AUDIT COMMITTEE NEWS Numéro 49 / T2 2015 Financements intragroupes: nouveautés Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral du 16 octobre 2014 (4A_138/2014) Gestion des risques et conformité Dans l’arrêt susmentionné, le Tribunal fédéral a jugé que les créances de prêts détenues par des filiales envers leur société-mère (prêts upstream) et leurs sociétés-sœurs (prêts cross-stream) qui ne sont pas conformes aux conditions de marché ou de pleine concurrence doivent être considérées comme des «dividendes de fait», qui entraînent le blocage des capitaux propres librement disponibles. L’arrêt du Tribunal fédéral a des répercussions sur le calcul des fonds libres d’une société anonyme pouvant être distribués sous forme de dividendes. Pour les sociétés de groupe concernées, il devrait rendre nécessaire la vérification des contrats de prêt et des accords de cash pooling internes existants. La responsabilité ultime pour le traitement conforme à la loi des prêts intragroupes relève du conseil d’administration. Introduction Les sociétés de groupe se financent généralement en downstream (société-mère vers filiale) au moyen d’une participation au capital et en upstream (filiale vers société-mère) au moyen d’une distribution de dividendes. A la place de ces modes de financement, l’octroi réciproque de prêts intragroupes est admis sans conteste. A cet égard, il s’agit de délimiter les prêts upstream ou cross-stream par rapport aux distributions. Par ailleurs, ces prêts doivent être vérifiés constamment afin de déterminer s’il s’agit d’une distribution cachée de dividendes ou d’une restitution interdite de versements au sens de l’art. 680 al. 2 CO. Dans l’arrêt mentionné (concernant la succession du groupe Swissair), le Tribunal fédéral s’est penché non seulement sur la question du rapport entre l’action en restitution et l’action en responsabilité et sur la qualification de l’agio, mais aussi et surtout sur les questions liées à l’admissibilité des prêts upstream et cross-stream. Il a également fixé de nouvelles limites concernant l’octroi de prêts intragroupes. Audit Committee News, numéro 49 / T2 2015 Constatations du Tribunal fédéral sur les prêts intragroupes Le Tribunal fédéral a accru les exigences relatives aux prêts intragroupes à double titre. D’une part, le Tribunal fédéral a souligné que la protection du capital constitue l’un des principes les plus importants du droit de la société anonyme. Il a également précisé que l’art. 680 al. 2 CO (et l’interdiction qui en découle de restituer des versements) garantit que l’actionnaire ne peut pas demander la restitution du montant payé pour la libération de ses actions et que la société n’a pas le droit de verser ce capital à ses actionnaires. Un prêt upstream ou cross-stream qui n’est pas accordé aux conditions de marché ou de pleine concurrence constitue une distribution du point de vue du droit de la protection du capital. Mais même si le prêt qui n’est pas accordé aux conditions de marché est octroyé à partir de fonds libres et non à partir de fonds protégés au sens de l’art. 680 al. 2 CO, il en résulte des conséquences au niveau de la distribution de dividendes. Le Tribunal fédéral a en effet jugé qu’un prêt qui n’est pas conforme aux conditions de marché bloque les capitaux Audit Committee News, numéro 49 / T2 2015 / 9 1 propres librement disponibles à hauteur du montant du prêt. En d’autres termes, cela signifie que, contrairement à la doctrine qui a dominé jusqu’ici, une réserve imputable au capital lié doit être constituée à hauteur du prêt qui n’est pas conforme aux conditions de pleine concurrence. Afin de déterminer si une telle réserve doit être constituée, il convient de se baser sur la situation à la date du bilan (et non sur la situation au moment de la distribution). A cet égard, même le remboursement d’un tel prêt entre la date du bilan et le moment de la distribution importe peu. D’autre part, le Tribunal fédéral semble avoir accru les exigences concernant les critères de la conformité au marché des prêts upstream et cross-stream. L’arrêt du Tribunal fédéral ne contient cependant pas d’indications concrètes quant à ces critères. Le Tribunal fédéral a toutefois précisé que, dans le cas d’espèce, les prêts upstream et cross-stream concernés n’étaient pas garantis et que la créancière ne s’était pas occupée de la solvabilité des débitrices. Dans ces circonstances, il fallait donc supposer une absence de conformité au marché. Enfin, le Tribunal fédéral s’est demandé si la participation à un système de cash pooling (zero balancing) satisfaisait au principe de la pleine concurrence. Il est regrettable que le Tribunal fédéral ne fournisse aucune indication concrète concernant les exigences pour satisfaire aux conditions de pleine concurrence tout en laissant peu de doute quant au fait que l’évaluation de la conformité au marché est importante et que les critères sont stricts. Au vu du libellé de l’arrêt, la garantie du prêt semble du moins constituer un facteur essentiel. Audit Committee News, numéro 49 / T2 2015 Conséquences pratiques de l’arrêt du Tribunal fédéral Il est recommandé aux conseils d’administration des entreprises concernées de vérifier la conformité au marché de leurs prêts upstream et cross-stream. Dans le contexte décrit ici, des critères plutôt stricts doivent donc être appliqués. Lors d’une évaluation globale, le respect de la pleine concurrence doit être vérifié avec soin au moyen des questions ci-après: Un contrat de prêt valable réglant les aspects principaux (taux d’intérêt, échéance, possibilités de résiliation, modalités de remboursement, amortissement, sûretés, etc.) a-t-il été conclu? Le taux d’intérêt correspond-il aux conditions actuelles du marché et tient-il compte de la monnaie (taux directeur), des conditions particulières ainsi que des primes de risque spéciales? Le prêteur dispose-t-il d’une possibilité de résiliation exécutoire ou est-ce que le prêt ne présente pas une durée qui est inhabituellement trop longue? Des sûretés usuelles sur le marché et pouvant être utilisées par le créancier et (dans le cas de garanties) pouvant lui être imputables ont-elles été convenues pour un montant suffisant? Si tel n’est pas le cas, il convient de vérifier en sus si les autres conditions de prêt tiennent compte de ce risque. En l’absence de sûretés ou en cas de sûretés insuffisantes, la conformité au marché d’un tel prêt sans garantie doit d’une manière générale être vérifiée. Le bénéficiaire du prêt est-il disposé et en mesure de rembourser ce dernier? La solvabilité du débiteur doit en outre être vérifiée avant la conclusion du contrat; celle-ci doit ensuite être surveillée en permanence. L’évaluation du respect de la pleine concurrence est-elle suffisamment documentée et est-il garanti que celle-ci est effectuée en continu? Audit Committee News, numéro 49 / T2 2015 / 10 2 Comme mentionné précédemment, l’octroi d’un prêt upstream ou cross-stream comporte, en cas de non-conformité au marché, un risque de nullité partielle s’il existe des capitaux propres d’un montant correspondant qui ne sont pas librement disponibles. Afin de parer à ce risque, il est recommandé de limiter l’octroi de prêts aux capitaux propres librement disponibles. Enfin, il est possible de rembourser les prêts non conformes au marché avant la date du bilan, car ces prêts ont un effet bloquant et limitent ainsi la possibilité d’un versement de dividendes. Responsabilité du conseil d’administration Le droit suisse ne connaît pas le droit des groupes. C’est pourquoi le conseil d’administration d’une société de groupe doit assumer sa responsabilité comme s’il s’agissait d’une société indépendante non intégrée dans le groupe. Selon l’art. 716a CO, la planification financière et le contrôle financier font partie des tâches intransmissibles et inaliénables du conseil Conclusion Les conseils d’administration des sociétés de groupes suisses devront se pencher sur les conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral sur le financement intragroupe de leur entreprise. Ils devront en particulier vérifier la conformité au marché des prêts upstream et cross-stream. En effet, les exigences en la matière ont été renforcées et les prêts non conformes au marché, par dérogation à la pratique en vigueur jusqu’ici, entraînent une réduction des capitaux propres pouvant être distribués. A cet égard, le besoin de coordination avec l’organe de révision est indispensable. Dans son opinion d’audit, ce dernier doit en effet prendre position quant à la proposition du conseil d’administration relative à l’emploi du bénéfice au bilan. d’administration. Le conseil d’administration doit ainsi veiller à ce que la société pour laquelle il remplit ces tâches dispose toujours de moyens financiers suffisants. S’il contrevient à cette obligation, il pourrait en résulter une responsabilité personnelle au sens de l’art. 754 CO. Si, à la lumière de l’interdiction de restituer des versements, le conseil d’administration accepte le risque d’une sortie définitive de capitaux qui serait supérieure aux réserves librement disponibles, sa responsabilité peut être engagée non seulement sur le plan civil, mais aussi sur le plan pénal (pour gestion déloyale) si les autres conditions sont remplies. Dans ce cas, le conseil d’administration doit s’abstenir de conclure un contrat de prêt ou de cash pooling, ou du moins faire approuver celui-ci par les actionnaires lors de l’assemblée générale. Cependant, l’utilité d’une telle approbation eu égard à la responsabilité du conseil d’administration n’est pas absolument claire. Jörg Kilchmann Legal [email protected] L’information contenue ici est de nature générale et ne prétend en aucun cas s’appliquer à la situation d’une personne physique ou juridique quelconque. 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