Faculté de Droit et de Sciences Politiques LES MONTAGES JURIDIQUES À L’AUNE DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ Mémoire réalisé dans le cadre du Master II Recherche mention « Droit économique » par Enis M'RABET Sous la direction de M. Hugo BARBIER, Professeur à Aix-Marseille Université Année universitaire 2013-2014 Faculté de Droit et de Sciences Politiques LES MONTAGES JURIDIQUES À L’AUNE DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ Mémoire réalisé dans le cadre du Master II Recherche mention « Droit économique » par Enis M'RABET Sous la direction de M. Hugo BARBIER, Professeur à Aix-Marseille Université Année universitaire 2013-2014 Sommaire PARTIE I : Les multiples finalités des montages à l’épreuve et au service du droit des entreprises en difficulté TITRE I : Les montages structurels limitant les risques patrimoniaux liés à l’entreprise CHAPITRE 1 : Le cloisonnement patrimonial CHAPITRE 2 : Les enjeux des montages structurels au regard du droit supranational TITRE 2 : Les montages juridiques au service du droit des entreprises en difficulté CHAPITRE 1 : La conception de montages financiers protegeant les creanciers CHAPITRE 2 : Les montages à finalité salvatrice PARTIE II : L’ENCADREMENT DES MONTAGES PAR LE DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ TITRE 1 : La fraude comme obstacle rédhibitoire limitant la portée des montages juridiques : les rocs de l’incohérence CHAPITRE 1 : Les nullités de la période suspecte CHAPITRE 2 : L’extension de procédure TITRE 2 : Le décloisonnement patrimonial à titre de sanction CHAPITRE 1 : Le décloisonnement patrimonial au sein d’un groupe de sociétés CHAPITRE 2 : La sanction patrimoniale consécutive à une faute de gestion CONCLUSION GENERALE PRINCIPALES ABREVIATIONS Act. Proc. Coll. AFIC AGS AJIDA Al. AN B.O.D.A.C.C BIC BJE BJS ou Bull. Joly Soc. Bull. civ. C. civ. C. com. C. env. C. trav. Cah. Dr. Ent. Cass. ch. mixte Cass. Com. Cass. soc. Cf. CGI Civ 1re Civ. 2ème Civ. 3ème CJCE ou CJUE CMF COM COMI Comm. Cons. const. D. D.I Defrénois DPDE Dr. et patrimoine Dr. sociétés Éd. Ed. lég. EIRL EURL Ex. Gaz. Pal. Gaz. Proc. Coll. ou GPC Infra J.-Cl. JCP E Lettre d’actualités des procédures collectives Association française des investisseurs pour la croissance Association pour la Gestion du régime d’assurance des créances des Salaires l’Affairé journal de l’institut de droit des affaires d’Aix-Marseille Alinéa Assemblée nationale Bulletin Civil des Annonces Civiles et Commerciales Bénéfices industriels et commerciaux Bulletin Joly entreprises en difficulté Bulletin mensuel Joly des sociétés Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Chambres civiles Code civil Code de commerce Code de l’environnement Code du travail Cahiers de droit de l’entreprise Cour de cassation, Chambre mixte Cour de cassation, Chambre Commerciale et financière Cour de cassation, Chambre sociale Se reporter à Code Général des Impôts Cour de cassation, première chambre civile Cour de cassation, deuxième chambre civile Cour de cassation, troisième chambre civile Cour de justice des communautés européennes ou de l’Union européenne Code monétaire et financier Rapport communautaire Center Of Main Interest (abréviation communément utilisée pour désigner le centre des intérêts principaux du débiteur en procédure d’insolvabilité) Commentaire d’arrêt Conseil constitutionnel Recueil Dalloz Déclaration notariée d’insaisissabilité Répertoire du notariat Defrénois Dictionnaire Permanent Difficulté des Entreprises Revue droit et patrimoine Droit des sociétés Edition Editions législatives Entrepreneur individuel à responsabilité limitée Entreprise unilatérale à responsabilité limitée Exemple La gazette du Palais La gazette des procédures collectives Voir ci-dessous Jurisclasseur LexisNexis La semaine juridique, édition entreprises et affaires JCP ou JCP G JCP S JO ou JORF JO doc. adm. Journ. Sociétés L. Lamy Dr. Contrat LBO LEDEN LPA McGill LJ Mél. NDLR Ord. Proc. Coll. PU PUAM Rapp. Rép. Soc. Rev. dr. travail Rev. Proc. Coll. Rev. sociétés RJ Com RJDA RLDA RLDC RTD civ. RTD com. SARL SCI Sem. Soc. LAMY SNC Act. prat. ing. sociétaire Sp. Ss. Supra Th. U.E V. ou Voy. La semaine juridique, édition générale La semaine juridique, édition sociale Journal officiel de la république française Journal officiel documents administratifs Journal des sociétés Loi Lamy droit du contrat Leverage buy out ou acquisition avec effet de levier L’essentiel des procédures collectives Les Petites Affiches McGill Law journal Mélange Note de la rédaction Ordonnance Procédures collectives Presse universitaire Presses universitaires d’Aix-Marseille Rapprochement Répertoire de Droit des sociétés Dalloz Revue de droit du travail Revue des procédures collectives civiles et commerciales Revue des sociétés Revue de jurisprudence commerciale Revue de jurisprudence de droit des affaires Revue Lamy droit des affaires Revue Lamy droit civil Revue trimestrielle de droit civil Revue trimestrielle de droit commercial et droit économique Société à responsabilité limitée Société civile immobilière Semaine sociale LAMY Société en nom collectif Actes pratiques ingénierie sociétaire Spécialement Sous Voir ci dessus Thèse Union européenne Voir, à consult Le buisson, le canard et la chauve-souris « Le buisson, le canard et la chauve-souris, Voyant tous trois qu'en leur pays Ils faisaient petite fortune, Vont trafiquer au loin, et font bourse commune. Ils avaient des comptoirs, des facteurs, des agents Non moins soigneux qu'intelligents, Des registres exacts de mise et de recette. Tout allait bien; quand leur emplette, En passant par certains endroits, Remplis d'écueils, et fort étroits, Et de trajet très difficile, Alla tout emballée au fond des magasins Qui du Tartare sont voisins. Notre trio poussa maint regret inutile; Ou plutôt il n'en poussa point; Le plus petit marchand est savant sur ce point Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte. Celle que, par malheur, nos gens avaient soufferte Ne put se réparer le cas fut découvert. Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource, Prêts à porter le bonnet vert. Aucun ne leur ouvrit sa bourse. Et le sort principal, et les gros intérêts, Et les sergents et les procès, Et le créancier à la porte Dès devant la pointe du jour, N'occupaient le trio à chercher maint détour Pour contenter cette cohorte. Le buisson accrochait les passants à tous coups. « Messieurs, leur disait-il, de grâce, apprenez-nous En quel lieu sont les marchandises Que certains gouffres nous ont prises.» Le plongeon sous les eaux s'en allait les chercher. L'oiseau chauve-souris n'osait plus approcher Pendant le jour nulle demeure Suivi de sergents à toute heure, En des trous il s'allait cacher. » Jean de La Fontaine AVANT-PROPOS Jean de La Fontaine, dans sa fable La chauve-souris, le buisson et le canard, décrit les heurs et malheurs d'une entreprise commune, telle que se la représente l’imaginaire collectif, qui, après avoir connu la fortune, est confrontée à des difficultés telles qu'elle ne peut éviter la faillite. Au début il y a un chef d’entreprise, une entreprise et une histoire entrepreneuriale imaginée par un ou plusieurs hommes. Faisant bourse commune, ils décidèrent de se lancer à l’aventure et d’exposer leur patrimoine aux risques inhérents à ce périple. Au début, ils acquirent des outils pour exploiter leur activité. Dans le même sens, ils s’endettèrent auprès de créanciers leur accordant des crédits. Forts de l’énergie procurée par l’audace et l’insouciance, ils se lancèrent dans la vente des biens qu’ils produisaient ainsi que dans la commercialisation des services qu’ils rendaient. L’entreprise florissait, les entrepreneurs jubilaient. Et puis vint un jour où ils durent céder leur place à des investisseurs afin que leur joyau prenne une autre dimension. Chemin faisant, au prêteur de proximité se substitua le financier professionnel. La complexité de l’ingénierie juridique et financière limitant les risques et maximisant les profits pris le pas sur la simplicité de la mécanique artisanale jusque là utilisée. Les délices de l’improvisation et du risque s’effacèrent au profit de la plate froideur déshumanisée de la certitude et du pragmatisme. La stratégie fiscale et financière ouvre la voie au génie juridique des praticiensconcepteurs de montages juridiques en tout genre (structurels ou financiers) dont le but premier est d’optimiser l’activité de l’entreprise en considération des différents régimes juridiques en vigueur, internes à la France ou hors frontières, voire de réduire les risques financiers que subissent les créanciers. L’entreprise se retrouve alors exploitée par le truchement d’une foule de structures sociétaires aux patrimoines distincts, afin de subdiviser les risques liés à l’activité et de réduire les charges (y compris fiscales). Le tout chapeauté par une société 11 holding chargée de conduire les opérations, elle-même détenue par des structures (ex : fonds de pension) étrangères logées quelque part au soleil à l’abri de la tempête fiscale. Les crédits-bails et autres clauses de réserve de propriété servent à rassurer les créanciers et à acquérir des biens. Les créances de l’entreprise nées de l’interaction avec ses clients se transforment en instruments de sûretés dans le cadre de cessions « Dailly ». Pour faire simple, les dettes sont financées par d’autres dettes selon le schéma vicieux du « serpent se mordant la queue ». Alors lorsque la fuite en avant ne peut plus continuer, lorsque le climat et les considérations macro-économiques ne sont plus propices aux « affaires », le temps est venu de « plier bagage » et de battre en retraite. L’entreprise, sur le point de s’écrouler sous le poids des factures, des crédits et inévitablement de la crise économique, est délaissée. Ne subsiste alors qu’une ribambelle de questions, face auxquelles, se retrouve confronté le droit des entreprises en difficulté. Qui et où est le débiteur ? Idem s’agissant des propriétaires des biens de l’entreprise ou de ses créanciers ? Qu’adviendra t-il des salariés et de l’AGS censée couvrir les créances salariales ? Sans prétendre à l’exhaustivité, nous tenterons de décrire et d’analyser l’impact des montages juridiques sur le droit des entreprises en difficulté. L’idée de confronter les montages, communément utilisés dans la vie des affaires, au droit des procédures collectives, nous est venue à la suite de la découverte des actes d’un colloque organisé par le CRDP de Caen sur le thème des « montages à l’épreuve et au service du droit des entreprises en difficulté » le 12 avril 2013. L’intérêt tant pratique que théorique joint à la grande actualité de ce sujet nous ont alors incité à approfondir et enrichir les thèmes exposés par les éminents intervenants. 12 INTRODUCTION 1- Le montage est couramment entendu comme l’opération par laquelle on assemble des pièces d’un mécanisme, d’un objet complexe pour le mettre en état de fonctionner1 ou encore comme une action permettant d’élever, de porter plus haut une chose2. Si nous combinons les deux définitions, il s’agit d’assembler des éléments en vue de faire produire un effet nouveau avec l’idée sous-jacente d’élévation donc d’amélioration. La définition du montage crée par le praticien des affaires ne s’éloigne pas du sens commun. Un auteur nous propose la définition suivante : « Le montage est l’action de mettre ensemble, selon des techniques propres des éléments épars et variés afin de faire produire à leur combinaison un effet particulier spécialement recherché »3. Un autre auteur ajoute au sujet de ces éléments à assembler qu’ils peuvent être soit juridiques, soit financiers et sont réunis ensemble afin de réaliser une opération économique4. Il s’agit en théorie de la meilleure définition générale que l’on puisse donner du montage étant donné l’absence de définition légale. 2- Le montage est donc l’action de mettre ensemble des éléments juridiques ou financiers. Cela présuppose une juxtaposition de plusieurs actes et/ou stipulations qui, pris isolément, ne sauraient offrir les mêmes effets que ceux que l’assemblage va être en mesure de générer. Chaque acte existe par lui-même, mais son agencement avec d’autres actes fait alors apparaître une figure juridique originale. Il en va ainsi, par exemple, de l’interposition au sein d’un groupe de société d’une structure sociétaire dans laquelle les associés sont indéfiniment tenus des dettes sociales, tel qu’une SNC, voire une société de type société en commandite5, et dont l’ensemble des associés se trouvent être des sociétés 1 Le ROBERT micro poche, 1994, sens 1 ; Centre national de ressources textuelles et lexicales, CNRS, sens A, 1 et 2 : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/montage. 3 DOM (J.-Ph.), Les montages en droit des sociétés, éd. Joly, 1998, n° 15. 4 PORACCHIA (D.), Recherche sur les montages conçus par les professionnels du droit, th. AixMarseille, 1997, n° 4. 5 Cf. infra n° 39 et s. 2 1 à responsabilité limitée. Cette combinaison n’est ni systématique, ni obligatoire, les concepteurs ont seulement assemblé différents actes d’une manière propre à conférer un effet particulier et profitable, en l’occurrence du point de vue fiscal. L’idée est la même pour les joint-venture consistant, pour plusieurs personnes morales, à s’unir autour d’un projet commun dans le cadre informel d’une société en participation dépourvue de personnalité morale et, ainsi, par le biais d’un jeu de délégations et de subdélégations mettre en œuvre l’objet de la société. Dernier exemple, la convention de portage relative à une participation dans une société permettant au donneur d’ordre d’acquérir des droits dans celle-ci par le biais d’un porteur. Ce dernier détiendra en apparence la propriété de la participation au capital, le temps que le bénéficiaire réel ne règle les éventuels problèmes inhérents à une acquisition d’actions sans risquer de voir la participation lui échapper. Cette opération est complexe6 puisqu’elle fait intervenir des promesses croisées d’achat et de vente. Elle permet d’obtenir un effet voulu par le concepteur en dépit des obstacles momentanés qui se dressent devant lui. 3- C’est là l’autre aspect du montage qui est de permettre par l’assemblage de plusieurs actes soit de créer une situation nouvelle, soit d’esquiver un effet qui aurait dû se produire. En effet, qu’il s’agisse de structurer un financement en marge d’un LBO afin d’établir un rang entre les créanciers « senior » et ceux dit « junior », grâce notamment à une convention de subordination7 conférant des droits différents et, en contrepartie, une rémunération variable aux créanciers parties à celle-ci ; ou qu’il s’agisse de permettre une titrisation ou conversion de créance en capital à l’insu de certains associés réfractaires par l’utilisation d’un « coup d’accordéon »8, le montage permet de concevoir un régime ad hoc en exploitant la grande marge de manœuvre offerte par la liberté contractuelle aux monteurs. De surcroît, il peut aussi permettre de contourner des difficultés s’opposant à l’aboutissement d’un résultat donné. Parfois, ce résultat peut être atteint en empruntant un chemin classique, direct mais impliquant l’application d’une norme qui, aux yeux des concepteurs, produit des effets contraignants. En pareil cas, ces derniers emprunteront un 6 Non pas au sens de difficile mais d’association de plusieurs actes. Sur cette question cf. infra n° 101 s. 8 Technique associant dans le même temps une réduction subite du capital suivie d’une augmentation de cet élément du bilan, cf. infra n° 146. 7 2 chemin différent qu’ils construiront eux-mêmes afin d’aboutir à une finalité, sans pour cela subir les écueils posés par la loi. Les montages tendant à une optimisation fiscale en sont un formidable exemple, notamment en matière de donation-cession où le but est de réaliser un acte à titre gratuit indirectement. Pour ce faire, les monteurs prendront « des détours » afin d’éviter le paiement de certains droits applicables à la donation directe. En bref, la finalité du montage doit être fixée dès avant la conception. C’est ce vers quoi se dirige l’ensemble de l’édifice. Quant aux obstacles, ils contribuent à inciter les concepteurs à rechercher les actes juridiques à employer pour atteindre le résultat espéré. 4- Par ailleurs, le montage est aussi un formidable outil d’anticipation et de limitation du risque de défaillance de l’entreprise. Dans cette perspective, les montages structurels sont d’excellents moyens d’atteindre cet objectif. Pour illustrer nos propos, relevons la pratique des single ship companies impliquant une division des risques patrimoniaux inhérents à l’exploitation d’une activité en autant de sociétés aux patrimoines cloisonnés. Chacune d’elles exploite une branche d’activité, le plus souvent à l’échelle mondiale, de manière autonome mais sous l’égide d’un holding conduisant les opérations. Cela permet d’amoindrir le risque d’exposition à une défaillance de l’ensemble économique. Lorsque l’une des entités défaille les autres se protégeront derrière le bouclier forgé par le principe de l’autonomie de la personne morale. Même modus operandi mais finalité différente, la defeasance9 ou défaisance, utilisée pour la première fois en France par le Crédit Lyonnais, est une technique d’ingénierie financière reposant aussi sur un cloisonnement patrimonial. En effet, elle permet à une société de sortir de son bilan des dettes10 en les transférant dans une structure juridique ad hoc (trust, fiducie, personne morale…) qui en assurera la gestion au moyen de titres de participation qui lui seront transmis dans le même temps11. Ce mécanisme permet de nettoyer le bilan de la société aux yeux des agences de notation et, ce faisant, contribue à 9 V. pour un exemple PORACCHIA (D.), op. cit., n° 11. Il peut aussi s’agir de créances douteuses affaiblissant le bilan d’une société. 11 MOULIN (J.-M.), Droit de l’ingénierie financière, Gualino, 4e éd., 2013, n° 1089 et s., sp. 1089. 10 3 renforcer la capacité d’endettement de l’entreprise12. D’un point de vue comptable l’opération donne l’apparence d’une suppression de dettes, en revanche juridiquement l’engagement initial de l’entreprise n’est pas éteint et elle conserve la qualité de codébiteur. Le rapprochement des deux exemples montre que la création de plusieurs structures, aux patrimoines distincts, permet de « dispatcher » un patrimoine, à l’image d’une terre parcellée, en créant des cloisons a priori, étanches. Cela divise donc les risques de défaillance du patrimoine en autant de cloisons créées. 5- Quant aux créanciers13, eux aussi s’approprient les effets bénéfiques que les montages peuvent procurer. Dans leur sempiternelle quête du « nec plus ultra » des sûretés, ils tenteront constamment d’élaborer le montage leur permettant de garantir au mieux leurs intérêts et ce, même en cas de déconfiture de leur débiteur. Dans cette perspective, la fiducie à fins de sûreté est indéniablement l’outil « magique » prôné par les praticiens et conseils du droit. Elle donne la possibilité d’anticiper efficacement l’insolvabilité du débiteur en résistant remarquablement bien aux procédures collectives. 6- Il appert donc que les montages sont une formidable émanation de la liberté contractuelle posée par le fameux article 1134 du Code civil. Ils reposent sur la volonté du concepteur d’atteindre un résultat en produisant des effets spécifiques sans suivre la voie que la loi lui trace. Le contrat est l’élément pivot sur lequel reposent les montages. Il permet d’aménager un régime particulier. Il en va ainsi, par exemple, des clauses de claw back14 stipulées dans les conventions de subordination ou encore des clauses d’earn out et/ou de garantie de passif employées lors d’une cession de participation. L’ingénierie contractuelle est le moteur permettant aux concepteurs de laisser libre court à leur imagination afin d’ériger des montages éclectiques aux finalités multiples. 12 MOULIN (J.-M.), op. cit., n° 1091. Par créanciers il faut entendre le plus fréquemment les établissements de crédit permettant de financer l’activité d’une entreprise ou la réalisation d’une opération de fusion ou d’acquisition. 14 Cf. infra n°s 105 et 113. 13 4 7- Élaborés à l’origine pour répondre à des attentes particulières lorsque l’entreprise est in bonis, la question de leur résistance au droit des procédures collectives, droit par essence d’ordre public et ne laissant, en principe, que peu de place à l’autonomie de la volonté, se pose. À son contact les montages semblent être confrontés à « l’épreuve du feu ». Prima facie, l’intuition nous dicterait alors une attitude de défiance de ce droit vis à vis du montage. La question de son efficience à l’épreuve du choc d’une procédure collective peut effectivement se poser. 8- Dans quelle mesure un groupe de société gouverné par un holding pourra-t-il encaisser la vague destructrice du tsunami provoqué par la défaillance d’une ou plusieurs de ses entités entretenant des liens étroits entre elles voire, a fortiori, avec le holding luimême ? Comment traiter les difficultés de ce dernier ? Le montage SCI/société d’exploitation15 est-il suffisamment imperméable ? Peut-il réellement résister compte tenu des liens essentiels qu’entretiennent les deux structures ? Les garanties prises par les créanciers en usant d’un ensemble de techniques à-même de produire des effets même en cas de défaillance de l’entreprise sont-ils véritablement d’une solidité à toute épreuve ? À l’inverse, cette apparente attitude de défiance du droit des entreprises en difficulté n’est-elle pas illusoire et surannée ? Voilà autant d’exemples de questions auxquelles nous nous efforcerons de répondre dans le cadre de cette étude. 9- Assurément une réponse sans nuances à ces questions est inenvisageable. Notons, tout d’abord, que le droit des entreprises en difficulté, tout comme le droit positif en général, ne peut bien évidemment pas nier en bloc l’existence de ces usages de la vie des affaires. De manière générale, c’est souvent par le biais de la jurisprudence que le droit les appréhende. Le juge se retrouve, à cet effet, confronté en premier aux problèmes juridiques inédits posés par les montages. Leur assimilation par le droit se fait donc par étape, progressivement jusqu’à l’encadrement par la loi. 15 Concernant ce montage v. infra n° 24 et s. 5 Ainsi, par exemple, un régime spécifique à la subordination de créances16 a été adopté par le législateur afin de prendre en compte le nivellement contractuellement prévu entre les créanciers lors du vote d’un plan. Dans le même sens, la sauvegarde financière accélérée a été mise en place par la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, afin de traiter au mieux et rapidement les difficultés liées au risque élevé de défaillance inhérent à une acquisition avec effet de levier17. En outre, le législateur loin d’ignorer le montage, peut en constituer un, ou encore y apporter son concours. Il en va ainsi, lorsqu’il crée de nouvelles structures sociétaires ouvrant de nouveaux espaces à la liberté contractuelle18. Il peut aussi estimer que les solutions imaginées par la pratique méritent son approbation et les consacrera dans la loi lorsqu’il estime qu’elles permettent de créer un cadre propice à l’accomplissement de certaines opérations qu’il juge souhaitables19. Ainsi, à titre d’exemple, un régime spécifique à la fiducie a été consacré en droit des entreprises en difficulté par l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté. 10 - Ainsi, le droit des entreprises en difficulté ne se distingue pas forcément du droit commun en qu’il n’ignore pas forcément l’existence des montages. Bien au contraire, il reconnaît même l’existence de certains d’entre eux. Cela contribue à un phénomène de contractualisation des procédures collectives initié par la volonté du législateur d’aller dans ce sens20. Ces observations peuvent donc nous conduire à affirmer qu’il s’agit d’un aveu tacite de l’efficacité de certains montages. 16 V. par ex. l’article L. 626-30-2 C. com. ; sur le régime spécifique des créances subordonnées cf. infra n° 109 s. 17 L’acquisition avec effet de levier ou LBO implique systématiquement un fort endettement donc un risque tout aussi important de défaillance, Sur les montages LBO cf. infra n° 120 s. 18 Par exemple, l’avènement de la SAS par la loi n° 94-1 du 3 janv. 1994 ayant permis aux associés d’organiser librement l’exercice du pouvoir et de contrôler la géométrie du capital en faisant l’économie de la réalisation d’opération complexes. Dans le même sens on peut aussi évoquer l’EIRL : cf. infra n° 38 et s. 19 PORACCHIA (D.), op. cit., n° 12. 20 L’apparition des procédures dites « préventives » depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 plaide en faveur des solutions librement négociées par les parties au profit de la rigidité des dispositions dirigistes des procédures collectives imposant des solutions. 6 11 - Pour le reste, ces combinaisons d’actes peuvent s’orienter, autant que faire se peut, vers un consensus, si difficilement atteignable en procédures collectives. Les montages stimulent, dans ce cas, le redressement de l’entreprise ou organisent tout simplement son sauvetage. En d’autres termes, ils peuvent aussi être au service du droit des entreprises en difficulté. À ce titre, notre droit se doit donc de leur accorder un régime spécifique de faveur. D’autres montages permettent, quant à eux, eu égard aux multiples finalités qu’ils peuvent revêtir, de protéger les intérêts divergeant des protagonistes21 d’une procédure collective. Intérêts pouvant souvent s’avérer insuffisamment défendus par le droit des procédures collectives lui-même. Ces assemblages auront ici un rôle palliatif. À cet égard, ils seront mis à l’épreuve par le droit des entreprises en difficulté. Dans le cadre restreint de notre étude, nous ne pouvons aborder l’ensemble des montages dont la diversité est aussi vaste que l’imagination humaine. En conséquence, contentonsnous d’analyser certains d’entre eux illustrant parfaitement les rapports qu’entretiennent les montages avec notre droit. 12 - En revanche, l’étude ne peut se résumer à démontrer la reconnaissance des montages par le droit des entreprises en difficulté et l’impact de ce dernier sur l’efficacité des premiers. À l’évidence, compte tenu de la nature même des montages, ceux-ci sont le terreau fertile de fraudes en tout genre. En effet, le montage est aussi synonyme de tromperie, de mauvaise foi22. Il serait naïf de méconnaitre cette autre facette moins glorieuse. À côté des effets bénéfiques conduisant à l’acceptation des montages par le droit des entreprises en difficulté, a été développée l’idée selon laquelle le montage peut relever d’une construction illicite, frauduleuse. Ainsi, le droit des procédures collectives, à l’instar d’autres branches du droit, se devait d’encadrer les montages. 13 - En ce sens, ce dernier ne se distingue pas du droit commun auquel il emprunte des standards juridiques comme la fraude ou des régimes bien connus comme la responsabilité civile en les adaptant au contexte particulier du traitement d’un passif 21 22 Le débiteur et ses créanciers. Dictionnaire Littré, V. monteur, sens 2. 7 d’une entreprise. Certes, chacun est libre de modifier sa situation juridique par la conclusion d’un ou plusieurs actes juridiques qui, conjointement, lui permettent de protéger ses intérêts : c’est le principe de la liberté contractuelle qui trouve son fondement tant dans la loi que dans la constitution23. Cependant, cette liberté se heurte à l’impérativité du droit, d’ordre public, des procédures collectives. 14 - Pour ce droit, l’encadrement des montages se résume à l’appréciation de leurs effets potentiellement nuisibles à l’égard des créanciers. La réduction de leur gage commun est la finalité poursuivie par certains montages, notamment ceux dits structurels. Rappelons que ceux-ci consistent à isoler une partie des biens dans un patrimoine ad hoc. Cela peut avoir pour effet de soustraire une portion du patrimoine à l’effet réel d’une procédure collective24. Partant, les créanciers ne parviendront pas à se saisir de cette portion alors qu’ils étaient en droit de le faire. Ce qui est sanctionné ici n’est pas tant le fait, légitime par principe, de modifier une situation juridique qui aurait dû se réaliser que l’exercice de cette liberté en fraude aux droits des créanciers. Autrement dit, la conception d’un édifice pour parvenir à ce résultat n’est pas illégitime en soi pour peu que celui-ci se plie à l’impérative nécessité du respect des intérêts des créanciers garantis par le droit des entreprises en difficulté. Toutefois, comme nous le verrons, la sanction doit demeurer l’exception et la validité des montages la règle. En outre, l’anticipation des difficultés réduit fortement les risques de recadrage par le droit des procédures collectives. Il est évident que la conception d’un montage ayant pour finalité une limitation des risques patrimoniaux en cas de difficulté ne peut se réaliser après la survenance de ceux-ci. Dans le cas contraire, cela aurait pour effet de couvrir les montages d’opprobre ou à tout le moins de jeter la suspicion sur la bonne foi des concepteurs. 23 Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC : les sages de la rue de Montpensier ont considéré que la liberté contractuelle, au même rang que la liberté d’entreprendre, découle de l’article 4 de la déclaration de 1789. 24 Théorie conceptualisée par SENECHAL (M.) in L’effet réel de la procédure collective, Litec 2002. 8 15 - Remarquons, d’ailleurs, que ce qui est valable pour les montages protégeant le débiteur l’est aussi mutatis mutandis pour ceux allant dans le sens des intérêts des créanciers. 16 - En somme premièrement, il s’infère de ces propos introductifs que, dans le contexte d’une procédure collective25, les montages peuvent se parer de finalités différentes et variées en fonction des intérêts qu’ils sont censés protéger. Ensuite, le droit des entreprises en difficulté, loin d’ignorer leur existence, tente de les encadrer afin d’éviter les abus des concepteurs méprisant l’intérêt général. 17 - Aussi, après avoir analysé les multiples finalités des montages à l’épreuve du droit des entreprises en difficulté, nous étudierons l’encadrement de ceux-ci par le droit des entreprises en difficulté. Le plan de l’étude sera donc le suivant : 1ère partie – Les multiples finalités d’un montage juridique à l’épreuve du droit des entreprises en difficulté 2ème partie – L’encadrement des montages par le droit des entreprises en difficulté 25 Au sens large c’est-à-dire incluant aussi les procédures préventives (mandat ad hoc et conciliation). 9 10 PARTIE I Les multiples finalités des montages à l’épreuve et au service du droit des entreprises en difficulté 18 - Rappelons, tout d’abord, que les « montage(s) sont un assemblage d’actes crée en vue de la production d’une situation prédéfinie »26. Dans le contexte particulier du droit des procédures collectives, ils revêtent plusieurs finalités. Ce droit très fortement teinté d’ordre public, où la place laissée à l’autonomie de la volonté et à la liberté contractuelle est relativement réduite, ne laisse que peu de place à l’audace et à l’imagination des « artistes » du droit que sont les praticiens. Pourtant, divers mécanismes d’assemblage d’actes, que nous nous attacherons à décrire et à commenter dans la présente partie, ont été conçus afin de pallier les carences d’un droit qui se veut rigide en apparence mais qui souffre bon gré mal gré d’insuffisances patentes. Dans ce cas de figure, les montages auront un rôle d’appui en ce qu’ils permettront d’élaborer des solutions. Solutions d’ailleurs bienvenues, lorsqu’il s’agira de concevoir de toute pièce et à l’aide des instruments juridiques disponibles des moyens afin, tantôt de protéger les intérêts du débiteur, tantôt ceux des créanciers27, tantôt ceux de l’entreprise. C’est ainsi qu’il nous semble falloir envisager, en premier lieu, les montages juridiques à travers le prisme du fameux « trinôme créancier – débiteur – entreprise »28 fruit du mouvement de passage du droit des faillites et des procédures collectives de paiement des créanciers au droit des entreprises en difficulté29. 26 PORACCHIA (D.), op. cit., p. 22. Créanciers qui ont vu leurs intérêts fondre, à leur corps défendant, au gré des multiples réformes des procédures collectives et, parallèlement, de la complexification des modes d’investissements. Notons que par complexe, il ne faut point entendre compliqué mais association de divers éléments. 28 LE CORRE (P.-M.), 1807-2007, 200 ans pour passer du droit de la faillite du débiteur au droit de sauvegarde de l’entreprise, Gaz. Pal., 2007, n° 202, p. 3. 29 Ibid. 27 11 19 - Pour ce faire, nous montrerons, dans un premier temps, que le montage juridique de type structurel est un moyen de limiter voire d’empêcher tout risque patrimonial lié à l’entreprise en cas de procédure collective (Titre 1), puis, dans un second temps, qu’il existe des montages purement inventés par la pratique afin de servir le droit des entreprises en difficulté (Titre 2). 12 TITRE 1 : Les montages structurels limitant les risques patrimoniaux liés à l’entreprise 20 - La protection du débiteur ou de ses dirigeants ou associés (actionnaires, investisseurs...) est, à notre sens, la première finalité des montages. Ici, les montages juridiques serviront à endiguer les risques patrimoniaux inhérents à l’entreprise en procédure collective. 21 - Le premier moyen pour atteindre cet objectif est la création de cloisons par le biais de structures dotées ou non de la personnalité morale permettant de mettre à l’abri une partie du patrimoine (immeubles ou autres actifs) (Chapitre 1). Dans un contexte d’économie globale et de marché communautaire, nous verrons que la multiplication des sociétés, donnant naissance à des groupes, pose un certain nombre de problèmes en raison des limites tant des procédures d’insolvabilité européennes, que du droit international des faillites. Ces brèches sont naturellement exploitées par les concepteurs de montages afin de minimiser l’impact d’une procédure collective qui viendrait toucher une société du groupe (Chapitre 2). 13 CHAPITRE 1 : Le cloisonnement patrimonial 22 - La création de cloisons patrimoniales suppose la formation d’au moins deux structures dotées ou non de la personnalité morale. Dans l’esprit des concepteurs du montage, il s’agira de fragmenter le patrimoine rattaché à une activité donnée afin de réduire l’exposition globale au risque de défaillance du patrimoine de l’ensemble économique constitué30. En somme, le débiteur cherchera à protéger ses intérêts en le retirant d’un endroit dangereux pour les placer sous des ciels plus bleus. Parmi les instruments juridiques permettant d’obtenir cet effet de morcèlement du patrimoine, l’utilisation de la structure sociétaire est, du fait même de l’autonomie des personnes morales, l’instrument vers lequel s’orientent le plus souvent les concepteurs de montage. Ainsi, en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une des personnes morales dans laquelle se loge un ou plusieurs éléments du patrimoine de l’entrepreneur, les créanciers ne pourront, en principe, appréhender les actifs situés dans les entités distinctes. Toutefois, de manière plus pragmatique, il convient de remarquer que cette assertion connaît des limites. Aussi, faut-il se demander si les cloisons protégeant les éléments du patrimoine situés dans ces entités distinctes ne sont pas étanches ou, à tout le moins, suffisamment pour résister au « choc » d’une procédure collective. 23 - Dans le cadre du présent chapitre, après avoir présenté un « classique » en matière de montage à effet d’isolement de biens immeubles (Section 1), il nous faudra exposer divers outils à l’efficacité plus ou moins avérée et permettant de séparer (protéger ?) un ou plusieurs fragments de l’actif patrimonial (Section 2). Enfin, eu égard à la démultiplication indéniable et à l’importance incontestable des groupes de sociétés chapeautés par des holdings, nous étudierons, en dernier lieu, le cas de ces dernières 30 MOULIN (J-M), Rapport introductif : qu’est-ce qu’un montage ?, Rev. Proc. Coll., Mai-Juin 2013, n°3, p.52. 14 structures, dont l’usage est fréquent dans les montages juridiques en droit des sociétés, sous l’angle du livre VI du Code de commerce (Section 3). SECTION 1. Le couple SCI/Société d’exploitation 24 - Ce « couple infernal »31 et sulfureux, devenu un véritable standard, se présente régulièrement devant les tribunaux et donne lieu à une jurisprudence abondante. En effet, l’utilisation des sociétés civiles immobilières est devenue légion tant « le monde des affaires n’aime pas mélanger l’immobilier et l’investissement de l’entreprise »32. Elles représentent aujourd’hui plus de 30 % du total des sociétés33. Ainsi, ses multiples intérêts en pratique justifient de mettre en évidence son association systématique avec une société d’exploitation généralement à risque limité. 25 - Plus dans le détail, il s’agit d'une organisation (un « montage ») aujourd'hui classique, qui consiste à séparer l'immobilier des actifs d'exploitation d'une entreprise, en apportant le premier à une société civile immobilière et en laissant les seconds, soumis aux risques de l'exploitation, dans une société commerciale34. Autrement dit, il s’agit d’une construction juridique qui consiste à dissocier la propriété des immeubles de l’exploitation commerciale en confiant l’ensemble à deux personnes morales distinctes souvent contrôlées en tout ou partie par les mêmes dirigeants et/ou associés. 26 - Parmi les nombreux mérites de ce type de montage35, il présente celui de permettre l’isolement d’un bien immobilier au sein d’une structure autre que l’entreprise 31 COZIAN, Société civile immobilière-société d'exploitation : est-ce vraiment un couple infernal ?, JCP E, 1997. I. 634 32 COZIAN et alii, Droit des sociétés, 15e éd., 2002, n° 1493 cité par BERTHOUD-RIBAUTE (H.), Le sort de la société civile immobilière dans la procédure collective, RTD com., 2003, p. 259, n° 1. 33 COZIAN et alii, Droit des sociétés, Lexis Nexis/Litec, 23e éd., n° 1187, p. 602. 34 DAIGRE (J.-J.), Sociétés fictives, Rép. Soc., Dalloz, 2012, n° 43. 35 « La diversification patrimoniale présente également l'avantage de faciliter la transmission de l'entreprise. S'agissant d'une transmission à titre onéreux, elle en allège le prix et élargit mécaniquement le cercle des candidats repreneurs. S'agissant d'une transmission à titre gratuit, elle permet à l'exploitant de transmettre le pouvoir de gestion de son entreprise à un héritier repreneur, tout en assurant l'égalité en avoir avec les héritiers non repreneurs » : BERTHOUD- 15 principale servant de cadre juridique à l’exploitation de l’activité commerciale. Partant, ce bien sera soustrait au gage des créanciers de l’entreprise exploitante en cas d’ouverture à son encontre d’une procédure collective. Concrètement, la SCI emprunte et acquiert un immeuble, qu’elle loue ensuite à la société d’exploitation. Corrélativement, le montant des loyers payés par cette dernière sera affecté au remboursement du prêt contracté par la SCI. À terme, le bien sera intégralement financé par les deniers de l’entreprise d’exploitation et le surplus constituera un complément de revenus qui profitera aux membres de la SCI. Remarquons, au demeurant, que le montage permettra aux associés et/ou dirigeants de la société d’exploitation de prélever des sommes sur l’entreprise indépendamment de sa situation bénéficiaire afin de financer un bien destiné à se loger au sein de leur patrimoine privé36. 27 - Dans ce type de montage le cloisonnement se matérialise par le truchement de deux personnes morales qui, compte tenu du principe de l’autonomie des personnes morales, possèdent des patrimoines distincts. La société à risque limité sera consacrée à l’exploitation de l’activité professionnelle. Seuls les moyens affectés à cette activité constitueront le gage des créanciers en cas de procédure collective. La SCI, quant à elle, détiendra le ou les biens immeubles échappant aux créanciers dits professionnels. Dans ce cas de figure, un auteur observe que la société civile n’est pas plus exposée que ne le serait un bailleur étranger à l’entreprise37. Cependant, force est de constater la remise en cause quasi systématique de ce montage par les liquidateurs de justice lorsque survient la liquidation judiciaire38. Invoquant le plus souvent au soutien de leurs prétentions l'identité d'associés et/ou de dirigeants et l'unicité de siège social, ils revendiquent l'extension de la procédure ouverte contre la société d'exploitation à la société civile immobilière afin de RIBAUTE (H.), Le sort de la société civile immobilière dans la procédure collective, RTD com., 2003, p. 259. V. entre autres s’agissant de l’intérêt de l’utilisation d’une SCI en terme d’optimisation fiscale : COZIAN, Le charme des sociétés civiles immobilières : charme intact ou charme fané : RJ Com 2004, p.64 ; DEBOISSY (Fl.) et QUILICI (S.), Optimisation fiscale et SCI : Actes prat. ing. Sociétaire 2009, n° 103, p. 47 et s. 36 PAGNUCCO (J.-Ch.), Le couple SCI/société d’exploitation, Rev. Proc. Coll., Mai-Juin 2013, n°3, p. 54. 37 Ibid. 38 CUJATAR (C.), Le montage société civile immobilière/société d'exploitation à l'épreuve de l'extension jurisprudentielle de la procédure collective, BJS, 11/1999, n° 11, p. 1057. 16 tenter par tous les moyens de faire réintégrer les biens immeubles dans le gage commun des créanciers professionnels. Le couple SCI/société d’exploitation se trouve dans pareil cas confronté au tumulte du droit des entreprises en difficulté : Résistera ne résistera pas ?... En tout état de cause, les plaideurs, afin d’appréhender les biens isolés artificiellement, chercheront à démontrer, soit la confusion de patrimoine entre les deux sociétés, soit la fictivité de la SCI39 afin d’étendre la procédure collective ouverte à l’encontre de la société d’exploitation à la SCI. 28 - L'extension de procédure suppose que le principe d'autonomie des personnes juridiques défaille et exige que l’une des deux conditions légales précitées soit remplie. La tendance naturelle du juge est d'imposer le respect de l’autonomie de la personnalité morale contre les utilisations abusives qui peuvent en être faites. Quelque soit le fondement adopté, les conséquences sont identiques et redoutées. Les patrimoines des personnes morales concernées sont réunis dans une procédure unique : les biens immobiliers de la société civile pourront être appréhendés par les créanciers de la société commerciale. Toutefois, il convient de nuancer ce risque et de se garder de conclure trop hâtivement à la grande friabilité de ce montage. Certes le risque de confusion est bel et bien réel, cependant rappelons que la Cour de cassation a validé le montage dans son principe40. Par conséquent, la Haute juridiction veille à ce que les juges du fond ne remettent pas systématiquement en cause l’assemblage, et censure les décisions qui, pour conclure à la confusion des patrimoines des sociétés bailleresse et locataire, relèvent 39 Art. L. 621-2 du C. com. : « (…) à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire (NDLR : hypothèse la plus fréquente en pratique), du ministère public ou d’office, la procédure ouvert (…) peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale (…) » ; Cf. infra n° 170 et s. 40 Cass. com., 28 juin 1994, n° 91-22.293 : « la cour d’appel, (…) que la SCI avait été constituée à l’initiative du Groupe Promodès, que la SARL était, à l’évidence, le seul bailleur de fonds, que le montant des loyers versés par celle-ci était au moins équivalent à celui, cumulé, des prêts consentis à la SCI par le CEPME, a retenu que l’opération envisagée dans son ensemble constituait un montage juridique et financier classique en son principe, peu important que la SARL ait toujours été associée majoritaire de la SCI, et que l’essentiel des garanties prises par le CEPME ait été fourni par elle ou par les époux X… ; que, par ces constatations et appréciations, écartant la confusion des patrimoines ou la fictivité des sociétés en cause, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ». 17 uniquement une identité de dirigeants, de siège social ou de moyens de gestion centralisés41. En outre, la validité de principe du montage société civile/société d'exploitation n’est pas intouchable42, loin s’en faut… En l'état du droit positif, le montage SCI/société d'exploitation ne peut être remis en cause qu'au cas par cas, c'est-àdire, à l'issue d'une appréciation in concreto, casuistique de la situation43. Les créanciers de la société d'exploitation désireux de recouvrer leur créance sur le patrimoine de la SCI disposent de deux armes redoutables : la confusion des patrimoines des deux sociétés et la fictivité de la SCI 44. Deux notions à géométrie variable et, partant, sources d’insécurité juridique. 41 V. notamment : Com. 28 juin 1994, RJDA 11/1994, n° 1206 ; Com. 14 mars 1995, RJDA 7/1995, n° 886 ; Cass. com., 1er oct. 1997, RJDA 4/1998, n° 449. 42 V. en ce sens DOM (J.-Ph.), op. cit., 1998, n° 596 : l’auteur estime au contraire qu’il faut se garder de conclure à la validité de principe du couple SCI/société d’exploitation tant les écueils de nature à remettre en cause ce montage dans le contexte d’une procédure collective sont prégnants. 43 CUJATAR (C.), op.cit, loc. cit. 44 V. également infra n° 170 s. 18 29 - Qu’on en juge plutôt : ont pu être jugées comme des situations ayant justifié une extension de procédure pour cause de rapports financiers anormaux, le nantissement du fonds de commerce de la société commerciale pour garantir l'emprunt souscrit par la SCI afin d'acquérir l'immeuble, le financement de travaux dans l'immeuble et le paiement d'un loyer exorbitant destiné au remboursement de l'emprunt45. Dans cette espèce, la Cour de Cassation conclue que les deux sociétés dirigées par deux époux ne forment qu’une seule entreprise dont le patrimoine immobilier a été constitué grâce aux ressources de la société commerciale, puis elle ajoute que la SCI n’a pour seule finalité que la soustraction de l'immeuble aux poursuites des créanciers de la société commerciale. Remarquons, que l’identité de dirigeants n’est qu’un indice parmi le faisceau d’indices exigé par les magistrats du quai de l’horloge pour démontrer l’existence de liens financiers anormaux emportant la confusion des patrimoines. Dans la même ligne, constituent des faits justifiant l’extension de la procédure collective de la société commerciale à la société civile : le financement par la société commerciale de travaux sur l'immeuble excédant ses possibilités et dépendance à l'égard de la SCI qui a attendu un an avant de réclamer le paiement des loyers impayés et de résilier le bail46 ; le financement par la société commerciale « d’importants travaux d'aménagement pour un coût équivalent à six années de loyer sans versement d'indemnité qu’elle a dû partiellement financer par le recours à l’emprunt »47 ; d’importants travaux réalisés sur l'immeuble par la société commerciale qui, après les avoir facturés à la SCI, s'est abstenue volontairement d'en obtenir le recouvrement, ajouter à cela l’absence de contrat de bail et des prétendues créances invoquées par la SCI sur la société commerciale dans le but de sauvegarder son patrimoine immobilier48 ; ou encore, l’absence, pendant sept 45 Cass. com. 1er octobre1997 : RJDA 12/97 n° 1497 ; v. dans le même sens, Cass. com. 28 mars 1995 : RJDA 8-9/95 n° 1031 ; Cass. com. 24 novembre 1998 : RJDA 1/99 n° 62 ; Cass. com. 13 novembre 2002 n° 1862 : RJDA 2/03 n° 151. 46 Cass. com., 26 mai 2010 n° 09-66.615. 47 Cass. com. 13 septembre 2011 n° 10-24.536, BJE, janv. 2012, note CERATI-GAUTHIER (A.). 48 Cass. com. 10 mai 2012 n° 11-13.709. 19 années consécutives, de recouvrement des loyers par la SCI et de démarche pour résilier le bail, cette abstention procédant d'une volonté réitérée et systématique49. En toute circonstance, observons, que les juges se cantonnent soit à apprécier la normalité des flux financiers entre les sociétés, soit à identifier le caractère frauduleux de l’opération, parfois même les deux indistinctement. Pourtant, certains arrêts vont dans le sens inverse en refusant de caractériser la confusion de patrimoine alors même que les ressources d’une SARL permettaient à une SCI de rembourser son emprunt immobilier et de réaliser des travaux sans contrepartie50. Dans le même sens la Cour de cassation a censuré un arrêt d’une Cour d’appel ayant retenu une confusion des patrimoines dans le cas où une banque après avoir refusé l’ouverture d’une ligne de crédit à la SARL, a consenti un prêt avec garanti hypothécaire à la SCI, cette dernière s’engageant expressément à verser à la SARL les sommes reçues51. À l’évidence comme le souligne un auteur52, à juste titre, le montage en lui même est à l’abri de la confusion des patrimoines. Ce qui est réellement sanctionné par les juges, c’est la volonté d’utiliser systématiquement la SCI comme instrument permettant de ponctionner les ressources de la SARL ou au contraire d’en alimenter les caisses. Autrement dit, seul le montage réalisé uniquement en fraude aux droits des créanciers est de nature à être ébranlé par une action en extension de procédure pour confusion des patrimoines. 30 - En ce qui concerne la fictivité, il s’agit de l’hypothèse où la SCI n’a pas de vie réelle. La société d’exploitation se comporte, de fait, en tant que propriétaire des biens dont elle est censée n’être pourtant que le locataire. Relevons que, confrontés à un couple SCI/société d’exploitation, plusieurs arrêts confondent cette notion avec celle de confusion des patrimoines, tant et si bien, qu’il est légitime de s’interroger sur la pertinence de cette notion en la matière. En effet, comme nous l’avons vu précédemment 49 Cass. com. 8 janv. 2013 n° 11-30.640, DPDE, mars 2013, n° 346, obs. DIZEL (M.). Cass. com., 5 avr. 2011, n° 10-16.705. 51 Cass. com., 10 mai 2011, n° 10-23.113. 52 PAGNUCCO (J.-Ch.), op. cit., p. 56. 50 20 au travers des exemples jurisprudentiels, le non paiement du loyer par la société présumée bailleresse corrobore l’hypothèse d’une confusion des patrimoines selon la Cour de cassation. Dans le même temps, il est permis de considérer que dans pareil cas, la SCI n’est qu’une coquille vide servant à isoler une partie du patrimoine de la société d’exploitation qui détient en réalité la propriété des immeubles en location. Pourtant, dissoudre la fictivité dans une notion plus large de confusion des patrimoines serait une erreur53. Certes la confusion des patrimoines et la fictivité présentent de nombreuses similitudes54. Cependant, dans le premier cas, c’est le décloisonnement anormal des patrimoines à l’insu des créanciers qui est sanctionné, tandis que dans le second, il s’agit d’un cloisonnement artificiel ayant pour objet de mettre hors d’atteinte le patrimoine immobilier de la société d’exploitation en fraude aux droits des créanciers55. La jurisprudence distingue clairement les deux notions, de nombreuses décisions, tout en constatant que la constitution de la SCI est destinée à mettre les actifs immobiliers à l'abri des poursuites des créanciers sociaux de la société d'exploitation, condamnent le montage SCI/société d'exploitation sur le seul fondement de la fictivité56. 31 - Quant aux conséquences d’une extension de procédure, notons que la procédure ouverte à l’encontre de la société d’exploitation est ipso jure étendue à la SCI, même si cette dernière est in bonis. Les patrimoines des deux sociétés sont unifiés. Les créanciers de la société d’exploitation ne sont pas obligés de déclarer une nouvelle fois leurs créances dans la mesure où l’on considère qu’il s’agit d’une seule et même procédure en vertu de l’adage « faillite sur faillite ne vaut ». Autrement dit, l’intégralité du passif et de l’actif des deux sociétés est prise en compte dans le cadre d’une seule procédure. Ceci étant dit, il demeure un problème de taille. Lorsque la procédure est étendue à la SCI, qu’en est-il de la situation de ses associés, en principe, tenus indéfiniment et conjointement aux dettes sociales au sens de l’article 1858 du Code civil ? À ce titre, ils devraient répondre personnellement des dettes de la SCI dès lors que les poursuites des 53 Cf. infra n° 176. CUJATAR (C.), op. cit. 55 Cf. infra n° 176. 56 V. par ex., Cass. Com., 25 novembre 1997, n° 95-17864. 54 21 créanciers restent vaines57. Dans le cas de l’extension de procédure, observons que les créanciers de la société d’exploitation deviennent aussi ceux de la SCI. Ainsi, la question qui se pose en réalité est de savoir si ces créanciers ont la possibilité d’actionner les associés de la SCI, ces derniers sont-ils tenus de supporter le poids du passif de la société d’exploitation ? D’emblée, notons que la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 a supprimé l’extension de procédure aux membres et associés indéfiniment responsables du passif d’un groupement. Cette mesure a pour but d’accélérer les poursuites contre ces personnes, « qui demeureront, par principe, in bonis »58. Cela concerne les cas postérieurs au 1er janvier 2006. Dans le souci d’éviter que les associés d’une SCI, par exemple, n’organisent leur insolvabilité en faisant fi de leurs obligations, l’article L. 651-4 alinéa 2 du Code de commerce, prévoit la possibilité de demander au président du tribunal d’ordonner toute mesure conservatoire à l’égard des biens de ces associés. En conséquence, seule la voie de droit commun59, au demeurant plus avantageuse, s’ouvre devant les créanciers et uniquement eux60 à condition que leurs poursuites demeurent infructueuses, ce qui sera systématiquement le cas puisque la poursuite de la SCI est impossible61. 32 - Cette dernière assertion fait appel à deux précisions : D’une part, il convient de rappeler que les poursuites engagées à l’égard d’un associé personne physique caution ou coobligé à la dette sont, en principe, impossibles dans certains cas. Ce dernier bénéficie, en effet, de dispositions protectrices durant la période d’observation d’une sauvegarde ou, en cas d’adoption d’un plan de sauvegarde, pendant 57 V. sur cette question et pour plus de détails LEBEL (Ch.), L’obligation aux dettes sociales des associés en cas de défaillance de la société débitrice », Mél. TRICOT (D.), LexisNexis-Dalloz, 2011, p. 487 et s ; PAGNUCCO (J.-Ch.), L’obligation à la dette sociale de l’associé indéfiniment responsable, RTD com. 2012, p. 55 et s. ; CERATI-GAUTHIER, L’associé dans la loi de sauvegarde, Rev. sociétés 2006, 305 s. 58 LE CORRE (P.-M.), Droit et pratiques des procédures collectives, Dalloz Action, 2013/2014, p. 334, n° 214.21. 59 C’est-à-dire celle de l’article 1858 C. civ. 60 De fait, la mise en œuvre de cette obligation aux dettes sociales échappe, dès lors, aux mandataires judiciaires et au liquidateur depuis la loi du 26 juillet 2005. 61 La déclaration de créance au passif de la procédure fera office de mise en demeure vaine. 22 l’exécution de celui-ci62. Néanmoins, le droit d’action des créanciers renait en cas d’échec du plan ou de liquidation judiciaire. La deuxième précision rejoint la première en ce qu’elle applique ce principe au cas particulier d’une extension de procédure à la SCI. Peut-on, eu égard aux règles précitées, considérer que l’extension de procédure autorise les créanciers de la société d’exploitation à recouvrer leurs créances sur le patrimoine personnel des associés de la SCI, sachant que ces derniers sont aussi, le plus souvent, les associés de la société d’exploitation ? À cet égard, un auteur remarque, fort justement, que cela conduirait les créanciers à contourner l’immunité des associés de la société d’exploitation à responsabilité limitée63, même si, « il est souvent dit que la confusion des patrimoines n’équivaut pas à une fusion et que les personnalités juridiques demeurent »64. Par exemple, la caution des dettes d’une société n’est pas obligée pour les dettes de l’autre, sauf consentement exprès de la caution65. Mais alors peut-on réellement parler de cautions ou de coobligés s’agissant des associés indéfiniment tenus aux dettes de la SCI ? Manifestement la doctrine est unanime sur ce point pour considérer que ce sont des débiteurs subsidiaires adjoints66 qui, quelque sorte, ne sont pas du même rang que le débiteur principal et échapperaient à la protection accordée, par le livre VI du Code de commerce, aux garants67 personnes physiques. Ainsi, on remarque que lorsqu’une extension de procédure est prononcée par le tribunal, non seulement la digue séparant le couple SCI/société d’exploitation est réduite en paille, mais de plus cela atteint 62 Conformément à l’art. L. 622-28 du C. com, ils bénéficient de l’interdiction des poursuites pendant la période d’observation, de l’inopposabilité de la créance non déclarée pendant l’exécution du plan de sauvegarde, de l’arrêt du cours des intérêts dans la procédure de sauvegarde et du bénéfice des dispositions du plan de sauvegarde. 63 PAGNUCCO (J.-Ch.), Le couple SCI/société d’exploitation, Rev. Proc. Coll., Mai-Juin 2013, n°3, p. 56. 64 Ibid. 65 Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, Dr. Sociétés 2007, comm. 130, note LUCAS (F.X.) ; JCP E 2007, 2157, note CERATI-GAUTIER (A.). 66 V. en ce sens, BRIAND (Ph.), Retour sur la notion de coobligé, BJS, sept. 2012, n° 351 ; LE CORRE (P.-M.), Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2013/2014, p. 2128, n° 713.12 ; Adde, PARIS, 3e ch. A, 9 sept. 2003, RG n° 02/17738 : cet arrêt évoque la formule « garants subsidiaires » pour différencier les associés d’une société où le risque est illimité et les associés garants « classiques ». 67 Par garant, il faut entendre caution et/ou coobligé au sens de l’article L. 622-28 du C. com. 23 directement les associés qui, pourtant croyaient se mettre à l’abri au départ, se retrouvent dans une situation plus inconfortable que ce qu’elle n’aurait été sans montage. 33 - Compte tenu de la menace de l’extension de procédure, qui lorsqu’elle se concrétise transforme le couple tout à fait légitime et bénéficiant d’une présomption prétorienne de régularité, en couple infernal, fragile, aux bases mouvantes, il est judicieux de tenter de mesurer les risques attenants à ce type de montage. De l’habileté à la fraude il n’y a qu’un pas, si minime soit-il, il n’est pas de nature à réduire l’efficacité du couple SCI/société d’exploitation à néant. À notre sens, il semblerait même qu’il faille affirmer l’inverse puisque la jurisprudence a tendance à regarder ce montage d’un œil plutôt bienveillant. Hormis le fait que l’identité d’associés et/ou de dirigeants ou encore de localisation n’ait pas été considérée comme rédhibitoire, signalons qu’il est possible pour une SCI de se cantonner à la perception de loyers68, ou encore de faire financer par la société d’exploitation des travaux sans contrepartie69, voire même que la société d’exploitation accuse un retard dans le paiement des loyers70. Ces flux financiers sont tolérés si tant est qu’ils ne soient pas anormaux et de nature à léser l’intérêt social de l’une des deux structures au mépris des droits des créanciers. Par conséquent, les concepteurs et les instigateurs de ce genre de montage doivent être vigilants71 afin d’éviter les griefs de fictivité et de confusion de patrimoine en évitant, par exemple, de négliger le rite sociétaire72 au sein de la SCI ou en nommant des dirigeants différents dans les deux structures afin d’éloigner la suspicion des créanciers. On l’aura compris, le couple SCI/société d’exploitation est un montage séduisant lorsqu’il est habilement réalisé, c’est-à-dire lorsque le résultat escompté par les concepteurs demeure pragmatique et raisonnable. En d’autres termes, il ne faut point attendre de miracles en marge de la conception de ce montage mais seulement l’utiliser comme un moyen de limiter le risque patrimonial et non de le supprimer. 68 Cass. com., 30 sept. 2008, n° 07-16.255. Cass. com., 21 févr. 2012, n° 10-27.907. 70 Cass. com., 15 févr. 2000, RJDA juin 2000, n° 681. 71 PAGNUCCO (J.-Ch.), Le couple SCI/société d’exploitation, Rev. Proc. Coll., Mai-Juin 2013, n°3, p. 56. 72 COZIAN et alii, op. cit., n° 146, p. 83 69 24 SECTION 2. Les outils d’isolement du patrimoine 34 - À l’image de notre société allergique au risque73, le législateur, soucieux de ménager les intérêts de l’entrepreneur en général et de manière plus ciblée de celui qui décide de commencer l’aventure entrepreneuriale en solitaire, a créé des outils juridiques (parfois involontairement) permettant de limiter les risques patrimoniaux liés à l’activité de son entreprise. Ils permettent de sanctuariser les actifs domestiques du débiteur au gré de ses choix stratégiques. 35 - Ces outils permettent par le truchement d’une structure particulière dotée ou pas de la personnalité morale ou d’une technique trouvant sa source dans la loi d’isoler une partie du patrimoine de l’entrepreneur afin de le mettre à l’abri d’une éventuelle déconfiture qui conduirait à livrer le sort de son entreprise entre les mains du droit des entreprises en difficulté. Il s’agit donc de créer une cloison entre le patrimoine de l’entrepreneur et celui de l’entreprise. Il convient toutefois de rappeler ici, afin de dissiper tout malentendu, que si la notion de montage implique la combinaison d’une pluralité d’actes et/ou de stipulations, tout montage ne s’exprime pas pour autant nécessairement sous la forme d’une multitude d’actes. Ainsi, comme l’énonce un auteur à titre d’exemple, toute société, revêtant la qualité de technique juridique d’organisation propre de l’entreprise74 « constitue par elle-même, un montage, les apports offrant, sous cet angle, la pluralité d’actes indispensables à ce mécanisme »75. Ceci est valable pour n’importe quelle autre technique juridique consacrée par le législateur dès lors que l’instigateur du montage l’utilise judicieusement et volontairement afin, par exemple, d’obtenir des résultats comparables à ceux de régimes exceptionnels strictement encadrés. 73 PEROCHON (F.), Entreprises en difficulté, L.G.D.J, 9ème éd., p. 159, n° 291. PAILLUSSEAU (J.), La société anonyme, technique juridique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967. 75 MOULIN (J.-M.), Rapport introductif : qu’est ce qu’un montage ?, Rev. proc. coll., mai-juin 2013, n°3, p. 51. 74 25 36 - Ceci étant précisé, attelons-nous à présenter la « boite à outils » mise à disposition par la loi pour enclaver le patrimoine de l’entrepreneur. Pour ce faire, nous développerons dans un premier temps l’entreprise individuelle en tant que moyen de protection du patrimoine (§1), ensuite nous évoquerons succinctement la déclaration d’insaisissabilité et plus particulièrement l’enjeu et les conséquences de son utilisation en amont d’une procédure collective (§2). Enfin, nous terminerons par la convention d’indivision devenue un mécanisme que l’on retrouve très fréquemment dans le monde des affaires (§3). §1) L’entreprise individuelle et la pluralité de patrimoines 37 - Deux options à la fois présentant des similitudes mais foncièrement si différentes permettent à l’entrepreneur individuel de prémunir son patrimoine personnel des assauts potentiels des créanciers professionnels : la constitution d’une entreprise unilatérale à responsabilité limitée (A) ou la constitution d’un patrimoine affecté par le biais d’une entreprise individuelle à responsabilité limitée (B). A) Le cas de l’ EURL 38 - En France en 1985 la société unipersonnelle, dénommée EURL, a été conçue à l’image des Einman GmbH allemandes. Il s’agit d’une SARL avec un seul associé, personne physique ou morale bousculant la tradition civiliste du contrat commun conclu entre plusieurs partenaires. Les nombreuses déclinaisons de cette forme sociétaire (SASU, EARL, SELARL unipersonnelle, SELAS unipersonnelle) confortent au demeurant l’analyse selon laquelle la société est un acte unilatéral individuel ou collectif. Cette structure juridique, dotée de la personnalité morale, a été créée afin de limiter la responsabilité des professionnels ainsi que d’assurer la pérennité de l’entreprise76. Elle peut être constituée par la réunion de toutes les parts d’une SARL, mais aussi par une décision unilatérale, ou par une personne physique (il s’agira de la coquille juridique de son entreprise), ou d’une personne morale (dans ce cas, c’est une technique de 76 COZIAN et alii, op. cit., p. 554. 26 filialisation d’une activité au sein d’un groupe77). À l’évidence, l’EURL semble être un instrument intéressant, limitant les risques patrimoniaux par l’intermédiaire d’une personne morale distincte de la personne physique ou morale associée unique. De plus, en cas de développement de la structure, l’EURL semble être un outil assez souple et simple d’utilisation. En effet, les ouvertures de capital à d’autres partenaires sont simples puisqu’il n’y aura pas à changer de forme statutaire. En cas de transmission, il est autrement plus simple de céder les parts sociales de la société que de vendre les actifs isolément (fonds de commerce, immeuble…)78. L’EURL est très souvent utilisée pour ce qu’elle est, à savoir un outil d’organisation du patrimoine. Ainsi, il est fréquent de retrouver cette forme de société lorsqu’une personne, désirant placer ses capitaux, acquiert un fonds de commerce et le fait gérer par un tiers en limitant sa responsabilité et sans avoir recours au salariat ou à la location gérance. 39- Par ailleurs, certains montages utilisent l’EURL (ou à tout le moins l’une de ses déclinaisons) dans un but d’optimisation fiscale. C’est notamment le cas, lorsqu’une personne morale décide de créer une filiale à 100%, très simple de fonctionnement, et permettant de bénéficier du régime de l’intégration fiscale79. Dans le même sens, auparavant, on pouvait trouver des EURL associées d’une SNC structurellement déficitaire permettant, du fait de sa transparence fiscale, de faire remonter les déficits80. Le but étant « de placer en première ligne la SNC, puis de tailler sur mesure le vêtement juridique des associés en nom, des EURL, accompagnées, si besoin, d'une SARL de famille »81. Les bénéfices ne sont pas imposés dans le patrimoine de la SNC, ni dans celui 77 L’associé unique peut être une association ou d’un ordre professionnel ; Adde, BONNEAU (Th.), L’associé unique d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée peut-il être une association, Dr. sociétés, avr. 1995, p. 3. 78 Notons que la cession d’actions d’une SASU est encore plus simple et moins coûteuse ; V. notamment, LE BARS (B.), L’utilisation de la SAS dans les groupes de sociétés, BJS, mars 2008, n° 3, p. 254. 79 Art. 209 sexies CGI : « Une société française dont 95 % au moins du capital est détenu directement ou indirectement par une autre société française peut, sur agrément du ministre de l'économie et des finances, être assimilée à un établissement de la société mère pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés (…) » 80 V. en ce sens, DIENER (P.), La société en nom collectif dont tous les associés sont des EURL, JCP E 1992 I, 153. 81 Ibid. 27 de l'EURL associée en nom, mais directement dans celui de l'associé unique bénéficiant aussi et surtout des précieuses remontées de déficit. Dans un second temps, les auteurs du montage recherchent le bénéfice de l’opacité des EURL. Par ailleurs, au-delà des considérations fiscales, si les créanciers privés ou institutionnels de la SNC en difficulté pourront engager la responsabilité des associés en nom, ils pourront en revanche plus difficilement remonter jusqu’à l’associé unique de l’EURL protégé par le double écran sociétaire. Cela a donc pour effet de limiter le gage commun des créanciers de la SNC. Néanmoins, aujourd’hui, ce type de montage paraît désuet puisque son efficacité et son intérêt ne sont plus avérés. D’une part, s’agissant de l’EURL, l’abus de personnalité morale et les relations financières paraissent patents donc cela ne permet pas de prémunir de manière certaine l’associé unique de l’EURL (coquille vide) contre une action en extension de procédure pour fictivité ou confusion des patrimoines82, d’autre part, le législateur a, depuis, interdit l’imputation des BIC sur le revenu global lorsque l’associé n’exerce pas sa profession dans la société83. Notons que, en outre, de manière plus sournoise et moins élégante, certaines personnes, sans scrupule et impavides, n’hésitent pas à user de l’EURL afin de contourner une interdiction commerciale en se dissimulant derrière la façade sociétaire84. 40 - Nous l’aurons compris, l’EURL conçue à l’origine en tant qu’outil de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel offre aussi la possibilité à certains monteurs, plus ou moins bien avisés, de fourvoyer les créanciers privés et institutionnels en dévoyant sa fonction première. 82 Cf infra n° 170 et s. ; V. contra, COZIAN et alii, op. cit., loc. cit. : L’auteur considère qu’il est permis de penser le contraire puisque l’utilisation d’une EURL pour limiter la responsabilité de l’associé n’est pas frauduleuse en soi et cela est même légitime, par principe, sauf à démontrer une confusion des patrimoines ou une fictivité. Nous estimons, au contraire, qu’en raison de la nature de l’EURL, qui diffère par exemple d’une SCI ou des sociétés en participation dont la nature même est de gérer un patrimoine, la preuve de sa fictivité est théoriquement plus simple à rapporter et les 83 CGI art. 156-I-1° bis. 84 COZIAN et alii, op. cit., loc. cit. 28 Peut-on pour autant estimer que l’écran sociétaire constitué par une EURL est efficace lorsqu’il est mis à l’épreuve d’une procédure collective ? Deux obstacles, deux difficultés nous permettent d’en douter sérieusement. Tout d’abord, dans la majorité des cas, l’associé unique de l’EURL s’engage en qualité de caution de la société. À ce titre, les créanciers principaux, et au premier chef les banquiers, ne manqueront pas d’exiger de l’associé unique qu’il respecte ses obligations en cas de cessation des paiements de l’entreprise. Ce dernier, lorsqu’il s’agit d’une personne physique, bénéficiera, toutefois, du répit accordé au débiteur durant la période de sauvegarde85. D’autre part, les risques liés à l’extension de procédure86 et aux sanctions consécutives à une faute de gestion de l’associé87 sont importants. B) L’EIRL à l’épreuve des procédures collectives 41 - L’EIRL a été créée par une loi du 15 juin 2010 pour améliorer la protection patrimoniale de l’entrepreneur individuel dont le patrimoine répond de ses dettes en vertu du principe de l’unité du patrimoine prévu par l’article 2284 du C. civ. Cette loi fait suite à un mouvement de légifération en faveur de l’entrepreneur individuel88 qui était susceptible de voir, impuissant, son héritage générationnel patrimonial s’effriter en cas de débâcle. Ce faisant, l’entrepreneur peut, donc désormais, créer un patrimoine séparé dans lequel il pourra mettre ses biens professionnels sans création d’une personne morale89. Cela déroge au principe de l’unité du patrimoine, imaginé par Aubry et Rau, consacré à l’article 2289 du C. civ, et permet aussi de limiter le gage des créanciers professionnels aux seuls biens que l’entrepreneur aura choisi d’affecter. L’EIRL est donc devenue un 85 Cf. supra n° 32. Cf. infra n° 170 et s. 87 Étant donné que l’associé est unique une gestion comptable et financière mêlant son patrimoine et celui de la société peut conduire à des confusions causant des difficultés ; sur la responsabilité pour insuffisance d’actifs ; Rapp. avec le cas de l’EIRL cf. infra n° 209 et 210. 88 V. art. L. 313-21 CMF et art. 22-1 L. n° 91-650 du 9 juill. 1991, issus de l’art. 47 de la loi n° 94-126 du 11 févr. 1994 dite MADELIN ; Adde, art. L. 526-1 s. C. com. sur la déclaration d’insaisissabilité : cf. infra n° 46 et s. 89 Art. 526-6 du C. com. : « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d'une personne morale ». 86 29 outil de protection du patrimoine intéressant en cas de survenance de difficultés (b), sous réserve que les conditions de droit commun soient respectées (a). a- L’EIRL en droit commun : 42 - L’entrepreneur est obligé d’ajouter à son patrimoine d’affectation les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle90. Le patrimoine affecté peut comprendre également des biens, droits, obligations ou suretés, dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utilisés pour l’exercice de son activité professionnelle et qu’il décide d’y loger, donc cela permet d’y inclure les biens communs et indivis avec l’accord du conjoint ou du co-indivisaire afin d’éviter l’inopposabilité. Soulignons à cet égard, que l’entrepreneur peut décider inversement d’exploiter son activité dans le patrimoine non affecté. Ce faisant, il a le choix d’exercer son activité professionnelle au titre de l’un ou l’autre de ses patrimoines. En outre, depuis le 1er janvier 2013, un même entrepreneur peut créer plusieurs patrimoines affectés s’il exerce diverses activités. Notons qu’un même bien ne peut entrer que dans la composition d’un seul patrimoine affecté. S’agissant des biens immeubles, l’affectation d’une partie de ceux-ci est possible par le biais d’un état descriptif de division. L’entrepreneur pourra aussi conserver une partie de ses activités dans son patrimoine non affecté en souscrivant, par exemple, une déclaration notariée d’insaisissabilité pour protéger ses immeubles extra-professionnels91, et ainsi se « barricader »92. Il s’agit là d’un montage astucieux mêlant deux outils d’isolement du patrimoine afin de conférer à l’association un effet de protection maximale. Par ailleurs, en raison de la rédaction parfois sibylline des textes régissant le statut de l’EIRL plusieurs questions demeurent en suspend faute de jurisprudence fournie en la matière. Ainsi, la loi prévoit-elle, par exemple, que l’entrepreneur puisse inclure dans le patrimoine professionnel des obligations dont il est titulaire. Par obligation, on entend, traditionnellement, en matière commerciale « un titre négociable, nominatif ou au 90 Ibid. PEROCHON (F.), op. cit., p. 161, n° 293 ; Sur le mécanisme de la déclaration d’insaisissabilité v. infra n° 46 et s. 92 Terme employé par VALLANSAN (J.), EIRL et déclaration d’insaisissabilité : ou « l’entrepreneur barricadé », Rev. proc. coll. 2011, dossier 22. 91 30 porteur, remis par une société commerciale ou une collectivité publique à ceux qui lui prêtent des capitaux »93, autrement dit un titre constatant une dette dont bénéficie celui qui en est le titulaire donc le créancier. Or, inversement, il peut s’agir du débiteur de l’obligation au sens civiliste94. Peut-on dans ces conditions considérer que l’on peut inclure des dettes dans le patrimoine affecté ? Nous pouvons considérer que cela est possible mais constitue une source de difficultés car il faudrait alors considérer que l’actif net de départ peut être négatif… De même pour la question des contrats qui ne sont pas prévus dans la liste énumérative du législateur mais qui dans le silence de loi, semble-t-il, pourraient être affectés spontanément95. Par conséquent, il appert que ce dispositif n’est pas exempt de tout reproche. 42 - Afin de donner pleinement effet au patrimoine affecté, l’entrepreneur doit en, premier lieu, effectuer une déclaration dans un registre de publicité légale qui dépendra de sa qualité. Lorsqu’un immeuble est affecté, il doit mener à bien les formalités de publicité foncière rendant opposable aux tiers l’affectation. L’effet est immédiat et en vertu du principe de l’autonomie des patrimoines une partition patrimoniale, en principe étanche, s’opère. Le patrimoine professionnel est opposable aux créanciers antérieurs à sa constitution, à condition que la déclaration le mentionne expressément et que ceux-ci en soient informés dans les conditions fixées par voie réglementaire96. Ils auront la possibilité de s’opposer à la déclaration. En revanche, dès lors que celle-ci leur est opposable, les créanciers postérieurs n’auront pour seul gage général que le patrimoine affecté. Toutefois, ceux pour qui le patrimoine d’affectation n’est pas opposable auront un droit de gage général sur plusieurs patrimoines affectés et celui non affecté. Il en ira ainsi, des créanciers mixtes. Dans la même ligne, le créancier, au titre de l’un des patrimoines peut également exiger et bénéficier d’une sûreté réelle (ex : une hypothèque immobilière sur le 93 CORNU, Vocabulaire juridique, PUF. PEROCHON (F.), op. cit., p.161, n° 293. 95 Sur cette question, v. MONSIERE-BON (H.), L’EIRL et le droit des entreprises en difficulté, BJE mars 2011, p. 65, n°4 ; ROUSSEL-GALLE (Ph.), Rev. Proc. Coll. 2011-2, art. 24 ; BECQUE-ICKOWICZ (S.) et DUMONT-LEFRAND (M.-P.), Cah. dr. entr. E 2011-3, mai juin, dossier 15, p. 29. 96 Cf. art. R. 526-3 et s. C. com. 94 31 patrimoine non affecté destinée à garantir un emprunt professionnel.). Cela a pour effet de croiser les deux patrimoines en cas de non remboursement de l’emprunt. Sauf que sur la question de la prise de garanties personnelles, pour un engagement pris par l’entrepreneur individuel sur son patrimoine personnel, la doctrine demeure divisée. Une majorité d’auteurs considèrent, à juste titre, que la constitution de sûretés personnelles ruinerait le principe de l’unicité de la personne et emporterait renonciation à la protection légale en privant de tout intérêt le statut97. En effet, cela reviendrait à affirmer qu’une personne peut se porter caution pour elle-même ! D’autres considèrent a contrario qu’en soi rien ne l’interdit dans la loi, mais qu’il ne faudrait pas parler de caution, ou d’auto-cautionnement mais d’ « auto-garantie »98. Enfin, notons que le risque de décloisonnement en guise de sanction est réel. Il constitue un écueil à éviter pour l’entrepreneur sous peine d’engager sa responsabilité sur la totalité de ses biens et droits en cas de « fraude à l’égard d’un créancier titulaire d’un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure »99, de manquement grave sur la composition du patrimoine affecté, ou de manquement aux obligations concernant la comptabilité et les comptes séparés100. À ce propos, l’EIRL doit faire preuve d’une attention particulière. 43 - Le patrimoine affecté fonctionne comme une universalité de droits et le passif à venir naîtra des dettes générées « à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté »101. Cela peut poser le problème des dettes mixtes nées, à la fois à l’occasion de l’activité et de la vie privée102. Le patrimoine non affecté, quant à lui, comprend le reste du patrimoine, c’est-à-dire ce qui ne sera pas affecté dans les divers patrimoines, en sus des revenus retirés du patrimoine affecté que l’exploitant décide 97 V. entre autres, SIMLER (Ph.), JCP G 2011, n°4, p. 11 s., et AYNES (L.) et CROCQ (L.), Les sûretés, 5e éd., 2011, n° 21. 98 V. entre autres, PEROCHON, Rev. Proc. Coll., 2011-2, étude 25, p. 98 qui est catégorique ; BORGA (N.), BJE, mars 2011, p. 76, n° 7 ; LUCAS (F.-X.), LPA, 28 avr. 2011, p. 39 plus nuancé mais admettant cependant la notion d’auto-garantie. 99 Art. L. 621-2, alinéa 3 du Code de commerce. 100 Art. L. 526-12, alinéa 9 du Code de commerce. 101 Art. L. 526-12, 1° du C. com. 102 Sur cette question cf., PEROCHON (F.), op. cit., n° 298 et s. 32 soustraire103. Madame PEROCHON remarque métaphoriquement que « le cloisonnement entre les patrimoines opère comme une membrane respirant qui arrête la pluie (ici les créanciers), mais pas la transpiration qui peut s’évacuer (ici les revenus) »104 sous réserve de ne pas « transpirer » excessivement durant la période suspecte105 ou d’abuser de cette prérogative ce qui constituerait une faute de gestion106. b- L’EIRL en difficulté 44 - Par une ordonnance en date du 9 décembre 2009, le législateur a adapté l’EIRL au droit des procédures collectives107. Le principe est au respect, en amont, du cloisonnement patrimonial érigé par l’EIRL lorsque celle était in bonis. Lorsque, le jugement d’ouverture d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation est prononcé, il n’est plus temps pour l’entrepreneur de modifier l’affectation d’un bien à l’insu du patrimoine visé par la procédure en vertu de l’article L. 680-6 du Code de commerce (sauf pour les revenus conformément à l’article L. 526-18). Le raisonnement à tenir se fait patrimoine par patrimoine108 et chacun fait l’objet séparément de sa propre procédure de traitement des difficultés. En ce qui concerne le patrimoine extra-professionnel, il fera l’objet le cas échéant d’une procédure de surendettement. De manière plus exacte, seule l’EIRL, sujet de droit, subira au titre de l’un ou l’autre de ses patrimoines la procédure, puisque le patrimoine « n’est pas un sujet de droit »109. De même, le principe d’autonomie implique par contrecoup l’indépendance des différentes procédures. Chaque procédure applicable à chaque patrimoine se déroulera comme si chaque patrimoine était rattaché à une personne différente. Ainsi, les dispositions relatives au débiteur personne physique du livre VI du Code de commerce trouveront à 103 Art. L. 526-18 du C. com. PEROCHON (F.), Rev. Proc. Coll., 2011-1, étude 13, p. 101, n° 17 et s. 105 Cf. infra n° 166 et 167. 106 Cf. infra n° 209 et 210. 107 V. en ce sens, TEXIER (A.-S.), EIRL et droit des entreprises en difficulté, in Droit 360°, dir. ROUSSEL GALLE (Ph.), 2012, n°1. ; ROUSSEL GALLE (Ph.), Premier aperçu sur l’adaptation du droit des entreprises en difficulté à l’EIRL, DPDE, déc. 2010, p. 3 ; PETEL (Ph.), L’adaptation des procédures collectives à l’EIRL, JCP E 2011, 1071 ; LUCAS (F.-X.), L’EIRL en difficulté, LPA 28 avr. 2011, p. 39. 108 PEROCHON (F.), op. cit., p. 169, n° 311 et art. 680-1 du Code de commerce. 109 TEXIER (A.-S.), op. cit. 104 33 s’appliquer à chaque patrimoine d’affectation professionnel. Partant, il est prévu, à l’instar de l’extension de patrimoine d’une personne à l’autre lorsque le cloisonnement est réalisé par deux personnes morales, une réunion du patrimoine « épargné » au patrimoine visé par la procédure en cas de confusion des patrimoines110. L’ensemble des deux patrimoines se trouve appréhendé par la procédure. 45 - Observons pour conclure, que le risque de confusion de patrimoine paraît plus élevé pour l’EIRL que pour un autre débiteur (L’EURL par exemple) tant le régime mis place est biscornu. Pour l’entrepreneur individuel, Il semble qu’il faille frôler la « schizophrénie »111 afin d’être en mesure d’éviter tout chevauchement de ses patrimoines. Il doit veiller à l’étanchéité du mur séparant ses patrimoines et fonctionner comme s’il s’agissait de deux personnes morales distinctes, ce qui présuppose de monopoliser des moyens importants et un service comptable et juridique très efficace et rigoureux, ce qui est loin d’être le cas en pratique. §2) La déclaration d’insaisissabilité 46 - C’est par une loi du 1er août 2003 dite pour l’initiative économique (ou Dutreil) que la déclaration notariée d’insaisissabilité à été instituée par législateur. Le dispositif, régissant ce mécanisme destiné à mettre à l’abri la résidence principale (ou les autres immeubles non professionnels depuis la loi du 4 août 2008) de l’entrepreneur individuel, figure aux articles L. 526-1 et suivants du Code de commerce. L’article L 526-1 du Code de commerce, par dérogation à l’article 2284 du code civil, permet à une personne physique qui est immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité agricole ou indépendante de déclarer insaisissables ses droits sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale, ainsi que tout bien foncier bâti ou non bâti qu’elle n’a pas affecté à un usage professionnel. La D.I ne concerne que les personnes physiques entrepreneurs individuels : les commerçants, les artisans, les 110 111 Conformément à l’article L.621-2 alinéa 3 du Code de commerce. PEROCHON (F.), op. cit., p. 169, n° 316. 34 agriculteurs, mais aussi les professions libérales réglementées ou non. Elle est une technique d’affectation du patrimoine : elle doit impérativement être reçue par un acte notarié, sous peine de nullité112, et être publiée au service de la publicité foncière. Les actifs immobiliers de l’entrepreneur vont rester dans son patrimoine, et, a priori, dans le patrimoine personnel, mais ils sont rendus insaisissables. En revanche, ils ne le sont que pour les créanciers professionnels. Par ailleurs, cette insaisissabilité ne crée pas une indisponibilité : c’est-à-dire qu’on peut mettre en place une DI puis librement disposer de ses biens (vendre, donner, hypothéquer l’immeuble) et ce sans avoir à délivrer de main levée. En outre, lorsque le formalisme est respecté, la DI est opposable à tous les créanciers dont les droits naissent postérieurement à la publication et à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant113. Il s’agit donc d’un pare-feu particulièrement intéressant pour le patrimoine privé de l’entrepreneur en cas de difficultés liées à son activité professionnelle. 47 - S’agissant des personnes concernées, l’article L 526-1 du Code de commerce vise les personnes physiques entrepreneurs. Ainsi, les gérants de société qui sont exposés à la vie des affaires (par la voie de sûretés personnelles par exemple) ne peuvent pas bénéficier d’une DI. Il faut aussi détenir les biens en propre, ceci implique que si un immeuble est abrité par une SCI, ce dispositif n’a pas vocation à s’appliquer puisque c’est la personne morale qui est propriétaire du bien. En revanche, il est possible de cumuler une DI avec le statut de l’EIRL114 : l’entrepreneur qui va affecter un certain nombre de biens va pouvoir faire une DI sur un immeuble de son patrimoine personnel. Elle est même recommandée dans le cas où l’entrepreneur individuel exerce une activité professionnelle dans son patrimoine non affecté afin d’extirper les immeubles non professionnels du gage général des créanciers professionnels liés à cette activité. Cela peut aussi être un outil pour se préserver d’une réunion de patrimoine115. L’article 526-3 du Code de commerce dispose que le décès du déclarant emporte révocation de la déclaration. 112 Art. L. 526-2 du Code de commerce. Art. L. 526-1 du Code de commerce. 114 VALLANSAN (J.), op. cit. ; cf. supra n° 42. 115 Sur le mécanisme cf. supra n° 44 et 45. 113 35 48 - En ce qui concerne la faculté de renonciation du déclarant, celui-ci peut, à tout moment, renoncer au bénéfice de la DI116. Cette renonciation est soumise aux mêmes conditions de validité et d'opposabilité. La renonciation peut porter sur tout ou partie des biens ; elle peut être faite au bénéfice d'un ou plusieurs créanciers mentionnés à l'article L. 526-1 du Code de commerce et désignés par l'acte authentique de renonciation. Lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire pourra se prévaloir de celle-ci. Ce procédé a été détourné par certains créanciers exigeant une renonciation à titre de garantie. Dans ce cas de figure, le créancier professionnel sera le seul à pouvoir appréhender les biens immobiliers faisant l’objet de la renonciation. Cependant, notons que, étant donné la possibilité de constituer une hypothèque sur un bien immobilier faisant l’objet d’une DI, l’on a du mal à comprendre l’intérêt d’un tel procédé. En effet, la sûreté réelle comporte l’avantage de conférer un droit de suite au créancier et, surtout, lui confère un privilège avantageux par rapport aux autres créanciers non professionnels. Certes, l’absence de droit de suite pourra être contrebalancée par la stipulation d’une clause d’inaliénabilité au profit du créancier depuis que la jurisprudence a finalement décidé d’admettre son utilisation dans le cadre d’un acte à titre onéreux117. Toutefois, le non respect de cette clause ne peut donner lieu qu’à des dommages-intérêts puisqu’il s’agit d’une obligation de ne pas faire, mais le notaire réalisant la vente pourra voir sa responsabilité engagée puisque la clause sera contenue dans l’acte authentique de renonciation. Ainsi, semblerait-il, que l’association renonciation et clause d’inaliénabilité soit une sûreté conventionnelle efficace pour les créanciers. 49 - En dernier lieu, qu’en est-il de l’efficacité de la DI dans le contexte d’une procédure collective ? Quels créanciers peuvent agir ? Malgré le silence des textes sur l’applicabilité de la DI en cas de procédure collective, elle ne semble pas douteuse. En revanche, la difficulté sera de savoir comment articuler le principe de l’insaisissabilité qui s’impose aux créanciers professionnels postérieurs à la 116 Art. L. 526-3 du Code de commerce. Civ. 1er, 31 octobre 2007, n° 05-14.238 : à condition qu’elles soient limitées dans le temps et justifiées par un intérêt sérieux et légitime conformément à la lettre de l’article 900-1 du Code civil concernant les actes à titre gratuit. 117 36 DI et le caractère collectif de la représentation des créanciers d’une procédure collective. Ce problème n’a pas manqué de soulever un débat important entre plusieurs auteurs, avant d’être tranché par la jurisprudence. 50 - Selon une thèse doctrinale dominante118, conformément à l’article L. 526-1 du Code de commerce, la DI « n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant », autrement dit les créanciers professionnels postérieurs. L’exégèse du texte ne conduirait pas à extraire l’immeuble du gage commun des créanciers mais seulement à l’exclure, par exception, du gage des futurs créanciers professionnels. Par suite, le créancier de droit commun, a priori, possède toujours l’immeuble dans son gage. Or, en partant de l’hypothèse selon laquelle le droit de poursuite de la collectivité des créanciers s’aligne sur celui que le droit commun reconnaît à un créancier lambda ayant un droit particulier119, c’est-à-dire celui dont la DI est inopposable, l’immeuble protégé « fait donc partie des actifs de la procédure »120. Le mandataire/liquidateur judiciaire aurait, pour cette raison, « qualité pour le réaliser dans les mêmes conditions que les autres biens »121. Ainsi, selon cette opinion, l’effet de la DI ne serait que relatif et exceptionnel. Le mandataire/liquidateur servant les intérêts des créanciers de droit commun peut donc agir 118 Obs. PEROCHON (F.), LEDEN mai 2011, p. 5, n° 72, ss. ORLEANS, 6 avr. 2011 ; obs. LUCAS (F.-X.), LEDEN janv. 2010, p.3, ss. AIX, 3 déc. 2009 ; PEROCHON (F.), op. cit., 9e éd., n° 1125, p. 565 ; PEROCHON (F.), Le créancier et la renonciation à l’insaisissabilité de la résidence, Mél. Saint-Alary, Ed. lég et PU Toulouse, 2009, p. 409 s., sp. p. 411, n° 5 ; SENECHAL (M.), BJS 2009, 226. et in L’effet réel de la procédure collective, Litec 2002, n°400 ; FROELICH (Ph.) et SENECHAL (M.), in LUCAS (F.-X.) et LECUYER (H.), dir., La réforme des procédures collectives, La loi de sauvegarde article par article, L.G.D.J 2006, p. 355 et s. ; JACQUEMONT (A.), Droit des entreprises en difficulté, Lexis Nexis, 8e éd., 2013, n° 951 ; LIENHARD (A.), Procédures collectives, Delmas, 4ème éd., 2011/2012, n° 125.12. 119 SENECHAL (M.), L’effet réel de la procédure collective, Litec 2002, n° 365 : l’auteur pose la notion doctrinale d’effet réel de la procédure. Il s’agit d’une approche des procédures collectives à travers le prisme de l’appréhension des biens du débiteur qui constituent l’actif de la procédure et non du débiteur lui-même. Cette thèse de l’effet réel a été suivie par la jurisprudence : Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-13.147 : « Attendu que lorsque des époux mariés sous le régime de la communauté légale ont été, par des décisions successives, mis, chacun, en liquidation judiciaire, la vente de gré à gré des biens communs, soumis dès son prononcé à l’effet réel de la procédure collective première ouverte, ne peut être autorisée que par le juge-commissaire de cette procédure ». 120 PEROCHON (F.), Le créancier et la renonciation à l’insaisissable de la résidence, Mél. SaintAlary, Ed. lég. Et PU Toulouse, p. 409 et s., sp. p. 411, n°5. 121 Ibid. 37 pour appréhender le bien faisant l’objet de la DI, même si celle-ci est opposable à la grande majorité des créanciers professionnels dont les créances sont nées postérieurement. Cet avis a été suivi par plusieurs juges du fond, néanmoins, contrairement à ce qu’avait préconisé certains auteurs122 en pareil cas, le produit de la vente de l’immeuble ne profite qu’aux créanciers auxquels la DI est inopposable123. Selon une thèse doctrinale minoritaire124, l’intérêt collectif des créanciers est l’intérêt de tous les créanciers et « non celui d’un groupe de créanciers, en l’occurrence celui qui aurait conservé le droit de saisir l’immeuble »125. Cette opinion est née d’une analogie avec le sort réservé par la Cour de cassation à la solidarité du bailleur du fonds de commerce donné en location-gérance avec le locataire gérant au titre des dettes contractées lors des six premiers mois de l’exploitation du fonds126. Ici, le mandataire judiciaire ne peut agir en paiement contre le loueur d’un fonds de commerce donné en location-gérance car la solidarité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers détenant une créance nécessaire à l’exploitation du fonds127. Le dispositif ne bénéficie donc qu’à une seule catégorie de créanciers et non à l’intérêt de la collectivité qu’est censé défendre le mandataire. Par voie de conséquence, la DI doit être déclarée inopposable aux créanciers antérieurs à la publicité de la déclaration notariée et opposable aux créanciers postérieurs. Au surplus, le mandataire/liquidateur de justice représentant l’ensemble des créanciers, à la fois postérieurs et antérieurs, ne peut agir dans l’intérêt des créanciers antérieurs tout en représentant les créanciers postérieurs auxquels la déclaration notariée est opposable. 51 - Suite à la discorde soulevée par cette question, les juges du quai de l’horloge ont décidé de remettre les pendules à l’heure. Pour ce faire, à en croire la portée des multiples arrêts rendus sur le sujet, la seconde thèse l’emporterait. 122 FROELICH (Ph.) et SENECHAL (M.), in LUCAS (F.-X.) et LECUYER (H.), dir., op. cit., loc. cit. ; PEROCHON (F.), Le créancier et la renonciation à l’insaisissabilité de la résidence », Mél. Saint-Alary, Ed. lég et PU Toulouse, 2009, p. 409 s., sp. p. 411, n° 5. 123 V. entre autres, ORLEANS, 15 mai 2008, RG n° 07/01076 ; AIX, 3 déc. 2009, RG n° 2009/556 ; ORLEANS, 6 avr. 2011, RG n° 11/00312. 124 V. notamment, LE CORRE, op. cit., n°582.13, p. 1451 ; SAINT-ALARY-HOUIN (C.), Droit des entreprises en difficulté, 8e éd., n° 1214 ; CABRILLAC (M.) et PETEL (Ph.), obs. JCP E 2009, 1008, n° 9. 125 LE CORRE, op. cit., loc. cit, p. 1452. 126 Cf. art. L. 144-7 du Code de commerce. 127 V. pour le rapprochement, Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-13.685. 38 Dans un premier arrêt en date du 28 juin 2011128, la Haute juridiction tranche la question et prend position. Au visa des articles L. 641-9 et L. 526-1 du Code de commerce, elle pose en solution de principe que « le débiteur peut opposer la déclaration d’insaisissabilité qu’il a effectué en application du deuxième de ces textes, avant qu’il ne soit mis en liquidation judiciaire ». En conséquence, le débiteur peut opposer la DI qu’il a effectué avant sa liquidation judiciaire en dépit de la règle du dessaisissement. Ainsi, le juge commissaire ne peut autoriser, sous peine de commettre un excès de pouvoir, le liquidateur à procéder à la vente du bien. La Haute juridiction affirme dans cet arrêt que la déclaration notariée résiste à la procédure collective, dès lors que celle-ci a été constituée avant le jugement d’ouverture. Cette solution est très favorable à la DI. Dans une autre espèce129, il s’agissait d’un commerçant-artisan qui avait publié la DI aux hypothèques, au registre du commerce et des sociétés mais pas au répertoire des métiers. La Cour de cassation va déclarer que le liquidateur agissant en inopposabilité en vue de la licitation immédiate n’a pas intérêt à agir. Elle ajoute aussi que le liquidateur n’avait pas la qualité pour agir dans l’intérêt des seuls créanciers professionnels postérieurs en inopposabilité de la DI. La Cour de cassation ne dit cependant rien sur la publication aux deux registres. En principe, s’il existe une notion d’intérêt collectif, ce n’est pas l’addition des intérêts de chacun des créanciers. Cet arrêt a donc été critiqué par la doctrine130 puisque le liquidateur se retrouve dépourvu de toute possibilité d’agir. Pourtant la Haute juridiction a réitéré cette position arguant de ce que le liquidateur ne peut agir que dans l’intérêt de tous les créanciers, et non dans l’intérêt personnel d’un créancier ou d’un groupe de créanciers131. Elle va même plus loin encore lorsqu’elle 128 Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482 ; D. 2012, 2202, note LE CORRE (P.-M.) ; Rev. sociétés, sept. 2011, 526, note ROUSSEL GALLE (Ph.). 129 Cass. com. 13 mars 2012, n° 11-15.438. 130 V notamment, PEROCHON (F.), op. cit., n°1127, p. 566 ; contra LE CORRE (P.-M.), op. cit., n°582.13, p. 1455 qui considère qu’il ne faut pas confondre droit de gage général et commun. Dès lors que certains créanciers ont accès à un gage, pourtant contenu dans le gage général, mais qui n’est pas le gage commun alors le liquidateur ne peut agir dans leur intérêt. 131 Cass. com., 18 juin 2013, n° 11.23.716 ; Gaz. Pal., 15 mars 2014, n° 74, p. 13, note BRENNER (C.). 39 dénie au liquidateur toute possibilité d’exercer l’action paulienne pour rendre inopposable la DI, puisqu’elle n’est pas opposable à tous les créanciers132. 51 - Cette protection maximale accordée à la DI par la jurisprudence empêche toute possibilité d’action pour le liquidateur même en cas d’utilisation frauduleuse destinée à dilapider le patrimoine professionnel de l’entrepreneur en amont d’une procédure collective. Le législateur a donc été conduit à répondre aux critiques formulées par la doctrine. Ainsi, l’article 56 de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, insère la déclaration notariée d’insaisissabilité parmi les actes susceptibles d’être annulés de droit lorsqu’ils sont passés en période suspecte133. Cela permettra, en vertu de l’article L. 632-4 du Code de commerce, au liquidateur d’agir en nullité de la DI. 52 - In fine, une dernière difficulté, qui à notre connaissance n’a toujours pas été tranchée par la jurisprudence, pose problème. Il s’agit de la question du sort de l’immeuble. La jurisprudence nous dit que celui-ci est hors d’atteinte pour les créanciers professionnels postérieurs ; que le mandataire et même le liquidateur, quoique le débiteur fût dessaisi, ne peuvent agir en inopposabilité ; et le législateur d’ajouter hors dans le cas d’une DI passée en période suspecte. Néanmoins, cela ne nous éclaire pas sur la possibilité d’agir individuellement pour les créanciers professionnels antérieurs. Madame PEROCHON estime à raison que « le débiteur ne doit pas se faire trop d’illusions, car, même renforcée par cette jurisprudence, la déclaration d’insaisissabilité n’empêchera généralement pas la saisie de l’immeuble, et finalement l’éviction du débiteur »134. Cette opinion majoritaire135 repose sur une simple constatation : l’immeuble, échappant au gage général des créanciers, n’est pas soumis à l’effet réel de la procédure collective, partant 132 Cass. com., 23 avril 2013, n° 12.16.035, DPDE mai 2013, Bull. n° 348, p. 16 et 17, note ROUSSEL GALLE (Ph.) 133 Sur la nullité des actes en période suspecte cf. infra n° 159 s. 134 PEROCHON (F.), op. cit., n° 1129, p. 567. 135 V. notamment, LE CORRE (P.-M.), op. cit., n° 582.13, p. 1458. 40 les créanciers antérieurs pourront s’en saisir par le truchement du droit commun des voies d’exécution136. Dans la même idée, notons qu’à cet égard un raisonnement par analogie entre la situation des créanciers antérieurs et ceux de l’indivision137 paraît être opportun. Toutefois, il convient de relativiser cette position puisque le débiteur conservera un avantage considérable si, par exemple, la masse des créanciers antérieurs est moindre. Dans ce cas de figure, lorsque la créance n’est pas très importante, ils pourront s’abstenir de réaliser le bien si leurs chances d’obtenir paiement dans le cadre de la procédure collective sont importantes. En outre, nonobstant une réalisation du bien, le débiteur conservera un boni de liquidation puisqu’il sera hors procédure. §3 –La convention d’indivision : 53 - Conçue par les rédacteurs du Code civil de 1804 comme une technique permettant d’organiser les successions, l’indivision est devenue, depuis, très utilisée dans la vie des affaires. Parmi ses attraits, nous remarquons qu’elle peut être un outil permettant de sauvegarder un immeuble ou des actifs indivis - à tout le moins une partie de sa valeur exploités par l’entreprise dans le cas d’une procédure collective Tout d’abord, relevons que seul le propriétaire indivis d’un bien, dès avant l’ouverture de la procédure, pourra profiter des effets protecteurs de l’indivision138. En effet, l’article 815-17 du Code civil, trouvant application à défaut de dispositif spécifique, dispose que les créanciers d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part indivise. Le préalable évident est 136 Contra, SENECHAL (M.), BJS 2009, p. 227 ; CAMENSULLI-FEUILLARD (L.), BJE sept. 2011, n° 125, p. 243 ; LUCAS (F.-X.), obs. LEDEN 2011-7, n° 199, p. 1 : Pour ces auteurs, dans la mesure où il y a un arrêt des poursuites individuelles et des voies d’exécution, cet arrêt concerne tout le monde, et donc même les créanciers antérieurs. Dès lors, ceux-ci ne seraient pas en mesure de saisir l’immeuble, et ils ne pourraient retrouver un droit de poursuite qu’une fois les opérations de liquidation clôturées, sauf si de façon exceptionnelle le tribunal décide de reprendre les poursuites individuelles. Cette solution est la plus protectrice du débiteur. 137 Cf. infra n° 55. 138 Si l’indivision nait postérieurement à l’ouverture d’une procédure (suite à un divorce par exemple), le bien indivis se trouvera d’ores et déjà et irréversiblement appréhendé par l’effet réel de la procédure collective. 41 que le bien tout entier ne figure pas dans le patrimoine de l’un ou l’autre des indivisaires. Le créancier de l’indivisaire/débiteur ne pourra même pas se saisir de la quote-part indivise puisqu’elle n’est pas individualisée en dépit de sa présence dans le patrimoine du débiteur. Le bien indivis n’est donc pas considéré comme compris dans l’actif de la procédure. Par ailleurs, le créancier de l’indivisaire pourra, tout de même, provoquer le partage conformément à l’alinéa 3 de l’article précité. Pour ce faire, il agira en licitation-partage afin de saisir le bien ou la somme d’argent déclaré propriété exclusive de leur débiteur à l’issue du partage. Les co-indivisaires peuvent arrêter l’action en partage en proposant de payer la dette. 54 - Quant aux créanciers de l’indivision139, c’est-à-dire ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis de l’indivision et ceux dont le titre est né avant l’indivision, ils ont la possibilité de saisir le bien indivis et ne se heurtent pas à l’interdiction des poursuites de l’article L. 622-21 du Code de commerce140 puisque le bien échappe à l’effet réel de la procédure. Par ailleurs, il a pu être jugé, à propos d’une hypothèque consentie par deux époux sur un immeuble indivis ayant fait l’objet d’une indivision antérieurement à l’ouverture de la procédure, que le créancier de l’indivisaire est un créancier de l’indivision qui peut être payé avant tout partage : « dès lors que l’hypothèque a été constituée par tous les indivisaires sur un bien dont le caractère indivis préexistait à l’ouverture de la procédure collective de l’un d’eux, le créancier hypothécaire, fût-il créancier de l’un seulement des coïndivisaires peut poursuivre la saisie et la vente de ce bien avant le partage de l’indivision en application des dispositions de l’article 2125 C. civ. »141. Ainsi, les créanciers dont les droits ont été conférés par l’ensemble des coïndivisaires sont 139 V. notamment, DELRIEU (S.), Indivision et procédures collectives, Th. Toulouse, 2006, dir. Saint-Alary-Houin (C.). 140 Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-12.787 ; BJE mai 2012, p. 137, n° 62, obs. SENECHAL (J.P.) ; Bull. mars 2012 DPDE, p. 5, obs. DIZEL (M.) : le créancier n’est logiquement pas tenu de déclarer sa créance puisque le bien indivis est hors procédure… 141 Cass. com., 18 févr. 2003, n° 00-11.008 ; Adde, Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-16.216, DPDE, juill. 2013, Bull. n° 350, p.13, note ROUSSEL GALLE (Ph.) : Cet exemple illustre la primauté du droit de l’indivision sur le droit des procédures collectives et notamment sur la règle de l’arrêt des poursuites individuelles. 42 considérés en tant que créanciers de l’indivision. Par conséquent, ils pourront saisir le bien indivis, le vendre et en conserver le prix, à concurrence de leur créance142, indépendamment de l’inertie du liquidateur. Ils seront payés par prélèvement sur l’actif avant tout partage143. À titre illustratif, une caution payant le créancier de deux personnes en indivision, dont l’une est en liquidation judiciaire, pourra saisir le bien sans provoquer le partage, dès lors qu’elle est, dans son recours, créancière de l’ensemble des indivisaires144. 55 - Nous observons une dichotomie entre la situation du créancier de l’indivision et celle moins enviable du créancier de l’indivisaire. S’agissant de la situation de ce dernier, il convient de la relativiser puisque la jurisprudence a admis la possibilité pour le liquidateur de demander le partage, soit sur le fondement de l’article 815-17 du C. civ. es qualités de défenseur des intérêts des créanciers de l’indivisaire par le biais d’une voie s’apparentant à une action oblique au nom et pour le compte de ceux-ci145 ; soit en usant de l’article 815 du C. civ qui dispose que « nul n’est contraint de demeurer dans l’indivision »146. Dans ce dernier cas, le liquidateur revêtira « la casquette » de représentant du débiteur dessaisi. Remarquons qu’en cas de réalisation du bien indivis par le liquidateur après s’être fait autorisé par le juge commissaire à partager le prix entre les coïndivisaires, « un créancier de l’indivision pourra demander à être colloqué sur la totalité du prix »147 en priorité148. Parallèlement, remarquons que, tout comme pour la DI, les biens indivis donc détenus en copropriété échappent à l’effet réel de la procédure puisqu’ils ne sont pas compris dans l’actif de celle-ci. Toutefois, rappelons que dans le cas de la DI, la jurisprudence l’a soustrait à l’emprise du liquidateur. Ainsi dans ces conditions, il semblerait logique de 142 Cass. com., 22 avr. 1997, n° 94-19.420 ; Defrénois 1997. 36703, n° 165, obs. AYNES (L.). Civ. 1re, 4 juill. 2007, n° 06-13.770. 144 Cass. com., 4 avr. 2006, n° 04-15.833. 145 Civ. 1re , 12 janv. 2011, n° 09-17.298. 146 Civ. 1re, 29 juin 2011, n° 09-25.098 ; v. la critique de cette solution par PEROCHON, op. cit., n° 1095, qui considère que le liquidateur n’a pas d’intérêt à agir sur ce fondement. 147 V. en ce sens, LE CORRE, op. cit., n° 581.41, p. 1445. 148 Cf. Cass. com., 20 sept. 2005, n° 04-10.678 : avant les créanciers de la procédure collective. 143 43 permettre aux créanciers auxquels la DI est inopposable d’agir dans les conditions du droit commun à l’instar des créanciers de l’indivision149. 56 - Dans certaines situations, nous pouvons rencontrer une EIRL ayant affecté des biens indivis dans son patrimoine professionnel. Ici, on n’aperçoit point en quoi il est opportun d’ouvrir la possibilité d’une affectation de biens indivis150. L’effet de la déclaration d’affectation est de soustraire, comme nous l’avons étudié précédemment, les biens non affectés à l’activité professionnelle de l’entrepreneur-débiteur aux poursuites des créanciers professionnels. Les biens indivis sont, par principe, hors d’atteinte des créanciers personnels de l’indivisaire et appréhendables par les créanciers de tous les indivisaires. Or l’affectation d’un bien indivis présuppose l’accord de l’ensemble des indivisaires, ainsi les créanciers professionnels pourront donc se saisir des biens indivis affectés tandis que les créanciers de l’indivision antérieurs perdent leurs droits. Par conséquent, nous avons du mal à comprendre quel intérêt pousserait l’EIRL à permettre à ses créanciers professionnels de se saisir du bien indivis alors qu’en droit commun ils ne pourraient le faire en tant que créanciers personnels de l’indivisaire débiteur ? 57 - On l’aura compris, hors les cas de saisie du bien indivis par les créanciers de l’indivision, cette dernière est un moyen de protection du bien détenu en copropriété ou du reste d’une partie de sa valeur en cas de licitation-partage. Néanmoins, de par sa situation précaire, puisque n’importe quel coïndivisaire peut demander le partage à tout moment en cas de mésentente, l’indivision ne semble pas être la technique d’isolement du patrimoine la plus efficace. Nous lui préférerons les structures dotées de la personnalité morale plus pérennes, aux cloisons plus étanches, à tout le moins en apparence, en vertu du principe d’autonomie. Leur multiplication dans la vie des affaires est, pour partie, motivée par un souci d’organisation, de sectorisation des activités et ce faisant de cloisonnement des risques patrimoniaux. Le but étant d’éviter la propagation des difficultés liées à l’exploitation d’une des activités du groupe de sociétés. La gestion de 149 Rapp. supra n° 52. V. en ce sens, SENECHAL (J.-P.), L’affectation de biens communs ou indivis, BJE, mars 2011, n°1, p. 62. 150 44 l’ensemble sociétaire sera chapeautée par une seule société dont la situation au regard du livre VI du code de commerce doit être analysée. SECTION 3. La société holding en difficulté 58 - Si l’on monte en puissance dans les montages, on rencontre la société holding. Sa constitution est devenue une opération classique dans les montages en droit des sociétés. On la retrouve à tous les niveaux : aussi bien dans les opérations de grande envergure, telle que l’affaire Heart of la Défense, que confrontée à l’organisation d’un groupe familial en tant qu’outil performant de gestion du portefeuille et de transmission de sociétés151. Le holding ne prendra presque jamais la forme d’une entreprise où la responsabilité de l’ensemble des actionnaires pourrait être indéfiniment engagée152. À l’inverse, elle prendra parfois la forme d’une commandite par action mais indéniablement c’est l’utilisation de la société par actions, voire plus souvent par actions simplifiées qui est privilégiée par les praticiens. Cette dernière forme statutaire est la plus à même de permettre le contrôle de l’entrée et de la sortie du capital et une stabilisation ou un contrôle du pouvoir de direction lorsqu’il s’agit de montages successoraux par le biais, entre autres, de la combinaison de clauses d’inaliénabilité et d’agrément153. Elle permet, en outre grâce à sa souplesse statutaire et à la possibilité offerte d’émettre des valeurs mobilières complexes et des actions de préférence, de constituer un holding de reprise ou d’acquisition dans le cadre d’un montage LBO154, voire même de contrôle : tel est le schéma adopté lors de la cotation en bourse du Crédit agricole, « les caisses régionales de Crédit agricole ont apporté leurs titres à une société holding de contrôle constituée sous la forme d’une SAS tandis que la 151 MONSIERE-BON (M.-H.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures collectives. La situation de la société holding, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 58. 152 V. cependant, sur les intérêts pouvant exister de créer une holding sous forme de SNC, o BERTREL (J.-P.), Ingénierie juridique : le « montage Tapie », Dr. et patrimoine 1998, n 59, p. 24. 153 V. en ce sens, LE BARS (B.), op. cit. 154 Cf. infra n° 121 s. sp. 122. 45 société Crédit agricole SA était cotée »155. Un tel schéma implique que la détention du pouvoir majoritaire par le biais d’une prise de contrôle en bourse ne peut pas directement déstructurer le contrôle par la SAS holding, société fermée dans laquelle le nouvel actionnaire de la filiale cotée ne peut pas mécaniquement remonter. 59 - La société holding est souvent tête de groupe156 en détenant des participations majoritaires ou minoritaires dans les sociétés du groupe. Elle est un moyen de limiter le risque d’expansion des défaillances affectant ses sociétés filles. Toutefois, peut-on pour autant parler de société mère du groupe lorsque l’on sait que certains holdings ne poursuivent qu’un intérêt purement financier sans exercer de pouvoir décisionnaire réel ? À cet égard, il n’est pas rare que le holding entretienne lui-même des liens avec d’autres holdings du même groupe dotés d’une stratégie entrepreneuriale avec une réelle volonté de dicter la politique du groupe. « On est bien loin de l’image pyramidale du groupe qui n’est peut être qu’une image d’Epinal »157… Autrement dit, un holding peut être la mère d’une société lorsqu’elle en prend le contrôle158, par exemple, à l’occasion d’un LBO tout en étant la sœur ou la fille d’une autre société du groupe. Quoi qu’il en soit, retenons qu’aucun régime juridique particulier ne lui est applicable, au même titre que le groupe dont la reconnaissance juridique tarde à se manifester, si tant est qu’elle soit souhaitable. Pourtant, le rôle « épicentrique » du holding dans le cadre de la plupart des montages financiers est indéniable. La doctrine a établi une summa divisio fonctionnelle et typologique des holdings159. Nous pouvons décliner deux types de holdings : les purs et les impurs160. Les premiers sont des simples véhicules d’acquisition (special purpose vehicule) et ont un rôle purement financier consistant dans la gestion d’un portefeuille de participations dans les filiales 155 LE BARS, (B.), op. cit. MONSIERE-BON (M.-H.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures collectives. La situation de la société holding, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 58. 157 OPPETIT (B.) et SAYAG (A.), Méthodologie d'un droit des groupes de sociétés, Rev. sociétés 1973. 577. 158 En principe le critère retenu en droit des sociétés est celui de la détention de plus de la moitié du capital d’une autre société qui est prévu à l’article L. 233-1 du Code de commerce. 159 Cf. Memento groupe de sociétés : Fr. Lefebvre 2011-2012, n° 800 s. 160 MONSIERE-BON (M.-H.), op. cit. 156 46 quand les seconds ajouteront à cela une activité commerciale ou industrielle (ex : les holdings familiaux). Le rôle financier est le dénominateur commun au deux espèces de holdings en ce qu’il est l’essence même d’un holding. Toutefois, le plus souvent parallèlement à cette activité, le holding aura un véritable rôle décisionnaire en influençant la politique de direction et de gestion dans les filiales contrôlées notamment pour des raisons fiscales161. Cela conforte l’idée selon laquelle holding et société mère sont deux qualités qui se confondent. À côté de ces deux types de holdings, l’on retrouve la holding de reprise ou encore holding LBO permettant d’acquérir une société cible dans le cadre d’un montage financier avec effet de levier162 limitant les apports initiaux. Ces montages font intervenir des endettements colossaux sur lesquels plane naturellement l’épée de Damoclès de l’application des dispositions du livre VI163. 60 - Cette disparité de nature des holdings sous-tend une application différenciée du droit des procédures collectives. Tantôt le holding sera perçu comme une entreprise classique et subira un traitement classique des difficulté (§1), tantôt ses particularités l’emporteront pour lui voir s’appliquer un régime spécifique (§2). §1) Le traitement classique des difficultés d’un holding 61 - Lorsqu’un montage financier comme le LBO fait intervenir une société holding, cette dernière sera de type « pur » selon la classification que l’on a établie précédemment. Pendant longtemps, s’est posée la question de savoir quel sort lui réserver en cas de difficulté ? Fallait-il l’inclure dans le périmètre de la procédure collective au même titre qu’une personne morale classique ? Sur cette question la Cour de cassation a tranché le 161 Par exemple, V. CGI 885-O V bis : Les « holdings ISF », via lesquelles des redevables souscrivent au capital de PME, doivent être animatrice pour faire bénéficier ceux-ci d’une réduction d’ISF ; Adde, Mémento Fiscal, Fr. Lefebvre, 2014, n° 72040 s. 162 V. pour un ex., PORRACHIA (D.), op. cit., n° 655 et 656 ; concernant ce mécanisme cf. infra n° 120 et s., sp. 122. 163 V. KHACHANI F., Techniques préventives et sauvetage des holdings de LBO en difficulté, Th. Toulouse, 2012, n° 3 : ciblant la multiplication des montages LBO notamment avant la crise financière de 2008 qui risque d’engendrer la défaillance de nombreux holdings LBO. 47 problème à l’occasion du désormais célèbre arrêt Dame Luxembourg de l’affaire Cœur Défense164 dont nous rappellerons succinctement les faits. Une société de droit français, la SAS Heart of la Défense (HOLD), avait acquis dans le cadre d’un montage financier un ensemble immobilier de 180 000 m2 de bureaux au sein du complexe immobilier « Cœur Défense », immeuble disposant de la plus grande surface utilisable en Europe avec le Palais du Parlement de Bucarest, dans le quartier d’affaires de la Défense. Cette société, filiale à 100% d’une société (holding pur) Luxembourgeoise, dénommée Dame Luxembourg, elle-même détenue par des sociétés du groupe Lehman Brothers, avait réalisé en juillet 2007 cette acquisition immobilière au moyen de deux emprunts in fine d’un montant global de 1,6 milliards d’euros. Le financement devait se dénouer par la vente des actifs ou un refinancement au moment du remboursement du capital, les loyers des bureaux ne couvrant que le paiement des intérêts contractuels et les frais de gestion. Ces deux emprunts étaient garantis par une hypothèque sur l’ensemble immobilier acquis ainsi que par une cession Dailly portant sur les loyers et charges échus et à venir. En outre, la société mère Dame Luxembourg avait nanti la totalité des droits sociaux de HOLD au profit des prêteurs qui bénéficiaient aussi d’un pacte commissoire. L’acquisition immobilière était aussi financée accessoirement par des fonds propres résultant d’un prêt et apportés en compte courant par la Dame Luxembourg associé unique de HOLD. Ces contrats de prêts, in fine, obligeaient aussi l’emprunteur HOLD à souscrire un contrat de couverture du risque de variation de taux au titre desdits contrats. Ce qu’à fait HOLD avec Lehman Brothers International (Europe). Or à la suite des multiples procédures collectives ayant affecté Lehman Brothers en septembre 2008, le fonds commun de titrisation créancier des contrats de prêt imposa à HOLD de souscrire une nouvelle assurance-risque en remplacement de celle souscrite avec elle, sous peine d’exigibilité immédiate des contrats de prêts, en vertu d’une clause desdits contrats. Face à l’impossibilité de trouver un nouveau garant, la société HOLD 164 Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, n° 10-13.989 et n° 10-13.990 ; Rev. Proc. Coll., marsavril 2011, repère 2, p. 1 et s., comm. MENJUCQ (M.) ; quant à l’épilogue de l’affaire HOLD : VERSAILLES, 13e ch., 19 janvier 2012, n° 11/03519, Rev. Proc. Coll., mars-avril 2012, p.48 et s., note SAINTOURENS (B.). 48 et le holding Dame Luxembourg ont sollicité le tribunal de commerce de Paris qui a ouvert à l’égard de chacune d’entre elles une procédure de sauvegarde. La question principale qui se posait, était celle de l’appréciation des difficultés de nature insurmontables engendrant l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. 62 - La Cour d’appel de Paris165 pour rejeter les demandes de la société HOLD et de sa mère Dame Luxembourg a avancé un argument, en marge de l’appréciation de la nature des difficultés, selon lequel en l’absence d’activité du holding pur débiteur et associé unique de la HOLD ayant pour seule activité la gestion du parc de bureaux, les deux sociétés n’entraient pas dans le giron de l’article L. 620-1 du Code de commerce. Autrement dit, l’absence de salariés et d’activité du holding ne pouvait permettre de retenir la qualité d’entreprise - au sens de l’article précité - dont la préservation est l’objectif premier de la sauvegarde166. Suite à cela, la Cour de cassation vient mettre le holà en cassant partiellement l’arrêt aux motifs, entre autres, que l’absence d’activité autre que financière du holding importait peu du moment que les difficultés insurmontables des deux sociétés étaient avérées et que leurs demandes n’étaient pas effectuées en fraude aux droits des créanciers afin de bénéficier de la protection conférée par la procédure de sauvegarde. Cette décision paraît fort logique compte tenu du critère d’éligibilité posé par le droit des entreprises en difficulté qui est celui de la personne morale de droit privé167. 63 - Par ailleurs, hormis le traitement des difficultés du holding dans le cadre d’un montage, il peut arriver que la fille subisse les affres d’une procédure collective. S’agissant de l’appréciation des critères d’ouverture d’une procédure de sauvegarde – les difficultés insurmontables – ou d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire - la cessation des paiements et pour la liquidation le redressement impossible en sus – il s’est posé la question de savoir si les liens capitalistiques entre une filiale et sa mère, une 165 PARIS, pôle 9, 9e ch., 25 févr. 2010, RG n° 2009/22756 : jurisData n° 2010-001231 ; MENJUCQ (M.), Rev. Proc. Coll., Mai-juin 2010, étude 11, p. 11. 166 V. DAMMANN (R.) et ROBINET (M.), La sauvegarde, un outil pour protéger les associés du débiteur ? : Bull. Joly. Soc. 2009, p. 1116. 167 MONSIERE-BON, Le périmètre quant aux personnes des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, Rev. Proc. Coll 2011, dossier 3. 49 holding et la société cible acquise pouvaient influer le raisonnement des juges consulaires. La Cour de cassation en vertu du principe d’autonomie des personnes morales a adopté une position de principe consistant en une appréciation société par société sans tenir compte de la situation des sociétés ayant un lien capitalistique avec la société en difficulté qui demande l’ouverture d’une procédure168. Partant, la société holding n’a aucune obligation de soutien à sa fille et pourrait même dans certains cas la délaisser volontairement, voire même déclencher sa défaillance en réclament, par exemple, le remboursement des avances en compte courant, tout cela en toute impunité nous dit la Haute juridiction. Comme le remarque Madame MONSIERE-BON : « dans le monde impitoyable des groupes de sociétés en difficulté, pas d’obligation d’assistance de la mère à ses filles »169. Toutefois, il convient de nuancer nos propos puisque la responsabilité du holding pourra être recherchée, sur le terrain du droit du travail, notamment par les salariés de la filiale en difficulté s’ils existent par le biais de la notion de co-emploi. Nous en différons l’étude170. 64 - Si la société holding est indéniablement soumise au même titre qu’une quelconque société de droit privé au droit des entreprises en difficulté, des hésitations subsistent quant à sa nature d’entreprise au sens où l’entend le livre VI du Code de commerce. Ceci implique parfois l’application d’un régime spécifique. §2) La nature particulière du holding défaillant entraînant l’application d’un régime spécifique 65 - Si l’on se réfère à un dictionnaire juridique pour définir cette notion économique, l’entreprise traditionnellement serait une « unité économique qui implique la mise en une œuvre de moyens humains et matériels de production ou de distribution des richesses 168 S’agissant de la sauvegarde : Voy. Cass com., 26 juin 2007, n° 06-20.820, Rev. Proc. Coll. 2007, p. 222 et 223, obs. SAINTOURENS (B.) ; S’agissant du redressement ou de la liquidation : Cf. arrêt Sodimédical, Cass. com., 3 juill. 2012, n° 11-18.026, BJE 2012, p. 279, BONHOMME (R.) et NEAU-LEDUC (Ch.) ; cf. infra n° 188. 169 MONSIERE-BON (M.-H.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures collectives. La situation de la société holding, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 58. 170 Cf infra n° 191 s. 50 reposant sur une organisation préétablie »171. Des auteurs évoqueront une « activité économique autonome organisée par les moyens nécessaires à l’exercice de cette activité »172. Le droit des entreprises en difficulté a été conçu dans le but traiter les difficultés de l’entreprise en tant que structure dotée d’une activité génératrice de revenus et monopolisant des moyens humains à savoir des salariés dont le maintien de l’emploi est l’un des leitmotivs. En effet, l’architecture des plans de sauvegarde, de redressement ou de cession s’articule autour de cet objectif de la sauvegarde des emplois. Or, le holding n’est pas une entreprise traditionnelle au sens du droit des procédures collectives, mais découle du perpétuel mouvement de financiarisation de la vie des affaires en France et du recul symétrique de l’entreprise industrielle auquel notre droit se doit de faire face173. Ce faisant, cette structure juridique occupe une place particulière dès lors qu’il s’agit de traiter ses difficultés. 66 - Ses particularités se font ressentir, tout d’abord, d’un point de vue patrimonial : l’actif et le passif du holding sont atypiques. Le premier est constitué par le portefeuille de titres de participations qu’il détient dans ses différentes filiales. Le second est caractérisé par des dettes financières qui sont souvent le mal nécessaire sinon la raison d’être des opérations d’acquisition ou de reprise dans le cadre de LBO. À patrimoine spécifique, régime spécial : le législateur a crée en 2010 la sauvegarde financière accélérée174 (SFA) insérant le dispositif à l’article L. 628-1 du Code de commerce175. Trouvant sa source d’inspiration du fameux « prepackaged plan » - en français « accord préparatoire à la sauvegarde » - du chapter eleven Etasunien, des auteurs estiment qu’elle 171 CORNU, Vocabulaire juridique, PUF. VALLANSAN (J.) et alii, Difficultés des entreprises, Commentaire article par article du Livre VI du Code de commerce, 6e éd., 2012, Lexis Nexis / Litec, p. 349. 173 Rapp. LUCAS (F.-X.), Colloque Lyon 3 : Le droit des entreprises en difficulté à l’épreuve de la crise financière, rapport de synthèse, BJE, sept. 2012, n° 5, p. 336. 174 Notons qu’une nouvelle procédure accélérée a été instituée par l’ordonnance n° 2014/326. Afin de promouvoir la recherche de solutions le plus tôt possible, l'ordonnance crée une nouvelle procédure de sauvegarde accélérée, inspirée de la procédure de sauvegarde financière accélérée (SFA) créée en 2010. La SFA demeure, mais devient une variante de la procédure de sauvegarde accélérée. Contrairement à la SFA, exclusivement financière, la procédure de sauvegarde accélérée permettra au débiteur d'élaborer un projet de plan avec ses principaux créanciers, financiers et fournisseurs. 175 Loi du 22 oct. 2010, n° 2010-1249 dite « de régulation bancaire et financière ». 172 51 a été adoptée exclusivement pour les montages LBO impliquant un holding en difficulté afin de leur permettre de franchir le mur de la dette dans les années 2013-2014176. Cette procédure constitue une troisième voie de sortie à la procédure de conciliation, à côté de l’accord et de l’absence d’accord. Sa nature est hybride, mi contractuelle, mi judiciaire, il s’agit d’un pont entre les procédures préventives et les procédures judiciaires. Le contexte peut être le suivant : en période de conciliation, un accord a pu être trouvé pour des délais et remises de créances avec certains créanciers. Toutefois, certains créanciers financiers ont refusé de revoir les modalités attachées à leurs créances, de sorte qu’aucun accord de conciliation n’est possible. La SFA permet au débiteur de transiter très rapidement – pendant une durée d’un mois, deux tout au plus - par une procédure de sauvegarde, à la condition de ne pas être en cessation des paiements. Durant cette procédure, un unique comité dit des établissements de crédit est désigné et contraint de trouver une solution dans des délais brefs. La décision sera votée à la majorité ce qui permet de remplacer l’unanimité en vigueur dans la conciliation. Cela conduit à éviter l’assèchement du crédit fournisseur. 67 - En 2012, législateur modifiait déjà cette procédure accélérée n’ayant pas porté ses fruits en raison de conditions trop contraignantes excluant la plupart des holdings de son champ d’application. En effet, les seuils initiaux de 150 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires du débiteur étaient inadaptés car réservés aux très grandes entreprises de type industriel. Cette erreur a été corrigée par la loi Warsmann II du 22 mars 2012177, suivie de son décret d’application. L’examen des seuils se fait depuis cette réforme à l’aune de l’ensemble du groupe lorsque le débiteur est une société mère d’un groupe, 176 KHACHANI (F.), op. cit., n° 136 ; MENJUCQ (M.), Adoption de « la sauvegarde financière accélérée » : consécration du « prepackaged plan » en droit français, Rev. Proc. Coll. 2010, repère 6 ; ROUSSEL GALLE (Ph.), Premières vues sur la sauvegarde financière accélérée et sur les modifications apportées au droit des entreprises en difficulté par la loi du 22 oct. 2010, JCP E 2010, 591 ; LE CORRE (P.-M.), op. cit., n° 550.09, p. 1297. 177 Loi n° 2012-1071. 52 autrement dit du total du bilan des holdings. Ainsi, les holdings pourront bénéficier de la SFA pour traiter le passif des LBO178. Néanmoins, les nouvelles conditions, se greffant aux anciennes, qui sont posées par la loi Warsmann 2 et fixées par décret du 20 septembre 2012, n’en demeurent pas moins rebutantes. L’article D. 628-2-1 prévoit que le débiteur est réputé avoir rempli la condition de seuil si le total de son bilan est de 25 millions, ou lorsque le débiteur contrôle179 une société180 dont le nombre de salariés est supérieur à 150 salariés ou dont le chiffre d’affaire dépasse 20 millions d’euros hors taxes ou dont le total du bilan excède 25 millions d’euros. Ainsi, on l’aura compris, la SFA ne permet malheureusement pas à l’ensemble des holdings d’en bénéficier. Les auteurs défendant l’élaboration de seuils aussi contraignants arguent de ce que l’élargissement du champ d’application de la SFA nuirait aux droits des créanciers de manière trop invasive181. Cet argument nous semble manquer d’à-propos pour justifier le sacrifice de nombreux montages LBO parfois décisifs dans l’optique d’un sauvetage d’une société cible182. 68 - En sus, du régime spécifique de la SFA qui peut être appliqué aux holdings, remarquons que la nature de leur passif conduit à un traitement différent des entreprises ordinaires. En effet, se mêlent dans ce passif plusieurs dettes subordonnées au service de l’investissement du holding183 : des emprunts obligataires conjugués à des titres complexes - de type OBSA, OCA… - au profit des prêteurs mezzaneurs de second rang et des dettes « seniors » faisant l’objet de restructuration auprès de fonds 178 À ce propos, notons que les premières ouvertures de SFA avaient vu le jour au début de l’année 2013 : Voy. T. com., Nanterre, 27 févr. 2013, n° RG 2013G0003 et T. com., Nanterre, 27 mars 2013, n° RG 2013L00611, DPDE, juin 2013, Bull. n°349, p. 13, obs. ROUSSEL GALLE (Ph.). 179 L’article D. 628-2-1 vise l’article L. 233-3 1° I, donc par contrôle, il faut entendre la détention directe ou indirecte « d’une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ». 180 Dans le cas d’un LBO, il s’agira de la société cible. 181 V. en ce sens, ROSSI (P.), De nouveaux critères facilitant l’accès à la procédure de SFA, BJE janv. 2013, p. 8. 182 Sur le fonctionnement et les enjeux du LBO, cf. infra n° 120 et s. 183 Sur le mécanisme et le traitement de la subordination de créances v. infra n° 103 et s. 53 d’investissement184. Le patrimoine du holding apparaît à la fois original et complexe eu égard à l’enchevêtrement de nombreuses créances nivelées. L’actif quant à lui n’en est pas moins particulier puisque la détention de titres de participations divers et variés paraît peu adaptée, par exemple, au plan de cession d’entreprise prévu par le livre VI du Code de commerce… Le holding n’est décidément pas une entreprise comme les autres… 69 - Enfin, compte tenu des liens étroits tant financiers que capitalistiques qu’entretient le holding avec ses filiales, les risques habituels attenants au décloisonnement patrimonial planent sur lui. Ainsi, la société holding est exposée au risque d’extension de la procédure affectant sa fille, soit en cas de confusion de patrimoine, soit lorsqu’elle en assure la direction de fait, c’est-à-dire en cas de fictivité. Là encore l’application n’est pas tout à fait la même que celle qui serait de mise pour une entreprise classique. Nous étudierons cette problématique plus loin dans notre étude185. 184 MOULIN (J.-M.), le droit de l’ingénierie financière, Gualino, 4e éd. 2013, n° 808 et s. 185 Cf. S’agissant de l’extension de procédure, infra n° 170 s. 54 CHAPITRE 2 : Les enjeux des montages structurels au regard du droit supranational 70 - La croissance exponentielle des groupes de sociétés dans la vie des affaires s’explique par l’attrait en terme d’optimisation économique, financière et fiscale que ces structures représentent. En effet, l’assemblage de plusieurs personnes morales au sein d’un même groupe est le fruit de techniques d’ingénierie financière et juridique savamment imaginées par les praticiens. En ce sens, le groupe de sociétés peut être présenté comme un montage structurel186. La notion de groupe interpelle tout juriste, et plus particulièrement le spécialiste de droit des entreprises en difficulté. Le législateur français, ni en droit des sociétés, ni en droit des procédures collectives, ne reconnaît la personnalité morale à ces structures. Certes, l’on retrouve quelques traces de cette notion dans le livre II du Code de commerce au travers des dispositions relatives aux participations et sociétés contrôlées. Le droit européen en matière de défaillance des entreprises, pas plus que le droit des faillites187 internationales, semble s’en tenir à un statu quo. Le législateur de Bruxelles préfère pour l’heure s’en rapporter à l’appréciation prétorienne de la CJUE afin d’éviter « de trop figer la réalité protéiforme du groupe »188, dans l’attente d’une réforme en gestation189 appelée de ses vœux par la doctrine, les praticiens et les tribunaux. 186 En ce sens DOM (J.-Ph.), op. cit., n° 482 et s. Terme générique désignant les procédures de traitement des difficultés d’une entreprise lorsqu’elles prennent une tournure internationale. 188 MONSIERE-BON (M.-H.), Groupes de sociétés. Régime juridique. Filiales, participations et sociétés contrôlées, J.-Cl. Sociétés Traité, fasc. 165-10, n° 3. 189 Cf. la proposition de réforme de règlement prenant en compte l’insolvabilité des groupes rompant avec son prédécesseur : COM (2012) 744 final, sp. p. 3 ; et le rapport de la Commission au Parlement européen, au conseil et au CES : COM (2012) 743 final ; la recommandation 2014/135/UE de la commission du 12 mars 2014 relative à une nouvelle approche en matière de défaillances et d’insolvabilité des entreprises, préconisant aux Etats membres d’éliminer les difficultés rencontrées lors de la restructuration transfrontalière de groupes multinationaux ; Adde notamment, HENRY (L.-C.), Le droit de l’insolvabilité européen en devenir…, BJE, janvier 2014, n°1, p.1. 187 55 L’enjeu est pourtant de taille, « le groupe de sociétés dont une ou plusieurs composantes est défaillante se retrouve au milieu d'un carrefour de disciplines juridiques (et d’intérêts) répondant à des logiques très différentes mais aussi légitimes les unes que les autres : droit des sociétés, droit du crédit, droit boursier, statut des salariés, fiscalité internationale »190, créanciers en tout genre et tous horizons. Le groupe de sociétés est un révélateur impitoyable de ces conflits de normes, conflits d'interdits, conflits de priorités, conflits d’intérêts antagonistes, tout au long d'une procédure d'insolvabilité191. En droit français, certaines branches du droit permettent d’appréhender cet objet juridique non identifié lorsque une de ses structures est défaillante. À ce titre, nous pensons, par exemple, au droit fiscal ou encore au droit social192. Mais la réalité économique est toute autre : les montages structurels sont conçus par essence pour se jouer des frontières Etatiques, des juridictions compétentes et des lois applicables. En d’autres termes, ils ont une vocation transnationale. 71 - Le postulat de départ est simple : le groupe de société n’est pas une personne morale. Cette assertion trouve sa source dans le principe de l’autonomie des personnes morales. Le groupe n'existe que par ses composantes qui ont sur lui l'incontestable supériorité d'être dotées de la personnalité morale193. Ainsi, le groupe n’est ni débiteur, ni créancier et, ce faisant, il ne peut faire l’objet d’aucune procédure d’insolvabilité. Pourtant, pris dans son ensemble, un groupe peut répondre à la définition d’entreprise au regard des inextinguibles flux de toutes natures circulant entre les différentes entités du groupe. Au surplus, il est permis de douter de l’autonomie des filiales alors que la société mère est en mesure de nommer ou révoquer les dirigeants voire même prendre des décisions lors des assemblées générales194. Qu’à cela ne tienne, si les concepteurs des montages structurels visent au départ une ou plusieurs optimisations particulières autres que le traitement des difficultés du groupe de 190 MARTIN-SERF (A.), L’insolvabilité internationale et les groupes de sociétés, Rev. Proc. Coll., nov. 2013, n° 6, dossier 48. 191 Autre terme générique utilisé pour désigner une procédure de traitement des difficultés d’une entreprise dans un contexte communautaire. 192 Sur cette question, cf. infra n° 191 et s. 193 MARTIN-SERF (A.), op. cit. 194 ROUSSEL GALLE (Ph.) et alii, Le groupe de sociétés en procédure collective, LPA, 22 avr. 2010, n° 80. 56 sociétés, ils ne se garderont pas d’utiliser leur assemblage en tant qu’outil stratégique de cloisonnement patrimonial en bénéficiant des largesses et du vide juridique laissé, tant par le droit européen des procédures d’insolvabilité (section 1), que par le droit international des faillites (Section 2), lorsqu’une société du groupe subira l’épreuve du feu d’une procédure d’insolvabilité. 57 SECTION 1 : Les groupes de sociétés à l’épreuve du règlement n° 1346/2000 72 - À titre liminaire, rappelons, s’agissant des débiteurs concernés, le règlement n° 1346/2000 vise les procédures d’insolvabilité susceptibles de frapper toute catégorie d’entreprise aussi bien individuelle que sociétaire sous trois exceptions : les entreprises d’investissement et placement collectif, les entreprises d’assurance et de crédit faisant l’objet de directives spéciales, le cadre restreint de cette étude ne permet pas d’analyser leur situation. Par ailleurs, le règlement a vocation à s’appliquer lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé au sein de l’Union Européenne à l’exception du Danemark non lié par le traité d’Amsterdam. Concrètement, la juridiction compétente pour ouvrir une procédure principale à l’encontre d’une société appartenant à un groupe est déterminée par référence au centre des intérêts principaux du débiteur que nous désignerons par la suite sous l’acronyme fréquemment usité : COMI195. Selon l’article 3.1 du règlement n° 1346/2000, le COMI est présumé, de manière réfragable, être le lieu du siège statutaire. Il s’agit d’une présomption simple qui peut être écartée par la preuve contraire. Dans le considérant n° 13 du protocole, il est mentionné que le COMI est le lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts au vu et au su des tiers donc vérifiable par eux. Le contexte est le suivant : une procédure d’insolvabilité est ouverte à l’encontre d’une société filiale située dans l’U.E appartenant à un groupe de sociétés. Cette société entretient des liens de dépendance avec une société mère dont le siège est situé dans un pays différent membre de l’U.E. Dans ces conditions comment désigner le COMI de la filiale en vertu de l’article 3.1 du règlement précité ? Différentes juridictions nationales, dans des affaires ayant connu un certain retentissement196, n’ont pas hésité à localiser le centre des intérêts principaux des filiales au siège de la société qui les contrôlait. Les juridictions du fond françaises ont accepté d’ouvrir une procédure principale contre 195 Art. 3.1, règlement n°1346/2000. V. les affaires Isa Daysitek, SAS Rover, Enron, Brac Rent-a-car, Crisscross, Eurofood/Parmalat…, sur cette jurisprudence, V. DAMMANN (R.), RLDA, avr. 2005, p. 18. 196 58 toutes les sociétés d’un groupe197, y compris à l’endroit de la société mère, de sociétés sœurs ou de sous-filiales dont le siège social est à l’étranger. Ces décisions ont longtemps laissé une impression d’anarchie jurisprudentielle conduisant à un « détricotage »198 du règlement n°1346/2000 ignorant la notion de groupe. Dans l’ensemble, elles conduisaient à fragiliser les montages structurels en centralisant le COMI au siège de la société mère dès lors que celle-ci exercerait une influence déterminante sur le fonctionnement de sa fille de sorte que le siège de celle-ci se confondrait avec celui de la première. 73 - La Cour de justice des communautés européennes est venue interpréter le droit en définissant la ratio legis de l’article 3.1 du règlement à l’occasion de l’arrêt Eurofood199. Dans cette espèce ayant donné lieu à l’arrêt, deux procédures principales avaient été ouvertes contre une société financière Eurofood, filiale à 100% du groupe italien Parmalat, ayant son siège statutaire à Dublin (sans doute pour des raisons fiscales) : une procédure de liquidation forcée (compulsory winding up by the court), ouverte par la High Court de Dublin, le 27 janvier 2004, conduit à la désignation d’un syndic200 provisoire, et une procédure d’administration extraordinaire par le Tribunale Civile de Parme, le 20 février 2004. Les deux juridictions s’estimaient compétentes en vertu du critère du COMI posé par le règlement. Sur appel de l’administrateur extraordinaire italien de la décision de la juridiction irlandaise, cette dernière sursoie à statuer et pose plusieurs questions préjudicielles à la CJCE. La Cour en substance a estimé que le COMI devait être identifié en fonction de critères « à la fois objectifs et vérifiables par les tiers ». C’est uniquement à cette condition, définit de manière (trop ?) générale, que la présomption énoncée par l’article 3.1 peut être écartée. De surcroît, elle impose une vision « déstructurée » des montages structurels201 197 T. com., Nanterre, 15 févr. 2006, aff. EMTEC, n° 2006P00149 ; VALLENS (J.-L.), La maison mère d’un groupe, centre des intérêts principaux de ses filiales étrangères, D. 2006, p. 793. 198 MENJUCQ (M.), note sous Eurofood, CJCE, gr. Ch., 2 mai 2006, aff. C-341/04, JCP G, n° 23, 7 juin 2006, p. 1128. 199 CJCE, gr. Ch., 2 mai 2006, op. cit., JCP G, n° 23, 7 juin 2006, p. 1128, note MENJUCQ (M.) ; D. 2006, AJ 1286, obs. LIENHARD (A.). 200 Terme générique désignant les administrateurs et mandataires/liquidateur judiciaire. Notons que c’est l’ancien terme utilisé en France pour les désigner. 201 HENRY (L.-C.), Les enjeux des montages au regard de la réglementation européenne, Rev. Proc. Coll., mai juin 2013, p. 62 59 en ajoutant qu’« il existe une compétence juridictionnelle propre pour chaque débiteur constituant une entité juridique distincte ». L’autre apport, et non des moindres, de cet arrêt, est la définition du principe de confiance mutuelle qui figure dans le 22e considérant du protocole. Les juridictions nationales doivent vérifier leur propre compétence, en contrepartie, les juridictions des autres Etats membres n’ont pas le pouvoir, sauf en cas de violation de leur ordre public, de contrôler la compétence de la juridiction ayant ouvert en premier la procédure d’insolvabilité. Cette affirmation est importante en ce qu’elle conduit à une conséquence non négligeable : lorsqu’une procédure principale est ouverte à l’encontre d’une des filiales du groupe le lieu de son COMI est considéré comme se situant dans l’Etat de la juridiction et cela même si son siège ne se situe pas dans ce pays. À cet égard, la Cour de cassation s’est refusée à contrôler les motifs qui ont permis à la juridiction étrangère de renverser la présomption de l’article 3 du règlement tout en rejetant le moyen tiré d’une violation de l’ordre public interprété très strictement202. 74 - On l’aura compris, les magistrats de la Cour de Luxembourg, en renforçant la présomption de l’article 3.1, prennent position en niant clairement l’existence des montages. Ils optent, au contraire, pour une vision étroite du débiteur personne morale possédant des actifs ou des créanciers dans divers Etats membres. Les actifs de ce débiteur sont appréhendés de manière isolée et sans considération des liens contractuels et capitalistiques l’unissant avec les autres sociétés du groupe, constituant un montage structurel à même de résister au choc d’une procédure d’insolvabilité faisant vaciller un maillon de sa chaîne. Par voie de conséquence, cette situation permet la prolifération du forum shopping ou « tourisme de faillite » qui consiste, pour les concepteurs des montages, à déplacer abusivement et de manière artificielle le COMI d’une filiale dans l’Etat dont le droit des entreprises en difficulté répond le mieux aux attentes203. Par exemple, le droit anglais présente l’avantage d’offrir la possibilité de l’effacement de la dette du débiteur dans un 202 203 Cass. com., 27 juin 2006, n° 03-19.863. COM (2012) 744 final, pt. 3-1, p. 7. 60 délai d’un an204, en revanche le droit espagnol prévoit une période suspecte plus longue qu’en droit français. Le règlement ouvre ainsi la porte à une véritable stratégie de l’insolvabilité qui profite aux montages structurels. D’autant plus que la Cour de justice a posé le principe de l’appréciation du COMI au moment de l’ouverture de la procédure205, cela permet évidemment le déplacement du COMI dès lors que les premiers signaux d’alerte se manifestent. En revanche, cette situation n’est pas envisageable en droit français206. Notons que le choix de la localisation du COMI en amont, c’est-à-dire lors de la conception du montage structurel n’est pas blâmable en soi, bien au contraire il s’agit, à notre sens, d’une habileté astucieuse dans le cadre de ce que l’on pourrait nommer une préparation du forum shopping ou encore une optimisation juridictionnelle207. Prenons l’exemple d’une opération présentant des risques importants en raison, par exemple, du fort taux d’endettement sous-jacent. Nous l’aurons compris, il peut s’agir d’une acquisition avec effet de levier ou montage LBO. Dans ce cas de figure, il est tout à fait envisageable et même fortement conseillé de localiser le COMI du holding LBO, à tout le moins une portion substantielle de son activité, dans un Etat ayant un régime de traitement des difficultés protecteur. C’est ce qu’a pris le soin de faire la société Dame Luxembourg dans l’affaire Cœur Défense208 afin de bénéficier de la procédure de sauvegarde qui n’avait pas d’égale au Luxembourg. 75 - Par effet de miroir, ce qui est plus difficilement acceptable, c’est le changement abusif de COMI dès lors que les premiers signes de défaillance se font ressentir, même si, on ne voit pas en quoi les filiales, par le biais de leur mère détenant le pouvoir décisionnaire, devraient s’en passer compte tenu des largesses du droit communautaire… À ce propos, le déplacement abusif - mais pas illicite nous l’aurons compris - peut être réalisé par le truchement d’une réorganisation du montage sociétaire. L’ingénierie va 204 HENRY (L.-C.), op. cit. CJCE, 17 janv. 2006, aff. C-1/04, Staubiz-Schreiber ; Rev. sociétés 2006, p. 346, VALLENS(J.-L.). 206 VALLENS (J.-L.), op. cit. 207 MARTIN-SERF (A.), op. cit. 208 Sur le déroulement de l’affaire cf supra n° 61 et s. 205 61 donc organiser le forum shopping. Il s’agira d’une opération de fusion209 (ex : l’absorption par la mère d’une de ses filiales), de la création d’une holding centralisant le lieu des réunions et des prises de décisions, ou encore purement et simplement du déplacement du siège social avant l’ouverture de la procédure. Cette dernière opération est licite, et même assez paradoxalement de droit puisqu’un principe fondamental en droit de l’U.E en assure la possibilité : la liberté d’établissement210… 76 - Ainsi, chaque société d’un groupe bénéficie d’une procédure principale qui lui est propre en dépit de ses liens avec les autres sociétés du groupe. Alors que l’une située en France bénéficiera d’une sauvegarde, l’autre profitera de l’administration anglais tandis qu’une troisième tout en entretenant des liens intimes avec les deux autres coulera des jours heureux. Le principe d’autonomie sort vainqueur pour le grand bonheur des créateurs de montages structurels qui peuvent les utiliser en tant qu’outils limitant les risques patrimoniaux en amont tout comme en aval de leur conception. Ceci est d’autant plus vrai que la CJUE a marginalisé les possibilités d’utiliser le frein classique de l’extension de procédures par un arrêt dit « Rastelli »211. En l’espèce, après l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société de droit français Médiasucre, par le tribunal de commerce de Marseille, le liquidateur avait assigné, devant ce même tribunal, une société de droit italien Rastelli Davide afin que lui soit étendue, sur le fondement de la confusion des patrimoines, la procédure ouverte à l’encontre de la société française. Saisie à la suite du pourvoi de la société Rastelli, la Cour de cassation212, a préféré surseoir à statuer, posant d’autorité à la CJUE deux questions préjudicielles : la première, d’ordre procédurale, sur l’étendue de la compétence de la juridiction ayant ouvert la procédure initiale pour l’étendre à une société située sur le territoire d’un autre État membre ; la seconde, plus intéressante dans le cadre de notre étude, s’interrogeant sur le fait de savoir si la démonstration de la confusion des patrimoines avec le débiteur initial suffit à établir que le centre des intérêts 209 V. en ce sens l’arrêt Interedil, CJCE, 20 oct. 2011, aff. C-396/09. HENRY (L.-C.), op. cit. 211 CJUE, 15 déc. 2011, n° C-191/10, Sté Rastelli Davide, BJS, mars 2012, n° 3, p. 240, note KUNTZ (J.-E.) et NURIT (V.). 212 Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-12.642. 210 62 principaux de la société, visée par l’action en extension, se situe sur le territoire de l’État membre ayant ouvert la procédure initiale. Sur cette dernière question, la Cour de Luxembourg s’oppose au jeu de l’extension de la procédure initiale au visa de l’article 3.1 du règlement n° 1346/2000 au motif que la confusion des patrimoines, n’étant pas nécessairement vérifiable par les tiers et n’impliquant pas forcément un centre des intérêts des intérêts principaux unique, sa seule constatation ne suffit pas à démontrer que le COMI de la société visée par l’action en extension, se trouve sur le territoire de l’État membre de la juridiction ayant ouvert la procédure initiale. 77 - La Cour de justice considère donc l’extension de procédure comme l’ouverture d’une seconde procédure principale. Ainsi, la confusion de patrimoine demeure impunie lorsque deux sociétés d’un même groupe sont situées dans deux Etats membres différents et ce au nom de la sécurité juridique due aux créanciers de la société cible de l’extension. À tout le moins, dirons-nous que les critères fixés par le droit français pour sanctionner la confusion des patrimoines, à savoir le désordre inextricable des éléments d’actif et de passif des sociétés par le décloisonnement des patrimoines, ne suffisent pas à renverser la présomption simple de l’article 3.1 du règlement. S’agissant de l’extension pour fictivité, nous semble-t-il, la solution sera la même puisque lorsqu’une procédure principale sera ouverte à l’encontre de la société cible de l’extension et prétendument fictive, la juridiction de l’Etat où se situe la première société ne pourra remettre en cause le jugement d’ouverture de la procédure en vertu du principe de confiance mutuelle. En définitive, le seul moyen pour les créanciers de la première société d’obtenir l’extension d’une procédure collective ouverte dans un État membre à un débiteur (société cible de l’extension) se situant dans un autre État, est que la personne visée par l’extension ait le centre de ses intérêts principaux là où s’est ouverte la procédure collective initiale. La Cour d’appel de Paris a rendu récemment un arrêt en ce sens213. 213 PARIS, 21 janv. 2014, n° 13/15887, LEDEN, févr. 2014, n° 2, p. 1, obs. LUCAS (F.-X.). 63 78 - La situation actuelle du droit de l’insolvabilité est donc sans aucun doute propice à l’instrumentalisation du règlement par les groupes de sociétés. En droit communautaire, tout comme en droit international des faillites, le déni de la notion de groupe fait le miel des concepteurs de montage. SECTION 2 : Les groupes de société à l’épreuve du droit international des faillites 79 - Sans se perdre dans les méandres du droit international de la faillite dont l’étude stricto sensu c’est-à-dire à l’échelle de la société214 n’entre pas dans le cadre de notre étude. Bornons-nous à relever les particularités de ce droit à l’aune d’un montage structurel de type groupe de sociétés. Le droit des faillites internationales, tout comme celui régissant l’insolvabilité dans le territoire européen, ne reconnaît pas l’existence du groupe de sociétés. En effet, la faillite appréhende un patrimoine rattaché à une personne physique ou morale. Le principe d’autonomie de chaque société du groupe - même lorsqu’il s’agit d’une filiale à 100 % implique l’ouverture d’une procédure par société. En dépit des liens unissant les entités du groupe entre-elles, le cloisonnement est indéniable et non équivoque : à une société correspond un patrimoine appréhendé par une seule procédure. Par suite, la stratégie d’implantation d’un groupe est éminemment importante en marge de la construction d’un montage structurel. Le choix d’implantation via des succursales ou des filiales n’est pas anodin. Lorsque les premières ne font pas l’objet d’une procédure distincte, les secondes subissent (ou bénéficient) des procédures particulières. Dans cette optique, se sont développées les single ship companies consistant à cloisonner les activités d’un conglomérat en affectant à chacune des filiales un site activité qui, en cas, de conjoncture de l’une d’elle limite les risques de contagions. S’ajoute à cela une 214 Voy. en ce sens, MENJUCQ (M.), Droit international et européen des sociétés, Montchrestien, 3e éd. 2011, notamment la partie de l’ouvrage consacrée au droit des faillites internationales ; Adde, MENJUCQ (M.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures collectives. Les enjeux des montages au regard du droit international, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, pp. 65 , 66 et 67. 64 stratégie d’affectation des actifs de ces filiales à des sœurs ou à la mère dont le siège est situé hors de l’U.E, c’est-à-dire hors d’atteinte d’une éventuelle procédure d’insolvabilité. Pourtant, en sens inverse, nous estimons que la prise en compte du groupe de sociétés par le droit des faillites pourrait être avantageux afin de permettre une restructuration plus efficiente du passif d’une entité du groupe. De même, dans certains cas, le traitement de la défaillance du groupe en tant qu’entité unitaire peut être salutaire. Il s’agirait, à titre illustratif, d’ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’encontre de l’ensemble du groupe dès lors que la société mère connaitrait des difficultés insurmontables, ou que l’état des comptes consolidés laisserait entrevoir une crise imminente. 80 - En tout état de cause, la situation internationale de la faillite d’une société est appréciée à l’aune des critères du droit international privé. À cet égard, la présence d’un ou plusieurs éléments d’extranéité est primordiale : la répartition des actifs sur plusieurs territoires, à la fois intra et extra communautaires, et les liens qu’entretient la société débitrice avec un ou plusieurs créanciers situés dans un Etat tiers constituent de tels éléments. Il s’agit d’un préalable impératif posé par la Cour de cassation pour limiter le champ d’application du règlement n° 1346/2000215. Toutefois, si les disparités du droit international privé sont corrigées par le règlement précité, lorsque la faillite prend une tournure internationale la situation s’avère être plus problématique. Il en va ainsi, à l’échelle du groupe, quand les actifs d’une société mère, son COMI ou son siège sont localisés dans un Etat tiers par rapport à la localisation européenne de ses filiales insolvables et soumises à son contrôle. 81 - Notons à titre liminaire, qu’en matière internationale le conflit de juridiction et le conflit de loi font corps par dérogation au principe en vigueur en droit international privé. Autrement dit le juge qui se reconnaît compétent pour ouvrir une procédure collective entraîne l’application de la loi du for. Au regard du caractère procédural du droit des entreprises en difficulté, le conflit de juridiction précède le conflit de loi en ce sens que la 215 Cass. com, 21 févr. 2012, n° 11-18.027 : le principe posé s’applique a fortiori en matière de droit international des faillites. 65 détermination du for concursus engendre l’application de la lex fori concurus216. Il s’en suit, une disparité de traitement des difficultés puisque chaque juridiction appréciera l’opportunité de l’ouverture d’une procédure à l’encontre d’une entité du groupe en fonction de critères qui lui sont propres. Certains recherchent le centre de direction (head office functions)217, d'autres le centre principal d'activité ou lieu de direction effective, d'autres encore ont des scrupules à voir le siège social ailleurs que dans les statuts, en exigeant selon les cas que celui-ci soit corroboré par l’immatriculation (registered office)218. Remarquons que le plus petit dénominateur commun aux divers critères est sans nul doute le siège statutaire présumant le lieu où se situent les principales activités du débiteur. Toutefois, cette unité conceptuelle qui ressort de l’examen des différentes législations nationales n’a malheureusement pas pour corollaire une unité d’interprétation. Partant, le chef de compétence n’est pas si consensuel qu’il n’y paraît219. Pour s’en persuader, nous évoquerons le cas très fréquent en droit des faillites internationales de l’ouverture de deux procédures concurrentes nonobstant l’adage selon lequel « procédure sur procédure ne vaut ». En effet, puisqu’aucun principe de confiance mutuelle ne prédomine en matière internationale, seul un jugement d’exequatur serait de nature à permettre la reconnaissance d’une procédure ouverte dans un Etat membre220. Cela permet, au demeurant, à un débiteur de restructurer son passif transfrontalier par le biais de deux procédures de traitement des difficultés qui se touchent sans se croiser au détriment de 216 MENJUCQ (M.), Droit international et européen des sociétés, Montchrestien, 3e éd. 2011, n° 460 et s. 217 MARTIN-SERF (A.), op. cit., n° 15. 218 MENJUCQ (M.), Colloque à Caen : le montage à l’épreuve des procédures collectives. Les enjeux des montages au regard du droit international, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 65 et s. 219 MARTIN-SERF (A.), Le siège social à l'épreuve des procédures collectives, in mélanges D. Tricot, Litec-Dalloz 2011, p. 533. 220 La barrière est infranchissable en dépit du principe du caractère universel de la faillite ouverte en France reconnu dans les arrêts Banque Worms et Khalifa Airways : Cass. com., 19 nov. 2002, n° 00-22.334 pour le premier et Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-17.869 pour le second ; Adde, Civ 1re, 28 mars 2012, n° 11-10.639 : « en l’absence d’exequatur, une décision de mise en liquidation judiciaire prononcée à l’étranger, ne peut produire, en France, aucun effet de suspension des poursuites individuelles ». 66 ses créanciers car lorsque la seconde procédure est ouverte plus aucun jugement d’exequatur de la première n’a lieu d’être dans cet Etat. 82 - Ainsi, cette situation conduit inexorablement à un cloisonnement des procédures affectant le groupe de sociétés221. Les techniques de cloisonnement stratégique du patrimoine du groupe font florès. Ceci est de nature à renforcer l’efficience des montages structurels. De fait, cette situation, favorise le forum shopping à l’échelle extra-communautaire, ce qui n’est ni frauduleux, ni illicite mais relève, bon gré mal gré, de l’ingéniosité conceptuelle. En raison, de la règle de la lex fori concursus, nous pouvons même estimer qu’il s’agit d’un phénomène de law shopping. Pour ce faire, le forum shopper222 aura tout intérêt à saisir le juge de l’Etat ayant le régime le plus favorable et cela au plus vite puisque les tribunaux sont assez enclins à se reconnaitre compétents sur le fondement du siège social et prennent rarement la peine de vérifier le caractère réel du siège invoqué par le demandeur. Pourtant comme le rappelle fort justement un auteur, « nous sommes dans une matière d'ordre public Economique !... »223. Là encore, à l’instar de ce que nous avons préconisé en matière d’insolvabilité européenne pour le COMI, le rôle des concepteurs de montages structurels sera d’anticiper le forum shopping en déplaçant le siège statutaire de l’entité du groupe vers un Etat choisi afin d’éviter l’ouverture de procédures concurrentes. Le but étant de préserver une partie des actifs du débiteur dans l’Etat tiers hors d’atteinte de la procédure ouverte dans un Etat membre, tant qu’aucun jugement d’exequatur n’a été obtenu. Dans cette optique, ces actifs peuvent, par exemple, faire l’objet d’un trust destiné à restructurer le passif du débiteur en accordant des garanties aux créanciers de la procédure collective224. Il s’agirait dans ce cas d’une stratégie de localisation des actifs d’une entité du groupe de manière à mettre à l’abri une partie de son actif en les affectant à la société mère ou à ses sœurs hors U.E. 221 MENJUCQ (M.), op. cit. MARTIN-SERF (A.), L’insolvabilité internationale et les groupes de sociétés, Rev. Proc. Coll., nov. 2013, n° 6, dossier 48. 223 Ibid. 224 MENJUCQ (M.), op. cit. 222 67 83 - Toutefois, si l’action en extension de procédure prévue à l’article L. 621-2 du Code de commerce, barrière traditionnelle en droit interne entrainant un décloisonnement patrimonial en cas d’abus de personnalité morale, est impossible en droit européen de l’insolvabilité depuis l’arrêt Rastelli225, elle reste en principe possible dans le cadre du droit commun des faillites internationales. Cette limite à l’efficience des montages structurels est à relativiser puisqu’en ce cas le débiteur international n’est rattrapé que par le droit français et l’obtention d’un jugement d’exequatur, restant à l’appréciation du juge devant lequel la demande est formulée, est indispensable, si tant est que celui-ci n’ait pas déjà prononcé l’ouverture d’une procédure concurrente. 225 Cf. supra n°s 76 et 77. 68 CONCLUSION TITRE 1 84 - De façon générale, les montages et outils juridiques permettant, peu ou prou, de limiter les risques patrimoniaux liés à l’activité de l’entreprise sont des moyens efficaces de faire échapper les actifs à l’effet réel de la procédure (ex : le couple SCI/société d’exploitation). À cet égard, nous aurions pu évoquer un autre type de cloisonnement patrimonial à savoir la fiducie-gestion, à ceci près que la liquidation judiciaire constitue un obstacle rédhibitoire. La fiducie est résiliée de plein droit en cas de liquidation judiciaire de son bénéficiaire et constituant. Néanmoins, d’une part, certaines hypothèses conduisent aussi corrélativement à favoriser des créanciers en particulier, échappant à l’interdiction des poursuites par exemple, au détriment des autres, en faisant naître ainsi une disparité dans le traitement du passif du débiteur (ex : DI, indivision). D’autre part, le droit des entreprises en difficulté, tout au moins, en droit interne « veille au grain » en stigmatisant les montages structurels frauduleux dont la seule finalité est de réduire le gage commun des créanciers. Créanciers qui, parfois, ont tout intérêt à imaginer des techniques afin de préserver leurs intérêts. 69 70 TITRE 2 : Les montages juridiques au service du droit des entreprises en difficulté 85 - Comme nous l’avons vu précédemment des montages juridiques permettent à bien des égards de protéger les intérêts du débiteur. D’autres types de montages viennent au soutien du droit des entreprises en difficulté en ce qu’ils sont, d’une part, des instruments d’optimisation de la gestion des risques inhérents à la situation de créancier dans le contexte d’une procédure collective (Chapitre 1). D’autre part, parfois, le montage juridique, qu’il soit imaginé de toute pièce par la pratique ou fondé sur l’utilisation à dessein d’un outil juridique mis à disposition par le législateur, s’avère être un moyen de restructuration alternatif de l’entreprise en difficulté (Chapitre 2). 71 CHAPITRE 1 : LA CONCEPTION DE MONTAGES FINANCIERS PROTEGEANT LES CREANCIERS 86 - Lors de la mise en place d'un crédit, ces derniers n'ont de cesse de s'aménager une position leur permettant d'échapper, autant que faire se peut, à la discipline collective qui s'impose à eux en cas d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité226. Deux contraintes sont alors à éluder : la suspension des poursuites et les règles relatives au rang des créanciers. Dans un souci de rééquilibrage des forces, le législateur a instauré des outils juridiques destinés à garantir les risques consentis par certains créanciers. Leur situation préférentielle prend, au gré des réformes successives227, une place toujours plus considérable et ce à l’insu de l’objectif primordial de sauvegarde du débiteur228. Au fil des années, la jurisprudence et le législateur ont ainsi permis aux créanciers gagistes de solliciter l'attribution judiciaire du gage en cas de liquidation judiciaire ; de 226 DAMMANN (R.), L'ordre de paiement des créanciers dans les procédures de sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire, Journ. Sociétés, déc. 2006. 67 ; DAMMANN (R.) et LE BEUZE (G.), Réforme des sûretés et des procédures collectives : quelles sûretés choisir ?, Cah. dr. entr., mars-avr. 2007. 45. 227 La dernière réforme en date issue de l’ordonnance n° 2014/326 du 12 mars 2014 donne un pouvoir accru au créanciers : les créanciers vont pouvoir participer à l’élaboration du plan lorsqu’il existe des comités de créanciers. Des projets de plan concurrents pourront être présentés par les créanciers membres des comités. Le plan du débiteur et le plan adopté par les comités pourront être soumis au tribunal d’une manière concurrente (C. com., art. L. 626-30-2 44 etC. com., art. L. 630-30-3 45, modifiant C. com., art. L. 626-31). Cette évolution porte à croire que le droit des entreprises en difficulté amorce un passage d’un droit impératif et contraignant à un droit de négociation et de compromis accordant une place importante aux créanciers ; V. notamment, TEBOUL (G.), L’ordonnance du 12 mars 2014 sur la réforme du droit des entreprises en difficulté : un duel créanciers /débiteurs à armes égales ?, Gaz. Pal., mars 2014, n° 171s0 ; LE CORRE (P.-M.), Premiers regards sur l'ordonnance du 12 mars 2014 réformant le droit des entreprises en difficulté ; D. 2014, p. 733. 228 V. en ce sens, LUCAS (F.-X.), SENECHAL (M.), Fiducie ou sauvegarde, il faut choisir ?, D. 2008, p. 59 : Les auteurs dénoncent l’octroi incessant d’avantages, au fur et à mesure des réformes, aux créanciers qui sont nuisibles à la sauvegarde du débiteur : pourtant but absolu de la loi du 26 juillet 2005. 72 même, la situation du créancier bénéficiaire d'un droit de rétention est particulièrement avantageuse229. Au premier chef, constatons le développement de la propriété-sûreté, d’une efficacité rayonnante en cas d’ouverture d’une procédure, permettant de « courtcircuiter » totalement les règles relatives à l'ordre de paiement des créanciers et à la suspension des poursuites individuelles, à travers la clause de réserve de propriété, les cessions de créances « Dailly » à titre de garantie, et en dernier lieu le gage sans dépossession portant sur des choses fongibles230. De manière générale, l’ensemble des sûretés classiques, certes moins performantes, confère aux créanciers une position profitable. Dans cette optique, des montages financiers ont été crées par la pratique afin de servir les créanciers ayant fait les frais à leur corps défendant de l’avènement du droit des entreprises en difficulté toujours plus protecteur des intérêts du débiteur. 87 - Dans le cadre du présent chapitre, nous étudierons trois types de montages à finalité de protection des créanciers et dont l’efficacité est avérée. Tout d’abord, la fiducie-sûreté que certains auteurs s’évertuent à décrire comme la « reine des sûretés »231, servant de cadre juridique pour élaborer des montages permettant de garantir certains financements (Section 1). Dans le prolongement, il conviendra d’analyser les enjeux du montage « Double Lux-co » (Section 2) et du mécanisme de la subordination de créances dans le cadre d’un LBO (Section 3) à l’aune du droit des entreprises en difficulté. 229 Il peut ainsi être payé immédiatement au cours de la période d'observation, si le bien qu'il retient est nécessaire à l'activité du débiteur ; de même, il peut s'opposer à l'inclusion de ce bien dans un plan de cession, indépendamment des règles édictées à l'art. L. 642-12 c. com. 230 Cf. art. 2341 al. 2 du C. civ. 231 DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Fiducie-sûreté et droit des procédures collectives : évolution ou révolution ?, D. 2007. Chron. 1359. 73 SECTION 1 : La fiducie-sûreté comme outil de protection des intérêts des créanciers 88 - L'article 2011 du Code civil définit la fiducie comme « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ». Il s’agit en réalité d’un « véhicule »232 permettant de créer un patrimoine d’affectation, tiers aux parties à la fiducie et dirigé vers un but déterminé, objet de la fiducie. Sa durée peut atteindre jusqu'à trente-trois ans233. La fiducie implique donc, dans le schéma français, « qu’une personne - le constituant - transfère des droits à une autre234 - le fiduciaire -, qui les détient non pas comme sa propriété ordinaire, mais afin de réaliser un objet particulier au bénéfice du constituant, de lui-même ou de tiers »235. En outre, elle présente l’avantage d’être un outil flexible236 et laissant la place à l’imagination des concepteurs de montages en tout genre. Au surplus, elle est multi-face en ce qu’elle peut être utilisée en tant qu’outil de gestion, de transmission ou encore de sûreté. 89 - C’est ce dernier aspect qui intéressera nos propos. En effet, la fiducie-sûreté est une « sûreté-propriété » permettant la création d'un patrimoine d'affectation comprenant des biens (ou un ensemble de biens) corporels ou incorporels - y compris les créances -, meubles ou immeubles, présents ou futurs - pourvu qu'ils soient déterminables - qui 232 GRANIER (Th.) et TESTON (B.), Colloque sur le risque juridique dans l’entreprise diagnostic et remèdes, organisé par l’Institut de Droit des Affaires de la faculté d’Aix-Marseille. La gestion structurelle du risque, Journ. Sociétés, janv. 2013, n° 105, p. 54 ; Sur le rôle de la fiducie dans l’optique d’un sauvetage d’une entreprise v. infra n°s 137 et 138. 233 Cf. C. civ., art. 2018, 2°. 234 Transfert qui n’est pas indispensable et ne se présente pas comme une condition sine qua non de l’efficacité de la fiducie. 235 BARRIERE (F.), La fiducie-sûreté en droit français, (2013) 58:4 McGill LJ, p. 871 : l’auteur souligne, fort justement, que « le transfert des droits n’est pas de l’essence de l’institution fiduciaire et il est concevable, à l’instar d’autres pays, tel le Luxembourg, qu’aucun transfert du constituant n’ait lieu. ». 236 DAMMAN (R.) et PODEUR (G.), op. cit. 74 seront affectés à la garantie d'une créance. Concrètement, il pourra être prévu, par exemple, que le fiduciaire aura pour mission de transférer la propriété du patrimoine fiduciaire au créancier en cas de défaillance du débiteur principal237. Sous réserve, toutefois, pour le créancier de rembourser au débiteur le solde de la valeur du bien gagé et du montant de la créance238. Si l’on compare cet outil avec d’autres sûretés efficaces en droit commun, l’avantage de la fiducie est indéniable. Par exemple, le pacte commissoire239 dont l’efficience n’est plus à prouver possède l’inconvénient de perdre toute efficacité en cas d’ouverture d’une procédure collective. Enfin, la propriété "cédée" dans le cadre de la fiducie, peut être « ultérieurement affectée à la garantie de dettes autres que celles mentionnées par l’acte constitutif »240, on dit que la fiducie-sûreté est « rechargeable » en ce qu’elle permet de garantir plusieurs dettes. Ceci va dans le sens d’une grande souplesse de la fiducie. 90 - Un exemple nous permet d’illustrer ce mécanisme : Un constituant transfère la propriété de son bien immobilier à titre de garantie à son banquier pour obtenir un crédit. À la suite de cette opération il conserve l’usage de ce bien immobilier nécessaire à la poursuite de son activité. Par conséquent, il continue d’en percevoir les fruits et d’user de la chose. Le but du banquier n’est alors pas de se substituer au constituant en sa qualité d’exploitant, mais seulement de bénéficier d’un droit d’exclusivité en cas de réalisation de la sûreté immobilière, au lieu d’un simple droit de préférence dans l’hypothèse d’une constitution d’hypothèque. Le lien entre le débiteur-constituant et le créancier-fiduciaire est le contrat de mise à disposition permettant au premier de continuer à jouir du bien. Ce contrat peut prendre, soit la forme 237 Conformément à l’article 2015 du C. civ., il s’agira nécessairement un établissement de crédit ou assimilé, entreprises d'investissement et entreprises d'assurances. 238 DAMMAN (R.) et PODEUR (G.), op. cit., remarquent que « alors que des dispositions régissent précisément la réalisation du pacte commissoire en matière de gage, et que la clause de voie parée est interdite en la matière, la fiducie laisse le champ libre à la liberté contractuelle. ». Cette observation plaide en faveur de la flexibilité de cet outil. 239 Attachant à l’inexécution de l’obligation garantie, l’effet radical de rendre le créancier propriétaire du bien engagé (sans avoir à le demander en justice). 240 Art. 2372-5 du C. civ. 75 d’un bail, soit d’un contrat sui generis241. Notons que le créancier peut être lui-même le fiduciaire ou confier la gestion de la fiducie à un tiers fiduciaire. Il s’agit bien d’une espèce de démembrement de propriété242 qui ne dit pas son nom : une dichotomie du droit de propriété s’opère entre propriété économique (equitable property) et propriété juridique (legal property) à l’instar du régime en vigueur du trust anglosaxon. Pourtant, en raison de simples problèmes procéduraux (en l’occurrence un cavalier législatif), un amendement d’un projet de loi réformant le régime de la fiducie prévoyant expressément ce type démembrement fut censuré par le Conseil Constitutionnel243. 91 - Ceci étant entendu, rappelons qu’en cas d’ouverture d’une procédure collective la fiducie-sûreté subira deux conséquences alternatives possibles : - Soit, le débiteur-constituant bénéficie d’une convention de mise à disposition lui permettant d’user et de jouir des actifs affectés dans le patrimoine fiduciaire. Dans ce cas, le législateur aligne le régime de cette convention avec celui concernant les contrats en cours. Le débiteur peut continuer à bénéficier de la richesse procurée par les actifs dès l’ouverture de la procédure de sauvegarde244. - Soit, situation plus avantageuse pour les créanciers, aucune convention de mise à disposition ne lie les parties à la fiducie. Ici, on considère que le constituant a renoncé ab initio à l’usage de l’actif transféré en fiducie. Celui-ci est considéré comme inutile et non nécessaire à la poursuite de l’activité du débiteur-constituant. Dans ces conditions, le créancier bénéficiaire de la fiducie pourra réaliser immédiatement la fiducie-sûreté indépendamment de l’ouverture d’une procédure collective. 241 DAMMANN (R.), L’utilisation de la fiducie comme technique, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, pp. 77 et 78, sp. n° 5. 242 Ibid. 243 Cons. Constit., 14 oct. 2009, n° 2009-589 DC. 244 Conformément à l’article L. 622-23-1 du C. com., cet article est applique par extension au redressement judiciaire. 76 Il en va de même, si le contrat de mise à disposition est résilié postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective, le bien n’est plus utile à la poursuite de l’activité et le bénéficiaire pourra donc réaliser sa sûreté. 92 - On l’aura compris, la fiducie possède l’avantage d’être en mesure de résister à l’onde de choc générée par une procédure collective. Elle est, ce faisant, un outil permettant de gérer les risques inhérents à la position fragile d’un créancier en lui conférant une garantie robuste. Dans la droite ligne, la fiducie-sûreté est un outil astucieux de gestion des risques de paiement245. Ainsi il peut être judicieux, par exemple, de l’utiliser lors de la mise en œuvre d’une clause de garantie de passif ou d’earn out, par le biais d’un transfert des actifs visés dans un patrimoine fiduciaire distinct du patrimoine personnel du débiteur. Cela permet de sécuriser les positions du créancier qui n’est plus exposé aux risques de défaillance du cessionnaire pour le paiement du complément de prix ou du cédant pour le paiement d’une garantie de passif. Les qualités de la fiducie-sûreté justifient donc amplement le doux sobriquet de « reine des sûretés » employé par Messieurs DAMMANN et PODEUR246, et cela incite les concepteurs de montages financiers à user de cet outil dans le dessein de protéger les créanciers participant à un financement de l’entreprise. À cet égard, elle a permis, par exemple, l’introduction de la notion d’agent des sûretés en France compte tenu des grandes similitudes avec le mécanisme anglo-saxon de transfert de sûretés à un trustee par le biais d’un trust dans le cadre de financements structurés247. Attachons-nous à présenter l’utilité que la fiducie-sûreté peut présenter aussi bien afin de constituer une sûreté portant sur des créances (§1), que sur un portefeuille de titres (§2). 245 GRANIER (Th.), TESTON (B.), op. cit, p. 56. DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), op. cit. 247 V. sur ce point que nous n’aborderons pas, ROBINE (D.), Le sort de l’agent des sûretés, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2003, n° 3, p. 69 et s. 246 77 §1) La fiducie-sûreté sur des créances : 93 - Nous visons tout particulièrement ici la technique de la cession de type « Dailly » de créances à titre de garantie - encore appelée cession fiduciaire248 - d’un emprunt249 ressemblant à s’y méprendre à la fiducie-sûreté sur des créances ; à ceci près que, la convention de fiducie revêt l’avantage d’être ouverte à toute personne physique ou morale tandis que la cession « Dailly » à titre de garantie n’est possible que pour les établissements de crédit. De même, l'obstacle posé par l'arrêt du 19 décembre 2006250 à la cession de créance non-professionnelle - subissant la requalification minorante de nantissement - à titre de garantie pourrait être contourné par le recours à la fiducie. Pour le surplus, cette dernière est un outil efficace de gestion du risque lié aux crédits251. L’intervention d’un tiers fiduciaire est salutaire puisque sa neutralité permettrait d’éviter toute confusion entre le patrimoine du créancier-bénéficiaire et les créances cédées à titre de garantie ayant vocation, en principe, à retourner dans le patrimoine du débiteurconstituant. Par ailleurs, l’efficacité du mécanisme de cession « Dailly » à titre de garantie à l’épreuve d’une procédure collective du débiteur-cédant a été reconnue par la jurisprudence dès avant la consécration par le législateur de la fiducie252. Cette solution vient tout 248 COQUELET (M.-L.), Entreprises en difficulté, Instruments de paiements et de crédit, Dalloz, 4e éd., n° 654. 249 V. art. L. 313-24 du CMF. À distinguer de la cession « Dailly » à titre d’escompte où le cessionnaire (établissement de crédit) avance au cédant le montant des créances dont la propriété lui est transférée et dont le paiement contribuera à assurer le remboursement ; Sur cette distinction voy. COQUELET (M.-L.), op. cit., n° 654 et s. ; BONHOMME (R.), Instruments de crédit et de paiement, L.G.D.J, 9e éd., n° 277. Notons que cette technique est de loin la plus utilisée afin de garantir les prêts consentis par les établissements de crédit. 250 Com. 19 déc. 2006, n° 06-16.395 : La chambre commerciale de la Cour de cassation a refusé, dans cet arrêt de principe, de reconnaître la validité d'une cession de créance non-professionnelle à titre de garantie. Elle a requalifié le montage, qui pouvait être assimilé à une fiducie, en nantissement de créance, ce qui fragilisait la situation du créancier en cas de procédure collective du constituant. Depuis la loi de 2007, il est permis de penser que la fiducie désormais permettrait de contourner cette interdiction posée par cette jurisprudence rendue antérieurement à la consécration par le législateur de ce mécanisme. 251 GRANIER (Th.), TESTON (B.), op. cit., loc. cit. 252 V. en ce sens, Com. 7 déc. 2004, n° 02-20.732, RTD civ. 2005. 132, obs. MESTRE (J.) et FAGES (B.) et Cass. com., 22 nov. 2005, n° 03-15.669 : « Mais attendu, en premier lieu, que, même lorsqu’elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation d’un prix, la cession de créance transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée (souligné par nous), qu’elle 78 récemment d’être confirmée s’agissant de la cession de créances de loyers futurs à titre de garantie lors de l’épilogue de l’affaire Cœur Défense253. 94 - Rappelons254 que dans cette affaire, le bordereau Dailly portait sur des loyers présents et futurs du bailleur de l’immeuble HOLD. Suite à l’ouverture de la procédure de sauvegarde à l’encontre du débiteur-cédant, le fonds de titrisation (FCT) bénéficiaire du Dailly, a notifié ce dernier à l’ensemble des locataires de l’immeuble. Le débiteur-cédant, par le biais de l’administrateur judiciaire contestant la validité de la cession « Dailly », arguait, à titre principal, de ce qu’une cession de créances futures, issues d’un contrat à exécution successive, était dépourvue d’effets dès lors qu’entre temps une procédure collective - de sauvegarde en l’occurrence – était ouverte à son encontre. Entre autres arguments, il ajoutait à cela que le mandat d’encaissement, aux termes duquel les créances devaient être encaissées au nom et pour le compte du créancierbénéficiaire par le débiteur, constituait un contrat en cours. Ainsi, à l’image du contrat de mise à disposition pour la fiducie, il ne pouvait donc être résilié durant la période d’observation de sorte que les créances de loyers futurs étaient nécessaires au débiteur en marge de l’élaboration d’un plan de sauvegarde et devaient, ce faisant, demeurer dans son patrimoine. La cour d’appel de renvoi de Versailles a décidé de rejeter toutes les prétentions du débiteur-cédant et en a profité pour confirmer la robustesse de cette sûreté. Précisément, la Cour a estimé que le mandat était prévu par un contrat cadre – la cession « Dailly » qui lui était considéré comme un contrat en cours. Par suite, elle a considéré que ce mandat confié par le créancier au débiteur-cédé était lui révocable durant la période d’observation de sorte que les créances et les intérêts étaient immédiatement exigibles en dépit de l’ouverture de la procédure de sauvegarde. prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau et que, étant sortie du patrimoine du cédant, son paiement n’est pas affecté par l’ouverture de la procédure collective (idem) de celui-ci postérieurement à cette date. », D. 2006. Pan. 2855, obs. CROCQ (P.), RTD Com. 2006. 169, obs. LEGEAIS (D.). 253 VERSAILLES, 28 févr. 2013, n° 12/02755, D. 2013, p. 829, note DAMMANN (R.) et PODEUR (G.). 254 Concernant le rappel des faits v. supra n°s 61 et 62. 79 Cette solution rassure les établissements de crédit quant à l’efficacité de cette sûreté très utile en cette période de conjecture afin de maintenir les financements des entreprises. Par ailleurs, notons que, même si le bénéfice d’une cession « Dailly » est réservé exclusivement à ces derniers, la Cour d’appel reconnaît à travers cette décision la possibilité pour un fonds commun de titrisation de bénéficier d’un transfert de créances elles-mêmes garanties par un bordereau « Dailly ». 95 - Dans la lignée des multiples enseignements de cet arrêt, remarquons que si une fiducie-sûreté sur les créances avait été constituée afin d’organiser la cession « Dailly », cela aurait permis d’éviter cette confusion en externalisant l’encaissement des créances par l’affectation de ces derniers dans un patrimoine fiduciaire distinct de celui du débiteur. Néanmoins, au regard de l’argumentation développée par l’appelant dans l’espèce précitée de l’affaire Cœur Défense, le mandat d’encaissement aurait-il pu être assimilé à une convention de mise à disposition permettant au débiteur de conserver la jouissance des créances échues et à échoir ? Une réponse positive s’impose, dans la mesure où l’opération ne conduisait pas à affecter les actifs cédés à titre de garantie dans un patrimoine fiduciaire distinct du débiteur en raison de l’existence d’un mandat de recouvrement. On pourrait considérer qu’il aurait conservé la possibilité d’user et de jouir de ces actifs. Autrement dit comme le souligne un auteur, il pourrait donc conserver la « propriété économique » se traduisant par la perception des loyers255. Les créanciers n’auraient donc pas pu, dans ces conditions, bénéficier de la sûreté après l’ouverture de la procédure. À l’inverse, si les actifs recouvrés par le débiteur-constituant avaient été affectés sur un compte particulier et distinct contrôlé par un fiduciaire-tiers, la solution inverse s’imposerait : le créancierbénéficiaire aurait pu contourner les contraintes inhérentes à l’ouverture d’une procédure collective. 255 DAMMANN (R.), op. cit., p. 79. 80 §2) La fiducie-sûreté sur des titres256 : 96 - La fiducie-sûreté sur des titres permet de garantir un financement accordé par un créancier par le biais des titres que détient le débiteur. Ici, nous observons que la fiducie vise non plus des actifs uniquement matérialisés par des sommes d’argent et des intérêts comme pour la fiducie-sûreté sur des créances, mais un pouvoir politique qui caractérise traditionnellement une participation dans le capital d’une société en sus des dividendes. Le schéma est le suivant : un débiteur-constituant affecte ses titres dans un patrimoine distinct contrôlé par un fiduciaire afin de garantir un emprunt consenti par un créancierbénéficiaire. 97 - D’une part, lorsque le fiduciaire se charge de voter et de percevoir les dividendes indépendamment du contrôle du débiteur-constituant, on observe qu’aucun contrat de mise à disposition n’est caractérisé. Par conséquent cette sûreté est efficace pour le créancier en cas de procédure collective ouverte à l’encontre du débiteur. D’autre part, si la marge de manœuvre du fiduciaire est limitée par le constituant ou le bénéficiaire, c’est-à-dire s’il n’exerce pas les droits de vote et ne perçoit pas les dividendes inhérents aux titres affectés, l’efficacité de la fiducie-sûreté peut se heurter à des risques de requalification. Notamment le fiduciaire peut être considéré en tant que nupropriétaire des titres affectés257 et la fiducie comme un démembrement de propriété de type usufruit, nue-propriété. Toutefois, cet écueil peut être contourné lorsque le fiduciaire conserve les prérogatives liées aux titres affectés mais sous le contrôle soit du constituant, soit du bénéficiaire. Ici, la souplesse remarquable de la convention de fiducie permet cela. On peut imaginer que le constituant puisse donner des instructions de vote au fiduciaire ou percevoir indirectement les dividendes. En sens inverse, le bénéficiaire peut percevoir les dividendes ou influencer le vote du fiduciaire en cas de défaut de paiement du débiteur. 256 Montage astucieux décrit par DAMMANN (R.) n’ayant pas encore été reçu par la jurisprudence, cf. note précédente. 257 V. en ce sens, AYNES (L.), RLDC, mai 2009, 60, p. 65. 81 Cela semble concevable selon Monsieur DAMMANN258 mais pourrait se heurter une fois de plus à une requalification de la fiducie en contrat de mandat comme le souligne le professeur Laurent AYNES259. Pour notre part, nous estimons que le doute est permis. En opportunité, ce mécanisme devrait être validé car il est de nature à favoriser les intérêts des créanciers en leur assurant une forme de nantissement sur les titres qui résisterait à l’ouverture d’une procédure collective. Cela d’autant plus, que l’article 2011 du C. civ. prévoit expressément l’utilisation de la fiducie comme un outil de constitution de sûretés, alors on ne voit pas au nom de quoi il serait impossible de constituer une fiducie-sûreté sur des titres. Cependant, il reste que le mécanisme encadrant cette opération gagnerait en sécurité juridique s’il venait à être précisé par le législateur. SECTION 2 : Le montage « Double Lux-co » : 98 - Dans le prolongement de ce que nous avons exposé dans la section précédente, le montage « Double Lux-co » a été imaginé par les praticiens afin de garantir aux créanciers, dans le cadre d’une acquisition avec effet de levier, de pouvoir réaliser les nantissements sur les titres du débiteur en cas d’ouverture d’une procédure collective260. Concrètement le mécanisme est le suivant : une société holding de droit Luxembourgeois « Lux-co 1 » détient une autre société holding de droit Luxembourgeois « Lux-co 2 » qui elle-même détient à 100% une filiale située en France « French-co ». Pour garantir le financement de la « French-co » en marge de son opération d’acquisition, les deux sociétés luxembourgeoises nantissent leurs titres. Du côté des créanciers l’avantage est de pouvoir réaliser ces sûretés si la filiale française venait à être en difficulté en vertu de l’article 5 du règlement n° 1346/2000261 et cela même si une procédure collective est ouverte au Luxembourg à l’endroit des sociétés Luxembourgeoises puisque le droit des 258 DAMMANN (R.), op. cit. AYNES (L.), op. cit. 260 Voy. DAMMANN (R.) et LEVENANT (A.), percer le mystère du montage « Double Luxco », BJE, sept. 2009, n° 5, p. 268. 261 Aux termes duquel : « L’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un créancier ou d’un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles (…) appartenant à un débiteur, et qui se trouvent, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire d’un autre Etat membre ». 259 82 procédures collectives Luxembourgeois permet la réalisation des nantissements sur titre indépendamment de l’ouverture de la procédure. 99 - Néanmoins, l’affaire Cœur Défense, encore une fois, a démontré la fragilité d’un tel montage lorsque le COMI de la société Luxembourgeoise est déplacé en France de sorte que le traitement de ses difficultés a été soumis à notre droit des entreprises en difficulté… bien moins libéral que celui en vigueur au Luxembourg. Cela a permis d’obstruer les droits des créanciers titulaires de nantissements sur les titres. 100 - Cette situation, nous permet d’établir un rapprochement avec l’éventuelle utilisation d’une fiducie-sûreté sur des titres telle qu’imaginée par certains auteurs262. Cette opération réalisée avec le seul concours du droit interne, permettrait d’une part de faire l’économie d’un tel montage nécessitant au demeurant la concentration de moyens très lourds et couteux pour l’emprunteur263 mais aussi d’autre part, de supprimer les risques inhérents à une instrumentalisation à la fois du règlement n° 1346/2000 et de la procédure de sauvegarde très protectrice pour les « Lux-co » 1 et 2. Le mécanisme si astucieux et ingénieux soit-il est encore très peu utilisé par les banques. Elles paraissent peu enclines à s’approprier un outil de constitution d’une sûreté certes robuste mais dont le régime demeure encore à établir264. Dans l’attente d’une réforme en ce sens, le montage « Lux-co » a encore un bel avenir dans le monde du financement structuré. SECTION 3 : La subordination de créances En somme dans le cadre de ce montage financier, la situation des créanciers peut se résumer à la célèbre formule utilisée par Georges Orwell dans sa fable satirique ‘‘La ferme des animaux’’ : « Tous les créanciers sont égaux mais certains sont plus égaux que 262 Cf. supra n°s 96 et 97. DAMMANN (R.) et LEVENANT (A.), op. cit. 264 Ibid ; Cf. supra n° 97. 263 83 d’autres »265. Cela sous-entend une entorse au prétendu « sacro-saint » principe d’égalité des créanciers266 posé par l’article 2285 du Code civil. 101 - À l’origine de ce type de financement dit structuré, la crise boursière de 1929 aux Etats-Unis267. Cette technique est apparue afin de répondre aux besoins d’augmentation de la surface financière, exprimés par des sociétés non cotées à Wall Street. Celles-ci se sont vues bénéficier de l’octroi de financements par les établissements de crédits. Ces financements étaient conditionnés par une clause de subordination stipulant qu’un créancier junior (junior creditor) acceptait de subordonner le remboursement de sa créance à celui d’un autre créancier (senior cerditor) avec l’accord de l’emprunteur. Suite à l’efficacité que suscita cette technique durant la faste période du New Deal insufflée par Roosvelt, elle s’exporta en Europe. Le premier LBO transnational d’origine française, Impress Metal Packaging, réalisé en 1998 par les groupes français Péchiney et allemand Viag, ainsi que le financement du Tunnel sous la Manche et sa restructuration en 1997/1998, sont deux exemples d’opérations de financement différentes ayant eu recours à la technique de la subordination268. Cette technique de structuration du passif d’une entreprise constitue pour plusieurs raisons un élément important dans le cadre de projets à fort taux d’endettement, industriels, ou d’infrastructures comme le financement du tunnel Prado-Carénage à Marseille269, de titrisation de créances, voire même, et surtout, d’opérations d’acquisition d’entreprise (notamment avec effet de levier ou LBO). C’est ce dernier aspect qui retiendra notre attention au premier chef dans la suite de notre étude. 265 Pastiche par référence à « Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres » employée par SENECHAL (M.) cité par LUCAS (F.-X.) in Colloque Lyon 3 : Le droit des entreprises en difficulté à l’épreuve de la crise financière, rapport de synthèse, BJE, sept. 2012, n° 5, p. 336. 266 V. à ce propos, SENECHAL (M.) et COUTURIER (G.), Créanciers antérieurs : l’égalité a telle vécu ?, BJE, sept. 2012, n° 5, p. 328. 267 SEFKALI (Z.), Droit des financements structurés, préf. MATTOUT (J.-P.), éd. Revue Banque, 2004, p. 143. 268 SEFKALI (Z.), op. cit., p. 141. 269 V. SEFKALI (Z.), op. cit., p. 155 : Le financement avait une structure de financement composée en partie de fonds propres, de titres subordonnés convertibles et d’un endettement bancaire classique auprès d’un pool . 84 102 - Afin de traiter au mieux ce type de montage financier complexe structurant le passif d’un débiteur, nous commencerons par présenter de manière succincte le mécanisme général de la subordination de créances (§1) ainsi que l’intérêt d’y recourir ; pour ensuite, étant donné le nombre très important de groupes LBO270 en difficulté depuis la crise de 2008271, confronter cette technique de financement au droit des entreprises en difficulté (§2). §1) Le mécanisme général de la subordination de créances 103 - La France est l’un des rares pays à avoir légiféré en matière de titres subordonnés. Un titre est ce qu’obtient un créancier en contrepartie de l’emprunt qu’il consent. On recense un régime particulier attaché à chaque catégorie de créance subordonnée : les créances nées de prêts participatifs272, de titres participatifs273 qui seront remboursées à leurs titulaires après toutes les autres dettes mais qui seront toutefois remboursées avant les titres subordonnés274 remboursables qu’après désintéressement des autres créanciers. Au-delà de la création de régimes de subordination particulière par le biais d’instruments financiers désignés légalement comme subordonnés par nature, plus récemment le législateur a crée les titres super-subordonnés (TSS), classés par la doctrine dans la catégorie des obligations émises par le débiteur en contrepartie d’un prêt275, dont le régime figure à l’article L. 228-97 du Code de commerce. Ils permettent d’ériger des conventions de subordination stipulant que le remboursement du nominal de ces valeurs mobilières ne peut intervenir qu’après que tous les autres créanciers de la société, y compris ceux titulaires de prêts ou titres participatifs, aient été désintéressés. Il s’agit de 270 Sur le mécanisme cf. infra n° 120 et s. Voy. en ce sens, DESSUS (C.), LBO en difficulté : les signes qui ne trompent pas, Droit & Finance, mai 2014 : http://www.salondesfusionsacquisitions.com/index.php?item=blog-fusionsacquisitions&type=post&name=lbo-en-difficulte-les-signes-qui-ne-trompent-pas. 272 Art. L. 313-13 et s. du CMF. 273 Crées par la loi du 3 janvier 1983 et figurent aux arts. L. 213-32 et s. CMF. 274 L. 339-7 CMF Abrogé par Ordonnance 2000-912 2000-09-18 art. 4 JORF 21 septembre 2000 275 V. en ce sens BORGA (N.), Titres super-subordonnés et plan de sauvegarde, BJE, juin 2010, n° 6, p. 604 ; Toutefois, les titres super-subordonnés ne sont pas remboursables à échéance comme les obligations classiques. 271 85 créanciers de dernier rang, les moins bien lotis, qui n’obtiendront remboursement de leurs créances qu’à l’issue de la liquidation de leurs émetteurs, tout de même juste avant le remboursement des apports des actionnaires. En cela les créances subordonnées se rapprochent de l’apport en fonds propres. 104 - Concrètement, il y a subordination lorsque dans une opération donnée, un créancier, appelé « junior », consent à ne recevoir son paiement de l’emprunteur - ou du groupe de l’emprunteur – qu’après qu’un autre créancier « senior » (établissements de crédit emprunteurs classiques réunis le plus souvent dans le cadre d’un pool bancaire) ait lui-même été payé intégralement. Toutefois, cette approche schématique se complexifie lorsqu’au sein d’une classe de créanciers s’établit une subdivision. Dès lors, plusieurs classes de créanciers plus ou moins « senior » ou plus ou moins « junior » - englobés sous le terme générique de prêteurs mezzanine276 ou mezzaneurs277 - apparaissent pour constituer un « millefeuille de dettes »278. La subordination conduit donc à établir une véritable hiérarchie au sein de la masse des créanciers, qui peuvent n’être que chirographaires mais aussi être garantis par une sûreté réelle. En ce sens, elle se rapproche de la logique d’une sûreté établissant des privilèges mais est plus large que cette notion en ce qu’elle n’établit pas seulement un rang en vue de la répartition d’un prix mais concerne plus largement toute hypothèse de règlement des créances qu’elle a vocation à régir279. 105 - Comme nous l’avons vu280, la subordination peut être d’origine légale lorsque la loi prévoit que telle ou telle créance est subordonnée par nature. En outre, elle peut aussi être d’origine contractuelle en vertu du principe de l’autonomie de la volonté tel qu’il résulte des dispositions de l’article 1134 du Code civil. Certains pourraient s’offusquer 276 « Terme générique qui désigne tous les financements intermédiaires à mi-chemin entre les capitaux propres et la dette » qui englobe entre autres les prêts subordonnés ; V. en ce sens, RAIMBOURG (Ph.) et alii, Ingénierie financière, fiscale et juridique, Dalloz Action, 2006-2007, p. 1008, n° 73.61. 277 Titulaires d’une dette mezzanine qui sera elle-même soit « senior », soit « junior » au sein de cette catégorie. 278 LUCAS (F.-X.), La subordination des créances à l’épreuve de la procédure collective, Rev. Proc. Coll. , mai-juin 2013, n° 3, p. 73. 279 Ibid. 280 Cf. supra n° 103. 86 d’une telle possibilité de déroger par la loi des parties au principe d’égalité entre les créanciers. Néanmoins, il convient de leur rappeler que l’article 2285 du C. civ. permet de déroger à ce principe lorsqu’il existe « des causes légitimes de préférence ». Nous pourrions ainsi aisément ranger la subordination de créances dans cette catégorie de causes légitimes. Par analogie, rappelons qu’il existe depuis longtemps un dispositif légal281 permettant « par une cession d’antériorité, (à un créancier hypothécaire) de céder son rang d’inscription à un créancier de rang postérieur dont il prend la place ». Comme le décrit un auteur282, l’organisation d’une subordination de créances fait intervenir dans la plupart des cas plusieurs contrats se mesurant « en kilo ou au mètre »283 permettant de régir cette opération en fonction du niveau d’engagement accepté par chacun. Ces contrats sont passés à la fois entre le débiteur et chacun des créanciers et entre les créanciers eux-mêmes. En principe, deux types d’obligations forgent l’ossature de ces conventions de subordination : - Des obligations de ne pas faire à la charge du débiteur, à savoir de ne pas payer les créances de rang inférieur tant que celles des créanciers « senior » ne l’ont pas été. De même, pour les créanciers « junior » qui s’engagent à ne pas recevoir le paiement de leurs créances tant que celles des créanciers de rang supérieur n’ont pas été payées. - Des obligations de faire à la charge des créanciers « junior », consistant à s’engager à reverser aux créanciers de rang supérieur toutes sommes qu’ils auraient perçu en violation du droit de priorité des créanciers « senior ». Il s’agit de clauses dites de Claw back. 106 - Ces accords de subordination consentis par les créanciers de rang inférieur ne sont pas dépourvus de contrepartie. En effet, l’intérêt pour les créanciers « junior » de contribuer au financement du débiteur se matérialise par une rémunération, plus importante que celle des « seniors », qu’ils sont en mesure d’espérer. Si le montant du 281 Art. 2424, al. 2 du C. civ. LUCAS (F.-X.), op. cit. 283 FAGES (B.), La rédaction du contrat – Conseils pratiques, Lamy Dr. Contrat, mai 2010, n° 170-13. 282 87 nominal de la créance mezzanine est souvent inférieur à celui des créances « seniors », le taux des intérêts dont bénéficieront les « juniors » sera quant à lui largement plus important. En quelque sorte, le risque qu’ils consentent est compensé, causé284 par l’existence d’une compensation pécuniaire proportionnelle à leur degré de priorité. En sus de cette prime de risque, parfois, des titres représentatifs des créances subordonnées donnant accès au capital de la holding, tels que les obligations convertibles en actions, des bons de souscriptions d’actions ou des actions de préférence assorties ou non d’un droit de conversion, sont remis au profit des mezzaneurs. Cependant, les actionnaires repreneurs préfèrent quant à eux les emprunts obligataires à très fort taux d’intérêts, dits high yield, dans la mesure où ils n’offrent pas aux prêteurs la possibilité d’accéder au capital de la holding285. En tout état de cause, les créanciers ont en commun la volonté de contribuer au financement du projet du débiteur plutôt que de participer au capital de ce dernier. Quelques soient les différentes motivations innervant les prêteurs de tous horizons, on remarquera que les « seniors » s’attacheront invariablement à rapprocher, autant que faire se peut, la situation des « juniors » des actionnaires de la société. Dans ce sens, ils s’attèleront à prévoir des conventions de subordination les plus contraignantes possibles. Inversement, les « juniors » tenteront naturellement de se rapprocher de la situation des « seniors » dans la limite infranchissable du droit de priorité dans le remboursement complet de la créance de ces derniers. Au surplus, les seniors auront tout intérêt à éviter que les juniors ne déclenchent de manière isolée une procédure de remboursement anticipée, une réalisation de sûretés ou une action tendant à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société de projet en cas de défaut de paiement de cette dernière au titre de la créance « junior » alors que le projet est viable. Ainsi, il n’est pas rare qu’une période dite de standstill286 soit négociée, période durant laquelle le prêteur renonce à exercer certains de ses droits contre la société afin de permettre de trouver une solution dès avant l’ouverture d’une procédure. 284 Au sens juridique de cause. DESSUS (C.), op. cit. 286 Voy. SEFKALI (Z.), op. cit., p. 169. 285 88 Ce mécanisme est donc destiné à élargir les possibilités de financements en attirant plusieurs types de prêteurs et, par là même, contourner le monopole bancaire des établissements de crédit, lorsque l’endettement bancaire est insuffisant. Il permet aussi tout particulièrement de reporter et d’étaler, autant que faire se peut, les échéances de remboursement des dettes pour l’emprunteur. 107 - Le mécanisme général étant précisé, il convient de le confronter au droit des entreprises en difficulté. Autrement dit, qu’en est-t-il de la solidité de ces montages financiers, véritables berceaux de l’ingénierie contractuelle, dans le contexte d’une procédure collective impactant un débiteur ? Le droit des entreprises en difficulté en tant que droit impératif, d’ordre public économique, prend-t-il en compte ce type de financements structurés, aux allures consensualistes, dans le cadre du traitement du passif du débiteur ? Ces questions sont légitimes, on l’aura compris, compte tenu de la place importante accordée aux contrats de subordination, matérialisant les intérêts de toutes les parties au financement, et, subséquemment, à l’effet de relatif à l’égard des tiers. §2) La subordination de créances et le traitement du passif du débiteur en difficulté 108 - En dépit du caractère subordonné de certaines créances convenu par la commune volonté des parties en marge du financement d’un débiteur lorsqu’il est in bonis, force est de constater que, dès lors que ce dernier connaît des difficultés l’entraînant dans le bouillon océanique d’une procédure collective, la situation s’avère plus délicate. Les difficultés quant à la prise en compte de la structuration contractuelle du passif du débiteur se présentent à deux stades de la procédure collective : lors de l’élaboration du plan de sauvegarde ou de redressement (A) et lors du désintéressement des créanciers (B). 89 A) L’élaboration du plan : 109 - En amont de l’élaboration du plan, c’est-à-dire lors de la consultation des comités de créanciers, une constatation s’impose : avant la nouvelle réforme de 2014, la loi ne permettait pas, en principe, de prendre en compte le caractère subordonné d’une créance. Le droit de vote des créanciers n’était pas pondéré en fonction de leur rang contractuellement prévu dans les conventions de subordination mais en fonction du nominal de leur créance. Ce principe du nominalisme287 constituait une limite considérable à l’efficacité de la subordination de créances dans le contexte d’une procédure collective. Notons que cette constatation milite en faveur de l’utilisation des procédures préventives dans ce cas de figure pour peu que l’emprunteur ne soit d’ores et déjà en situation de cessation des paiements ou à tout le moins qu’il n’y soit que depuis moins de 45 jours pour la conciliation. L’avantage sera indéniable, notamment dans le cadre d’un mandat ad hoc, pour les créanciers « senior » puisque cela leur permettra de conserver leur avantage dans la direction des événements via une renégociation des dettes sous l’égide d’un tiers de confiance. Dans le cadre d’une conciliation, l’injection de la new money, par certains créanciers impliquera une renégociation des prêts et une restructuration du passif permettant de recouvrer les dettes à l’aide de nouveaux emprunts en dehors de toute procédure collective. Les créanciers contribuant à cette opération seront qualifiés de « super senior » car en cas d’échec de la conciliation, ils détiendront une créance privilégiée au titre du privilège de new money. Or, fréquemment l’unanimité requise pour obtenir un accord de conciliation n’est pas atteinte. Ce qui conduira à l’ouverture d’une procédure de sauvegarde (parfois accélérée) afin de contraindre les « juniors » s’opposant au projet de conciliation à un accord du fait de règles de majorité moins contraignantes pour arrêter un plan de sauvegarde (deux tiers du montant des créances détenues par les créanciers ayant participés au vote). Cette situation sert souvent d’arme, de menace pour contraindre 287 LUCAS (F.-X.), op. cit. 90 les « juniors » récalcitrants en conciliation à accepter l’accord dès avant l’ouverture d’une procédure collective. Remarquons que l’articulation astucieuse de ces outils proposés par le législateur, à la fois les procédures préventifs et la procédure de sauvegarde, a permis à de nombreux groupes sous LBO de se restructurer rapidement288. 110 - Il n’en demeure pas moins que cette situation était contestable. En effet, il était peu concevable que de manière paradoxale les créanciers « juniors » détiennent les mêmes pouvoirs de décision au sein des comités de créanciers que les « seniors ». Cela est d’autant plus discutable que leur pouvoir de vote peut être plus important lorsque le montant du nominal de leur créance est plus élevé que celui des « seniors ». Cela conduit à ce que le traitement des créances de ces derniers, soit décidé par les « juniors », ce qui est en parfaite contradiction avec l’esprit même de la subordination conçue en vertu de l’accord de volonté de l’ensemble des parties. Ces créanciers subordonnés qui ont théoriquement perdu la valeur de leur investissement, conservent pourtant leur droit de vote au sein des comités de créanciers. C’est pour ces raisons qu’à l’occasion de l’affaire Thomson, une partie des droits de vote des créanciers super-subordonnés avait été soustraite sur l’initiative de l’administrateur judiciaire de la société confirmée en première instance par le tribunal de commerce de Nanterre. En l’espèce, la société Thomson avait émis des TSS à durée indéterminée le 23 septembre 2005, pour un montant nominal de 500 millions d’euros et cotés sur la Bourse de Luxembourg. Par la suite, un projet de plan de sauvegarde préparé avant l’ouverture de la sauvegarde dans le cadre de la conciliation a été adopté à l’unanimité par les comités des créanciers et des principaux fournisseurs de la société Thomson. Ce plan de sauvegarde prévoyait de maintenir le droit au paiement du montant nominal des TSS, mais aussi de payer des droits à intérêts d’une somme de 25 millions d’euros, correspondant à environ 6% du nominal des titres. 288 V. la thèse de KHACHANI F., op. cit. 91 Conformément aux dispositions de l’article L 626-32 du Code de commerce, ce plan a été soumis à l’assemblée unique des obligataires (l’AUO). Cette Assemblée, à laquelle participaient lesdits porteurs des TSS, a alors limité les droits de vote des porteurs de TSS à 6% du nominal de leurs titres, calculé sur la seul base de leurs droits à intérêts futurs. Estimant avoir été indûment privés de leur droit de vote au sein de l’Assemblée, les porteurs des TSS ont contesté la régularité de l’AUO ayant adopté le plan à la majorité de 98,77% du montant des créances obligataires. Par jugement en date du 27 février 2010, le Tribunal de commerce de Nanterre a débouté la demande des porteurs de TSS et a arrêté le plan de sauvegarde, en considérant, d’une part, qu’il serait illogique d’attribuer aux porteurs de TSS des droits de vote correspondant au nominal de leurs titres alors que celui-ci n’est remboursable qu’en cas de liquidation de la société et à la condition que tous les autres créanciers aient été remboursés, et, d’autre part, que les porteurs de TSS n’ont pas vocation à voter au sein de l’AUO dès lors que le projet de plan ne modifiait pas les conditions de remboursement de ce montant nominal. Ce jugement n’a finalement pas été suivi par la Cour d’appel de Versailles, dont l’arrêt a été confirmé par la Cour de Cassation289, mais seulement en ce qu’il privait de droit les porteurs de TSS. 111 - Suite au dénouement de cette affaire, le législateur a décidé de réagir par la voie de lois de circonstance très appréciées par notre droit. Tout d’abord, une loi du 22 octobre 2010, a introduit à l’article L. 626-5 et l’article L. 626-32 de Code de commerce, la possibilité pour « le mandataire judiciaire (de ne pas) consulter les créanciers pour lesquels le projet de plan ne modifie pas les modalités de paiement ou prévoit un paiement intégral en numéraire dès l’arrêté du plan ou dès l’admission de leurs créances ». L’article L. 626-30-2 in fine ajoute que ces créanciers ne prennent pas part au vote au sein des comités. Cette règle est donc transposée aux créanciers membres des AUO. Par conséquent, certains créanciers subordonnés auxquels aucun sacrifice n’est 289 Cass. com., 21 février 2012, n° 11-11693, Affaire Thomson–Technicolor SA ; Adde, DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Affaire Thomson-Technicolor : le clap de fin, BJE, 2012. 78. 92 demandé devraient ne pas pouvoir participer au vote. L’efficacité de la subordination de créances lors de l’établissement du plan est donc quelque peu rétablie. 112 - En principe, l’absence de prise en compte des rangs de subordination au stade du vote demeure la règle permettant aux créanciers subordonnés d’opposer une minorité de blocage au sein des comités des obligataires conduisant à l’échec du plan, ou à son adoption sous l’influence déterminante de certains « juniors » dont le montant nominal de la créance est plus important. Néanmoins, depuis la récente ordonnance du 12 mars 2014 modifiant article L. 626-30-2 alinéa 4 du Code de commerce, il est permis de penser que le législateur ouvre la voie de la modulation des droits de vote en fonction des caractéristiques des créances (et non de leur montant)290. En effet, il est prévu par l’article précité sous sa nouvelle forme que les créanciers membres d'un comité doivent informer l'administrateur judiciaire de l'existence de conventions de subordination, de conventions de vote, ou de conventions « ayant pour objet le paiement total ou partiel de leurs créances par un tiers ». Et l’article d’ajouter qu’il incombera à l'administrateur judiciaire de « soumettre à ce créancier les modalités de calcul des voix correspondant aux créances lui permettant d'exprimer un vote ». Ainsi, « une sorte de négociation pourrait s'instaurer avec les créanciers »291, mais le texte garde le silence sur les critères permettant de déterminer le niveau des droits de vote devant être attribués à tel ou tel créancier. Toutefois, en cas de désaccord, le texte prévoit que le créancier ou l'administrateur peut saisir le président du tribunal statuant en référé. Cela est de nature à accroître le contentieux autour de cette question et, corrélativement, à ralentir l’adoption d’un plan. On peut s’interroger sur l’opportunité d’une telle réforme qui n’est pas de nature à stabiliser ce type de montages financiers très utilisé en pratique. Pourtant s’il est vrai qu’une réforme du principe du nominalisme des créances s’imposait afin de réduire le pouvoir excessif reconnu aux créanciers subordonnés au stade de l’arrêté du plan, la proposition de Monsieur François-Xavier LUCAS292 était, nous semble t-il, plus 290 DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers résultant de l'ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014, p.752. 291 DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), op. cit. 292 LUCAS (F.-X.), op. cit., p. 75. 93 séduisante et moins risquée. Elle consiste, en somme, à diluer l’influence des « juniors » soit par la fusion des comités des établissements de crédit et des assemblées uniques des obligatoires, soit par l’abandon de la majorité qualifiée des deux tiers pour passer à la majorité absolue de 50 % des créances détenues par les créanciers. Cela permet de régler le problème sans toucher au principe du nominalisme. D’autres auteurs suggèrent aussi de prendre exemple sur les solutions retenues dans les pays voisins comme l’Allemagne ou l’Angleterre ayant retenu un système de classes homogènes de créanciers traités séparément et donc différemment293. B) Le désintéressement des créanciers : 112 - L’objectif de base de toute structure de subordination est de fonctionner correctement en cas d’insolvabilité de l’emprunteur. Cela impliquerait que le nivellement établi ab initio entre les « seniors » et les « juniors » doit être pris en compte par le droit des procédures collectives, tant dans un cadre liquidatif, c’est à dire au stade de la répartition de l’actif, que dans l’exécution d’un plan. 113 - En cas de liquidation judiciaire de l’emprunteur, aucun texte ne prévoit formellement la prise en compte des rangs de subordination préétablis. Les dispositions du chapitre II du titre IV du livre VI du Code de commerce, concernant la réalisation de l’actif en phase de liquidation, prévoient uniquement une répartition selon l’ordre des privilèges classiques prévus par la loi et au marc le franc pour l’ensemble des chirographaires. Aucune mention des accords de subordination entre les créanciers avant l’ouverture de la procédure n’est prévue. Toutefois, nous rejoignons l’analyse d’un auteur294 qui considère que le liquidateur es qualités de représentant du débiteur dessaisi pourrait se voir opposer les clauses contraignantes stipulées dans les conventions de subordination que ce dernier a conclu avec ses créanciers. Ainsi, les « seniors » pourraient en empruntant cette voie faire valoir leur droit de préférence dans le cadre de la réalisation des actifs. 293 294 DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), op. cit. LUCAS (F.-X.), op. cit. 94 Néanmoins, étant donné l’incertitude pesant sur l’efficacité du droit de priorité contractuel des « seniors », ils ont tout intérêt à ne pas éluder et même, dirons-nous, à renforcer les clauses de claw back obligeant les « juniors » à reverser au « seniors », hors procédure collective, les sommes qu’ils auraient pu percevoir en méconnaissance de la priorité de paiement instituée conventionnellement par les accords de subordination conclus entre eux dès avant l’ouverture de la procédure. 114 - Le droit des entreprises en difficulté semble plus enclin à accueillir les subordinations contractuelles lors de l’élaboration et l’exécution d’un plan. En effet depuis la loi du 22 octobre 2010, l’article L. 626-30-2 alinéa 2 du Code de commerce prévoit que le projet de plan « prend en compte les accords de subordination entre créanciers conclu avant l’ouverture de la procédure ». Toutefois, si le respect de la subordination est assez simplement concevable lorsqu’il s’agit de répartir les actifs du débiteur en liquidation en priorité entre les mains des « senior » au détriment « juniors », « la prise en compte » - selon les termes mêmes de la loi - des accords de subordination lors de la rédaction du projet de plan impose une analyse plus nuancée. En effet, l’article précité est une disposition s’appliquant exclusivement aux plans arrêtés à l’issue d’un vote des différents comités de créanciers. Autrement dit, a contrario lorsqu’un plan est arrêté hors comités de créanciers, c’est le cas lorsque le débiteur ne satisfait pas aux conditions de l’article L. 626-29 du Code de commerce295, les accords de subordination ne peuvent être « pris en compte ». Observons que la « prise en compte » de la subordination par la loi ne peut être étendue aux projets de plan arrêtés indépendamment de tout vote des comités et ce selon nous pour deux raisons. D’une part dans l’esprit du législateur, compte tenu des conditions posées par l’article L. 626-19 du Code de commerce, l’adoption d’un plan par les comités est l’exception tandis 295 C’est-à-dire lorsque « les débiteurs dont les comptes ont été certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable et dont le nombre de salariés ou le chiffre d'affaires sont supérieurs à des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat sont soumis aux dispositions de la présente section. Les autres dispositions du présent chapitre qui ne lui sont pas contraires sont également applicables. (…) » 95 que le principe est l’arrêté d’un plan hors comité. Or, l’article L. 626-30-2 du Code de commerce spécialement prévu dans le cadre du régime régissant l’arrêté d’un plan par les comités n’est pas prévu dans le régime général de l’adoption hors comité. Par conséquent, il n’y a pas lieu à notre sens d’étendre cette disposition dérogatoire. D’autre part, signalons que des dispositions impératives prévues dans le régime général gouvernant l’arrêté d’un plan sont en parfaite opposition avec les prescriptions de l’article L. 626-30-2. Il en est ainsi, par exemple, de l’article L. 626-18 alinéa 4 du Code de commerce préconisant l’adoption de délais uniformes par le tribunal aux créanciers ayant refusé les propositions du débiteur et auxquels on impose des délais. Cet article ajoute que « le montant de chacune des annuités prévues par le plan, à compter de la troisième, ne peut être inférieur à 5% de chacune de créances admises ». Au regard de la contradiction de ces dispositions avec l’article L. 626-30-2, il semble qu’il faille décider que les accords de subordination seront dépourvus d’effet lorsqu’un plan doit être adopté sans l’intervention des comités. 115 - En revanche, lorsqu’un plan est adopté suite à un vote des comités de créanciers, l’article L. 626-30-2 du Code de commerce peut pleinement s’appliquer. Dans ce cas de figure, le plan devra donc « prendre en compte » les accords de subordination. Cette situation est plus favorable aux « seniors ». Cependant des difficultés subsistent quant à la signification de l’expression « prise en compte ». Dans quelle mesure doit-on considérer que les accords de subordination ont été respectés par le plan. L’essence même de la subordination de créances est de permettre le désintéressement prioritaire d’une certaine catégorie de créanciers à l’insu d’une autre. Ainsi, il semblerait qu’il faille comprendre qu’un plan « prend en compte » une subordination contractuelle dès lors que pris dans son ensemble, c’est-à-dire au regard des délais et des remises consenties par les créanciers, il satisfait à un ordre de priorité prévu par les accords antérieurs à l’ouverture de la procédure. Ceci implique-t-il l’avènement d’une nouvelle classe de créanciers « ultra-privilégiés » au dessus de toutes contraintes de délais et de remises inhérentes à un plan ? Nous contestons cette analyse puisque par analogie et en dehors du particularisme lié au traitement d’un passif structuré, même les créanciers munis des sûretés les plus efficaces 96 ne peuvent outrepasser la nécessité de consentir un délai de paiement et des remises de créances au débiteur. La raison d’être d’un plan est de permettre à un débiteur de bénéficier de délais et d’assurer de ce que « les intérêts de tous les créanciers sont suffisamment protégés »296. À cet égard, l’article L. 626-30-2 du Code de commerce doit être appliqué à l’aune des principes directeurs gouvernant l’élaboration d’un plan. Son application sticto sensu est inconcevable voire même impossible au regard du principe du nominalisme que l’on a précédemment évoqué, quoique ce dernier a été quelque peu altéré par la récente réforme du début de cette année. Dans ce sens, on peut aisément imaginer que les « juniors » bloqueront systématiquement l’adoption d’un plan qui contreviendrait de manière trop ostentatoire à leurs intérêts en favorisant abusivement les « seniors ». Ces derniers n’auront de toute façon aucun intérêt à se retrouver dans cette situation, d’autant plus, qu’au final les conventions de subordination ont vocation à régir les questions relatives aux priorités de paiement hors procédure collective. 116 - En définitive, la subordination de créances quoique précaire lorsque l’emprunteur devient insolvable ou menace de le devenir compte tenu de la faible prise en compte de ce montage financier par le droit des entreprises en difficulté, n’en demeure pas moins un outil redoutable de nivellement des créances destiné à favoriser les « seniors ». 296 Cf. article L. 626-31 du C. com. 97 CHAPITRE 2 : LES MONTAGES A FINALITE SALVATRICE 117 - Parmi les multiples finalités d’un montage juridique à l’aune des difficultés que peut subir une entreprise, la finalité salvatrice est la plus saine en ce qu’elle a pour objectif de redresser l’entreprise au-delà du clivage débiteur/créanciers sans bien évidemment les exclure. Ici, la priorité est de remettre à flot l’entreprise en stimulant sa restructuration. La conception de montages vient au soutien d’un droit des entreprises en difficulté entendu comme un outil de restructuration perfectible et non comme un simple moyen de traitement du passif. Autrement dit, ces techniques, si différentes soient-elles, ont en commun d’organiser la restructuration de l’entreprise en difficulté. 118 - Deux types de montages financiers peuvent être utilisés en pratique afin de sauver une entreprise : le premier consiste à reprendre par voie de LBO une société cible dont l’entreprise connaît des difficultés (§1). Cette dernière peut bénéficier indirectement des effets de levier attendus dans ce type de technique d’acquisition. Cela permet, nous le verrons, de stimuler le redressement de l’entreprise mais n’en demeure pas moins sans risques (Section 1). Le second conduit à utiliser la fiducie, que l’on a précédemment étudié, qui, parmi ses multiples finalités, permet par un usage particulier, tant de prévenir en amont les problèmes liés à la défaillance de l’entreprise que de les résoudre une fois survenus (Section 2). Lorsque la situation semble irrémédiablement compromise et afin d’éviter la liquidation judiciaire, la cession de l’entreprise à un tiers, comme nous le savons bien, demeure la solution à privilégier. Sont, a priori, exclus de cette possibilité les débiteurs ne pouvant 98 pas reprendre ni directement, ni indirectement297, leur propre entreprise. À cet égard, certes l’intérêt de cette règle moralisatrice est indéniable, toutefois, nous déplorons la rigidité de cette interdiction au regard de l’intérêt que présenterais une telle solution298. Rigidité ouvrant la porte à l’utilisation de nombreux montages structurels frauduleux299 destinés à contourner cette interdiction. Toutefois, au-delà de la restructuration par la cession de l’entreprise en difficulté, c’est une autre solution qui retiendra notre attention. Il s’agit de la possibilité de céder la société en difficulté à ses créanciers par le biais d’une conversion de créances en capital (Section 3). 297 Cf. art. L. 642-3 du C. com. V. en ce sens, PIEUCHOT (S), Reprise interne : incompatibilité de principe et dérogations, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 81 et s : L’auteur souligne l’intérêt d’une reprise interne qui ferait bénéficier le repreneur de l’expérience des anciens dirigeants. Il rappelle aussi qu’une distinction entre un débiteur « honnête » ayant le droit à une seconde chance et le débiteur ayant commis des fautes de gestion doit être établie à cet effet. 299 V. en ce sens DUBUCQ (C.), L’interdiction de la reprise de l’entreprise en difficulté par le dirigeant et ses proches : entre ombre et lumière, AJIDA, 2012/2, p. 7 et s. 298 99 SECTION 1 : Le LBO comme technique de restructuration de l’entreprise en difficulté 119 - Dans un souci de clarté, afin d’appréhender au mieux les enjeux de l’utilisation de ce montage financier afin de restructurer une société, nous décrirons rapidement le fonctionnement et l’intérêt du LBO (§1) puis son utilisation possible afin d’acquérir une cible en difficulté (§2). §1) Le fonctionnement d’un LBO et les effets recherchés 120 - Définition : Nous reprenons à notre compte celle utilisée par le professeur Didier PORACCHIA : « Le Leverage buy out (acquisition avec effet de levier) est un montage juridique permettant à un entrepreneur d'acquérir le pouvoir dans une entreprise, et plus généralement une société, grâce à l'acquisition de la majorité des titres par l'intermédiaire d'une structure qu'il contrôle et qui procède à l'acquisition souhaitée avec ses fonds propres et divers emprunts. Les concepteurs d'une telle opération doivent s'intéresser à la fois à chacun des actes qui la compose, mais également à la validité et à l'équilibre de l'opération prise dans son ensemble »300. Il suppose la constitution d’un holding, entité ad hoc de reprise301, s’endettant auprès d’un établissement financier et utilisant le prêt pour racheter les titres de la société cible302. 121 - Les besoins de financements font intervenir à la fois des établissements de crédit, les fonds propres des repreneurs et investisseurs, mais aussi des financements mezzanine 300 PORACCHIA (D.), La réception juridique des montages conçus par les professionnels du droit, 1998, PUAM, p. 391, n° 660. 301 SEFKALI (Z.), op. cit., p. 446. 302 PORACCHIA (D.) , Recherches sur les montages conçus par les professionnels du droit, Th. 1997, Aix-Marseille, p. 391, n° 660. 100 ou subordonnés303. Afin de d’illustrer nos propos au mieux, nous utiliserons un schéma304 classique305 d’une opération d’acquisition avec effet de levier : Pacte d’actionnaires Investisseurs financiers Direction/salariés Actions Apports en numéraire Société ad hoc d’acquisition (holding ou « Newco ») Actions Prêts juniors Newco achète les actions de la cible Créanciers « juniors » Conventions de subordination Apports en numéraire /Prêts Paiement du prix de cession et acquisition Vendeur(s) Prêts « seniors » Etablissements de crédit Société cible 303 Sur la structure du passif et les créances subordonnés, cf. supra n°s 104 à 107. Corps du schéma, que nous avons quelque modifié, emprunté à SEFKALI (Z.), op. cit., p. 447. 305 Il existe une infinité de variantes comme le LMBO (Leverage Management Buy Out) ou RES (Rachat de l’entreprise par les salariés) consacrée par le législateur ; v. notamment, COZIAN et alii, op. cit., p. 761. 304 101 122 - L’intérêt de l’utilisation de ce type de montage financier pour acquérir une société cible est de profiter de trois types d’effets de levier. D’une part, l’effet de levier juridique consistant premièrement à acquérir la moitié des actions ou parts de la société cible, la quasi-totalité du capital voire même l’intégralité de manière progressive. Ensuite, dans le prolongement, prenons un exemple un exemple topique pour s’en convaincre : une acquisition porte sur 50% (plus 1) de la cible. Dans l’hypothèse où le prix d’acquisition de cette dernière est de 100. L’acquisition se réalisant par le biais de la société holding créée par les repreneurs, ces derniers n’auront plus qu’à investir 25 dans le capital du holding qui est donc de 50 afin de prendre le contrôle de la cible306. Une démultiplication du nombre de sociétés entre la Newco et la société cible permet d’assurer le contrôle d’un groupe entier avec un nombre réduit d’actions. D’autre part, un effet de levier fiscal, en permettant au couple holding/cible de bénéficier de régimes fiscaux avantageux307. Enfin, un effet de levier social est attendu par les concepteurs de LBO, il s’agit de l’impact présumé du taux d’endettement et du montage de façon générale sur la productivité du travail. L’idée se traduit par une forte implication managériale et salariale par l’augmentation des performances308. 123 - La viabilité économique de ce montage et le débouclage du montage résultera de la possibilité pour la cible de faire remonter à la holding des sommes (dividendes) de nature à lui permettre de rembourser son endettement309. Ici, on aura compris que la cible doit être en mesure de participer pour partie, sinon en totalité, au remboursement de l’endettement massif du holding de rachat dépourvu d’activité et structurellement endetté. 306 V. en ce sens PORACCHIA (D.) et MERLAND (L.), in LBO (Acquisition avec effet de levier », Rép. Soc. Dalloz, 2013, n° 5. 307 Sur ces questions nous renvoyons à COZIAN et DEBOISSY (F.), Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis, 37e éd., 2013/2014, n °1779 et s ; Adde, PORACCHIA (D.) et MERLAND (L.), op.cit., n°9 et s. 308 RAIMBOURG (Ph.) et alii, op. cit., p. 1003, n° 73.14. 309 V. concernant les différentes possibilités conduisant à cette objectif : PORACCHIA (D.) , Recherches sur les montages conçus par les professionnels du droit, Th. 1997, Aix-Marseille, p. 391, n° 660 et s. 102 En somme, le montage LBO permet à des investisseurs-repreneurs en engageant leur patrimoine qu’à hauteur de leurs apports dans le holding de racheter une société « sans bourse délier »310 tout en réalisant dans le même temps une belle plus-value. Il s’agit là encore d’un des effets de levier dit financier attendu d’un montage LBO. 124 - Plus particulièrement, selon l'Association française des investisseurs en capital311, les sociétés cibles susceptibles d’inciter des investisseurs à l’acquérir par l’utilisation d’un LBO doivent présenter les caractéristiques suivantes : - « être financièrement saines, ce qui signifie qu'elles doivent dégager une rentabilité significative et récurrente avec un réel potentiel de croissance - avoir des atouts et des avantages concurrentiels, qui se traduisent souvent par des positions de leader ou de quasi-leader sur un marché ou sur un segment de marché. Il doit exister une « barrière à l'entrée » contre l'arrivée rapide de nouveaux concurrents ou contre des changements d'organisation du marché tant du côté du fournisseur que de celui des clients ; - disposer d'un outil de production adapté, de façon à ce que la société, après l'entrée de nouveaux actionnaires, ne soit pas obligée d'investir massivement, ce qui aurait pour conséquence d'amoindrir l'effet de levier ; - présenter un modèle de croissance opérationnel dont le financement permette cependant de dégager des cash-flows excédentaires et suffisants pour assurer le remboursement de la « dette LBO » ; - disposer d'un savoir-faire transmissible ; - enfin, il est souhaitable que l'entrepreneur vendeur n'entretienne qu'un faible intuitu personae avec les clients de l'entreprise, laquelle ne doit pas être dépendante de l'un d'eux, de façon à éviter que son départ de la société n'entraîne une diminution du chiffre d'affaires de l'entreprise, ou que le départ d'un client ne remette en cause l'équilibre financier de l'opération. » 310 Selon l’expression de PORACCHIA (D.), op. cit., p. 393, n° 663. J.-L. GRANGE, R. MATUCHANSKY, H. MERAUD et T. GICQUEAU, LBO - Guide pratique, 2003, AFIC, p. 14 cités par PORACCHIA (D.) et MERLAND (L.), op. cit., n° 33. 311 103 125 - Une fois ce constat dressé, prima facie, il apparaît peu évident, eu égard aux critères draconiens susmentionnés, qu’une reprise de société « abritant » une entreprise en difficulté puisse se faire dans le cadre d’un LBO et pourtant … §2) L’acquisition avec effet de levier d’une société cible « abritant » une entreprise en difficulté 126 - Le montage LBO permet aussi, par contrecoup, de dynamiser la cible. Il s’agit là d’un facteur extrêmement important dans la mesure où l’efficacité de l’opération en dépend. Ainsi, du fait même de la réalisation du LBO, la cible est amenée à se surpasser afin d’accroître ses capacités à dégager des bénéfices. C’est pour cela que malgré tout, l’acquisition avec effet de levier peut être un instrument au service de la restructuration d’une entreprise en difficulté et ce à deux niveaux. La reprise d’entreprises en difficulté par cette voie d’ailleurs été très utilisée durant les années 1990/2000. Il en a été ainsi de la reprise de l’entreprise de décoration de cheminées René Brisach ou encore de la société de distribution Tati, au cours des années 1995312. 127 - Tout d’abord, en amont, c’est-à-dire dès la survenance des premiers signes de défaillance d’une entreprise présentant des atouts considérables, de par la place qu’elle occupe sur un marché donné ou les perspectives de développement qu’elle permet d’escompter. En effet, une acquisition avec effet de levier aurait un rôle préventif. Dans cette hypothèse, l’endettement massif du holding a pour but non seulement de financer le prix d’acquisition, qui serait négocié à la baisse étant donné la situation, mais aussi et surtout de relancer - « booster » - l’activité de la société cible afin de la maintenir à flot et lui permettre de régénérer rapidement du cash-flow afin d’actionner les effets de levier. Il s’avère que la plupart des groupes ayant un certain nombre d’entreprises ont su identifier leurs difficultés dès l’amorce de la crise, et ont pris rapidement des mesures adéquates pour les pallier, passant la plupart du temps par des restructurations financières, 312 SAFKALI (Z.), op. cit., p. 449. 104 économiques et sociales leur permettant de résister à la crise et de poursuivre leurs activités (ex : Monier, Terreal, groupe Partouche…)313. Or, il s’avère qu’un grand nombre de ces entreprises étaient des groupes sous LBO. Cela s’explique par l’efficacité de ce montage, qui fait que les premières difficultés peuvent être rapidement identifiées et résolues tant que la situation financière de la cible est remédiable. 128 - D’autre part, l’acquisition avec effet de levier pourrait avoir lieu après que soit ouverte une procédure collective à l’encontre d’une cible. En effet, le régime légal favorable entourant ces procédures314 peut rendre opportun l’acquisition de la société cible débitrice faisant l’objet d’un plan de sauvegarde ou de redressement par voie de continuation. Encore une fois, cela passera au préalable par des audits permettant de rassurer le repreneur sur la célérité du rétablissement. Le poids de la dette réaménagé dans ce type d’opération ne doit pas être trop important. Dans cette opération, les emprunts contractés pour la cible, afin d’accélérer le remboursement de ses créanciers prévu par le plan, devra être suffisamment structuré afin d’éviter que les premières échéances de remboursement n’interviennent avant que celle-ci ne produise les revenus nécessaires à leur remboursement315. Les créanciers opérationnels de la cible occuperont une place primordiale et leur désintéressement rapide sera prioritaire316 puisqu’ils sont les véritables créateurs de richesse, surtout pour le holding. 129 - Autre hypothèse appelant une identité de moyens pour y parvenir : on peut imaginer monter un LBO dans l’optique d’acquérir une cible dans le cadre d’un plan de cession totale ou partielle d’une entreprise en difficulté. Ici, il faut absolument éviter la confusion entre cession d’entreprise et acquisition de société. La société cible de notre 313 DESSUS (C.), op. cit. Gèle des paiements des créances antérieures, arrêt des poursuites individuelles, etc… 315 PORACCHIA (D.), MERLAND (L.), op. cit., n° 34. 316 BOURBOULOUX (H.), administrateur reconnue notamment pour avoir été au chevet d’entreprises comme Saur ou Pétroplus, évoque la « seniorité naturelle » de ces créanciers : citation de PEROCHON (F.), Colloque Caen : Les montages juridiques au service et à l’épreuve des procédures collectives. Rapport de synthèse, Rev. Proc. Coll, mai-juin 2013, n° 3, p. 85. 314 105 montage sera le cessionnaire du plan de cession et non le cédant-débiteur. L’objectif sera de permettre à celui-ci à travers l’endettement massif inhérent à une acquisition avec effets de levier de faire face à ses obligations relatives au plan de cession arrêté par le tribunal317. Le bénéfice d’un régime gouvernant le plan de cession, très avantageux pour le cessionnaire318 notamment sur le plan fiscal319, servira à faciliter la réussite de l’opération. En effet, en principe, les bons résultats de la cible ne se feront pas attendre et permettront une remontée rapide des dividendes à la holding. 130 - Toutefois, de nos jours, il convient de tempérer la démonstration de l’efficacité de ce montage financier puisqu’en pratique le LBO constitue plus un problème qu’une solution en procédure collective. Dans la plupart des cas, lorsqu’on évoque les LBO à l’aune du droit des entreprise en difficulté, c’est pour constater les grandes difficultés que subissent bon nombre de holdings confrontés au remboursement de leurs créances subordonnées320 et ayant maille à profiter des effets de levier en raison du contexte de conjecture économique ralentissant l’activité des cibles. 317 Les obligations de reprises des contrats nécessaires à la poursuite de l’activité au sens de l’article L. 642-7 C. com., le maintien d’un certain nombre d’employés tel que convenu dans le plan, ainsi que les obligations liés au transfert de la charge des sûretés grevant les biens cédés impliquant sous certaines conditions leur désintéressement conformément à l’article L. 642-12 du C. com. 318 Le plan de cession présente, en principe, l’intérêt de déroger au principe de la transmission universelle du patrimoine, seul les actifs sont cédés en règle général. Au surplus, le prix de cession n’est pas un élément primordial et sera le plus souvent dérisoire. Enfin, le cessionnaire peut choisir le périmètre de reprise des biens cédés. 319 Plusieurs régimes d’incitations fiscales à la création d’une société aux fins de reprendre une entreprise en difficulté ne doivent pas être négligés, par exemple une exonération d’impôts sur les sociétés durant vingt-quatre mois sous réserve de remplir certaines conditions fixées à l’article 44 septies du CGI. 320 Sur le mécanisme à l’épreuve des procédures collectives cf. supra n° 103 et s. 106 SECTION 2 : La fiducie : un outil original de gestion du risque d’insolvabilité en amont et de sauvetage de l’entreprise en aval 131 - Une nouvelle fois nous évoquons la fiducie : cet outil aux multiples facettes permettant de réaliser des montages ingénieux et profitables à leurs concepteurs dans le contexte des procédures collectives. Parmi les attraits indéniables de cet instrument, dont la portée se forge au gré de son utilisation en pratique, soulignons son utilisation salvatrice et même, dirons-nous, pacificatrice en ce qu’elle permet de contenter l’ensemble des parties à une procédure collective ! Ce qui est en soi un exploit … 132 - Les exemples que nous décrirons ci-après font suite aux nombreux retours d’expérience des praticiens des procédures collectives véritables croisés ventant les bienfaits de la fiducie à la communauté des juristes. Qu’à cela ne tienne, son utilisation inexorablement efficace comme technique de sauvetage de l’entreprise se vérifie à deux stades : à titre préventif avant toute procédure préventive ou collective (§1) et lorsque les premiers signes de difficulté conduisent l’entreprise, par exemple, à une procédure de conciliation (§2). §1) La fiducie en tant qu’outil de gestion du risque d’insolvabilité321 : 133 - L’adage populaire « mieux vaut prévenir que guérir » s’applique tout aussi bien dans la vie quotidienne que dans le monde des affaires. La prévention est un idéal que le législateur de 2005 a tenté, bon gré mal gré, de matérialiser au travers de l’instauration d’outils de prévention destinés à endiguer les difficultés dès leur apparition, tel que le mandat ad hoc et la conciliation. Toutefois, la réussite somme toute relative de ces techniques légales à parfaire, nous montre combien il est important de prendre les problèmes à « bras le corps » et à la source dès leurs manifestations. 321 V. en ce sens l’étude réalisée par GRANIER (Th.) et TESTON (B.), op. cit. 107 134 - En outre, une deuxième acception du mot « prévention », conduit à un idéal encore plus difficile à atteindre dans la vie des affaires qui est celui d’éviter que ces problèmes ne surgissent. L’enjeu est majeur en droit des entreprises en difficulté. En effet, la prise de risque est évidemment indispensable lorsqu’il s’agit d’entreprendre, elle constitue même pour certains auteurs un acquis fondamental322. Alors, pour éviter que la prise de risques ne conduise les plus téméraires sur les bancs des tribunaux consulaires, la fiducie constitue une technique ingénieuse. 135 - À cet effet, à l’occasion d’un colloque organisé par l’Institut de droit des affaires d’Aix-Marseille323, un avocat, Maître TESTON, nous avait présenté l’utilité insoupçonnable de la fiducie en pratique : Tout d’abord, elle est utilisée afin d’éviter tout risque de déconfiture des sites de paris en ligne. En effet, l’expérience outre-Atlantique avait marqué la fragilité de ces sites ne parvenant pas à rembourser les utilisateurs assoiffés de sensations fortes. Alors, pour parer à cette éventualité, l’autorité française de régulation des jeux en ligne (l’ARJEL), oblige les plates-formes de jeux en ligne à constituer un patrimoine d’affectation au sein duquel sont « sanctuarisés » des actifs détenus par un fiduciaire indépendant, échappant par là même au contrôle des constituants. Plusieurs particularités sur le plan fonctionnel324 caractérisent ces fiducies à mi chemin entre fiducies-sûretés et fiduciesgestion. 136 - Dans le même sens mais moins en amont, la fiducie a pu être utilisée pour débloquer la crise sociale en gestation, relayée très largement par la grande presse, consécutive aux difficultés subies par le groupe suisse Pétroplus et, plus particulièrement, au redressement judiciaire subi par une de ses filiales française détenant le site de raffinerie de Petit-Couronne325. 322 BARBIER (H.), La liberté de prendre des risques, PUAM, 2011. Colloque « Patrimoine et procédures collectives » du 18 octobre 2013. 324 V. en ce sens, GRANIER (Th.) et TESTON (B.), op. cit. 325 TESTON (B.) et BRUN (Th.), Actualité de la fiducie, mai 2012, n° 5, Revue du cabinet Jeantet et Associés : http://www.jeantet.fr/public/file/Actualit%C3%A9%20de%20la%20fiducie%20n%2015%20%28 2%29.pdf. ; Sur les faits de cette affaire médiatisée cf. infra n° 198. 323 108 Suite à des menaces de la part de certains créanciers de cette dernière, l’exécution du plan de redressement arrêté par le tribunal semblait irrémédiablement compromise. Dans le même temps, le blocage du site de raffinerie par les salariés mécontents compromettait les chances de cession de l’entreprise. C’est dans l’optique de dénouer ce conflit qu’une fiducie-gestion326, d’une affligeante simplicité, a été imaginée par les praticiens. Celle-ci consistait en substance à transmettre la propriété des stocks pétroliers du site de Petit-couronne dans un patrimoine d’affectation géré par une entreprise spécialisée dans la fiducie, en l’occurrence Equitis. Ce fiduciaire avait pour rôle de revendre lesdits stocks par le biais d’entreprises de négoce de produits pétroliers, désignées par le contrat de fiducie. Les revenus de ces ventes étaient, quant à eux, destinés à alimenter un fonds (une deuxième fiducie de type fiducie-sûreté) géré par les organisations syndicales dans le but de garantir les éventuelles conséquences sociales du redressement en cours327. Ici, remarquons que la fiducie a été utilisée pour démêler une situation sensible, sur fond de procédures collectives, en garantissant à chacune des parties que la négociation sera « win-win »328. §2) L’utilisation de la fiducie comme outil original de sauvetage de l’entreprise : 137 - La fiducie permet aussi d’apporter des solutions lorsque les problèmes se présentent en phase de conciliation ou de sauvegarde. Durant cette phase certains créanciers disposant d’un privilège spécial dit de new money font leur apparition. Il s’agit de ceux qui apportent leur contribution en prêtant des fonds au débiteur durant la conciliation. Ceux-ci, occupent une place de privilégiés par rapport à l’ensemble des créanciers en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judicaire consécutivement à une conciliation en vertu de l’article de l’article L. 622-17 du Code commerce329. Toutefois, étant donné la relativité de ce privilège330, les apporteurs 326 Art. 2011 et s. du C. civ. Ibid. 328 « gagnant-gagnant ». 329 Les créances de new money figurent sont au même titre que les créances salariales et celles nées des frais de justice parmi les premières dans le rang des créances établit par cet article. 327 109 en new money sont peu enclins à consentir des efforts au débiteur sans aucune sûreté complémentaire. Ainsi, l’affacturage et la cession « Dailly » sont deux sûretés, plus efficaces que les sûretés classiques (ex : le nantissement), sont fréquemment exigées par les établissements de crédit331. Parallèlement, la fiducie-sûreté non assortie d’une convention de mise à disposition peut aussi être un outil d’une résistance remarquable aux procédures collectives ainsi que nous l’avons évoqué précédemment332. Elle peut donc, à ce titre, être utilisée par le débiteur afin d’assurer aux apporteurs d’argent frais un droit d’exclusivité dans la réalisation de la sûreté. 138 - Par ailleurs, l’utilisation de la fiducie-sûreté, en tant que garantie efficace pour les banquiers dispensateurs de crédit, peut aussi être utilement couplée avec celle d’une fiducie-gestion afin de permettre le sauvetage d’un groupe de sociétés333. La seconde fiducie permet de faire gérer le free cash flow ou flux de trésorerie disponible334 d’une ou des sociétés du groupe par un fiduciaire dont l’indépendance et la neutralité la plus absolue sont requises à cette occasion. De cette manière, ce dernier distribuera les sommes générées par ce free cash flow à l’ensemble des bénéficiaires selon une clé de répartition objectivement fixée par les parties. L’avantage de l’utilisation combinée de deux fiducies pour les établissements de crédit apporteurs de new money en conciliation est, d’une part, de se prémunir contre l’évaporation des fonds avancés au débiteur, sans être accusé d’immixtion dans la gestion 330 En effet, l’article L. 622-17 du Code de commerce, prévoit notamment que le super-privilège des salariés prime sur le privilège du new money. 331 DAMMANN (R.), L’utilisation de la fiducie comme technique, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 80. 332 Cf. sur la fiducie-sûreté supra n° 88 et s. 333 V. en ce sens, DAMMANN (R.) et VALDMAN (D.), Sauvetage d’un groupe de sociétés grâce à une double fiducie, Gaz. Pal., 28 Juill. 2011, n° 209, p. 5 : à propos de la conciliation d’un groupe de SCI. L’association des deux types de fiducie permet de contrôler la gestion des fonds avancés. 334 Qui revient « aux pourvoyeurs de fonds de l'entreprise qui ont ainsi financé l'actif économique, c'est-à-dire les actionnaires et les créanciers. Ces flux de trésorerie disponibles leur sont versés sous forme de remboursement de l'endettement et d'intérêts (pour les créanciers), de dividendes et de réduction de capital (pour les actionnaires) » : Lexique financier du journal Les Echos. http://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_flux-de-tresoreriedisponible.html?p6GA0HJ8vqvgkuel.99. 110 du débiteur335 et, de l’autre, de disposer d’une sûreté efficace en cas d’ouverture d’une sauvegarde ou d’un redressement. SECTION 3 : La conversion de créances en capital : 139 - Il s’agit de la situation dans laquelle un créancier va devenir l’actionnaire de la société. La conversion de créance en capital peut être proposée, soit par le débiteur afin de réduire son endettement et renforcer ses fonds propres, soit par les créanciers euxmêmes dans l’optique d’obtenir le contrôle de la société en diluant la participation des actionnaires existants et injecter par la suite de l’argent frais. Ainsi, cette technique consacrée par le législateur permet de restructurer le passif du débiteur de manière efficace. 140 - Ici encore une fois, il convient de distinguer deux situations dans lesquelles cette opération peut avoir lieu. En amont, tout d’abord, c’est-à-dire lorsque la société laisse apparaître les premiers signes « avant-coureur » d’une défaillance probable sur le terrain du droit commun des sociétés336. Elle peut aussi avoir lieu dans le cadre des projets de plan soumis au vote des comités de créanciers ou à l’assemblée des obligataires depuis l’ordonnance n° 2008-1348 du 18 décembre 2008, à condition toutefois, que la société défaillante soit une société par actions dans laquelle « tous les actionnaires ne supportent les pertes qu’à concurrence de leurs apports »337. 335 DAMMANN (R.), op. cit., loc. cit. : L’auteur souligne que cela permet de garantir le créancier contre cet écueil puisque l’indépendance du fiduciaire et l’établissement de ratios objectifs gouvernant la répartition des fonds affectés sont de nature à exclure la responsabilité du créancier au titre de l’article L. 650-1 du Code de commerce. Nous ajouterons que cela permet aussi d’échapper à la qualification de dirigeant de fait et d’éviter par là même à la responsabilité pour insuffisance d’actif prévue aux articles L. 651-1 et s. C. com. (cf. infra n° 205 s.). 336 Art. L. 225-128 du C. com. : « Les titres de capital nouveaux (…) sont libérés (…) par apport en numéraire y compris par compensation avec des créances liquides et exigibles sur la société (…) ». 337 Cf. arts. L. 626-30-2 et L. 626-32 du C. com. 111 Depuis la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, cette conversion peut aussi avoir lieu hors comité sans aucune restriction posée quant à la forme de la société débitrice338. C’est le deuxième cas de figure qui retiendra notre attention. 141 - De ce constat dressé, découlent deux observations. D’une part, hors procédure collective ouverte à l’encontre du débiteur, les créanciers séduits par les sirènes de la reprise de leur débiteur ont donc la possibilité d’échanger de manière consensuelle339 leurs créances contre des actions ou des titres de participation (y compris les actions de préférence dépourvus d’un quelconque pouvoir politique). L’avantage est double : pour le débiteur cela permet de restructurer immédiatement son passif, pour le créancier de contribuer à l’amélioration rapide de la situation de l’entreprise lui permettant en retour d’en bénéficier. Concernant, les débiteurs l’objectif est de convaincre les créanciers de la nécessité de restructurer le passif et des perspectives de retour à meilleure fortune. Pour ces derniers, ils doivent, au-delà des problématiques classiques posées par le droit des sociétés340, mesurer les risques de l’ouverture d’une procédure collective postérieurement à leur prise de participation dans le capital de la société en difficulté341. Ils pourront dans ce cas être la cible de plusieurs actions342. De ces perspectives découleront les modalités de la conversion des créances. 142 - D’autre part, notons qu’une conversion de créances peut être imposée aux créanciers minoritaires d’un des comités ou de l’assemblée des obligataires, si le plan, 338 Cf. art. L. 626-5 du C. com. DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), La conversion de créances dans les entreprises en difficulté, BJS 2009. 1129. 340 Si la société est cotée, en matière de droit boursier : déclarations de franchissements de seuils, obligation de lancer une offre publique ; ou encore l’existence de clauses contraignantes dans des pactes d’actionnaire de nature à faire naître un blocage de la société 341 Une conversion de créance peut être annulée lorsqu’elle à lieu en période suspecte : elle est requalifiée, par exemple, en mode de paiement anormal au titre l’article L. 632-1, I, 4° du C. com. De plus, les dividendes perçus par le créancier devenu actionnaire peuvent aussi être annulés si le débiteur était en cessation des paiements (art. L. 632-2 C. com.). 342 DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), op. cit. : Les auteurs exposent les différentes possibilités d’actions, tel que celles encourues en cas d’immixtion caractérisée du créancier dans la gestion de l’entreprise (art. L. 650-1 du C. com.) mais aussi les actions classiques auxquelles doit faire face le débiteur comme la responsabilité en cas de faute de gestion. 339 112 incluant cette possibilité, proposé par le débiteur fait l'objet d'un vote favorable au sein de chaque comité puis est adopté par le tribunal343 conformément à l’article L. 626-30-2 du Code de commerce. Cette disposition apparaît comme une énième atteinte à l’affectio societatis, facilitée de surcroît par la souplesse de la règle exigeant que, dans chaque comité, le plan imposant la conversion soit adopté à la majorité des deux tiers des créances détenues par les créanciers participant au vote du plan344. Dans le même temps et assez paradoxalement, malgré la récente réforme de 2014345 donnant la possibilité aux créanciers de présenter un projet de plan alternatif à celui du débiteur346, il n’est pas possible d’imposer une modification du capital aux actionnaires sans leur consentement dans le cadre d’une assemblée générale conformément au droit commun347. 143 - Soulignons que la possibilité d’imposer une conversion est bénéfique du point de vue de la restructuration du passif. Il s’agit en quelque sorte d’un abandon forcé de la créance du créancier, en contrepartie, les perspectives de sauvetage de l’entreprise constitueront pour lui une sorte de clause de retour à meilleure fortune348. Au surplus, le créancier, bien que récalcitrant, pourra participer activement aux délibérations sociales de la société, si tant est que l’action obtenue ne soit pas préférentielle, et ainsi imposer des décisions à son débiteur. À cet égard, il pourra, surtout, augmenter sa participation afin de contribuer au redressement de l’entreprise sans y être, toutefois, contraint349. 343 Le tribunal n’est pas lié par la décision des comités et de l’assemblée unique et vérifie à la lumière des observations du mandataire, en vertu de l’art. L. 626-31 du Code de commerce, que les intérêts des créanciers sont suffisamment protégés. 344 Avant l’ordonnance du 18 décembre 2008, à cette règle s’ajoutait celle de la majorité par tête. 345 Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 ; V. en ce sens, DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers résultant de l'ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014, p. 752. 346 Art. L. 626-30-2 modifié c. com. Relevons que les membres de l'assemblée unique ne bénéficieront pas de cette possibilité de présenter un plan concurrent. 347 DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers résultant de l'ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014, p. 752 ; cf. infra n° 144. 348 DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), La conversion de créances dans les entreprises en difficulté, BJS 2009. 1129. 349 Ibid. En conformité avec le droit commun puisque l'article 1836 du Code civil pose le principe général selon lequel on ne peut augmenter les engagements d'un associé contre son gré, c'est-àdire « aggraver la dette contractée par [lui] envers la société ou envers les tiers » 113 Néanmoins, cette conversion forcée n’est possible que lorsqu’il existe des comités de créanciers350. Ainsi, seuls sont concernés les créanciers membres du comité des établissements de crédit et assimilés, du comité des principaux fournisseurs, ou de l'assemblée générale unique des obligataires, à l’exclusion des créanciers hors comités. Pour ces derniers, la conversion ne peut leur être imposée puisque le mandataire judicaire doit recueillir leur avis au préalable, l’absence de réponse valant refus351. On voit donc que dans cette hypothèse le législateur refuse d’imposer à un créancier de devenir associé dans une société ayant des difficultés financières sans que ce dernier ait expressément manifesté sa volonté. 144 - S’agissant, de la conversion de créance en capital au détriment de la volonté des actionnaires, le projet d'ordonnance, soumis à consultation publique durant le mois de décembre 2013, prévoyait initialement qu’en redressement judiciaire, uniquement, une possibilité d'imposer la cession des titres de l'actionnaire majoritaire à des tiers s’engageant à recapitaliser l'entreprise serait possible352. Cette innovation a disparu de la version finale. Ne subsiste aujourd'hui qu'une possibilité, très limitée - voire illusoire -, d'imposer à l'actionnaire une dilution de sa participation353. 145 - En effet, les créanciers désireux d’obtenir une participation dans le capital du débiteur, afin d’écarter certains actionnaires par voie de dilution, puis, subséquemment, participer au sauvetage de l’entreprise en injectant de la « new money » postérieurement à la conversion, ne peuvent en principe forcer leur introduction dans le capital de la société en difficulté contre le gré des actionnaires. 350 Lorsque les conditions posées par les articles L. 626-29 et R. 626-52 du Code de commerce sont remplies. 351 Art. L. 628-18 du C. de commerce. 352 Art. 35, 3° du projet d’ordonnance : http://www.blogavocat.fr/sites/default/files/fichiers//REPUBLIQUE%20FRANCAISE.pdf. 353 DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers résultant de l'ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014, p. 752. 114 Cette situation, bien que déplorable en ce qu’elle n’est pas nuancée, s’explique de ce que la règle générale en matière d’augmentation de capital oblige qu’une assemblée générale l’autorise au préalable354. Pourtant, elle n’en en demeure pas moins critiquable car elle s’oppose à un moyen supplémentaire de restructuration de l’entreprise en difficulté. Par opposition, le droit américain, par exemple, permet aux créanciers d’une entreprise défaillante de procéder à une prise de contrôle hostile du débiteur par le biais d’une conversion de créance imposée aux actionnaires355. 146 - À l’évidence, hormis la réalisation des sûretés consenties sur les titres356, lorsque celles-ci résistent à l’ouverture d’une procédure à l’encontre du débiteur357, le créancier peut difficilement contraindre les actionnaires à accepter une conversion de sa créance en capital. Il reste, néanmoins, la possibilité de provoquer un « coup d’accordéon » dont le principe a été validé par la jurisprudence358. Cette technique consiste à imputer les pertes comptables de la société en difficulté, cela entraînera une réduction du capital à zéro impliquant une annulation des actions existantes359. Par la suite, une émission d’actions nouvelles par apport en numéraire entraînera une ré-augmentation du capital et l’apparition corrélative de nouveaux actionnaires. Cependant, force est de constater que les actionnaires soucieux de voir leur participation diluée s’opposeront à cela. À ce titre, le texte définitif de l'ordonnance de 2014 fait un premier pas dans cette direction. En effet, il est prévu que, dans le cadre d'un redressement judiciaire, l'administrateur judiciaire peut demander la désignation d'un mandataire de justice chargé de convoquer l'assemblée des actionnaires et de voter, à la place « du ou des associés ou 354 Art. L. 225-129 du C. com ; l’article L. 626-3 du C. com. ne fait qu’appliquer cette règle du droit des sociétés à l’augmentation de capital en marge de l’élaboration d’un plan. 355 Il s’agit du mécanisme de debt equity swap, V. en ce sens, FARGUES (M.), La conversion de créances en capital, mémoire sous la dir. de GERMAIN (M.), mai 2011, Univ. Paris II PanthéonAssas, p. 43 et s. 356 Dont l’utilisation est d’usage dans le cadre des LBO. 357 Seules les cessions Dailly à titre de garantie voire dans une autre mesure la fiducie-sûreté sur les titres comme nous l’avons évoqué précédemment (cf. supra n° 96 et s.). Les pactes commissoires et autres nantissements sur les titres sont inefficace durant la période d’observation. 358 Cass. com., 17 mai 1994, n° n° 91-21.364, Dr. sociétés 1994, comm. 142, note LE NABASQUE (H.). 359 COZIAN et alii, op. cit., p. 461. 115 actionnaires opposants »360, lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à respecter le plan361. Toutefois, le texte ne prévoit pas expressément le mécanisme du « coup d’accordéon ». Il semblerait que le législateur ne vise dans la loi que la possibilité de rééquilibrer les capitaux propres par rapport au capital social362. En définitive, la conversion de créances en capital contre le gré des actionnaires récalcitrants ne paraît pas être concevable en marge de l’élaboration d’un plan. 360 Art. L. 631-9-1 modifié c. com. DAMMANN (R.) et PODEUR (G.), Le rééquilibrage des pouvoirs au profit des créanciers résultant de l'ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014, p. 752. 362 Ibid. 361 116 CONCLUSION TITRE 2 147 - Au terme de cette analyse, nous conviendrons que des montages juridiques sont utilisés par les praticiens afin de restructurer l’entreprise en difficulté. Ces montages sont en mesure de compléter les solutions apportées par le droit des procédures collectives. En premier lieu l’assemblage d’outils juridiques et financiers destiné à sécuriser les intérêts des créanciers incite ceux-ci à financer les restructurations. Cette situation démontre combien il est important de ne pas négliger les créanciers. Aucune restructuration efficiente n’est possible sans leurs concours. Aucun concours n’est possible sans garanties efficaces. Les praticiens le savent bien. Partant c’est dans cette optique que des montages sont conçus pour protéger les créanciers. Cela se matérialise par une protection à l’égard des débiteurs par le biais de sûretés robustes à-même de permettre le remboursement de leurs créances. Mais ce n’est pas tout, les montages ont aussi un rôle à jouer dans le nivellement par classe des créanciers entre eux. Il s’agira, dans ces cas, d’octroyer à certains des droits de priorité en usant de la liberté contractuelle. 148 - D’autre part, nous l’avons constaté des montages permettent de gérer les risques « d’hémorragie » en ce qu’ils préviennent, en amont, les difficultés ou permettent de les résoudre efficacement et rapidement. Rapidité et efficacité tels sont les maîtres-mots pour une restructuration efficace. À ce titre, la fiducie sort indéniablement du lot. Les perspectives d’utilisation de cet outil d’une souplesse remarquable sont infinies. Son régime demeure, toutefois, à définir. Tel est le chantier majeur auquel doit, nous semble t-il, s’atteler le législateur pour améliorer notre droit des entreprises en difficulté… 117 CONCLUSION PARTIE I 149 - Les montages sont protéiformes et d’une grande diversité. Cela est le reflet de la pluralité des finalités qu’ils revêtent. Nous avons relevé trois finalités vers lesquelles sont tendues les montages. Permettant, d’une part, de servir les intérêts des débiteurs en protégeant leur patrimoine, ils ne sont pas moins utilisés pour garantir le créancier souvent placé au second rang par notre droit et victime collatérale des montages réalisés par les premiers. Sa protection se concrétise, d’ailleurs, tant à l’égard du débiteur qu’à l’égard des autres créanciers avec lesquels la concurrence fait rage. À cet effet, souvent, à la discrimination légalement prévue dans l’ordre des paiements des créanciers, s’ajoutera une classification consensuelle, convenue entre eux. 150 - Ensuite, nous remarquons que des montages financiers sont au service du redressement de l’entreprise en difficulté en ce qu’ils vont dans le sens du compromis : relevant de l’utopie en droit des entreprises en difficulté… Le rapprochement utile de ces montages avec les nouveaux outils de prévention prévus par le législateur de 2005, ne cessant d’être améliorés au fur et à mesure des réformes, est de nature favoriser la remise en état rapide de l’entreprise. Le montage n’a d’intérêt que s’il est conçu en amont des difficultés de l’entreprise, soit avant toute procédure, soit dans la phase de négociation, voire de pré-négociation du plan. Il ne s’agit en aucun cas de remèdes miracles mais seulement d’outils de facilitation dont l’utilisation se fait à l’aune du droit des entreprises en difficulté. 151 - Enfin, bien que les montages, dans l’ensemble, ont des effets positifs vis à vis de ceux qui les conçoivent, il n’en demeure pas moins qu’une procédure collective peut impliquer un risque de démantèlement à rebours de l’optimisation attendue. En effet, le droit des entreprises en difficulté est un droit d’ordre public impliquant un encadrement minutieux de ces montages. C’est ce que nous aborderons dans le cadre de la partie suivante. 118 PARTIE II : L’ENCADREMENT DES MONTAGES PAR LE DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ 152 - Nous avons montré dans notre première partie que les montages pouvaient endosser trois finalités à l’aune du droit des entreprises en difficulté. L’on sait que les montages juridiques utilisés par les praticiens en tant que manifestation absolue de la liberté contractuelle, sont pour la plupart structurellement reconnus et, en principe, validés par le juge363. 153 - Au travers de l’exposé de différents types de montages en fonction du but vers lequel ils sont tournés, dans un contexte de difficulté émaillant une entreprise, nous avons identifié les enjeux de l’utilisation de l’expression créatrice de la pratique au soutien des limites conceptuelles du législateur. Toutefois, ce dernier ne peut demeurer ignorant des finalités poursuivies par les concepteurs. En effet, le droit en général364 encadre et contrôle a posteriori les montages. Un certain nombre de normes impératives s’imposent aux concepteurs et ne doivent pas être transgressées sous peine de voir l’ensemble de l’édifice tomber comme un château de cartes sous les coups de butoir du tribunal. De là sont nées des notions juridiques telles que l’abus de droit ou la fraude destinées à limiter les détournements de la liberté contractuelle au détriment de l’intérêt général ou des intérêts privés. 154 - Plus particulièrement, le droit des entreprises en difficulté, droit d’ordre public par excellence, n’est, à l’évidence, pas insensible à l’utilisation accrue des montages que ce 363 364 PORRACHIA (D.), op. cit., n° 423 et s. V. en ce sens, Ibid. 119 soit par le débiteur ou par ses créanciers afin de limiter les risques inhérents à la défaillance d’une entreprise. À cet égard, il apporte des réponses spéciales, dérogatoires et donc particulières au contexte des procédure collectives, en sanctionnant avec véhémence la dissimulation illicite de faits qui auraient dû normalement déclencher l’application d’une règle impérative. C’est la définition même de la fraude que le droit des procédures collectives appréhende et réprime par le biais de garde-fous dont l’efficacité peut s’avérer redoutable pour les concepteurs de mauvaise foi (Titre 1). 155 - Remarquons enfin, pour conclure l’introduction de cette partie, que de manière générale nous avons vu que les montages permettent des optimisations dans divers domaines. Lorsqu’une entreprise est en difficulté, le débiteur et ses créanciers recherchent des outils de protection patrimoniale efficace. Le patrimoine est la pierre angulaire du droit des entreprises en difficulté. La recherche du schéma juridique permettant d’isoler une partie substantielle du patrimoine afin de la préserver d’une procédure collective ne relève pas en soi de la tromperie blâmable. Plus particulièrement pour le débiteur le cloisonnement patrimonial, comme nous l’avons vu365, est le but primordial recherché. Néanmoins, lorsque cette soustraction patrimoniale se réalise au détriment des intérêts patrimoniaux des créanciers, elle est sanctionnée par le droit des entreprises en difficulté (Titre 2). 365 Cf supra n° 20 et s. 120 TITRE 1 : La fraude comme obstacle rédhibitoire limitant la portée des montages juridiques : les rocs de l’incohérence366 156 - La fraude est l’écueil omniprésent à éviter pour les concepteurs de montage. Au sens commun, la fraude est entendue comme un acte de mauvaise foi ou de tromperie367. Il va sans dire que cette notion multiforme est difficile à définir de manière générale. Sur ce point, le Professeur Jean STOUFFLET écrivait : « S’il est difficile de proposer une définition de la fraude valable pour les multiples applications de cette notion, du moins n’est-il pas contestable qu’un comportement n’est jamais considéré comme frauduleux que si l’agent méconnaît consciemment une règle et s’il cherche à s’assurer un avantage illégal »368. En matière civile, il s’agit d’un acte qui a été réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'exécution des lois369. En matière fiscale, la fraude est considérée comme le « fait de se soustraire illégalement à l'impôt par des moyens répréhensibles, c'est-à-dire par des procédés ou manipulations que la loi permet de réprimer »370. De ces deux définitions ressortent deux traits caractéristiques de la fraude : 366 Expression empruntée à Madame PEROCHON (F.) in Rapport de synthèse du Colloque organisé à Caen sur les montages juridiques à l’épreuve et service des procédures collectives, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3, p. 86. 367 Littré, Dictionnaire de la langue française : http://www.littre.org/definition/frauder. 368 Cité par LE MESLE (L.) note sous Cass. com., 16 oct. 2012, n° 11-22993, BJE nov. 2012, p. 379, n° 194. 369 BRAUDO (S.), BRAUMANN (A.), Dictionnaire du droit privé : http://www.dictionnairejuridique.com/definition/fraude.php. 370 CORNU, op. cit., v. Fraude. 121 une mauvaise fois patente et une volonté de soustraire, de dissimuler des faits qui auraient normalement dû déclencher l’application d’une norme impérative371. 157 - Le droit éminemment dirigiste des entreprises en difficulté s’est saisi de ce concept juridique afin de déjouer les montages frauduleux. Dans cette branche du droit la fraude se manifeste au regard de l’atteinte potentielle à l’intérêt général c’est-à-dire celui des créanciers. C’est le cas lorsque ces mêmes créanciers accordent frauduleusement des concours à un débiteur afin de « court-circuiter » indirectement les autres créanciers. Cela peut consister, par exemple, à limiter leur risque de pertes en le faisant supporter à l’emprunteur ou aux autres cocontractants de celui-ci par l’octroi d’un crédit ruineux ou la création d’une solvabilité trompeuse372. Dans le cadre restreint de notre étude nous n’aborderons pas cette question. C’est le cas encore lorsque le débiteur isole une partie de son patrimoine a priori appréhendable par l’effet réel de la procédure par le biais de la conception de gages restreint en délimitant de façon étroite et artificielle les contours du patrimoine exposé au risque. En outre, d’autres techniques conduisent à soustraire des biens du gage commun 371 PORACCHIA (D.), op. cit., loc. cit. Nous évoquons là, l’une des dispositions les plus discutées de la réforme des procédures collectives issue de la loi de sauvegarde de 2005, à savoir le principe d’irresponsabilité « tempérée » du dispensateur de crédits qui figure à l’article L. 650-1 du Code de commerce. Cet article dispose, en effet, que : « Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude (soulignés par nous), d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci ». Il a reçu une interprétation assez stricte de la jurisprudence réduisant quasiment à néant les possibilités de poursuivre les créanciers sur ce fondement : V. en ce sens, Cass. com., 7 fevr. 2012, n° 1028.757 et n° 11-10.252. Spécialement s’agissant de l’hypothèse d’un soutien frauduleux au débiteur, voy. Cass. com. 27 mars 2012, n° 11-13.536 : La Cour de cassation considère que l’octroi d’une autorisation de découvert consenti par une banque n’était pas frauduleux alors que la situation était irrémédiablement compromise, dans le seul but d’obtenir un cautionnement et Cass. com., 16 oct. 2012, n° 11-22993, BJE nov. 2012, p. 379, n° 194 note LE MESLE (L.) : La Haute juridiction est peu encline à condamner les créanciers ayant contribué au sauvetage en définissant de manière étroite les exceptions à l’immunité de principe des créanciers. Notamment sur la fraude elle voulu se lier les mains dans un domaine soumis, par nature, à la casuistique, en donnant, elle-même, une définition ; Adde sur cette question, HOANG (P.), Risque d'entreprise et risque indemnitaire des partenaires externes de l'entreprise en difficulté, LPA, juill. 2013, n° 137, p. 6. 372 122 des créanciers en s’assurant un avantage au détriment de ceux-ci. C’est cet aspect qui retiendra notre attention. 158 - Dans un premier temps, le débiteur ou un de ses créanciers peuvent chercher, par le biais d’outils juridiques particuliers, à soustraire des biens du gage commun immédiatement avant l’ouverture d’une procédure : durant la période suspecte. Nous verrons que ce procédé frauduleux, puisque la situation de cessation des paiements ne pouvait pas être ignorée par l’instigateur, est sanctionné par notre droit des procédures collectives (Chapitre 1). D’autre part, les montages structurels frauduleux conçus par le débiteur et permettant de limiter les risques patrimoniaux liés à l’entreprise en difficulté373 peuvent être démantelés lorsqu’ils portent préjudice aux intérêts des créanciers par la voie de l’extension de procédure (Chapitre 2). 373 Cf. supra n° 20 et s. 123 CHAPITRE 1 : Les nullités de la période suspecte 374 159 - La période précédant le jugement d’ouverture d’une procédure est propice à la fraude. Le débiteur dont la situation est alarmante sera tenté d’élaborer un artifice pour tricher afin de « sauver les meubles » en organisant son insolvabilité. Parfois, il ne résistera pas à la pression de certains de ses créanciers et y cédera en les favorisant au mépris du principe d’égalité des créanciers. Notre droit de la faillite sanctionne traditionnellement les actes passés par le débiteur en période suspecte. C’est la période s’étalant de la cessation des paiements à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Durant celle-ci le débiteur est en cessation des paiements et, à ce titre, est tenu, en principe375, de demander l’ouverture de la procédure. Lorsque ce dernier ne l’a pas fait immédiatement, il s’expose à un report de la date de cessation des paiements lors du jugement prononçant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation à son encontre, ou la conversion d’une procédure de sauvegarde ouverte, soit par erreur, soit lorsque le débiteur devient en cessation des paiements par la suite. Dans ce dernier cas, la date de cessation des paiements doit être fixée en vertu de l’article L. 621-12 du Code de commerce dans les conditions de l’article L631-8, alinéa 5 du Code de commerce376 de sorte que la procédure de sauvegarde n’avantage pas indûment le débiteur. 160 - Cependant, il n’existe pas de période suspecte lorsqu’il n’y a pas de cessation des paiements, dans la procédure de sauvegarde (voire même dans la procédure de redressement dans cessation des paiements, en conformité avec l’article L. 622-10 C. com.). Même dans les procédures où la cessation des paiements est la condition sine qua 374 Sur le mécanisme en général, v not. SAINT-ALARY-HOUIN (C.) et MONSIERE-BON (H.), J.-Cl. Proc. coll., 2013, fasc. 2502, 2505, 2507, 2508 et 2510 et BLANC (G.), Les actes passés en période suspecte, Rev. Proc. Coll., 2006, 66. 375 Sauf si le débiteur à sollicité une conciliation sans excéder les 45 jours de cessation des paiements : cf. art. L. 611-4 du C. com. 376 V. sur les difficultés liés aux conditions de fixation de la date de cessation des paiements, les articles rédigés par les auteurs cités par la note 350. 124 non, l’article L 631-8 du Code de commerce pose un principe selon laquelle il n’y a pas de période suspecte. La date de cessation des paiements est présumée être celle du jugement d’ouverture de la procédure. Ainsi, si le juge ne fixe pas de date différente dans son jugement, il y a présomption d’absence de période suspecte. Celle-ci peut être combattue par la preuve contraire dans l’année suivant le jugement d’ouverture ou de conversion377. La période suspecte ne peut excéder dix-huit mois (vingt-quatre en tenant compte du II de l’article L. 632-1 C. com.). Si une procédure de sauvegarde a été ouverte en dépit de la cessation des paiements du débiteur, la période suspecte remontera à compter de la date de jugement d’ouverture de la sauvegarde378. En revanche lorsque la soumission du débiteur résulte d’un jugement d’extension de procédure379, conformément au principe d’unicité de la procédure, la date de cessation des paiements est celle fixée dans la première procédure380. 161 - Les actions en nullité des actes modifiant anormalement la géométrie du patrimoine du débiteur en cessation des paiements obéissent à un régime spécialement prévu par le droit des entreprises en difficulté (Section 1) destiné, notamment, à stigmatiser certains montages frauduleux conçus à cet effet (Section 2). À cette occasion, nous exposerons cet aspect sans s’y attarder outre mesure compte tenu de la délimitation de notre sujet. 377 Cf. arts. L. 631-8, al. 4 et L. 621-12 C. com. art. L. 631-8, al. 5 C. com. 379 Cf. infra n° 170 s. 380 Cass. com. 16 juin 2004, n° 01-17.234. 378 125 SECTION 1. Le régime des nullités en période suspecte 162 - D’une part, de manière générale, les articles L. 632-1 et L. 632-2 du Code de commerce applicables aussi bien en redressement qu’en liquidation judiciaire visent un certain nombre d’actes énumérés dans une liste limitative. Dans un souci de sécurité juridique le législateur a circonscrit le domaine des actes frauduleux, passés par le débiteur ou par les créanciers, susceptibles d’être annulés. Certains actes sont annulables de droit381 compte tenu de leur nature intrinsèquement anormaux au regard de la cessation des paiements du débiteur. Nous observons pour ces actes une présomption irréfragable de fraude. En d’autres termes, on considère que le débiteur ou son créancier ne pouvaient méconnaître la situation de cessation des paiements et ont sciemment tenté de soustraire une partie du patrimoine de l’effet réel de la procédure. D’autres nullités sont facultatives382 et laissent plus de marge d’appréciation au tribunal. L’acte annulable doit avoir été fait en principe avant le jugement d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire383 et depuis la date de cessation des paiements384, c’est à dire, plus exactement, à compter de la première heure du jour fixé pour la cessation des paiements385, sans excéder la durée maximale de dix-huit mois (ou vingt-quatre dans certains cas). Les actes accomplis le jour même du jugement d'ouverture sont réputés, en vertu de la rétroactivité du jugement à zéro heure de sa date, accomplis après le jugement d'ouverture et ne tombent donc pas sous le coup des nullités de la période suspecte386. Une fraude récurrente et parfois efficace consiste à antidater l’acte passé en période suspecte de manière à ce qu’il semble antérieur à celle-ci387. Il s’agit d’une simulation au sens du droit civil388. 381 La liste des actes figure à l’art. L. 631-1 du C. com. Art. L. 631-2 C. com. 383 Cass. com. 19 janv. 1999, n° 96-18.772 : L’arrêt précise qu’un acte accompli en période suspecte est forcément antérieur au jugement d’ouverture. 384 Art. L. 631-8 C. com. 385 Cass. com., 28 sept. 2004, n° 03-10.232. 386 Cass. com., 19 janv. 1999, no 95-15.825 387 PEROCHON (F.), Entreprises en difficultés, L.G.D.J, 9e éd., p. 688. 388 La simulation est régie par l'article 1321 du Code civil : "Les contre-lettres ne peuvent avoir d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles n'ont point d'effet contre les tiers." ; V. son application pour encadrer les montages juridiques de manière générale PORACCHIA (D.), op. cit., n° 671 et s. 382 126 Notons que les actes ne sont pas nécessairement conclus à titre onéreux puisque l’article L 631-2, II du Code de commerce prévoit les actes à titre gratuit et même proroge, à cet effet, la durée possible de la période suspecte de dix-huit à vingt quatre mois. 163 - D’autre part, l’action en nullité est une action dite attitrée, c’est-à-dire dont l’exercice est réservé aux personnes visées par l’article L. 632-4389. Le liquidateur judiciaire, pourtant l’organe agissant le plus sur ce fondement, n’est pas visé par l’article en raison de sa localisation dans une partie du livre VI consacrée au redressement judiciaire. Toutefois, étant donné que cet article a vocation à s’appliquer en liquidation390, il ne s’agit que d’une simple maladresse légistique. Par conséquent, la nullité est relative391 puisque ni le débiteur, ni les créancier n’ont le pouvoir d’agir sur ce fondement selon une jurisprudence constante. Cela est en opposition avec la défense de l’intérêt général qui gouverne la répression de la fraude par le droit des entreprises en difficulté. En effet, toutes les victimes de fraude ne semblent pas en mesure d’agir en conséquence. Il en va ainsi par exemple de l’AGS qui n’a pas qualité pour agir392, D’où la possibilité offerte aux tiers d’exercer l’action paulienne de l’article 1167 Code civil destinée à combattre sur le fondement de cette garantie du droit commun des obligations393, sous certaines conditions strictes, l’appauvrissement anormal du débiteur394. Cette action n’est pas soumise à l’interdiction des poursuites individuelles395 lorsqu’elle a pour but de sanctionner une fraude contre le gage particulier d’un créancier et non le gage commun396. Enfin l’action en nullité d’un acte passé en période suspecte ne peut être enfermée dans aucun délai. Le liquidateur judiciaire peut agir sur ce fondement aussi longtemps qu’il 389 « L'action en nullité est exercée par l'administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan ou le ministère public. Elle a pour effet de reconstituer l'actif du débiteur ». 390 Art. L. 641-14 C. com. 391 Cass. com. 26 avr. 2000, n° 97-20.656. 392 Soc. 13 févr. 2008, n° 06-44.234. 393 Expression empruntée au professeur MESTRE (J.) obs. ss Cass. com. 11 fevr. 1986, RTD civ., 1986, p. 601. 394 L’insolvabilité apparente du débiteur doit être établie par le créancier agissant sur ce fondement ; V. en ce sens FAGES (B.), Lamy Droit du contrat 2014, V. Fraude et action paulienne, n° 241-15 et s. 395 Cass. com., 2 nov. 2005, n° 04-16.232 ; 396 V. SAUTONIE-LAGUIONIE (L.), Th. La fraude paulienne, sous la direction du Professeur Wicker (G.), L.G.D.J, coll. bibl. de dt. privé, juillet 2008. 127 demeure en fonction397. Il faut en pratique la réaliser rapidement puisque dès lors que les créances de l’autre partie ont été admises au passif de la procédure, l’action ne peut plus être exercée398. 164 - S’agissant de l’effet de la nullité, celui-ci est erga omnes c’est-à-dire qu’il s’impose à tous les tiers, qu’ils soient ou non de bonne foi399. La solution particulièrement sévère pour les concepteurs de montages frauduleux se justifie par la protection de l’intérêt général. Certains auteurs, estiment, très justement, que cette position est trop rigoureuse en ce qu’elle sacrifie à l’intérêt collectif les intérêts du tiers et la sécurité juridique400. La conséquence de la nullité, quant à elle, est la réintégration des biens soustraits au gage commun dans le patrimoine de la masse des créanciers de la procédure collective. Elle profite donc, bon gré mal gré, au débiteur et surtout à la communauté des créanciers victimes des actes frauduleux. Une fois ce constat exposé, il convient tout particulièrement de confronter ce régime particulier des nullités en période suspecte avec l’utilisation de certains instruments juridiques, que nous avons développé précédemment401, impliquant l’isolement de certains biens au mépris du gage commun. SECTION 2. Les montages stigmatisés 165 - Plus spécialement, nous avons évoqué dans la première partie trois types d’outils juridiques permettant de concevoir un montage afin de soustraire certains biens du patrimoine appréhendé par l’effet réel de la procédure : l’EIRL (§1), la fiducie (§2) et la D.I402. Les trois sont susceptibles, lorsqu’ils sont utilisés en période suspecte de manière frauduleuse, d’être annulés. 397 Cass. com., 21 sept. 2010, n° 08-21.030. V. en ce sens, PEROCHON (F.), op. cit., n° 1294. 399 Cass. com., 3 févr. 1998, n° 95-20.389, D. 1999. 185, n. BENABENT (A.). 400 PEROCHON (F.), op. cit., n° 1295. 401 Cf. supra n° 20 et s. 402 V. sur cette question déjà traitée dans notre développement supra n° 51. 398 128 §1) L’EIRL à l’épreuve des nullités en période suspecte : 166 - Rappelons qu’il s’agit de l’hypothèse de l’affectation ou modification dans l’affectation par le biais l’EIRL à l’insu du patrimoine impacté par la procédure. En effet, l’article L. 632-1, I, 11° du Code de commerce annule « toute affectation ou modification (de la part du débiteur EIRL) dans l’affectation d’un bien, sous réserve du versement des revenus mentionnés à l’article L. 526-18 dont il est résulté un appauvrissement du patrimoine visé par la procédure au bénéfice d’un autre patrimoine de cet entrepreneur ». La doctrine considère que la modification dans l’affectation signifie en réalité la désaffectation403. Autrement dit, cet article interdit à tout EIRL en difficulté, plus précisément en cessation des paiements, de revoir le périmètre du patrimoine dans le cadre duquel il exerce son activité professionnelle. 167 - Toutefois, la non affectation de biens nécessaires à l’exploitation de l’activité n’est pas sanctionnée par la nullité404. En outre, la règle doit nous semble t-il être appliquée avec souplesse compte tenu du régime de l’EIRL. En effet, une modification dans l’affectation doit s’apprécier au regard de la condition légale d’appauvrissement général du patrimoine de l’EIRL. Le remplacement d’un bien par autre de même valeur ne peut être contesté au titre des nullités de la période suspecte. En revanche l’affectation de dettes ou d’un bien à valeur négative, par exemple grevé d’une sûreté robuste comme la fiducie sûreté sans convention de mise à disposition nous paraît frauduleuse405. On comprend par là que la condition d’appauvrissement fait l’objet d’une appréciation casuistique des juges. Dans le même sens, un auteur considère justement que l’affectation in extremis, par le débiteur EIRL en cessation des paiements, de biens qui étaient compris dans le 403 V. en ce sens, PEROCHON (F.), op. cit., n° 1302 ; BLANC (G.), EIRL : nullités de la période suspecte, Rev. Proc. Coll. 2011-2, 29, p. 104. 404 PEROCHON, op. cit., loc. cit. ; SAUTONIE-LAGUIONE (L.), L’EIRL et les nullités de la période suspecte, BJE, mars 2011, p. 82, n° 9. 405 V. en ce sens, PEROCHON (F.), op. cit., n°1304. 129 patrimoine exploité à titre professionnel dans un autre patrimoine d’affectation, constitue un acte susceptible d’être annulé au titre de l’article L. 632-1 du Code de commerce406. §2) La fiducie à l’épreuve des nullités en période suspecte : 168 - Remarquons d’emblée que le transfert fiduciaire à fin de gestion réalisé par le débiteur en cessation des paiements est spécialement visé par l’article L. 632-1, 9° du Code de commerce. Il s’agit d’un acte annulable au titre des nullités de droit prévues par le législateur. Cela consiste pour le débiteur à transférer un certain nombre de biens dans un patrimoine géré par un fiduciaire afin de les soustraire du gage commun. Cette opération n’est pas blâmable, en soi, tant qu’elle n’est pas réalisée, par le débiteur, en situation de cessation des paiements. Elle permet à celui-ci en présence d’une convention de mise à disposition de mettre à l’abri un bien faisant l’objet de la fiducie. Rappelons à toutes fins utiles, que nous n’avons pas traité la fiducie-gestion dans le cadre de notre étude parce qu’elle ne constitue pas à nos yeux un moyen de protection du patrimoine suffisamment efficace407. 169 - Par ailleurs, la fiducie à fin de sûreté, dont nous avons vanté les mérites408, exposés par les praticiens concepteurs de montages financiers comme l’outil magique au service des procédures collectives et des créanciers en particulier409, n’échappe, cependant, pas aux fourches caudines des nullités en période suspecte. En effet, l’article L. 632-1, I, 6° vise la constitution de certaines sûretés en garantie d’une dette antérieure à l’ouverture de la procédure. Le neuvième alinéa du même article vise de manière dérogatoire l’hypothèse d’une fiducie-sûreté consentie par le débiteur en cessation des paiements à un créancier si elle effectuée pour garantir un crédit concomitamment accordé au débiteur. La fiducie-sûreté s’aligne ainsi au régime des autres sûretés classiques visées par le sixième alinéa précité. Remarquons, ici, que cela affaiblit la 406 V. SAUTONIE-LAGUIONE (L.), op. cit. En effet, l’article L 641-12-1 C. com. prévoit la résiliation de la fiducie-gestion en cas de liquidation judiciaire du débiteur. 408 Cf. supra n° 88 et s. 409 V. DAMMANN (R.), La fiducie comme technique, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n° 3. 407 130 fiducie en tant qu’outil de constitution de sûretés par rapport à la cession « Dailly » à titre de garantie qui elle n’est pas annulable sur ce fondement410. Enfin, la réaffectation de la fiducie-sûreté en garantie d’une autre dette411, par le débiteur en cessation des paiements, renvoie à un même résultat eu égard à l’article L. 631-1, I, 10° du Code de commerce. 410 Cass. com., 28 mai 1996, n° 94-10.361 : La cour de cassation considère que la cession « Dailly » n’est pas un nantissement annulable sur le fondement de l’article L. 632-1, I , 6° du Code de commerce. Depuis, l’ajout de l’alinéa 9 de l’article L. 632-1 du Code de commerce par l’ordonnance de 2008, la solution est discutée par la doctrine : BORGA (N.), Regards sur les sûretés…, RDB juin 2009, p. 9, n° 13, p. 13. 411 Rappelons que la fiducie-sûreté est dite « rechargeable ». 131 CHAPITRE 2 : L’extension de procédure 170 - Nous avons vu que les montages structurels permettent d’isoler, de préserver de manière efficace un bien immobilier en le sanctuarisant dans le patrimoine d’une personne morale différente de celle qui exploite l’activité professionnelle412. De manière générale, ils conduisent à démultiplier la création de personnes morales et, ainsi, à cloisonner plusieurs patrimoines en divisant le risque de généralisation de la défaillance d’une entreprise à l’échelle du groupe. De surcroît, le principe d’autonomie des sociétés mettant à mal l’appréhension du groupe par le droit des entreprises en difficulté atteint son paroxysme à l’échelle internationale et plus particulièrement à l’échelle communautaire413. 171 - De nos jours, eu égard à l’usage classique et réitéré des montages structurels dans le monde des affaires, en tant que moyens d’une efficience remarquable pour optimiser une activité commerciale, agricole, artisanale voire même libérale, le droit des entreprises se devait d’apporter une réponse dissuasive et efficace afin de parer à l’usage frauduleux et détourné de ces techniques. Le procédé est simple, il s’agit d’affecter un ou plusieurs biens dans un patrimoine sociétaire ad hoc distinct et régit par une personne morale afin de réduire la masse du gage commun des créanciers en cas de procédure collective affectant cette dernière. Par voie de conséquence, lorsque le groupe ou un de ses membres connaît des difficultés, notre droit depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005414, prévoit à l’article L. 621-2 du 412 Nous visons le montage SCI/société d’exploitation sur lequel nous reviendrons pas dans le cadre de ce chapitre : s’agissant du fonctionnement à l’aune du droit des procédures collectives et particulièrement de l’action en extension de procédure v. supra n° 28 et s. 413 Pour mémoire, La confusion de patrimoines ne suffit pas à déterminer le centre des intérêts principaux d’une société au sens de l’art. 3 du règlement européen 108, ce qui n’interdit pas l’extension, mais après caractérisation « normale » du COMI : Cf. sur ces questions supra n° 70 et s. 414 Il s’agissait alors de la consécration d’une création prétorienne : l’extension de procédure existait donc d’ores et déjà sous l’égide la législation de 1985. 132 Code de commerce deux situations à la fois prohibées et complémentaires415 entraînant, en conséquence, l’extension d’une procédure déjà ouverte à d’autres personnes dont l’existence relève de l’artifice (Section 1), ou dont le patrimoine est confondu avec celui du premier débiteur (Section 2). Si l’action en extension aboutit, il en résultera une procédure unique traitant indistinctement les actifs et passifs de chaque société afin de rétablir le gage des créanciers. Il s’agit d’un retour à la situation de fait réelle dissimulée par les parties. Le cloisonnement patrimonial érigé par le montage devient inopposable aux tiers. SECTION 1. La fictivité entachant un montage structurel 172 - Le postulat de départ est le suivant : la société créée en exécution du montage structurel revêt un caractère fictif. « Le caractère fictif d’un acte est généralement considéré comme une simulation portant sur l’existence même de l’acte. La mise à l’écart d’un acte fictif entraîne la réapparition de la situation de fait dans laquelle se trouvent les parties » 416. La révélation du caractère fictif d’une société a pour effet de faire tomber le voile de la personnalité morale fantoche. Ce faisant, le patrimoine frauduleusement cloisonné se retrouve rattaché avec celui de la personne qui a agit sous son couvert. De même que le droit commun, la réponse du droit des entreprises en difficulté à la fictivité conduit à la négation du montage structurel artificiel. Toutefois, à la différence du droit commun des sociétés, la sanction est l’extension de procédure au groupement fictif, et non, la nullité non rétroactive417. 415 À telle enseigne qu’il est permis de penser qu’elles se confondent. V. s’agissant de la fictivité sous l’angle du droit commun : PORACCHIA (D.), op. cit., n° 678 et s. 417 DEMEYERE (D.), Personnalité morale et droit des entreprises en difficulté, th. Paris X Nanterre, 2005, p. 389, n° 439 et p. 390, n° 442. 416 133 173 - Attachons-nous à rappeler que la société fictive est une société de façade, simple écran dénué d’activité et de volonté propre418. Sa définition est difficile à cerner tant elle peut revêtir des formes différentes. Le plus souvent la négation de la structure et du fonctionnement rituel peut être une piste éveillant le soupçon chez les créanciers. Quant à l’affectio societatis, critère de validité d’une société au sens de l’article 1832 du Code civil, les associés en sont en principe dépourvus. L’importance de cette dernière caractéristique, en vue de déterminer la fictivité d’une société, est d’ailleurs fortement discutée par une doctrine majoritaire. En effet, étant donné sont caractère floue419, le concept reposant sur l’état psychologique tenant à la volonté des associés de ne pas donner d’existence véritable à la société420 subit l’érosion du temps421. Comme le fait remarquer justement un auteur « la notion de fictivité se détache de celle de simulation422 pour devenir une notion autonome rattachée, non à l’existence du contrat de société, mais plutôt à celle de la personne morale en tant que structure d’accueil d’un patrimoine, ou encore d’une activité »423. Toutefois, si l’absence d’affectio societatis ne suffit pas à elle seule à retenir la fictivité d’une société compte tenu de son appréciation largement entendue par la jurisprudence424, sa présence au contraire écarte l’action en extension de procédure pour fictivité425. 418 ROUSSEL-GALLE (Ph.) et alii, Le groupe de sociétés en procédure collective, LPA, avr. 2010, n° 80, p. 54. 419 V. en ce sens, REBOUL (N.), Remarques sur une notion conceptuelle ou fonctionnelle : l’affectio societatis, Rev. Sociétés 2000, p. 425. 420 SAINT-ALARY-HOUIN (C.), Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 9e éd., n° 385. 421 Par exemple, l’EURL comme nous l’avons évoqué précédemment est une manifestation de ce que ce critère de validité du contrat de société n’est plus qu’un héritage du Code civil de 1804 ; V. entre autres, COZIAN et alii, op. cit., n° 142 et s., sp. n° 145 : Les auteurs notent avec toute l’espièglerie qu’ont leur connaît que : « Même si l’usage du latin évoque quelque cérémonie religieuse, une société n’est pas un cercle mystique et l’affectio societatis n’est pas la communion des fidèles ». 422 Au sens civiliste de dissimulation d’un acte secret et d’utilisation ostentatoire aux yeux des tiers d’acte apparent. Notion au demeurant plus large que la fictivité qui tend comme nous l’explique l’auteur à s’en défaire. 423 PORACCHIA (D.), op. cit., n° 682. 424 V. par exemple en dehors des procédures collectives le célèbre arrêt Ed Les Maraîchers, Cass. com. 10 févr. 1998, n° 95-21.906. 425 Par ex., PARIS, 3e ch. B, 1er juill. 2005, RG n° 2005/05274. 134 174 - S’agissant de la qualité pour agir en extension de procédure pour fictivité, l’article L. 621-1 du Code de commerce prévoit que l’action ne peut être diligentée que par l’administrateur, le mandataire judiciaire, le ministère public ou d’office par le tribunal. À cette liste, il convient d’ajouter le liquidateur qui se substitue en cas de liquidation judiciaire du débiteur au mandataire426. Qu’en est-t-il du créancier d’un associé d’une société dont l’entreprise est en difficulté désirant faire établir la fictivité de celle-ci afin d’appréhender son patrimoine ? A priori, la règle de la suspension des poursuites pourrait s’y opposer. Ce n’est pas ce qu’a, fort opportunément, retenu la Cour de cassation. Elle a considéré, au sujet d’une action en déclaration de simulation introduite par un créancier de l’associé que « l’ouverture d’une procédure collective à l’égard d’une société n’a pas pour effet d’interdire à un tiers, créancier d’un associé, d’en faire établir la fictivité, une telle action ne tendant pas à la condamnation de la société au paiement d’une somme d’argent »427. L’action en déclaration de simulation, plus particulièrement de fictivité, va permettre au tiers qui l’exerce de considérer que le bien de la société fictive réintègre le patrimoine de son débiteur. En revanche, cette solution risque de faire naître un conflit avec les créanciers de la procédure collective qui opposeront aux tiers l’acte ostentatoire. Ainsi, s’ils sont de bonne foi, les créanciers de la société fictive pourront se prévaloir de l’existence de la personne morale428. 175 - Par ailleurs, la jurisprudence s’est saisie de la notion de fictivité construite par ses soins et couronnée par le législateur de 2005. Dans la célèbre affaire Métaleurop, la Cour d’appel de DOUAI429, statuant avant dire droit sur le fond, a eu l’occasion, dans le contexte d’une action en extension de procédure, de définir ce concept à travers le prisme des procédures collectives. Il a ainsi été jugé qu’une « société apparaît fictive lorsqu’elle est dépourvue de toute autonomie décisionnelle, et notamment de la faculté de décider 426 Art. L. 641-4 al. 1er C. com. 427 Cass. com. 18 mars 2008, n° 06-19.968, Dr. sociétés 2008, comm. 116, note COQUELET (M.L.). 428 PORACCHIA (D.), Janvier-décembre 2008 : une année encore foisonnante, Dr. et Patrimoine, mai 2009. 429 DOUAI, 2e ch., 1ere sect., 2 oct. 2003, n° RG : 03/02333, 03/02334 et 03/02893 des parties, D. 2003. AJ. 2571, obs. LIENHARD (A.) ; JCP E 2005, 721, p. 796, note ROLLAND (B.). L’arrêt a été finalement cassé par la Cour de cassation mais la définition est intéressante. 135 dans le cadre des dispositions légales et réglementaires, de sa liquidation ou de sa survie, cette faculté appartenant au maître de l’affaire ». Toutefois, comme l’a défini un auteur430 traditionnellement la société est fictive dès lors qu’elle sert de cadre purement formel à l’exercice d’activité par une autre personne qui ne respecte pas ses règles de fond et de fonctionnement. Il appert que la notion d’absence d’autonomie directionnelle431 se déduisant de l’absence de fonctionnement réel et de vie sociale432 est une définition fonctionnelle efficace de la fictivité. Partant on conçoit assez aisément que la preuve de la fictivité n’est pas une tâche facile. En tout état de cause, il reviendra aux juges du fond d’apprécier in concreto le caractère fictif d’une société433 au regard des pièces rapportées par les parties et autres expertises. 176 - Une doctrine autorisée434 estime que la fictivité est une condition superfétatoire et considère que le législateur de 2005 aurait pu faire l’économie de cette hypothèse d’extension de procédure puisque la notion de confusion des patrimoines permet de l’inclure dans son giron. D’autres auteurs considèrent au contraire que les deux notions se distinguent et, pour ce faire, ils décident de cantonner l’extension sur le fondement de la fictivité au cas d’un groupement fictif ab initio435. À notre avis, la confusion des deux notions n’est pas souhaitable. Certes les deux permettent d’aboutir à la même solution, à savoir la reconnaissance par le juge d’une simulation portant sur l’existence d’un acte. Si l’on tente de distinguer, au regard de la jurisprudence précitée436, les deux notions : D’une part le degré de fictivité d’une société semble se mesurer en fonction de son autonomie décisionnelle tandis que, d’autre part, la confusion de patrimoine est 430 ABEILLE, La simulation dans le droit des sociétés, L.G.D.J, 1938, pp. 181 à 183. Notons que ce n’est pas le critère que retient traditionnellement la Cour de cassation pour caractériser la fictivité d’une société. Elle s’en tient généralement à la définition première de la fictivité, celle retenue en droit des sociétés c’est-à-dire l’absence de vie normale de la société. À ce propos, l’arrêt de la Cour d’appel précité à la note 405, a été cassé par la Cour de cassation par un arrêt du 19 avr. 2005, n° 05-10.094 que nous détaillerons plus loin dans notre développement. 432 LE CORRE (P.-M.), op. cit., n° 213.11, p 301. 433 Ibid. 434 Entre autres, PEROCHON (F.), op. cit, n° 328 ; VALLANSAN (J.), RLDA 2005, 12 s., sp. 18. 435 V. LE CORRE, op. cit, loc. cit. ; DEMEYERE (D.), op. cit., p. 379, n° 425. 436 Cf. supra n° 174. 431 136 caractérisée par une absence d’autonomie patrimoniale. Il s’infère nécessairement de ce qui précède que les deux notions peuvent se rejoindre. Comment concevoir, en effet, une absence d’autonomie patrimoniale sans absence d’autonomie décisionnelle et vice versa ? Les deux vont de pair et appartiennent au même ensemble : la simulation consistant à dissimuler derrière le paravent du principe d’autonomie des personnes morales une situation de fait différente des apparences. Toutefois, nous doutons que la confusion des patrimoines recouvre la fictivité. À tout le moins, il pourrait s’agir de l’inverse. Les flux financiers anormaux résultent nécessairement d’une soumission de l’une des deux entités au pouvoir décisionnel de l’autre rendant ipso facto la société soumise fictive437. Que l’on soit en présence d’une fictivité au sens classique438, ou par confusion de patrimoine439, on est toujours en présence d’une fictivité440. La confusion des patrimoines est en réalité, à notre sens, un des éléments de preuve du caractère fictif d’une société. Cela est souvent le cas, par exemple, pour le couple SCI/société d’exploitation441. L’absence d’autonomie patrimoniale de la SCI préfigure systématiquement une dépendance de celle-ci à la société d’exploitation442. Néanmoins, la Cour de cassation confortée en cela par la loi, n’est, en général, pas de cet avis et se refuse à assimiler à la fictivité, la confusion des patrimoines et rejette, ainsi, les critères prétoriens de la seconde pour fonder la première443. Cette position est défendable en ce que la distinction entre les deux notions ne présente pas seulement un intérêt 437 La Cour de cassation désapprouve cette analyse : cf. l’arrêt Métaleurop Cass. com., 19 avr. 2005, op.cit. 438 Eu égard à la distinction légale, la fictivité telle que l’entend le législateur c’est-à-dire l’absence de volonté commune des associés 439 Le terme de « fictivité par confusion de patrimoine » a été utilisé par PORACCHIA (D.), in Recherche sur les montages conçus par les professionnels du droit, Th. Aix-Marseille, 1997, n° 683. 440 V. en ce sens, BARBIERI (J.-F.), Confusion des patrimoines et fictivité des sociétés, LPA 1996, n° 129, p.14. 441 Cf. supra n° 24 et s. 442 Par ex. cass. com. 12 oct. 1993, n° 89-17.509 : « La SCI était titulaire d'un bail emphytéotique et que, par un bail commercial, elle avait donnés en location à la société Eclair pour l'exploitation d'un centre de loisirs et d'une discothèque, étaient conclus indifféremment par l'un ou l'autre des dirigeants des deux sociétés pour les mêmes travaux sans que la part revenant à chacune d'elles pût être déterminée ; que l'interpénétration entre les deux sociétés et la dépendance de la SCI à l'égard de la société Eclair étaient totales, la SCI n'ayant pour ressource que le loyer versé par la société Eclair et leur patrimoine étant commun ». 443 V. en ce sens, LE CORRE, op. cit., p. 302 ; Adde pour ex., Cass. com. 17 juill. 2001, n° 9818.438 et Cass. com. 8 juill. 2003, n° 01-15.676. 137 théorique. En effet, c'est une des marques du progrès du droit que d'affiner la technique juridique pour qu'elle corresponde au particularisme lié à la diversité des situations de fait. SECTION 2. La confusion de patrimoines entre deux personnes morales 177 - La confusion des patrimoines est, à l’instar de la fictivité, une notion d’origine prétorienne. elle résulte désormais expressément de l’article L. 621-2 alinéa 2 du Code de commerce, pour la sauvegarde, de l’article L. 631-7 rendant applicable la solution, par renvoi, au redressement judiciaire, de même que l’article L. 641-1, I pour la liquidation judiciaire. Ici, les entités d’un groupe de sociétés ne présentent pas l’étanchéité requise, sur le plan patrimonial, pour des structures sociétaires ayant une vie propre. Remarquons que les juges du quai de l’horloge semblent très exigeants pour reconnaître la confusion des patrimoines. Ainsi, déjà dans un arrêt de 1993, jugeaient-ils que la communauté de dirigeants ou d’associés, l’identité d’objets sociaux, la centralisation de la gestion, la communauté de clientèle et l’absence d’autonomie commerciale ne suffisaient pas à démontrer l’unicité du patrimoine de deux structures dès lors que les critères de la confusion des patrimoines n’étaient pas méconnus444. Ainsi, la Haute juridiction valide en principe les montages structurels qui ne doivent pas être systématiquement suspectés. Au contraire, une véritable présomption de validité, de nature à garantir une certaine sécurité juridique, est de mise. 178 - S’agissant des critères de la confusion des patrimoines, la Cour de cassation en a dégagé deux alternatifs. Tout d’abord, celui de l’imbrication des patrimoines, c’est-à-dire une confusion des comptes caractérisée par « une imbrication des éléments d’actifs et de passif composant 444 Cass. com. 11 mai 1993, n° 91-10.569. 138 les patrimoines »445 de deux entités. Cette situation se rencontrant souvent dans les montages SCI/société d’exploitation446, paraît selon des auteurs être plus rare dans les « grands » groupes de sociétés dont les structures financières sont suffisamment cloisonnées447. En outre, par exemple, la Cour de cassation ne considère pas en principe tout soutien financier accordé à une société filiale par sa mère comme une imbrication des patrimoines448. 179 - D’autre part, le critère plus récent et plus flou449 des flux financiers anormaux : il s’agit selon Madame Françoise PEROCHON de transferts patrimoniaux effectués par action ou abstention mais en toute hypothèse, sans justification, ayant entraîné un déséquilibre patrimonial significatif450 de l’une des entités du groupe au profit d’une ou de plusieurs autres. Sur ce dernier point, les avis doctrinaux divergent. Certains auteurs ont développé un argumentaire solide afin de ne retenir qu’une notion unique d’indéterminabilité de la consistance patrimoniale451. Selon cette mouvance doctrinale, les flux financiers anormaux ne sont qu’un indice mettant sur la voie de la confusion des patrimoines. Il est vrai qu’il s’infère de la jurisprudence, en général, que ce critère semble plus difficile à établir, notamment lorsqu’il s’agit des relations financières intragroupe, de sorte que sa portée en est réduite s’il n’implique pas nécessairement une « impossible dissociation des patrimoines »452. 445 Cass. com. 24 oct. 1995, n° 93-11.322 : cet arrêt évoque « un désordre généralisé des comptes et un état d'imbrication inextricable » entre les patrimoines des deux sociétés ; Cass. com. 12 oct. 1993, op. cit. : La Cour de cassation évoque l’interpénétration entre les deux sociétés impliquant une unité de patrimoines. 446 Cf. supra n° 24 et s. 447 ROUSSEL-GALLE (Ph.) et alii, op. cit., p. 55. 448 V. ainsi, Cass. com., 24 mars 2004 n° 01-10927 : Il s’agissait d’un soutien financier accordé par un associé personne physique à la société. 449 PEROCHON (F.), op. cit., 9e éd., n° 327. 450 Ibid. 451 V. en ce sens, PEROCHON (F.), op. cit. ; REILLE (Fl.), La confusion des patrimoines, cause d’extension des procédures collectives, Th., Litec 2006, p. 517 et s : L’auteur de la thèse démontre avec beaucoup d’aplomb qu’en réalité le critère des relations financières anormales ne devrait pas être autonome mais seulement servir d’indice pour caractériser la confusion des patrimoines. 452 REILLE (Fl.), GPC, 8 oct. 2011, p. 22 ; Adde. Cass. com. 5 avr. 2011, n° 10-16496, BJE juill. 2011, n°7, p. 586, note PORACCHIA (D.) : « L’utilisation par le dirigeant de l’association en liquidation judiciaire des sommes appartenant à l’association pour sa vie personnelle, la confusion permanente entre le patrimoine du dirigeant et celui de la structure associative (…) 139 En ce sens, la Cour de cassation dans l’affaire Métaleurop a eu l’occasion d’affirmer que toute anomalie dans les relations financières intragroupe n’équivaut pas à une anormalité des flux financiers de nature à établir la confusion des patrimoines. 180 - Dans cette espèce, où les indices de confusion étaient foisonnants, cassant l’arrêt de la Cour d’appel de DOUAI453 qui avait admis la confusion des patrimoines, la Cour de cassation a estimé : « Qu’en se déterminant par de tels motifs impropres à caractériser en quoi, dans un groupe de sociétés, les conventions de gestion de trésorerie et de change, les échanges de personnel et les avances de fonds par la société-mère, qu’elle a constaté, révélaient des relations financières anormales constitutives d’une confusion du patrimoine de la société-mère avec celui de sa filiale, la cour d’appel, qui ne statuait pas sur le fondement de l’article L. 624-3 du Code de commerce, n’a pas donné de base légale à sa décision »454. Cet arrêt écarte la confusion de patrimoines en présence de conventions de trésorerie. Cette décision s’imposait étant l’usage traditionnel par les groupes de ce genre de procédé. Parallèlement, les échanges de personnel et les avances de fonds ne suffisent pas non plus à établir des flux financiers anormaux. Cette position, on l’aura compris, affaiblit donc ce dernier critère. Toutefois, cette solution doit être nuancée puisqu’il s’agissait ici d’une relation financière entre un holding et sa filiale. Il semble que la Haute juridiction ait pris en compte la nature particulière d’une société holding qui n’est pas une entreprise comme les autres455. Sa position au sein d’un groupe justifierait un assouplissement des critères traditionnels de la confusion des patrimoines456. Ainsi, il est permis d’affirmer que le montage structurel reposant sur un ensemble sociétaire interdépendant apparaît comme un fait permettent au juge du fond de constater que ces flux financiers anormaux caractérisent l’imbrication inextricable des patrimoines (souligné par nous) personnels du dirigeant et de l’association, même si l’ensemble des opérations étaient clairement identifiées comptablement ». 453 Cf. supra n° 175. 454 Cass. com. 19 avril 2005, op. cit., JCP E, 2005, 1274, p. 1421, n°1, obs. PETEL (Ph.) : La Cour de cassation invite implicitement ici le liquidateur judiciaire à agir sur un autre fondement : la responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre de la société mère dirigeante de fait. 455 Cf. supra n° 58 et s. 456 MONSIERE-BON (M.-H.), Colloque Caen sur le montage juridique à l’épreuve des procédures collectives. La situation de la société holding, Rev. Proc. Coll., mai-juin 2013, n°3, p. 60. 140 justificatif des relations financières anormales457, si tant est qu’elles ne soient pas systématiques458 181 - En somme, la confusion des patrimoines repose sur une appréciation casuistique des juges du fond. À l’évidence, la Cour de cassation veille rigoureusement à ce que les critères de la confusion soient établis. Néanmoins, l’extension de procédure doit demeurer l’exception459 afin de sécuriser les montages structurels et ne pas porter une atteinte démesurée à la notion de groupe. Un auteur souligne bien l’intérêt de l’extension de procédure au regard des montages structurels en affirmant qu’il s’agit d’un mécanisme correcteur qui ne doit pas se transformer en mécanisme destructeur460. 457 GRELON (B.) et DESSUS-LARRIVÉ (C.), La confusion des patrimoines au sein d’un groupe, Rev. Sociétés, 2006, sp. 290, n°19. 458 TRICOT (D.), La confusion de patrimoines et les procédures collectives, Rapport de la Cour de cassation 1997, p. 165, sp. 170. 459 ROUSSEL-GALLE (Ph.) et alii, op. cit., loc. cit. 460 PETEL (Ph.) obs. ss. Cass. com., 19 avr. 2005, op. cit. 141 CONCLUSION TITRE 1 : 182 - Dans un premier temps, l’encadrement des montages juridiques par le droit des entreprises en difficulté nous a conduit à les confronter à la notion commune, en droit, de fraude. Nous avons vu que celle-ci est employée par notre droit au travers de garde-fous spécifiques. Les montages structurels ainsi que les outils juridiques qui peuvent être au service à la fois du débiteur, des créanciers ou des deux à la fois doivent être raisonnablement utilisés. Néanmoins, ils bénéficient de manière générale d’une présomption simple de validité de nature à renforcer leur usage par les concepteurs. En effet, l’objectif du droit des procédures collectives ne doit pas être d’obstruer toute volonté individuelle de la part des différents protagonistes de participer sereinement à l’effort de redressement mais de sanctionner les agissements frauduleux tendant à réduire les chances de satisfaction générale. 182 - Plus particulièrement, si le cloisonnement patrimonial destiné à limiter les risques inhérents à la défaillance d’une entreprise n’est pas, par principe, un acte de tromperie ou de mauvaise foi lorsque les conditions d’emploi sont respectées, il n’en est pas moins constitutif d’une fraude lorsqu’il en résulte un préjudice patrimonial porté à l’encontre des créanciers. Cependant, à ce titre, le juge admet de manière restrictive l’extension de procédure faisant même l’objet d’une application modérée par la Cour de cassation. Cette dernière estime, en effet, que la seule fraude traditionnelle aux droits des créanciers n’est pas un motif qui, en tant que tel, permet de justifier l’extension d’une procédure461. Cette autonomie reconnue à l’extension de procédure par rapport à la fraude462 va dans le sens d’une souplesse rassurante pour les concepteurs de montages structurels au détriment des créanciers. 183 - Alors, en considération des limites patentes érigées par les barrières trouvant leur source commune dans le concept de fraude, d’autres ont été mises en avant par le législateur et la jurisprudence afin d’appréhender les montages. Comme les premières, les 461 462 Cass. com. 10 janv. 2006, n° 04-18.917. Au sens large tel qu’il est entendu en droit commun. 142 secondes consistent à décloisonner, déstructurer les groupements par l’adoption d’un fondement juridique différent : le droit commun de la responsabilité civile. Il s’agit, plus particulièrement, des sanctions consécutives à une atteinte patrimoniale des créanciers engendrée par la conception de montages. 143 144 TITRE 2 Le décloisonnement patrimonial à titre de sanction 184 - Étant donné le danger que peuvent représenter les montages juridiques et notamment ceux qui conduisent à une protection accrue du patrimoine du débiteur à l’insu des créanciers, des armes juridiques ont été mis à la disposition de ces derniers afin de combattre les débiteurs peu scrupuleux qui tenteraient d’échapper, tant bien que mal, aux conséquences inéluctables d’une procédure collective. 185 - Ces armes offrent la possibilité de lutter contre les montages à travers la notion générale de responsabilité civile du dirigeant, plus exactement, à travers l’angle du préjudice patrimonial que sont susceptibles de subir les créanciers. Nous verrons qu’elles conduisent, d’une part, au décloisonnement patrimonial au sein d’un groupe de société (Chapitre 1). Pour d’autres sanctions, le but est de réprimer la gestion fautive par les dirigeants de l’entreprise ayant entraîné un préjudice pour les créanciers (Chapitre 2). 145 CHAPITRE 1 : Le décloisonnement patrimonial au sein d’un groupe de sociétés 186 - Rappelons pour commencer que le droit des entreprises, pas plus que le droit commun, ne reconnaît l’existence du groupe de sociétés. Pourtant le mutisme de la loi à son sujet, selon la théorie de la fiction, aurait pu conduire à appréhender cet « objet juridique non identifié ». Toutefois, le principe d’autonomie des personnes morales prend le dessus, et ce semble t-il, pour encore longtemps étant donné la frilosité du législateur sur ce sujet. Cela a pour effet de permettre, nous l’avons évoqué, de réduire considérablement les risques de propagation des difficultés à l’échelle du groupement. Cela permet aussi à certains débiteurs, se dissimulant derrière le voile de la personnalité morale, de contourner frauduleusement leurs obligations au mépris des droits des créanciers mais aussi des normes environnementales impératives. 187 - Le droit du travail, permet aux salariés de contrecarrer, de manière plus efficace encore que le droit des procédures collectives, les plans projetés par les véritables dirigeants de la société défaillante auxquels elle est inféodée. En effet, le droit du travail n’ignore pas l’existence des groupes de société sans, toutefois, reconnaître leur existence. L’instauration par ce droit d’une obligation de constitution d’un comité de groupe par l’entreprise considérée comme « dominante »463 est un exemple éloquent de ce que celuici tend à reconnaître à travers le groupe l’existence d’une « entité économique ». Néanmoins, des auteurs refusent, à juste titre, d’admettre l’existence d’une « personnalité morale en latence »464 dans cette matière. 188 - Dans le contexte spécial du traitement du passif social d’une entreprise en difficulté, les employeurs de « l’ombre », c’est-à-dire ceux exerçant une influence 463 464 V. art. L. 2333-1 et s C. trav. Exemple cité par ROUSSEL-GALL et alii, op. cit 146 déterminante sur la société en difficulté, chercheront par tous moyens à instrumentaliser le principe de l’autonomie patrimoniale des sociétés afin d’échapper à leurs obligations sociales ou environnementales dans le contexte d’une procédure collective. Plus exactement, c’est l’hypothèse dans laquelle, dans le seul but d’échapper à ses obligations sociales ou environnementales, une société mère, dissimulée derrière sa cloison, engendre le déséquilibre de sa filiale en provoquant volontairement son asphyxie afin de bénéficier du régime plus clément offert au débiteur, notamment en matière de licenciement, par le droit des entreprises en difficulté465. 189 - Dans le cadre de ce chapitre nous démontrerons dans un premier temps qu’il existe des correctifs à l’instrumentalisation des procédures collectives par les groupes de sociétés afin d’échapper à des obligations sociales (Section 1). Ensuite, nous verrons, qu’il existe un quatrième outil prévu dans l’arsenal législatif permettant, de manière plus générale, par l’extension des obligations environnementales 465 V. en ce sens l’arrêt Sodimédical, Cass. Com. 3 juillet 2012, n° 11-18.025 : Un groupe allemand Lohmann et Rauscher avait délocalisé une filiale française (Sodimédical) déficitaire en Chine. La situation de cette dernière n’avait cessé de se dégrader, et la société mère était venue en aide au moyen d’avances en compte courant. A maintes reprises, le tribunal de grande instance de Troyes avait annulé des projets de licenciements de la société Sodimédical, estimant que le motif économique n’avait pas été démontré. Suite au rejet réitéré de ses plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), ladite société sollicita le tribunal de commerce de Troyes d’une demande d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, laquelle fut reçue par les juges consulaires. Sur appel du comité d’entreprise, la CA de Reims considéra que la demande d’ouverture était abusive et souligna l’absence d’autonomie de la société Sodimédical vis à vis de la mère. Les juges du fond ont considéré que le débiteur n’avait pour seul objectif que de contourner l’échec répété de ses plans de sauvegarde de l’emploi, et de permettre les licenciements dont les motifs économiques ne pourraient plus être contestés. L’arrêt du 3 juillet 2012 vient casser cette décision qui certes ne nous semble pas dénuée de tout sens mais est néanmoins critiquable à bien des égards. En effet, les juges du quai de l’horloge ont considéré d’une part que l’état de cessation des paiements « est caractérisé objectivement, pour chaque société d’un groupe, par l’impossibilité pour elle de faire face à son passif exigible avec son actif disponible » excluant ainsi la prise en compte de la situation du groupe, et d’autre part ils éludent toute considération du mobile du débiteur dès lors que la cessation des paiements est avérée. La Chambre commerciale de la Cour de cassation dont les motivations reposent sur une interprétation stricte des conditions de l’ouverture d’une procédure de liquidation, récompense les multiples efforts de la société Sodimédical ayant tenté vainement de proposer plusieurs PSE, lorsque celle-ci était encore in bonis, mais semble favoriser l’instrumentalisation des procédures collectives par le groupe afin de restructurer son passif social dans le cadre plus favorable du droit des entreprises en difficulté. 147 de la société en difficulté à sa mère, de déstructurer le groupe de sociétés : ce sont les dispositions prévues par la loi dite Grenelle II (Section 2). SECTION 1. Les correctifs à l’instrumentalisation des procédures collectives par les groupes de sociétés 190 - La jurisprudence en droit social a forgé un écueil, reposant sur le responsabilité civile contractuelle de la mère, pouvant s’avérer redoutable afin de déjouer les montages structurels ouvrant la voie aux velléités malsaines des co-employeurs (§1). Toutefois, ce concept montrant parfois ses limites, d’autres barrières ont été érigées dans le même sens : l’une classique repose sur la responsabilité délictuelle de droit commun (§2), l’autre résulte d’une loi de circonstance, en l’occurrence, la loi pétroplus (§3). §1. L’écueil de la notion travailliste de co-emploi 191 - Lorsque le débiteur est une filiale, la société mère est de plus en plus fréquemment qualifiée de co-employeur466. Cette théorie, inventée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, consiste à reconnaître la qualité de co-employeur. Suite à une action dite Aspocomp467, la qualité de co-employeur est reconnue à une société mère, grand-mère468 voire une ou plusieurs sociétés soeurs, si une triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction avec une filiale469 est démontrée, et cela sans qu’il soit nécessaire de caractériser le lien de subordination entre chacune et les salariés470, alors même que cette théorie puise ses fondements du contrat de travail. 466 Pour de plus amples détails sur la notion, v. REYNES (B.), Groupes de sociétés : la théorie du co-emploi, JCP G, 2012. 1292 ; LOISEAU (G.), Coemploi et groupes de sociétés, JCP S 2011. 1528 467 Du nom du célèbre arrêt Aspocomp de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 17 janvier 2007, n° 05-42551 accueillant favorablement une action en reconnaissance de la qualité de co-employeur de la société mère Aspocomp Group OYJ du groupe. 468 Cass. soc. 20 févr. 2013, n° 11-19.305 469 Cass. soc. 25 janvier 2006, n° 04-45.341 ; Cass. soc., 17 janvier 2007, op. cit. 470 Cass. soc. 22 juin 2011, n° 09-69.021 ; Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-12.278 et s., Métaleurop. 148 Ces trois conditions cumulatives sont appréciées souverainement par les juges du fond471. Lorsque elles sont réunies, cela implique, sans conteste, « un dynamitage du montage sociétaire »472. Mais comme le rappelle l’arrêt Flodor473, il s’agit, en ce cas, d’une exception qui doit, ce faisant, s’apprécier de manière stricte. En outre, le motif du licenciement du salarié s’appréciera alors à l’égard de la société mère co-employeur, de même que la régularité du plan de sauvegarde de l’emploi qui devra être mis en place474. Ainsi, la cessation d’activité de la filiale en raison de ses difficultés ne suffit plus, à elle seule, à justifier le licenciement économique par le co-employeur475. Les licenciements doivent donc être justifiés par le co-employeur sur le fondement d’autres motifs que les difficultés de la fille, sans quoi, ils seront considérés comme sans cause réelle ni sérieuse. 192 - L’absence de caractérisation du lien de subordination entre chacune des entités du groupe visée et les salariés, a eu pour effet d’assouplir les conditions de reconnaissance du co-emploi et d’affaiblir l’efficacité des montages structurels. Ceci a provoqué de 471 Cass. soc., 20 févr. 2013, op. cit. NEAU-LE-DUC (Ch.), Rev. proc. coll., 2011-4, 5., p. 45, n° 5 et s. 473 Cass. com. 13 janv. 2010, n° 08-15.776 : « une société relevant du même groupe que l’employeur n’est pas, en cette seule qualité, débitrice envers les salariés qui sont au service de ce dernier d’une obligation de reclassement (…) » 474 Rappelons que l’entreprise en difficulté bénéficie d’un régime de faveur en cas d’ouverture d’une procédure (V. en ce sens, MORVAN (P.), Restructurations en droit social, LexisNexis, 2013, 3e éd., sp. la partie sur l’entreprise en difficulté) à son encontre et peut à ce titre établir, plus aisément, un plan de sauvegarde de l’emploi dont l’élaboration en droit commun est gouvernée par des règles plus contraignantes. En cas de reconnaissance de la qualité de co-employeur, la jurisprudence sociale affirme que « le licenciement économique prononcé par l'un des coemployeurs mettant fin au contrat de travail, chacun d'eux doit en supporter les conséquences, notamment au regard de l'obligation de reclassement » et, « en l'absence de recherche de reclassements au sein du groupe, indemniser les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse » (Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-12.278 à n° 10-12.325 et s.) ; de même, un plan de sauvegarde de l'emploi doit être « mis en place par chacun des co-employeurs » (Cass. soc., 22 juin 2011, n°09-69.021) et non dans le seul cadre de la société primo-employeur. 475 Cass. soc., 18 janv. 2011, n° 09-69.199 : « lorsque le salarié a pour co-employeurs des entités faisant partie d'un même groupe, la cessation d'activité de l'une d'elles ne peut constituer une cause économique de licenciement qu'à la condition d'être justifiée par des difficultés économiques, par une mutation technologique ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe dont elles relèvent », cela n’était pas le cas en l’espèce puisque « la cessation d'activité de la société MIC ne résultait que de choix stratégiques décidés au niveau du groupe, sans que des difficultés économiques les justifient, au niveau du secteur d'activité du groupe, en a exactement déduit que les licenciements ne reposaient pas sur une raison économique ». 472 149 nombreuses critiques de la part de certains, appelant au retour du critère d’existence traditionnel du contrat de travail : la subordination476. D’autres, dont nous approuvons l’opinion, condamnent le « contournement du droit du travail par l’instrumentalisation des procédures collectives »477 qui justifie l’adoption de critères plus souples permettant, ainsi, au droit social contourné de « rattraper » celui qui le « fuit ». Néanmoins, la Chambre sociale de la Cour de cassation, par excès d’empathie (ou de zèle ?) pour les salariés, n’hésite plus, semble t-il, à reconnaître la qualité de coemployeur bien qu’aucun comportement blâmable n’ait été constaté. À cet égard, la solution de l’arrêt en date du 20 février 2013478 est assez surprenante puisqu’une société grand-mère d’un groupe a été condamnée, en qualité de co-employeur. Pour ce faire, entre autres indices menant au co-emploi, il a été retenu à charge contre elle, le soutien apporté dans la préparation du plan social de sa filiale… ; cela risque sérieusement de dissuader de nombreuses sociétés-mères qui, de bonne foi, tentent de soutenir leurs filiales. Par conséquent, si le juge commercial voit d’un œil relativement bienveillant les montages dans le contexte des procédures collectives, son homologue travailliste n’est pas du même avis loin s’en faut. La sanction du soutien légitime de la société nous semble sévère et de nature à fragiliser des montages structurels tout aussi légitimes. 193 - En somme, les conséquences relatives à la reconnaissance d’une situation de coemploi peuvent être rapprochées de celles de l’extension de procédure en cas de fictivité 476 En ce sens voy. ANTONMATTÉI (P.-H.), Groupe de sociétés : la menace sur l’employeur se confirme !, Sem. Soc. LAMY 2011. 1184. 477 DAMMANN (R.) et FRANÇOIS (S.), Le droit social à l’épreuve de l’instrumentalisation des procédures collectives, D. 2012, p. 2212. 478 Cass. soc., 20 févr. 2013, op. cit. : « que la société Wirth et Gruffat était devenue une filiale à 100 % de la société Autania AG, qui appartenait au Groupe K..., que M. K..., président de la société Wirth et Gruffat, exerçait des fonctions équivalentes dans la société Autania AG, que le domaine exclusif d'activité du Groupe K...comme des deux sociétés était identique, à savoir la fabrication de machines-outils et d'outils, que ces sociétés avaient une clientèle commune, ainsi que des fournisseurs et prestataires communs, que la société Autania AG a conçu, financé et mis en oeuvre le plan de relance de la société Wirth et Gruffat, que M. F..., consultant choisi par le Groupe K..., a assuré la direction de fait de la société Wirth et Gruffat pendant la mise en oeuvre de ce plan, que ce groupe a assuré un soutien financier à cette société jusqu'à la fin du mois de juin 2008 ; qu'elle a pu en déduire qu'il existait entre les sociétés Wirth et Gruffat et Autania AG une confusion d'intérêts, d'activités et de direction suffisant à conférer à la société Autania AG la qualité de coemployeur à l'égard du personnel de la société Wirth et Gruffat » 150 ou de confusion des patrimoines. Il s’agit là d’un décloisonnement patrimonial au sein du groupe de sociétés caractérisé par une immixtion dans la gestion. Le co-emploi est donc bien une arme, forgée par la Chambre sociale de la Cour de cassation479, permettant, pour les créanciers-salariés d’une entité défaillante du groupe, de fragiliser le montage structurel en engageant la responsabilité de la société mère. Encore faut-il que les critères strictement appréciés par les conseils de prud’hommes soient réunis, à défaut de quoi, les salariés pourront tout de même se rabattre sur une autre option bien connue du droit commun : la responsabilité délictuelle. §2. La responsabilité délictuelle 194 - Les salariés d’une filiale en difficulté peuvent rechercher la responsabilité délictuelle de la société mère sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Pour pouvoir agir sur un tel fondement, les salariés doivent se prévaloir d’un préjudice personnel, spécial et distinct des autres créanciers, tels sont les critères dégagés par l’arrêt Bull480. A défaut ils tombent sous le coup du traitement collectif de la procédure. Autrement dit, seul le mandataire/liquidateur judiciaire serait en droit d’agir es qualités de représentant des créanciers481. Dans le même sens, les juges du fond semblent se diriger vers la voie de la reconnaissance de l’utilisation de l’article 1382 en tant que moyen pour les salariés de se prémunir contre le comportement frauduleux des groupes de société en acceptant, assez largement, l’existence d’un préjudice personnel distinct et spécial des salariés, qu’en on juge plutôt : 479 En opposition avec le juge commercial qui est moins compatissant avec les salariés : v. l’arrêt Sodimédical cf. supra note 465. 480 Cass. Soc. 14 novembre 2007 n°05-21239 « la recevabilité de l’action engagée par un créancier d’un débiteur en procédure collective contre un tiers dépend seulement du point de savoir s’il justifie d’un préjudice spécial et distinct de celui évoqué par les autres créanciers » : En l'espèce, la Cour de cassation a reconnu la possibilité d’agir en responsabilité délictuelle à l’encontre de la société mère dès lors que le préjudice résultait de la perte de leur emploi, de la diminution de leur droit dans la participation de la filiale ainsi que la perte de chance de bénéficier du plan social élaboré par le groupe 481 MARTIN (P.), La réparation du préjudice individuel des créanciers dans les procédures collectives, LPA 2001, n° 186, p. 4. 151 Le tribunal de commerce d’Orléans par un jugement du 1er juin 2012 décide que : « le préjudice qui résulte d’une perte d’emploi ou d’un stress compte tenu notamment de l’incertitude sur la poursuite éventuelle de son contrat de travail est un préjudice spécial, personnel et distinct de l’ensemble des autres créanciers »482. Remarquons qu’ici, les juges consulaires vont plus loin encore en accueillant favorablement les demandes des salariés tendant à la réparation d’un préjudice moral. 195 - L’application du régime de la responsabilité civile délictuelle requiert aussi une faute et un lien de causalité. La faute consistera dans la provocation volontaire de la cessation des paiements de la filiale en vue de profiter du régime avantageux, en matière de traitement du passif social et de restructuration salariale, procuré par le droit des entreprises en difficulté au débiteur. Le lien de causalité doit être direct et se déduira du préjudice que subiront les salariés, à savoir celui découlant du licenciement nécessairement causé par la faillite provoquée de la filiale. La faute peut consister en une action ou une abstention483. À titre d’exemple484, prenons les faits de l’arrêt Klarius rendu par la Cour d’appel de Versailles485. Dans cette espèce, la société Klarius SAS France (anciennement Rosi SA, entreprise familiale de fabrication et distribution d’échappements et catalyseurs) a connu un sort que connaissent de plus en plus d’entreprises industrielles. En effet, celles-ci ont tendance à passer de main en main avant d’être reprises par un groupe de sociétés, en l’occurrence britannique, dont l’unique intention est de l’asphyxier et d’entrainer sa chute486. Cela a pour effet « de rentabiliser une réorganisation (quasiment « sans bourse délier ») de l’activité de l’ensemble du groupe »487. 482 T. com d’Orléans, 1er juin 2012, n° 2010-11170. DAMMANN (R.) et FRANÇOIS (S.), op.cit. 484 V. encore les faits jugés par le T. com., 1er juin 2012, op. cit. : Une société mère (par ailleurs qualifiée de dirigeant de fait) assèche sciemment la trésorerie de sa filiale en ne permettant pas le remboursement d'un prêt lorsque cette dernière connaît des difficultés financières. 485 VERSAILLES, 31 octobre 2011, RG n° 10/00578. 486 SERVERIN (E.) et GRUMBACH (T.), Le groupe britannique Klarius intervenant forcé devant la Cour d’appel de Versailles, ou comment l’AGS a transformé un procès indemnitaire en procès exemplaire, Rev. dr. travail, 2012, p. 49. 487 VERSAILLES, 31 octobre 2011, op. cit. 483 152 Suite à cela, L’AGS dans un premier temps puis les salariés licenciés ont dénoncé l’élaboration par les sociétés britanniques du groupe d’une stratégie commerciale visant à l’abandon de la filiale française. Sont invoquées « l’instrumentalisation du droit des faillites et la fraude aux droits de l’AGS488 »489. Pour ce faire, les plaideurs vont engager la responsabilité délictuelle de la société mère de Klarius France. Ils obtiendront « gain de cause » puisque les juges du second degré, après avoir écarté la notion de co-emploi invoquée à titre subsidiaire par les demandeurs, ordonnent la réparation du préjudice subi, tant par les salariés que par l’AGS490. 196 - En définitive, remarquons que, en sus de faire l’économie d’une énième réforme dont l’opportunité est discutable491, l’utilisation de l’article 1382 du code civil, dont le régime est bien connu aujourd’hui, conduit à un correctif efficace à l’instrumentalisation des procédures collectives. La responsabilité délictuelle est l’arme la plus redoutable conduisant au décloisonnement patrimonial du groupe de sociétés. 488 V. notamment, JACOTOT (D.), Le licenciement des salariés d’une composante d’un groupe en liquidation judiciaire : entre droit du travail et droit civil !, Rev. proc. coll., mai-juin 2012, 17. p. 18 : L’auteur rappelle que l’AGS garantit un nombre croissant de créances rattachées à la rupture du contrat de travail. C’est elle qui va garantir le paiement des créances salariales nées au jour du jugement d’ouverture, de même que les diverses indemnités de rupture du contrat de travail. Ses fonds proviennent des cotisations patronales. Il est tentant pour la société mère étrangère, non tenue de cotiser à l’AGS, d’orchestrer la liquidation judiciaire d’une filiale française avec l’idée de profiter du système pour limiter ses coûts. 489 Ibid. 490 Sur la réparation de l’AGS la solution est assez novatrice puisqu’en règle générale l’AGS se substituant aux droits des salariés ne peut exercer d’action que par le biais du liquidateur judiciaire, V. sur cette question, DAMMANN (R.) et FRANÇOIS (S.), op. cit. 491 V. FAGES (B.), réforme de la responsabilité du fait d’autrui et sort réservé aux sociétés mères, RLDC 2007/1, p. 115 et s. : L’auteur présente, entre autres, les pistes conduisant vers une réforme dans le sens de la responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales ; Rapp. Loi Pétroplus infra n° 197. 153 §3. Les sanctions prévues par la loi pétroplus 197 - La loi n° 2012-346 du 12 mars 2012492 dite pétroplus, ajoute au livre VI du Code de commerce la possibilité de recourir à des mesures conservatoires sur des biens appartenant à un des tiers à la procédure de redressement judiciaire d’une personne morale débitrice, dans l’attente de la reconnaissance de la responsabilité pour contribution à la cessation des paiements du dirigeant de droit ou de fait. 198 - Cette loi, qualifiée de circonstance par une doctrine unanime, a rebondi sur une procédure collective très médiatisée. Pétroplus « grand » groupe pétrolier Suisse va, par le biais de sa société mère, tenter de récupérer ses actifs, empêchant, de fait, la poursuite de l’exploitation de plusieurs de ses filiales situées dans divers États membres et notamment de ses filiales françaises exploitant en France des raffineries de pétrole493. Plus généralement, elle est destinée à combattre les actes commis par certains groupes de sociétés internationales considérés comme moralement répréhensibles et ayant des conséquences économiques déplorables. Ces agissements sont du même acabit que ceux dont nous évoquions, précédemment dans notre développement, les tares. Il s’agit, de manière générale, pour des sociétés multinationales de dépecer des filiales en difficulté en reprenant brutalement les biens, propriété des premiers, durant la procédure collective des secondes provoquant ainsi une cessation des paiements de manière artificielle494. 492 LIENHARD (A.), Mesures conservatoires : irruption d’une loi applicable à l’affaire (Pétroplus), D. 2012. Actu. 605 ; ROUSSEL-GALLE (Ph.), La loi pétroplus : quelques réflexions… avec un peu de recul, Rev. Proc. Coll. 2012, Étude 16 ; LE CORRE (P.-M.), Pour quelques barils de plus chez la fille et pour quelque dollars de moins… chez la mère : la loi pétroplus du 12 mars 2012, Rev. sociétés 2012. 407 493 Challenges.fr, 21 janv. 2012 : http://www.challenges.fr/entreprise/20120126.CHA9668/petroplus-soupconne-en-france-defaillite-frauduleuse.html. 494 On remarque, à la suite de certains auteurs comme LE CORRE (P.-M.) in Droit et pratiques des procédures collectives, Dalloz action, 2013/2014, 7e éd, n° 926.09, que l’internationalité des biens et des personnes entraîne un cloisonnement patrimonial particulièrement efficace qui pourra poser un certain nombre de difficultés pour appréhender les actifs… 154 C’est en tout en cas ce que le législateur a cherché à combattre495 à travers cette loi objectivant la situation particulière d’une des filiales française de 550 salariés appartenant au groupe Pétroplus. Dans les faits, quelques heures avant la déclaration de cessation des paiements, la société mère « siphonna » les comptes bancaires de sa filiale, soustrayant ainsi 171 millions d'euros à la procédure collective. Toutefois, la société mère détenait la propriété d'importants stocks de pétrole brut, évalués à 200 millions d'euros, notamment dans le site de Petit-Couronne. Ce faisant, un moyen fut activement recherché afin de les appréhender496 pour payer les dettes de la filiale, en particulier les dépenses liées aux mesures environnementales et au plan de sauvegarde de l'emploi497. 199 - Ce nouvel outil mis à la disposition des créanciers permet d’agir afin « d’ordonner une mesure conservatoire utile à l’égard des biens du dirigeant de droit ou de fait à l’encontre duquel l’administrateur ou le mandataire judiciaire a introduit une action en responsabilité fondée sur une faute ayant contribué à la cessation des paiements du débiteur »498. Il ressort de ce texte l’évocation sibylline d’une nouvelle action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements. Ce nouveau dispositif est voué à être applicable lorsque la filiale en difficulté est en redressement judiciaire et c’est là une des grandes nouveautés. En liquidation judiciaire, il existait déjà l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif499. Mais aucune action en responsabilité à l’encontre du dirigeant de droit ou de fait de la filiale n’était possible en redressement judiciaire. L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif doit se substituer à la nouvelle action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements en cas de conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire. En outre, l’article L. 651-1 du Code de commerce, prévoit que lesdites mesures conservatoires survivront à une telle situation. 495 Cf. Rapport AN, n° 4411. Rapp. supra n° 136 sur l’utilisation de la fiducie à l’occasion de cette affaire. 497 V. en ce sens, MORVAN (P.), La loi pétroplus, les procédures collectives et … les salariés, JCP E, janv. 2013, n°4, Ét. 1047. 498 Art. L. 631-10-1 du C. com. 499 Cf. infra n° 205 s. 496 155 200 - Le législateur n’indique pas la nature de la faute du dirigeant contribuant à la cessation des paiements de la filiale. Il semble qu’il faille se décider, ici, au regard du régime gouvernant la responsabilité pour insuffisance d’actif500. Il s’agira donc d’une faute gestion de la société mère. Quant au lien de causalité, il s’appréciera encore une fois, mutatis mutandis, en considération de ce qui prévaut en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif501. La faute ne doit pas avoir nécessairement causé la cessation des paiements mais simplement y avoir « contribué ». Le lien de causalité est donc des plus distendu. S’agissant du préjudice réparable, il résultera des conséquences pour la filiale débitrice de l’affaiblissement programmé de son activité par la soustraction de certains biens indispensables appartenant au groupe de sociétés. 201 - Certains auteurs502 considèrent qu’au lieu de voir dans cette nouvelle action une déclinaison de l’action pour insuffisance d’actifs dont le régime resterait à bâtir, un rapprochement utile peut être fait avec le régime connu de l’action en responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil503. À ceci nous objecterons que les deux actions n’ont pas la même finalité. La première action est destinée à protéger les intérêts à la fois individuels du débiteur et collectifs des créanciers tandis que la seconde consiste à réparer le préjudice distinct, spécial et personnel d’un créancier. Le rapprochement avec le régime l’action en responsabilité pour faute de gestion est plus opportun. 202 - En somme, La loi Pétroplus permet donc de mener à un décloisonnement des patrimoines des sociétés du groupe. En particulier, elle permet, tout d’abord, de saisir à titre préventif des biens d’une société mère du groupe ou de toute autre société exerçant une direction de droit ou de fait lorsqu’une action en vue de faire condamner ceux-ci pour contribution à la cessation des paiements est en cours. Puis, de céder ces biens et, finalement, affecter les sommes obtenues au plan de sauvegarde de l'emploi et aux autres 500 LE CORRE (P.-M.), op. cit., 7e éd., n° 926.21. Ibid. 502 MORVAN (P.), op. cit. 503 Cf. supra n°194 et s. 501 156 créances salariales504. Notons que la réussite de l’action en responsabilité est indispensable puisqu’à défaut, les sommes affectées devront être remboursées au propriétaire des biens saisis. Ce régime complexe a fait l’objet de nombreuses critiques justifiées505, dont nous ferons l’économie des détails, démontrant la fragilité de cette arme de destruction des montages structurels. SECTION 2. L’extension spécifique de la loi Grenelle II 203 - La référence aux obligations environnementales trouve de plus en plus souvent écho en droit des affaires et plus spécialement en droit des entreprises en difficulté en raison de l’émoi suscité par des affaires récentes506. À cet égard, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 dite Grenelle II, portant engagement national pour l'environnement, prévoit que le tribunal de la procédure de liquidation judiciaire, sur demande du liquidateur judiciaire, peut décider de condamner la société mère auteur d'une « faute caractérisée (...) qui a contribué à une insuffisance d'actif de la filiale »507, à supporter le financement de la remise en état du ou des sites en fin d'activité. 204 - Le but est de faire supporter à l’actionnaire majoritaire, même non dirigeant, d’une filiale, les sommes nécessaires au financement de la remise en état d’un site pollué. En règle générale, il s’agit de la société-mère. L’activité doit avoir été exploitée par une filiale au sens de l’article L. 233-1 du Code de commerce, soit une société détenue par une autre à hauteur de 50 % au minimum. La qualité d’exploitant d’une installation classée au sens de l’article L. 511-1 du Code de 504 V. en ce sens, MORVAN (P.), op. cit. V. entre autres, PEROCHON (F.), De la mesure dite conservatoire à l’exécution sommaire anticipée, BJE, 2012, 73 : L’auteur critique vigoureusement l’étape de la cession des biens saisis à titre préventif. 506 L’affaire Métaleurop, dont nous avons parlé (cf. supra n° 180), avait provoqué l’indignation générale car la société mère étrangère s’était complétement désintéressée des problèmes environnementaux engendrés par la cessation d’activité de sa filiale française. Rappelons que dans cette affaire la confusion des patrimoines avait été écartée par la Cour de cassation ce qui avait laissé entrevoir la possibilité d’agir sur un autre fondement : la responsabilité pour insuffisance d’actif contre la mère. Le législateur s’est donc manifestement inspiré de cette solution pour mettre en place de nouvelles sanctions environnementales. 507 L. 512-17 du C. env. 505 157 l’environnement pour la filiale est requise et, à ce titre, elle est tenue d’une obligation de remise en état, en tant qu’ultime exploitant du site. Elle est également débitrice de cette obligation en tant que cédant de l’entreprise exploitant un site polluant et que le cessionnaire n’a pas repris le site pollué. À défaut d’exploitation du site, le propriétaire n’est pas tenu par cette obligation. Ce dispositif permet tout particulièrement d’éviter les montages à deux niveaux508 ayant vocation à vider de portée l’article L. 512-17, alinéa 2 du Code de l’environnement en prévoyant que si une filiale, qui exploite, est détenue par une société, si cette dernière a été condamnée et qu’elle n’est pas en mesure d’assurer le financement de la remise en état du site pollué par sa filiale, c’est la « grand-mère » souvent un holding, c’est-à-dire la personne morale détenant la société actionnaire majoritaire de la filiale exploitante, qui sera recherchée en responsabilité et non plus seulement sa mère509. 508 Par montage à deux niveaux nous entendons un lien de parenté « bi-générationnel » et vertical : une filiale, une mère et une grand mère. 509 MONTÉRAN (Th.), Liquidation judiciaire et sites pollués : une action en recherche de maternité, D. 2010. n° 2859 et s., sp. 2860. 158 CHAPITRE 2 : La sanction patrimoniale consécutive à une faute de gestion 205 - L’autonomie des personnes morales fonde un cloisonnement en principe efficace. Parmi les fondements posés par le droit des entreprises en difficulté permettant d’éviter l’utilisation dévoyée de ce principe dans le but d’échapper, par le biais de montages structurels, à toute appréhension du patrimoine in bonis par une procédure, la responsabilité consécutive à une faute de gestion en est un. 206 - Jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 décembre 2008, il existait deux sanctions patrimoniales à l’encontre du dirigeant d’une société en difficulté qui étaient prévues par le livre VI du Code de commerce. La responsabilité pour insuffisance d’actif et l’obligation de contribution aux dettes sociales. Étant donné que les régimes des deux actions étaient similaires, le législateur de 2008 n’en a retenu qu’une : la responsabilité pour insuffisance d’actif (RIA), qui fera l’objet, ici, de notre attention. 207 - En tout état de cause, l’article L. 651-2, alinéa 1er, prévoit qu’en présence d’une insuffisance d’actif, « le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables ». Il s’agit donc de sanctionner le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale en procédure de liquidation judiciaire510, dès lors que sa faute de gestion, par exemple un retard dans la déclaration de la cessation des paiements, a contribué à l’insuffisance d’actif de l’entreprise. 510 Cf. art. L. 651-2 C. com. 159 Au-delà de l’examen précis, sortant du cadre de notre sujet, de la faute de gestion : notion au demeurant malléable, mouvante, sur laquelle repose cette action511, contentons-nous de démontrer que la sanction patrimoniale consécutive à cette faute de gestion du dirigeant permet de limiter l’efficacité de certains montages ayant fait l’objet de notre étude. 208 - Plus particulièrement, la responsabilité pour insuffisance d’actif peut atteindre aussi bien l’EIRL (Section1), que l’une des sociétés d’un montage structurel en tant que dirigeant de fait (section 2). SECTION 1. L’EIRL à l’épreuve de la RIA 209 - L’entrée en vigueur du statut de l’EIRL a permis de retenir la responsabilité de l’entrepreneur fautif en cas de mauvaise gestion de son activité au titre de son patrimoine affecté visé par une procédure de liquidation judiciaire512. L’action consistera à prononcer une sanction patrimoniale atteignant ses autres patrimoines. Toutefois, bizarrerie du législateur, l’article L.651-1 du Code de commerce vise seulement le patrimoine affecté. Or, on sait que l’activité de l’entrepreneur cible de la procédure collective peut aussi se loger dans le cadre de son patrimoine non affecté. Cette solution malvenue conduit donc à une immunité de l’entrepreneur lorsque son activité est exercée dans son patrimoine non affecté. 210 - En somme, l’EIRL est susceptible d’engager sa responsabilité, cela affecte ses patrimoines prétendument à l’abri de la procédure collective entachant son activité et constitue un écueil que l’entreprise doit prendre en compte513. De surcroît, la multiplication de patrimoines distincts gérés par un seul et unique entrepreneur paraît être 511 V. par exemple pour un aperçu bref de la question, MESTRE et alii, Droit commercial, L.G.D.G, 2014, n° 1567 et s ; plus complet PEROCHON (F.), Entreprises en difficulté, 9e éd., n° 1486 et s ; voire le nec plus ultra des aperçus, LE CORRE (P.-M.), op. cit., 7e éd., n° 921 et s. 512 Art. L. 651-1 C. com. 513 V. en ce sens, MARTIN-SERF (A.), EIRL : attention aux actions en responsabilité pour insuffisance d’actif, Rev. Proc. Coll., 2011, Dossier 31. 160 un environnement propice à la faute de gestion. La bonne gestion comptable est sûrement l’un des points sur lesquelles il doit se concentrer. D’autant que l’on sait qu’une mauvaise gestion permet facilement de retenir une faute de gestion514. SECTION 2. Les montages structurels à l’épreuve des dangers de la direction de fait fautive : 211 - Sont passibles d’une sanction consécutive à une faute de gestion les dirigeants de fait ou de droit de la personne morale en liquidation judiciaire. S’il n’est pas difficile d’engager la responsabilité du dirigeant de droit mis en évidence par l’ensemble des documents officiels et désigné, en tant que tel, pour gérer le groupement aux yeux des tiers, il semble au contraire plus délicat de prouver l’existence du « marionnettiste ». Or, il est évident qu’afin de protéger au mieux l’efficacité du montage structurel, les sociétés détenant une participation majoritaire de la société en difficulté, parfois par le biais d’une seconde personne morale elle-même s’exprimant par un porte-parole, se garderont de s’exposer directement à la vindicte de la meute des créanciers. Ces derniers peuvent alors démontrer que celui qui, à leurs yeux semblait, a priori, avoir commis une faute de gestion de l’entreprise en difficulté, n’est en réalité qu’un « homme de paille » soumis à un dirigeant de fait. 212 - Cette notion qualifiée par la doctrine de « couteau suisse prétorien » est difficilement déterminable. Le dirigeant de fait serait selon une définition proposée par le professeur Pierre-Michel LE CORRE « la personne qui exerce, directement ou par personne interposée, une activité positive et indépendante d’administration générale d’une personne morale, sous le couvert ou aux lieu et place de ses représentant légaux »515. La jurisprudence évoque une personne accomplissant les mêmes actes de gestion que le gérant de droit sans être investie de ses fonctions516. Cela implique donc nécessairement l’idée d’une immixtion dans la gestion matérialisée par des actes positifs 514 V. par ex., Cass. com. 14 déc. 1993, n° 91-20.839, Dupin c/ Bouffard. LE CORRE (P.-M.), op. cit., n° 921.21. 516 Cass. com. 15 mars 2005, n° 03-19.577 ; Cass. com. 7 mars 2006, n° 04-20.355 ; Cass. com. 6 oct. 2009, n° 08-15.378. 515 161 ne se cantonnant pas à un simple conseil517. Notons que, cette dernière notion, a été consacrée par le législateur à l’article L. 650-1 du Code de commerce au titre des situations de fait permettant de retenir la responsabilité du créancier pour soutien abusif. En revanche, la simple influence exercée par une personne dans une société518, et particulièrement au sein du comité des associés519 ne suffit pas à elle seule à caractériser la direction de fait. On l’aura compris, la démonstration de cette situation relève du domaine de la casuistique. Partant, seul un faisceau d’indices concordants permet d’établir la responsabilité du dirigeant de fait ayant par ses agissements positifs causé la défaillance de l’entreprise. 213 - Les relations entre mères et filiales conduisent très fréquemment les liquidateurs judiciaires à rechercher la responsabilité de la société-mère ayant agi en qualité de dirigeant de fait. Il en va ainsi, par exemple, lorsque la filiale reçoit toutes ses instructions de sa mère520 ou encore, lorsque la société mère continue à exploiter la branche d’activité pourtant filialisée521. De même, les montages structurels à double niveau ne résisteront pas à l’action en RIA, c’est le cas lorsqu’un holding détient une participation majoritaire dans la société mère contrôlant la filiale dans le cadre. L’exemple topique est la procédure collective émaillant la cible dans le cadre des montages LBO. Dans cette configuration, il a été jugé que l’absence d’autonomie de la filiale vis-à-vis de la société mère qui, elle même, agit sous les ordres du holding, est de nature à ouvrir la voie d’une action en RIA à l’encontre de ce dernier522. Toutefois, à l’évidence, la présomption est en faveur des montages structurels. La simple détention 99 % de participation dans le capital d’une filiale ne permet pas, en lui même, de retenir la direction de fait523. 517 LE CORRE (P.-M.), op. cit., loc. cit. Cass. com. 1er mars 2005, n° 02-20.680. 519 Cass. com. 30 mai 2006, n° 05-14.958. 520 Par ex., Cass. com. 6 juin 2000, n° 96-21.134. 521 Cass. com. 23 nov. 1999, n° 97-14.693. 522 Cass. com., 2 nov. 2005, n° 02-15.895, Rev. sociétés 2006. 398, note PORACCHIA (D.). 523 Ibid. 518 162 214 - Remarquons pour finir, qu’en plus d’encadrer les montages juridiques en sanctionnant les abus de personnalité morale. Cette sanction consécutive à une faute de gestion commise par le dirigeant de fait, peut permettre, en pratique, aux organes de la procédure, notamment le mandataire judiciaire de brandir cette arme, dès les phases de négociation amiable524, afin d’inciter le véritable dirigeant à fournir des efforts. En effet, lorsque les preuves d’une faute de gestion sont réunies et impliquent indéniablement la possibilité de requalifier la société mère en dirigeant de fait, elle aura tout intérêt à éviter la liquidation judiciaire de sa filiale. Par conséquent, la RIA est, certes, un outil sanctionnateur et « décloisonnant », mais il peut aussi se transformer en outil proactif. 524 C’est-à-dire soit sous mandat ad hoc, soit en conciliation. 163 CONCLUSION TITRE 2 215 - Les montages juridiques et tout particulièrement structurels sont, à coup sur, exposés aux dangers liés aux sanctions patrimoniales posées par le droit des entreprises en difficulté et érigées par la jurisprudence. L’absence d’autonomie décisionnelle et donc patrimoniale se matérialisant par une immixtion dans la gestion de la filiale en difficulté est le dénominateur commun à toutes les sanctions engendrant des conséquences aux antipodes des effets cloisonnant attendus d’un montage structurel. Il s’agit de l’écueil principal à éviter pour les groupes de société afin d’éviter qu’une société mère ne voit sa responsabilité engagée en dépit du cloisonnement patrimonial censé a priori la protéger. D’ailleurs, cette caractéristique commune se retrouve aussi dans l’action en extension de procédure et fait naître, comme nous l’a démontré l’arrêt Métaleurop525, un concours de qualifications entre les différentes normes impératives encadrant les montages. Cela démontre les liens étroits qu’entretiennent les différentes sanctions proposées par la loi. De fait, elles se chevauchent de par leur identité de nature et sont toutes dirigées vers la même finalité. 216 - Cependant, il convient de relativiser ces dangers puisque les montages structurels bénéficient de manière générale d’une présomption de validité. Ce faisant, les créanciers individuellement ou par le biais de leur représentant devront combattre celle-ci par l’apport d’éléments de faisceaux d’indices de nature à engager la responsabilité du véritable maître de l’affaire à savoir la tête de groupe celle qui n’est pas contrôlée directement ou indirectement par une autre société et qui possède au moins une filiale. 525 Pour les références de l’arrêt cf. supra n° 180. Dans cette affaire, la Cour de cassation avait écarté la confusion des patrimoines et laissé, implicitement, entrevoir la possibilité d’agir sur un autre fondement : la responsabilité pour insuffisance d’actif contre la mère. 164 CONCLUSION PARTIE II 217 - Structurellement reconnu par le droit, le montage juridique, puisant sa source de la loi, consistant dans l’assemblage d’outils juridiques mis à disposition par le législateur, n’en est pas moins soumis au contrôle du droit des entreprises en difficulté dans un contexte conjoncturel. Les éléments le composant ainsi que ses effets et sa finalité doivent respecter un ensemble de normes impératives, érigé par la loi ou forgé par la jurisprudence, destiné à protéger l’intérêt général ou particulier des créanciers des velléités malsaines de certains débiteur ou créanciers. Comme le souligne, le Professeur Didier PORACCHIA le montage doit avant tout être légitime526. Cela vaut pour les montages structurels. 218 - De fait, confrontés aux impératifs du droit des entreprises en difficulté, les montages sont une « entreprise » risquée. Souvent, un élément constitutif du montage sera remis en cause527, ce qui, par effet « boule de neige » entraîne des conséquences lourdement préjudiciables pour ceux qui pensaient bénéficier des effets positifs du montage. L’effet positif dans le contexte des procédures collectives est la protection des intérêts patrimoniaux. Cela est valable aussi bien pour le débiteur lato sensu528 que pour ses créanciers. Les situations dans lesquelles le montage peut être remis en cause sont très variées et dépendent de l’appréciation tout aussi variable de la jurisprudence. Les notions cadres des fondements juridiques sanctionnant les montages sont souvent malléables et floues en plus de se chevaucher. Cela renforce l’insécurité juridique et fragilise d’autant plus les montages. 526 PORACCHIA (D.), op. cit., n° 730. C’est le cas par exemple des actes annulables parce qu’il sont passés durant la période suspecte. 528 Ici par débiteur nous entendons aussi bien le débiteur apparent dans un rapport simple, que le débiteur que nous appellerons débiteur de « l’ombre » c’est-à-dire celui qui se dissimule derrière le paravent d’une autre société tout en exerçant son influence sur le débiteur apparent. 527 165 219 - Cela étant et sans trop exagérer le danger, la sanction des montages demeure l’exception. La majorité des montages résisteront au choc de la procédure collective. Dans cette perspective, le juge adopte une position pragmatique et rappelle constamment le principe de la présomption de validité des montages. Le montage habile et dépourvu d’intention frauduleuse n’est pas, en lui-même, interdit par principe, loin s’en faut. À ce titre, le juge, avant de s’adonner à son travail de qualification, contrôle d’une part, la finalité des concepteurs et, d’autre part, les effets plus ou moins nuisibles des montages à l’égard des intérêts patrimoniaux des créanciers. Pour faire simple, lorsque le montage est légitime voire, a fortiori, au service des procédures collectives, alors il n’y a aucune raison de le remettre en cause. 166 CONCLUSION GENERALE 220 - Abordant l’étude des montages juridiques à l’aune du droit des entreprises en difficulté, nous avons montré, à travers des exemples topiques, que le montage, figure désormais bien connue de notre droit, formidable reflet des moyens offerts par la liberté contractuelle pour aménager un régime propre et dérogatoire, peut avoir plusieurs finalités dans le contexte particulier du droit des entreprises en difficulté. Pour le débiteur, le montage structurel n’est pas conçu à l’origine pour protéger ses intérêts en cas de défaillance mais pour lui permettre d’optimiser son activité en évitant, par l’assemblages d’actes juridiques licites, de subir de front certaines législations contraignantes. Malheureusement, le parcours d’une entreprise est semé d’embûches et dans un climat fortement conjoncturel les difficultés peuvent rapidement faire surface. C’est à ce moment précis que les montages se révèlent salutaires pour le débiteur. Ils permettront d’épargner une partie du patrimoine de ce dernier. De manière générale, ils résisteront assez bien à une procédure collective pour peu qu’ils soient utilisés de manière raisonnable et non frauduleuse. Eu égard à l’internationalisation des rapports économiques, les montages seront souvent transfrontaliers et impliqueront nécessairement des personnes, des biens, des intérêts divergents, qui seront éparpillés aux quatre coins du monde. Chemin faisant, nous avons remarqué que les montages résistaient d’autant plus à l’onde de choc du séisme que provoque une procédure collective. La complexité et le laxisme des régimes tant européens qu’internationaux du droit des faillites ouvrent des brèches considérables dans lesquelles s’engouffrent volontiers les concepteurs. D’autres montages sont conçus pour la protection des intérêts des créanciers. La position délicate qui est la leur dans une procédure collective conduit souvent à les décourager et, ainsi, délaisser le débiteur. D’une part, des montages permettent de rassurer les créanciers en leur procurant des sûretés efficaces. Partant, cela les incite à apporter leur 167 concours dans le sens du redressement de l’entreprise. Le montage satisfait dans ce cas les intérêts de toutes les parties. C’est le cas, par exemple, de la fiducie dont les multiples facettes séduisent indéniablement les praticiens des procédures collectives. D’autre part, des montages garantissent aux créanciers un rang prioritaire dans le paiement de leurs créances. Il s’agit, entre autres, de la subordination de créances assurant aux « seniors » une priorité de paiement conventionnelle sur d’autres créanciers, tels le mezzaneur, qui y trouve quant à lui l’avantage d’une prime de risque substantielle. Ce mécanisme est variable à l’infini et reflète à merveille la capacité de la liberté contractuelle à régir une organisation volontaire d’actes. Enfin, certains montages sont tournés vers le sauvetage de l’entreprise lorsque la situation semble irrémédiablement compromise. Ils ont vocation à dénouer des situations délicates en soutien au dispositif légal. Lorsque plus rien ne semble possible, ils organiseront un changement de contrôle ou un transfert d’entreprise de la manière la plus efficiente via des techniques d’ingénierie juridique et financière. En tout état de cause, les montages juridiques vivifient le droit des entreprises en difficulté. Ils sont, tout d’abord, des instruments permettant de pallier ses limites et ses insuffisances conceptuelles en apportant des réponses pragmatiques pour satisfaire les intérêts de chacun des protagonistes d’une procédure préventive ou collective. Ensuite, les montages rééquilibrent les forces entre le débiteur et les créanciers sensiblement lésés par le droit des entreprises en difficulté, même si, des inégalités sont gommées au gré des réformes. 221 - Cependant, le droit des entreprises en difficulté n’ignore pas l’existence des montages et encadre activement leur utilisation par la mise en place de régimes dérogatoires. Chacun des montages que nous avons présenté peut être appréhendé spécialement par notre droit des procédures collectives et par la jurisprudence. Les régimes applicables sont particuliers et le degré de rigidité de la norme applicable décidera de l’opportunité de l’utilisation de telle ou telle pièce dans l’assemblage final. 168 Par ailleurs, notre droit mais aussi la jurisprudence ont mis à la disposition de ceux qui s’estiment lésés par un montage des armes permettant de les démanteler ou de sanctionner les concepteurs. Ces garde-fous, reposent sur deux notions connues du droit commun, à savoir la fraude et la responsabilité civile contractuelle ou délictuelle. La première se caractérise par une atteinte illicite aux droits des créanciers et entraîne une destruction du montage ou d’un de ses éléments par la nullité des actes ou l’inopposabilité de l’assemblage tout entier. La seconde repose sur le constat d’une immixtion fautive dans la gestion du débiteur apparent par le débiteur dissimulé portant préjudice aux créanciers individuellement ou collectivement. Le juge les applique avec parcimonie et de manière exceptionnelle en contrôlant les conditions d’application de manière stricte afin de garantir une certaine sécurité aux monteurs. À cet égard, une certaine éthique dans l’utilisation des montages est à conseiller pour se prémunir des écueils posés par le droit des procédures collectives. Il est certain que la conception d’un montage après la survenance des difficultés jette la suspicion sur l’honnêteté des concepteurs et sous-tend nécessairement l’existence d’une fraude. De même, l’absence d’autonomie d’une structure d’un montage alors que celui-ci repose justement sur le principe d’autonomie de ses structures implique forcément une anomalie de nature à « dynamiter » le montage. 222 - En définitive, les montages, loin d’être sévèrement stigmatisés par le droit des entreprises en difficulté, sont des moyens légitimes de protection des intérêts patrimoniaux de chacune des parties. Leur utilisation doit rester pour cela suffisamment raisonnable et réaliste. Pour ce faire, les concepteurs ont tout intérêt à anticiper les défaillances de l’entreprise ab initio en prévoyant dès la conception du montage les conséquences plausibles d’une éventuelle procédure collective. Une fois les difficultés survenues, « lâcher ce que l’on a dans la main sous espoir de grosse aventure est imprudence toute pure »529. 529 LA FONTAINE, le loup et le chien maigre, livre IX, n° X. 169 170 BIBLIOGRAPHIE I – OUVRAGES GENERAUX, DICTIONNAIRES : v v v v v BRAUDO (S.), BRAUMANN (A.), Dictionnaire du droit privé : http://www.dictionnaire-juridique.com. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF. Littré, Dictionnaire de la langue française : http://www.littre.org. Le Robert Micro Poche Centre national de ressources textuelles et lexicales, CNRS, http://www.cnrtl.fr. 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Ø CERATI-GAUTHIER (A.) : § § Note. ss. com. 13 septembre 2011 n° 10-24.536, BJE, janv. 2012. Note ss. Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, JCP E 2007, 2157. 178 Ø COQUELET (M.-L.) : § Note sous Cass. com. 18 mars 2008, n° 06-19.968, Dr. sociétés 2008, comm. 116. Ø CROCQ (P.) : § Obs. ss. Cass. com., 22 nov. 2005, n° 03-15.669, D. 2006. Pan. 2855. Ø DAMMANN (R.) et PODEUR (G.) : § Note sous VERSAILLES, 28 févr. 2013, n° 12/02755, D. 2013, p. 829. Ø DIZEL (M.) : § § Obs. ss. Cass. com. 8 janv. 2013 n° 11-30.640, DPDE, mars 2013, n° 346. Obs. ss. Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-12.787 Bull. mars 2012 DPDE. Ø KUNTZ (J.-E.) et NURIT (V.) : § Note sous CJUE, 15 déc. 2011, n° C-191/10, Sté Rastelli Davide, BJS, mars 2012, n°3. Ø LE CORRE (P.-M.) : § Note ss. Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482 ; D. 2012, 2202. Ø LE MESLE (L.) : § Note sous Cass. com., 16 oct. 2012, n° 11-22993, BJE nov. 2012, n° 194. Ø LE NABASQUE (H.) : § Note ss. Cass. com., 17 mai 1994, n° n° 91-21.364, Dr. sociétés 1994, comm. 142. Ø LEGEAIS (D.) : § Obs. ss. Cass. com., 22 nov. 2005, n° 03-15.669, RTD Com. 2006. 169. Ø LIENHARD (A.) : § § Obs. sous DOUAI, 2e ch., 1ere sect., 2 oct. 2003, n° RG : 03/02333 s., D. 2003. AJ. 2571. Obs. sous CJCE, gr. Ch., 2 mai 2006, D. 2006, AJ 1286. 179 Ø LUCAS (F.-X.) : § § § Obs. ss. AIX, 3 déc. 2009, RG n° 2009/556, LEDEN janv. 2010, p.3. Note ss. Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, Dr. Sociétés 2007, comm. 130. Obs. ss. Sous PARIS, 21 janv. 2014, n° 13/15887, LEDEN, févr. 2014, n° 2. Ø MENJUCQ (M.) : § § § Comm. ss. PARIS, pôle 9, 9e ch., 25 févr. 2010, RG n° 2009/22756 : jurisData n° 2010001231 ; Rev. Proc. Coll., Mai-juin 2010, étude 11, p. 11. Note sous Eurofood CJCE, gr. Ch., 2 mai 2006, JCP G, n° 23, 7 juin 2006. Comm. Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, n° 10-13.989 et n° 10-13.990 ; Rev. Proc. Coll., mars-avril 2011, repère 2, p. 1 et s. Ø MESTRE (J.) et FAGES (B.) : § Obs. Sous Com. 7 déc. 2004, n° 02-20.732, RTD civ. 2005. 132. Ø MESTRE (J.) : § Obs. sous Cass. com. 11 fevr. 1986, RTD civ., 1986, p. 601. Ø PEROCHON (F.) : § Note ss. ORLEANS, 6 avr. 2011, RG n° 11/00312, LEDEN mai 2011, p. 5, n° 72. Ø ROLLAND (B.) : § Note sous DOUAI, 2e ch., 1ere sect., 2 oct. 2003, n° RG : 03/02333 s., JCP E 2005, 721. Ø ROUSSEL GALLE (Ph.) : § Note ss. Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-16.216, DPDE, juill. 2013, Bull. n° 350. § Note ss. Cass. com., 23 avril 2013, n° 12.16.035, DPDE mai 2013, Bull. n° 348. § Obs. ss. T. com., Nanterre, 27 févr. 2013, n° RG 2013G0003 et T. com., Nanterre, 27 mars 2013, n° RG 2013L00611, DPDE, juin 2013, Bull. n°349. § Note sous Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482, Rev. sociétés, sept. 2011, 526. Ø SAINTOURENS (B.) : § Obs. Cass com., 26 juin 2007, n° 06-20.820, Rev. Proc. Coll. 2007, pp. 222 et 223. 180 § Note sous VERSAILLES, 13e ch., 19 janvier 2012, n° 11/03519, Rev. Proc. Coll., marsavril 2012, p. 48 s. Ø SENECHAL (J.-P.) : § Obs. Sous Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-12.787 ; BJE mai 2012, p. 137, n° 62. Ø VALLENS (J.-L.) : § Obs. Sous CJCE, 17 janv. 2006, aff. C-1/04, Staubiz-Schreiber ; Rev. sociétés 2006, p. 346. 181 182 TABLE DES MATIERES INTRODUCTION ............................................................................................................. 1 PARTIE I: Les multiples finalités des montages à l’épreuve et au service du droit des entreprises en difficulté .................. 11 TITRE 1 : Les montages structurels limitant les risques patrimoniaux liés à l’entreprise ............................................................................ 13 CHAPITRE 1 : Le cloisonnement patrimonial .................................................................... 14 SECTION 1. Le couple SCI/Société d’exploitation ....................................................... 15 SECTION 2. Les outils d’isolement du patrimoine ..................................................... 25 §1) L’entreprise individuelle et la pluralité de patrimoines ........................................... 26 A) Le cas de l’ EURL ............................................................................................................................................ 26 B) L’EIRL à l’épreuve des procédures collectives ................................................................................. 29 §2) La déclaration d’insaisissabilité ........................................................................................ 34 §3 –La convention d’indivision : ................................................................................................ 41 SECTION 3. La société holding en difficulté ................................................................. 45 §1) Le traitement classique des difficultés d’un holding .................................................. 47 §2) La nature particulière du holding défaillant entraînant l’application d’un régime spécifique ........................................................................................................................... 50 CHAPITRE 2 : Les enjeux des montages structurels au regard du droit supranational ..................................................................................................................................... 55 SECTION 1 : Les groupes de sociétés à l’épreuve du règlement n° 1346/2000 58 SECTION 2 : Les groupes de société à l’épreuve du droit international des faillites ...................................................................................................................................... 64 CONCLUSION TITRE 1 .......................................................................................................... 69 TITRE 2 : Les montages juridiques au service du droit des entreprises en difficulté ............................................................................................. 71 CHAPITRE 1 : LA CONCEPTION DE MONTAGES FINANCIERS PROTEGEANT LES CREANCIERS ........................................................................................................................................ 72 SECTION 1 : La fiducie-‐sûreté comme outil de protection des intérêts des créanciers ................................................................................................................................ 74 183 §1) La fiducie-‐sûreté sur des créances : .................................................................................. 78 §2) La fiducie-‐sûreté sur des titres : ......................................................................................... 81 SECTION 2 : Le montage « Double Lux-‐co » : ................................................................ 82 SECTION 3 : La subordination de créances .................................................................. 83 §1) Le mécanisme général de la subordination de créances ........................................... 85 §2) La subordination de créances et le traitement du passif du débiteur en difficulté ............................................................................................................................................. 89 A) L’élaboration du plan : ................................................................................................................................ 90 B) Le désintéressement des créanciers : ................................................................................................... 94 CHAPITRE 2 : LES MONTAGES A FINALITE SALVATRICE .............................................. 98 SECTION 1 : Le LBO comme technique de restructuration de l’entreprise en difficulté ................................................................................................................................. 100 §1) Le fonctionnement d’un LBO et les effets recherchés .............................................. 100 §2) L’acquisition avec effet de levier d’une société cible « abritant » une entreprise en difficulté .................................................................................................................................... 104 SECTION 2 : La fiducie : un outil original de gestion du risque d’insolvabilité en amont et de sauvetage de l’entreprise en aval ......................................................... 107 §1) La fiducie en tant qu’outil de gestion du risque d’insolvabilité : ......................... 107 §2) L’utilisation de la fiducie comme outil original de sauvetage de l’entreprise : ............................................................................................................................................................ 109 SECTION 3 : La conversion de créances en capital : ................................................ 111 CONCLUSION TITRE 2 ........................................................................................................ 117 CONCLUSION PARTIE I ...................................................................................................... 118 PARTIE II : L’ENCADREMENT DES MONTAGES PAR LE DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ...................................... 119 TITRE 1 : La fraude comme obstacle rédhibitoire limitant la portée des montages juridiques : les rocs de l’incohérence .............................. 121 CHAPITRE 1 : Les nullités de la période suspecte ......................................................... 124 SECTION 1. Le régime des nullités en période suspecte ........................................ 126 SECTION 2. Les montages stigmatisés .......................................................................... 128 §1) L’EIRL à l’épreuve des nullités en période suspecte : .............................................. 129 §2) La fiducie à l’épreuve des nullités en période suspecte : ....................................... 130 CHAPITRE 2 : L’extension de procédure ............................................................................ 132 SECTION 1. La fictivité entachant un montage structurel ..................................... 133 SECTION 2. La confusion de patrimoines entre deux personnes morales ...... 138 CONCLUSION TITRE 1 : ...................................................................................................... 142 184 TITRE 2 Le décloisonnement patrimonial à titre de sanction ......... 145 CHAPITRE 1 : Le décloisonnement patrimonial au sein d’un groupe de sociétés ................................................................................................................................................................ 146 SECTION 1. Les correctifs à l’instrumentalisation des procédures collectives par les groupes de sociétés ............................................................................................. 148 §1. L’écueil de la notion travailliste de co-‐emploi ............................................................ 148 §2. La responsabilité délictuelle ............................................................................................. 151 §3. Les sanctions prévues par la loi pétroplus ................................................................... 154 SECTION 2. L’extension spécifique de la loi Grenelle II .......................................... 157 CHAPITRE 2 : La sanction patrimoniale consécutive à une faute de gestion .. 159 SECTION 1. L’EIRL à l’épreuve de la RIA ...................................................................... 160 SECTION 2. Les montages structurels à l’épreuve des dangers de la direction de fait fautive : ..................................................................................................................... 161 CONCLUSION TITRE 2 ........................................................................................................ 164 CONCLUSION GENERALE ................................................................................... 167 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 171 I – OUVRAGES GENERAUX, DICTIONNAIRES : ..................................................................... 171 II – TRAITES, MANUELS, OUVRAGES SPECIAUX, THESES: ............................................... 171 III -‐ REPERTOIRES, OUVRAGES PRATIQUES ET PUBLICATIONS DIVERSES : ............ 172 IV -‐ ARTICLES DE DOCTRINE : .................................................................................................. 172 V. NOTES, OBSERVATIONS ET COMMENTAIRE DE JURISPRUDENCE : ........................ 178 TABLE DES MATIERES ....................................................................................................... 183 185
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