégié des politiques publiques nationales de réduction des dé.cits publics. Ces
dernières ont par objectif la rationalisation et la vente de ces biens, conçus comme une ressource .nancière permettant
de faire face à des besoins budgétaires. Ici, les stratégies des administrations centrales des États (ministères de la
Défense et du Budget notamment) visent la mise sur le marché de ces biens et attendent une vente au prix le plus élevé.
D’autre part, la maitrise des changements fonciers est au cœur des activités des gouvernements urbains, elle permet de
redistribuer la rente foncière, d’in!uencer le peuplement, ou encore de produire de nouvelles images de la ville par la
réalisation de projets phares. Les immeubles ayant perdu leur fonction administrative sont ici conçus comme une
ressource foncière qui, en raison de son caractère public, peut répondre à des besoins et demandes localisées
d’équipements ou services.
L’étude de l’action collective dans la transformation des immeubles publics permet d’interroger les systèmes de
ressources et de contraintes qui expliquent les inégales capacités des gouvernements urbains à agréger des intérêts
divergents et construire des objectifs partagés autour de la transformation du foncier et la maîtrise de la rente.
D’abord, l’articulation entre retrait des armées et projets d’aménagement urbain produit des négociations qui portent sur
le foncier, conçu tant comme un bien marchand que comme ressource pour l’action publique. Ce qui est en jeu dans ces
échanges est alors l’étendue du recours au marché comme mode de coordination entre acteurs. Il s’agit de dé.nir ce qui
peut être vendu parmi les nombreux sites militaires dans chaque ville et jusqu’à quel point le marché immobilier est un
référent valable ou légitime pour organiser les transformations de l’immobilier public et déterminer les usages futurs des
biens.
Pourtant, la capacité des acteurs urbains à orienter les transformations foncières diffère. Ce papier montre qu’elle
s’explique par l’articulation propre à chaque ville entre, d’une part, modes d’intervention par les centres nationaux et,
de l’autre, la manière dont les exécutifs urbains inscrivent ce problème foncier dans des systèmes d’action stabilisés.
Les modes d’intervention des administrations centrales de l’État dans les villes sont différenciés à partir de logiques
plus ou moins poussées de maximisation du levier de la rente : la contrainte exercée par les administrations centrales de
l’État est plus intense à Rome et Paris, elle l’est moins à Udine et à Metz. Face à cela, les ressources qui permettent aux
exécutifs urbains de maîtriser les transformations foncières sont de deux ordres. Soit elles dépendent des ressources
politiques « classiques » propres au personnel élu et qui lui permettent de faire valoir des intérêts locaux vis-à-vis du
centre national. Soit elles sont tirées de l’inscription du problème du foncier militaire dans des systèmes de relations
existants, créé lors d’autres projets d’aménagement. L’insertion de la question militaire dans un réseau d’acteurs
117
stabilisé augmente les capacités des élus à gouverner ces changements.
Dans les villes françaises, les ressources politiques et les ressources tirées de l’institutionnalisation de politiques
précédentes facilitent les compromis sur la valeur et l’étendue du recours au marché. En revanche, les gouvernements
urbains italiens sont à la fois trop faibles pour imposer une coordination et négocier l’étendue du recours au marché,
mais aussi trop forts par rapport aux sociétés urbaines qu’ils représentent et qui portent des demandes intenses pour le
maintien d'un usage public de ces biens.
Gouverner la production urbaine à Beyrouth dans l’après-guerre (1990-2014) :
vers l’émergence d’un «régime de développement» ?
Marot B.
McGill
« Beyrouth a été plus dé.gurée et détruite en temps de paix qu’en temps de guerre. » Cette observation, faite par des
activistes locaux, témoigne de l’ampleur et de la manière dont la capitale libanaise a été le théâtre de profondes
transformations depuis le début des années 1990. Bien que ce processus ait reçu moins d’attention que le projet urbain
de reconstruction du centre-ville (Solidere) démarré à la sortie de la guerre civile (1975-1990), il a fait profondément
évoluer le tissu urbain et les équilibres socio-économiques du Grand Beyrouth ainsi que les structures et les pratiques de
pouvoir qui y gouvernent la fabrique de la ville. Dans un contexte d’après-guerre où l’État libanais est souvent présenté
comme faible ou « failli », en particulier en matière de politique de l’habitat, il s’avère que ce dernier occupe un rôle clé
dans la construction de l’offre et de la demande de ce marché immobilier particulièrement dynamique, sous l’impulsion
d’une coalition élitiste rassemblant agents privés et publics. Quelles sont alors les principales ressources mobilisées par
cette coalition ? Sur quelle(s) base(s) est-elle structurée ? Dans quelle mesure l’environnement con!ictuel du Liban
affecte alors le rôle, les comportements, et les stratégies de ses agents ? Et, d’un point de vue plus théorique, qu’est-ce
que l’étude de Beyrouth nous apprend sur la gouvernance des villes contestées ainsi que sur le rôle qu’y tiennent la
structure ainsi que la capacité d’action des acteurs (agency)?
Avec un cadre analytique s’inspirant du mouvement nord-américain d’économie politique urbaine, dite sociologisée, et
des travaux de Pierre Bourdieu théorisant la construction sociale du marché du logement, cette communication a pour
objectif de montrer comment, dans le régime urbain à l’œuvre à Beyrouth, la coalition dominante mobilise la fabrique
de la loi comme principale ressource immatérielle a.n de poursuivre un agenda centré sur la croissance des secteurs
bancaire et immobilier ainsi que sur la sécurisation de rentes foncières. Cette étude, s’appuyant sur le cas empirique de
la réforme du contrôle des loyers adoptée par le Parlement au printemps 2014, montre que la capacité à gouverner la
capitale libanaise dépend fortement de la capacité à créer une coalition dépassant les clivages politico-confessionnels. Si
le fonctionnement du champ de production urbaine est relativement semblable à de nombreux pays avec la domination
d’une vision néolibérale de l’espace urbain et un rôle clé de l’État dans la construction du marché immobilier, le
processus et les acteurs constitutifs de ce « régime de développement » (Stone, 1993) semblent propres au contexte
politico-confessionnel, socio-économique, et institutionnel libanais – con.rmant ainsi le rôle clé du policy environment
dans la constitution des modèles de gouvernance. Cette communication montre par ailleurs que, dans un « pays
capitaliste dépendant » (Giddens, 1993) tel que le Liban où la structure sociale n’est pas le seul principe organisateur de
la société (Traboulsi, 2014), les explications politico-confessionnelles et les explications de classe ne sont pas
mutuellement exclusives pour comprendre les politiques urbaines – au sens de policies et de politics – dans la période
de l’après -guerre. En d’autres termes, s’il n’existe pas de déterminisme dans les effets de la structure socio-économique
sur la fabrique de la ville, l’exemple de Beyrouth montre que, dans des contextes de tensions civiles, il n’y a pas non
plus de déterminisme dans la primauté de la logique politico-confessionnelle sur la logique de classe. Ces deux logiques
se croisent et interagissent, souvent de manière complexe, dans le comportement et l’agenda des élites. En ce sens, cette
forme de (re)développement urbain à tendance spéculative, fortement dépendante de l’af!ux de capitaux extérieurs,
transforme la ville mais aussi ses structures de pouvoir. Elle ne remet pas en cause la capacité d’action des agents
locaux mais renforce ou diminue leur pouvoir en fonction des cas. Ainsi, aussi singulière qu’elle soit, la production
urbaine à Beyrouth dans l’après-guerre nous rappelle que, même dans les villes en con!it ouvertes à l’économie
globalisée, la politique locale reste le principal élément médiateur des in!uences extérieures et le régulateur majeur des
con!its et des intérêts (Le Galès, 1995, 83).
Bibliographie
Giddens, A. (1993). “Strati.cation and Class Structure”. In Sociology, 2nd Édition, Cambridge, pp. 211-250
Le Galès, P. (1995). Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine. Revue française de science politique, 45, 1,
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Stone, C. (1993). Urban regimes and the Capacity to Govern: A Political Economy Approach. Journal of Urban Affairs,
15(1), 1-28.
Traboulsi, F. (2014). Social Classes and Political Power in Lebanon. Beyrouth : Heinrich Böll Foundation.
118
Le « développement économique par la culture » comme ressource au service de la
légitimation du pouvoir urbain
Matz K.
Université de Strasbourg
Dans un contexte de réformes administratives, de mondialisation des !ux économiques (poids des industries culturelles
et créatives) et de raréfaction de l'argent public, le modèle malrucien de politiques culturelles territoriales connaît une
crise sans précédent depuis le début du XXIème siècle (Saez, 2004). Suivant ces évolutions, les modes de justi.cation et
d'encadrement des politiques culturelles opèrent à un glissement rhétorique de la « démocratisation culturelle » au
« développement économique par la culture » sans pour autant que les pratiques et projets afférents au premier credo ne
disparaissent complétement au pro.t du second (Dubois, Bastien, Matz, & Freyermuth, 2012). Là où les ressources
.nancières permettaient jusqu'à la .n des années 1980 de réguler la production des politiques culturelles de manière
relativement paci.ée selon la logique du « jeu du catalogue » (Urfalino, 2004), le déclin du mythe de la démocratisation
(Donnat, 1989), associé à un amoindrissement considérable des capacités de .nancement des collectivités, laisse les
élus locaux et leurs entourages politiques démunis face aux revendications budgétaires, sociales et politiques des
professionnels de la culture (Teillet, 2004). Ces transformations matérielles ne sont pas sans effets sur les processus de
légitimation de l'action publique, les élus étant contraints de réinventer un modèle économique de politique culturelle
ajusté à la fois au contexte institutionnel et .nancier des années 2000 et aux évolutions des rôles et ressources légitimes
dans la compétition politique locale (Anquetin & Freyermuth, 2009; Freyermuth, 2012).
Nous souhaitons ainsi analyser dans cette communication la tentative d'imposition d'un modèle économicisé de
politique culturelle opérée, in concreto, par la mise en récit localisée de la culture comme moteur du développement
économique du territoire. L'analyse des politiques publiques, attachée à expliquer le rôle des idées dans les
transformations de l'action publique (Muller, 2005) fait souvent l'impasse sur le travail politique de production localisée
des ressources nécessaires à l'entretien de la légitimité politique des élus et leurs projets (Pinson, 2009).
Une approche con.gurationnelle (Elias, 2008) et relationnelle de l'action publique s'avère pourtant utile pour
comprendre l'espace de production des politiques publiques et les échanges de ressources qui permettent leur mise en
œuvre concrète (Dubois, 2010). Ainsi, nous chercherons à montrer de quelles manières et selon quelles modalités le
mythe du « développement économique par la culture », au travers de ses étendards les plus visibles à l'instar des
concepts de «classe créative » (Florida, 2003) et « d'économie créative » (Landry & Bianchini, 1995), est approprié et
converti en expertise culturelle localisée, mobilisée comme ressource par et pour le pouvoir urbain.
L'analyse s’appuiera essentiellement sur l'analyse d'un dispositif de « diagnostic participatif » du secteur culturel
conduit de 2008 à 2010 par la Ville de Strasbourg, en contexte d'alternance municipale. Elle repose sur une année de
participation observante (Alam, Gurruchaga, & O’Miel, 2012) en tant qu'expert au sein de l'équipe chargée de la
préparation et de la mise en œuvre du dispositif (ateliers) et sur une trentaine d'entretiens effectués en aval de la
« participation ».
Nous déploierons deux axes d'analyse, principalement dédié à la compréhension des effets du mythe dans la redé.nition
du rôle des élites politiques urbaines et dans les processus de mise en scène de leur capacité d'action sur les territoires.
Les mythes de l'action publique (Desage & Godard, 2005) constituent en effet des ressources puissantes au service de la
régulation des relations entre le pouvoir municipal et les professionnels de la culture (1). Ils participent aussi aux
dynamiques de légitimation managériale du personnel politique local (Le Bart, 2003) (2).
Fabrique et usage d'une ressource territorialisée par et pour le pouvoir urbain (1).
Les élus et leurs entourages politico-administratifs mettent en place un dispositif participatif pour refonder la politique
culturelle municipale. Dans le cadre de sa préparation, élus, agents administratifs, acteurs culturels, consultants
participent de concert à la fabrique du mythe, mobilisant et réinterprétant des données locales hétérogènes, disparates et
scienti.quement peu .ables pour faire exister le potentiel économique de la culture et accréditer localement la théorie
de la classe créative au sein d'un document de « diagnostic partagé ». Viens ensuite le temps de la concertation,
effectuée dans le cadre de plusieurs ateliers réunissant responsables politiques locaux et professionnels de la culture.
Le « développement économique par la culture » : un mythe-ressource dépolitisante au service de la légitimation
économique des politiques de la culture (2).
Une fois le mythe fondé par « l'évidence du chiffre » dans le « diagnostic partagé », il est « imposé » par les
mécanismes de la participation (par la gestion de la parole administrée, imposition des thèmes, relégation des
revendications au rang de constats). Les ressources localisées tirées de ce travail de territorialisation du mythe assoient
et légitiment la mise en place d'une coalition de « silence » entre la municipalité et les acteurs culturels les plus .nancés
visant à faire du « développement économique » la .nalité cardinale et le leitmotiv (re)fondateur de la politique
culturelle municipale. Incitant ainsi l'ensemble des professionnels du secteur à faire le deuil des augmentations de
budget, à diversi.er leurs ressources .nancières et à générer des recettes propres, cette coalition, toute précaire et
momentanée, cherche à neutraliser tous con!its lié à une remise en cause (pourtant revendiquée au sein de ces ateliers)
de la répartition des crédits au pro.t des «gros » acteurs culturels. L'intérêt pour la municipalité (PS) est, dans un
contexte d'instabilité politique (début de mandat), de maintenir le statu quoi sur le budget et de maintenir un régime
d'inaction publique en matière culturelle propice à éviter toutes frictions avec l'opposition (UMP). En assourdissant de
119
concert les prises de parole revendicatives par une orchestration concertée des arguments-ressources du mythe au sein
des ateliers participatifs, cette coalition réaf.rme la centralité du politique dans les processus de prise de décision, au
détriment de l'autonomie du champ culturel et de ses agents. Plus encore, la mobilisation de cette rhétorique permet,
nous le verrons, de réenchanter la capacité d'action de élus sur leur territoire, confortant du même coup la .gure
politiquement valorisante de l'élu manageur et décideur.
Bibliographie
Alam, T., Gurruchaga, M., & O’Miel, J. (2012). Science de la science de l’État ?: la perturbation du chercheur
embarqué comme impensé épistémologique. Sociétés Contemporaines, 3(87), 155–173.
Anquetin, V., & Freyermuth, A. (2009). La Figure de “l’habitant”: Sociologie politique de la “demande sociale” (p.
192). Presses universitaires de Rennes.
Bart, C. Le. (2003). Les maires: sociologie d’un rôle (p. 222). Presses Univ. Septentrion.
Desage, F., & Godard, J. (2005). Désenchantement idéologique et réenchantement mythique des politiques locales.
Revue Française de Science Politique, 55(4), 633–661.
Donnat, O. (1989). Les dépenses culturelles des ménages (p. 75). La Documentation française.
Dubois, V. (2010). Les champs de l’action publique (pp. 1–27). Strasbourg.
Dubois, V., Bastien, C., Matz, K., & Freyermuth, A. (2012). L’artiste, le politique et le gestionnaire. (Re)con.gurations
locales et (dé)politisation de la culture (Editons du., pp. 1–274). Bellecombe-en-Bauges: Editions du Croquant.
Elias, N. (2008). La société de cour (p. 330). Flammarion.
Florida, R. (2003). The Rise of the Creative Class: And How It’s Transforming Work, Leisure, Community and
Everyday Life (p. 434). San Val, Incorporated.
Freyermuth, A. (2012). « La culture dans les luttes d’institution?: les fondements politiques de l'intercommunalité
culturelle ». In Vincent Dubois (Dir.), L’artiste, le politique et le gestionnaire, Bellecombe-en-Bauges, Le Croquant,
2012 (Vol. 2008).
Landry, C., & Bianchini, F. (1995). The Creative City (p. 66). Demos.
Muller, P. (2005). Esquisse d’une théorie du changement dans l'action publique. Structures, acteurs et cadres cognitifs.
Revue Française de Science Politique, 55(1), 155–187.
Pinson, G. (2009). Gouverner la ville par projet: Urbanisme et gouvernance des villes européennes (p. 420). Les Presses
de Sciences Po.
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172). Documentation française.
Teillet, P. P. (2004). L’artiste et le politique?: je t'aime moi non plus?! L’Observatoire. Grenoble.
Urfalino, P. (2004). L’invention de la politique culturelle (p. 427). Hachette Littératures.
Le rapport aux agences nationales est-il une ressource politique pour structurer
une capacité de gouvernement à l’échelle d’une ville ? L’exemple des relations
établies avec l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine et l’Agence Nationale
pour l’Habitat dans le renouvellement urbain des quartiers de Saint-Étienne
(France).
DORMOIS R.
Université de St-Etienne
Cette communication propose d’analyser le rapport entre les acteurs locaux, publics et privés, mobilisés dans le
renouvellement urbain des quartiers de St-Etienne et deux agences nationales : l’Agence Nationale de Rénovation
Urbaine (ANRU), l’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH).
Dans un premier temps, nous reviendrons sur les modalités de travail entre les acteurs locaux et les représentants de ces
deux agences. Nous identi.erons les acteurs impliqués et nous analyserons aussi la façon dont le rapport au local est
formalisé, codi.é par chacune des agences.
Dans un second temps, nous montrerons que les agences ne sont pas seulement pourvoyeuses de ressources budgétaires
mais aussi de ressources politiques (visibilité au plan national, moyen de produire du collectif au sein de l’équipe
politique municipale) et de ressources organisationnelles pour initier des dynamiques de changements.
Dans un troisième temps, nous mettrons en évidence que le rapport au local n’est pas identique pour les deux agences.
La façon dont chacune l’envisage a un impact direct sur sa place dans la coalition d’acteurs publics et privés qui agit en
120
matière de renouvellement urbain.
Cette analyse par le « bas » permettra de nuancer des travaux antérieurs qui avaient conclu à la disparition des services
déconcentrés de l’État avec la mise en place d’un « gouvernement à distance » via ces agences. Les services
déconcentrés de l’État tirent du rapport aux agences nationales des ressources pour continuer à faire partie des coalitions
de gouvernement. Cette communication ouvre aussi des perspectives pour un programme de recherche comparatif
international.
"Privatisme" et marginalisation des acteurs publics d'une ville en déclin : la
rénovation urbaine à Detroit
Briche H.
Université de Saint-Etienne
Cette communication a pour objectif l’analyse des ressources mobilisées par les acteurs de l’urbain dans le cadre
spéci.que d’une ville en crise urbaine : Detroit, Michigan. Ce papier s’attache tout particulièrement à la question de la
rénovation urbaine lancée depuis les années 2000, objet d’un travail de thèse en cours.
Par dé.nition, Detroit, comme toute « shrinking city » (Oswalt et Riniets, 2006), se caractérise par une absence de
ressources .nancières due à une déprise démographique depuis les années 1950 et à la fuite des ménages les plus
solvables laissant une ville-centre dévastée (le taux de pauvreté atteint of.ciellement 33% en 2013).
Une analyse de la gouvernance urbaine à Detroit révèle alors ce contexte spéci.que d’une ville en déclin. Deux
contraintes pèsent en effet sur l’accès aux ressources pour les acteurs publics. Tout d’abord, la ressource politique s’est
vue particulièrement circonscrite avec la nomination en mars 2013 d’un administrateur d’urgence, Kevyn Orr, pour une
durée de 18 mois. Répondant à de stricts principes de restrictions .nancières et disposant de prérogatives très larges
(dont la capacité à .xer le budget et à restructurer les services municipaux), il relègue le maire et le conseil municipal à
un rôle de .guration, générant une véritable mise sous tutelle administrative et politique de la ville. Mais Detroit, c’est
aussi 18 milliards de dollars de dette à rééchelonner, ce qui oblige la municipalité à avoir recours à un processus de
restructuration .nancier très lourd l’empêchant d’investir, de choisir ses types de partenariats et in .ne d’avoir un poids
conséquent dans la dé.nition des politiques urbaines.
De cette double contrainte politique et .nancière résulte alors une mise à l’écart des acteurs publics (locaux et fédéraux)
en faveur d’une montée en puissance des acteurs privés, qui se manifeste sous la forme d’une dépendance totale. Ainsi,
l’actuelle politique de rénovation urbaine, ou plutôt les diverses opérations peu coordonnées qui secouent la ville depuis
plus de dix ans maintenant, sont toutes marquées par l’initiative privée et l’absence de régulation publique. Pour mieux
cerner cette tendance, nous reprenons le concept de « privatisme », développé par les politistes américains dès la .n des
années 1960 (Warner, 1968 ; Bernakov & Rich, 1974) et entendu comme la domination de l’idéologie du recours au
marché dans l’orientation des politiques urbaines se caractérisant par un recours quasi automatique du partenariat
public-privé, par l’externalisation/privatisation croissante des services publics, par le contrôle strict du budget municipal
réduisant drastiquement les dépenses sociales ; ce que plus généralement beaucoup de travaux rassemblent sous le
concept de ville « privatisée » (Greene, 1996).
C’est donc la situation particulière d’une ville en crise urbaine qui justi.e le fait que les acteurs municipaux donnent
non seulement carte blanche aux acteurs privés mais .nancent en grande partie leurs projets urbains. Nous avons pu
tirer au moins trois dimensions de ce « privatisme » dans la politique de rénovation urbaine développée à Detroit.
1 – La montée en puissance des fondations qui semblent désormais être les seuls acteurs pourvoyeurs de logements dits
« abordables ». En réalité, les fondations suivent plutôt des logiques de marché en répondant aux directives de leur
board (composé de représentants de .rmes puissantes) et ont pour mission d’agir en faveur d’un retour du marché et
d’une hausse des prix immobiliers.
2 – Une rénovation urbaine dé.nie avant tout par l’action sur le bâti plutôt que sur le social. La politique principale
menée par la municipalité - et relayée par des acteurs privés - est la lutte contre les friches urbaines (blight removal)
détruisant des quartiers entiers (pourtant encore habités) en lieu et place de leur rénovation (que le programme fédéral
HOME pourrait pourtant prendre en charge). Le projet à long terme de l’équipe municipale est en effet de créer les
conditions propices à un retour d’investissements privés sur ces terrains.
3 – La vente du downtown par la municipalité aux deux principaux milliardaires locaux. D’abord Mike Ilitch, dont la
ville subventionne à plus de 60% la construction de sa salle de hockey et lui vend à un $1 symbolique 39 parcelles
pourtant valorisées à $3 millions. Mais aussi son alter ego Dan Gilbert, désormais propriétaire de 60 immeubles dans le
centre .nancier de la ville et rachetés à la municipalité à prix dérisoires, conférant au downtown le nouveau surnom de
« Gilbertville ».
Ainsi, l’exemple de Detroit est bien celui d’une « néolibéralisation de l’urbain » (Peck & Tickell 2002), un processus
cependant accentué par les spéci.cités d’une ville en crise. Le fait que la rénovation urbaine soit aux mains d’une
poignée d’acteurs privés con.rme ainsi la menace de « dé-démocratisation » (Brown, 2006) que fait peser ce système de
gouvernance urbaine.
121
ST 23 : Frontières, migrations, droits. Le contrôle politique des mobilités
et ses dispositifs
La sélectivité sociale de la frontière nationale : le durcissement différentiel de la
frontière dans les demandes de visas au Togo et aux Comores
Bréant H.
Paris 1 Panthéon Sorbonne
Dans le cadre de ma thèse, qui porte sur les trajectoires d’émigration togolaise et comorienne en France, j’ai pu enquêter
par entretiens et observations sur le moment particulier du franchissement de la frontière. Ce travail s’inscrit dans le
prolongement des recherches menées par la politiste Federica Infantino mais offre plutôt le point de vue des
demandeurs de visas, puisque j’ai principalement observé et interrogé les représentations et les pratiques des individus
face aux dispositifs mis en place par les acteurs consulaires français. La délivrance des visas est devenue un instrument
central de la politique de gestion des migrations. Mais la sélection des dossiers et le soupçon grandissant des agents
consulaires vis-à-vis des potentiels émigrés ne construisent pas une frontière homogène et étanche pour tous. Cette
communication souhaite montrer comment ce contrôle des mobilités n’est pas un travail politique uniforme. Les
individus sont considérés comme des immigrés inégalement indésirables, et ce pour trois raisons :
- d’une part, les règles de droit sont dans une certaine mesure mouvantes, à la fois dans le temps et dans l’espace.
D’abord, bien qu’elles tendent à rendre plus étanche la frontière au .l des décennies, les conditions de la mobilité
internationale n’ont pas toujours été les mêmes dans les deux pays étudiés. Alors que les Comores ont fait face à un
durcissement continu des frontières, voire à une criminalisation des migrants, le Togo a longtemps béné.cié d’un
régime plus souple. Par ailleurs, les dossiers sont de plus en plus individualisés et traités en grande partie au cas par cas,
ce qui favorise les écarts entre les règles de droit et les pratiques.
- d’autre part, le durcissement continu des conditions de la mobilité internationale oblige à détenir d’importantes
ressources et favorise une hiérarchisation des dossiers selon le milieu social d’origine des demandeurs. Si la sélectivité
sociale est forte au moment du départ, il ne s’agit pas d’un processus mécanique. En effet, on peut constater que les
demandes des familles populaires, même quand elles connaissent déjà des expériences d’émigration, sont souvent
rejetées. Mais en observant également ceux qui parviennent à franchir la frontière, on observe qu’il existe des pratiques
de mobilisation très différenciée des capitaux .nanciers et sociaux selon les pro.ls sociologiques des demandeurs de
visas.
- en.n, les dispositifs mis en place ne favorisent pas seulement une sélectivité sociale entre ceux qui possèdent des
ressources et ceux qui n’en disposent pas. En effet, il ne suf.t pas de disposer des ressources matérielles pour émigrer
puisque la frontière est également l’instrument d’un .ltre identitaire. Les agents consulaires mesurent avant même le
départ le degré d’altérité du demandeur et sa capacité à s’insérer dans le pays d’accueil. Dès lors, les classes populaires
sont doublement exclues de l’émigration et certains membres des classes sociales plus favorisées peuvent voir leur
demande rejetée.
En d’autres termes, cette communication, appuyée sur une recherche comparative menée dans deux anciennes colonies
françaises permet de montrer que la mobilité internationale des citoyens africains est limitée par le caractère
d’exceptionnalité de la délivrance de visas, au regard du droit, mais également que la frontière produit de fortes
inégalités au sein même du groupe des demandeurs de visas, en fonction de leur pro.l sociologique.
Colonialisme, régime d’exception
expérimentation administrative
et état de guerre : les conditions
d’une
Lavault T.
Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Il s’agira, dans le cadre de cette section thématique, d’interroger, au moment de la guerre d’Algérie, l’importation en
métropole de certains dispositifs militaires de contrôle de populations ciblées et, dans un contexte postcolonial de «
paci.cation », les continuités qui ont pu se révéler. Si cette question a déjà été approchée par certains historiens, tels que
les anglais Jim House et Neil MacMaster, mais aussi Raphaëlle Branche ou Emmanuel Blanchard, et également par des
chercheurs en sciences sociales tels qu’Alexis Spire ou Mathieu Rigouste, je souhaiterais pour ma part, à partir de
l’exploitation de certaines archives de la préfecture de police de Paris, me focaliser sur l’étude d’un service d’assistance
auprès de la population algérienne créé sous l’égide de Maurice Papon, alors Préfet de police de Paris, en août 1958 : le
Service d’Assistance Technique aux Français Musulmans d’Algérie (SAT-FMA). Parler d’une importation des
dispositifs de guerre en cours sur le sol algérien permet, en interrogeant les conditions mêmes de ce processus
d’importation, de mieux saisir les particularités du contexte métropolitain. En effet, il faut ici bien distinguer les
conséquences institutionnelles de la guerre en Algérie et en métropole, tant du point de vue juridique que de celui des
pratiques.
Les recherches que j’effectue dans le cadre de ma thèse, consacrée à l’étude philosophico-historique du Service
d’Assistance Technique, concourent à éclairer le mouvement qui apparait au moment de la décolonisation de l’Algérie,
de recodi.cation administrative de certaines pratiques de guerre expérimentées lors du con!it. Il s’agit ici d’analyser les
122
conditions d’élaboration de ces savoirs militaires relatifs à l’assistance des populations, puis de suivre leur reproduction
dans le cadre administratif de la préfecture de police de Paris, et cela a.n de comprendre ensuite l’enjeu de leur
réinvestissement postcolonial. Je souhaiterais naturellement me limiter ici à une illustration succincte de cette
généalogie administrative à travers quelques exemples tirés de mes travaux en cours.
Il s’agira dans un premier temps de revenir sur les savoirs et pratiques élaborés et expérimentés en Algérie, a.n
d’éclairer les conditions de leur transfert dans un contexte métropolitain institutionnellement « paci.é ». Il sera abordé
en particulier les in!uences directes et indirectes des théories de la « guerre psychologique » sur les modes de gestion
administrative de la population algérienne de Paris. C’est donc, dans un premier temps, la portée stratégique de
l’assistance aux populations qui retiendra notre attention et, par conséquent, les particularités que présente ce type de
dispositif dans un contexte militaire. Le propos se limitera ici aux seules pratiques d’assistance : pratiques issues en
l’occurrence de la rencontre entre des pratiques coloniales d’assistance (avec l’action des services des Affaires
indigènes - ici des Affaires Algériennes -) et la théorie de la guerre psychologique importée par les cadres de l’armée de
retour d’Indochine. Cette rencontre sera traitée à partir de la création des Sections Administratives Spécialisées (ou
Sections Administratives Urbaines dans les villes). Ces services, qui s’intégraient pleinement aux protocoles d’action
psychologique, visaient à mettre en place une stratégie de guerre intérieure où l’ennemi devait être identi.é grâce à une
meilleure connaissance de son « milieu ». Il s’agissait d’être sur le terrain, d’organiser le renseignement local, de
comprendre les administrés et de gagner leur con.ance a.n de favoriser, à terme, une participation active de la
population à la lutte contre les structures indépendantistes. Les enjeux épistémiques et de contrôle sont donc liés : mieux
connaître le milieu grâce à une intensi.cation du contrôle administratif au moyen d’un quadrillage étroit du territoire.
En pratique, l’action psychologique en Algérie, et notamment l’action de ces services spécialisés, consistait dans la mise
en place d’un vaste réseau de surveillance fondée sur l’implantation locale des structures administratives d’accueil et
d’assistance des populations. L’assistance devenant ainsi à la fois un argument de propagande en faveur de
l’administration coloniale et une source précieuse de renseignements de tous ordres. Ces quadrillages militaroadministratifs vont servir de modèle au Service d’Assistance Technique qui, en plus de reproduire ce mode de gestion
territoriale pour le département de la Seine, va utiliser le réseau de SAS/SAU pour mieux identi.er les différentes «
communautés » composant la population algérienne de Paris. Ce mode d’identi.cation consistait en un croisement des
informations recueillies par la police parisienne et les renseignements détenus par les services locaux en Algérie,
renseignements concernant par exemple la commune d’origine, l’appartenance ethnique, les pratiques religieuses, ou
encore les activités politiques et syndicales des immigrés algériens.
Il s’agira donc dans un second temps d’interroger les pratiques de la Préfecture de police de Paris, en tant qu’elle fut
impliquée dans un processus de guerre dirigé contre un ennemi intérieur. Si les modalités de l’Etat d’urgence et des
différents régimes d’exception à l’œuvre en Algérie ne concernaient pas la métropole, la mobilisation de trois of.ciers
de l’armée coloniale pour élaborer et organiser l’activité du SAT marquait cependant l’introduction d’une organisation
de type militaire au sein de l’appareil préfectoral. Suivant donc le modèle administratif algérien, le SAT-FMA
organisait une assistance spécialisée de la population algérienne de Paris sur différents niveaux, tels que le contrôle de
salubrité des logements, les accès à l’emploi, des médiations au sein de querelles communautaires, ou encore un
accompagnement administratif et psychologique. Il s’agissait en fait d’appréhender administrativement une population
ethniquement différenciée a.n de répondre de manière adaptée à ses besoins considérés comme spéci.ques. Les
objectifs de cette intervention spécialisée étaient explicites et sans équivoque : il s’agissait de neutraliser la menace
indépendantiste grâce à l’application des protocoles de la guerre psychologique. Dans ce contexte de guerre intérieure,
les modes de légitimation de telles pratiques sont pensées dans un registre lexical proprement militaire de menace
permanente sur l’intégrité nationale. Or, cette représentation de la menace dans ce cadre de guerre dans la foule amène à
considérer la « dangerosité » d’une population, dangerosité qui devient inhérente à l’identité culturelle ou ethnique qui
lui est alors attribuée. Cette importation de dispositifs militaires au sein d’une administration civile, et a fortiori,
policière permet de s’interroger sur les in!uences de telles pratiques d’exception dans la construction de ce qu’on
pourrait quali.er « d’expérience administrative ». Cette idée permettra de mieux saisir le processus
d’institutionnalisation d’une administration d’exception telle que le SAT. Se révélant un champ d’expérimentation rendu
possible par le contexte de guerre, ce laboratoire administratif va devenir expérience à partir du moment où, dans un
contexte de paix, seront conservées un certain nombre de pratiques, alors qu’elles avaient été légitimées par les seuls
critères d’urgence et d’exceptionnalité.
C’est cette idée d’expérience administrative de la guerre qui introduira notre dernier point de cette communication qui
se propose d’interroger, à travers le maintien du SAT jusqu’au début des années 1980, certaines continuités au sein de
l’administration préfectorale de modèles militaires et coloniaux d’encadrement des populations. Seront également
évoqués, pour compléter ce questionnement, des formes analogues de réinvestissement de ces savoirs et pratiques
spéci.ques dans le champ de la gestion industrielle des travailleurs immigrés. En effet, plusieurs rapports issus des
archives du SAT révèlent une coalition d’intérêts dans les modes de contrôle des travailleurs algériens entre les services
préfectoraux et le grand patronat parisien. L’idée d’une prévalence des intérêts économiques dans la gestion de contrôle
de l’immigration n’est pas une idée nouvelle, mais il s’agira ici de montrer les perspectives particulières que dévoilent
la fonction économique de ce service de surveillance. A partir de l’étude du compte-rendu d’une réunion entre des
of.ciers de l’Etat major, la direction du SAT, et des représentants du patronat de la région parisienne. S’intéresser à ces
formes d’encadrement colonial dépasse ainsi la seule dimension administrative, en s’insérant dans un rapport
économique d’exploitation coloniale avec une mise au service des modes de contrôle de l’Etat pour la gestion patronale
de la main d’œuvre coloniale. La volonté af.chée d’insérer ce type de dispositifs au sein même des lieux de travail des
Algériens nous dévoile les corrélations entre intérêt économique, exploitation salariale et techniques policières de
surveillance.
Au-delà de l’analogie, il s’agit d’interroger les modalités d’une matrice commune de contrôle qui semble mêler dans
son usage maintien de l’ordre d’un côté et organisation et exploitation de forces de travail de l’autre. Cette question ne
doit donc pas être circonscrite à la seule période coloniale, puisque nous avons pu trouver des traces de collaborations
123
similaires plusieurs années après l’indépendance, et s’intègre en cela pleinement dans cette problématique du transfert
de certains modèles d’origines coloniale et militaire.
Policing the Schengen internal borders - Evolution of practices, representations
and organization of the French border police at the France-Italy border
Casella Colombeau S.
Université Aix-Marseille
Analyses of security practices at the border have focused on the dematerialization (Amoore, 2006; Salter, 2006) and deterritorialization (Balibar, 2003; McNevin, 2014; Walters, 2006) of the individuals’ mobility control. This paper
explores the nature of the control the state still exercises over individuals’ mobility at national borders. This analysis
focuses on a border which is supposed to have been lifted: the Schengen borders between France and Italy. It is based
on the analysis of the practices and representations and organization of the French border police of.cers. It analyzes the
legal and organizational transformations due to the implementation of the Schengen Convention at the France-Italy
border. It then turns to the study of the targeting practices of the border police of.cers thanks to the notion de.ned by
Heyman of “plausible story”. Finally it assesses the in!uence of deportation practices on the territoriality of individuals’
mobility control as well as its effects on targeting practices. These borders are at the core of the interaction between the
construction of a new political center, the European one and the af.rmation of an old one, the national political center.
This paper demonstrates that border police of.cers are in charge of dealing with the tension, this double bind, emerging
from this interaction. The national internal borders are still a venue where state exercises a management of individuals’
mobility.
La reproduction de la frontière dans les mobilisations collectives de migrants
1
Deleixhe M., 2Vertongen Y.
Université Saint-Louis Bruxelles (USL-B)2, Katholiek Universiteit van Leuvent (KUL)1
Les frontières (entendues dans leur acceptation la plus large comme un ensemble déterritorialisé de dispositifs de
régulation de l'immigration) échouent spectaculairement dans leur objectif de réguler les !ux migratoires (Brown, 2009,
Rodier, 2012). En revanche, elles remplissent de plus en plus fréquemment, et avec une ef.cacité remarquable, une
fonction plus discrète . Elles classi.ent, et ce faisant, hiérarchisent les migrants suivant des catégories socio-juridiques
qui s’ordonnent selon leur proximité avec le statut de « citoyen ».
Cette redé.nition des rôles et des fonctions conférés par les pouvoirs publics à l’institution frontalière a dernièrement
fait l’objet d’un nombre croissant de travaux importants (Bigo et Guild, 2005, Balibar, 1997, Guiraudon, 2001, Lochak,
1985). Cette littérature met en lumière d’une part la réverbération de la frontière dans une myriade d’institutions
sociales au sein desquelles on ne l’aurait pas précédemment localisée et d’autre part son caractère intrinsèquement
inégalitaire. Cette approche souffre cependant d’une limitation théorique : considérant la frontière comme une
institution (supra-)étatique, elle n'envisage dès lors que les seuls pouvoirs publics comme présidant à sa création.
S’appuyant sur un ensemble de concepts déjà présents dans ce débat, notre projet de communication se propose
d’élargir ce cadre théorique et d'étudier comment se diffuse la frontière jusque dans un lieu inattendu : au cœur des
mobilisations collectives de migrants pour la reconnaissance de leurs droits. Sur la base d’une observation participante à
différentes luttes de migrants réclamant la régularisation de leur situation juridique (Barron et al., 2011, Siméant, 1998),
nous formulons l’hypothèse selon laquelle, dans certaines circonstances, la frontière se prolonge jusque dans les
pratiques militantes des acteurs qui cherchent à la transgresser. Les migrants, au cours de leur parcours de
régularisation, jouent stratégiquement avec les catégories juridiques dé.nies par l’État (Lendja Ngnemzue, 2008, Sayad,
2001) et l’un des effets majeurs de cette catégorisation est une segmentarisation des mobilisations collectives des
migrants. Cette segmentarisation s’opère, à notre sens, à un double niveau : entre les catégories socio-juridiques dé.nies
par l’État (entre réfugiés, demandeurs d'asile, clandestins, sans-papiers), premièrement, et, deuxièmement, entre les
"communautés nationales" ou pour être plus exact, entre groupes de réfugiés de nationalités différentes échoués sur un
même territoire d'asile. Puissant dispositif disciplinaire, la frontière, intériorisée par les migrants au point d'en façonner
la subjectivité, déborde le cadre étatique pour se perpétuer dans les pratiques intangibles de distinction entre les
migrants eux-mêmes (Foucault, 1975, 1976, Deleuze, 1990).
Partant de cette hypothèse, l’ambition de notre communication est double. D’une part, en revenant sur l’expérience de
la mobilisation collective d’un groupe de demandeurs d’asile afghans à Bruxelles en 2013 et 2014, nous aimerions
éclairer la dynamique sociologique qui aboutit à une segmentarisation des mobilisations collectives de migrants. Nous
souhaiterions en particulier identi.er les questions juridiques et administratives autour desquels se cristallisent les
divisions entre migrants. D’autre part, en scrutant les suggestions politiques avancées par la Caravane européenne des
migrants partie de Strasbourg à destination de Bruxelles en juin 2014, nous aimerions défendre que le mouvement de la
démocratie égalitaire accompagne celui de la transgression de ces catégories.
Bibliographie
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Siméant, Johanna, La cause des sans-papiers, Presses de Sciences Po, Paris, 1998.
Migrants et réfugiés dans les institutions évangéliques au Liban : une modalité
singulière et complexe d’insertion et de contrôle social
Kaoues F.
Aix-Marseille
Le Liban accueille plus d’un million de réfugiés syriens et des centaines de milliers de migrants venus de tous les
continents. Ce petit pays dont la population ne dépasse pas les 5 millions d’habitants dispose ainsi de la plus importante
population réfugiée et migrante rapportée à sa population totale. Nous nous proposons d’étudier un mode particulier et
cependant croissant d’intégration des migrants et réfugiés : celui offert par les ONG et églises protestantes
évangéliques, qui connaissent elles-mêmes un essor grandissant dans le pays.
Le monde arabe est, depuis quelques années, le théâtre d’un activisme évangélique qui, sous les traits principaux du
pentecôtisme, rencontre un succès inédit (Dirèche, 2009 ; Boissevain, 2013). Le Liban, du fait de sa plus grande
ouverture en matière d’expression religieuse et du nombre important de travailleurs migrants et de réfugiés qu’il
accueille, dispose d’une place particulière dans la région. Ces étrangers constituent, pour les missionnaires, une cible
privilégiée. A partir d’outils analytiques transdisciplinaires (empruntés notamment à la sociologie politique et à
l’anthropologie) et des données empiriques collectées sur le terrain libanais de 2009 à 2014, nous nous proposons de
mettre en lumière les modalités d’intégration et de contrôle des migrants et réfugiés au sein des institutions
évangéliques, leurs liens avec des tiers (État libanais, Nations Unies, ambassades occidentales, etc.) et les enjeux
sociaux d’un tel développement .
Anthropologue de la ville dans les pays du Sud, Michel Agier s’intéresse aux urbanités spéci.ques et a démontré,
s’agissant de l’exemple libanais, que l’organisation communautaire et ethnique se matérialise au plan spatial dans ce
pays. Dès lors, la question de la visibilité est posée, interrogeant fondamentalement l’ordre politique et moral de la
société dominante. L’hétérotopie, notion empruntée à M. Foucault s’avère en l’espèce signi.cative. L’hétérotopie est un
lieu « autre » qui révèle une altérité indépassable (Foucault, 2009). Ce qui caractérise les lieux d’hétérotopie, ce sont
des notions d’exception, d’extra-territorialité et d’exclusion (Agier, 2008).
La création de frontières communautaires est l’un des aspects les plus complexes et problématiques de la société
libanaise, d’autant que ces frontières sont rigidi.ées par le fait même de leur institutionnalisation. En l’espèce, la
conversion remet fondamentalement en question l’ordonnancement spatial des communautés. Ainsi, l’Église Church of
God (Église de Dieu, en arabe Kanîsat Allah) a connu une rapide expansion depuis sa fondation, en 2010. Installée dans
la banlieue populaire de Burj Hammoud, cette Église accueille des .dèles provenant du Sri-Lanka, du Ghana,
125
d’Éthiopie, du Nigéria et des Philippines ainsi que des réfugiés syriens, en collaboration avec l’ONG Mutual Faith.
Les conversions religieuses en contexte migratoire forcé ou volontaire ont font l’objet de nombreuses études. En
Égypte, Fabienne Le Houérou a observé les trajectoires de convertis sud-soudanais et mis en évidence des motivations
essentiellement économiques et matérielles, dans un contexte de dénuement extrême (Le Houérou, 2008). Dans les cas
que nous avons observés, les béné.ces attendus s’avèrent autrement plus diversi.és.
Outre les études qualitatives de type récits de vie et d’entretiens, nous avons recours à des données quantitatives
empruntées à une grand étude statistique conduite par Ray Jureidini sur les travailleurs migrants au Liban. Il s’agit
majoritairement de femmes employées comme domestiques et logées au domicile de leurs employeurs. Traités comme
des travailleurs de passage ou des réfugiés en situation de transit, ces individus sont en réalité, pour nombre d’entre eux,
installés durablement dans le pays. Le contraste entre le traitement politique et administratif de ces étrangers
(caractérisé par l’urgence et le transitoire) et la réalité de leur vécu nous intéresse particulièrement.
Exclues du droit du travail libanais, les migrantes employées en qualité de domestiques ne béné.cient en effet d’aucune
protection légale. Nous suggérons que l’intégration de milliers de femmes au sein de l’univers protestant évangélique
constitue le moyen pour elles d’étendre considérablement le champ de leurs libertés et de leurs opportunités sociales.
L’observation des pratiques de socialisation des migrants et réfugiés, sur une base religieuse permet de mettre en
lumière certains modes spéci.ques de construction d’un nous collectif. Il s’agira de mettre en évidence les modalités
offertes aux migrants et réfugiés a.n de tenter de dépasser ou contourner leurs conditions dif.ciles d’existence, les
enjeux et limites d’un tel développement.
Bibliographie
AGIER Michel. Gérer les indésirables : des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Paris, Flammarion, 2008.
DAHDAH Assaf, « L’art du faible », les migrantes non arabes dans le Grand Beyrouth (Liban, Beyrouth, Presses de
l’Ifpo, 2012.
DUBAR Claude et NASR Salim, Les classes sociales au Liban, Paris, Fondation nationale des sciences politiques,
1976.
FOUCAULT Michel, Le corps utopique, les Hétérotopies, Editions Lignes, 2009.
JUREIDINI Ray, « Traf.cking and Contract Migrant Workers in the Middle East », International Migration, Vol. 48 (4)
August 2010, pp. 142-163.
KAOUES Fatiha, « Présence évangélique au Liban, enjeux socio-politiques et culturels d’un engagement multiforme »,
Social Compass, juin 2013, N° 60, pp. 204-217.
LE HOUEROU Fabienne, « Le christ s’est-il arrêté à quatre et demi ? Les conversions alimentaires des Sud Soudanais
en Egypte », in La croyance dans tous ses E(é)tats, sous la dir. de Raphaël Logier, Institut d’Etudes politiques d’Aix-enProvence, actes du colloque du 14-15 novembre 2008, Disponible en ligne
: http://www.imagmundi.com/articles/Le_Christ_a_quatre_et_demi.pdf
« Agents d’accueil » en centre de rétention : entre gestion et médiation, les
nouveaux acteurs privés de l’enfermement des étrangers
Tassin L.
Nice Sophia Antipolis
Depuis la .n des années 2000, les lieux d’enfermement destinés aux étrangers en instance d’expulsion dans l’Union
européenne ont vu leur gestion en partie déléguée à des sociétés privées, ce qui n’est pas sans conséquences mais reste
encore peu étudié en raison notamment des dif.cultés d’accès au terrain. Fondée sur une enquête ethnographique menée
dans un des plus grands centres de rétention administrative (CRA) de France, cette communication propose
d’approfondir cette question en s’intéressant aux enjeux de la sous-traitance de plusieurs services – nettoyage,
buanderie, restauration et « accueil » – dans une institution qui matérialise, par le renvoi des individus sans titre de
séjour hors du territoire, la souveraineté de l’État. A partir d’observations quotidiennes dans le centre et d’une
soixantaine d’entretiens, dont une trentaine auprès d’agents employés par des prestataires extérieurs, il s’agit d’analyser
les ressorts de la privatisation de certains secteurs en rétention et d’examiner ses effets possibles sur les formes et les
modalités du contrôle des étrangers en situation irrégulière.
Si la libéralisation des lieux de détention, notamment des prisons, n’est pas nouvelle (Salle, 2006), celle des centres de
rétention s’inscrit dans une histoire récente et représente un marché !orissant à l’échelle de l’Union européenne
(Rodier, 2012). En France, c’est en 2007 que la gestion matérielle des personnes retenues, qui incombait jusque-là à des
fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, est déléguée à une entreprise choisie à l’issue d’un appel d’offre a.n de
rationaliser le coût du dispositif. Comment s’est opérée cette transformation et quelles en sont les implications, tant pour
le fonctionnement quotidien des centres que pour la prise en charge des étrangers enfermés ? Comment des acteurs
publics et privés collaborent-ils dans un dispositif étatique voué à appliquer la loi ?
La question de la sous-traitance au sein des institutions régaliennes se pose avec d’autant plus d’acuité dans les centres
de rétention que la privatisation, en transformant les conditions de travail, a modi.é le pro.l des employés affectés à ces
126
postes. Elle a favorisé l’émergence d’un nouveau corps professionnel socialement proche des personnes retenues : dans
le centre étudié, des hommes et des femmes étrangers ou issus de l’immigration, en majorité maghrébins, qui pour la
plupart ont fait auparavant l’expérience de la clandestinité et se trouvent désormais dans une situation socioéconomique précaire. Quel(s) rôle(s) vont jouer ces acteurs vis-à-vis des retenus et des autres agents de l’institution
– fonctionnaires de police, membres du service médical, intervenants associatifs et médiateurs de l’O.i (Of.ce français
de l’immigration et de l’intégration) ? Comment l’objectif étatique de minimisation des dépenses, corrélé à la recherche
d’intérêts économiques des prestataires, se traduit-il dans les pratiques professionnelles des agents ?
Cette intervention sera organisée en trois temps. Je reviendrai d’abord sur la genèse de l’ouverture de la rétention aux
marchés privés, processus qui se développe non seulement à l’échelle nationale mais aussi, à des degrés divers et sous
des modalités variées, dans la majeure partie des pays européens. J’analyserai ensuite les transformations induites par ce
phénomène en termes d’organisation du travail et de division des tâches au sein du centre étudié ; je montrerai comment
sont ainsi redé.nis les contours de la mission des fonctionnaires et, à travers eux, la fonction et les prérogatives de
l’État dans l’institution. En.n, je chercherai à caractériser l’activité des agents privés qui, au-delà de leur mission
formelle d’intendance généralement déconsidérée, tendent à jouer un rôle de médiateur – linguistique, social et
psychologique – essentiel au fonctionnement du centre et au maintien d’un certain apaisement (ou non) en son sein.
Bibliographie
FISCHER Nicolas, « Entre urgence et contrôle. Eléments d’analyse du dispositif contemporain de rétention
administrative pour les étrangers en instance d’éloignement du territoire », Recueil Alexandries, 2007
GUIRAUDON Virginie, « Logiques et pratiques de l’Etat délégateur : les compagnies de transport dans le contrôle
migratoire à distance », Cultures & Con!its, n°45, 2002, p. 51-113
LYNN DOTY Roxanne, SHANNON WHEATLEY Elizabeth, “The privatization of border security”, Center for
Research on International and Global Studies (RIGS), University of California, 2011
MAKAREMI Chowra, « Vies « en instance » : Le temps et l’espace du maintien en zone d’attente. Le cas de la « Zapi
3 » de Roissy-Charles-De-Gaulle », REVUE Asylon(s), n°2, 2007
RODIER Claire, Xénophobie business. À quoi servent les contrôles migratoires ?, Paris, La Découverte, 2012
SALLE Grégory, « État de droit, État gestionnaire », Champ pénal/Penal .eld, Vol. III, 2006
“Build the border fence” versus “Secure trade and travel”. Deux conceptions
technologiques de la sécurisation frontalière en Arizona
Simonneau D.
Sciences Po Bordeaux
Nous souhaitons contribuer à la ré!exion du troisième axe « dispositif de contrôle et économie de la frontière » en nous
fondant sur une enquête ethnographique auprès d’une coalition d’acteurs pro-« barrière frontalière » de l’Arizona, dans
le cadre de nos recherches doctorales.
Dans cet État, le processus continu de militarisation de la zone frontalière avec le Mexique se heurte aux réticences des
réseaux d’entreprises de commerce transfrontalier.
Au sein d’un forum de débat public sur la sécurité frontalière au Parlement de l’Arizona (entre 2011 et 2013), les
controverses sur les modalités de sécurisation entre acteurs du marché et acteurs politiques et professionnels de la
sécurité se font jour. Les premiers plaident, expertise technologique à l’appui, pour une sécurisation des Ports of Entry
a.n de !uidi.er les !ux commerciaux et de travailleurs mexicains. Les seconds souhaitent lever des fonds pour
construire une barrière tout le long de la frontière.
Derrière les débats sur les investissements technologiques à effectuer, se dessinent deux coalitions de cause (une
économique, une nativiste) plébiscitant toutes deux la militarisation de la zone. Nous présentons les controverses
techniques sur la sécurisation lors des auditions de ce forum et nous dessinons ces coalitions à partir de leurs
représentations de la frontière et de l’Autre mexicain (conformément au concept d’Advocacy Coalition Framework,
Sabatier 2007). Au .nal, nous tentons de mesurer l’in!uence des intérêts marchands dans l’élaboration des politiques
de militarisation de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, à l’échelle de l’Arizona.
Mobilités, transactions et économie parallèle aux frontières terrestres de la Tunisie
dans un contexte régional bouleversé.
Boubakri H.
Université de SOUSSE (Tunisie)
Le papier proposé est destiné à ouvrir un espace de débat et d'échanges avec les spécialistes au sujet du fonctionnement
des frontières tuniso-libyennes et tuniso-algériennes depuis les changements politiques et sociaux majeurs (révolutions,
rébellions, asile, mobilités et guerres) qui ont affecté la Tunisie, la Libye et même les pays de la rive sud de Sahara
depuis 2011. Les modes classiques de gestion et d'administration des frontières par les anciens régimes ont beaucoup
127
évolué depuis, en raison de l'émergence d'un nouveau contexte régional caractérisé par l'affaiblissement des capacités de
contrôle territorial des États (Tunisie) ou de ce qui en reste (Libye), par un développement extraordinaire de la
contrebande et de l'économie parallèle transfrontalières, et surtout par l'émergence et même le renforcement des
organisations et des groupes islamistes radicaux et terroristes qui mettent à rude épreuve les systèmes étatiques de
sécurités et de contrôles des mobilités et des !ux aussi bien dans les zones frontalières qu'à l'intérieur des territoires.
Les traditions historiques d'échanges entre les communautés transfrontalières (économie parallèle transfrontalière,
contrebande locale) et les formes de mobilités traditionnelles entre ces pays voisins (migrations irrégulières, circulation
transfrontalière des personnes, migrations de travail) sont perturbées par l'arrivée (ou le renforcement) de ces acteurs
transnationaux dont les stratégies et les visées dépassent les cadres nationaux des États directement concernés vers des
dimensions globales. Ceci pose d'énormes dé.s d'adaptation et de redéploiement des moyens et des modes de contrôle
de ces États, de leurs frontières et des !ux (humains, matériels...etc) de différentes natures qui les traversent.
Des -chiers d'identi-cation au principe des discriminations : le cas des inégalités
de traitement pénal selon la nationalité en France
Léonard T.
Lille 2
La période récente se caractérise par une multiplication considérable du nombre et de l'usage de .chiers contenant des
données à caractère personnel dans une optique d'amélioration de la sécurité publique (Piazza, 2009). En matière de
justice pénale, de nombreuses études attestent de l'importance de ces différents .chiers, et en premier lieu du casier
judiciaire dans les décisions rendues (Danet et al., 2013). L'importance de ces .chiers tient en premier lieu à leur crédit,
et à leur .abilité supposée. A l'inverse de nombres d'informations jugées aisément falsi.ables par les magistrats, ce qui
réduit leur crédit (Herpin, 1977), ces .chiers ont la réputation de fournir des informations « objectives » et .ables. Le
développement des .chiers d'identi.cation apparaît alors aux magistrats comme améliorant quantitativement les
informations disponibles et qualitativement les décisions qu'ils rendent.
Ce développement des .chiers d'identi.cation s'inscrit en outre dans un contexte de développement de « l'idéologie
gestionnaire » (De Gauléjac, 2005) au sein des administrations publiques, imposant aux magistrats l'amélioration de
l' « ef.cience » judiciaire, ce qui se caractérise concrètement par la nécessité de rendre davantage de décisions à moyens
constants (Bastard, Mouhanna, 2007). En conséquence, les magistrats ont été tenus de se doter d'outils d'aide à la
décision, tels que les barèmes décisionnels (Bastard, Mouhanna, 2007), et, plus généralement, de s'appuyer sur les outils
leur apparaissant présenter un rapport coût/avantage satisfaisant : les .chiers d'identi.cation apparaissent aux magistrats
comme des outils particulièrement performants en la matière.
Ceci renforce alors la catégorisation et la hiérarchisation des mis en cause en fonction de leurs antécédents judiciaires
au détriment d'autres critères, la sévérité des peines croissant avec les antécédents rendus visibles aux juges (Danet et
al., 2013). L'impact des .chiers d'identi.cation sur les décisions est cependant variable selon les propriétés sociales des
mis en cause et notamment selon leur nationalité (Léonard, 2010). Schématiquement, alors que l'existence d'antécédents
judiciaires est une quasi-nécessité pour prononcer une peine d'emprisonnement ferme lorsque le prévenu est de
nationalité française, cette exigence est moins forte pour les prévenus étrangers, a fortiori s'ils sont issus d'un pays
d'Europe de l'est (Léonard, 2011).
Réputés .ables pour les prévenus de nationalité française et pour certains étrangers, notamment issus de pays
limitrophes – notamment en raison de l'accès aux casiers judiciaires de certains pays étrangers suite à des accords
internationaux – , ces .chiers d'identi.cation semblent inadaptés pour d'autres individus étrangers, à plus forte raison si
leurs mouvements sont réputés dif.ciles à contrôler, puisque ces mis en cause sortent des cadres interprétatifs habituels :
suspectés d'avoir déjà été condamnés dans d'autres pays, l'absence de condamnations inscrites à leurs casiers n'est alors
pas nécessairement perçue comme l'indice de l'absence d'ancrage dans la délinquance comme c'est le cas pour les
Français.
A mesure que les .chiers d'identi.cation se développent, ils deviennent des cadres de plus en plus nécessaires à l'acte de
décider pour les magistrats du parquet et du siège. Dès lors, pour juger les individus « hors-cadres », les magistrats
s'appuient alors sur leurs représentations notamment relatives à la nationalité. On voit alors émerger une pluralité de
.gures de l'étranger, lesquels sont interprétés à l'aune de leur nationalité ou de leur origine supposée. Alors que les uns
semblent faire l'objet d'un traitement similaire aux Français (comme les Européens de l'Ouest), d'autres sont traités plus
sévèrement (comme c'est visible de manière !agrante dans les cas de vols commis par des Européens de l'Est). Quand
se développent les .chiers d'identi.cation, la distance entre ceux pour lesquels ils apparaissent .ables et les autres
s’accroît alors corrélativement.
Cette contribution s'appuie sur un matériau à la fois qualitatif et quantitatif. Les observations réalisées au sein des
permanences téléphoniques de trois parquets français nous ont ainsi permis de comprendre les critères décisionnels des
magistrats, de quelle manière ceux-ci se servent des .chiers d'identi.cation, et comment cet usage entre en interaction
avec les représentations, notamment culturalistes, qu'ils ont intériorisées. Des minutes issues de six tribunaux différents
ont été collectées, lesquelles nous fournissent des données quantitatives sur les jugements rendus à l'encontre de 1735
prévenus dont 322 sont étrangers. Ceci nous permet alors d'objectiver statistiquement la différence de traitement dont
font l'objet les prévenus en fonction de leurs nationalités respectives.
128
L’attribution du statut de réfugié ou la légitimation morale de la mobilité – Les cas
égyptien et israélien
Brücker P.
Sciences Po
Nous abordons ici les espaces du contrôle politique des migrations par la mise en place de dispositifs de légitimation a
posteriori de la mobilité. Nous nous interrogeons sur le statut de réfugié et les modalités de son attribution comme
moyen de justi.cation de la mobilité. Nous interrogeons par ailleurs le rôle du HCR comme garant d’un système d’asile
et de mobilité sous contrôle. Nous nous intéresserons aux processus de RSD (« refugee Status determination ») telle que
mises en place par l’organisation. Autrement dit, nous décrivons un système cherchant à dé.nir qui était légitime à
partir et qui nécessite, moralement, une forme de protection particulière. Nous nous interrogeons donc sur les fondations
morales de processus de sélection des individus et sur la mise en place d’un dispositif d’enquête déterminant les « vrais
» au sein du groupe prétendant au statut. Il est question de trouver – ou de créer – les réfugiés, essentialisant de fait, la «
réfugéité ». Cet article entend monter les limites de cette essentialisation.
Cette étude se fonde sur un terrain d’un an et une insertion au sein de la section RSD du HCR au Caire. Travail de
sociologie politique, il emprunte méthodologiquement à l’ethnologie et à l’anthropologie. L’immersion et l’observation
au sein de l’organisation et auprès des communautés réfugiées, la formation en tant qu’of.cier d’attribution du statut au
HCR fonde la majeure partie des données recueillies.
Notre étude s’intéresse au cas égyptien en ce que celui ci présente divers attraits : un système d’asile contrôlé par un
gouvernement autoritaire mais laissé à la charge d’une organisation internationale au rôle de fait ambigu ; une diversité
de pro.ls migratoires en provenance d’Afrique de l’Est, du Moyen Orient et de l’extrême Orient, et en.n de l’Afrique
de l’Ouest ; un quota important de réinstallations en Occident. Le cas égyptien permet en effet l’étude d’un État en
apparence peu concerné par les questions migratoires et d’asile. A l’exception de cas très largement minoritaires où le
gouvernement intervient directement dans la politique du HCR – nous pouvons ici citer les cas libyen et palestinien, les
responsabilités en matière d’asile sont intégralement dévolues à l’organisation internationale en charge à la fois des
procédures administratives et du maintien des garanties juridiques.
L’appareillage bureaucratique des États d’accueil met en place ce tri juridique - tri ‘extériorisé’ dans le cas égyptien. Les
procédures d’attribution, c’est à dire les mesures administratives mises en place par le HCR, répondent à cette
réclamation de « tri ». Elles questionnent via un entretien et une évaluation d’entretien les conditions et motifs ayant
entrainé le départ et le franchissement de la frontière ; les conditions d’habitat possibles dans le pays d’origine ; les
risques encourus et les risques à venir. L’obtention du statut et les conditions de son attribution varient selon le pays
d’origine, la région d’origine, le contexte politique actuel dans le pays d’origine, et le contexte politique dans le pays
d’accueil. Il dépend également de la quali.cation internationale des faits générant le départ, et de fait des acteurs en
charge de cette labélisation – acteurs humanitaires, ONGs, ONU, Ministères de l’Intérieur. C’est ces variations et leurs
origines que cet article entend dans un premier temps mettre en lumière. La situation égyptienne, avec un taux de
reconnaissance qui atteint 95%, met en place, à ses dépens, une « réfugiété humanitaire ». La seule perspective pour eux
est de fuir à nouveau. Les plus chanceux pro.tent des programmes de réinstallations, mais les places sont limitées et
donnent lieu à des nouveaux dispositifs de tri.
Dans un deuxième temps, nous mettons en exergue la spéci.cité d’une reconnaissance par le HCR – par comparaison à
un statut ‘étatique’ - par une étude comparée avec la situation israélienne, qui accueille une grande partie des
demandeurs d’asile ayant trouvé refuge en Égypte. Cette approche nous permet également de révéler les variations
étymologiques du concept d’asile d’une frontière à l’autre. Plus concrètement, nous étudions comment des candidats à
l’asile en Égypte, souvent acceptés par l’organisation internationale se retrouve déboutés de l’autre côté de la frontière.
Nous interrogeons les conséquences en termes de droits pour ces populations passées de demandeuses d’asile à
migrants illégaux. Depuis la passation des responsabilités en matière d’asile du HCR au gouvernement, le statut de
réfugiés est un concept vain en Israël révélant, au contraire de l’Égypte, une politique de non légitimation des étrangers
présents sur son territoire. Selon l’argumentaire utilisé, ces personnes ne seraient pas des demandeurs d’asile parce
qu’ils l’ont demandé en Égypte et qu’ainsi leurs !ux s’effectuent dans un mouvement secondaire de recherche non plus
d’asile mais de perspectives économiques.
Cette perspective, assimilable à la politique européenne d’asile (Dublin II) selon laquelle le demandeur n’aurait pas le
droit de choisir son pays d’asile, se justi.e selon les gouvernements par une idée essentielle : le réfugié légitime, c’est à
dire le réfugié moralement acceptable, est celui qui à force de misère prend sans se plaindre ce que l’on était
moralement contraint de lui donner. Il n’est donc pas acteur de choix mais receveur de charité morale. Parce qu’il est
réfugié, il entre dans une catégorie secondaire, titulaire de droits mais déclassé. La critique d’un tel système est rendue
illégitime parce qu’elle remet en cause les fondations d’un système moral justi.ant la charité, dont découle la notion de
protection internationale et celle d’asile. Pourtant, contredisant ces deux approches, les réfugiés, demandeurs d’asile ou
migrants, quelles que soient les catégories dans lesquelles ils sont localement classés, s’interrogent et s’organisent. Ils
critiquent un système qu’ils découvrent facteur de déclassement et de désorganisation sociale. Ils se mobilisent des deux
côtés de la frontière : au delà de leur catégorisation administrative et juridique, c’est leur existence et leur présence
qu’ils tentent de légitimer.
129
Le contrôle des demandes d’asile en Suisse : des dispositifs aux pratiques de « lutte
contre les abus »
Miaz J.
Université de Lausanne
En Suisse, dans le débat public, la question de la politique d’asile est posée de manière récurrente. Depuis l’entrée en
vigueur de la loi sur l’asile en 1981, on assiste à une in!ation normative en la matière et à une politisation de la question
en termes de "lutte contre les abus" et "d’accélération des procédures", justi.ant politiquement des mesures de
durcissement du droit et de la procédure. Les dispositifs qui en découlent contribuent à resserrer le contrôle et le "tri"
des migrant.e.s ; tendant à les sélectionner et à les hiérarchiser (Cultures&Con!its 2011).
Dans cette communication, je chercherai d’abord à montrer comment les "faux réfugiés" et les "abus" sont devenus des
catégories d’action publique (Dubois 2009) et comment des mesures de contrôles et de durcissement ont été mis en
place, instaurant une logique de suspicion à l’égard des migrant.e.s. Puis, je montrerai comment cette logique se
concrétise dans les pratiques des fonctionnaires de l’administration chargé.e.s d’instruire les demandes d’asile et de
rendre une décision à leur égard. En dé.nitive, cette communication vise à répondre à un double questionnement. D’une
part, comment les dispositifs de contrôle des demandes d’asile s’actualisent-ils dans les pratiques des fonctionnaires de
l’Of.ce fédéral des migrations (ODM) ? D’autre part, quel est lien entre les catégories d’appréhension de la question de
l’asile dans l’espace public, les dispositifs de contrôle des demandes d’asile et les pratiques qui les actualisent ?
Cette communication s’appuie sur une thèse de doctorat menée entre 2010 et 2014. Ma recherche combine une enquête
ethnographique sur les usages sociaux du droit d’asile au sein de l’Of.ce fédéral des migrations, de services d’aide
juridique aux migrant.e.s et du Tribunal administratif fédéral avec une importante recherche documentaire.
Légiférer dans le non-droit : statut des sans-papiers et droit au mariage en Suisse
el-Wakil A.
Université de Zurich
Depuis janvier 2011, l’Article 98 al. 4 du code civil suisse interdit aux personnes sans autorisation de séjour sur le
territoire de se marier. Les sans-papiers sont ainsi formellement exclus de l’accès à un droit fondamental qui constituait
jusqu’alors pour eux l’une des voies les moins arbitraires vers la régularisation (Carbajal et Ljuslin 2010). Si
l’application de cette loi continue de faire débat dans le milieu juridique, la présente contribution se propose de mettre
en lumière son impact sur la conception du statut (Cuttitta 2007) de ces migrants non régularisés.
Cette mesure leur confère en effet un statut juridique paradoxal. En Suisse comme ailleurs dans le monde occidental, les
sans-papiers sont placés dans un espace de non-droit, réduits à une « inexistence » (Bolzman 2007) juridique de facto.
S’ils demeurent formellement détenteurs de droits humains de base, ils se voient dans l’impossibilité de les faire valoir
du fait de leur absence de statut juridique légal (Carens 2008, 2013). « Hors de tout système de droit » (Caloz-Tschopp
2000), ils sont ignorés par une société et se retrouvent dans la posture de l’Apatride telle que théorisée par Arendt
(Arendt 2006 (1951)). Néanmoins, l’interdiction explicite du mariage aux migrants sans autorisation de séjour que
contient le code civil suisse reconnaît de fait leur présence sur le territoire national – mais cette reconnaissance n’est
utilisée que pour interdire à ces personnes l’accès à un droit fondamental. Après avoir analysé ce que ce paradoxe nous
enseigne sur l’utilisation du droit, traditionnellement vecteur de création des normes du « vivre ensemble », nous
montrerons l’impact de cette loi sur le statut des sans-papiers. N’ayant d’autre justi.cation que la non-correspondance
entre l’identité du migrant et les critères des politiques migratoires, l’interdiction du mariage paraît en effet nier
l’existence de ces personnes, les rejetant ainsi au rang de Parias (Arendt 2006).
Bibliographie
Arendt, H., L’Impérialisme, Paris, Points, 2006 (1951).
Bolzman C., Entre inexistence statutaire et utilitarisme économique : les réseaux invisibles des sans-papiers,
L’inexistence sociale. Essais sur le déni de l’Autre, 2007, p. 73-97.
Caloz-Tschopp M.-C., Les sans-état dans la philosophie d’Hannah Arendt : les humains super!us, le droit d’avoir des
droits et la citoyenneté, Lausanne, Payot, 2000.
Carbajal M., Ljuslin N., Jeunes sans-papiers d’Amérique latine en Suisse ou devenir adulte sur fond de recomposition
des rôles, Lien Social et Politique, no 64, 2010, 125-135.
Carens, J., The Ethics of Immigration, New York, Oxford University Press, 2013.
Carens, J., The Rights of Irregular Migrants, Ethics and International Affairs, no 26, vol. 2, 2008.
Cuttitta P., Le monde-frontière. Le contrôle de l’immigration dans l’espace globalisé, Cultures & Con!its, n° 68, 2007,
p. 61-84.
130
Devenir « résident permanent » au Québec : entre compétences et altérités.
Araya-Moreno J.
Université de Montréal
La plupart des immigrants qui émigrent au Québec le font à travers un processus administratif qui sélectionne ceux qui
sont estimés le plus capables de s’intégrer à la société québécoise et dont les compétences professionnelles seraient le
plus susceptibles d’être économiquement rentabilisées par le pays. Avant même leur entrée sur le territoire québécois,
les candidats échangent des documents avec les ministères canadien et québécois de l’immigration et passent une
entrevue de sélection avec un fonctionnaire, entre autres démarches ; puis, une fois au Québec, ils poursuivent ce
processus en suivant des cours de formation sur la culture et les valeurs québécoises. Cette communication rend compte
d’une recherche qui, en adoptant une approche ethnographique, explore l’expérience de ces immigrants sélectionnés et
de leur relation avec les États canadien et québécois. Dans un premier temps, la communication se concentre sur la
manière dont les compétences – professionnelles, culturelles, morales – des candidats sont mises en lien avec la
catégorie administrative qui leur est attribuée, celle de « résidents permanents ». Dans un deuxième temps, la
communication propose plus spéci.quement une ré!exion sur la manière dont le processus de sélection des immigrants
est structuré par des références à la culture : paradoxalement, à travers ce processus ayant pour objectif de faciliter
l’intégration des nouveaux arrivants, les candidats sont construits comme « autres ».
Le contrôle comme quotidien : pratiques des fonctionnaires en charge de la
migration familiale
Mascia C.
ULB
Depuis une dizaine d’années, nous assistons à de nombreuses modi.cations législatives en matière de migration
familiale en Europe (Pascouau & Labayle, 2011). Ces modi.cations ont mené au déploiement de pratiques visant à
discipliner et contrôler certains !ux migratoires (Groenendijk, 2011 & d’Aoust, 2013 & Lavanchy, 2013).
La présente communication questionne les récentes modi.cations législatives en Belgique et déploiement de pratiques
de contrôle à partir de la mise en œuvre de la politique de regroupement familiale par les échelons les plus bas de
l’administration. Cette communication se base sur une recherche ethnographique, mêlant entretiens et observations,
effectuée dans deux services d’une même commune belge.
Le décalage existant entre la reconnaisse du droit à vivre en famille par le législateur belge et l’effectivité de ce droit
(Nys, 2002) n’est pas à considérer comme le résultat d’un dysfonctionnement mais bien comme partie intégrante de la
politique (Brodkin, 2000). Les fonctionnaires en contact avec les citoyens prennent une part active à la dé.nition des
politiques qu’ils mettent en œuvre (Dubois, 2010) et déterminent l’accès aux droits et biens délivrés par l’État (Lipsky,
2010). En outre, les différentes législations visant à restreindre l’immigration ont été couplées avec la mise en place de
dispositifs donnant davantage de pouvoir discrétionnaire aux fractions subalternes de l’Administration, au niveau local.
C’est dans la relation de face-à-face que les lois d’apparence respectueuses des droits se révèlent être restrictives. Il est
donc essentiel de s’intéresser aux pratiques et à l’application des textes juridiques (Spire, 2008). Plus précisément nous
nous attacherons à saisir le traitement des dossiers par les fonctionnaires (Weller, 2012), les logiques présidant à la
sélection d’individus « à risques » (Heyman, 2009) lors du traitement des demandes, tant de mariage que de permis de
séjour, et les différents types de pouvoir discrétionnaire dont jouissent les fonctionnaires (Evans, 2010). A l’instar de
Lipsky (2010), nous replacerons la question du pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires et leurs pratiques dans le
contexte plus large des conditions de travail, de la division et l’organisation du travail au sein d’administration.
Bibliographie
Brodkin E. Z, Investigating policy's 'practical' meaning: street-level research on welfare policy, Working Paper, March
2000
D’Aoust A.-M., In the Name of Love: Marriage Migration, Governmentality, and Technologies of Love, International
Political Sociology 7, no. 3, 2013, p. 258–74.
Dubois V., La vie au guichet, 3e édition., ed. Economica, 2010
Groenendijk K., Pre-Departure Integration Strategies in the European Union: Integration or Immigration Policy?,
European Journal of Migration & Law, 13, no. 1, 2011
McC. Heyman, J., Risque et con.ance dans le contrôle des frontières américaines, Politix, n° 87, no. 3, 2009, p. 21–46.
Lavanchy A., L’amour Aux Service de L’état Civil: Régulation Institutionnelles de L’imitimité et Fabrique de La
Ressemblance Nationale En Suisse, Migrations Société 25, no. 15, 2013
Lispsky M., Street-Level Bureaucracy. Dilemmas of the Individual in Public Services, Russel Sage Foundation, New
York, 2010
Nys M., L’immigration familiale à l’épreuve du droit: le droit de l’étranger à mener une vie familiale normale?: de
l’existence d’un principe général de droit à sa reconnaissance, Bruylant, 2002
131
Pascouau, Y., et Labayle H., Les conditions d’accès au regroupement familial. Une étude Comparative dans neuf Etats
membres de l’UE , Fondation Roi Baudouin, November 2011.
Spire A., Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Editions Raisons d’agir, 2008
Weller J-M., An Ethnographer among Street-Level Bureaucrats and New Public Management, Working Paper N°
12/033 2012
Corps dangereux ou corps en danger? Quelques remarques sur l'accès aux droits
des victimes de la traite des êtres humains
Jaksic M.
Ens Cachan
La condition des victimes de la traite des êtres humains est prise dans une contradiction majeure. Considérées d’une part
comme victimes d’exploitation sexuelle, contraintes à la prostitution par des proxénètes qui les font travailler à leur
pro.t, elles sont dans le même temps appréhendées comme coupables d’infractions de racolage et de séjour irrégulier,
soit comme une menace potentielle pour l’ordre public et une cible des politiques de l’immigration et de la prostitution.
Dans un État où la prostitution n’est pas formellement interdites, seules les personnes exerçant la prostitution sous
contrainte sont considérées comme victimes. Or, prouver l’emploi de la contrainte n’est pas toujours une démarche
aisée. Ce n’est donc qu’au gré d’un long parcours, émaillé de multiples épreuves (interpellation par les services de
police, gardes à vue, identi.cation policière et associative, dépôt de plainte ou témoignage, procès) que les femmes
migrantes exerçant la prostitution sous contrainte parviennent à accéder au statut d’ayant droit.
La présente contribution se concentre sur un moment du parcours des victimes de la traite : l’entretien à la préfecture de
police en vue de l’obtention d’un titre de séjour. Plus que toute autre épreuve, cet entretien constitue un enjeu majeur
pour les victimes. Elles y franchissent une frontière : celle du passage de sans-papiers à un séjour légalisé sur le
territoire national. On se demandera donc à quelles conditions s’opère le passage du « corps dangereux », perçu comme
une menace pour l’ordre public et l’intégrité de l’État, au « corps en danger » qui mérite une protection et un soutien
inconditionnels.
Cette contribution s’appuie sur une enquête de terrain menée pendant six mois dans un bureau en charge de la
délivrance des titres de séjour aux victimes de la traite. Un soupçon permanent pèse sur les personnes venues réclamer
leur titre de séjour en raison d’une crainte de « détournement de procédure » ou de fraude que les agents de la préfecture
cherchent à détecter. L’un des enjeux des observations menées dans ce bureau de la préfecture a été donc de regarder
comment les institutions s’emploient à établir la distinction entre corps dangereux et corps en danger. Selon quelles
logiques de classement et de distinction ? En obéissant à quelles contraintes de jugement ? Pour donner un exemple
concret, comment un agent chargé de délivrance des titres de séjour, dans son activité quotidienne de surveillance et de
contrôle, parvient-il à opérer la distinction entre victime de la traite et personne exerçant cette activité sans contrainte ?
On espère ainsi contribuer à une meilleure compréhension de la manière dont les frontières de l’État se déploient en son
intérieur. Il s'agit en dernier lieu de décloisonner le débat sur la traite de la seule prostitution, et de regarder de plus près
comment les politiques de contrôle des migrations et de l'accès à l'emploi des travailleurs migrants participent aux
logiques de contrôle et de surveillance des femmes migrantes se livrant à la prostitution.
Usages sociaux du droit des migrants chinois en position précaire : Soin
psychiatrique transformé en ressource juridique
Wang S.
Ecole Normale Supérieure
Dans le cadre d’une thèse de sociologie qui a porté sur des expériences migratoires au prisme des usages sociaux des
soins psychiatriques/psychothérapeutiques/psychanalytiques parmi les migrants chinois et leurs descendants en région
parisienne, je propose une communication s’appuyant sur un chapitre de ma thèse, qui traite des usages stratégiques de
la prise en charge psychiatrique dans les procédures juridiques, en se centrant sur la manière dont les migrants,
notamment ceux issus d’un milieu populaire, peuvent faire usage du droit (Fassin, 2013), ou, plus précisément, la
manière dont des patients en psychiatrie peuvent utiliser leurs parcours de soin comme ressources dans une procédure
juridique.
Cette communication est issue d’observations participantes conduites lors de consultations psychiatriques avec des
familles d’origine chinoise et d’entretiens semi-directifs individuels ou collectifs, effectués depuis septembre 2010 à
l’extérieur du champ médical, auprès des professionnels de santé ainsi qu’auprès des patients et de membres de leur
famille.
Pour les migrants chinois ici étudiés, démarrer une prise en charge en psychiatrie peut faciliter une procédure
administrative de régularisation ou de naturalisation (en fournissant des preuves de présence sur le territoire) ; ou encore
servir dans le cadre de con!its conjugaux, familiaux ou de voisinage. Pour reformuler, je m’intéresse à l’accès aux
droits des acteurs migrants – donc à l'établissement d'une relation entre les migrants et l’État – en articulant en
l'occurrence un parcours de soin en psychiatrie et une procédure juridique. Je propose d’examiner les manières dont ces
acteurs profanes – dont la plupart sont des sans-papiers – tentent d’échapper à l’emprise du droit en le subvertissant par
des tactiques multiples, en somme, en se débrouillant « face, avec, contre le droit » (Pélisse, 2010) à travers un usage de
132
soin psychiatrique. Plus loin, j’essaie de montrer, dans quelle mesure, la manière dont l’acteur perçoit son « trouble » et
son parcours de soin d’une part, et la manière dont il construit son projet migratoire et son rapport à l’administration et
aux papiers d’autre part, sont entrelacées.
133
ST 24 : Un état des « lieux » de la résistance à l’État. De l’utilité de
décentrer le regard sociologique sur les protestations
Parentèles en tension, sortie de village et politisation : quelques dynamiques
locales d’une contestation transnationale
Buu-Sao D.
IEP de Paris
Il existe en Amérique latine une tendance croissante à l’expression d’une critique, de la part de groupes qui protestent
au nom d’une identité « indienne », « autochtone » ou « indigène », à l’encontre des politiques et des projets
d’extraction des ressources naturelles (Coklin et Graham, 1995 ; Fontaine, 2006 ; Svampa, 2011 ; Sawyer et Gomez,
2012). Les fondements de ces critiques sont souvent pris pour acquis, dans les discours militants mais aussi, dans une
certaine mesure, dans certaines analyses de sciences sociales. L’existence de relations de domination (qu’elles
s’expriment en termes de race, de classe, de l’urbain sur le rural…), d’une violence spéci.que à la nature des ressources
extraites (Watts, 2001), de « structures d’opportunité politiques » et de « réseaux de cause transnationaux » (Keck et
Sikkink, 1998 ; Brysk, 2000) favorables à l’expression de revendications au nom d’une identité « indigène » sont autant
de facteurs qui permettraient d’expliquer l’entrée dans l’action contestataire.
Pourtant, l’observation des espaces périphériques dont se revendiquent les leaders de ces mobilisations, du quotidien
vécu en dehors des moments protestataires, laisse voir que, tandis que certains apprennent à manier les codes de la
contestation, d’autres demeurent en retrait et ne considèrent pas que l’expression de revendications à l’attention de
l’État constitue la solution à leurs préoccupations. Comment expliquer ces différences dans le rapport à la critique et à
l’État ? La sociologie politique de l’action collective a apporté bien des éléments de réponse en se penchant sur les
questions de socialisation politique. Mais comment par exemple comprendre l’apparition et la réalisation de certaines
« dispositions contestataires » sur des terrains de faible différentiation sociale ? Et comment ce sens critique en vient-il
à se construire à l’attention de l’État plus qu’à celle de cet interlocuteur quotidien des villages que sont les compagnies
pétrolières ?
Entre 2012 et 2014, j’ai réalisé quinze mois d’enquête au Pérou sur une con.guration d’acteurs formée autour de
l’activité d’un projet pétrolier précis et de sa critique. J’ai pu observer le quotidien d’organisations « indigènes »,
d’ONG péruviennes, d’habitants et rencontrer des membres de fondations nord-américaines et européennes, des
fonctionnaires péruviens, des cadres et employés des compagnies pétrolières, de manière à capter la diversité des
perspectives sur ces espaces de rencontre surgis aux abords des installations pétrolière. En suivant les réseaux
d’interaction dans lesquels s’insèrent ces acteurs, j’en suis venue à m’immerger dans des lieux très différents : dans la
capitale nationale, dans la capitale de l’Amazonie péruvienne de moins de 400 000 habitants, dans des villages
amazoniens d’une cinquantaine de familles situés aux frontières du pays et aux portes des installations pétrolières.
En tant qu’historiquement construite comme marge géographique à distance des centres nationaux, l’Amazonie est un
lieu de « friction » (Tsing, 2005), de rencontres entre des mondes de signi.cation qui se constitués à distance ou en
opposition. Ses habitants « originaires », regroupés en petits villages et vivant principalement, jusqu’à il y a quelques
décennies, de l’horticulture, de la chasse et de la pêche, « se dé.nissent par rapport à d’autres espaces, déterminés par
des temporalités autres » (Bayart, 1985, p.350) que celles des seuls dominants : ils se peuvent par exemple se structurer
en opposition à d’autres groupes de parenté du fait de l’enjeu du contrôle et de l’expansion territoriale en ces terres
argileuses où cultiver la terre et chasser le gibier implique l’accès à un vaste territoire.
En interrogeant les « mouvements indigènes » depuis le quotidien des populations qu’ils entendent représenter, en
examinant les réseaux de sociabilité et notamment de parenté dans lesquelles elles s’inscrivent, cette communication se
propose d’apporter quelques éléments de compréhension à ces dynamiques de contestation et de consentement
observables aux abords des compagnies pétrolières. Elle entrera dans le détail des relations de parenté, d’af.nité et
d’inimitié qui structurent le rapport à l’espace et impliquent, parfois, d’en sortir pour se positionner par rapport aux
cliques concurrentes. Elle montrera alors que c’est cette sortie du village, motivée par des dynamiques locales, qui rend
possible la sensibilisation à la critique d’un projet politique national reposant sur l’extraction privée des ressources
naturelles.
Bibliographie
BAYART Jean-François, 1985, « L’énonciation du politique », Revue française de science politique, 1985, vol. 35, no 3,
p. 343?373.
BRYSK Alison, 2000, From Tribal Village to Global Village. Indian Rights and International Relations in Latin
America, Standford, Standford University Press, 400 p.
CONKLIN Beth A. et GRAHAM Laura R., 1995, « The shifting middle ground: Amazonian indians and eco-politics »,
American Anthropologist, 1995, vol. 97, no 4, p. 695?710.
FONTAINE Guillaume, 2006, « Convergences et tensions entre ethnicité et écologisme en Amazonie », Autrepart,
2006, vol. 38, no 2, p. 63?80.
134
MATHIEU Lilian, 2012, L’espace des mouvements sociaux, Paris, Editions du Croquant, 285 p.
SAWYER Suzana et TERENCE GOMEZ Edmund (eds.), 2012, The Politics of Resource Extraction. Indigenous
Peoples, Multinational Corporations and the State, Basingstoke, Palgrave McMillan, 336 p.
SVAMPA Maristella, 2011, « Néo-“développementisme” extractiviste, gouvernements et mouvements sociaux en
Amérique latine », Problèmes d’Amérique latine, traduit par Georges Durand, 2011, vol. 3, no 81, p. 101?127.
TSING Anna Lowenhaupt, 2005, Friction. An Ethnography of Global Connection, Princeton,
University Press, 321 p.
N.J., Princeton
WATTS Michael, 2001, « Petro-Violence: Community, Extraction, and Political Ecology of a Mythical Commodity »
dans Nancy Lee Peluso et Michael Watts (eds.), Violent environments, Ithaca and London, Cornell University Press.
Ancrage chiapanèque des protestations transnationales
Collombo M.
Sciences Po Aix
Si de plus en plus de travaux tendent à dépasser la seule et nécessaire historicisation des mouvements sociaux pour
prendre en compte leur dimension spatiale et localisée, à l’échelle transnationale, la déconnexion avec l’espace
physique semble être la norme. Cette communication se propose de mobiliser la dimension spatiale pour analyser les
mobilisations transnationales. Elle défend l’idée selon laquelle une analyse située, ancrée dans le territoire dans lequel
se produisent le plus d’interactions d’acteurs, permet de mieux comprendre la construction des mouvements
contestataires transnationaux.
Nous nous baserons sur une étude de cas latino-américaine. En mai 2001, des organisations du Mexique et d’Amérique
centrale se réunissent à l’occasion d’un forum régional contre les politiques néolibérales de développement. La
mobilisation donne naissance au Forum Social Mésoaméricain, mobilisant près de 300 organisations au niveau régional.
Une attention plus tenue à la fabrique de la mobilisation dévoile son ancrage très spatialisé, marginal, le Chiapas. Ce
lieu emblématique de la protestation produit en outre la mobilisation de ressources très spéci.ques au territoire (registre
discursif, juridique, indigène). Le Chiapas apparaît dès lors dans toute son ambivalence, à la fois ressource de
mobilisation et espace de confrontations et de contraintes. Il permet d’interroger la notion de territoire en formulant
deux pistes de ré!exion. Une première met en perspective le territoire du Chiapas présenté comme une entité
géographique, sociale, politique et historique cohérente. Elle s’intéresse plus particulièrement à la mise en récit et à
l’usage mémoriel du Chiapas dans les mobilisations transnationales. Une seconde piste interroge les effets retours d’une
telle homogénéisation sur le champ militant local.
Les espaces publics favorisent-ils l'intégration à la ville? Le cas des réfugiés
syriens dans la banlieue Est de Beyrouth, Liban.
Madoré M.
Sciences Po
Cette communication s'intéresse aux espaces urbains interstitiels laissés disponibles à l’appropriation par les habitantspassagers. Nous tentons d'apporter un éclairage sur le rôle joué par ces espaces publics dont l’usage n'est pas affecté a
priori. Dans quel mesure ces lieux d'entre-deux, ces places poreuses, permettent-ils d’inventer des modes de résistances
à des modèles citadins imposés? Et quel est leur impact dans la structuration d’un corps social? Ici, c’est bien la
matérialité de l’espace public – disposition des bancs publics, largeur des trottoirs ou mise en place d’un couvre-feu –
qui est sert de porte d’entrée analytique pour saisir les relations entre autorités et collectifs et les dynamiques de
contestation. Nous explorons l’idée stimulante, que les espaces publics ne sont pas seulement des récipiendaires des
faits sociaux mais bien qu’ils conditionnent dans une certaine mesure les relations qui s’y nouent et les tensions qui s’y
créent.
Le cas étudié est celui des réfugiés syriens dans la banlieue de Beyrouth au Liban. Beyrouth reste un des exemples les
plus frappants de villes divisées hôte d’une société fracturée où la notion d’espaces publics est porteuse d’attentes
fortes. Un temps vus comme des outils potentiels de réconciliation, on attend de ces espaces qu’ils jouent un rôle
d’apaisement des relations sociales et de promotion du vivre ensemble. Durant les trois dernières années, l'immense
majorité des réfugiés syriens parvenus jusqu'à l'aire métropolitaine de Beyrouth se sont installés en périphérie de la ville
et notamment dans sa banlieue Est. Nous interrogeons ici les mécanismes qui président à l'arrivée en ville des réfugiés
syriens. Quel est l'impact des espaces publics sur le choix d'installation et sur l'intégration au tissu social préexistant?
Nous formulons l'hypothèse d'un droit différentiel à être en ville, c'est à dire à l'habiter et à être présents dans ses
espaces publics. Les espaces publics du centre-ville de Beyrouth semblent être verrouillés au pro.t des résidents les
plus aisés. La concentration de réfugiés syriens dans la banlieue Est pourrait partiellement s'expliquer par une plus
grande plasticité de la trame urbaine dans cette zone périphérique.
135
Tracing demobilising effects of informality in the political context of contention
Rao Dhananka S.
Lausanne
Un décentrement du regard sociologique au niveau spatial signi.e aussi de considérer en quoi consistent les différences
entre le contexte “occidental” bien connu par les théories classiques des mouvements sociaux et les “lieux” autre-part.
Cet article mettra en avant que pour que les théories des mouvements sociaux soient applicables au monde postcolonial,
elles doivent considérer les dimensions propres aux opportunités politiques dans de tels contextes, notamment le rapport
entre les dimensions formelles et informelles.
L’argument central consistera à démontrer que les circuits de corruption biaisent considérablement les opportunités
politiques qui peuvent exister formellement. Une interaction spéci.que entre le formel et l’informel sera analysée en
détail. La dimension de la représentation dé.nit par Kriesi et al 1995 sera décryptée pour déterminer les opportunités
politiques en interaction avec le fonctionnement informel du clientélisme pour la ville de Bangalore, dans le Sud de
l’Inde.
L’étude de cas démontrera que par la considération et l’analyse des dimensions informelles, tel que le clientélisme, les
réelles conditions d’émergences des mouvements sociaux peuvent être appréhendées. Ceci rend l’analyse des
mouvement sociaux dans de tels contextes plus riche et complète.
Politiques de contestation des classes populaires et contribution des réseaux de
proximité ordinaires : mobilisations contre la détérioration des services publics en
Haute Égypte
Laveille Y.
London School of Economics and Political Science (LSE)
En-dehors des pays démocratiques et des grandes agglomérations, les protestations de citoyens ordinaires contre la vie
chère, l’augmentation des prix, les coupures d’eau ou d’électricité, ou encore la dégradation des infrastructures routières
ou sanitaires, passent le plus souvent inaperçues. En effet, ces mouvements étant rarement considérés en-dehors de leur
dimension locale, sont le plus souvent éphémères car contenus dans l’espace géographique qui leur est propre. Sans
activistes expérimentés pour faire le lien entre différentes mobilisations pour la même cause, et sans médias d’envergure
pour en assurer la couverture, ces protestations ne sauraient durablement inquiéter les autorités. Pourtant, leurs
demandes socioéconomiques dépassent souvent leur ancrage local et traduisent un manque de volonté, une négligence,
ou une incapacité de l’État à assurer les services les plus basiques.
Ces mobilisations socioéconomiques posent la question de la culture politique et protestataire de populations
relativement marginalisées et éloignées du militantisme des villes. Comment des citoyens ordinaires, sans expérience
militante préalable, en arrivent-ils à bloquer des routes, à fermer des administrations publiques, ou encore à occuper des
espaces publics pour réclamer ce qu’ils considèrent comme leur droit ? Sont-ils mobilisés par des activistes locaux ? Ou
bien sont-ils in!uencés par le comportement d’acteurs similaires ayant obtenu gain de cause ? Au-delà de la théorie des
mouvements sociaux, qui étudie majoritairement des mouvements urbains et organisés, je me suis intéressée à ces
micromouvements de protestations à l’organisation basique, fortement ancrés dans leur dimension locale, et sans lien
apparent avec d’autres mouvements. Ces protestations vont plus loin que les ‘non-mouvements’ et sont plus audibles
que ‘l’empiètement discret’ ou ‘quiet encroachment’ conceptualisés par Asef Bayat.
Le cas égyptien présente à cet égard bien des pistes à explorer. La détérioration des services publics, qui s’est accélérée
durant les dix dernières années de l’ère Moubarak et n’a cessé de s’aggraver depuis le soulèvement de janvier-février
2011, a entraîné de nombreuses protestations partout dans le pays. Or, peu d’acteurs politiques, qu’ils soient au pouvoir
ou dans l’opposition, y ont accordé une véritable attention en proposant des solutions concrètes à, notamment, une crise
énergétique sans précédent. Grâce à un travail de terrain de plusieurs mois dans le sud de la Haute Égypte, en particulier
dans les régions d’Assouan et de Louxor, j’ai pu rassembler de nombreuses données sur la mobilisation de gens
ordinaires en dehors des grandes villes. Des dizaines d’entretiens réalisés, il ressort un profond clivage entre ces
protestataires occasionnels d’une part, et les activistes et élites politiques et intellectuelles des grandes villes d’autre
part. Ce fossé explique en partie le retour au pouvoir d’une institution militaire réputée forte, malgré son autoritarisme
contraire aux aspirations démocratiques exprimées lors de la révolution du 25 janvier 2011.
En-dehors de rares exceptions, les études de phénomènes de contestations en Égypte ont jusqu’ici largement ignoré les
régions ‘périphériques’ telles que la Haute Égypte, dont le destin ne saurait pourtant être dissocié du reste du pays. Il est
vrai que ces provinces, réputées conservatrices, n’ont pas activement participé au soulèvement de 2011 comme Le
Caire, Alexandrie, ou diverses provinces du Delta. Pourtant, si la ‘révolution’ de 2011 n’est, en effet, pas partie de ces
régions éloignées et négligées par le pouvoir central du Caire, elle y a eu un impact indéniable sur des populations qui
ont subi ses retombées économiques (les économies des provinces de Louxor et d’Assouan ont tout particulièrement
souffert de la baisse du nombre de touristes), et ont par la suite acquis une toute nouvelle culture protestataire. Les deux
années ayant suivi le soulèvement ont vu se multiplier les protestations, y compris en milieu rural, relatives à des
problèmes qui existaient parfois depuis de nombreuses années. Les ‘Saidi’ ou habitants du sud de l’Égypte ont ensuite
participé en masse aux manifestations du 30 juin 2013. Or, bien plus que des activistes ou groupes politiques locaux, ce
sont des réseaux de proximité tissés dans les quartiers populaires ou villages, et maintenus par l’appartenance à une
population particulière, l’adhésion à ou la fréquentation d’un club culturel ou sportif, d’un café, d’un établissement
136
éducatif, qui facilitent la mobilisation de ces protestataires occasionnels. En outre, dans ces espaces géographiques plus
restreints, où tout le monde se connaît, la sociologie politique ne saurait faire l’impasse sur les différentes loyautés à
l’œuvre, telles que la famille élargie et les allégeances tribales. C’est la contribution à la mobilisation des classes
populaires de ces multiples réseaux et appartenances qui se chevauchent que je me propose d’étudier, à travers des
exemples de protestations qui m’ont été rapportées dans les régions de Louxor et d’Assouan entre février 2011 et mai
2014. Au-delà des processus locaux de mobilisation, je m’intéresserai aux implications de ces mouvements sur
l’évolution du rapport à l’autorité (politique, militaire, morale…). Je m’interrogerai également sur leurs limites,
notamment les raisons de leur caractère éphémère, ainsi que leur vulnérabilité à la puissance démobilisatrice de médias
tels que la télévision, et à la cooptation dans un environnement politico-culturel qui demeure fortement marqué par le
patronage et le clientélisme.
Entre centralité et marginalité. La résistance et la politisation d’un quartier contre
la transformation urbaine à Ankara
Erdi Lelandais G.
CNRS
Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, des projets d’aménagement et de transformation urbains sont entrepris dans
l’ensemble du pays, restructurant en profondeur la morphologie sociale, politique et culturelle des villes turques. Dans
ce cadre, de nombreux quartiers ont été totalement détruits et/ou rénovés, engendrant parfois des déplacements forcés,
évictions, con!its et ségrégations. Ces phénomènes provoquent, comme dans le cas de Dikmen, des réactions, voire des
résistances de la part d’habitants concernés posant comme question le rapport à l’espace en tant que créateur des
mémoires collectives et des appartenances identitaires et culturelles, notamment à l’échelle du quartier. Mon objectif,
par cette communication, est d’analyser ces formes de résistance et de politisation à la lumière de l’exemple de Dikmen.
Tout en adoptant une approche processuelle, j’analyserai ces résistances sous deux catégories. Je m’intéresse d’une part
aux formes de mobilisations collectives entreprises par les habitants à travers des répertoires d’action comme
affrontement de rue, construction de barricades, actions de sit-in devant le Parlement, fondation d’un bureau du droit au
logement, établissement de canaux politiques et juridiques de soutien au quartier et leur participation aux résistances de
Gezi Park en juin 2013. D’autre part, j’étudie les pratiques quotidiennes des résistances des habitants, à travers
l’observation de leur vie de tous les jours. Ces pratiques s’inscrivent davantage dans une stratégie d’appropriation de
l’espace du quartier et dans une posture d’identi.cation via des stratégies de survie. On peut donner l’exemple de
l’embellissement des jardins, de l’établissement de relations de solidarité y compris avec les chiffonniers et les réfugiés
syriens installés récemment par la mairie dans le quartier, du maintien des relations de voisinage et de l’établissement
d’un système de guet et de contrôle d’accès au quartier. Il s’agira là d'un effort de la part des habitants d’intégrer dans la
centralité urbaine leur quartier localisé et dé.ni dans les marges. Situant mon analyse aux croisées des travaux d’Henri
Lefebvre sur le droit à la ville et la production de l’espace, de James Scott sur la culture subalterne et le « hidden
transcript » et de Michel de Certeau sur les manières de faire qui consistent à exprimer une certaine contestation à
travers les pratiques spatiales de la vie quotidienne, je tenterai de démontrer l’ambiguïté socio_politique de ce quartier
entre centralité et marginalité.
L'hypothèse de cette recherche est la suivante : A l’exception de certains quartiers connus par leur engagement politique
historique dès les années 1970 dans l’ensemble de la Turquie et des militants déjà engagés dans différentes
organisations de défense des causes, la politisation d’une grande partie des habitants dans les métropoles turques semble
être la conséquence d’une urbanisation néolibérale visant directement leur espace de vie. Le quartier caractérisant cet
espace de vie avec tous les liens, réseaux et solidarités sociaux et contribuant de ce fait à une grande partie de la
socialisation des individus joue un rôle important dans la formation de leur identité et mémoire collective. Dans ce
cadre, toute tentative visant sa transformation et destruction est considérée par une partie des habitants comme une
menace contre leur existence au sein de la ville. Dans la plupart des cas, la peur de se faire éloigner de la ville et de
perdre son quartier et ses liens sociaux ne se transforme pas en une résistance ni entraîne une politisation. Les habitants
acceptent souvent les projets, les solutions proposées et les décisions prises par les autorités publiques sur leur sort.
Néanmoins, il arrive également parfois que la disparition ou le risque de disparition de leur quartier ou les discours de
stigmatisation utilisées par des acteurs publics sur leur quartier pour justi.er la rénovation politisent les habitants
auparavant non-politisés et leur fournit une conscience politique au cours de la résistance organisée.
« Göttingen, c'est une bulle » ? Espace commun/espaces séparés et rapport genré à
l'espace dans la gauche radicale de Göttingen.
Fourment E.
Sciences Po
Ce projet de communication s'appuie sur un travail ethnographique de 5 mois effectué pour mon mémoire de master.
Durant cette période, j'ai partagé la vie des militant.e.s féministes et/ou antifascistes de Göttingen (Allemagne, 120.000
habitants), que ce soit dans les colocations, les bars ou en manifestation, tenant quotidiennement mon carnet de terrain.
J'ai par ailleurs mené 24 entretiens de 2 à 5 heures avec des militant.e.s féministes et parcouru les archives disponibles.
J'aimerais ici prolonger ce travail par des ré!exions sur le rapport des militant.e.s aux espaces urbains qu'ils/elles
traversent et construisent. En partant d'une conceptualisation de l'espace comme à la fois structuré et structurant
(Auyero, 2005), et ainsi, comme engagé dans un processus constant de redé.nition dans l’interaction
militant.e.s/contraintes spatiales et géographiques, ce projet de communication propose de se pencher sur la façon dont
137
les militant.e.s décrivent, d'une part, « la scène de gauche » de Göttingen comme un espace protégé commun, une
« bulle », et distinguent, d'autre part, au sein de cette « bulle » deux espaces séparés : les « scènes » féministe et
antifasciste. Je mobiliserai pour cela des travaux prenant en compte le rôle de l'espace dans les mouvements sociaux
ainsi que les ré!exions menées en études de genre sur le rapport genré à l'espace.
L'histoire militante de Göttingen se caractérise par une forte présence du mouvement autonome à partir des
années 1980. Ses militant.e.s s'y sont distingué.e.s du reste de la gauche « alternative » de la ville en ce qu'ils/elles ont
posé comme priorité politique l'appropriation d'une maison pour en faire un centre culturel et politique (Schwarzmeier,
1999). De façon générale, les autonomes allemands ont ceci d'intéressant qu'ils/elles ont activement et consciemment
voulu créer ces « espaces libres et protégés » que W.H. Sewell (2001) considère comme la condition d'existence même
d'un mouvement social. Tel qu'expliqué par d'ancien.ne.s militant.e.s, il s'agissait de créer des lieux – des bars, des
squats culturels, des collocations, des magasins « alternatifs » – et par là une routine, un quotidien qui rassemble les
militant.e.s au sein d'une « scène » et assure une capacité de mobilisation (Schultze&Grosss, 1997:17).
Aujourd'hui, les militant.e.s de la gauche radicale de Göttingen ne se désignent plus comme « autonomes »
mais comme antifascistes. Ils et elles ont hérité d’espaces à la fois structurés par les caractéristiques géographiques de la
ville et par la conception politique de l’espace de leurs prédécesseur.e.s. J'aimerais ici montrer que ces éléments sont
essentiels à la compréhension du sentiment des militant.e.s d'à la fois posséder la ville et d'appartenir à une même unité
protégée, la « scène », la « bulle » : les lieux politiques culturels et de loisirs sont ceux aménagés par les autonomes ; la
petitesse de la ville a fait de la réappropriation de son centre un enjeu majeur, des années 80 à aujourd’hui ; elle a aussi
amené à des alliances inédites entre différentes tendances politiques ; l'activité de l'université, qui dé.nit l'identité même
de la ville, impose son rythme et sa population. Les travaux de D. Zhao (1998) et de Y. El Chazli (2012) ayant montré
qu'une con.guration spatiale (les dortoirs étudiants à Beijing, la place Tahrir au Caire) peut être productrice d'une
sociabilité spéci.que, je m'intéresserai ici particulièrement aux types de relations sociales nouées au sein de ces espaces.
Néanmoins, cette description de Göttingen comme une espace commun protégé coexiste avec une distinction
fréquemment faite entre « scène féministe » et « scène antifasciste ». Les militant.e.s féministes et antifascistes évoluant
dans les mêmes espaces, voire étant les mêmes personnes, cette distinction entre en contradiction avec l'idée autonome
selon laquelle la fréquentation de mêmes lieux créent le sentiment d'appartenir à une même « scène ». On retiendra ici
l'observation de C. Hmed (2008:160) selon laquelle la coprésence ne suf.t pas à créer des appropriations et
représentations communes d'un espace si les frontières sociales qu'elle cache ne sont pas surmontées. Ce projet de
communication aimerait montrer que cette séparation entre deux espaces relève d'un rapport genré des individus à
l'espace public, selon leur socialisation et leur inscription dans des rapports de domination liés à leur identité de genre
(femmes, hommes, trans). Je montrerai qu'à Göttingen, la politique féministe de l'espace consiste à s'approprier et à
aménager des lieux, non seulement protégés de l'extérieur (des néonazis, du contrôle de l'État), mais aussi préservés des
« dangers » de l'intérieur, à savoir, du manque de con.ance en soi dans la prise de parole, du manque de prise au sérieux
des émotions, du regard sexualisant des hommes et des violences sexuelles. Plus que des espaces libres et protégés, les
militant.e.s féministes cherchent à créer des espaces que j'appellerai ici « bienveillants », dans lesquels les valeurs
défendues relèvent de l'éthique du care (Gilligan, 1982) et qui sont révélateurs des rapports de genre qui traversent la
gauche radicale de Göttingen. Les travaux effectué sur le genre dans les milieux militants (Fillieule&Roux, 2009) ainsi
que la description de J.Halberstam (1998) du « bathroom problem » nous aideront ici à comprendre comment une
dichotomie féminin/masculin est reproduite dans la construction des espaces militants de Göttingen.
Bibliographie
AUYERO J. « 'L'espace des luttes' Topographie des mobilisations collectives ». Actes de la recherche en sciences
sociales, 2005/5 n°160, p. 1226132.
EL CHAZLI Y. « Sur les sentiers de la révolution. Comment des Égyptiens « dépolitisés » sont-ils devenus
révolutionnaires ? Revue française de science politique, 2012/5 Vol 62, p.843-865.
FILLIEULE O.&ROUX P. dir. Le sexe du militantisme. Paris : Presses de Sciences Po, 2009.
GILLIGAN C. « In a different voice : women’s conception of self and morality. » Harward Educational Review, 1982,
vol.47, n°4, p.481-517.
HALBERSTAM J. Female Masculinity. Londres: Duke University Press, 1998.
HMED C. « Des mouvements sociaux 'sur une tête d'épingle' ? Le rôle de l'espace physitque dans la processus
contestataire à partir de l'exemple des mobilisations dans les foyers de travailleurs migrants. Politix, 2008/4 n°84,
p.145-165
SCHULTZE&GROSSS. Die Autonomen [Les autonomes]. Hamburg: Konkret Literatur Verlag, 1997.
SCHWARZMEIER J. Die Autonomen zwischen Subkultur und sozialer Bewegung. [Les autonomes, entre subculture et
mouvement social] Göttingen : Books on Demand. 2000.
SEWELL W.H. « Space in Contentious Politics » In : AMINZADE R.&all. Silence and Voice in the Study of
Contentious Politics. Cambridge : Cambridge University Press, 2001, p.51-88.
ZHAO D. « Ecologies of social Movements : Student Mobilization during the 1989 Prodemocracy Movement in
Beijing ». American Journal of Sociology, vol. 103, n°6, 1998, p.1493-1529.
138
ST 25 : Les recompositions des espaces politiques post-crises :
mobilisations, engagement, désengagement et transitions
Session 1 : Crises et recompositions post-crise de l’espace politique
Coups de forces et recomposition de l’espace politique au Mali
Camara B.
Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)
A la différence du coup d’Etat militaire de 1968, ceux de 1991 et 2012 ont été occasionné en amont ou en aval par des
mouvements sociaux contestataires. Celui de 1991 a favorisé l’amorce du processus démocratique au Mali en 1992. Le
mouvement démocratique de la .n des années 1980 était composé de plusieurs associations et groupements d’intérêts
opposés au régime dictatorial du Général Moussa Traoré. Cette opposition et les luttes de diverses formes contre le
régime a donné naissance au coup d’Etat en 1991 suivi d’une transition et des élections libres. De 1992 à 2014,
plusieurs « élections démocratiques » ont eu lieu. Des partis politiques sont nés, des coalitions de partis et
d’associations ont vu le jour pour la conquête du pouvoir. En fait, depuis 2006, le Mali est confronté à l’une des graves
crises de son existence : la mal gouvernance, des tra.cs de tous ordres, la rébellion et le terrorisme au Nord du pays, la
débandade de l’armée face à l’irrédentisme touareg et le coup d’Etat de mars 2012. Des partis politiques se sont
disloqués, d’autres sont nés et de nouvelles associations (religieuses, politiques ou apolitiques), des groupes d’intérêt et
de coalitions de partis ou d’associations ayant des intérêts divergents et des objectifs différents ont vu le jour. Ces
groupes d’intérêt politiques ou non ont tous lutté pour le changement ou ont combattu le pouvoir en place pour atteindre
des objectifs politiques religieux ou territoriaux. La question centrale est de savoir comment l’espace politique malien
s’est recomposé après la révolution et le coup d’Etat de 1991 et le coup de force de 2012. Quel était l’objectif général
des différents groupes d’intérêt qui se sont formés après ces crises majeures ?
À l'ombre du coup, en marge du champ, au centre du monde : intelligentsia
militante et routinisation-par-extraversion du jeu politique de crise au Venezuela
(1999-2014)
Andréani F.
CERI-Sciences-Po / CERAPS-Lille2
Cette communication explore les logiques socio-spatiales de polarisation de (contre-)mobilisations multisectorielles au
cours de la principale crise (proto-revolutionnaire) qu'a connu le Venezuela bolivarien (à ce jour) -- soit entre 2002-2004
--, ainsi que de leur routinisation ultérieure, et en particulier des rapports qui s'y jouent entre leur re-sectorisation et leur
trans-nationalisation relatives (2005-2013). Elle se base sur une enquête qualitative (entretiens, observations, archives)
menée au Venezuela (2007-10) et en France (2009-14) auprès d'une centaine d'acteurs travaillant dans les
(sous-)secteurs culturels et/ou (para-)étatiques constitutifs des réseaux de 'solidarité' entre les gauches européennes (PG,
PCF & partis de GUE, NPA ...) et les organisations coalisées dans le gouvernement bolivarien (PSUV, PCV, chavisme
'critique', trotskyste) : médias 'alternatifs' (Monde Diplo, Acrimed et 'équivalents' (semi-of.ciels) outre-atlantique),
éducation 'populaire' (universités bolivariennes, ATTAC) et arts 'urbains', conseil et contre-expertise (CEPS, CADTM),
diplomatie militante (ambassade, Cercles bolivariens).
Dans le cours de la crise multisectorielle de 2002-2004 -- coup d'État et contre-coup, (contre-)black-out médiatique,
(contre-)lock-out pétrolier, (contre-)campagne pour la révocation référendaire de Chávez --, se (re)forment des cadrages
géopolitiques concurrents qui jouent le rôle de palliatifs à l'incertitude cognitive qui traverse aussi bien le camp antichaviste et (alors) nettement inter-élitaire (gérance pétrolière, haut gradés, patronat, médias, syndicats, église) que la
coalition (post-)électorale d'outsiders (ex-putschistes, ex-guérilleros, of.ciers, 'collectifs', 'marginaux' et quelques
patrons 'excentriques'). À partir de .n 2004, la démultiplication des circulations Nord-Sud constitutives des 'solidarités'
nées dans la crise -- et en partie professionnalisées -- accompagne (et nourrit) la routinisation d'un jeu électoral à la fois
ultra-polarisé et partiellement re-sectorisé (médias, institutions culturelles). Cette (contre-)'campagne globale'
permanente est le terreau de la réi.cation durable d'une géopolitique imaginaire du vote -- 'bataille idéologique',
'guérilla communicationnelle', 'lutte pour la contre-hégémonie' --, qui fonctionne autant (sinon plus) à l'asymétrie qu'à
l'homologie de positions transnationales entre ses co-producteurs vénézuéliens et 'alliés'. Au sein du chavisme, la
globalisation des enjeux électoraux (et leur primauté dans l'agenda 'révolutionnaire') participe de l'invisibilisation (sinon
de la relativisation) de la ré-actualisation (précoce) de transactions collusives inter- (et néo-) élitaires, et de la
subordination subséquente de la redistribution matérielle (santé, éducation, logement …) au régime d'accumulation
ordinaire du pétro-État (illégalismes économiques privés et publiques, impunité des putschistes et saboteurs).
Aussi la récente crise politique de 2014 (post-Chávez) peut-elle être vue comme le paroxysme de cette logique, mais en
présence (effective cette fois) d'une dégradation des conditions matérielles des classes moyennes libérales (outre des
chavistes et des classes populaires, mais qui sont à ce jour toujours relativement dé-mobilisées) : ultra-polarisation des
discours et modularité renouvelée des répertoires – violences étudiantes et (para-)policières ; pseudo-« dialogues de
paix » entre bureaucratie chaviste et patronat (légalisation de contournements consumés de la législation sociale et
139
.nancière) ; entérinement de la marginalisation et de la criminalisation des protestations dissidentes du bloc traditionnel
d'allégeances chaviste (ouvriers, indigènes) ; et prises de position corrélatives oscillant entre "voice", "loyalty" et
"apathy" du côté des secteurs culturels 'critiques' (locaux) qui s'auto-identi.ent toujours comme 'bases' ou 'marges' du
chavisme (réserves de votes 'conditionnées').
Bibliographie
- Andréani F., "Du nomadisme idéologique à l'allégeance partisane: les mondes franco-vénézuéliens de la réélection de
Hugo Chavez", Critique Internationale, 2013 (59), p. 119-132.
- Bayart J.-F. & alii, « Le concept de situation thermidorienne ... », Questions Recherche / CERI, 2008 (24).
- Bennani-Chraïbi M., Fillieule O., « Pour une sociologie des situations révolutionnaires (...) », RFSP, 2012/5 (62), p.
767-796.
- Coronil F., The magical State. Nature, money, and modernity in Venezuela, Univ. of Chicago Press, 1997.
- Diez F., McCoy J., International mediation in Venezuela, Washington D.C., U.S. Institute of Peace, 2011.
- Discepolo T. & alii (dir.), « Les intellectuels, la critique et le pouvoir » {dossier}, Agone, 2009 (41-42), p. 9-273.
- Dobry M., « Ce dont sont faites les logiques de situation », in Favre P. & alii (dir.), L'atelier du politiste, Découverte,
2007, p. 119-148.
- Fassin D., Vasquez-Lezama. P., « Humanitarian exception as the rule (…) in Venezuela », American Ethnologist, 2005
(32/3), p. 389-405.
- Friedman J., « Des racines et (dé)routes. Tropes pour trekkers », L’Homme, 2000 (156), p. 187-206.
- Hachemaoui M., « La rente entrave-t-elle la démocratie ? Réexamen critique (...) », RFSP, 2012/2 (62), p. 207-230.
- Harvey D., Géographie et capital. Vers un matérialisme historico-géographique, Paris, Syllepse, 2010.
- Lander L. E., López-Maya M., « El socialismo rentista de Venezuela (...) », in Daiber B. (dir.), La izquierda en el
gobierno (...), Bruxelles, Rosa Luxembourg Fondation, 2009, p. 221-240.
- Sapiro G., « Le champ est-il national ? La théorie de la différenciation (...) », ARSS, 2013/5 (200), p. 70-85.
Une mutation idéologique ? Salafistes en mouvement et mouvements salafistes : les
facteurs de l’intégration de l’islam « orthodoxe » dans le jeu politique égyptien
depuis 2011
Adraoui M
European University Institute
Notre proposition a pour vocation de faire la lumière sur les conditions de changement d’éthique politique et de
stratégie de prédication qui caractérisent certains mouvements sala.stes égyptiens depuis l’amorce révolutionnaire de
2011. Si le sala.sme est un concept religieux indéniablement pluriel, il est néanmoins possible de procéder à un essai de
typologie en vertu duquel certaines acceptions du terme débouchent sur un militantisme organisé au sein duquel l’effort
de prédication prend la forme d’un activisme politique « classique » (création de partis, animation de journaux,
organisation de manifestations…), parallèlement à d’autres visions insistant sur l’action violente révolutionnaire ou
encore sur la stricte exhortation par l’enseignement et le prêche.
La société égyptienne offre l’intérêt d’avoir abrité en quelques mois un changement de pratique politique puisque
certains mouvement d’obédience « sala.ste » ont fait le choix de pro.ter de la fenêtre d’opportunité offerte par la
dynamique révolutionnaire pour opérer une transformation doctrinale majeure. Passant d’un mouvement réfractaire à
l’engagement institutionnel à un modèle plus « traditionnel » d’activisme fondé sur la création de partis.
Si l’effet d’opportunité permis par le chute de Moubarak et la promesse d’une entreprise révolutionnaire l’a emporté sur
le conservatisme qui aurait justi.é de rester en dehors du jeu politique institutionnel, cela ne veut pas dire que l’appel du
militantisme organisé n’aurait pas joué tôt ou tard. Nous mettrons en avant la thèse d’une « contrainte » trop forte du
politique lorsqu’un mouvement souhaite exercer un magistère moral et un contrôle social conséquents.
La formation d'une « société civile islamique » en Tunisie : le cas de Sfax
De Facci D.
Paris 7
Le changement de régime en Tunisie ne se caractérise pas tout simplement par l'af.rmation des libertés politiques, mais
aussi par la poussée de l'engagement civique avec la création d'une multitude d'associations. La situation politique de
« transition » ouvre des nouveaux espaces d'organisation, où les actions menées par les associations se nouent avec les
administrations publiques, les ONG internationales, les partis politiques, les entreprises et les universités. La
140
structuration et l'institutionnalisation de ces espaces se font sur la base de mouvements sociaux de plus longue durée et
de con!its politiques conjoncturels.
Le cas de la ville de Sfax – pôle industriel connu pour son dynamisme entrepreneurial et son conservatisme religieux –
montre qu'autour d'associations culturelles, religieuses et caritatives semble se mettre en place un ensemble d'activités
non gouvernementales structurées, qui opèrent, en synergie entre elles, vers la même direction de l'organisation d'une
société complexe selon des principes d'action reconnus comme « islamiques ». De ce point de vue, et même par
opposition à une société civile existante qui s'est quali.ée elle-même comme « laïque », il semble possible de parler
d'une véritable « société civile islamique », qui serait plus qu'une multiplicité d'actions non coordonnées entre elles,
mais moins qu'un mouvement social diffus, avec une stratégie, des leaders et un public. Associations de promotion de
l'économie islamique et de la zakat (aumône), associations d'enseignement des sciences religieuses et du Coran,
associations de bienfaisance et de développement local : l'activité de ces associations se lie – par l'identité des militants,
la coordination des actions, les partenariats of.ciels et le partage des objectifs – aux activités de la faculté de sciences
économiques et gestion, des partis islamistes, d'entreprises guidées par des entrepreneurs « pieux », des banques
islamiques, ainsi qu'aux celles des grandes ONG du Golfe.
Loin d’être un phénomène nouveau et inattendu, cet activisme islamique a ses racines dans les mouvements islamistes
d'opposition à l'ancien régime : cette expérience est généralement partagée par les militants associatifs de la vieille
génération. Pourtant, la situation politique actuelle permet l'institutionnalisation d'un réseau structuré qui ressemble une
multitude d'activités différentes sous un même référent islamique. Si la nouvelle génération de militants peut être
considérée comme l'élite future produite par cette « société civile islamique », à l'intérieur de la nouvelle comme de la
vieille génération il existe un dualisme entre une partie plus liée aux expériences de mouvement et une autre partie plus
portée à l'institutionnalisation. Ce dualisme peut être saisi en suivant les stratégies différentes assumées par les militants
des associations. Il est important de focaliser l'analyse sur le processus d'institutionnalisation, qui a son moment le plus
abouti dans la structuration d'un « pôle » d'économie islamique, menant les militants associatifs vers la formation au
master de .nance islamique et vers l'emploi dans les banques islamiques.
L'exposé abordera trois questions principales concernant les parcours et les stratégies d'adhésion des personnes
engagées dans les associations considérées (1), la structuration et l'institutionnalisation du réseau qui se noue autour de
ces associations (2) et les modalités de légitimation du modèle de société promu par ces associations et leur réseau (3).
L'objectif sera de comprendre le statut et la portée de cette « société civile islamique » et de se demander dans quelle
mesure est-elle le fruit d'une stratégie d'hégémonie sur la société pensée au préalable.
Cette recherche se base sur une enquête de terrain – en cours – réalisée à travers des entretiens semi-directifs et des
récits de vie auprès de responsables et militants associatifs, ainsi que du personnel des organisations de leur réseau, et
d'observations participantes aux activités associatives. Seront utilisées aussi des analyses spatiales et des documents
produits par les organisations considérées.
Bibliographie
Bozzo, Anna, et Pierre-Jean Luizard. 2011. Les sociétés civiles dans le monde musulman. Paris: La Découverte.
Camau, Michel. 2002. « Sociétés civiles “réelles” et téléologie de la démocratisation ». Revue internationale de
politique comparée 9 (2): 213?232.
Haenni, Patrick. 2005. L’Islam de marché?: L’autre révolution conservatrice. Paris: Seuil.
Soli, Evie, et Fabio Merone. 2013. « Tunisia: the Islamic associative system as a social counter-power ».
https://www.opendemocracy.net/arab-awakening/evie-soli-fabio-merone/tunisia-islamic-associative-system-as-socialcounter-power
Session 2 : Mobilisations multisectorielles et réformes
#R4bia ou la transnationalisation paradoxale de la mobilisation des Frères
musulmans égyptiens
Vannetzel M.
Sciences Po Paris
La restauration autoritaire en Égypte permet de renouveler la ré!exion sur la transnationalisation des mobilisations, qui
peut intervenir dans les espaces politiques post-crises marqués par la répression d’un ou plusieurs de ses acteurs. Plus
précisément, il s’agit de s’interroger sur la transnationalisation contrainte d’un type de mobilisation sous-étudié par la
sociologie des mouvements transnationaux, à savoir les mobilisations politico-religieuses (Siméant, 2010), à partir du
cas des Frères musulmans égyptiens. En effet, la répression brutale mise en œuvre par le régime militaire au pouvoir
depuis juillet 2013 a contraint à l’exil des milliers de membres de cette organisation. Celle-ci était fortement dotée en
ressources internationales (liens historiques avec des mouvements se revendiquant de la même matrice idéologique) et
internes (moyens .nanciers, discipline organisationnelle…), qui paraissaient pouvoir garantir la diffusion transnationale
de la mobilisation frériste. Or, l’analyse empirique des modalités et des acteurs de cette transnationalisation met en
évidence un paradoxe : les principaux mobilisés dans ce processus ne sont pas des militants fervents de l’organisation
frériste, mais des dissidents marginalisés ou des agents extérieurs à celle-ci. Et cette transnationalisation a moins pris la
forme d’un redéploiement des stratégies et ressources de l’organisation à partir d’un nouveau territoire que celle de
141
l’émergence d’un réseau de défense de la cause « Frères musulmans ».
Ce réseau s’est principalement constitué sur le territoire turc, qui a connu l’af!ux de plusieurs centaines d’exilés, et
autour d’un événement : le massacre de la place Rab’a al-‘Adawiyya au Caire, le 14 août 2013. Ce jour-là, environ un
millier de manifestants, qui occupaient la place en soutien au président Frère musulman Mohamed Morsi, élu en juin
2012 et destitué un an plus tard, avaient été tués par la police et l’armée égyptiennes. Le 17 août, le premier ministre
turc, opposé au nouveau régime militaire égyptien, déclarait publiquement son soutien aux manifestants et aux victimes,
en faisant de la main le signe qui était alors en train de devenir le symbole du massacre de Rab’a : quatre doigts tendus
et le pouce replié.
La diffusion de ce symbole et du hashtag #R4bia (nom stylisé de Rab’a), à partir de la Turquie, s’est étendue à de
nombreux pays à travers les réseaux sociaux virtuels ; une plateforme rassemblant de multiples organisations et
personnalités s’est mise en place; plusieurs manifestations et sit-in ont été organisés; et des médias de contreinformation sur l’Égypte ont commencé à émettre depuis Istanbul. Le tout semble constituer un réseau cohérent
structuré autour d’une stratégie homogène et d’une division organisée du travail militant. Pourtant, ces actions ont été
portées, sans agenda unitaire, voire sans coordination, par des agents locaux extérieurs à l’organisation frériste ou par
des militants (ex-)Frères musulmans en voie de désengagement ou désengagés au cours de la période 2006-2011
(Vannetzel, 2014).
Ainsi la constitution paradoxale de ce réseau montre comment la transnationalisation d’une mobilisation peut intervenir,
suivant des logiques contingentes, en même temps que l’organisation initialement porteuse est en crise (Grojean, 2013).
Elle éclaire aussi comment un événement peut contribuer à recomposer les contours et les hiérarchies de ce réseau: non
seulement ses effets socialisateurs peuvent susciter ou renforcer l’empathie pour la cause, mais il ouvre également des
possibilités de réinvestissements et donc de redé.nitions de la cause. Les mobilisés ne font pas que soutenir les Frères
musulmans victimes de la violence de Rab’a, mais se réapproprient l’événement à partir de leurs différentes positions
(agents extérieurs aux pro.ls variés, désengagés, dissidents, militants loyaux, leaders), en construisent leurs propres
mises en récit et signi.cations, et l’inscrivent dans des stratégies concurrentes.
La communication s’appuiera sur une enquête de terrain originale menée à Istanbul entre août et décembre à partir
d’observations et d’entretiens semi-directifs, et combinera étude des trajectoires et cartographie du réseau militant.
Bibliographie
O. Grojean, « Comment gérer une crise politique interne ? Façonnage organisationnel du militantisme, maintien de
l'engagement et trajectoires de défection », Politix, 2013/2.
J. Siméant, « La transnationalisation de l’action collective », in Eric Agrikoliansky, Olivier Fillieule et Isabelle
Sommier, Penser les mouvements sociaux, La Découverte, 2010, p. 121-144.
M. Vannetzel, « Liaison tourmentées: affection, désaffection et défection chez deux jeunes ex-Frères musulmans
égyptiens », Critique internationale, octobre 2014, à paraître.
L’indépendance de la justice dans le processus constituant
postrévolutionnaire. Mobilisations collectives et conjoncture 5uide.
tunisien
SOM I J.
IRMC-TUNIS
Le 23 octobre 2011, les tunisiens élisent lors d’une élection pluraliste une assemblée nationale constituante de 217
membres ayant parmi ses missions principales la rédaction de la nouvelle constitution démocratique postrévolutionnaire de la Tunisie. Cette assemblée nationale constituant siège ensuite pendant trois ans et dote la Tunisie
d’une constitution qui est de l’avis de tous garante d’un régime démocratique.
Tout ne va pas pourtant de soi au soir du 14 janvier 2011 après la fuite de Ben Ali. En effet, la Commission pour la
réforme politique mise en place par Mohammed Ghanouchi et présidée par Yadh Ben Achour va s’engager dans un
premier temps dans un processus de révision constitutionnelle. Il faudra les mobilisations collectives Kasbah 1 et
Kasbah 2 pour orienter la trajectoire du changement politique vers une assemblée constituante élue.
L’objectif de cette communication est alors de montrer, en se servant du processus d’écriture de la constitution comme
.l rouge, dans quelle mesure la trajectoire de changement de régime est demeuré incertaine entre le 14 janvier 2011 et
le 27 janvier 2014. Il s’agit notamment d’insister sur l’importance des mobilisations collectives dans la détermination de
cette trajectoire. Notre attention est portée sur le tissage constitutionnel dans les dispositions relatives à l’indépendance
de la justice. Il s’agira alors d’observer comment les organisations de magistrats, d’avocats, de justiciables, tout comme
d’ailleurs les députés de l’Assemblée Nationale Constituante vont se mobiliser à travers des grèves, sit-ins et autres
mobilisations pour in!uencer le processus constituant. Il s’agit alors de saisir le processus constituant en Tunisie comme
un moment de la transition démocratique.
Plus concrètement, nous allons tenter de répondre à la série de questions ci-après. Comment la constitution et surtout
son écriture deviennent un enjeu central du processus de démocratisation ? Cela va t-il de soi ou cela résulte de la
trajectoire incertaine de la transformation de régime en Tunisie ? Quels sont les institutions, organes, organisations
impliqués dans ce processus de rédaction constitutionnelle ? Quel est le rôle de chaque acteur durant ce processus ?
Celui-ci est-il linéaire, erratique, imbriqué, uni ou plurimodal ? Dans quels espaces s’écrit la constitution ? Quelle place
142
accordée aux externalités, notamment les mobilisations collectives, les dynamiques politiques nationales et régionales
voire mondiales ?
Dans le cadre de cette modeste étude, nous avons conduis vingt neuf entretiens semi-directifs formels pour cette étude.
Ces entretiens concernent des députés de l’ANC, les acteurs d’organisations internationales, les représentants des
professionnels de la justice et les associations tunisiennes.
A travers le rôle des organisations de magistrats, nous montrons comment des acteurs vont faire sortir l’élaboration
constitutionnelle en dehors de l’ANC. La puissante Association des Magistrats Tunisiens (AMT) participe ainsi d’un
mouvement de désectorisation car ce qui peut paraître une affaire de spécialistes devient très vite un débat de société.
Les rivalités entre l’AMT et le Syndicat des Magistrats Tunisiens (SMT) montrent que les acteurs ont conscience des
enjeux et de l’opportunité d’in!uer sur la trajectoire du changement qui est en cours. Nous assistons donc ainsi à une
transformation des organismes de représentation de la magistrature qui correspond aussi à certains égards à une mise en
concurrence des intérêts et des agendas.
Nous montrons que le gouvernement Ennahdha va faire alliance avec un appareil bureaucratique qui lui a été longtemps
hostile durant l’ère Ben Ali. Cette recomposition des alliances s’observe aussi entre Nahdah qui devient hostile aux
organisations de défense des libertés ou au tribunal administratif qui constituaient avant la chute de l’ancien régime des
recours face à celui-ci. Nous montrons que l’ANC est soumise à tout ce qui se passe en dehors, souvent hors de
frontières. Les rapports de force sont tout le temps fragiles. Il y a une permanente négociation. Il s’agit de montrer que
au sein même de l’ANC, dans chaque commission, s’inscrit à faible ou grande amplitude selon les moments, le vaste
mouvement de la !uidité politique.
En somme, cet article montre la place centrale, et à certains moments prépondérante, des mobilisations collectives dans
le processus d’écriture constitutionnel. Plus fondamentalement, à partir du cas de la rédaction du chapitre V sur ces
dispositions en matière d’indépendance de la justice, nous mettons en lumière le rôle de premier ordre des mobilisations
collectives dans la dé.nition de la trajectoire du changement de régime de la Tunisie depuis le 14 janvier 2011 au 27
janvier 2014.
La réforme (impossible?) de la police au Kenya.
Maupeu H.
Université de Pau et des Pays de l'Adour
Après les terribles violences post-électorales de 2008 (près de 1500 morts), le Kenya a usé de la palette habituelle des
techniques de « peacebuilding » dont la classique réforme de la police. Peu après la crise, une commission d’enquête a
étudié le rôle des forces de l’ordre durant le con!it et a recommandé de nombreux changements. Depuis, cette réforme a
été globalement mise en œuvre, sans que les méthodes, l’ef.cacité et les perceptions populaires de cette administration
ne changent.
Nous étudions cette réforme en tant que site d’observation signi.catif pour appréhender les recompositions des espaces
politiques au Kenya, en mettant l’accent sur deux angles d’approche.
-Police et autres réformes post-crise : dans quelle mesure la lutte contre l’impunité des responsables des massacres de
2008 in!ue sur le travail des policiers, sachant que deux des inculpés de la Cour pénale internationale sont devenus en
2013, Président et Vice-Président de la République ? La réforme de la justice a donné davantage d’indépendance aux
juges. Comment réagissent-ils face à des pratiques policières peu conformes à l’état de droit ? La décentralisation con.e
aux autorités décentralisées des fonctions de police. Comment se négocient les relations entre les structures nationales et
les forces locales ?
-Police et gestion de l’insécurité : nous étudierons trois situations : la lutte contre la criminalité dans les villes, les
massacres récurrents dans les zones semi-désertiques du pays et la lutte contre le terrorisme.
Session 3 : Processus de politisation, parcours militants
De la guerre civile à l’émergence politique des jeunes en Côte d’Ivoire
Koné G.
Université Alassane Ouattara de Bouaké
La littérature sur la problématique des jeunes face à l’ordre politique en Afrique est traversée par le constat d’une
jeunesse plutôt dominée, manipulée et soumise au diktat des aînés. Contrairement à cet argument qui a, tout de même,
re!été la réalité des rapports politiques intergénérationnels d’une époque dans la vie des pays africains nouvellement
indépendants, la Côte d’Ivoire offre un tout autre spectacle marqué par une amorce d’émergence politique des jeunes
depuis la .n de la décennie de guerre civile (2002-2010). Certes, du côté des ex-Jeunes Patriotes au sud du pays, la
lecture du phénomène d’af.rmation politique de la catégorie jeune reste encore brouillée eu égard à leur nonparticipation aux élections locales de l’après-guerre en raison notamment de la .n tragique de la crise postélectorale de
2010 et de la perte du pouvoir d’État par leur soutien politique, l’ancien Président Laurent Gbagbo. Force est cependant
de reconnaître que l’élan d’émancipation politique s’exprime avec beaucoup d’acuité au sein des jeunes de l’aile
politique des ex-Forces Nouvelles de la rébellion. A titre d’illustration, l’ancien secrétaire général de la rébellion Guillaume Soro - est devenu ministre d’État en 2003 à 31 ans avant d’accéder au poste de Premier ministre en 2007
143
puis de président de l’Assemblée nationale en 2011. Le phénomène qui s’observe avec les jeunes du nord de la Côte
d’Ivoire laisse croire que dans une Afrique qui présente le paradoxe d’être le continent dont la population est la plus
jeune du monde mais qui est gouvernée par les dirigeants les plus vieux de la planète, la jeunesse - confrontée à la crise
du système censé leur donner les chances d’une autonomisation et la crise sévère de l’emploi qui s’en suit – semble
avoir pris conscience qu’elle peut s’imposer politiquement en s’organisant. L’enjeu de cette communication n’est pas de
revenir sur la question largement débattue des motivations de l’engagement politique de la jeunesse ivoirienne durant
dix ans de con!it armé mais bien plutôt de comprendre les registres que ces jeunes mobilisent parmi tant d’autres pour
s’auto-légitimer dans le jeu politique en contexte post-crise.
Notre analyse se base sur des enquêtes directes réalisées de 2007 à 2010 auprès des Jeunes Patriotes dans le cadre de
nos recherches doctorales ainsi que sur un travail de terrain réalisé depuis 2012 auprès des ex-Jeunes Patriotes, des
députés de moins de 40 ans au sein de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire (projet postdoctoral .nancé par la
Fondation Volkswagen). Nos enquêtes précédentes avaient déjà montré comment les parlements de rue abidjanais
constituaient, pour les Jeunes Patriotes, des lieux d’apprentissage quotidien de l’art oratoire et, par de-là, la politique
(voir Gnangadjomon Koné 2014 Les Jeunes Patriotes ou la revanche des porteurs de chaises en Cote d’Ivoire. Ouvrage
à paraitre). Alors que le « modèle ivoirien » de promotion sociale se basait sur l’institution scolaire et l’intégration des
jeunes à la fonction publique, l’engagement des jeunes dans la violence politique a pris la place de l’école, depuis la .n
des années 1990, comme espace privilégié de lutte entre cadets et aînés sociaux. Cette communication se propose de
retracer les dynamiques de ces luttes pendant et après la profonde crise politique que la Côte d’Ivoire a traversée.
Bibliographie
Aguilar Mario I. (1998) The politics of Age and Gerontocracy in Africa. Africa World Press, Inc.
Any-Gbayéré, S. (2003). «Financement de l’éducation et démocratisation en Côte d’Ivoire.» Revue
Ivoirienne des Lettres et Sciences Humaines(6) Pp.83-94.
Banégas, R. (2007). «Côte d’Ivoire : les jeunes « se lèvent en hommes » Anticolonialisme et ultranationalisme chez les Jeunes patriotes d’Abidjan.» Les études du CERI Vol.137 (Juillet):
52 pages.
Coquery-Vidrovitch C. (1992) Des jeunes dans le passé et dans le future du sahel. In Hélène d’Almei- da-Topor ;
Cathrine Coquery- Vidrovitch et al. (Eds) Les jeunes en Afrique. Evolution et rôle (XIXème siècle) Tom1, L’harmattan
pp35-63
Fauré, Y. (1993). “Democracy and Realism: Re!ections on the Case of Cote d’Ivoire.” Journal of the
International African Institute Vol.63, N°.3, Understanding Elections in Africa: Pp.313-329.
Koné, G. (2014). Les Jeunes Patriotes ou la revanche des porteurs de chaises en Côte d’Ivoire. Abidjan, Editions Les
Classiques Ivoiriens
Mampilly Zachariah C. (2011) Rebel Rulers. Insurgent governance and civilian Life during war.
Crnell University Press
Proteau, L., Ed. (2002). Passions scolaires en Côte d’Ivoire : École, État et société. Paris, Karthala. Quivy,
La construction sociale et politique d’une nouvelle catégorie d’acteur politique :
les « jeunes » dans le processus de transition politique au Yémen
Breton M.
Université Paris 1 La Sorbonne
Suite au mouvement contestataire de 2011 au Yémen, la Conférence du Dialogue national, organisée sous l’égide des
Nations Unies du 18 mars 2013 au 24 janvier 2014, a été l’occasion d’une recomposition symbolique de la société
yéménite. Des groupes peu représentés politiquement jusqu’alors ont pu faire leur entrée sur la scène politique : les «
jeunes » et « femmes ». Dans une société patriarcale où par dé.nition la parole des hommes prime sur celle des femmes,
et celle des aîné•e•s sur les jeunes, la participation de « jeunes » et de « femmes », avec à la fois des listes spéci.ques et
des quotas, a été présentée non seulement comme une manière de donner la possibilité de s’exprimer à celles et ceux qui
sont exclu•e•s de la scène politique mais aussi de renouveler le personnel politique et de moderniser la vie politique.
Dans cette communication, nous nous proposons d’analyser la construction sociale et symbolique de la catégorie «
jeunes » en la considérant comme un analyseur à la fois des transformations en jeu dans cette transition politique et des
enjeux qui sous-tendent l’institutionnalisation de cette nouvelle catégorie (Bennani-Chraïbi et Farag, 2007). En d’autres
termes, il s’agira d’analyser d’une part le rapport des acteurs du champ politique yéménite et des organisations
gouvernementales internationales à cette jeunesse, d’autre part le rapport de la jeunesse yéménite au politique.
Certes, le mouvement contestataire de 2011 est généralement appelé « la révolution paci.que de la jeunesse » et les
jeunes en sont considéré•e•s comme les initiatrices et initiateurs. Des coalitions et plateformes de jeunes
révolutionnaires sont apparues qui mettent en avant cet aspect de leur identité, telles la Coalition Civile de la Révolution
144
de la jeunesse. Mais la dé.nition de la catégorie « jeunes » au sein de la Conférence du Dialogue National comme des
personnes âgées de moins de 40 ans, surprend dans un pays où près de 63% de la population a moins de vingt-cinq ans.
S’agit-il dès lors de limiter la participation des plus jeunes pour privilégier des trentenaires que l’on espère plus «
mesurés » mais aussi plus enclins à adopter les règles du jeu politique institué ? Comment les bailleurs occidentaux,
particulièrement préoccupés par les jeunes hommes yéménites, considérés comme de potentielles recrues pour des
groupes terroristes, ont-ils contribué à construire cette catégorie ces dernières décennies ?
On peut noter à cet égard l’opposition opérée implicitement par les bailleurs entre d’un côté la catégorie « jeunes »,
généralement pensée comme des jeunes hommes en dif.culté d’intégration et donc potentiellement un « groupe à
problème », et de l’autre côté la catégorie des « femmes » envisagées principalement comme « victimes ». Cette
opposition interroge sur les jeux de concurrence et d’alliance qui peuvent en résulter. Quelles ont été les stratégies mises
en place par les « jeunes » membres de la conférence du dialogue national ? Ces représentants des « jeunes » » et des «
femmes » portent-ils des revendications communes ou ne partagent-ils rien d’autre que des caractéristiques physiques
(être de sexe féminin d’une part, avoir moins de 40 ans d’autre part) ? En.n, et plus largement, ces nouveaux et
nouvelles venu•e•s bousculent-ils le jeu politique institué ?
Telles sont les deux séries de questions auxquelles nous tâcherons de répondre dans cette communication qui s’inscrit
dans le cadre d’une thèse effectuée à Paris 1 sous la direction de Delphine Dulong portant sur les conditions
d’émergence d’une conscience de genre au Yémen, et pour laquelle un terrain de trois années a été réalisé auprès
notamment d’une association féminine. Cette communication repose sur le matériau empirique recueilli sur place au
printemps 2014 , soit une vingtaine d’entretiens semi-directifs, l’observation de réunions et la collecte de documents
institutionnels, portant principalement sur la Conférence du Dialogue National.
Les chrétiens dans la crise égyptienne, enjeux et perspectives d’une militance
plurielle
Kaoues F.
Aix-Marseille
L’Égypte connaît une transition politique extrêmement troublée depuis le renversement le 3 juillet 2013 de Mohammed
Morsi, le premier président démocratiquement élu dans le pays. À la suite de ces évènements, le pays a été le théâtre de
violences massives qui ont particulièrement ciblé les Frères musulmans et leurs alliés. En outre, les heurts
intercommunautaires ont connu au même moment un seuil inégalé, ciblant particulièrement les chrétiens. A partir d’un
terrain réalisé en Égypte et en France de 2009 à 2014, nous proposons d’analyser les recompositions à l’œuvre au sein
des chrétiens égyptiens, dans le contexte d’une polarisation politique de plus en plus af.rmée.
Pendant des décennies, les coptes égyptiens ont manifesté une particulière passivité en matière politique et une forme de
retrait de la scène publique. Depuis quelques années cependant, de nombreux chrétiens égyptiens ont renoué avec une
forme de militance sociale et politique, et participé de manière enthousiaste au soulèvement populaire qui a abouti à la
chute de Moubarak en janvier 2011.
Il est possible de distinguer deux courants principaux au sein des chrétiens égyptiens ayant rejoint la scène publique
depuis quelques années. Le premier est un courant of.ciel, composé de représentants communautaires reconnus par les
autorités. Il s’agit d’un courant légaliste, pragmatique, travaillant à une modi.cation progressive des statuts des
minorités qui prenne en compte la réalité sociopolitique de l’Égypte.
Un second courant est constitué de mouvements militants très politisés qui s’organisent en dehors des institutions
cultuelles et ont connu un fort essor ces dernières années. Cette mouvance est souvent décrite par les médias comme «
progressiste » mais elle paraît par trop hétérogène pour être quali.ée de la sorte. Le plus souvent, ces chrétiens
s’organisent à distance de la hiérarchie de l’Église, refusant la mainmise des clercs sur leurs affaires. Leurs principaux
leaders rejettent catégoriquement toute référence à l'article 2 de la Constitution qu’ils tiennent pour une
institutionnalisation de la discrimination envers les non-musulmans. En.n, un autre type d’acteurs qui s’intègre dans
cette seconde tendance est constitué d’organisations de la diaspora qui manifestent un particulier dynamisme dans leurs
activités militantes. Il s’agit de groupes qui ont pour singularité de s’opposer de manière frontale au système politique
existant et qui mobilisent en particulier leurs forces contre les islamistes, dans une perspective transnationale. Ainsi, il
est notable que les chrétiens ne constituent nullement un bloc homogène, bien que chaque partie prétende s’exprimer au
nom des chrétiens dans leur globalité. C’est un ensemble marqué de dissensions qui traverse tout le spectre social et
politique du pays.
Cette présence d’associations issues de la diaspora égyptienne pose des questions fort complexes et parfois
embarrassantes aux chrétiens égyptiens. En effet, certaines organisations de la diaspora sont dirigées par des individus
proches des milieux extrémistes ultra-conservateurs ou évangéliques islamophobes.
Les chrétiens sont partie prenante de ce processus transitionnel des plus complexes que traverse l’Égypte, pour le
meilleur et pour le pire. En recourant à des outils analytiques transdisciplinaires (sociologie politique, sociologie des
religions) et à des données empiriques collectées en Égypte et auprès des diasporas, nous proposons une étude des
militances chrétiennes égyptiennes, a.n de mettre en évidence les ambiguïtés, limites et enjeux de telles mobilisations.
Bibliographie
DENIS É., « Cent ans de localisation de la population chrétienne égyptienne, Les éléments d’une distanciation entre
145
citadins et villageois », Astrolabe, CNRS-CEDEJ, Le Caire, 1999.
DROZ-VINCENT P., « Quel avenir pour les autoritarismes dans le monde arabe ? », Revue française de science
politique, Vol.24, 2004, N°6, pp. 945-979.
EL KHAWAGA D., Le Renouveau copte : la communauté comme acteur politique, Paris, IEP, Thèse de doctorat en
sciences politiques, 1993.
GUIRGUIS L., (dir.) Conversions religieuses et mutations politiques en Égypte, éd. Non Lieu, 2008.
FARGUES P., « Violences et démographie en Égypte », dans Phénomène de la violence politique, perspectives
comparatistes et paradigme égyptien, Les Dossiers du CEDEJ, Le Caire, 1994.
SCOTT R., The Challenge of Political Islam: Non-Muslims and the Egyptian State, Stanford University Press, 2010.
Renouvellement et institutionnalisation du capital collectif des syndicats dans le
Venezuela chaviste
Posado T.
Paris-VIII
Le champ syndical vénézuélien a connu plusieurs recompositions répondant à la polarisation autour du gouvernement
Chávez. Trois centrales syndicales majoritaires se sont succédées en moins de dix ans incarnant trois temps de la crise
politique du pays : une direction liée au parti social-démocrate anciennement dominant, une situation révolutionnaire
qui voit l’émergence aux plus hautes responsabilités d’une nouvelle génération de responsables syndicaux, plus jeunes
et aux origines sociales plus populaires puis le retour de dirigeants issus des anciens partis dominants dans une situation
qu’on peut dé.nir comme thermidorienne. La professionnalisation d’une nouvelle élite syndicale semble entrer en
contradiction avec l’inexpérience observée à cause de l’absorption de certains cadres syndicaux dans d’autres champs et
la dif.cile prise de parole au sein du chavisme. Une sociographie de ces directions et de courts récits de vie permettent
de déceler ces transformations.
Bibliographie
Bourdieu, Pierre, « La délégation et le fétichisme en politique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 52-53,
juin 1984, p. 49-55.
Ellner Steve, El sindicalismo en Venezuela en el contexto democrático (1958-1994), Caracas, Ed. Tropykos, 1995.
Hirschman, Albert, Exit, voice, loyalty, Défection et prise de parole, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles,
2011, 158 p. {1970}.
Posado Thomas, « Révolution et recompositions syndicales : le court été de l’autonomie syndicale », in Le Venezuela
d’Hugo Chávez, bilan de quatorze ans de pouvoir, sous la direction d’Olivier Folz, Nicole Fourtané, Michèle Guiraud,
Presses Universitaires de Nancy – Editions Universitaires de Lorraine, 2013, pp.193-220.
Posado Thomas, « Itinéraire d’un syndicaliste devenu candidat à la présidentielle : utilisation et contention d’un militant
ouvrier dans le Venezuela de Chávez », Amérique Latine Histoire et Mémoire. Les Cahiers ALHIM, n°26, 2014, mis en
ligne le 17 janvier 2014. Disponible en ligne : http://alhim.revues.org/4828
Urquijo José Ignacio, El Movimiento Obrero de Venezuela, Caracas, OIT-UCAB-INAESIN, 2000.
146
ST 26 : Comment Internet change (ou pas) les règles du jeu politique
Médias sociaux et campagnes présidentielles américaines : le côté sombre du
processus électoral
1
Prémont K., 2Millette C.-A.
Université de Sherbrooke 1, Université du Québec à Montréal2
Alors que les médias sociaux ont rapidement transformé la façon dont sont menées les campagnes présidentielles
américaines (West, 2014), un examen attentif de leurs effets sur les électeurs, les candidats et le processus électoral luimême tend à démontrer qu’ils accentuent de manière signi.cative l’aspect négatif des campagnes et ce, de quatre façons
: la personnalisation accrue des attaques, l’« anecdotisation » des campagnes, la décentralisation des informations et le
microciblage des électeurs.
Les conséquences de cet effet néfaste des médias sociaux sur les campagnes présidentielles sont de deux ordres. Ils
agissent d’abord sur la participation politique des citoyens : alors qu’ils permettent effectivement une plus grande
mobilisation des individus – en particulier de groupes d’électeurs qui participent traditionnellement moins aux élections
–, on constate que cette participation en est souvent une de façade. Ensuite, les médias sociaux, en raison de leur
instantanéité, font en sorte que les candidats perdent plus rapidement le contrôle de leur image, ce qui rend les
campagnes encore plus imprévisibles.
Notre proposition a deux objectifs : présenter l’état des lieux quant au rôle des médias sociaux durant les élections
présidentielles américaines et ensuite, démontrer comment ces médias sociaux, en raison de leur décentralisation et de
leur accessibilité, font en sorte de rendre les campagnes encore plus négatives que ne le font les médias traditionnels.
POLIWEB2014 Européennes, campagne et internet
Castel G.
Université Stendhal, Grenoble 3
Les premières publications scienti.ques en matière d’utilisation des technologies de la communication et de
l’information en politique (‘The Electronic Commonwealth’ de J. Abramson, ‘Computers for Political Change’ de J.D.H
Downing) datent de la .n des années 80, trouvant leurs origines dans les initiatives alors isolées d’individus ou
d’organismes essentiellement nord-américains. La recherche dans ce domaine s’est depuis considérablement enrichie au
.l de l’adoption d’outils en constant renouvellement dans des contextes divers.
Ces travaux se focalisent pour la plupart sur des stratégies déployées nationalement, de manière descendante, lors
d’élections perçues comme majeures. A l’inverse, le projet POLIWEB2014 vise à étudier les productions numériques de
candidats aux élections européennes de mai 2014 sur leurs sites personnels ainsi que sur leurs comptes Twitter et
Facebook depuis deux circonscriptions tests, celles du Sud-est français et anglais. L’objectif est d’aboutir à une
compréhension plus approfondie des pratiques en ligne des équipes de campagne à l’échelle locale, et de la corrélation
entre initiatives militantes et directives issues des niveaux hiérarchiques supérieurs des dix partis étudiés de part et
d’autre de la Manche.
Ce projet repose sur la mise au point d’outils informatiques puissants permettant la collecte, l’archivage et l’exploitation
scienti.que de données volumineuses (Big Data) issues d’internet, complétées par un travail empirique mêlant
questionnaires en ligne et rencontres de candidats. Il rassemble par conséquent des chercheurs issus de disciplines
diverses mais impérativement complémentaires.
Cette présentation se propose d’aborder les questionnements thématiques de même que les dé.s méthodologiques liés à
ce projet.
La politique des netroots. Mobilisations militantes et stratégie électorale au sein du
Parti Démocrate américain au milieu des années 2000
Benvegnu N.
Sciences Po Paris
Depuis une quinzaine d’années, des recherches portent sur les usages militants du web, parmi lesquelles un certain
nombre sont consacrées au rôle que peut jouer internet au sein des partis politiques. Dans ce dernier cas, le web est
souvent envisagé comme un moyen de renouveler les liens que les partis tissent avec leur base militante, voire la
constitue et la mobilise en vue d’une joute électorale à venir. Cette communication propose de renverser cette
perspective en questionnant les usages du web que font des groupes militants dans le cadre de stratégies de conquête des
instances dirigeantes du parti politique auquel ils sont af.liés. Elle s’appuie pour cela sur la partie d’une enquête de
terrain réalisée dans le cadre d’une thèse de doctorat (La politique des netroots : la démocratie à l’épreuve d’outils
informatiques de débat public, École des Mines de Paris, 2011) qui porte sur des phénomènes observés au sein du Parti
Démocrate américain au milieu des années 2000 : plus précisément, elle analyse la stratégie numérique de conquête des
instances dirigeantes du Parti Démocrate par des groupes de militants qui en constituent alors l’aile gauche.
147
De 1998 à 2004, le Parti Démocrate américain a subi au niveau fédéral une importante série de revers électoraux (la
Présidence et les deux chambres du Congrès sont alors tenus par les Républicains). Chez les Démocrates, l’analyse des
défaites et la dé.nition de la stratégie à adopter pour reprendre le pouvoir donnent lieu à de vifs débats et un divorce se
produit progressivement entre les caciques du parti et des acteurs plus marginaux qui entament une opération de
reconquête en prétendant s’appuyer sur la base pour dé.nir la stratégie à tenir. Au début des années 2000, ces acteurs
s’organisent autour d’organisations comme Move-On ou de blogs comme MyDD ou DailyKos pour s’opposer à
l’administration Bush.Entre septembre 2005 et mai 2006, des militants du Parti Démocrate préparent de manière
ouverte et collaborative sur le site DailyKos un plan de politique énergétique en vingt mesures, Energize America. Ils
parviennent à le faire endosser par des candidats en campagne pour les élections de mi-mandat pour le Congrès de
novembre 2006, puis par des Représentants élus à ce même Congrès fédéral. L’énergie des militants doit dans l’optique
des promoteurs du plan servir à élaborer des politiques publiques en vue de dé.nir la ligne de leur parti et de donner le
ton d’une campagne électorale en af.rmant une nouvelle ligne politique : les candidats de leur propre camp qui sont
interpellés sur Energize America sont en effet mis face à un « leadership par le bas » (Mc Kibben, 2007). Le
mouvement Netroots Nation est lancé : il s’invite à la table de la vie politique américaine, si nécessaire en « forçant
l’entrée » (l’ouvrage de l’initiateur de Daily Kos, Markos Moulitsas, paru en 2006, est intitulé Crashing the gate). Ce
mouvement s’en prend directement au pouvoir des lobbys qui gangrènent selon eux Washington, mais aussi aux
groupes thématiques qui auraient fait des programmes des partis politiques de simples catalogues qui juxtaposent des
mesures destinées à répondre à des revendications sectorielles.
Qui sont les militants à l’origine de cette stratégie de conquête qui s’appuie sur la force d’une communauté assemblée
par le réseau ? Les « Kossaks » (militants qui fréquentent le site DailyKos) pré.gurent-ils le netroots qu’ils clament,
c’est à dire une forme de grassroots du XXIème siècle qui prolongerait sur le net l’idéal de la démocratie américaine ?
Comment ces groupes construisent-ils la légitimité de leur démarche et des mesures d’action publique qu’ils portent ?
En quoi la dimension communautaire et la participation qu’ils revendiquent et qu’ils promeuvent leur donne le pouvoir
de s’opposer voire de faire chanceler l’establishment de leur propre parti, alors que le rapport de force s’annonçait a
priori totalement déséquilibré ? En quoi leur travail politique se démarque t-il des lobbyistes qu’ils pourfendent ? Quel
modèle politique promeuvent-ils ?
C’est autour de ces questions qu’est organisée cette contribution qui propose d’apporter des éléments critiques sur
l’émergence d’une politique des netroots au sein de l’un des deux grands partis américains.
Les posts du maire de Paris en temps ordinaires. Des stratégies de visibilisation du
travail politique sur Facebook ?
1
Marrel G., 2Reiffers A.
Université d'Avignon1, INRIA2
Projet d’émancipation politique à l'origine, Internet est désormais réinvesti par l'ensemble des acteurs centraux et
institutionnels de la vie politique des démocraties représentatives. Mais la nature conversationnelle des formes
politiques du Web limite a priori l'investissement partisan institutionnel (Blondeau-Coulet and Allard, 2007 ; Cardon,
2010). De fait l'Internet politique est longtemps resté un Internet militant (Granjon, 2001), reposant principalement sur
les sites des groupes activistes périphériques, les blogs et pages Facebook des personnalités politiques, les sites de
campagne des candidats où sont valorisés l'individualisation de l'expression et l'échange conversationnel.
Cette soit-disant « web-incompatibilité » des partis politiques est néanmoins aujourd'hui contestée par les faits et dans
les travaux de science politique (Gibson and Ward, 2009; Greffet, 2012). Tous les partis sont aujourd'hui visibles et
actifs en ligne. Les net-campagnes se systématisent dès 2002 en France et la « cyberisation » des organisations
partisanes semble s'accélérer à chaque nouveau scrutin. La plupart des travaux disponibles se focalisent néanmoins sur
la manière dont l'Internet affecte les acteurs de la compétition électorale et concentrent donc l'attention sur les périodes
de campagne et les acteurs collectifs qui les animent, au détriment des temps politiques ordinaires. De fait, moins
nombreuses sont les enquêtes consacrées à l'usage du Web par les élus durant leur mandat et la manière dont les formes
renouvelées de communication en ligne affectent le travail politique de représentation « hors campagne » (Marques et
al., 2014; Norton, 2007). En France, de telles recherches restent rares (Nicot, 2012), alors que les pratiques des élus et
de leurs entourages contribuent à la restructuration « par le bas » des règles du jeu politique.
Or la communication politique en ligne dépasse largement le cadre et le moment d'intensité particulier auxquels
correspond la campagne. Une fois élus, le député ou le maire maintiennent désormais le plus souvent une importante
activité de communication numérique en ligne sur leur activité de représentation, via les sites institutionnels de leurs
collectivités, leurs blogs, leurs pages Facebook et leurs comptes Twitter. Cette activité de valorisation et de légitimation
par la mise en récit et la mise en scène de l'action politique, occupe une place de premier ordre dans les collectifs de
travail politique, voire dans l'emploi du temps de l'élu lui même lorsque celui-ci investit personnellement et réellement
l’échange conversationnel.
Cette analyse de la mise en scène de l'action politique en ligne s'inscrit dans le cadre d'un projet de recherche plus large
engagé sur le travail politique local (Demazière and Le Lidec, 2014) et l'examen de l'agenda et de l'emploi du temps des
membres d'exécutifs locaux participant directement à la production de l'action publique (Godmer and Marrel, 2014).
Comment le travail politique hors campagne est-il impacté par l'usage des outils d'information numériques ? Qui
diffuse, quand, par quels outils et avec quels relais ? Qu'est-ce que le Web restitue des événements de l'emploi du temps
d'un maire de grande ville ? Les stratégies de communication de ce type d'élu sont-elles affectées par les nouveaux
vecteurs de diffusion de l'information ? Les entreprises politiques à la tête des exécutifs municipaux maîtrisent-elles leur
image numérique ? Peut-on identi.er des modèles de diffusion de l'information concernant les événements de l'activité
148
du maire sur le Web, les acteurs qui y prennent part, la rapidité et la structure de la propagation d'une information traitée
de manière positive ou négative ? En.n, les formes de la diffusion de l'information et les feedbacks qu'en restitue le
Web rétroagissent-elles sur la manière de communiquer sur l'agenda du maire, voire sur la manière de « faire de la
politique » et donc sur l'emploi du temps effectif de l'élu ?
Il s'agit ici d'observer et de modéliser les stratégies de communication en ligne d'un élu en charge d'un exécutif local.
Cette étude s'inscrit dans le cadre d'une collaboration de recherche engagée à l'Université d'Avignon entre sociologie du
travail politique et analyse des réseaux sociaux en science informatique, autour du projet de recherche Tr@nspolo. La
contribution s'appuie sur une enquête originale en cours sur les pratiques de communication numérique du maire de
Paris, Anne Hidalgo, à partir de son compte Facebook. L'enquête limitée dans un premier temps à ce corpus homogène
et cohérent s'apparente à une analyse de popularité des contenus des réseaux sociaux en ligne (Richier et al., 2014), où il
s'agit de lier la popularité des messages de l'élue à leur visibilité en ligne. La « visibilité » est dé.nie ici comme la
chance pour un message d'être lu en fonction des caractéristiques physiques de sa présence à l'écran (Reiffers et al.,
2014). La « popularité » s'entend pour sa part comme la chance pour un message lu de susciter des réactions (likes,
partages, commentaires...). Cette étude mobilise des outils du traitement automatique du langage naturel (NLP :
classi.cation, reconnaissance d’entités nommées, détection d'événements) et de la théorie des .les d'attente (Queuing
theory). Elle se décompose en six étapes :
1. L'extraction des messages sur la page Facebook de l'élue, jusqu'à l'ouverture du compte,
2. La catégorisation et le tri des messages par apprentissage supervisé (récit d'un événement auquel a participé l'élue,
commentaire d'actualité ou prise de position, information…)
3. L'isolement des messages relatifs à un événement et l'extraction pour chacun d'entre eux de l'objet, de la date et du
lieu (détection d'événement).
4. La caractérisation de la stratégie de communication : dé.nition des paramètres et des variables pour construire une
méthode d'analyse.
- La visibilité (nombre et moment de poste des messages sur une période donnée, par rapport à un événement…, durée
du maintien en première position (chaque message rétrograde le précédent)
- La popularité (nombre de likes, de commentaires et de partages…, rythme des postes sur des séquences données)
- Interprétation statistique sur différentes échelles de temps de la relation entre les courbes de visibilité et de popularité.
5. Élargissement de l'étude de la popularité d'un événement publié sur Facebook à d'autres espaces de communication
en ligne (Twitter et le reste du Web via Google news).
6. Construction d'un algorithme d'automatisation de la stratégie de communication et évaluation à partir d'une
simulation de communication en ligne.
L'expérience vise in .ne à caractériser les usages des posts de l'équipe du maire de Paris sur sa page Facebook, a.n
d'identi.er des stratégies plus ou moins délibérées et ef.caces de communication sur ses actes de gouvernement urbain.
L'étude prévoit à terme une extension de l’expérimentation de l'outil de modélisation aux comptes des édiles des vingt
premières villes de France.
Internet et participation politique : bilan et perspectives d'une décennie de
recherches
Vedel T.
Sciences Po / CNRS
Depuis une quinzaine d'années, les travaux sur les relations entre l'internet et la participation politique se sont multipliés
et l'on dispose aujourd'hui d'une littérature signi.cative : entre 50 et 60 enquêtes publiées dans des revues
internationales selon les méta-analyses de Bouliane (2009 et 2014) et une douzaine d'ouvrages ou d'articles défendant
une thèse majeure sur le sujet (comme, par exemple, le célèbre Preaching to Converted de Norris, 2001, Post-broadcast
Democracy de Prior, 2007, ou The Myth of Digital Democracy de Hindman 2009 ).
Cette communication se propose de dresser un bilan des recherches menées depuis une décennie et de ré!échir aux
nouvelles directions de recherche qui pourraient être fructueuses.
Les travaux menés sur l'internet et la participation politique font apparaître des problématiques diverses et ont porté
aussi bien sur : les effets de l'internet sur les niveaux ou les types de participation, les mécanismes causaux à l'œuvre (en
termes de ressources, exposition à l'information, lien social), les caractéristiques sociodémographiques favorisant la
participation en ligne. Néanmoins, deux grands questionnements ont été dominants.
Le premier porte sur la capacité de l'internet à élargir l'espace public : l'internet intéresse-t-il à la politique de nouveaux
groupes de la population ; contribue-t-il à réduire les inégalités de participation entre les citoyens actifs et les autres ?
Les conclusions des chercheurs sur ce thème ne sont pas univoques : certains travaux ont montré le potentiel de
mobilisation politique de l'internet chez les jeunes (Delli Carpini, 2000; Bakker & de Vreese, 2011) mais d'autres
travaux, (particulièrement dans la période récente qui a vu l'acculturation de classes d'âge plus âgées à l'internet,) ont
souligné que l'internet reste the weapon of strong (Lehman Schlozman et al. 2010).
Le second questionnement s'intéresse davantage aux pratiques politiques : l'internet favorise-t-il l'émergence de
149
nouvelles façons de faire de la politique ; ou au contraire la participation politique en ligne n'est-elle qu'une réplication
électronique des répertoires d'action politique traditionnels ? Là encore, les conclusions sont diverses. Certains travaux
continuent à soutenir la thèse du Politics as usual (Margolis& Resnick,2000). Cependant, les recherches les plus
récentes mettent en avant l'originalité des formes de participation apparues avec les réseaux sociaux (Vissers & Stolle,
2013).
Pour le futur, trois directions de recherche nous semblent devoir être davantage explorées.
Il semble d'abord nécessaire d'approfondir la conceptualisation de la participation politique en ligne. Les enquêtes sur
le sujet font apparaître des nomenclatures et des index de participation relativement divers (Gibson et Cantijoch, 2013).
L'évolution technique du Web vers des formes plus dynamiques (Web2.0), le développement des réseaux sociaux ainsi
que la diversi.cation des supports de réception (et la différenciation corollaire des applications) ont d'ailleurs rendu
cette tâche plus complexe. Une harmonisation des dé.nitions et des indicateurs paraît nécessaire a.n de favoriser les
comparaisons internationales ou longitudinales.
En second lieu, l'opposition traditionnelle entre activités en ligne et hors ligne, qui reprend la distinction entre réel et
virtuel, doit probablement être dépassée. On assiste aujourd'hui à une hybridation des pratiques en ligne et hors ligne,
les unes et les autres interagissant pour se stimuler ou se conforter et produire des pratiques parfois inédites dont il reste
toutefois à identi.er les logiques. En d'autres termes, aujourd'hui on ne fait pas de la politique hors ligne OU en ligne,
mais probablement un peu (ou beaucoup) des deux et selon des con.gurations multiples et changeantes.
En.n, une attention plus grande devrait être portée aux signi.cations attachées aux pratiques politiques en ligne. Si les
travaux identi.ant les caractéristiques individuelles des internautes politiquement actifs sont abondants, on dispose de
moins d'études sur la façon dont les pratiques politiques en ligne sont associées à certaines normes d'action, valeurs ou
représentations du politique (voir néanmoins Morozov 2011 pour sa critique du slactivism). Il s'agit d'ici de reprendre
l'hypothèse d'un changement de nature de l'engagement politique formulée par Ion (1997) lorsqu'il oppose militantisme
total du passé et activisme distancié du présent.
Cette communication s'appuiera sur les données suivantes : une analyse de la littérature sur le sujet menée
régulièrement depuis une quinzaine d'années ; les données des enquêtes du projet ANR Mediapolis (Information
politique et citoyenneté numérique) que j'ai coordonné, pour illustrer certains problèmes conceptuels ou
méthodologiques ; les communications présentées au colloque international Civic political engagement in a digital
environnement que j'ai co-organisé à Paris en juin 2014 et qui ont fait un état des lieux des objets de recherche
actuellement étudiés dans le domaine.
150
ST 27 : Le vivant et l’environnement au prisme de la science politique :
quel renouvellement des questionnements sur l’action publique ?
Gouvernance et environnement en Afrique de l’ouest : l’autorité des pouvoirs
publiques en question
Diatta P.
Université Paris XIII
« Les États nés du processus de décolonisation sont-ils réellement souverains? » « L’État-nation est-il une réalité en
Afrique noire ? » Voilà quelques-unes des interrogations, certes légitimes, que l’on retrouve fréquemment dans la
littérature dès lors qu’il s’agit d’appréhender la nature et le fonctionnement concret de l’État dans le contexte africain.
Aujourd’hui encore (peut-être plus qu’hier), avec les nouvelles conceptions du développement associées à la durabilité,
à la préservation de l’environnement et à l’implication d’acteurs non étatiques (le privé comme la société civile) qui
ouvrent une nouvelle ère porteuse de nouvelles visions et créatrice de recon.gurations inédites des champs politiques
nationaux et locaux, de telles questions trouvent un nouvel écho.
De plus, quand on sait que la prise en compte des préoccupations environnementales dans cette région a été en grande
partie progressivement imposée à travers des accords de partenariats et de .nancements entre ces États et les pays
occidentaux ou les organisations internationales, l’on ne peut manquer de reposer la question du principe de
souveraineté de ces jeunes États africains (nés en 1960 pour la plupart) déjà sous tutelle des bailleurs de fonds
internationaux pour leurs politiques publiques.
Par exemple, l’UE qui avait l’habitude d’axer sa coopération avec l’Afrique sur le volet économique (cf. la convention
de Lomé de 1975), l’a réoriente désormais depuis 1989 (cf. convention de Lomé 4) sur les questions d’environnement et
de durabilité. Il y a aussi les nombreux textes internationaux qui imposent aux États membres des Nations Unies (et pas
seulement ceux du Sud) de développer des politiques environnementales.
Pourtant, quand on examine au plus près la situation, dans le secteur de l’environnement plus précisément, l’on se rend
compte que les asymétries de pouvoir entre ces États et leurs partenaires .nanciers internationaux ne sont pas
nécessairement unidirectionnelles. Les pouvoirs publics africains (États comme collectivités locales) savent exploiter
les prérogatives et autres marges de manœuvre garanties par la constitution pour s’approprier, « détourner » ou
réinterpréter ces nouvelles injonctions et renforcer ainsi leur pouvoir et leur autorité politiques.
Dans ce cas, l’objet de ma communication sera de montrer à partir de mes terrains maliens et sénégalais qu’on a là des
États à la fois faibles – faute de ressources .nancières, techniques et humaines adéquates – et autoritaires et
centralisateurs qui aspirent à tout contrôler. Il s’agira donc d’arriver à mettre en lumière ce mélange d’autoritarisme et
de laxisme caractéristique de la nature et du fonctionnement de l’État en contexte africain.
Participation, accès aux connaissances et dynamiques de changement dans
l’univers des politiques publiques agricoles
1
Landel P., 2Laurent C.
INRA2, AgroParisTech1
Le changement dans les politiques publiques liées à l’agriculture a fait l’objet de nombreuses études en science
politique (Muller, 1985, 1992 ; Delorme, 2004 ; Fouilleux, 2003). Aujourd’hui, face aux enjeux environnementaux et
sanitaires auxquels est confronté le secteur, et dans le cadre des débats autour de l’ « écologisation » de l’agriculture,
cette analyse du changement dans les politiques agricoles est toujours d’actualité.
Plus de 50 ans après la mise en œuvre de la modernisation agricole, le problème de la réorientation technique et
technologique du modèle de développement de l’agriculture est posé. Dans ce contexte les connaissances, en particulier
les connaissances scienti.ques, sont une ressource particulière pour l’action publique : non seulement elles sont
nécessaires pour les acteurs du changement (agriculteurs, conseillers, décideurs) ; mais elles acquièrent aussi un
nouveau statut tandis que l’information est conçue comme un instrument clé de la conduite des politiques publiques et
que le rôle de l’État se recompose autour de fonctions de régulatrices (ce qui se manifeste avec la création d’agences ou
la multiplication de normes réglementaires au contenu technique très précis). Au cœur de ces évolutions, la référence à
l’idée de participation est omniprésente dans le domaine agricole, comme moyen de faciliter l’accès aux connaissances
pour le débat public et de mutualiser les dispositifs matériels d’accès aux connaissances pour accompagner le
changement vers un nouveau modèle d’agriculture.
A partir de ce constat, cette communication propose d’analyser, de façon complémentaire aux différentes dimensions
cognitives du changement dans les politiques publiques et en mobilisant les travaux d’économie politique sur
l’utilisation des connaissances pour la décision publique (Laurent et al., 2010 ; Nutley et al., 2007), un aspect peu
abordé dans la littérature francophone en sociologie politique : celui des dispositifs concrets d’accès aux connaissances
pour les acteurs des politiques publiques. Par ce biais, elle propose d’analyser la déclinaison de l’idée de participation
dans un univers concret d’action publique, et ses effets sur des recompositions sociales et politiques globales, en
réponse à certaines limites des travaux normatifs ou ethnographiques sur la participation (Behrer, 2011 ; Blondiau,
151
Fourniau, 2011).
La présentation s’appuiera sur les résultats d’un travail de thèse mené à partir du cas de la diffusion en France et au
Brésil d’un nouveau modèle candidat à l’agriculture durable : l’Agriculture de Conservation. Le développement de ce
modèle est porté par une diversité d’acteurs et d’intérêts (.rmes privées, réseaux locaux d’agriculteurs…), qui
proposent des innovations techniques plus ou moins porteuses d’un risque de dépendance à l’utilisation d’herbicides, et
donc plus ou moins susceptibles de répondre aux impératifs de réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires.
Une analyse en termes de réseaux d’action publique (policy networks) met à jour une situation d’inégalité entre ces
acteurs pour l’accès aux connaissances et, ce faisant, les dif.cultés d’accès aux connaissances adéquates dans les
processus de politiques publiques pour accompagner le changement vers un nouveau modèle d’agriculture répondant
aux exigences environnementales et sanitaires. Par ailleurs, ces réseaux sont porteurs de différentes doctrines sur la
participation qui contribuent à accompagner ou légitimer les évolutions actuelles des conditions d’accès aux
connaissances et des rôles joués par les différents acteurs impliqués (.rmes privées, État, organisations de recherche et
de conseil).
L’« autoritarisme vert » de la politique incitative des forêts privées Costariciennes :
une régulation du PPSE marquée par le pluralisme limité
Cathelin C.
Lyon 2
Une partie de la littérature en analyse des politiques publiques a cherché à saisir les évolutions d’une action publique
contemporaine qui serait davantage multi-niveau et ouverte à la participation de nouveaux acteurs, notamment privés
(Lascoumes 1994; Le Galès 1995; Le Galès et Thatcher 1995). Ces transformations auraient conduit à une déhiérarchisation de l’action publique et à des formes de décentrement de l’État qui ne serait .nalement plus qu’un «
acteur comme les autres ». Dans ce contexte, l’environnement est alors considéré comme un « laboratoire où s’inventent
en permanence de nouvelles formes de gouvernance » qui possèdent une « part incontestable d’innovation démocratique
», notamment à travers l’émergence de dispositifs et d’instruments moins contraignants qu’incitatifs, horizontaux, basés
sur la coopération et la participation de multiples acteurs (Theys 2003). Les politiques environnementales conduiraient
alors implicitement à des formes de « démocratisation de la démocratie » (Massardier 2013).
Notre ré!exion théorique interroge ces analyses. Elle est fondée empiriquement sur une vaste enquête de terrain menée
au Costa Rica, dans le cadre d’un doctorat portant sur la politique incitative des forêts privées, et en particulier sur le
programme de Paiement pour Services Environnementaux (PPSE), introduit en 1996. Objet d’analyse choyé par les
chercheurs en économie environnementale (Zbinden et Lee 2005; Russo et Candela 2006; Sierra et Russman 2006;
Wunder, Engel, et Pagiola 2008; Pagiola 2008; Arriagada et al. 2009; Cole 2010; Porras 2010) mais aussi par quelques
travaux en économie institutionnelle (Muradian et al. 2010; Legrand, Froger, et Le Coq 2011; Le Coq et al. 2012; Le
Coq et al. 2013), les PSE n’ont jusqu’alors peu intéressé les politistes. Dans la perspective d’un dialogue
interdisciplinaire, cette communication cherche à la fois à mettre en avant les apports d’une analyse des PSE par la
science politique et à justi.er les choix théoriques réalisés pour appréhender ce programme public Costaricien.
L’enquête de terrain nous a permis d’observer deux décalages : d’une part entre les différents travaux sur les Paiement
pour Services Environnementaux (PSE) et nos observations empiriques sur le PPSE Costaricien et d’autre part entre les
analyses des chercheurs sur la « démocratisation » de l’action publique et le PPSE du Costa Rica. Souvent présenté
comme un instrument de conservation innovant puisque basé sur le marché (MBI ), le PPSE est en réalité un
programme composé de différents instruments incitatifs, dont certains .nancent des activités forestières productives
comme l’établissement de plantations commerciales (PSE-Plantations) ou encore la gestion extractive quali.ée de
durable des forêts (PSE-Gestion des forêts) même si d’autres soutiennent bien des activités de conservation (PSEConservation). Le caractère d’instrument de marché des PSE du Costa Rica a été longtemps revendiqué tant par les
acteurs du programme que les chercheurs pour .nir par être remis en question (Le Coq et al. 2012; Fletcher et Breitling
2012; Matulis 2013). Créé par l’État au travers de ses pouvoirs législatifs (loi forestière) et exécutifs (règlement à la
loi), le programme est essentiellement .nancé par des ressources étatiques d’origine .scale, mis en œuvre par une
agence publique sous la tutelle du Ministère de l’environnement et fonctionne sur un modèle redistributif, ce qui
l’assimile à des « subventions déguisées » (Fletcher et Breitling 2012). En s’inscrivant dans la trajectoire d’anciennes
subventions forestières en vigueur avant 1996 qui se trouvent menacées par des accords avec le FMI, le PPSE innove
moins qu’il renouvelle la politique publique en faveur des forestiers en ce sens qu’il traduit une nouvelle stratégie
discursive pour préserver le soutien .nancier de l’État aux activités forestières (Le Coq et al. 2012).
Le PPSE est un programme incitatif plutôt « classique », dont la gestion par l’État s’avère principalement centralisée,
exempt de dimension participative et capturée par des coalitions d’acteurs élitistes, hiérarchisées et con.nées dans le
sous-système des forêts privées (Massardier 2008), ce qui témoigne d’un second type de décalage entre le PPSE
Costaricien et les travaux sur la « démocratisation » de l’action publique. Guidé par notre objet, un autre cadre théorique
s’est progressivement imposé : la littérature sur les régimes politiques. En privilégiant une entrée par le policymaking
(Camau et Massardier 2009) du PPSE, nous cherchons à in.rmer les thèses de la « démocratisation » de la démocratie
en nous appuyant sur un concept clef : le « pluralisme limité » (Linz 1964) de l’action publique. Il renvoie à deux
recompositions a priori contradictoires : d’une part, la multiplication des acteurs considérés comme pertinents dans
l’action publique qui privent l’État du monopole de la fabrique du PPSE et d’autre part, l’existence d’espaces
oligarchiques fermés et peu concurrentiels de décision, dont l’accès est limité par des processus de sélection et
d’exclusion des acteurs (Le Naour et Massardier, Gilles 2013), ce qui conduit à l’établissement de monopole de certains
groupes élitistes sur les espaces décisionnels, à des formes d’« insularisation des procédures de discussion » (Hermet
152
2004) et de déparlementarisation (Leca 1996; Massardier 2008). La régulation du PPSE peut ainsi s’apparenter à des
formes d’« autoritarisme vert ».
Les outils juridiques dans la gouvernance internationale des océans : retour au
droit pour penser la fragmentation institutionnelle de l’action publique
Frozel Barros N.
Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Comment réglementer et réguler l’usage des ressources biogénétiques des fonds marins internationaux ? De l’OMC, au
Programme des Nations Unies pour l’Environnement (Convention sur la Diversité Biologique), en passant par l’AG de
l’ONU sur le droit de la mer (Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer, CNUDM), sont nombreuses les
institutions « compétentes » qui essaient d’y répondre. Nous proposons de revenir sur ce phénomène de fragmentation
institutionnelle dans la gouvernance de l’environnement sous la focale des outils juridiques internationaux, tout en
croisant la sociologie politique de l’action publique et le droit.
Notre « pari » empirique est de démontrer comment la fragmentation de la gouvernance environnementale
internationale est conditionnée par le développement et des mécanismes propres au droit international tout d’abord,
pour ensuite démontrer que ce phénomène crée des impacts à long terme dans l’appréhension des problèmes
environnementaux. L’ambition méthodo-théorique est celle de revenir sur le droit, non pas dans le strict sens d’un objet
d’étude, mais plutôt comme discipline pouvant nous offrir de nouvelles pistes d’analyses. Après avoir souligné
brièvement certains outils et débats théoriques de la part des deux disciplines, nous exposerons notre étude de cas
portant sur les négociations onusiennes quant à la réglementation des ressources biogénétiques en mers internationales.
Pour ce faire, nous mobiliserons nos notes d’observation de deux cycles de négociations (2011, 2014), des entretiens et
de la littérature grise des institutions étudiées.
Dans un premier temps, nous traiterons de la fragmentation de la gouvernance à travers la question de la convergence
des politiques publiques supranationales. Entre les théoriciens de la convergence (de normes, problèmes et
représentation de l’action publique) et ceux de la traduction et du transcodage, nous partirons des travaux portant sur
l’européanisation pour dresser un parallèle avec la scène internationale. Un décalage cognitif entre les acteurs du niveau
« européen » (ex. Commission Européenne) et ceux des niveaux nationaux (ex. Ministères) serait à l’origine des
traductions inégales ou de la non-convergence des politiques publiques entre les décideurs et les acteurs de la mise en
œuvre. Or au niveau mondial, la fragmentation a lieu entre institutions plus autonomes, plus horizontales et moins
centralisées que dans le cas européen. Nous voulons repenser les traductions inégales ou la non-convergence de la
fragmentation horizontale. Si dans le premier cas, on observe, notamment, un décalage entre les niveaux de régulation
(UE) et de mise en œuvre (État), nous allons expliquer le décalage cognitif de la fragmentation horizontale dans l’écart
pris par l’« activité juridique » entre les différents forums institutionnels qui prétendent à une compétence sur l’affaire
analysée.
Dans cette perspective, nous étudions dans un deuxième temps le droit et le débat juridique sur la discontinuité des
normes au niveau international (un débat parallèle à celui de l’action publique). Mettre les activités juridiques de
chacune de ces institutions au centre du débat est pertinent dans la mesure où l’histoire de l’évolution du droit
international nous apprend une tendance secondaire de fragmentation juridique (le relativisme) dans le mouvement
général d’occidentalisation du droit (sous l’égide de « l’universalisme »). À l’image du !ou des politiques culturelles
décrits par V. Dubois, ce relativisme entre les ordres juridiques (économique, humanitaire, etc.) serait ce qui rend
possible l’existence même d’un droit international avec la supposition d’un universalisme, selon M. Delmas-Marty.
Nous montrerons comment ce relativisme juridique théorisé par la science juridique se traduit dans notre regard politiste
sous la forme, non seulement d’un produit de la compétition intra-institutionnelle pour la compétence sur une certaine
affaire, mais surtout, sous la forme d’une spécialisation juridique nécessaire à la dynamique internationale fragmentant
l’objet réglementé/gouverné. Le droit, en tant qu’outil universel, se fragmente en plusieurs outils stabilisés de
gouvernance qui, quoique multipliant apparemment le champ des possibles, empêchent une appréhension intégrale de la
question environnementale dans un scénario international décentralisé.
Ainsi, dans un dernier temps, et en tenant compte de ces deux débats, nous présenterons notre objet de thèse : les
négociations internationales de l’AG de l’ONU pour la réglementation de l’exploitation des ressources biogénétiques
des fonds marins. Bien que la négociation soit, pour l’instant, centralisée au sein de l’AG, nous montrerons que les
diplomates rencontrent des obstacles à réaliser leur tâche de réglementation découlant de l’instrumentalisation des
ordres juridiques multiples et contradictoires entre elles, qu’ils mobilisent.
En effet, nous constatons à quel point le processus de négociation est marqué par des discours changeants. Les « propatrimonialisation » des ressources biogénétiques se heurtent aux règles de brevetage (propriété intellectuelle) dictées
par l’OMC. Il ne s’agit pas seulement de signaler le décalage cognitif entre OMC et CNUDM : le premier, bastion de la
« loi du marché », le second, contenant le principe de Patrimoine Commun de l’Humanité. Il s’agit d’agrémenter cette
approche propre à la sociologie de l’action publique en prenant sérieusement en compte les effets des ordres juridiques
multiples objectivées tout au long de la négociation et qui semblent conditionner ces décalages cognitifs.
Plus particulièrement, nous montrerons comment, dans le cas d’une négociation multilatérale, les diplomates
instrumentalisent ces décalages d’ordre juridique comme des outils de négociation (blocage, contournement,
renforcement de demandes) – plutôt qu’une compétition entre représentants d’institutions à discours cognitifs différents.
La conséquence directe est la fragmentation de l’appréhension et du traitement des questions environnementales et
biogénétiques.
153
Tout l’intérêt de cette approche interdisciplinaire est de démontrer comment la complexité des thématiques de
l’environnement découle, aussi, de ce jeu d’adaptation des outils juridiques établis (ordres juridiques) à des nouveaux
enjeux comme le vivant dans une zone internationale.
Etudier les changements de l’action publique dans la gouvernance globale des
ressources naturelles: le cas du secteur forestier
Montouroy Y.
Saint Louis
Dans le cadre de l’axe 1 de l’appel, l’objet de cette communication est de présenter un exemple de grille d’analyse,
construite en décloisonnant sociologie des relations internationales et sociologie de l’action publique, ses résultats et
en.n les interrogations en découlant pour éclairer la construction collective de la régulation du secteur forestier
mondialisé, et par là les dynamiques à l’œuvre lorsque sont étudiées les gouvernances de ressources naturelles
strictement localisées.
Les constats récurrents de la constante dégradation des écosystèmes forestiers, de leur dif.cile préservation et de leur
gouvernance collective con!ictuelle posent de nombreux dé.s à l’action publique, que ce soit pour analyser la
gouvernance globale (Smouts, 2001 ; Humphreys, 2006 ; Delmas et Young, 2009 ; Cadman, 2011) ou l’action publique
locale (Knoepfel, 2001 ; Dupuy et Halpern, 2009 ; Sergent, 2010 ; Bouleau et Pont, 2014).
Ainsi, que cela soit depuis la sociologie des relations internationales ou depuis la sociologie de l’action publique, la
gouvernance – supranationale, transnationale et locale – des ressources naturelles donne à voir de multiples acteurs
publics et privés en interaction sur plusieurs échelles autour de la dé.nition des risques avérés ou à venir et de la
responsabilité des coûts à supporter (Petiteville, 2009) et ce, au sein des processus d’action collective, aux intérêts
variés et con!ictuels (Shapiro, 1999 ; Boy et al., 2012). Dans ces conditions, la question centrale tourne autour des
conditions à réunir pour impulser les changements nécessaires de politiques publiques a.n de protéger ces biens
communs.
Un autre constat tient précisément en la compréhension qu’offre la science politique de ces changements en cours. Pris
séparément, ces deux sous champs apportent des théories, des analyses et des éclairages sur les évolutions à l’œuvre à
travers les niveaux de gouvernance, depuis le local jusqu’au global. Pour autant, la gouvernance des ressources
naturelles est dé.nie comme objet multiniveaux et multiscalaires à travers lesquels les acteurs de la régulation circulent
pour valoriser leurs intérêts (Young, 2000 ; Carter et Smith, 2008). La gouvernance complexe de l’environnement ne
permet plus aux acteurs de participer à distance mais les conduit à circuler à travers les échelles pour participer à chaque
dé.nition des problèmes sectoriels et publics, au choix des instruments, anticiper sur les effets, jusqu’à être des acteurs
de la territorialisation de l’action publique, et vice versa. Ainsi, la compartimentation de la discipline se heurte à l’étude
de la régulation de l’accès aux ressources naturelles dont la valeur est tout à la fois dé.nie par des politiques
internationales et des stratégies transnationales, des régulations sectorielles, des opportunités de marché et des
contraintes locales ?
Le renouvellent des perspectives, des hypothèses théoriques des des questionnements sur l’action publique est pensé ici
comme un décloisonnement. La sociologie de l’action publique met en avant l’intérêt des approches institutionnalistes
problèmes-instruments-effets dans lesquelles il s’agit de comprendre qui a participé, comment et pour gagner quoi dans
la régulation du secteur (Lascoumes et Le Galès, 2004 ; Hassenteufel, 2011; Muller, 2012; Smith, 2013). Les approches
fortement sociologisées de la gouvernance complexe des forêts mettent pour leur part en avant les interactions d’acteurs
et le déplacement de la concurrence publique/privée à travers les niveaux de gouvernance (Bersntein et Cashore, 2012;
Sabel et Zeitlin, 2012). Prises ensemble, elles permettent d’intégrer le triptyque analytique « acteur – territoire –
instrument » pour analyser la problématisation, la politisation, la territorialisation et le choix des instruments publics.
Fondés sur les résultats de notre thèse en science politique portant sur l’action des acteurs européens dans la régulation
du secteur forestier mondial et de notre participation à l’ANR Circulex sur la gouvernance complexe de
l’environnement, et sur une méthodologie qualitative, notre présentation visera à présenter la construction d’une telle
grille d’analyse résolument néo-institutionaliste et constructiviste pour saisir les jeux d’acteur et le changement dans la
régulation d’un secteur mondialisé.
Quatre décennies de mises en économie de l'environnement : une chronologie et
typologie faites à partir des rapports de l'OCDE, 1970-2010
Pestre D.
EHESS
Le but de ce travail (en cours) est de montrer comment l'environnement a cessé d'être un problème en soi à partir de la
.n des années 1960 pour devenir un problème de gestion économique. Cela se fait dans le cadre de politiques publiques,
les États et leurs diverses administrations étant centraux dans ce mouvement d'économicisation de la question
environnementale. Ce travail décrira, pour quatre périodes, les outils privilégiés, les discours "théologiques" qui les
accompagnent, et les mises en œuvre effectives, souvent plus politiques que marchandes. Il analysera en particulier le
tournant des années 1980-90, moment capital de transformation et d'émergence d'un nouveau contrat social, d'un
nouveau cadrage et dé.nition de l'objet, d'un mode de discours et de gestion des dégâts du progrès centré sur une
hégémonie nouvelle articulée sur les grandes entreprises agissant pour le bien collectif par des engagements volontaires
154
et des marchés de droits, en alliance étroite avec de multiples ONG.
Quand le vivant devient politique. Présence publique et recomposition de l'action
publique
Tournay V.
Sciences po
Quel que soit leur objectif, les interventions humaines sur le monde vivant suscitent des controverses qui mettent en
cause les laboratoires utilisant la matière vivante à la base de leur activité. Les cellules-souches à .nalité médicale ou
les plantes génétiquement modi.ées sont régulièrement évoquées. La prise en charge de notre condition biologique
dé.nit une autre facette qui concerne la naissance, la sexualité, les personnes mourantes ou en proie à des situations
dramatiques d’invalidités profondes. Aussi, les « politiques du vivant » sont-elles autant traversées par des polémiques
relatives à la gouvernance des biotechnologies que par des enjeux liés à la médicalisation des populations.
Les « politiques du vivant » dé.nissent un très bon laboratoire social pour expérimenter l’action publique et plus
particulièrement les dynamiques institutionnelles. En effet, le cadrage des technologies relatives au vivant est par
dé.nition beaucoup plus dif.cile à stabiliser que celui des matières inertes car les scienti.ques et les acteurs politiques
font face à des entités qui prolifèrent, qui ne se reproduisent pas à l’identique et qui se transforment parfois de façon
imprévisible. Par exemple, l’embryon est controversé parce qu’il peut être appréhendé comme le produit d’un
avortement, il peut aussi incarner une solution dans le cadre de la mise en œuvre des procréations médicalement
assistées, ou encore être à l’origine d’une prolifération de cellules souches. Il n’est pas rare d’assister à de fréquentes
entreprises de requali.cation juridique lorsque ces objets biotechnologiques offrent des transformations qui s’échappent
des cadres préalables dans lesquels elles étaient censées être contenues. Ainsi, les pratiques conduites sur ces produits
biologiques s’avèrent passionnantes à étudier car elles n’arrêtent pas de déborder des cadres institutionnels dans
lesquels les acteurs essaient, souvent en vain, de les enfermer.
Il est frappant de constater que les technologies médicales fortement controversées et inscrites à l’agenda médiatique au
milieu des années 1990 renvoient majoritairement aux techniques de procréation médicalement assistée, à la
problématique du don d’organes, à la médecine génétique prédictive et à une alimentation adaptée à nos besoins «
personnalisés » en matière de santé. Si ces questions demeurent aujourd’hui encore très présentes dans les esprits, elles
forment néanmoins le théâtre de recompositions thématiques, défaisant et rassemblant de nouveaux faisceaux de
questionnements. On assiste aujourd’hui à d’autres modalités de présence publique des technologies du vivant. La
traditionnelle démarcation entre les biotechnologies vertes, c’est-à-dire celles se rapportant au développement de
plantes génétiquement modi.ées dans l’agriculture et l’alimentation, et les biotechnologies rouges relatives à la santé
humaine, tend à s’estomper dans les représentations européennes. Si bien que la culture de plantes génétiquement
modi.ées, de même que les promesses thérapeutiques liées à des protocoles de recombinaisons génétiques sont des
sujets à haut niveau de risque « éthique » qui peuvent tout autant devenir la cible de contestations sociales. La
préservation de la biodiversité intervient dorénavant comme un puissant leitmotiv de mobilisations sociales susceptible
de s’adresser à la biologie médicale et aux sciences environnementales.
À l’inverse de ces technologies développées sur ces dix dernières années, d’autres préoccupations collectives autour du
corps semblent faiblement altérées par les transformations du paysage technologique au cours des décennies. Le
premier code français de déontologie médicale écrit par Simon (1845) illustre un continuum de controverses depuis les
premiers objets de la morale médicale jusqu’aux débats contemporains de la bioéthique. Les situations complexes
autour des états de conscience altérés et des conditions de réanimation, dont les questionnements publics s’avèrent des
constantes historiques, se trouvent régulièrement réactivées par des cas tragiques.
Les présences publiques des technologies du vivant sont donc extrêmement contrastées et évolutives. Si on se place
dans une perspective historique, on observe une évolution continue des modes de présence publique des technologies du
vivant. Ce constat nous incite à examiner les technologies du vivant non pas sous l’angle de l’assemblage technique que
chacun de ces agencements suppose, mais plutôt à suivre la multiplicité des modes d’existence corporels et de leur
traitement politique. Cette communication ne vise pas tant à traiter de l’impact sociétal des technologies du vivant qu’à
interroger les conditions de possibilités de leur présence publique. Quelles sont les activités de coordination ainsi que
les dispositifs de quali.cation déployés par les acteurs pour constituer les technologies du vivant en un problème public
et leur attribuer un caractère de bien commun ? Comment un assemblage matériel passe-t-il du statut restreint d’objet «
privé » du laboratoire à celui d’objet largement controversé ayant une réalité publique ? Cela revient à nous interroger
sur la ou les façons dont les acteurs glissent d’un régime d’engagement de proximité vers la poursuite d’enjeux de
nature publique. Répondre à ces questionnements suppose d’inverser la démarche familière qui consiste à suivre
l’élaboration des politiques publiques d’encadrement d’objets scienti.ques indiscutables en soi pour reconnaître au
contraire que les certitudes fragiles et provisoires de la recherche s’ajoutent aux certitudes fragiles et provisoires de
l’action publique. La dimension matérielle détient une bonne place, non seulement parce qu’elle éprouve des
connaissances scienti.ques en constitution mais aussi parce qu’elle est à l’origine de coopérations nouvelles faisant
intervenir des acteurs aux compétences diversi.ées.
155
Ecologie : quelle neutralité des sciences politiques ?
Flipo F.
Université Paris 7
Remarquons alors que la critique est à géométrie variable, en sciences. On peut être très engagé dans la cause des
Intouchables en Inde et être un bon chercheur, on peut être engagé dans la cause des sans-papiers, des salariés etc. et
être un très bon voire un excellent chercheur. Si ce n’est pas l’engagement en tant que tel, alors qu’est-ce qui fait que le
travail sur l’écologie, ou sur le féminisme, se trouvent stigmatisés ? L’exemple de Bourdieu et de centaines d’autres
moins connus le montrent, l’engagement est inévitable, pour autant qu’on le prenne au sens large d’un intérêt pour un
objet. Ce n’est pas pour autant que l’on va confondre le travail du chercheur (exposer des faits indubitables de
l’expérience) avec celui du militant (convaincre de l’importance d’une cause). D’ailleurs le militant le sait bien. Les
rapports entre militantisme et recherche sont donc plus complexes qu’ils n’y paraissent. Venons-en à l’écologie. On
évoquera dans la communication deux aspects particuliers. Un premier problème particulier que pose ce sujet est que
les faits dont le militant veut témoigner sont attestés par les sciences naturelles, et non par les sciences sociales. Un
second problème particulier est la portée des faits dont attestent les militants écologistes, en termes sociaux et
politiques. Le problème que pose la portée est particulier en ce qu'il s’inscrit dans l’avenir, or la science dans sa
démarche la plus rigoureuse est empirique et il n’y a donc science que du passé.
156
ST 28 : Participation publique, professionnalisation et diversi-cation
Conduire le dialogue avec les citoyens ou institutionnaliser un nouvel acteur des
processus décisionnels ? Procéduralisation du débat et professionnalisations des
commissions particulières du débat public en France
Fourniau J.
IFSTTAR
En onze ans d’existence en tant qu’autorité administrative indépendante (2002-2013), la Commission nationale du débat
public (CNDP) a organisé elle-même 68 débats, chacun conduit par une commission particulière du débat public
(CPDP) comprenant de 5 à 7 membres nommés par elle, et s’appuyant sur une équipe technique de taille comparable,
recrutée par le président de la commission particulière. Ainsi, près de 350 membres d’une CPDP et près de 150
secrétaires généraux et chargés de mission composant les équipes techniques, ont donné consistance à cette «
expérience française de démocratie participative ». Ils constituent une importante population de spécialistes du dialogue
avec les citoyens, la seconde en importance, que l’on compare les membres de CPDP à la vaste population des
commissaires enquêteurs, ou les équipes techniques à celle, croissante, des « chargés de participation » des collectivités
territoriales. C’est à l’analyse, jamais entreprise, de cette population qu’est consacrée cette communication a.n
d’éclairer le processus de professionnalisation du débat public qui est au cœur de son institutionnalisation.
Trois points seront examinés. En premier lieu, l’examen des caractéristiques sociodémographiques des membres de
CPDP, si on les compare aux commissaires enquêteurs, indique que l'institutionnalisation du débat public a créé un
nouveau type de volontaires spécialisés dans le dialogue avec les citoyens, ce qui con.rme la rupture qu’introduit le
débat public dans l’histoire longue de l’utilité publique en France. En effet, il s’agit d’une population plus jeune,
comptant peu de retraités, plus fortement issue du secteur privé et comprenant, parmi les agents publics, une forte
participation d’universitaires.
Cependant, malgré ce renouvellement des pro.ls, le mode d'institutionnalisation de la CNDP et le mode de recrutement
des présidents et membres des CPDP n'ont pas favorisé la diversité sociale du recrutement. Rares sont ceux qui n’ont
pas atteint un niveau universitaire avancé, alors même qu’un des rôles premiers d’une commission est de s’assurer de la
lisibilité du dossier du maître d’ouvrage par tous les citoyens… En ce sens, les membres de CPDP ne sont pas plus
semblables au « grand public » auquel ils s’adressent et donnent la parole qu'aux hommes politiques.
En second lieu, cette distance sociale vis-à-vis des citoyens ordinaires n’est pas sans conséquence sur la conception que
les commissions ont de leur activité. L’attention aux outils de communication cherche, par exemple, à combler ce
décalage. Celui-ci a également favorisé la forte procéduralisation du débat, conduisant aujourd’hui à une dif.culté à
innover et à faire face aux nouvelles situations de contestation du débat lui-même. Mais la procéduralisation du débat a
également joué pour les Commissions, beaucoup moins expérimentées que les équipes de concertation des grands
maîtres d’ouvrage, d’instrument d’af.rmation de leur indépendance vis-à-vis du maître d’ouvrage. Le débat est ainsi
conçu comme se déroulant entre trois acteurs : le maître d’ouvrage, la commission et le public, la commission ayant à
construire la « bonne » distance vis-à-vis des deux autres acteurs..
En dernier lieu, les modalités de recrutement de membres s’investissant dans le débat en tant que procédure formalisée,
a favorisé la « professionnalisation » de cette activité volontaire et quasi-bénévole. La reconduction des mêmes
membres dans plusieurs CPDP ayant le même président et, plus fortement encore, des mêmes équipes techniques, est
devenue courante. Cette « professionnalisation » a favorisé la diffusion, et .nalement la domination, de règles de
fonctionnement du débat public liées aux conceptions de quelques présidents.
L’institutionnalisation du débat public crée donc un nouvel acteur des processus décisionnels, la CNDP et ses
déclinaisons par projets, les CPDP. Mais la procéduralisation du débat procède moins de la loi qui a créé le débat public
que des pratiques des Commissions, fortement dépendantes des caractéristiques de leurs membres et de leurs modes de
recrutement.
Le rôle de représentants au sein de comités de concertation
Fortier J.
Université du Québec à Trois-Rivières
La concertation compte parmi les modalités utilisées en participation publique. Elle incarne une réalité sociopolitique
d’importance à propos de laquelle il existe des sources théoriques et un savoir empirique accessibles. Toutefois, en dépit
des ouvrages sur le sujet et d’une multiplication de sa pratique en des lieux et contextes divers depuis les années quatrevingt, la signi.cation de la concertation demeure !oue tant au plan théorique que pragmatique. Deux caractéristiques
apparaissent néanmoins universelles à toute concertation. De une, elle se concentre sur la discussion et le débat entre
acteurs réunis autour d’un projet commun. De deux, elle est rarement ouverte à l’ensemble des acteurs d’une
collectivité. La concertation s’avère, de façon générale, du registre de la représentation collective : qu’elle soit élective
ou associative. La participation à ce processus se fait rarement à titre individuel. Les gens sont surtout convoqués en
raison de leur appartenance à un groupe ou de leur statut organisationnel. La nature même de la concertation, par le
pouvoir et l’espace qu’elle consent aux participants, en fait un dispositif qui ne peut être ef.cace qu’en réunissant une
157
minorité d’acteurs ciblés.
La clarté du rôle de représentation apparait ici centrale. La confusion dans la participation s’installe, entre autres,
lorsque l’on se questionne sur la représentation des acteurs réunis (Bochel, 2006). Qui représentent-ils? Quel est leur
mandat à titre de représentants? À quel point sont-ils représentatifs? Une clarté du rôle de la représentation peut affecter
positivement l’engagement des acteurs et les résultats du processus tel que le spéci.e Bochel (2006: 17) : « […] more
consistent use of clear guidelines at the outset might help reduce confusion and increase the chance of positive impacts
for those involved and for policy outcomes ». Cette auteure insiste sur l’importance d’informer les participants sur les
raisons de leur participation, d’en dé.nir les limites et de déterminer les attentes face à leur participation et leur
représentation.
La question de la légitimité de la représentation est également posée par Parkinson (2003). Il questionne, tout comme
Bochel, la représentativité des participants à la délibération ainsi que leur rôle. En référence au modèle de représentation
de Catt (1999), il avance que la démocratie délibérative se base davantage sur le « trustee model » dans lequel le
représentant dispose du pouvoir de décider au nom du groupe représenté en s’en tenant à sa propre perception, plutôt
qu’au « delegate model » qui oblige le représentant à tenir compte des décisions du groupe représenté. Le modèle «
trustee » caractérise davantage la délibération par la souplesse laissée au représentant qui lui permet de demeurer ouvert
aux arguments des autres et à une évolution de sa pensée; principe central à l’approche délibérative.
Cependant, dans une situation idéale, la représentation est considérée légitime lorsqu’elle correspond aux deux
modèles : « Thus, the « better arguments » that persuade representatives within the deliberative forum should also
convince those people outside it once they have been exposed to those arguments by their representatives in their own,
separate deliberations » (Parkinson, 2003: 188). Young (2000: 127) partage cette vision, af.rmant que la fonction d’une
représentation légitime consiste à exercer un jugement indépendant tout en connaissant et en anticipant ce que les
personnes représentées désirent. Cette auteure ne partage pas la vision de la représentation fondée sur la substitution ou
l’identi.cation. La représentation politique devrait être pensée comme un processus engageant une relation de
médiation entre les membres de l’assemblée, et entre le représentant et les représentés. Certaines représentations ne sont
pas démocratiques, car les représentants ont cessé cette relation. Les représentants ne devraient pas seulement informer
les représentés sur la façon dont ils mènent leur mandat de représentation; ils doivent surtout les persuader de la justesse
de leur jugement (Young, 2000).
En réponse à Mansbridge (2003), Rehfeld (2009) propose huit types de représentation basés sur trois éléments : 1) Aims
(the good of all or the good of a part); 2) Source of Judgment (relies on their own judgment or relies on the judgment of
others); 3) Responsiveness (less responsive to sanction or more responsive to sanction). Selon cet auteur, le débat «
trustee/delegate » accorde, de façon erronée, une place centrale à la notion d’autorité et délaisse ces trois éléments
pourtant fondamentaux. Le principal enjeu selon l’auteur n’est pas de savoir qui a l’autorité de décider, mais plutôt de
savoir qui a l’autorité de décider de quelle façon les décisions doivent être prises.
Notre analyse s’inspire principalement des ré!exions de Catt (1999) et de Rehfeld (2009 et 2011) sur la représentation
démocratique. Leurs modèles permettent de saisir et de mesurer les particularités et les caractéristiques de la
représentation exercée, la nature du rôle, la qualité des relations et l’imputabilité.
Deux études exploratoires ont été effectuées à partir d’entretiens semi-dirigées (Fortier 2009 et 2012). Les résultats de
ces études ont permis de distinguer trois « temps » dans le rôle de représentant : avant (la procédure de nomination),
pendant (la représentation exercée en comité de concertation) et après (type de suivi). Les résultats ont également
permis de constater que divers modèles de représentation sont utilisés par les représentants dont le rôle et le mandat
apparaissent souvent confus puisqu’ils n’ont pas été formellement dé.nis au préalable, ni par l’organisation, ni par les
organismes représentés, ni par les membres du comité. L’approche de représentation prisée par les représentants des
organismes et institutions du milieu participant à des comités de concertation se veut quasi spéci.que à chacun des
acteurs. S’exerce alors une représentation hybride qui se dessine en cours de mandat et au .l des apprentissages.
Commande publique participative et segmentation de la « nébuleuse
participative ». Une étude des marchés publics de la participation française
1
Nonjon M., 2Mazeaud A.
UAPV1, Université La Rochelle2
L'institutionnalisation et la professionnalisation de la démocratie participative ne semblent aujourd'hui épargner aucun
secteur d'action publique. Le nombre de marchés publics renvoyant à des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage,
d'animation ou d'évaluation de démarches participatives peut constituer en soi un indice de cette diffusion de la norme
participative sur des secteurs aussi différents que l'aménagement, l'environnement, la politique de la ville, la santé, etc.
Ces logiques de diffusion traduisent-elles pour autant la consolidation d'une norme participative commune et
identique portée et outillée par les mêmes types de professionnels quelque soit les secteurs d'activités concernés ? C'est
à cette question que nous nous proposons d'apporter des éléments de réponse en nous appuyant sur un matériau original
et étonnamment peu étudié - les appels d'offre liés aux marchés publics de la participation - et la manière dont ces
derniers renseignent la structuration du marché de la démocratie participative en France. Cette communication sera ainsi
l'occasion de rappeler que loin de pouvoir être appréhendé comme le seul résultat de la production d'une commande
publique participative par les collectivités (en particulier territoriales), le marché de la démocratie participative français
est largement entretenu par l'existence des professionnels de la participation, et en premier lieu des prestataires privés,
qui ont contribué à assoir la nécessité de la participation en fournissant argumentaires et méthodes. A ce titre, la
procédure de marché public peut être analysée comme le principal point de rencontre entre l'offre et la demande, entre
les prestataires et les maitres d'ouvrage.
158
Plusieurs dynamiques seront interrogées dans cette communication. Nous montrerons en quoi l'analyse des marchés
publics de la participation renseigne autant l'extrême fragmentation du marché de la démocratie participative
(local/national ; en fonction du type de procédure ; du type de prestation), l'intensité des concurrences qui s'y exercent
que les logiques de standardisation des pratiques. Il s'agira ainsi d'étudier comment, dans la co-construction de la
commande publique, des offres de prestations et des outils, se redistribuent les cartes des positions de dominants et de
dominés sur le marché, se construisent des standards, des logiques de palmares chez les consultants comme au sein des
collectivités.
Bibliographie
Champy (F.), 1999, « Commande publique d'architecture et segmentation de la profession d'architecte les effets de
l'organisation administrative sur la répartition du travail entre architectes, Genèses, 37.
Deffontaines (G.), 2012, « Les consultants dans les ppp : entre expertise au service du client public et
intermédiation pour protéger le marché », PMP, 29.
Gourgues (G.), 2013, Les politiques de la démocratie participatives, PUG.
Lascoumes (P.), Lorrain (D.), 2007, « Les trous noirs du pouvoir. Les intermédiaires de l'action
publique », Sociologie du travail, 49(1).
Le Velly (R.), Bréchet (JP), 2011, « Le marché comme rencontre d'activités de régulation : initiatives et
innovations dans l'approvisionnement en bio et local de la restauration collective », Sociologie du
travail, 53
Linossier (R.), 2012, « Le conseil en stratégies et projets urbains : un marché atypique », PMP, 29/1.
Mazeaud (A.), Nonjon (M.), Le marché de la démocratie participative. Institutionnalisation de la norme
participative et transformation de l'action publique, Les éditions du Croquant, A paraître .n 2014.
Quaderni, 2012, Produire la démocratie. Ingénieries et ingénieurs de l'offre publique de participation,
n°79.
La circulation du e-budget participatif au Brésil
1
Sa Vilas Boas M.-H., 1Nonjon M.
Université d'Avignon1
En 2007, la municipalité de Belo Horizonte recevait le prix « Bonnes pratiques en participation citoyenne », décerné par
l'Observatoire International de la Démocratie Participative, pour son budget participatif (BP) réalisé exclusivement en
ligne. Le BP numérique circule depuis lors sur le territoire brésilien et une dizaine d'expériences ont été recensées
depuis le début des années 2000. Bien que la notion de BP numérique recouvre une diversité de design et de pratiques,
une certaine standardisation est observable autour d'un modèle, celui que Rafael Sampaio nomme « participe en
présence, vote en ligne »1. Celui-ci comprend une phase de délibération en face-à-face et une procédure de vote,
réalisée exclusivement en ligne.
Cette communication vise à analyser le processus de circulation du BP numérique au Brésil. Plus précisément, nous
présenterons une étude en cours, menée dans le cadre du projet Tr@nspolo (université d'Avignon), portant sur les
acteurs œuvrant à la diffusion de ce dispositif et les conceptions de la participation qu'ils promeuvent. Alors que le
modèle « original » du budget participatif a parfois été considéré comme l'idéal type de la démocratie participative,
comment et pourquoi ce dispositif a-t-il fait l'objet d'une traduction numérique, partielle ou totale ? Quels sont les effets
de la technicisation du BP sur le champ de la démocratie participative ?
Nous nous appuierons sur l'étude du design et sur l'analyse de la trajectoire des promoteurs de trois BP numériques
(Belo Horizonte, Porto Alegre et Etat du Rio Grande do Sul) a.n d'explorer deux hypothèses. La première est que la
promotion du BP numérique est assurée par des acteurs partiellement distincts de ceux qui valorisent le BP traditionnel.
Alors que les organisations du mouvement social et certains acteurs politiques ont joué un rôle de premier plan dans le
processus de création et la circulation du modèle initial, la diffusion du BP numérique semble plutôt être le fait d'acteurs
disposant de compétences techniques, en particulier de spécialistes des nouvelles technologies engagés par les
administrations locales. La seconde hypothèse est que la technicisation de la démocratie participative conduit à une
évolution des objectifs qui justi.aient initialement le BP. A Belo Horizonte, la création du BP numérique est allée de
pair avec une redé.nition du public visé - les milieux populaires étant moins la cible privilégiée que dans le BP
traditionnel - et des formes de participation – le vote individualisé se substituant à la délibération collective autour des
priorités d'investissement. Plus généralement, l'on se demandera si l'adoption d'outils participatifs numériques alimente
un processus de professionnalisation de la démocratie participative au Brésil.
159
Quelle participation publique ? Les dispositifs québécois en environnement et en
urbanisme
1
Simard L., 2Bherer L., 3Gauthier M.
Université de Montréal2, Université d'ottawa1, UQO3
L’objectif de cet article est de s’interroger sur la variété des dispositifs participatifs et leurs modalités a.n de proposer
une synthèse. Jusqu’à maintenant, les études sur la participation publique se sont principalement penchées sur la
dynamique interne des dispositifs de participation publique ou leur contexte immédiat de mise en œuvre. La
complexi.cation du domaine de la participation publique et la multiplication des espaces et dispositifs exigent toutefois
de passer d’un cadre d’analyse qu’on peut quali.er de « monographique » à une analyse plus transversale qui permette
d’étudier dans une perspective plus large la portée et la diversité. En d’autres termes, l’article souhaite contribuer à
l’étude des instruments participatifs (IP) dans deux secteurs proli.ques, celui de l’environnement et de l’urbanisme,
dans la mesure où ils apparaissent comme des références et participent à l’encadrement de la gouvernance en laissant
voir une certaine conception du citoyen, un type de participation et du degré d’in!uence sur l’action publique.
L’histoire d’un Comité de bon voisinage : Le chantier du Centre de santé de
l’Université McGill
1
Vandermeulen C., 2Bornstein L.
Hafencity Univserity1, McGill University2
En 2010, le Centre Universitaire de Santé McGill (CUSM), responsable du développement d’un nouveau mégacampus
hospitalier, décida de mettre sur pied un forum d’échanges sur le chantier de construction de ce dernier. Avec trois
autres partenaires - la Ville de Montréal, l’Arrondissement de Notre-Dame-de-Grâce/Côte-des-Neiges et le Groupe
Immobilier de Santé McGill - on développe un « Comité de bon voisinage », ayant recours pour la première fois à
Montréal à ce mécanisme communautaire ouvert au public pour discuter avec les riverains des questions entourant le
chantier de construction jusqu’à l’ouverture du Centre en 2015. Établissant une nouvelle forme de « participation » au
chantier de construction, le CUSM ne se contente pas de l’usage ordinaire de communiqués aux riverains émis par la
poste ou par l’entremise des médias sociaux. Il souhaite à chaque rencontre discuter des éléments portant sur les travaux
des prochains mois. La Ville de Montréal pour sa part avance ce mécanisme de participation, car l’expérience a
démontré que les procédures habituelles pour les chantiers plus restreints ne suf.sent pas dans le cas des mégaprojets de
longue durée. Les réactions riveraines manifestées témoignent de la dif.culté de réunir de multiples acteurs locaux,
régionaux et provinciaux autour d’une même table – dont certains sont notamment absents. Le modérateur
professionnel peine à restreindre la discussion aux travaux à venir. Les riverains veulent participer à la plani.cation du
chantier, au projet, et apportent bien d’autres questions à la table. Le Comité de bon voisinage inaugure une forme de
dialogue qui se renouvelle déjà avec d’autres mégaprojets. À travers la courte histoire de ce comité nous proposons
d’examiner : (a) le rôle des riverains et des acteurs professionnels ; (b) le déroulement de la discussion et les thèmes
visés par les uns et par les autres ; (c) la qualité de la participation des acteurs ; et (d) l’impact du comité sur la prise de
décision à l’égard du nouveau campus de santé.
Participation traditionnelle et participation en ligne dans le débat public urbain :
pratiques, logiques et perspectives? Éléments de réponse et de cadrage à travers le
cas de la politique de consultation publique de la Ville de Québec
Mericskay B.
Rennes 2
Le recours aux dispositifs en ligne par les autorités territoriales a.n de mettre à disposition diverses informations ou de
permettre aux citoyens de s’exprimer sur les projets urbains s’est généralisé en quelques années. Avec le développement
exponentiel d’Internet et l’émergence du Web social (Web 2.0), les modalités de communication des autorités autour des
projets urbains autant que les formes d’engagement des citoyens au sein des processus de plani.cation participative sont
en pleine mutation (documentation en ligne, mise en place de sites Web, concertation en ligne, utilisation des réseaux
sociaux). Et de manière générale, l’appropriation grandissante des TIC tant par les élus, les praticiens que la société
civile (citoyens, associations) participe activement à transformer les métiers de l'urbain en opérant des modi.cations sur
les formes d'échange du savoir et de l'expertise dans les processus de gestion et de plani.cation des villes.
Toutefois dans les faits, cette généralisation de la mobilisation des dispositifs en ligne dans le cadre du débat public au
même titre que l’appropriation des outils du Web social par des organismes locaux n’est pas forcément synonyme d’une
plus grande ou d’une meilleure participation citoyenne. D’une part, la plupart des maîtres d’ouvrage et des collectivités
qui décident de mobiliser Internet dans le cadre de débats publics se limitent à des démarches timides et essentiellement
informatives. D’autre part, le recours à ses nouveaux outils par les différentes parties prenantes renvoie bien souvent à
des logiques de communication, de marketing voire de contestation, et ce au détriment d’une réelle participation
publique basée sur l’échange, le dialogue et le consensus. Et de manière générale, Internet est avant tout envisagé et
mobilisé par les autorités, les organismes et les citoyens comme une source d’information et un média de
communication et très peu en tant que sphère virtuelle du débat public.
En s'appuyant sur les résultats d'une recherche doctorale de quatre années (basée notamment sur l'observation des
160
pratiques numériques des acteurs du débat public urbain de la Ville de Québec), cette communication a comme ambition
de faire le point sur les dispositifs de participation en ligne (formes, acteurs, logiques, tendances) et de mettre en
perspective cette utilisation grandissante avec les formes traditionnelles de participation citoyenne. Articulée autour de
trois parties, notre communication a pour objectif : (1) de faire un tour d’horizon des pratiques numériques actuelles en
matière de participation publique ; (2) d’expliciter plusieurs thématiques à enjeux sur la question de la participation en
ligne ; et (3) de proposer une synthèse et de mettre en perspective la question des interactions entre dispositifs
traditionnels et dispositifs numériques.
Il s’agira dans un premier temps de présenter les formes d'usages actuels d'Internet par les parties prenantes de l'action
publique (autorités, organismes et citoyens) en prenant comme exemple le cas de la Ville de Québec. Nous présenterons
ainsi : (1) les dispositifs institutionnels (sites Web, consultation en ligne, médias sociaux) ; (2) les formes
d’appropriation d’Internet par les organismes locaux à l’image des conseils de quartier et des comités citoyens (sites
Web, blogues, réseaux sociaux) ; et (3) les usages numériques des citoyens dans le cadre de leur implication dans la vie
de leur quartier et de leur ville.
A la suite de ce tour d’horizon des pratiques en ligne actuelles, nous présenterons certains résultats de la thèse en
développant plusieurs problématiques contemporaines sous-jacentes à la question de la participation en ligne. Il sera
notamment question de la représentativité en ligne (incapacité à mobiliser au-delà des personnes habituellement
présentes dans les procédures ordinaires), des formes et des logiques du débat public sur Internet (conception limitée de
la discussion en ligne selon des logiques non dialogiques et discursives sans véritables délibérations et consensus), du
rôle et de l’intérêt des réseaux sociaux (outils de communication qui par nature ne peuvent supporter un véritable
débat), et de la question de la surabondance de l’information institutionnelle (laquelle ne vient pas encourager la
participation, bien au contraire).
Finalement, il sera question des interactions entre dispositifs numériques et dispositifs traditionnels. Nous
développerons ainsi le fait que même si Internet dispose d’un potentiel considérable, il ne vient pour l’instant que
compléter les instruments traditionnels de participation publique. Il est en effet clairement apparu au cours de notre
étude que l’hybridation de tous les supports et de tous les modes d’expression permet aux citoyens de prendre part au
débat le plus diversement possible sur les sujets qui vont les intéresser. Nous présenterons en ce sens les risques de
dérives liés au « tout numérique » par le biais d’un exemple concret de consultation en ligne, lequel est assez révélateur
des limites que connaissent ces nouveaux outils en termes de participation citoyenne.
Nouvelles technologies et consultations citoyennes : quelle contribution à la
gouvernance globale du développement durable ?
Sénit C.
VU University Amsterdam / Iddri Sciences Po
Plaçant les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) au cœur de leur dispositif,
d’innovants mécanismes de consultation citoyenne !eurissent aujourd’hui dans le cadre des négociations internationales
sur le développement durable. De par leur créativité méthodologique, les Dialogues du développement durable de
Rio+20 ont marqué le début d’une nouvelle ère pour la participation de la société civile, ouvrant ainsi de nouvelles
perspectives pour la démocratisation de la gouvernance globale du développement durable. En prenant l’exemple des
Dialogues de Rio+20, cet article vise à analyser les effets de l’utilisation des NTIC sur la légitimité des consultations
citoyennes et leur in!uence sur les négociations internationales.
Nous procédons en trois temps. Premièrement, nous conceptualisons la légitimité, dé.nissons ses principales variables –
l’inclusion, la transparence et la redevabilité – et examinons les effets de l’utilisation des NTIC sur chacune d’entre
elles. Deuxièmement, nous étudions l’in!uence des consultations citoyennes en ligne sur les négociations
internationales, et nous demandons dans quelle mesure le niveau observé d’in!uence peut être corrélé au degré
d’inclusion de la consultation. Nous avançons que si l’utilisation des NTIC dans les processus participatifs constitue un
levier important pour disséminer l’information et mobiliser la société civile au-delà des réseaux institutionnalisés,
plusieurs facteurs, dont les ressources et la temporalité des consultations, biaisent la participation, réduisent son
in!uence sur les négociations, et atténuent par là même la capacité de ces nouvelles méthodes participatives à
démocratiser la gouvernance globale du développement durable. Cependant, en stimulant l’échange d’informations et la
discussion, les consultations en ligne permettent à la société civile de renforcer ses capacités, de développer de
nouveaux partenariats, et d’améliorer la compréhension mutuelle, autant d’effets indirects à même d’accroitre
l’in!uence des acteurs de la société civile sur les négociations internationales. Troisièmement, nous proposons des
recommandations visant à améliorer la légitimité des consultations citoyennes en ligne et leur in!uence sur les
négociations internationales dans le domaine du développement durable.
161
ST 29 : Quelle place pour l’histoire dans la philosophie politique
normative ?
John Rawls, historien de la philosophie politique ?
Desmons O.
Lille 3
Lorsqu'on tient John Rawls pour l'un des penseurs les plus marquants de la philosophie politique contemporaine, c'est,
le plus souvent, pour son œuvre normative. Théorie de la justice, dit-on, revient à des considérations normatives, après
la longue domination des questions méta-éthiques. La démarche contextualiste de Rawls – il se donne pour objectif de
dé.nir des principes valables ici et maintenant – contribue également à déconnecter la pratique de Rawls de l'histoire de
la philosophie politique.
Cette façon de concevoir l'œuvre de Rawls n'est pas dénuée de pertinence. Il faut néanmoins remarquer, comme
l'indique la publication des Lectures on the History of Political Philosophy, que Rawls n'a cessé de s'intéresser à
l'histoire de la philosophie politique. Faut-il n'y voir que l'effet de ses obligations d'enseignement ? Ou s'ouvrir à
l'hypothèse selon laquelle l'histoire de la philosophie jouerait un rôle important dans la pensée normative de Rawls ?
Je soutiendrai que, si Rawls ne doit sans doute pas être considéré comme un historien de la philosophie politique, il
développe une pratique originale de l'histoire de la philosophie politique. Cette pratique repose sur l'idée que s'il est
possible d'apprendre quelque chose sur les auteurs qu'on lit (learn about), on doit également chercher à apprendre
quelque chose d'eux (learn from). Si cette façon de procéder pose un certain nombre de problèmes herméneutiques,
notamment celui de la projection, elle donne aussi à voir un exemple de pratique philosophique de l'histoire de la
philosophie, qui met à mal l'opposition entre histoire de la philosophie et philosophie normative.
La philosophie politique normative peut-elle répondre au défi historiciste ?
Hamel C.
Université libre de Bruxelles
La philosophie politique normative peut-elle sans contradiction se positionner dans une tradition de pensée ? Cette
question est problématique parce que d’un côté, elle doit maintenir l’indépendance de ses énoncés à l’égard de l’histoire
: une telle indépendance est en effet nécessaire pour que le critère de validité de ses énoncés demeure une évaluation
normative et non un débat historique. Mais, d’un autre côté, parce que l’essentiel des notions qu’elle mobilise pour en
faire des concepts ont de fait une histoire, la philosophie politique normative se positionne aussi, presque toujours et
plus ou moins fermement, dans une tradition de pensée intellectuelle.
Cette communication propose d’illustrer ce problème et d’y apporter quelques éléments de réponse.
(i) D’abord, en reconstruisant le dé. historiciste, lancé par Quentin Skinner et adressé non seulement à ceux qui
s’appuient sur des auteurs du passé pour élaborer leur philosophie politique normative (Skinner 2002a) mais également
à ceux qui prétendent s’abstraire des débats historiques pour raisonner en termes strictement contemporains (Skinner
2002b ; 2002c). Il s’agira d’identi.er la spéci.cité de ces reproches adressés à ces deux attitudes, et de préciser le
terrain sur lequel des réponses peuvent être apportées au dé. historiciste.
La suite de cette communication présentera la façon dont plusieurs théoriciens politiques prétendant à l’autonomie
normative de leur philosophie politique, ont néanmoins cherché à y ménager une place à l’histoire de la pensée
politique. Mon but sera de montrer que cette volonté d’articuler un souci d’ancrage d’historique à une prétention à
l’autonomie normative expose ces philosophies à des tensions.
(ii) Tout d’abord, j’examinerai le poids considérable que joue l’histoire dans Political Liberalism de John Rawls :
conscient que le désaccord raisonnable s’applique également à la raison philosophique, Rawls prétend que la base
commune et nécessaire à l’existence d’une société suppose « l’examen de la culture publique elle-même en tant que
fond partagé d’idées et de principes implicitement partagés » (p. 8 éd. angl). Or, Rawls caractérise cette culture publique
par les institutions politiques d’un régime constitutionnel mais aussi par « les traditions publiques d’interprétation de
ces institutions (y compris l’interprétation des institutions judiciaires), ainsi que les textes et documents historiques qui
relèvent de la connaissance commune » (p. 13-4). Or, le problème soulevé par cette caractérisation est que chacun des
éléments qui forment cette culture publique est l’objet de débats intellectuels in.nis, tant dans le discours politique
public que dans le champ académique spécialisé. Autrement dit, la culture politique commune envisagée par Rawls ne
fournit pas le terrain politique commun dont il a besoin pour défendre sa conception politique de la justice : il fournit
davantage un champ de bataille intellectuelle et idéologique.
(iii) Ensuite, j’étudierai la façon dont Jeremy Waldron a tenté à la fois de pendre en considération l’avertissement
historiciste selon lequel la philosophie politique normative ne devrait pas négliger l’histoire de la pensée politique, tout
en maintenant la nécessité d’une interrogation philosophique autonome (Waldron 1996 ; 1993). Ce double souci est net
dans son ouvrage sur la conception théologique de l’égalité développée par Locke (Waldron 2002), conception que
Waldron restitue a.n d’interroger des questions non questionnées par les égalitaristes contemporains. Or, si une telle
démarche est effectivement susceptible d’enrichir, quoique de façon indirecte, la philosophie politique normative, il se
162
trouve que Waldron, en prétendant restituer la pensée de Locke, importe de façon indue des considérations étrangères à
l’univers lockien (cf. Waldron 1999 ; Hamel et Roussin 2014), s’exposant ainsi à la critique historiciste mentionnée plus
haut.
(iv) En.n, j’étudierai la façon dont Philip Pettit cherche à maintenir d’un côté l’autonomie normative de sa philosophie
politique républicaine (Pettit 2004, p. 11 ; 2012, p. 19), tout en prétendant ne faire qu’adapter et réélaborer certaines
idées qu’il tire de la tradition républicaine (Pettit 2004, p. 35-75 ; 2012, p. 1-25 ; 2014, p. 1-27). La question n’est pas
seulement de savoir si les éléments d’histoire de la pensée qu’il propose sont .ables historiquement, mais de savoir
comment il justi.e cette articulation.
(v) En conclusion, je tenterai de dégager, à la lumière des cas étudiés, les conditions auxquelles la philosophie politique
normative peut prétendre faire une place à l’histoire sans ruiner ses prétentions normatives.
L’usage de l’histoire dans la théorie normative des relations internationales :
Raymond Aron et John Rawls
Brice B.
EHESS
John Rawls, considéré comme l’un des principaux philosophes politiques normatifs, laisse une place inhabituelle à
l’histoire dans The Law of Peoples (1999), même dans la première partie qui traite de la « théorie idéale ». Il doit en
effet donner une certaine crédibilité historique au concept de « paix démocratique », emprunté à la théorie des relations
internationales, car c’est ce concept qui fait de son Droit des peuples une « utopie réaliste » (§5). Pour étayer sa
démonstration, John Rawls mobilise notamment la notion de « paix de satisfaction » qu’il trouve dans le traité de
Raymond Aron sur les relations internationales, Paix et guerre entre les nations (1962). Aron occupe lui aussi une
position particulière dans le champ de la philosophie politique : s’il fait une large place aux matériaux historiques dans
son traité, il ne craint pas d’avancer simultanément des propositions normatives, ce qui lui a souvent été reproché. Il
paraît donc possible de nouer un dialogue entre ces deux textes sur l’utilité du recours à l’histoire dans la philosophie
politique normative, puisque le philosophe ne rechigne pas à s’appuyer sur les données historiques tandis que le
sociologue ne craint pas de se servir des faits pour chercher ce qui doit être.
John Rawls montre en quoi les sociétés libérales sont satisfaites (ce qui ne veut toutefois pas dire que chaque citoyen y
est heureux), et comment cette satisfaction permet une paix réelle entre elles. Cependant, dans le texte original,
Raymond Aron doutait qu’il soit possible d’instaurer une véritable « paix de satisfaction » ; pour cela il faudrait
supprimer « ce qui a été l’essence de la politique internationale : la rivalité d’États qui tiennent à honneur et devoir de se
faire justice eux-mêmes » (ch. VI). En se fondant sur l’étude de l’histoire des relations entre corps politiques,
notamment sur le récit de Thucydide, Aron souligne la permanence de certains affects humains qui rendent peu probable
une « paix de satisfaction », au premier rang desquels se trouvent « l’orgueil de régner » (ibid.). De son côté, le
philosophe américain évoque bien la notion de pride dans son texte, mais il s’agit à chaque fois de caractériser les
nonliberal peoples, qu’ils soient anciens ou contemporains ; selon lui, ces passions n’auraient désormais plus cours dans
les sociétés libérales (§5).
L’enjeu de cette communication sera de montrer que le recours à l’histoire se révèle un instrument indispensable pour
toute élaboration normative. Assurément, en partant de la prémisse selon laquelle le désir de domination aurait disparu
des sociétés libérales, John Rawls court le risque d’interpréter certaines expériences historiques dans le sens le plus
favorable aux principes de son Droit des peuples. Par exemple, le philosophe américain, à propos des Burdened
Societies, évoque les États non libéraux qui cherchèrent à imposer leur volonté sur l’Europe moderne : l’Espagne, la
France, l’Autriche et l’Allemagne (§15). Sans doute est-ce négliger un peu vite l’audace conquérante de pays comme
l’Angleterre et les Provinces-Unies qui dominèrent les mers à partir du XVIIe siècle. Même chose à propos des ÉtatsUnis : Rawls reconnaît que ce pays a pu renverser certaines démocraties naissantes, mais il af.rme que cela s’était fait à
l’insu de l’opinion publique et reposait sur la défense de la sécurité américaine (§5). Or, Raymond Aron, comme un bon
nombre d’historiens, aurait plutôt tendance à insister sur l’orgueil ou la démesure d’une nation qui serait prise par
l’ivresse de la puissance.
Notre thèse sera donc que l’étude attentive de l’histoire (les événements historiques aussi bien que l’histoire de la
philosophie politique) a peut-être permis à Raymond Aron d’envisager un aspect des relations internationales qui
n’apparaît pas dans le texte de John Rawls. En effet, bien que ce dernier auteur porte une grande attention à la notion de
self-respect depuis son ouvrage de 1971, et qu’il veille, dans The Law of Peoples, à ce que l’amour-propre des États non
libéraux ne soit pas trop blessé (§7), il ne semble pas porter attention aux motifs qui animent les grandes puissances
libérales lorsqu’elles s’immiscent dans les affaires internes des autres États pour les réformer, lorsqu’elles entendent
instaurer en.n une véritable « paix de satisfaction » ou lorsqu’elles remettent les « États hors-la-loi » dans le droit
chemin. N’éprouvent-elles pas d’une certaine manière une immense .erté à l’idée que leurs sociétés jouissent seules
d’une authentique liberté et d’un régime supérieur à tous les autres (ibid.) ? Peut-être l’étude de l’histoire dans la théorie
normative des relations internationales permet-elle de prendre un relatif recul ré!exif par rapport à certains des
présupposés de la philosophie politique libérale, notamment par rapport à l’idée selon laquelle l’ « orgueil de régner »,
évoqué par Aron, aurait désormais disparu.
163
Pourquoi l’histoire de la théorie politique n’est pas (encore) écrite?
Simard A.
Université de Montréal
« History is subtle lore and it may lock us in the longest argument in a circle that one can imagine » (Herbert
Butter.eld)
Dans cette communication, j’aimerais éclairer de manière latérale la place de l’histoire en théorie politique — ou, à
mieux dire, d’en repérer quelques usages possibles — en attirant l’attention sur la façon dont cette question s’est posée
dans des disciplines parentes, au moment de leur institutionnalisation. Il s’agira, en somme, de proposer une mise en
perspective historiques des usages de l’histoire (!) ayant cours dans notre discipline, en portant attention à la façon dont
un style historiographique idiosyncratique peut servir non seulement à asseoir les fondements épistémiques d’une
nouvelle discipline, mais aussi à dé.nir son ethos académique, ses agendas et son identité institutionnelle. L’essentiel de
mon propos portera sur l’exemple de la science juridique en Angleterre, qui se constitue comme discipline universitaire
à la toute .n du XIXe siècle, dans un effort désespéré de la part des juristes anglais pour rattraper la Rechtwissenschaft
allemande. L’exemple est éclairant dans la mesure où il a donné lieu à une série de prises de positions sur la place que
devrait occuper l’histoire dans le cursus et dans la méthodologie juridique en général. En dépit du prestige intellectuel
dont jouissaient les partisans de ce qu’on appelait la « méthode historique » (Maine, Pollock, Maitland, etc.), les
universités anglaises vont orienter leur enseignement vers une approche plus analytique, puisant à l’œuvre de John
Austin.
Plus précisément, je voudrais m’attarder à la ré!exion que Frederic W. Maitland, développe dans sa célèbre leçon
inaugurale « Why the history of English law is not written » (1889). Maitland déplore que les juristes anglais, en dépit
de la nature essentiellement « historique » de leurs objets, aient résisté de manière si opiniâtre à l’enquête et à
l’érudition historiques, contrairement à leurs homologues allemands ou américains. Il suggère qu’une historiographie
« endogène », à usage interne et orientée vers les besoins des praticiens, a empêché le développement d’une méthode
historique sérieuse et a neutralisé tout travail de critique des sources. Tout se passe comme si le discours disciplinaire
(celui des juristes, mais cela vaut aussi pour celui des philosophes et, par extension, des politologues) générait un récit
mémoriel qui l’immunise contre les effets critiques et la perplexité induits par la véritable science historique. Il ne s’agit
donc plus de plaider pour plus d’histoire, mais surtout d’interroger le style historiographique mobilisé par le nonhistorien, et la manière dont il est employé dans les disciplines connexes. Maitland s’attaque ici à l’archétype de
l’histoire whig, et lui oppose l’idéal ascétique d’une histoire « totale » (sociale, économique, intellectuelle) du droit.
Cette opposition demeure, chez lui, la contrepartie d’un libéralisme teinté d’ironie, se mé.ant des grands événements
politiques, préférant trouver la liberté moderne (i.e. anglaise) « in what looks at .rst sight like a technical tri!e ».
J’aimerais ensuite retracer la façon dont cette opposition à l’histoire whig a servi, chez les historiens des générations
ultérieures, à dé.nir une posture radicale, visant non pas à rendre la science historique assimilable pour la théorie
politique, le droit ou les sciences sociales émergentes, mais à la puri.er et en faire l’instance critique par excellence —
d’où lui viendrait, paradoxalement, sa valeur inestimable pour la ré!exion politique. Je m’intéresserai tout spécialement
à la manière dont ce paradoxe a été formulé d’abord par Hebert Butter.eld, puis par son élève, le jeune John G. A.
Pocock. Dans The Whig Interpretation of History (1931), Butter.eld procède à un démontage systématique des tropes
de l’histoire « monumentale », au pro.t de ce qu’il appelle la « technical history » — une historiographie de
spécialistes, exigeante et axiologiquement neutre, bien que solidaire de la doctrine chrétienne de la providence. Quant à
Pocock, il propose dans son premier ouvrage The Ancient Constitution and the Feudal Law (1957) une mise en lumière
de le pluralité des « langages » historiographiques des juristes anglais et de leur dimension pragmatique, posant par-là la
pierre d’assise de ce qui deviendra l’« école de Cambridge ».
Les relations entre histoire et philosophie selon R.Aron
Chapuis L.
Paris IV
L’œuvre d'Aron propose plusieurs outils pour traiter des relations entre histoire et normativité philosophiques. De « La
philosophie critique de l'histoire » datant de 1934-1935, jusqu'aux « Leçons sur l'histoire » de 1972, les relations de la
connaissance de l'histoire à celle du présent sont omniprésentes.
Le premier outil est « épistémo-politique ». La question posée par Aron dans sa thèse est la suivante : « une science
historique universellement valable est-elle possible ? ». Aron nous invite à ne pas dissocier théorie de la connaissance et
théorie politique.
Le second outil est général : il distingue plusieurs usages de l'histoire. Le premier usage du concept d'histoire relève
d'une épistémologie de l'histoire, le second relève d'une philosophie de l'histoire. Ces deux usages ont chacun leur mot à
dire sur la normativité.
Le troisième est central : il répond à la question « que faire des théories politiques passées ? ». Dans l'article publié en
1964, intitulé « De la vérité historique des philosophies politiques », Aron traite du rapport entre passé et présent.
La communication développera l'apport de chacun de ces outils. L'universalité, ceteris paribus, et l'anhistoricité des
principes politiques est caduque : le sens dans lequel nous comprenons des principes universellement valables — par
exemple la démocratie — varie dans le temps. Un système normatif formalisé échouerait en fait comme en droit
puisqu'en politique, l'expérience scienti.que, contrôlée et reproductible, fait défaut : néanmoins, la philosophie politique
164
aronienne ne cède jamais non plus sur la priorité du problématique sur l'historique.
Historicité et normativité du concept de gouvernementalité
Mercure-Jolette F.
Université de Montréal
Cette présentation étudie le problème de la portée normative des travaux d'histoire de la philosophie en se concentrant
sur les recherches sur la gouvernementalité, concept forgé par Michel Foucault dans ses travaux sur l'histoire des
systèmes de pensée et des mécanismes de pouvoir et qui sera abondamment repris, notamment dans les «
gouvernmentality studies » (Rose, Lemke). Dans « Nietzsche, la généalogie, l'histoire », Foucault af.rme que sa
méthode se caractérise par « un certain acharnement dans l’érudition », a.n de problématiser, voire parodier, les idées
reçues et « faire de l’histoire une contre-mémoire ». Loin des idées classiques faisant de l'histoire un livre d'exemples et
de l'historien un chercheur de trésors oubliés (Skinner), la portée normative de la généalogie serait ainsi essentiellement
négative : critique des universaux et historicisation irrévérencieuse des idées importantes de la tradition. Or, dans ses
travaux plus tardifs, Foucault ouvre la porte à un sens plus positif. Se distinguant de la tradition analytique qui tente
d'établir ici et maintenant les critères et conditions de possibilité des jugements justes, il soutient que ses recherches
servent à une ontologie historique de nous-mêmes, c'est-à-dire à problématiser les limites du champ actuel des
expériences possibles. Ainsi, leur normativité serait moins de l’ordre d’une série de recommandations impératives, que
dans leurs effets indirects, dans le déplacement théorique et la re-description de nous-mêmes qu’elles produisent. La
question de la portée normative du concept de gouvernementalité deviendrait alors celle de son potentiel narratif, c'està-dire de sa capacité à produire de nouvelles descriptions de soi-même qui rendent visibles de nouvelles
problématiques. En étudiant l'utilisation et la réception du concept de gouvernementalité et en utilisant en partie le
vocabulaire de Koselleck, nous analyserons son historicité, c'est-à-dire la manière dont il in!échit le champ de
l'expérience et l'horizon d'attente et montrerons comment cet in!échissement peut être conçu comme un effet normatif.
165
ST 30 : La science politique entre indiscipline et discipline en
postcolonie africaine
Embargo sur la science politique et gouvernance barbare en Côte d’Ivoire
Adjagbe M.
Université d'Ottawa
Le peuple ivoirien apparaît avoir le plus souffert de la transition démocratique en Afrique occidentale francophone. La
Côte d’Ivoire a sombré dans le clash des autoritarismes après la longue gouvernance féodale de Félix HouphouëtBoigny. La césarienne du capitalisme monopoliste engendre un régime nativiste lorsque les forces sociales
nationalitaires se sont emparées du pouvoir. La sourde oreille aux appels à la percée constitutionnelle, soutenue par une
accumulation primitive institutionnalisée de la France, suscite la rébellion pro-Ouattara et la crise postélectorale de
2010. La violence politique est devenue le mode de gouvernance. Bien que la défaillance structurelle de l’état et le
néolibéralisme disciplinaire soient pertinents, ces facteurs ne racontent pas tout le con!it qui structure la vie politique
ivoirienne depuis la .n des années 1980. Sans ignorer ces facteurs, ma communication soutient que la dépendance de
sentier et la désertion de la science politique des amphithéâtres en Côte d’Ivoire ayant renfermé le savoir en matière de
gouvernance et d’accession au pouvoir dans les cercles des partis politiques souvent instruits par des marabouts en
recyclage de vieilles idées ont fait !otter les gouvernants au dessus de la société ivoirienne. La communication en
conclut que la réconciliation nationale et le désarmement des cœurs ne peuvent ignorer la réintroduction de la science
politique dans les universités ivoiriennes.
La science politique entre indiscipline et discipline en post colonie africaine
Chouala Y.
Université de Yaoundé 2
Le paradigme du « pacte colonial » apparaît comme une disposition structurante qui rend compte de la situation de
l’Afrique dans l’univers historique de la production des connaissances, de l’accumulation et du partage des savoirs et de
la circulation internationale des idées. Une esquisse généalogique de la modernité scienti.que africaine révèle qu’en ses
fondements baptismaux se trouve le pacte scienti.que colonial qui structure ses logiques, détermine ses aspirations et
oriente ses trajectoires et résultats. Il s’agit, dans le monde scienti.que africain, de ce qu’on pourrait appeler, suivant
une formule nietzschéenne, une séquence de l’histoire monumentale du continent ; c’est-à-dire celle qui fait de l’effet en
tout temps et en tout lieu. C’est donc dire qu’aussi bien le savoir africain que l’Afrique dans le savoir mondial est
structurellement marquée du sceau du colonialisme qui marque les courants de pensée les plus importants à l’instar du
post-colonialisme et de l’afrocentrisme.
L’Afrique dans le savoir mondial reste largement régie par le « pacte scienti.que colonial » où prédomine une logique
du savoir de traite ; logique qui l’intègre dans ce marché du savoir à partir de la perspective d’un comptoir d’accès aux
matières premières scienti.ques brutes (cultures, mythes, croyances, religions) destinées à la transformation en produits
intellectuels .nis, en modèles de connaissances par les autres centres d’études et de recherche occidentaux. L’Afrique
fournit les matières premières scienti.ques pour les laboratoires occidentaux. L’on est sans doute ici au fondement de la
relation inégale entre l’Afrique et le reste du monde constitutive du syndrome dé.citaire structurel de l’émergence et de
l’af.rmation du continent noir à la pleine maturité scienti.que. Il s’ensuit que, historiquement, les contextes de
collaboration scienti.que ont été ceux de la dépendance de la domination et de la marginalisation ayant procédé à la
structuration d’une relation spéci.que de l’Afrique au savoir mondial.
Cette contribution voudrait replonger dans cette longue marche de l’interaction scienti.que entre l’Afrique et le Nord en
cette ère de la nouvelle raison du monde marquée par la mondialisation néolibérale dont le substrat philosophicopolitique est d’organiser le monde suivant le principe universel de la concurrence. La mondialisation peut-elle changer
la posture historique de l’Afrique vis-à-vis de la production des idées ainsi que le modèle traditionnel de la circulation
des connaissances entre l’Afrique et le Nord ? Peut-il y avoir de coproduction scienti.que possible dans un contexte
d’inégalité structurelle des infrastructures scienti.ques et de la formation des chercheurs ? Il s’agit de voir si le dialogue
des savoirs entre l’Afrique et le monde peut sortir de la lutte perpétuelle entre le savoir occidental dominant et la
revendication d’une reprise de l’initiative en matière de production des connaissances sur soi se projetant soit sous le
mode radical du « retournement copernicien a.n que l’Afrique tourne autour d’elle-même et pour elle-même » ; d’une
strangulation des épistémologies dominantes constituées sur le continent ; soit sur le mode modéré et réaliste de
partenariats innovants d’échanges mutuels d’expériences et des savoirs.
La science politique entre indiscipline et discipline en postcolonie africaine
Belomo Essono P.
Université catholique d'Afrique centrale
La question de la science politique se pose en Afrique en termes de démarcation d’avec le politique. Les ambitions de «
totalisation » des pouvoirs politiques continuent de marquer l’in!uence du politique sur la discipline et ses acteurs.
L’instrumentalisation de la science politique procède d’un triptyque dans son ordre de déploiement. Elle s’inscrit primo
166
dans une perspective d’arrimage scienti.que avec la Raison occidentalo-centrée qui réfute une déconstruction et un
questionnement scienti.que autre que sa propre objectivation et sa construction de la réalité scienti.que, politique et
sociale. Toutefois, si la science politique en Afrique s’édi.e dans l’universalisation de la pensée, elle s’autonomise et
tente de produire un discours scienti.que singulier. Secundo, l’instrumentalisation de cette discipline est l’œuvre du
politique dont les ressorts sont liés à la capture de toutes les forces centrifuges et centripètes avec pour but de les
inscrire dans l’espace de domination politique. Tertio, le discours scienti.que sur le politique contribue à la légitimation
du pouvoir politique. La politique, objet de cette discipline procède à son assimilation au point où la distanciation entre
pensée du politique et production de la science devient ténue. Le système af.nitaire entre le politiste et le politique
conduit à une légitimation du pouvoir autoritaire. La stratégie politique consiste à dévoyer et à transformer l’essence du
propos scienti.que a.n de l’introduire dans un éthos politique dont la rationalité est aux antipodes du fondement et de la
téléologie de la science. Au demeurant, la dialectique entre légitimation des pouvoirs et production d’une rationalité
scienti.que permet d’interroger la construction et les avancées de cette discipline dans cette sphère.
La Science Politique entre technologies pratiques de gouvernement et savoir
scientifiques : les errements des sciences du développement au Cameroun
Ngwe L.
Fondation Maison Science de l'Homme
Le savoir scolaire, particulièrement les certi.cats sociaux qui l’attestent (diplômes, titres…) se prête à tous les usages
sociaux dans différents champs. Il autorise une prise de parole légitime dans les champs scienti.que et académique,
politique et médiatique sans pour autant qu’aucune distinction ni séparation en termes de posture, d’usages ne soient
introduites. Cependant, tous les savoirs, notamment issus des différentes disciplines académiques ne sont pas concernés
au même degré. En effet, la science politique s’illustre particulièrement dans ces différents usages. Considérée comme
un savoir de gouvernement et propulsée autant que le droit à cette fonction au moment de la constitution de l’État, la
Science politique n’a cessé d’entretenir un rapport ambigu avec l’action politique. Et ses usages dans les différents
champs oscillent entre des formes de technologies pratiques de gouvernement et un savoir scienti.que, mais dont le
point de rencontre de ces différents points de vue et postures est leur utilisation directe et indirecte dans l’action
politique. Ce positionnement de la Science politique et de ses acteurs est particulièrement réactivé et visible à toutes les
séquences qui scandent la vie politique du pays.
Cette contribution entend rendre compte, à partir d’une analyse croisée des prises de position des politistes,
particulièrement des universitaires, de leurs pratiques, de leur trajectoires professionnelles ainsi que de leurs
productions scienti.ques et intellectuelles, les rapports ambigus au pouvoir politique que charrie le savoir politiste.
Elle entend également opérer une mise en perspective du savoir scolaire (et des certi.cats sociaux qu’il délivre) et
subséquemment des sciences du développement dans lequel ce savoir s’inscrit.
L’interdisciplinarité ‘’contrainte’’ : réflexions sur le statut de la science politique
au Maroc
Belarbi M.
Mohammed V Rabat-Agdal
L'examen du statut de la science politique comme discipline au Maroc pose des questions ayant trait à son ancrage ou
plutôt à son positionnement dans le champ scienti.que, notamment sur le plan épistémologique. Sur ce, la formation
des politistes elle-même et leur position dans le champ académique posent aussi problème. La plupart des politistes
/politologues marocains ne peuvent se réclamer entièrement de la science politique comme discipline, parce qu'ils sont
habitués à la faire en circulant à la marge d’autres disciplines telles que le droit constitutionnel, l’anthropologie, la
sociologie ou encore l’histoire. Leur travail est le fruit d'une interdisciplinarité contrainte. La science politique au Maroc
est donc au centre de cette galerie. À nos jours, elle est encore dans la confusion de cette interdisciplinarité inévitable.
Vu de cet angle, nous avons de bonnes raisons de prendre le temps de ré!échir sur l’anthropologisation, sur l’ascendant
juridique, entre autres, de l’exercice politologique marocain. De façon plus générale, il s’avère que le rôle d’un savant
politiste au Maroc n’est pas d’imposer une voie politiste, destinée à faire autorité et à connecter une communauté :
même chez ses fervents porteurs, l’exercice se rétrécit à ouvrir les pistes et à rester au stand des « coups d’œil ». Bien
entendu, si certes enrichissement et nécessité il y a en scrutant cette interdisciplinarité "obligée", toutefois toute
recherche qui relève de plusieurs disciplines rencontre inéluctablement des obstacles pour son identi.cation et pour son
accumulation.
Ma thèse porte sur les trajectoires de la science politique au Maroc : une analyse socio-historique de la tension entre
savoir et fait caméral : ma soutenance est prévue prochainement). Elle a fait l’objet d’une communication : « La science
politique au Maroc : autonomie vs syndrome caméral », présentée au 10ème congrès de l’AFSP/ 2009 /Section
thématique 49.
167
Existe-il des relations internationales africaines ? Réflexion autour de la logique
de fission disciplinaire des relations internationales.
Batchom P.
Université de YaoundéII
La parution récente d’un Traité de relations internationales sous la direction de Thierry Balzacq et Frédéric Ramel et la
ligne éditoriale adoptée soulèvent à nouveau la querelle quant à la pertinence des approches universalistes dans le
traitement paradigmatique des relations internationales. La discipline portée par les réalistes, libéraux et autres, avait
une perception universaliste des schèmes. Cette posture jugée universalisante par les auteurs critiques et les
révisionnistes a nourri une multiplication des postures relativistes. La spéci.cité des conduites des relations
internationales s’impose à tous dès lors que chaque sphère géographique peut revendiquer ses logiques, acteurs,
institutions et facteurs propres. De plus, la querelle entre l’universalisme et le relativisme paradigmatique et
épistémologique rend bien compte d’un désir de s’émanciper du western way of studying international politics. En
Afrique, de plus en plus de chercheurs et d’enseignants de la discipline revendiquent avec véhémence l’existence des
relations internationales africaines et les enseignent dans les facultés. Que renferme cette appellation ? Les relations
internationales africaines existent-elles vraiment en tant que discipline ou alors existe-il une manière spéci.que de faire
les relations internationales en Afrique, distincte de la pratique en Occident? Cette communication se veut une ré!exion
autour de cette tendance à la .ssion pour penser qu’il existe des réalités propres à chaque région et qui informent sa
conduite des relations internationales mais la discipline a des paradigmes et schèmes universels que l’on gagnerait à
enrichir par les exotismes régionaux.
Le politiste africaniste, éminent sociologue de l’Etat ?
1
Mandjem Y., 1Bigombe Logo P.
Université de Yaoundé II 1
Y a-t-il meilleur usage épistémique de la science politique que celui de la pensée de l’État ? En fait, bien que
l’étude du pouvoir se soit finalement imposée comme l’objet privilégié de la science politique, l’État n’a
cessé, à travers les âges, de constituer une question centrale des études politistes africanistes. Le lien entre la
science politique africaniste et l’État est resté intime. C’est un mariage, à la fois, de cœur et de raison.
L’obsession de l’État dans la pensée politiste africaniste reste prégnante. L’État attire, fascine et obnubile.
Comment cet État est-il cerné et (re)pensé aujourd’hui, à l’aune des travaux anciens et récents ? Comment
cette construction du vivre ensemble, attirante et repoussante à la fois, qu’on dit en crise et dévoyée depuis
de longues années sous toutes ses formes (souveraineté relative, territorialité incertaine, population
diversifiée et éclatée, greffe, importation et universalisation douteuses, etc.), réussit-elle à perdurer, à
s’accommoder de l’ordre et du désordre, de la mondialisation et des replis nationaux ? Comment
(re)découvrir l’État en Afrique comme une configuration mouvante, une « invention dérivant de pratiques
sociales elles-mêmes situées dans l’espace et dans le temps, dans une trajectoire et par rapport à une culture
qui lui donne sens » ? Comment les États en pointillé, en (éternelle ?) quête de « stabilité », se recomposent,
se transforment et maintiennent-ils ?
La déjuridicisation de la science politique au Bénin: discipline ou indiscipline
Kitti H.
Université D'Abomey-Calavi
La déjuridicisation de la science politique amorcée en 2008 a été consacrée en 2013 au Bénin. L'évolution contextuelle
de la discipline identique à celle de la France et des universités francophones de l'Afrique a trouvé une dynamique
interne favorable au détour de la restauration de la démocratie et des réformes universitaires. On s'interroge sur ses
outils pour assurer sa fonction scienti.que et didactique. Par ailleurs, on problématise sur l'avenir de la discipline dans
une faculté de droit où l'indiscipline reste un dé..
Bibliographie
- Thierry Balzacq et Frédéric Ramel (2013), Traité des relations internationales, Presses des sciensPo
- Ibriga (L.M.) et Sampana (L.) (2013) « l’Afrique de l’Ouest francophone. Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Sénégal » in
Thierry Balzacq et Frédéric Ramel (2013), Traité des relations internationales, Presses des sciensPo, p.90
- UEMOA (2004), Etude sur l’enseignement supérieur dans les pays de l’UEMOA, rapport .nal,, Ouagadougou, Union
économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), p 6
- Berthelot (J-M.) (2000), Sociologie : épistémologie d’une discipline. Textes fondamentaux, Bruxelles, De Boeck, p. 31
168
- Leclerc (M.) (1982), La science politique au Québec. Essai sur le développement institutionnel 1920-1980, Montréal,
l’hexagone, p 25
- Leclerc (M.) (1989), « la notion de discipline scienti.que », politique, 15, pp. 23-51
- Baudoin (J) (2000) « Introduction à la science politique, Paris, Dalozz, p. 15
- Pierre FAVRE (1989), Naissance de la science politique en France, 1870-1914, Paris, Fayard, p 83 et sq
- Braud P. (2011), sociologie politique, Paris, LGDJ, 10e édition, p. 18
La science politique camerounaise à la croisée des chemins
Mandjem Y.
Université De Yaoundé II
La science politique camerounaise a progressé au point de forcer l’admiration des collègues africains et étrangers.
Autrefois bannie et considérée comme un discours et un mode de connaissance subversifs au Cameroun, la science
politique connaît un regain d’intérêt et est (ou fait) l’objet de multiples investissements parfois ma.eux (l'usurpation du
titre de politiste ou d’analyste politique est à la mode) : ressource politique (titre d’accréditation, certi.cat de
compétence), instrument de régulation politique (discours politologique comme discours légitimateur, usage
démagogique du discours politologique). Informée historiquement par le bilinguisme de la société camerounaise, la
science politique camerounaise apparaît à l’expérience comme étant encore massivement francophone. Cependant, cette
science politique conquérante au plan international, généreuse et courtisée au plan interne, n’a pas encore .ni de faire le
procès des tribulations qui jalonnent le sentier vers la constitution de la science politique comme une discipline
autonome. Dès lors, la trajectoire de la science politique camerounaise oscille entre spéci.cité d’un itinéraire !exible et
dynamique et globalité des problèmes et dé.s. L’objectif de cette communication est d’éclairer la dynamique
d’autonomisation de la science politique camerounaise. Notre propos est de dire que le processus d’émancipation de la
science politique camerounaise comme une discipline autonome s’est fait dans le cadre d’une armistice politique d’avec
la discipline du droit et la tentation hégémonique des facultés de droit et des structures institutionnelles de recherche en
droit. Il en découle une autonomie contrôlée de la science politique qui est davantage mise à mal par ses usages sociaux
et politiques. Cette communication se propose de dresser un portrait collectif de la science politique camerounaise
aujourd’hui. Elle présente l’état de la discipline et analyse ses récentes évolutions au Cameroun comme alimentant un
mouvement pendulaire d’équilibre de forces qui tantôt tend vers l’autonomisation de la discipline (le projet de création
d’un institut d’études politiques de Yaoundé s’inscrit dans l’horizon d’attente de certains politistes), tantôt vers la
régression (avec des tentatives de reconquête de cette autonomie par le droit). Ce portrait collectif sera scruté à partir
d’une observation de l’évolution des objets d’étude des politistes camerounais, des méthodes mobilisées par eux, les
programmes d’enseignement de science politique, les supports de publication camerounais (POLIS/RCSP, RCEI,
RAEPS, RCDSP) et étrangers, le rayonnement au niveau des instances africaines de recherche (CODESRIA) et de
gouvernance universitaire (CAMES), les structures d’enseignement et de rattachement institutionnel de la science
politique (Facultés de droit), les laboratoires de recherche (GRAPS, CREPS) et les sociétés savantes (SOCASP, AASP,
AISP, etc.).
Vers une (nouvelle) anthropologie politiste en Afrique ?
1
Njoya J., 1Bigombe Logo P.
Université de Yaoundé II 1
La constitution de l’anthropologie politique comme champ spéci.que de la science politique en Afrique est récente.
L’obsession de l’étude de l’Etat comme institution monopolistique et totalisante de l’espace social ayant longtemps
éclipsé l’étude des formes et dynamiques générales du politique dans les sociétés africaines, les politistes ont, pendant
longtemps et ce à leur corps défendant, repris, diffusé et vulgarisé les typologies construites par l’anthropologie
fonctionnaliste britannique autour d’Evans-Pritchard et Fortes Meyer, dans Les Systèmes Politiques Africains (1940).
Mais, cette situation a changé avec la publication de L’Anthropologie Politique (1967) de Georges Balandier, des
Systèmes Politiques des Hautes Terres Birmanes (1972) d’Edmund Leach et, un peu plus tard, de l’Anthropologie de
l’Etat (1990) de Marc Abelès. L’école dynamiste a déclassé l’école fonctionnaliste, permettant ainsi de postuler
l’universalité du politique dans les sociétés humaines et de fonder une science du politique analysant les propriétés
communes du politique dans la diversité des sociétés humaines. Cette orientation est aujourd’hui la référence de
l’anthropologie politiste en Afrique. Elle postule, à la fois, l’universalité du politique et la diversité des formes de
gouvernement des sociétés humaines. En somme, et bien que les typologies aient la peau dure et soient encore, de temps
en temps, abordées dans les enseignements et les débats académiques, elles sont fondamentalement remises en question
et progressivement abandonnées. Il n’est plus simplement question de décrire et d’analyser les systèmes politiques des
sociétés exotiques, primitives ou traditionnelles, mais d’analyser les diverses dynamiques et logiques qui fondent et
structurent le gouvernement des sociétés humaines dans leur con.guration plurielle, historique, sociologique et
géographique. Le dé. qui se pose aujourd’hui à l’anthropologie politiste en Afrique est d’explorer et de saisir les
dimensions symboliques du politique et leurs effets apparents et latents sur l’évolution des sociétés politiques africaines
contemporaines.
169
ST 31 : Les études sur la mémoire comme sous-champ de la science
politique francophone ?
Between international embeddedness and political interests: developments in
Hungarian Memory Studies
Zombory M.
Hungarian Academy of Sciences
The paper will overview the main recent developments of memory studies in Hungary from the 1980s. On the one hand,
it will trace the beginnings of the academic practice related to the problem of memory three decades ago, and the
thorough transformation of the .eld caused by the change of regime in 1989. The discussion of the main resarch topics
and the disciplinary structuration of the research .led will also be undertaken. The paper argues that - due to the
integration of the Hungarian research .eld into the European academic (and political) spaces - the main interest in
"recovering national memory" in the early 1990s was gradually replaced by a focus on national memory with dictatorial
regimes and their victims in its sphere of interest. Besides the perspective on the content and paradigms of memory
studies, on the other hand, the paper will also investigate its main social actors by demonstrating the recent intstitutional
restructuration of the .eld. The argument here is that in order to explain the development of memory studies one has to
take into account the interest of politics in large sense of the word, and especially that of the state gouvernments.
Quand science politique et droit dialogue : quelle typologie des instruments
mémoriels ?
Grandjean G.
Université de Liège
Envisager les études sur la mémoire comme sous-champ de la science politique francophone ouvre des pistes
enrichissantes pour les politologues, notamment lorsqu’ils sont amenés à analyser les instruments mémoriels régissant
un ou plusieurs système(s) politique(s). Dans cette perspective, la communication vise à présenter, d’un point de vue
épistémologique, les apports découlant de l’interaction entre les sciences politique et juridique dans le processus de
consolidation des études sur la mémoire comme sous-champ disciplinaire de la science politique.
Plus précisément, la communication vise à offrir une typologie des instruments mémoriels en fonction du degré de
contrainte et d’imposition d’une mémoire of.cielle. Par exemple, une résolution adoptée par une assemblée législative
est faiblement contraignante alors qu’une loi réprimant le négationnisme impose à la fois une mémoire of.cielle tout en
sanctionnant pénalement les citoyens qui ne la respectent pas. La typologie passe en revue les multiples instruments
mémoriels pouvant être adoptés par les autorités publiques : résolution, loi déclarative, loi pénale, plan de
commémorations ou encore mise en valeur d’un lieu de mémoire. L’accent est mis sur les instruments mémoriels de
deux pays francophones : la Belgique et la France.
Au .nal, cette communication permet d’insister sur l’apport de la science politique en analysant l’exercice de
prérogatives de puissance publique et sur l’apport de la science juridique en classi.ant les types d’instruments
mémoriels en fonction du degré de contrainte ; tout en faisant dialoguer des cas d’étude différents.
Présentation biographique
Geoffrey Grandjean est chargé de cours au Département de science politique de l’Université de Liège. Il a notamment
publié La concurrence mémorielle (Armand Colin, 2011), Les jeunes et le génocide des Juifs : analyse sociopolitique
(De Boeck, 2014) et La répression du négationnisme : de la réussite législative au blocage politique (Droit et société,
2011). Il dirige les Cahiers Mémoire et politique.
Ce que la "mémoire" peut apprendre à la science politique
Gensburger S.
CNRS
Depuis une dizaine d'années, les "memory studies" se constituent en un champ de recherche interdisciplinaire et
internationalisé. Elles reposent sur l'idée que la création de méthodologies et de concepts spéci.ques sont
indispensables à une meilleure compréhension de "l'in!ation mémorielle" sensée caractériser le débat politique au sein
de nos sociétés contemporaines.
Dans cette dynamique disciplinaire, la science politique est pourtant quasi-inexistante tandis que très peu de chercheurs
français se revendiquent au .nal de ce courant.
Il s'avère à l'inverse que la science politique française est depuis quelques années un lieu où se développe une forme
d'école à la française de l'analyse des rapports entre "mémoire" et "politique" qui s'oppose terme à terme à
170
l'institutionnalisation en cours des "memory studies". Les chercheurs qui s'inscrivent dans ce courant mobilisent en effet
les concepts et méthodologies ordinaires de la discipline pour traiter d'un objet "mémoire" qu'ils construisent
délibérément comme banal. Dans cette communication, il s'agira de présenter cette approche, dans laquelle mes travaux
ont joué un rôle moteur, et, plus important, d'expliciter en quoi la "mémoire" constitue précisément un objet qui peut
aider la science politique à résoudre certaines des apories qui sont les siennes telles que l'articulation entre policy et
polity, la nature symbolique des politiques publiques ou encore l'articulation entre État et société civile. Au-delà de la
dimension théorique et épistémologique, cette communication prendra appui sur plusieurs terrains empiriques conduits
depuis plusieurs années en France.
Les études sur les mémoires postcoloniales : un objet de la science politique
francophone
Comtat E.
Grenoble Alpes Université
La demande d’histoire et de mémoire coloniales et postcoloniales est plus prégnante que jamais. L’étude du passé
colonial et de ses conséquences a longtemps été laissée aux historiens. Mais l’accroissement de revendications et de
con!its mémoriels amène les politistes à se positionner dans ces débats. La présente communication propose d’analyser
comment les études sur les mémoires postcoloniales ont pris place dans la science politique francophone depuis une
vingtaine d’années.
Quels sont les apports spéci.ques de la science politique dans la production d’un savoir renouvelé en sciences sociales
sur les représentations du passé colonial ? Qu’est-ce qui distingue ces travaux de ceux d’historiens et de sociologues qui
ont aussi réinvesti ces questions et comment la science politique dialogue-t-elle avec ces disciplines ?
Quelles transformations politiques et sociétales, quels acteurs et quelles temporalités ont favorisé leur émergence dans
la science politique ? Est-ce que les réticences en France à aborder les questions postcoloniales au plan académique ont
orienté les approches et les contenus et ont eu raison de leur place (« marginale émergente ») dans la discipline ? En
cela, est-ce que l’étude des mémoires postcoloniales reste en elle-même un cas spéci.que au sein du champ des études
mémorielles ? Pourquoi des politistes ont-ils décidé de s’intéresser à ces questions ? Comment s’en saisissent-ils ?
Quels sont les questionnements et les approches privilégiées dans leurs travaux ? Quels outils théoriques et cadres
analytiques propres au champ disciplinaire sont utilisés et quels sont les emprunts faits aux autres disciplines ? Nous
examinerons les méthodologies retenues dans leurs études. Nous proposons de faire un inventaire des travaux réalisés et
un état des lieux dans la science politique. Nous observerons également comment l’objet d’études « mémoires
postcoloniales » s’insère dans les sous-champs de la science politique et de quelle manière les transversalités qu’il
provoque implique une prise en charge particulière et des approches renouvelées dans la discipline ?
L’accent sera mis sur l’étude des mémoires postcoloniales dans la science politique francophone, mais des
comparaisons pourront être faites sur la manière dont la science politique anglo-saxonne aborde ces questions, y
compris dans les travaux qui s’intéressent aussi aux enjeux politiques et sociaux des mémoires coloniales de la France.
D’une brève histoire de la mémoire comme objet disciplinaire
Mourre M.
EHESS/Université de Montréal
On peut identi.er plusieurs moments des études sur la mémoire. Les travaux du « père fondateur » Maurice Halbwachs
dans les années 1920 (Halbawachs, 1925) visaient d’abord à développer autant une sociologie du souvenir qu’une
sociologie de la mémoire. Au prix d’un bond chronologique, on doit ensuite mentionner les travaux qui paraissent dans
les années 1970, ceux du sociologue Roger Bastide reprenant ceux d’Halbwachs (Bastide, 1970) et, d’un point de vue
historien, ceux de Nora .nalisés dans l’introduction et la conclusion de l’œuvre collective, Les lieux de mémoire (Nora,
1984-1992). Ce dernier s’intéressant alors plus aux usages politiques du passé. À cette même époque, toujours d’un
point de vue historien, notamment les travaux de l’école sur les subalternes en Inde, ceux de la microstoria en Italie
(Ginzburg et Poni, 1981), ou ceux de l’histoire orale en France (Joutard, 1977) – et même avant sur le continent
africain, notamment après les indépendances et l’ouvrage majeure de Jan Vansina (1961) – ont contribué, chacun à leur
manière à renouveler des approches méthodologiques qui rejoignaient des questionnement sur la mémoire des
communautés – bien que toutes ces approches ne cherchèrent pas explicitement à s’inscrire dans un tel sous-champ. Les
années 1970 correspondent aussi à une montée concomitante des enjeux de mémoire, principalement liée à la Shoah, et
à la question du patrimoine, liée alors à une entité supranationale : l’UNESCO. La chute du mur de Berlin en 1989 a
participé indubitablement d’une redé.nition des rapports au passé en Europe de l’Est (Robin, 2003) tandis qu’en France
à la .n des 1990, c’est peut-être l’ouvrage de Jean-Michel Chaumont, et sa formule de la « concurrence des victimes »,
qui participe d’une nouvelle modalité d’appréhender la mémoire des groupes. Citons en.n, au milieu des années 2000,
la parution de l’ouvrage du politiste Romain Bertrand, Mémoire d’Empire, parallèlement à une montée des enjeux sur
l’histoire coloniale dans l’espace public (Bertrand, 2006). Dans ce dernier cas, cette entreprise est liée à la loi du 23
février 2005 et son article 4 sur le « rôle positif de la colonisation », cela amène peut-être l’idée que l’appréhension de
la mémoire en science politique est d’abord liée aux politiques publiques et en premier lieu à leur formes législatives –
voir également l’ouvrage de Johannes Michel (2010).
Cette communication se propose donc de suivre ce qui apparaît comme une augmentation des enjeux de mémoires dans
l’espace public en en retraçant certains jalons, suivant une échelle nationale française, comme à une échelle
171
transnationale, et en la mettant en parallèle avec la littérature afférente. À travers la littérature citée ici, et d’autres, il
s’agit de suivre ce qui relève quant à l’objet mémoire d’ouvertures disciplinaires, de transmissions, d’héritages. Deux
questions liées à « l’objet mémoire » se trouvent alors formulées, celle du « dialogue disciplinaire » mais aussi la
question, plus ample, de l’évolution des disciplines au sein des sciences sociales.
Bibliographie
BASTIDE Roger, 1970, « Mémoire collective et sociologie du bricolage ». L’Année Sociologique, 21 : 65-108.
BERTRAND Romain, 2006, Mémoires d’Empires. La controverse autour du ‘fait colonial’, Bellecombe-en-Bauges,
Éditions du croquant.
CHAUMONT Jean-Michel, 1997, La concurrence des victimes. Génocides, identités, reconnaissance. Paris, la
Découverte.
GINZBURG Carlo et PONI Carlo, 1981 [1979]. « La micro histoire », Le Débat, 17 : 133-136.
HALBWACHS Maurice, 1994 [1925], Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin.
JOUTARD Philippe, 1977, La légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Paris Gallimard.
MICHEL Johann, 2010, Gouverner les mémoires. Les politiques mémorielles en France, Paris, Presse Universitaire de
France.
ROBIN Régine, 2003, La mémoire saturée, Paris, Stock.
172
ST 32 : Le concept d’émergence
Le numérique : une révolution « virtuelle » ? La question de la « transition
numérique » dans la diffusion cinématographique à l’aune du concept d’ «
émergence »
Pinto A.
Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle
La « transition numérique » dans les salles de cinéma désigne le mouvement de dématérialisation des copies de .lms et
le remplacement des « projecteurs 35 mm » par des équipements numériques qui l’accompagne; elle a été introduite par
les studios américains au début des années 2000 et, dans certains pays comme la France, est aujourd’hui achevée.
L’enjeu de cette nouvelle technologie est triple : un enjeu de politique internationale dans la mesure où les normes
techniques de projection sont aujourd’hui dé.nies, à l’échelle internationale, par les acteurs dominants du marché ; un
enjeu économique lié à la transformation des marchés locaux de l’exploitation cinématographique (mesurable à la
capacité de .nancement et d’amortissement de nouveaux équipements par les salles de cinéma) et en.n un enjeu
esthétique qui renvoie à la re-dé.nition de l’image cinématographique.
Cette communication vise à discuter, à partir de cette enquête, la notion de « révolution numérique » à l’aune du
concept d’ « émergence ». S’il s’agit en premier lieu de s’opposer à toute forme de « déterminisme technologique »
(souvent sous-tendu par une fascination implicite pour le « nouveau »), notre thèse est que la complexité des causalités
à l’œuvre dans ce phénomène demande une méthode originale d’élucidation que le concept d’émergence permet
d’élaborer. On se propose ici d’exposer une approche (en mentionnant quelques résultats) qui permet de rendre raison
d’un changement technologique : la combinaison d’une analyse multidimensionnelle et d’une analyse multi-niveaux.
I.
Une analyse multidimensionnelle
Il convient d’abord de faire une sociologie des sciences et des techniques par une approche socio-historique sur le temps
long (exemples d’innovations cinématographiques depuis le siècle dernier) et sur la période récente (en retraçant
.nement le processus non-linéaire de l’équipement numérique des salles).
Analyser l’importation de la transition numérique demande, ensuite, en termes d’analyse de politiques publiques, de
mettre en évidence les processus de « mise sur agenda » des enjeux qui lui sont liés, les luttes autour de la dé.nition des
cadres du marché de la diffusion cinématographique, ainsi que la diversité des con.gurations sociales nationales dans
lesquelles s’inscrit l’arrivée de la diffusion numérique en salles (cinémas états-uniens équipés par auto-.nancement
/plan « Cinenum » mis en place par le CNC en France).
L’analyse des cadres de l’activité marchande dé.nis par l’action publique conduit, à la suite de nombreux travaux en
sociologie économique, à mettre en évidence les transformations des équilibres de marché par la redé.nition des
modalités de transaction entre différents acteurs économiques, dont les pratiques engendrent des effets d’hystérèse.
Ensuite, une approche inspirée des travaux sur les groupes professionnels se concentrera sur les usages sociaux de cette
technologie par les intermédiaires de marché dans toute leur diversité (des équipementiers aux exploitants en passant
par les projectionnistes).
En.n, bien que l’on se concentre ici sur l’aval de la .lière cinématographique, c’est aussi à une sociologie de l’art que
cette enquête contribue, en adoptant une approche qui ne serait pas centrée sur les créateurs eux-mêmes, mais sur la
remise en question des frontières du cinéma induite par la recomposition de l’espace de la production et de la circulation
des biens cinématographiques.
II.
Une analyse multi-niveaux
Ce cadre conceptuel renvoie, très concrètement, à des stratégies de terrain qu’il s’agit d’adapter au type de causalité
multiple que l’on souhaite mettre en évidence. Si le concept d’émergence invite à remettre en cause des chaînes
linéaires de causalité, il faut se donner les moyens de recomposer des con.gurations causales qui empruntent à
différentes échelles d’analyse.
L’analyse se fait d’abord à une échelle internationale a.n de rendre compte des modalités de mise au point de nouvelles
normes techniques (ici, « Hollywood ») et d’adoption de ces nouvelles spéci.cations par les marchés nationaux de la
diffusion cinématographique, eux-mêmes fortement structurés par les traditions d’intervention publique en matière
industrielle et culturelle.
La dimension internationale (circulation de normes techniques et juridiques) et nationale (effets combinés de cette
importation et des politiques publiques nationales spéci.ques) ne doit pas faire écran à la question de l’appropriation de
cette nouvelle technologie observable à des échelles beaucoup plus .nes. L’observation des transformations du métier
de projectionniste, permet de voir comment s’incarne le changement technologique dans les gestes techniques. Cette
échelle d’observation n’est cependant pas conçue comme l’aboutissement de causalités « supérieures », mais plutôt
comme le lieu de la réfraction des facteurs explicatifs mis en lumière précédemment.
173
L'émergence improbable de la fédération syndicale SUD-PTT. La dynamogénie, un
opérateur de catalyse dans les processus d'action collective
Renou G.
Strasbourg
Dans le cadre d’une recherche doctorale sur le syndicalisme soutenue en 2012 , nous avons analysé la naissance d’une
organisation syndicale contestataire française, la fédération syndicale SUD (Solidaires Unitaires Démocratiques) des
PTT. Constitué à partir d’un effectif très faible de militants fondateurs exclus de la CFDT, privé des ressources
matérielles minimales, confronté à une situation prolongée de non-reconnaissance juridique de la part des autorités
publiques, cet acteur collectif fondé en 1989 avait bien peu de chance de se pérenniser. Pourtant, il s’est institutionnalisé
et il est aujourd'hui devenu la cheville ouvrière d’un rassemblement interprofessionnel (non-confédéral) important,
constitué en partie sur l’imitation de son modèle d’organisation : l’Union Solidaires.
La notion d’émergence, avec la polysémie qui la caractérise, peut s'avérer une façon de donner une .gure à la
dynamique d’un mouvement dont le succès semblait, au départ, « improbable ». Elle contribue à en porter une
interrogation concernant la prétention à caractériser « objectivement » une situation et ses composants à un temps t0 de
façon à construire un schème explicatif satisfaisant. Du même coup, c’est l’idée mécaniste de l’imputation de causalité
en sciences sociales qui est posée. Dans notre approche, la .gure de l’émergence renvoie conceptuellement à la critique
nietzschéenne de la causalité (« Cause et effet : pareille dualité n’existe probablement jamais – en réalité nous avons
affaire à un continuum dont nous isolons quelques fractions. (…). Un intellect capable de voir la cause et l’effet (…) en
tant que continuum, donc capable de voir le !euve des événements – rejetterait la notion de cause et d’effet, et nierait
toute conditionnalité » (Gai Savoir, § 112), mais aussi à l’idée bergsonienne paradoxale que le « possible » est moins
que le « réel ». Cette idée philosophique a trouvé des échos au XXème siècle dans les sciences des systèmes
dynamiques avec la notion d'"attracteur" et celle de "bootstrapping" et de "self-organization" en cybernétique, qui
brisent le rapport de causalité linéaire de la mécanique en instaurant notamment des boucles de rétroaction. Dans quelle
mesure ce réseau conceptuel peut-il offrir davantage que des analogies pour penser des processus historiques aussi
complexes que la formation, sur plusieurs années, d'une organisation syndicale dans laquelle sont impliquées des
milliers de personnes ?
La communication propose de saisir les innovations conceptuelles des sciences de la nature comme des invitations à
trouver des modalités empiriques pour donner une place, dans les sciences sociales, à une pluralisation des régimes
d'explication des phénomènes, tout en conservant l'idée d'une spéci.cité épistémologique propre aux sciences
historiques (Passeron). Pour rendre compte de l'émergence de SUD-PTT, nous proposons de développer la notion de
dynamogénie, proposée par Durkheim en 1912 pour penser les phénomènes religieux mais oubliée depuis, pour saisir la
façon dont les dynamiques .duciaires de la con.ance de groupe sont irréductibles au paradigme mécaniste de la
causalité dans la mesure où une forme de "transition de phase" est impliquée, bouleversant du même coup les valeurs
des "conditions préalables" et leur prédictibilité. L'analyse de la dynamogénie semble ressortir davantage à une
épistémologie alternative au mécanisme que, provisoirement, on peut quali.er d'une "logique de l'émergence". Mais ils
nous importe de noter qu'elle se déploient selon des processus proprement sociaux et anthropologiques qui s'avèrent
probablement irréductibles à ceux objectivés par les sciences de la nature et des systèmes complexes. En effet, le niveau
d'intégration des ensembles sociaux n'est pas du même ordre que celui qui prévaut au niveau moléculaire, cellulaire ou
même à celui de l'organisme.
174
ST 33 : Dans et en-dehors des partis politiques : quel renouvellement des
questionnements sur l’action publique ?
Vers une perméabilisation des frontières partisanes ? L’identité incertaine du
sympathisant au Parti socialiste
Lefebvre R.
université Lille 2
Le parti socialiste s’est longtemps pensé et donné à voir comme un parti de militants, cette valorisation du militant
constituant un élément important de son identité organisationnelle. Si l’électeur socialiste pouvait être valorisée dans un
parti où la légitimité électorale est forte, la .gure du sympathisant, entendu comme un électeur .dèle lié au parti, a
longtemps relevé de l’interdit organisationnel (il s’agit de conjurer le risque d’un « parti de supporters » « américanisé »
diluant le militant-activiste traditionnel) ou de l’impensé (cette catégorie n’est pas pensée comme telle, par déni ou par
absence de ré!exion sur le militantisme). Si depuis les années 1990, une ré!exion sur le militantisme excédant les
cadres traditionnels a émergé et si les primaires ouvertes de 2012 ont !uidi.é les frontières partisanes (le militant n’est
plus le seul souverain dans le processus de désignation, le sympathisant jouit d’un droit nouveau), la .gure du
sympathisant reste incertaine et peu problématisée. Si les primaires participent d’une dévaluation du militantisme
traditionnel, les modes d’af.liation au parti restent dominés par la .gure de l’adhésion dans un parti où les enjeux
électoraux et le poids des élus conduisent à la maîtrise des électorats militants (comme l’a montré le faible
développement des primaires ouvertes lors des municipales de 2014). Le processus d’assouplissement des frontières de
l’institution partisane qui présentent des limites (le parti reste une communauté plus ou moins close) n’est donc ni
linéaire ni univoque.
Sympathiser avec un parti politique en Argentine contemporaine. Analyse des
caractéristiques différentielles des « sympathisants » à partir des données d'une
enquête par questionnaire
Lorenc Valcarce F.
Universidad de Buenos Aires
En Argentine, la plupart des gens disent ne pas s’intéresser à la politique et ne pas sympathiser avec aucun parti. Ces
réponses aux questions soulevées par les sondages coïncident avec ce qu’on entend dans la conversation courante, et qui
est ensuite ampli.ée par les commentaires des journalistes, des politologues et des chercheurs en sciences sociales. À
leur tour, les pratiques de participation politique atteignent une minorité de la population. Même dans ses formes les
plus nouvelles et les moins coûteuses, la participation est très faible. L’activisme plus ou moins régulier dans les partis
politiques concerne moins de 5% de la population. En général, la plupart de la population tient un discours anti-parti.
Or, lorsqu’on demande aux gens si il y a un parti qui les représente mieux que d’autres, ou si ils sont invités à produire
un jugement sur les partis, certains traits distinctifs qui indiquent l’existence de « sympathie » en ce qui concerne les
partis apparaissent. Cela implique plus de la moitié des personnes interrogées. Dans de nombreux cas, ces sympathies
coïncident avec celles des parents, mais surtout ont leurs racines dans les caractéristiques sociales des individus.
Dans cette communication, on s’interroge, en premier lieu, sur l’ampleur et les variétés de sympathies partisanes en
Argentine. On entend souvent que les partis n’y existent pas. Cela peut se référer à la forte volatilité des labels
électoraux, à l’explosion des organisations partisanes après une courte période de relative vigueur ou à la généralisation
de coalitions transversales qui comprennent des entreprises politiques de différents partis. Mais il semble y avoir une
certaine persistance de l’attachement à certaines familles politiques : péroniste, radical, gauche nouvelle ou ancienne,
nouvelle droite. Ces sympathies sont manifestées en termes de préférences pour certains partis, mais aussi par
l’évaluation de certains dirigeants politiques et par le comportement électoral.
Après avoir identi.é les sympathies partisanes dans ses différents aspects et niveaux d’analyse, on observe quels sont
les traits distinctifs des sympathisants par rapport au reste de la population, et quels sont les caractéristiques spéci.ques
de ceux qui adhèrent à différentes familles politiques : âge, niveau de diplôme, type de l’éducation, occupation et
compétence politique. En.n, on explore des effets possibles des sympathies partisanes sur la participation sociale et
politique au-delà des partis, le comportement des électeurs et les prises de position à l’égard de certains problèmes
sociaux et politiques.
Ce travail s’inscrit dans le cadre des résultats du projet « Une crise de légitimité: dé.s à l’ordre politique en Argentine,
au Chili et en Uruguay », .nancé par le Centre de recherche en développement international (CRDI, Canada) et dirigé
par Alfredo Joignant (Université Diego Portales, Chili). Tout d’abord, on a construit un questionnaire qui visait à
combiner les questions plus classiques des études d’opinion et d’autres à caractère plus sociologique. Ce questionnaire a
été administré à un échantillon représentatif de la population de 18 ans à travers le pays. Nous avons interrogé un total
de 1200 personnes en face à face et dans leurs lieux de résidence. L’échantillon a une erreur inférieure à 3% et le niveau
de con.ance de 95%. En parallèle à des enquêtes similaires menées au Chili et en Uruguay, les entrevues ont été
réalisées en Argentine entre le 20 Novembre et le 13 Décembre 2013.
175
L'évolution de la notion de sympathisant dans deux contextes politiques et
culturels différents. Le cas du PS et du Parti Québécois et le débat sur les primaires
Olivier L.
Université de Lorraine
Les frontières de l'intégration partisanes sont plus ou moins !oues. Cela correspond à des considérations culturelles,
mais aussi à des contextes politiques spéci.ques, et des conjonctures. La comparaison de la France et du Québec permet
d'interroger le statut de sympathisant, son évolution, voire les phénomènes de transferts transnationaux d'expériences (le
cas des primaires). Selon Penning et Hazan, dans les démocraties représentatives « post-modernes », le lien entre partis
et électeurs s'est affaibli. Les citoyens sont de plus en plus indépendants des partis. Les partis, tributaires d'électorats
!ottants, instables, ont alors opéré des ruptures stratégiques pour élargir et sécuriser leur base électorale (Kaase 1994,
Scarrow 1999, Wattenberg 1991).
La tradition d'un parti doté de nombreux adhérents semble notable au Québec, alors que la France est caractérisée par
un faible taux d'adhésion. Des pratiques militantes sont inégalement valorisées. Le rapport aux adhérents est différent,
les adhérents péquistes étant, proportionnellement, par rapport à la population, plus nombreux qu'en France.1 Les
cotisations sont beaucoup moins chère au PQ (- de 4 euros) qu'au PS (de 20 euros minimum ou proportionnel au
revenu). Cependant ces différences peuvent masquer un activisme différencié et une conception plus ou moins stricte du
militantisme. La démocratisation interne du PS promeut depuis quelques années, surtout après 2002, une démarche
participative de plus en plus élargie. Le PQ revendique plutôt la proximité avec les communautés. Le Parti socialiste est
très ancré dans un milieu sociétal (Sawicki), fait de réseaux locaux et d'élus. La politisation partisane locale est faible au
Québec ou du moins ne renvoie pas à la réalité partisane provinciale, alors que la force du socialisme en France réside
dans ses collectivités territoriales.
Les pratiques militantes traditionnelles valorisées en France ne sont pas nécessairement les mêmes qu'au Québec. Ainsi,
un jeune péquiste français, par ailleurs membre du PS, déplorait que l'on ne reconnaissait pas le militantisme de terrain
comme le tractage, « boitage », alors qu'on lui demandait d'assurer une soirée de .nancement (appel à dons auprès de
militants et sympathisants, au téléphone), pratique peu fréquente au parti socialiste. Cette dimension .nancière semble
plus importante ici que dans les partis sociaux-démocrates d'Europe comme en France, qui sont largement .nancés par
l’État (cartellisation Katz, Mair, 1995).
Au PS, la dimension procédurale, (démocratie interne, referendum militant, primaires), est présentée comme une valeur
ajoutée devenue prioritaire au référentiel socialiste, alors que le PQ semblait davantage en phase avec les positions de
Schnatschneider, Duverger, ou Epstein, selon lesquels la démocratie interne est une limite à la démocratie externe, le
pouvoir ayant été concentré sur les instances dirigeantes selon un processus de « dédémocratisation » (Lawson,
Montigny). Le PQ, a misé sur une démarche plus élitiste, en organisant des colloques nationaux à partir de textes
soumis par la direction et ne faisant pas l'objet de délibérations et d'amendements avec remontée du texte après
participation militante.
La logique d'externalisation du processus de légitimation militante (Lefebvre, 2011) s'est progressivement af.rmée. La
légitimité populaire, enjeu de perfectionnement des procédures de vote, longtemps peu codi.ées et souvent
transgressées (Lefebvre, 2009), a contribué à susciter indirectement une ré!exion sur l'ouverture électorale interne du
PS, point commun avec le PQ, plus récemment. Cette ouverture produit un effet de mimétisme par rapport aux pratiques
représentatives du vote. Par le jeu des primaires, les partis édulcorent ou banalisent le lien de légitimation partisane.
La question de la distinction entre sympathisants et adhérents relève d'une surenchère participative menant à un certain
mimétisme ou « contagion » (seyd 1999, cross, Blay, 2010, p.4), national (les primaires du PS comme source
d'inspiration d'autres partis) ou transnational. La primaire s'inspire, par greffe ou hybridation, des rituels des pratiques
ordinaires du politique, réinterprétées, du vote. Parallèlement, cette distinction a suscité un débat normatif sur la qualité
de l'engagement et la légitimité de celui qui s'engage dans un parti à un degré ou un autre, les sympathisants étant
parfois considérés comme s'inscrivant dans un engagement mineur et minimaliste (le thème des sous-adhérents ou des
faux adhérents (primaires socialiste de 2006).
L'enjeu de la distinction n'est pas que symbolique ou terminologique, puisqu'il affecte la légitimité des acteurs partisans.
Ainsi, par exemple, bien avant la primaire de 2011, le referendum interne sur le TCE, avait suscité un débat sur la
souveraineté militante (la majorité partisane revendiquait le monopole des moyens de campagne), opposée à la
souveraineté externe au parti (pour les partisans du « non », la légitimité du parti n'était pas la seule pertinente).
Concernant la « course à la chefferie », dont on ne sait encore si elle se déroulera sous forme de primaire ouverte, il est
déjà prévu que les candidats à la direction devront s'acquitter de 35 000$ pour l'inscription et pourront dépenser jusqu'à
300 000$ en frais de campagne. Cette dimension fortement .nancière du scrutin suggère en tout cas une attente
d'audience dépassant les bornes de la légitimité partisane.
Les mutations du militantisme peuvent révéler la dimension dynamique et processuelle de la distinction dedans-dehors.
Les dissidences feutrées, les défections ou les trajectoires de marginalisation (subie ou voulues), sont aussi des éléments
d’appréhension du phénomène du sympathisant, comme ancien militant. D'où l'intérêt des phases de l'engagement,
itinéraires, parcours intermittents (hors et dans l'élection). Le militantisme présente une dimension intrinsèquement
provisoire ou intermittente comme le soulignait Daniel Gaxie dès 1977. Le militantisme partisan serait multipositionné,
et pointilliste (à l’image d’un militantisme « post-it », (Mathieu). Les socialisations militantes différenciées en France et
au Québec peuvent de ce point de vue être instructives et à mettre en relation avec les différents types de linkage, et de
multi-militantisme se traduisant par des phases de re!ux et de compensation vers d'autres types d'activisme,
d'hybridation de l'engagement multiple. Des situations transitionnelles entre le dedans et le dehors pourraient alors être
176
identi.ées de façon comparative. La distinction entre militantisme intermittent et militantisme intemporel peut en outre
être nuancée par l’apparition d’un cyber-militantisme, moins contextualisé et territorialisé (Greffet, 2011).
L’élection primaire organisée en 2011 par le PS en vue de l’investiture présidentielle constitue un exemple de travail
pré-électoral qui contribue à l’extension de l’activité électorale d’un parti. Son organisation, qui suppose un
investissement militant très lourd, contrastant d’ailleurs avec la remise en cause du statut même de militants créée par ce
dispositif (Lefebvre, 2011), s’est déroulée au sein des différentes sections dès la .n de l’année 2010. On pourra
s'interroger sur la dimension captive de cette procédure de sélection par les sympathisants dans la perspective d'autres
échéances électorales et comme préparation à l'intégration partisane. La territorialisation de la primaire peut également
entraîner un autre rapport à l'engagement, en reproduisant le modèle électoral général.
La question de la distinction entre adhérent et sympathisant dépend aussi de l'événement ou de la conjoncture.
L'arbitrage populaire de la sélection du leader, lorsque le parti connaît une crise de légitimité du leadership, tend à
devenir un mode de régulation de plus en plus fréquent. Le débat sur les primaires se déroule dans une con.guration
politique un peu comparable au PS et au PQ, une perte d'audience électorale lourde ou durable et l'absence de chef
légitime. Dans les deux cas l'hypothèse d'un appel au peuple sympathisant (plutôt que l'arbitrage restrictif par des
adhérents, ou des militants), (un peu dans la logique du parti cartel) a été suggérée pour réduire une crise intrapartisane.
C'était le cas du PS, alors qu'aucun leader ne s'imposait avec évidence après le congrès de Reims de 2008. C'est aussi le
cas lors de l'élection générale de 2014 au Québec, lorsque le Parti québécois après son pire résultat depuis 1970, entame
une restructuration idéologique et structurelle parallèlement à l'élection à la direction. Alors que le PQ était au pouvoir,
mais minoritaire, il a déclenché des élections. Le gouvernement est tombé face au Parti libéral du Québec. C'est dans ce
contexte qu'a été évoquée et débattue l'idée d'une primaire ouverte, inspirée par le cas du PS français. La question de
l'évolution du rôle du sympathisant, voire de sa consécration par rapport au militant, a alors pu faire l'objet d'une
logique de transferts transnationaux et d'hybridations. Des opérateurs de transfert ont construit l'hypothèse d'une
nouvelle forme de légitimité sympathisante (Jean-François Lisée), comme avait pu le faire A. Montebourg et Terra
Nova en France.
Mais précisément, ce débat n'a t-il pas eu pour effet de solidi.er la distinction adhérent/sympathisant, jusqu'alors peu
opératoire (Un nombre d'adhérents proportionnellement plus élevé au PQ qu'au PS, mais faiblement intégré ?) Ainsi, la
notion d'adhérent ne s'est elle pas rigidi.ée et réduite ? En quoi le débat sur les primaires obéit-il aux mêmes logiques et
ressorts, en termes de légitimation par les sympathisants, au parti québécois qu'en France.
L'insertion dans le milieu partisan et associatif entraîne t-il des modalités d'interaction comparable entre sympathisants
et adhérents ? La con.guration de l'offre partisane, le système politique, l'existence d'un régime parlementaire, distinct
de celui de la Vè République, la concurrence entre partis joue t-elle de façon identique ?
Cependant, au delà du débat sur les primaires, on pourra se demander si la construction statutaire et sociale du
sympathisant répond, dans ces deux situations partisanes, aux mêmes critères compte tenu de contextes politiques
culturels et institutionnels différents. Peut-on alors identi.er des phénomènes d'homogénéisation des pratiques
d'élargissement, et des séquences identiques dans le processus d'évolution des rapports militants adhérents ? La
distinction sympathisant / adhérent, est-elle liée à l'identité idéologique du parti, et à son degré d'ouverture sociologique ?
L'identité politique propre au PQ, parti souverainiste, interclassiste et dépassant le clivage droite-gauche, pourrait
davantage favoriser un faible degré d'intégration militante et une recherche de soutien à l’extérieur du parti (parti
« attrappe-tout » (Kirchheimer), d'autant que d'autres partis partagent le même champ de la défense souverainiste, le
paysage souverainiste s'étant émietté au .l des ans. Surtout, les électeurs, les associations nombreuses, et les
mouvements sociaux, clubs, dans la mouvance souverainiste peuvent drainer une sympathie souverainiste sans
s'identi.er au parti qui porte ces valeurs. La chose se complique encore par le fait que le parti Québécois a un équivalent
fédéral, le bloc québécois, sans qu'il y ait de lien automatique de l'un à l'autre sur le point de vue de l'adhésion.
Ainsi, cette recherche nous amènera à nous interroger sur la diversité des dynamiques d'évolution du rapport
adhérent/sympathisant, sur les remises en question de la conception et de la construction du statut de sympathisant dans
une perspective comparative et transnationale.
In or Out ? La régulation des “sympathisants” de parti en Europe Occidentale
1
von Nostitz F.-C., 2Sandri G.
Université Catholique de Lille2, University of Exeter1
Au cours de la dernière décennie, plusieurs partis européens ont introduit des nouvelles catégories d’af.liation qui
élargissent l’éventail des possibilités de participation politique traditionnelle au niveau individuel (Gauja, 2013 ;
Scarrow, 2014). Ces innovations organisationnelles ont permis de renforcer la capacité de recrutement et d’attraction
sociale des organisations politiques. La nouvelle catégorie d’af.liation plus fréquemment utilisée est celle du
‘sympathisant’. Malgré l’usage désormais assez répandu au sein des partis européens de cette catégorie des
‘sympathisants’, une certaine confusion persiste quant à sa nature, à ses implications pour la dimension
organisationnelle des partis au sens large et quant aux différences en termes de conceptualisation et d’usage empirique
de la catégorie par les partis. A.n de pouvoir évaluer la portée analytique de cette catégorie dans la cadre des études de
partis, de la participation politique et de l’adhésion partisane en perspective comparée, il est crucial d’en établir la
nature et la signi.cation à travers les pays et les organisations partisanes. Une façon de compenser à cette lacune dans la
littérature comparée sur la dimension organisationnelle des partis, c’est d’analyser dans quelle mesure et selon quelles
modalités cette catégorie est régulée au sein des statuts et des règles de fonctionnement internes des partis. Ce papier se
propose donc d’identi.er les dimensions principales de la régulation formelle de l’intégration des ‘sympathisants’ au
sein des partis européens. Les dimensions analysées incluent les droits et devoirs des sympathisants, les coûts de leur
177
af.liation, les procédures de recrutement et leur niveau de centralisation, les prérequis à l’entrée et les règles
d’expulsion. Les principales questions de recherche de cette étude sont les suivantes : qui sont les sympathisants de
partis ? Dans quelle mesure ils participent aux activités partisanes selon les pays, les familles politiques et les types de
partis ? La catégorie de "sympathisant" peut-elle être stabilisée sur base des règles formelles des partis ? En s’appuyant
sur une base de données originelle explorant les statuts et constitutions internes des partis européens, nous procédons à
une catégorisation des différentes typologies de sympathisants sur base de leur degré d’intégration dans les activités de
parti. De plus, Maor (1997) a montré que différents modèles organisationnels ou types de partis impliquent différents
typologies d’adhésion partisane. Depuis l’élaboration de la théorie du parti cartel (Kats et Mair, 1995, 2009), les
politistes ont associé des rôles et des caractéristiques différentes de l’adhésion partisane à chaque modèle
organisationnel de parti (van Haute, 2009). Notre base de données nous permet donc de tester empiriquement cette
hypothèse aussi pour le cas des sympathisants de partis et d’explorer donc la portée explicative des modèles
organisationnels des partis quant à la variation des caractéristiques de ces différentes formes d’af.liation partisane.
L’analyse est développée à partir d’une base de données comparées observant les règles internes sur l’af.liation et
l’engagement des sympathisants au sein des principaux partis parlementaires dans 10 démocraties européennes
(Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Irlande, Italie, Portugal, Royaume-Uni, Suisse).
Le développement d’organisation para-partisane comme instrument de
renouvellement et d’expansion d’une entreprise politique : le cas du FN en France
Reungoat E.
Université Montpellier 1
En France, le Front National semble s’inscrire dans les évolutions contemporaines qui touchent les partis politiques au
travers du développement d’organisations para-partisanes offrant des alternatives à l’adhésion militante à l’organisation
et visant à élargir la surface et les frontières de celle-ci ainsi qu’à intégrer des supporters non adhérents. Cette
communication propose de décrire ce nouveau développement au sein de l’organisation d’extrême droite et d’analyser
ses usages dans l’économie interne du parti et ses effets sur l’organisation. Nous travaillons ici sur la base d’une
méthodologie de recherche articulant un travail d’archive (archive de presse et archives partisane) et la passation
d’entretiens avec des membres et cadres du parti (en cours). Nous choisissons de nous focaliser en particulier sur le
Rassemblement Bleu Marine (RBM), organisation fondée sous le statut d’une association (loi française de 1901) par la
nouvelle direction du FN en particulier pendant la campagne présidentielle 2012. Crée à l’origine pour labelliser une
coalition électorale pour l’élection législative, l’association s’est pérennisée et ouverte aux membres de base.
Notre analyse vise donc à comprendre les enjeux de l’évolution des af.liations proposées par le FN, en particulier à ses
cadres et candidats, mais également aux militants de base. Nous questionnerons d’abord la capacité du RBM à ampli.er
et renouveler le militantisme partisan ou para-partisan et à s’adapter à de nouveaux modes de mobilisations. Il s’agira
d’évaluer en quoi la création du RBM ainsi que d’un groupement spéci.que, « Les jeunes avec Marine » réseau
informel crée en 2010 visant à rassembler jeunes membres et non membres du FN supporters de Marine Le Pen,
peuvent apparaitre comme des organisations visant à soutenir ou renouveler l’activité des militants de base et à
s’adapter à de nouveaux modes de mobilisation. On fera ici l’hypothèse que ces organisations semblent moins remplir
ces objectifs que mettre en scène l’ouverture et la légitimité du parti renouvelé.
Nous analyserons ensuite le RBM comme un instrument mobilisé par la nouvelle direction du FN autour de Marine Le
Pen a.n de parvenir à faire évoluer l’organisation, à sécuriser son contrôle et à supporter la marque politique
personnelle de « Marine Le Pen ». Trois usages de l’organisation para-partisane peuvent être dégagés en particulier.
1) La création de l’association vient servir la stratégie de communication mise en place par la nouvelle direction visant à
policer et « dédiaboliser » l’image du parti ; stratégie elle-même inscrite dans une double pratique traditionnelle du FN
alternant démarcation et normalisation. L’association de nouveaux candidats issus de la « société civile », transfuges
d’autres organisations partisanes ou personnalités médiatiques permet au parti de s’approprier les différentes légitimés
qui leurs sont associés, mais aussi de chercher à élargir l’électorat visé par le FN. 2) Outre l’ouverture du spectre
politique couvert par le parti, la création de cette organisation para-partisane permet un renouvellement partiel des
cadres locaux, régionaux et nationaux ainsi que l’expansion de l’entreprise politique. Dans une organisation marquée
depuis sa naissance par une carence chronique de cadres et de candidats éduqués, expérimentés et compétent, le RBM
permet d’étendre largement l’effectif de candidats investis sur l’ensemble du territoire français lors des élections
législatives de 2012 et des élections locales et européennes de 2014.
3) En.n, la publicité faire autour de nouveaux supporters attachés à sa personne et la promotion de nouveaux cadres
et/ou élus fortement dépendants de la présidente quant à leur statut ou ré-élection vient renforcer la position de la
président du parti récemment élue ainsi que sa légitimité, tant au sein de l’organisation que dans la compétition
nationale.
Les sympathisants socialistes au prisme de la primaire de 2011 : Sociologie des
sympathisants-électeurs dans la commune d’Amiens (80)
1
Mongaux P., 1Taghavi B.
Université de Picardie/Curapp-ESS 1
Lors de la primaire ouverte organisée par le Parti socialiste (PS) en 2011, nous procédions à la passation d’un «
178
questionnaire sortie des urnes » dans les bureaux de votes de la commune d’Amiens dans le département de la Somme.
Ce sont les résultats de cette enquête par questionnaire auprès d’électeurs de la primaire socialiste que nous nous
proposons d’exposer. L’idée sous-jacente, et qui gagnera sans doute à être discutée, est la suivante : la primaire du PS
peut-être analysée comme une cristallisation ou une objectivation partielles des réseaux partisans en général, et du halo
de ses sympathisants en particulier.
Si la catégorie d’adhérent de parti politique a été plus souvent abordée par les chercheurs, c’est peut-être que cette
catégorie est plus facilement objectivable que celle de sympathisant. Notre communication contourne le problème de la
dé.nition abstraite et ex-nihilo des frontières de cette catégorie – sans y parvenir complétement nous le verrons – en
prenant appui sur une population qui, par ses pratiques sociales et politiques (en l’occurrence : se déplacer un dimanche
pour désigner le candidat socialiste à l’élection présidentielle) peut être approchée, sous plusieurs conditions à dé.nir,
comme sympathisante du PS.
Cette communication vise donc à apporter quelques éléments sociographiques sur un échantillon de sympathisants du
PS extrait d’une base de données constituée à partir du vote de la primaire de 2011 dans le département de la Somme et
plus précisément à Amiens.
Qui sont ces sympathisants ? Comment les caractériser et quelles sont leurs propriétés sociales ?
Quels sont leurs types d’engagements ? Dans quelle mesure et sous quelle(s) forme(s) sont-ils liés au PS ?
Identi.er des sympathisants : la mise en œuvre dif.cile d’une idée simple.
A partir d’un millier de répondants au total, il s’agit alors d’entamer une première ré!exion sur le traitement des
réponses : celles-ci sont le fait d’adhérents du PS, d’adhérents à un autre parti, d’ex adhérents, et de non-adhérents
(présents ou passés) à quelque parti que ce soit. Or, cette dernière catégorie peut-elle être considérée comme celle des
sympathisants ? Nous verrons qu’elle peut encore se subdiviser en deux sous-ensembles : celui des non-adhérents qui se
déclarent sympathisants du PS et celui des non-adhérents qui déclarent ne pas être sympathisants d’un parti.
Bref, il s’opère ici un jeu de labellisation voire d’auto-labellisation qu’il convient d’analyser au regard des propriétés
sociales et politiques des répondants.
Qui sont les sympathisants ? Propriétés sociales et représentativité
Les questionnaires traités apportent des informations de type sociographique sur les répondants (âge, sexe, niveau de
diplôme, profession et catégorie sociale, etc.). Nous nous proposerons de tester la représentativité de l’échantillon de
sympathisants sous plusieurs rapports.
En premier lieu, nous comparerons cet échantillon à la population en âge de voter dans la commune concernée. Cela
a.n de mieux comprendre quelles sont les frontières sociales de ce groupe de sympathisants.
Les données pourront également être mises en perspective avec les résultats d’une enquête par questionnaire auprès des
adhérents du PS dans la Somme en 2011. Les différences éventuelles constitueront autant d’éléments permettant de
circonscrire cette catégorie de sympathisants.
Engagements et liens avec le PS
Nous proposerons en.n d’analyser les différents types d’engagement de ce groupe de sympathisants socialistes en
portant une attention particulière à leurs engagements dans d’autres organisations (partisanes, syndicales ou
associatives). Nous tenterons donc de déterminer dans quelle mesure ce groupe de sympathisants socialistes est
objectivement lié, de près ou de loin, au parti.
Conclusion
Ce que la primaire fait à la notion de sympathisant et à l’institution partisane
Les statuts des partis politiques font désormais place aux sympathisants. Au PS, ils sont « inscrits sur le .chier des
sympathisants de la section » et peuvent participer aux réunions, aux débats et même à certains votes. Mais en
dé.nitive, ces sympathisants ne revêtent que peu d’existence pratique (ils sont totalement absents de la fédération de la
Somme du PS par exemple) et d’importance discursive (on parle de quelques occurrences sur près de 60 pages de textes
statutaires).
Pourtant, bien qu’il n’existe pas de dé.nition institutionnelle (au sens de dé.nition « of.cielle ») du sympathisant, il
semble tout de même que les primaires constituent l’institutionnalisation de la dé.nition du sympathisant (au sens
dé.nition d’un rôle partisan).
L’émergence de cette nouvelle catégorie d’acteurs non-adhérents mais néanmoins partisans appelle à des anticipations
et à des ajustements de comportement pour les militants et les cadres du parti. En d’autres termes, l’analyse de ce halo
de sympathisants doit chercher à comprendre ce qu’il fait à l’institution partisane.
On ne peut l’interpréter sans revenir sur le processus qui a amené le PS (mais aujourd’hui d’autres partis encore ) à
179
imaginer et à mettre en place cette procédure de sélection du candidat à l’élection présidentielle. Loin d’être seulement
une « entreprise de disquali.cation de la forme partisane et de son supposé "archaïsme" » , la primaire du PS s’inscrit
dans des processus de transformation profond de l’organisation . La cause essentiellement endogène résidant dans
l’évolution du recrutement militant et des habitus partisans : « le modus operandi que portent en eux les membres d’un
parti politique vient alors redé.nir l’opus operatum que représente l’institution partisane. »
Autrement dit, mieux connaître les sympathisants (le dehors) c’est aussi mieux comprendre la forme partisane (le
dedans).
180
ST 34 : Micro-politique des revendications matérielles : ce qu'elles nous
apprennent sur la dynamique des protestations et sur leur théorisation,
avec l’appui de l’ERC WAFAW
La langue de ceux d’en dessous : désaveu et désamour organisationnel dans les
grèves minières sud-africaines
Botiveau R.
Université Paris 1 - Sapienza Università di Roma
Partant des grandes grèves qui ont secoué les mines sud-africaines depuis 2012, cette communication se propose de
mettre en perspective les revendications – principalement salariales – des travailleurs en lutte. D’abord dirigées contre
les grandes .rmes multinationales du secteur, leurs mobilisations ont en effet remis en cause le syndicat historique des
mineurs, allié à l’African National Congress au pouvoir, et le récit de la « transformation » post-apartheid dont il se
voulait l’incarnation dans les mines. Si l’articulation entre mouvements locaux et aspirations à un changement social et
politique plus large fait ici problème, cela tient notamment au fait que ces grèves sont marquées par le réinvestissement
de répertoires et formes de solidarités antérieurs, aujourd’hui ambigus, qui visent aussi à préserver des cadres de vie et
de travail menacés par le dit processus de « transformation ».
Qui sont les voyous ? Les représentations ouvrières du politique et du matériel
dans un contexte de fermeture d’usine dans le sud-ouest de la France
1
Rouger A., 2Darras E.
IEP Aix en Provence 1, IEP Toulouse2
Le con!it Connex [anonymisation] qui commence en octobre 2008 suite à la fermeture d’une usine de connectique
automobile dans le sud-ouest de la France offre un cas d’étude pour interroger les intérêts et limites des approches et
dé.nitions distinguant entre luttes pratiques militantes et cadrage d’une cause collective, celles qui relèveraient de
revendications matérielles par opposition aux revendications politiques.
La fermeture de l’usine de Saint Jean La Rivière provoque une mobilisation des salariés de l’usine qui, suivant la
stratégie développée par les délégués CGT et dans un contexte où la confédération est ultra-majoritaire, « monte en
généralité » et .nira même, pour beaucoup, par symboliser la « lutte pour le maintien de l’emploi industriel en France ».
Au même moment, d’autres con!its sociaux issus de fermeture d’usines analogues sous l’in!uence d’autres traditions et
institutions intellectuelles et politiques des leaders CGT vont être présentés comme privilégiant à l’inverse le singulier
et l’intérêt individuel à court termes autour de revendications beaucoup plus matérielles parce qu’indemnitaires
(Continental, par exemple). Mais la partition entre revendication matérielle et symbolique apparait sur le terrain plus
complexe, !uctuante et poreuse qu’il n’y semble. Par ailleurs, les revendications « matérielles » sont précisément
volontiers dénoncées à ce titre dans les journaux comme dans la lutte ; une stigmatisation qui se retrouve jusque dans la
littérature d’analyse lorsqu’elle mobilise de manière caricaturale une telle opposition qui emprunterait du coup à un
mépris de classe qui semble souvent s’ignorer. Pour ce qui concerne notre étude de cas, les oppositions notionnelles qui
se déclinent entre petites et grandes causes, matérielles vs politiques, individuelles vs collectives, privé vs public,
clientélismes et organisation rationnelle… rencontrent vite leurs limites. Près d'un an s’est écoulé entre l’annonce de la
fermeture le 23 octobre 2008 et le vote d’un avis sur le PSE par les représentants des salariés au comité d’entreprise, le
15 septembre 2009. Durant cette période, les salariés semblent hésiter et ne se mettent alors en grève que
ponctuellement. La grève est perlée jusqu’en juillet 2009 où les salariés tiennent un mois en se relayant devant l’usine.
C’est un lock-out patronal d’août 2009 qui met .n à la grève. Les salariés votent la reprise du travail mais des «
cerbères » de la direction empêchent tout accès à l’usine. Ils continuent alors à se relayer devant leur entreprise pour
protéger l’outil de travail (le vol des moules et des machines – une revendication particulièrement matérielle mais
hautement symbolique et économiquement décisive, on se souvient du sac des machines par les luddites). Les leaders
syndicaux licenciés, ceux qui étaient les plus prompts à monter en généralité, et qui pourront être engagés dans une
carrière politique ou syndicale, sont alors dénoncés par d’autres comme intéressés, clientélistes, comme des « pro.teurs
». Pour dépasser ces interprétations normatives, pour comprendre les mobilisations populaires, il faut comprendre
l’entrechoquement des logiques et des représentations (de ce qu’est l’économie, le vol, la politique, le travail, un
ouvrier, une carrière, la responsabilité d’une entreprise et de ses dirigeants…) qui constitue la trame de toute une série
d’éléments constitutifs de ce con!it et que nous souhaiterions présenter dans le cadre de cette communication.
Le con!it Connex nous a offert l’opportunité d’une tentative d’actualisation de la démonstration historique d’E-P
Thompson ; notre projet sociologique originel s’inscrivant dans la perspective ouverte par la formation de la classe
ouvrière anglaise refusant précisément de reprendre les termes et conceptualisations of.cielles, juridiques et
économiques, celles jusqu’alors dominantes des mobilisations populaires pour réhabiliter à l’inverse l’autonomie (mais
relative…) de la classe ouvrière qui se reforme et se réinvente avec la révolution industrielle britannique. Reste que
nous fûmes confrontés aux dif.cultés de la comparaison de l’incomparable (M. Detienne) qui oblige au raisonnement
par des analogies particulièrement prudentes. D’où l’intérêt d’une discussion tant méthodologique que théorique avec
des spécialistes des mobilisations africaines plus récentes sur lesquelles nous n’avons toutefois aucune quali.cation.
181
L’enquête collective sur laquelle se base cette proposition associe au .nal 9 enseignants-chercheurs, doctorants et postdoctorants. Elle a béné.cié d’un .nancement ANR, et depuis 2010, permis de réaliser une centaine d’entretiens avec
des anciens salariés de l’usine mais aussi des acteurs qui, à un titre ou à un autre (journalistes, avocats, experts,
responsables politiques, dirigeants étasuniens), ont joué un rôle à tous les niveaux de l’histoire de cette fermeture
d’usine et de la lutte de ces salariés. La recherche se fonde également sur de nombreuses observations dans des
circonstances variées qu’elles aient à voir avec la lutte (audiences au tribunal, cortèges lors de manifestations,
événements musicaux et plus largement culturels liés à la lutte, assemblées générales de l’association) ou qu’elles
procèdent des dispositifs de l’enquête (en immersion collective et par séjours réguliers d’une semaine, 2 à 3 fois par an
ou au travers de rencontres plus ponctuelles et informelles mais régulières) : en travaillant régulièrement au sein du
local de l’association des personnels licenciés, nous avons eu accès à des aspects relevant du quotidien de ces anciens
salariés et de leur collectif/organisation.
Patronage, loyauté et prise de parole. L'étude de cas du conflit salarial chez
Spinneys (Liban)
Scala M.
Aix-Marseille
Le con!it salarial qui s'est produit en 2012 dans les supermarchés Spinneys au Liban nous donne un exemple
d'intersection de patronage et action collective (Auyero 2011).
Née suite au refus de l'entreprise d'appliquer la nouvelle loi d'augmentation du salaire minimum, la revendication des
travailleurs semble ne pas pouvoir s'expliquer qu'à l'aune d'une réaction à un préjudice matériel.
Des enjeux moraux semblent s’être superposés aux enjeux pragmatiques de protestation (Thompson 1963, Scott 1976),
la nature des rapports entre employés et cadres patronaux ne se limitant pas au lien professionnel, mais impliquant une
liaison de clientèle.
À partir de l'étude de cas du con!it-Spinneys, nous ambitionnons de ré!échir sur les implications morales qui
accompagnent la mise en place de démarches protestataires dans des systèmes patrimoniaux complexes où se côtoient
des modes de contrôle et de gestion de type ultralibéraux et des formes de cadrage, de répression, mais aussi de
protection clientélistes.
Plus particulièrement, à partir de l'hypothèse que les formes protestataires qui se produisent dans des contextes de
travail marqués par des logiques de gestion clientélistes ne pourraient pas s'expliquer qu'au travers d'une paupérisation
des cadres mobilisés et qu'une dimension morale parvient à déclencher la détermination à l'action des acteurs mobilisés,
nous envisageons de traiter des thèmes suivants :
Dans quelle mesure le clientélisme fonctionne comme inhibiteur de l'action collective ?
Comment expliquer le recours à une action concertée dans des contextes où le recours aux relations personnalisées
semblerait plus rentable que le coût de l'engagement dans une contestation collective ?
Par rapport à ce dernier point et dans une perspective théorique, nous nous efforcerons également de montrer comment
introduire la dimension morale d'une protestation qui se produit dans un contexte de travail clientélisé, ce qui ne signi.e
pas nécessairement sous-estimer sa valeur utilitaire. Dans une con.guration du travail caractérisée par la présence d'un
système de distribution des ressources personnalisées, l'anticipation des coûts de l'engagement dans une action
collective de la part des employés pris dans une relation de clientèle paraît improbable dans la mesure où celle-ci
impliquerait la sortie de ce réseau. Pour cela, la mise en marche d'une contestation pourrait être lue à l'aune d'un calcul
individualiste de la part des acteurs mobilisés ne trouvant plus avantageuse dans la relation de clientèle (Olson 1968).
Notre propos, vise précisément à décloisonner ces approches d'analyse (économie morale et individualisme
méthodologique) - au premier abord exclusives l'une de l'autre - et à démontrer que les questionnements théoriques
posés par ces deux approches conservent une valeur heuristique indépendante de la méthode d’enquête utilisée.
L’Etat du plaidoyer. Mobilisations contraintes autour de la gestion des revenus des
ressources minières au Cameroun.
Lickert V.
Paris 1 Panthéon Sorbonne
Depuis la .n des années 1990, à la faveur d’une fugace ouverture démocratique, le Président camerounais Paul Biya, au
pouvoir depuis 1982, a été contraint d’ouvrir un pan de la gestion des revenus pétroliers. Quelques acteurs du monde
associatif camerounais se sont engouffrés dans cette brèche a.n de dénoncer l’opacité du processus de prise de décision
et la mauvaise gestion des revenus pétroliers et miniers par les autorités camerounaises. Ces militants, majoritairement
installés à Yaoundé non loin des institutions politiques et des organisations internationales, ont fait le choix d’une forme
d’engagement qui n’est pas anodine, celle d’une mobilisation sans protestation, autrement appelée plaidoyer ou
advocacy. Le plaidoyer est une technique de mobilisation policée, c’est-à-dire dénuée de l’essentiel de ses aspects
confrontationnels, particulièrement utilisée au sein du monde du développement (ONG, réseaux transnationaux d’ONG,
coalitions etc.) sur des problématiques liées plus particulièrement aux enjeux de développement, aux droits de l’homme
et à l’humanitaire.
182
A rebours de thèses communément admises sur le plaidoyer dans le « sud », simple re!et d’une imposition directe d’un
registre de mobilisation en vogue dans les pays du « nord » par des ONG à l’échelle locale, cette proposition souligne
que le choix de ce registre de mobilisation est plutôt la conséquence d’un calcul raisonnable au regard des possibilités
de prises de paroles disponibles ou autorisées par le gouvernement camerounais et des perceptions du jouable et du
pensable en termes de protestation au Cameroun. Le plaidoyer « prend » avant tout au Cameroun car il est la forme de
mobilisation la moins coûteuse d’un point de vue politique et humain (au sens « sécuritaire ») et qu’il s’appuie sur la
mémoire d’un État fermé à toute autre forme de dialogue. [note : A.n de se protéger des intimidations et menaces
physiques que peuvent subir les militants faisant usage de forme de mobilisations plus confrontationnelles. A l’image de
l’incarcération en 2012 de Bouba Norbert, président de la Cellule de veille et de protection des victimes des activités
minières de Figuil (CelPro) accusé d’« incitation au soulèvement, troubles à l’ordre public », du fait de ses
dénonciations relatives à la non perception au niveau local des redevances issues de l’exploitation minière par les
entreprises opérant à Figuil au Cameroun. Voir Communiqué de presse de PWYP du 7 décembre 2012,
http://www.publishwhatyoupay.org/fr/resources/cameroun-intimidation-de-la-soci%C3%A9t%C3%A9-civile]
Dans cette communication je propose donc de m’arrêter sur les pratiques de ces militants camerounais et sur le
processus de cadrage de leur action collective au travers du registre du plaidoyer utilisé a.n de lutter pour une plus
grande justice économique. Face aux multiples détournements possibles et aux nombreuses lacunes juridiques du code
minier, ces quelques ONG se sont engagées dans la .xation du droit et de la réglementation minière, en particulier aux
règles touchant aux redevances minières et à leur redistribution. Pour ce faire, ces ONG ont développé une véritable
expertise du droit qu’elles réinvestissent dans leurs pratiques au quotidien.
Comprendre le choix du plaidoyer comme registre de mobilisation plutôt qu’un autre demande ainsi de s’arrêter sur le
lien entre mobilisations et rapport à l’État (et donc corrélativement, sur ce que ce lien produit quant à la structuration
d’une forme de mobilisation plus ou moins consensuelle) et sur les conceptions populaires de la légitimité, de la justice
et de l’État providence. En effet, l’étude du plaidoyer ne doit pas être déconnectée de celle des autorités et des effets que
les relations entre ces groupes d’acteurs peuvent avoir en termes de construction d’un registre, de (dé)politisation et de
représentation de la responsabilité des dirigeants en matière de subsistance. C’est sur ces deux idées centrales ; le
plaidoyer est une forme d’action politique qui « prend » parce que qu’elle est la seule vraiment possible et, si les
militants soulignent leur volonté de dépolitiser leur message, ils concourent paradoxalement à le politiser en replaçant
l’État au cœur du mécanisme de juste répartition des richesses ; que je souhaite me pencher dans cette communication.
Le terrain pour cette recherche a été effectué en 2011 lors d’un séjour de deux mois au Cameroun ; à la fois par une
présence quotidienne au sein de l’ONG Relufa (Réseau de lutte contre la faim) et le contact quotidien avec les militants
d’autres ONG, en particulier le CED (Centre pour l’environnement et le développement) et la FOCARFE (Fondation
Camerounaise pour une action rationnalisée des femmes sur l’environnement; précédemment Fondation Camerounaise
d'Actions Rationalisées et de Formation sur l’environnement) et, par de nombreux entretiens auprès des interlocuteurs et
cibles de ces militants (organisations internationales, entreprises, gouvernement camerounais, députés camerounais).
Protestation et secteur minier au Burkina Faso
Capitant S.
Université Paris 1
Le secteur minier en Afrique de l’Ouest représente depuis 5 ans un terrain propice aux revendications, mobilisations et
contestations. Le registre de “matérialité” de ces mobilisations est varié (accès au travail, meilleurs béné.ces pour les
populations environnantes, con!its fonciers, défense de l’orpaillage face à l’exploitation industrielle, inquiétudes
environnementales), les acteurs impliqués diversi.és (populations, creuseurs, autorités locales, ONG, syndicats, groupes
de jeunes) et les répertoires d’actions multiples (marche, violence, pétition etc.).
Cette communication entend, à partir d’une enquête de terrain menée au Burkina Faso en 2014/2015, proposer une
ré!exion sur des mouvement de protestations observés autour des sites miniers industriels au Burkina Faso. Alors que le
contexte politique burkinabè est très marqué par des mobilisations plus « classiques » d’un point de vue analytique
même si elles demeurent originales au regard des dynamiques nationales (marches de l’opposition, refus de la
modi.cation de la constitution etc..), les protestations liées au secteur minier apparaissent comparativement très
matérielles, voir matérialistes. Les jeunes de Dori mettent le feu à la ville pour marquer leur colère face à l’absence
d’embauche locale, malgré les promesses de l’industrie minière installée à proximité. Les orpailleurs usent de la
violence pour maintenir de force leur activité sur des terrains dont les titres ont été légalement achetés par des
exploitants industriels ou semi-industriels. Des populations protestent contre leur condition de relogement ou contre les
nuisances environnementales. Ces mobilisations qui relèvent plus de la micro-politique (J. Scott) que de mouvements
sociaux (E. Neveu) sont en décalage par rapport à l’actualité politique urbaine très intense du pays mais structuré de
manière plus conforme aux mouvements sociaux.
Ces mouvement de contestation observés autour des mines partagent des caractéristiques avec d’autre épisodes
contestataires comme la mobilisation éphémère et plus ou moins spontanée d’habitants d’un quartier contre les
accidents mortels de circulation répétés du fait de l’absence de travaux urbains, ou contre l’exercice non sanctionné de
la violence par des corps habillés.
L’intuition de cette communication est de montrer de quelle manière ces actions protestataires caractérisées par une plus
forte « matérialité » que les marches politiques, offrent justement un point de vue original sur le renouvellement des
modes de contestation : plus violents, peu d’acteurs structurés, retour vers le rural, faible couverture médiatique,
pérennité fragile etc. Le secteur minier représente aujourd’hui un contexte très favorable d’observation de ce
renouvellement et permet d’interroger avec force la « nature » et la « portée » de ces revendications matérielles.
183
Entre « défense de l’Amazonie » et « bénéfices de la pollution ». Mobilisations
indigènes et économie du consentement aux abords d’un site pétrolier
Buu-Sao D.
IEP de Paris
A priori bien loin des ateliers d’usine et des grèves d’ouvriers, les mobilisations « indigènes » pourraient s’apparenter
aux mouvements post-matérialistes théorisées par les tenants des Nouveaux mouvements sociaux (NMS). La
contestation indigène, ainsi analysée, reposerait sur la médiatisation de rassemblements jouant plus souvent sur les
symboles que sur le nombre, sur la solidarité d’une société civile transnationale mise en réseau grâce aux nouvelles
technologies, sur des revendications post-matérialistes telles que la défense d’une identité culturelle, de droits
spéci.ques qui leur sont associés ou de l’environnement au nom d’un rapport à la nature intrinsèquement harmonieux
(voir par exemple : Alvarez et Escobar, 1992 ; Keck et Sikkink, 1998 ; Brysk, 2000 ; Yashar, 2005).
Les entrepreneurs de la contestation « indigène » côtoyés à l’occasion de plusieurs enquêtes de terrain, menées aux
abords d’un site pétrolier de l’Amazonie péruvienne, performent de manière convaincante cette façade si appréciée de
leurs alliés transnationaux : ils réapprennent à porter le costume, osent interpeler des hauts fonctionnaires et ministres
en quechua, versent des larmes sincères, dans les assemblées de village comme face aux caméras, à l’évocation des
déversements de pétrole qui ont lieu sur des territoires qui leur sont pourtant reconnus par le droit national et
international. L’immersion dans le quotidien des familles au nom desquelles ils entendent parler laisse entrevoir d’autres
pratiques et discours. Certains habitants accepteront de participer à une mobilisation dans l’espoir de toucher les
« béné.ces de la pollution », expression maladroite aux yeux des avocats engagés aux côtés des leaders « indigènes »,
mais directement associée à ces notions plus juridiques que sont la « compensation » et l’« indemnisation » du fait des
dommages environnementaux causés par l’extraction de pétrole. D’autres célèbreront le 1er mai, appelé « jour de
l’ouvrier », car les entreprises sous-traitantes leur offrent régulièrement un contrat d’un mois pour effectuer en bleu de
travail des tâches non quali.ées d’entretien des pipelines ou des routes qui permettent de connecter, en pleine forêt
amazonienne, un puits d’extraction au reste du réseau de production.
Faut-il pour autant considérer le registre identitaire et écologiste comme un leurre masquant les véritables exigences des
populations, matérielles, qui découleraient automatiquement de leur place dans une structure de production donnée
(comme suggéré par exemple dans Veltmeyer, 1997 ; Eckstein et Wickham-Crowley, 2010) ? Il serait peut-être plus
intéressant de s’interroger sur les ressorts de cette coexistence de revendications matérielles et d’une façade postmatérialiste. Dans cet espace historiquement construit comme marginal et inhospitalier qu’est l’Amazonie, l’État
semble se « décharger » (Hibou, 1999) auprès de compagnies étrangères d’une partie de ses fonctions. Au quotidien, la
compagnie détentrice de la concession est la première interlocutrice des villageois, qu’ils expriment le besoin d’un
emploi temporaire, d’une consultation dans sa clinique privée, de cahiers pour les écoliers ou d’un moyen de transport
rapide pour obtenir plus facilement leur document d’identité national (et, ainsi, pouvoir travailler pour cette même
compagnie). Les habitants s’entretiennent régulièrement avec des responsables de « relations communautaires » de
l’entreprise titulaire de la concession chargés de décider de l’allocation de ces ressources à certaines familles et non à
d’autres. Ces transactions sont ainsi assimilables à des relations de type clientélaire qui, en entretenant cette « amitié
paradoxale »(Briquet, 1999) que sont des relations de « bon voisinage » entre les compagnies transnationales et les
populations rurales, reproduisent des structures de dépendance économique tout en les légitimant. Pour autant, ces
mêmes personnes peuvent participer aux mobilisations organisées par des leaders « indigènes » qui, eux, passent plus de
temps dans les villes à rencontrer leurs alliés et à négocier avec leurs adversaires – et, exceptionnellement, acceptent de
s’embarquer dans l’avion de la compagnie pétrolière pour s’épargner la semaine de voyage par voie !uviale, coûteuse
en temps et en argent, qui sépare les villages de la capitale régionale ou nationale.
En quoi la prise en compte de cette ambivalence entre différents types d’interaction enrichit-elle la compréhension de la
contestation et notamment du lien que les mobilisations peuvent entretenir avec une certaine économie du
consentement ? Cette communication se propose d’inscrire l’analyse de l’action collective dans le quotidien extraprotestataire, de ne pas l’isoler de pratiques auxquelles elle peut être paradoxalement liée telles que le clientélisme.
L’ambivalence des revendications exprimées sera d’abord examinée à la lumière des tensions internes aux populations
locales et de leurs pratiques économiques. L’observation du quotidien de ces populations et des relations de parenté,
d’af.nité et d’inimitié qu’elles entretiennent entre elles, permet de comprendre les différentes stratégies de captation de
ressources adoptées, qu’elles s’orientent vers les compagnies privées, la bureaucratie locale ou l’écologisme indigéniste.
Puis il s’agira d’examiner comment ces mobilisations, qui ne se réduisent ni au pur antagonisme, ni à la seule relation
de clientèle, articulent ces deux modes de relation. La communication analysera alors comment se jouent, autour de ces
ambivalences, les adaptations réciproques entre les acteurs de la critique sociale et les acteurs de la con.rmation d’un
ordre économique et politique construit autour de l’exploitation privée des ressources naturelles. Les données
mobilisées pour cette communication, produites au long des quinze mois de l'enquête menée entre 2011 et 2014,
comprendront des entretiens avec des habitants, leaders « indigènes », membres d’ONG, fonctionnaires de l’exécutif et
cadres de la compagnie pétrolière ; l’observation de moments de rencontre entre ces différents acteurs et les archives
produites à ces occasions ; des généalogies de familles ; des observations de leur quotidien et des journées de travail
dans les installations pétrolières.
Bibliographie
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184
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2010, vol. 2, no 17, p. 29?52.
HIBOU Béatrice (ed.), 1999, La privatisation des Etats, Paris, Karthala, 398 p.
KECK Margaret E. et SIKKINK Kathryn, 1998, Activists beyond Borders: Activist Networks in International Politics,
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Postliberal Challenge, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 365 p.
Micro-politique des revendications pour l'emploi dans le bassin minier du sud
jordanien
Fioroni C.
Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement
Cette contribution analyse les actions collectives protestataires menées par de jeunes hommes sans emploi dans le
bassin minier du sud jordanien. Elles ont commencé au début de l'année 2011, peu après l’amorce des soulèvements
populaires dans la région arabe. La principale revendication des manifestants est l'accès à l'emploi et leurs demandes
visent directement ou indirectement l’entreprise jordanienne de phosphate, la Jordan Phosphate Mines Company
(JPMC), dont la privatisation en 2006 a exclu la population locale de l'une des principales opportunités d'emploi. Quel
est le fondement de ces revendications ? Du point de vue empirique, cette contribution apporte un éclairage « par le bas
» sur les conséquences politiques de la privatisation de la JPMC à partir de l’analyse des mobilisations pour l’emploi
dans le bassin minier du sud jordanien. Du point de vue théorique, il s’agit de discuter les mérites et les limites de
l’approche de l’ économie morale pour l’analyse ces revendications.
Dans la première partie, j’introduis les pratiques de recrutement qui ont façonné la moralité de l’emploi dans le sud
jordanien depuis l’établissement du royaume Hachémite de Jordanie. Je montre notamment que les pratiques de
recrutement dans le secteur public, y compris à la JPMC, représente une dimension clef des relations de souveraineté
entre la population locale et la monarchie Hachémite dans le sud jordanien et que celles-ci ont contribué au
développement d’une logique de l’emploi comme une forme de distribution de richesse. Dans la seconde partie, je
présente la manière dont mes interlocuteurs justi.ent leur revendication pour l’emploi. Ces derniers mobilisent une
variété de registres. Toutes ne sont pas réductibles à la logique de l’emploi comme forme de distribution. Cette dernière
occupe néanmoins une place prépondérante : elle constitue le fondement du « droit » à l’emploi revendiqué par les
jeunes chômeurs. La prépondérance de l’emploi comme forme de distribution dans la manière dont les manifestants
justi.ent leurs demandes traduit l’effet structurel des pratiques de recrutement sur l’économie morale des demandeurs
d’emploi. Dans la troisième partie, j’approfondis l’argument de l’économie morale a.n d’en discuter les mérites pour la
compréhension de l’effet de la privatisation pour les relations entre gouvernés et gouvernants. En particulier, l’approche
de l’économie morale offre une perspective intéressante pour lier analytiquement les revendications pour l’emploi aux
conséquences de la privatisation. Elle permet également d’expliquer la temporalité des protestations et leur virulence.
Dans la dernière partie, je discute les limites de cette perspective. En plaçant le consensus autour duquel les relations
entre gouvernants et gouvernés s’articulent au cœur de l’analyse, le concept d'économie morale comporte le risque de
réitérer la perspective dominante au détriment des voix dissidentes qui comportent en elles les germes d’une
émancipation potentielle.
185
ST 35 : Les sciences sociales à l’épreuve de l’expertise en développement
et en sécurité internationales
La convergence des pratiques de la sécurité par les réseaux : le cas des réseaux
militaires internationaux
Forget A.
Cornell
Depuis les années 1990, la multiplication des échanges et des modes de production en dehors des institutions et de
l’État ont contribué à la constitution d’un monde plus décentralisé que jamais. Face aux dé.s théoriques et
méthodologiques posés par cette réalité, les recherches sur les réseaux internationaux connaissent un regain d’intérêt.
Ces études permettent de cartographier les relations entre les acteurs de la sécurité au-delà des frontières nationales, des
cadres institutionnels et des champs professionnels, mais peinent encore à expliquer le changement que ces réseaux
transnationaux produisent sur le domaine de la sécurité.
La contribution de cette communication est triple. Nous ferons d’abord un état des lieux de l’étude des réseaux en
sécurité internationale, en soulignant leur potentiel pour qui s’intéresse aux pratiques des différentes catégories
d’acteurs de la sécurité internationale. Nous illustrons dans un deuxième temps les possibilités offertes par cette
approche en présentant les résultats d’une étude longitudinale menée sur plus de deux ans auprès d’un réseau militaire
international (le Multinational Interoperability Council) et qui révèle les effets de convergence des pratiques des
militaires en dehors des frontières institutionnelles. Cette convergence concerne autant les pratiques militaires
conventionnelles, comme l’harmonisation technique et la recherche et le développement de technologies, que les
interventions humanitaires en cas de désastres, la coopération civilo-militaires, etc. De plus, nous verrons que ces
réseaux militaires entretiennent des liens avec d’autres catégories professionnelles telles que les fonctionnaires civils,
les organisations humanitaires (comme la Croix-Rouge) et les organisations internationales (comme l’UE, et l’UA),
avec qui leurs représentants conviennent de protocoles d’intervention, de meilleures pratiques, etc.
Finalement, nous échangerons sur les limites de la démarche empruntée dans le cadre de cette recherche, en
commentant de façon ré!exive l’expérience sociologique du chercheur dans la collecte des données utilisées et dans
l’échange d’expertise.
Securitizing Professions? A sociology of humanitarian security professionals and
their practices of protection
Beerli M.
Université de Genève; Sciences Po Paris
Since the late 1990s, statistical accounts point to a rise in the absolute number of direct targeted attacks against aid
workers. However, based on the disproportionate number of attacks taking place in three countries alongside a lack of
evidence proving a subsequent increase in the relative number of direct, the objectivity of announcements referring to
increased insecurity experienced by humanitarian agents is uncertain. Despite this ambiguity, the recruitment of security
directors both at the headquarters and .eld of.ce level of many humanitarian organizations, the increasing reformation
and standardization of security protocols, the multiplication of security consultancy training .rms and hence the drastic
expansion of security-related services available for humanitarian staff points to the establishment of an intricate nexus
through which professionals of security are directly implicated in the humanitarian milieu.
Refusing an epistemological interpretation which holds the maintenance of security as the natural state of order, the
professionals enforcing this order and the practices through which they do so need to be analyzed. Based on this
premise, this paper proposes a sociological analysis of the professionals managing humanitarian security. It argues that
there is the emergence of a new professional category in the humanitarian space charged with managing security. This
organizational change is rationalized within a set of justi.catory frames. Lastly, socializing opportunities push for the
solidi.cation of this professional group, which performs a speci.c set of security practices.
« Risky business ». Risque politique et politique du risque dans la coopération avec
les États fragiles
1
Matagne G., 2Leclercq S.
ULB/UCL2, Université de Liège1
Les politiques d’aide au développement à destination des pays sortant d’un con!it violent se caractérisent, depuis une
dizaine d’années, par une nouvelle ré!exion visant à lutter contre les « situations de fragilité et de con!it ». La notion de
fragilité, promue notamment par l’OCDE, a connu un essor au sein de la communauté du développement (Bouchet
2011). Fonctionnellement ambiguë (Nay 2013 ; Rist), elle permet de renvoyer à plusieurs registres, dont celui de la
sécurisation et de l’ef.cacité de l’aide (OCDE). On observe que les travaux théoriques menés au sein de forums
186
internationaux comme le CAD sont en décalage avec les contraintes administratives des bailleurs de fonds dont les
mécanismes techniques et .nanciers laissent peu de place à la souplesse et à l’innovation, générant des dilemmes, des
contradictions et une posture de prudence s’appuyant sur une appréhension technique d’enjeux politiques. Cette
prudence s’incarne notamment par l’adoption de mécanismes « incitatifs », par la libération progressive de fractions des
budgets d’aide publique au développement soumise à l’atteinte de progrès en matière de gouvernance, selon des critères
parfois hésitants (macro-économiques ou politiques), par une hésitation à « tenter l’aventure » de l’appui budgétaire.
S’appuyant sur plus de cinq années d’expériences de terrain (observation participante, consultation à titre d’expert, au
siège de la coopération belge, en RDC, au Rwanda et au Burundi) au sein du groupe de recherche en appui aux
politiques de paix (GRAPAX), cette communication propose d’analyser cette « fragilité » des politiques de coopération
elles-mêmes sous l’angle du rapport au risque et du recours à l’expertise. Différentes perceptions et représentations du
risque sont dé.nies et une typologie est présentée (risques sécuritaires, politico-diplomatiques, humanitaires, .duciaires,
techniques, climatiques et liés à la question de la gouvernance, corruption et mauvaise utilisation des moyens .nanciers
mis à disposition par les bailleurs). Parmi les instruments pensés et mis en œuvre pour accommoder ces risques, l’accent
est mis sur les questions des tranches incitatives et du double ancrage (décentralisation).
Haïti après le séisme de 2010 : Gouvernement humanitaire, gouvernement
sécuritaire ?
Worlein J.
Université Paris Ouest Nanterre
Haïti, qu’on appelait déjà une « république des ONG » avant le séisme de 2010, est devenu un des pays avec la plus
grande densité d’organisations humanitaires du monde. Cette situation persiste étant donné la multiplication des crises
comme l’épidémie du choléra à partir de 2010 ou l’ouragan Sandy en 2012. Quatre ans après le séisme, Haïti est donc
encore un cas d'étude pertinent en tant qu’espace transnational qui rassemble une multiplicité et une diversité d'acteurs
humanitaires, avec une gestion sécuritaire de la crise humanitaire.
La communauté internationale a en effet créé en Haïti des structures partiellement analogues à une structure étatique
avec ce qui a été appelé les « tables sectorielles », puis le « système cluster » onusien et des institutions hybrides,
comme la Commission Intermédiaire pour la Reconstruction d'Haïti, au sens où elles regroupent des acteurs actifs à
différentes échelles (nationale, internationale, transnationale). Ces institutions rassemblent des fonctionnaires de l’État
haïtien et des salariés d’ONG et organismes internationaux présents sur place, spécialistes d’un secteur de
gouvernement (cluster alimentation, cluster santé, cluster communication, etc.). Ce « gouvernement humanitaire », un
enchevêtrement de différents types d'acteurs avec des relations complexes entre acteurs, échelles d’action et situations
d’interaction, est traversé par une gestion sécuritaire de la crise. Cette gestion sécuritaire constitue un prolongement de
la réaction internationale aux émeutes avant et après l'exil forcé d'Aristide en 2004 ; elle est également la conséquence
de la perception internationale du pays comme un État failli. Cette gestion sécuritaire est particulièrement visible dans
le maintien de la mission de paix onusienne MINUSTAH, alors qu’Haïti a l’un des taux d’homicides le plus bas de la
région, ainsi que dans les mesures de sécurité imposées aux agents humanitaires sur place (couvre-feu, limites à la librecirculation, pression pour habiter dans les quartiers protégés, etc.)
Cette proposition de communication s'intéresse pour cette raison à l'articulation entre la classi.cation d'une crise
humanitaire comme sécuritaire et des modes d'intervention spéci.ques qui en découlent. La communication sera
structurée en trois parties. Dans une première partie, je présenterais une généalogie des crises haïtiennes à partir de 1991
jusqu'aujourd'hui en me focalisant sur l'application des notions d’État failli et État faible. Je montrerai les origines de ce
cadre discursif de la situation haïtienne et ses effets sur les dispositifs sécuritaires mise en place par la communauté
internationale.
Ensuite, j'analyserai dans une deuxième partie la structuration du paysage institutionnel tel qu’il existe aujourd'hui en
Haïti. Je me focaliserai particulièrement sur l’application de standards humanitaires dans un environnement dans lequel
une grande partie des décisions est prise de manière décentralisée dans des projets ou organisations autonomes. D’une
part, la transmission de normes doit donc transgresser des limites sectorielles et professionnelles ; d’autre part, les
acteurs humanitaires sont positionnés sur différents échelles d'actions et ils circulent avec une grande vitesse entre des
positions formelles et informelles, entre le niveau national haïtien, national étranger, international (ONU, Banque
mondiale) et transnational (ONG), ce qui complexi.e un peu plus la situation.
Finalement, je montrerai comment les praticiens de l’humanitaire tentent de stabiliser les normes de leur action dans un
environnement soumis à des impératifs de sécurité, ce qui vient fortement contraindre à la fois leur autonomie (et donc
leur accès au terrain) et leur perception de leur travail au quotidien.
Mon analyse se fonde sur une approche de type ethnographique (observation participante des réunions et interactions
sur le long terme avec les acteurs dans leur vie quotidienne et sur leur lieu de travail), des entretiens qualitatifs semidirigés et l’analyse de documents collectés sur le terrain (notamment les présentations powerpoint, l’ordre du jour et les
comptes rendus de réunions, et la production de cartes – comme production de savoirs codi.és). Une telle démarche par
« le bas » offre en effet une plus grande sensibilité à la complexité et la contradiction dans la circulation des différentes
formes des savoirs et de pratiques dans un environnement transnational.
187
L' "Anglosphere" et ses standards au sein des réseaux de l'expertise internationale
" (Eléments pour une discussion élargie aux questions méthodologiques)
MAKKI S.
Sciences Po Lille
A partir des travaux de l'auteur sur les réseaux britanniques et américains en matière de gestion des crises
internationales, cette communication tentera de proposer un cadre de ré!exion et d'échanges pour les intervenants de la
ST 35. Plus précisément, il s'agira de revenir sur les aspects méthodologiques (observations participantes, entretiens
informels et participation aux réseaux de l'expertise en respectant les règles de Chatham House) pour parvenir à mieux
saisir les spéci.cités des dispositifs anglo-saxons et leurs représentations des dispositifs complexes et de la recherche
d'une ef.cacité budgétaire et opérationnelle depuis la .n de la Guerre froide. En.n, ces éléments de terrain autour de
l'émergence de nouveaux standards doivent questionner le monde de la recherche francophone sur ses capacités à
dépasser cette in!uence d'un cadre d'analyse issue de "l'anglosphere" (Srdjan Vucetic, 2011) pour mieux contextualiser
les futures approches interdisciplinaires.
188
ST 36 : Gérer les affaires européennes au niveau local : vers
l’émergence d’un nouveau champ professionnel ?
Les effets de la professionnalisation contestée des chargés Europe sur la prise en
charge de l’Europe au sein d'organisations patronales françaises.
Yohann M.
Ecole normale supérieure
Cette communication traite des employés suivant les sujets européens au sein d’organisations patronales françaises.
Basés à Paris, ces chargés Europe ne font pas partie des travaux sur les « lobbyistes » présents à Bruxelles (Michel,
2006). De même, les recherches sur l’européanisation des groupes d’intérêt nationaux (Saurugger, 2007) saisissent
rarement leur activité ou leur trajectoire professionnelle. Pourtant, le passage par les chargés Europe éclaire la diversité
des pratiques professionnelles de l’Europe dans l’espace national. En effet, leur monopole des compétences
européennes est notamment contesté au sein de l’organisation par les experts spécialisés sur une thématique
(environnement, politique commerciale, etc.). L’enjeu pour les chargés Europe est donc d’imposer leur pratique
professionnelle comme la seule légitime.
Dès lors, comment la professionnalisation des chargés Europe contribue à faire évoluer la dé.nition et les formes de
prise en charge des questions européennes au sein de l’organisation ? Pour ce faire, ils dé.nissent notamment l’Europe
comme un sujet autonome nécessitant une expertise transversale et non thématique.
Nous avons réalisé une vingtaine d’entretiens avec les chargés Europe de cinq organisations patronales françaises
(quatre fédérations et le MEDEF). Nous disposons également d’un questionnaire auquel ont répondu les chargés Europe
d’une quinzaine d’organisations.
Nos enquêtés, relativement jeunes, sont issus de formations variées et les femmes y sont très représentées. Leur position
contestée dans le groupe contraste avec la valorisation croissante des chargés Europe au sein d’une institution locale (de
Lassalle, 2010). La légitimation de leur rôle passe par la revendication de savoirs-faires particuliers (lobbying) et d’un
rôle de « petits entrepreneurs d’Europe » (Aldrin, Dakowska, 2011).
Faire carrière dans les métiers de l’Europe au local : accès, savoirs spécifiques et
dynamiques des carrières
Michon S.
Université de Strasbourg
La communication propose d’aborder les pro.ls et les trajectoires d’un ensemble de professionnels de l’Europe
politique au niveau local. D’une part, il s’agit d’apporter des éléments de connaissance sur les pro.ls de ceux qui
embrassent des carrières dans les métiers de l’Europe au local, notamment du point de vue des instances de socialisation
à l’Union européenne, à l’international et aux métiers de l’Europe. L’objectif est de mettre en exergue les savoirs et les
savoir-faire spéci.ques à de telles carrières et les parcours qui favorisent leur acquisition. D’autre part, il s’agit de
questionner la fermeture de l’espace des métiers et la circulation entre différents niveaux de l’action publique mais aussi
au sein même du marché des postes au local.
Une enquête par questionnaire et par entretiens auprès d’anciens élèves de Masters qui forment aux métiers de l’Europe
politique (en France) permet de renseigner les pro.ls de professionnels de l’Europe au local, de les comparer au sein de
l’échantillon réuni à ceux de professionnels de l’Europe qui exercent à Bruxelles, d’appréhender certains processus
d’acquisition de savoirs et de savoir-faire spéci.ques à l’exercice de tels métiers, et d’observer la dynamique de leurs
carrières au moyen de l’analyse de séquences (optimal matching).
« Une professionnalisation inachevée ? Ré5exions sur l’incapacité des chargés
d’affaires européennes des collectivités territoriales françaises à se faire entendre
de leur hiérarchie sur la question du respect du cadre européen des Services
d’Intérêt Économique Général ».
Daniel B.
Rennes 1
Cette communication s’appuie sur une recherche qui porte sur l’institutionnalisation, au sein des collectivités locales
françaises (CLF) du cadre des Services d’Intérêt Économique Général (SIEG). Cet instrument juridique européen
encadre les modalités de subventionnement des services publics locaux par les CLF. Cette recherche a permis de mettre
en lumière des éléments de compréhension sur les modalités de diffusion et d’institutionnalisation des pratiques
professionnelles de l’Europe au sein des CLF. Cette recherche con.rme (de Lassalle, 2010) que la professionnalisation
des chargés d’affaires européennes (CAE) en collectivité s’est accompagnée d’une monopolisation de l’expertise
189
européenne par ces derniers, d’une concentration de leurs activités sur les .nancements européens et d’une
externalisation partielle des tâches d’intermédiation européenne vers les associations de collectivités
(professionnalisation au niveau mezzo). Cette situation est rendue possible par la faiblesse des contraintes que l’UE fait
peser sur l’action publique locale, contrairement au sens commun. La spéci.cité du cadre SIEG est que son respect
nécessite une mobilisation horizontale des services : placés en position subordonnée à d’autres directions – juridiques…
– les CAE ont du mal à sensibiliser au problème. Pourquoi alors, à Lille et Nantes, les CAE ont réussi à impulser une
démarche de conformation SIEG ? Le portage politique de l’Europe y a eu des effets transformationnels sur le rôle et la
place des CAE et sur la pratique des savoirs européens des administratifs lambdas. Cette nouvelle organisation des
pratiques professionnelles européennes risque de se propager à d’autres CLF eut égard au volontarisme récent de la
Commission de faire respecter ces normes.
Le lobbying subnational au niveau européen : les stratégies de représentation au
prisme des professionnels qui les construisent
Guisset A.
Université Saint-Louis
La politique agricole commune (PAC) a été réformée à de multiples reprises, entrainant chaque fois un lot de
changements à mettre en œuvre dans les États membres. À charge pour les acteurs nationaux et subnationaux concernés
d’adapter à leur niveau les décisions prises au niveau européen. En Belgique, les régions sont à la manœuvre en ce qui
concerne la mise en œuvre de la PAC au niveau local (l’agriculture est en effet une compétence quasi entièrement
régionalisée). Dès lors, les groupes d’intérêt concernés par les décisions politiques dans ce secteur particulier sont
également organisés sur une base subnationale (wallonne/!amande). Ces groupes sont variés et peuvent aussi bien être
des syndicats agricoles que des industries, ou encore des ONG environnementales.
Pour construire un lobbying ef.cace et destiné à in!uencer le contenu des politiques dans un sens favorable à l’intérêt
particulier qu’ils représentent, les professionnels qui travaillent au sein des groupes d’intérêt subnationaux doivent
forcément agir au niveau européen, puisque c’est à cette échelle que les politiques les affectant sont adoptées avant
d’être mises en œuvre.
Cette communication exploitera les données récoltées par le biais d’interviews des personnes en charge du lobbying
européen au sein de six groupes d’intérêt subnationaux (deux syndicats, deux industries, et deux ONG
environnementales, chaque paire étant constituée d’un pendant !amand et d’un pendant wallon). Les personnes
interviewées dans chacun des groupes ont été interrogées sur les stratégies de lobbying menées au niveau européen dans
le cadre de la dernière réforme de la PAC (entre 2010 et 2013). Une analyse de l’organisation interne des groupes
d’intérêt subnationaux permet de constater que la fonction de lobbyiste au niveau européen incombe bien souvent à une
personne en particulier, qui devient la personne de référence quand il s’agit de lier niveau européen et niveau
subnational. En comparant les différents groupes, il apparaît que ces « lobbyistes européens » :
1) occupent un poste dont le statut varie d’un groupe à l’autre (il peut aussi bien s’agir du secrétaire-général que d’un
employé affecté précisément à la représentation du groupe au niveau européen) ;
2) diffèrent dans leur manière de représenter l’intérêt du groupe subnational au niveau européen (la manière de
représenter l’intérêt résulte d’un choix entre les différentes voies d’accès du niveau subnational vers le niveau
européen).
Le propos de la communication sera de lier ces deux af.rmations en soutenant l’hypothèse que les caractéristiques du
poste de « lobbyiste européen » au sein des groupes d’intérêt subnationaux a certainement un impact sur les voies
d’accès choisies pour atteindre le niveau européen. En outre, l’étude de la profession de « lobbyiste européen » dans les
différents groupes d’intérêt subnationaux peut être éclairante a.n de détecter à quel point le groupe d’intérêt subnational
se sent concerné par les prises de décision situées au niveau européen.
L’Europe en pratique(s) : profils, trajectoires et socialisation des acteurs de la mise
en œuvre de la politique régionale de l’Union européenne en France
Lebrou V.
Strasbourg
La politique régionale de l’Union européenne constitue le principal instrument d’intervention de l’Union européenne au
sein des États membres (Nay, 2002). Sa mise en œuvre a notamment abouti à la structuration d’un espace de positions
professionnelles situées pour la plupart d’entre elles dans l’espace politique et administratif local. Si les recon.gurations
territoriales suscitées par l’apparition de ces nouveaux dispositifs ont été explorées (Hélie, 2004), on sait assez peu de
choses du pro.l et des pratiques de ces acteurs qui font l’ « Europe au quotidien » (Pasquier, Weisbein, 2009).
Notre communication vise à combler une partie de ce vide sociologique en nous intéressant à l’espace que forment les
acteurs concernés par la gestion des fonds structurels européens, qu’ils soient en charge de l’instruction des dossiers, de
l’animation des dispositifs ou du contrôle des modalités de leur utilisation. Basée sur un matériau empirique
conséquent, une centaine d’entretiens semi-directifs représentatifs de l’ensemble des institutions concernées, notre
communication s’intéressera successivement aux contours de cet espace, aux pro.ls de ses principaux agents ainsi
qu’au développement de nouvelles pratiques qu’implique leur intervention.
190
Dans la première partie de notre démonstration, nous nous attacherons à tracer les principaux contours de cette
con.guration en constante redé.nition. L’objectivation de cet espace de positions nous amènera notamment à interroger
son articulation avec l’existant : loin de faire disparaître l’État ou de se jouer en parallèle des routines institutionnelles
en vigueur dans l’espace national, la mise en œuvre de la politique de cohésion fait se rencontrer deux phénomènes
pensés le plus souvent de manière distincte. Le fait de se doter d’une vision globale de l’espace des positions investies
dans la mise en œuvre d’une politique communautaire permet au contraire de montrer le niveau élevé de son
imbrication avec les politiques publiques participant de la « construction du souci de soi de l’État » (Bezes, 2002). Loin
de constituer un espace clos qui agirait de manière déconnectée des univers institutionnels avec lesquels ses agents sont
amenés à entrer en contact, le champ de la politique de cohésion constitue bien davantage le lieu d’élaboration et de
diffusion d’af.nités électives entre les politiques communautaires et le renforcement de la .gure de l’État social actif
(Dubois, 2007).
Notre communication vise en second lieu à mieux connaître le pro.l de ces acteurs. Loin de contribuer à l’émergence
d’un pro.l homogène comme pourrait le laisser croire la multiplication des diplômes dédiés à la formation aux
questions européennes (Michon, 2009), nous chercherons à mettre en évidence la variété des ressources et des
trajectoires dont les fonds communautaires se font le support de développement. Sur ce point, nous montrerons
notamment que les chargés de mission Europe au local (mais également ceux positionnés à l’échelon national), se
distinguent de leurs homologues bruxellois par la faiblesse du capital communautaire accumulé. Que ce soit sur le plan
scolaire ou professionnel, peu nombreux sont ceux qui franchissent la frontière bruxelloise pour pénétrer la partie la
plus centrale du champ de l’Eurocratie (Georgakakis, 2012). De la même manière, l’importance progressivement
accordée à des enjeux d’audit et de contrôle des fonds ont contribué à la valorisation de ressources gestionnaires au
détriment de dispositions plus internationales. La mise en œuvre de la politique de cohésion en France ne peut alors être
perçue comme le prolongement naturel des normes et décisions bruxelloises. L’analyse relationnelle des ressources
accumulées par ces acteurs et des conditions de leur mobilisation laisse au contraire apparaître une forme de coupure
entre espaces qui tend à reléguer au second plan l’objectif politique de cohésion au pro.t de problématiques plus en
phase avec la managerialisation en cours des administrations publiques.
La confrontation aux normes et schèmes de pensée communautaires nécessite en.n de la part de ces acteurs un
processus de socialisation que cette communication se propose de décrire. A la fois en raison de la nouveauté de leur
contenu, mais également parce que la mobilisation de fonds européens fait l’objet de contrôles récurrents, les normes
communautaires nécessitent apprentissage couteux. Les professionnels de l’Europe au local sont notamment contraints
de se familiariser avec la culture de contrôle que véhiculent les fonds structurels européens. Plus que l’atteinte d’un
objectif politique de cohésion, l’impératif de traçabilité des dépenses constitue le principal « objet, agent et enjeu de
socialisation » (Michel, Robert 2010) de ces acteurs. Leur rôle consiste alors davantage à gérer les risques inhérents à
l’obtention d’enveloppes de fonds européens, que ce soit comme gestionnaire ou béné.ciaire, ce qui revient le plus
souvent à trouver les astuces administratives et comptables qui leur permettent de ne pas tomber sous le coup d’une
sanction communautaire pour gestion défaillante.
La survalorisation de compétences gestionnaires dans un cadre communautaire périphérique contribue à détourner la
politique de cohésion de son objectif de départ. Conformément à une logique globale de responsabilisation des
béné.ciaires de subsides publics, l’enjeu réside dans la délimitation des contours de la .gure du bon gestionnaire. En
d’autres termes, les agents en charge de la politique de cohésion sont moins à la recherche de solutions qu’imposeraient
les disparités économiques et sociales qui jalonnent l’Europe, qu’à « la recherche des problèmes correspondant aux
solutions dont ils disposent » (Mauger, 2001). Le contrôle systématique des modalités de gestion des fonds constitue
désormais la préoccupation centrale de ces agents, au risque de susciter un non-recours de plus en plus massif de la part
de ses béné.ciaires potentiels désireux d’éviter un .nancement devenu trop contraignant. Ce détournement marquerait
alors l’échec des fonds européens et érigerait la politique de cohésion en facteur de « destruction massive des richesses
» (Warin, 2013) alors même que son objectif de départ consistait à en créer.
Bibliographie
- Philippe Bezes, « Aux origines des politiques de réforme administrative sous la 5ème République : construction du «
souci de soi de l’Etat », Revue française d’administration publique, 2002/2, n°102, p. 307-325.
- Vincent Dubois, « Etat social actif et contrôle des chômeurs : un tournant rigoriste entre tendances européennes et
logiques nationales », Politique européenne, 2007/1, n°21, p. 73-95.
- Didier Georgakakis (dir.), Le champ de l’Eurocratie. Une sociologie politique de l’Union européenne, Paris,
Economica, 2012, 368 p.
- Thomas Hélie, « Cultiver l’Europe. Eléments pour une approche localisée de l’ « européanisation » des politiques
culturelles », Politique européenne, 2004/1, n°12, p. 66-83.
- Gérard Mauger, « Les politiques d’insertion. Une contribution paradoxale à la déstabilisation du marché du travail »,
Actes de la recherche en sciences sociales, Actes de la recherche en sciences sociales, 2001, vol. 136, n°136-137, p. 514.
- Hélène Michel, Cécile Robert, « L’Europe comme objet, agent et enjeu de socialisation », in Hélène Michel, Cécile
Robert (dir.), La fabrique des « Européens » : processus de socialisation et construction européenne, Strasbourg, Presses
universitaires de Strasbourg 2010, p. 5-28.
- Sébastien Michon, « Faire carrière dans les métiers de l’Europe politique : dispositions, savoirs spéci.ques et types de
carrière. Enquête auprès d’élèves et d’anciens élèves de master « Politiques européennes », Politique européenne,
191
2012/3, n°38, p. 185-193.
- Olivier Nay, « Négocier le parenariat : jeux et con!its dans la mise en œuvre de la politique communautaire en France
», Revue française de science politique, 51 (3), 2001, p. 459-481.
- Romain Pasquier, Julien Weisbein, « L’Europe au quotidien », in Antonin Cohen, Bernard Lacroix, Philippe Riutort
(dir.), Nouveau manuel de science politique, Paris, La Découverte, 2009, p. 651-664.
- Philippe Warin, « La face cachée de la fraude sociale », Le Monde diplomatique, juillet 2013.
La fabrication de nouveaux professionnels en Europe ? L'exemple des agents
municipaux chargés de l' "intégration des étrangers"
Flamant A.
Université de Lyon
Une série de grandes villes européennes ont investi au cours de la décennie 2000 l'espace européen en participant à des
réseaux de villes thématiques. Ces derniers se sont concentrés sur l' "intégration des étrangers", un domaine d'action
restant sous la coupe des États-membres mais pour lequel la Commission européenne a multiplié depuis 2004 les
dispositifs incitatifs pour son harmonisation (Politique européenne, 2010). Ces réseaux de villes organisent
principalement leurs activités autour de projets d'échanges de pratiques entre les municipalités pour capter des
.nancements européens et s'imposer comme des interlocuteurs des institutions européennes (Le Galès, Halpern, 2001 ;
Payre, Spahic, 2012). Surtout, ces réseaux de villes s’appuient sur du personnel au sein de chaque municipalité
européenne a.n de rendre possible ces échanges de pratiques.
Ces acteurs municipaux sont pour la plupart très éloignés de Bruxelles, puisqu’ils occupent des postes au sein de leurs
municipalités principalement dédiés aux questions d’ « intégration des étrangers », d’ « égalité », de « lutte contre les
discriminations » ou de « promotion de la diversité ». Or, à cet égard, ils se distinguent fortement des analyses produites
par les travaux de sociologie et de science politique sur les élites européennes (Georgakakis, 2010) en ne faisant pas de
l’Europe le lieu de leur carrière. Nous pourrions plutôt évoquer pour ces agents municipaux le fait que l’Europe
s’impose dans leur carrière.
Notre communication propose de se focaliser sur l’étude d’un groupe de travail « Migration & Intégration » du réseau
de villes Eurocités auquel participent plus d’une dizaine d’agents municipaux de l’ensemble de l’Union européenne
entre 2006 et 2012.
Il s’agira de questionner, d’une part, l’existence ou non d’une .gure professionnelle émergente d’agents municipaux
investis sur l’ « intégration des étrangers » avec un même type de parcours et de formation à Bruxelles, l’existence in
.ne d’un champ professionnel. D’autre part, nous nous intéresserons aux effets d’une telle participation aussi bien dans
les représentations et dans les pratiques de ces acteurs municipaux ainsi que pour leur propre parcours professionnel.
Pour répondre à ce questionnement, nous montrerons dans un premier temps comment les représentations et cadres
nationaux relatifs à l’ « intégration des étrangers » pèsent fortement dans les façons d’investir par les agents municipaux
ce groupe de travail « Migration & Intégration ». Il s’agit ainsi de démontrer qu’en s’investissant sur une thématique
pour laquelle les compétences continuent d’être principalement détenues par les autorités étatiques, ces « professionnels
de l’Europe » peinent à première vue à échanger et à constituer un champ professionnel. Pour autant, dans un deuxième
temps, nous montrerons comment la participation récurrente et régulière aux réunions de ce groupe de travail et aux
projets d’échanges de pratiques laisse apparaître les signes de trajectoires professionnelles communes s’appuyant sur
ces ressources européennes pour justi.er et légitimer leurs positions au sein de leur propre administration municipale.
Ils deviennent des « spécialistes de l’Europe » et parviennent à adopter un discours commun sur ce que doit être une
politique municipale d’ « intégration des étrangers ».
Bibliographie
"Les effets de l'européanisation des politiques d'asile", Politique européenne, n°31, vol.2, 2010
C.Halpern, P. Le Galès, "Pas d'action publique sans instruments propres", Revue française de science politique, n°1, vol
61, 2011, pp 51-78
R.Payre, M.Spahic, "Le tout petit monde des politiques urbaines européennes. Réseaux de villes et métiers urbains de
l’Europe. Le cas du CCRE et d’Eurocities", Pole Sud,n°36, 2012, pp 117-1337.
D. Georgakakis, Le champ de l'Eurocratie. Une sociologie politique du personnel de l'UE, Paris, Economica, 2012.
192
ST 37 : Saisir les politiques sociales par leurs acteurs. Les articulations
entre entretiens de recherche, observation participante et intervention
sociologique
Plaidoyer pour une approche transversale de l’action publique. Réflexions à partir
d’une ethnographie socio-historique et multisituée du traitement public du
chômage artistique en France
Sigalo Santos L.
Paris 8
L’analyse des politiques publiques repose fréquemment sur des oppositions de sens commun – passé vs. présent, Etat
vs. administration, décision vs. exécution – qui ont favorisé une division du travail scienti.que entre politistes et
sociologues : les premiers se sont surtout concentrés sur l’histoire de l’élaboration de ces politiques, privilégiant
l’exploitation d’archives institutionnelles et d’entretiens avec des élus et hauts fonctionnaires ; les seconds ont favorisé
l’observation ethnographique de leur mise en œuvre auprès d’agents administratifs de terrain. Ce morcellement des
objets et méthodes est préjudiciable en ce qu’il conduit certains chercheurs à oublier que les politiques publiques sont
d’abord et avant tout des « actes d’État » (Bourdieu), incarnés par des acteurs sociaux investis de rôles institutionnels.
Nous plaidons dans cette communication pour une analyse transversale de l’action publique, de sa mise en forme
historique à sa mise en œuvre quotidienne, à partir de notre recherche doctorale sur le traitement public du chômage des
artistes en France (Paris/ Gironde). Ce « jeu d’échelle » (Revel) est rendu possible par l’articulation des méthodes sociohistorique et ethnographique : l’exploitation d’archives administratives et d’entretiens avec d’anciens cadres permet de
restituer l’historicité des logiques institutionnelles qui norment le travail bureaucratique d’insertion ; l’observation
directe de ce travail auprès d’agents de Pôle emploi et des services sociaux donne à voir de façon immédiate les
incertitudes auxquelles ceux-ci sont confrontés, au lendemain de transformations d’ampleur des politiques sociales et
d’emploi – création de Pôle emploi et du RSA en 2008.
Ethnographier la mise en œuvre d'une politique publique de rénovation urbaine :
enjeux méthodologiques et épistémologiques
Habouzit R.
UVSQ
Dans mon travail de thèse, portant sur la trajectoire des habitants d’un quartier de Seine Saint-Denis (Clichy-sous-Bois /
Montfermeil) concerné par un programme de rénovation urbaine visant la démolition de 1624 logements (dont 1 040 en
copropriété) et le relogement des occupants, je m’intéresse notamment à la façon dont s’opère la mise en œuvre de cette
politique publique au travers des interactions entre habitants et professionnels. Dans ce contexte, les habitants que je
rencontre sont des anciens locataires du parc privé ou des propriétaires occupants expropriés. Tous sont relogés dans le
parc social. Les professionnels sont issus du monde associatifs (médiateurs, travailleurs sociaux), des bailleurs sociaux
(gardiens d’immeuble, chargés de gestion et chargés de développement social urbain) et des communes signataires du
programme (directeurs, chargés de missions politiques de la ville et de missions développement local). Ma méthode
s’appuie aussi bien sur des entretiens biographiques (auprès des professionnels et des habitants) que sur des temps
d’observation (réunions publiques, pratiques professionnelles, espaces habités). Dans cette communication, je propose
de questionner en quoi l’articulation entre observation et entretien s’avère être un outil pertinent pour comprendre les
effets de cette politique publique de rénovation urbaine sur la trajectoire des habitants de ce quartier.
En premier lieu, et au moment de commencer mon travail de recherche, il est rapidement apparu que l’emploi de ces
méthodes s’est présenté comme un moyen d’accéder au terrain. En effet, dès mes premières investigations sur ce
territoire, je me suis aperçu que celui-ci était régulièrement convoité par d’autres chercheurs, journalistes et/ou étudiants
pour la réalisation de leurs enquêtes, reportages ou mémoires. De plus, au regard de certaines de mes caractéristiques
sociologiques : blanc, français, jeune, issus des classes moyennes supérieures, diplômé de l’enseignement supérieur et
parisien ma position était a priori différente de celle des habitants de ces deux communes majoritairement immigrés, de
nationalité étrangère, faiblement diplômés et issus des classes populaires. Partant de ces constats, l’élaboration de ma
méthode a très vite été associée à ma volonté de réduire au maximum les effets associés à la présence d’un chercheur
supplémentaire aux caractéristiques sociologiques différenciées. Ainsi, alors que dans un tel contexte un recueil de
données uniquement composé d’entretiens risquerait de rendre la démarche intrusive, l’adoption d’une posture
ethnographique (combinant entretiens et observations) devenait quant à elle le moyen d’amoindrir cet effet.
Ensuite, en plus de cet enjeu lié à l’accès au terrain, la combinaison de ces deux méthodes s’associe aussi à un intérêt
scienti.que. En effet, précisons qu’alors que les opérations se déploient localement en Programme de Rénovation
Urbaine (PRU), les .nancements, les décisions et les grandes orientations sont, elles, centralisées autour de l’Agence
Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) dont l’objectif est de faire « évoluer ces quartiers [dits stigmatisés] vers des
espaces urbains « ordinaires » (anru.fr). Face à ces orientations nationales, l’analyse sociologique, par la mobilisation
des méthodes de l’observation et de l’entretien auprès des acteurs professionnels et des habitants, donne à voir comment
se construit concrètement cette politique sur le terrain :
193
D’une part, les entretiens réalisés auprès des professionnels permettent de saisir la façon dont ces objectifs nationaux
sont intériorisés et appropriés par les acteurs de terrain. Au regard de mes données empiriques, il apparaît ainsi que la
volonté de transformation en quartiers ordinaires se décline, chez les professionnels, par l’adoption d’une posture
normative vis-à-vis des habitants. En effet, les professionnels entendent leurs activités auprès des habitants comme un
moyen de les « éduquer », de les « conformer » à de nouvelles normes résidentielles. Ce travail commence dès la
préparation au relogement puisque, pour pouvoir être relogés dans le logement social, les professionnels interviennent
pour une régularisation des situations des habitants (contrôle du paiement des loyers, mise en place d’échéancier en cas
de dettes locatives, demande de titre de séjour) mais aussi sur les manières d’habiter (décohabitation des familles
polygames, des ménages multi-générationnels). Ensuite, une fois locataires du logement social, les habitants doivent se
soumettre à un règlement intérieur qu’ils signent en même temps que leur bail (ne pas faire de bruit, avoir une bonne
utilisation des locaux, ne pas laisser des objets sur le paliers et sur les balcons) et il est aussi conseillé d’adopter
certaines pratiques (faire le tri sélectif, surveiller sa consommation d’eau et d’énergie, veiller au bon état des parties
communes). Au quotidien, l’observation des pratiques professionnelles éclaire sur la construction de ce rapport normatif
dans le sens où ces règles de bon usage sont régulièrement rappelées par les professionnels au moment des interactions
qu’ils ont avec les habitants (réunions de locataires, porte à porte, action de sensibilisation, courriers). Durant ces
interactions, les actions d’encadrement et les rappels des règles sont légitimés par des arguments en faveur de la
revalorisation de l’image du quartier (l’adoption de bons comportements et de nouvelles normes d’habiter concourant à
la dé-stigmatisation du quartier) auxquels s’ajoutent des arguments sécuritaires et économiques (un immeuble entretenu
réduit le risque d’accidents et amoindri les charges de gestion).
D’autre part et face à ces injonctions normatives, les entretiens auprès des habitants renseignent sur la façon dont de
ceux-ci perçoivent les effets de ce travail prescriptif. Pour le comprendre, précisons qu’avec le relogement, ces
habitants, majoritairement issus de l’immigration et anciens propriétaires ou locataires du parc privé, manifestent le
sentiment d’avoir été dépossédés de leurs logements, de leurs réseaux de sociabilité et de solidarité, de la maîtrise qu’ils
pouvaient avoir de leur trajectoire résidentielle et de leurs possibilités de pouvoir s’installer durablement sur le
territoire. En considérant le logement et, plus généralement, le quartier, comme des supports de protection, il apparaît
que le relogement et la perspective de démolition provoquent chez ces habitants des situations d’incertitude, de
déstabilisation de leurs ancrages individuels et l’obligation de s’en remettre à la décision des professionnels pour être
relogés. En complément des entretiens, l’observation des interactions entre ces habitants et les professionnels illustre
comment les habitants réagissent face à ces injonctions normatives. Ici, en plus de la fragilisation provoquée par la perte
du logement, l’observation des interactions montre que face aux arguments qu’utilisent les professionnels pour légitimer
leurs actions, toute forme de contestation de leur travail est rendue plus dif.cile, voire inexistante, pour les habitants.
Dans cette communication, nous montrerons donc que la combinaison des méthodes de l’entretien et de l’observation
répond aussi bien à des enjeux d’accès au terrain - en limitant le risque d’une démarche intrusive - qu’à des enjeux
scienti.ques - en faisant d’un regard aussi bien attentif aux discours qu’aux pratiques l’occasion de comprendre que
derrière l’objectif de transformation des quartiers se joue localement une logique d’encadrement des classes populaires.
Observer la mise en œuvre du Fonds Social Européen au niveau du projet, une
proposition de méthode entre politiques publiques et valuation studies
Sbaraglia F.
Université Libre de Bruxelles
Quand on s’intéresse aux actions sociales initiées par l’Union européenne (UE), on observe rapidement que la littérature
sur l’européanisation domestique a laissé pour compte ses acteurs de mise en œuvre au niveau domestique. Elle s’est
concentrée sur le transfert de normes, sur leur confrontation aux différents modèles sociaux domestiques, aux différents
types d’instruments (comme la Méthode ouverte de coordination), mais peu de travaux ont été jusqu’au raz-du-sol
(Weisbein, 2004) pour observer l’action sociale de l’UE, là où elle se fait au niveau domestique. Pourtant, c’est à ce
niveau que se développent des projets .nancés par l’UE : les acteurs socio-politiques qui travaillent quotidiennement à
leur mise en œuvre interprètent les instruments européens et se les réapproprient, pour in .ne, diffuser et implanter des
projets. Dès lors, ce papier se propose de questionner comment observer la mise en œuvre de l’action sociale de
l’Europe là où elle se fait, au travers de ses acteurs ? Pour répondre à cette question, nous proposerons une méthode et
une démarche de recherche originales inspirées des valuations studies (Lamont, 2012) qui placent la perception des
acteurs au cœur de l’analyse. En associant les valuation studies à un objet de politique publique, nous soutenons
l’hypothèse selon laquelle ce sont les perceptions que les acteurs ont de l’instrument européen qui déterminent la
manière dont celui-ci sera mis en œuvre dans leur contexte de diffusion.
A.n d’appliquer empiriquement notre méthode de recherche, nous avons sélectionné un instrument (objet de
réappropriation des acteurs) et un contexte de diffusion : Premièrement, nous travaillons autour du Fonds Social
Européen, véritable bras .nancier de la Politique de Cohésion, il subsidie des actions d’intégration socioprofessionnelle, de formation tout au long de la vie et de lutte contre la pauvreté. Ensuite, a.n de circonscrire au mieux
notre objet d’étude (Yin, 1994) et d’observer le FSE dans un espace de mise en œuvre précis, nous nous intéressons au
niveau régional, et plus particulièrement, au cas de la Région Wallonne (Belgique). Au travers de cette étude de cas, qui
repose sur des entretiens et des séances d’observation participante avec des porteurs de projets FSE, il s’agira
premièrement d’appliquer notre méthode de recherche, mais aussi de discuter de la dif.culté des terrains au plus près
des acteurs socio-politiques et de rendre compte de spéci.cités qui lui sont inhérentes.
194
Saisir l' «urgence sociale » par l’action bénévole : une observation participante
dans les dispositifs d’aide alimentaire à Paris
Aranda M.
Université Paris Ouest Nanterre
Dans cette communication, nous proposons de montrer, à partir des résultats d’une recherche sur l’urgence sociale,
politique sociale d’exception (Lipsky, Smith, 2011), comment la conjugaison de différentes méthodes d’enquête peut
être propice pour l’analyse de l’action publique.
La politique publique de l’urgence sociale est la réponse d’assistance que les pouvoirs publics et les associations
donnent depuis les années 1980 au problème public des « SDF », ce qui a donné lieu à la mise en place d’un ensemble
de dispositifs destinés à les prendre en charge, souvent ponctuellement (Cefaï, Gardella, 2011 ; Gardella, 2014).
L’urgence sociale est par ailleurs marquée par la « délégation » de cette réponse aux associations de bénévoles. Des
auteurs ont signalé en ce sens que l’action bénévole apporte des distorsions dans l’« équité » de la distribution des «
biens publics » (Bruneteaux, Terrolle, 2008 ; Lipsky, Smith, 2011). Notre recherche initiale a voulu donner des pistes de
compréhension de ce qu’est fait de l’urgence sociale en tant qu’association de bénévoles (voire en tant que délégataire
d’un service public). Pour cela, nous avons choisi d’étudier un cas spéci.que : les dispositifs alimentaires pour « SDF »
des Restos du cœur de Paris. De même, nous nous sommes placés dans la lignée des « travaux davantage centrés sur les
acteurs, qui analysent les pratiques et les relations au travers desquelles l’action publique se réalise.» (Dubois, 2012 :
p.84).
Notre enquête de terrain a été réalisée, entre novembre 2012 et juin 2013, au sein de deux dispositifs mis en œuvre dans
l’espace public : les Camions du cœur et les maraudes. Cette enquête s’est nourrie de différentes méthodes : une
observation participante prolongée, des entretiens ethnographiques auprès des bénévoles et d’une analyse de documents
produits par l’association. Le choix de conjuguer les méthodes a été opéré pour éviter les écueils qui sont fréquemment
reprochés aux études utilisant uniquement des entretiens (Bongrand, Laborier, 2005).
Assez souvent le produit sorti de l’atelier (Becker, 2004) tend à effacer tous les petits procédés qui l’ont conduit à son
état .nal. Il s’agira par conséquent de montrer comment nous avons utilisé ces différentes méthodes, à quels moments
de l’enquête, et comment celles-ci ont permis d’avancer dans notre recherche – autant du point de vue pratique que du
point de vue théorique. Nous avons commencé, par exemple, par l’observation des pratiques des bénévoles vis-à-vis des
« béné.ciaires » lors des distributions. Nous avons constaté des dilemmes traduits par des moments d’incertitude face
aux demandes des « béné.ciaires ». Cependant, cela n’est pas complètement compréhensible si l’on ne tient pas compte
des règles que l’association demande de suivre a.n d’assurer l’ « équité » dans la distribution. Nous avons eu accès à
celles-ci par l’intermédiaire d’entretiens ethnographiques avec les bénévoles – et notamment avec les responsables qui
s’occupent souvent de les rappeler - de même que par la lecture de documents of.ciels édités par l’association et
distribués lors de leurs formations facultatives. Nous avons pu ainsi constater l’existence d’un registre règlementaire et
d’un registre personnel (ou expressif) dans l’action bénévole (Weller, 1999).
De manière complémentaire, nous proposons de ré!échir aux conditions de possibilité pour le bon déroulement d’une
enquête de ce type. Nous parlerons de la manière dont nous avons géré notre présentation de soi (Goffman, 1973).
Comment avons-nous présenté notre enquête et à qui au sein de l’association ? Est-ce que le statut de « bénévole » - ou
être reconnu comme tel - a joué en notre faveur ou pas? Et dans quelles circonstances ? Nous verrons que le « jeux de
rôles » (Gold, 2003) – entre bénévole et étudiant en sciences sociales - a été primordial pour mener à bien cette enquête
(obtention facile des entretiens, accès à la documentation, etc.)
Bibliographie
BECKER Howard S., Ecrire les sciences sociales. Commencer et terminer son article, sa thèse ou son livre, Paris,
Economica, 2004 [1986].
BONGRAND Philippe, LABORIER Pascale, « L’entretien dans l’analyse des politiques publiques : un impensé
méthodologique ? », Revue française de science politique, 2005/1, Vol. 55, p.73-111.
BRUNETEAUX Patrick, TERROLLE Daniel, « La lutte contre la « grande pauvreté » : un marché ? », Regards croisés
sur l’économie, 2008/2, n°4, p. 223-233.
CEFAI Daniel, GARDELLA Édouard, L’urgence sociale en action. Ethnographie du Samusocial de Paris, Paris, La
Découverte, 2011.
DUBOIS Vincent, « Ethnographier l’action publique. Les transformations de l’État social au prisme de l’enquête de
terrain », Gouvernement et action publique, 2012/1, n°1, p. 83-101.
GARDELLA Édouard, « L’urgence comme chronopolitique », Temporalités [En ligne], 19 | 2014, mis en ligne le 25
juin 2014, consulté le 25 juin 2014. URL : http://temporalites.revues.org/2764
GOFFMAN Erving, La mise en scène de la vie quotidienne. 1.La présentation de soi, Paris, Minuit, 1973.
GOLD Raymond I., « Jeux de rôles sur le terrain. Observation et participation dans l’enquête sociologique », in CEFAI,
Daniel (éd), L’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2003, p.340-349.
LIPSKY Michael, SMITH Steven Rathgeb, « Traiter les problèmes sociaux comme des urgences », Tracés. Revue de
195
Sciences Humaines, n°20, 2011 [1989], p. 125-149.
WELLER Jean-Marc, L’Etat au guichet. Sociologie cognitive du travail et modernisation administrative des services
publics, Desclée de Brouwer, Paris, 1999.
Les dé-s des enquêtes de terrain visant à comprendre la question sociale : le cas
d’une recherche doctorale sur le logement et les rapports sociaux inégalitaires
Goyer R.
Université de Montréal
La présente proposition de communication vise à présenter la petite histoire d’une recherche doctorale intéressée par la
relation entre le logement et les inégalités sociales à travers la perspective des acteurs collectifs dans ce domaine, en
particulier ceux impliqués dans la défense du droit au logement au Québec. Le logement est en soi un bien complexe,
faisant intervenir une ou plusieurs de ces inégalités et peut être considéré comme le lieu d’interactions entre ses
multiples dimensions. Dans ce sens, le logement possède une caractéristique physique comprenant des dimensions
architecturale et environnementale mais aussi .nancière par son inscription dans le marché immobilier. Il se caractérise
également par sa localisation géographique et l’espace comprenant le voisinage et l’accès aux services. Finalement, le
logement procure de la .erté, une fondation pour la famille, une identité culturelle et collective, un réseau social, un
support social et une sécurité pour les gens qui l’habitent (Carter et Polevychok, 2004). Par conséquent, l’étude des
conditions de logement dans les villes constitue un point d’entrée intéressant pour comprendre ce qui caractérise les
expériences sociales contemporaines, mais surtout sa question sociale (Beider, 2009; Vaillancourt et Ducharme, 2001).
Pour ce faire, il apparaît pertinent de se tourner vers les mouvements sociaux urbains engagés dans le domaine du
logement. Ces derniers, par leur dénonciation des différents rapports de domination liés ou non au capitalisme (Hamel,
2008) et par leur effort à relever les contradictions des sociétés contemporaines (Castells, 1983) peuvent synthétiser
expérience personnelle et expérience socio-politique des inégalités liées au logement et contribuer ainsi à la
compréhension des différents éléments de la question sociale contemporaine, compréhension à la base du
développement de nouvelles politiques sociales. La question de recherche proposée était la suivante : quelles analyses
les locataires construisent-ils des rapports sociaux inégalitaires à partir de leur expérience du logement ? Les objectifs
de recherche sont les suivants : 1) décrire les expériences de logement telles que vécues individuellement par des
locataires et négociées collectivement par des acteurs collectifs (avec le comité logement) ; 2) dégager les analyses des
rapports sociaux inégalitaires qui traversent leurs expériences de logement.
Pour répondre à ces objectifs, nous avons construit un devis de recherche avec le comité logement basé sur un travail
d’observation participante et sur des entrevues avec des acteurs et des locataires. Nous adoptons l’approche de
l’intervention sociologique adaptée par Dubet (1994) qui la considère comme une « méthode active dans laquelle les
chercheurs dégagent les divers niveaux de signi.cation de […] l’expérience et, surtout, dans laquelle ils mettent les
acteurs en position de reconstruire analytiquement le sens de leur pratique » (Dubet, 1995 : 119). Toutefois, plusieurs
imprévus nous ont obligé à modi.er notre approche et de se tourner plutôt vers l’enquête proprement ethnographique,
tout en conservant la sociologie de l’expérience comme cadre théorique. À cet égard, notre communication évoquera les
choix et ajustements qui ont marqué notre recherche et les impacts que ces derniers ont eut sur les données et les
résultats. En outre, nous discuterons des apports et limites de l’intervention sociologique et de l’enquête ethnographique
à partir de notre expérience.
Sortir des catégories de la -gure du pauvre : ré5exions méthodologiques à partir
d’un enquête réalisée auprès de femmes enceintes en situation de précarité
1
Jacques B., 1Purgues S.
Université de Bordeaux1
Cette communication présentera les résultats de la partie sociologique d’une étude pluridisciplinaire qui a porté sur
l’accès aux soins des femmes en santé génésique et reproductive sur un territoire du Grand Sud-Ouest.
Le choix de cibler notre questionnement sur la santé reproductive et génésique chez les femmes (15-65 ans) précaires
et/ou migrantes vivant dans un territoire rural, résulte de multiples constats. S’il existe des travaux sur chacune des
thématiques concernant la santé génésique et reproductif : l’IVG, la contraception, la grossesse..., peu l’approchent dans
sa globalité en s’intéressant à la fois aux parcours de vie et aux itinéraires thérapeutiques. Les situations de précarité
et/ou de migration, ont été saisies comme des éléments explicatifs des choix de recours, de non recours, de renoncement
tout au long d’une histoire de vie génésique. Ce travail a ainsi permis de croiser les dimensions classiques du genre, de
la précarité et d’y superposer la question de la ruralité.
L’objectif de cette enquête était double. Il s’agissait d’une part de comprendre comment les principaux dispositifs
sanitaires et sociaux existants sur le territoire étudié in!uencent ou déterminent les parcours et itinéraires thérapeutiques
de femmes précaires et /ou migrantes en matière de santé (génésique et reproductive) et de comprendre comment ces
dispositifs peuvent produire du non recours ou du renoncement. D’autre part, nous voulions saisir comment, en même
temps que les professionnels du territoire tentent de répondre aux besoins de ces publics, les catégories qu’ils
construisent pour appréhender leurs publics, interviennent dans leurs pratiques (de suivi, d’accompagnement et
d’information) et ont des effets sur l’accès aux soins des femmes.
La thématique choisie pour notre étude nous a amené à devoir ré!échir avec attention à la méthodologie et aux outils
196
d’investigation. L’approche qualitative s’est imposée en raison de plusieurs éléments. Tout d’abord nous sommes parties
du constat d’un manque de données (de type statistiques et qualitatives) approfondies sur le territoire étudié et plus
particulièrement en ce qui concerne la santé génésique et reproductive. Deuxièmement compte tenu, du caractère privé
et intime de nos questionnements, il paraissait évident de privilégier cette approche. Nous avons mené 53 entretiens de
type semi-directifs auprès d’intervenants sociaux, de professionnels médicaux et auprès de femmes enceintes en
situation de précarité. Nous avons par ailleurs réalisé de nombreuses observations (plus d’une centaine) auprès des
professionnels des structures socio-sanitaires du territoire (sages-femmes, gynécologues, travailleurs sociaux au sein du
service de maternité de l’unique structure hospitalière du territoire, mais aussi au sein des services de Maisons
Départementales de la Solidarité et de l’Insertion (MDSI), de Protection Maternelle et Infantile (PMI), du Planning
Familial) et au domicile des parturientes.
Enquêter sur une population présentée comme fragile implique de s’interroger sur la posture de l’enquêteur jamais
dénuée de sentiments et d’a priori. Quand on travaille sur la maladie, la précarité, la disquali.cation, il faut d’autant
plus s’interroger sur le sens commun du chercheur : ses émotions, ses préjugés, les interprétations dictées par sa
position sociale, son genre. D’ailleurs les enquêtés interrogent, interpellent, somment le chercheur de se justi.er, de
participer, de prendre parti. Mais plus que cela il faut surtout s’interroger sur la gestion d’un rapport social
dissymétrique (chercheur/personne en situation de précarité) qui peut créer une situation de malaise, de trouble, de
violence symbolique, un dilemme moral. Considérant les pratiques des enquêtés comme des objets de connaissance, on
suppose implicitement que la maîtrise pratique de «techniques de neutralisation » rend ce dispositif « invisible » et
permet l'observation in situ des enquêtés dans une situation de communication « transparente ». Or, il n’en est rien. Ici
la disquali.cation sociale accroit l’asymétrie et empêche l’idéal de la relation d’enquête (la relation de réciprocité qui
permet la ré!exivité). Par ailleurs, les individus que nous étudions sont largement marqués par une activité de
typi.cation. Nous enquêtons auprès d’individus qui sont déjà dé.nis et appréhendés de multiples façons par les
institutions. L’enquêteur doit donc essayer de s’affranchir de ce travail de catégorisation, même si cette typi.cation est
souvent intériorisée pas les acteurs eux-mêmes qui les intègrent à leurs conduites et leurs discours.
197
ST 38 : Recherches sur le problème des violences envers les femmes
L’ordinaire, le culturel et le pathologique. Registres de qualification des hommes
auteurs de violences conjugales
Trachman M.
Ined
Depuis les années 2000 se sont développés en France des dispositifs de prise en charge des auteurs de
violences conjugales. Prenant place dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, ces espaces articulent fonction
répressive et thérapeutique, apprentissage de la loi, entretiens psychologiques et groupes de parole. Ils
supposent certaines conceptions de la violence conjugale, de ses causes, des manières dont on peut imputer à
l’individu les faits dont il est accusé. Ces registres de quali.cation ne sont pas homogènes, et varient selon
les disciplines et les objectifs pratiques : qu’est-ce qui les distinguent et comment comprendre la mobilisation
d’un registre plutôt que d’un autre ? En m’appuyant sur une revue de littérature sur les hommes auteurs de
violences conjugales et une enquête sur une association mandatée pour prendre en charge ces hommes, dans
le Val d’Oise, je distinguerai trois registres de quali.cation : celui qui conçoit les hommes auteurs comme
des hommes ordinaires, qui s’ancre dans les approches en termes de rapports sociaux de sexe ; celui qui met
en avant les causes culturelles des violences conjugales, conduisant à faire de celles-ci une spéci.cité des
populations immigrées ; celui qui identi.e les dysfonctionnements psychiques de l’individu, dans une
approche psychologique. Ces registres ne sont pas seulement des théories issues de disciplines distinctes, ce
sont des outils qui permettent d’intervenir sur les hommes auteurs et de justi.er leurs prises en charge, euxmêmes issus de processus d’objectivation variables. Ces contraintes pratiques n’empêchent pas de
s’interroger sur les enjeux politiques des différents registres.
Intégration de la sociologie de l’immigration à l’étude des violences envers les
femmes
Khazaei F.
Université de Neuchâtel
Un tour d’horizon rapide de la littérature sur les violences faites aux femmes nous montre que la conceptualisation de
ces violences en tant qu’un problème lié à des rapports sociaux hommes-femmes inégalitaires ne fait pas consensus.
Cette explication est en effet fréquemment remise en cause en interprétant ces violences non pas par le système de
genre, mais par les problèmes psychologiques relevant de l’individu et non pas du social (Hanmer et Maynard, 1987 ;
Debauche et Hamel, 2013). À ces explications psychologiques s’ajoutent les études criminologiques qui avancent la
consommation de l’alcool ou le parcours violent et criminel en général pour expliquer les violences conjugales (Killias,
2011). Tout devient encore plus compliqué lorsqu’on croise le débat public sur les violences envers les femmes en
général (et les violences conjugales ‘dites domestiques’ en particulier) et le débat sur la problématisation de la
migration. Dans ce cas, les explications culturelles et ethniques s’ajoutent aux facteurs explicatifs de ce phénomène.
Dans cette diversité d’approches, les chercheurs et chercheuses venant des différentes disciplines de la psychologie, de
la science politique, de la sociologie à la criminologie investiguent la problématique des violences conjugales avec leurs
propres paradigmes. L’enjeu sera donc de préparer une boite à outils s’inspirant des outils proposés par ces différentes
disciplines en fonction de ce qui émergent du travail de terrain pour étudier ce phénomène.
Dans le cadre de notre travail de thèse portant sur la prise en charge par l’État des violences conjugales, nous utilisons
en effet le cadre analytique offert par les études genre, le cadre le plus courant pour travailler sur les violences faites aux
femmes. Cependant, après avoir terminé un premier séjour ethnographique de terrain, nous constatons que chez les
professionnel.le.s cohabitent deux modèles explicatifs contradictoires des violences conjugales. L’un inscrit les
violences faites aux femmes dans les structures sociales, à la « culture », l’autre au contraire attribue ces violences aux
individus, à la psychologie.
Pour cette contribution, nous souhaitons montrer comment l’intégration de concepts et théories issues de la sociologie
de l’immigration, apporte de nombreux éléments de compréhension très féconds pour analyser cette contradiction. En
l’occurrence, il nous aide à comprendre l’utilisation de ces deux modèles explicatifs différents parce qu’elle nous aide à
comprendre la construction des différences sociales.
198
Entre « domination masculine » et « pervers narcissique », ambivalences et effets
des lectures croisées mobilisées par les intervenant.e.s
Deroff M.
Bretagne Occidentale - Brest
Dans le cadre de travaux menés en collaboration avec des actrices et acteurs de terrain, professionnel.le.s et bénévoles,
depuis 2007 et portant tour à tour sur la question de l’enfant dans les violences conjugales puis les parcours
institutionnels de femmes victimes de violences conjugales, nous avons pu mesurer à la fois la reconnaissance acquise
par la question des violences conjugales et les controverses dont elles sont l’objet. Ainsi avons-nous observé les
résistances persistantes à l’égard d’une lecture des violences sous l’angle du genre, suspecte d’être avant tout militante
quand d’autres semblent être garantes d’une scienti.cité inattaquable et présentent l’avantage de fournir une explication
à l’incompréhensible. Ainsi devons-nous aujourd’hui constater le « succès » de la .gure du pervers narcissique. Il ne
s’agit pas ici de contester les catégories produites par la psychologie, mais d’interroger leur diffusion et leur
mobilisation par les acteurs et actrices de terrain. Comment comprendre un tel « succès » ? Et quels effets pouvons-nous
observer lorsque cette lecture compose avec une lecture dénonçant les violences conjugales comme expression de la
domination masculine ? Si les discours des intervenant.e.s composant avec ces deux lectures nous semblent parfois
ambivalents, il convient également d’interroger les effets de lectures exclusives. Dans l’accompagnement des femmes,
et au-delà dans la reconnaissance des violences conjugales comme problème public, quels peuvent être les effets d’une
identi.cation trop rapide des situations de con!its de couples aux situations de violences conjugales ?
Analyser deux dispositifs français de lutte contre les violences conjugales sous le
regard croisé du droit et de la sociologie politique.
1
Jouanneau S., 1Czerny E., 1Matteoli A., 2Airiau M.
université de Strasbourg 2, université de Strasbourg1
Depuis Janvier 2014, nous formons le noyau dur d’une enquête collective menée dans le cadre d’un .nancement de la
Mission recherche française Droit et Justice. Ce projet de recherche vise à analyser les conditions de mises en œuvre de
deux dispositifs français de lutte contre les violences conjugales à l’échelle d’un département de l’Est de la France. Le
premier, mis en place par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 (art. 515-9 du code civil) et renforcé par la loi n°2014-873
du 4 août 2014 pour « l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » permet au juge aux affaires familiales de
délivrer une « ordonnance de protection », alliant mesures civiles (ex : attribution du logement) et pénales (ex :
interdiction d’approcher la victime), lorsque les "violences exercées au sein du couple ou au sein de la famille, par un
ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la
personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants". Le second, intitulé « Téléphone portable d’Alerte », a été
expérimenté dans différents départements dès 2010 avant d’être récemment généralisé à toute la France. Il consiste à
permettre aux procureurs de la République d’attribuer aux femmes repérées comme étant en « très grand danger » un
téléphone portable d’urgence. Celui-ci une fois déclenché permet d’être immédiatement connecté à une plateforme
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, avec des opérateurs formés, provoquant si besoin l'envoi des
forces de police ou gendarmerie.
Or parce que la moitié de ce noyau dur est composé de juristes (Marine Airiau et Anna Matteoli, toutes deux doctorantes
en droit privé) et l’autre de sociologues du politique (Estelle Czerny et Solenne Jouanneau, respectivement ingénieure
de recherche et maîtresse de conférences), nos discussions collectives rentrent évidemment très souvent en résonance
avec les questionnements soulevés tant par les axes 1 et 3 de la Session 38.
En effet, nous partageons bien sûr des questionnements communs (modalités concrètes de fonctionnement des
dispositifs, représentations et pratiques des professionnels censés les mettre en œuvre, dé.nitions pratiques que les
professionnels associés à ces dispositifs donnent aux termes « violences » et « danger », pro.l des béné.ciaires, etc.).
Cependant, il est peu à peu apparu que l’intérêt ou la .nalité de l’enquête n’était sans doute pas de même nature en
fonction de nos appartenances disciplinaire. Évidemment, pour Marine et Anna ce projet a des implications proprement
théoriques (évolution des dé.nitions juridiques des « violences conjugales », conditions pratiques d’application des lois,
positionnement concret des Juges aux affaires familiales ou des procureurs de la République vis-à-vis de ces dispositifs,
etc). Mais il a aussi des implications pratiques et politiques parfaitement assumées. Leur objectif est, en effet, aussi
d’évaluer l’ef.cience des dispositifs étudiés en vue de permettre leur amélioration. Cela est d’autant plus vrai pour
Anna qui – parallèlement à sa thèse – est salariée au CIDFF (Centre d’information des Femmes et des Familles), une
association qui localement participe aux différents dispositifs existant de lutte contre les violences conjugales.
Pour Estelle et Solenne, quel que puisse être par ailleurs le carburant politique les ayant amené à participer à cette
enquête, la démarche de recherche adoptée se veut moins normative. Elle consiste avant tout à ré!échir sur le pouvoir
de l’État à pénétrer la sphère privée et la manière dont certains de ses agents, au niveau central et déconcentré,
participent (en interaction avec d’autres acteurs) à construire et à prendre en charge « les violences conjugales » en tant
que problème public.
Or ces différences épistémologiques n’ont pas que des implications intellectuelles ou théoriques. Elles ont aussi des
implications très concrètes. Ainsi, dans le cadre de cette communication nous reviendrons principalement sur l’impact
concret et les discussions qu’a pu susciter entre nous quatre, la décision initialement prise par Anna et Marine de très
directement associer à l’enquête, via la mise en place d’un « Comité de Pilotage » mixte « chercheur(e)s » / «
professionnels », les principales administrations ou associations chargées de la mise en œuvre des deux dispositifs
199
étudiés (Tribunal, Police, Gendarmerie, Associations d’aide aux Victimes, etc.).
Le traitement policier des violences conjugales en actes
Bargeau A.
Université de Strasbourg
Depuis la .n des années 1970, les mobilisations féministes ont entraîné une reconnaissance publique des violences
envers les femmes et ont permis de constituer les violences conjugales en objet de politiques publiques, notamment au
sein de la sphère pénale. On s'intéressera dans cette communication à un maillon spéci.que de traitement des violences
conjugales au sein de la sphère pénale : l'institution policière. Ce choix d'objet se justi.e par le fait que la police
constitue l'endroit de jonction avec le reste de la sphère pénale (suites judiciaires ou non) et de la sphère associative, et
constitue un maillon fondamental de la reconnaissance publique (notamment statistique) des violences conjugales.
D'autre part, depuis le début des années 2000, des dispositifs spéci.ques ont été mis en place ayant trait à l'accueil des
victimes de violences conjugales au sein de la police nationale.
Le terrain sur lequel j'ai réalisé mon enquête (de deux mois), un hôtel de police dans une ville de province, fait partie
des sites d'expérimentation de ce type de dispositifs : en 2004, une assistante sociale a été introduite au sein de l'hôtel de
police, et en 2007 une psychologue, destinées à la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales. Cellesci viennent en majorité d'un service dit « généraliste » (le Quart) , au sein duquel les affaires de violences conjugales
occupent une part importante de l'activité des policiers. J'ai progressivement resserré mon observation sur ce type
d'affaires, en raison de l'importance qu'elles occupaient dans les activités professionnelles, et de mon intérêt personnel et
politique pour ces questions.
La perspective ethnographique (observations d'interrogatoires, entretiens avec les professionnels habilités à prendre en
charge les violences conjugales et sexuelles) m'a semblé particulièrement pertinente, dans la mesure où elle permet de
sortir du projet global et abstrait de la prise en charge de ce type d'affaires pour poser des questions concrètes au terrain.
Parmi celles-ci : Quels sont, du point de vue policier, les critères qui entrent en compte, même implicitement, dans la
reconnaissance - ou le refus - du statut de « victime » de violences conjugales ? Alors même que la reconnaissance de ce
statut est ce qui conditionne l'accès au droit de suivi par une assistante sociale et/ou psychologue? Dit autrement :
Comment se font, ou se défont, les affaires de violences conjugales dans/par les pratiques policières? Plus largement,
quelles sont les conditions de possibilité pour que les politiques de prise en charge des violences envers les femmes
soient effectives? Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur notre matériau empirique et présenterons
plusieurs con.gurations de traitement policier des violences conjugales.
Dans cette perspective, l'enquête ethnographique nous semble particulièrement pertinente dans la mesure où elle permet
d'accéder au traitement policier des violences conjugales en actes. Toutefois, elle appelle aussi certaines ré!exions et
questionnements méthodologiques. En effet, que signi.e enquêter sur le traitement des violences conjugales quand on
est soi-même engagée dans des problématiques féministes en dehors de ce terrain? Cette question est d'autant plus
légitime quand on est soi-même, en tant que femme, interpellée et éprouvée (au sens de mise à l'épreuve) en tant que
telle sur le terrain, par exemple dans les affaires de viol : « si vous, vous… »? A partir de ces questions, c'est plus
largement celle de l'engagement sur le terrain qui sera interrogée : comment faire tenir ensemble, le rôle d'observatrice à
laquelle on a appris, tout au long de sa formation, l'injonction à la « neutralité » scienti.que et l'engagement, intime et
politique, vécu par ailleurs sur ces questions? Dans cette perspective, nous n'exclurons pas l'étude de certaines « gaffes
» sur le terrain, même relatives, dans la mesure où elles ont pu entraîner certaines mé.ances ou certaines proximités
avec les policier(e)s concerné(e)s, et ont ainsi permis d'approfondir différentes prises de position des professionnel(le)s
sur les violences conjugales.
"Vraies victimes" ou "menteuses" - Représentations concurrentes des femmes
violées chez les policiers et les associations féministes d'aide aux victimes
Pérona O.
Université de Versailles Saint-Quentin
Cette proposition de communication se fonde sur les recherches que j’entreprends dans le cadre de ma thèse de Science
Politique, qui questionne le traitement différentiel des personnes victimes de violences sexuelles par le système pénal.
En croisant les approches de l’analyse de la construction des problèmes publics, de la sociologie des organisations et de
la sociologie des professions, je me propose d’éclairer les tensions entre savoirs judiciaires et savoirs féministes autour
des personnes violées, ainsi que les effets de ces tensions sur les politiques de prise en charge des victimes.
Je m’intéresse en effet à une arène particulière de rencontre entre savoirs administratifs judiciaires et savoirs féministes
militants : la commission « Prise en charge par les services de police des femmes victimes de viol » d’un département
francilien. Celle-ci réunit des associations féministes d’aide aux victimes, des magistrat-e-s, des médecins procédant
aux examens de victimes, des représentant-e-s de la municipalité, ainsi que des policiers et des policières. Je m’attache à
comprendre les con!its que cette collaboration entre des acteurs aux cultures professionnelles différentes provoque,
notamment du point de vue de la dé.nition et de la hiérarchisation des victimes. Il s’agit d’appréhender quels sont les
savoirs en présence autour des personnes violées, quelles représentations de celles-ci ils produisent, et dans quelle
mesure ces représentations sont partagées par les acteurs de la prise en charge judiciaire des victimes.
Mon propos est ici de démontrer que ces savoirs s’affrontent plus qu’ils ne se complètent, en insistant particulièrement
200
sur le clivage entre représentations policières et représentations féministes des personnes violées. Les policiers
partitionnent les plaignant-e-s entre « vraies » et « fausses victimes », en fonction du type d’agressions qu’elles
décrivent, des éléments matériels réunis pendant l’enquête, des suites données par le Parquet, mais également de critères
moraux. Les victimes agressées par leur conjoint, les victimes alcoolisées qui connaissaient leur agresseur, mais
également les personnes prostituées sont plus susceptibles que les autres d’être considérées par les policiers comme des
« fausses victimes ». A l’inverse, les femmes agressées par un inconnu dans l’espace public sont davantage quali.ées de
« vraies victimes ». Par ailleurs, les policiers font parfois porter une part de la responsabilité de l’agression sur la
personne qui la subit. Ainsi, les femmes violées pendant qu'elles sont ivres sont considérées comme partiellement
responsables de leur viol. Ces représentations orientent les choix policiers en matière de prévention des violences
sexuelles. La directrice des services départementaux de la police judiciaire, qui préside la commission « Prise en charge
par les services de police des femmes victimes de viol », souhaite ainsi organiser une campagne de sensibilisation à
destination des jeunes femmes. Cette campagne mettrait en avant les risques de prédation sexuelle encourus par les
jeunes .lles alcoolisées. Cette initiative rencontre une vive résistance au sein des associations féministes de soutien aux
victimes, qui dénoncent la culpabilisation des victimes qu’engendrerait une telle campagne, ainsi que la nonresponsabilisation des auteurs.
Les données qui seront analysées dans ma présentation sont issues d’un travail de terrain en cours depuis le mois d’avril
2014, qui sera achevé au moment du congrès. Ce travail a pour origine une enquête ethnographique au sein d’un service
de Police Judiciaire francilien dont l’essentiel de l’activité consiste en la prise en charge des personnes violées et de
leurs agresseurs. Cette ethnographie se double de la constitution d’une base de données à partir de 300 procédures de
viols ou d’agressions sexuelles traitées par le service de 2012 à 2013. A ce jour, 169 dossiers ont été collectés. Ce terrain
se prolonge au sein de la commission « Prise en charge par les services de police des femmes victimes de viol », dont je
suis membre depuis le mois d’avril. J’assiste aux réunions de travail de cette commission qui se tiennent environ une
fois par mois en dehors de la période estivale, et je suis destinataire de tous les échanges de courriel qui lui sont relatifs.
J’ai également débuté une campagne d’entretiens semi-directifs avec les acteurs et actrices de cette commission.J’ai
déjà réalisé cinq entretiens avec des actrices de la commission : la directrice des services départementaux de la Police
Judiciaire, une médecin légiste, une policière, une magistrate et une responsable d’une association féministe d’aide aux
victimes. Ma qualité de membre de la commission me permettra de rencontrer l’ensemble de ses membres (environ dix
personnes) avant le mois de décembre, dans le cadre d’un entretien.
201
ST 39 : La spéci-cité française des relations à l’Afrique dans le monde
académique
Entre science, posture critique et imperium français : l’africanisme des années
1970 en France
Dozon J.
EHESS
Mon intervention sera une sorte de témoignage ré!exif sur ce qui a constitué pour moi un moment fort, mais sans doute
également problématique, de l’africanisme français. Il s’agit des années 1970 qui correspondent au tout début de ma
carrière en même temps qu’à une présence assez massive, voire hégémonique des études africaines dans le champ des
sciences sociales en France, particulièrement en anthropologie (ou socio-anthropologie) et en géographie.
On pointera donc plus spéci.quement les institutions de recherche (CNRS, ORSTOM devenu aujourd’hui IRD) ainsi
que les types d’enquêtes de terrain qui ont permis un tel développement des études africaines. Mais on soulignera aussi
et surtout la façon dont l’africanisme a fortement œuvré au renouvellement du marxisme en s’efforçant de rendre
intelligible l’ensemble des sociétés africaines, que ce soit les différents types de modes de production, d’organisation et
de commerces précoloniaux ou les modes de domination et d’exploitation qu’elles ont subis depuis les colonisations.
En.n, on mettra en relation ce développement des études africaines, y compris dans leur critique du néocolonialisme,
avec l’importance prise par l’Afrique dans le fonctionnement général de l’Etat français, de ce que j’ai plus précisément
appelé, en me démarquant de la formule « Françafrique, « l’Etat franco-africain ».
Les transformations de la position et du rôle des diplômés de France au CongoBrazzaville dans les relations universitaires franco-congolaises : l’effacement d’un
lien singulier (1960-1997).
Blum Le Coat J.
Université Denis Diderot Paris 7
Les migrations pour études d’étudiants et stagiaires du Congo-Brazzaville en France, amorcées dans les années 1950, se
développent très progressivement après l’indépendance du Congo (1960), et constituent alors un enjeu diplomatique de
premier plan : la formation des cadres du Congo. Organisées et favorisées par les États congolais et français, ces
migrations permettent le maintien de l’in!uence française dans l’enseignement supérieur congolais dans le cadre d’une
évolution des relations diplomatiques franco-congolaises qui se concrétise dans ce domaine par le passage du contrôle
direct des établissements de formation congolais par l’université française (1960-1971) à une « congolisation » de ces
établissements. Les étudiants et stagiaires congolais formés en France remplacent à leur retour les personnels de
l’assistance technique française aux postes d’enseignants dans ces établissements (ce processus débuté dans les années
1960 ne prend .n que dans les années 1980) et mettent en place des accords inter-universitaires de coopération avec les
universités françaises à partir des années 1970.
A partir de 1986, sous l’effet de la double transformation de la situation économique et politique congolaise et de la
politique française d’accueil des étudiants étrangers, ces migrations pour études se voient assimilées aux autres
migrations de Congolais en France. En 1986, face à la dégradation de la situation économique et des .nances publiques
du Congo, un premier plan d’ajustement structurel (PAS) est imposé par le FMI et la Banque mondiale, dont l’un des
volets est l’arrêt des recrutements dans la fonction publique. D’autre part, une convention de circulation francocongolaise signée en 1974 et son avenant de 1978, mettant .n au régime de libre circulation mis en place en 1960,
entrent en vigueur en 1981 et marquent le début d’un processus ininterrompu depuis de durcissement des conditions
d’entrée et de séjour des Congolais en France. Ce nouveau régime migratoire produit ses effets sur les étudiants et
stagiaires voulant étudier en France à partir de 1986 avec la mise en œuvre du PAS, qui met .n à la politique généreuse
d’octroi de bourses d’études par l’État congolais. Ces évolutions, qui seront aggravées par les guerres civiles qui
marquent le Congo-Brazzaville dans les années 1990, conduisent les étudiants et stagiaires, qui voient leurs attentes
remises en cause, à élaborer de nouveaux projets migratoires et à réorienter leurs trajectoires migratoires pour s’installer
en France. Elles conduisent également à une distanciation des universitaires congolais vis-à-vis de la France, du fait du
traitement dégradant que leur font subir les administrations en charge du contrôle de l’entrée et du séjour en France,
mais également en raison du rôle joué par les autorités françaises durant la guerre civile de 1997.
Etre étudiants africains en France : à quand la -n de la même (vielle) histoire.
Seck A.
Université Gaston Berger
Cette communication embrasse un corpus couvrant une séquence temporelle allant de 1950 à 2010 et tente de
documenter, à partir de productions artistiques, militantes et littéraires les mises en discours des expériences sociales et
académiques des étudiants africains en France. Ce faisant, elle tente de dessiner les contours des subjectivités qui
202
traversent ou structurent le rapport de ces étudiants à l’espace d’accueil français, pour en dégager des repères plus ou
moins nets et inscrits dans la durée et la diversité des expériences singulières.
Revenant, en un premier temps, sur le contexte historique et général de ces expériences, cette communication insistera,
en un deuxième temps, sur un jeu de passage entre travail documentaire et archivistique (revues, ouvrages, mémoires,
archives sonores et audiovisuelles) et travail d’enquête de terrain (entretien avec une dizaine d’anciens étudiants ayant
fait leurs études en France durant ce dernier quart de siècle). Dans la problématique qu’elle se propose d’investiguer,
cette contribution voudra voir comment et pourquoi, en grande partie, l’expérience des étudiants africains en France
demeure à la fois traumatisante et salvatrice néanmoins. En effet, sa principale hypothèse de travail est que cette
expérience constituerait un creuset constructeur de sens, dans lequel une certaine opposition à la France et ses
institutions de recherche et de formation se forge, à travers des suites de « renaissances » qui préparent l’étudiant à se «
détourner » de la France pour « aller se chercher » ailleurs. Elle montrera également que cette sortie de l’ « appareillage
franco-francophone » est loin d’être une aventure facile tant sur le plan académique que social. Ce travail interrogera
également comment et pourquoi, vue du côté des expériences africaines et de leurs mises en récit, les rapports du
champs académique français à l’Afrique constitue, sans amalgame possible, un des rouages forts qui déterminent encore
les besoins pressants d’indépendance et d’authentique partenariat qui reviennent comme une rengaine dans les voix des
anciens étudiants africains de France. Qu’ils soient restés, rentrés ou, ailleurs, repartis.
De l'africanisme comme rente à l'utopie de l'africanisme comme communauté
Atenga T.
Université de Douala
Darbon (2003) remarquait que « l’étiquette africanisme / africaniste est une « marque », un fond de commerce qui prélégitime l’évidence de la légitimité scienti.que des dispositifs, de la reconduction des moyens, le repositionnement
tactique des chercheurs sur le marché international de la consultance médiatisée sur l’Afrique ou la formulation de
nouvelles demandes de recherche, et permet de s’assurer un contrôle (accès ou domination) sur un marché intellectuel,
médiatique et .nancier signi.catif ». Plus d’une décennie plus tard, qu’est-ce qui a véritablement changé au Nord
comme en Afrique subsaharienne francophone ? A l’âge où la légitimité des objets de recherche est plus que jamais une
affaire de capacités technologiques et .nancières, une mutation de l’africanisme comme rente à l’africanisme comme
communauté intellectuelle est-elle envisageable ? Comment concilier l’Africanisme comme ressource stratégique et
l’Africanisme autocentré au nom de l’authenticité africaine, de l’exotisme, du provincialisme ? Ce papier avance
l’hypothèse que le repositionnement de l’africanisme au cœur des aires culturelles à forts enjeux organisationnels et
épistémologiques passe par cette évolution. Il s’agit de travailler à la .n des affrontements binaires entre chercheurs
africains et français (Obenga, 2001), des controverses sclérosantes, et de la dialectique subtile du jeu d’acteurs où
chaque critique qui questionne les impasses de la recherche africaniste française est reçue comme un « nouvel avatar de
l’atlantisme académique » (Bayart, 2010) que des chercheurs-militants Français ou francophones veulent constituer en «
rente d’éminence ». Les terrains africains peuvent-ils cesser d’être des lieux de lutte (Obenga, 2001) pour déboucher
vers l’énonciation d’un africanisme dans l’espace francophone qui permet d’échapper au déclassement par des
processus d'hybridation et d'innovation culturelles ? Dix ans après la thèse de Science politique que j’ai préparée et
soutenue dans un laboratoire africaniste en France, j’en suis encore à espérer.
203
ST 40 : Economie et sociologie politiques internationales
Subalternity and Capitalism
Ritu V.
University of Aberdeen
Subalternity as a site of postcolonial difference has become central to ongoing attempts to think the international
otherwise. Drawing principally on claims about subaltern modes of being that inhabit different cosmologies, cultures, or
communities, postcolonial International Relations Theory has developed powerful critiques of hegemonic IR theory in
both its mainstream and critical iterations.
Conceived outside the domain of capitalist sociality, however, current deployments of subalternity as a generative site
for critical IR fail to recognize its duality: marked by its negative production (as subaltern) in capitalist society, the
aspiration to move out of subalternity is nevertheless also produced within the circuits of capitalist logic. How does the
subaltern’s emplotment within capital revise postcolonial theorizations of the international? Eschewing recent attempts
to dismiss the subaltern in favour of capital as the more generative category for a critically in!ected postcolonial IR,
this paper attempts to develop an account of ‘subaltern capitalism’ and its implications for thinking the international. To
do so, the paper draws on an ethnographic study of work and production in Dharavi, a large slum in Mumbai, India.
Une coalition transnationale de -rme face au changement climatique : comment
s'organise le travail d'intellectuel organique ?
Moussu N.
Université de Lausanne
L'implication des .rmes transnationales au travers de larges coalitions qui les représentent dans la politique
environnementale globale a suscité dernièrement une attention grandissante, menant à des travaux aux conclusions
divergentes, voir contradictoires. Passant en revue trois approches du rôle des coalitions de .rmes dans le domaine du
changement climatique, notre contribution visera à dépasser une vision trop souvent homogénéisante de ces acteurs en
distinguant ceux-ci sur un continuum entre corporatisme et universalisme. La mobilisation d'une approche théorique
néo-gramscienne et d'un cas d'étude spéci.que – le World Business Council for Sustainable Development – nous
permettra d'illustrer le rôle d'intellectuel organique que cette coalition endosse dans une lutte pour l’hégémonie. Selon
nous, ce rôle dépasse largement celui d'une défense corporatiste d'intérêts sectoriels dans un processus de décision
donné, tel qu'il est souvent compris dans les études sur le lobbying.
Ce rôle à dimension hégémonique peut être ainsi illustré à différents niveaux, en particulier par le grand nombre de
membres de cette coalition et la variété de leurs activités industrielles ou de services, ou par le large travail doctrinal
entrepris par cette coalition portant sur la compatibilité même du capitalisme face au changement climatique. Pourtant,
la dimension que nous soulignerons particulièrement dans notre contribution aura trait au mode d'inclusion des
membres au sein de la coalition, a.n d'analyser cette dernière comme une interface, à la fois porte-parole des prises de
position les plus progressistes de ses membres envers l'extérieur, et initiatrice de réformes et changements dans leurs
activités et opérations à l’interne.
Le dialogue entre sociologie politique et économie politique internationales comme
projet critique
Chenou J.
Université de Lausanne
Si l'émergence des approches de sociologie politique internationale et d'économie politique internationale sont liées à
des contextes historiographiques différents, leurs objets d'études actuels semblent souvent relativement proches. De la
sociologie politique des pratiques internationales à l'économie politique internationale du quotidien (everyday), en
passant par la sociologie des professions et l'étude des réseaux transnationaux d'élites, un certain nombre de chercheurs/euses des deux sous-disciplines se retrouvent autour de la tentative de dépassement des approches structuralistes et de
l'ambition de proposer une vision plus nuancée et différenciée des relations internationales. Cependant, la sociologie
politique internationale, tout comme les approches contemporaines d'économie politique internationale, courent le
risque de négliger l'apport de l'économie politique internationale critique à l'analyse de la mondialisation depuis les
années 1970. Bien que l'analyse centrée sur les pratiques et les agents, notamment au-delà des dominants, apportent
richesse et .nesse d'analyse ainsi qu'une prise en compte plus aboutie des pratiques de résistance, l'abandon de l'analyse
structurelle et de la critique fondamentale des approches dominantes en relations internationales risquent d'affaiblir les
approches contemporaines de SPI et d'EPI, de les spécialiser à outrance, voire de les rendre solubles dans un discours
dominant. Face à ces dif.cultés, la présente contribution souligne l'importance de l'étude des liens entre local et global,
et entre particulier et général. Elle met en relation les concepts de champ mondial du pouvoir et d'imaginaire
hégémonique a.n d'explorer les passerelles entre EPI et SPI et d'ancrer un programme de recherche dans un projet
critique des relations internationales dans la continuité des approches néo-gramsciennes.
204
Appraising transnational private labour regulation : the International Finance
Corporation’s contractual approach to social standards compliance
1
Cradden C., 1Graz J.-C., 1Pamingle L.
Lausanne1
The sociological turn in international political economy has prompted new studies on transnational private labour
regulation (TPLR). As an approach to social standards compliance, TPLR can be characterized by its reliance on the
enforcement of labour standards clauses in private commercial contracts. Up to now, most research into such systems of
‘governance by contract’ has been qualitative in nature and based on individual or comparative case studies. While this
kind of approach is indispensable in the quest for an in-depth understanding of these new and controversial forms of
governance, estimating the overall impact of TPLR demands a level of research coverage that cannot be attained using
qualitative methods alone.
This paper presents an assessment of the impact of one particular TPLR system on collective labour rights. The
assessment centres on a quantitative comparative analysis of trade union membership levels in businesses that apply the
regulation and similar businesses that do not. The analysis draws on data gathered in the course of a comprehensive
study of the most prominent investment conditionality scheme for the private sector in developing countries, the
International Finance Corporation’s ‘Performance Standards’ system. The study surveyed managers, union
representatives and workers in 58 IFC client businesses in eight countries across 3 continents. At the time of writing the
results of the study have yet to be fully examined, but preliminary analyses suggest that the application of TPLR in this
case has had no discernible impact on levels of union membership.
Politiques publiques globales. Enjeux et processus de construction du référentiel
de marché
Fouilleux E.
CNRS
La communication proposée (dont le présent résumé est en français mais qui sera rédigée en anglais) se situe à
l’intersection entre économie politique internationale et sociologie politique internationale dans la mesure où elle
s’intéresse à la fabrication des politiques publiques globales, et plus précisément aux modalités de construction,
fabrication, légitimation inter/transnationale du référentiel libéral de marché qui s’impose aux politiques domestiques
tant nationales que régionales au sens des relations internationales. Pensée à partir d’un cadre d’analyse et d’une
méthodologie issus de l’analyse cognitive des politiques publiques –parfois plus largement baptisée « institutionnalisme
discursif »- cette communication présente une cartographie des différentes organisations (publiques et privées) inter et
transnationales impliquées dans la production de représentations et de normes pour les politiques publiques et la
régulation des marchés et des .lières et de leur inter-relations. Elle s’intéresse aux rapports de force et dispositifs de
hiérarchisation qui s’établissent entre elles dans ce travail politique.
Nourrie des nombreux travaux empiriques antérieurs et actuels de l’auteure et d’une revue de la littérature
contemporaine en matière d’analyse des politiques globales, elle souligne en particulier la répartition des tâches qui
s’établit entre les diverses organisations en présence. Elle analyse les activités, formes de légitimation et interactions
entre (i) les organisations productrices de règles ou de mécanismes d’arbitrage s’imposant aux Etats et autres acteurs du
système international (OMC, FMI, BM), (ii) celles dont l’in!uence passe par la production d’instruments d’évaluation
et de benchmarking des politiques publiques (BM, OCDE) orientant les débats globaux, (iii) les organisations
sectorielles pour la plupart plus ou moins habiles à produire un discours autonome (FAO, OIE, PNUE, etc.), et (iv)
celles –essentiellement privées- produisant des formes de ‘soft law’ globale (ISO, ISEAL, IASB etc.).
The social and political economy : the negleted Tradition of Austrian economics
Kessler O.
Universität Erfurt
Austrian economics is usually associated with market fetishism and libertarian political theory. Yet this paper argues
that there is a neglected side to Austrian economics where Austrian economics is closely linked to sociology. This paper
reconstructs this side through a rereading of Carl Menger, Weber and Schumpeter. At the same time, this paper argues
that it is not good enough to take the old Austrian economics as vantage point, but to look at modern economic
sociology and the sociology of economics to revive this Tradition.
205
Creating and blurring boundaries through the de-nition of representativeness : a
comparative analysis of the International Labour Organization (ILO) and the
International Organization for Standardization (the ISO)
1
Ruwet C., 2Louis M.
SciencesPo Paris2, ICHEC1
International organizations are subject to new demands forcing them to reconsider the foundations of their legitimacy
including rethinking their representativeness. These recon.gurations blur the contours of the international landscape,
including the boundary between state organizations and non-governmental organizations or between public and private
norms.
In this paper, we shed new light on these contemporary upheavals in global governance through the comparison of two
international organizations, namely the International Labour Organization (ILO) and the International Organization for
Standardization (the ISO). How have these two major international players faced the challenge of representation in
recent years? What are the consequences of these contemporary recon.gurations on the power relationships
(North/South, social/economic actors) inside them? Bringing together a body of empirical data on recent developments
within the two organizations, this paper, which is rooted in the International Political Sociology approach aims at
questioning the way international organizations legitimate their existence and power at the international level, by
looking at actors, practices and discourses.
Established in 1919 and composed of 185 countries (as of 2012), the International Labour Organization has long been
celebrated as a major political innovation because of its tripartite structure. Tripartism makes organizations of workers
and employers alongside governments possible whilst the composition of the other international organizations is purely
inter-governmental. For its part, the ISO, often referred to as a "hybrid" organization because it consists o