Accès au mémoire - Le petit juriste

Faculté de Droit et de Sciences Politiques
LES MONTAGES
JURIDIQUES À L’AUNE DU
DROIT DES ENTREPRISES
EN DIFFICULTÉ Mémoire réalisé dans le cadre du Master II Recherche mention « Droit
économique »
par Enis M'RABET
Sous la direction de M. Hugo BARBIER, Professeur à Aix-Marseille Université
Année universitaire 2013-2014
Faculté de Droit et de Sciences Politiques
LES MONTAGES
JURIDIQUES À L’AUNE DU
DROIT DES ENTREPRISES
EN DIFFICULTÉ Mémoire réalisé dans le cadre du Master II Recherche mention « Droit
économique »
par Enis M'RABET
Sous la direction de M. Hugo BARBIER, Professeur à Aix-Marseille Université
Année universitaire 2013-2014
Sommaire
PARTIE I : Les multiples finalités des montages à l’épreuve et au service du droit des
entreprises en difficulté
TITRE I : Les montages structurels limitant les risques patrimoniaux liés à l’entreprise
CHAPITRE 1 : Le cloisonnement patrimonial CHAPITRE 2 : Les enjeux des montages structurels au regard du droit supranational TITRE 2 : Les montages juridiques au service du droit des entreprises en difficulté
CHAPITRE 1 : La conception de montages financiers protegeant les creanciers CHAPITRE 2 : Les montages à finalité salvatrice PARTIE II : L’ENCADREMENT DES MONTAGES PAR LE DROIT DES
ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
TITRE 1 : La fraude comme obstacle rédhibitoire limitant la portée des montages
juridiques : les rocs de l’incohérence
CHAPITRE 1 : Les nullités de la période suspecte CHAPITRE 2 : L’extension de procédure TITRE 2 : Le décloisonnement patrimonial à titre de sanction
CHAPITRE 1 : Le décloisonnement patrimonial au sein d’un groupe de sociétés CHAPITRE 2 : La sanction patrimoniale consécutive à une faute de gestion CONCLUSION GENERALE
PRINCIPALES ABREVIATIONS
Act. Proc. Coll.
AFIC
AGS
AJIDA
Al.
AN
B.O.D.A.C.C
BIC
BJE
BJS
ou Bull. Joly Soc.
Bull. civ.
C. civ.
C. com.
C. env.
C. trav.
Cah. Dr. Ent.
Cass. ch. mixte
Cass. Com.
Cass. soc.
Cf.
CGI
Civ 1re
Civ. 2ème
Civ. 3ème
CJCE ou CJUE
CMF
COM
COMI
Comm.
Cons. const.
D.
D.I
Defrénois
DPDE
Dr. et patrimoine
Dr. sociétés
Éd.
Ed. lég.
EIRL
EURL
Ex.
Gaz. Pal.
Gaz. Proc. Coll.
ou GPC
Infra
J.-Cl.
JCP E
Lettre d’actualités des procédures collectives
Association française des investisseurs pour la croissance
Association pour la Gestion du régime d’assurance des créances des Salaires
l’Affairé journal de l’institut de droit des affaires d’Aix-Marseille
Alinéa
Assemblée nationale
Bulletin Civil des Annonces Civiles et Commerciales
Bénéfices industriels et commerciaux
Bulletin Joly entreprises en difficulté
Bulletin mensuel Joly des sociétés
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Chambres civiles
Code civil
Code de commerce
Code de l’environnement
Code du travail
Cahiers de droit de l’entreprise
Cour de cassation, Chambre mixte
Cour de cassation, Chambre Commerciale et financière
Cour de cassation, Chambre sociale
Se reporter à
Code Général des Impôts
Cour de cassation, première chambre civile
Cour de cassation, deuxième chambre civile
Cour de cassation, troisième chambre civile
Cour de justice des communautés européennes ou de l’Union européenne
Code monétaire et financier
Rapport communautaire
Center Of Main Interest (abréviation communément utilisée pour désigner le
centre des intérêts principaux du débiteur en procédure d’insolvabilité)
Commentaire d’arrêt
Conseil constitutionnel
Recueil Dalloz
Déclaration notariée d’insaisissabilité
Répertoire du notariat Defrénois
Dictionnaire Permanent Difficulté des Entreprises
Revue droit et patrimoine
Droit des sociétés
Edition
Editions législatives
Entrepreneur individuel à responsabilité limitée
Entreprise unilatérale à responsabilité limitée
Exemple
La gazette du Palais
La gazette des procédures collectives
Voir ci-dessous
Jurisclasseur LexisNexis
La semaine juridique, édition entreprises et affaires
JCP ou JCP G
JCP S
JO ou JORF
JO doc. adm.
Journ. Sociétés
L.
Lamy Dr. Contrat
LBO
LEDEN
LPA
McGill LJ
Mél.
NDLR
Ord.
Proc. Coll.
PU
PUAM
Rapp.
Rép. Soc.
Rev. dr. travail
Rev. Proc. Coll.
Rev. sociétés
RJ Com
RJDA
RLDA
RLDC
RTD civ.
RTD com.
SARL
SCI
Sem. Soc. LAMY
SNC
Act. prat. ing.
sociétaire
Sp.
Ss.
Supra
Th.
U.E
V. ou Voy.
La semaine juridique, édition générale
La semaine juridique, édition sociale
Journal officiel de la république française
Journal officiel documents administratifs
Journal des sociétés
Loi
Lamy droit du contrat
Leverage buy out ou acquisition avec effet de levier
L’essentiel des procédures collectives
Les Petites Affiches
McGill Law journal
Mélange
Note de la rédaction
Ordonnance
Procédures collectives
Presse universitaire
Presses universitaires d’Aix-Marseille
Rapprochement
Répertoire de Droit des sociétés Dalloz
Revue de droit du travail
Revue des procédures collectives civiles et commerciales
Revue des sociétés
Revue de jurisprudence commerciale
Revue de jurisprudence de droit des affaires
Revue Lamy droit des affaires
Revue Lamy droit civil
Revue trimestrielle de droit civil
Revue trimestrielle de droit commercial et droit économique
Société à responsabilité limitée
Société civile immobilière
Semaine sociale LAMY
Société en nom collectif
Actes pratiques ingénierie sociétaire
Spécialement
Sous
Voir ci dessus
Thèse
Union européenne
Voir, à consult
Le buisson, le canard et la chauve-souris
« Le buisson, le canard et la chauve-souris,
Voyant tous trois qu'en leur pays
Ils faisaient petite fortune,
Vont trafiquer au loin, et font bourse commune.
Ils avaient des comptoirs, des facteurs, des agents
Non moins soigneux qu'intelligents,
Des registres exacts de mise et de recette.
Tout allait bien; quand leur emplette,
En passant par certains endroits,
Remplis d'écueils, et fort étroits,
Et de trajet très difficile,
Alla tout emballée au fond des magasins
Qui du Tartare sont voisins.
Notre trio poussa maint regret inutile;
Ou plutôt il n'en poussa point;
Le plus petit marchand est savant sur ce point
Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte.
Celle que, par malheur, nos gens avaient soufferte
Ne put se réparer le cas fut découvert.
Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource,
Prêts à porter le bonnet vert.
Aucun ne leur ouvrit sa bourse.
Et le sort principal, et les gros intérêts,
Et les sergents et les procès,
Et le créancier à la porte
Dès devant la pointe du jour,
N'occupaient le trio à chercher maint détour
Pour contenter cette cohorte.
Le buisson accrochait les passants à tous coups.
« Messieurs, leur disait-il, de grâce, apprenez-nous
En quel lieu sont les marchandises
Que certains gouffres nous ont prises.»
Le plongeon sous les eaux s'en allait les chercher.
L'oiseau chauve-souris n'osait plus approcher
Pendant le jour nulle demeure
Suivi de sergents à toute heure,
En des trous il s'allait cacher. »
Jean de La Fontaine
AVANT-PROPOS
Jean de La Fontaine, dans sa fable La chauve-souris, le buisson et le canard, décrit
les heurs et malheurs d'une entreprise commune, telle que se la représente l’imaginaire
collectif, qui, après avoir connu la fortune, est confrontée à des difficultés telles qu'elle ne
peut éviter la faillite.
Au
début il y a un chef d’entreprise, une entreprise et une histoire
entrepreneuriale imaginée par un ou plusieurs hommes. Faisant bourse commune, ils
décidèrent de se lancer à l’aventure et d’exposer leur patrimoine aux risques inhérents à
ce périple. Au début, ils acquirent des outils pour exploiter leur activité. Dans le même
sens, ils s’endettèrent auprès de créanciers leur accordant des crédits. Forts de l’énergie
procurée par l’audace et l’insouciance, ils se lancèrent dans la vente des biens qu’ils
produisaient ainsi que dans la commercialisation des services qu’ils rendaient.
L’entreprise florissait, les entrepreneurs jubilaient.
Et puis vint un jour où ils durent céder leur place à des investisseurs afin que leur
joyau prenne une autre dimension. Chemin faisant, au prêteur de proximité se substitua le
financier professionnel. La complexité de l’ingénierie juridique et financière limitant les
risques et maximisant les profits pris le pas sur la simplicité de la mécanique artisanale
jusque là utilisée. Les délices de l’improvisation et du risque s’effacèrent au profit de la
plate froideur déshumanisée de la certitude et du pragmatisme.
La stratégie fiscale et financière ouvre la voie au génie juridique des praticiensconcepteurs de montages juridiques en tout genre (structurels ou financiers) dont le but
premier est d’optimiser l’activité de l’entreprise en considération des différents régimes
juridiques en vigueur, internes à la France ou hors frontières, voire de réduire les risques
financiers que subissent les créanciers.
L’entreprise se retrouve alors exploitée par le truchement d’une foule de
structures sociétaires aux patrimoines distincts, afin de subdiviser les risques liés à
l’activité et de réduire les charges (y compris fiscales). Le tout chapeauté par une société
11 holding chargée de conduire les opérations, elle-même détenue par des structures (ex :
fonds de pension) étrangères logées quelque part au soleil à l’abri de la tempête fiscale.
Les crédits-bails et autres clauses de réserve de propriété servent à rassurer les
créanciers et à acquérir des biens. Les créances de l’entreprise nées de l’interaction avec
ses clients se transforment en instruments de sûretés dans le cadre de cessions « Dailly ».
Pour faire simple, les dettes sont financées par d’autres dettes selon le schéma vicieux du
« serpent se mordant la queue ».
Alors lorsque la fuite en avant ne peut plus continuer, lorsque le climat et les
considérations macro-économiques ne sont plus propices aux « affaires », le temps est
venu de « plier bagage » et de battre en retraite. L’entreprise, sur le point de s’écrouler
sous le poids des factures, des crédits et inévitablement de la crise économique, est
délaissée. Ne subsiste alors qu’une ribambelle de questions, face auxquelles, se retrouve
confronté le droit des entreprises en difficulté.
Qui et où est le débiteur ? Idem s’agissant des propriétaires des biens de
l’entreprise ou de ses créanciers ? Qu’adviendra t-il des salariés et de l’AGS censée
couvrir les créances salariales ?
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous tenterons de décrire et d’analyser l’impact
des montages juridiques sur le droit des entreprises en difficulté.
L’idée de confronter les montages, communément utilisés dans la vie des affaires,
au droit des procédures collectives, nous est venue à la suite de la découverte des actes
d’un colloque organisé par le CRDP de Caen sur le thème des « montages à l’épreuve et
au service du droit des entreprises en difficulté » le 12 avril 2013. L’intérêt tant pratique
que théorique joint à la grande actualité de ce sujet nous ont alors incité à approfondir et
enrichir
les
thèmes
exposés
par
les
éminents
intervenants.
12 INTRODUCTION
1-
Le montage est couramment entendu comme l’opération par laquelle on assemble
des pièces d’un mécanisme, d’un objet complexe pour le mettre en état de fonctionner1
ou encore comme une action permettant d’élever, de porter plus haut une chose2. Si nous
combinons les deux définitions, il s’agit d’assembler des éléments en vue de faire
produire un effet nouveau avec l’idée sous-jacente d’élévation donc d’amélioration.
La définition du montage crée par le praticien des affaires ne s’éloigne pas du sens
commun. Un auteur nous propose la définition suivante : « Le montage est l’action de
mettre ensemble, selon des techniques propres des éléments épars et variés afin de faire
produire à leur combinaison un effet particulier spécialement recherché »3. Un autre
auteur ajoute au sujet de ces éléments à assembler qu’ils peuvent être soit juridiques, soit
financiers et sont réunis ensemble afin de réaliser une opération économique4. Il s’agit en
théorie de la meilleure définition générale que l’on puisse donner du montage étant donné
l’absence de définition légale.
2-
Le montage est donc l’action de mettre ensemble des éléments juridiques ou
financiers. Cela présuppose une juxtaposition de plusieurs actes et/ou stipulations qui,
pris isolément, ne sauraient offrir les mêmes effets que ceux que l’assemblage va être en
mesure de générer. Chaque acte existe par lui-même, mais son agencement avec d’autres
actes fait alors apparaître une figure juridique originale. Il en va ainsi, par exemple, de
l’interposition au sein d’un groupe de société d’une structure sociétaire dans laquelle les
associés sont indéfiniment tenus des dettes sociales, tel qu’une SNC, voire une société de
type société en commandite5, et dont l’ensemble des associés se trouvent être des sociétés
1
Le ROBERT micro poche, 1994, sens 1 ;
Centre national de ressources textuelles et lexicales, CNRS, sens A, 1 et 2 :
http://www.cnrtl.fr/lexicographie/montage.
3
DOM (J.-Ph.), Les montages en droit des sociétés, éd. Joly, 1998, n° 15.
4
PORACCHIA (D.), Recherche sur les montages conçus par les professionnels du droit, th. AixMarseille, 1997, n° 4.
5
Cf. infra n° 39 et s.
2
1 à responsabilité limitée. Cette combinaison n’est ni systématique, ni obligatoire, les
concepteurs ont seulement assemblé différents actes d’une manière propre à conférer un
effet particulier et profitable, en l’occurrence du point de vue fiscal. L’idée est la même
pour les joint-venture consistant, pour plusieurs personnes morales, à s’unir autour d’un
projet commun dans le cadre informel d’une société en participation dépourvue de
personnalité morale et, ainsi, par le biais d’un jeu de délégations et de subdélégations
mettre en œuvre l’objet de la société. Dernier exemple, la convention de portage relative
à une participation dans une société permettant au donneur d’ordre d’acquérir des droits
dans celle-ci par le biais d’un porteur. Ce dernier détiendra en apparence la propriété de
la participation au capital, le temps que le bénéficiaire réel ne règle les éventuels
problèmes inhérents à une acquisition d’actions sans risquer de voir la participation lui
échapper. Cette opération est complexe6 puisqu’elle fait intervenir des promesses croisées
d’achat et de vente. Elle permet d’obtenir un effet voulu par le concepteur en dépit des
obstacles momentanés qui se dressent devant lui.
3-
C’est là l’autre aspect du montage qui est de permettre par l’assemblage de
plusieurs actes soit de créer une situation nouvelle, soit d’esquiver un effet qui aurait dû
se produire. En effet, qu’il s’agisse de structurer un financement en marge d’un LBO afin
d’établir un rang entre les créanciers « senior » et ceux dit « junior », grâce notamment à
une convention de subordination7 conférant des droits différents et, en contrepartie, une
rémunération variable aux créanciers parties à celle-ci ; ou qu’il s’agisse de permettre une
titrisation ou conversion de créance en capital à l’insu de certains associés réfractaires par
l’utilisation d’un « coup d’accordéon »8, le montage permet de concevoir un régime ad
hoc en exploitant la grande marge de manœuvre offerte par la liberté contractuelle aux
monteurs. De surcroît, il peut aussi permettre de contourner des difficultés s’opposant à
l’aboutissement d’un résultat donné. Parfois, ce résultat peut être atteint en empruntant un
chemin classique, direct mais impliquant l’application d’une norme qui, aux yeux des
concepteurs, produit des effets contraignants. En pareil cas, ces derniers emprunteront un
6
Non pas au sens de difficile mais d’association de plusieurs actes.
Sur cette question cf. infra n° 101 s.
8
Technique associant dans le même temps une réduction subite du capital suivie d’une
augmentation de cet élément du bilan, cf. infra n° 146.
7
2 chemin différent qu’ils construiront eux-mêmes afin d’aboutir à une finalité, sans pour
cela subir les écueils posés par la loi. Les montages tendant à une optimisation fiscale en
sont un formidable exemple, notamment en matière de donation-cession où le but est de
réaliser un acte à titre gratuit indirectement. Pour ce faire, les monteurs prendront « des
détours » afin d’éviter le paiement de certains droits applicables à la donation directe.
En bref, la finalité du montage doit être fixée dès avant la conception. C’est ce vers quoi
se dirige l’ensemble de l’édifice. Quant aux obstacles, ils contribuent à inciter les
concepteurs à rechercher les actes juridiques à employer pour atteindre le résultat espéré.
4-
Par ailleurs, le montage est aussi un formidable outil d’anticipation et de
limitation du risque de défaillance de l’entreprise. Dans cette perspective, les montages
structurels sont d’excellents moyens d’atteindre cet objectif.
Pour illustrer nos propos, relevons la pratique des single ship companies impliquant une
division des risques patrimoniaux inhérents à l’exploitation d’une activité en autant de
sociétés aux patrimoines cloisonnés. Chacune d’elles exploite une branche d’activité, le
plus souvent à l’échelle mondiale, de manière autonome mais sous l’égide d’un holding
conduisant les opérations. Cela permet d’amoindrir le risque d’exposition à une
défaillance de l’ensemble économique. Lorsque l’une des entités défaille les autres se
protégeront derrière le bouclier forgé par le principe de l’autonomie de la personne
morale.
Même modus operandi mais finalité différente, la defeasance9 ou défaisance, utilisée
pour la première fois en France par le Crédit Lyonnais, est une technique d’ingénierie
financière reposant aussi sur un cloisonnement patrimonial. En effet, elle permet à une
société de sortir de son bilan des dettes10 en les transférant dans une structure juridique ad
hoc (trust, fiducie, personne morale…) qui en assurera la gestion au moyen de titres de
participation qui lui seront transmis dans le même temps11. Ce mécanisme permet de
nettoyer le bilan de la société aux yeux des agences de notation et, ce faisant, contribue à
9
V. pour un exemple PORACCHIA (D.), op. cit., n° 11.
Il peut aussi s’agir de créances douteuses affaiblissant le bilan d’une société.
11
MOULIN (J.-M.), Droit de l’ingénierie financière, Gualino, 4e éd., 2013, n° 1089 et s., sp.
1089.
10
3 renforcer la capacité d’endettement de l’entreprise12. D’un point de vue comptable
l’opération donne l’apparence d’une suppression de dettes, en revanche juridiquement
l’engagement initial de l’entreprise n’est pas éteint et elle conserve la qualité de codébiteur.
Le rapprochement des deux exemples montre que la création de plusieurs structures, aux
patrimoines distincts, permet de « dispatcher » un patrimoine, à l’image d’une terre
parcellée, en créant des cloisons a priori, étanches. Cela divise donc les risques de
défaillance du patrimoine en autant de cloisons créées.
5-
Quant aux créanciers13, eux aussi s’approprient les effets bénéfiques que les
montages peuvent procurer. Dans leur sempiternelle quête du « nec plus ultra » des
sûretés, ils tenteront constamment d’élaborer le montage leur permettant de garantir au
mieux leurs intérêts et ce, même en cas de déconfiture de leur débiteur. Dans cette
perspective, la fiducie à fins de sûreté est indéniablement l’outil « magique » prôné par
les praticiens et conseils du droit. Elle donne la possibilité d’anticiper efficacement
l’insolvabilité du débiteur en résistant remarquablement bien aux procédures collectives.
6-
Il appert donc que les montages sont une formidable émanation de la liberté
contractuelle posée par le fameux article 1134 du Code civil. Ils reposent sur la volonté
du concepteur d’atteindre un résultat en produisant des effets spécifiques sans suivre la
voie que la loi lui trace.
Le contrat est l’élément pivot sur lequel reposent les montages. Il permet d’aménager un
régime particulier. Il en va ainsi, par exemple, des clauses de claw back14 stipulées dans
les conventions de subordination ou encore des clauses d’earn out et/ou de garantie de
passif employées lors d’une cession de participation.
L’ingénierie contractuelle est le moteur permettant aux concepteurs de laisser libre court
à leur imagination afin d’ériger des montages éclectiques aux finalités multiples.
12
MOULIN (J.-M.), op. cit., n° 1091.
Par créanciers il faut entendre le plus fréquemment les établissements de crédit permettant de
financer l’activité d’une entreprise ou la réalisation d’une opération de fusion ou d’acquisition.
14
Cf. infra n°s 105 et 113.
13
4 7-
Élaborés à l’origine pour répondre à des attentes particulières lorsque l’entreprise
est in bonis, la question de leur résistance au droit des procédures collectives, droit par
essence d’ordre public et ne laissant, en principe, que peu de place à l’autonomie de la
volonté, se pose. À son contact les montages semblent être confrontés à « l’épreuve du
feu ».
Prima facie, l’intuition nous dicterait alors une attitude de défiance de ce droit vis à vis
du montage. La question de son efficience à l’épreuve du choc d’une procédure collective
peut effectivement se poser.
8-
Dans quelle mesure un groupe de société gouverné par un holding pourra-t-il
encaisser la vague destructrice du tsunami provoqué par la défaillance d’une ou plusieurs
de ses entités entretenant des liens étroits entre elles voire, a fortiori, avec le holding luimême ? Comment traiter les difficultés de ce dernier ? Le montage SCI/société
d’exploitation15 est-il suffisamment imperméable ? Peut-il réellement résister compte
tenu des liens essentiels qu’entretiennent les deux structures ? Les garanties prises par les
créanciers en usant d’un ensemble de techniques à-même de produire des effets même en
cas de défaillance de l’entreprise sont-ils véritablement d’une solidité à toute épreuve ?
À l’inverse, cette apparente attitude de défiance du droit des entreprises en difficulté
n’est-elle pas illusoire et surannée ?
Voilà autant d’exemples de questions auxquelles nous nous efforcerons de répondre dans
le cadre de cette étude.
9-
Assurément une réponse sans nuances à ces questions est inenvisageable.
Notons, tout d’abord, que le droit des entreprises en difficulté, tout comme le droit positif
en général, ne peut bien évidemment pas nier en bloc l’existence de ces usages de la vie
des affaires. De manière générale, c’est souvent par le biais de la jurisprudence que le
droit les appréhende. Le juge se retrouve, à cet effet, confronté en premier aux problèmes
juridiques inédits posés par les montages. Leur assimilation par le droit se fait donc par
étape, progressivement jusqu’à l’encadrement par la loi.
15
Concernant ce montage v. infra n° 24 et s.
5 Ainsi, par exemple, un régime spécifique à la subordination de créances16 a été adopté par
le législateur afin de prendre en compte le nivellement contractuellement prévu entre les
créanciers lors du vote d’un plan. Dans le même sens, la sauvegarde financière accélérée
a été mise en place par la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, afin de traiter au mieux et
rapidement les difficultés liées au risque élevé de défaillance inhérent à une acquisition
avec effet de levier17.
En outre, le législateur loin d’ignorer le montage, peut en constituer un, ou encore y
apporter son concours. Il en va ainsi, lorsqu’il crée de nouvelles structures sociétaires
ouvrant de nouveaux espaces à la liberté contractuelle18. Il peut aussi estimer que les
solutions imaginées par la pratique méritent son approbation et les consacrera dans la loi
lorsqu’il estime qu’elles permettent de créer un cadre propice à l’accomplissement de
certaines opérations qu’il juge souhaitables19. Ainsi, à titre d’exemple, un régime
spécifique à la fiducie a été consacré en droit des entreprises en difficulté par
l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises
en difficulté.
10 -
Ainsi, le droit des entreprises en difficulté ne se distingue pas forcément du droit
commun en qu’il n’ignore pas forcément l’existence des montages. Bien au contraire, il
reconnaît même l’existence de certains d’entre eux. Cela contribue à un phénomène de
contractualisation des procédures collectives initié par la volonté du législateur d’aller
dans ce sens20. Ces observations peuvent donc nous conduire à affirmer qu’il s’agit d’un
aveu tacite de l’efficacité de certains montages.
16
V. par ex. l’article L. 626-30-2 C. com. ; sur le régime spécifique des créances subordonnées cf.
infra n° 109 s.
17
L’acquisition avec effet de levier ou LBO implique systématiquement un fort endettement donc
un risque tout aussi important de défaillance, Sur les montages LBO cf. infra n° 120 s.
18
Par exemple, l’avènement de la SAS par la loi n° 94-1 du 3 janv. 1994 ayant permis aux
associés d’organiser librement l’exercice du pouvoir et de contrôler la géométrie du capital en
faisant l’économie de la réalisation d’opération complexes. Dans le même sens on peut aussi
évoquer l’EIRL : cf. infra n° 38 et s.
19
PORACCHIA (D.), op. cit., n° 12.
20
L’apparition des procédures dites « préventives » depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005
plaide en faveur des solutions librement négociées par les parties au profit de la rigidité des
dispositions dirigistes des procédures collectives imposant des solutions.
6 11 -
Pour le reste, ces combinaisons d’actes peuvent s’orienter, autant que faire se
peut, vers un consensus, si difficilement atteignable en procédures collectives. Les
montages stimulent, dans ce cas, le redressement de l’entreprise ou organisent tout
simplement son sauvetage. En d’autres termes, ils peuvent aussi être au service du droit
des entreprises en difficulté. À ce titre, notre droit se doit donc de leur accorder un régime
spécifique de faveur.
D’autres montages permettent, quant à eux, eu égard aux multiples finalités qu’ils
peuvent revêtir, de protéger les intérêts divergeant des protagonistes21 d’une procédure
collective. Intérêts pouvant souvent s’avérer insuffisamment défendus par le droit des
procédures collectives lui-même. Ces assemblages auront ici un rôle palliatif. À cet
égard, ils seront mis à l’épreuve par le droit des entreprises en difficulté.
Dans le cadre restreint de notre étude, nous ne pouvons aborder l’ensemble des montages
dont la diversité est aussi vaste que l’imagination humaine. En conséquence, contentonsnous d’analyser certains d’entre eux illustrant parfaitement les rapports qu’entretiennent
les montages avec notre droit.
12 -
En revanche, l’étude ne peut se résumer à démontrer la reconnaissance des
montages par le droit des entreprises en difficulté et l’impact de ce dernier sur l’efficacité
des premiers.
À l’évidence, compte tenu de la nature même des montages, ceux-ci sont le terreau fertile
de fraudes en tout genre. En effet, le montage est aussi synonyme de tromperie, de
mauvaise foi22. Il serait naïf de méconnaitre cette autre facette moins glorieuse. À côté
des effets bénéfiques conduisant à l’acceptation des montages par le droit des entreprises
en difficulté, a été développée l’idée selon laquelle le montage peut relever d’une
construction illicite, frauduleuse. Ainsi, le droit des procédures collectives, à l’instar
d’autres branches du droit, se devait d’encadrer les montages.
13 -
En ce sens, ce dernier ne se distingue pas du droit commun auquel il emprunte des
standards juridiques comme la fraude ou des régimes bien connus comme la
responsabilité civile en les adaptant au contexte particulier du traitement d’un passif
21
22
Le débiteur et ses créanciers.
Dictionnaire Littré, V. monteur, sens 2.
7 d’une entreprise. Certes, chacun est libre de modifier sa situation juridique par la
conclusion d’un ou plusieurs actes juridiques qui, conjointement, lui permettent de
protéger ses intérêts : c’est le principe de la liberté contractuelle qui trouve son
fondement tant dans la loi que dans la constitution23. Cependant, cette liberté se heurte à
l’impérativité du droit, d’ordre public, des procédures collectives.
14 -
Pour ce droit, l’encadrement des montages se résume à l’appréciation de leurs
effets potentiellement nuisibles à l’égard des créanciers. La réduction de leur gage
commun est la finalité poursuivie par certains montages, notamment ceux dits structurels.
Rappelons que ceux-ci consistent à isoler une partie des biens dans un patrimoine ad hoc.
Cela peut avoir pour effet de soustraire une portion du patrimoine à l’effet réel d’une
procédure collective24. Partant, les créanciers ne parviendront pas à se saisir de cette
portion alors qu’ils étaient en droit de le faire. Ce qui est sanctionné ici n’est pas tant le
fait, légitime par principe, de modifier une situation juridique qui aurait dû se réaliser que
l’exercice de cette liberté en fraude aux droits des créanciers. Autrement dit, la
conception d’un édifice pour parvenir à ce résultat n’est pas illégitime en soi pour peu
que celui-ci se plie à l’impérative nécessité du respect des intérêts des créanciers garantis
par le droit des entreprises en difficulté.
Toutefois, comme nous le verrons, la sanction doit demeurer l’exception et la validité des
montages la règle. En outre, l’anticipation des difficultés réduit fortement les risques de
recadrage par le droit des procédures collectives. Il est évident que la conception d’un
montage ayant pour finalité une limitation des risques patrimoniaux en cas de difficulté
ne peut se réaliser après la survenance de ceux-ci. Dans le cas contraire, cela aurait pour
effet de couvrir les montages d’opprobre ou à tout le moins de jeter la suspicion sur la
bonne foi des concepteurs.
23
Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC : les sages de la rue de Montpensier ont considéré
que la liberté contractuelle, au même rang que la liberté d’entreprendre, découle de l’article 4 de
la déclaration de 1789.
24
Théorie conceptualisée par SENECHAL (M.) in L’effet réel de la procédure collective, Litec
2002.
8 15 -
Remarquons, d’ailleurs, que ce qui est valable pour les montages protégeant le
débiteur l’est aussi mutatis mutandis pour ceux allant dans le sens des intérêts des
créanciers.
16 -
En somme premièrement, il s’infère de ces propos introductifs que, dans le
contexte d’une procédure collective25, les montages peuvent se parer de finalités
différentes et variées en fonction des intérêts qu’ils sont censés protéger. Ensuite, le droit
des entreprises en difficulté, loin d’ignorer leur existence, tente de les encadrer afin
d’éviter les abus des concepteurs méprisant l’intérêt général.
17 -
Aussi, après avoir analysé les multiples finalités des montages à l’épreuve du droit
des entreprises en difficulté, nous étudierons l’encadrement de ceux-ci par le droit des
entreprises en difficulté. Le plan de l’étude sera donc le suivant :
1ère partie – Les multiples finalités d’un montage juridique à l’épreuve du droit des
entreprises en difficulté
2ème partie – L’encadrement des montages par le droit des entreprises en difficulté
25
Au sens large c’est-à-dire incluant aussi les procédures préventives (mandat ad hoc et
conciliation).
9 10 PARTIE I
Les multiples finalités des montages à
l’épreuve et au service du droit des
entreprises en difficulté
18 -
Rappelons, tout d’abord, que les « montage(s) sont un assemblage d’actes crée en
vue de la production d’une situation prédéfinie »26. Dans le contexte particulier du droit
des procédures collectives, ils revêtent plusieurs finalités.
Ce droit très fortement teinté d’ordre public, où la place laissée à l’autonomie de la
volonté et à la liberté contractuelle est relativement réduite, ne laisse que peu de place à
l’audace et à l’imagination des « artistes » du droit que sont les praticiens. Pourtant,
divers mécanismes d’assemblage d’actes, que nous nous attacherons à décrire et à
commenter dans la présente partie, ont été conçus afin de pallier les carences d’un droit
qui se veut rigide en apparence mais qui souffre bon gré mal gré d’insuffisances patentes.
Dans ce cas de figure, les montages auront un rôle d’appui en ce qu’ils permettront
d’élaborer des solutions. Solutions d’ailleurs bienvenues, lorsqu’il s’agira de concevoir
de toute pièce et à l’aide des instruments juridiques disponibles des moyens afin, tantôt
de protéger les intérêts du débiteur, tantôt ceux des créanciers27, tantôt ceux de
l’entreprise. C’est ainsi qu’il nous semble falloir envisager, en premier lieu, les montages
juridiques à travers le prisme du fameux « trinôme créancier – débiteur – entreprise »28
fruit du mouvement de passage du droit des faillites et des procédures collectives de
paiement des créanciers au droit des entreprises en difficulté29.
26
PORACCHIA (D.), op. cit., p. 22.
Créanciers qui ont vu leurs intérêts fondre, à leur corps défendant, au gré des multiples
réformes des procédures collectives et, parallèlement, de la complexification des modes
d’investissements. Notons que par complexe, il ne faut point entendre compliqué mais association
de divers éléments.
28
LE CORRE (P.-M.), 1807-2007, 200 ans pour passer du droit de la faillite du débiteur au droit
de sauvegarde de l’entreprise, Gaz. Pal., 2007, n° 202, p. 3.
29
Ibid.
27
11 19 -
Pour ce faire, nous montrerons, dans un premier temps, que le montage juridique
de type structurel est un moyen de limiter voire d’empêcher tout risque patrimonial lié à
l’entreprise en cas de procédure collective (Titre 1), puis, dans un second temps, qu’il
existe des montages purement inventés par la pratique afin de servir le droit des
entreprises en difficulté (Titre 2).
12 TITRE 1 :
Les montages structurels limitant les
risques patrimoniaux liés à
l’entreprise
20 -
La protection du débiteur ou de ses dirigeants ou associés (actionnaires,
investisseurs...) est, à notre sens, la première finalité des montages. Ici, les montages
juridiques serviront à endiguer les risques patrimoniaux inhérents à l’entreprise en
procédure collective.
21 -
Le premier moyen pour atteindre cet objectif est la création de cloisons par le
biais de structures dotées ou non de la personnalité morale permettant de mettre à l’abri
une partie du patrimoine (immeubles ou autres actifs) (Chapitre 1). Dans un contexte
d’économie globale et de marché communautaire, nous verrons que la multiplication des
sociétés, donnant naissance à des groupes, pose un certain nombre de problèmes en
raison des limites tant des procédures d’insolvabilité européennes, que du droit
international des faillites. Ces brèches sont naturellement exploitées par les concepteurs
de montages afin de minimiser l’impact d’une procédure collective qui viendrait toucher
une société du groupe (Chapitre 2).
13 CHAPITRE 1 :
Le cloisonnement patrimonial
22 -
La création de cloisons patrimoniales suppose la formation d’au moins deux
structures dotées ou non de la personnalité morale. Dans l’esprit des concepteurs du
montage, il s’agira de fragmenter le patrimoine rattaché à une activité donnée afin de
réduire l’exposition globale au risque de défaillance du patrimoine de l’ensemble
économique constitué30. En somme, le débiteur cherchera à protéger ses intérêts en le
retirant d’un endroit dangereux pour les placer sous des ciels plus bleus.
Parmi les instruments juridiques permettant d’obtenir cet effet de morcèlement du
patrimoine, l’utilisation de la structure sociétaire est, du fait même de l’autonomie des
personnes morales, l’instrument vers lequel s’orientent le plus souvent les concepteurs de
montage. Ainsi, en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une des
personnes morales dans laquelle se loge un ou plusieurs éléments du patrimoine de
l’entrepreneur, les créanciers ne pourront, en principe, appréhender les actifs situés dans
les entités distinctes. Toutefois, de manière plus pragmatique, il convient de remarquer
que cette assertion connaît des limites. Aussi, faut-il se demander si les cloisons
protégeant les éléments du patrimoine situés dans ces entités distinctes ne sont pas
étanches ou, à tout le moins, suffisamment pour résister au « choc » d’une procédure
collective.
23 -
Dans le cadre du présent chapitre, après avoir présenté un « classique » en matière
de montage à effet d’isolement de biens immeubles (Section 1), il nous faudra exposer
divers outils à l’efficacité plus ou moins avérée et permettant de séparer (protéger ?) un
ou plusieurs fragments de l’actif patrimonial (Section 2). Enfin, eu égard à la
démultiplication indéniable et à l’importance incontestable des groupes de sociétés
chapeautés par des holdings, nous étudierons, en dernier lieu, le cas de ces dernières
30
MOULIN (J-M), Rapport introductif : qu’est-ce qu’un montage ?, Rev. Proc. Coll., Mai-Juin
2013, n°3, p.52.
14 structures, dont l’usage est fréquent dans les montages juridiques en droit des sociétés,
sous l’angle du livre VI du Code de commerce (Section 3).
SECTION 1. Le couple SCI/Société d’exploitation
24 -
Ce « couple infernal »31 et sulfureux, devenu un véritable standard, se présente
régulièrement devant les tribunaux et donne lieu à une jurisprudence abondante. En effet,
l’utilisation des sociétés civiles immobilières est devenue légion tant « le monde des
affaires n’aime pas mélanger l’immobilier et l’investissement de l’entreprise »32. Elles
représentent aujourd’hui plus de 30 % du total des sociétés33. Ainsi, ses multiples intérêts
en pratique justifient de mettre en évidence son association systématique avec une société
d’exploitation généralement à risque limité.
25 -
Plus dans le détail, il s’agit d'une organisation (un « montage ») aujourd'hui
classique, qui consiste à séparer l'immobilier des actifs d'exploitation d'une entreprise, en
apportant le premier à une société civile immobilière et en laissant les seconds, soumis
aux risques de l'exploitation, dans une société commerciale34. Autrement dit, il s’agit
d’une construction juridique qui consiste à dissocier la propriété des immeubles de
l’exploitation commerciale en confiant l’ensemble à deux personnes morales distinctes
souvent contrôlées en tout ou partie par les mêmes dirigeants et/ou associés.
26 -
Parmi les nombreux mérites de ce type de montage35, il présente celui de
permettre l’isolement d’un bien immobilier au sein d’une structure autre que l’entreprise
31
COZIAN, Société civile immobilière-société d'exploitation : est-ce vraiment un couple
infernal ?, JCP E, 1997. I. 634
32
COZIAN et alii, Droit des sociétés, 15e éd., 2002, n° 1493 cité par BERTHOUD-RIBAUTE
(H.), Le sort de la société civile immobilière dans la procédure collective, RTD com., 2003, p.
259, n° 1.
33
COZIAN et alii, Droit des sociétés, Lexis Nexis/Litec, 23e éd., n° 1187, p. 602.
34
DAIGRE (J.-J.), Sociétés fictives, Rép. Soc., Dalloz, 2012, n° 43.
35
« La diversification patrimoniale présente également l'avantage de faciliter la transmission de
l'entreprise. S'agissant d'une transmission à titre onéreux, elle en allège le prix et élargit
mécaniquement le cercle des candidats repreneurs. S'agissant d'une transmission à titre gratuit,
elle permet à l'exploitant de transmettre le pouvoir de gestion de son entreprise à un héritier
repreneur, tout en assurant l'égalité en avoir avec les héritiers non repreneurs » : BERTHOUD-
15 principale servant de cadre juridique à l’exploitation de l’activité commerciale. Partant,
ce bien sera soustrait au gage des créanciers de l’entreprise exploitante en cas d’ouverture
à son encontre d’une procédure collective. Concrètement, la SCI emprunte et acquiert un
immeuble, qu’elle loue ensuite à la société d’exploitation. Corrélativement, le montant
des loyers payés par cette dernière sera affecté au remboursement du prêt contracté par la
SCI. À terme, le bien sera intégralement financé par les deniers de l’entreprise
d’exploitation et le surplus constituera un complément de revenus qui profitera aux
membres de la SCI. Remarquons, au demeurant, que le montage permettra aux associés
et/ou dirigeants de la société d’exploitation de prélever des sommes sur l’entreprise
indépendamment de sa situation bénéficiaire afin de financer un bien destiné à se loger au
sein de leur patrimoine privé36.
27 -
Dans ce type de montage le cloisonnement se matérialise par le truchement de
deux personnes morales qui, compte tenu du principe de l’autonomie des personnes
morales, possèdent des patrimoines distincts. La société à risque limité sera consacrée à
l’exploitation de l’activité professionnelle. Seuls les moyens affectés à cette activité
constitueront le gage des créanciers en cas de procédure collective. La SCI, quant à elle,
détiendra le ou les biens immeubles échappant aux créanciers dits professionnels. Dans
ce cas de figure, un auteur observe que la société civile n’est pas plus exposée que ne le
serait un bailleur étranger à l’entreprise37. Cependant, force est de constater la remise en
cause quasi systématique de ce montage par les liquidateurs de justice lorsque survient la
liquidation judiciaire38. Invoquant le plus souvent au soutien de leurs prétentions l'identité
d'associés et/ou de dirigeants et l'unicité de siège social, ils revendiquent l'extension de la
procédure ouverte contre la société d'exploitation à la société civile immobilière afin de
RIBAUTE (H.), Le sort de la société civile immobilière dans la procédure collective, RTD com.,
2003, p. 259. V. entre autres s’agissant de l’intérêt de l’utilisation d’une SCI en terme
d’optimisation fiscale : COZIAN, Le charme des sociétés civiles immobilières : charme intact ou
charme fané : RJ Com 2004, p.64 ; DEBOISSY (Fl.) et QUILICI (S.), Optimisation fiscale et
SCI : Actes prat. ing. Sociétaire 2009, n° 103, p. 47 et s.
36
PAGNUCCO (J.-Ch.), Le couple SCI/société d’exploitation, Rev. Proc. Coll., Mai-Juin 2013,
n°3, p. 54.
37
Ibid.
38
CUJATAR (C.), Le montage société civile immobilière/société d'exploitation à l'épreuve de
l'extension jurisprudentielle de la procédure collective, BJS, 11/1999, n° 11, p. 1057.
16 tenter par tous les moyens de faire réintégrer les biens immeubles dans le gage commun
des créanciers professionnels. Le couple SCI/société d’exploitation se trouve dans pareil
cas confronté au tumulte du droit des entreprises en difficulté : Résistera ne résistera
pas ?...
En tout état de cause, les plaideurs, afin d’appréhender les biens isolés artificiellement,
chercheront à démontrer, soit la confusion de patrimoine entre les deux sociétés, soit la
fictivité de la SCI39 afin d’étendre la procédure collective ouverte à l’encontre de la
société d’exploitation à la SCI.
28 -
L'extension de procédure suppose que le principe d'autonomie des personnes
juridiques défaille et exige que l’une des deux conditions légales précitées soit remplie.
La tendance naturelle du juge est d'imposer le respect de l’autonomie de la personnalité
morale contre les utilisations abusives qui peuvent en être faites. Quelque soit le
fondement adopté, les conséquences sont identiques et redoutées. Les patrimoines des
personnes morales concernées sont réunis dans une procédure unique : les biens
immobiliers de la société civile pourront être appréhendés par les créanciers de la société
commerciale. Toutefois, il convient de nuancer ce risque et de se garder de conclure trop
hâtivement à la grande friabilité de ce montage. Certes le risque de confusion est bel et
bien réel, cependant rappelons que la Cour de cassation a validé le montage dans son
principe40. Par conséquent, la Haute juridiction veille à ce que les juges du fond ne
remettent pas systématiquement en cause l’assemblage, et censure les décisions qui, pour
conclure à la confusion des patrimoines des sociétés bailleresse et locataire, relèvent
39
Art. L. 621-2 du C. com. : « (…) à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire
(NDLR : hypothèse la plus fréquente en pratique), du ministère public ou d’office, la procédure
ouvert (…) peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur
patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale (…) » ; Cf. infra n° 170 et
s.
40
Cass. com., 28 juin 1994, n° 91-22.293 : « la cour d’appel, (…) que la SCI avait été constituée
à l’initiative du Groupe Promodès, que la SARL était, à l’évidence, le seul bailleur de fonds, que
le montant des loyers versés par celle-ci était au moins équivalent à celui, cumulé, des prêts
consentis à la SCI par le CEPME, a retenu que l’opération envisagée dans son ensemble
constituait un montage juridique et financier classique en son principe, peu important que la
SARL ait toujours été associée majoritaire de la SCI, et que l’essentiel des garanties prises par le
CEPME ait été fourni par elle ou par les époux X… ; que, par ces constatations et appréciations,
écartant la confusion des patrimoines ou la fictivité des sociétés en cause, la cour d’appel a
légalement justifié sa décision ».
17 uniquement une identité de dirigeants, de siège social ou de moyens de gestion
centralisés41. En outre, la validité de principe du montage société civile/société
d'exploitation n’est pas intouchable42, loin s’en faut… En l'état du droit positif, le
montage SCI/société d'exploitation ne peut être remis en cause qu'au cas par cas, c'est-àdire, à l'issue d'une appréciation in concreto, casuistique de la situation43. Les créanciers
de la société d'exploitation désireux de recouvrer leur créance sur le patrimoine de la SCI
disposent de deux armes redoutables : la confusion des patrimoines des deux sociétés et la
fictivité de la SCI 44. Deux notions à géométrie variable et, partant, sources d’insécurité
juridique.
41
V. notamment : Com. 28 juin 1994, RJDA 11/1994, n° 1206 ; Com. 14 mars 1995, RJDA
7/1995, n° 886 ; Cass. com., 1er oct. 1997, RJDA 4/1998, n° 449.
42
V. en ce sens DOM (J.-Ph.), op. cit., 1998, n° 596 : l’auteur estime au contraire qu’il faut se
garder de conclure à la validité de principe du couple SCI/société d’exploitation tant les écueils
de nature à remettre en cause ce montage dans le contexte d’une procédure collective sont
prégnants.
43
CUJATAR (C.), op.cit, loc. cit.
44
V. également infra n° 170 s.
18 29 -
Qu’on en juge plutôt : ont pu être jugées comme des situations ayant justifié une
extension de procédure pour cause de rapports financiers anormaux, le nantissement du
fonds de commerce de la société commerciale pour garantir l'emprunt souscrit par la SCI
afin d'acquérir l'immeuble, le financement de travaux dans l'immeuble et le paiement d'un
loyer exorbitant destiné au remboursement de l'emprunt45. Dans cette espèce, la Cour de
Cassation conclue que les deux sociétés dirigées par deux époux ne forment qu’une seule
entreprise dont le patrimoine immobilier a été constitué grâce aux ressources de la société
commerciale, puis elle ajoute que la SCI n’a pour seule finalité que la soustraction de
l'immeuble aux poursuites des créanciers de la société commerciale.
Remarquons, que l’identité de dirigeants n’est qu’un indice parmi le faisceau d’indices
exigé par les magistrats du quai de l’horloge pour démontrer l’existence de liens
financiers anormaux emportant la confusion des patrimoines.
Dans la même ligne, constituent des faits justifiant l’extension de la procédure collective
de la société commerciale à la société civile : le financement par la société commerciale
de travaux sur l'immeuble excédant ses possibilités et dépendance à l'égard de la SCI qui
a attendu un an avant de réclamer le paiement des loyers impayés et de résilier le bail46 ;
le financement par la société commerciale « d’importants travaux d'aménagement pour
un coût équivalent à six années de loyer sans versement d'indemnité qu’elle a dû
partiellement financer par le recours à l’emprunt »47 ; d’importants travaux réalisés sur
l'immeuble par la société commerciale qui, après les avoir facturés à la SCI, s'est
abstenue volontairement d'en obtenir le recouvrement, ajouter à cela l’absence de contrat
de bail et des prétendues créances invoquées par la SCI sur la société commerciale dans
le but de sauvegarder son patrimoine immobilier48 ; ou encore, l’absence, pendant sept
45
Cass. com. 1er octobre1997 : RJDA 12/97 n° 1497 ; v. dans le même sens, Cass. com. 28 mars
1995 : RJDA 8-9/95 n° 1031 ; Cass. com. 24 novembre 1998 : RJDA 1/99 n° 62 ; Cass. com. 13
novembre 2002 n° 1862 : RJDA 2/03 n° 151.
46
Cass. com., 26 mai 2010 n° 09-66.615.
47
Cass. com. 13 septembre 2011 n° 10-24.536, BJE, janv. 2012, note CERATI-GAUTHIER (A.).
48
Cass. com. 10 mai 2012 n° 11-13.709.
19 années consécutives, de recouvrement des loyers par la SCI et de démarche pour résilier
le bail, cette abstention procédant d'une volonté réitérée et systématique49.
En toute circonstance, observons, que les juges se cantonnent soit à apprécier la normalité
des flux financiers entre les sociétés, soit à identifier le caractère frauduleux de
l’opération, parfois même les deux indistinctement. Pourtant, certains arrêts vont dans le
sens inverse en refusant de caractériser la confusion de patrimoine alors même que les
ressources d’une SARL permettaient à une SCI de rembourser son emprunt immobilier et
de réaliser des travaux sans contrepartie50. Dans le même sens la Cour de cassation a
censuré un arrêt d’une Cour d’appel ayant retenu une confusion des patrimoines dans le
cas où une banque après avoir refusé l’ouverture d’une ligne de crédit à la SARL, a
consenti un prêt avec garanti hypothécaire à la SCI, cette dernière s’engageant
expressément à verser à la SARL les sommes reçues51.
À l’évidence comme le souligne un auteur52, à juste titre, le montage en lui même est à
l’abri de la confusion des patrimoines. Ce qui est réellement sanctionné par les juges,
c’est la volonté d’utiliser systématiquement la SCI comme instrument permettant de
ponctionner les ressources de la SARL ou au contraire d’en alimenter les caisses.
Autrement dit, seul le montage réalisé uniquement en fraude aux droits des créanciers est
de nature à être ébranlé par une action en extension de procédure pour confusion des
patrimoines.
30 -
En ce qui concerne la fictivité, il s’agit de l’hypothèse où la SCI n’a pas de vie
réelle. La société d’exploitation se comporte, de fait, en tant que propriétaire des biens
dont elle est censée n’être pourtant que le locataire. Relevons que, confrontés à un couple
SCI/société d’exploitation, plusieurs arrêts confondent cette notion avec celle de
confusion des patrimoines, tant et si bien, qu’il est légitime de s’interroger sur la
pertinence de cette notion en la matière. En effet, comme nous l’avons vu précédemment
49
Cass. com. 8 janv. 2013 n° 11-30.640, DPDE, mars 2013, n° 346, obs. DIZEL (M.).
Cass. com., 5 avr. 2011, n° 10-16.705.
51
Cass. com., 10 mai 2011, n° 10-23.113.
52
PAGNUCCO (J.-Ch.), op. cit., p. 56.
50
20 au travers des exemples jurisprudentiels, le non paiement du loyer par la société
présumée bailleresse corrobore l’hypothèse d’une confusion des patrimoines selon la
Cour de cassation. Dans le même temps, il est permis de considérer que dans pareil cas,
la SCI n’est qu’une coquille vide servant à isoler une partie du patrimoine de la société
d’exploitation qui détient en réalité la propriété des immeubles en location. Pourtant,
dissoudre la fictivité dans une notion plus large de confusion des patrimoines serait une
erreur53. Certes la confusion des patrimoines et la fictivité présentent de nombreuses
similitudes54. Cependant, dans le premier cas, c’est le décloisonnement anormal des
patrimoines à l’insu des créanciers qui est sanctionné, tandis que dans le second, il s’agit
d’un cloisonnement artificiel ayant pour objet de mettre hors d’atteinte le patrimoine
immobilier de la société d’exploitation en fraude aux droits des créanciers55.
La jurisprudence distingue clairement les deux notions, de nombreuses décisions, tout en
constatant que la constitution de la SCI est destinée à mettre les actifs immobiliers à l'abri
des poursuites des créanciers sociaux de la société d'exploitation, condamnent le montage
SCI/société d'exploitation sur le seul fondement de la fictivité56.
31 -
Quant aux conséquences d’une extension de procédure, notons que la procédure
ouverte à l’encontre de la société d’exploitation est ipso jure étendue à la SCI, même si
cette dernière est in bonis. Les patrimoines des deux sociétés sont unifiés. Les créanciers
de la société d’exploitation ne sont pas obligés de déclarer une nouvelle fois leurs
créances dans la mesure où l’on considère qu’il s’agit d’une seule et même procédure en
vertu de l’adage « faillite sur faillite ne vaut ». Autrement dit, l’intégralité du passif et de
l’actif des deux sociétés est prise en compte dans le cadre d’une seule procédure.
Ceci étant dit, il demeure un problème de taille. Lorsque la procédure est étendue à la
SCI, qu’en est-il de la situation de ses associés, en principe, tenus indéfiniment et
conjointement aux dettes sociales au sens de l’article 1858 du Code civil ? À ce titre, ils
devraient répondre personnellement des dettes de la SCI dès lors que les poursuites des
53
Cf. infra n° 176.
CUJATAR (C.), op. cit.
55
Cf. infra n° 176.
56
V. par ex., Cass. Com., 25 novembre 1997, n° 95-17864.
54
21 créanciers restent vaines57. Dans le cas de l’extension de procédure, observons que les
créanciers de la société d’exploitation deviennent aussi ceux de la SCI. Ainsi, la question
qui se pose en réalité est de savoir si ces créanciers ont la possibilité d’actionner les
associés de la SCI, ces derniers sont-ils tenus de supporter le poids du passif de la société
d’exploitation ?
D’emblée, notons que la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 a supprimé l’extension de
procédure aux membres et associés indéfiniment responsables du passif d’un
groupement. Cette mesure a pour but d’accélérer les poursuites contre ces personnes,
« qui demeureront, par principe, in bonis »58. Cela concerne les cas postérieurs au 1er
janvier 2006. Dans le souci d’éviter que les associés d’une SCI, par exemple,
n’organisent leur insolvabilité en faisant fi de leurs obligations, l’article L. 651-4 alinéa 2
du Code de commerce, prévoit la possibilité de demander au président du tribunal
d’ordonner toute mesure conservatoire à l’égard des biens de ces associés.
En conséquence, seule la voie de droit commun59, au demeurant plus avantageuse,
s’ouvre devant les créanciers et uniquement eux60 à condition que leurs poursuites
demeurent infructueuses, ce qui sera systématiquement le cas puisque la poursuite de la
SCI est impossible61.
32 -
Cette dernière assertion fait appel à deux précisions :
D’une part, il convient de rappeler que les poursuites engagées à l’égard d’un associé
personne physique caution ou coobligé à la dette sont, en principe, impossibles dans
certains cas. Ce dernier bénéficie, en effet, de dispositions protectrices durant la période
d’observation d’une sauvegarde ou, en cas d’adoption d’un plan de sauvegarde, pendant
57
V. sur cette question et pour plus de détails LEBEL (Ch.), L’obligation aux dettes sociales des
associés en cas de défaillance de la société débitrice », Mél. TRICOT (D.), LexisNexis-Dalloz,
2011, p. 487 et s ; PAGNUCCO (J.-Ch.), L’obligation à la dette sociale de l’associé indéfiniment
responsable, RTD com. 2012, p. 55 et s. ; CERATI-GAUTHIER, L’associé dans la loi de
sauvegarde, Rev. sociétés 2006, 305 s.
58
LE CORRE (P.-M.), Droit et pratiques des procédures collectives, Dalloz Action, 2013/2014,
p. 334, n° 214.21.
59
C’est-à-dire celle de l’article 1858 C. civ.
60
De fait, la mise en œuvre de cette obligation aux dettes sociales échappe, dès lors, aux
mandataires judiciaires et au liquidateur depuis la loi du 26 juillet 2005.
61
La déclaration de créance au passif de la procédure fera office de mise en demeure vaine.
22 l’exécution de celui-ci62. Néanmoins, le droit d’action des créanciers renait en cas
d’échec du plan ou de liquidation judiciaire.
La deuxième précision rejoint la première en ce qu’elle applique ce principe au cas
particulier d’une extension de procédure à la SCI. Peut-on, eu égard aux règles précitées,
considérer que l’extension de procédure autorise les créanciers de la société
d’exploitation à recouvrer leurs créances sur le patrimoine personnel des associés de la
SCI, sachant que ces derniers sont aussi, le plus souvent, les associés de la société
d’exploitation ?
À cet égard, un auteur remarque, fort justement, que cela conduirait les créanciers à
contourner l’immunité des associés de la société d’exploitation à responsabilité limitée63,
même si, « il est souvent dit que la confusion des patrimoines n’équivaut pas à une fusion
et que les personnalités juridiques demeurent »64. Par exemple, la caution des dettes
d’une société n’est pas obligée pour les dettes de l’autre, sauf consentement exprès de la
caution65. Mais alors peut-on réellement parler de cautions ou de coobligés s’agissant des
associés indéfiniment tenus aux dettes de la SCI ?
Manifestement la doctrine est unanime sur ce point pour considérer que ce sont des
débiteurs subsidiaires adjoints66 qui, quelque sorte, ne sont pas du même rang que le
débiteur principal et échapperaient à la protection accordée, par le livre VI du Code de
commerce, aux garants67 personnes physiques. Ainsi, on remarque que lorsqu’une
extension de procédure est prononcée par le tribunal, non seulement la digue séparant le
couple SCI/société d’exploitation est réduite en paille, mais de plus cela atteint
62
Conformément à l’art. L. 622-28 du C. com, ils bénéficient de l’interdiction des poursuites
pendant la période d’observation, de l’inopposabilité de la créance non déclarée pendant
l’exécution du plan de sauvegarde, de l’arrêt du cours des intérêts dans la procédure de
sauvegarde et du bénéfice des dispositions du plan de sauvegarde.
63
PAGNUCCO (J.-Ch.), Le couple SCI/société d’exploitation, Rev. Proc. Coll., Mai-Juin 2013,
n°3, p. 56.
64
Ibid.
65
Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, Dr. Sociétés 2007, comm. 130, note LUCAS (F.X.) ; JCP E 2007, 2157, note CERATI-GAUTIER (A.).
66
V. en ce sens, BRIAND (Ph.), Retour sur la notion de coobligé, BJS, sept. 2012, n° 351 ; LE
CORRE (P.-M.), Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2013/2014, p. 2128,
n° 713.12 ; Adde, PARIS, 3e ch. A, 9 sept. 2003, RG n° 02/17738 : cet arrêt évoque la formule
« garants subsidiaires » pour différencier les associés d’une société où le risque est illimité et les
associés garants « classiques ».
67
Par garant, il faut entendre caution et/ou coobligé au sens de l’article L. 622-28 du C. com.
23 directement les associés qui, pourtant croyaient se mettre à l’abri au départ, se retrouvent
dans une situation plus inconfortable que ce qu’elle n’aurait été sans montage.
33 -
Compte tenu de la menace de l’extension de procédure, qui lorsqu’elle se
concrétise transforme le couple tout à fait légitime et bénéficiant d’une présomption
prétorienne de régularité, en couple infernal, fragile, aux bases mouvantes, il est judicieux
de tenter de mesurer les risques attenants à ce type de montage.
De l’habileté à la fraude il n’y a qu’un pas, si minime soit-il, il n’est pas de nature à
réduire l’efficacité du couple SCI/société d’exploitation à néant. À notre sens, il
semblerait même qu’il faille affirmer l’inverse puisque la jurisprudence a tendance à
regarder ce montage d’un œil plutôt bienveillant. Hormis le fait que l’identité d’associés
et/ou de dirigeants ou encore de localisation n’ait pas été considérée comme rédhibitoire,
signalons qu’il est possible pour une SCI de se cantonner à la perception de loyers68, ou
encore de faire financer par la société d’exploitation des travaux sans contrepartie69, voire
même que la société d’exploitation accuse un retard dans le paiement des loyers70.
Ces flux financiers sont tolérés si tant est qu’ils ne soient pas anormaux et de nature à
léser l’intérêt social de l’une des deux structures au mépris des droits des créanciers. Par
conséquent, les concepteurs et les instigateurs de ce genre de montage doivent être
vigilants71 afin d’éviter les griefs de fictivité et de confusion de patrimoine en évitant, par
exemple, de négliger le rite sociétaire72 au sein de la SCI ou en nommant des dirigeants
différents dans les deux structures afin d’éloigner la suspicion des créanciers.
On l’aura compris, le couple SCI/société d’exploitation est un montage séduisant
lorsqu’il est habilement réalisé, c’est-à-dire lorsque le résultat escompté par les
concepteurs demeure pragmatique et raisonnable. En d’autres termes, il ne faut point
attendre de miracles en marge de la conception de ce montage mais seulement l’utiliser
comme un moyen de limiter le risque patrimonial et non de le supprimer.
68
Cass. com., 30 sept. 2008, n° 07-16.255.
Cass. com., 21 févr. 2012, n° 10-27.907.
70
Cass. com., 15 févr. 2000, RJDA juin 2000, n° 681.
71
PAGNUCCO (J.-Ch.), Le couple SCI/société d’exploitation, Rev. Proc. Coll., Mai-Juin 2013,
n°3, p. 56.
72
COZIAN et alii, op. cit., n° 146, p. 83
69
24 SECTION 2. Les outils d’isolement du patrimoine
34 -
À l’image de notre société allergique au risque73, le législateur, soucieux de
ménager les intérêts de l’entrepreneur en général et de manière plus ciblée de celui qui
décide de commencer l’aventure entrepreneuriale en solitaire, a créé des outils juridiques
(parfois involontairement) permettant de limiter les risques patrimoniaux liés à l’activité
de son entreprise. Ils permettent de sanctuariser les actifs domestiques du débiteur au gré
de ses choix stratégiques.
35 -
Ces outils permettent par le truchement d’une structure particulière dotée ou pas
de la personnalité morale ou d’une technique trouvant sa source dans la loi d’isoler une
partie du patrimoine de l’entrepreneur afin de le mettre à l’abri d’une éventuelle
déconfiture qui conduirait à livrer le sort de son entreprise entre les mains du droit des
entreprises en difficulté. Il s’agit donc de créer une cloison entre le patrimoine de
l’entrepreneur et celui de l’entreprise. Il convient toutefois de rappeler ici, afin de dissiper
tout malentendu, que si la notion de montage implique la combinaison d’une pluralité
d’actes et/ou de stipulations, tout montage ne s’exprime pas pour autant nécessairement
sous la forme d’une multitude d’actes. Ainsi, comme l’énonce un auteur à titre
d’exemple, toute société, revêtant la qualité de technique juridique d’organisation propre
de l’entreprise74 « constitue par elle-même, un montage, les apports offrant, sous cet
angle, la pluralité d’actes indispensables à ce mécanisme »75. Ceci est valable pour
n’importe quelle autre technique juridique consacrée par le législateur dès lors que
l’instigateur du montage l’utilise judicieusement et volontairement afin, par exemple,
d’obtenir des résultats comparables à ceux de régimes exceptionnels strictement
encadrés.
73
PEROCHON (F.), Entreprises en difficulté, L.G.D.J, 9ème éd., p. 159, n° 291.
PAILLUSSEAU (J.), La société anonyme, technique juridique d’organisation de l’entreprise,
Sirey, 1967.
75
MOULIN (J.-M.), Rapport introductif : qu’est ce qu’un montage ?, Rev. proc. coll., mai-juin
2013, n°3, p. 51.
74
25 36 -
Ceci étant précisé, attelons-nous à présenter la « boite à outils » mise à disposition
par la loi pour enclaver le patrimoine de l’entrepreneur. Pour ce faire, nous
développerons dans un premier temps l’entreprise individuelle en tant que moyen de
protection du patrimoine (§1), ensuite nous évoquerons succinctement la déclaration
d’insaisissabilité et plus particulièrement l’enjeu et les conséquences de son utilisation en
amont d’une procédure collective (§2). Enfin, nous terminerons par la convention
d’indivision devenue un mécanisme que l’on retrouve très fréquemment dans le monde
des affaires (§3).
§1) L’entreprise individuelle et la pluralité de patrimoines
37 -
Deux options à la fois présentant des similitudes mais foncièrement si différentes
permettent à l’entrepreneur individuel de prémunir son patrimoine personnel des assauts
potentiels des créanciers professionnels : la constitution d’une entreprise unilatérale à
responsabilité limitée (A) ou la constitution d’un patrimoine affecté par le biais d’une
entreprise individuelle à responsabilité limitée (B).
A) Le cas de l’ EURL
38 -
En France en 1985 la société unipersonnelle, dénommée EURL, a été conçue à
l’image des Einman GmbH allemandes. Il s’agit d’une SARL avec un seul associé,
personne physique ou morale bousculant la tradition civiliste du contrat commun conclu
entre plusieurs partenaires. Les nombreuses déclinaisons de cette forme sociétaire
(SASU, EARL, SELARL unipersonnelle, SELAS unipersonnelle) confortent au
demeurant l’analyse selon laquelle la société est un acte unilatéral individuel ou collectif.
Cette structure juridique, dotée de la personnalité morale, a été créée afin de limiter la
responsabilité des professionnels ainsi que d’assurer la pérennité de l’entreprise76. Elle
peut être constituée par la réunion de toutes les parts d’une SARL, mais aussi par une
décision unilatérale, ou par une personne physique (il s’agira de la coquille juridique de
son entreprise), ou d’une personne morale (dans ce cas, c’est une technique de
76
COZIAN et alii, op. cit., p. 554.
26 filialisation d’une activité au sein d’un groupe77). À l’évidence, l’EURL semble être un
instrument intéressant, limitant les risques patrimoniaux par l’intermédiaire d’une
personne morale distincte de la personne physique ou morale associée unique. De plus,
en cas de développement de la structure, l’EURL semble être un outil assez souple et
simple d’utilisation. En effet, les ouvertures de capital à d’autres partenaires sont simples
puisqu’il n’y aura pas à changer de forme statutaire. En cas de transmission, il est
autrement plus simple de céder les parts sociales de la société que de vendre les actifs
isolément (fonds de commerce, immeuble…)78. L’EURL est très souvent utilisée pour ce
qu’elle est, à savoir un outil d’organisation du patrimoine. Ainsi, il est fréquent de
retrouver cette forme de société lorsqu’une personne, désirant placer ses capitaux,
acquiert un fonds de commerce et le fait gérer par un tiers en limitant sa responsabilité et
sans avoir recours au salariat ou à la location gérance.
39-
Par ailleurs, certains montages utilisent l’EURL (ou à tout le moins l’une de ses
déclinaisons) dans un but d’optimisation fiscale. C’est notamment le cas, lorsqu’une
personne morale décide de créer une filiale à 100%, très simple de fonctionnement, et
permettant de bénéficier du régime de l’intégration fiscale79. Dans le même sens,
auparavant, on pouvait trouver des EURL associées d’une SNC structurellement
déficitaire permettant, du fait de sa transparence fiscale, de faire remonter les déficits80.
Le but étant « de placer en première ligne la SNC, puis de tailler sur mesure le vêtement
juridique des associés en nom, des EURL, accompagnées, si besoin, d'une SARL de
famille »81. Les bénéfices ne sont pas imposés dans le patrimoine de la SNC, ni dans celui
77
L’associé unique peut être une association ou d’un ordre professionnel ; Adde, BONNEAU
(Th.), L’associé unique d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée peut-il être une
association, Dr. sociétés, avr. 1995, p. 3.
78
Notons que la cession d’actions d’une SASU est encore plus simple et moins coûteuse ; V.
notamment, LE BARS (B.), L’utilisation de la SAS dans les groupes de sociétés, BJS, mars 2008,
n° 3, p. 254.
79
Art. 209 sexies CGI : « Une société française dont 95 % au moins du capital est détenu
directement ou indirectement par une autre société française peut, sur agrément du ministre de
l'économie et des finances, être assimilée à un établissement de la société mère pour l'assiette de
l'impôt sur les sociétés (…) »
80
V. en ce sens, DIENER (P.), La société en nom collectif dont tous les associés sont des EURL,
JCP E 1992 I, 153.
81
Ibid.
27 de l'EURL associée en nom, mais directement dans celui de l'associé unique bénéficiant
aussi et surtout des précieuses remontées de déficit.
Dans un second temps, les auteurs du montage recherchent le bénéfice de l’opacité des
EURL.
Par ailleurs, au-delà des considérations fiscales, si les créanciers privés ou institutionnels
de la SNC en difficulté pourront engager la responsabilité des associés en nom, ils
pourront en revanche plus difficilement remonter jusqu’à l’associé unique de l’EURL
protégé par le double écran sociétaire. Cela a donc pour effet de limiter le gage commun
des créanciers de la SNC.
Néanmoins, aujourd’hui, ce type de montage paraît désuet puisque son efficacité et son
intérêt ne sont plus avérés. D’une part, s’agissant de l’EURL, l’abus de personnalité
morale et les relations financières paraissent patents donc cela ne permet pas de prémunir
de manière certaine l’associé unique de l’EURL (coquille vide) contre une action en
extension de procédure pour fictivité ou confusion des patrimoines82, d’autre part, le
législateur a, depuis, interdit l’imputation des BIC sur le revenu global lorsque l’associé
n’exerce pas sa profession dans la société83.
Notons que, en outre, de manière plus sournoise et moins élégante, certaines personnes,
sans scrupule et impavides, n’hésitent pas à user de l’EURL afin de contourner une
interdiction commerciale en se dissimulant derrière la façade sociétaire84.
40 -
Nous l’aurons compris, l’EURL conçue à l’origine en tant qu’outil de protection
du patrimoine de l’entrepreneur individuel offre aussi la possibilité à certains monteurs,
plus ou moins bien avisés, de fourvoyer les créanciers privés et institutionnels en
dévoyant sa fonction première.
82
Cf infra n° 170 et s. ; V. contra, COZIAN et alii, op. cit., loc. cit. : L’auteur considère qu’il est
permis de penser le contraire puisque l’utilisation d’une EURL pour limiter la responsabilité de
l’associé n’est pas frauduleuse en soi et cela est même légitime, par principe, sauf à démontrer
une confusion des patrimoines ou une fictivité. Nous estimons, au contraire, qu’en raison de la
nature de l’EURL, qui diffère par exemple d’une SCI ou des sociétés en participation dont la
nature même est de gérer un patrimoine, la preuve de sa fictivité est théoriquement plus simple à
rapporter et les
83
CGI art. 156-I-1° bis.
84
COZIAN et alii, op. cit., loc. cit.
28 Peut-on pour autant estimer que l’écran sociétaire constitué par une EURL est efficace
lorsqu’il est mis à l’épreuve d’une procédure collective ?
Deux obstacles, deux difficultés nous permettent d’en douter sérieusement. Tout d’abord,
dans la majorité des cas, l’associé unique de l’EURL s’engage en qualité de caution de la
société. À ce titre, les créanciers principaux, et au premier chef les banquiers, ne
manqueront pas d’exiger de l’associé unique qu’il respecte ses obligations en cas de
cessation des paiements de l’entreprise. Ce dernier, lorsqu’il s’agit d’une personne
physique, bénéficiera, toutefois, du répit accordé au débiteur durant la période de
sauvegarde85. D’autre part, les risques liés à l’extension de procédure86 et aux sanctions
consécutives à une faute de gestion de l’associé87 sont importants.
B) L’EIRL à l’épreuve des procédures collectives
41 -
L’EIRL a été créée par une loi du 15 juin 2010 pour améliorer la protection
patrimoniale de l’entrepreneur individuel dont le patrimoine répond de ses dettes en vertu
du principe de l’unité du patrimoine prévu par l’article 2284 du C. civ. Cette loi fait suite
à un mouvement de légifération en faveur de l’entrepreneur individuel88 qui était
susceptible de voir, impuissant, son héritage générationnel patrimonial s’effriter en cas de
débâcle. Ce faisant, l’entrepreneur peut, donc désormais, créer un patrimoine séparé dans
lequel il pourra mettre ses biens professionnels sans création d’une personne morale89.
Cela déroge au principe de l’unité du patrimoine, imaginé par Aubry et Rau, consacré à
l’article 2289 du C. civ, et permet aussi de limiter le gage des créanciers professionnels
aux seuls biens que l’entrepreneur aura choisi d’affecter. L’EIRL est donc devenue un
85
Cf. supra n° 32.
Cf. infra n° 170 et s.
87
Étant donné que l’associé est unique une gestion comptable et financière mêlant son patrimoine
et celui de la société peut conduire à des confusions causant des difficultés ; sur la responsabilité
pour insuffisance d’actifs ; Rapp. avec le cas de l’EIRL cf. infra n° 209 et 210.
88
V. art. L. 313-21 CMF et art. 22-1 L. n° 91-650 du 9 juill. 1991, issus de l’art. 47 de la loi n°
94-126 du 11 févr. 1994 dite MADELIN ; Adde, art. L. 526-1 s. C. com. sur la déclaration
d’insaisissabilité : cf. infra n° 46 et s.
89
Art. 526-6 du C. com. : « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité
professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d'une personne
morale ».
86
29 outil de protection du patrimoine intéressant en cas de survenance de difficultés (b), sous
réserve que les conditions de droit commun soient respectées (a).
a- L’EIRL en droit commun :
42 -
L’entrepreneur est obligé d’ajouter à son patrimoine d’affectation les biens, droits,
obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont nécessaires à l’exercice de son
activité professionnelle90. Le patrimoine affecté peut comprendre également des biens,
droits, obligations ou suretés, dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utilisés pour
l’exercice de son activité professionnelle et qu’il décide d’y loger, donc cela permet d’y
inclure les biens communs et indivis avec l’accord du conjoint ou du co-indivisaire afin
d’éviter l’inopposabilité. Soulignons à cet égard, que l’entrepreneur peut décider
inversement d’exploiter son activité dans le patrimoine non affecté. Ce faisant, il a le
choix d’exercer son activité professionnelle au titre de l’un ou l’autre de ses patrimoines.
En outre, depuis le 1er janvier 2013, un même entrepreneur peut créer plusieurs
patrimoines affectés s’il exerce diverses activités. Notons qu’un même bien ne peut entrer
que dans la composition d’un seul patrimoine affecté. S’agissant des biens immeubles,
l’affectation d’une partie de ceux-ci est possible par le biais d’un état descriptif de
division. L’entrepreneur pourra aussi conserver une partie de ses activités dans son
patrimoine non affecté en souscrivant, par exemple, une déclaration notariée
d’insaisissabilité pour protéger ses immeubles extra-professionnels91, et ainsi se
« barricader »92. Il s’agit là d’un montage astucieux mêlant deux outils d’isolement du
patrimoine afin de conférer à l’association un effet de protection maximale.
Par ailleurs, en raison de la rédaction parfois sibylline des textes régissant le statut de
l’EIRL plusieurs questions demeurent en suspend faute de jurisprudence fournie en la
matière. Ainsi, la loi prévoit-elle, par exemple, que l’entrepreneur puisse inclure dans le
patrimoine professionnel des obligations dont il est titulaire. Par obligation, on entend,
traditionnellement, en matière commerciale « un titre négociable, nominatif ou au
90
Ibid.
PEROCHON (F.), op. cit., p. 161, n° 293 ; Sur le mécanisme de la déclaration d’insaisissabilité
v. infra n° 46 et s.
92
Terme employé par VALLANSAN (J.), EIRL et déclaration d’insaisissabilité : ou
« l’entrepreneur barricadé », Rev. proc. coll. 2011, dossier 22.
91
30 porteur, remis par une société commerciale ou une collectivité publique à ceux qui lui
prêtent des capitaux »93, autrement dit un titre constatant une dette dont bénéficie celui
qui en est le titulaire donc le créancier.
Or, inversement, il peut s’agir du débiteur de l’obligation au sens civiliste94. Peut-on dans
ces conditions considérer que l’on peut inclure des dettes dans le patrimoine affecté ?
Nous pouvons considérer que cela est possible mais constitue une source de difficultés
car il faudrait alors considérer que l’actif net de départ peut être négatif… De même pour
la question des contrats qui ne sont pas prévus dans la liste énumérative du législateur
mais qui dans le silence de loi, semble-t-il, pourraient être affectés spontanément95. Par
conséquent, il appert que ce dispositif n’est pas exempt de tout reproche.
42 -
Afin de donner pleinement effet au patrimoine affecté, l’entrepreneur doit en,
premier lieu, effectuer une déclaration dans un registre de publicité légale qui dépendra
de sa qualité. Lorsqu’un immeuble est affecté, il doit mener à bien les formalités de
publicité foncière rendant opposable aux tiers l’affectation. L’effet est immédiat et en
vertu du principe de l’autonomie des patrimoines une partition patrimoniale, en principe
étanche, s’opère. Le patrimoine professionnel est opposable aux créanciers antérieurs à sa
constitution, à condition que la déclaration le mentionne expressément et que ceux-ci en
soient informés dans les conditions fixées par voie réglementaire96. Ils auront la
possibilité de s’opposer à la déclaration.
En revanche, dès lors que celle-ci leur est opposable, les créanciers postérieurs n’auront
pour seul gage général que le patrimoine affecté.
Toutefois, ceux pour qui le patrimoine d’affectation n’est pas opposable auront un droit
de gage général sur plusieurs patrimoines affectés et celui non affecté. Il en ira ainsi, des
créanciers mixtes. Dans la même ligne, le créancier, au titre de l’un des patrimoines peut
également exiger et bénéficier d’une sûreté réelle (ex : une hypothèque immobilière sur le
93
CORNU, Vocabulaire juridique, PUF.
PEROCHON (F.), op. cit., p.161, n° 293.
95
Sur cette question, v. MONSIERE-BON (H.), L’EIRL et le droit des entreprises en difficulté,
BJE mars 2011, p. 65, n°4 ; ROUSSEL-GALLE (Ph.), Rev. Proc. Coll. 2011-2, art. 24 ;
BECQUE-ICKOWICZ (S.) et DUMONT-LEFRAND (M.-P.), Cah. dr. entr. E 2011-3, mai juin,
dossier 15, p. 29.
96
Cf. art. R. 526-3 et s. C. com.
94
31 patrimoine non affecté destinée à garantir un emprunt professionnel.). Cela a pour effet
de croiser les deux patrimoines en cas de non remboursement de l’emprunt. Sauf que sur
la question de la prise de garanties personnelles, pour un engagement pris par
l’entrepreneur individuel sur son patrimoine personnel, la doctrine demeure divisée. Une
majorité d’auteurs considèrent, à juste titre, que la constitution de sûretés personnelles
ruinerait le principe de l’unicité de la personne et emporterait renonciation à la protection
légale en privant de tout intérêt le statut97. En effet, cela reviendrait à affirmer qu’une
personne peut se porter caution pour elle-même !
D’autres considèrent a contrario qu’en soi rien ne l’interdit dans la loi, mais qu’il ne
faudrait pas parler de caution, ou d’auto-cautionnement mais d’ « auto-garantie »98.
Enfin, notons que le risque de décloisonnement en guise de sanction est réel. Il constitue
un écueil à éviter pour l’entrepreneur sous peine d’engager sa responsabilité sur la totalité
de ses biens et droits en cas de « fraude à l’égard d’un créancier titulaire d’un droit de
gage général sur le patrimoine visé par la procédure »99, de manquement grave sur la
composition du patrimoine affecté, ou de manquement aux obligations concernant la
comptabilité et les comptes séparés100. À ce propos, l’EIRL doit faire preuve d’une
attention particulière.
43 -
Le patrimoine affecté fonctionne comme une universalité de droits et le passif à
venir naîtra des dettes générées « à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle à
laquelle le patrimoine est affecté »101. Cela peut poser le problème des dettes mixtes nées,
à la fois à l’occasion de l’activité et de la vie privée102. Le patrimoine non affecté, quant à
lui, comprend le reste du patrimoine, c’est-à-dire ce qui ne sera pas affecté dans les divers
patrimoines, en sus des revenus retirés du patrimoine affecté que l’exploitant décide
97
V. entre autres, SIMLER (Ph.), JCP G 2011, n°4, p. 11 s., et AYNES (L.) et CROCQ (L.), Les
sûretés, 5e éd., 2011, n° 21.
98
V. entre autres, PEROCHON, Rev. Proc. Coll., 2011-2, étude 25, p. 98 qui est catégorique ;
BORGA (N.), BJE, mars 2011, p. 76, n° 7 ; LUCAS (F.-X.), LPA, 28 avr. 2011, p. 39 plus
nuancé mais admettant cependant la notion d’auto-garantie.
99
Art. L. 621-2, alinéa 3 du Code de commerce.
100
Art. L. 526-12, alinéa 9 du Code de commerce.
101
Art. L. 526-12, 1° du C. com.
102
Sur cette question cf., PEROCHON (F.), op. cit., n° 298 et s.
32 soustraire103. Madame PEROCHON remarque métaphoriquement que « le cloisonnement
entre les patrimoines opère comme une membrane respirant qui arrête la pluie (ici les
créanciers), mais pas la transpiration qui peut s’évacuer (ici les revenus) »104 sous réserve
de ne pas « transpirer » excessivement durant la période suspecte105 ou d’abuser de cette
prérogative ce qui constituerait une faute de gestion106.
b- L’EIRL en difficulté
44 -
Par une ordonnance en date du 9 décembre 2009, le législateur a adapté l’EIRL au
droit des procédures collectives107. Le principe est au respect, en amont, du
cloisonnement patrimonial érigé par l’EIRL lorsque celle était in bonis. Lorsque, le
jugement d’ouverture d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation est prononcé, il
n’est plus temps pour l’entrepreneur de modifier l’affectation d’un bien à l’insu du
patrimoine visé par la procédure en vertu de l’article L. 680-6 du Code de commerce
(sauf pour les revenus conformément à l’article L. 526-18). Le raisonnement à tenir se
fait patrimoine par patrimoine108 et chacun fait l’objet séparément de sa propre procédure
de traitement des difficultés. En ce qui concerne le patrimoine extra-professionnel, il fera
l’objet le cas échéant d’une procédure de surendettement.
De manière plus exacte, seule l’EIRL, sujet de droit, subira au titre de l’un ou l’autre de
ses patrimoines la procédure, puisque le patrimoine « n’est pas un sujet de droit »109. De
même, le principe d’autonomie implique par contrecoup l’indépendance des différentes
procédures. Chaque procédure applicable à chaque patrimoine se déroulera comme si
chaque patrimoine était rattaché à une personne différente. Ainsi, les dispositions
relatives au débiteur personne physique du livre VI du Code de commerce trouveront à
103
Art. L. 526-18 du C. com.
PEROCHON (F.), Rev. Proc. Coll., 2011-1, étude 13, p. 101, n° 17 et s.
105
Cf. infra n° 166 et 167.
106
Cf. infra n° 209 et 210.
107
V. en ce sens, TEXIER (A.-S.), EIRL et droit des entreprises en difficulté, in Droit 360°, dir.
ROUSSEL GALLE (Ph.), 2012, n°1. ; ROUSSEL GALLE (Ph.), Premier aperçu sur l’adaptation
du droit des entreprises en difficulté à l’EIRL, DPDE, déc. 2010, p. 3 ; PETEL (Ph.),
L’adaptation des procédures collectives à l’EIRL, JCP E 2011, 1071 ; LUCAS (F.-X.), L’EIRL
en difficulté, LPA 28 avr. 2011, p. 39.
108
PEROCHON (F.), op. cit., p. 169, n° 311 et art. 680-1 du Code de commerce.
109
TEXIER (A.-S.), op. cit.
104
33 s’appliquer à chaque patrimoine d’affectation professionnel. Partant, il est prévu, à
l’instar de l’extension de patrimoine d’une personne à l’autre lorsque le cloisonnement
est réalisé par deux personnes morales, une réunion du patrimoine « épargné » au
patrimoine visé par la procédure en cas de confusion des patrimoines110. L’ensemble des
deux patrimoines se trouve appréhendé par la procédure.
45 -
Observons pour conclure, que le risque de confusion de patrimoine paraît plus
élevé pour l’EIRL que pour un autre débiteur (L’EURL par exemple) tant le régime mis
place est biscornu. Pour l’entrepreneur individuel, Il semble qu’il faille frôler la
« schizophrénie »111
afin d’être en mesure d’éviter tout chevauchement de ses
patrimoines. Il doit veiller à l’étanchéité du mur séparant ses patrimoines et fonctionner
comme s’il s’agissait de deux personnes morales distinctes, ce qui présuppose de
monopoliser des moyens importants et un service comptable et juridique très efficace et
rigoureux, ce qui est loin d’être le cas en pratique.
§2) La déclaration d’insaisissabilité
46 -
C’est par une loi du 1er août 2003 dite pour l’initiative économique (ou Dutreil)
que la déclaration notariée d’insaisissabilité à été instituée par législateur. Le dispositif,
régissant ce mécanisme destiné à mettre à l’abri la résidence principale (ou les autres
immeubles non professionnels depuis la loi du 4 août 2008) de l’entrepreneur individuel,
figure aux articles L. 526-1 et suivants du Code de commerce. L’article L 526-1 du Code
de commerce, par dérogation à l’article 2284 du code civil, permet à une personne
physique qui est immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel
ou exerçant une activité agricole ou indépendante de déclarer insaisissables ses droits sur
l’immeuble où est fixée sa résidence principale, ainsi que tout bien foncier bâti ou non
bâti qu’elle n’a pas affecté à un usage professionnel. La D.I ne concerne que les
personnes physiques entrepreneurs individuels : les commerçants, les artisans, les
110
111
Conformément à l’article L.621-2 alinéa 3 du Code de commerce.
PEROCHON (F.), op. cit., p. 169, n° 316.
34 agriculteurs, mais aussi les professions libérales réglementées ou non. Elle est une
technique d’affectation du patrimoine : elle doit impérativement être reçue par un acte
notarié, sous peine de nullité112, et être publiée au service de la publicité foncière. Les
actifs immobiliers de l’entrepreneur vont rester dans son patrimoine, et, a priori, dans le
patrimoine personnel, mais ils sont rendus insaisissables. En revanche, ils ne le sont que
pour les créanciers professionnels. Par ailleurs, cette insaisissabilité ne crée pas une
indisponibilité : c’est-à-dire qu’on peut mettre en place une DI puis librement disposer de
ses biens (vendre, donner, hypothéquer l’immeuble) et ce sans avoir à délivrer de main
levée. En outre, lorsque le formalisme est respecté, la DI est opposable à tous les
créanciers dont les droits naissent postérieurement à la publication et à l’occasion de
l’activité professionnelle du déclarant113. Il s’agit donc d’un pare-feu particulièrement
intéressant pour le patrimoine privé de l’entrepreneur en cas de difficultés liées à son
activité professionnelle.
47 -
S’agissant des personnes concernées, l’article L 526-1 du Code de commerce vise
les personnes physiques entrepreneurs. Ainsi, les gérants de société qui sont exposés à la
vie des affaires (par la voie de sûretés personnelles par exemple) ne peuvent pas
bénéficier d’une DI. Il faut aussi détenir les biens en propre, ceci implique que si un
immeuble est abrité par une SCI, ce dispositif n’a pas vocation à s’appliquer puisque
c’est la personne morale qui est propriétaire du bien. En revanche, il est possible de
cumuler une DI avec le statut de l’EIRL114 : l’entrepreneur qui va affecter un certain
nombre de biens va pouvoir faire une DI sur un immeuble de son patrimoine personnel.
Elle est même recommandée dans le cas où l’entrepreneur individuel exerce une activité
professionnelle dans son patrimoine non affecté afin d’extirper les immeubles non
professionnels du gage général des créanciers professionnels liés à cette activité. Cela
peut aussi être un outil pour se préserver d’une réunion de patrimoine115.
L’article 526-3 du Code de commerce dispose que le décès du déclarant emporte
révocation de la déclaration.
112
Art. L. 526-2 du Code de commerce.
Art. L. 526-1 du Code de commerce.
114
VALLANSAN (J.), op. cit. ; cf. supra n° 42.
115
Sur le mécanisme cf. supra n° 44 et 45.
113
35 48 -
En ce qui concerne la faculté de renonciation du déclarant, celui-ci peut, à tout
moment, renoncer au bénéfice de la DI116. Cette renonciation est soumise aux mêmes
conditions de validité et d'opposabilité. La renonciation peut porter sur tout ou partie des
biens ; elle peut être faite au bénéfice d'un ou plusieurs créanciers mentionnés à l'article
L. 526-1 du Code de commerce et désignés par l'acte authentique de renonciation.
Lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire pourra se
prévaloir de celle-ci. Ce procédé a été détourné par certains créanciers exigeant une
renonciation à titre de garantie. Dans ce cas de figure, le créancier professionnel sera le
seul à pouvoir appréhender les biens immobiliers faisant l’objet de la renonciation.
Cependant, notons que, étant donné la possibilité de constituer une hypothèque sur un
bien immobilier faisant l’objet d’une DI, l’on a du mal à comprendre l’intérêt d’un tel
procédé. En effet, la sûreté réelle comporte l’avantage de conférer un droit de suite au
créancier et, surtout, lui confère un privilège avantageux par rapport aux autres créanciers
non professionnels. Certes, l’absence de droit de suite pourra être contrebalancée par la
stipulation d’une clause d’inaliénabilité au profit du créancier depuis que la jurisprudence
a finalement décidé d’admettre son utilisation dans le cadre d’un acte à titre onéreux117.
Toutefois, le non respect de cette clause ne peut donner lieu qu’à des dommages-intérêts
puisqu’il s’agit d’une obligation de ne pas faire, mais le notaire réalisant la vente pourra
voir sa responsabilité engagée puisque la clause sera contenue dans l’acte authentique de
renonciation. Ainsi, semblerait-il, que l’association renonciation et clause d’inaliénabilité
soit une sûreté conventionnelle efficace pour les créanciers.
49 -
En dernier lieu, qu’en est-il de l’efficacité de la DI dans le contexte d’une
procédure collective ? Quels créanciers peuvent agir ?
Malgré le silence des textes sur l’applicabilité de la DI en cas de procédure collective,
elle ne semble pas douteuse. En revanche, la difficulté sera de savoir comment articuler le
principe de l’insaisissabilité qui s’impose aux créanciers professionnels postérieurs à la
116
Art. L. 526-3 du Code de commerce.
Civ. 1er, 31 octobre 2007, n° 05-14.238 : à condition qu’elles soient limitées dans le temps et
justifiées par un intérêt sérieux et légitime conformément à la lettre de l’article 900-1 du Code
civil concernant les actes à titre gratuit.
117
36 DI et le caractère collectif de la représentation des créanciers d’une procédure collective.
Ce problème n’a pas manqué de soulever un débat important entre plusieurs auteurs,
avant d’être tranché par la jurisprudence.
50 -
Selon une thèse doctrinale dominante118, conformément à l’article L. 526-1 du
Code de commerce, la DI « n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits
naissent, postérieurement à la publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du
déclarant », autrement dit les créanciers professionnels postérieurs. L’exégèse du texte
ne conduirait pas à extraire l’immeuble du gage commun des créanciers mais seulement à
l’exclure, par exception, du gage des futurs créanciers professionnels. Par suite, le
créancier de droit commun, a priori, possède toujours l’immeuble dans son gage. Or, en
partant de l’hypothèse selon laquelle le droit de poursuite de la collectivité des créanciers
s’aligne sur celui que le droit commun reconnaît à un créancier lambda ayant un droit
particulier119, c’est-à-dire celui dont la DI est inopposable, l’immeuble protégé « fait donc
partie des actifs de la procédure »120. Le mandataire/liquidateur judiciaire aurait, pour
cette raison, « qualité pour le réaliser dans les mêmes conditions que les autres biens »121.
Ainsi, selon cette opinion, l’effet de la DI ne serait que relatif et exceptionnel. Le
mandataire/liquidateur servant les intérêts des créanciers de droit commun peut donc agir
118
Obs. PEROCHON (F.), LEDEN mai 2011, p. 5, n° 72, ss. ORLEANS, 6 avr. 2011 ; obs.
LUCAS (F.-X.), LEDEN janv. 2010, p.3, ss. AIX, 3 déc. 2009 ; PEROCHON (F.), op. cit., 9e éd.,
n° 1125, p. 565 ; PEROCHON (F.), Le créancier et la renonciation à l’insaisissabilité de la
résidence, Mél. Saint-Alary, Ed. lég et PU Toulouse, 2009, p. 409 s., sp. p. 411, n°
5 ; SENECHAL (M.), BJS 2009, 226. et in L’effet réel de la procédure collective, Litec 2002,
n°400 ; FROELICH (Ph.) et SENECHAL (M.), in LUCAS (F.-X.) et LECUYER (H.), dir., La
réforme des procédures collectives, La loi de sauvegarde article par article, L.G.D.J 2006, p. 355
et s. ; JACQUEMONT (A.), Droit des entreprises en difficulté, Lexis Nexis, 8e éd., 2013, n° 951 ;
LIENHARD (A.), Procédures collectives, Delmas, 4ème éd., 2011/2012, n° 125.12.
119
SENECHAL (M.), L’effet réel de la procédure collective, Litec 2002, n° 365 : l’auteur pose la
notion doctrinale d’effet réel de la procédure. Il s’agit d’une approche des procédures collectives
à travers le prisme de l’appréhension des biens du débiteur qui constituent l’actif de la procédure
et non du débiteur lui-même. Cette thèse de l’effet réel a été suivie par la jurisprudence : Cass.
com., 16 mars 2010, n° 08-13.147 : « Attendu que lorsque des époux mariés sous le régime de la
communauté légale ont été, par des décisions successives, mis, chacun, en liquidation judiciaire,
la vente de gré à gré des biens communs, soumis dès son prononcé à l’effet réel de la procédure
collective première ouverte, ne peut être autorisée que par le juge-commissaire de cette
procédure ».
120
PEROCHON (F.), Le créancier et la renonciation à l’insaisissable de la résidence, Mél. SaintAlary, Ed. lég. Et PU Toulouse, p. 409 et s., sp. p. 411, n°5.
121
Ibid.
37 pour appréhender le bien faisant l’objet de la DI, même si celle-ci est opposable à la
grande
majorité
des
créanciers
professionnels
dont
les
créances
sont
nées
postérieurement. Cet avis a été suivi par plusieurs juges du fond, néanmoins,
contrairement à ce qu’avait préconisé certains auteurs122 en pareil cas, le produit de la
vente de l’immeuble ne profite qu’aux créanciers auxquels la DI est inopposable123.
Selon une thèse doctrinale minoritaire124, l’intérêt collectif des créanciers est l’intérêt de
tous les créanciers et « non celui d’un groupe de créanciers, en l’occurrence celui qui
aurait conservé le droit de saisir l’immeuble »125. Cette opinion est née d’une analogie
avec le sort réservé par la Cour de cassation à la solidarité du bailleur du fonds de
commerce donné en location-gérance avec le locataire gérant au titre des dettes
contractées lors des six premiers mois de l’exploitation du fonds126. Ici, le mandataire
judiciaire ne peut agir en paiement contre le loueur d’un fonds de commerce donné en
location-gérance car la solidarité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers détenant une
créance nécessaire à l’exploitation du fonds127. Le dispositif ne bénéficie donc qu’à une
seule catégorie de créanciers et non à l’intérêt de la collectivité qu’est censé défendre le
mandataire. Par voie de conséquence, la DI doit être déclarée inopposable aux créanciers
antérieurs à la publicité de la déclaration notariée et opposable aux créanciers postérieurs.
Au surplus, le mandataire/liquidateur de justice représentant l’ensemble des créanciers, à
la fois postérieurs et antérieurs, ne peut agir dans l’intérêt des créanciers antérieurs tout
en représentant les créanciers postérieurs auxquels la déclaration notariée est opposable.
51 -
Suite à la discorde soulevée par cette question, les juges du quai de l’horloge ont
décidé de remettre les pendules à l’heure. Pour ce faire, à en croire la portée des multiples
arrêts rendus sur le sujet, la seconde thèse l’emporterait.
122
FROELICH (Ph.) et SENECHAL (M.), in LUCAS (F.-X.) et LECUYER (H.), dir., op. cit.,
loc. cit. ; PEROCHON (F.), Le créancier et la renonciation à l’insaisissabilité de la résidence »,
Mél. Saint-Alary, Ed. lég et PU Toulouse, 2009, p. 409 s., sp. p. 411, n° 5.
123
V. entre autres, ORLEANS, 15 mai 2008, RG n° 07/01076 ; AIX, 3 déc. 2009, RG n°
2009/556 ; ORLEANS, 6 avr. 2011, RG n° 11/00312.
124
V. notamment, LE CORRE, op. cit., n°582.13, p. 1451 ; SAINT-ALARY-HOUIN (C.), Droit
des entreprises en difficulté, 8e éd., n° 1214 ; CABRILLAC (M.) et PETEL (Ph.), obs. JCP E
2009, 1008, n° 9.
125
LE CORRE, op. cit., loc. cit, p. 1452.
126
Cf. art. L. 144-7 du Code de commerce.
127
V. pour le rapprochement, Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-13.685.
38 Dans un premier arrêt en date du 28 juin 2011128, la Haute juridiction tranche la question
et prend position. Au visa des articles L. 641-9 et L. 526-1 du Code de commerce, elle
pose en solution de principe que « le débiteur peut opposer la déclaration
d’insaisissabilité qu’il a effectué en application du deuxième de ces textes, avant qu’il ne
soit mis en liquidation judiciaire ». En conséquence, le débiteur peut opposer la DI qu’il a
effectué avant sa liquidation judiciaire en dépit de la règle du dessaisissement. Ainsi, le
juge commissaire ne peut autoriser, sous peine de commettre un excès de pouvoir, le
liquidateur à procéder à la vente du bien. La Haute juridiction affirme dans cet arrêt que
la déclaration notariée résiste à la procédure collective, dès lors que celle-ci a été
constituée avant le jugement d’ouverture. Cette solution est très favorable à la DI.
Dans une autre espèce129, il s’agissait d’un commerçant-artisan qui avait publié la DI aux
hypothèques, au registre du commerce et des sociétés mais pas au répertoire des métiers.
La Cour de cassation va déclarer que le liquidateur agissant en inopposabilité en vue de la
licitation immédiate n’a pas intérêt à agir. Elle ajoute aussi que le liquidateur n’avait pas
la qualité pour agir dans l’intérêt des seuls créanciers professionnels postérieurs en
inopposabilité de la DI. La Cour de cassation ne dit cependant rien sur la publication aux
deux registres. En principe, s’il existe une notion d’intérêt collectif, ce n’est pas
l’addition des intérêts de chacun des créanciers. Cet arrêt a donc été critiqué par la
doctrine130 puisque le liquidateur se retrouve dépourvu de toute possibilité d’agir.
Pourtant la Haute juridiction a réitéré cette position arguant de ce que le liquidateur ne
peut agir que dans l’intérêt de tous les créanciers, et non dans l’intérêt personnel d’un
créancier ou d’un groupe de créanciers131. Elle va même plus loin encore lorsqu’elle
128
Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482 ; D. 2012, 2202, note LE CORRE (P.-M.) ; Rev.
sociétés, sept. 2011, 526, note ROUSSEL GALLE (Ph.).
129
Cass. com. 13 mars 2012, n° 11-15.438.
130
V notamment, PEROCHON (F.), op. cit., n°1127, p. 566 ; contra LE CORRE (P.-M.), op. cit.,
n°582.13, p. 1455 qui considère qu’il ne faut pas confondre droit de gage général et commun. Dès
lors que certains créanciers ont accès à un gage, pourtant contenu dans le gage général, mais qui
n’est pas le gage commun alors le liquidateur ne peut agir dans leur intérêt.
131
Cass. com., 18 juin 2013, n° 11.23.716 ; Gaz. Pal., 15 mars 2014, n° 74, p. 13, note
BRENNER (C.).
39 dénie au liquidateur toute possibilité d’exercer l’action paulienne pour rendre inopposable
la DI, puisqu’elle n’est pas opposable à tous les créanciers132.
51 -
Cette protection maximale accordée à la DI par la jurisprudence empêche toute
possibilité d’action pour le liquidateur même en cas d’utilisation frauduleuse destinée à
dilapider le patrimoine professionnel de l’entrepreneur en amont d’une procédure
collective. Le législateur a donc été conduit à répondre aux critiques formulées par la
doctrine. Ainsi, l’article 56 de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, portant
réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives,
insère la déclaration notariée d’insaisissabilité parmi les actes susceptibles d’être annulés
de droit lorsqu’ils sont passés en période suspecte133. Cela permettra, en vertu de l’article
L. 632-4 du Code de commerce, au liquidateur d’agir en nullité de la DI.
52 -
In fine, une dernière difficulté, qui à notre connaissance n’a toujours pas été
tranchée par la jurisprudence, pose problème. Il s’agit de la question du sort de
l’immeuble. La jurisprudence nous dit que celui-ci est hors d’atteinte pour les créanciers
professionnels postérieurs ; que le mandataire et même le liquidateur, quoique le débiteur
fût dessaisi, ne peuvent agir en inopposabilité ; et le législateur d’ajouter hors dans le cas
d’une DI passée en période suspecte. Néanmoins, cela ne nous éclaire pas sur la
possibilité d’agir individuellement pour les créanciers professionnels antérieurs. Madame
PEROCHON estime à raison que « le débiteur ne doit pas se faire trop d’illusions, car,
même renforcée par cette jurisprudence, la déclaration d’insaisissabilité n’empêchera
généralement pas la saisie de l’immeuble, et finalement l’éviction du débiteur »134. Cette
opinion majoritaire135 repose sur une simple constatation : l’immeuble, échappant au gage
général des créanciers, n’est pas soumis à l’effet réel de la procédure collective, partant
132
Cass. com., 23 avril 2013, n° 12.16.035, DPDE mai 2013, Bull. n° 348, p. 16 et 17, note
ROUSSEL GALLE (Ph.)
133
Sur la nullité des actes en période suspecte cf. infra n° 159 s.
134
PEROCHON (F.), op. cit., n° 1129, p. 567.
135
V. notamment, LE CORRE (P.-M.), op. cit., n° 582.13, p. 1458.
40 les créanciers antérieurs pourront s’en saisir par le truchement du droit commun des voies
d’exécution136.
Dans la même idée, notons qu’à cet égard un raisonnement par analogie entre la situation
des créanciers antérieurs et ceux de l’indivision137 paraît être opportun. Toutefois, il
convient de relativiser cette position puisque le débiteur conservera un avantage
considérable si, par exemple, la masse des créanciers antérieurs est moindre. Dans ce cas
de figure, lorsque la créance n’est pas très importante, ils pourront s’abstenir de réaliser le
bien si leurs chances d’obtenir paiement dans le cadre de la procédure collective sont
importantes. En outre, nonobstant une réalisation du bien, le débiteur conservera un boni
de liquidation puisqu’il sera hors procédure.
§3 –La convention d’indivision :
53 -
Conçue par les rédacteurs du Code civil de 1804 comme une technique permettant
d’organiser les successions, l’indivision est devenue, depuis, très utilisée dans la vie des
affaires. Parmi ses attraits, nous remarquons qu’elle peut être un outil permettant de
sauvegarder un immeuble ou des actifs indivis - à tout le moins une partie de sa valeur exploités par l’entreprise dans le cas d’une procédure collective
Tout d’abord, relevons que seul le propriétaire indivis d’un bien, dès avant l’ouverture de
la procédure, pourra profiter des effets protecteurs de l’indivision138. En effet, l’article
815-17 du Code civil, trouvant application à défaut de dispositif spécifique, dispose que
les créanciers d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part indivise. Le préalable évident est
136
Contra, SENECHAL (M.), BJS 2009, p. 227 ; CAMENSULLI-FEUILLARD (L.), BJE sept.
2011, n° 125, p. 243 ; LUCAS (F.-X.), obs. LEDEN 2011-7, n° 199, p. 1 : Pour ces auteurs, dans
la mesure où il y a un arrêt des poursuites individuelles et des voies d’exécution, cet arrêt
concerne tout le monde, et donc même les créanciers antérieurs. Dès lors, ceux-ci ne seraient pas
en mesure de saisir l’immeuble, et ils ne pourraient retrouver un droit de poursuite qu’une fois les
opérations de liquidation clôturées, sauf si de façon exceptionnelle le tribunal décide de reprendre
les poursuites individuelles. Cette solution est la plus protectrice du débiteur.
137
Cf. infra n° 55.
138
Si l’indivision nait postérieurement à l’ouverture d’une procédure (suite à un divorce par
exemple), le bien indivis se trouvera d’ores et déjà et irréversiblement appréhendé par l’effet réel
de la procédure collective.
41 que le bien tout entier ne figure pas dans le patrimoine de l’un ou l’autre des indivisaires.
Le créancier de l’indivisaire/débiteur ne pourra même pas se saisir de la quote-part
indivise puisqu’elle n’est pas individualisée en dépit de sa présence dans le patrimoine du
débiteur. Le bien indivis n’est donc pas considéré comme compris dans l’actif de la
procédure.
Par ailleurs, le créancier de l’indivisaire pourra, tout de même, provoquer le partage
conformément à l’alinéa 3 de l’article précité. Pour ce faire, il agira en licitation-partage
afin de saisir le bien ou la somme d’argent déclaré propriété exclusive de leur débiteur à
l’issue du partage. Les co-indivisaires peuvent arrêter l’action en partage en proposant de
payer la dette.
54 -
Quant aux créanciers de l’indivision139, c’est-à-dire ceux dont la créance résulte
de la conservation ou de la gestion des biens indivis de l’indivision et ceux dont le titre
est né avant l’indivision, ils ont la possibilité de saisir le bien indivis et ne se heurtent pas
à l’interdiction des poursuites de l’article L. 622-21 du Code de commerce140 puisque le
bien échappe à l’effet réel de la procédure.
Par ailleurs, il a pu être jugé, à propos d’une hypothèque consentie par deux époux sur un
immeuble indivis ayant fait l’objet d’une indivision antérieurement à l’ouverture de la
procédure, que le créancier de l’indivisaire est un créancier de l’indivision qui peut être
payé avant tout partage : « dès lors que l’hypothèque a été constituée par tous les
indivisaires sur un bien dont le caractère indivis préexistait à l’ouverture de la procédure
collective de l’un d’eux, le créancier hypothécaire, fût-il créancier de l’un seulement des
coïndivisaires peut poursuivre la saisie et la vente de ce bien avant le partage de
l’indivision en application des dispositions de l’article 2125 C. civ. »141. Ainsi, les
créanciers dont les droits ont été conférés par l’ensemble des coïndivisaires sont
139
V. notamment, DELRIEU (S.), Indivision et procédures collectives, Th. Toulouse, 2006, dir.
Saint-Alary-Houin (C.).
140
Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-12.787 ; BJE mai 2012, p. 137, n° 62, obs. SENECHAL (J.P.) ; Bull. mars 2012 DPDE, p. 5, obs. DIZEL (M.) : le créancier n’est logiquement pas tenu de
déclarer sa créance puisque le bien indivis est hors procédure…
141
Cass. com., 18 févr. 2003, n° 00-11.008 ; Adde, Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-16.216, DPDE,
juill. 2013, Bull. n° 350, p.13, note ROUSSEL GALLE (Ph.) : Cet exemple illustre la primauté du
droit de l’indivision sur le droit des procédures collectives et notamment sur la règle de l’arrêt des
poursuites individuelles.
42 considérés en tant que créanciers de l’indivision. Par conséquent, ils pourront saisir le
bien indivis, le vendre et en conserver le prix, à concurrence de leur créance142,
indépendamment de l’inertie du liquidateur. Ils seront payés par prélèvement sur l’actif
avant tout partage143. À titre illustratif, une caution payant le créancier de deux personnes
en indivision, dont l’une est en liquidation judiciaire, pourra saisir le bien sans provoquer
le partage, dès lors qu’elle est, dans son recours, créancière de l’ensemble des
indivisaires144.
55 -
Nous observons une dichotomie entre la situation du créancier de l’indivision et
celle moins enviable du créancier de l’indivisaire. S’agissant de la situation de ce dernier,
il convient de la relativiser puisque la jurisprudence a admis la possibilité pour le
liquidateur de demander le partage, soit sur le fondement de l’article 815-17 du C. civ. es
qualités de défenseur des intérêts des créanciers de l’indivisaire par le biais d’une voie
s’apparentant à une action oblique au nom et pour le compte de ceux-ci145 ; soit en usant
de l’article 815 du C. civ qui dispose que « nul n’est contraint de demeurer dans
l’indivision »146. Dans ce dernier cas, le liquidateur revêtira « la casquette » de
représentant du débiteur dessaisi. Remarquons qu’en cas de réalisation du bien indivis par
le liquidateur après s’être fait autorisé par le juge commissaire à partager le prix entre les
coïndivisaires, « un créancier de l’indivision pourra demander à être colloqué sur la
totalité du prix »147 en priorité148.
Parallèlement, remarquons que, tout comme pour la DI, les biens indivis donc détenus en
copropriété échappent à l’effet réel de la procédure puisqu’ils ne sont pas compris dans
l’actif de celle-ci. Toutefois, rappelons que dans le cas de la DI, la jurisprudence l’a
soustrait à l’emprise du liquidateur. Ainsi dans ces conditions, il semblerait logique de
142
Cass. com., 22 avr. 1997, n° 94-19.420 ; Defrénois 1997. 36703, n° 165, obs. AYNES (L.).
Civ. 1re, 4 juill. 2007, n° 06-13.770.
144
Cass. com., 4 avr. 2006, n° 04-15.833.
145
Civ. 1re , 12 janv. 2011, n° 09-17.298.
146
Civ. 1re, 29 juin 2011, n° 09-25.098 ; v. la critique de cette solution par PEROCHON, op. cit.,
n° 1095, qui considère que le liquidateur n’a pas d’intérêt à agir sur ce fondement.
147
V. en ce sens, LE CORRE, op. cit., n° 581.41, p. 1445.
148
Cf. Cass. com., 20 sept. 2005, n° 04-10.678 : avant les créanciers de la procédure collective.
143
43 permettre aux créanciers auxquels la DI est inopposable d’agir dans les conditions du
droit commun à l’instar des créanciers de l’indivision149.
56 -
Dans certaines situations, nous pouvons rencontrer une EIRL ayant affecté des
biens indivis dans son patrimoine professionnel. Ici, on n’aperçoit point en quoi il est
opportun d’ouvrir la possibilité d’une affectation de biens indivis150. L’effet de la
déclaration d’affectation est de soustraire, comme nous l’avons étudié précédemment, les
biens non affectés à l’activité professionnelle de l’entrepreneur-débiteur aux poursuites
des créanciers professionnels. Les biens indivis sont, par principe, hors d’atteinte des
créanciers personnels de l’indivisaire et appréhendables par les créanciers de tous les
indivisaires. Or l’affectation d’un bien indivis présuppose l’accord de l’ensemble des
indivisaires, ainsi les créanciers professionnels pourront donc se saisir des biens indivis
affectés tandis que les créanciers de l’indivision antérieurs perdent leurs droits. Par
conséquent, nous avons du mal à comprendre quel intérêt pousserait l’EIRL à permettre à
ses créanciers professionnels de se saisir du bien indivis alors qu’en droit commun ils ne
pourraient le faire en tant que créanciers personnels de l’indivisaire débiteur ?
57 -
On l’aura compris, hors les cas de saisie du bien indivis par les créanciers de
l’indivision, cette dernière est un moyen de protection du bien détenu en copropriété ou
du reste d’une partie de sa valeur en cas de licitation-partage. Néanmoins, de par sa
situation précaire, puisque n’importe quel coïndivisaire peut demander le partage à tout
moment en cas de mésentente, l’indivision ne semble pas être la technique d’isolement du
patrimoine la plus efficace. Nous lui préférerons les structures dotées de la personnalité
morale plus pérennes, aux cloisons plus étanches, à tout le moins en apparence, en vertu
du principe d’autonomie. Leur multiplication dans la vie des affaires est, pour partie,
motivée par un souci d’organisation, de sectorisation des activités et ce faisant de
cloisonnement des risques patrimoniaux. Le but étant d’éviter la propagation
des
difficultés liées à l’exploitation d’une des activités du groupe de sociétés. La gestion de
149
Rapp. supra n° 52.
V. en ce sens, SENECHAL (J.-P.), L’affectation de biens communs ou indivis, BJE, mars
2011, n°1, p. 62.
150
44 l’ensemble sociétaire sera chapeautée par une seule société dont la situation au regard du
livre VI du code de commerce doit être analysée.
SECTION 3. La société holding en difficulté
58 -
Si l’on monte en puissance dans les montages, on rencontre la société holding. Sa
constitution est devenue une opération classique dans les montages en droit des sociétés.
On la retrouve à tous les niveaux : aussi bien dans les opérations de grande envergure,
telle que l’affaire Heart of la Défense, que confrontée à l’organisation d’un groupe
familial en tant qu’outil performant de gestion du portefeuille et de transmission de
sociétés151. Le holding ne prendra presque jamais la forme d’une entreprise où la
responsabilité de l’ensemble des actionnaires pourrait être indéfiniment engagée152. À
l’inverse, elle prendra parfois la forme d’une commandite par action mais indéniablement
c’est l’utilisation de la société par actions, voire plus souvent par actions simplifiées qui
est privilégiée par les praticiens.
Cette dernière forme statutaire est la plus à même de permettre le contrôle de l’entrée et
de la sortie du capital et une stabilisation ou un contrôle du pouvoir de direction lorsqu’il
s’agit de montages successoraux par le biais, entre autres, de la combinaison de clauses
d’inaliénabilité et d’agrément153. Elle permet, en outre grâce à sa souplesse statutaire et à
la possibilité offerte d’émettre des valeurs mobilières complexes et des actions de
préférence, de constituer un holding de reprise ou d’acquisition dans le cadre d’un
montage LBO154, voire même de contrôle : tel est le schéma adopté lors de la cotation en
bourse du Crédit agricole, « les caisses régionales de Crédit agricole ont apporté leurs
titres à une société holding de contrôle constituée sous la forme d’une SAS tandis que la
151
MONSIERE-BON (M.-H.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures
collectives. La situation de la société holding, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 58.
152
V. cependant, sur les intérêts pouvant exister de créer une holding sous forme de SNC,
o
BERTREL (J.-P.), Ingénierie juridique : le « montage Tapie », Dr. et patrimoine 1998, n 59,
p. 24.
153
V. en ce sens, LE BARS (B.), op. cit.
154
Cf. infra n° 121 s. sp. 122.
45 société Crédit agricole SA était cotée »155. Un tel schéma implique que la détention du
pouvoir majoritaire par le biais d’une prise de contrôle en bourse ne peut pas directement
déstructurer le contrôle par la SAS holding, société fermée dans laquelle le nouvel
actionnaire de la filiale cotée ne peut pas mécaniquement remonter.
59 -
La société holding est souvent tête de groupe156 en détenant des participations
majoritaires ou minoritaires dans les sociétés du groupe. Elle est un moyen de limiter le
risque d’expansion des défaillances affectant ses sociétés filles. Toutefois, peut-on pour
autant parler de société mère du groupe lorsque l’on sait que certains holdings ne
poursuivent qu’un intérêt purement financier sans exercer de pouvoir décisionnaire réel ?
À cet égard, il n’est pas rare que le holding entretienne lui-même des liens avec d’autres
holdings du même groupe dotés d’une stratégie entrepreneuriale avec une réelle volonté
de dicter la politique du groupe. « On est bien loin de l’image pyramidale du groupe qui
n’est peut être qu’une image d’Epinal »157… Autrement dit, un holding peut être la mère
d’une société lorsqu’elle en prend le contrôle158, par exemple, à l’occasion d’un LBO tout
en étant la sœur ou la fille d’une autre société du groupe.
Quoi qu’il en soit, retenons qu’aucun régime juridique particulier ne lui est applicable, au
même titre que le groupe dont la reconnaissance juridique tarde à se manifester, si tant est
qu’elle soit souhaitable. Pourtant, le rôle « épicentrique » du holding dans le cadre de la
plupart des montages financiers est indéniable.
La doctrine a établi une summa divisio fonctionnelle et typologique des holdings159. Nous
pouvons décliner deux types de holdings : les purs et les impurs160. Les premiers sont des
simples véhicules d’acquisition (special purpose vehicule) et ont un rôle purement
financier consistant dans la gestion d’un portefeuille de participations dans les filiales
155
LE BARS, (B.), op. cit.
MONSIERE-BON (M.-H.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures
collectives. La situation de la société holding, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 58.
157
OPPETIT (B.) et SAYAG (A.), Méthodologie d'un droit des groupes de sociétés, Rev. sociétés
1973. 577.
158
En principe le critère retenu en droit des sociétés est celui de la détention de plus de la moitié
du capital d’une autre société qui est prévu à l’article L. 233-1 du Code de commerce.
159
Cf. Memento groupe de sociétés : Fr. Lefebvre 2011-2012, n° 800 s.
160
MONSIERE-BON (M.-H.), op. cit.
156
46 quand les seconds ajouteront à cela une activité commerciale ou industrielle (ex : les
holdings familiaux).
Le rôle financier est le dénominateur commun au deux espèces de holdings en ce qu’il est
l’essence même d’un holding. Toutefois, le plus souvent parallèlement à cette activité, le
holding aura un véritable rôle décisionnaire en influençant la politique de direction et de
gestion dans les filiales contrôlées notamment pour des raisons fiscales161. Cela conforte
l’idée selon laquelle holding et société mère sont deux qualités qui se confondent.
À côté de ces deux types de holdings, l’on retrouve la holding de reprise ou encore
holding LBO permettant d’acquérir une société cible dans le cadre d’un montage
financier avec effet de levier162 limitant les apports initiaux. Ces montages font intervenir
des endettements colossaux sur lesquels plane naturellement l’épée de Damoclès de
l’application des dispositions du livre VI163.
60 -
Cette disparité de nature des holdings sous-tend une application différenciée du
droit des procédures collectives. Tantôt le holding sera perçu comme une entreprise
classique et subira un traitement classique des difficulté (§1), tantôt ses particularités
l’emporteront pour lui voir s’appliquer un régime spécifique (§2).
§1) Le traitement classique des difficultés d’un holding
61 -
Lorsqu’un montage financier comme le LBO fait intervenir une société holding,
cette dernière sera de type « pur » selon la classification que l’on a établie précédemment.
Pendant longtemps, s’est posée la question de savoir quel sort lui réserver en cas de
difficulté ? Fallait-il l’inclure dans le périmètre de la procédure collective au même titre
qu’une personne morale classique ? Sur cette question la Cour de cassation a tranché le
161
Par exemple, V. CGI 885-O V bis : Les « holdings ISF », via lesquelles des redevables
souscrivent au capital de PME, doivent être animatrice pour faire bénéficier ceux-ci d’une
réduction d’ISF ; Adde, Mémento Fiscal, Fr. Lefebvre, 2014, n° 72040 s.
162
V. pour un ex., PORRACHIA (D.), op. cit., n° 655 et 656 ; concernant ce mécanisme cf. infra
n° 120 et s., sp. 122.
163
V. KHACHANI F., Techniques préventives et sauvetage des holdings de LBO en difficulté,
Th. Toulouse, 2012, n° 3 : ciblant la multiplication des montages LBO notamment avant la crise
financière de 2008 qui risque d’engendrer la défaillance de nombreux holdings LBO.
47 problème à l’occasion du désormais célèbre arrêt Dame Luxembourg de l’affaire Cœur
Défense164 dont nous rappellerons succinctement les faits.
Une société de droit français, la SAS Heart of la Défense (HOLD), avait acquis dans le
cadre d’un montage financier un ensemble immobilier de 180 000 m2 de bureaux au sein
du complexe immobilier « Cœur Défense », immeuble disposant de la plus grande
surface utilisable en Europe avec le Palais du Parlement de Bucarest, dans le quartier
d’affaires de la Défense. Cette société, filiale à 100% d’une société (holding pur)
Luxembourgeoise, dénommée Dame Luxembourg, elle-même détenue par des sociétés
du groupe Lehman Brothers, avait réalisé en juillet 2007 cette acquisition immobilière au
moyen de deux emprunts in fine d’un montant global de 1,6 milliards d’euros.
Le financement devait se dénouer par la vente des actifs ou un refinancement au moment
du remboursement du capital, les loyers des bureaux ne couvrant que le paiement des
intérêts contractuels et les frais de gestion. Ces deux emprunts étaient garantis par une
hypothèque sur l’ensemble immobilier acquis ainsi que par une cession Dailly portant sur
les loyers et charges échus et à venir.
En outre, la société mère Dame Luxembourg avait nanti la totalité des droits sociaux de
HOLD au profit des prêteurs qui bénéficiaient aussi d’un pacte commissoire.
L’acquisition immobilière était aussi financée accessoirement par des fonds propres
résultant d’un prêt et apportés en compte courant par la Dame Luxembourg associé
unique de HOLD.
Ces contrats de prêts, in fine, obligeaient aussi l’emprunteur HOLD à souscrire un contrat
de couverture du risque de variation de taux au titre desdits contrats. Ce qu’à fait HOLD
avec Lehman Brothers International (Europe).
Or à la suite des multiples procédures collectives ayant affecté Lehman Brothers en
septembre 2008, le fonds commun de titrisation créancier des contrats de prêt imposa à
HOLD de souscrire une nouvelle assurance-risque en remplacement de celle souscrite
avec elle, sous peine d’exigibilité immédiate des contrats de prêts, en vertu d’une clause
desdits contrats. Face à l’impossibilité de trouver un nouveau garant, la société HOLD
164
Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, n° 10-13.989 et n° 10-13.990 ; Rev. Proc. Coll., marsavril 2011, repère 2, p. 1 et s., comm. MENJUCQ (M.) ; quant à l’épilogue de l’affaire HOLD :
VERSAILLES, 13e ch., 19 janvier 2012, n° 11/03519, Rev. Proc. Coll., mars-avril 2012, p.48 et
s., note SAINTOURENS (B.).
48 et le holding Dame Luxembourg ont sollicité le tribunal de commerce de Paris qui a
ouvert à l’égard de chacune d’entre elles une procédure de sauvegarde. La question
principale qui se posait, était celle de l’appréciation des difficultés de nature
insurmontables engendrant l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.
62 -
La Cour d’appel de Paris165 pour rejeter les demandes de la société HOLD et de sa
mère Dame Luxembourg a avancé un argument, en marge de l’appréciation de la nature
des difficultés, selon lequel en l’absence d’activité du holding pur débiteur et associé
unique de la HOLD ayant pour seule activité la gestion du parc de bureaux, les deux
sociétés n’entraient pas dans le giron de l’article L. 620-1 du Code de commerce.
Autrement dit, l’absence de salariés et d’activité du holding ne pouvait permettre de
retenir la qualité d’entreprise - au sens de l’article précité - dont la préservation est
l’objectif premier de la sauvegarde166. Suite à cela, la Cour de cassation vient mettre le
holà en cassant partiellement l’arrêt aux motifs, entre autres, que l’absence d’activité
autre que financière du holding importait peu du moment que les difficultés
insurmontables des deux sociétés étaient avérées et que leurs demandes n’étaient pas
effectuées en fraude aux droits des créanciers afin de bénéficier de la protection conférée
par la procédure de sauvegarde. Cette décision paraît fort logique compte tenu du critère
d’éligibilité posé par le droit des entreprises en difficulté qui est celui de la personne
morale de droit privé167.
63 -
Par ailleurs, hormis le traitement des difficultés du holding dans le cadre d’un
montage, il peut arriver que la fille subisse les affres d’une procédure collective.
S’agissant de l’appréciation des critères d’ouverture d’une procédure de sauvegarde – les
difficultés insurmontables – ou d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire
- la cessation des paiements et pour la liquidation le redressement impossible en sus – il
s’est posé la question de savoir si les liens capitalistiques entre une filiale et sa mère, une
165
PARIS, pôle 9, 9e ch., 25 févr. 2010, RG n° 2009/22756 : jurisData n° 2010-001231 ;
MENJUCQ (M.), Rev. Proc. Coll., Mai-juin 2010, étude 11, p. 11.
166
V. DAMMANN (R.) et ROBINET (M.), La sauvegarde, un outil pour protéger les associés du
débiteur ? : Bull. Joly. Soc. 2009, p. 1116.
167
MONSIERE-BON, Le périmètre quant aux personnes des procédures de sauvegarde, de
redressement et de liquidation judiciaires, Rev. Proc. Coll 2011, dossier 3.
49 holding et la société cible acquise pouvaient influer le raisonnement des juges
consulaires. La Cour de cassation en vertu du principe d’autonomie des personnes
morales a adopté une position de principe consistant en une appréciation société par
société sans tenir compte de la situation des sociétés ayant un lien capitalistique avec la
société en difficulté qui demande l’ouverture d’une procédure168. Partant, la société
holding n’a aucune obligation de soutien à sa fille et pourrait même dans certains cas la
délaisser volontairement, voire même déclencher sa défaillance en réclament, par
exemple, le remboursement des avances en compte courant, tout cela en toute impunité
nous dit la Haute juridiction. Comme le remarque Madame MONSIERE-BON : « dans le
monde impitoyable des groupes de sociétés en difficulté, pas d’obligation d’assistance de
la mère à ses filles »169. Toutefois, il convient de nuancer nos propos puisque la
responsabilité du holding pourra être recherchée, sur le terrain du droit du travail,
notamment par les salariés de la filiale en difficulté s’ils existent par le biais de la notion
de co-emploi. Nous en différons l’étude170.
64 -
Si la société holding est indéniablement soumise au même titre qu’une
quelconque société de droit privé au droit des entreprises en difficulté, des hésitations
subsistent quant à sa nature d’entreprise au sens où l’entend le livre VI du Code de
commerce. Ceci implique parfois l’application d’un régime spécifique.
§2) La nature particulière du holding défaillant entraînant l’application
d’un régime spécifique
65 -
Si l’on se réfère à un dictionnaire juridique pour définir cette notion économique,
l’entreprise traditionnellement serait une « unité économique qui implique la mise en une
œuvre de moyens humains et matériels de production ou de distribution des richesses
168
S’agissant de la sauvegarde : Voy. Cass com., 26 juin 2007, n° 06-20.820, Rev. Proc. Coll.
2007, p. 222 et 223, obs. SAINTOURENS (B.) ; S’agissant du redressement ou de la liquidation :
Cf. arrêt Sodimédical, Cass. com., 3 juill. 2012, n° 11-18.026, BJE 2012, p. 279, BONHOMME
(R.) et NEAU-LEDUC (Ch.) ; cf. infra n° 188.
169
MONSIERE-BON (M.-H.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures
collectives. La situation de la société holding, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 58.
170
Cf infra n° 191 s.
50 reposant sur une organisation préétablie »171. Des auteurs évoqueront une « activité
économique autonome organisée par les moyens nécessaires à l’exercice de cette activité
»172. Le droit des entreprises en difficulté a été conçu dans le but traiter les difficultés de
l’entreprise en tant que structure dotée d’une activité génératrice de revenus et
monopolisant des moyens humains à savoir des salariés dont le maintien de l’emploi est
l’un des leitmotivs. En effet, l’architecture des plans de sauvegarde, de redressement ou
de cession s’articule autour de cet objectif de la sauvegarde des emplois.
Or, le holding n’est pas une entreprise traditionnelle au sens du droit des procédures
collectives, mais découle du perpétuel mouvement de financiarisation de la vie des
affaires en France et du recul symétrique de l’entreprise industrielle auquel notre droit se
doit de faire face173. Ce faisant, cette structure juridique occupe une place particulière dès
lors qu’il s’agit de traiter ses difficultés.
66 -
Ses particularités se font ressentir, tout d’abord, d’un point de vue patrimonial :
l’actif et le passif du holding sont atypiques. Le premier est constitué par le portefeuille
de titres de participations qu’il détient dans ses différentes filiales. Le second est
caractérisé par des dettes financières qui sont souvent le mal nécessaire sinon la raison
d’être des opérations d’acquisition ou de reprise dans le cadre de LBO. À patrimoine
spécifique, régime spécial : le législateur a crée en 2010 la sauvegarde financière
accélérée174 (SFA) insérant le dispositif à l’article L. 628-1 du Code de commerce175.
Trouvant sa source d’inspiration du fameux « prepackaged plan » - en français « accord
préparatoire à la sauvegarde » - du chapter eleven Etasunien, des auteurs estiment qu’elle
171
CORNU, Vocabulaire juridique, PUF.
VALLANSAN (J.) et alii, Difficultés des entreprises, Commentaire article par article du Livre
VI du Code de commerce, 6e éd., 2012, Lexis Nexis / Litec, p. 349.
173
Rapp. LUCAS (F.-X.), Colloque Lyon 3 : Le droit des entreprises en difficulté à l’épreuve de
la crise financière, rapport de synthèse, BJE, sept. 2012, n° 5, p. 336.
174
Notons qu’une nouvelle procédure accélérée a été instituée par l’ordonnance n° 2014/326.
Afin de promouvoir la recherche de solutions le plus tôt possible, l'ordonnance crée une nouvelle
procédure de sauvegarde accélérée, inspirée de la procédure de sauvegarde financière accélérée
(SFA) créée en 2010. La SFA demeure, mais devient une variante de la procédure de sauvegarde
accélérée. Contrairement à la SFA, exclusivement financière, la procédure de sauvegarde
accélérée permettra au débiteur d'élaborer un projet de plan avec ses principaux créanciers,
financiers et fournisseurs.
175
Loi du 22 oct. 2010, n° 2010-1249 dite « de régulation bancaire et financière ».
172
51 a été adoptée exclusivement pour les montages LBO impliquant un holding en difficulté
afin de leur permettre de franchir le mur de la dette dans les années 2013-2014176. Cette
procédure constitue une troisième voie de sortie à la procédure de conciliation, à côté de
l’accord et de l’absence d’accord. Sa nature est hybride, mi contractuelle, mi judiciaire, il
s’agit d’un pont entre les procédures préventives et les procédures judiciaires. Le
contexte peut être le suivant : en période de conciliation, un accord a pu être trouvé pour
des délais et remises de créances avec certains créanciers. Toutefois, certains créanciers
financiers ont refusé de revoir les modalités attachées à leurs créances, de sorte qu’aucun
accord de conciliation n’est possible. La SFA permet au débiteur de transiter très
rapidement – pendant une durée d’un mois, deux tout au plus - par une procédure de
sauvegarde, à la condition de ne pas être en cessation des paiements. Durant cette
procédure, un unique comité dit des établissements de crédit est désigné et contraint de
trouver une solution dans des délais brefs. La décision sera votée à la majorité ce qui
permet de remplacer l’unanimité en vigueur dans la conciliation. Cela conduit à éviter
l’assèchement du crédit fournisseur.
67 -
En 2012, législateur modifiait déjà cette procédure accélérée n’ayant pas porté ses
fruits en raison de conditions trop contraignantes excluant la plupart des holdings de son
champ d’application. En effet, les seuils initiaux de 150 salariés et 20 millions d’euros de
chiffre d’affaires du débiteur étaient inadaptés car réservés aux très grandes entreprises de
type industriel. Cette erreur a été corrigée par la loi Warsmann II du 22 mars 2012177,
suivie de son décret d’application. L’examen des seuils se fait depuis cette réforme à
l’aune de l’ensemble du groupe lorsque le débiteur est une société mère d’un groupe,
176
KHACHANI (F.), op. cit., n° 136 ; MENJUCQ (M.), Adoption de « la sauvegarde financière
accélérée » : consécration du « prepackaged plan » en droit français, Rev. Proc. Coll. 2010, repère
6 ; ROUSSEL GALLE (Ph.), Premières vues sur la sauvegarde financière accélérée et sur les
modifications apportées au droit des entreprises en difficulté par la loi du 22 oct. 2010, JCP E
2010, 591 ; LE CORRE (P.-M.), op. cit., n° 550.09, p. 1297.
177
Loi n° 2012-1071.
52 autrement dit du total du bilan des holdings. Ainsi, les holdings pourront bénéficier de la
SFA pour traiter le passif des LBO178.
Néanmoins, les nouvelles conditions, se greffant aux anciennes, qui sont posées par la loi
Warsmann 2 et fixées par décret du 20 septembre 2012, n’en demeurent pas moins
rebutantes. L’article D. 628-2-1 prévoit que le débiteur est réputé avoir rempli la
condition de seuil si le total de son bilan est de 25 millions, ou lorsque le débiteur
contrôle179 une société180 dont le nombre de salariés est supérieur à 150 salariés ou dont
le chiffre d’affaire dépasse 20 millions d’euros hors taxes ou dont le total du bilan excède
25 millions d’euros. Ainsi, on l’aura compris, la SFA ne permet malheureusement pas à
l’ensemble des holdings d’en bénéficier. Les auteurs défendant l’élaboration de seuils
aussi contraignants arguent de ce que l’élargissement du champ d’application de la SFA
nuirait aux droits des créanciers de manière trop invasive181. Cet argument nous semble
manquer d’à-propos pour justifier le sacrifice de nombreux montages LBO parfois
décisifs dans l’optique d’un sauvetage d’une société cible182.
68 - En sus, du régime spécifique de la SFA qui peut être appliqué aux holdings,
remarquons que la nature de leur passif conduit à un traitement différent des entreprises
ordinaires. En effet, se mêlent dans ce passif plusieurs dettes subordonnées au service de
l’investissement du holding183 : des emprunts obligataires conjugués à des titres
complexes - de type OBSA, OCA… - au profit des prêteurs mezzaneurs de second rang
et des dettes « seniors » faisant l’objet de restructuration auprès de fonds
178
À ce propos, notons que les premières ouvertures de SFA avaient vu le jour au début de
l’année 2013 : Voy. T. com., Nanterre, 27 févr. 2013, n° RG 2013G0003 et T. com., Nanterre, 27
mars 2013, n° RG 2013L00611, DPDE, juin 2013, Bull. n°349, p. 13, obs. ROUSSEL GALLE
(Ph.).
179
L’article D. 628-2-1 vise l’article L. 233-3 1° I, donc par contrôle, il faut entendre la détention
directe ou indirecte « d’une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans
les assemblées générales de cette société ».
180
Dans le cas d’un LBO, il s’agira de la société cible.
181
V. en ce sens, ROSSI (P.), De nouveaux critères facilitant l’accès à la procédure de SFA, BJE
janv. 2013, p. 8.
182
Sur le fonctionnement et les enjeux du LBO, cf. infra n° 120 et s.
183
Sur le mécanisme et le traitement de la subordination de créances v. infra n° 103 et s.
53 d’investissement184. Le patrimoine du holding apparaît à la fois original et complexe eu
égard à l’enchevêtrement de nombreuses créances nivelées. L’actif quant à lui n’en est
pas moins particulier puisque la détention de titres de participations divers et variés paraît
peu adaptée, par exemple, au plan de cession d’entreprise prévu par le livre VI du Code
de commerce…
Le holding n’est décidément pas une entreprise comme les autres…
69 -
Enfin, compte tenu des liens étroits tant financiers que capitalistiques
qu’entretient le holding avec ses filiales, les risques habituels attenants au
décloisonnement patrimonial planent sur lui. Ainsi, la société holding est exposée au
risque d’extension de la procédure affectant sa fille, soit en cas de confusion de
patrimoine, soit lorsqu’elle en assure la direction de fait, c’est-à-dire en cas de fictivité.
Là encore l’application n’est pas tout à fait la même que celle qui serait de mise pour une
entreprise classique. Nous étudierons cette problématique plus loin dans notre étude185.
184
MOULIN (J.-M.), le droit de l’ingénierie financière, Gualino, 4e éd. 2013, n° 808 et s.
185
Cf. S’agissant de l’extension de procédure, infra n° 170 s.
54 CHAPITRE 2 :
Les enjeux des montages structurels au regard
du droit supranational
70 -
La croissance exponentielle des groupes de sociétés dans la vie des affaires
s’explique par l’attrait en terme d’optimisation économique, financière et fiscale que ces
structures représentent. En effet, l’assemblage de plusieurs personnes morales au sein
d’un même groupe est le fruit de techniques d’ingénierie financière et juridique
savamment imaginées par les praticiens. En ce sens, le groupe de sociétés peut être
présenté comme un montage structurel186.
La notion de groupe interpelle tout juriste, et plus particulièrement le spécialiste de droit
des entreprises en difficulté. Le législateur français, ni en droit des sociétés, ni en droit
des procédures collectives, ne reconnaît la personnalité morale à ces structures. Certes,
l’on retrouve quelques traces de cette notion dans le livre II du Code de commerce au
travers des dispositions relatives aux participations et sociétés contrôlées.
Le droit européen en matière de défaillance des entreprises, pas plus que le droit des
faillites187 internationales, semble s’en tenir à un statu quo. Le législateur de Bruxelles
préfère pour l’heure s’en rapporter à l’appréciation prétorienne de la CJUE afin d’éviter
« de trop figer la réalité protéiforme du groupe »188, dans l’attente d’une réforme en
gestation189 appelée de ses vœux par la doctrine, les praticiens et les tribunaux.
186
En ce sens DOM (J.-Ph.), op. cit., n° 482 et s.
Terme générique désignant les procédures de traitement des difficultés d’une entreprise
lorsqu’elles prennent une tournure internationale.
188
MONSIERE-BON (M.-H.), Groupes de sociétés. Régime juridique. Filiales, participations et
sociétés contrôlées, J.-Cl. Sociétés Traité, fasc. 165-10, n° 3.
189
Cf. la proposition de réforme de règlement prenant en compte l’insolvabilité des groupes
rompant avec son prédécesseur : COM (2012) 744 final, sp. p. 3 ; et le rapport de la Commission
au Parlement européen, au conseil et au CES : COM (2012) 743 final ; la recommandation
2014/135/UE de la commission du 12 mars 2014 relative à une nouvelle approche en matière de
défaillances et d’insolvabilité des entreprises, préconisant aux Etats membres d’éliminer les
difficultés rencontrées lors de la restructuration transfrontalière de groupes multinationaux ; Adde
notamment, HENRY (L.-C.), Le droit de l’insolvabilité européen en devenir…, BJE, janvier
2014, n°1, p.1.
187
55 L’enjeu est pourtant de taille, « le groupe de sociétés dont une ou plusieurs composantes
est défaillante se retrouve au milieu d'un carrefour de disciplines juridiques (et d’intérêts)
répondant à des logiques très différentes mais aussi légitimes les unes que les autres :
droit des sociétés, droit du crédit, droit boursier, statut des salariés, fiscalité
internationale »190, créanciers en tout genre et tous horizons. Le groupe de sociétés est un
révélateur impitoyable de ces conflits de normes, conflits d'interdits, conflits de priorités,
conflits d’intérêts antagonistes, tout au long d'une procédure d'insolvabilité191. En droit
français, certaines branches du droit permettent d’appréhender cet objet juridique non
identifié lorsque une de ses structures est défaillante. À ce titre, nous pensons, par
exemple, au droit fiscal ou encore au droit social192. Mais la réalité économique est toute
autre : les montages structurels sont conçus par essence pour se jouer des frontières
Etatiques, des juridictions compétentes et des lois applicables. En d’autres termes, ils ont
une vocation transnationale.
71 -
Le postulat de départ est simple : le groupe de société n’est pas une personne
morale. Cette assertion trouve sa source dans le principe de l’autonomie des personnes
morales. Le groupe n'existe que par ses composantes qui ont sur lui l'incontestable
supériorité d'être dotées de la personnalité morale193. Ainsi, le groupe n’est ni débiteur, ni
créancier et, ce faisant, il ne peut faire l’objet d’aucune procédure d’insolvabilité.
Pourtant, pris dans son ensemble, un groupe peut répondre à la définition d’entreprise au
regard des inextinguibles flux de toutes natures circulant entre les différentes entités du
groupe. Au surplus, il est permis de douter de l’autonomie des filiales alors que la société
mère est en mesure de nommer ou révoquer les dirigeants voire même prendre des
décisions lors des assemblées générales194.
Qu’à cela ne tienne, si les concepteurs des montages structurels visent au départ une ou
plusieurs optimisations particulières autres que le traitement des difficultés du groupe de
190
MARTIN-SERF (A.), L’insolvabilité internationale et les groupes de sociétés, Rev. Proc.
Coll., nov. 2013, n° 6, dossier 48.
191
Autre terme générique utilisé pour désigner une procédure de traitement des difficultés d’une
entreprise dans un contexte communautaire.
192
Sur cette question, cf. infra n° 191 et s.
193
MARTIN-SERF (A.), op. cit.
194
ROUSSEL GALLE (Ph.) et alii, Le groupe de sociétés en procédure collective, LPA, 22 avr.
2010, n° 80.
56 sociétés, ils ne se garderont pas d’utiliser leur assemblage en tant qu’outil stratégique de
cloisonnement patrimonial en bénéficiant des largesses et du vide juridique laissé, tant
par le droit européen des procédures d’insolvabilité (section 1), que par le droit
international des faillites (Section 2), lorsqu’une société du groupe subira l’épreuve du
feu d’une procédure d’insolvabilité.
57 SECTION 1 : Les groupes de sociétés à l’épreuve du règlement
n° 1346/2000
72 -
À titre liminaire, rappelons, s’agissant des débiteurs concernés, le règlement n°
1346/2000 vise les procédures d’insolvabilité susceptibles de frapper toute catégorie
d’entreprise aussi bien individuelle que sociétaire sous trois exceptions : les entreprises
d’investissement et placement collectif, les entreprises d’assurance et de crédit faisant
l’objet de directives spéciales, le cadre restreint de cette étude ne permet pas d’analyser
leur situation. Par ailleurs, le règlement a vocation à s’appliquer lorsque le centre des
intérêts principaux du débiteur est situé au sein de l’Union Européenne à l’exception du
Danemark non lié par le traité d’Amsterdam.
Concrètement, la juridiction compétente pour ouvrir une procédure principale à
l’encontre d’une société appartenant à un groupe est déterminée par référence au centre
des intérêts principaux du débiteur que nous désignerons par la suite sous l’acronyme
fréquemment usité : COMI195. Selon l’article 3.1 du règlement n° 1346/2000, le COMI
est présumé, de manière réfragable, être le lieu du siège statutaire. Il s’agit d’une
présomption simple qui peut être écartée par la preuve contraire. Dans le considérant n°
13 du protocole, il est mentionné que le COMI est le lieu où le débiteur gère
habituellement ses intérêts au vu et au su des tiers donc vérifiable par eux.
Le contexte est le suivant : une procédure d’insolvabilité est ouverte à l’encontre d’une
société filiale située dans l’U.E appartenant à un groupe de sociétés. Cette société
entretient des liens de dépendance avec une société mère dont le siège est situé dans un
pays différent membre de l’U.E. Dans ces conditions comment désigner le COMI de la
filiale en vertu de l’article 3.1 du règlement précité ? Différentes juridictions nationales,
dans des affaires ayant connu un certain retentissement196, n’ont pas hésité à localiser le
centre des intérêts principaux des filiales au siège de la société qui les contrôlait. Les
juridictions du fond françaises ont accepté d’ouvrir une procédure principale contre
195
Art. 3.1, règlement n°1346/2000.
V. les affaires Isa Daysitek, SAS Rover, Enron, Brac Rent-a-car, Crisscross,
Eurofood/Parmalat…, sur cette jurisprudence, V. DAMMANN (R.), RLDA, avr. 2005, p. 18.
196
58 toutes les sociétés d’un groupe197, y compris à l’endroit de la société mère, de sociétés
sœurs ou de sous-filiales dont le siège social est à l’étranger. Ces décisions ont longtemps
laissé une impression d’anarchie jurisprudentielle conduisant à un « détricotage »198 du
règlement n°1346/2000 ignorant la notion de groupe. Dans l’ensemble, elles conduisaient
à fragiliser les montages structurels en centralisant le COMI au siège de la société mère
dès lors que celle-ci exercerait une influence déterminante sur le fonctionnement de sa
fille de sorte que le siège de celle-ci se confondrait avec celui de la première.
73 -
La Cour de justice des communautés européennes est venue interpréter le droit en
définissant la ratio legis de l’article 3.1 du règlement à l’occasion de l’arrêt Eurofood199.
Dans cette espèce ayant donné lieu à l’arrêt, deux procédures principales avaient été
ouvertes contre une société financière Eurofood, filiale à 100% du groupe italien
Parmalat, ayant son siège statutaire à Dublin (sans doute pour des raisons fiscales) : une
procédure de liquidation forcée (compulsory winding up by the court), ouverte par la
High Court de Dublin, le 27 janvier 2004, conduit à la désignation d’un syndic200
provisoire, et une procédure d’administration extraordinaire par le Tribunale Civile de
Parme, le 20 février 2004. Les deux juridictions s’estimaient compétentes en vertu du
critère du COMI posé par le règlement. Sur appel de l’administrateur extraordinaire
italien de la décision de la juridiction irlandaise, cette dernière sursoie à statuer et pose
plusieurs questions préjudicielles à la CJCE.
La Cour en substance a estimé que le COMI devait être identifié en fonction de critères
« à la fois objectifs et vérifiables par les tiers ». C’est uniquement à cette condition,
définit de manière (trop ?) générale, que la présomption énoncée par l’article 3.1 peut être
écartée. De surcroît, elle impose une vision « déstructurée » des montages structurels201
197
T. com., Nanterre, 15 févr. 2006, aff. EMTEC, n° 2006P00149 ; VALLENS (J.-L.), La
maison mère d’un groupe, centre des intérêts principaux de ses filiales étrangères, D. 2006, p.
793.
198
MENJUCQ (M.), note sous Eurofood, CJCE, gr. Ch., 2 mai 2006, aff. C-341/04, JCP G, n° 23,
7 juin 2006, p. 1128.
199
CJCE, gr. Ch., 2 mai 2006, op. cit., JCP G, n° 23, 7 juin 2006, p. 1128, note MENJUCQ (M.) ;
D. 2006, AJ 1286, obs. LIENHARD (A.).
200
Terme générique désignant les administrateurs et mandataires/liquidateur judiciaire. Notons
que c’est l’ancien terme utilisé en France pour les désigner.
201
HENRY (L.-C.), Les enjeux des montages au regard de la réglementation européenne, Rev.
Proc. Coll., mai juin 2013, p. 62
59 en ajoutant qu’« il existe une compétence juridictionnelle propre pour chaque débiteur
constituant une entité juridique distincte ».
L’autre apport, et non des moindres, de cet arrêt, est la définition du principe de
confiance mutuelle qui figure dans le 22e considérant du protocole. Les juridictions
nationales doivent vérifier leur propre compétence, en contrepartie, les juridictions des
autres Etats membres n’ont pas le pouvoir, sauf en cas de violation de leur ordre public,
de contrôler la compétence de la juridiction ayant ouvert en premier la procédure
d’insolvabilité. Cette affirmation est importante en ce qu’elle conduit à une conséquence
non négligeable : lorsqu’une procédure principale est ouverte à l’encontre d’une des
filiales du groupe le lieu de son COMI est considéré comme se situant dans l’Etat de la
juridiction et cela même si son siège ne se situe pas dans ce pays. À cet égard, la Cour de
cassation s’est refusée à contrôler les motifs qui ont permis à la juridiction étrangère de
renverser la présomption de l’article 3 du règlement tout en rejetant le moyen tiré d’une
violation de l’ordre public interprété très strictement202.
74 -
On l’aura compris, les magistrats de la Cour de Luxembourg, en renforçant la
présomption de l’article 3.1, prennent position en niant clairement l’existence des
montages. Ils optent, au contraire, pour une vision étroite du débiteur personne morale
possédant des actifs ou des créanciers dans divers Etats membres. Les actifs de ce
débiteur sont appréhendés de manière isolée et sans considération des liens contractuels
et capitalistiques l’unissant avec les autres sociétés du groupe, constituant un montage
structurel à même de résister au choc d’une procédure d’insolvabilité faisant vaciller un
maillon de sa chaîne.
Par voie de conséquence, cette situation permet la prolifération du forum shopping ou
« tourisme de faillite » qui consiste, pour les concepteurs des montages, à déplacer
abusivement et de manière artificielle le COMI d’une filiale dans l’Etat dont le droit des
entreprises en difficulté répond le mieux aux attentes203. Par exemple, le droit anglais
présente l’avantage d’offrir la possibilité de l’effacement de la dette du débiteur dans un
202
203
Cass. com., 27 juin 2006, n° 03-19.863.
COM (2012) 744 final, pt. 3-1, p. 7.
60 délai d’un an204, en revanche le droit espagnol prévoit une période suspecte plus longue
qu’en droit français. Le règlement ouvre ainsi la porte à une véritable stratégie de
l’insolvabilité qui profite aux montages structurels. D’autant plus que la Cour de justice a
posé le principe de l’appréciation du COMI au moment de l’ouverture de la procédure205,
cela permet évidemment le déplacement du COMI dès lors que les premiers signaux
d’alerte se manifestent. En revanche, cette situation n’est pas envisageable en droit
français206.
Notons que le choix de la localisation du COMI en amont, c’est-à-dire lors de la
conception du montage structurel n’est pas blâmable en soi, bien au contraire il s’agit, à
notre sens, d’une habileté astucieuse dans le cadre de ce que l’on pourrait nommer une
préparation du forum shopping ou encore une optimisation juridictionnelle207. Prenons
l’exemple d’une opération présentant des risques importants en raison, par exemple, du
fort taux d’endettement sous-jacent. Nous l’aurons compris, il peut s’agir d’une
acquisition avec effet de levier ou montage LBO. Dans ce cas de figure, il est tout à fait
envisageable et même fortement conseillé de localiser le COMI du holding LBO, à tout le
moins une portion substantielle de son activité, dans un Etat ayant un régime de
traitement des difficultés protecteur. C’est ce qu’a pris le soin de faire la société Dame
Luxembourg dans l’affaire Cœur Défense208 afin de bénéficier de la procédure de
sauvegarde qui n’avait pas d’égale au Luxembourg.
75 -
Par effet de miroir, ce qui est plus difficilement acceptable, c’est le changement
abusif de COMI dès lors que les premiers signes de défaillance se font ressentir, même si,
on ne voit pas en quoi les filiales, par le biais de leur mère détenant le pouvoir
décisionnaire, devraient s’en passer compte tenu des largesses du droit communautaire…
À ce propos, le déplacement abusif - mais pas illicite nous l’aurons compris - peut être
réalisé par le truchement d’une réorganisation du montage sociétaire. L’ingénierie va
204
HENRY (L.-C.), op. cit.
CJCE, 17 janv. 2006, aff. C-1/04, Staubiz-Schreiber ; Rev. sociétés 2006, p. 346,
VALLENS(J.-L.).
206
VALLENS (J.-L.), op. cit.
207
MARTIN-SERF (A.), op. cit.
208
Sur le déroulement de l’affaire cf supra n° 61 et s.
205
61 donc organiser le forum shopping. Il s’agira d’une opération de fusion209 (ex :
l’absorption par la mère d’une de ses filiales), de la création d’une holding centralisant le
lieu des réunions et des prises de décisions, ou encore purement et simplement du
déplacement du siège social avant l’ouverture de la procédure. Cette dernière opération
est licite, et même assez paradoxalement de droit puisqu’un principe fondamental en droit
de l’U.E en assure la possibilité : la liberté d’établissement210…
76 -
Ainsi, chaque société d’un groupe bénéficie d’une procédure principale qui lui est
propre en dépit de ses liens avec les autres sociétés du groupe. Alors que l’une située en
France bénéficiera d’une sauvegarde, l’autre profitera de l’administration anglais tandis
qu’une troisième tout en entretenant des liens intimes avec les deux autres coulera des
jours heureux. Le principe d’autonomie sort vainqueur pour le grand bonheur des
créateurs de montages structurels qui peuvent les utiliser en tant qu’outils limitant les
risques patrimoniaux en amont tout comme en aval de leur conception.
Ceci est d’autant plus vrai que la CJUE a marginalisé les possibilités d’utiliser le frein
classique de l’extension de procédures par un arrêt dit « Rastelli »211. En l’espèce, après
l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société de droit
français Médiasucre, par le tribunal de commerce de Marseille, le liquidateur avait
assigné, devant ce même tribunal, une société de droit italien Rastelli Davide afin que lui
soit étendue, sur le fondement de la confusion des patrimoines, la procédure ouverte à
l’encontre de la société française. Saisie à la suite du pourvoi de la société Rastelli, la
Cour de cassation212, a préféré surseoir à statuer, posant d’autorité à la CJUE deux
questions préjudicielles : la première, d’ordre procédurale, sur l’étendue de la
compétence de la juridiction ayant ouvert la procédure initiale pour l’étendre à une
société située sur le territoire d’un autre État membre ; la seconde, plus intéressante dans
le cadre de notre étude, s’interrogeant sur le fait de savoir si la démonstration de la
confusion des patrimoines avec le débiteur initial suffit à établir que le centre des intérêts
209
V. en ce sens l’arrêt Interedil, CJCE, 20 oct. 2011, aff. C-396/09.
HENRY (L.-C.), op. cit.
211
CJUE, 15 déc. 2011, n° C-191/10, Sté Rastelli Davide, BJS, mars 2012, n° 3, p. 240, note
KUNTZ (J.-E.) et NURIT (V.).
212
Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-12.642.
210
62 principaux de la société, visée par l’action en extension, se situe sur le territoire de l’État
membre ayant ouvert la procédure initiale.
Sur cette dernière question, la Cour de Luxembourg s’oppose au jeu de l’extension de la
procédure initiale au visa de l’article 3.1 du règlement n° 1346/2000 au motif que la
confusion des patrimoines, n’étant pas nécessairement vérifiable par les tiers et
n’impliquant pas forcément un centre des intérêts des intérêts principaux unique, sa seule
constatation ne suffit pas à démontrer que le COMI de la société visée par l’action en
extension, se trouve sur le territoire de l’État membre de la juridiction ayant ouvert la
procédure initiale.
77 -
La Cour de justice considère donc l’extension de procédure comme l’ouverture
d’une seconde procédure principale. Ainsi, la confusion de patrimoine demeure impunie
lorsque deux sociétés d’un même groupe sont situées dans deux Etats membres différents
et ce au nom de la sécurité juridique due aux créanciers de la société cible de l’extension.
À tout le moins, dirons-nous que les critères fixés par le droit français pour sanctionner la
confusion des patrimoines, à savoir le désordre inextricable des éléments d’actif et de
passif des sociétés par le décloisonnement des patrimoines, ne suffisent pas à renverser la
présomption simple de l’article 3.1 du règlement. S’agissant de l’extension pour fictivité,
nous semble-t-il, la solution sera la même puisque lorsqu’une procédure principale sera
ouverte à l’encontre de la société cible de l’extension et prétendument fictive, la
juridiction de l’Etat où se situe la première société ne pourra remettre en cause le
jugement d’ouverture de la procédure en vertu du principe de confiance mutuelle.
En définitive, le seul moyen pour les créanciers de la première société d’obtenir
l’extension d’une procédure collective ouverte dans un État membre à un débiteur
(société cible de l’extension) se situant dans un autre État, est que la personne visée par
l’extension ait le centre de ses intérêts principaux là où s’est ouverte la procédure
collective initiale. La Cour d’appel de Paris a rendu récemment un arrêt en ce sens213.
213
PARIS, 21 janv. 2014, n° 13/15887, LEDEN, févr. 2014, n° 2, p. 1, obs. LUCAS (F.-X.).
63 78 -
La situation actuelle du droit de l’insolvabilité est donc sans aucun doute propice
à l’instrumentalisation du règlement par les groupes de sociétés. En droit communautaire,
tout comme en droit international des faillites, le déni de la notion de groupe fait le miel
des concepteurs de montage.
SECTION 2 : Les groupes de société à l’épreuve du droit
international des faillites
79 -
Sans se perdre dans les méandres du droit international de la faillite dont l’étude
stricto sensu c’est-à-dire à l’échelle de la société214 n’entre pas dans le cadre de notre
étude. Bornons-nous à relever les particularités de ce droit à l’aune d’un montage
structurel de type groupe de sociétés.
Le droit des faillites internationales, tout comme celui régissant l’insolvabilité dans le
territoire européen, ne reconnaît pas l’existence du groupe de sociétés. En effet, la faillite
appréhende un patrimoine rattaché à une personne physique ou morale. Le principe
d’autonomie de chaque société du groupe - même lorsqu’il s’agit d’une filiale à 100 % implique l’ouverture d’une procédure par société. En dépit des liens unissant les entités
du groupe entre-elles, le cloisonnement est indéniable et non équivoque : à une société
correspond un patrimoine appréhendé par une seule procédure.
Par suite, la stratégie d’implantation d’un groupe est éminemment importante en marge
de la construction d’un montage structurel. Le choix d’implantation via des succursales
ou des filiales n’est pas anodin. Lorsque les premières ne font pas l’objet d’une procédure
distincte, les secondes subissent (ou bénéficient) des procédures particulières. Dans cette
optique, se sont développées les single ship companies consistant à cloisonner les
activités d’un conglomérat en affectant à chacune des filiales un site activité qui, en cas,
de conjoncture de l’une d’elle limite les risques de contagions. S’ajoute à cela une
214
Voy. en ce sens, MENJUCQ (M.), Droit international et européen des sociétés, Montchrestien,
3e éd. 2011, notamment la partie de l’ouvrage consacrée au droit des faillites internationales ;
Adde, MENJUCQ (M.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures collectives.
Les enjeux des montages au regard du droit international, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3,
pp. 65 , 66 et 67.
64 stratégie d’affectation des actifs de ces filiales à des sœurs ou à la mère dont le siège est
situé hors de l’U.E, c’est-à-dire hors d’atteinte d’une éventuelle procédure d’insolvabilité.
Pourtant, en sens inverse, nous estimons que la prise en compte du groupe de sociétés par
le droit des faillites pourrait être avantageux afin de permettre une restructuration plus
efficiente du passif d’une entité du groupe. De même, dans certains cas, le traitement de
la défaillance du groupe en tant qu’entité unitaire peut être salutaire. Il s’agirait, à titre
illustratif, d’ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’encontre de l’ensemble du groupe
dès lors que la société mère connaitrait des difficultés insurmontables, ou que l’état des
comptes consolidés laisserait entrevoir une crise imminente.
80 -
En tout état de cause, la situation internationale de la faillite d’une société est
appréciée à l’aune des critères du droit international privé. À cet égard, la présence d’un
ou plusieurs éléments d’extranéité est primordiale : la répartition des actifs sur plusieurs
territoires, à la fois intra et extra communautaires, et les liens qu’entretient la société
débitrice avec un ou plusieurs créanciers situés dans un Etat tiers constituent de tels
éléments. Il s’agit d’un préalable impératif posé par la Cour de cassation pour limiter le
champ d’application du règlement n° 1346/2000215.
Toutefois, si les disparités du droit international privé sont corrigées par le règlement
précité, lorsque la faillite prend une tournure internationale la situation s’avère être plus
problématique. Il en va ainsi, à l’échelle du groupe, quand les actifs d’une société mère,
son COMI ou son siège sont localisés dans un Etat tiers par rapport à la localisation
européenne de ses filiales insolvables et soumises à son contrôle.
81 -
Notons à titre liminaire, qu’en matière internationale le conflit de juridiction et le
conflit de loi font corps par dérogation au principe en vigueur en droit international privé.
Autrement dit le juge qui se reconnaît compétent pour ouvrir une procédure collective
entraîne l’application de la loi du for. Au regard du caractère procédural du droit des
entreprises en difficulté, le conflit de juridiction précède le conflit de loi en ce sens que la
215
Cass. com, 21 févr. 2012, n° 11-18.027 : le principe posé s’applique a fortiori en matière de
droit international des faillites.
65 détermination du for concursus engendre l’application de la lex fori concurus216. Il s’en
suit, une disparité de traitement des difficultés puisque chaque juridiction appréciera
l’opportunité de l’ouverture d’une procédure à l’encontre d’une entité du groupe en
fonction de critères qui lui sont propres. Certains recherchent le centre de direction (head
office functions)217, d'autres le centre principal d'activité ou lieu de direction effective,
d'autres encore ont des scrupules à voir le siège social ailleurs que dans les statuts, en
exigeant selon les cas que celui-ci soit corroboré par l’immatriculation (registered
office)218.
Remarquons que le plus petit dénominateur commun aux divers critères est sans nul
doute le siège statutaire présumant le lieu où se situent les principales activités du
débiteur.
Toutefois, cette unité conceptuelle qui ressort de l’examen des différentes législations
nationales n’a malheureusement pas pour corollaire une unité d’interprétation. Partant, le
chef de compétence n’est pas si consensuel qu’il n’y paraît219. Pour s’en persuader, nous
évoquerons le cas très fréquent en droit des faillites internationales de l’ouverture de deux
procédures concurrentes nonobstant l’adage selon lequel « procédure sur procédure ne
vaut ». En effet, puisqu’aucun principe de confiance mutuelle ne prédomine en matière
internationale, seul un jugement d’exequatur serait de nature à permettre la
reconnaissance d’une procédure ouverte dans un Etat membre220. Cela permet, au
demeurant, à un débiteur de restructurer son passif transfrontalier par le biais de deux
procédures de traitement des difficultés qui se touchent sans se croiser au détriment de
216
MENJUCQ (M.), Droit international et européen des sociétés, Montchrestien, 3e éd. 2011, n°
460 et s.
217
MARTIN-SERF (A.), op. cit., n° 15.
218
MENJUCQ (M.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures collectives. Les
enjeux des montages au regard du droit international, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 65
et s.
219
MARTIN-SERF (A.), Le siège social à l'épreuve des procédures collectives, in mélanges D.
Tricot, Litec-Dalloz 2011, p. 533.
220
La barrière est infranchissable en dépit du principe du caractère universel de la faillite ouverte
en France reconnu dans les arrêts Banque Worms et Khalifa Airways : Cass. com., 19 nov. 2002,
n° 00-22.334 pour le premier et Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-17.869 pour le second ; Adde,
Civ 1re, 28 mars 2012, n° 11-10.639 : « en l’absence d’exequatur, une décision de mise en
liquidation judiciaire prononcée à l’étranger, ne peut produire, en France, aucun effet de
suspension des poursuites individuelles ».
66 ses créanciers car lorsque la seconde procédure est ouverte plus aucun jugement
d’exequatur de la première n’a lieu d’être dans cet Etat.
82 -
Ainsi, cette situation conduit inexorablement à un cloisonnement des procédures
affectant le groupe de sociétés221. Les techniques de cloisonnement stratégique du
patrimoine du groupe font florès. Ceci est de nature à renforcer l’efficience des montages
structurels.
De fait, cette situation, favorise le forum shopping à l’échelle extra-communautaire, ce
qui n’est ni frauduleux, ni illicite mais relève, bon gré mal gré, de l’ingéniosité
conceptuelle. En raison, de la règle de la lex fori concursus, nous pouvons même estimer
qu’il s’agit d’un phénomène de law shopping. Pour ce faire, le forum shopper222 aura tout
intérêt à saisir le juge de l’Etat ayant le régime le plus favorable et cela au plus vite
puisque les tribunaux sont assez enclins à se reconnaitre compétents sur le fondement du
siège social et prennent rarement la peine de vérifier le caractère réel du siège invoqué
par le demandeur. Pourtant comme le rappelle fort justement un auteur, « nous sommes
dans une matière d'ordre public Economique !... »223.
Là encore, à l’instar de ce que nous avons préconisé en matière d’insolvabilité
européenne pour le COMI, le rôle des concepteurs de montages structurels sera
d’anticiper le forum shopping en déplaçant le siège statutaire de l’entité du groupe vers
un Etat choisi afin d’éviter l’ouverture de procédures concurrentes. Le but étant de
préserver une partie des actifs du débiteur dans l’Etat tiers hors d’atteinte de la procédure
ouverte dans un Etat membre, tant qu’aucun jugement d’exequatur n’a été obtenu. Dans
cette optique, ces actifs peuvent, par exemple, faire l’objet d’un trust destiné à
restructurer le passif du débiteur en accordant des garanties aux créanciers de la
procédure collective224. Il s’agirait dans ce cas d’une stratégie de localisation des actifs
d’une entité du groupe de manière à mettre à l’abri une partie de son actif en les affectant
à la société mère ou à ses sœurs hors U.E.
221
MENJUCQ (M.), op. cit.
MARTIN-SERF (A.), L’insolvabilité internationale et les groupes de sociétés, Rev. Proc.
Coll., nov. 2013, n° 6, dossier 48.
223
Ibid.
224
MENJUCQ (M.), op. cit.
222
67 83 -
Toutefois, si l’action en extension de procédure prévue à l’article L. 621-2 du
Code de commerce, barrière traditionnelle en droit interne entrainant un décloisonnement
patrimonial en cas d’abus de personnalité morale, est impossible en droit européen de
l’insolvabilité depuis l’arrêt Rastelli225, elle reste en principe possible dans le cadre du
droit commun des faillites internationales. Cette limite à l’efficience des montages
structurels est à relativiser puisqu’en ce cas le débiteur international n’est rattrapé que par
le droit français et l’obtention d’un jugement d’exequatur, restant à l’appréciation du juge
devant lequel la demande est formulée, est indispensable, si tant est que celui-ci n’ait pas
déjà prononcé l’ouverture d’une procédure concurrente.
225
Cf. supra n°s 76 et 77.
68 CONCLUSION TITRE 1
84 -
De façon générale, les montages et outils juridiques permettant, peu ou prou, de
limiter les risques patrimoniaux liés à l’activité de l’entreprise sont des moyens efficaces
de faire échapper les actifs à l’effet réel de la procédure (ex : le couple SCI/société
d’exploitation). À cet égard, nous aurions pu évoquer un autre type de cloisonnement
patrimonial à savoir la fiducie-gestion, à ceci près que la liquidation judiciaire constitue
un obstacle rédhibitoire. La fiducie est résiliée de plein droit en cas de liquidation
judiciaire de son bénéficiaire et constituant.
Néanmoins, d’une part, certaines hypothèses conduisent aussi corrélativement à favoriser
des créanciers en particulier, échappant à l’interdiction des poursuites par exemple, au
détriment des autres, en faisant naître ainsi une disparité dans le traitement du passif du
débiteur (ex : DI, indivision). D’autre part, le droit des entreprises en difficulté, tout au
moins, en droit interne « veille au grain » en stigmatisant les montages structurels
frauduleux dont la seule finalité est de réduire le gage commun des créanciers. Créanciers
qui, parfois, ont tout intérêt à imaginer des techniques afin de préserver leurs intérêts.
69 70 TITRE 2 :
Les montages juridiques au service
du droit des entreprises en difficulté
85 -
Comme nous l’avons vu précédemment des montages juridiques permettent à bien
des égards de protéger les intérêts du débiteur. D’autres types de montages viennent au
soutien du droit des entreprises en difficulté en ce qu’ils sont, d’une part, des instruments
d’optimisation de la gestion des risques inhérents à la situation de créancier dans le
contexte d’une procédure collective (Chapitre 1). D’autre part, parfois, le montage
juridique, qu’il soit imaginé de toute pièce par la pratique ou fondé sur l’utilisation à
dessein d’un outil juridique mis à disposition par le législateur, s’avère être un moyen de
restructuration alternatif de l’entreprise en difficulté (Chapitre 2).
71 CHAPITRE 1 :
LA CONCEPTION DE MONTAGES
FINANCIERS PROTEGEANT LES
CREANCIERS
86 -
Lors de la mise en place d'un crédit, ces derniers n'ont de cesse de s'aménager une
position leur permettant d'échapper, autant que faire se peut, à la discipline collective qui
s'impose à eux en cas d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité226. Deux contraintes
sont alors à éluder : la suspension des poursuites et les règles relatives au rang des
créanciers.
Dans un souci de rééquilibrage des forces, le législateur a instauré des outils juridiques
destinés à garantir les risques consentis par certains créanciers. Leur situation
préférentielle prend, au gré des réformes successives227, une place toujours plus
considérable et ce à l’insu de l’objectif primordial de sauvegarde du débiteur228.
Au fil des années, la jurisprudence et le législateur ont ainsi permis aux créanciers
gagistes de solliciter l'attribution judiciaire du gage en cas de liquidation judiciaire ; de
226
DAMMANN (R.), L'ordre de paiement des créanciers dans les procédures de sauvegarde,
redressement judiciaire et liquidation judiciaire, Journ. Sociétés, déc. 2006. 67 ; DAMMANN
(R.) et LE BEUZE (G.), Réforme des sûretés et des procédures collectives : quelles sûretés
choisir ?, Cah. dr. entr., mars-avr. 2007. 45.
227
La dernière réforme en date issue de l’ordonnance n° 2014/326 du 12 mars 2014 donne un
pouvoir accru au créanciers : les créanciers vont pouvoir participer à l’élaboration du plan
lorsqu’il existe des comités de créanciers. Des projets de plan concurrents pourront être présentés
par les créanciers membres des comités. Le plan du débiteur et le plan adopté par les comités
pourront être soumis au tribunal d’une manière concurrente (C. com., art. L. 626-30-2 44 etC.
com., art. L. 630-30-3 45, modifiant C. com., art. L. 626-31). Cette évolution porte à croire que
le droit des entreprises en difficulté amorce un passage d’un droit impératif et contraignant
à un droit de négociation et de compromis accordant une place importante aux créanciers ;
V. notamment, TEBOUL (G.), L’ordonnance du 12 mars 2014 sur la réforme du droit des
entreprises en difficulté : un duel créanciers /débiteurs à armes égales ?, Gaz. Pal., mars 2014, n°
171s0 ; LE CORRE (P.-M.), Premiers regards sur l'ordonnance du 12 mars 2014 réformant le
droit des entreprises en difficulté ; D. 2014, p. 733.
228
V. en ce sens, LUCAS (F.-X.), SENECHAL (M.), Fiducie ou sauvegarde, il faut choisir ?, D.
2008, p. 59 : Les auteurs dénoncent l’octroi incessant d’avantages, au fur et à mesure des
réformes, aux créanciers qui sont nuisibles à la sauvegarde du débiteur : pourtant but absolu de la
loi du 26 juillet 2005.
72 même, la situation du créancier bénéficiaire d'un droit de rétention est particulièrement
avantageuse229. Au premier chef, constatons le développement de la propriété-sûreté,
d’une efficacité rayonnante en cas d’ouverture d’une procédure, permettant de « courtcircuiter » totalement les règles relatives à l'ordre de paiement des créanciers et à la
suspension des poursuites individuelles, à travers la clause de réserve de propriété, les
cessions de créances « Dailly » à titre de garantie, et en dernier lieu le gage sans
dépossession portant sur des choses fongibles230. De manière générale, l’ensemble des
sûretés classiques, certes moins performantes, confère aux créanciers une position
profitable.
Dans cette optique, des montages financiers ont été crées par la pratique afin de servir les
créanciers ayant fait les frais à leur corps défendant de l’avènement du droit des
entreprises en difficulté toujours plus protecteur des intérêts du débiteur.
87 -
Dans le cadre du présent chapitre, nous étudierons trois types de montages à
finalité de protection des créanciers et dont l’efficacité est avérée. Tout d’abord, la
fiducie-sûreté que certains auteurs s’évertuent à décrire comme la « reine des sûretés »231,
servant de cadre juridique pour élaborer des montages permettant de garantir certains
financements (Section 1). Dans le prolongement, il conviendra d’analyser les enjeux du
montage « Double Lux-co » (Section 2) et du mécanisme de la subordination de créances
dans le cadre d’un LBO (Section 3) à l’aune du droit des entreprises en difficulté.
229
Il peut ainsi être payé immédiatement au cours de la période d'observation, si le bien qu'il
retient est nécessaire à l'activité du débiteur ; de même, il peut s'opposer à l'inclusion de ce bien
dans un plan de cession, indépendamment des règles édictées à l'art. L. 642-12 c. com.
230
Cf. art. 2341 al. 2 du C. civ.
231
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Fiducie-sûreté et droit des procédures collectives :
évolution ou révolution ?, D. 2007. Chron. 1359.
73 SECTION 1 : La fiducie-sûreté comme outil de protection des
intérêts des créanciers
88 -
L'article 2011 du Code civil définit la fiducie comme « l'opération par laquelle un
ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble
de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les
tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou
plusieurs bénéficiaires ». Il s’agit en réalité d’un « véhicule »232 permettant de créer un
patrimoine d’affectation, tiers aux parties à la fiducie et dirigé vers un but déterminé,
objet de la fiducie. Sa durée peut atteindre jusqu'à trente-trois ans233. La fiducie implique
donc, dans le schéma français, « qu’une personne - le constituant - transfère des droits à
une autre234 - le fiduciaire -, qui les détient non pas comme sa propriété ordinaire, mais
afin de réaliser un objet particulier au bénéfice du constituant, de lui-même ou de
tiers »235.
En outre, elle présente l’avantage d’être un outil flexible236 et laissant la place à
l’imagination des concepteurs de montages en tout genre. Au surplus, elle est multi-face
en ce qu’elle peut être utilisée en tant qu’outil de gestion, de transmission ou encore de
sûreté.
89 -
C’est ce dernier aspect qui intéressera nos propos. En effet, la fiducie-sûreté est
une « sûreté-propriété » permettant la création d'un patrimoine d'affectation comprenant
des biens (ou un ensemble de biens) corporels ou incorporels - y compris les créances -,
meubles ou immeubles, présents ou futurs - pourvu qu'ils soient déterminables - qui
232
GRANIER (Th.) et TESTON (B.), Colloque sur le risque juridique dans l’entreprise diagnostic
et remèdes, organisé par l’Institut de Droit des Affaires de la faculté d’Aix-Marseille. La gestion
structurelle du risque, Journ. Sociétés, janv. 2013, n° 105, p. 54 ; Sur le rôle de la fiducie dans
l’optique d’un sauvetage d’une entreprise v. infra n°s 137 et 138.
233
Cf. C. civ., art. 2018, 2°.
234
Transfert qui n’est pas indispensable et ne se présente pas comme une condition sine qua non
de l’efficacité de la fiducie.
235
BARRIERE (F.), La fiducie-sûreté en droit français, (2013) 58:4 McGill LJ, p. 871 : l’auteur
souligne, fort justement, que « le transfert des droits n’est pas de l’essence de l’institution
fiduciaire et il est concevable, à l’instar d’autres pays, tel le Luxembourg, qu’aucun transfert du
constituant n’ait lieu. ».
236
DAMMAN (R.) et PODEUR (G.), op. cit.
74 seront affectés à la garantie d'une créance. Concrètement, il pourra être prévu, par
exemple, que le fiduciaire aura pour mission de transférer la propriété du patrimoine
fiduciaire au créancier en cas de défaillance du débiteur principal237. Sous réserve,
toutefois, pour le créancier de rembourser au débiteur le solde de la valeur du bien gagé
et du montant de la créance238. Si l’on compare cet outil avec d’autres sûretés efficaces en
droit commun, l’avantage de la fiducie est indéniable. Par exemple, le pacte
commissoire239 dont l’efficience n’est plus à prouver possède l’inconvénient de perdre
toute efficacité en cas d’ouverture d’une procédure collective.
Enfin, la propriété "cédée" dans le cadre de la fiducie, peut être « ultérieurement affectée
à la garantie de dettes autres que celles mentionnées par l’acte constitutif »240, on dit que
la fiducie-sûreté est « rechargeable » en ce qu’elle permet de garantir plusieurs dettes.
Ceci va dans le sens d’une grande souplesse de la fiducie.
90 -
Un exemple nous permet d’illustrer ce mécanisme :
Un constituant transfère la propriété de son bien immobilier à titre de garantie à son
banquier pour obtenir un crédit. À la suite de cette opération il conserve l’usage de ce
bien immobilier nécessaire à la poursuite de son activité. Par conséquent, il continue
d’en percevoir les fruits et d’user de la chose. Le but du banquier n’est alors pas de se
substituer au constituant en sa qualité d’exploitant, mais seulement de bénéficier d’un
droit d’exclusivité en cas de réalisation de la sûreté immobilière, au lieu d’un simple droit
de préférence dans l’hypothèse d’une constitution d’hypothèque. Le lien entre le
débiteur-constituant et le créancier-fiduciaire est le contrat de mise à disposition
permettant au premier de continuer à jouir du bien. Ce contrat peut prendre, soit la forme
237
Conformément à l’article 2015 du C. civ., il s’agira nécessairement un établissement de crédit
ou assimilé, entreprises d'investissement et entreprises d'assurances.
238
DAMMAN (R.) et PODEUR (G.), op. cit., remarquent que « alors que des dispositions
régissent précisément la réalisation du pacte commissoire en matière de gage, et que la clause de
voie parée est interdite en la matière, la fiducie laisse le champ libre à la liberté contractuelle. ».
Cette observation plaide en faveur de la flexibilité de cet outil.
239
Attachant à l’inexécution de l’obligation garantie, l’effet radical de rendre le créancier
propriétaire du bien engagé (sans avoir à le demander en justice).
240
Art. 2372-5 du C. civ.
75 d’un bail, soit d’un contrat sui generis241. Notons que le créancier peut être lui-même le
fiduciaire ou confier la gestion de la fiducie à un tiers fiduciaire.
Il s’agit bien d’une espèce de démembrement de propriété242 qui ne dit pas son nom : une
dichotomie du droit de propriété s’opère entre propriété économique (equitable property)
et propriété juridique (legal property) à l’instar du régime en vigueur du trust anglosaxon. Pourtant, en raison de simples problèmes procéduraux (en l’occurrence un cavalier
législatif), un amendement d’un projet de loi réformant le régime de la fiducie prévoyant
expressément ce type démembrement fut censuré par le Conseil Constitutionnel243.
91 -
Ceci étant entendu, rappelons qu’en cas d’ouverture d’une procédure collective la
fiducie-sûreté subira deux conséquences alternatives possibles :
- Soit, le débiteur-constituant bénéficie d’une convention de mise à disposition lui
permettant d’user et de jouir des actifs affectés dans le patrimoine fiduciaire. Dans ce
cas, le législateur aligne le régime de cette convention avec celui concernant les
contrats en cours. Le débiteur peut continuer à bénéficier de la richesse procurée par
les actifs dès l’ouverture de la procédure de sauvegarde244.
- Soit, situation plus avantageuse pour les créanciers, aucune convention de mise à
disposition ne lie les parties à la fiducie. Ici, on considère que le constituant a
renoncé ab initio à l’usage de l’actif transféré en fiducie. Celui-ci est considéré
comme inutile et non nécessaire à la poursuite de l’activité du débiteur-constituant.
Dans ces conditions, le créancier bénéficiaire de la fiducie pourra réaliser
immédiatement la fiducie-sûreté indépendamment de l’ouverture d’une procédure
collective.
241
DAMMANN (R.), L’utilisation de la fiducie comme technique, Rev. Proc. Coll., mai-juin
2013, n° 3, pp. 77 et 78, sp. n° 5.
242
Ibid.
243
Cons. Constit., 14 oct. 2009, n° 2009-589 DC.
244
Conformément à l’article L. 622-23-1 du C. com., cet article est applique par extension au
redressement judiciaire.
76 Il en va de même, si le contrat de mise à disposition est résilié postérieurement à
l’ouverture d’une procédure collective, le bien n’est plus utile à la poursuite de l’activité
et le bénéficiaire pourra donc réaliser sa sûreté.
92 -
On l’aura compris, la fiducie possède l’avantage d’être en mesure de résister à
l’onde de choc générée par une procédure collective. Elle est, ce faisant, un outil
permettant de gérer les risques inhérents à la position fragile d’un créancier en lui
conférant une garantie robuste. Dans la droite ligne, la fiducie-sûreté est un outil
astucieux de gestion des risques de paiement245. Ainsi il peut être judicieux, par exemple,
de l’utiliser lors de la mise en œuvre d’une clause de garantie de passif ou d’earn out, par
le biais d’un transfert des actifs visés dans un patrimoine fiduciaire distinct du patrimoine
personnel du débiteur. Cela permet de sécuriser les positions du créancier qui n’est plus
exposé aux risques de défaillance du cessionnaire pour le paiement du complément de
prix ou du cédant pour le paiement d’une garantie de passif.
Les qualités de la fiducie-sûreté justifient donc amplement le doux sobriquet de « reine
des sûretés » employé par Messieurs DAMMANN et PODEUR246, et cela incite les
concepteurs de montages financiers à user de cet outil dans le dessein de protéger les
créanciers participant à un financement de l’entreprise. À cet égard, elle a permis, par
exemple, l’introduction de la notion d’agent des sûretés en France compte tenu des
grandes similitudes avec le mécanisme anglo-saxon de transfert de sûretés à un trustee
par le biais d’un trust dans le cadre de financements structurés247.
Attachons-nous à présenter l’utilité que la fiducie-sûreté peut présenter aussi bien afin de
constituer une sûreté portant sur des créances (§1), que sur un portefeuille de titres (§2).
245
GRANIER (Th.), TESTON (B.), op. cit, p. 56.
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), op. cit.
247
V. sur ce point que nous n’aborderons pas, ROBINE (D.), Le sort de l’agent des sûretés, Rev.
Proc. Coll., mai-juin 2003, n° 3, p. 69 et s.
246
77 §1) La fiducie-sûreté sur des créances :
93 -
Nous visons tout particulièrement ici la technique de la cession de type « Dailly »
de créances à titre de garantie - encore appelée cession fiduciaire248 - d’un emprunt249
ressemblant à s’y méprendre à la fiducie-sûreté sur des créances ; à ceci près que, la
convention de fiducie revêt l’avantage d’être ouverte à toute personne physique ou
morale tandis que la cession « Dailly » à titre de garantie n’est possible que pour les
établissements de crédit. De même, l'obstacle posé par l'arrêt du 19 décembre 2006250 à la
cession de créance non-professionnelle - subissant la requalification minorante de
nantissement - à titre de garantie pourrait être contourné par le recours à la fiducie.
Pour le surplus, cette dernière est un outil efficace de gestion du risque lié aux crédits251.
L’intervention d’un tiers fiduciaire est salutaire puisque sa neutralité permettrait d’éviter
toute confusion entre le patrimoine du créancier-bénéficiaire et les créances cédées à titre
de garantie ayant vocation, en principe, à retourner dans le patrimoine du débiteurconstituant.
Par ailleurs, l’efficacité du mécanisme de cession « Dailly » à titre de garantie à l’épreuve
d’une procédure collective du débiteur-cédant a été reconnue par la jurisprudence dès
avant la consécration par le législateur de la fiducie252. Cette solution vient tout
248
COQUELET (M.-L.), Entreprises en difficulté, Instruments de paiements et de crédit, Dalloz,
4e éd., n° 654.
249
V. art. L. 313-24 du CMF. À distinguer de la cession « Dailly » à titre d’escompte où le
cessionnaire (établissement de crédit) avance au cédant le montant des créances dont la propriété
lui est transférée et dont le paiement contribuera à assurer le remboursement ; Sur cette
distinction voy. COQUELET (M.-L.), op. cit., n° 654 et s. ; BONHOMME (R.), Instruments de
crédit et de paiement, L.G.D.J, 9e éd., n° 277. Notons que cette technique est de loin la plus
utilisée afin de garantir les prêts consentis par les établissements de crédit.
250
Com. 19 déc. 2006, n° 06-16.395 : La chambre commerciale de la Cour de cassation a refusé,
dans cet arrêt de principe, de reconnaître la validité d'une cession de créance non-professionnelle
à titre de garantie. Elle a requalifié le montage, qui pouvait être assimilé à une fiducie, en
nantissement de créance, ce qui fragilisait la situation du créancier en cas de procédure collective
du constituant. Depuis la loi de 2007, il est permis de penser que la fiducie désormais permettrait
de contourner cette interdiction posée par cette jurisprudence rendue antérieurement à la
consécration par le législateur de ce mécanisme.
251
GRANIER (Th.), TESTON (B.), op. cit., loc. cit.
252
V. en ce sens, Com. 7 déc. 2004, n° 02-20.732, RTD civ. 2005. 132, obs. MESTRE (J.) et
FAGES (B.) et Cass. com., 22 nov. 2005, n° 03-15.669 : « Mais attendu, en premier lieu, que,
même lorsqu’elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation d’un prix, la cession de
créance transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée (souligné par nous), qu’elle
78 récemment d’être confirmée s’agissant de la cession de créances de loyers futurs à titre de
garantie lors de l’épilogue de l’affaire Cœur Défense253.
94 -
Rappelons254 que dans cette affaire, le bordereau Dailly portait sur des loyers
présents et futurs du bailleur de l’immeuble HOLD. Suite à l’ouverture de la procédure
de sauvegarde à l’encontre du débiteur-cédant, le fonds de titrisation (FCT) bénéficiaire
du Dailly, a notifié ce dernier à l’ensemble des locataires de l’immeuble.
Le débiteur-cédant, par le biais de l’administrateur judiciaire contestant la validité de la
cession « Dailly », arguait, à titre principal, de ce qu’une cession de créances futures,
issues d’un contrat à exécution successive, était dépourvue d’effets dès lors qu’entre
temps une procédure collective - de sauvegarde en l’occurrence – était ouverte à son
encontre.
Entre autres arguments, il ajoutait à cela que le mandat d’encaissement, aux termes
duquel les créances devaient être encaissées au nom et pour le compte du créancierbénéficiaire par le débiteur, constituait un contrat en cours. Ainsi, à l’image du contrat de
mise à disposition pour la fiducie, il ne pouvait donc être résilié durant la période
d’observation de sorte que les créances de loyers futurs étaient nécessaires au débiteur en
marge de l’élaboration d’un plan de sauvegarde et devaient, ce faisant, demeurer dans son
patrimoine.
La cour d’appel de renvoi de Versailles a décidé de rejeter toutes les prétentions du
débiteur-cédant et en a profité pour confirmer la robustesse de cette sûreté. Précisément,
la Cour a estimé que le mandat était prévu par un contrat cadre – la cession « Dailly » qui lui était considéré comme un contrat en cours. Par suite, elle a considéré que ce
mandat confié par le créancier au débiteur-cédé était lui révocable durant la période
d’observation de sorte que les créances et les intérêts étaient immédiatement exigibles en
dépit de l’ouverture de la procédure de sauvegarde.
prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau et
que, étant sortie du patrimoine du cédant, son paiement n’est pas affecté par l’ouverture de la
procédure collective (idem) de celui-ci postérieurement à cette date. », D. 2006. Pan. 2855, obs.
CROCQ (P.), RTD Com. 2006. 169, obs. LEGEAIS (D.).
253
VERSAILLES, 28 févr. 2013, n° 12/02755, D. 2013, p. 829, note DAMMANN (R.) et
PODEUR (G.).
254
Concernant le rappel des faits v. supra n°s 61 et 62.
79 Cette solution rassure les établissements de crédit quant à l’efficacité de cette sûreté très
utile en cette période de conjecture afin de maintenir les financements des entreprises. Par
ailleurs, notons que, même si le bénéfice d’une cession « Dailly » est réservé
exclusivement à ces derniers, la Cour d’appel reconnaît à travers cette décision la
possibilité pour un fonds commun de titrisation de bénéficier d’un transfert de créances
elles-mêmes garanties par un bordereau « Dailly ».
95 -
Dans la lignée des multiples enseignements de cet arrêt, remarquons que si une
fiducie-sûreté sur les créances avait été constituée afin d’organiser la cession « Dailly »,
cela aurait permis d’éviter cette confusion en externalisant l’encaissement des créances
par l’affectation de ces derniers dans un patrimoine fiduciaire distinct de celui du
débiteur.
Néanmoins, au regard de l’argumentation développée par l’appelant dans l’espèce
précitée de l’affaire Cœur Défense, le mandat d’encaissement aurait-il pu être assimilé à
une convention de mise à disposition permettant au débiteur de conserver la jouissance
des créances échues et à échoir ?
Une réponse positive s’impose, dans la mesure où l’opération ne conduisait pas à affecter
les actifs cédés à titre de garantie dans un patrimoine fiduciaire distinct du débiteur en
raison de l’existence d’un mandat de recouvrement. On pourrait considérer qu’il aurait
conservé la possibilité d’user et de jouir de ces actifs. Autrement dit comme le souligne
un auteur, il pourrait donc conserver la « propriété économique » se traduisant par la
perception des loyers255. Les créanciers n’auraient donc pas pu, dans ces conditions,
bénéficier de la sûreté après l’ouverture de la procédure. À l’inverse, si les actifs
recouvrés par le débiteur-constituant avaient été affectés sur un compte particulier et
distinct contrôlé par un fiduciaire-tiers, la solution inverse s’imposerait : le créancierbénéficiaire aurait pu contourner les contraintes inhérentes à l’ouverture d’une procédure
collective.
255
DAMMANN (R.), op. cit., p. 79.
80 §2) La fiducie-sûreté sur des titres256 :
96 -
La fiducie-sûreté sur des titres permet de garantir un financement accordé par un
créancier par le biais des titres que détient le débiteur. Ici, nous observons que la fiducie
vise non plus des actifs uniquement matérialisés par des sommes d’argent et des intérêts
comme pour la fiducie-sûreté sur des créances, mais un pouvoir politique qui caractérise
traditionnellement une participation dans le capital d’une société en sus des dividendes.
Le schéma est le suivant : un débiteur-constituant affecte ses titres dans un patrimoine
distinct contrôlé par un fiduciaire afin de garantir un emprunt consenti par un créancierbénéficiaire.
97 -
D’une part, lorsque le fiduciaire se charge de voter et de percevoir les dividendes
indépendamment du contrôle du débiteur-constituant, on observe qu’aucun contrat de
mise à disposition n’est caractérisé. Par conséquent cette sûreté est efficace pour le
créancier en cas de procédure collective ouverte à l’encontre du débiteur.
D’autre part, si la marge de manœuvre du fiduciaire est limitée par le constituant ou le
bénéficiaire, c’est-à-dire s’il n’exerce pas les droits de vote et ne perçoit pas les
dividendes inhérents aux titres affectés, l’efficacité de la fiducie-sûreté peut se heurter à
des risques de requalification. Notamment le fiduciaire peut être considéré en tant que nupropriétaire des titres affectés257 et la fiducie comme un démembrement de propriété de
type usufruit, nue-propriété. Toutefois, cet écueil peut être contourné lorsque le fiduciaire
conserve les prérogatives liées aux titres affectés mais sous le contrôle soit du constituant,
soit du bénéficiaire. Ici, la souplesse remarquable de la convention de fiducie permet cela.
On peut imaginer que le constituant puisse donner des instructions de vote au fiduciaire
ou percevoir indirectement les dividendes. En sens inverse, le bénéficiaire peut percevoir
les dividendes ou influencer le vote du fiduciaire en cas de défaut de paiement du
débiteur.
256
Montage astucieux décrit par DAMMANN (R.) n’ayant pas encore été reçu par la
jurisprudence, cf. note précédente.
257
V. en ce sens, AYNES (L.), RLDC, mai 2009, 60, p. 65.
81 Cela semble concevable selon Monsieur DAMMANN258 mais pourrait se heurter une fois
de plus à une requalification de la fiducie en contrat de mandat comme le souligne le
professeur Laurent AYNES259. Pour notre part, nous estimons que le doute est permis.
En opportunité, ce mécanisme devrait être validé car il est de nature à favoriser les
intérêts des créanciers en leur assurant une forme de nantissement sur les titres qui
résisterait à l’ouverture d’une procédure collective. Cela d’autant plus, que l’article 2011
du C. civ. prévoit expressément l’utilisation de la fiducie comme un outil de constitution
de sûretés, alors on ne voit pas au nom de quoi il serait impossible de constituer une
fiducie-sûreté sur des titres. Cependant, il reste que le mécanisme encadrant cette
opération gagnerait en sécurité juridique s’il venait à être précisé par le législateur.
SECTION 2 : Le montage « Double Lux-co » :
98 -
Dans le prolongement de ce que nous avons exposé dans la section précédente, le
montage « Double Lux-co » a été imaginé par les praticiens afin de garantir aux
créanciers, dans le cadre d’une acquisition avec effet de levier, de pouvoir réaliser les
nantissements sur les titres du débiteur en cas d’ouverture d’une procédure collective260.
Concrètement le mécanisme est le suivant : une société holding de droit Luxembourgeois
« Lux-co 1 » détient une autre société holding de droit Luxembourgeois « Lux-co 2 » qui
elle-même détient à 100% une filiale située en France « French-co ». Pour garantir le
financement de la « French-co » en marge de son opération d’acquisition, les deux
sociétés luxembourgeoises nantissent leurs titres. Du côté des créanciers l’avantage est de
pouvoir réaliser ces sûretés si la filiale française venait à être en difficulté en vertu de
l’article 5 du règlement n° 1346/2000261 et cela même si une procédure collective est
ouverte au Luxembourg à l’endroit des sociétés Luxembourgeoises puisque le droit des
258
DAMMANN (R.), op. cit.
AYNES (L.), op. cit.
260
Voy. DAMMANN (R.) et LEVENANT (A.), percer le mystère du montage « Double Luxco », BJE, sept. 2009, n° 5, p. 268.
261
Aux termes duquel : « L’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel
d’un créancier ou d’un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles (…)
appartenant à un débiteur, et qui se trouvent, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le
territoire d’un autre Etat membre ».
259
82 procédures collectives Luxembourgeois permet la réalisation des nantissements sur titre
indépendamment de l’ouverture de la procédure.
99 -
Néanmoins, l’affaire Cœur Défense, encore une fois, a démontré la fragilité d’un
tel montage lorsque le COMI de la société Luxembourgeoise est déplacé en France de
sorte que le traitement de ses difficultés a été soumis à notre droit des entreprises en
difficulté… bien moins libéral que celui en vigueur au Luxembourg. Cela a permis
d’obstruer les droits des créanciers titulaires de nantissements sur les titres.
100 - Cette situation, nous permet d’établir un rapprochement avec l’éventuelle
utilisation d’une fiducie-sûreté sur des titres telle qu’imaginée par certains auteurs262.
Cette opération réalisée avec le seul concours du droit interne, permettrait d’une part de
faire l’économie d’un tel montage nécessitant au demeurant la concentration de moyens
très lourds et couteux pour l’emprunteur263 mais aussi d’autre part, de supprimer les
risques inhérents à une instrumentalisation à la fois du règlement n° 1346/2000 et de la
procédure de sauvegarde très protectrice pour les « Lux-co » 1 et 2. Le mécanisme si
astucieux et ingénieux soit-il est encore très peu utilisé par les banques. Elles paraissent
peu enclines à s’approprier un outil de constitution d’une sûreté certes robuste mais dont
le régime demeure encore à établir264. Dans l’attente d’une réforme en ce sens, le
montage « Lux-co » a encore un bel avenir dans le monde du financement structuré.
SECTION 3 : La subordination de créances
En somme dans le cadre de ce montage financier, la situation des créanciers peut
se résumer à la célèbre formule utilisée par Georges Orwell dans sa fable satirique ‘‘La
ferme des animaux’’ : « Tous les créanciers sont égaux mais certains sont plus égaux que
262
Cf. supra n°s 96 et 97.
DAMMANN (R.) et LEVENANT (A.), op. cit.
264
Ibid ; Cf. supra n° 97.
263
83 d’autres »265. Cela sous-entend une entorse au prétendu « sacro-saint » principe d’égalité
des créanciers266 posé par l’article 2285 du Code civil.
101 - À l’origine de ce type de financement dit structuré, la crise boursière de 1929 aux
Etats-Unis267. Cette technique est apparue afin de répondre aux besoins d’augmentation
de la surface financière, exprimés par des sociétés non cotées à Wall Street. Celles-ci se
sont vues bénéficier de l’octroi de financements par les établissements de crédits. Ces
financements étaient conditionnés par une clause de subordination stipulant qu’un
créancier junior (junior creditor) acceptait de subordonner le remboursement de sa
créance à celui d’un autre créancier (senior cerditor) avec l’accord de l’emprunteur. Suite
à l’efficacité que suscita cette technique durant la faste période du New Deal insufflée par
Roosvelt, elle s’exporta en Europe. Le premier LBO transnational d’origine française,
Impress Metal Packaging, réalisé en 1998 par les groupes français Péchiney et allemand
Viag, ainsi que le financement du Tunnel sous la Manche et sa restructuration en
1997/1998, sont deux exemples d’opérations de financement différentes ayant eu recours
à la technique de la subordination268.
Cette technique de structuration du passif d’une entreprise constitue pour plusieurs
raisons un élément important dans le cadre de projets à fort taux d’endettement,
industriels, ou d’infrastructures comme le financement du tunnel Prado-Carénage à
Marseille269, de titrisation de créances, voire même, et surtout, d’opérations d’acquisition
d’entreprise (notamment avec effet de levier ou LBO). C’est ce dernier aspect qui
retiendra notre attention au premier chef dans la suite de notre étude.
265
Pastiche par référence à « Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que
d’autres » employée par SENECHAL (M.) cité par LUCAS (F.-X.) in Colloque Lyon 3 : Le droit
des entreprises en difficulté à l’épreuve de la crise financière, rapport de synthèse, BJE, sept.
2012, n° 5, p. 336.
266
V. à ce propos, SENECHAL (M.) et COUTURIER (G.), Créanciers antérieurs : l’égalité a telle vécu ?, BJE, sept. 2012, n° 5, p. 328.
267
SEFKALI (Z.), Droit des financements structurés, préf. MATTOUT (J.-P.), éd. Revue Banque,
2004, p. 143.
268
SEFKALI (Z.), op. cit., p. 141.
269
V. SEFKALI (Z.), op. cit., p. 155 : Le financement avait une structure de financement
composée en partie de fonds propres, de titres subordonnés convertibles et d’un endettement
bancaire classique auprès d’un pool .
84 102 - Afin de traiter au mieux ce type de montage financier complexe structurant le
passif d’un débiteur, nous commencerons par présenter de manière succincte le
mécanisme général de la subordination de créances (§1) ainsi que l’intérêt d’y recourir ;
pour ensuite, étant donné le nombre très important de groupes LBO270 en difficulté depuis
la crise de 2008271, confronter cette technique de financement au droit des entreprises en
difficulté (§2).
§1) Le mécanisme général de la subordination de créances
103 - La France est l’un des rares pays à avoir légiféré en matière de titres subordonnés.
Un titre est ce qu’obtient un créancier en contrepartie de l’emprunt qu’il consent. On
recense un régime particulier attaché à chaque catégorie de créance subordonnée : les
créances nées de prêts participatifs272, de titres participatifs273 qui seront remboursées à
leurs titulaires après toutes les autres dettes mais qui seront toutefois remboursées avant
les titres subordonnés274 remboursables qu’après désintéressement des autres créanciers.
Au-delà de la création de régimes de subordination particulière par le biais d’instruments
financiers désignés légalement comme subordonnés par nature, plus récemment le
législateur a crée les titres super-subordonnés (TSS), classés par la doctrine dans la
catégorie des obligations émises par le débiteur en contrepartie d’un prêt275, dont le
régime figure à l’article L. 228-97 du Code de commerce. Ils permettent d’ériger des
conventions de subordination stipulant que le remboursement du nominal de ces valeurs
mobilières ne peut intervenir qu’après que tous les autres créanciers de la société, y
compris ceux titulaires de prêts ou titres participatifs, aient été désintéressés. Il s’agit de
270
Sur le mécanisme cf. infra n° 120 et s.
Voy. en ce sens, DESSUS (C.), LBO en difficulté : les signes qui ne trompent pas, Droit &
Finance, mai 2014 : http://www.salondesfusionsacquisitions.com/index.php?item=blog-fusionsacquisitions&type=post&name=lbo-en-difficulte-les-signes-qui-ne-trompent-pas.
272
Art. L. 313-13 et s. du CMF.
273
Crées par la loi du 3 janvier 1983 et figurent aux arts. L. 213-32 et s. CMF.
274
L. 339-7 CMF Abrogé par Ordonnance 2000-912 2000-09-18 art. 4 JORF 21 septembre 2000
275
V. en ce sens BORGA (N.), Titres super-subordonnés et plan de sauvegarde, BJE, juin 2010,
n° 6, p. 604 ; Toutefois, les titres super-subordonnés ne sont pas remboursables à échéance
comme les obligations classiques.
271
85 créanciers de dernier rang, les moins bien lotis, qui n’obtiendront remboursement de leurs
créances qu’à l’issue de la liquidation de leurs émetteurs, tout de même juste avant le
remboursement des apports des actionnaires. En cela les créances subordonnées se
rapprochent de l’apport en fonds propres.
104 -
Concrètement, il y a subordination lorsque dans une opération donnée, un
créancier, appelé « junior », consent à ne recevoir son paiement de l’emprunteur - ou du
groupe de l’emprunteur – qu’après qu’un autre créancier « senior » (établissements de
crédit emprunteurs classiques réunis le plus souvent dans le cadre d’un pool bancaire) ait
lui-même été payé intégralement. Toutefois, cette approche schématique se complexifie
lorsqu’au sein d’une classe de créanciers s’établit une subdivision. Dès lors, plusieurs
classes de créanciers plus ou moins « senior » ou plus ou moins « junior » - englobés
sous le terme générique de prêteurs mezzanine276 ou mezzaneurs277 - apparaissent pour
constituer un « millefeuille de dettes »278.
La subordination conduit donc à établir une véritable hiérarchie au sein de la masse des
créanciers, qui peuvent n’être que chirographaires mais aussi être garantis par une sûreté
réelle. En ce sens, elle se rapproche de la logique d’une sûreté établissant des privilèges
mais est plus large que cette notion en ce qu’elle n’établit pas seulement un rang en vue
de la répartition d’un prix mais concerne plus largement toute hypothèse de règlement
des créances qu’elle a vocation à régir279.
105 - Comme nous l’avons vu280, la subordination peut être d’origine légale lorsque la
loi prévoit que telle ou telle créance est subordonnée par nature. En outre, elle peut aussi
être d’origine contractuelle en vertu du principe de l’autonomie de la volonté tel qu’il
résulte des dispositions de l’article 1134 du Code civil. Certains pourraient s’offusquer
276
« Terme générique qui désigne tous les financements intermédiaires à mi-chemin entre les
capitaux propres et la dette » qui englobe entre autres les prêts subordonnés ; V. en ce sens,
RAIMBOURG (Ph.) et alii, Ingénierie financière, fiscale et juridique, Dalloz Action, 2006-2007,
p. 1008, n° 73.61.
277
Titulaires d’une dette mezzanine qui sera elle-même soit « senior », soit « junior » au sein de
cette catégorie.
278
LUCAS (F.-X.), La subordination des créances à l’épreuve de la procédure collective, Rev.
Proc. Coll. , mai-juin 2013, n° 3, p. 73.
279
Ibid.
280
Cf. supra n° 103.
86 d’une telle possibilité de déroger par la loi des parties au principe d’égalité entre les
créanciers. Néanmoins, il convient de leur rappeler que l’article 2285 du C. civ. permet
de déroger à ce principe lorsqu’il existe « des causes légitimes de préférence ». Nous
pourrions ainsi aisément ranger la subordination de créances dans cette catégorie de
causes légitimes. Par analogie, rappelons qu’il existe depuis longtemps un dispositif
légal281 permettant « par une cession d’antériorité, (à un créancier hypothécaire) de céder
son rang d’inscription à un créancier de rang postérieur dont il prend la place ».
Comme le décrit un auteur282, l’organisation d’une subordination de créances fait
intervenir dans la plupart des cas plusieurs contrats se mesurant « en kilo ou au mètre »283
permettant de régir cette opération en fonction du niveau d’engagement accepté par
chacun.
Ces contrats sont passés à la fois entre le débiteur et chacun des créanciers et entre les
créanciers eux-mêmes. En principe, deux types d’obligations forgent l’ossature de ces
conventions de subordination :
- Des obligations de ne pas faire à la charge du débiteur, à savoir de ne pas payer les
créances de rang inférieur tant que celles des créanciers « senior » ne l’ont pas été.
De même, pour les créanciers « junior » qui s’engagent à ne pas recevoir le paiement
de leurs créances tant que celles des créanciers de rang supérieur n’ont pas été
payées.
- Des obligations de faire à la charge des créanciers « junior », consistant à s’engager à
reverser aux créanciers de rang supérieur toutes sommes qu’ils auraient perçu en
violation du droit de priorité des créanciers « senior ». Il s’agit de clauses dites de
Claw back.
106 - Ces accords de subordination consentis par les créanciers de rang inférieur ne sont
pas dépourvus de contrepartie. En effet, l’intérêt pour les créanciers « junior » de
contribuer au financement du débiteur se matérialise par une rémunération, plus
importante que celle des « seniors », qu’ils sont en mesure d’espérer. Si le montant du
281
Art. 2424, al. 2 du C. civ.
LUCAS (F.-X.), op. cit.
283
FAGES (B.), La rédaction du contrat – Conseils pratiques, Lamy Dr. Contrat, mai 2010, n°
170-13.
282
87 nominal de la créance mezzanine est souvent inférieur à celui des créances « seniors », le
taux des intérêts dont bénéficieront les « juniors » sera quant à lui largement plus
important. En quelque sorte, le risque qu’ils consentent est compensé, causé284 par
l’existence d’une compensation pécuniaire proportionnelle à leur degré de priorité. En sus
de cette prime de risque, parfois, des titres représentatifs des créances subordonnées
donnant accès au capital de la holding, tels que les obligations convertibles en actions,
des bons de souscriptions d’actions ou des actions de préférence assorties ou non d’un
droit de conversion, sont remis au profit des mezzaneurs. Cependant, les actionnaires
repreneurs préfèrent quant à eux les emprunts obligataires à très fort taux d’intérêts, dits
high yield, dans la mesure où ils n’offrent pas aux prêteurs la possibilité d’accéder au
capital de la holding285.
En tout état de cause, les créanciers ont en commun la volonté de contribuer au
financement du projet du débiteur plutôt que de participer au capital de ce dernier.
Quelques soient les différentes motivations innervant les prêteurs de tous horizons, on
remarquera que les « seniors » s’attacheront invariablement à rapprocher, autant que faire
se peut, la situation des « juniors » des actionnaires de la société. Dans ce sens, ils
s’attèleront à prévoir des conventions de subordination les plus contraignantes possibles.
Inversement, les « juniors » tenteront naturellement de se rapprocher de la situation des
« seniors » dans la limite infranchissable du droit de priorité dans le remboursement
complet de la créance de ces derniers.
Au surplus, les seniors auront tout intérêt à éviter que les juniors ne déclenchent de
manière isolée une procédure de remboursement anticipée, une réalisation de sûretés ou
une action tendant à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société de
projet en cas de défaut de paiement de cette dernière au titre de la créance « junior » alors
que le projet est viable. Ainsi, il n’est pas rare qu’une période dite de standstill286 soit
négociée, période durant laquelle le prêteur renonce à exercer certains de ses droits contre
la société afin de permettre de trouver une solution dès avant l’ouverture d’une
procédure.
284
Au sens juridique de cause.
DESSUS (C.), op. cit.
286
Voy. SEFKALI (Z.), op. cit., p. 169.
285
88 Ce mécanisme est donc destiné à élargir les possibilités de financements en attirant
plusieurs types de prêteurs et, par là même, contourner le monopole bancaire des
établissements de crédit, lorsque l’endettement bancaire est insuffisant. Il permet aussi
tout particulièrement de reporter et d’étaler, autant que faire se peut, les échéances de
remboursement des dettes pour l’emprunteur.
107 - Le mécanisme général étant précisé, il convient de le confronter au droit des
entreprises en difficulté. Autrement dit, qu’en est-t-il de la solidité de ces montages
financiers, véritables berceaux de l’ingénierie contractuelle, dans le contexte d’une
procédure collective impactant un débiteur ? Le droit des entreprises en difficulté en tant
que droit impératif, d’ordre public économique, prend-t-il en compte ce type de
financements structurés, aux allures consensualistes, dans le cadre du traitement du passif
du débiteur ? Ces questions sont légitimes, on l’aura compris, compte tenu de la place
importante accordée aux contrats de subordination, matérialisant les intérêts de toutes les
parties au financement, et, subséquemment, à l’effet de relatif à l’égard des tiers.
§2) La subordination de créances et le traitement du passif du débiteur
en difficulté
108 - En dépit du caractère subordonné de certaines créances convenu par la commune
volonté des parties en marge du financement d’un débiteur lorsqu’il est in bonis, force est
de constater que, dès lors que ce dernier connaît des difficultés l’entraînant dans le
bouillon océanique d’une procédure collective, la situation s’avère plus délicate. Les
difficultés quant à la prise en compte de la structuration contractuelle du passif du
débiteur se présentent à deux stades de la procédure collective : lors de l’élaboration du
plan de sauvegarde ou de redressement (A) et lors du désintéressement des créanciers
(B).
89 A) L’élaboration du plan :
109 - En amont de l’élaboration du plan, c’est-à-dire lors de la consultation des comités
de créanciers, une constatation s’impose : avant la nouvelle réforme de 2014, la loi ne
permettait pas, en principe, de prendre en compte le caractère subordonné d’une créance.
Le droit de vote des créanciers n’était pas pondéré en fonction de leur rang
contractuellement prévu dans les conventions de subordination mais en fonction du
nominal de leur créance. Ce principe du nominalisme287 constituait une limite
considérable à l’efficacité de la subordination de créances dans le contexte d’une
procédure collective.
Notons que cette constatation milite en faveur de l’utilisation des procédures préventives
dans ce cas de figure pour peu que l’emprunteur ne soit d’ores et déjà en situation de
cessation des paiements ou à tout le moins qu’il n’y soit que depuis moins de 45 jours pour la conciliation. L’avantage sera indéniable, notamment dans le cadre d’un mandat
ad hoc, pour les créanciers « senior » puisque cela leur permettra de conserver leur
avantage dans la direction des événements via une renégociation des dettes sous l’égide
d’un tiers de confiance.
Dans le cadre d’une conciliation, l’injection de la new money, par certains créanciers
impliquera une renégociation des prêts et une restructuration du passif permettant de
recouvrer les dettes à l’aide de nouveaux emprunts en dehors de toute procédure
collective. Les créanciers contribuant à cette opération seront qualifiés de « super
senior » car en cas d’échec de la conciliation, ils détiendront une créance privilégiée au
titre du privilège de new money. Or, fréquemment l’unanimité requise pour obtenir un
accord de conciliation n’est pas atteinte. Ce qui conduira à l’ouverture d’une procédure
de sauvegarde (parfois accélérée) afin de contraindre les « juniors » s’opposant au projet
de conciliation à un accord du fait de règles de majorité moins contraignantes pour arrêter
un plan de sauvegarde (deux tiers du montant des créances détenues par les créanciers
ayant participés au vote). Cette situation sert souvent d’arme, de menace pour contraindre
287
LUCAS (F.-X.), op. cit.
90 les « juniors » récalcitrants en conciliation à accepter l’accord dès avant l’ouverture
d’une procédure collective.
Remarquons que l’articulation astucieuse de ces outils proposés par le législateur, à la
fois les procédures préventifs et la procédure de sauvegarde, a permis à de nombreux
groupes sous LBO de se restructurer rapidement288.
110 - Il n’en demeure pas moins que cette situation était contestable. En effet, il était
peu concevable que de manière paradoxale les créanciers « juniors » détiennent les
mêmes pouvoirs de décision au sein des comités de créanciers que les « seniors ». Cela
est d’autant plus discutable que leur pouvoir de vote peut être plus important lorsque le
montant du nominal de leur créance est plus élevé que celui des « seniors ». Cela conduit
à ce que le traitement des créances de ces derniers, soit décidé par les « juniors », ce qui
est en parfaite contradiction avec l’esprit même de la subordination conçue en vertu de
l’accord de volonté de l’ensemble des parties. Ces créanciers subordonnés qui ont
théoriquement perdu la valeur de leur investissement, conservent pourtant leur droit de
vote au sein des comités de créanciers.
C’est pour ces raisons qu’à l’occasion de l’affaire Thomson, une partie des droits de vote
des créanciers super-subordonnés avait été soustraite sur l’initiative de l’administrateur
judiciaire de la société confirmée en première instance par le tribunal de commerce de
Nanterre.
En l’espèce, la société Thomson avait émis des TSS à durée indéterminée le 23
septembre 2005, pour un montant nominal de 500 millions d’euros et cotés sur la Bourse
de Luxembourg.
Par la suite, un projet de plan de sauvegarde préparé avant l’ouverture de la sauvegarde
dans le cadre de la conciliation a été adopté à l’unanimité par les comités des créanciers
et des principaux fournisseurs de la société Thomson. Ce plan de sauvegarde prévoyait de
maintenir le droit au paiement du montant nominal des TSS, mais aussi de payer des
droits à intérêts d’une somme de 25 millions d’euros, correspondant à environ 6% du
nominal des titres.
288
V. la thèse de KHACHANI F., op. cit.
91 Conformément aux dispositions de l’article L 626-32 du Code de commerce, ce plan a été
soumis à l’assemblée unique des obligataires (l’AUO). Cette Assemblée, à laquelle
participaient lesdits porteurs des TSS, a alors limité les droits de vote des porteurs de TSS
à 6% du nominal de leurs titres, calculé sur la seul base de leurs droits à intérêts futurs.
Estimant avoir été indûment privés de leur droit de vote au sein de l’Assemblée, les
porteurs des TSS ont contesté la régularité de l’AUO ayant adopté le plan à la majorité de
98,77% du montant des créances obligataires.
Par jugement en date du 27 février 2010, le Tribunal de commerce de Nanterre a débouté
la demande des porteurs de TSS et a arrêté le plan de sauvegarde, en considérant, d’une
part, qu’il serait illogique d’attribuer aux porteurs de TSS des droits de vote
correspondant au nominal de leurs titres alors que celui-ci n’est remboursable qu’en cas
de liquidation de la société et à la condition que tous les autres créanciers aient été
remboursés, et, d’autre part, que les porteurs de TSS n’ont pas vocation à voter au sein de
l’AUO dès lors que le projet de plan ne modifiait pas les conditions de remboursement de
ce montant nominal.
Ce jugement n’a finalement pas été suivi par la Cour d’appel de Versailles, dont l’arrêt a
été confirmé par la Cour de Cassation289, mais seulement en ce qu’il privait de droit les
porteurs de TSS.
111 - Suite au dénouement de cette affaire, le législateur a décidé de réagir par la voie
de lois de circonstance très appréciées par notre droit. Tout d’abord, une loi du 22 octobre
2010, a introduit à l’article L. 626-5 et l’article L. 626-32 de Code de commerce, la
possibilité pour « le mandataire judiciaire (de ne pas) consulter les créanciers pour
lesquels le projet de plan ne modifie pas les modalités de paiement ou prévoit un
paiement intégral en numéraire dès l’arrêté du plan ou dès l’admission de leurs
créances ». L’article L. 626-30-2 in fine ajoute que ces créanciers ne prennent pas part au
vote au sein des comités. Cette règle est donc transposée aux créanciers membres des
AUO. Par conséquent, certains créanciers subordonnés auxquels aucun sacrifice n’est
289
Cass. com., 21 février 2012, n° 11-11693, Affaire Thomson–Technicolor SA ; Adde,
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Affaire Thomson-Technicolor : le clap de fin, BJE, 2012. 78.
92 demandé devraient ne pas pouvoir participer au vote. L’efficacité de la subordination de
créances lors de l’établissement du plan est donc quelque peu rétablie.
112 - En principe, l’absence de prise en compte des rangs de subordination au stade du
vote demeure la règle permettant aux créanciers subordonnés d’opposer une minorité de
blocage au sein des comités des obligataires conduisant à l’échec du plan, ou à son
adoption sous l’influence déterminante de certains « juniors » dont le montant nominal de
la créance est plus important.
Néanmoins, depuis la récente ordonnance du 12 mars 2014 modifiant article L. 626-30-2
alinéa 4 du Code de commerce, il est permis de penser que le législateur ouvre la voie de
la modulation des droits de vote en fonction des caractéristiques des créances (et non de
leur montant)290. En effet, il est prévu par l’article précité sous sa nouvelle forme que les
créanciers membres d'un comité doivent informer l'administrateur judiciaire de
l'existence de conventions de subordination, de conventions de vote, ou de conventions «
ayant pour objet le paiement total ou partiel de leurs créances par un tiers ». Et l’article
d’ajouter qu’il incombera à l'administrateur judiciaire de « soumettre à ce créancier les
modalités de calcul des voix correspondant aux créances lui permettant d'exprimer un
vote ». Ainsi, « une sorte de négociation pourrait s'instaurer avec les créanciers »291, mais
le texte garde le silence sur les critères permettant de déterminer le niveau des droits de
vote devant être attribués à tel ou tel créancier. Toutefois, en cas de désaccord, le texte
prévoit que le créancier ou l'administrateur peut saisir le président du tribunal statuant en
référé. Cela est de nature à accroître le contentieux autour de cette question et,
corrélativement, à ralentir l’adoption d’un plan.
On peut s’interroger sur l’opportunité d’une telle réforme qui n’est pas de nature à
stabiliser ce type de montages financiers très utilisé en pratique. Pourtant s’il est vrai
qu’une réforme du principe du nominalisme des créances s’imposait afin de réduire le
pouvoir excessif reconnu aux créanciers subordonnés au stade de l’arrêté du plan, la
proposition de Monsieur François-Xavier LUCAS292 était, nous semble t-il, plus
290
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers
résultant de l'ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014, p.752.
291
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), op. cit.
292
LUCAS (F.-X.), op. cit., p. 75.
93 séduisante et moins risquée. Elle consiste, en somme, à diluer l’influence des « juniors »
soit par la fusion des comités des établissements de crédit et des assemblées uniques des
obligatoires, soit par l’abandon de la majorité qualifiée des deux tiers pour passer à la
majorité absolue de 50 % des créances détenues par les créanciers. Cela permet de régler
le problème sans toucher au principe du nominalisme. D’autres auteurs suggèrent aussi
de prendre exemple sur les solutions retenues dans les pays voisins comme l’Allemagne
ou l’Angleterre ayant retenu un système de classes homogènes de créanciers traités
séparément et donc différemment293.
B) Le désintéressement des créanciers :
112 - L’objectif de base de toute structure de subordination est de fonctionner
correctement en cas d’insolvabilité de l’emprunteur. Cela impliquerait que le nivellement
établi ab initio entre les « seniors » et les « juniors » doit être pris en compte par le droit
des procédures collectives, tant dans un cadre liquidatif, c’est à dire au stade de la
répartition de l’actif, que dans l’exécution d’un plan.
113 - En cas de liquidation judiciaire de l’emprunteur, aucun texte ne prévoit
formellement la prise en compte des rangs de subordination préétablis. Les dispositions
du chapitre II du titre IV du livre VI du Code de commerce, concernant la réalisation de
l’actif en phase de liquidation, prévoient uniquement une répartition selon l’ordre des
privilèges classiques prévus par la loi et au marc le franc pour l’ensemble des
chirographaires. Aucune mention des accords de subordination entre les créanciers avant
l’ouverture de la procédure n’est prévue. Toutefois, nous rejoignons l’analyse d’un
auteur294 qui considère que le liquidateur es qualités de représentant du débiteur dessaisi
pourrait se voir opposer les clauses contraignantes stipulées dans les conventions de
subordination que ce dernier a conclu avec ses créanciers. Ainsi, les « seniors »
pourraient en empruntant cette voie faire valoir leur droit de préférence dans le cadre de
la réalisation des actifs.
293
294
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), op. cit.
LUCAS (F.-X.), op. cit.
94 Néanmoins, étant donné l’incertitude pesant sur l’efficacité du droit de priorité
contractuel des « seniors », ils ont tout intérêt à ne pas éluder et même, dirons-nous, à
renforcer les clauses de claw back obligeant les « juniors » à reverser au « seniors », hors
procédure collective, les sommes qu’ils auraient pu percevoir en méconnaissance de la
priorité de paiement instituée conventionnellement par les accords de subordination
conclus entre eux dès avant l’ouverture de la procédure.
114 - Le droit des entreprises en difficulté semble plus enclin à accueillir les
subordinations contractuelles lors de l’élaboration et l’exécution d’un plan. En effet
depuis la loi du 22 octobre 2010, l’article L. 626-30-2 alinéa 2 du Code de commerce
prévoit que le projet de plan « prend en compte les accords de subordination entre
créanciers conclu avant l’ouverture de la procédure ». Toutefois, si le respect de la
subordination est assez simplement concevable lorsqu’il s’agit de répartir les actifs du
débiteur en liquidation en priorité entre les mains des « senior » au détriment « juniors »,
« la prise en compte » - selon les termes mêmes de la loi - des accords de subordination
lors de la rédaction du projet de plan impose une analyse plus nuancée. En effet, l’article
précité est une disposition s’appliquant exclusivement aux plans arrêtés à l’issue d’un
vote des différents comités de créanciers. Autrement dit, a contrario lorsqu’un plan est
arrêté hors comités de créanciers, c’est le cas lorsque le débiteur ne satisfait pas aux
conditions de l’article L. 626-29 du Code de commerce295, les accords de subordination
ne peuvent être « pris en compte ».
Observons que la « prise en compte » de la subordination par la loi ne peut être étendue
aux projets de plan arrêtés indépendamment de tout vote des comités et ce selon nous
pour deux raisons.
D’une part dans l’esprit du législateur, compte tenu des conditions posées par l’article L.
626-19 du Code de commerce, l’adoption d’un plan par les comités est l’exception tandis
295
C’est-à-dire lorsque « les débiteurs dont les comptes ont été certifiés par un commissaire aux
comptes ou établis par un expert-comptable et dont le nombre de salariés ou le chiffre
d'affaires sont supérieurs à des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat sont soumis aux
dispositions de la présente section. Les autres dispositions du présent chapitre qui ne lui sont pas
contraires sont également applicables. (…) »
95 que le principe est l’arrêté d’un plan hors comité. Or, l’article L. 626-30-2 du Code de
commerce spécialement prévu dans le cadre du régime régissant l’arrêté d’un plan par les
comités n’est pas prévu dans le régime général de l’adoption hors comité. Par
conséquent, il n’y a pas lieu à notre sens d’étendre cette disposition dérogatoire.
D’autre part, signalons que des dispositions impératives prévues dans le régime général
gouvernant l’arrêté d’un plan sont en parfaite opposition avec les prescriptions de l’article
L. 626-30-2. Il en est ainsi, par exemple, de l’article L. 626-18 alinéa 4 du Code de
commerce préconisant l’adoption de délais uniformes par le tribunal aux créanciers ayant
refusé les propositions du débiteur et auxquels on impose des délais.
Cet article ajoute que « le montant de chacune des annuités prévues par le plan, à compter
de la troisième, ne peut être inférieur à 5% de chacune de créances admises ». Au regard
de la contradiction de ces dispositions avec l’article L. 626-30-2, il semble qu’il faille
décider que les accords de subordination seront dépourvus d’effet lorsqu’un plan doit être
adopté sans l’intervention des comités.
115 - En revanche, lorsqu’un plan est adopté suite à un vote des comités de créanciers,
l’article L. 626-30-2 du Code de commerce peut pleinement s’appliquer. Dans ce cas de
figure, le plan devra donc « prendre en compte » les accords de subordination. Cette
situation est plus favorable aux « seniors ». Cependant des difficultés subsistent quant à
la signification de l’expression « prise en compte ». Dans quelle mesure doit-on
considérer que les accords de subordination ont été respectés par le plan. L’essence même
de la subordination de créances est de permettre le désintéressement prioritaire d’une
certaine catégorie de créanciers à l’insu d’une autre.
Ainsi, il semblerait qu’il faille comprendre qu’un plan « prend en compte » une
subordination contractuelle dès lors que pris dans son ensemble, c’est-à-dire au regard
des délais et des remises consenties par les créanciers, il satisfait à un ordre de priorité
prévu par les accords antérieurs à l’ouverture de la procédure. Ceci implique-t-il
l’avènement d’une nouvelle classe de créanciers « ultra-privilégiés » au dessus de toutes
contraintes de délais et de remises inhérentes à un plan ?
Nous contestons cette analyse puisque par analogie et en dehors du particularisme lié au
traitement d’un passif structuré, même les créanciers munis des sûretés les plus efficaces
96 ne peuvent outrepasser la nécessité de consentir un délai de paiement et des remises de
créances au débiteur. La raison d’être d’un plan est de permettre à un débiteur de
bénéficier de délais et d’assurer de ce que « les intérêts de tous les créanciers sont
suffisamment protégés »296. À cet égard, l’article L. 626-30-2 du Code de commerce doit
être appliqué à l’aune des principes directeurs gouvernant l’élaboration d’un plan. Son
application sticto sensu est inconcevable voire même impossible au regard du principe du
nominalisme que l’on a précédemment évoqué, quoique ce dernier a été quelque peu
altéré par la récente réforme du début de cette année. Dans ce sens, on peut aisément
imaginer que les « juniors » bloqueront systématiquement l’adoption d’un plan qui
contreviendrait de manière trop ostentatoire à leurs intérêts en favorisant abusivement les
« seniors ». Ces derniers n’auront de toute façon aucun intérêt à se retrouver dans cette
situation, d’autant plus, qu’au final les conventions de subordination ont vocation à régir
les questions relatives aux priorités de paiement hors procédure collective.
116 - En définitive, la subordination de créances quoique précaire lorsque l’emprunteur
devient insolvable ou menace de le devenir compte tenu de la faible prise en compte de
ce montage financier par le droit des entreprises en difficulté, n’en demeure pas moins un
outil redoutable de nivellement des créances destiné à favoriser les « seniors ».
296
Cf. article L. 626-31 du C. com.
97 CHAPITRE 2 :
LES MONTAGES A FINALITE
SALVATRICE
117 - Parmi les multiples finalités d’un montage juridique à l’aune des difficultés que
peut subir une entreprise, la finalité salvatrice est la plus saine en ce qu’elle a pour
objectif de redresser l’entreprise au-delà du clivage débiteur/créanciers sans bien
évidemment les exclure. Ici, la priorité est de remettre à flot l’entreprise en stimulant sa
restructuration. La conception de montages vient au soutien d’un droit des entreprises en
difficulté entendu comme un outil de restructuration perfectible et non comme un simple
moyen de traitement du passif. Autrement dit, ces techniques, si différentes soient-elles,
ont en commun d’organiser la restructuration de l’entreprise en difficulté.
118 - Deux types de montages financiers peuvent être utilisés en pratique afin de sauver
une entreprise : le premier consiste à reprendre par voie de LBO une société cible dont
l’entreprise connaît des difficultés (§1). Cette dernière peut bénéficier indirectement des
effets de levier attendus dans ce type de technique d’acquisition. Cela permet, nous le
verrons, de stimuler le redressement de l’entreprise mais n’en demeure pas moins sans
risques (Section 1).
Le second conduit à utiliser la fiducie, que l’on a précédemment étudié, qui, parmi ses
multiples finalités, permet par un usage particulier, tant de prévenir en amont les
problèmes liés à la défaillance de l’entreprise que de les résoudre une fois survenus
(Section 2).
Lorsque la situation semble irrémédiablement compromise et afin d’éviter la liquidation
judiciaire, la cession de l’entreprise à un tiers, comme nous le savons bien, demeure la
solution à privilégier. Sont, a priori, exclus de cette possibilité les débiteurs ne pouvant
98 pas reprendre ni directement, ni indirectement297, leur propre entreprise. À cet égard,
certes l’intérêt de cette règle moralisatrice est indéniable, toutefois, nous déplorons la
rigidité de cette interdiction au regard de l’intérêt que présenterais une telle solution298.
Rigidité ouvrant la porte à l’utilisation de nombreux montages structurels frauduleux299
destinés à contourner cette interdiction. Toutefois, au-delà de la restructuration par la
cession de l’entreprise en difficulté, c’est une autre solution qui retiendra notre attention.
Il s’agit de la possibilité de céder la société en difficulté à ses créanciers par le biais d’une
conversion de créances en capital (Section 3).
297
Cf. art. L. 642-3 du C. com.
V. en ce sens, PIEUCHOT (S), Reprise interne : incompatibilité de principe et dérogations,
Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 81 et s : L’auteur souligne l’intérêt d’une reprise interne
qui ferait bénéficier le repreneur de l’expérience des anciens dirigeants. Il rappelle aussi qu’une
distinction entre un débiteur « honnête » ayant le droit à une seconde chance et le débiteur ayant
commis des fautes de gestion doit être établie à cet effet.
299
V. en ce sens DUBUCQ (C.), L’interdiction de la reprise de l’entreprise en difficulté par le
dirigeant et ses proches : entre ombre et lumière, AJIDA, 2012/2, p. 7 et s.
298
99 SECTION 1 : Le LBO comme technique de restructuration de
l’entreprise en difficulté
119 - Dans un souci de clarté, afin d’appréhender au mieux les enjeux de l’utilisation de
ce montage financier afin de restructurer une société, nous décrirons rapidement le
fonctionnement et l’intérêt du LBO (§1) puis son utilisation possible afin d’acquérir une
cible en difficulté (§2).
§1) Le fonctionnement d’un LBO et les effets recherchés
120 - Définition : Nous reprenons à notre compte celle utilisée par le professeur Didier
PORACCHIA : « Le Leverage buy out (acquisition avec effet de levier) est un montage
juridique permettant à un entrepreneur d'acquérir le pouvoir dans une entreprise, et plus
généralement une société, grâce à l'acquisition de la majorité des titres par
l'intermédiaire d'une structure qu'il contrôle et qui procède à l'acquisition souhaitée avec
ses fonds propres et divers emprunts. Les concepteurs d'une telle opération doivent
s'intéresser à la fois à chacun des actes qui la compose, mais également à la validité et à
l'équilibre de l'opération prise dans son ensemble »300. Il suppose la constitution d’un
holding, entité ad hoc de reprise301, s’endettant auprès d’un établissement financier et
utilisant le prêt pour racheter les titres de la société cible302.
121 - Les besoins de financements font intervenir à la fois des établissements de crédit,
les fonds propres des repreneurs et investisseurs, mais aussi des financements mezzanine
300
PORACCHIA (D.), La réception juridique des montages conçus par les professionnels du
droit, 1998, PUAM, p. 391, n° 660.
301
SEFKALI (Z.), op. cit., p. 446.
302
PORACCHIA (D.) , Recherches sur les montages conçus par les professionnels du droit, Th.
1997, Aix-Marseille, p. 391, n° 660.
100 ou subordonnés303. Afin de d’illustrer nos propos au mieux, nous utiliserons un schéma304
classique305 d’une opération d’acquisition avec effet de levier :
Pacte d’actionnaires Investisseurs financiers Direction/salariés Actions Apports en numéraire Société ad hoc d’acquisition (holding ou « Newco ») Actions Prêts juniors Newco achète les actions de la cible Créanciers « juniors » Conventions de subordination Apports en numéraire
/Prêts Paiement du prix de cession et acquisition Vendeur(s) Prêts « seniors » Etablissements de crédit Société cible 303
Sur la structure du passif et les créances subordonnés, cf. supra n°s 104 à 107.
Corps du schéma, que nous avons quelque modifié, emprunté à SEFKALI (Z.), op. cit., p. 447.
305
Il existe une infinité de variantes comme le LMBO (Leverage Management Buy Out) ou RES
(Rachat de l’entreprise par les salariés) consacrée par le législateur ; v. notamment, COZIAN et
alii, op. cit., p. 761.
304
101 122 - L’intérêt de l’utilisation de ce type de montage financier pour acquérir une société
cible est de profiter de trois types d’effets de levier.
D’une part, l’effet de levier juridique consistant premièrement à acquérir la moitié des
actions ou parts de la société cible, la quasi-totalité du capital voire même l’intégralité de
manière progressive. Ensuite, dans le prolongement, prenons un exemple un exemple
topique pour s’en convaincre : une acquisition porte sur 50% (plus 1) de la cible. Dans
l’hypothèse où le prix d’acquisition de cette dernière est de 100. L’acquisition se réalisant
par le biais de la société holding créée par les repreneurs, ces derniers n’auront plus qu’à
investir 25 dans le capital du holding qui est donc de 50 afin de prendre le contrôle de la
cible306. Une démultiplication du nombre de sociétés entre la Newco et la société cible
permet d’assurer le contrôle d’un groupe entier avec un nombre réduit d’actions.
D’autre part, un effet de levier fiscal, en permettant au couple holding/cible de bénéficier
de régimes fiscaux avantageux307.
Enfin, un effet de levier social est attendu par les concepteurs de LBO, il s’agit de
l’impact présumé du taux d’endettement et du montage de façon générale sur la
productivité du travail. L’idée se traduit par une forte implication managériale et salariale
par l’augmentation des performances308.
123 - La viabilité économique de ce montage et le débouclage du montage résultera de
la possibilité pour la cible de faire remonter à la holding des sommes (dividendes) de
nature à lui permettre de rembourser son endettement309. Ici, on aura compris que la cible
doit être en mesure de participer pour partie, sinon en totalité, au remboursement de
l’endettement massif du holding de rachat dépourvu d’activité et structurellement endetté.
306
V. en ce sens PORACCHIA (D.) et MERLAND (L.), in LBO (Acquisition avec effet de
levier », Rép. Soc. Dalloz, 2013, n° 5.
307
Sur ces questions nous renvoyons à COZIAN et DEBOISSY (F.), Précis de fiscalité des
entreprises, LexisNexis, 37e éd., 2013/2014, n °1779 et s ; Adde, PORACCHIA (D.) et
MERLAND (L.), op.cit., n°9 et s.
308
RAIMBOURG (Ph.) et alii, op. cit., p. 1003, n° 73.14.
309
V. concernant les différentes possibilités conduisant à cette objectif : PORACCHIA (D.) ,
Recherches sur les montages conçus par les professionnels du droit, Th. 1997, Aix-Marseille, p.
391, n° 660 et s.
102 En somme, le montage LBO permet à des investisseurs-repreneurs en engageant leur
patrimoine qu’à hauteur de leurs apports dans le holding de racheter une société « sans
bourse délier »310 tout en réalisant dans le même temps une belle plus-value. Il s’agit là
encore d’un des effets de levier dit financier attendu d’un montage LBO.
124 - Plus particulièrement, selon l'Association française des investisseurs en capital311,
les sociétés cibles susceptibles d’inciter des investisseurs à l’acquérir par l’utilisation
d’un LBO doivent présenter les caractéristiques suivantes :
-
« être financièrement saines, ce qui signifie qu'elles doivent dégager une
rentabilité significative et récurrente avec un réel potentiel de croissance
-
avoir des atouts et des avantages concurrentiels, qui se traduisent souvent par
des positions de leader ou de quasi-leader sur un marché ou sur un segment de
marché. Il doit exister une « barrière à l'entrée » contre l'arrivée rapide de
nouveaux concurrents ou contre des changements d'organisation du marché tant
du côté du fournisseur que de celui des clients ;
-
disposer d'un outil de production adapté, de façon à ce que la société, après
l'entrée de nouveaux actionnaires, ne soit pas obligée d'investir massivement, ce
qui aurait pour conséquence d'amoindrir l'effet de levier ;
-
présenter un modèle de croissance opérationnel dont le financement permette
cependant de dégager des cash-flows excédentaires et suffisants pour assurer le
remboursement de la « dette LBO » ;
-
disposer d'un savoir-faire transmissible ; - enfin, il est souhaitable que
l'entrepreneur vendeur n'entretienne qu'un faible intuitu personae avec les clients
de l'entreprise, laquelle ne doit pas être dépendante de l'un d'eux, de façon à
éviter que son départ de la société n'entraîne une diminution du chiffre d'affaires
de l'entreprise, ou que le départ d'un client ne remette en cause l'équilibre
financier de l'opération. »
310
Selon l’expression de PORACCHIA (D.), op. cit., p. 393, n° 663.
J.-L. GRANGE, R. MATUCHANSKY, H. MERAUD et T. GICQUEAU, LBO - Guide
pratique, 2003, AFIC, p. 14 cités par PORACCHIA (D.) et MERLAND (L.), op. cit., n° 33.
311
103 125 - Une fois ce constat dressé, prima facie, il apparaît peu évident, eu égard aux
critères draconiens susmentionnés, qu’une reprise de société « abritant » une entreprise
en difficulté puisse se faire dans le cadre d’un LBO et pourtant …
§2) L’acquisition avec effet de levier d’une société cible « abritant » une
entreprise en difficulté
126 - Le montage LBO permet aussi, par contrecoup, de dynamiser la cible. Il s’agit là
d’un facteur extrêmement important dans la mesure où l’efficacité de l’opération en
dépend. Ainsi, du fait même de la réalisation du LBO, la cible est amenée à se surpasser
afin d’accroître ses capacités à dégager des bénéfices. C’est pour cela que malgré tout,
l’acquisition avec effet de levier peut être un instrument au service de la restructuration
d’une entreprise en difficulté et ce à deux niveaux. La reprise d’entreprises en difficulté
par cette voie d’ailleurs été très utilisée durant les années 1990/2000. Il en a été ainsi de
la reprise de l’entreprise de décoration de cheminées René Brisach ou encore de la société
de distribution Tati, au cours des années 1995312.
127 - Tout d’abord, en amont, c’est-à-dire dès la survenance des premiers signes de
défaillance d’une entreprise présentant des atouts considérables, de par la place qu’elle
occupe sur un marché donné ou les perspectives de développement qu’elle permet
d’escompter. En effet, une acquisition avec effet de levier aurait un rôle préventif. Dans
cette hypothèse, l’endettement massif du holding a pour but non seulement de financer le
prix d’acquisition, qui serait négocié à la baisse étant donné la situation, mais aussi et
surtout de relancer - « booster » - l’activité de la société cible afin de la maintenir à flot et
lui permettre de régénérer rapidement du cash-flow afin d’actionner les effets de levier. Il
s’avère que la plupart des groupes ayant un certain nombre d’entreprises ont su identifier
leurs difficultés dès l’amorce de la crise, et ont pris rapidement des mesures adéquates
pour les pallier, passant la plupart du temps par des restructurations financières,
312
SAFKALI (Z.), op. cit., p. 449.
104 économiques et sociales leur permettant de résister à la crise et de poursuivre leurs
activités (ex : Monier, Terreal, groupe Partouche…)313.
Or, il s’avère qu’un grand nombre de ces entreprises étaient des groupes sous LBO. Cela
s’explique par l’efficacité de ce montage, qui fait que les premières difficultés peuvent
être rapidement identifiées et résolues tant que la situation financière de la cible est
remédiable.
128 - D’autre part, l’acquisition avec effet de levier pourrait avoir lieu après que soit
ouverte une procédure collective à l’encontre d’une cible. En effet, le régime légal
favorable entourant ces procédures314 peut rendre opportun l’acquisition de la société
cible débitrice faisant l’objet d’un plan de sauvegarde ou de redressement par voie de
continuation. Encore une fois, cela passera au préalable par des audits permettant de
rassurer le repreneur sur la célérité du rétablissement. Le poids de la dette réaménagé
dans ce type d’opération ne doit pas être trop important. Dans cette opération, les
emprunts contractés pour la cible, afin d’accélérer le remboursement de ses créanciers
prévu par le plan, devra être suffisamment structuré afin d’éviter que les premières
échéances de remboursement n’interviennent avant que celle-ci ne produise les revenus
nécessaires à leur remboursement315. Les créanciers opérationnels de la cible occuperont
une place primordiale et leur désintéressement rapide sera prioritaire316 puisqu’ils sont les
véritables créateurs de richesse, surtout pour le holding.
129 - Autre hypothèse appelant une identité de moyens pour y parvenir : on peut
imaginer monter un LBO dans l’optique d’acquérir une cible dans le cadre d’un plan de
cession totale ou partielle d’une entreprise en difficulté. Ici, il faut absolument éviter la
confusion entre cession d’entreprise et acquisition de société. La société cible de notre
313
DESSUS (C.), op. cit.
Gèle des paiements des créances antérieures, arrêt des poursuites individuelles, etc…
315
PORACCHIA (D.), MERLAND (L.), op. cit., n° 34.
316
BOURBOULOUX (H.), administrateur reconnue notamment pour avoir été au chevet
d’entreprises comme Saur ou Pétroplus, évoque la « seniorité naturelle » de ces créanciers :
citation de PEROCHON (F.), Colloque Caen : Les montages juridiques au service et à l’épreuve
des procédures collectives. Rapport de synthèse, Rev. Proc. Coll, mai-juin 2013, n° 3, p. 85.
314
105 montage sera le cessionnaire du plan de cession et non le cédant-débiteur. L’objectif sera
de permettre à celui-ci à travers l’endettement massif inhérent à une acquisition avec
effets de levier de faire face à ses obligations relatives au plan de cession arrêté par le
tribunal317. Le bénéfice d’un régime gouvernant le plan de cession, très avantageux pour
le cessionnaire318 notamment sur le plan fiscal319, servira à faciliter la réussite de
l’opération. En effet, en principe, les bons résultats de la cible ne se feront pas attendre et
permettront une remontée rapide des dividendes à la holding.
130 - Toutefois, de nos jours, il convient de tempérer la démonstration de l’efficacité de
ce montage financier puisqu’en pratique le LBO constitue plus un problème qu’une
solution en procédure collective. Dans la plupart des cas, lorsqu’on évoque les LBO à
l’aune du droit des entreprise en difficulté, c’est pour constater les grandes difficultés que
subissent bon nombre de holdings confrontés au remboursement de leurs créances
subordonnées320 et ayant maille à profiter des effets de levier en raison du contexte de
conjecture économique ralentissant l’activité des cibles.
317
Les obligations de reprises des contrats nécessaires à la poursuite de l’activité au sens de
l’article L. 642-7 C. com., le maintien d’un certain nombre d’employés tel que convenu dans le
plan, ainsi que les obligations liés au transfert de la charge des sûretés grevant les biens cédés
impliquant sous certaines conditions leur désintéressement conformément à l’article L. 642-12 du
C. com.
318
Le plan de cession présente, en principe, l’intérêt de déroger au principe de la transmission
universelle du patrimoine, seul les actifs sont cédés en règle général. Au surplus, le prix de
cession n’est pas un élément primordial et sera le plus souvent dérisoire. Enfin, le cessionnaire
peut choisir le périmètre de reprise des biens cédés.
319
Plusieurs régimes d’incitations fiscales à la création d’une société aux fins de reprendre une
entreprise en difficulté ne doivent pas être négligés, par exemple une exonération d’impôts sur les
sociétés durant vingt-quatre mois sous réserve de remplir certaines conditions fixées à l’article 44
septies du CGI.
320
Sur le mécanisme à l’épreuve des procédures collectives cf. supra n° 103 et s.
106 SECTION 2 : La fiducie : un outil original de gestion du risque
d’insolvabilité en amont et de sauvetage de l’entreprise en aval
131 -
Une nouvelle fois nous évoquons la fiducie : cet outil aux multiples facettes
permettant de réaliser des montages ingénieux et profitables à leurs concepteurs dans le
contexte des procédures collectives. Parmi les attraits indéniables de cet instrument, dont
la portée se forge au gré de son utilisation en pratique, soulignons son utilisation
salvatrice et même, dirons-nous, pacificatrice en ce qu’elle permet de contenter
l’ensemble des parties à une procédure collective ! Ce qui est en soi un exploit …
132 - Les exemples que nous décrirons ci-après font suite aux nombreux retours
d’expérience des praticiens des procédures collectives véritables croisés ventant les
bienfaits de la fiducie à la communauté des juristes.
Qu’à cela ne tienne, son utilisation inexorablement efficace comme technique de
sauvetage de l’entreprise se vérifie à deux stades : à titre préventif avant toute procédure
préventive ou collective (§1) et lorsque les premiers signes de difficulté conduisent
l’entreprise, par exemple, à une procédure de conciliation (§2).
§1) La fiducie en tant qu’outil de gestion du risque d’insolvabilité321 :
133 - L’adage populaire « mieux vaut prévenir que guérir » s’applique tout aussi bien
dans la vie quotidienne que dans le monde des affaires. La prévention est un idéal que le
législateur de 2005 a tenté, bon gré mal gré, de matérialiser au travers de l’instauration
d’outils de prévention destinés à endiguer les difficultés dès leur apparition, tel que le
mandat ad hoc et la conciliation. Toutefois, la réussite somme toute relative de ces
techniques légales à parfaire, nous montre combien il est important de prendre les
problèmes à « bras le corps » et à la source dès leurs manifestations.
321
V. en ce sens l’étude réalisée par GRANIER (Th.) et TESTON (B.), op. cit.
107 134 - En outre, une deuxième acception du mot « prévention », conduit à un idéal
encore plus difficile à atteindre dans la vie des affaires qui est celui d’éviter que ces
problèmes ne surgissent. L’enjeu est majeur en droit des entreprises en difficulté.
En effet, la prise de risque est évidemment indispensable lorsqu’il s’agit d’entreprendre,
elle constitue même pour certains auteurs un acquis fondamental322. Alors, pour éviter
que la prise de risques ne conduise les plus téméraires sur les bancs des tribunaux
consulaires, la fiducie constitue une technique ingénieuse.
135 - À cet effet, à l’occasion d’un colloque organisé par l’Institut de droit des affaires
d’Aix-Marseille323, un avocat, Maître TESTON, nous avait présenté l’utilité
insoupçonnable de la fiducie en pratique :
Tout d’abord, elle est utilisée afin d’éviter tout risque de déconfiture des sites de paris en
ligne. En effet, l’expérience outre-Atlantique avait marqué la fragilité de ces sites ne
parvenant pas à rembourser les utilisateurs assoiffés de sensations fortes. Alors, pour
parer à cette éventualité, l’autorité française de régulation des jeux en ligne (l’ARJEL),
oblige les plates-formes de jeux en ligne à constituer un patrimoine d’affectation au sein
duquel sont « sanctuarisés » des actifs détenus par un fiduciaire indépendant, échappant
par là même au contrôle des constituants. Plusieurs particularités sur le plan
fonctionnel324 caractérisent ces fiducies à mi chemin entre fiducies-sûretés et fiduciesgestion.
136 - Dans le même sens mais moins en amont, la fiducie a pu être utilisée pour
débloquer la crise sociale en gestation, relayée très largement par la grande presse,
consécutive aux difficultés subies par le groupe suisse Pétroplus et, plus particulièrement,
au redressement judiciaire subi par une de ses filiales française détenant le site de
raffinerie de Petit-Couronne325.
322
BARBIER (H.), La liberté de prendre des risques, PUAM, 2011.
Colloque « Patrimoine et procédures collectives » du 18 octobre 2013.
324
V. en ce sens, GRANIER (Th.) et TESTON (B.), op. cit.
325
TESTON (B.) et BRUN (Th.), Actualité de la fiducie, mai 2012, n° 5, Revue du cabinet
Jeantet et Associés :
http://www.jeantet.fr/public/file/Actualit%C3%A9%20de%20la%20fiducie%20n%2015%20%28
2%29.pdf. ; Sur les faits de cette affaire médiatisée cf. infra n° 198.
323
108 Suite à des menaces de la part de certains créanciers de cette dernière, l’exécution du plan
de redressement arrêté par le tribunal semblait irrémédiablement compromise. Dans le
même temps, le blocage du site de raffinerie par les salariés mécontents compromettait
les chances de cession de l’entreprise.
C’est dans l’optique de dénouer ce conflit qu’une fiducie-gestion326, d’une affligeante
simplicité, a été imaginée par les praticiens. Celle-ci consistait en substance à transmettre
la propriété des stocks pétroliers du site de Petit-couronne dans un patrimoine
d’affectation géré par une entreprise spécialisée dans la fiducie, en l’occurrence Equitis.
Ce fiduciaire avait pour rôle de revendre lesdits stocks par le biais d’entreprises de
négoce de produits pétroliers, désignées par le contrat de fiducie. Les revenus de ces
ventes étaient, quant à eux, destinés à alimenter un fonds (une deuxième fiducie de type
fiducie-sûreté) géré par les organisations syndicales dans le but de garantir les éventuelles
conséquences sociales du redressement en cours327. Ici, remarquons que la fiducie a été
utilisée pour démêler une situation sensible, sur fond de procédures collectives, en
garantissant à chacune des parties que la négociation sera « win-win »328.
§2) L’utilisation de la fiducie comme outil original de sauvetage de
l’entreprise :
137 - La fiducie permet aussi d’apporter des solutions lorsque les problèmes se
présentent en phase de conciliation ou de sauvegarde. Durant cette phase certains
créanciers disposant d’un privilège spécial dit de new money font leur apparition. Il s’agit
de ceux qui apportent leur contribution en prêtant des fonds au débiteur durant la
conciliation. Ceux-ci, occupent une place de privilégiés par rapport à l’ensemble des
créanciers en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement
judicaire consécutivement à une conciliation en vertu de l’article de l’article L. 622-17 du
Code commerce329. Toutefois, étant donné la relativité de ce privilège330, les apporteurs
326
Art. 2011 et s. du C. civ.
Ibid.
328
« gagnant-gagnant ».
329
Les créances de new money figurent sont au même titre que les créances salariales et celles
nées des frais de justice parmi les premières dans le rang des créances établit par cet article.
327
109 en new money sont peu enclins à consentir des efforts au débiteur sans aucune sûreté
complémentaire. Ainsi, l’affacturage et la cession « Dailly » sont deux sûretés, plus
efficaces que les sûretés classiques (ex : le nantissement), sont fréquemment exigées par
les établissements de crédit331. Parallèlement, la fiducie-sûreté non assortie d’une
convention de mise à disposition peut aussi être un outil d’une résistance remarquable
aux procédures collectives ainsi que nous l’avons évoqué précédemment332. Elle peut
donc, à ce titre, être utilisée par le débiteur afin d’assurer aux apporteurs d’argent frais un
droit d’exclusivité dans la réalisation de la sûreté.
138 - Par ailleurs, l’utilisation de la fiducie-sûreté, en tant que garantie efficace pour les
banquiers dispensateurs de crédit, peut aussi être utilement couplée avec celle d’une
fiducie-gestion afin de permettre le sauvetage d’un groupe de sociétés333.
La seconde fiducie permet de faire gérer le free cash flow ou flux de trésorerie
disponible334 d’une ou des sociétés du groupe par un fiduciaire dont l’indépendance et la
neutralité la plus absolue sont requises à cette occasion. De cette manière, ce dernier
distribuera les sommes générées par ce free cash flow à l’ensemble des bénéficiaires
selon une clé de répartition objectivement fixée par les parties.
L’avantage de l’utilisation combinée de deux fiducies pour les établissements de crédit
apporteurs de new money en conciliation est, d’une part, de se prémunir contre
l’évaporation des fonds avancés au débiteur, sans être accusé d’immixtion dans la gestion
330
En effet, l’article L. 622-17 du Code de commerce, prévoit notamment que le super-privilège
des salariés prime sur le privilège du new money.
331
DAMMANN (R.), L’utilisation de la fiducie comme technique, Rev. Proc. Coll., mai-juin
2013, n° 3, p. 80.
332
Cf. sur la fiducie-sûreté supra n° 88 et s.
333
V. en ce sens, DAMMANN (R.) et VALDMAN (D.), Sauvetage d’un groupe de sociétés grâce
à une double fiducie, Gaz. Pal., 28 Juill. 2011, n° 209, p. 5 : à propos de la conciliation d’un
groupe de SCI. L’association des deux types de fiducie permet de contrôler la gestion des fonds
avancés.
334
Qui revient « aux pourvoyeurs de fonds de l'entreprise qui ont ainsi financé l'actif
économique, c'est-à-dire les actionnaires et les créanciers. Ces flux de trésorerie disponibles leur
sont versés sous forme de remboursement de l'endettement et d'intérêts (pour les créanciers), de
dividendes et de réduction de capital (pour les actionnaires) » : Lexique financier du journal Les
Echos.
http://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_flux-de-tresoreriedisponible.html?p6GA0HJ8vqvgkuel.99.
110 du débiteur335 et, de l’autre, de disposer d’une sûreté efficace en cas d’ouverture d’une
sauvegarde ou d’un redressement.
SECTION 3 : La conversion de créances en capital :
139 -
Il s’agit de la situation dans laquelle un créancier va devenir l’actionnaire de la
société. La conversion de créance en capital peut être proposée, soit par le débiteur afin
de réduire son endettement et renforcer ses fonds propres, soit par les créanciers euxmêmes dans l’optique d’obtenir le contrôle de la société en diluant la participation des
actionnaires existants et injecter par la suite de l’argent frais. Ainsi, cette technique
consacrée par le législateur permet de restructurer le passif du débiteur de manière
efficace.
140 -
Ici encore une fois, il convient de distinguer deux situations dans lesquelles cette
opération peut avoir lieu.
En amont, tout d’abord, c’est-à-dire lorsque la société laisse apparaître les premiers
signes « avant-coureur » d’une défaillance probable sur le terrain du droit commun des
sociétés336.
Elle peut aussi avoir lieu dans le cadre des projets de plan soumis au vote des comités de
créanciers ou à l’assemblée des obligataires depuis l’ordonnance n° 2008-1348 du 18
décembre 2008, à condition toutefois, que la société défaillante soit une société par
actions dans laquelle « tous les actionnaires ne supportent les pertes qu’à concurrence de
leurs apports »337.
335
DAMMANN (R.), op. cit., loc. cit. : L’auteur souligne que cela permet de garantir le créancier
contre cet écueil puisque l’indépendance du fiduciaire et l’établissement de ratios objectifs
gouvernant la répartition des fonds affectés sont de nature à exclure la responsabilité du créancier
au titre de l’article L. 650-1 du Code de commerce.
Nous ajouterons que cela permet aussi d’échapper à la qualification de dirigeant de fait et d’éviter
par là même à la responsabilité pour insuffisance d’actif prévue aux articles L. 651-1 et s. C. com.
(cf. infra n° 205 s.).
336
Art. L. 225-128 du C. com. : « Les titres de capital nouveaux (…) sont libérés (…) par apport
en numéraire y compris par compensation avec des créances liquides et exigibles sur la société
(…) ».
337
Cf. arts. L. 626-30-2 et L. 626-32 du C. com.
111 Depuis la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, cette conversion peut aussi avoir lieu
hors comité sans aucune restriction posée quant à la forme de la société débitrice338. C’est
le deuxième cas de figure qui retiendra notre attention.
141 - De ce constat dressé, découlent deux observations.
D’une part, hors procédure collective ouverte à l’encontre du débiteur, les créanciers
séduits par les sirènes de la reprise de leur débiteur ont donc la possibilité d’échanger de
manière consensuelle339 leurs créances contre des actions ou des titres de participation (y
compris les actions de préférence dépourvus d’un quelconque pouvoir politique).
L’avantage est double : pour le débiteur cela permet de restructurer immédiatement son
passif, pour le créancier de contribuer à l’amélioration rapide de la situation de
l’entreprise lui permettant en retour d’en bénéficier.
Concernant, les débiteurs l’objectif est de convaincre les créanciers de la nécessité de
restructurer le passif et des perspectives de retour à meilleure fortune. Pour ces derniers,
ils doivent, au-delà des problématiques classiques posées par le droit des sociétés340,
mesurer les risques de l’ouverture d’une procédure collective postérieurement à leur prise
de participation dans le capital de la société en difficulté341. Ils pourront dans ce cas être
la cible de plusieurs actions342. De ces perspectives découleront les modalités de la
conversion des créances.
142 -
D’autre part, notons qu’une conversion de créances peut être imposée aux
créanciers minoritaires d’un des comités ou de l’assemblée des obligataires, si le plan,
338
Cf. art. L. 626-5 du C. com.
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), La conversion de créances dans les entreprises en
difficulté, BJS 2009. 1129.
340
Si la société est cotée, en matière de droit boursier : déclarations de franchissements de seuils,
obligation de lancer une offre publique ; ou encore l’existence de clauses contraignantes dans des
pactes d’actionnaire de nature à faire naître un blocage de la société
341
Une conversion de créance peut être annulée lorsqu’elle à lieu en période suspecte : elle est
requalifiée, par exemple, en mode de paiement anormal au titre l’article L. 632-1, I, 4° du C. com.
De plus, les dividendes perçus par le créancier devenu actionnaire peuvent aussi être annulés si le
débiteur était en cessation des paiements (art. L. 632-2 C. com.).
342
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), op. cit. : Les auteurs exposent les différentes possibilités
d’actions, tel que celles encourues en cas d’immixtion caractérisée du créancier dans la gestion de
l’entreprise (art. L. 650-1 du C. com.) mais aussi les actions classiques auxquelles doit faire face
le débiteur comme la responsabilité en cas de faute de gestion.
339
112 incluant cette possibilité, proposé par le débiteur fait l'objet d'un vote favorable au sein de
chaque comité puis est adopté par le tribunal343 conformément à l’article L. 626-30-2 du
Code de commerce. Cette disposition apparaît comme une énième atteinte à l’affectio
societatis, facilitée de surcroît par la souplesse de la règle exigeant que, dans chaque
comité, le plan imposant la conversion soit adopté à la majorité des deux tiers des
créances détenues par les créanciers participant au vote du plan344.
Dans le même temps et assez paradoxalement, malgré la récente réforme de 2014345
donnant la possibilité aux créanciers de présenter un projet de plan alternatif à celui du
débiteur346, il n’est pas possible d’imposer une modification du capital aux actionnaires
sans leur consentement dans le cadre d’une assemblée générale conformément au droit
commun347.
143 - Soulignons que la possibilité d’imposer une conversion est bénéfique du point de
vue de la restructuration du passif. Il s’agit en quelque sorte d’un abandon forcé de la
créance du créancier, en contrepartie, les perspectives de sauvetage de l’entreprise
constitueront pour lui une sorte de clause de retour à meilleure fortune348. Au surplus, le
créancier, bien que récalcitrant, pourra participer activement aux délibérations sociales de
la société, si tant est que l’action obtenue ne soit pas préférentielle, et ainsi imposer des
décisions à son débiteur. À cet égard, il pourra, surtout, augmenter sa participation afin de
contribuer au redressement de l’entreprise sans y être, toutefois, contraint349.
343
Le tribunal n’est pas lié par la décision des comités et de l’assemblée unique et vérifie à la
lumière des observations du mandataire, en vertu de l’art. L. 626-31 du Code de commerce, que
les intérêts des créanciers sont suffisamment protégés.
344
Avant l’ordonnance du 18 décembre 2008, à cette règle s’ajoutait celle de la majorité par tête.
345
Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 ; V. en ce sens, DAMMANN (R.) et PODEUR
(G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers résultant de l'ordonnance du 12 mars
2014, D. 2014, p. 752.
346
Art. L. 626-30-2 modifié c. com. Relevons que les membres de l'assemblée unique ne
bénéficieront pas de cette possibilité de présenter un plan concurrent.
347
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers
résultant de l'ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014, p. 752 ; cf. infra n° 144.
348
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), La conversion de créances dans les entreprises en
difficulté, BJS 2009. 1129.
349
Ibid. En conformité avec le droit commun puisque l'article 1836 du Code civil pose le principe
général selon lequel on ne peut augmenter les engagements d'un associé contre son gré, c'est-àdire « aggraver la dette contractée par [lui] envers la société ou envers les tiers »
113 Néanmoins, cette conversion forcée n’est possible que lorsqu’il existe des comités de
créanciers350. Ainsi, seuls sont concernés les créanciers membres du comité des
établissements de crédit et assimilés, du comité des principaux fournisseurs, ou de
l'assemblée générale unique des obligataires, à l’exclusion des créanciers hors comités.
Pour ces derniers, la conversion ne peut leur être imposée puisque le mandataire judicaire
doit recueillir leur avis au préalable, l’absence de réponse valant refus351. On voit donc
que dans cette hypothèse le législateur refuse d’imposer à un créancier de devenir associé
dans une société ayant des difficultés financières sans que ce dernier ait expressément
manifesté sa volonté.
144 - S’agissant, de la conversion de créance en capital au détriment de la volonté des
actionnaires, le projet d'ordonnance, soumis à consultation publique durant le mois de
décembre 2013, prévoyait initialement qu’en redressement judiciaire, uniquement, une
possibilité d'imposer la cession des titres de l'actionnaire majoritaire à des tiers
s’engageant à recapitaliser l'entreprise serait possible352. Cette innovation a disparu de la
version finale. Ne subsiste aujourd'hui qu'une possibilité, très limitée - voire illusoire -,
d'imposer à l'actionnaire une dilution de sa participation353.
145 - En effet, les créanciers désireux d’obtenir une participation dans le capital du
débiteur, afin d’écarter certains actionnaires par voie de dilution, puis, subséquemment,
participer au sauvetage de l’entreprise en injectant de la « new money » postérieurement à
la conversion, ne peuvent en principe forcer leur introduction dans le capital de la société
en difficulté contre le gré des actionnaires.
350
Lorsque les conditions posées par les articles L. 626-29 et R. 626-52 du Code de commerce
sont remplies.
351
Art. L. 628-18 du C. de commerce.
352
Art. 35, 3° du projet d’ordonnance :
http://www.blogavocat.fr/sites/default/files/fichiers//REPUBLIQUE%20FRANCAISE.pdf.
353
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers
résultant de l'ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014, p. 752.
114 Cette situation, bien que déplorable en ce qu’elle n’est pas nuancée, s’explique de ce que
la règle générale en matière d’augmentation de capital oblige qu’une assemblée générale
l’autorise au préalable354.
Pourtant, elle n’en en demeure pas moins critiquable car elle s’oppose à un moyen
supplémentaire de restructuration de l’entreprise en difficulté. Par opposition, le droit
américain, par exemple, permet aux créanciers d’une entreprise défaillante de procéder à
une prise de contrôle hostile du débiteur par le biais d’une conversion de créance imposée
aux actionnaires355.
146 - À l’évidence, hormis la réalisation des sûretés consenties sur les titres356, lorsque
celles-ci résistent à l’ouverture d’une procédure à l’encontre du débiteur357, le créancier
peut difficilement contraindre les actionnaires à accepter une conversion de sa créance en
capital. Il reste, néanmoins, la possibilité de provoquer un « coup d’accordéon » dont le
principe a été validé par la jurisprudence358.
Cette technique consiste à imputer les pertes comptables de la société en difficulté, cela
entraînera une réduction du capital à zéro impliquant une annulation des actions
existantes359. Par la suite, une émission d’actions nouvelles par apport en numéraire
entraînera une ré-augmentation du capital et l’apparition corrélative de nouveaux
actionnaires. Cependant, force est de constater que les actionnaires soucieux de voir leur
participation diluée s’opposeront à cela.
À ce titre, le texte définitif de l'ordonnance de 2014 fait un premier pas dans cette
direction. En effet, il est prévu que, dans le cadre d'un redressement judiciaire,
l'administrateur judiciaire peut demander la désignation d'un mandataire de justice chargé
de convoquer l'assemblée des actionnaires et de voter, à la place « du ou des associés ou
354
Art. L. 225-129 du C. com ; l’article L. 626-3 du C. com. ne fait qu’appliquer cette règle du
droit des sociétés à l’augmentation de capital en marge de l’élaboration d’un plan.
355
Il s’agit du mécanisme de debt equity swap, V. en ce sens, FARGUES (M.), La conversion de
créances en capital, mémoire sous la dir. de GERMAIN (M.), mai 2011, Univ. Paris II PanthéonAssas, p. 43 et s.
356
Dont l’utilisation est d’usage dans le cadre des LBO.
357
Seules les cessions Dailly à titre de garantie voire dans une autre mesure la fiducie-sûreté sur
les titres comme nous l’avons évoqué précédemment (cf. supra n° 96 et s.). Les pactes
commissoires et autres nantissements sur les titres sont inefficace durant la période d’observation.
358
Cass. com., 17 mai 1994, n° n° 91-21.364, Dr. sociétés 1994, comm. 142, note LE
NABASQUE (H.).
359
COZIAN et alii, op. cit., p. 461.
115 actionnaires opposants »360, lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital
en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à respecter le plan361.
Toutefois, le texte ne prévoit pas expressément le mécanisme du « coup d’accordéon ». Il
semblerait que le législateur ne vise dans la loi que la possibilité de rééquilibrer les
capitaux propres par rapport au capital social362.
En définitive, la conversion de créances en capital contre le gré des actionnaires
récalcitrants ne paraît pas être concevable en marge de l’élaboration d’un plan.
360
Art. L. 631-9-1 modifié c. com.
DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers
résultant de l'ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014, p. 752.
362
Ibid.
361
116 CONCLUSION TITRE 2
147 - Au terme de cette analyse, nous conviendrons que des montages juridiques sont
utilisés par les praticiens afin de restructurer l’entreprise en difficulté. Ces montages sont
en mesure de compléter les solutions apportées par le droit des procédures collectives.
En premier lieu l’assemblage d’outils juridiques et financiers destiné à sécuriser les
intérêts des créanciers incite ceux-ci à financer les restructurations. Cette situation
démontre combien il est important de ne pas négliger les créanciers. Aucune
restructuration efficiente n’est possible sans leurs concours. Aucun concours n’est
possible sans garanties efficaces. Les praticiens le savent bien. Partant c’est dans cette
optique que des montages sont conçus pour protéger les créanciers. Cela se matérialise
par une protection à l’égard des débiteurs par le biais de sûretés robustes à-même de
permettre le remboursement de leurs créances. Mais ce n’est pas tout, les montages ont
aussi un rôle à jouer dans le nivellement par classe des créanciers entre eux. Il s’agira,
dans ces cas, d’octroyer à certains des droits de priorité en usant de la liberté
contractuelle.
148 - D’autre part, nous l’avons constaté des montages permettent de gérer les risques
« d’hémorragie » en ce qu’ils préviennent, en amont, les difficultés ou permettent de les
résoudre efficacement et rapidement. Rapidité et efficacité tels sont les maîtres-mots pour
une restructuration efficace. À ce titre, la fiducie sort indéniablement du lot. Les
perspectives d’utilisation de cet outil d’une souplesse remarquable sont infinies. Son
régime demeure, toutefois, à définir. Tel est le chantier majeur auquel doit, nous semble
t-il, s’atteler le législateur pour améliorer notre droit des entreprises en difficulté…
117 CONCLUSION PARTIE I
149 - Les montages sont protéiformes et d’une grande diversité. Cela est le reflet de la
pluralité des finalités qu’ils revêtent. Nous avons relevé trois finalités vers lesquelles sont
tendues les montages.
Permettant, d’une part, de servir les intérêts des débiteurs en protégeant leur patrimoine,
ils ne sont pas moins utilisés pour garantir le créancier souvent placé au second rang par
notre droit et victime collatérale des montages réalisés par les premiers. Sa protection se
concrétise, d’ailleurs, tant à l’égard du débiteur qu’à l’égard des autres créanciers avec
lesquels la concurrence fait rage. À cet effet, souvent, à la discrimination légalement
prévue dans l’ordre des paiements des créanciers, s’ajoutera une classification
consensuelle, convenue entre eux.
150 - Ensuite, nous remarquons que des montages financiers sont au service du
redressement de l’entreprise en difficulté en ce qu’ils vont dans le sens du compromis :
relevant de l’utopie en droit des entreprises en difficulté…
Le rapprochement utile de ces montages avec les nouveaux outils de prévention prévus
par le législateur de 2005, ne cessant d’être améliorés au fur et à mesure des réformes, est
de nature favoriser la remise en état rapide de l’entreprise. Le montage n’a d’intérêt que
s’il est conçu en amont des difficultés de l’entreprise, soit avant toute procédure, soit dans
la phase de négociation, voire de pré-négociation du plan. Il ne s’agit en aucun cas de
remèdes miracles mais seulement d’outils de facilitation dont l’utilisation se fait à l’aune
du droit des entreprises en difficulté.
151 - Enfin, bien que les montages, dans l’ensemble, ont des effets positifs vis à vis de
ceux qui les conçoivent, il n’en demeure pas moins qu’une procédure collective peut
impliquer un risque de démantèlement à rebours de l’optimisation attendue. En effet, le
droit des entreprises en difficulté est un droit d’ordre public impliquant un encadrement
minutieux de ces montages. C’est ce que nous aborderons dans le cadre de la partie
suivante.
118 PARTIE II :
L’ENCADREMENT DES
MONTAGES PAR LE DROIT DES
ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
152 - Nous avons montré dans notre première partie que les montages pouvaient
endosser trois finalités à l’aune du droit des entreprises en difficulté. L’on sait que les
montages juridiques utilisés par les praticiens en tant que manifestation absolue de la
liberté contractuelle, sont pour la plupart structurellement reconnus et, en principe,
validés par le juge363.
153 - Au travers de l’exposé de différents types de montages en fonction du but vers
lequel ils sont tournés, dans un contexte de difficulté émaillant une entreprise, nous avons
identifié les enjeux de l’utilisation de l’expression créatrice de la pratique au soutien des
limites conceptuelles du législateur. Toutefois, ce dernier ne peut demeurer ignorant des
finalités poursuivies par les concepteurs. En effet, le droit en général364 encadre et
contrôle a posteriori les montages. Un certain nombre de normes impératives s’imposent
aux concepteurs et ne doivent pas être transgressées sous peine de voir l’ensemble de
l’édifice tomber comme un château de cartes sous les coups de butoir du tribunal. De là
sont nées des notions juridiques telles que l’abus de droit ou la fraude destinées à limiter
les détournements de la liberté contractuelle au détriment de l’intérêt général ou des
intérêts privés.
154 - Plus particulièrement, le droit des entreprises en difficulté, droit d’ordre public par
excellence, n’est, à l’évidence, pas insensible à l’utilisation accrue des montages que ce
363
364
PORRACHIA (D.), op. cit., n° 423 et s.
V. en ce sens, Ibid.
119 soit par le débiteur ou par ses créanciers afin de limiter les risques inhérents à la
défaillance d’une entreprise. À cet égard, il apporte des réponses spéciales, dérogatoires
et donc particulières au contexte des procédure collectives, en sanctionnant avec
véhémence la dissimulation illicite de faits qui auraient dû normalement déclencher
l’application d’une règle impérative. C’est la définition même de la fraude que le droit
des procédures collectives appréhende et réprime par le biais de garde-fous dont
l’efficacité peut s’avérer redoutable pour les concepteurs de mauvaise foi (Titre 1).
155 - Remarquons enfin, pour conclure l’introduction de cette partie, que de manière
générale nous avons vu que les montages permettent des optimisations dans divers
domaines. Lorsqu’une entreprise est en difficulté, le débiteur et ses créanciers
recherchent des outils de protection patrimoniale efficace.
Le patrimoine est la pierre angulaire du droit des entreprises en difficulté. La recherche
du schéma juridique permettant d’isoler une partie substantielle du patrimoine afin de la
préserver d’une procédure collective ne relève pas en soi de la tromperie blâmable. Plus
particulièrement pour le débiteur le cloisonnement patrimonial, comme nous l’avons
vu365, est le but primordial recherché. Néanmoins, lorsque cette soustraction patrimoniale
se réalise au détriment des intérêts patrimoniaux des créanciers, elle est sanctionnée par le
droit des entreprises en difficulté (Titre 2).
365
Cf supra n° 20 et s.
120 TITRE 1 :
La fraude comme obstacle
rédhibitoire limitant la portée des
montages juridiques : les rocs de
l’incohérence366
156 - La fraude est l’écueil omniprésent à éviter pour les concepteurs de montage. Au
sens commun, la fraude est entendue comme un acte de mauvaise foi ou de tromperie367.
Il va sans dire que cette notion multiforme est difficile à définir de manière générale. Sur
ce point, le Professeur Jean STOUFFLET écrivait : « S’il est difficile de proposer une
définition de la fraude valable pour les multiples applications de cette notion, du moins
n’est-il pas contestable qu’un comportement n’est jamais considéré comme frauduleux
que si l’agent méconnaît consciemment une règle et s’il cherche à s’assurer un avantage
illégal »368.
En matière civile, il s’agit d’un acte qui a été réalisé en utilisant des moyens déloyaux
destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou
réalisé avec l'intention d'échapper à l'exécution des lois369. En matière fiscale, la fraude
est considérée comme le « fait de se soustraire illégalement à l'impôt par des moyens
répréhensibles, c'est-à-dire par des procédés ou manipulations que la loi permet de
réprimer »370. De ces deux définitions ressortent deux traits caractéristiques de la fraude :
366
Expression empruntée à Madame PEROCHON (F.) in Rapport de synthèse du Colloque
organisé à Caen sur les montages juridiques à l’épreuve et service des procédures collectives,
Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 86.
367
Littré, Dictionnaire de la langue française : http://www.littre.org/definition/frauder.
368
Cité par LE MESLE (L.) note sous Cass. com., 16 oct. 2012, n° 11-22993, BJE nov. 2012, p.
379, n° 194.
369
BRAUDO (S.), BRAUMANN (A.), Dictionnaire du droit privé : http://www.dictionnairejuridique.com/definition/fraude.php.
370
CORNU, op. cit., v. Fraude.
121 une mauvaise fois patente et une volonté de soustraire, de dissimuler des faits qui
auraient normalement dû déclencher l’application d’une norme impérative371.
157 - Le droit éminemment dirigiste des entreprises en difficulté s’est saisi de ce
concept juridique afin de déjouer les montages frauduleux. Dans cette branche du droit la
fraude se manifeste au regard de l’atteinte potentielle à l’intérêt général c’est-à-dire celui
des créanciers. C’est le cas lorsque ces mêmes créanciers accordent frauduleusement des
concours à un débiteur afin de « court-circuiter » indirectement les autres créanciers. Cela
peut consister, par exemple, à limiter leur risque de pertes en le faisant supporter à
l’emprunteur ou aux autres cocontractants de celui-ci par l’octroi d’un crédit ruineux ou
la création d’une solvabilité trompeuse372. Dans le cadre restreint de notre étude nous
n’aborderons pas cette question.
C’est le cas encore lorsque le débiteur isole une partie de son patrimoine a priori
appréhendable par l’effet réel de la procédure par le biais de la conception de gages
restreint en délimitant de façon étroite et artificielle les contours du patrimoine exposé au
risque. En outre, d’autres techniques conduisent à soustraire des biens du gage commun
371
PORACCHIA (D.), op. cit., loc. cit.
Nous évoquons là, l’une des dispositions les plus discutées de la réforme des procédures
collectives issue de la loi de sauvegarde de 2005, à savoir le principe d’irresponsabilité
« tempérée » du dispensateur de crédits qui figure à l’article L. 650-1 du Code de commerce.
Cet article dispose, en effet, que : « Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement
judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour
responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude
(soulignés par nous), d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties
prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci ». Il a reçu une
interprétation assez stricte de la jurisprudence réduisant quasiment à néant les possibilités de
poursuivre les créanciers sur ce fondement : V. en ce sens, Cass. com., 7 fevr. 2012, n° 1028.757 et n° 11-10.252.
Spécialement s’agissant de l’hypothèse d’un soutien frauduleux au débiteur, voy. Cass. com. 27
mars 2012, n° 11-13.536 : La Cour de cassation considère que l’octroi d’une autorisation de
découvert consenti par une banque n’était pas frauduleux alors que la situation était
irrémédiablement compromise, dans le seul but d’obtenir un cautionnement et Cass. com., 16 oct.
2012, n° 11-22993, BJE nov. 2012, p. 379, n° 194 note LE MESLE (L.) : La Haute juridiction est
peu encline à condamner les créanciers ayant contribué au sauvetage en définissant de manière
étroite les exceptions à l’immunité de principe des créanciers. Notamment sur la fraude elle voulu
se lier les mains dans un domaine soumis, par nature, à la casuistique, en donnant, elle-même, une
définition ; Adde sur cette question, HOANG (P.), Risque d'entreprise et risque indemnitaire des
partenaires externes de l'entreprise en difficulté, LPA, juill. 2013, n° 137, p. 6.
372
122 des créanciers en s’assurant un avantage au détriment de ceux-ci. C’est cet aspect qui
retiendra notre attention.
158 - Dans un premier temps, le débiteur ou un de ses créanciers peuvent chercher, par
le biais d’outils juridiques particuliers, à soustraire des biens du gage commun
immédiatement avant l’ouverture d’une procédure : durant la période suspecte. Nous
verrons que ce procédé frauduleux, puisque la situation de cessation des paiements ne
pouvait pas être ignorée par l’instigateur, est sanctionné par notre droit des procédures
collectives (Chapitre 1). D’autre part, les montages structurels frauduleux conçus par le
débiteur et permettant de limiter les risques patrimoniaux liés à l’entreprise en
difficulté373 peuvent être démantelés lorsqu’ils portent préjudice aux intérêts des
créanciers par la voie de l’extension de procédure (Chapitre 2).
373
Cf. supra n° 20 et s.
123 CHAPITRE 1 :
Les nullités de la période suspecte 374
159 - La période précédant le jugement d’ouverture d’une procédure est propice à la
fraude. Le débiteur dont la situation est alarmante sera tenté d’élaborer un artifice pour
tricher afin de « sauver les meubles » en organisant son insolvabilité. Parfois, il ne
résistera pas à la pression de certains de ses créanciers et y cédera en les favorisant au
mépris du principe d’égalité des créanciers.
Notre droit de la faillite sanctionne traditionnellement les actes passés par le débiteur en
période suspecte. C’est la période s’étalant de la cessation des paiements à l’ouverture de
la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Durant celle-ci le
débiteur est en cessation des paiements et, à ce titre, est tenu, en principe375, de demander
l’ouverture de la procédure. Lorsque ce dernier ne l’a pas fait immédiatement, il s’expose
à un report de la date de cessation des paiements lors du jugement prononçant l’ouverture
d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation à son encontre, ou la
conversion d’une procédure de sauvegarde ouverte, soit par erreur, soit lorsque le
débiteur devient en cessation des paiements par la suite. Dans ce dernier cas, la date de
cessation des paiements doit être fixée en vertu de l’article L. 621-12 du Code de
commerce dans les conditions de l’article L631-8, alinéa 5 du Code de commerce376 de
sorte que la procédure de sauvegarde n’avantage pas indûment le débiteur.
160 - Cependant, il n’existe pas de période suspecte lorsqu’il n’y a pas de cessation des
paiements, dans la procédure de sauvegarde (voire même dans la procédure de
redressement dans cessation des paiements, en conformité avec l’article L. 622-10 C.
com.). Même dans les procédures où la cessation des paiements est la condition sine qua
374
Sur le mécanisme en général, v not. SAINT-ALARY-HOUIN (C.) et MONSIERE-BON (H.),
J.-Cl. Proc. coll., 2013, fasc. 2502, 2505, 2507, 2508 et 2510 et BLANC (G.), Les actes passés en
période suspecte, Rev. Proc. Coll., 2006, 66.
375
Sauf si le débiteur à sollicité une conciliation sans excéder les 45 jours de cessation des
paiements : cf. art. L. 611-4 du C. com.
376
V. sur les difficultés liés aux conditions de fixation de la date de cessation des paiements, les
articles rédigés par les auteurs cités par la note 350.
124 non, l’article L 631-8 du Code de commerce pose un principe selon laquelle il n’y a pas
de période suspecte. La date de cessation des paiements est présumée être celle du
jugement d’ouverture de la procédure. Ainsi, si le juge ne fixe pas de date différente dans
son jugement, il y a présomption d’absence de période suspecte. Celle-ci peut être
combattue par la preuve contraire dans l’année suivant le jugement d’ouverture ou de
conversion377.
La période suspecte ne peut excéder dix-huit mois (vingt-quatre en tenant compte du II de
l’article L. 632-1 C. com.). Si une procédure de sauvegarde a été ouverte en dépit de la
cessation des paiements du débiteur, la période suspecte remontera à compter de la date
de jugement d’ouverture de la sauvegarde378. En revanche lorsque la soumission du
débiteur résulte d’un jugement d’extension de procédure379, conformément au principe
d’unicité de la procédure, la date de cessation des paiements est celle fixée dans la
première procédure380.
161 - Les actions en nullité des actes modifiant anormalement la géométrie du
patrimoine du débiteur en cessation des paiements obéissent à un régime spécialement
prévu par le droit des entreprises en difficulté (Section 1) destiné, notamment, à
stigmatiser certains montages frauduleux conçus à cet effet (Section 2). À cette occasion,
nous exposerons cet aspect sans s’y attarder outre mesure compte tenu de la délimitation
de notre sujet.
377
Cf. arts. L. 631-8, al. 4 et L. 621-12 C. com.
art. L. 631-8, al. 5 C. com.
379
Cf. infra n° 170 s.
380
Cass. com. 16 juin 2004, n° 01-17.234.
378
125 SECTION 1. Le régime des nullités en période suspecte
162 - D’une part, de manière générale, les articles L. 632-1 et L. 632-2 du Code de
commerce applicables aussi bien en redressement qu’en liquidation judiciaire visent un
certain nombre d’actes énumérés dans une liste limitative. Dans un souci de sécurité
juridique le législateur a circonscrit le domaine des actes frauduleux, passés par le
débiteur ou par les créanciers, susceptibles d’être annulés. Certains actes sont annulables
de droit381 compte tenu de leur nature intrinsèquement anormaux au regard de la
cessation des paiements du débiteur. Nous observons pour ces actes une présomption
irréfragable de fraude. En d’autres termes, on considère que le débiteur ou son créancier
ne pouvaient méconnaître la situation de cessation des paiements et ont sciemment tenté
de soustraire une partie du patrimoine de l’effet réel de la procédure. D’autres nullités
sont facultatives382 et laissent plus de marge d’appréciation au tribunal.
L’acte annulable doit avoir été fait en principe avant le jugement d’ouverture de la
procédure de redressement ou de liquidation judiciaire383 et depuis la date de cessation
des paiements384, c’est à dire, plus exactement, à compter de la première heure du jour
fixé pour la cessation des paiements385, sans excéder la durée maximale de dix-huit mois
(ou vingt-quatre dans certains cas). Les actes accomplis le jour même du jugement
d'ouverture sont réputés, en vertu de la rétroactivité du jugement à zéro heure de sa date,
accomplis après le jugement d'ouverture et ne tombent donc pas sous le coup des nullités
de la période suspecte386. Une fraude récurrente et parfois efficace consiste à antidater
l’acte passé en période suspecte de manière à ce qu’il semble antérieur à celle-ci387. Il
s’agit d’une simulation au sens du droit civil388.
381
La liste des actes figure à l’art. L. 631-1 du C. com.
Art. L. 631-2 C. com.
383
Cass. com. 19 janv. 1999, n° 96-18.772 : L’arrêt précise qu’un acte accompli en période
suspecte est forcément antérieur au jugement d’ouverture.
384
Art. L. 631-8 C. com.
385
Cass. com., 28 sept. 2004, n° 03-10.232.
386
Cass. com., 19 janv. 1999, no 95-15.825
387
PEROCHON (F.), Entreprises en difficultés, L.G.D.J, 9e éd., p. 688.
388
La simulation est régie par l'article 1321 du Code civil : "Les contre-lettres ne peuvent avoir
d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles n'ont point d'effet contre les tiers." ; V. son
application pour encadrer les montages juridiques de manière générale PORACCHIA (D.), op.
cit., n° 671 et s.
382
126 Notons que les actes ne sont pas nécessairement conclus à titre onéreux puisque l’article
L 631-2, II du Code de commerce prévoit les actes à titre gratuit et même proroge, à cet
effet, la durée possible de la période suspecte de dix-huit à vingt quatre mois.
163 - D’autre part, l’action en nullité est une action dite attitrée, c’est-à-dire dont
l’exercice est réservé aux personnes visées par l’article L. 632-4389. Le liquidateur
judiciaire, pourtant l’organe agissant le plus sur ce fondement, n’est pas visé par l’article
en raison de sa localisation dans une partie du livre VI consacrée au redressement
judiciaire. Toutefois, étant donné que cet article a vocation à s’appliquer en liquidation390,
il ne s’agit que d’une simple maladresse légistique.
Par conséquent, la nullité est relative391 puisque ni le débiteur, ni les créancier n’ont le
pouvoir d’agir sur ce fondement selon une jurisprudence constante. Cela est en
opposition avec la défense de l’intérêt général qui gouverne la répression de la fraude par
le droit des entreprises en difficulté. En effet, toutes les victimes de fraude ne semblent
pas en mesure d’agir en conséquence. Il en va ainsi par exemple de l’AGS qui n’a pas
qualité pour agir392, D’où la possibilité offerte aux tiers d’exercer l’action paulienne de
l’article 1167 Code civil destinée à combattre sur le fondement de cette garantie du droit
commun des obligations393, sous certaines conditions strictes, l’appauvrissement anormal
du débiteur394. Cette action n’est pas soumise à l’interdiction des poursuites
individuelles395 lorsqu’elle a pour but de sanctionner une fraude contre le gage particulier
d’un créancier et non le gage commun396.
Enfin l’action en nullité d’un acte passé en période suspecte ne peut être enfermée dans
aucun délai. Le liquidateur judiciaire peut agir sur ce fondement aussi longtemps qu’il
389
« L'action en nullité est exercée par l'administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire
à l'exécution du plan ou le ministère public. Elle a pour effet de reconstituer l'actif du débiteur ».
390
Art. L. 641-14 C. com.
391
Cass. com. 26 avr. 2000, n° 97-20.656.
392
Soc. 13 févr. 2008, n° 06-44.234.
393
Expression empruntée au professeur MESTRE (J.) obs. ss Cass. com. 11 fevr. 1986, RTD civ.,
1986, p. 601.
394
L’insolvabilité apparente du débiteur doit être établie par le créancier agissant sur ce
fondement ; V. en ce sens FAGES (B.), Lamy Droit du contrat 2014, V. Fraude et action
paulienne, n° 241-15 et s.
395
Cass. com., 2 nov. 2005, n° 04-16.232 ;
396
V. SAUTONIE-LAGUIONIE (L.), Th. La fraude paulienne, sous la direction du Professeur
Wicker (G.), L.G.D.J, coll. bibl. de dt. privé, juillet 2008.
127 demeure en fonction397. Il faut en pratique la réaliser rapidement puisque dès lors que les
créances de l’autre partie ont été admises au passif de la procédure, l’action ne peut plus
être exercée398.
164 - S’agissant de l’effet de la nullité, celui-ci est erga omnes c’est-à-dire qu’il
s’impose à tous les tiers, qu’ils soient ou non de bonne foi399. La solution
particulièrement sévère pour les concepteurs de montages frauduleux se justifie par la
protection de l’intérêt général. Certains auteurs, estiment, très justement,
que cette
position est trop rigoureuse en ce qu’elle sacrifie à l’intérêt collectif les intérêts du tiers et
la sécurité juridique400.
La conséquence de la nullité, quant à elle, est la réintégration des biens soustraits au gage
commun dans le patrimoine de la masse des créanciers de la procédure collective. Elle
profite donc, bon gré mal gré, au débiteur et surtout à la communauté des créanciers
victimes des actes frauduleux.
Une fois ce constat exposé, il convient tout particulièrement de confronter ce régime
particulier des nullités en période suspecte avec l’utilisation de certains instruments
juridiques, que nous avons développé précédemment401, impliquant l’isolement de
certains biens au mépris du gage commun.
SECTION 2. Les montages stigmatisés
165 - Plus spécialement, nous avons évoqué dans la première partie trois types d’outils
juridiques permettant de concevoir un montage afin de soustraire certains biens du
patrimoine appréhendé par l’effet réel de la procédure : l’EIRL (§1), la fiducie (§2) et la
D.I402. Les trois sont susceptibles, lorsqu’ils sont utilisés en période suspecte de manière
frauduleuse, d’être annulés.
397
Cass. com., 21 sept. 2010, n° 08-21.030.
V. en ce sens, PEROCHON (F.), op. cit., n° 1294.
399
Cass. com., 3 févr. 1998, n° 95-20.389, D. 1999. 185, n. BENABENT (A.).
400
PEROCHON (F.), op. cit., n° 1295.
401
Cf. supra n° 20 et s.
402
V. sur cette question déjà traitée dans notre développement supra n° 51.
398
128 §1) L’EIRL à l’épreuve des nullités en période suspecte :
166 - Rappelons qu’il s’agit de l’hypothèse de l’affectation ou modification dans
l’affectation par le biais l’EIRL à l’insu du patrimoine impacté par la procédure. En effet,
l’article L. 632-1, I, 11° du Code de commerce annule « toute affectation ou modification
(de la part du débiteur EIRL) dans l’affectation d’un bien, sous réserve du versement des
revenus mentionnés à l’article L. 526-18 dont il est résulté un appauvrissement du
patrimoine visé par la procédure au bénéfice d’un autre patrimoine de cet
entrepreneur ». La doctrine considère que la modification dans l’affectation signifie en
réalité la désaffectation403. Autrement dit, cet article interdit à tout EIRL en difficulté,
plus précisément en cessation des paiements, de revoir le périmètre du patrimoine dans le
cadre duquel il exerce son activité professionnelle.
167 - Toutefois, la non affectation de biens nécessaires à l’exploitation de l’activité n’est
pas sanctionnée par la nullité404. En outre, la règle doit nous semble t-il être appliquée
avec souplesse compte tenu du régime de l’EIRL. En effet, une modification dans
l’affectation doit s’apprécier au regard de la condition légale d’appauvrissement général
du patrimoine de l’EIRL. Le remplacement d’un bien par autre de même valeur ne peut
être contesté au titre des nullités de la période suspecte. En revanche l’affectation de
dettes ou d’un bien à valeur négative, par exemple grevé d’une sûreté robuste comme la
fiducie sûreté sans convention de mise à disposition nous paraît frauduleuse405. On
comprend par là que la condition d’appauvrissement fait l’objet d’une appréciation
casuistique des juges.
Dans le même sens, un auteur considère justement que l’affectation in extremis, par le
débiteur EIRL en cessation des paiements, de biens qui étaient compris dans le
403
V. en ce sens, PEROCHON (F.), op. cit., n° 1302 ; BLANC (G.), EIRL : nullités de la période
suspecte, Rev. Proc. Coll. 2011-2, 29, p. 104.
404
PEROCHON, op. cit., loc. cit. ; SAUTONIE-LAGUIONE (L.), L’EIRL et les nullités de la
période suspecte, BJE, mars 2011, p. 82, n° 9.
405
V. en ce sens, PEROCHON (F.), op. cit., n°1304.
129 patrimoine exploité à titre professionnel dans un autre patrimoine d’affectation, constitue
un acte susceptible d’être annulé au titre de l’article L. 632-1 du Code de commerce406.
§2) La fiducie à l’épreuve des nullités en période suspecte :
168 - Remarquons d’emblée que le transfert fiduciaire à fin de gestion réalisé par le
débiteur en cessation des paiements est spécialement visé par l’article L. 632-1, 9° du
Code de commerce. Il s’agit d’un acte annulable au titre des nullités de droit prévues par
le législateur. Cela consiste pour le débiteur à transférer un certain nombre de biens dans
un patrimoine géré par un fiduciaire afin de les soustraire du gage commun. Cette
opération n’est pas blâmable, en soi, tant qu’elle n’est pas réalisée, par le débiteur, en
situation de cessation des paiements. Elle permet à celui-ci en présence d’une convention
de mise à disposition de mettre à l’abri un bien faisant l’objet de la fiducie.
Rappelons à toutes fins utiles, que nous n’avons pas traité la fiducie-gestion dans le cadre
de notre étude parce qu’elle ne constitue pas à nos yeux un moyen de protection du
patrimoine suffisamment efficace407.
169 - Par ailleurs, la fiducie à fin de sûreté, dont nous avons vanté les mérites408,
exposés par les praticiens concepteurs de montages financiers comme l’outil magique au
service des procédures collectives et des créanciers en particulier409, n’échappe,
cependant, pas aux fourches caudines des nullités en période suspecte. En effet, l’article
L. 632-1, I, 6° vise la constitution de certaines sûretés en garantie d’une dette antérieure à
l’ouverture de la procédure. Le neuvième alinéa du même article vise de manière
dérogatoire l’hypothèse d’une fiducie-sûreté consentie par le débiteur en cessation des
paiements à un créancier si elle effectuée pour garantir un crédit concomitamment
accordé au débiteur. La fiducie-sûreté
s’aligne ainsi au régime des autres sûretés
classiques visées par le sixième alinéa précité. Remarquons, ici, que cela affaiblit la
406
V. SAUTONIE-LAGUIONE (L.), op. cit.
En effet, l’article L 641-12-1 C. com. prévoit la résiliation de la fiducie-gestion en cas de
liquidation judiciaire du débiteur.
408
Cf. supra n° 88 et s.
409
V. DAMMANN (R.), La fiducie comme technique, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3.
407
130 fiducie en tant qu’outil de constitution de sûretés par rapport à la cession « Dailly » à titre
de garantie qui elle n’est pas annulable sur ce fondement410.
Enfin, la réaffectation de la fiducie-sûreté en garantie d’une autre dette411, par le débiteur
en cessation des paiements, renvoie à un même résultat eu égard à l’article L. 631-1, I,
10° du Code de commerce.
410
Cass. com., 28 mai 1996, n° 94-10.361 : La cour de cassation considère que la cession
« Dailly » n’est pas un nantissement annulable sur le fondement de l’article L. 632-1, I , 6° du
Code de commerce. Depuis, l’ajout de l’alinéa 9 de l’article L. 632-1 du Code de commerce par
l’ordonnance de 2008, la solution est discutée par la doctrine : BORGA (N.), Regards sur les
sûretés…, RDB juin 2009, p. 9, n° 13, p. 13.
411
Rappelons que la fiducie-sûreté est dite « rechargeable ».
131 CHAPITRE 2 :
L’extension de procédure
170 -
Nous avons vu que les montages structurels permettent d’isoler, de préserver de
manière efficace un bien immobilier en le sanctuarisant dans le patrimoine d’une
personne morale différente de celle qui exploite l’activité professionnelle412. De manière
générale, ils conduisent à démultiplier la création de personnes morales et, ainsi, à
cloisonner plusieurs patrimoines en divisant le risque de généralisation de la défaillance
d’une entreprise à l’échelle du groupe. De surcroît, le principe d’autonomie des sociétés
mettant à mal l’appréhension du groupe par le droit des entreprises en difficulté atteint
son paroxysme à l’échelle internationale et plus particulièrement à l’échelle
communautaire413.
171 - De nos jours, eu égard à l’usage classique et réitéré des montages structurels dans
le monde des affaires, en tant que moyens d’une efficience remarquable pour optimiser
une activité commerciale, agricole, artisanale voire même libérale, le droit des entreprises
se devait d’apporter une réponse dissuasive et efficace afin de parer à l’usage frauduleux
et détourné de ces techniques.
Le procédé est simple, il s’agit d’affecter un ou plusieurs biens dans un patrimoine
sociétaire ad hoc distinct et régit par une personne morale afin de réduire la masse du
gage commun des créanciers en cas de procédure collective affectant cette dernière.
Par voie de conséquence, lorsque le groupe ou un de ses membres connaît des difficultés,
notre droit depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005414, prévoit à l’article L. 621-2 du
412
Nous visons le montage SCI/société d’exploitation sur lequel nous reviendrons pas dans le
cadre de ce chapitre : s’agissant du fonctionnement à l’aune du droit des procédures collectives et
particulièrement de l’action en extension de procédure v. supra n° 28 et s.
413
Pour mémoire, La confusion de patrimoines ne suffit pas à déterminer le centre des intérêts
principaux d’une société au sens de l’art. 3 du règlement européen 108, ce qui n’interdit pas
l’extension, mais après caractérisation « normale » du COMI : Cf. sur ces questions supra n° 70
et s.
414
Il s’agissait alors de la consécration d’une création prétorienne : l’extension de procédure
existait donc d’ores et déjà sous l’égide la législation de 1985.
132 Code de commerce deux situations à la fois prohibées et complémentaires415 entraînant,
en conséquence, l’extension d’une procédure déjà ouverte à d’autres personnes dont
l’existence relève de l’artifice (Section 1), ou dont le patrimoine est confondu avec celui
du premier débiteur (Section 2). Si l’action en extension aboutit, il en résultera une
procédure unique traitant indistinctement les actifs et passifs de chaque société afin de
rétablir le gage des créanciers. Il s’agit d’un retour à la situation de fait réelle dissimulée
par les parties. Le cloisonnement patrimonial érigé par le montage devient inopposable
aux tiers.
SECTION 1. La fictivité entachant un montage structurel
172 - Le postulat de départ est le suivant : la société créée en exécution du montage
structurel revêt un caractère fictif. « Le caractère fictif d’un acte est généralement
considéré comme une simulation portant sur l’existence même de l’acte. La mise à l’écart
d’un acte fictif entraîne la réapparition de la situation de fait dans laquelle se trouvent
les parties » 416.
La révélation du caractère fictif d’une société a pour effet de faire tomber le voile de la
personnalité morale fantoche. Ce faisant, le patrimoine frauduleusement cloisonné se
retrouve rattaché avec celui de la personne qui a agit sous son couvert.
De même que le droit commun, la réponse du droit des entreprises en difficulté à la
fictivité conduit à la négation du montage structurel artificiel. Toutefois, à la différence
du droit commun des sociétés, la sanction est l’extension de procédure au groupement
fictif, et non, la nullité non rétroactive417.
415
À telle enseigne qu’il est permis de penser qu’elles se confondent.
V. s’agissant de la fictivité sous l’angle du droit commun : PORACCHIA (D.), op. cit., n° 678
et s.
417
DEMEYERE (D.), Personnalité morale et droit des entreprises en difficulté, th. Paris X
Nanterre, 2005, p. 389, n° 439 et p. 390, n° 442.
416
133 173 - Attachons-nous à rappeler que la société fictive est une société de façade, simple
écran dénué d’activité et de volonté propre418. Sa définition est difficile à cerner tant elle
peut revêtir des formes différentes.
Le plus souvent la négation de la structure et du fonctionnement rituel peut être une piste
éveillant le soupçon chez les créanciers. Quant à l’affectio societatis, critère de validité
d’une société au sens de l’article 1832 du Code civil, les associés en sont en principe
dépourvus. L’importance de cette dernière caractéristique, en vue de déterminer la
fictivité d’une société, est d’ailleurs fortement discutée par une doctrine majoritaire. En
effet, étant donné sont caractère floue419, le concept reposant sur l’état psychologique
tenant à la volonté des associés de ne pas donner d’existence véritable à la société420 subit
l’érosion du temps421. Comme le fait remarquer justement un auteur « la notion de
fictivité se détache de celle de simulation422 pour devenir une notion autonome rattachée,
non à l’existence du contrat de société, mais plutôt à celle de la personne morale en tant
que structure d’accueil d’un patrimoine, ou encore d’une activité »423. Toutefois, si
l’absence d’affectio societatis ne suffit pas à elle seule à retenir la fictivité d’une société
compte tenu de son appréciation largement entendue par la jurisprudence424, sa présence
au contraire écarte l’action en extension de procédure pour fictivité425.
418
ROUSSEL-GALLE (Ph.) et alii, Le groupe de sociétés en procédure collective, LPA, avr.
2010, n° 80, p. 54.
419
V. en ce sens, REBOUL (N.), Remarques sur une notion conceptuelle ou fonctionnelle :
l’affectio societatis, Rev. Sociétés 2000, p. 425.
420
SAINT-ALARY-HOUIN (C.), Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 9e éd., n°
385.
421
Par exemple, l’EURL comme nous l’avons évoqué précédemment est une manifestation de ce
que ce critère de validité du contrat de société n’est plus qu’un héritage du Code civil de 1804 ;
V. entre autres, COZIAN et alii, op. cit., n° 142 et s., sp. n° 145 : Les auteurs notent avec toute
l’espièglerie qu’ont leur connaît que : « Même si l’usage du latin évoque quelque cérémonie
religieuse, une société n’est pas un cercle mystique et l’affectio societatis n’est pas la communion
des fidèles ».
422
Au sens civiliste de dissimulation d’un acte secret et d’utilisation ostentatoire aux yeux des
tiers d’acte apparent. Notion au demeurant plus large que la fictivité qui tend comme nous
l’explique l’auteur à s’en défaire.
423
PORACCHIA (D.), op. cit., n° 682.
424
V. par exemple en dehors des procédures collectives le célèbre arrêt Ed Les Maraîchers, Cass.
com. 10 févr. 1998, n° 95-21.906.
425
Par ex., PARIS, 3e ch. B, 1er juill. 2005, RG n° 2005/05274.
134 174 - S’agissant de la qualité pour agir en extension de procédure pour fictivité, l’article
L. 621-1 du Code de commerce prévoit que l’action ne peut être diligentée que par
l’administrateur, le mandataire judiciaire, le ministère public ou d’office par le tribunal.
À cette liste, il convient d’ajouter le liquidateur qui se substitue en cas de liquidation
judiciaire du débiteur au mandataire426.
Qu’en est-t-il du créancier d’un associé d’une société dont l’entreprise est en difficulté
désirant faire établir la fictivité de celle-ci afin d’appréhender son patrimoine ? A priori,
la règle de la suspension des poursuites pourrait s’y opposer.
Ce n’est pas ce qu’a, fort opportunément, retenu la Cour de cassation.
Elle a considéré, au sujet d’une action en déclaration de simulation introduite par un
créancier de l’associé que « l’ouverture d’une procédure collective à l’égard d’une société
n’a pas pour effet d’interdire à un tiers, créancier d’un associé, d’en faire établir la
fictivité, une telle action ne tendant pas à la condamnation de la société au paiement
d’une somme d’argent »427. L’action en déclaration de simulation, plus particulièrement
de fictivité, va permettre au tiers qui l’exerce de considérer que le bien de la société
fictive réintègre le patrimoine de son débiteur. En revanche, cette solution risque de faire
naître un conflit avec les créanciers de la procédure collective qui opposeront aux tiers
l’acte ostentatoire. Ainsi, s’ils sont de bonne foi, les créanciers de la société fictive
pourront se prévaloir de l’existence de la personne morale428.
175 - Par ailleurs, la jurisprudence s’est saisie de la notion de fictivité construite par ses
soins et couronnée par le législateur de 2005. Dans la célèbre affaire Métaleurop, la Cour
d’appel de DOUAI429, statuant avant dire droit sur le fond, a eu l’occasion, dans le
contexte d’une action en extension de procédure, de définir ce concept à travers le prisme
des procédures collectives. Il a ainsi été jugé qu’une « société apparaît fictive lorsqu’elle
est dépourvue de toute autonomie décisionnelle, et notamment de la faculté de décider
426
Art. L. 641-4 al. 1er C. com.
427
Cass. com. 18 mars 2008, n° 06-19.968, Dr. sociétés 2008, comm. 116, note COQUELET (M.L.).
428
PORACCHIA (D.), Janvier-décembre 2008 : une année encore foisonnante, Dr. et Patrimoine,
mai 2009.
429
DOUAI, 2e ch., 1ere sect., 2 oct. 2003, n° RG : 03/02333, 03/02334 et 03/02893 des parties, D.
2003. AJ. 2571, obs. LIENHARD (A.) ; JCP E 2005, 721, p. 796, note ROLLAND (B.). L’arrêt a
été finalement cassé par la Cour de cassation mais la définition est intéressante.
135 dans le cadre des dispositions légales et réglementaires, de sa liquidation ou de sa survie,
cette faculté appartenant au maître de l’affaire ».
Toutefois, comme l’a défini un auteur430 traditionnellement la société est fictive dès lors
qu’elle sert de cadre purement formel à l’exercice d’activité par une autre personne qui ne
respecte pas ses règles de fond et de fonctionnement.
Il appert que la notion d’absence d’autonomie directionnelle431 se déduisant de l’absence
de fonctionnement réel et de vie sociale432 est une définition fonctionnelle efficace de la
fictivité. Partant on conçoit assez aisément que la preuve de la fictivité n’est pas une
tâche facile. En tout état de cause, il reviendra aux juges du fond d’apprécier in concreto
le caractère fictif d’une société433 au regard des pièces rapportées par les parties et autres
expertises.
176 - Une doctrine autorisée434 estime que la fictivité est une condition superfétatoire et
considère que le législateur de 2005 aurait pu faire l’économie de cette hypothèse
d’extension de procédure puisque la notion de confusion des patrimoines permet de
l’inclure dans son giron. D’autres auteurs considèrent au contraire que les deux notions se
distinguent et, pour ce faire, ils décident de cantonner l’extension sur le fondement de la
fictivité au cas d’un groupement fictif ab initio435.
À notre avis, la confusion des deux notions n’est pas souhaitable. Certes les deux
permettent d’aboutir à la même solution, à savoir la reconnaissance par le juge d’une
simulation portant sur l’existence d’un acte. Si l’on tente de distinguer, au regard de la
jurisprudence précitée436, les deux notions :
D’une part le degré de fictivité d’une société semble se mesurer en fonction de son
autonomie décisionnelle tandis que, d’autre part, la confusion de patrimoine est
430
ABEILLE, La simulation dans le droit des sociétés, L.G.D.J, 1938, pp. 181 à 183.
Notons que ce n’est pas le critère que retient traditionnellement la Cour de cassation pour
caractériser la fictivité d’une société. Elle s’en tient généralement à la définition première de la
fictivité, celle retenue en droit des sociétés c’est-à-dire l’absence de vie normale de la société. À
ce propos, l’arrêt de la Cour d’appel précité à la note 405, a été cassé par la Cour de cassation par
un arrêt du 19 avr. 2005, n° 05-10.094 que nous détaillerons plus loin dans notre développement.
432
LE CORRE (P.-M.), op. cit., n° 213.11, p 301.
433
Ibid.
434
Entre autres, PEROCHON (F.), op. cit, n° 328 ; VALLANSAN (J.), RLDA 2005, 12 s., sp. 18.
435
V. LE CORRE, op. cit, loc. cit. ; DEMEYERE (D.), op. cit., p. 379, n° 425.
436
Cf. supra n° 174.
431
136 caractérisée par une absence d’autonomie patrimoniale. Il s’infère nécessairement de ce
qui précède que les deux notions peuvent se rejoindre. Comment concevoir, en effet, une
absence d’autonomie patrimoniale sans absence d’autonomie décisionnelle et vice versa ?
Les deux vont de pair et appartiennent au même ensemble : la simulation consistant à
dissimuler derrière le paravent du principe d’autonomie des personnes morales une
situation de fait différente des apparences. Toutefois, nous doutons que la confusion des
patrimoines recouvre la fictivité. À tout le moins, il pourrait s’agir de l’inverse. Les flux
financiers anormaux résultent nécessairement d’une soumission de l’une des deux entités
au pouvoir décisionnel de l’autre rendant ipso facto la société soumise fictive437. Que l’on
soit en présence d’une fictivité au sens classique438, ou par confusion de patrimoine439, on
est toujours en présence d’une fictivité440. La confusion des patrimoines est en réalité, à
notre sens, un des éléments de preuve du caractère fictif d’une société. Cela est souvent le
cas, par exemple, pour le couple SCI/société d’exploitation441. L’absence d’autonomie
patrimoniale de la SCI préfigure systématiquement une dépendance de celle-ci à la
société d’exploitation442.
Néanmoins, la Cour de cassation confortée en cela par la loi, n’est, en général, pas de cet
avis et se refuse à assimiler à la fictivité, la confusion des patrimoines et rejette, ainsi, les
critères prétoriens de la seconde pour fonder la première443. Cette position est défendable
en ce que la distinction entre les deux notions ne présente pas seulement un intérêt
437
La Cour de cassation désapprouve cette analyse : cf. l’arrêt Métaleurop Cass. com., 19 avr.
2005, op.cit.
438
Eu égard à la distinction légale, la fictivité telle que l’entend le législateur c’est-à-dire
l’absence de volonté commune des associés
439
Le terme de « fictivité par confusion de patrimoine » a été utilisé par PORACCHIA (D.), in
Recherche sur les montages conçus par les professionnels du droit, Th. Aix-Marseille, 1997, n°
683.
440
V. en ce sens, BARBIERI (J.-F.), Confusion des patrimoines et fictivité des sociétés, LPA
1996, n° 129, p.14.
441
Cf. supra n° 24 et s.
442
Par ex. cass. com. 12 oct. 1993, n° 89-17.509 : « La SCI était titulaire d'un bail emphytéotique
et que, par un bail commercial, elle avait donnés en location à la société Eclair pour
l'exploitation d'un centre de loisirs et d'une discothèque, étaient conclus indifféremment par l'un
ou l'autre des dirigeants des deux sociétés pour les mêmes travaux sans que la part revenant à
chacune d'elles pût être déterminée ; que l'interpénétration entre les deux sociétés et la
dépendance de la SCI à l'égard de la société Eclair étaient totales, la SCI n'ayant pour ressource
que le loyer versé par la société Eclair et leur patrimoine étant commun ».
443
V. en ce sens, LE CORRE, op. cit., p. 302 ; Adde pour ex., Cass. com. 17 juill. 2001, n° 9818.438 et Cass. com. 8 juill. 2003, n° 01-15.676.
137 théorique. En effet, c'est une des marques du progrès du droit que d'affiner la technique
juridique pour qu'elle corresponde au particularisme lié à la diversité des situations de
fait.
SECTION 2. La confusion de patrimoines entre deux
personnes morales
177 - La confusion des patrimoines est, à l’instar de la fictivité, une notion d’origine
prétorienne. elle résulte désormais expressément de l’article L. 621-2 alinéa 2 du Code de
commerce, pour la sauvegarde, de l’article L. 631-7 rendant applicable la solution, par
renvoi, au redressement judiciaire, de même que l’article L. 641-1, I pour la liquidation
judiciaire. Ici, les entités d’un groupe de sociétés ne présentent pas l’étanchéité requise,
sur le plan patrimonial, pour des structures sociétaires ayant une vie propre.
Remarquons que les juges du quai de l’horloge semblent très exigeants pour reconnaître
la confusion des patrimoines. Ainsi, déjà dans un arrêt de 1993, jugeaient-ils que la
communauté de dirigeants ou d’associés, l’identité d’objets sociaux, la centralisation de
la gestion, la communauté de clientèle et l’absence d’autonomie commerciale ne
suffisaient pas à démontrer l’unicité du patrimoine de deux structures dès lors que les
critères de la confusion des patrimoines n’étaient pas méconnus444.
Ainsi, la Haute juridiction valide en principe les montages structurels qui ne doivent pas
être systématiquement suspectés. Au contraire, une véritable présomption de validité, de
nature à garantir une certaine sécurité juridique, est de mise.
178 - S’agissant des critères de la confusion des patrimoines, la Cour de cassation en a
dégagé deux alternatifs.
Tout d’abord, celui de l’imbrication des patrimoines, c’est-à-dire une confusion des
comptes caractérisée par « une imbrication des éléments d’actifs et de passif composant
444
Cass. com. 11 mai 1993, n° 91-10.569.
138 les patrimoines »445 de deux entités. Cette situation se rencontrant souvent dans les
montages SCI/société d’exploitation446, paraît selon des auteurs être plus rare dans les
« grands » groupes de sociétés dont les structures financières sont suffisamment
cloisonnées447. En outre, par exemple, la Cour de cassation ne considère pas en principe
tout soutien financier accordé à une société filiale par sa mère comme une imbrication
des patrimoines448.
179 - D’autre part, le critère plus récent et plus flou449 des flux financiers anormaux : il
s’agit selon Madame Françoise PEROCHON de transferts patrimoniaux effectués par
action ou abstention mais en toute hypothèse, sans justification, ayant entraîné un
déséquilibre patrimonial significatif450 de l’une des entités du groupe au profit d’une ou
de plusieurs autres. Sur ce dernier point, les avis doctrinaux divergent. Certains auteurs
ont développé un argumentaire solide afin de ne retenir qu’une notion unique
d’indéterminabilité de la consistance patrimoniale451. Selon cette mouvance doctrinale,
les flux financiers anormaux ne sont qu’un indice mettant sur la voie de la confusion des
patrimoines. Il est vrai qu’il s’infère de la jurisprudence, en général, que ce critère semble
plus difficile à établir, notamment lorsqu’il s’agit des relations financières intragroupe, de
sorte que sa portée en est réduite s’il n’implique pas nécessairement une « impossible
dissociation des patrimoines »452.
445
Cass. com. 24 oct. 1995, n° 93-11.322 : cet arrêt évoque « un désordre généralisé des comptes
et un état d'imbrication inextricable » entre les patrimoines des deux sociétés ; Cass. com. 12 oct.
1993, op. cit. : La Cour de cassation évoque l’interpénétration entre les deux sociétés impliquant
une unité de patrimoines.
446
Cf. supra n° 24 et s.
447
ROUSSEL-GALLE (Ph.) et alii, op. cit., p. 55.
448
V. ainsi, Cass. com., 24 mars 2004 n° 01-10927 : Il s’agissait d’un soutien financier accordé
par un associé personne physique à la société.
449
PEROCHON (F.), op. cit., 9e éd., n° 327.
450
Ibid.
451
V. en ce sens, PEROCHON (F.), op. cit. ; REILLE (Fl.), La confusion des patrimoines, cause
d’extension des procédures collectives, Th., Litec 2006, p. 517 et s : L’auteur de la thèse
démontre avec beaucoup d’aplomb qu’en réalité le critère des relations financières anormales ne
devrait pas être autonome mais seulement servir d’indice pour caractériser la confusion des
patrimoines.
452
REILLE (Fl.), GPC, 8 oct. 2011, p. 22 ; Adde. Cass. com. 5 avr. 2011, n° 10-16496, BJE juill.
2011, n°7, p. 586, note PORACCHIA (D.) : « L’utilisation par le dirigeant de l’association en
liquidation judiciaire des sommes appartenant à l’association pour sa vie personnelle, la
confusion permanente entre le patrimoine du dirigeant et celui de la structure associative (…)
139 En ce sens, la Cour de cassation dans l’affaire Métaleurop a eu l’occasion d’affirmer que
toute anomalie dans les relations financières intragroupe n’équivaut pas à une anormalité
des flux financiers de nature à établir la confusion des patrimoines.
180 - Dans cette espèce, où les indices de confusion étaient foisonnants, cassant l’arrêt
de la Cour d’appel de DOUAI453 qui avait admis la confusion des patrimoines, la Cour de
cassation a estimé : « Qu’en se déterminant par de tels motifs impropres à caractériser en
quoi, dans un groupe de sociétés, les conventions de gestion de trésorerie et de change,
les échanges de personnel et les avances de fonds par la société-mère, qu’elle a constaté,
révélaient des relations financières anormales constitutives d’une confusion du
patrimoine de la société-mère avec celui de sa filiale, la cour d’appel, qui ne statuait pas
sur le fondement de l’article L. 624-3 du Code de commerce, n’a pas donné de base
légale à sa décision »454. Cet arrêt écarte la confusion de patrimoines en présence de
conventions de trésorerie. Cette décision s’imposait étant l’usage traditionnel par les
groupes de ce genre de procédé. Parallèlement, les échanges de personnel et les avances
de fonds ne suffisent pas non plus à établir des flux financiers anormaux. Cette position,
on l’aura compris, affaiblit donc ce dernier critère.
Toutefois, cette solution doit être nuancée puisqu’il s’agissait ici d’une relation financière
entre un holding et sa filiale. Il semble que la Haute juridiction ait pris en compte la
nature particulière d’une société holding qui n’est pas une entreprise comme les autres455.
Sa position au sein d’un groupe justifierait un assouplissement des critères traditionnels
de la confusion des patrimoines456. Ainsi, il est permis d’affirmer que le montage
structurel reposant sur un ensemble sociétaire interdépendant apparaît comme un fait
permettent au juge du fond de constater que ces flux financiers anormaux caractérisent
l’imbrication inextricable des patrimoines (souligné par nous) personnels du dirigeant et de
l’association, même si l’ensemble des opérations étaient clairement identifiées comptablement ».
453
Cf. supra n° 175.
454
Cass. com. 19 avril 2005, op. cit., JCP E, 2005, 1274, p. 1421, n°1, obs. PETEL (Ph.) : La
Cour de cassation invite implicitement ici le liquidateur judiciaire à agir sur un autre fondement :
la responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre de la société mère dirigeante de fait.
455
Cf. supra n° 58 et s.
456
MONSIERE-BON (M.-H.), Colloque Caen sur le montage juridique à l’épreuve des
procédures collectives. La situation de la société holding, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n°3, p.
60.
140 justificatif des relations financières anormales457, si tant est qu’elles ne soient pas
systématiques458
181 - En somme, la confusion des patrimoines repose sur une appréciation casuistique
des juges du fond. À l’évidence, la Cour de cassation veille rigoureusement à ce que les
critères de la confusion soient établis. Néanmoins, l’extension de procédure doit
demeurer l’exception459 afin de sécuriser les montages structurels et ne pas porter une
atteinte démesurée à la notion de groupe. Un auteur souligne bien l’intérêt de l’extension
de procédure au regard des montages structurels en affirmant qu’il s’agit d’un mécanisme
correcteur qui ne doit pas se transformer en mécanisme destructeur460.
457
GRELON (B.) et DESSUS-LARRIVÉ (C.), La confusion des patrimoines au sein d’un groupe,
Rev. Sociétés, 2006, sp. 290, n°19.
458
TRICOT (D.), La confusion de patrimoines et les procédures collectives, Rapport de la Cour
de cassation 1997, p. 165, sp. 170.
459
ROUSSEL-GALLE (Ph.) et alii, op. cit., loc. cit.
460
PETEL (Ph.) obs. ss. Cass. com., 19 avr. 2005, op. cit.
141 CONCLUSION TITRE 1 :
182 - Dans un premier temps, l’encadrement des montages juridiques par le droit des
entreprises en difficulté nous a conduit à les confronter à la notion commune, en droit, de
fraude. Nous avons vu que celle-ci est employée par notre droit au travers de garde-fous
spécifiques. Les montages structurels ainsi que les outils juridiques qui peuvent être au
service à la fois du débiteur, des créanciers ou des deux à la fois doivent être
raisonnablement utilisés. Néanmoins, ils bénéficient de manière générale d’une
présomption simple de validité de nature à renforcer leur usage par les concepteurs. En
effet, l’objectif du droit des procédures collectives ne doit pas être d’obstruer toute
volonté individuelle de la part des différents protagonistes de participer sereinement à
l’effort de redressement mais de sanctionner les agissements frauduleux tendant à réduire
les chances de satisfaction générale.
182 - Plus particulièrement, si le cloisonnement patrimonial destiné à limiter les risques
inhérents à la défaillance d’une entreprise n’est pas, par principe, un acte de tromperie ou
de mauvaise foi lorsque les conditions d’emploi sont respectées, il n’en est pas moins
constitutif d’une fraude lorsqu’il en résulte un préjudice patrimonial porté à l’encontre
des créanciers. Cependant, à ce titre, le juge admet de manière restrictive l’extension de
procédure faisant même l’objet d’une application modérée par la Cour de cassation. Cette
dernière estime, en effet, que la seule fraude traditionnelle aux droits des créanciers n’est
pas un motif qui, en tant que tel, permet de justifier l’extension d’une procédure461. Cette
autonomie reconnue à l’extension de procédure par rapport à la fraude462 va dans le sens
d’une souplesse rassurante pour les concepteurs de montages structurels au détriment des
créanciers.
183 - Alors, en considération des limites patentes érigées par les barrières trouvant leur
source commune dans le concept de fraude, d’autres ont été mises en avant par le
législateur et la jurisprudence afin d’appréhender les montages. Comme les premières, les
461
462
Cass. com. 10 janv. 2006, n° 04-18.917.
Au sens large tel qu’il est entendu en droit commun.
142 secondes consistent à décloisonner, déstructurer les groupements par l’adoption d’un
fondement juridique différent : le droit commun de la responsabilité civile. Il s’agit, plus
particulièrement, des sanctions consécutives à une atteinte patrimoniale des créanciers
engendrée par la conception de montages.
143 144 TITRE 2
Le décloisonnement patrimonial à
titre de sanction
184 -
Étant donné le danger que peuvent représenter les montages juridiques et
notamment ceux qui conduisent à une protection accrue du patrimoine du débiteur à
l’insu des créanciers, des armes juridiques ont été mis à la disposition de ces derniers afin
de combattre les débiteurs peu scrupuleux qui tenteraient d’échapper, tant bien que mal,
aux conséquences inéluctables d’une procédure collective.
185 -
Ces armes offrent la possibilité de lutter contre les montages à travers la notion
générale de responsabilité civile du dirigeant, plus exactement, à travers l’angle du
préjudice patrimonial que sont susceptibles de subir les créanciers. Nous verrons qu’elles
conduisent, d’une part, au décloisonnement patrimonial au sein d’un groupe de
société (Chapitre 1). Pour d’autres sanctions, le but est de réprimer la gestion fautive par
les dirigeants de l’entreprise ayant entraîné un préjudice pour les créanciers (Chapitre 2).
145 CHAPITRE 1 :
Le décloisonnement patrimonial au sein d’un
groupe de sociétés
186 - Rappelons pour commencer que le droit des entreprises, pas plus que le droit
commun, ne reconnaît l’existence du groupe de sociétés. Pourtant le mutisme de la loi à
son sujet, selon la théorie de la fiction, aurait pu conduire à appréhender cet « objet
juridique non identifié ». Toutefois, le principe d’autonomie des personnes morales prend
le dessus, et ce semble t-il, pour encore longtemps étant donné la frilosité du législateur
sur ce sujet. Cela a pour effet de permettre, nous l’avons évoqué, de réduire
considérablement les risques de propagation des difficultés à l’échelle du groupement.
Cela permet aussi à certains débiteurs, se dissimulant derrière le voile de la personnalité
morale, de contourner frauduleusement leurs obligations au mépris des droits des
créanciers mais aussi des normes environnementales impératives.
187 - Le droit du travail, permet aux salariés de contrecarrer, de manière plus efficace
encore que le droit des procédures collectives, les plans projetés par les véritables
dirigeants de la société défaillante auxquels elle est inféodée. En effet, le droit du travail
n’ignore pas l’existence des groupes de société sans, toutefois, reconnaître leur existence.
L’instauration par ce droit d’une obligation de constitution d’un comité de groupe par
l’entreprise considérée comme « dominante »463 est un exemple éloquent de ce que celuici tend à reconnaître
à travers le groupe l’existence d’une « entité économique ».
Néanmoins, des auteurs refusent, à juste titre, d’admettre l’existence d’une « personnalité
morale en latence »464 dans cette matière.
188 -
Dans le contexte spécial du traitement du passif social d’une entreprise en
difficulté, les employeurs de « l’ombre », c’est-à-dire ceux exerçant une influence
463
464
V. art. L. 2333-1 et s C. trav.
Exemple cité par ROUSSEL-GALL et alii, op. cit
146 déterminante sur la société en difficulté, chercheront par tous moyens à instrumentaliser
le principe de l’autonomie patrimoniale des sociétés afin d’échapper à leurs obligations
sociales ou environnementales dans le contexte d’une procédure collective. Plus
exactement, c’est l’hypothèse dans laquelle, dans le seul but d’échapper à ses obligations
sociales ou environnementales, une société mère, dissimulée derrière sa cloison, engendre
le déséquilibre de sa filiale en provoquant volontairement son asphyxie afin de bénéficier
du régime plus clément offert au débiteur, notamment en matière de licenciement, par le
droit des entreprises en difficulté465.
189 - Dans le cadre de ce chapitre nous démontrerons dans un premier temps qu’il
existe des correctifs à l’instrumentalisation des procédures collectives par les groupes de
sociétés afin d’échapper à des obligations sociales (Section 1).
Ensuite, nous verrons, qu’il existe un quatrième outil prévu dans l’arsenal législatif
permettant, de manière plus générale, par l’extension des obligations environnementales
465
V. en ce sens l’arrêt Sodimédical, Cass. Com. 3 juillet 2012, n° 11-18.025 : Un groupe
allemand Lohmann et Rauscher avait délocalisé une filiale française (Sodimédical) déficitaire en
Chine. La situation de cette dernière n’avait cessé de se dégrader, et la société mère était venue en
aide au moyen d’avances en compte courant. A maintes reprises, le tribunal de grande instance de
Troyes avait annulé des projets de licenciements de la société Sodimédical, estimant que le motif
économique n’avait pas été démontré. Suite au rejet réitéré de ses plans de sauvegarde de
l’emploi (PSE), ladite société sollicita le tribunal de commerce de Troyes d’une demande
d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, laquelle fut reçue par les juges consulaires.
Sur appel du comité d’entreprise, la CA de Reims considéra que la demande d’ouverture était
abusive et souligna l’absence d’autonomie de la société Sodimédical vis à vis de la mère. Les
juges du fond ont considéré que le débiteur n’avait pour seul objectif que de contourner l’échec
répété de ses plans de sauvegarde de l’emploi, et de permettre les licenciements dont les motifs
économiques ne pourraient plus être contestés.
L’arrêt du 3 juillet 2012 vient casser cette décision qui certes ne nous semble pas dénuée de tout
sens mais est néanmoins critiquable à bien des égards. En effet, les juges du quai de l’horloge ont
considéré d’une part que l’état de cessation des paiements « est caractérisé objectivement, pour
chaque société d’un groupe, par l’impossibilité pour elle de faire face à son passif exigible avec
son actif disponible » excluant ainsi la prise en compte de la situation du groupe, et d’autre part
ils éludent toute considération du mobile du débiteur dès lors que la cessation des paiements est
avérée.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation dont les motivations reposent sur une
interprétation stricte des conditions de l’ouverture d’une procédure de liquidation, récompense les
multiples efforts de la société Sodimédical ayant tenté vainement de proposer plusieurs PSE,
lorsque celle-ci était encore in bonis, mais semble favoriser l’instrumentalisation des procédures
collectives par le groupe afin de restructurer son passif social dans le cadre plus favorable du droit
des entreprises en difficulté.
147 de la société en difficulté à sa mère, de déstructurer le groupe de sociétés : ce sont les
dispositions prévues par la loi dite Grenelle II (Section 2).
SECTION 1. Les correctifs à l’instrumentalisation des
procédures collectives par les groupes de sociétés
190 - La jurisprudence en droit social a forgé un écueil, reposant sur le responsabilité
civile contractuelle de la mère, pouvant s’avérer redoutable afin de déjouer les montages
structurels ouvrant la voie aux velléités malsaines des co-employeurs (§1). Toutefois, ce
concept montrant parfois ses limites, d’autres barrières ont été érigées dans le même
sens : l’une classique repose sur la responsabilité délictuelle de droit commun (§2),
l’autre résulte d’une loi de circonstance, en l’occurrence, la loi pétroplus (§3).
§1. L’écueil de la notion travailliste de co-emploi
191 - Lorsque le débiteur est une filiale, la société mère est de plus en plus
fréquemment qualifiée de co-employeur466. Cette théorie, inventée par la Chambre
sociale de la Cour de cassation, consiste à reconnaître la qualité de co-employeur. Suite à
une action dite Aspocomp467, la qualité de co-employeur est reconnue à une société mère,
grand-mère468 voire une ou plusieurs sociétés soeurs, si une triple confusion d’intérêts,
d’activités et de direction avec une filiale469 est démontrée, et cela sans qu’il soit
nécessaire de caractériser le lien de subordination entre chacune et les salariés470, alors
même que cette théorie puise ses fondements du contrat de travail.
466
Pour de plus amples détails sur la notion, v. REYNES (B.), Groupes de sociétés : la théorie du
co-emploi, JCP G, 2012. 1292 ; LOISEAU (G.), Coemploi et groupes de sociétés, JCP S 2011.
1528
467
Du nom du célèbre arrêt Aspocomp de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du
17 janvier 2007, n° 05-42551 accueillant favorablement une action en reconnaissance de la
qualité de co-employeur de la société mère Aspocomp Group OYJ du groupe.
468
Cass. soc. 20 févr. 2013, n° 11-19.305
469
Cass. soc. 25 janvier 2006, n° 04-45.341 ; Cass. soc., 17 janvier 2007, op. cit.
470
Cass. soc. 22 juin 2011, n° 09-69.021 ; Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-12.278 et s.,
Métaleurop.
148 Ces trois conditions cumulatives sont appréciées souverainement par les juges du fond471.
Lorsque elles sont réunies, cela implique, sans conteste, « un dynamitage du montage
sociétaire »472. Mais comme le rappelle l’arrêt Flodor473, il s’agit, en ce cas, d’une
exception qui doit, ce faisant, s’apprécier de manière stricte. En outre, le motif du
licenciement du salarié s’appréciera alors à l’égard de la société mère co-employeur, de
même que la régularité du plan de sauvegarde de l’emploi qui devra être mis en place474.
Ainsi, la cessation d’activité de la filiale en raison de ses difficultés ne suffit plus, à elle
seule, à justifier le licenciement économique par le co-employeur475. Les licenciements
doivent donc être justifiés par le co-employeur sur le fondement d’autres motifs que les
difficultés de la fille, sans quoi, ils seront considérés comme sans cause réelle ni sérieuse.
192 - L’absence de caractérisation du lien de subordination entre chacune des entités du
groupe visée et les salariés, a eu pour effet d’assouplir les conditions de reconnaissance
du co-emploi et d’affaiblir l’efficacité des montages structurels. Ceci a provoqué de
471
Cass. soc., 20 févr. 2013, op. cit.
NEAU-LE-DUC (Ch.), Rev. proc. coll., 2011-4, 5., p. 45, n° 5 et s.
473
Cass. com. 13 janv. 2010, n° 08-15.776 : « une société relevant du même groupe que
l’employeur n’est pas, en cette seule qualité, débitrice envers les salariés qui sont au service de
ce dernier d’une obligation de reclassement (…) »
474
Rappelons que l’entreprise en difficulté bénéficie d’un régime de faveur en cas d’ouverture
d’une procédure (V. en ce sens, MORVAN (P.), Restructurations en droit social, LexisNexis,
2013, 3e éd., sp. la partie sur l’entreprise en difficulté) à son encontre et peut à ce titre établir, plus
aisément, un plan de sauvegarde de l’emploi dont l’élaboration en droit commun est gouvernée
par des règles plus contraignantes. En cas de reconnaissance de la qualité de co-employeur, la
jurisprudence sociale affirme que « le licenciement économique prononcé par l'un des coemployeurs mettant fin au contrat de travail, chacun d'eux doit en supporter les conséquences,
notamment au regard de l'obligation de reclassement » et, « en l'absence de recherche de
reclassements au sein du groupe, indemniser les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse »
(Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-12.278 à n° 10-12.325 et s.) ; de même, un plan de sauvegarde
de l'emploi doit être « mis en place par chacun des co-employeurs » (Cass. soc., 22 juin 2011,
n°09-69.021) et non dans le seul cadre de la société primo-employeur.
475
Cass. soc., 18 janv. 2011, n° 09-69.199 : « lorsque le salarié a pour co-employeurs des entités
faisant partie d'un même groupe, la cessation d'activité de l'une d'elles ne peut constituer une
cause économique de licenciement qu'à la condition d'être justifiée par des difficultés
économiques, par une mutation technologique ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité
du secteur d'activité du groupe dont elles relèvent », cela n’était pas le cas en l’espèce puisque
« la cessation d'activité de la société MIC ne résultait que de choix stratégiques décidés au
niveau du groupe, sans que des difficultés économiques les justifient, au niveau du secteur
d'activité du groupe, en a exactement déduit que les licenciements ne reposaient pas sur une
raison économique ».
472
149 nombreuses critiques de la part de certains, appelant au retour du critère d’existence
traditionnel du contrat de travail : la subordination476.
D’autres, dont nous approuvons l’opinion, condamnent le « contournement du droit du
travail par l’instrumentalisation des procédures collectives »477 qui justifie l’adoption de
critères plus souples permettant, ainsi, au droit social contourné de « rattraper » celui qui
le « fuit ». Néanmoins, la Chambre sociale de la Cour de cassation, par excès d’empathie
(ou de zèle ?) pour les salariés, n’hésite plus, semble t-il, à reconnaître la qualité de coemployeur bien qu’aucun comportement blâmable n’ait été constaté. À cet égard, la
solution de l’arrêt en date du 20 février 2013478 est assez surprenante puisqu’une société
grand-mère d’un groupe a été condamnée, en qualité de co-employeur. Pour ce faire,
entre autres indices menant au co-emploi, il a été retenu à charge contre elle, le soutien
apporté dans la préparation du plan social de sa filiale… ; cela risque sérieusement de
dissuader de nombreuses sociétés-mères qui, de bonne foi, tentent de soutenir leurs
filiales.
Par conséquent, si le juge commercial voit d’un œil relativement bienveillant les
montages dans le contexte des procédures collectives, son homologue travailliste n’est
pas du même avis loin s’en faut. La sanction du soutien légitime de la société nous
semble sévère et de nature à fragiliser des montages structurels tout aussi légitimes.
193 - En somme, les conséquences relatives à la reconnaissance d’une situation de coemploi peuvent être rapprochées de celles de l’extension de procédure en cas de fictivité
476
En ce sens voy. ANTONMATTÉI (P.-H.), Groupe de sociétés : la menace sur l’employeur se
confirme !, Sem. Soc. LAMY 2011. 1184.
477
DAMMANN (R.) et FRANÇOIS (S.), Le droit social à l’épreuve de l’instrumentalisation des
procédures collectives, D. 2012, p. 2212.
478
Cass. soc., 20 févr. 2013, op. cit. : « que la société Wirth et Gruffat était devenue une filiale à
100 % de la société Autania AG, qui appartenait au Groupe K..., que M. K..., président de la
société Wirth et Gruffat, exerçait des fonctions équivalentes dans la société Autania AG, que le
domaine exclusif d'activité du Groupe K...comme des deux sociétés était identique, à savoir la
fabrication de machines-outils et d'outils, que ces sociétés avaient une clientèle commune, ainsi
que des fournisseurs et prestataires communs, que la société Autania AG a conçu, financé et mis
en oeuvre le plan de relance de la société Wirth et Gruffat, que M. F..., consultant choisi par le
Groupe K..., a assuré la direction de fait de la société Wirth et Gruffat pendant la mise en oeuvre
de ce plan, que ce groupe a assuré un soutien financier à cette société jusqu'à la fin du mois de
juin 2008 ; qu'elle a pu en déduire qu'il existait entre les sociétés Wirth et Gruffat et Autania AG
une confusion d'intérêts, d'activités et de direction suffisant à conférer à la société Autania AG la
qualité de coemployeur à l'égard du personnel de la société Wirth et Gruffat »
150 ou de confusion des patrimoines. Il s’agit là d’un décloisonnement patrimonial au sein du
groupe de sociétés caractérisé par une immixtion dans la gestion. Le co-emploi est donc
bien une arme, forgée par la Chambre sociale de la Cour de cassation479, permettant, pour
les créanciers-salariés d’une entité défaillante du groupe, de fragiliser le montage
structurel en engageant la responsabilité de la société mère. Encore faut-il que les critères
strictement appréciés par les conseils de prud’hommes soient réunis, à défaut de quoi, les
salariés pourront tout de même se rabattre sur une autre option bien connue du droit
commun : la responsabilité délictuelle.
§2. La responsabilité délictuelle
194 - Les salariés d’une filiale en difficulté peuvent rechercher la responsabilité
délictuelle de la société mère sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Pour pouvoir agir sur un tel fondement, les salariés doivent se prévaloir d’un préjudice
personnel, spécial et distinct des autres créanciers, tels sont les critères dégagés par l’arrêt
Bull480. A défaut ils tombent sous le coup du traitement collectif de la procédure.
Autrement dit, seul le mandataire/liquidateur judiciaire serait en droit d’agir es qualités
de représentant des créanciers481.
Dans le même sens, les juges du fond semblent se diriger vers la voie de la
reconnaissance de l’utilisation de l’article 1382 en tant que moyen pour les salariés de se
prémunir contre le comportement frauduleux des groupes de société en acceptant, assez
largement, l’existence d’un préjudice personnel distinct et spécial des salariés, qu’en on
juge plutôt :
479
En opposition avec le juge commercial qui est moins compatissant avec les salariés : v. l’arrêt
Sodimédical cf. supra note 465.
480
Cass. Soc. 14 novembre 2007 n°05-21239 « la recevabilité de l’action engagée par un
créancier d’un débiteur en procédure collective contre un tiers dépend seulement du point de
savoir s’il justifie d’un préjudice spécial et distinct de celui évoqué par les autres créanciers » :
En l'espèce, la Cour de cassation a reconnu la possibilité d’agir en responsabilité délictuelle à
l’encontre de la société mère dès lors que le préjudice résultait de la perte de leur emploi, de la
diminution de leur droit dans la participation de la filiale ainsi que la perte de chance de
bénéficier du plan social élaboré par le groupe
481
MARTIN (P.), La réparation du préjudice individuel des créanciers dans les procédures
collectives, LPA 2001, n° 186, p. 4.
151 Le tribunal de commerce d’Orléans par un jugement du 1er juin 2012 décide que : « le
préjudice qui résulte d’une perte d’emploi ou d’un stress compte tenu notamment de
l’incertitude sur la poursuite éventuelle de son contrat de travail est un préjudice spécial,
personnel et distinct de l’ensemble des autres créanciers »482. Remarquons qu’ici, les
juges consulaires vont plus loin encore en accueillant favorablement les demandes des
salariés tendant à la réparation d’un préjudice moral.
195 - L’application du régime de la responsabilité civile délictuelle requiert aussi une
faute et un lien de causalité.
La faute consistera dans la provocation volontaire de la cessation des paiements de la
filiale en vue de profiter du régime avantageux, en matière de traitement du passif social
et de restructuration salariale, procuré par le droit des entreprises en difficulté au
débiteur. Le lien de causalité doit être direct et se déduira du préjudice que subiront les
salariés, à savoir celui découlant du licenciement nécessairement causé par la faillite
provoquée de la filiale.
La faute peut consister en une action ou une abstention483. À titre d’exemple484, prenons
les faits de l’arrêt Klarius rendu par la Cour d’appel de Versailles485. Dans cette espèce,
la société Klarius SAS France (anciennement Rosi SA, entreprise familiale de fabrication
et distribution d’échappements et catalyseurs) a connu un sort que connaissent de plus en
plus d’entreprises industrielles. En effet, celles-ci ont tendance à passer de main en main
avant d’être reprises par un groupe de sociétés, en l’occurrence britannique, dont l’unique
intention est de l’asphyxier et d’entrainer sa chute486. Cela a pour effet « de rentabiliser
une réorganisation (quasiment « sans bourse délier ») de l’activité de l’ensemble du
groupe »487.
482
T. com d’Orléans, 1er juin 2012, n° 2010-11170.
DAMMANN (R.) et FRANÇOIS (S.), op.cit.
484
V. encore les faits jugés par le T. com., 1er juin 2012, op. cit. : Une société mère (par ailleurs
qualifiée de dirigeant de fait) assèche sciemment la trésorerie de sa filiale en ne permettant pas le
remboursement d'un prêt lorsque cette dernière connaît des difficultés financières.
485
VERSAILLES, 31 octobre 2011, RG n° 10/00578.
486
SERVERIN (E.) et GRUMBACH (T.), Le groupe britannique Klarius intervenant forcé devant
la Cour d’appel de Versailles, ou comment l’AGS a transformé un procès indemnitaire en procès
exemplaire, Rev. dr. travail, 2012, p. 49.
487
VERSAILLES, 31 octobre 2011, op. cit.
483
152 Suite à cela, L’AGS dans un premier temps puis les salariés licenciés ont dénoncé
l’élaboration par les sociétés britanniques du groupe d’une stratégie commerciale visant à
l’abandon de la filiale française. Sont invoquées « l’instrumentalisation du droit des
faillites et la fraude aux droits de l’AGS488 »489. Pour ce faire, les plaideurs vont engager
la responsabilité délictuelle de la société mère de Klarius France. Ils obtiendront « gain
de cause » puisque les juges du second degré, après avoir écarté la notion de co-emploi
invoquée à titre subsidiaire par les demandeurs, ordonnent la réparation du préjudice subi,
tant par les salariés que par l’AGS490.
196 - En définitive, remarquons que, en sus de faire l’économie d’une énième réforme
dont l’opportunité est discutable491, l’utilisation de l’article 1382 du code civil, dont le
régime est bien connu aujourd’hui, conduit à un correctif efficace à l’instrumentalisation
des procédures collectives. La responsabilité délictuelle est l’arme la plus redoutable
conduisant au décloisonnement patrimonial du groupe de sociétés.
488
V. notamment, JACOTOT (D.), Le licenciement des salariés d’une composante d’un groupe
en liquidation judiciaire : entre droit du travail et droit civil !, Rev. proc. coll., mai-juin 2012, 17.
p. 18 : L’auteur rappelle que l’AGS garantit un nombre croissant de créances rattachées à la
rupture du contrat de travail. C’est elle qui va garantir le paiement des créances salariales nées au
jour du jugement d’ouverture, de même que les diverses indemnités de rupture du contrat de
travail. Ses fonds proviennent des cotisations patronales. Il est tentant pour la société mère
étrangère, non tenue de cotiser à l’AGS, d’orchestrer la liquidation judiciaire d’une filiale
française avec l’idée de profiter du système pour limiter ses coûts.
489
Ibid.
490
Sur la réparation de l’AGS la solution est assez novatrice puisqu’en règle générale l’AGS se
substituant aux droits des salariés ne peut exercer d’action que par le biais du liquidateur
judiciaire, V. sur cette question, DAMMANN (R.) et FRANÇOIS (S.), op. cit.
491
V. FAGES (B.), réforme de la responsabilité du fait d’autrui et sort réservé aux sociétés mères,
RLDC 2007/1, p. 115 et s. : L’auteur présente, entre autres, les pistes conduisant vers une réforme
dans le sens de la responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales ; Rapp. Loi Pétroplus
infra n° 197.
153 §3. Les sanctions prévues par la loi pétroplus
197 - La loi n° 2012-346 du 12 mars 2012492 dite pétroplus, ajoute au livre VI du Code
de commerce la possibilité de recourir à des mesures conservatoires sur des biens
appartenant à un des tiers à la procédure de redressement judiciaire d’une personne
morale débitrice, dans l’attente de la reconnaissance de la responsabilité pour
contribution à la cessation des paiements du dirigeant de droit ou de fait.
198 - Cette loi, qualifiée de circonstance par une doctrine unanime, a rebondi sur une
procédure collective très médiatisée. Pétroplus « grand » groupe pétrolier Suisse va, par
le biais de sa société mère, tenter de récupérer ses actifs, empêchant, de fait, la poursuite
de l’exploitation de plusieurs de ses filiales situées dans divers États membres et
notamment de ses filiales françaises exploitant en France des raffineries de pétrole493.
Plus généralement, elle est destinée à combattre les actes commis par certains groupes de
sociétés internationales considérés comme moralement répréhensibles et ayant des
conséquences économiques déplorables. Ces agissements sont du même acabit que ceux
dont nous évoquions, précédemment dans notre développement, les tares. Il s’agit, de
manière générale, pour des sociétés multinationales de dépecer des filiales en difficulté
en reprenant brutalement les biens, propriété des premiers, durant la procédure collective
des secondes provoquant ainsi une cessation des paiements de manière artificielle494.
492
LIENHARD (A.), Mesures conservatoires : irruption d’une loi applicable à l’affaire
(Pétroplus), D. 2012. Actu. 605 ; ROUSSEL-GALLE (Ph.), La loi pétroplus : quelques
réflexions… avec un peu de recul, Rev. Proc. Coll. 2012, Étude 16 ; LE CORRE (P.-M.), Pour
quelques barils de plus chez la fille et pour quelque dollars de moins… chez la mère : la loi
pétroplus du 12 mars 2012, Rev. sociétés 2012. 407
493
Challenges.fr, 21 janv. 2012 :
http://www.challenges.fr/entreprise/20120126.CHA9668/petroplus-soupconne-en-france-defaillite-frauduleuse.html.
494
On remarque, à la suite de certains auteurs comme LE CORRE (P.-M.) in Droit et pratiques
des procédures collectives, Dalloz action, 2013/2014, 7e éd, n° 926.09, que l’internationalité des
biens et des personnes entraîne un cloisonnement patrimonial particulièrement efficace qui pourra
poser un certain nombre de difficultés pour appréhender les actifs…
154 C’est en tout en cas ce que le législateur a cherché à combattre495 à travers cette loi
objectivant la situation particulière d’une des filiales française de 550 salariés appartenant
au groupe Pétroplus. Dans les faits, quelques heures avant la déclaration de cessation des
paiements, la société mère « siphonna » les comptes bancaires de sa filiale, soustrayant
ainsi 171 millions d'euros à la procédure collective. Toutefois, la société mère détenait la
propriété d'importants stocks de pétrole brut, évalués à 200 millions d'euros, notamment
dans le site de Petit-Couronne. Ce faisant, un moyen fut activement recherché afin de les
appréhender496 pour payer les dettes de la filiale, en particulier les dépenses liées aux
mesures environnementales et au plan de sauvegarde de l'emploi497.
199 - Ce nouvel outil mis à la disposition des créanciers permet d’agir afin
« d’ordonner une mesure conservatoire utile à l’égard des biens du dirigeant de droit ou
de fait à l’encontre duquel l’administrateur ou le mandataire judiciaire a introduit une
action en responsabilité fondée sur une faute ayant contribué à la cessation des
paiements du débiteur »498. Il ressort de ce texte l’évocation sibylline d’une nouvelle
action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements. Ce nouveau
dispositif est voué à être applicable lorsque la filiale en difficulté est en redressement
judiciaire et c’est là une des grandes nouveautés.
En liquidation judiciaire, il existait déjà l’action en responsabilité pour insuffisance
d’actif499. Mais aucune action en responsabilité à l’encontre du dirigeant de droit ou de
fait de la filiale n’était possible en redressement judiciaire. L’action en responsabilité
pour insuffisance d’actif doit se substituer à la nouvelle action en responsabilité pour
contribution à la cessation des paiements en cas de conversion de la procédure de
redressement en liquidation judiciaire. En outre, l’article L. 651-1 du Code de commerce,
prévoit que lesdites mesures conservatoires survivront à une telle situation.
495
Cf. Rapport AN, n° 4411.
Rapp. supra n° 136 sur l’utilisation de la fiducie à l’occasion de cette affaire.
497
V. en ce sens, MORVAN (P.), La loi pétroplus, les procédures collectives et … les salariés,
JCP E, janv. 2013, n°4, Ét. 1047.
498
Art. L. 631-10-1 du C. com.
499
Cf. infra n° 205 s.
496
155 200 - Le législateur n’indique pas la nature de la faute du dirigeant contribuant à la
cessation des paiements de la filiale. Il semble qu’il faille se décider, ici, au regard du
régime gouvernant la responsabilité pour insuffisance d’actif500. Il s’agira donc d’une
faute gestion de la société mère.
Quant au lien de causalité, il s’appréciera encore une fois, mutatis mutandis, en
considération de ce qui prévaut en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif501.
La faute ne doit pas avoir nécessairement causé la cessation des paiements mais
simplement y avoir « contribué ». Le lien de causalité est donc des plus distendu.
S’agissant du préjudice réparable, il résultera des conséquences pour la filiale débitrice de
l’affaiblissement programmé de son activité par la soustraction de certains biens
indispensables appartenant au groupe de sociétés.
201 - Certains auteurs502 considèrent qu’au lieu de voir dans cette nouvelle action une
déclinaison de l’action pour insuffisance d’actifs dont le régime resterait à bâtir, un
rapprochement utile peut être fait avec le régime connu de l’action en responsabilité sur
le fondement de l’article 1382 du Code civil503. À ceci nous objecterons que les deux
actions n’ont pas la même finalité. La première action est destinée à protéger les intérêts à
la fois individuels du débiteur et collectifs des créanciers tandis que la seconde consiste à
réparer le préjudice distinct, spécial et personnel d’un créancier. Le rapprochement avec
le régime l’action en responsabilité pour faute de gestion est plus opportun.
202 - En somme, La loi Pétroplus permet donc de mener à un décloisonnement des
patrimoines des sociétés du groupe. En particulier, elle permet, tout d’abord, de saisir à
titre préventif des biens d’une société mère du groupe ou de toute autre société exerçant
une direction de droit ou de fait lorsqu’une action en vue de faire condamner ceux-ci pour
contribution à la cessation des paiements est en cours. Puis, de céder ces biens et,
finalement, affecter les sommes obtenues au plan de sauvegarde de l'emploi et aux autres
500
LE CORRE (P.-M.), op. cit., 7e éd., n° 926.21.
Ibid.
502
MORVAN (P.), op. cit.
503
Cf. supra n°194 et s.
501
156 créances salariales504. Notons que la réussite de l’action en responsabilité est
indispensable puisqu’à défaut, les sommes affectées devront être remboursées au
propriétaire des biens saisis. Ce régime complexe a fait l’objet de nombreuses critiques
justifiées505, dont nous ferons l’économie des détails, démontrant la fragilité de cette arme
de destruction des montages structurels.
SECTION 2. L’extension spécifique de la loi Grenelle II
203 - La référence aux obligations environnementales trouve de plus en plus souvent
écho en droit des affaires et plus spécialement en droit des entreprises en difficulté en
raison de l’émoi suscité par des affaires récentes506.
À cet égard, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 dite Grenelle II, portant engagement
national pour l'environnement, prévoit que le tribunal de la procédure de liquidation
judiciaire, sur demande du liquidateur judiciaire, peut décider de condamner la société
mère auteur d'une « faute caractérisée (...) qui a contribué à une insuffisance d'actif de la
filiale »507, à supporter le financement de la remise en état du ou des sites en fin d'activité.
204 - Le but est de faire supporter à l’actionnaire majoritaire, même non dirigeant,
d’une filiale, les sommes nécessaires au financement de la remise en état d’un site pollué.
En règle générale, il s’agit de la société-mère.
L’activité doit avoir été exploitée par une filiale au sens de l’article L. 233-1 du Code de
commerce, soit une société détenue par une autre à hauteur de 50 % au minimum. La
qualité d’exploitant d’une installation classée au sens de l’article L. 511-1 du Code de
504
V. en ce sens, MORVAN (P.), op. cit.
V. entre autres, PEROCHON (F.), De la mesure dite conservatoire à l’exécution sommaire
anticipée, BJE, 2012, 73 : L’auteur critique vigoureusement l’étape de la cession des biens saisis
à titre préventif.
506
L’affaire Métaleurop, dont nous avons parlé (cf. supra n° 180), avait provoqué l’indignation
générale car la société mère étrangère s’était complétement désintéressée des problèmes
environnementaux engendrés par la cessation d’activité de sa filiale française. Rappelons que
dans cette affaire la confusion des patrimoines avait été écartée par la Cour de cassation ce qui
avait laissé entrevoir la possibilité d’agir sur un autre fondement : la responsabilité pour
insuffisance d’actif contre la mère. Le législateur s’est donc manifestement inspiré de cette
solution pour mettre en place de nouvelles sanctions environnementales.
507
L. 512-17 du C. env.
505
157 l’environnement pour la filiale est requise et, à ce titre, elle est tenue d’une obligation de
remise en état, en tant qu’ultime exploitant du site. Elle est également débitrice de cette
obligation en tant que cédant de l’entreprise exploitant un site polluant et que le
cessionnaire n’a pas repris le site pollué. À défaut d’exploitation du site, le propriétaire
n’est pas tenu par cette obligation.
Ce dispositif permet tout particulièrement d’éviter les montages à deux niveaux508 ayant
vocation à vider de portée l’article L. 512-17, alinéa 2 du Code de l’environnement en
prévoyant que si une filiale, qui exploite, est détenue par une société, si cette dernière a
été condamnée et qu’elle n’est pas en mesure d’assurer le financement de la remise en
état du site pollué par sa filiale, c’est la « grand-mère » souvent un holding, c’est-à-dire la
personne morale détenant la société actionnaire majoritaire de la filiale exploitante, qui
sera recherchée en responsabilité et non plus seulement sa mère509.
508
Par montage à deux niveaux nous entendons un lien de parenté « bi-générationnel » et
vertical : une filiale, une mère et une grand mère.
509
MONTÉRAN (Th.), Liquidation judiciaire et sites pollués : une action en recherche de
maternité, D. 2010. n° 2859 et s., sp. 2860.
158 CHAPITRE 2 :
La sanction patrimoniale consécutive à une
faute de gestion
205 - L’autonomie des personnes morales fonde un cloisonnement en principe efficace.
Parmi les fondements posés par le droit des entreprises en difficulté permettant d’éviter
l’utilisation dévoyée de ce principe dans le but d’échapper, par le biais de montages
structurels, à toute appréhension du patrimoine in bonis par une procédure, la
responsabilité consécutive à une faute de gestion en est un.
206 - Jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 décembre 2008, il existait deux
sanctions patrimoniales à l’encontre du dirigeant d’une société en difficulté qui étaient
prévues par le livre VI du Code de commerce. La responsabilité pour insuffisance d’actif
et l’obligation de contribution aux dettes sociales. Étant donné que les régimes des deux
actions étaient similaires, le législateur de 2008 n’en a retenu qu’une : la responsabilité
pour insuffisance d’actif (RIA), qui fera l’objet, ici, de notre attention.
207 - En tout état de cause, l’article L. 651-2, alinéa 1er, prévoit qu’en présence d’une
insuffisance d’actif, « le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette
insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en
tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux,
ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut,
par décision motivée, les déclarer solidairement responsables ».
Il s’agit donc de sanctionner le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale en
procédure de liquidation judiciaire510, dès lors que sa faute de gestion, par exemple un
retard dans la déclaration de la cessation des paiements, a contribué à l’insuffisance
d’actif de l’entreprise.
510
Cf. art. L. 651-2 C. com.
159 Au-delà de l’examen précis, sortant du cadre de notre sujet, de la faute de gestion : notion
au demeurant malléable, mouvante, sur laquelle repose cette action511, contentons-nous
de démontrer que la sanction patrimoniale consécutive à cette faute de gestion du
dirigeant permet de limiter l’efficacité de certains montages ayant fait l’objet de notre
étude.
208 - Plus particulièrement, la responsabilité pour insuffisance d’actif peut atteindre
aussi bien l’EIRL (Section1), que l’une des sociétés d’un montage structurel en tant que
dirigeant de fait (section 2).
SECTION 1. L’EIRL à l’épreuve de la RIA
209 - L’entrée en vigueur du statut de l’EIRL a permis de retenir la responsabilité de
l’entrepreneur fautif en cas de mauvaise gestion de son activité au titre de son patrimoine
affecté visé par une procédure de liquidation judiciaire512. L’action consistera à prononcer
une sanction patrimoniale atteignant ses autres patrimoines. Toutefois, bizarrerie du
législateur, l’article L.651-1 du Code de commerce vise seulement le patrimoine affecté.
Or, on sait que l’activité de l’entrepreneur cible de la procédure collective peut aussi se
loger dans le cadre de son patrimoine non affecté. Cette solution malvenue conduit donc
à une immunité de l’entrepreneur lorsque son activité est exercée dans son patrimoine
non affecté.
210 - En somme, l’EIRL est susceptible d’engager sa responsabilité, cela affecte ses
patrimoines prétendument à l’abri de la procédure collective entachant son activité et
constitue un écueil que l’entreprise doit prendre en compte513. De surcroît, la
multiplication de patrimoines distincts gérés par un seul et unique entrepreneur paraît être
511
V. par exemple pour un aperçu bref de la question, MESTRE et alii, Droit commercial,
L.G.D.G, 2014, n° 1567 et s ; plus complet PEROCHON (F.), Entreprises en difficulté, 9e éd., n°
1486 et s ; voire le nec plus ultra des aperçus, LE CORRE (P.-M.), op. cit., 7e éd., n° 921 et s.
512
Art. L. 651-1 C. com.
513
V. en ce sens, MARTIN-SERF (A.), EIRL : attention aux actions en responsabilité pour
insuffisance d’actif, Rev. Proc. Coll., 2011, Dossier 31.
160 un environnement propice à la faute de gestion. La bonne gestion comptable est sûrement
l’un des points sur lesquelles il doit se concentrer. D’autant que l’on sait qu’une mauvaise
gestion permet facilement de retenir une faute de gestion514.
SECTION 2. Les montages structurels à l’épreuve des dangers
de la direction de fait fautive :
211 - Sont passibles d’une sanction consécutive à une faute de gestion les dirigeants de
fait ou de droit de la personne morale en liquidation judiciaire. S’il n’est pas difficile
d’engager la responsabilité du dirigeant de droit mis en évidence par l’ensemble des
documents officiels et désigné, en tant que tel, pour gérer le groupement aux yeux des
tiers, il semble au contraire plus délicat de prouver l’existence du « marionnettiste ». Or,
il est évident qu’afin de protéger au mieux l’efficacité du montage structurel, les sociétés
détenant une participation majoritaire de la société en difficulté, parfois par le biais d’une
seconde personne morale elle-même s’exprimant par un porte-parole, se garderont de
s’exposer directement à la vindicte de la meute des créanciers. Ces derniers peuvent alors
démontrer que celui qui, à leurs yeux semblait, a priori, avoir commis une faute de
gestion de l’entreprise en difficulté, n’est en réalité qu’un « homme de paille » soumis à
un dirigeant de fait.
212 - Cette notion qualifiée par la doctrine de « couteau suisse prétorien » est
difficilement déterminable. Le dirigeant de fait serait selon une définition proposée par le
professeur Pierre-Michel LE CORRE « la personne qui exerce, directement ou par
personne interposée, une activité positive et indépendante d’administration générale
d’une personne morale, sous le couvert ou aux lieu et place de ses représentant
légaux »515. La jurisprudence évoque une personne accomplissant les mêmes actes de
gestion que le gérant de droit sans être investie de ses fonctions516. Cela implique donc
nécessairement l’idée d’une immixtion dans la gestion matérialisée par des actes positifs
514
V. par ex., Cass. com. 14 déc. 1993, n° 91-20.839, Dupin c/ Bouffard.
LE CORRE (P.-M.), op. cit., n° 921.21.
516
Cass. com. 15 mars 2005, n° 03-19.577 ; Cass. com. 7 mars 2006, n° 04-20.355 ; Cass. com. 6
oct. 2009, n° 08-15.378.
515
161 ne se cantonnant pas à un simple conseil517. Notons que, cette dernière notion, a été
consacrée par le législateur à l’article L. 650-1 du Code de commerce au titre des
situations de fait permettant de retenir la responsabilité du créancier pour soutien abusif.
En revanche, la simple influence exercée par une personne dans une société518, et
particulièrement au sein du comité des associés519 ne suffit pas à elle seule à caractériser
la direction de fait.
On l’aura compris, la démonstration de cette situation relève du domaine de la
casuistique. Partant, seul un faisceau d’indices concordants permet d’établir la
responsabilité du dirigeant de fait ayant par ses agissements positifs causé la défaillance
de l’entreprise.
213 - Les relations entre mères et filiales conduisent très fréquemment les liquidateurs
judiciaires à rechercher la responsabilité de la société-mère ayant agi en qualité de
dirigeant de fait. Il en va ainsi, par exemple, lorsque la filiale reçoit toutes ses instructions
de sa mère520 ou encore, lorsque la société mère continue à exploiter la branche d’activité
pourtant filialisée521. De même, les montages structurels à double niveau ne résisteront
pas à l’action en RIA, c’est le cas lorsqu’un holding détient une participation majoritaire
dans la société mère contrôlant la filiale dans le cadre. L’exemple topique est la
procédure collective émaillant la cible dans le cadre des montages LBO. Dans cette
configuration, il a été jugé que l’absence d’autonomie de la filiale vis-à-vis de la société
mère qui, elle même, agit sous les ordres du holding, est de nature à ouvrir la voie d’une
action en RIA à l’encontre de ce dernier522. Toutefois, à l’évidence, la présomption est en
faveur des montages structurels. La simple détention 99 % de participation dans le capital
d’une filiale ne permet pas, en lui même, de retenir la direction de fait523.
517
LE CORRE (P.-M.), op. cit., loc. cit.
Cass. com. 1er mars 2005, n° 02-20.680.
519
Cass. com. 30 mai 2006, n° 05-14.958.
520
Par ex., Cass. com. 6 juin 2000, n° 96-21.134.
521
Cass. com. 23 nov. 1999, n° 97-14.693.
522
Cass. com., 2 nov. 2005, n° 02-15.895, Rev. sociétés 2006. 398, note PORACCHIA (D.).
523
Ibid.
518
162 214 - Remarquons pour finir, qu’en plus d’encadrer les montages juridiques en
sanctionnant les abus de personnalité morale. Cette sanction consécutive à une faute de
gestion commise par le dirigeant de fait, peut permettre, en pratique, aux organes de la
procédure, notamment le mandataire judiciaire de brandir cette arme, dès les phases de
négociation amiable524, afin d’inciter le véritable dirigeant à fournir des efforts. En effet,
lorsque les preuves d’une faute de gestion sont réunies et impliquent indéniablement la
possibilité de requalifier la société mère en dirigeant de fait, elle aura tout intérêt à éviter
la liquidation judiciaire de sa filiale. Par conséquent, la RIA est, certes, un outil
sanctionnateur et « décloisonnant », mais il peut aussi se transformer en outil proactif.
524
C’est-à-dire soit sous mandat ad hoc, soit en conciliation.
163 CONCLUSION TITRE 2
215 - Les montages juridiques et tout particulièrement structurels sont, à coup sur,
exposés aux dangers liés aux sanctions patrimoniales posées par le droit des entreprises
en difficulté et érigées par la jurisprudence. L’absence d’autonomie décisionnelle et donc
patrimoniale se matérialisant par une immixtion dans la gestion de la filiale en difficulté
est le dénominateur commun à toutes les sanctions engendrant des conséquences aux
antipodes des effets cloisonnant attendus d’un montage structurel. Il s’agit de l’écueil
principal à éviter pour les groupes de société afin d’éviter qu’une société mère ne voit sa
responsabilité engagée en dépit du cloisonnement patrimonial censé a priori la protéger.
D’ailleurs, cette caractéristique commune se retrouve aussi dans l’action en extension de
procédure et fait naître, comme nous l’a démontré l’arrêt Métaleurop525, un concours de
qualifications entre les différentes normes impératives encadrant les montages. Cela
démontre les liens étroits qu’entretiennent les différentes sanctions proposées par la loi.
De fait, elles se chevauchent de par leur identité de nature et sont toutes dirigées vers la
même finalité.
216 -
Cependant, il convient de relativiser ces dangers puisque les montages structurels
bénéficient de manière générale d’une présomption de validité. Ce faisant, les créanciers
individuellement ou par le biais de leur représentant devront combattre celle-ci par
l’apport d’éléments de faisceaux d’indices de nature à engager la responsabilité du
véritable maître de l’affaire à savoir la tête de groupe celle qui n’est pas contrôlée
directement ou indirectement par une autre société et qui possède au moins une filiale.
525
Pour les références de l’arrêt cf. supra n° 180. Dans cette affaire, la Cour de cassation avait
écarté la confusion des patrimoines et laissé, implicitement, entrevoir la possibilité d’agir sur un
autre fondement : la responsabilité pour insuffisance d’actif contre la mère.
164 CONCLUSION PARTIE II
217 - Structurellement reconnu par le droit, le montage juridique, puisant sa source de la
loi, consistant dans l’assemblage d’outils juridiques mis à disposition par le législateur,
n’en est pas moins soumis au contrôle du droit des entreprises en difficulté dans un
contexte conjoncturel. Les éléments le composant ainsi que ses effets et sa finalité
doivent respecter un ensemble de normes impératives, érigé par la loi ou forgé par la
jurisprudence, destiné à protéger l’intérêt général ou particulier des créanciers des
velléités malsaines de certains débiteur ou créanciers. Comme le souligne, le Professeur
Didier PORACCHIA le montage doit avant tout être légitime526.
Cela vaut pour les montages structurels.
218 - De fait, confrontés aux impératifs du droit des entreprises en difficulté, les
montages sont une « entreprise » risquée. Souvent, un élément constitutif du montage
sera remis en cause527, ce qui, par effet « boule de neige » entraîne des conséquences
lourdement préjudiciables pour ceux qui pensaient bénéficier des effets positifs du
montage. L’effet positif dans le contexte des procédures collectives est la protection des
intérêts patrimoniaux. Cela est valable aussi bien pour le débiteur lato sensu528 que pour
ses créanciers.
Les situations dans lesquelles le montage peut être remis en cause sont très variées et
dépendent de l’appréciation tout aussi variable de la jurisprudence. Les notions cadres
des fondements juridiques sanctionnant les montages sont souvent malléables et floues en
plus de se chevaucher. Cela renforce l’insécurité juridique et fragilise d’autant plus les
montages.
526
PORACCHIA (D.), op. cit., n° 730.
C’est le cas par exemple des actes annulables parce qu’il sont passés durant la période
suspecte.
528
Ici par débiteur nous entendons aussi bien le débiteur apparent dans un rapport simple, que le
débiteur que nous appellerons débiteur de « l’ombre » c’est-à-dire celui qui se dissimule derrière
le paravent d’une autre société tout en exerçant son influence sur le débiteur apparent.
527
165 219 - Cela étant et sans trop exagérer le danger, la sanction des montages demeure
l’exception. La majorité des montages résisteront au choc de la procédure collective.
Dans cette perspective, le juge adopte une position pragmatique et rappelle constamment
le principe de la présomption de validité des montages. Le montage habile et dépourvu
d’intention frauduleuse n’est pas, en lui-même, interdit par principe, loin s’en faut. À ce
titre, le juge, avant de s’adonner à son travail de qualification, contrôle d’une part, la
finalité des concepteurs et, d’autre part, les effets plus ou moins nuisibles des montages à
l’égard des intérêts patrimoniaux des créanciers. Pour faire simple, lorsque le montage est
légitime voire, a fortiori, au service des procédures collectives, alors il n’y a aucune
raison de le remettre en cause.
166 CONCLUSION GENERALE
220 - Abordant l’étude des montages juridiques à l’aune du droit des entreprises en
difficulté, nous avons montré, à travers des exemples topiques, que le montage, figure
désormais bien connue de notre droit, formidable reflet des moyens offerts par la liberté
contractuelle pour aménager un régime propre et dérogatoire, peut avoir plusieurs
finalités dans le contexte particulier du droit des entreprises en difficulté.
Pour le débiteur, le montage structurel n’est pas conçu à l’origine pour protéger ses
intérêts en cas de défaillance mais pour lui permettre d’optimiser son activité en évitant,
par l’assemblages d’actes juridiques licites, de subir de front certaines législations
contraignantes. Malheureusement, le parcours d’une entreprise est semé d’embûches et
dans un climat fortement conjoncturel les difficultés peuvent rapidement faire surface.
C’est à ce moment précis que les montages se révèlent salutaires pour le débiteur. Ils
permettront d’épargner une partie du patrimoine de ce dernier. De manière générale, ils
résisteront assez bien à une procédure collective pour peu qu’ils soient utilisés de manière
raisonnable et non frauduleuse. Eu égard à l’internationalisation des rapports
économiques,
les
montages
seront
souvent
transfrontaliers
et
impliqueront
nécessairement des personnes, des biens, des intérêts divergents, qui seront éparpillés aux
quatre coins du monde. Chemin faisant,
nous avons remarqué que les montages
résistaient d’autant plus à l’onde de choc du séisme que provoque une procédure
collective. La complexité et le laxisme des régimes tant européens qu’internationaux du
droit des faillites ouvrent des brèches considérables dans lesquelles s’engouffrent
volontiers les concepteurs.
D’autres montages sont conçus pour la protection des intérêts des créanciers. La position
délicate qui est la leur dans une procédure collective conduit souvent à les décourager et,
ainsi, délaisser le débiteur.
D’une part, des montages permettent de rassurer les
créanciers en leur procurant des sûretés efficaces. Partant, cela les incite à apporter leur
167 concours dans le sens du redressement de l’entreprise. Le montage satisfait dans ce cas
les intérêts de toutes les parties. C’est le cas, par exemple, de la fiducie dont les multiples
facettes séduisent indéniablement les praticiens des procédures collectives. D’autre part,
des montages garantissent aux créanciers un rang prioritaire dans le paiement de leurs
créances. Il s’agit, entre autres, de la subordination de créances assurant aux « seniors »
une priorité de paiement conventionnelle sur d’autres créanciers, tels le mezzaneur, qui y
trouve quant à lui l’avantage d’une prime de risque substantielle. Ce mécanisme est
variable à l’infini et reflète à merveille la capacité de la liberté contractuelle à régir une
organisation volontaire d’actes.
Enfin, certains montages sont tournés vers le sauvetage de l’entreprise lorsque la situation
semble irrémédiablement compromise. Ils ont vocation à dénouer des situations délicates
en soutien au dispositif légal. Lorsque plus rien ne semble possible, ils organiseront un
changement de contrôle ou un transfert d’entreprise de la manière la plus efficiente via
des techniques d’ingénierie juridique et financière.
En tout état de cause, les montages juridiques vivifient le droit des entreprises en
difficulté. Ils sont, tout d’abord, des instruments permettant de pallier ses limites et ses
insuffisances conceptuelles en apportant des réponses pragmatiques pour satisfaire les
intérêts de chacun des protagonistes d’une procédure préventive ou collective. Ensuite,
les montages rééquilibrent les forces entre le débiteur et les créanciers sensiblement lésés
par le droit des entreprises en difficulté, même si, des inégalités sont gommées au gré des
réformes.
221 - Cependant, le droit des entreprises en difficulté n’ignore pas l’existence des
montages et encadre activement leur utilisation par la mise en place de régimes
dérogatoires. Chacun des montages que nous avons présenté peut être appréhendé
spécialement par notre droit des procédures collectives et par la jurisprudence. Les
régimes applicables sont particuliers et le degré de rigidité de la norme applicable
décidera de l’opportunité de l’utilisation de telle ou telle pièce dans l’assemblage final.
168 Par ailleurs, notre droit mais aussi la jurisprudence ont mis à la disposition de ceux qui
s’estiment lésés par un montage des armes permettant de les démanteler ou de
sanctionner les concepteurs. Ces garde-fous, reposent sur deux notions connues du droit
commun, à savoir la fraude et la responsabilité civile contractuelle ou délictuelle. La
première se caractérise par une atteinte illicite aux droits des créanciers et entraîne une
destruction du montage ou d’un de ses éléments par la nullité des actes ou
l’inopposabilité de l’assemblage tout entier. La seconde repose sur le constat d’une
immixtion fautive dans la gestion du débiteur apparent par le débiteur dissimulé portant
préjudice aux créanciers individuellement ou collectivement. Le juge les applique avec
parcimonie et de manière exceptionnelle en contrôlant les conditions d’application de
manière stricte afin de garantir une certaine sécurité aux monteurs.
À cet égard, une certaine éthique dans l’utilisation des montages est à conseiller pour se
prémunir des écueils posés par le droit des procédures collectives. Il est certain que la
conception d’un montage après la survenance des difficultés jette la suspicion sur
l’honnêteté des concepteurs et sous-tend nécessairement l’existence d’une fraude. De
même, l’absence d’autonomie d’une structure d’un montage alors que celui-ci repose
justement sur le principe d’autonomie de ses structures implique forcément une anomalie
de nature à « dynamiter » le montage.
222 - En définitive, les montages, loin d’être sévèrement stigmatisés par le droit des
entreprises en difficulté, sont des moyens légitimes de protection des intérêts
patrimoniaux de chacune des parties. Leur utilisation doit rester pour cela suffisamment
raisonnable et réaliste. Pour ce faire, les concepteurs ont tout intérêt à anticiper les
défaillances de l’entreprise ab initio en prévoyant dès la conception du montage les
conséquences plausibles d’une éventuelle procédure collective. Une fois les difficultés
survenues, « lâcher ce que l’on a dans la main sous espoir de grosse aventure est
imprudence toute pure »529.
529
LA FONTAINE, le loup et le chien maigre, livre IX, n° X.
169 170 BIBLIOGRAPHIE
I – OUVRAGES GENERAUX, DICTIONNAIRES :
v
v
v
v
v
BRAUDO
(S.),
BRAUMANN
(A.),
Dictionnaire
du
droit
privé :
http://www.dictionnaire-juridique.com.
CORNU, Vocabulaire juridique, PUF.
Littré, Dictionnaire de la langue française : http://www.littre.org.
Le Robert Micro Poche
Centre national de ressources textuelles et lexicales, CNRS, http://www.cnrtl.fr.
II – TRAITES, MANUELS, OUVRAGES SPECIAUX, THESES:
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
v
ABEILLE, La simulation dans le droit des sociétés, L.G.D.J, 1938.
BARBIER (H.), La liberté de prendre des risques, PUAM, 2011.
BONHOMME (R.), Instruments de crédit et de paiement, L.G.D.J, 9e éd.
COQUELET (M.-­‐L.), Entreprises en difficulté, Instruments de paiements et de crédit, Dalloz, 4e éd.
COZIAN et alii, Droit des sociétés, Lexis Nexis/Litec, 23e éd.
COZIAN et DEBOISSY (F.), Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis, 37e éd.,
2013/2014.
DELRIEU (S.), Indivision et procédures collectives, Th. Toulouse, 2006, dir. SaintAlary-Houin (C.).
DEMEYERE (D.), Personnalité morale et droit des entreprises en difficulté, th. Paris X
Nanterre, 2005.
DOM (J.-Ph.), Les montages en droit des sociétés, Joly édition. 1998.
FROELICH (Ph.) et SENECHAL (M.), in LUCAS (F.-X.) et LECUYER (H.) dir., La
réforme des procédures collectives, La loi de sauvegarde article par article, L.G.D.J 2006.
JACQUEMONT (A.), Droit des entreprises en difficulté, Lexis Nexis, 8e éd. 2013.
KHACHANI F., Techniques préventives et sauvetage des holdings de LBO en difficulté,
Th. Toulouse, 2012.
LE CORRE (P.-M.), Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action,
2013/2014,
LIENHARD (A.), Procédures collectives, Delmas, 4ème éd., 2011/2012.
MENJUCQ (M.), Droit international et européen des sociétés, Montchrestien, 3e éd.
2011
MESTRE et alii, Droit commercial, L.G.D.G, 2014.
MORVAN (P.), Restructurations en droit social, LexisNexis, 2013, 3e éd.
MOULIN (J.-M.), le droit de l’ingénierie financière, Gualino, 4e éd. 2013.
PAILLUSSEAU (J.), La société anonyme, technique juridique d’organisation de
l’entreprise, Sirey, 1967.
PEROCHON (F.), Entreprises en difficulté, L.G.D.J, 9ème éd.
PORACCHIA (D.) :
171 §
§
v
v
v
v
v
v
v
v
v
Recherches sur les montages conçus par les professionnels du droit, Th. 1997, AixMarseille
La réception juridique des montages conçus par les professionnels du droit, 1998,
PUAM.
RAIMBOURG (Ph.) et alii, Ingénierie financière, fiscale et juridique, Dalloz Action,
2006-2007.
REILLE (Fl.), La confusion des patrimoines, cause d’extension des procédures
collectives, Th., Litec 2006.
SAINT-ALARY-HOUIN (C.), Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 9e éd.
SAUTONIE-LAGUIONIE (L.), Th. La fraude paulienne, sous la direction du
Professeur Wicker (G.), L.G.D.J, coll. bibl. de dt. privé, juillet 2008.
SEFKALI (Z.), Droit des financements structurés, préf. Mattout (J.-P.), éd. Revue
Banque, 2004.
SENECHAL (M.), L’effet réel de la procédure collective, th. Litec 2002.
AYNES (L.) et CROCQ (L.), Les sûretés, 5e éd., 2011
TEXIER (A.-S.), EIRL et droit des entreprises en difficulté, in Droit 360°, dir.
ROUSSEL GALLE (Ph.), 2012, n°1.
VALLANSAN (J.) et alii, Difficultés des entreprises, Commentaire article par article du
Livre VI du Code de commerce, 6e éd., 2012, Lexis Nexis / Litec, p. 349.
III - REPERTOIRES, OUVRAGES PRATIQUES ET
PUBLICATIONS DIVERSES :
v
v
v
v
v
v
v
v
v
DAIGRE (J.-J.), Sociétés fictives, Rép. Soc., Dalloz, 2012.
FAGES (B.) :
§ Lamy Droit du contrat 2014, V. Fraude et action paulienne, n° 241-15 et s.
§ La rédaction du contrat – Conseils pratiques, Lamy Dr. Contrat, mai 2010, n° 170-13.
FARGUES (M.), La conversion de créances en capital, mémoire sous la dir. de
GERMAIN (M.), mai 2011, Univ. Paris II Panthéon-Assas.
J.-L. GRANGE, R. MATUCHANSKY, H. MERAUD et T. GICQUEAU, LBO Guide pratique, 2003, AFIC.
Memento fiscal, Francis LEFEBVRE 2014.
Memento groupe de sociétés, Francis LEFEVBRE 2011-2012.
MONSIERE-BON (M.-H.), Groupes de sociétés. Régime juridique. Filiales,
participations et sociétés contrôlées, J.-Cl. Sociétés Traité, fasc. 165-10.
PORACCHIA (D.) et MERLAND (L.), in LBO (Acquisition avec effet de levier », Rép.
Soc. Dalloz, 2013, n° 5.
SAINT-ALARY-HOUIN (C.) et MONSIERE-BON (H.), J.-Cl. Proc. coll., 2013, fasc.
2502, 2505, 2507, 2508 et 2510.
IV - ARTICLES DE DOCTRINE :
172 ñ ANTONMATTÉI (P.-H.), Groupe de sociétés : la menace sur l’employeur se
confirme !, Sem. Soc. LAMY 2011. 1184.
ñ AYNES (L.), RLDC, mai 2009, 60. p. 65.
ñ BARBIERI (J.-F.), Confusion des patrimoines et fictivité des sociétés, LPA 1996.
ñ BARRIERE (F.), La fiducie-sûreté en droit français, (2013) 58:4 McGill LJ.
ñ BECQUE-ICKOWICZ (S.) et DUMONT-LEFRAND (M.-P.), Cah. dr. entr. E 2011-3,
mai juin, dossier 15.
ñ BERTHOUD-RIBAUTE (H.), Le sort de la société civile immobilière dans la
procédure collective, RTD com., 2003, p. 259.
ñ BERTREL (J.-P.), Ingénierie juridique : le « montage Tapie », Dr. et patrimoine 1998,
o
n 59, p. 24.
ñ BLANC (G.),
§
§
EIRL : nullités de la période suspecte, Rev. Proc. Coll. 2011-2, 29, p. 104.
Les actes passés en période suspecte, Rev. Proc. Coll., 2006, 66.
ñ BONNEAU (Th.), L’associé unique d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité
limitée peut-il être une association, Dr. sociétés, avr. 1995, p. 3.
ñ BORGA (N.),
§
§
§
Regards sur les sûretés…, RDB juin 2009, p. 9, n° 13, p. 13.
Titres super-subordonnés et plan de sauvegarde, BJE, juin 2010, n° 6, p. 604
BJE, mars 2011, p. 76, n° 7.
ñ BRIAND (Ph.), Retour sur la notion de coobligé, BJS, sept. 2012.
ñ CABRILLAC (M.) et PETEL (Ph.), JCP E 2009, 1008, n° 9.
ñ CAMENSULLI-FEUILLARD (L.), BJE sept. 2011, n° 125, p. 243.
ñ CERATI-GAUTHIER (A.), L’associé dans la loi de sauvegarde, Rev. sociétés 2006,
305 s.
ñ COZIAN
§ Le charme des sociétés civiles immobilières : charme intact ou charme fané : RJ Com
2004, p.64.
§ Société civile immobilière-société d'exploitation : est-ce vraiment un couple infernal ?,
JCP E, 1997. I. 634.
173 ñ CUJATAR (C.), Le montage société civile immobilière/société d'exploitation à l'épreuve
de l'extension jurisprudentielle de la procédure collective, BJS, 11/1999, n° 11, p. 1057.
ñ DAMMANN (D.),
§
§
L'ordre de paiement des créanciers dans les procédures de sauvegarde, redressement
judiciaire et liquidation judiciaire, Journ. Sociétés, déc. 2006. 67.
RLDA, avr. 2005, p. 18.
ñ DAMMANN (R.) et FRANÇOIS (S.), Le droit
l’instrumentalisation des procédures collectives, D. 2012.
social
à
l’épreuve
de
ñ DAMMANN (R.) et LE BEUZE (G.), Réforme des sûretés et des procédures collectives
: quelles sûretés choisir ?, Cah. dr. entr., mars-avr. 2007. 45.
ñ DAMMANN (R.) et LEVENANT (A.), percer le mystère du montage « Double Luxco », BJE, sept. 2009, n° 5, p. 268.
ñ DAMMANN (R.) et PODEUR (G.)
§ Fiducie-sûreté et droit des procédures collectives : évolution ou révolution ?, D. 2007.
Chron. 1359.
§ La conversion de créances dans les entreprises en difficulté, BJS 2009. 1129.
§ Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers résultant de l'ordonnance du 12
mars 2014, D. 2014.
§ Affaire Thomson-Technicolor : le clap de fin, BJE, 2012. 78.
ñ DAMMANN (R.) et ROBINET (M.), La sauvegarde, un outil pour protéger les associés
du débiteur ? : Bull. Joly. Soc. 2009, p. 1116.
ñ DAMMANN (R.) et VALDMAN (D.), Sauvetage d’un groupe de sociétés grâce à une
double fiducie, Gaz. Pal., 28 Juill. 2011, n° 209.
ñ DEBOISSY (Fl.) et QUILICI (S.), Optimisation fiscale et SCI : Actes prat. ing.
Sociétaire 2009, n° 103.
ñ DESSUS (C.), LBO en difficulté : les signes qui ne trompent pas, Droit & Finance, mai
2014.
ñ DIENER (P.), La société en nom collectif dont tous les associés sont des EURL, JCP E
1992 I, 153.
ñ DUBUCQ (C.), L’interdiction de la reprise de l’entreprise en difficulté par le dirigeant et
ses proches : entre ombre et lumière, AJIDA, 2012/2.
ñ FAGES (B.), réforme de la responsabilité du fait d’autrui et sort réservé aux sociétés
mères, RLDC 2007/1.
174 ñ GRANIER (Th.) et TESTON (B.), Colloque sur le risque juridique dans l’entreprise
diagnostique et remèdes organisé par l’Institut de Droit des Affaires de la faculté d’AixMarseille. La gestion structurelle du risque, Journ. Sociétés, janv. 2013, n° 105, p. 54.
ñ GRELON (B.) et DESSUS-LARRIVÉ (C.), La confusion des patrimoines au sein d’un
groupe, Rev. Sociétés, 2006.
ñ HENRY (L.-C.),
§ Le droit de l’insolvabilité européen en devenir…, BJE, janvier 2014, n°1, p.1.
§ Les enjeux des montages au regard de la réglementation européenne, Rev. Proc. Coll.,
mai juin 2013, n°3.
ñ HOANG (P.), Risque d'entreprise et risque indemnitaire des partenaires externes de
l'entreprise en difficulté, LPA, juill. 2013, n° 137.
ñ JACOTOT (D.), Le licenciement des salariés d’une composante d’un groupe en
liquidation judiciaire : entre droit du travail et droit civil !, Rev. proc. coll., mai-juin
2012.
ñ LE BARS (B.), L’utilisation de la SAS dans les groupes de sociétés, BJS, mars 2008, n°
3, p. 254.
ñ LEBEL (Ch.), L’obligation aux dettes sociales des associés en cas de défaillance de la
société débitrice », Mél. TRICOT (D.), LexisNexis-Dalloz, 2011, p. 487 s.
ñ LE CORRE (P.-M.), 1807-2007, 200 ans pour passer du droit de la faillite du débiteur
au droit de sauvegarde de l’entreprise, Gaz. Pal., 2007, n° 202, p. 3.
ñ LE CORRE (P.-M.), Pour quelques barils de plus chez la fille et pour quelque dollars de
moins… chez la mère : la loi pétroplus du 12 mars 2012, Rev. sociétés 2012. 407.
ñ LE CORRE (P.-M.), Premiers regards sur l'ordonnance du 12 mars 2014 réformant le
droit des entreprises en difficulté ; D. 2014.
ñ LIENHARD (A.), Mesures conservatoires : irruption d’une loi applicable à l’affaire
(Pétroplus), D. 2012. Actu. 605.
ñ LOISEAU (G.), Coemploi et groupes de sociétés, JCP S 2011. 1528.
ñ LUCAS (F.-X.)
§ LEDEN 2011-7, n° 199.
§ Colloque Lyon 3 : Le droit des entreprises en difficulté à l’épreuve de la crise
financière, rapport de synthèse, BJE, sept. 2012, n° 5, p. 336.
§ L’EIRL en difficulté, LPA 28 avr. 2011, p. 39.
§ Colloque Caen : La subordination des créances à l’épreuve de la procédure collective,
Rev. Proc. Coll. mai-juin 2013, n° 3.
ñ LUCAS (F.-X.), SENECHAL (M.), Fiducie ou sauvegarde, il faut choisir ?, D. 2008.
175 ñ MARTIN (P.), La réparation du préjudice individuel des créanciers dans les procédures
collectives, LPA 2001, n° 186.
ñ MARTIN-SERF (A.),
§
§
§
Le siège social à l'épreuve des procédures collectives, in mélanges D. Tricot,
Litec-Dalloz 2011.
EIRL : attention aux actions en responsabilité pour insuffisance d’actif, Rev.
Proc. Coll., 2011, Dossier 31.
L’insolvabilité internationale et les groupes de sociétés, Rev. Proc. Coll., nov.
2013, n° 6, dossier 48.
ñ MENJUCQ (M.),
§ Adoption de « la sauvegarde financière accélérée » : consécration du « prepackaged
plan » en droit français, Rev. Proc. Coll. 2010, repère 6.
§ Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures collectives. Les enjeux des
montages au regard du droit international, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, pp.
65, 66 et 67.
ñ MONSIERE-BON (H.)
§ BJE mars 2011, p. 65, n°4.
§ Le périmètre quant aux personnes des procédures de sauvegarde, de redressement et
de liquidation judiciaires, Rev. Proc. Coll 2011, dossier 3.
ñ MONTÉRAN (Th.), Liquidation judiciaire et sites pollués : une action en recherche de
maternité, D. 2010. n° 2859 et s.
ñ MORVAN (P.), La loi pétroplus, les procédures collectives et … les salariés, JCP E,
janv. 2013, n°4, Étude 1047.
ñ MOULIN (J.-M.), Rapport introductif : qu’est ce qu’un montage ?, Rev. proc. coll., maijuin 2013, n°3,
ñ NEAU-LE-DUC (Ch.), Rev. proc. Coll., 2011-4, 5.
ñ OPPETIT (B.) et SAYAG (A.), Méthodologie d'un droit des groupes de sociétés, Rev.
sociétés 1973. 577.
ñ PAGNUCCO (J.-Ch.)
§
§
L’obligation à la dette sociale de l’associé indéfiniment responsable, RTD com. 2012, p.
55 et s.
Le couple SCI/société d’exploitation, Rev. Proc. Coll., Mai-Juin 2013, n°3.
ñ PEROCHON (F.)
§ in Rapport de synthèse du Colloque organisé à Caen sur les montages juridiques à
l’épreuve et service des procédures collectives, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3.
§ De la mesure dite conservatoire à l’exécution sommaire anticipée, BJE, 2012, 73.
176 § Le créancier et la renonciation à l’insaisissabilité de la résidence, Mél. Saint-Alary,
Ed. lég et PU Toulouse, 2009, p. 409 s.
§ Rev. Proc. Coll., 2011-1, étude 13.
§ Rev. Proc. Coll., 2011-2, étude 25.
ñ PETEL (Ph.), L’adaptation des procédures collectives à l’EIRL, JCP E 2011, 1071.
ñ PIEUCHOT (S), Reprise interne : incompatibilité de principe et dérogations, Rev. Proc.
Coll., mai-juin 2013, n° 3.
ñ PORACCHIA (D.), Janvier-décembre 2008 : une année encore foisonnante, Dr. et
Patrimoine, mai 2009.
ñ REBOUL (N.), Remarques sur une notion conceptuelle ou fonctionnelle : l’affectio
societatis, Rev. Sociétés 2000, p. 425.
ñ REYNES (B.), Groupes de sociétés : la théorie du co-emploi, JCP G, 2012. 1292.
ñ ROBINE (D.), Le sort de l’agent des sûretés, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2003, n° 3, p. 69
et s.
ñ ROSSI (P.), De nouveaux critères facilitant l’accès à la procédure de SFA, BJE janv.
2013, p. 8.
ñ ROUSSEL GALLE (Ph.) et alii, Le groupe de sociétés en procédure collective, LPA,
22 avr. 2010, n° 80.
ñ ROUSSEL GALLE (Ph.),
§ Premier aperçu sur l’adaptation du droit des entreprises en difficulté à l’EIRL, DPDE,
déc. 2010, p. 3.
§ Premières vues sur la sauvegarde financière accélérée et sur les modifications
apportées au droit des entreprises en difficulté par la loi du 22 oct. 2010, JCP E 2010,
591.
§ La loi pétroplus : quelques réflexions… avec un peu de recul, Rev. Proc. Coll. 2012,
Étude 16.
§ Rev. Proc. Coll. 2011-2, art. 24.
ñ SAUTONIE-LAGUIONE (L.), L’EIRL et les nullités de la période suspecte, BJE, mars
2011, p. 82, n° 9.
ñ SENECHAL (J.-P.), L’affectation de biens communs ou indivis, BJE, mars 2011, n°1.
ñ SENECHAL (M.), L’effet réel de la procédure, BJS 2009, p. 226 s.
ñ SENECHAL (M.) et COUTURIER (G.), Créanciers antérieurs : l’égalité a t-elle
vécu ?, BJE, sept. 2012, n° 5, p. 328.
ñ SERVERIN (E.) et GRUMBACH (T.), Le groupe britannique Klarius intervenant forcé
devant la Cour d’appel de Versailles, ou comment l’AGS a transformé un procès
indemnitaire en procès exemplaire, Rev. dr. Travail, 2012.
177 ñ SIMLER (Ph.), JCP G 2011, n°4, p. 11 s.
ñ TEBOUL (G.), L’ordonnance du 12 mars 2014 sur la réforme du droit des entreprises en
difficulté : un duel créanciers /débiteurs à armes égales ?, Gaz. Pal., mars 2014, n° 171s0.
ñ TESTON (B.) et BRUN (Th.), Actualité de la fiducie, mai 2012, n° 5, Revue du cabinet
Jeantet et Associés.
ñ TRICOT (D.), La confusion de patrimoines et les procédures collectives, Rapport de la
Cour de cassation 1997, p. 165 s.
ñ VALLANSAN (J.), EIRL et déclaration d’insaisissabilité : ou « l’entrepreneur
barricadé », Rev. proc. coll. 2011, dossier 22.
ñ VALLENS (J.-L.), La maison mère d’un groupe, centre des intérêts principaux de ses
filiales étrangères, D. 2006, p. 793.
V. NOTES, OBSERVATIONS ET COMMENTAIRE DE
JURISPRUDENCE :
Ø
AYNES (L.) :
§
Cass. com., 22 avr. 1997, n° 94-19.420 ; Defrénois 1997. 36703, n° 165, obs.
Ø
BENABENT (A.) :
§
Note sous Cass. com., 3 févr. 1998, n° 95-20.389, D. 1999. 185.
Ø
BONHOMME (R.) et NEAU-LEDUC (Ch.) :
§
Note sous Cass. com., 3 juill. 2012, n° 11-18.026 ; BJE 2012, p. 279.
Ø BRENNER (C.) :
§
Note Cass. com., 18 juin 2013, n° 11.23.716 ; Gaz. Pal., 15 mars 2014, n° 74.
Ø CERATI-GAUTHIER (A.) :
§
§
Note. ss. com. 13 septembre 2011 n° 10-24.536, BJE, janv. 2012.
Note ss. Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, JCP E 2007, 2157.
178 Ø COQUELET (M.-L.) :
§
Note sous Cass. com. 18 mars 2008, n° 06-19.968, Dr. sociétés 2008, comm. 116.
Ø CROCQ (P.) :
§
Obs. ss. Cass. com., 22 nov. 2005, n° 03-15.669, D. 2006. Pan. 2855.
Ø DAMMANN (R.) et PODEUR (G.) :
§
Note sous VERSAILLES, 28 févr. 2013, n° 12/02755, D. 2013, p. 829.
Ø DIZEL (M.) :
§
§
Obs. ss. Cass. com. 8 janv. 2013 n° 11-30.640, DPDE, mars 2013, n° 346.
Obs. ss. Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-12.787 Bull. mars 2012 DPDE.
Ø KUNTZ (J.-E.) et NURIT (V.) :
§
Note sous CJUE, 15 déc. 2011, n° C-191/10, Sté Rastelli Davide, BJS, mars 2012, n°3.
Ø LE CORRE (P.-M.) :
§
Note ss. Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482 ; D. 2012, 2202.
Ø LE MESLE (L.) :
§
Note sous Cass. com., 16 oct. 2012, n° 11-22993, BJE nov. 2012, n° 194.
Ø LE NABASQUE (H.) :
§
Note ss. Cass. com., 17 mai 1994, n° n° 91-21.364, Dr. sociétés 1994, comm. 142.
Ø LEGEAIS (D.) :
§
Obs. ss. Cass. com., 22 nov. 2005, n° 03-15.669, RTD Com. 2006. 169.
Ø LIENHARD (A.) :
§
§
Obs. sous DOUAI, 2e ch., 1ere sect., 2 oct. 2003, n° RG : 03/02333 s., D. 2003. AJ. 2571.
Obs. sous CJCE, gr. Ch., 2 mai 2006, D. 2006, AJ 1286.
179 Ø LUCAS (F.-X.) :
§
§
§
Obs. ss. AIX, 3 déc. 2009, RG n° 2009/556, LEDEN janv. 2010, p.3.
Note ss. Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, Dr. Sociétés 2007, comm. 130.
Obs. ss. Sous PARIS, 21 janv. 2014, n° 13/15887, LEDEN, févr. 2014, n° 2.
Ø MENJUCQ (M.) :
§
§
§
Comm. ss. PARIS, pôle 9, 9e ch., 25 févr. 2010, RG n° 2009/22756 : jurisData n° 2010001231 ; Rev. Proc. Coll., Mai-juin 2010, étude 11, p. 11.
Note sous Eurofood CJCE, gr. Ch., 2 mai 2006, JCP G, n° 23, 7 juin 2006.
Comm. Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, n° 10-13.989 et n° 10-13.990 ; Rev. Proc.
Coll., mars-avril 2011, repère 2, p. 1 et s.
Ø MESTRE (J.) et FAGES (B.) :
§ Obs. Sous Com. 7 déc. 2004, n° 02-20.732, RTD civ. 2005. 132.
Ø MESTRE (J.) :
§ Obs. sous Cass. com. 11 fevr. 1986, RTD civ., 1986, p. 601.
Ø PEROCHON (F.) :
§ Note ss. ORLEANS, 6 avr. 2011, RG n° 11/00312, LEDEN mai 2011, p. 5, n° 72.
Ø ROLLAND (B.) :
§ Note sous DOUAI, 2e ch., 1ere sect., 2 oct. 2003, n° RG : 03/02333 s., JCP E 2005, 721.
Ø ROUSSEL GALLE (Ph.) :
§ Note ss. Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-16.216, DPDE, juill. 2013, Bull. n° 350.
§ Note ss. Cass. com., 23 avril 2013, n° 12.16.035, DPDE mai 2013, Bull. n° 348.
§ Obs. ss. T. com., Nanterre, 27 févr. 2013, n° RG 2013G0003 et T. com., Nanterre, 27
mars 2013, n° RG 2013L00611, DPDE, juin 2013, Bull. n°349.
§ Note sous Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482, Rev. sociétés, sept. 2011, 526.
Ø SAINTOURENS (B.) :
§ Obs. Cass com., 26 juin 2007, n° 06-20.820, Rev. Proc. Coll. 2007, pp. 222 et 223.
180 § Note sous VERSAILLES, 13e ch., 19 janvier 2012, n° 11/03519, Rev. Proc. Coll., marsavril 2012, p. 48 s.
Ø SENECHAL (J.-P.) :
§ Obs. Sous Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-12.787 ; BJE mai 2012, p. 137, n° 62.
Ø VALLENS (J.-L.) :
§ Obs. Sous CJCE, 17 janv. 2006, aff. C-1/04, Staubiz-Schreiber ; Rev. sociétés 2006, p.
346.
181 182 TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ............................................................................................................. 1 PARTIE I: Les multiples finalités des montages à l’épreuve et au service du droit des entreprises en difficulté .................. 11 TITRE 1 : Les montages structurels limitant les risques patrimoniaux liés à l’entreprise ............................................................................ 13 CHAPITRE 1 : Le cloisonnement patrimonial .................................................................... 14 SECTION 1. Le couple SCI/Société d’exploitation ....................................................... 15 SECTION 2. Les outils d’isolement du patrimoine ..................................................... 25 §1) L’entreprise individuelle et la pluralité de patrimoines ........................................... 26 A) Le cas de l’ EURL ............................................................................................................................................ 26 B) L’EIRL à l’épreuve des procédures collectives ................................................................................. 29 §2) La déclaration d’insaisissabilité ........................................................................................ 34 §3 –La convention d’indivision : ................................................................................................ 41 SECTION 3. La société holding en difficulté ................................................................. 45 §1) Le traitement classique des difficultés d’un holding .................................................. 47 §2) La nature particulière du holding défaillant entraînant l’application d’un régime spécifique ........................................................................................................................... 50 CHAPITRE 2 : Les enjeux des montages structurels au regard du droit supranational ..................................................................................................................................... 55 SECTION 1 : Les groupes de sociétés à l’épreuve du règlement n° 1346/2000 58 SECTION 2 : Les groupes de société à l’épreuve du droit international des faillites ...................................................................................................................................... 64 CONCLUSION TITRE 1 .......................................................................................................... 69 TITRE 2 : Les montages juridiques au service du droit des entreprises en difficulté ............................................................................................. 71 CHAPITRE 1 : LA CONCEPTION DE MONTAGES FINANCIERS PROTEGEANT LES CREANCIERS ........................................................................................................................................ 72 SECTION 1 : La fiducie-­‐sûreté comme outil de protection des intérêts des créanciers ................................................................................................................................ 74 183 §1) La fiducie-­‐sûreté sur des créances : .................................................................................. 78 §2) La fiducie-­‐sûreté sur des titres : ......................................................................................... 81 SECTION 2 : Le montage « Double Lux-­‐co » : ................................................................ 82 SECTION 3 : La subordination de créances .................................................................. 83 §1) Le mécanisme général de la subordination de créances ........................................... 85 §2) La subordination de créances et le traitement du passif du débiteur en difficulté ............................................................................................................................................. 89 A) L’élaboration du plan : ................................................................................................................................ 90 B) Le désintéressement des créanciers : ................................................................................................... 94 CHAPITRE 2 : LES MONTAGES A FINALITE SALVATRICE .............................................. 98 SECTION 1 : Le LBO comme technique de restructuration de l’entreprise en difficulté ................................................................................................................................. 100 §1) Le fonctionnement d’un LBO et les effets recherchés .............................................. 100 §2) L’acquisition avec effet de levier d’une société cible « abritant » une entreprise en difficulté .................................................................................................................................... 104 SECTION 2 : La fiducie : un outil original de gestion du risque d’insolvabilité en amont et de sauvetage de l’entreprise en aval ......................................................... 107 §1) La fiducie en tant qu’outil de gestion du risque d’insolvabilité : ......................... 107 §2) L’utilisation de la fiducie comme outil original de sauvetage de l’entreprise :
............................................................................................................................................................ 109 SECTION 3 : La conversion de créances en capital : ................................................ 111 CONCLUSION TITRE 2 ........................................................................................................ 117 CONCLUSION PARTIE I ...................................................................................................... 118 PARTIE II : L’ENCADREMENT DES MONTAGES PAR LE DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ...................................... 119 TITRE 1 : La fraude comme obstacle rédhibitoire limitant la portée des montages juridiques : les rocs de l’incohérence .............................. 121 CHAPITRE 1 : Les nullités de la période suspecte ......................................................... 124 SECTION 1. Le régime des nullités en période suspecte ........................................ 126 SECTION 2. Les montages stigmatisés .......................................................................... 128 §1) L’EIRL à l’épreuve des nullités en période suspecte : .............................................. 129 §2) La fiducie à l’épreuve des nullités en période suspecte : ....................................... 130 CHAPITRE 2 : L’extension de procédure ............................................................................ 132 SECTION 1. La fictivité entachant un montage structurel ..................................... 133 SECTION 2. La confusion de patrimoines entre deux personnes morales ...... 138 CONCLUSION TITRE 1 : ...................................................................................................... 142 184 TITRE 2 Le décloisonnement patrimonial à titre de sanction ......... 145 CHAPITRE 1 : Le décloisonnement patrimonial au sein d’un groupe de sociétés
................................................................................................................................................................ 146 SECTION 1. Les correctifs à l’instrumentalisation des procédures collectives par les groupes de sociétés ............................................................................................. 148 §1. L’écueil de la notion travailliste de co-­‐emploi ............................................................ 148 §2. La responsabilité délictuelle ............................................................................................. 151 §3. Les sanctions prévues par la loi pétroplus ................................................................... 154 SECTION 2. L’extension spécifique de la loi Grenelle II .......................................... 157 CHAPITRE 2 : La sanction patrimoniale consécutive à une faute de gestion .. 159 SECTION 1. L’EIRL à l’épreuve de la RIA ...................................................................... 160 SECTION 2. Les montages structurels à l’épreuve des dangers de la direction de fait fautive : ..................................................................................................................... 161 CONCLUSION TITRE 2 ........................................................................................................ 164 CONCLUSION GENERALE ................................................................................... 167 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 171 I – OUVRAGES GENERAUX, DICTIONNAIRES : ..................................................................... 171 II – TRAITES, MANUELS, OUVRAGES SPECIAUX, THESES: ............................................... 171 III -­‐ REPERTOIRES, OUVRAGES PRATIQUES ET PUBLICATIONS DIVERSES : ............ 172 IV -­‐ ARTICLES DE DOCTRINE : .................................................................................................. 172 V. NOTES, OBSERVATIONS ET COMMENTAIRE DE JURISPRUDENCE : ........................ 178 TABLE DES MATIERES ....................................................................................................... 183 185