MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 WWW.LIBERATION.FR I AVEC CE NUMÉRO, LE SUPPLÉMENT Paris I • 1,60 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO10121 MOMES LE PARIS DES ENFANTS DE 0 A 12 ANS Un hiver qui pétille N°89 décembre 2013-janvier 2014. Supplément gratuit à Libération du 27 novembre 2013. Ne peut être vendu séparément. Gratuit. A donner surtout aux parents. Le plus vieux débat du monde Pénaliser le client? La loi qui arrive devant l’Assemblée nationale divise tous les partis. PAGES 25 Lucien Neuwirth, celui par qui la pilule arriva Gaulliste et féministe, cet ancien résistant, mort hier, arracha en 1967 la légalisation de la contraception orale. PAGE 17 CINEMA JAMES GRAY MAGNIFIE MARION COTILLARD DANS «THE IMMIGRANT» CAHIER CENTRAL ANNE JOYCE Extrait de la série «les Filles», Paris, 2011. PHOTO ALIX AURORE, CHLOË SCHNEIDER Prostitution Nouveau plan social chez les militaires Si elle sanctuarise le budget de la défense pour les deux ans à venir, la loi de programmation prévoit encore la suppression de 24000 postes. PAGES 1011 IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,30 €, Andorre 1,60 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,70 €, Canada 4,50 $, Danemark 27 Kr, DOM 2,40 €, Espagne 2,30 €, EtatsUnis 5 $, Finlande 2,70 €, GrandeBretagne 1,80 £, Grèce 2,70 €, Irlande 2,40 €, Israël 20 ILS, Italie 2,30 €, Luxembourg 1,70 €, Maroc 17 Dh, Norvège 27 Kr, PaysBas 2,30 €, Portugal (cont.) 2,40 €, Slovénie 2,70 €, Suède 24 Kr, Suisse 3,20 FS, TOM 420 CFP, Tunisie 2,40 DT, Zone CFA 2 000CFA. 2 • EVENEMENT LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 Cicontre et au centre: Maud Olivier et Catherine Coutelle, rapporteures PS de la proposition de loi, hier à l’Assemblée. A droite, Guy Geoffroy, député UMP, fervent défenseur du projet. La loi prévoyant notamment la pénalisation du client doit être discutée d’ici vendredi à l’Assemblée, divisant au-delà du clivage gauche-droite Prostitution: querelle de partis Par ALICE GÉRAUD Photos BRUNO CHAROY P our ou contre la pénalisation des clients? Le débat a mis le feu aux pages des journaux, suscité des pétitions d’un goût pas toujours heureux. Mais il aura laissé, paradoxalement, relativement inaudible la classe politique. Celle-là même qui s’apprête à voter à l’Assemblée nationale la proposition de loi «de RÉCIT lutte contre le système prostitutionnel» ce soir ou, plus probablement, pour cause d’embouteillage législatif, vendredi. A la demande du groupe Europe Ecologie-les Verts, le texte sera finalement soumis à un vote solennel le 4 décembre. Ce qui obligera chacun à se positionner. BOUT DES LÈVRES. Annoncée par Najat Vallaud-Belkacem, sitôt arrivée au ministère des Droits des femmes, cette réforme devait être portée par le gouvernement. Las. Sentant le potentiel polémique du sujet, celui-ci a préféré laisser le bébé aux soins des parlementaires. Deux députées PS, Maud Olivier et Ca- L’ESSENTIEL LE CONTEXTE La loi pénalisant les clients des prostitués divise familles politiques, associations et intellectuels. L’ENJEU Ce texte peutil mettre fin à l’exploitation des femmes et hommes faisant commerce de leur corps ? therine Coutelle, ont rédigé au pas de charge, la proposition de loi. Malgré les efforts de la ministre pour défendre publiquement une réforme qu’elle compare «à l’abolition de l’esclavage» et tenter de convaincre en privé ses propres rangs de la nécessité de se positionner «pour», l’élan n’y est pas. Et, si la loi est votée, ce qui est probable, ce sera du bout des lèvres. Avec des voix contre et des abstentions dans tous les groupes politiques. A droite, l’UMP dispose d’un fervent défen- seur de la loi en la personne de Guy Geoffroy. Coauteur du rapport parlementaire de 2011 sur la prostitution, ce député aura du mal à convaincre ses collègues de voter un texte qui annule une mesure phare de Nicolas Sarkozy: le délit de racolage passif. L’autre volet, la pénalisation du client ne fait pas non plus franchement l’unanimité dans les rangs de l’UMP. Comme le reconnaît Guy Geoffroy, «le sujet est dérangeant car les vieux schémas, comme l’idée que la prostitution restera le plus vieux métier du monde ou qu’elle est nécessaire, sont encore présents». Lors du vote, le groupe UMP annoncera donc «des positions diverses». Ainsi un Eric Ciotti votera «pour» quand un Bernard Debré se veut réservé. A gauche, les plus sceptiques sont indiscutablement les Verts. Hier, lors de leur réunion de groupe, une très large majorité s’est dégagée contre la proposition de loi. Seule l’élue de l’Essonne Eva Sas s’est clairement prononcée en faveur du texte (comme Jean-Vincent Placé au Sénat). Sergio Coronado, député des Français de l’étranger, a tenu la semaine dernière une réunion à l’Assemblée en compagnie des plus fervents opposants à cette loi que sont les travailleurs du sexe revendiquant la prostitution choisie. François de Rugy, président du groupe écologiste, considère que le PS a «tout fait pour que ce texte ne fasse pas l’objet du véritable débat qu’il méritait». «On veut résumer les positions à un camp contre un autre, les contre qui seraient complices des réseaux mafieux et les autres, c’est un peu juste», ajoute de Rugy. Le groupe communiste devrait, lui, voter pour. «VIEUX SCHNOCKS». Chez les socialistes, le sujet est très sensible. Détail qui en dit long: il y a deux ans, avant de déposer la proposition de loi en tant que président du groupe PS, Bruno Leroux était encore opposé à la pénalisation du client. «Il fait partie des parlementaires qui ont entendu nos arguments», explique aujourd’hui Maud Olivier, rapporteure du texte. Elle se dit «très confiante» sur le vote la semaine prochaine, mais reconnaît avoir dû affronter, au PS aussi, «l’idée que la prostitution était nécessaire à la société». Une députée PS raconte: «Il y a des désaccords très profonds. C’est un sujet assez générationnel. Ceux qui sont contre la pénalisation du client c’est quand même les vieux schnocks.» Elle, ne donne pas cher de la peau du texte au Sénat. Seule une députée PS a officiellement fait part de son désaccord, la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Lemorton, dans une tribune à Mediapart. Elle ne veut plus s’exprimer depuis. De son côté, le gouvernement n’aura pas beaucoup aidé le texte. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, relayant la parole des policiers chargés de la lutte contre le proxénétisme, a fait état de ses réserves quant à l’abrogation du délit de racolage passif. Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, s’est, elle, interrogée sur la pénalisation des clients : «Le fait de pousser les prostituées à ne pas apparaître ne leur fait-il pas prendre un risque accru en matière de santé?» Najat Vallaud-Belkacem espérait que ce texte dépasse les clivages politiques. De ce point de vue, c’est réussi. Mais pas toujours dans le bon sens. • • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 3 ÉDITORIAL Par FRANÇOIS SERGENT Inégalité REPÈRES 20 000 personnes ? 40 000 per sonnes ? Il est impossible de mettre un chiffre précis sur le nombre de prostitués en France, parce qu’une grande partie reste invisible et vulnérable der rière les écrans d’Internet, les rideaux des bars à hôtesses et des salons de massages, les portes des appartements où se déroule la prostitution occasionnelle, étu diante… «Sous prétexte de lutter contre les réseaux, c’est la prostitution qu’on veut anéantir. L’Etat n’a pas à légiférer sur l’activité sexuelle des individus, à dire ce qui est bien ou mal.» Elisabeth Badinter 2 Pénaliser le client, il n’y a pas que ça… es défenseurs de la proposition de loi sur la prostitution tentent contre vents et débats d’expliquer que le texte «ne se réduit pas à la pénalisation du client» et que, comme l’indique son intitulé, il s’agit plus largement de «lutter contre le système prostitutionnel». De fait, le texte que s’apprêtent à examiner les députés s’articule autour de quatre volets : le renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et les réseaux, l’aide à la «sortie de la prostitution», l’abrogation du délit de racolage passif et, donc, la pénalisation du client. «Tous ces volets n’ont pas de sens pris indépendamment les uns des autres», souligne la députée PS Maud Olivier, l’une des deux coauteures du texte de loi. L Quels moyens pour lutter contre le proxénétisme ? C’est, en milliards d’euros par an, ce que la prostitution rapporte «aux mafias européennes», selon le ministère de l’Intérieur. • Le texte vise, entre autres, une meilleure protection des prostituées étrangères et un parcours d’insertion. SUR LIBÉRATION.FR Profil Catherine Coutelle, prési dente PS de la délégation aux droits des femmes, dans notre série «Les députés de l’an II». La France est déjà l’un des pays qui disposent des outils juridiques les plus aiguisés contre le proxénétisme, en ayant adopté une définition très très large de ce délit –voir l’affaire DSK au Carlton. Le nouveau texte prévoit cependant quelques dispositions supplémentaires, comme le fait de pouvoir fermer les sites internet de prostitution hébergés à l’étranger. Quid de la protection des prostituées et aides à la sortie de la prostitution ? La proposition prévoit une meilleure protection des prostituées, notamment pour les étrangères, avec un titre de séjour de six mois renouvelable et la possibilité de bénéficier de l’allocation temporaire d’attente (ATA), de 336 euros mensuels. Une aide «conditionnée» à la sortie de la prostitution très critiquée sur le principe moral qu’elle impose et sur son montant peu incitatif. Le texte prévoit aussi la mise en place d’un parcours d’insertion, qui serait financé par des saisies de biens des proxénètes. Le délit de racolage passif seratil abrogé ? Créé en 2003 par Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, ce délit a surtout servi à faire la chasse aux sans-papiers, et a poussé nombre de prostituées à la clandestinité. Très peu sont aujourd’hui poursuivies pour ce délit difficile à qualifier juridiquement. Mais il reste défendu par les policiers en charge de lutter contre le proxénétisme, qui s’en servent comme «hameçon» pour pouvoir entendre les prostituées afin de remonter les filières. Comment sera pénalisé le client ? Le texte interdit l’achat de tout acte sexuel, infraction qui sera sanctionnée d’une amende de 1500 euros (3000 en cas de récidive). L’idée est inspirée du système suédois. Il reste cependant difficile à appliquer en France, car l’infraction va être dans les faits compliquée à constater pour les policiers. Les partisans de ce dispositif s’en défendent d’une pirouette en expliquant que cette mesure est avant tout à vocation de principe et pédagogique. Ainsi, le client se verra proposer un stage de sensibilisation à la réalité de la prostitution. A.Gd «Posons d’abord que le corps humain n’est pas à vendre et soyons pragmatiques ensuite», comme le dit la philosophe Sylviane Agacinski, qui défend la proposition de loi sur la pénalisation des clients de prostituées. On pourra objecter que le droit et la morale ne font pas nécessairement bon ménage. Libertins et libertaires ont beau jeu de défendre le droit d’adultes consentants à faire usage de leur corps. Les désirs et la vie privée n’appartiennent pas aux législateurs et aux professeurs de droit. Mais, s’agit-il réellement de l’intime lorsque l’on sait que l’immense majorité des prostituées sont des étrangères sans papiers, victimes de passeurs et maquereaux ? Qui peut encore fantasmer sur la liberté de la femme de vendre sa peau comme le romantise le film d’Ozon Jeune & jolie ? Quoi qu’en disent les défenseurs les plus éclairés des amours tarifés, y compris mâles, cette profession est essentiellement féminine ; et cette inégalité construit et renforce l’inégalité entre les sexes. Plus sérieuses sont les objections des associations qui défendent les prostituées et des prostituées elles-mêmes, pour qui toute loi répressive ne fait qu’accroître l’isolement des «travailleuses du sexe» et la dangerosité de leur activité. L’Etat doit-il, pour autant, laisser faire et valider cette forme d’exploitation ? On peut, bien sûr, ricaner à l’idée de réformer et éduquer les clients comme les chauffards et les alcooliques. Cette loi n’abolira pas la prostitution mais, au moins, elle donne le signe que la représentation nationale condamne cet asservissement. 4 • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 EVENEMENT Trois hommes ayant fréquenté des prostitués ont raconté leurs motivations. «Pense-t-on que certains “clients” souffrent de ne pas être aimés?» D ans le débat actuel sur la prostitution, il de tomber amoureux, car les garçons que j’ai existe, pour le moment, de grands ab- rencontrés m’ont souvent touché. Certes, il y sents : les clients. Pas les personnalités a une situation facile et de domination, puisque qui signent des pétitions, mais les anonymes. l’un a le pouvoir (l’argent) et l’autre pas, mais Coupables par avance, ils se cachent. Sur Libe- les choses ne sont pas toujours carrées. Penration.fr, nous avons lancé un apdant un long moment, je ne faisais pel à témoignages pour pouvoir TÉMOIGNAGES que discuter avec eux, ce qui les leur parler, comprendre poursurprenait. Quelque fois, du sexe. quoi ils fréquentent des prostitués. Nous avons Toujours un peu frustrant. Car, et j’ai mis longreçu une vingtaine de réponses, presque que temps à le comprendre, je recherchais de l’afdes hommes, sauf une femme. Tous ont de- fection masculine, voire de l’amour. Et bien mandé à être anonymes, certains ne souhaitant évidemment, ça ne peut pas venir de cette famême pas parler au téléphone (nous n’avons çon. On critique souvent la prostitution et les alors pas gardé leurs commentaires). Agés clients, mais pense-t-on que certains “clients” de 25 et 60 ans, ils ont des expériences diffé- souffrent de ne pas être aimés, de ne pas trourentes, même si la plupart appartiennent à la ver la bonne personne, et se réfugient dans une classe moyenne et supérieure. Frustration, in- solution peut-être facile mais qui leur apporte capacité ou peur du râteau, refus de la compé- au moins un peu de confort ?» tition, les arguments utilisés sont souvent les Fabrice, 33 ans mêmes. Certains pointent aussi une crainte ingénieur d’une perte supposée de virilité, comme si les femmes étaient en train de leur enlever leurs «J’ai eu deux aventures avec des prostituées. dernières libertés, voire privilèges. Les trois té- La première fois après avoir été racolé en Asie. moignages ci-dessous, et d’autres, sont à re- Je l’ai suivi dans un endroit où elle a effectué trouver en version longue sur Liberation.fr. une fellation avec préservatif. Bien qu’elle fût physiquement attirante, ce fut un moment Marc, 54 ans aussi peu excitant que si je me faisais examiner chercheur les parties intimes par un médecin, à cause de «J’ai eu recours à des rapports payants avec des sa manière mécanique et expéditive de procégarçons pendant trente ans. J’étais bisexuel, der. La seconde fois, il s’agissait d’une escortmarié, et échaudé par mes premières expérien- girl. Après avoir payé le tarif négocié et être allé ces avec des hommes. Avoir recours à quel- avec elle dans une salle privée d’un night-club, qu’un que l’on paye permet de choisir le parte- elle m’a fait comprendre qu’il fallait payer pour naire, le moment, de décider de ce que l’on fait. espérer plus. J’ai finalement passé une heure Ça n’empêche pas de respecter l’autre, voire (très agréable) avec elle à me faire sagement masser et rien de plus. Les deux fois, j’étais célibataire, insatisfait. Je n’ai pas de réticences d’ordre moral tant que la femme a choisi ellemême de se prostituer. La seconde fois, avec l’escort-girl, des gens tournaient autour de notre pièce, j’ai senti qu’elle était surveillée, c’était angoissant pour elle, et pour moi.» Alex, 55 ans cadre de la fonction publique «J’ai été marié deux fois, mais à chaque fois ma sexualité était assez pauvre. Aujourd’hui, je me retrouve seul, avec beaucoup de frustrations. Le manque d’activité sexuelle bien sûr, mais aussi le manque de tendresse, de la chaleur des bras d’une femme. Petit, moche et désargenté, et de surcroît devenant vieux, je ne compte pas vraiment sur le hasard pour changer la situation. La première fois que j’ai rencontré une escort, j’étais très timide et stressé, il y avait tellement longtemps que je n’avais plus fait l’amour que je ne m’en croyais plus capable. Avec elle, je me suis rendu compte que finalement c’était facile. Cette pratique sexuelle me fait tout simplement du bien. Elle me redonne le moral. Après un rendez-vous, j’ai la pêche durant une semaine, j’ai le sentiment à nouveau d’appartenir au monde normal, celui constitué d’hommes et de femmes qui vivent une sexualité épanouie. Si on interdit l’accès aux escorts, quel sera le sort des laissés-pourcompte de la tendresse qui se comptent en dizaines, voire en centaines de milliers dans notre pays ?» Un défilé pour l’abolition de la prostitution Recueilli par QUENTIN GIRARD Lucie Sabau, d’«Osez le féminisme», explique les clichés qui fausse le débat: «En tant qu’abolitionnistes, la morale ne nous intéresse pas» L féministes traditionnelles n’ont pas les mêmes moyens de se faire entendre que les lobbys pro-prostitution : on fait moins de bruit sur la Toile, on n’est pas soutenu par les clients qui ont de l’argent. Ces lobbys pro-prostitution ont aussi tuyauté des associations de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, et bénéficient de leur appui financier. En tant que responsable du groupe «éducation aux sexualités» d’OLF, quelle vision défendez-vous? Le premier enjeu du combat contre le système prostitueur est de rendre possible la libération des sexualités des femmes. L’autre est de lutter efficacement contre le viol, soit les rapports sexuels non désirés dont la prostitution fait partie. Je refuse de compartimenter les femmes des réseaux, les indépendantes et celles qui passent par Internet. Il s’agit d’un contiDR ucie Sabau est militante à Osez le féminisme (OLF) et sympathisante du Nid, une association d’aide aux prostituées. Pourquoi les abolitionnistes sontils peu audibles dans les médias? D’une part, les survivantes de la prostitution qui acceptent de témoigner à visage découvert sont rares. Parmi elles, Rosen Hicher et la Britannique Rebecca Mott sont devenues de vraies militantes. Pour parler de prostitution, l’image choisie est toujours une paire de jambes ou une poitrine, une femme morcelée. Il y a une subjectivité patriarcale qui structure le choix des images, d’autant que les médias sont encore dirigés par des hommes blancs de plus de 50 ans. D’autre part, le traitement médiatique de l’abolitionnisme est emblématique d’un état de fait : les analyses des associations féministes ne sont relayées dans les médias que depuis quelques décennies. Et puis, les associations nuum de violences patriarcales exercé par les clients. Pourquoi avez-vous du mal à convaincre les parlementaires? Le collectif Abolition 2012 et les Jeunes pour l’abolition ont envoyé une documentation aux députés, convaincu la délégation aux droits des femmes du Sénat. Mais les parlementaires sont très occupés. Du coup, ils appréhendent la question avec leur bain culturel, encore fait de clichés : la traite des femmes d’un côté, l’image d’Epinal de la prostitution indépendante de l’autre. Je ne leur jette pas la pierre, c’est compliqué d’adopter, en si peu de temps, une analyse qui va à rebours de ce en quoi on croit. Que pensez-vous du Manifeste des 343 salauds publié dans Causeur? Les signataires représentent une minorité d’hommes qui tiennent à exercer leur privilège de dominants, soit 12% à 15% de la popu- lation française, selon l’estimation du Nid. Nous avons été choquées par le Manifeste: ils ne défendent absolument pas les filles, n’ont pas d’empathie pour elles. Ils ne s’engagent pas contre les violences faites aux femmes. On vous taxe de moralistes, qu’en pensez-vous? Il faut arrêter de reprocher au Nid d’avoir été cofondé par un curé de gauche. C’est un mouvement laïque, féministe, qui accompagne 5 000 personnes prostituées par an. Pour moi, les moralistes sont les résignés persuadés que la prostitution a toujours existé. En tant qu’abolitionnistes, la morale ne nous intéresse pas, l’éradication des inégalités, oui. A OLF, nous voulons éviter qu’on fasse croire aux petites filles que leur désir a un prix, qu’elles soient embarquées dans un carcan fermé d’objet de désir. Nous voulons que le champ des possibles leur soit ouvert. Recueilli par LÉA LEJEUNE Manif de prostituées, l’an dernier à Lyon, contre LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 EVENEMENT • 5 Très contestée, la loi de 2002 sur la prostitution pourrait avoir vécu. La libéralisation n’a plus les faveurs de l’Allemagne N samedi à Paris. PHOTO BRUNO CHAROY ulle part en Europe la législation sur la prostitution n’est aussi libérale qu’en Allemagne. Mais peut-être plus pour longtemps. Dans le cadre des négociations en vue de former un gouvernement, la CDU et le SPD entendent encadrer plus strictement la pratique du sexe tarifé pour remédier aux excès liés à la loi libérale de 2002. Petit retour en arrière: depuis trois ans au sein du gouvernement Schröder, les sociaux-démocrates et les Verts entreprennent en 2001 de légaliser la prostitution. Le pas est censé permettre aux «travailleuses du sexe» de poursuivre en justice un client mauvais payeur et de cotiser aux caisses retraite et maladie comme les autres salariés. Gigantesques. Douze ans plus tard, le bilan de la libéralisation est plutôt contesté. La loi, assurent ses détracteurs, a ouvert les vannes à de nombreux abus et aurait manqué ses objectifs. Seuls 44 prostitués (dont 40 femmes) sont officiellement enregistrés comme travailleurs du sexe auprès des organismes sociaux, alors que le chiffre d’affaires est estimé à 14,6 milliards d’euros par an. De nouvelles formes de maisons closes ont fleuri un peu partout en République fédérale: des établissements gigantesques, comptant plusieurs dizaines de prostituées, ouverts 24 heures sur 24 et offrant, côte à côte, activités de «bienêtre» et sexe «à volonté». Ces établissements sont peu contrôlés: il est devenu difficile aux policiers, comme aux services sanitaires, de mener des visites ino- pinées. La santé et la sécurité des prostituées se seraient détériorées. Et si, selon la police fédérale, le nombre de cas recensés de trafics d’êtres humains est en baisse (811 en 2002 contre 432 en 2011), ce ne serait pas dû à un recul de la prostitution forcée, mais à la diminution du nombre des contrôles depuis 2002. En bord d’autoroute à deux pas du palais des Congrès de Berlin, Artemis est la version haut de gamme de ces maisons closes d’un genre nouveau, connue de tous les taxis de la ville et ventant ses mérites à coups de pubs sur les culs de bus. Les femmes y travaillant sont présentées sur la page web de l’établissement. Les clients sont appelés fait, sous la pression de la misère ou ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance, ce qui a détruit leur estime d’elle-même», assure Alice Schwarzer. Papesse du féminisme allemand, la fondatrice du magazine Emma mène depuis des années la lutte contre la prostitution. «Avec la loi de 2002, s’insurge-t-elle, l’Allemagne est devenue la plaque tournante de la prostitution en Europe et le paradis du tourisme du sexe.» Parapluie rouge. 90 personnalités –dont quelques policiers engagés dans la lutte contre le trafic des êtres humains – ont signé début novembre la pétition lancée par Emma pour la révision de la loi sur la prostitution, réclamant la pénalisation des Seules 44 personnes sont enregistrées clients sur le modèle suéEn fin de semaine comme «travailleurs du sexe», alors dois. dernière, Alice Schwarzer que le chiffre d’affaires du secteur est présentait à Berlin son estimé à 14,6 milliards d’euros par an. ouvrage, Prostitution, un scandale allemand, relanà laisser leurs commentaires sur les çant le débat. Face à elle, une dizaine de prestations. Plus au sud, près de l’aéro- prostituées, armées d’un parapluie port, un établissement d’aspect miteux rouge, devenu l’insigne de la défense du propose un tarif unique pour «autant de libéralisme face à l’abolitionnisme. «Les passes que tu peux». Comme partout féministes […] nous croient incapables de dans le pays, les femmes présentées sur parler pour nous-mêmes, s’offusque Unles sites de ces bordels ont un type dine de Rivière, porte-parole de l’Union méditerranéen. professionnelle des fournisseurs de serDe 70% à 80% des 400000 prostituées vices sexuels et érotiques. Le désir de en Allemagne seraient originaires de contrôle de la sexualité et de la prostitution Bulgarie et de Roumanie. «90% d’entre a toujours été plus grand, et il est difficile elles travaillent contre leur gré, dans des de faire sortir ça de la tête des gens.» conditions parfois épouvantables. Celles De notre correspondante à Berlin qui disent être volontaires agissent, en NATHALIE VERSIEUX « Un texte magnifique, dans lequel l’amour exulte. » Valérie Trierweiler, Paris Match « Un combat pour que le mot “handicap” devienne un mot de la normalité. Revigorant. » André Rollin, Le Canard enchaîné « Deux voix pour dire l’effroi et l’amour. » Patricia Gandin, Elle Photo © Julien Falsimagne la pénalisation du client. PHOTO SÉBASTIEN EROME. SIGNATURES 6 • MONDE LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 Lundi, à Kiev. Le mouvement de contestation contre le président Viktor Ianoukovitch s’étend à d’autres régions du pays, notamment à Lviv, dans l’ouest. PHOTO GENIA SAVILOV. AFP Moscouaucentredujeu entreKievetBruxelles Le «non» de l’Ukraine à l’accord qu’elle devait signer demain avec l’UE pourrait s’expliquer par des pressions de la Russie. Par HÉLÈNE DESPICPOPOVIC M anifestations et contremanifestations, les plus importantes depuis la révolution orange de 2004, se poursuivent à Kiev pour la troisième journée consécutive (lire ci-contre) : le «non» de Kiev à l’accord d’association qu’il devait signer demain avec l’Union européenne n’en finit plus de faire des vagues. Mais est-ce un «non» définitif et un «oui» à l’Union douanière eurasienne, que Moscou –qui a joué de toutes ses armes, du chantage à la séduction – ne peut réellement mettre en place de façon crédible sans la participation de ce grand voisin? Il est sans doute trop plomates européens auraient voulu tôt pour le dire, car dans ce «mé- lui donner. Alors que l’Arménie a nage à trois» l’Ukraine, un pays de déjà cédé aux pressions russes, 45,6 millions d’habitants, que la Moldavie est à son géographiquement coincé ANALYSE tour sous le feu de Mosentre l’Est et l’Ouest, n’a cou, les Européens savent réellement qu’une seule solution que, sans l’Ukraine, ce Partenariat gagnante: un jeu de bascule destiné oriental réduit à la seule Géorgie, à faire monter les enchères. qui paraphera à Vilnius son propre L’UE ne s’y trompe pas. Lundi, elle accord d’association, paraît aussi a encore rappelé que l’accord était peu crédible que ne le serait une «toujours sur la table». Mais ne Union douanière eurasienne dirigée compte plus renverser la vapeur par Moscou avec la seule participaavant le sommet sur le Partenariat tion du Kazakhstan et de la Biélooriental, qui s’ouvre demain à Vil- russie. Reste à voir si le président nius, capitale de la Lituanie. Ce Viktor Ianoukovitch, qui a fait casommet, auquel assistera le prési- poter l’accord parce qu’il n’entend dent ukrainien, n’aura donc pas pas libérer sa rivale à la présidenl’importance historique que les di- tielle de 2010, l’ancienne Première ministre Ioulia Timochenko –ni lui permettre de se faire soigner à l’étranger –, réussira à obtenir de l’UE qu’elle cesse d’exiger ce transfert à l’étranger comme condition préalable à la signature de l’accord. RÉTIVE. La partie russe avait, dès le départ, mis la barre assez haut. Le choix de l’UE est un «acte suicidaire» pour l’Ukraine, n’avait pas hésité à dire Sergueï Glaziev, le conseiller économique de Vladimir Poutine, un président suffisamment inquiet pour rencontrer plusieurs fois, en quelques mois, son homologue ukrainien. Et d’enchaîner les mesures: interdiction des chocolats Roshen, considérés comme un danger sanitaire, puis contrôle accru des marchandises classées «à risque» et des camions ukrainiens à la frontière russe. Puis sont venues les mises en garde: si la Russie prenait des mesures pour protéger son marché d’une inondation de produits bon marché arrivés d’Europe, l’Ukraine, en difficulté de trésorerie et sans perspective d’accord rapide avec le FMI, serait acculée à la faillite. Le déficit commercial de Kiev, avertissait-on à Moscou, s’accroîtrait d’au moins 1 milliard d’euros si l’Ukraine rejoignait l’accord de libre-échange avec l’UE. Finalement, après l’avoir menacée, la Russie a commencé à caresser sa rétive voisine: pourquoi ne pas reparler des prix du gaz, à la baisse bien sûr, faisait-on savoir à Moscou. Le prix du gaz russe pèse lourdement sur l’Ukraine, qui le paye 430 dollars les 1000 mètres cubes, soit plus cher que ce que versent l’Allemagne ou la Pologne (autour de 390), et bien plus que le prix d’ami consenti à la Biélorussie, allié loyal et membre sûr de l’Union douanière (160). Ce prix pourrait passer à 260 pour l’Ukraine, avaient estimé le mois dernier les responsables du géant gazier russe Gazprom. Est-ce l’argument qui a détourné l’Ukraine de l’Europe? Il n’y a «pas d’accord précis» sur la révision des LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 REPÈRES RUSSIE POL Kiev Lviv UKRAINE O ROUMANIE LD ÉNERGIVORE. De ce prix du gaz dépend la métallurgie ukrainienne, la deuxième d’Europe et la dixième du monde, un secteur énergivore, qui fabrique un acier de qualité très moyenne qu’elle ne peut vendre qu’à l’Est. Un tiers du commerce extérieur se fait avec la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie, soit autant qu’avec l’UE. Les secteurs concernés sont, de plus, situés dans les régions de l’est du pays, frontalier de la Russie, qui est aussi là où vivent les russophones, qui sont souvent les électeurs de Ianoukovitch. Le Président doit compter sur ces 40% d’Ukrainiens qui veulent des liens étroits avec la Russie. Les pro-européens sont plus souvent des électeurs de l’opposition, vivant plutôt à l’ouest qu’à l’est du pays, et travaillant dans les secteurs les plus modernes. C’est sciemment que la Russie s’en est d’abord pris aux chocolats Roshen, propriété de l’oligarque Petro Porochenko, qui fut ministre des Affaires étrangères d’un gouvernement issu de la révolution orange (2009-2010), puis ministre de l’Economie du gouvernement Azarov (2012), et infatigable partisan de l’UE. Tiraillée entre ses deux voisins, l’Ukraine, qui a à peine commencé à diversifier ses sources d’énergie, s’est pour le moment donnée au plus offrant: «Dès qu’on atteindra [dans les négociations avec l’UE] un niveau qui correspondra à nos intérêts, nous pourrons parler de la signature» de l’accord, a proposé, hier soir, le président ukrainien. • 300 km BIÉLORUSSIE M Le volume des échanges commer ciaux entre la Russie et l’Ukraine a chuté de 25% depuis janvier. Le gou vernement ukrainien accumule les dif ficultés: suite à son refus de mettre en œuvre les réformes réclamées par le FMI, le versement de la dernière tran che d’un prêt a été suspendu en 2011. En mars, le Fonds a envoyé une nou velle mission dans le pays. prix du gaz russe, a affirmé hier le Premier ministre ukrainien, Mykola Azarov, confirmant que la Russie avait «proposé de reporter la signature et d’entamer des négociations». 7 MONDE Mer Noire «L’Ukraine ne veut pas être un champ de bataille entre la Russie et l’Union européenne.» Le Premier ministre ukrainien Mykola Azarov, proche du Président Ianoukovitch, hier à Kiev • 7 7 ans de prison, c’est la peine que purge Ioulia Timochenko, l’exégérie de la révolution orange, dont le Parlement a refusé le transfert à l’étranger. Les étudiants pro-européens qui manifestent s’inspirent de la révolution de 2004. Des cortèges bleus au parfum orange «O n va rester jusqu’au bout. Il ne s’agit pas de quelques nuits dans le froid, mais bien de ce qu’on va faire de notre vie !» Le sourire béat, Taras, jeune étudiant à l’université Chevtchenko de Kiev, agite avec ferveur un drapeau géant bleu étoilé, exhibant le trident, symbole national ukrainien, en son centre. La scène a un air de déjà-vu sur Maidan Nezalezhnosti, la place de l’indépendance, lieu emblématique de la révolution orange de 2004. Au sixième jour de «l’Euromaidan», cette mobilisation citoyenne en faveur d’une intégration à l’Europe, les étudiants de plusieurs universités se sont mis en grève. Et ils appellent, via les réseaux sociaux, à un mouvement national dès aujourd’hui. Nombre d’entre eux ont déjà passé les dernières nuits sur la place. «La police nous bouscule de temps en temps, soi-disant pour installer un marché de Noël, mais on s’accroche.» Dans la foule, un slogan se répète en boucle, «Ukraine unie, Ukraine avec l’Europe». Non loin de là, d’autres agitent une pancarte : «Ukrainiens, unissez-vous, mais pas avec les Russes !» Des participants affluent d’autres régions d’Ukraine, tandis que les occupations citoyennes se multiplient à travers le pays. A Lviv, dans l’ouest, malgré une neige précoce, la mobilisation réunit quotidiennement des milliers de personnes, avec la bénédiction du LES FINALISTES ème Prix du Livre Européen Remise des prix le 4 décembre 2013 à 18h au Parlement européen à Bruxelles 01 44 88 36 72. [email protected] maire, Andriy Sadovy (indépendant des partis politiques). «On s’organise. On a de la nourriture, on a des couvertures, de la musique. J’étais trop petite pendant la révolution orange de 2004, mais ça correspond bien à ce qu’on m’en a raconté», décrit, enthousiaste, Halyna, qui dit passer «de plus en plus de temps» sur la place de l’indépendance. Et le tout dans le calme et la bonne humeur, malgré quelques échauffourées épisodiques. place de l’Europe, un autre foyer de la contestation, est officiellement occupée par les trois principaux partis de l’opposition unie. Les militants y ont réussi à installer des tentes, des stands de nourriture ou encore des podiums. «Nous ne sommes pas divisés par rapport à Maidan», assure Lev, un jeune militant du parti Oudar du boxeur Vitali Klitschko, l’étoile montante de l’opposition ukrainienne. «Mais sans soutien politique, on n’arrivera pas à faire suffisamment pres«Je vous demande de lever sion sur le gouverneune vague sans précédent ment pour qu’il signe de mobilisation.» l’accord d’association.» Ioulia Timochenko opposante incarcérée Pourtant le temps dans une lettre aux manifestants presse. Le troisième sommet du Partenariat Lundi, des centaines de manifes- oriental s’ouvre demain. Le présitants ont ainsi affronté 500 offi- dent, Viktor Ianoukovitch, devrait ciers des forces spéciales «Berkut» s’y rendre, pour «y mener des conpour s’emparer d’un camion con- sultations trilatérales avec l’UE et la tenant une grande quantité de ma- Russie», selon le Premier ministre, tériel d’écoute téléphonique. Mykola Azarov. Lors d’une conféL’échec des autorités à reprendre rence de presse, ce dernier a conle véhicule et à évacuer les en- fessé, hier, qu’il avait gelé la sidroits occupés illustreraient une gnature de l’accord d’association faiblesse et des dissensions inter- à la «demande de la Russie», affirnes assez profondes. mant qu’il ne s’agissait pas d’un Boxeur. La mobilisation se veut «ultimatum». Une manière de se non partisane. «Le mouvement ci- dédouaner, alors que le gouvernevique de l’Euromaidan a aboli le mo- ment a louvoyé pendant des senopole des partis d’opposition à pro- maines avant de rejeter les conditester», écrit le blogueur populaire tions de Bruxelles, notamment le Viktor Litovchenko, pour qui c’est transfert médical de Ioulia Timojustement cela qui lui donne une chenko vers l’Allemagne. chance de succès. A quelques cen- L’ex-Première ministre, pro-eurotaines de mètres de Maidan, la péenne convaincue, a commencé ESSAIS sa troisième grève de la faim depuis son incarcération en 2011. Et appelé à un mouvement de plus grande ampleur : «Je vous demande, mes chers concitoyens, d’augmenter chaque jour nos forces sur les places du pays. Je vous demande de lever une vague sans précédent de mobilisation, pour que la mafia autoritaire de Ianoukovitch ne puisse empêcher notre retour historique dans notre vraie famille» européenne. «Sacrifices». «Bien sûr, les Européens ont mal joué. Bien sûr, les Russes ont fait pression. Mais la décision de ne pas signer l’accord montre surtout que Viktor Ianoukovitch ne pense à rien d’autre qu’à se maintenir au pouvoir», explique Dmytro Galkin, rédacteur en chef des Chroniques des affaires étrangères. La solution est donc dans les seules mains du gouvernement. «Evidemment, la signature de l’accord va se décider au plus haut niveau, ce n’est pas de notre ressort, admet Vitali, jeune étudiant sur Maidan Nezalezhnosti. Mais nous devons rester ici. L’Ukraine est un pays européen, c’est incontestable. Mais il faut faire des sacrifices pour se rapprocher des normes et des conditions de vie de l’UE. Il faut le mériter.» Encouragé par l’approbation de ses camarades, le sourire aux lèvres, il se prépare à rester sur place avec des milliers d’autres pour la troisième nuit consécutive. De notre correspondant à Kiev SÉBASTIEN GOBERT ROMANS Non à l’Europe allemande : vers un printemps européen ? Ulrich Beck Allemagne an englishman in madrid Eduardo mendoza Espagne Liquidations à la grecque Petros MARKARIS Grèce CES FRANçais fossoyeurs de l’euro Arnaud Leparmentier France L’enfant grec Vassilis Alexakis Grèce la découverte du monde Luciana Castellina Italie 8 • MONDE LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 l’indépendance», a annoncé Alex Salmond, alors qu’il présentait hier son «livre blanc», un plaidoyer de 670 pages en faveur d’une scission du Royaume-Uni. Petit clin d’œil ironique, la date du 24 mars correspond à l’Union des couronnes (Union of the Crowns), l’accession de Jacques VI, roi d’Ecosse, au trône d’Angleterre, après la mort sans héritier de la reine Elisabeth Ire. Ce jour consacrait l’union des deux royaumes sous une même bannière et préfigurait la création par deux lois, en 1706 et 1707, de la GrandeBretagne ! Ce livre blanc en cinq parties et dix chapitres se veut donc le portrait exhaustif ou presque d’une Ecosse indépendante. «L’avenir de l’Ecosse est désormais entre les mains des Ecossais», a expliqué avec emphase Alex Salmond, lors d’une conférence de presse à Glasgow. Les Ecossais sont en effet les seuls à être appelés à voter lors de ce référendum. Les plaisantins disent souvent que si les Anglais avaient participé au scrutin, ils auraient à coup sûr voté en faveur d’un départ des Ecossais du Royaume-Uni. saises, sur les rives de la rivière Dee. Pour Alex Salmond, 58 ans, ce référendum sera l’aboutissement du combat d’une vie. Il avait déjà participé aux négociations qui, en 1997, sous l’impulsion de Tony Blair, avaient conduit à la «dévolution», un statut semi-autonome pour l’Ecosse, le pays de Galles et l’Irlande du Nord, dotés de Parlements élus. L’Ecosse dispose déjà de larges prérogatives en termes d’éducation (universités gratuites, contrairement au reste du royaume), d’environnement, de santé et de justice. Mais, pour Alex Salmond, ce n’est pas suffisant. «Un oui au référendum signifiera que la plupart des décisions importantes concernant notre économie et notre société seront prises par les gens à qui l’Ecosse tient le plus à cœur», at-il martelé. En publiant un livre blanc et en fixant la date de l’indépendance du pays, le Premier ministre écossais, Alex Salmond, a lancé la campagne pour le référendum de septembre. Ne ss Lo ch L’Ecosse A souveraine, l’idéefaitkilt Héb rid es TOURNOI. Pour les partisans du «non», qui ne sont véritablement entrés en campagne qu’il y a quelques semaines, une partition du Royaume-Uni serait une «folie». Du coup, les trois partis principaux du pays, conservateur, libéral-démocrate et travailliste, font front Les plaisantins disent que si les sur le suAnglais avaient participé au scrutin, commun jet. Il n’est pas exclu ils auraient voté pour le départ des qu’au cours des Ecossais du Royaume-Uni. prochains mois le Premier ministre, En attendant, selon le dernier son- David Cameron, promette l’octroi dage –et la plupart de ceux réalisés de quelques nouvelles prérogatives au cours des cinq dernières au Parlement écossais. Histoire de années – le «non» à l’indépen- couper l’herbe sous le pied des dance reste toujours largement en partisans du «oui» et d’attirer les tête. Le sondage réalisé pour le indécis, inquiets de la perspective Sunday Times et publié dimanche d’un grand saut dans l’inconnu. donnait ainsi 47% en faveur du non Le livre blanc sur l’indépendance et 38% en faveur du oui. Mais n’a pourtant pas répondu à une ce sont les 15% d’indécis qu’Alex question de taille. Que va-t-il arriSalmond espère convaincre avec ver à la victoire en juin d’un joueur ce livre blanc qui marque, de fait, de tennis britannique au tournoi de le début de la campagne pour le Wimbledon, pour la première fois référendum. en 77 ans ? Andy Murray est écossais. Lorsqu’il perdait, il restait déHYDROCARBURES. L’Ecosse indé- finitivement écossais. Depuis sa pendante, déjà dotée d’universités victoire à Wimbledon, il est résoluRassemblement d’Ecossais indépendantistes, à Edimbourg, le 21 septembre. PHOTO ANDY BUCHANAN. AFP prestigieuses, se construirait sur le ment britannique. Mais, en cas modèle des pays scandinaves, d’indépendance, sa victoire dedépendante de ses importantes viendra-t-elle alors uniquement Par SONIA DELESALLESTOLPER ressources naturelles d’hydrocar- écossaise ? • Correspondante à Londres bures mais aussi à la pointe des nouvelles technologies en matière REPÈRES lex Salmond a toujours énergétique. Elle deviendrait eu un sens de l’humour un pays libre de tout arsenal 50 km particulier. Au Parle- nucléaire. Le programme Trident ment écossais, d’armement nucléaire brisous les yeux de ses collèRÉCIT tannique, exclusivement gues députés résignés, le stationné en Ecosse, serait chef du gouvernement semi-auto- démantelé immédiatement après nome adore entamer les débats par l’indépendance, promet Alex Salla déclamation, en dialecte scot, mond. Parallèlement, le nouvel Océan Mer d’une ode de Robert Burns (1759- Etat rejoindrait ou resterait au sein Atlantique du 1796), poète national écossais. de l’Union européenne – l’interGlasgow Nord Et le voilà qui, ceint de l’impor- prétation des lois européennes resEdimbourg tance historique du référendum sur tant encore un peu floue –, voire l’indépendance de l’Ecosse qu’il adhérerait à l’Otan. En revanche, s’apprête à offrir à ses concitoyens pas question, au moins dans un le 18 septembre 2014, met la char- premier temps, d’abandonner la liÉCOSSE rue avant les bœufs. Le leader du vre sterling pour rejoindre l’euro. 5,268 millions Population parti indépendantiste écossais SNP Même la reine resterait chef de 77 933 km2 Superficie (Scottish National Party) a en effet l’Etat écossais, ce qui doit l’arranPIB par habitant 26 500 euros* d’ores et déjà fixé la date de l’indé- ger, dans la mesure où son époux Taux de chômage 7,9 % pendance du pays. Et ce, même si est tout de même duc d’Edimbourg Taux de fécondité 1,75* les résultats de la consultation res- et que sa résidence de vacances Population de - de 16 ans 17,2 % tent plus qu’indécis. Le 24 mars préférée, le château de Balmoral, se Sources : Eurostat - ONS - chiffres 2012 / *2010 2016 sera donc consacré «jour de dresse au milieu des landes écos- LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 MONDEXPRESSO L’HISTOIRE • 9 LES GENS UN MONASTÈRE TURC CONVERTI EN MOSQUÉE Michel Djotodia, le président centrafricain, à Bangui, hier. PHOTO JOE PENNEY.REUTERS LaCentrafriqueattend lestroupesfrançaises INTERVENTION Paris va envoyer 1000 soldats d’ici à la mi-décembre dans un pays en proie aux milices. ette fois, ça y est, le compte à rebours est enclenché : après une montée crescendo depuis septembre ponctuée de cris d’alarme sur la détérioration de la situation en Centrafrique, la France est désormais clairement sur le pied de guerre. Près d’un millier d’hommes devraient être envoyés d’ici à la mi-décembre dans ce pays enclavé au cœur de l’Afrique avec pour mission d’aider à enrayer le chaos en cours. «Nous le ferons en appui [de la force africaine de 3 600 hommes, en voie de constitution, ndlr] et non pas en entrée en premier comme nous avons pu le faire au Mali», a précisé hier le ministre de la Défense, JeanYves Le Drian, qui évoque «une période brève, de l’ordre de six mois» pour cette nouvelle opération en terre africaine, en moins d’un an. Contingent. La Centrafrique est certes un terrain connu : la France y a fait et défait les régimes en place pendant des décennies et il subsiste encore sur place un contingent d’un peu plus de 400 soldats français. Les renforts, qui seront envoyés d’ici à la mi-décembre, seront sans doute chargés de sécuriser la capitale, puis les deux principaux axes routiers au sud, qui mènent vers les pays voisins et qui ont été l’objet de nombreuses attaques ces derniers mois. Après ? Les troupes françaises s’aventureront-elles dans C les profondeurs incontrôlées de ce vaste pays, grand comme deux fois la France? En dehors de Bangui, se déploie un gigantesque Far West, depuis plusieurs années abandonné par l’Etat et soumis à divers groupes armés. L’agenda sera plus précis la semaine prochaine, après l’adoption de la résolution déposée lundi soir par la France devant le Conseil de sécurité de l’ONU. l’a pas été pour des raisons politiques mais parce que ses agresseurs voulaient voler sa voiture». Et d’ajouter : «Citez-moi un nom d’opposant attaqué, intimidé, ou emprisonné !» En réalité, les autorités actuelles ne voient pas forcément d’un mauvais œil une intervention africaine et française mais elles se méfient, redoutant de se retrouver écartelées à la faveur de cette opération militaro-humanitaire. Certaines déclarations «Bangui, la capitale, est peuvent le laisser surarmée et les bandits penser: «les autoen profitent.» rités de transition seront remplaUn conseiller du président Djotodia cées», a ainsi tenu Mais d’ores et déjà une ques- à souligner hier le ministre tion s’impose : qui est l’en- de la Défense. nemi? Les forces rebelles de Caisses vides. Le président l’ex-Seleka qui ont pris le Michel Djotodia n’est pouvoir en mars à Bangui d’ailleurs pas invité au somdans un joyeux désordre ? met sur la paix et la sécurité Officiellement dissous de- organisé à Paris le 6 et 7 dépuis septembre, ces groupes cembre où seul est convié le armés hétéroclites sont diffi- Premier ministre, déjà en ciles à cerner. Les troupes place sous Bozizé. «Alors ont grossi au fur et à mesure qu’on y invite de grands démode la conquête du pays de crates comme le Tchadien décembre à mars et les re- Idriss Déby ou le Congolais belles de la dernière heure Sassou-Nguesso», souffle le n’ont pas été les derniers à conseiller de Djotodia, un piller la population. «L’an- peu amer. Certes, le nouveau cien président Bozizé [renversé pouvoir n’a pas fait la preuve par la Seleka] a distribué des en neuf mois de sa capacité à armes avant de fuir Bangui. maîtriser la situation. Mais La ville est surarmée et les dans un pays exsangue, aux bandits en profitent», se caisses vides, la hiérarchie plaint un proche conseiller des priorités fixées par les fude Michel Djotodia, l’actuel turs sauveurs de la Centrafriprésident de transition, qui que sera déterminante pour rappelle que le magistrat as- la suite des événements. sassiné le 17 novembre «ne MARIA MALAGARDIS Un monastère du Ve siècle en ruines à Istanbul va redevenir une mosquée après des travaux de réno vation, selon des informa tions publiées hier dans la presse turque. Fondé en 462, le monastère du Stoudion était dédié à Saint JeanBaptiste. L’édi fice, converti en mosquée en 1453 après la conquête ottomane, est ensuite tombé à l’abandon à la suite de tremblements de terre. L’annonce de cette rénovation intervient alors qu’un projet de conversion de la célèbre basilique SainteSophie en lieu de culte musulman fait actuel lement polémique. Il y a dix jours, le porteparole du gouvernement islamo conservateur Bülent Arinç avait dit espérer que cette conversion se réalise. Ces déclarations intervien nent dans un contexte tendu où l’AKP, le parti au pouvoir, est accusé de vouloir islamiser le pays. HONDURAS : LE CANDIDAT HERNANDEZ VAINQUEUR D’UN SCRUTIN CONTESTÉ Juan Orlando Hernandez, le candidat de droite à la prési dentielle du Honduras, a été déclaré vainqueur d’un scru tin contesté. Depuis dimanche, Hernandez et sa rivale de gauche, Xiomara Castro –femme de l’ancien président Manuel Zelaya, renversé par un coup d’Etat militaire en 2009–, proclament tous les deux leur victoire. Lundi soir, le Tribunal électoral suprême a déclaré «irréversible» la victoire du candidat de droite (au pouvoir), obtenant 34,08% des suffrages contre 28,92% pour Xiomara Castro après le dépouillement de 67% des bulletins. L’opposition refuse de reconnaître ces résultats et invoque une «série d’irrégularités». Petit pays pauvre aux institutions fragiles, le Honduras concentre le plus fort taux d’homicides au monde (85,5 pour 100000 habitants en 2012). PHOTO AP • SUR LIBERATION.FR Thaïlande Bangkok étranglé par ses contradictions. Analyse. 10 • FRANCE LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 Le texte spécifiant les moyens alloués à la grande muette pour la période 2014-2019 est examiné à l’Assemblée. Il prévoit la suppression de 24000 postes. Par ALAIN AUFFRAY et THOMAS HOFNUNG L es députés ont entamé, hier, l’examen du projet de loi relatif à la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2014-2019. Suscitant l’inquiétude dans les milieux militaires et sévèrement critiqué par la droite, ce texte traduit sur le plan budgétaire les orientations stratégiques du livre blanc de 2012. QUEL MODÈLE POUR L’ARMÉE À L’HORIZON 2020 ? Autonomies stratégique et financière sont les deux faces d’une même médaille, celle de la souveraineté nationale : tel est le credo défendu par l’exécutif. Après la définition des menaces et des priorités stratégiques de la France dans un nouveau livre blanc, concocté l’an dernier, Paris le met en musique à travers une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) placée sous forte contrainte financière. Par souci d’économies, la prochaine LPM poursuit la réduction des effectifs. La précédente avait acté la disparition de 54000 postes (10000 restent encore à supprimer), celle-ci en prévoit encore 24 000. Malgré cette déflation continue, la France disposera en 2020 de 242 000 personnels, dont 187 000 militaires. Soit la «première armée d’Europe», assurait hier au Figaro le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Ce nouveau «plan social», selon les termes d’un bon connaisseur des milieux militaires, n’en suscite pas moins de fortes inquiétudes, principalement au sein de l’armée de terre, qui va devoir encaisser après les municipales la dissolution de nouveaux régiments, après celle, déjà annoncée, du 4e régiment de dragons de Carpiagne, près de Marseille. Tout en maintenant les missions principales de l’armée (protection du territoire, capacité de projection et dissuasion), la LPM revoit à la baisse le «contrat opérationnel» : au lieu de 30000 hommes jusqu’ici, l’armée devra pouvoir projeter 15000 soldats en opérations extérieures. Mais, insiste le ministère, les grands programmes d’équipement (avions ravitailleurs, avions de transport et frégates multimission) sont maintenus. Et l’accent est mis sur le renseignement, la cyberdéfense et l’augmentation des effectifs des forces spéciales pour faire face aux nouvelles menaces. Au finale: une armée moins nombreuse, mais dotée de moyens technologiques plus modernes. Mais pour quelles missions? «On pourra refaire le Mali, mais de moins en moins peser loin de chez nous, comme en Afghanistan», résume une source proche du dossier. Des modules de lancement terrestre Aster 30 de l’escadron de défense solair Tursan, basé à MontdeMarsan, lors de la préparation du défilé militaire Loideprogrammation militaire:l’arméevers larationcongrue QUELLES GARANTIES FINANCIÈRES POUR de 2016, permettrait de tenir cet objectif. L’APPLICATION DE LA FUTURE LPM ? Mais la prudence reste de mise. La future Jean-Yves Le Drian assure qu’elle préservera LPM prévoit un «effort de défense» chiffré la «cohérence» de l’outil militaire en étant à 190 milliards d’euros sur cinq ans, dont intégralement appliquée. Ce qui n’a pas été 6 milliards de recettes dites «exceptionnelle cas sous les mandatures préles», liées à la vente de biens imcédentes, provoquant des reDÉCRYPTAGE mobiliers, de fréquences herttards à répétition dans la livraiziennes aux opérateurs de son des matériels attendus impatiemment téléphonie mobile et, vraisemblablement, à par les forces armées. Arrachée de haute lutte la cession de capitaux d’entreprises publiface à Bercy, la sanctuarisation du budget dé- ques. Par ailleurs, l’application dans son infense pour les deux ans à venir – à 31,4 mil- tégralité de la LPM reposera sur l’exportation liards d’euros, soit 1,5% du PIB –, suivie de matériels permettant de prendre le relais théoriquement par une légère hausse à partir de la commande publique. C’est le cas du Ra- fale qui, jusqu’ici, n’a jamais trouvé preneur à l’étranger. Jean-Yves Le Drian se dit persuadé que les contrats en cours de finalisation, notamment avec l’Inde, permettront de relever ce défi à partir de 2016. Tout en reconnaissant, dans la Tribune, que «si une brique est absente, c’est l’ensemble de l’édifice qui tombe». La bagarre avec Bercy ne fait que commencer. SUR QUELS POINTS PORTENT LES CRITIQUES DE LA DROITE ? Pour l’opposition, l’heure est si grave que c’est l’ex-Premier ministre François Fillon LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 FRANCE • 11 Le système Louvois, truffé de bugs, a nourri la grogne des militaires ces dernières années. Il sera remplacé. REPÈRES L’augmentation des effectifs des forces spéciales d’un millier d’hommes et des moyens accrus pour la cyberdéfense et le rensei gnement sont notamment prévus dans la loi de programmation mili taire (LPM) pour 20142019. Un programme d’acquisition de 12 drones de fabrication améri caine, dont manque cruellement l’armée française, est notamment inclus. Projet15:Mise en page 1 26/11/13 15:50 Page1 «La France a et gardera en 2020 la première armée d’Europe, y compris en effectifs. […] La programmation militaire est équilibrée, ambitieuse et rigoureuse. La France doit être au rendez-vous des menaces de demain et disposer de l’armée capable d’y faire face.» JeanYves Le Drian ministre de la Défense, hier dans le Figaro du 14 juillet, à Paris. Charte Graphique : ` Pas de césure dans l’encart 187000 PHOTO MARC CHAUMEIL qui devait défendre hier la motion de rejet c’est, selon le ministère de la préalable contre ce texte. Selon lui, il plongeDéfense, le nombre de militaires rait la France dans le «déclassement» stratéque comptera l’armée en 2019, gique. En sacrifiant la défense, le gouvernealors que 34000 postes doivent ment aurait cédé à la facilité : «La rigueur être supprimés d’ici là. Le nombre budgétaire ne porte en définitive que sur ceux de personnels de défense sera au Neutraface Display Light dont on est assuré qu’ils ne s’en plaindront total de 242000 personnes au Corps 24(sur deux lignes) (18/20sur lignes) – Noir pas», assure Fillon, soulignant que le gouvermêmetrois horizon. nement débauche 34 000 soldats alors qu’il recrute 60000 enseignants. Non content de «La loi qui nous est s’en prendre à ceux qui «ne démolissent aucun portique et ne discutent aucun ordre», le Presoumise dégrade, Suite accroche :Neutraface Display Medium mier ministre socialiste est accusé de n’avoir de manière inconnue corps 24 pas le courage d’assumer ses décisions encouleur ca- noir jusqu’alors, la situation de chant sa copie avant les municipales. la défense. […] Ce projet A l’inverse, Fillon estime qu’il avait, lui, joué carte sur table en précisant quelles unités deloi […] accompagne le Titling Neutraface Displayde 40 vaient disparaître dans le cadre de la révision déclin militaire de la 50%noir cyan 100% : couleur corps14 générale des politiques publiques. En sabrant au total à gagnerFrance d’une série dans l’équipement conventionnel,DVD le gouverDisplay Boldd’arbitrages mal pensés.» Neutraface nement socialiste porterait atteinte à la crécouleur noir corps 12condibilité de l’outil militaire, notamment François Fillon cernant la capacité à conduire des hier à l’Assemblée nationale «opérations extérieures». Et Fillon de constater qu’en 2014, les dépenses militaires recevoir un DVD Pour françaises seront inférieures à celles d’outreDisplay Medium Rhin. Il y aurait «danger», selon Neutraface lui, de voir corps : 12 couleur noir se défaire «tout l’équilibre de l’après-guerre, où le rôle politique et militaire de la France contrebalançait la puissance économique de l’[email protected] magne». Etrange argument à l’heure où Police cer-: Neutraface milliards Display Bold d’euros, c’est le mon Mail libé : tains dirigeants de l’UMP plaident, tant du budget de la défense que couleur noir corps : 12après cinquante ans d’amitié franco-allemande, le gouvernement s’est engagé à • adresse«sanctuariser» pour les deux pour une fédération entre les deux pays. votre précisez Lire aussi en page 21 (rubrique Rebonds). années qui viennent. Neutraface Display Medium Le logiciel de paie renvoyé dans ses foyers «U n désastre», «une nements générés par Lou- ressources humaines, qui était catastrophe» : cela vois, vont devoir continuer celle du ministère avant l’alfait des mois que le leur labeur de Sisyphe. Le ternance», assure ce responministre de la Défense, Jean- ministère de la Défense ne sable. Jadis répartie entre le Yves Le Drian, dénonce la fournit pas d’estimation pré- ministère et l’état-major, la faillite du système informa- cise, mais la facture de ce gestion des «RH» a depuis tisé de versement des soldes fiasco se montera à plusieurs été regroupée sous l’égide du militaires baptisé Louvois millions d’euros. premier. (Logiciel unique à vocation A qui la faute? Dans un souci Moratoire. Aux erreurs de interarmées de la solde). De- de loyauté républicaine, conception informatique puis sa mise en place en 2011, Jean-Yves Le Drian se refuse s’est ajoutée une prise de déce logiciel fou provoque des à désigner les responsables. cision politique hâtive sous le bugs en cascade. «Un vérita- Peut-être, aussi, parce que précédent quinquennat. ble scandale, confient en ce «désastre» résulte d’une Louvois a été étendu proprivé des officiers. Dans série d’erreurs à différents gressivement de la marine à n’importe quelle autre admi- échelons. Certains observa- l’armée de terre, alors qu’il nistration, cela aurait été la ré- teurs ont pointé la société n’avait pas fait ses preuves. volution !» Mais pas dans la de services informatiques Arrivé aux affaires, Le Drian «grande muette», statut Steria, par ailleurs membre avait décrété un moratoire oblige. Durant la campagne sur son extenprésidentielle de 2012, les «Dans n’importe quelle autre sion à l’armée épouses de militaires déde l’air. administration, cela aurait été ployés sur le front en AfghaL’annonce hier la révolution!» nistan avaient toutefois made son abannifesté publiquement leur Un officier don n’est sans colère. Un geste inédit. doute pas forSisyphe. Après avoir de- du groupement Ecomouv, tuite. Elle coïncide avec le mandé un audit interne, le chargé de collecter l’écotaxe. début à l’Assemblée de l’exaministre a tranché, annon- Interrogée par l’AFP, celle-ci men de la loi de programmaçant hier sur Europe 1 rétorque qu’elle n’a pas «dé- tion militaire pour la période l’abandon de ce système. veloppé le calculateur de soldes 2014-2019 (lire ci-contre). Une décision de principe, car qui fait problème». Or les problèmes liés au paieLouvois va continuer de sévir «La responsabilité appartient ment des soldes ont aiguisé le pendant des mois, le temps au ministère de la Défense», malaise du monde militaire, qu’un dispositif alternatif reconnaît-on dans l’entou- confronté à des baisses de puisse être /mis en service.122x111 rage de-Jean-Yves EXEMPLE Format: quadriLe Drian. crédits et des suppressions de Dans l’intervalle, les centai- Le système Louvois a été postes à répétition. Le minisnes de «soldiers» embau- d’abord conçu en interne. tre détaillera début décembre chés par le ministère de la «Cet échec illustre la mauvaise son plan de rechange devant Défense pour corriger au gouvernance, en l’espèce au les militaires. jour le jour les dysfonction- niveau du département des T.H. Découvrez Tsai Ming-Liang ! 31,4 corps 12 INVITATION Libération, France Culture et la FEMIS vous invitent à découvrir le film de Philippe Garrel. Louis quitte Clotilde avec qui il a eu un enfant pour Claudia. Louis et Claudia font du théâtre.L'un enchaîne les rôles tandis que l'autre ne joue pas. Claudia aime Louis, mais elle a peur qu'il la quitte. Un soir, elle fait la rencontre d'un architecte qui lui propose du travail. Louis aime Claudia, mais maintenant c'est lui qui a peur qu'elle le quitte... Et au milieu, il y a Charlotte, la fille de Louis. 20 invitations pour 2 personnes à la FEMIS le jeudi 28 novembre à 18h30 Pour recevoir une invitation adressez votre demande à : [email protected] Précisez votre adresse postale complète. Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression de vos informations personnelles (art.27 de la loi informatique et libertés). Les informations recueillies sont destinées exclusivement à Libération et à ses partenaires sauf opposition de votre part en nous retournant un email à l’adresse mentionnée ci-dessus. 12 • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 FRANCEXPRESSO L’HISTOIRE CARNET RACHIDA DATI ACCUSE GEOFFROY DIDIER (UMP) DE «RACISME» «Cette fille aurait dû voler des mobylettes dans la ban lieue de Chalon.» Visant Rachida Dati, ces propos de Geoffroy Didier, chef de file de la Droite forte, rapportés dans Rachida ne meurt jamais (Ed. du Moment), ont ulcéré l’eurodéputée. Jugeant hier sur LCP que «cette phrase n’est pas un dérapage» et s’apparente à «du racisme», «une infraction pénale», elle a ajouté: «Dès lors qu’on laisse faire, ça veut dire qu’on banalise. La banalisa tion ne vient pas des Français, elle vient de cette élite politique qui ne supporte pas que certains ou certaines puissent accéder à des responsabilités.» Et de souligner: «Moi, je cumule beaucoup de handicaps de ce point de vuelà.» Sur Twitter, l’accusé Didier a gazouillé: «Stop à l’intox: je n’ai jamais tenu ces propos rapportés sur Rachida#Dati. Ni d’ailleurs sur personne d’autre.» J3 DécèS En 2008, Mouna Viprey (à droite) avait coanimé la liste de Voynet (à gauche). PHOTO L. TROUDE Martine, son épouse, les familles Creignou et Azoulai ainsi que ses amis ont l'immense tristesse de vous faire part du décès de Michel Creignou, Journaliste le 23 novembre à l'âge de 65 ans. Les obsèques seront célébrées vendredi 29 novembre à 14h30 à la chapelle de l'Est, au cimetière du Père Lachaise. SouvenirS Liston Borquez Vega 5 ans déjà et ton absence est toujours aussi insupportable Gilles Loup Labrosse 70 ans like a Rolling Stone in Paradise. Louna & Anne La reproduction de nos petites annonces est interdite Le Carnet Emilie Rigaudias 0140105245 [email protected] MUNICIPALES Déçue par la maire de Montreuil, Mouna Viprey prend la tête de la liste divers gauche. «Voynetajustefui ladéfaiteannoncée» annonce de Dominique Voynet, la maire écologiste de Montreuil, qu’elle ne briguerait pas un second mandat – révélée hier dans Libération– a donné lieu à de vifs échanges hier à gauche. «On est en politique pour servir, pas pour avoir des états d’âme», a épinglé Ségolène Royal. Une déclaration jugée «indécente» par l’encore secrétaire national d’Europe Ecologieles Verts, Pascal Durand : «Dominique Voynet a toujours démontré son courage.» Localement, cette décision rebat les cartes. En 2008, Mouna Viprey avait été exclue du PS pour avoir coanimé avec Dominique Voynet la liste regroupant des écologistes, des associatifs et des socialistes dissidents, victorieuse contre le maire sortant, Jean-Pierre Brard (apparenté PCF ). Avant de quitter la majorité municipale avec fracas deux ans plus tard. Elle est cette fois à la tête de la liste divers gauche «Elire Montreuil». Avez-vous été surprise que Voynet jette l’éponge? C’est une hypothèse qu’on avait évoquée. On savait qu’il y avait plusieurs sondages qui la donnaient archibattue. En même temps, c’est une femme politique d’envergure qui a été ministre, une battante. Elle ne peut pas nous dire qu’elle découvre la dureté de la vie politique. Elle a juste fui la défaite annoncée. L’ Pourquoi la greffe n’a-t-elle pas pris? Son bilan est en cause. Plus sur la forme que sur ce qu’elle a fait. Elle a massacré sa majorité. On aurait pu défendre des projets ensemble. Lorsque nous avions des divergences, elle pensait que c’était pour lui nuire. Elle nous a donc dégagés. Plus grave que nos bisbilles, elle n’a pas su gagner la confiance des Montreuillois. Elle s’est montrée autoritaire, dogmatique, cassante. Dans les conseils de quartiers, toute personne qui ne faisait pas allégeance était systématiquement taxée de brardiste. Elle avait pourtant de l’or entre les mains. Mais elle a fini par dégrader son pactole en fédérant contre elle et se retrouve toute nue. Quel gâchis ! Je prends acte de son retrait, mais je conteste les raisons qu’elle invoque. Il y a eu l’affaire du Méliès avec la plainte de la mairie contre le directeur de ce cinéma pour «détournement de fonds publics»… Sur le Méliès, Voynet s’est tiré dix balles dans le pied. Au lieu de mettre en valeur ce bijou, elle a tout cassé, porté l’affaire en justice et licencié. Et s’est mis tout le monde culturel à dos. 500 personnes ont manifesté sous la neige devant la mairie en décembre, elle n’est pas descendue. Paradoxalement, son retrait ne va-t-il pas remettre en selle Jean-Pierre Brard, qu’elle désigne comme le candidat le plus redoutable? J’ai du mal à penser qu’elle s’est retirée pour laisser la voie libre à Brard. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a redonné du souffle à Brard en s’enfermant dans un match contre lui. Mais elle l’avait battu. Et ses propres troupes ne veulent plus de lui. Comment comptez-vous tirer votre épingle du jeu? A Montreuil, la bataille ne se fait qu’à gauche. C’était une concurrente dotée de la prime au sortant. Mais cela ne change rien à nos engagements. Ma candidature regroupe des gens venus de différents partis: moi du PS, d’autres du Front de gauche, des syndicalistes et des responsables associatifs reconnus à Montreuil. «Elire Montreuil», ce n’est pas juste 55 noms, chaque personne a un bagage crédible. A Montreuil, la gauche est divisée. Le député Razzy Hammadi, soutenu par Claude Bartolone, a-t-il une chance? Pour l’instant, il n’est que candidat à la candidature. Ma candidature est celle qui a le moins d’adversaires. Depuis hier, je n’ai que des amis. Recueilli par MATTHIEU ÉCOIFFIER • SUR LIBÉRATION.FR Reportage vidéo Des Montreuillois réagissent à l’annonce de Voynet. 29% d’opinions favorables, c’est la cote de popularité de François Hollande en novembre, selon un sondage BVA publié hier, soit trois points de hausse en un mois (son dage BVA pour Orange, l’Express, la presse régionale et France Inter, réalisé par Internet les 21 et 22 novembre auprès d’un échantillon de 1113 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans au moins selon la méthode des quotas). «Si on me confie cette tâche, je mènerai cette campagne et le but est de passer évidemment en tête de la gauche. […] Mme Le Pen peut passer en tête de la droite. Vous allez laisser la droite se faire dominer par l’extrême droite, […] et nous pendant ce temps-là, à gauche, on irait suivre le cortège plan-plan de Ayrault et Hollande […] qui nous entraînent eux aussi vers la droite?» JeanLuc Mélenchon coprésident du Parti de gauche et eurodéputé, évoquant hier dans #DirectPolitique les européennes de mai 2014 L’INVITÉ DE «MARDI POLITIQUE» CHAQUE SEMAINE À 19H10 SUR RFI, AVEC L’AFP ET «LIBÉRATION» COPÉ NE SOUTIENDRA PAS BAYROU POUR LA MAIRIE DE PAU Invité de l’émission Mardi Politique sur Radio France Inter nationale (RFI) –en partenariat avec Libération et l’AFP–, le président de l’UMP, JeanFrançois Copé, a maintenu que son parti n’apporterait pas son soutien à François Bayrou, candidat aux élections municipales à Pau. C’est selon lui une affaire de «cohérence» visàvis du président du Modem, qui «a contribué à l’élection de François Hol lande». Le députémaire de Meaux a par ailleurs estimé qu’une vague bleue est possible aux municipales en dépit de sondages peu encourageants pour sa formation. Alors que le chantier de la réforme fiscale est lancé, JeanFran çois Copé a déclaré que «le seul sujet est la baisse de la dépense publique». Pour faire des économies, il a notam ment préconisé d’en finir avec les 35 heures ou de fusion ner les régions et les départements. PHOTO REUTERS Retrouvez les principaux extraits de l’émission «Mardi politique» sur notre site www.liberation.fr LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 FRANCE • 13 TournantesdeFontenay:lesaccusés voulaientuneaudiencepublique Huit hommes comparaissent au procès en appel, accusés de viols collectifs commis entre 1999 et 2001. Nina, une des parties civiles, a demandé et obtenu le huis clos. Par ONDINE MILLOT Photo MARC CHAUMEIL. DIVERGENCES U ne année a passé, et tout s’est inversé. Des accusés qui autrefois se cachaient, dissimulés sous des écharpes ou des blousons, on voit aujourd’hui pour certains le visage, on entend la parole. Des parties civiles qui disaient haut et clair leur souffrance, refusant la «honte» des victimes, on ne voit ni n’entend plus rien. L’une est absente. L’autre entre et sort par une issue dérobée, encadrée par deux psys et réclame le huis clos. Elle l’obtiendra – il est «de droit» pour les victimes d’affaires de mœurs– et le procès en appel des viols collectifs de Fontenay-sous-Bois (Valde-Marne), qui s’est ouvert hier devant la cour d’assises d’Evry, se déroulera donc, comme le premier, sans public ni presse. Huit hommes comparaissent jusqu’au 13 décembre pour des «viols en réunion» entre 1999 et 2001. En RÉCIT première instance, quatorze étaient jugés, et la cour avait prononcé dix acquittements et quatre condamnations à des peines allant de trois ans de sursis à un an ferme. Ce verdict, très en dessous des réquisitions, et déconnecté des récits que les deux jeunes femmes parties civiles avaient fait de leurs calvaires, avait provoqué une somme de réactions choquées. La ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, disait son «émotion», celle de la Santé, Marisol Touraine, son «malaise», tandis que des associations dénonçaient un «permis de violer». Et le parquet avait fini par faire appel. Tribunal d’Evry, hier. Trois des accusés arrivent à l’audience. En tout, huit personnes sont jugées pour viols en réunion. hier matin, renoncer. «La peur. L’angoisse de revivre la violence des débats de l’an dernier. Le besoin de se protéger.» Nina, elle, a toujours voulu ce deuxième procès. Mais elle a décidé de demander le huis clos, «pour pouvoir s’exprimer librement, sans pression», dit son avocate, Isabelle Duruflé. Une position compréhensible pour une jeune «COURAGE». Que s’est-il passé, femme âgée de 16 ans à l’époque depuis, dans la vie de Nina et des faits, et en état de grande fragid’Aurélie, 30 ans? «Effondrée» par lité depuis (elle a pris 70 kilos, souffre de troubles déet du som«L’angoisse de revivre la violence pressifs meil, et a été déclarée des débats de l’an dernier. en invalidité à 80%). Le besoin de se protéger.» Mais une position qui donne lieu à une scène Les avocates d’Aurélie une des victimes, sur compliquée, au tout les raisons de son absence au procès en appel début, encore public, le verdict qui acquittait les quatre du procès. A la barre, les avocats de hommes qu’elle dénonçait, Aurélie la défense déclarent que leurs avait décidé qu’elle n’assisterait clients, pourtant mineurs pour sept pas à l’appel. «Puis, voyant d’entre eux au moment des faits, l’audience approcher, elle avait ras- n’ont «rien à cacher», et «souhaisemblé son courage, s’était dit qu’elle tent la présence de la presse pour viendrait au moins les premiers jours, s’expliquer». L’un des accusés deraconter ce qu’elle a subi», expli- mande la parole : «Nous nous vouquent ses avocates, Clotilde Lepetit lons que tout le monde sache ce qui et Laure Heinich. Pour finalement, nous est reproché, et pourquoi ça ne tient pas. La partie civile ne peut pas s’exprimer dans tous les médias comme elle l’a fait il y a un an et refuser qu’ils soient là aujourd’hui pour nous écouter aussi.» Il y a un an, Nina avait confié à Libération ses souvenirs cauchemardesques des viols et tortures subis. «Il y en avait qui me tenaient, il y en avait qui rigolaient, il y en avait qui étaient là et ne faisaient rien.» Dix, quinze, parfois jusqu’à vingt garçons «faisant la queue» dans des caves, des cages d’escalier, pour faire subir à Nina pénétrations anales, vaginales et fellations à la chaîne. Six mois durant, quasiment tous les jours. REPÈRES «C’est impossible de donner une bonne réponse judiciaire si longtemps après. Cette affaire, il fallait s’en préoccuper à temps.» 18 Clotilde Lepetit et Laure Heinich avocates d’Aurélie C’était le nombre d’accusés initialement retenu par l’ins truction. Un s’est suicidé, un a fui, trois ont été jugés devant d’autres tribunaux. w 1999 C’est l’année des pre w 2012 Premier procès: miers viols collectifs subis par Nina et Aurélie, selon l’accusation. w 2005 Nina porte plainte, sui vie par Aurélie. 14 hommes sont jugés à Créteil. w 2013 Procès en appel: huit hommes sont jugés devant la cour d’assises d’Evry. Devant les policiers chargés de l’enquête, les accusés s’étaient dénoncés les uns les autres, donnant des détails incriminants. Au premier procès, ils se sont tous rétractés. Niant avoir violé. Mais admettant, pour certains, des relations «consenties». Nina et Aurélie, a expliqué l’un d’eux, étaient «les plus grosses putes de Fontenay». C’est «volontairement» qu’elles «proposaient» à des garçons inconnus une sodomie ou une fellation, et cela juste après avoir subi les pénétrations de dizaines d’autres. PÈRES. Auditionnée 41 fois par les enquêteurs, Nina, qui a dénoncé les faits en 2005, a donné toutes les précisions qu’elle a pu. Malgré cela, l’instruction, marquée par les errements, a duré cinq longues années, et le parquet a pris encore deux ans pour audiencer l’affaire. Entretemps, la plupart des accusés ont bâti des vies de bons pères de famille. Face à la souffrance des victimes si longtemps négligée, face à la vie reconstruite des accusés, le procès d’Evry interroge sur le sens d’une réponse pénale treize ans après les faits. • 14 • FRANCE LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 Elève de l’école de commerce lilloise, Stéphane a été grièvement blessé durant le rituel d’intégration d’une association d’étudiants. Une information judiciaire a été ouverte. Par STÉPHANIE MAURICE Correspondante à Lille Photo AIMÉE THIRION L a soirée d’intégration s’est soldée par trois vertèbres cassées, un traumatisme crânien, une hémorragie interne et un pied multifracturé qui le handicapera à vie: Stéphane(1), déjà opéré trois fois pour des greffes osseuses, n’est pas prêt de reprendre ses cours de première année à l’Edhec, la très cotée école de commerce lilloise. Une information judiciaire vient d’être ouverte pour «bizutage», un délit depuis 1998. Entrée du campus de l’école de commerce à Croix, dans la banlieue de Lille. Depuis 1998, le bizutage est considéré comme un délit. Des élèves de deuxième année l’ont forcé à boire un mélange de pastis, whisky et vodka, avant de le laisser cuver dans une chambre quand les autres sont partis en boîte de nuit. Il a été retrouvé dans la cour de la maison où s’est passée la fête, vers 5 heures du matin, «debout, se tenant appuyé», insiste Jules Bloch, président de l’association étudiante organisatrice de la fiesta, la Coursecroisière de l’Edhec. «On ne s’est pas rendu compte de la gravité des blessures.» Il n’était pas présent au «C’était capital pour Stéphane», il est recruté à la logistique. Les ne se souvient de rien, il n’a émergé REPÈRES moment des faits : «C’est un déra- confie sa mère, Isabelle. «L’associa- neuf bleusailles de son pôle sont qu’à l’hôpital. Ce qui a le plus chopage des deuxièmes années du pôle tion la Course-croisière de l’Edhec est chargées d’aller acheter de l’alcool. qué la famille, c’est la volonté logistique.» Un cas isolé, sur fond extrêmement prestigieuse, la plus an- Dans la liste des courses se trouvent Ce n’est pas la première d’étouffer l’affaire : mails envoyés de grosse bringue : l’Edhec fait cienne avec quarante-cinq ans aussi du ruban adhésif et des bouaffaire de bizutage à Lille: aux participants, minimisation des corps avec cette interprétation des d’existence. Elle est la vitrine de teilles d’eau minérale de 50cl. Elles l’an dernier, lors de la jour faits. La première version évoque faits. Bizutage ? Jamais l’école.» Et sur le CV, sont vidées, remplies d’un tiers de née d’intégration à la fac de une soirée privée trop alcoolisée, entendu parler. Le promédecine, un jeu par équi car il ne faut pas mouiller l’associaREPORTAGE l’expérience se remar- whisky, un tiers de pastis, un tiers cureur adjoint de la Réque. Il s’agit d’organiser de vodka, et scotchées au poignet pes a dérapé: celle qui tion, qui vit de ses sponsors. publique de Lille, Bruno Dieu- le premier événement étudiant des nouveaux. Ils sont priés de l’emportait pouvait se donné, n’est guère convaincu: «A européen, 3 000 participants sur boire, avec petites tapes derrière la défouler sur le chef de CLUB FERMÉ. Sur le Web, la compriori, c’est une habitude. L’école a une semaine, avec un budget de tête s’ils ne s’exécutent pas, tout en l’équipe adverse. Un étu munauté étudiante n’est pas tendre essayé de cadrer [les rituels d’ac- 1,9 million d’euros, et une foule de cuisinant pour les deuxièmes andiant a été agressé sexuel avec les «blousons rouges» de l’Edcueil des nouveaux étudiants, ndlr] nées. «On leur a balancé lement devant 80 témoins. hec : c’est la parka emblématique avec une charte interdisant ces pra- «Il était majeur, il pouvait quelques-uns des croquequ’on ne reçoit qu’après un an dans tiques, que les associations étudiantes poser ses limites.» monsieur à la figure, sous l’association, un rituel, encore un. «Je tiens à ont signée.» prétexte qu’ils étaient imLes courseux ne la quittent jamais. Louis étudiant de l’Edhec, au sujet de la mangeables», note Bruno Une jeune fille, à la sortie de l’Edcondamner […] VITRINE. Devant le campus, un parc victime, dont les lésions indiquent une chute Dieudonné. Ils ont dû hec, glisse qu’ils «sont méprisants», ces comportements de 8,5 hectares à Croix, les élèves d’une hauteur d’au moins cinq mètres manger les restes, puis fiers d’appartenir à ce club fermé, indignes […] et retiennent surtout les conséquences baisser leur pantalon, se «une élite». Le reproche tourne en adresse mon soutien de cette affaire : la direction a an- sponsors. Alors, n’y entre pas qui mettre en cercle, et finir le reste du boucle. Un ancien patron d’un bar nulé toutes les manifestations orga- veut: les rounds d’entretiens durent mix d’alcool pur. Après? Stéphane qu’ils fréquentaient les décrit au jeune étudiant.» nisées par les associations étudian- un mois, toujours la nuit, toujours perd conscience. comme les pires, «avec un manque Geneviève Fioraso ministre tes, jusqu’à nouvel ordre. Peu de dans un bar. Stéphane en passera Ce sont des cris dans la nuit qui ont de respect total». «Ils claquent des de l’Enseignement supérieur compassion pour Stéphane: «Il était treize. Jeudi 17 octobre, le mail alerté les voisins. Ils ont entrevu doigts pour commander, t’appellent majeur, il pouvait poser ses limites», tombe enfin dans la boîte aux let- une ombre dans la cour d’en face, mon brave.» L’alcool coule à flots, déclare Louis, un des étudiants du tres des heureux élus: rendez-vous ont appelé les locataires de la maile but du jeu étant d’être soûl le campus. «La grosse erreur est de est donné dans un parc, à 19 heures. son. Deux étudiants à jeun étaient plus tôt possible. Il hausse les sourl’avoir laissé tout seul.» Pas de Ils y poireautent deux heures avant chargés de surveiller Stéphane. cils : «On leur a demandé pendant l’avoir enivré et humilié, des faits d’être pris en charge par les an- «Mais ils se sont endormis entre des années de réussir, réussir, réusreconnus par les participants. ciens. On les entraîne dans la cave 3 heures et 4 heures du matin», indisir. Et là, ils se retrouvent seuls, avec Le scénario de la soirée montre une d’une maison, où à la lumière d’une que Jules Bloch. Ce qui s’est passé? étudiants fréquentent leur appart, et ils se lâchent.» Sans organisation rodée. Elle devait être bougie ils découvrent leur affecta- On l’ignore encore. Les lésions inl’Edhec business school. toujours se rendre compte de la le clou de la sélection des 25 nou- tion. Stéphane ne travaillera pas au diquent une chute d’une hauteur Le coût total de la scolarité portée de leurs actes. • veaux entrants, sur 100 candidats. pôle sportif, ni à la communication, d’au moins cinq mètres. Stéphane s’élève à 38000 euros. (1) Le prénom a été modifié. Unbizutagequinefaitpas lesaffairesdel’Edhec 6000 NOUVEAU OUVRESA BIBLIOTHÈQUENUMÉRIQUE L’essentiel sur un sujet : Libé propose une collection exclusive de livres numériques à retrouver sur liberation.fr accès gratuit et illimité pour les abonnés ou 2,90€ à l’unité Rendez-vous dès à présent sur www.liberation.fr en ce moment 1 ebook offert 16 • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 FRANCEXPRESSO L’HISTOIRE L’ÉNIGME DE LA DAME NOIRE ET DU BÉBÉ BLOND DE BERCK, SA FILLE La femme recherchée après le décès d’une fillette à BercksurMer (PasdeCalais) est bien, d’après les exper tises génétiques, la mère de cette enfant retrouvée morte le 20 novembre sur la plage, a affirmé hier un chef d’enquête. Le parquet de BoulognesurMer a déjà révélé, lundi, que l’ADN prélevé dans la chambre d’hôtel de Berck, où la femme et le bébé ont séjourné une nuit, éta blit qu’elles sont «de la même famille». La police judiciaire, qui a lancé un appel à témoins, n’a toujours pas identifié cette «femme de type africain âgée d’une trentaine d’années», filmée le 19 novembre par la vidéosurveillance gare du Nord à Paris, avec le bébé «au teint clair et aux yeux bleus» dans la poussette. «Une aberration géné tique» pour un policier, à moins que le géniteur de cet enfant ne soit «blanc ou kabyle». La dame noire a été vue dans la même gare mercredi vers 13 heures «en direction du RER B», seule, après la mort de son bébé «d’un an environ», et habite sûrement «en IledeFrance». Accident ou crime? Dans la seconde hypothèse, la PJ s’interroge sur ce voyage à Berck pour noyer sa petite. P.T. 24 mois d’emprisonnement ont été requis, hier, par le procureur de Bobigny à l’encontre d’un Egyptien accusé d’avoir accidentellement mis le feu à un immeuble à Pantin (SeineSaintDenis) causant la mort de six personnes. Au matin du 28 septembre 2011, un violent incendie s’était 122x163 Libe coin coin_Layout 6 25/11/13 12:33 Page1 propagé dans un bâtiment appartenant à la municipalité, partiellement muré et promis à la démolition. RETOUR SUR LE TIREUR DE «LIBÉRATION» DÉTENU À FLEURYMÉROGIS A César, le photographe, partie civile César, 23 ans, photographe assistant de Libération qui a été gravement blessé au thorax le 18 novembre par les tirs imputés à Abdelhakim Dekhar, s’est constitué partie civile hier auprès du juge Quentin Dandois, via les deux avocats du journal, JeanPaul Lévy et Emmanuel Soussen. L’état de santé du jeune homme ayant reçu dans le dos une «balle à sanglier» de type Brenneke, qui est ressortie sous son cœur, est jugé «satisfaisant» par les médecins de la Pitié-Salpêtrière. Arrêté mercredi dans un parking des Hauts-de-Seine sur dénonciation de son ex-hébergeur, le tireur présumé a invoqué «le droit au silence» durant sa garde à vue médicalisée à l’Hôtel-Dieu à cause de sa tentative de suicide médicamenteuse. Abdelhakim Dekhar a été mis en examen vendredi soir pour «triple tentative d’assassinat» à Libération, BFMTV et la Défense, «enlèvement et séquestration» d’un automobiliste à Puteaux. Il refuse, depuis, de s’alimenter, selon son avocat Rémi Lorrain, et a été transféré lundi à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). VincentPeillonciblela cyberviolenceàl’école ÉDUCATION Le ministre a lancé, hier, un plan d’action contre le harcèlement dont certains élèves sont victimes. u vol de goûter au racket et aux violences sexuelles, en passant par les moqueries, les menaces et les insultes parce que l’on est trop gros, trop petit, qu’on a l’air intello avec ses lunettes… Entre 6 et 7% des D élèves français sont victimes de harcèlement. Pour lutter contre ce phénomène encore souvent tabou, le ministre de l’Education Vincent Peillon a lancé hier un «plan d’action», ciblant notamment la cyberviolence en plein essor. «Il faut briser la loi du silence, faire en sorte que ceux qui sont victimes mais aussi ceux qui sont témoins aient la possibilité de parler», a déclaré le ministre. Il a présenté une série de mesures, dont une campagne télé, des dessins animés pour sensibiliser les écoliers, un plan de formation des personnels et des d’hui pour dire que j’ai vécu ces souffrances mais que ça ne m’a pas empêchée de réaliser mes rêves». «Je suis devenu plus renfermé, a expliqué de son côté le champion d’Europe d’athlétisme Christophe Lemaitre, je n’en ai pas parlé par peur de renvoyer une image de quelqu’un de faible.» Texto. Le ministère publie aussi un guide de prévention sur la cyberviolence entre élèves, un phénomène qui connaît «un essor considérable», selon Eric Debarbieux qui dirige, au ministère de l’Education, la délégation chargée de la «Il faut briser la loi du silence, prévention et de la lutte confaire en sorte que ceux qui tre les violensont victimes aient la ces scolaires. possibilité de parler.» En France, 40% des élèves Vincent Peillon disent avoir été ressources en ligne donnant victimes d’une agression ou des conseils aux élèves victi- d’une méchanceté en ligne. mes, aux familles et aux té- Même si cela n’a pas lieu à moins (www.agircontrelehar- l’école, «ce sont des élèves, ça celementalecole.gouv.fr). relève de notre responsabilité», Au passage, Peillon a rendu a insisté Vincent Peillon. «hommage» à son prédéces- Les nouvelles technologies seur Luc Chatel, qui avait amplifient le phénomène : lancé en 2012 une première propagation de rumeurs, picampagne. «Mais il manquait ratage de comptes, publicala deuxième partie, c’est-à- tion de photos ou de vidéos… dire les outils, les moyens de Le moyen le plus cité reste le prise en charge, en particulier texto pour un élève sur cinq, la formation» des personnels, suivi d’appels téléphoniques a-t-il souligné. méchants, humiliants et dé«Renfermé». Deux person- sagréables, de l’exclusion nalités ayant été, enfants, d’un groupe social en ligne et victimes de harcèlement té- de problèmes sur un tchat. moignent dans la campagne. Ces violences peuvent avoir «J’étais costaud, a expliqué de sérieuses conséquences la chanteuse Chimène Badi chez les élèves – perte de présente à la conférence de confiance, troubles psychopresse, il y a plein d’enfants logiques, dépression, voire qui ont un physique atypique suicide – et pousser au démais je faisais l’objet de jalou- crochage scolaire. sie en raison de ma forte perVERONIQUE SOULÉ sonnalité. Je suis là aujour(avec AFP) PATRICIA TOURANCHEAU • SUR LIBÉ.FR Diplômés étrangers «Il y a de nouveau une hausse des refus injustifiés», interview de la porteparole du «collectif du 31 mai», qui s’inquiète des dif ficultés rencontrées par les diplômés étrangers souhaitant travailler en France. LES GENS ANGOLAGATE : LA FRANCE VEUT L’EXTRADITION DE GAYDAMAK La justice française a demandé l’extradition d’Arcadi Gaydamak, arrêté à Zurich la semaine der nière et visé par un mandat d’arrêt européen dans l’affaire de l’Angolagate, a annoncé, hier, le parquet général de Paris. L’homme d’affaires francoisraélien, en fuite lors de son procès, avait été condamné par la cour d’appel de Paris en avril 2011 à trois ans de pri son et 375000 euros d’amende pour fraude fis cale et blanchiment dans l’affaire de vente d’armes vers l’Angola. Selon la télé vision publique suisse RTS, l’arrestation de l’homme d’affaires en Suisse a été demandée par le procu reur genevois Dario Zani, dans le cadre d’une ins truction pénale pour abus de confiance, et Arcadi Gaydamak est désormais détenu à Genève. Hier soir, il a demandé sa libération sous caution. La justice suisse va statuer «dans les prochains jours» sur cette requête. PHOTO AFP VOUS LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 SEXE & GENRE Ilfitpasser lapilule... • 17 Lucien Neuwirth est mort dans la nuit de lundi à mardi. En 1967, ce gaulliste féministe réussit à faire voter une loi autorisant la contraception orale. Par MARIEJOËLLE GROS et CATHERINE MALLAVAL «J’ ai tout entendu», avait-il pudiquement résumé, quelques années après avoir porté le combat pour la légalisation de la pilule. Les quolibets comme «fossoyeur de la France» ou «assassin d’enfants» ne retentiront plus dans la mémoire de Lucien Neuwirth. Dans la nuit de lundi à mardi, ce gaulliste historique, qui répondait au doux sobriquet de «Lulu la pilule», s’est éteint à 89 ans. Bien sûr, les hommages ont plu (le président de la République, le Planning familial, la ministre de la Santé, celle des Droits des femmes…). Comment ne pas saluer un REPÈRES En 1967, la loi Neuwirth autorise la pilule, et de ce fait abroge une loi de 1920 qui allait jusqu’à interdire de faire la publicité de la contraception. Les EtatsUnis ont été le premier pays à commercialiser la pilule en 1960. Suivront (avant la France) l’Australie, l’Allema gne fédérale et la Grande Bretagne. 50% C’est la part des Françaises en âge de procréer qui pren nent la pilule. Soit près de 4 millions de femmes. Le sté rilet est quant à lui utilisé par 21% d’entre elles. «Sa vie est le symbole du combat pour la liberté […] Il a su, avec audace, s’affranchir de tous les conservatismes et ouvrir un temps nouveau dans l’émancipation des femmes.» François Hollande hier homme qui libéra la sexualité des femmes, jusque-là suspendues au risque de grossesses non désirées? Comment ne pas faire chapeau bas devant les combats d’un humaniste qui se bagarra encore à 71 ans pour faire passer une loi ouvrant le droit à des soins palliatifs? Comment ne pas s’incliner devant un éternel boxeur, qui ressortit encore les gants en 2000, à 76 ans, pour défendre comme rapporteur la pilule du lendemain ? Ce qui lui valut de nouvelles salves d’insultes qu’il préféra vivre comme un «coup de jeune». MÉDAILLE DES ÉVADÉS. Lucien Neuwirth, c’est l’histoire d’un pionnier. A 16 ans, ce fils d’artisans fourreurs stéphanois entre dans la Résistance. Le 18 juin 1940, il entend de Gaulle à la TSF. Sa mère commente: «C’est lui qui a raison.» Il fonce. Prison en Espagne, séjour à Londres dans les Forces françaises libres, blessure grave. Sa guerre se conclut par une pluie de médailles (croix de guerre, Légion d’honneur, médaille des évadés, rosette de la Résistance, etc.). Fidèle au Général et à ses idées, il adhère à la Libération au RPF (Rassemblement du peuple français créé par de Gaulle). Et enchaîne les responsabilités politiques (adjoint au maire, député puis sénateur, toujours sous des étiquettes de droite, UNR, UDR, RPR). Mais il saura aussi convaincre de Gaulle le moment venu. En 1966, le Général invite le député de la Loire à déjeuner à l’Elysée. Il lance: «Dites-moi Neuwirth, parlezmoi de votre affaire…» Neuwirth est lancé. Les femmes ont obtenu le droit de vote en 1945, «maintenant les temps sont venus de leur donner le droit de maîtriser leur fécondité, parce que c’est leur fécondité». Féministe de la première heure, il expose: «Pour moi, hommes et femmes c’est pareil.» Il raconte ses compagnes de la Résistance, agents de liaison ou parachutistes, dont certaines sont tombées sous les coups de l’ennemi. Il se souvient de ses «premiers émois» à 17 ans à Londres, lorsqu’une jeune Irlandaise lui tendit du gynomine, le premier spermicide. Il relate la détresse entendue au sein du Mouvement Maternité heureuse (ancêtre du Planning familial). Il cite cette femme Lucien Neuwirth, à l’Assemblée nationale, le 11 mai 1973. PHOTO AFP qui un jour lui a confié : «Moi, j’en ai assez, chaque fois que mon mari rentre saoul, il me fait un gosse.» Il évoque enfin le suicide d’une de ses amies, mise à la porte de sa famille parce qu’elle était enceinte. Le Général, pourtant partisan d’une politique nataliste, est à l’écoute. «Vous avez raison, transmettre la vie, c’est important, il faut que ce soit un acte lucide. Continuez.» Lucien Neuwirth vient d’obtenir le feu vert pour déposer un projet de loi autorisant la contraception orale. Mai 68 n’a pas encore eu lieu. Le combat, dans une France très conservatrice, va durer des mois. L’Hémicycle prend feu. «Une flambée inouïe d’érotisme menace le pays» ; «Avez-vous songé que, désormais, c’est la femme qui détiendra le pouvoir absolu d’avoir ou pas d’enfants, en absorbant la pilule, même à votre insu?»; «Allons-nous conférer à la femme mariée le droit de mentir à son mari, de le duper dans son désir naturel d’avoir des enfants?» Lucien Neuwirth, 42 ans, tient bon. Sa proposition de légaliser la contraception est la onzième du genre, mais la première issue des rangs de la droite. Il a contre lui les catholiques, une bonne partie de la droite. Mais, derrière lui, la Grande Loge (Neuwirth est franc-maçon) et for- d’application entrent en vigueur. Qu’importe, Neuwirth a vaincu. Cinq ans plus tard, dans une France qui a maintenant manifesté pour la libération des mœurs, Lucien le féministe rempile: il devient, en cohérence avec ses convictions, le rapporteur de la loi Veil sur l’interrup«Vous avez raison, transmettre tion volontaire de la vie, c’est important, il faut que grossesse (IVG) à ce soit un acte lucide. Continuez.» l’Assemblée natioDe Gaulle à Lucien Neuwirth, qui obtient ainsi nale. A nouveau les un feu vert pour déposer son projet de loi injures fusent. Il s’accroche. La loi est cément une partie de la gauche : votée le 19 décembre 1974. En ce en 1965, le candidat à la présiden- mois de décembre, une autre loi tielle Mitterrand a fait campagne garantit le remboursement par la pour la contraception. Sécurité sociale de la contraception orale et supprime l’autorisation paATTENTE. Noël 1967 arrive enfin. Le rentale pour les mineures. Dès lors, 28 décembre, à Colombey-les- les noms de Neuwirth et de Veil Deux-Eglises, le Général promul- sont pour toujours associés. Ancrés gue la version définitive de la loi dans l’histoire des grands débats Neuwirth sur «la régulation des de société du XXe siècle. Loués par naissances». Mais la victoire n’est toutes les femmes qui revendiquent pas encore totale. Il faudra atten- simplement de pouvoir «disposer dre 1972 pour que tous les décrets de leur corps». • • CINEMA LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 Le réalisateur de «Two Lovers» magnifie Marion Cotillard dans une reconstitution fellinienne des basfonds newyorkais des années 20. NOUVEAU MONDE ANNE JOYCE LA COULEUR GRAY II • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 CINÉMA À L'AFFICHE LA COULEUR GRAY THE IMMIGRANT de JAMES GRAY avec Marion Cotillard, Joaquin Phoenix, Jeremy Renner… 1h57. Une vue de la statue de la Liberté de dos : ainsi s’ouvre The Immigrant, cinquième long métrage de l’Américain James Gray, très attendu depuis la sortie, voilà cinq ans, d’un de ses chefs-d'œuvre Two Lovers. Si l’angle est déroutant, le film ne l’est pas moins, et il faudra en atteindre le terme, signifié par une autre et magistrale vue de la baie de New York, pour comprendre à quel point ce premier plan annonce son programme, et ses ambitions. Nous sommes en 1921. Une foule en haillons se presse aux portes des Etats-Unis, arrivant par bateau à Ellis Island. Dans le lot, deux orphelines, Ewa Cybulska (Marion Cotillard) et sa sœur Magda, qui ont fui la Pologne, où leurs parents ont été décapités sous leurs yeux, et sont venues retrouver un oncle et une tante installés à Brooklyn. Mais dès l’arrivée sur l’île, Magda, tuberculeuse, est envoyée en quarantaine, et la très catholique Ewa, soupçonnée à tort d’être une femme de mauvaise vie, menacée d’expulsion. Dostoïevskien. C’est rapide, implacable (et non sans rappeler l’absurdité de nos administrations contemporaines). Un recours se présente, sous les traits d’un homme qui se dit membre d’une as- sociation caritative, Bruno Weiss (Joaquin Phoenix, onctueux de candeur fabriquée). Mais l’on découvre vite que cet homme bien mis, qui propose d’héberger Ewa chez lui, anime en vérité une revue burlesque dans un théâtre miteux du Lower East Side (superbe et fellinienne reconstitution), et prostitue ses comédiennes. Il ne faudra pas longtemps avant qu’il ne force Ewa à vendre son corps, lui faisant miroiter l’espoir de faire sortir sa sœur d’Ellis Island. Naît une relation de dépendance torturée, où le maître n’est évidemment pas celui que l’on croit, et où, par un mouvement dostoïevskien sion, qui marchent par paire, à la manière d’arias. Si le film ne «prend» pas entièrement, ou en tout cas pas toujours, c’est que le personnage d’Ewa semble parfois étrangement distancié de son propre destin – faute n’en est pas à Marion Cotillard, que l’on n’a jamais vue aussi bien dirigée, mais à un scénario parfois un peu bancal, et à certains plans qui jouent la sursignification plus que l’immédiateté. Suinte. Mais qu’importe: en plus de la beauté formelle de l’objet, et de la performance de Joaquin Phoenix, jamais aussi bon que lorsqu’il suinte de noirceur, il est passionnant de voir les thèmes chers à (le triangle amouEn lieu et place de la fresque Gray reux, le sacrifice des nationale attendue, nous idéaux, la fidélité au clan) ici retournés comme est montré l’envers du rêve de gants. Parce que américain, sous les traits d’un autant le point de vue qu’il mélodrame à focale resserrée. adopte est pour la première fois celui d’une (l’auteur russe est cher à James femme, mais aussi parce que le clan Gray), celle qui s’abîme en reçoit un à trahir ne se résume plus ici à la fasurcroît de grâce. L’arrivée du cou- mille, celle d’Ewa ayant vite fait de sin de Bruno, Emil, dit «Orlando le la désavouer, mais à ce groupe inmagicien» (Jeremy Renner, lumi- terlope (les «colombes» de Bruno), neux), offre à Ewa un fugace espoir où elle atterrit par un coup du destin de fuite et à nous, spectateurs, de et dont le père putatif, objet de sa somptueuses scènes d’illusion- haine, deviendra peu à peu celui de nisme, avant que le film ne s’en- sa compassion. fonce dans la tragédie. L’on voit défiler les clins d’œil et les En lieu et place de la fresque natio- références (lire ci-contre), mais le rénale attendue, nous est donc montré sultat n’en est pas moins singulièrel’envers du rêve américain, sous les ment grayien, jusqu’à ce superbe traits d’un mélodrame à focale res- plan final, qu’il imagina dès les preserrée au naturalisme léché, qui miers temps du scénario, réunissant fonctionne d’autant mieux qu’on ses deux personnages qui s’éloil’appréhende comme un opéra, gnent l’un de l’autre – Ewa filant dans son lyrisme comme dans ses vers la lumière, Bruno vers l’ombre. excès, voire ses scènes de confesÉLISABETH FRANCK-DUMAS La Polonaise Marion Cotillard avec son souteneur Joaquin Phoenix. PHOTO ANNE JOYCE Rencontre avec James Gray et son chef opérateur, Darius Khondji, deux esthètes complices. S i The Immigrant, cinquième long métrage de l’Américain James Gray, nous arrive aujourd’hui auréolé d’un accueil mitigé reçu en mai au Festival de Cannes, il y a au moins une vertu sur laquelle tout le monde s’accorde : sa magnifique photographie. Des plans poudrés, des couleurs saturées, des taINTERVIEW bleaux léchés qui donnent au projet une ampleur grandiose, signés du Franco-Iranien Darius Khondji (Amour, Minuit à Paris), qui travaillait là pour la première fois avec James Gray sur un film. Des mois plus tard, dans ce hall d’hôtel parisien, leur complicité est manifeste, nourrie de références à l’opéra, à l’histoire de l’art. Les faire se réunir était tenter de répondre à la question suivante : comment, malgré des contraintes budgétaires redoutables (1), ont-ils conservé une ambition picturale débordante ? Pourquoi avoir demandé à Darius Khondji de travailler sur ce film? James Gray : Cela tient en deux mots : Darius Khondji. (Rires) J’aimais son travail depuis longtemps, depuis Delicatessen et Seven. Je pensais qu’on aurait une connivence artistique. Ce que je recherche pour un film, ce n’est pas quelqu’un qui fasse exactement ce que je lui demande, ce n’est pas intéressant, mais quelqu’un qui a du goût, qui apportera quelque chose en plus. Ce que je ne savais pas, et qui m’a intimidé, c’est combien il est sympathique. Parce que vous aviez des scrupules à le tyranniser? J.G. : Moi ? Mais je ne tyrannise personne ! (Rires) Darius Khondji: Je n’ai pas le souvenir d’avoir été tyrannisé. Mais je me rappelle un réalisateur qui savait très bien ce qu’il voulait, et heureusement. J.G.: Il y a bien eu cette fois, lorsque tu as voulu rajouter une ampoule sur un mur, dans la scène où Jeremy Renner entre par la fenêtre, et où je n’étais pas du tout d’accord… D.K. : Sur huit semaines de tournage, c’est peu. J.G.: Huit semaines? Trente-trois jours plutôt ! Comment s’est déroulé le tournage dans ces conditions? J.G.: Cela a été difficile, la rapidité était très pénible. Et puis on a eu des contraintes énormes, comme celle de tourner à Ellis Island la nuit, car nous n’avons pas eu l’autorisation d’y être la journée. Ce grand hall que l’on voit au début, dont les murs sont percés de dixhuit immenses fenêtres, il a fallu l’éclairer de l’extérieur. Mais seulement sur la moitié, parce que nous n’avions pas suffisamment d’argent pour le faire entièrement. Nous avons ensuite dédoublé l’image, car le hall est parfaitement symétrique. Mais il y a donc un plan en numérique au beau milieu de la scène. Mais vous avez tourné en argentique? D.K.: Oui, au maximum. Avec de vieux James Gray de face (Little Odessa, the Yards…) et Darius Khondji (Delicatessen, Seven…). PHOTO BRUNO CHAROY LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 À L'AFFICHE CINÉMA «JAMES M’A AMENÉ AU MUSÉE» objectifs anamorphiques, sur une pellicule très douce, que j’ai flashée en couleur, ce qui donne ce rendu particulier, à l’ancienne. Je n’aime pas avoir recours aux effets spéciaux, même si, parfois, c’est obligatoire. Comment vous êtes-vous mis d’accord sur le rendu que vous recherchiez? D.K.: Nous avons énormément travaillé en amont, car pendant le tournage nous n’avions plus le temps d’expérimenter. Au tout début, James a commencé par m’envoyer beaucoup de photos. Des polaroïds de femmes quasi nues, pris par l’architecte italien Carlo Mollino. Ce sont presque des clichés de mode, mais innervés d’un tel pathos, avec une telle épaisseur dans la lumière, qu’elles m’ont empêché de me concentrer sur le projet auquel je travaillais alors. Il les accompagnait de mots comme «religion» ou «ferveur», elles se sont mises à me hanter. J’ai besoin de ce genre d’émotions pour élaborer une lumière. J.G. : On est aussi allés au musée. D.K.: James m’a emmené au Metropolitan Museum, à la Frick Collection. Il m’a montré des peintures d’Everett Shinn, de George Bellows, ces peintres de l’école réaliste américaine de la Ashcan School. Des photos de Lewis Hine prises à Ellis Island aussi. Et puis on a parlé d’autres réalisateurs, de Dreyer, beaucoup de Bresson. J.G. : La scène où Marion Cotillard se confesse, le visage éclairé par un halo de lumière, est un hommage au Journal d’un curé de campagne. D.K. : Pour moi, c’est La Strada, qui a été déterminant. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps, et lorsque tu m’as projeté le film, tout s’est mis en place. Nous avons aussi fait quelque chose d’inédit pour moi, que j’adorerais réutiliser: un story-board qui était un mood board. J.G. : Oui, une liste de plans pour lesquels j’avais à chaque fois mis en regard des images prises ici ou là. Comme cela, dès que j’avais besoin de détailler un concept pour Darius, je pouvais faire référence à cette liste, à ces scènes piquées ailleurs. Même si j’ai essayé de piquer le moins possible. Mais de toute façon, je ne vois pas cela comme du vol, • III plutôt comme de l’inspiration. D.K.: Tu as aussi évoqué cela, quand je suis arrivé à New York : l’inspiration, l’emprunt. J.G. : Je t’ai raconté un mail que j’avais envoyé à Coppola, une vraie lettre de fan, où je lui disais combien je lui avais «volé» d’éléments du Parrain II, pour The Yards je crois. Il m’a répondu: «Très bien, c’est fait pour ça.» Coppola a luimême fait beaucoup d’emprunts à Visconti. Les réalisateurs s’inspirent mutuellement, et l’on pourrait dire la même chose d’acteurs. Giulietta Masina prend des pans entiers à Chaplin pour jouer les Nuits de Cabiria de Fellini. Que pensez-vous que votre film dise du rêve américain? J.G. : J’avais envie de partager l’expérience de mes grands-parents juifs, qui avaient fui un lieu [la Pologne, ndlr] où les parents de ma grand-mère s’étaient fait couper la tête. Mon grand-père racontait sans cesse des histoires où il idéalisait son pays natal, ce que je n’ai jamais compris, vues les persécutions que sa famille y avait subies. Mais les migrations humaines, qui font le récit de l’humanité, ne sont jamais entièrement roses. Nos vies sont emplies de joies et de morts, il faut raconter les deux. Chose pour laquelle je pense d’ailleurs avoir largement échoué: mes films sont plus sombres que joyeux. J’aimerais qu’ils soient plus équilibrés. Mais je n’ai aucun talent comique: dans ce film, je suis le seul à penser que certaines scènes sont hilarantes… On a beaucoup parlé du plan final, était-il dans le scénario dès le départ? J.G.: Oui. Même si, en fait, ce n’est pas un plan, mais un composite, réalisé grâce à des effets spéciaux. Il aurait été impossible à réaliser sinon. D.K. : C’est un plan de réalisateur, il faut être scénariste pour imaginer ça. Pour moi, le plan est resté obscur jusqu’à ce qu’il soit terminé, j’ai dû avoir une confiance aveugle en James. Quand j’ai lu le scénario, j’ai immédiatement vu tellement de difficultés techniques à résoudre, tellement d’angles compliqués, que je me suis dit : «Mais comment ça peut marcher, ça ?» (Rires) Quelles ont été les autres grandes difficultés du tournage? D.K. : J’ai essayé de ne pas penser au budget, sinon j’aurais eu le vertige. J’essaie de ne jamais y penser d’ailleurs, je me dis qu’il y a toujours une solution… Mais rendre, dans le New York d’aujourd’hui, l’essence poétique d’un temps révolu, avec toute la poésie très proustienne que James y mettait, c’était un vrai défi pour moi. Pour le reste, nous avions un producteur incroyable, qui est allé jusqu’à embaucher un chef électricien à la retraite, John De Blaw, parce que James et moi l’adorions. Il y avait une équipe très soudée, ce qui est crucial pour ce genre de projet. J.G.: Une équipe tellement motivée que j’ai passé les mois qui ont suivi le tournage en dépression! C’est difficile de se séparer de gens qui se préoccupent de ce que vous tentez d’accomplir, qui vous aident à le réaliser. On pense qu’en tant que réalisateur vous avez une «vision». Mais pour ce film, hormis ce dernier plan, j’avais surtout envie que l’équipe aille au-delà de ce que j’avais en tête. Qu’elle me dépasse. Recueilli par É. F.-D. (1) 16,5 millions de dollars, soit 12,2 millions d’euros. IV • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 CINÉMA À L'AFFICHE LES DEUX FONT LA PEUR TRANSITION Amitié adolescente dans le Tbilissi viriloïde postURSS. EKA ET NATIA, CHRONIQUE D’UNE JEUNESSE GÉORGIENNE de NANA EKVTIMISHVILI et SIMON GROß avec Lika Retour en 1983 quand la France antiraciste défilait. BORNES Babluani, Mariam Bokeria… 1h42. A Tbilissi, dans la Géorgie indépendante née après l’effondrement de l’URSS, Eka et Natia sont deux adolescentes (plus ou moins 14 ans) qui se faufilent dans les ruines de leur pays : ruines morales autant que sociales et politiques, le repère du «civisme» soviétique s’étant totalement évaporé sans que les «valeurs» du capitalisme occidental aient encore pris le relais. Potacheries. Cette débâcle est filmée de front, aussi bien dans l’intimité des familles (où la violence domestique naît de la violence sociale) que dans la zone publique. A l’école que fréquentent les deux gamines, l’autorité des profs s’effrite sous les coups de potacheries de plus en plus contestatrices. Dans la rue, une seule scène de queue devant une boulangerie dit tout : la disette de l’époque, la docilité terrorisée des pauvres gens mais aussi le système des privilèges sociaux et de la corruption institutionnalisée (ce sont deux soldats en armes qui LA MONTÉE DE LA «MARCHE» LA MARCHE de NABIL BEN YADIR avec Olivier Gourmet, Tewfik Jallab… 2 heures. crises financières récentes. Papanicolaou reste calme tant qu’il en raconte la mécanique. Et perd son sang-froid lorsqu’il évoque sa famille grecque confrontée aux dégâts de la crise. Appétit. Si Peyon ne traite pas les causes profondes de ces crises, il démontre comment, même si vous ne voulez pas vous occuper des mathématiques, ces dernières s’occupent de vous. Car la guerre, la finance, la technologie, les communications… tout cela fonctionne aujourd’hui avec beaucoup de maths. Le cinéaste a planté sa caméra dans ces lieux où se retrouvent les plus performants des matheux : Princeton, Berkeley, Stanford, le centre d’Oberwolfach en Allemagne ou l’Institut des hautes études scientifiques (IHES). Il nous montre comment l’appétit de liberté, la volonté de découvrir par soi-même le vrai du faux, la beauté des chiffres et des formules… bref, les motivations individuelles éminemment sympathiques des matheux se transforment en outils qui peuvent nous broyer ou nous aider à vivre. S’il n’en donne pas la solution, Peyon illustre puissamment la nécessité d’inventer des formes nouvelles de vie politique, adaptées à la puissance des technologies issues de la mathématisation du monde. Tout le monde connaît le début de l’histoire. Le 10 mai 1981, sur le coup de 20 heures, François Mitterrand est élu président de la République française. La gauche revient au pouvoir vingt-trois ans après. Un souffle nouveau envahit le pays. L’état de grâce dure un petit semestre. Un peu moins dans la banlieue lyonnaise (Vénissieux, Rillieux-la-Pape, Bron) où des gamins, lassés d’un racisme honteux, d’être exclus de tout ce qui compte, mettent le feu aux bagnoles et se fritent avec le pouvoir. Une époque où un jeune peut perdre la vie; coupable d’arborer les mauvaises couleurs. Les enquêtes ne vont jamais bien loin, et ça finit par se voir. La tension monte. Eté 83, des affrontements éclatent (encore) aux Minguettes, à Vénissieux, entre jeunes des barres et policiers. Toumi Djaïdja tombe sous les balles. Il se relèvera. Sous l’impulsion du curé Christian Delorme, ils décident de marquer le coup. Ils traversent la France pour demander l’égalité. Trente ans plus tard, on ne lésine pas pour ressusciter l’histoire. Documentaires, bouquins, débats… Le Belge Nabil ben Yadir a décidé d’en faire un film, la Marche. Le casting a de la gueule. Après Né quelque part, Tewfik Jallab confirme. Oliver Gourmet assure, et Jamel Debbouze laisse de la lumière à ses camarades. Le film raconte toute l’épopée, longue de 1 500 bornes. Des débuts compliqués, ponctués de toutes sortes de péripéties, une quinzaine de personnes à Marseille le 15 octobre. A l’arrivée triomphale, plus de 100000 manifestants à Paris le 3 décembre. Les images de l’INA donnent de l’ampleur. Comme cette jeune fille à la tête d’ange qui balance : «On ne demande pas la Lune, on veut seulement vivre.» La réalité est tellement consistante que les ajouts fictionnels surchargent un peu le propos. La croix gammée tatouée par des fachos sur le dos de Monia (Hafsia Herzi) intrigue et n’apporte rien. Idem lorsque Claire (Charlotte Le Bon) est victime d’une tentative de viol. Par contre, la musique, les fringues colorées ajoutent du charme à cette France des années 80. A l’écran, la Marche dure deux heures. Le format idoine. Mais on aurait aimé que Nabil ben Yadir nous montre aussi l’after. La récup politicarde de la gauche réformiste, qui a permis l’accouchement de SOS Racisme, cette usine à futurs bureaucrates. La Marche pour l’égalité a été pillée, victime de sa réussite, de sa force vitale et de sa fraîcheur. Depuis, les politiques se succèdent, et les promesses s’empilent. En vain. Elle a tout de même changé des choses. Montré au pays le visage d’une jeunesse qu’elle refusait de voir. Aujourd’hui, ce pays, notre pays, sait que cette jeunesses existe. Mais de là à la comprendre… SYLVESTRE HUET RACHID LAÏRECHE Des amies câlines. PHOTO ARIZONA DISTRIBUTION grillent la file d’attente et n’ont même pas besoin de menacer pour être servi les premiers). La grande et belle affaire du film, c’est l’amitié romanesque qui lie Eta et Natia. Leur alliance, faite pour beaucoup de fous rires et de tocades de leur âge, est surtout un front du refus. Si la liberté retrouvée fut la grande avancée de la Géorgie au début des années 90, l’émancipation des femmes, a fortiori des filles, n’était apparemment pas à l’ordre du jour. Père bestialement autoritaire, gamins de rues prompts à insulter les filles, voire à les caillasser, jeunes adultes viriloïdes qui considèrent la femme comme une entité strictement animale (à prendre ou à laisser). De fait, une des gamines est une sorte d’esclave domestique à peine volontaire. Et l’autre finira en poupée de salon dès lors qu’un voyou, guère plus âgé qu’elle, aura décrété comme on viole qu’elle sera son épouse. Parabole. La poisse. N’était une affaire de revolver mystérieux qui circule entre les deux filles. La révolte arrivera, pas moins violente que la violence qu’elles subissent. Mais pas forcément dans les paroles et les actes de celle qu’on imaginait la plus affranchie. Au service de cette parabole pour une Géorgie toujours en chantier, une image somptueuse, signée Oleg Mutu, et surtout deux merveilles de d’actrices débutantes recrutées à Tbilissi: Lika Babluani (Eta) et Mariam Bokeria (Natia). Leur grâce est d’être belles et rebelles, comme si de rien n’était. GÉRARD LEFORT LES BOSS DES MATHS Un documentaire illustre comment les mathématiques ont conquis le monde. Pas de bol pour les cancres. BIJECTIONS COMMENT J’AI DÉTESTÉ LES MATHS documentaire d’OLIVIER PEYON 1h43. mathématiques. Peyon aborde dans le film deux sujets brûlants : l’enseignement des maths et son usage massif dans nos sociétés techniciennes. Le premier thème évoque le fameux échec des maths modernes avec ses bijections débutées dès la rentrée de septembre 1968 dans certains lycées. La critique des mathématiques comme outil de sélection scolaire. La recherche en didactique, avec des maths ludiques et joyeuses. Simples mises Comment réussir un film populaire sur les maths ? En évitant tout cours de maths. Démonstration par Comment j’ai détesté les maths, d’Olivier Peyon. On y voit certes un prof avec ses élèves de maths sup, sur une plage, marchant à côté d’une théorie de chars à voile. Ou Cédric Villani, Médaille Fields 2010, répétant la cérémonie dans son hôtel d’Hyderabad (Inde), Dans un monde où les maths dressant la double liste des mots doux et des mots durs sur les maths. sont un moyen puissant de le Mais aussi des manifestations vio- gouverner, l’inculture en maths lentes en Grèce contre l’austérité. peut devenir un frein, voire Des gens qui prennent le thé en fin d’après-midi. La psychologue Anne un verrou à la démocratie. Siety listant des «mots» de maths qui disent quelque chose de nous. Une en bouche pour le plat principal : dans un dame qui installe des serviettes de table no- monde où les maths sont un moyen puisminatives. Un passage du premier discours sant de le gouverner, de le transformer, d’y d’investiture de Barack Obama. Ou un ex- agir, l’inculture en maths peut devenir un trait d’un épisode dramatique et mondiale- frein, voire un verrou à la démocratie. ment connu de la guerre du Vietnam, cette Peyon filme ainsi Georges Papanicolaou, petite fille victime d’un bombardement au professeur de mathématiques financières napalm, courant, nue, sur une route. à Stanford, producteur de ces traders qui Sélection. Etrange pour un film sur les ont fait fortune en manipulant les Bourses maths ? Non, puisque tout cela entretient et les prêts bancaires à coups de modèles des rapports directs, serrés même, avec les sophistiqués et joué un rôle décisif dans les LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 • V EPICENTRE FILMS À L'AFFICHE CINÉMA «L’ESCALE», PENSION AMÈRE COUSIN Un documentaire rugueux suit à la trace des clandestins bloqués à Athènes. L’ESCALE documentaire de KAVEH BAKHTIARI 1h40. L’escale pourrait être le nom d’un rade sympathique où brasser entre amis l’avenir du futur. Mais ici, l’Escale est le titre d’un documentaire implacable et glaçant de Kaveh Bakhtiari qui a planté sa caméra dans le cœur d’une histoire de famille mutant sous nous yeux en naufrage collectif. Invité à Athènes pour y présenter un de ses courts métrages, le réalisateur, d’origine iranienne mais grandi en Suisse, apprend qu’un de ses cousins, Mohsen, parvenu clandestinement en Grèce via la Turquie, est incarcéré dans une prison de la ville. Bakhtiari lâche tout, mais pas sa caméra pour filmer la sortie de taule de Mohsen, un grand gars dont le sourire est augmenté par une balafre ancienne. «Te voilà, dit Mohsen à son cousin Kaveh, et déjà tu filmes !» En effet, Kaveh Bakhtiari filme «déjà» et ne va jamais cesser, Mohsen lui servant de passeur vers le monde qu’il habite, un univers littéralement sous-terrain. En l’espèce, la «pension» d’Amir, un entresol exigu où se serrent sept clandestins iraniens et une réfugiée arménienne, qui tous cherchent à «aller plus loin en Europe». C’est-àdire, totalement à la merci de passeurs arnaqueurs qui, à coup de faux passeports lourdement facturés, leur promettent l’eldorado d’un départ vers l’Allemagne, les PaysBas, la Norvège, l’Amérique. Chance. Pendant plus d’un an, Kaveh Bakhtiari, équipé d’une petite caméra numérique, est devenu à son tour le locataire de ce havre d’intranquilité. Sans pour autant basculer dans l’hystérie, sans jamais jouer le précaire. Le documentaire rappelle à plusieurs reprises de la pitance, les chicanes qui pourraient dégénérer en bastons, mais les déconnades aussi. On éprouve que rien ne fut organisé ou programmé, et que les sorties en ville, souvent pour simplement Pendant plus d’un an, Kaveh «prendre l’air», Bakhtiari, équipé d’une petite furent improvisées caméra numérique, est devenu au gré des hasards à son tour le locataire de ce havre étranges, des rencontres bizarres et d’intranquilité. surtout du risque que son auteur a la chance, exorbi- permanent de se faire contrôler par tante dans ce contexte, d’être un les flics. citoyen suisse. Et il a gardé les scè- Kaveh Bakhtiari explique (in dosnes où, exaspérés par sa présence sier de presse) que, vivant avec des regardante, certains habitants de la clandestins, il est devenu lui-même pension l’envoient chier. un cinéaste clandestin. Cela se véLe compagnonnage domine, qui rifie dans la physique du filmage permet que la crudité de l’intimité qui tremble quand il faut s’enfuir, dévoilée ne soit pas pour autant ou qui, au contraire, se fige en pasimpudique: les engueulades autour se-muraille lorsqu’il faut devenir G.L. À VOUS DE VOIR VITE VU 25 NOVEMBRE 1970 : LE JOUR OÙ MISHIMA CHOISIT SON DESTIN de KOJI WAKAMATSU (1 h 59). Disparu fin 2012 à 76 ans, Koji Wakamatsu fut, dans les années 60 et 70, l’un de ces cinéastes voyous qui travaillèrent à sublimer les série B érotiques alors réalisées à la chaîne pour renflouer les studios nippons. Des films parfois somptueux, aux élans modernistes infusés de tout ce que l’époque comptait d’idéologies radicales. Redécou vert voilà une dizaine d’années, il avait pro fité de ce regain de considération pour réaliser une série de docudramas qui sol dent un à un le bilan des années révolution naires au Japon. Après notamment l’Armée rouge, Wakamatsu s’est attaqué au coup d’état droitier et raté, intenté par Yukio Mishima voilà trentetrois ans et soldé par son suicide. Sorte de négatif du Mishima de Paul Schrader, cet ultime volet déçoit, tant la manière n’oscille ici, malgré quelques beaux éclats, qu’entre l’outrance et la platitude. J.G. imperceptible. C’est cette chronique ordinaire de l’invisibilité forcée qui fait mouche et mal. Mailles. A Athènes, où pour cause de crise économique, la situation des clandestins a empiré, mais aussi bien dans n’importe quelle rue de nos cités, c’est la même armée des ombres qui se faufile entre les mailles de nos vies. Jamais Kaveh Bakhtiari ne tente de culpabiliser, ni d’accuser qui que ce soit. La comédie de la compassion n’est pas son style. Mais au gré des discussions avec les clandestins d’Athènes, tombe de ses lèvres cette vision: «Le jour où plus aucun migrant ne viendra frapper à la porte des pays riches, ce sera le signal pour nous autres nantis qu’est venu le temps de prendre à notre tour le chemin de l’exil.» Jérôme sont deux jeunes faux touristes français qui profitent de leur séjour à Odessa pour contacter et aider quelques refuzniks locaux. Cette belle partition quasi documentaire est peu à peu envahie, puis finalement parasitée par le boucan d’une romance entre les deux jeunes gens. G.L. Mishima au doigt et à l’œil. DISSIDENZ FILM LES INTERDITS de ANNE WEIL et PHILIPPE KOTLARSKI (1 h 40). C’est une reconstitution sidérante de réa lisme pour qui a fréquenté l’URSS des années 70. Images de plomb et grisailles des vies, particulièrement surveillées quand les citoyens soviétiques cumulaient la dou ble peine d’être Russes et Juifs. Carole et DRACULA de DARIO ARGENTO (1 h 46). On a beau admirer Dario Argento et l’immense majorité de ses films, il faut bien reconnaître que, sur ce couplà, le maestro italien de l’horreur s’est fourvoyé dans cette énième évocation du comte assoiffé de Transylvanie. Il est même quasiment incom préhensible qu’un réalisateur de sa trempe n’ait pas pu adapter son propos à la fai blesse flagrante des moyens. Les scènes nocturnes sont plus mal éclairées et moins poétiques qu’un Jean Rollin, et les effets spéciaux, puérils et bricolés, tombent systé matiquement à plat. B.I. HUNGER GAMES : L’EMBRASEMENT de FRANCIS LAWRENCE Le film devrait faire 75 millions d’entrées en cinq minutes puisque suite du précédent qui connut un énorme succès (691 millions de dollars de recettes). Encore une fois ça chauffe, et pas que de la robe, pour Katniss Everdeen, qui remet la main à l’arc pour des nouveaux jeux du cirque, propices à déclencher un rien de révolution mondiale contre les oppresseurs. Avec la toujours aussi attractive et oscarisée Jennifer Lawrence. AVANT L’HIVER de PHILIPPE CLAUDEL Autrement dit l’automne, saison des feuilles mortes et des coups de pied au cul qui se perdent. Avec Daniel Auteuil et Kristin Scott Thomas. Pitié ! VI • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 CINÉMA ZOOM RÉTROSPECTIVE ON REFLET LE MATCH AVEC CARPENTER Les Aventures d’un homme invisible et la Mort aux trousses, «l’un des Le réalisateur secoué de «New York 1997» et «The Thing» commente les doubles programmes du festival Entrevues Belfort qui associent ses films aux œuvres qui les ont influencés. «A llez, posez vo- ordinateur, à de seules fins tre dernière récréatives. Il aime rappeler question, je combien sa principale fordois vous lais- mation en tant que cinéaste ser, j’ai ren- a consisté à accompagner son dez-vous avec mon dealer.» père au cinéma enfant et à La dernière fois que l’on s’ébaudir, alors âgé de 8 ans, avait eu John Carpenter au de doubles programmes aussi bout du fil, voilà sept ou huit «parfaits» que la paire Franans, l’entretien s’était kenstein s’est échappé et X the achevé ainsi. Bêtement, l’on Unknown, deux productions n’avait alors pas eu la pré- Hammer de 1956. sence d’esprit de s’enquérir Et fort opportunément, le de sa liste de courses. De- festival Entrevues Belfort (du puis, il n’a réalisé qu’un film, 30 novembre au 8 décembre) The Ward en 2010, qui n’est lui consacre un beau cycle, même pas sorti en France. A medley de rétrospective et de bientôt 66 ans, il carte blanche sous ne s’éloigne plus ENTRETIEN la forme de double guère de sa maison features composés de West Hollywood, où il par ses soins, où ses films se joue compulsivement aux trouvent associés à ceux qui jeux vidéo (dernièrement, les ont nourris. L’occasion de les plus fraîches moutures de prendre de ses nouvelles Batman, Call of Duty et As- (malgré une petite toux sèsassin’s Creed). Au cinéma, il che, il a une bonne voix, affirme avoir pris un plaisir merci pour lui), de lui faire très vif à regarder World commenter ses choix, et de War Z (un film «kick ass», lui rappeler comment s’était dit-il). Il se déclare «semi- conclu notre précédent retraité», mais évoque tou- échange. «Parfois, je dis cela jours des désirs de réalisa- pour écourter, parfois parce tion, à défaut de projets, et que j’ai rendez-vous. Ne me n’aurait rien contre l’idée de demandez pas de me rappeler venir tourner en Europe. si c’était le cas ce jour-là.» Alors que les BO de ses films, Mais plus avant dans la conqu’il a presque toutes com- versation, lui dont l’impaposées lui-même, sonnent tience et le laconisme ne se aujourd’hui plus actuelles sont guère amoindris avec que jamais et jouissent d’une l’âge ne manquera pas de reconnaissance sans précé- nous invectiver: «Arrêtez de dent (somptueuses rééditions pinailler, poursuivons. Mais où vinyles sur le très chic label est mon dealer, bon sang ?» Death Waltz, bel album «Dark Star» (1974) hommage du groupe gaulois «Docteur Folamour» (1964) Zombie Zombie il y a trois ans), il délaisse désormais ses «L’humour noir de Docteur synthétiseurs analogiques Folamour a été une influence d’antan pour composer de la directe pour mon premier musique avec son fils, à l’aide long métrage. J’aime beaud’instruments logiciels, sur coup certains films de Stan- Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin versus Zu, ley Kubrick : celui-ci, mais aussi l’Ultime Razzia ou Full Metal Jacket. Il y a une vraie efficacité dans ceux-là, que je ne retrouve pas dans ses œuvres plus tardives.» «Assaut» (1976) «Rio Bravo» (1959) «Cela paraît évident, non ? J’ai toujours été très fan de Howard Hawks, dont les films me parlent plus que ceux de John Ford, s’il faut les comparer. Je pense aussi que c’est un cinéaste plus moderne, et beaucoup plus américain. Ford restait chevillé à ses racines irlandaises, il filmait du point de vue de l’immigré. Non pas qu’il y ait quoi que ce soit de mal à cela, nous sommes tous des immigrés dans ce pays, mais c’est une figure à laquelle je m’identifie moins.» «Halloween» (1978) «Psychose» (1960) «Bon, c’est évident aussi. Psychose, d’Alfred Hitchcock, a été le premier film d’horreur moderne, une révolution, la matrice absolue du slasher. La bande originale n’est pas ma partition favorite de Bernard Herrmann, même si c’est sa plus connue, mais il a été extrêmement important pour moi. Son influence m’a été aussi essentielle que celle de Hitchcock. Sa musique était singulière, décisive, définitive.» «Fog» (1980) «Les Oiseaux» (1963) «[D’Alfred Hitchcock] Ce rapprochement est une suggestion qui m’a été faite, parce que ces deux films ont été tournés dans la même ville de Caroline du Nord, j’imagine. Vous voyez d’autres raisons ? Tant mieux, vous devez être beaucoup plus malin que moi. Mon premier choix était un film dont la copie est introuvable, intitulé The Crawling Eye [une histoire de décapitations en Suisse et de nuage radioactif, réalisée par Quentin Lawrence en 1958, ndlr]. Si vous le voyez, vous comprendrez d’où vient Fog.» «New York 1997» (1981) «Un justicier dans la ville» (1974) Halloween et Psychose, «le premier film d’horreur moderne, une «C’était un film [de Michael Winner] très inspirant à l’époque, en ce qu’il montrait New York comme une ville extrêmement dangereuse. Il reste très sous-estimé, alors qu’il a beaucoup de qualités. C’est superbement monté, par exemple.» «The Thing» (1982) «La Chose d’un autre monde» (1951) «Ce film de science-fiction fondateur [de Christian Nyby et Howard Hawks] était à la fois très précurseur, et très de son temps, en ce qu’il était profondément ancré dans la guerre froide. Forcément, ma version est le produit d’une autre époque. On y voit beaucoup plus frontalement la créature que dans l’original, et s’ajoute l’idée du mimétisme biologique.» New York 1997 et Un justicier dans la ville, de Michael Winner, «très «Christine» (1983) «Seuls les anges ont des ailes» (1939) «Je n’ai aucune idée de pourquoi ces deux films vont The Thing et la Chose d’un autre monde, «très précurseur, et très de LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 ZOOM CINÉMA bien ensemble, sinon qu’il est question de machines dans l’un et l’autre, et que c’était un bon prétexte pour montrer ce chef-d’œuvre, qui est l’un de mes films préférés. C’est le prototype absolu du film d’aventure hawksien.» plus grands films d’aventure jamais faits». «Starman» (1984) «New YorkMiami» (1934) «[De Frank Capra] Deux road-movies romantiques, deux films légers. Starman a été l’opportunité unique dans ma carrière de m’essayer à ce registre.» pour lui dénicher un pendant satisfaisant. C’est celui de mes films que vous préférez? Vous ne pourriez pas me faire plus plaisir.» «Le Village des damnés» (1995) Le Village des damnés (1960) une inspiration évidente: de la même façon que Howard Hawks réalisait un remake de Rio Bravo, je refaisais New York 1997. Peu de gens pensent cela aux Etats-Unis, mais Hawks a vraiment signé quelques-uns de ses plus beaux films à la toute fin de sa carrière.» «[De Wolf Rilla] Là, si vous ne voyez pas le rapport, je ne peux rien faire pour vous.» «Vampires» (1998) «La Horde sauvage» (1969) VII kinpah l’est d’autant plus que son sujet, au fond, c’est la guerre du Vietnam.» «Ghosts of Mars» (2001) «Frontière chinoise» (1966) «[De John Ford] Deux films portés par de forts personnages féminins [Anne Bancroft ou Sue Lyon dans Frontière chinoise, Natasha Henstridge ou Pam Grier, dans Ghosts of Mars], des héroïnes libres, assez similaires au fond.» «Une association parfaite : deux westerns, deux films extrêmement sauvages et cruels dans leurs genres res122x219 Rétro Rohmer - Libération_Mise pagede 1 Sam 26/11/13 «J’adore ce film, qui était pectifs. Etencelui Pec- 12:17 Page1 «Los Angeles 2013» (1996) «El Dorado» (1966) • Recueilli par JULIEN GESTER «Jack Burton…» (1986) «Zu, les guerriers de la montagne magique» (1983) les guerriers de la montagne magique et «ses formidables voltiges». «Un film [de Tsui Hark] très plaisant, qui m’a servi de modèle notamment pour ses formidables voltiges. J’ai un lien très fort au cinéma asiatique, ne serait-ce que parce que Godzilla a eu une profonde influence sur moi. Mon fils a été biberonné aux films de monstres japonais. Et je suis aussi un fanatique de Kurosawa.» «Prince des ténèbres» (1987) «Les Monstres de l’espace» (1967) révolution, la matrice absolue du slasher». «Ce film Hammer [de Roy Ward Baker] découle d’une série anglaise qui a beaucoup irrigué Prince des ténèbres par son climat de science-fiction lovecraftienne, typique du travail de son fameux scénariste Nigel Kneale.» «Invasion Los Angeles» (1988) «Les Raisins de la colère» (1939) inspirant, car il montrait New York comme une ville dangereuse». «Les Aventures d’un homme invisible» (1992) «La Mort aux trousses» (1959) «L’un des plus grands films d’aventure jamais faits. Y at-il besoin d’en dire plus ?» «L’Antre de la folie» (1994) «Videodrome» (1983) son temps, en ce qu’il était ancré dans la guerre froide». PHOTOS DR «Je ne suis pas fou de cette association, mais j’ai été paresseux, ou je ne suis pas parvenu à trouver mieux. Je n’ai pas une passion pour le film de David Cronenberg, à vrai dire. Je crois que l’Antre de la folie est simplement trop différent de tout autre film Dessin © NINE ANTICO / POTEMKINE FILMS «Invasion Los Angeles est mon Raisins de la colère, ma fiction sociale du point de vue de la classe pauvre et laborieuse. C’est le meilleur film de John Ford, à mon sens.» Restauration et numérisation avec le soutien du les films du losange À partir du 4 décembre en versions restaurées aux cinémas ÉTOILE ST-GERMAIN-DES-PRÉS et LE CHAMPO SÉANCES SUIVIES DE RENCONTRES ET DÉBATS CINEMA Quel spectateur êtesvous? Un invité nous répond du tac au tac. SÉANCE TENANTE CHRISTOPHE ERNAULT La nuit, il est le chanteur de charme Alister. Le jour, il dirige Schnock, l’excellente revue «des vieux de 27 à 77 ans», dont le prochain numéro paraît le 4 décembre, avec Coluche en couverture. PHOTO DOM GARCIA «QUAND JE CHANGE UNE AMPOULE JE PENSE À LOSEY» w La première image? w La séquence qui vous a empêché Le lion de la MGM. Puissant, effrayant, rigolo. Quality control immédiat pour l’enfant que j’étais. w Dernier film vu? Je ne vais plus en salles, au grand désespoir de mes proches, car je ne supporte plus le comportement antisocial qu’il y règne. L’un des derniers trucs que j’ai dû aller voir, c’est Inception. Dieu sait que je n’ai pas l’habitude de dire quand c’est bien, mais là c’était mauvais. w Le film que vos parents vous ont empêché de voir? Octobre 85. Rambo 2. Un peu trop communiste si je me souviens bien. Ils avaient parfaitement raison. Je m’étais replié sur Mad Max 3 qui m’avait bouleversé. w Le monstre de cinéma dont vous vous sentez le plus proche? Le «Caresseur» de Et la tendresse? Bordel ! w Le film ou la scène qui a interrompu un flirt avec votre voisin(e)? Le Septième Sceau, de Bergman. Je ne les ai jamais revus. w Que faites-vous pendant les bandes annonces? Je localise les extincteurs en cas d’incendie. Je compte les gens dans la salle. w Avec quel personnage aimeriezvous coucher (ou pire)? J’aimerais bien parler de cosmologie quantique à Monica Vitti dans La Notte ou de l’idée de progrès à Faye Dunaway dans Network. w Pour ou contre la 3D? Ni pour ni contre. Mais pas loin. w Le hors-champ, ça vous travaille? Non. Le «hors chiant», oui. de dormir (ou de manger)? Le mec déguisé en ours dans Shining, évidemment. Il est con, ce Kubrick. w Ce film que personne n’a vu et que vous tenez pour un chef-d’œuvre? Le Maître-Nageur, de Jean-Louis Trintignant. w Le cinéaste dont vous n’oserez jamais dire du mal? Joseph Losey. Même l’Assassinat de Trotsky. Même en accéléré et à l’envers. J’ai une indulgence à son égard qui trahit une assez basse admiration de ma part. Accident est le film que j’ai dû le plus voir. Quand il manque un peu d’intelligence autour de moi, je fous un Losey. Quand je change une ampoule, je pense à Losey. J’ai ouvert une page de fan de Losey sur Facebook. On est trois, dont deux Jordaniens. w Le cinéaste dont vous osez dire du bien? Gilles Grangier. Un vrai cinéaste qui savait filmer le populo, franco de port, sans apprêt et sans morgue de classe, avec une idiosyncrasie française aussi passionnante que la Nouvelle Vague. Ken Loach à côté, c’est Jean Girault. w Le cinéma disparaît à tout jamais. Une épitaphe? «Clap, clap». w La dernière image? La fin suspendue de Butch Cassidy et le Kid. J’en parle dans Schnock, dans un interminable papier sur Paul Newman. Recueilli par JULIEN GESTER REPRISE PRAGUE AVANT LE PRINTEMPS Réalisé en 1966 par Vera Chytilova, les Petites Marguerites, merveilleux emblème de la Nou velle Vague tchèque, reparaît aujourd’hui en (superbes) copies restaurées. Il faut redécouvrir ce crachat poétique, coloré, résolumment punk avant la lettre, lancé à la face de l’ennui. L’ennui et le conformisme plombés d’une société socialiste d’alors que les deux jeunes et jolies protagonistes évaporées du film, Marie 1 et Marie 2, s’escriment à ébranler par l’outrance d’une série d’exactions tapageuses (et plus ou moins improvisées). L’ennui du cinéma poussiéreux de papa, rapiécé ici par les élans pop d’une forme qui s’éclate. L’ennui enfin de rapports archaïques entre les sexes, figurés par les corps lourds, empesés, bourgeois, de ces notables que laminent les deux Marie dans une délectable réappropriation des rênes du jeu amoureux. J.G. PHOTO MALAVIDA Ce soir, au Grand Action (5, rue des Ecoles, 75005), séance spéciale en présence de l’actrice Jitka Cerhova. LES CHOIX DE «LIBÉ» BORGMAN d’Alex Van Warmerdam (1 h 53). Borgman est une créature de la fo rêt. Clochard surgi d’un terrier, il investit une maison bourgeoise pour procéder à sa vengeance gla ciale. Le cinéaste dramaturge hol landais, perdu de vue depuis une quinzaine d’années, fait son retour avec ce personnage, instrument d’une mise au jour de pulsions se crètes, d’inavouables névroses et de travers tenus cachés. IN THE LAND OF THE HEAD HUNTERS de Edward S. Curtis (1 h 05). LES GARÇONS ET GUILLAUME, À TABLE ! de Guillaume Gallienne (1 h 25). Réalisé par le célébrissime photo graphe Edward Sheriff Curtis, la mémoire des derniers indiens d’Amérique, un documentairefic tion de 1914 qui fait danser avec les esprits de la tribu des Kwakiutl, sur l’île canadienne de Vancouver. Quand la magie du cinéma nais sant se métisse avec des sorcelle ries ancestrales. Cette vraie fausse autobiographie de coming out hétéro était hila rante au théâtre. Au cinéma, c’est encore bien pire, le sociétaire de la ComédieFrançaise Guillaume Gallienne parvenant à trouver des idées de plans qui renouvellent sa performance de onemanshow. Il est en effet ici tous les hommes de sa vie, y compris sa mère. TICKET D’ENTRÉES (SOURCE «ÉCRAN TOTAL») Film LES GARCONS ET GUILLAUME… ÉVASION CAPITAINE PHILLIPS L’APPRENTI PÈRE NOËL… CARTEL Peu de films ont bénéficié cette année d’une promo presse de l’am pleur de celle des Garçons et Guillaume, à table ! Certes, Guillaume Gallienne excelle aussi dans cet exercice, mais cela n’expli que pas totalement le départ ca non de sa comédie tirée du specta Semaine 1 2 1 1 2 Ecrans 406 196 500 364 409 Entrées 572 872 118 868 193 982 123 540 137 941 cle dans lequel il a triomphé au théâtre. Meilleure moyenne de la semaine, le film enfonce aussi en termes d’entrées toutes les grosses machines américaines, même Gra vity, qui a attiré 200 000 specta teurs en cinquième semaine, et le film d’animation de la saison l’Ap Moyenne/écran 1 411 606 388 339 337 Cumul 572 872 315 539 193 982 123 540 481 563 prenti Père Noël et le flocon magi que. Pour le reste, la semaine est un peu terne, probablement un si gne avant coureur du débarque ment imminent du rouleau com presseur hivernal, Hunger Games, dont l’exploitation est annoncée sur plus de 1000 écrans en France. 18 • ECONOMIE LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 A Tokyo, hier. Ces derniers mois, les Abenomics ont porté les valeurs boursières. PHOTO Y. SHINO. REUTERS «pause dans l’amélioration de la confiance des consommateurs». Cette consommation ne s’appuie pas sur une augmentation des salaires, le talon d’Achille des Abenomics. Malgré les appels répétés d’Abe à un coup de pouce salarial, les entreprises rechignent à mieux rétribuer leurs employés, à embaucher et à investir malgré des profits en hausse cette année. L’indice Tankan, qui décortique le moral des chefs d’entreprise, est devenu positif ces derniers mois, mais il est loin de traduire une pleine adhésion au projet d’Abe. «Nous nous attendions à ce qu’ils soient plus confiants, mais ce n’est pas le cas», constate Adachi Masamichi de JP Morgan, qui entrevoit une possible hausse salariale de 1,5% mais pas avant le printemps. «L’impact des Abenomics n’a pas vraiment gagné le secteur privé.» La politique de relance du Premier ministre, Shinzo Abe, fondée en partie sur une baisse du yen, ampute le pouvoir d’achat, alors que la TVA va augmenter. Par ARNAUD VAULERIN Correspondant à Kyoto «La perte de vitesse est réelle, juge Masamichi Adachi, économiste auprès de JP Morgan à Tokyo. Mais n net ralentissement et même à 1,9%, la croissance n’est pas des doutes persistants. si mauvaise. Cette baisse est d’abord Après un printemps due à des exportations moins imporeuphorique, la tantes, surtout à destination troisième économie monANALYSE des Etats-Unis et des pays diale se prépare-t-elle à émergents en Asie.» C’est un hiver anémique ? Presqu’un an en substance le message délivré par après la mise en place de la potion le gouvernement, qui s’efforce de magique des «Abenomics», le gou- tordre le cou à quinze années de vernement japonais se trouve con- déflation. Depuis qu’il est revenu fronté à des résultats en demi- au pouvoir en décembre, Abe a teinte, alors que se profile un choc mouillé sa chemise pour inverser la fiscal en avril avec la hausse de la tendance. A grands renforts d’acTVA. La croissance s’est repliée de tions volontaristes, il a décoché moitié au troisième trimestre, trois flèches visant à un assouplisà 1,9%en rythme annualisé, con- sement fiscal et monétaire, une retre 3,8% entre avril et juin et 4,3% lance massive via des chantiers puen début d’année quand le Premier blics et une stratégie de croissance ministre, Shinzo Abe, entrait en pour doper les investissements et fonction, inaugurant une auda- stimuler la compétitivité. «La decieuse politique de relance. mande intérieure est stable et l’éco- U REPÈRES nomie poursuit son redressement», s’est félicité récemment le ministre de l’Economie, Akira Amari. cela s’explique par des importations gigantesques d’hydrocarbures pour pallier l’arrêt des 50 réacteurs nucléaires, ce résultat est égaleIMPORTATIONS. Mais ce succès ap- ment dû à une dépréciation du yen. parent des Abenomics reste très La monnaie nippone, qui a perdu fragile. L’arme monétaire n’a pas eu près de 25% en un an, a fait flamber tous les effets bénéfiques escomp- le coût des importations de matières premières et alimentaires, de produits «La consommation va chuter. électroniques et d’haC’est à ce moment-là que les billement, pénalisant Abenomics vont être testées.» d’abord les ménages. Adachi Masamichi expert chez JP Morgan «Avec ces prix d’énergie élevés, une inflation tés comme le montre le déficit à 0,9%, il y a évidemment une perte commercial qui a doublé en un an, de pouvoir d’achat», analyse Rayselon des chiffres communiqués la mond Van Der Putten, spécialiste semaine dernière. Pour le sei- de l’Archipel chez BNP Paribas. zième mois d’affilée, le commerce Dans son rapport mensuel, l’Instiextérieur a affiché en octobre un tut de recherche du Japon a clairesolde négatif de 1090,7 milliards de ment établi que les dépenses des yens (8,25 milliards d’euros), con- ménages avaient ralenti au troitre 556 milliards un an plus tôt. Si sième trimestre, pointant une DETTEPUBLIQUE (en % du PIB) - - - - CROISSANCEDUPIB (variation annuelle en %) (variation annuelle en %) PRIXÀLACONSOMMATION - * * Source : FMI *estimations et prévisions LesAbenomics,potionmagique devenueamèrepourlesJaponais RÉFORMES. Les ménages, qui puisent dans leur épargne, et l’Etat, qui a débloqué plusieurs dizaines de milliards d’euros, demeurent les vrais moteurs d’une croissance très encadrée. «Les entreprises restent prudentes et s’interrogent surtout sur l’après-mars 2014 quand la taxe sur la consommation passera de 5 à 8%. Elles attendent de voir si les Japonais vont continuer à avancer leurs achats avant cette date et redoutent les conséquences de cette hausse sur l’économie», explique Raymond Van Der Putten. Il prévoit une croissance négative à 0,2% au second trimestre. «La consommation va chuter, ajoute Adachi Masamichi. C’est à ce moment-là que les Abenomics vont être réellement testées et affronter des vents contraires.» Cette hausse de la TVA, présentée comme inévitable pour assainir la dette publique qui avoisine les 245% du PIB, devrait permettre de renflouer les comptes de la Sécurité sociale. Mais elle ne sera pas payante sans les réformes structurelles que Shinzo Abe appelle de ses vœux. Ce cœur de sa stratégie de croissance, la troisième flèche, laisse les experts dubitatifs. «Il s’agit de faire du neuf avec du vieux, regrette Tobias Harris, un consultant spécialiste du Japon chez Teneo Intelligence. C’est tellement décevant, il manque une vision de ce que sera l’économie japonaise. La formation, le marché de l’emploi, le financement des entreprises, la main-d’œuvre étrangère sont autant de questions fondamentales auxquelles la troisième flèche ne répond quasiment pas.» L’heure de vérité approche. • * * LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 ECONOMIEXPRESSO «Une nouvelle tyrannie invisible impose ses lois d’une manière unilatérale et implacable. Le marché est divinisé.» 2 883 758 990€ +10,52% Les 3 plus fortes SAFRAN EDF SOLVAY Des employés de MoryDucros, hier, à Pontoise. PHOTO JEANMICHEL SICOT. Coursecontrelamontre pourMory-Ducros SOCIAL Des repreneurs auraient fait part de leur intérêt. Et l’Etat semble prêt à débloquer des aides. C asquettes CGT, calicots CFDT, braseros et casques de chantier… Une centaine de chauffeurs de Mory-Ducros étaient rassemblés hier après-midi devant le tribunal de commerce de Pontoise (Val-d’Oise). Ils ont appris sans surprise le placement en redressement judiciaire du numéro deux français de la messagerie (transport routier de colis), dont la direction avait annoncé le dépôt de bilan vendredi (Libération du 23 novembre). L’annonce de la nomination de deux administrateurs judiciaires et d’une mise sous observation de l’entreprise pour une période de six mois, a été accueillie dans le calme. La procédure, qui gèle les 200 millions de dettes de l’entreprise, va lui permettre de poursuivre temporairement son activité. Résistance. Mais l’inquiétude est grande chez les salariés. Si aucune solution ne se présente, 5000 emplois sont menacés suite à ce dépôt de bilan, le plus important en France depuis Moulinex en 2001. Une course contre la montre est engagée pour éviter la faillite. «L’objectif est maintenant de sauver l’entreprise et un maximum d’emplois. Tout le monde va se retrousser les manches, et dès demain tout le monde repart au boulot pour rassurer les clients», a déclaré le secrétaire CFDT du comité d’entreprise, Denis Jean-Bap- tiste. La CFDT a mis en avant un plan de sauvetage «alternatif» qui passerait par un redimensionnement du réseau national de Mory-Ducros de 85 à environ 50 sites. L’objectif du syndicat est de sauver 3 000 emplois dans le cadre d’une «solution globale». L’actionnaire actuel de MoryDucros, Arcole Industries (filiale du fonds Caravelle) a jeté l’éponge mais se dit prêt à y seurs de premier plan, industriels et financiers, ont d’ores et déjà marqué leur intérêt», affirmait hier la direction de Mory-Ducros dans un communiqué. Mais les syndicats sont sceptiques. Sommet. Aucun repreneur ne s’est manifesté jusqu’au dépôt de bilan. La messagerie est déjà très concentrée en France: «En dehors du numéro un Geodis [filiale de la SNCF], qui serait bloqué par les autorités de la concurrence, personne «Le bal des vautours va n’a les reins assez commencer. Mais nous solides pour rerefusons toute logique de prendre Morydémantèlement site par site.» Ducros dans sa totalité», estime Denis JeanBaptiste secrétaire CFDT un professionnel participer : «Cette période du secteur. Les 765 millions d’observation est l’occasion d’euros de chiffre d’affaires d’élaborer, avec le soutien des et les 4 500 véhicules du pouvoirs publics, une solution transporteur pourraient toupour l’avenir», a dit hier An- tefois susciter des convoitises dré Lebrun, le président à la barre du tribunal. Aussi, d’Arcole Industries. Et son les syndicats mobilisent déjà entourage laissait entendre contre une vente à la déque le fonds était prêt à «ac- coupe. «Le bal des vautours va compagner un ou des repre- commencer. Mais nous refuneurs en restant au capital de sons toute logique de démantèMory-Ducros». De son côté, lement site par site», martèle le gouvernement veut à tout Denis Jean-Baptiste. Les saprix éviter un nouveau drame lariés de Mory-Ducros semsocial. Le ministre du Re- blent en tout cas déterminés dressement productif, Ar- à faire parler d’eux jusqu’au naud Montebourg, semble sommet de l’Etat: au tribunal prêt à débloquer des aides de commerce, ils étaient republiques via le nouveau présentés par le propre fils du Fonds de résistance écono- président de la République, mique, doté de 380 millions un avocat nommé Thomas d’euros. Mais il conditionne Hollande. Prochaine le soutien financier de l’Etat audience le 20 décembre. à l’existence d’«un projet de JEAN-CHRISTOPHE reprise solide». «Des investisFÉRAUD • SUR LIBÉ.FR Impôts. Les termes fiscaux les plus courants dans «l’indispensable lexique». Les 3 plus basses TECHNIP PERNOD RICARD DANONE 16 094,63 4 008,40 6 636,22 15 515,24 L’HISTOIRE La malle de 9 mètres de haut et 30 de long trône près du mausolée de Lénine, bouchant la vue sur la cathédrale Basile le Bien heureux et ses dômes colo rés. Louis Vuitton n’a pas fait dans la discrétion en s’installant sur la place Rouge pour une exposition de bagages ayant appar tenu à des célébrités à tra vers l’histoire. Le gigantisme du pavillon jaune et marron, siglé LV, a suscité moult réactions indignées à Moscou. «La place Rouge est un endroit sacré de l’Etat russe», a protesté le député commu niste Sergueï Oboukhov. Un autre, membre du parti au pouvoir Russie unie, a saisi le service fédéral anti monopole (FAS) pour véri fier si cette malle géante ne viole pas la législation sur la publicité. Vuitton compte reverser tous les bénéfices de l’expo à une fondation caritative pour enfants handicapés. 19 -0,57 % / 4 277,57 PTS Le pape François hier au Vatican MOSCOU INDIGNÉ PAR UNE EXPO LOUIS VUITTON • +0,14 % +0,35 % -0,87 % -0,67 % LES GENS RETRAITES : MARISOL TOURAINE FAIT PASSER SA RÉFORME À L’ASSEMBLÉE La ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, a réussi hier à faire adopter sa réforme des retraites, en seconde lecture à l’Assemblée nationale. Le projet a recueilli 291 voix pour, 243 voix contre, grâce à des mesures de dernière minute destinées à satisfaire de nombreux dépu tés de gauche, hostiles au report de la revalorisation des pensions. Parmi les amendements qui ont pesé dans la balance: l’acquisition d’une complémentaire santé revalo risée d’une cinquantaine d’euros pour les plus de 60 ans (disposant d’une retraite inférieure à 967 euros) et la pro messe de deux hausses du minimum vieillesse en 2014. PHOTO LAURENT TROUDE 15,4% C’est la baisse inquiétante du nombre de permis de construire pour des logements neufs en France, entre novembre 2012 et octobre 2013. Cette déprime du BTP français, malgré le déficit persistant de logements, contraste avec le climat américain: les permis de cons truire, en hausse de 14% en octobre, y retrouvent leur niveau de juin 2008, avant la faillite de Lehman Brothers. 20 • REBONDS LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 Arrêtons les agrocarburants, ils polluent et en plus ils affament Par JEAN ZIEGLER Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008, membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme B rûler des centaines de millions de tonnes d’aliments de première nécessité pour la production d’agrocarburants est un crime contre l’humanité. Depuis 2007, les gouvernements européens et américain ont apporté un soutien sans faille à l’industrie agroalimentaire afin de lui permettre de remplir les réservoirs des voitures avec de la nourriture, notamment grâce à la mise en place d’objectifs contraignants, d’allégements fiscaux et de subventions de plusieurs milliards d’euros chaque année. Pour quel résultat ? Progression de la faim dans le monde, accaparement massif des terres, dégradation de l’environnement, et au finale, des centaines de milliers de vies perdues. Le gouvernement français et les autres dirigeants européens disposent dans le mois qui vient d’une opportunité unique de mettre un terme à ce désastreux développement des agrocarburants. A une époque où toutes les cinq secondes un enfant de moins de 10 ans meurt de n’avoir pu suffisamment s’alimenter –selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)– il est urgent que nos décideurs politiques agissent. Quelle ironie d’entendre certaines multinationales continuer à promouvoir les agrocarburants comme une alternative durable aux combustibles fossiles, «bonne pour l’environnement». En effet, hormis ceux qui bénéficient directement L’Union européenne brûle dans des politiques les réservoirs de ses voitures européennes sur une quantité de calories alimentaires les agrocarburants suffisante chaque année pour nourrir (telles que l’objectif de 10% d’éner100 millions de personnes. gie renouvelable dans les transports), peu sont désormais ceux qui continuent de croire aux avantages environnementaux et sociaux de cette énergie. La réalité est qu’il s’agit simplement d’une autre forme d’exploitation inconsidérée des ressources naturelles: produire un seul litre d’agrocarburants nécessite ainsi pas moins de 2 500 litres d’eau. Les politiques française et européenne de promotion des agrocarburants ont, depuis 2008, détourné les cultures vivrières des marchés alimentaires, sous la pression des puissantes entreprises agroalimentaires qui poursuivent leur course au profit. Cette utilisation de grandes quantités de cultures et de denrées alimentaires pour des quantités relativement faibles de carburant a eu trois conséquences désastreuses. La première est l’aggravation du problème de la faim dans le monde. Presque tous les agrocarburants utilisés en Europe sont issus de cultures vivrières telles que le blé, le soja, l’huile de palme, le colza et le maïs, qui sont des sources de nourriture essentielles pour une population mondiale en expansion rapide. L’Union européenne brûle pourtant dans les réservoirs de ses voitures une quantité de calories alimentaires suffisante chaque année pour nourrir 100 millions de personnes. Par ailleurs, le prix des denrées alimentaires vitales, telles que les oléagineux, devrait augmenter de près de 20%, l’huile végétale jusqu’à 36%, le blé jusqu’à 13%, et le maïs de près de 22% d’ici à 2020 en raison des objectifs actuels de l’UE en matière d’agrocarburants. Si cela vous semble peu, pensez que pour les habitants des taudis du monde qui ont très peu d’argent pour acheter leur nourriture quotidienne, cela constitue une véritable catastrophe. Deuxième conséquence: une nouvelle demande mas- sive de terres par les grandes multinationales détruisant les petites exploitations agricoles ainsi que les habitations environnantes. Les spéculateurs fonciers, les fonds spéculatifs et les entreprises agroénergétiques ont été en première ligne d’une nouvelle ruée mondiale vers la terre forçant des centaines de milliers de petits agriculteurs à abandonner leurs champs et les privant de leurs moyens de subsistance et d’approvisionnement en eau. Partout à travers le monde, mais particulièrement en Amérique latine, en Afrique et en Asie, la monopolisation des terres par des entreprises multinationales d’agrocarburants s’accompagne de violences dont les paysans indigènes et leurs familles sont les principales victimes. La troisième conséquence enfin est la destruction de l’environnement. La demande en terres supplémentaires pour répondre aux objectifs de l’UE en matière d’agrocarburants implique une expansion des terres cultivées équivalente à la taille de l’Irlande, des forêts abattues, des tourbières pillées et des prairies labourées. Il ne fait plus aucun doute que les avantages en termes de changement climatique de la plupart des agrocarburants sont négligeables voire nuls. En tenant compte de l’utilisation d’engrais, du défrichement, de la déforestation et du déplacement d’autres cultures, la plupart des agrocarburants produits par l’UE ne réduisent pas les émissions de carbone, bien que subventionnés pour le faire, mais émettent des millions de tonnes supplémentaires de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. La consommation de combustibles fossiles doit être réduite rapidement, cela ne fait aucun doute, d’autant que les solutions alternatives existent. Elles incluent la réduction de la consommation d’énergie, l’usage plus généralisé des transports publics ainsi que d’autres sources d’énergie propre, et non les agrocarburants issus de cultures agricoles, et aux conséquences particulièrement néfastes. Cette absurdité ne peut plus durer. Il est temps d’arrêter cette folie des agrocarburants, qui ne procurent de larges profits qu’à une poignée de multinationales alors que les conséquences sur l’environnement et sur des millions de victimes sans défense se révèlent désastreuses. Le 12 décembre, lorsque les dirigeants européens décideront à Bruxelles du sort de cette politique d’agrocarburants meurtrière, il est impératif qu’ils annulent immédiatement les objectifs fixés et abandonnent leur soutien aux agrocarburants qui ne font qu’entrer en compétition avec l’accès à la nourriture. Ignorer cette recommandation les rendra complices d’un crime contre l’humanité. Auteur de: «Destruction massive: géopolitique de la faim», éditions du SeuilPoints, 2012. L'ŒIL DE WILLEM LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 Les Occidentaux et le pari iranien Mettons les choses La première est qu’un régime autant au mieux. A l’issue aux abois que celui de l’Iran mais disdes six mois prévus posant de milices surarmées, choyées et de quelques pro- et richissimes n’est jamais aussi fort que longations, l’ac- lorsqu’il se sent menacé de toutes parts. cord intérimaire L’heure n’est alors plus aux divisions. que les grandes Elle est, au contraire, au front commun puissances ont si- de tous les courants conservateurs qui gné dimanche avec assurent leur survie collective en metl’Iran devient un tant leurs différences de côté. La Corée accord tout court. du Nord est là pour dire ce que la RépuPar BERNARD L’Iran renonce blique islamique pourrait devenir si GUETTA définitivement à se elle n’avait plus d’autre perspective que doter de la bombe. sa fin et la deuxième réalité à prendre Les sanctions étranglant son économie compte est l’échiquier politique sont levées. Une guerre a été évitée et le iranien. danger de prolifération régionale en- L’Iran est une théocratie dans laquelle rayé. une superstructure cléricale dispose de Tout est bien, sauf que cette dictature tous les vrais pouvoirs, qui plus est qu’est l’Iran des ayatollahs, aussi bru- concentrés entre les mains d’un seul tale à l’intérieur qu’inquiétante à l’ex- homme, le Guide suprême. L’Iran est térieur, n’en resterait pas moins tout sauf une démocratie mais il n’y un «Etat du seuil», un existe pas moins une répays maîtrisant la techpublique, un exécutif DIPLOMATIQUES nologie nucléaire et procédant d’élections donc à même, dès qu’il le déciderait, de dont les résultats ne sont pas toujours disposer de l’arme atomique à très court truqués. C’est ainsi qu’un réformateur, terme. Mohammad Khatami, s’y était fait élire C’est pour cette raison qu’Israël, et réélire à la présidence à la fin des anles monarchies pétrolières et la quasi- nées 90 et qu’un modéré, Hassan totalité des pays sunnites du monde Rohani, a réussi le même exploit, en arabe déplorent cet accord. A gauche juin, après avoir réuni sur son nom tous comme à droite, Israël s’inquiète de ce les partisans d’un changement. qu’un pays qui arme et finance le Hez- Intensément souhaité par la population bollah, qui entretient ainsi une redou- iranienne, l’accord de dimanche donne table armée à la frontière sud du Liban à ce nouveau président et à ses hommes et dont le Guide suprême, l’ayatollah une telle popularité qu’ils sont mainteKhamenei, le voue à la destruction, nant devenus incontournables. Les puisse toujours devenir une puissance conservateurs doivent désormais comnucléaire. Les pays sunnites sont encore poser avec eux et, si l’équipe présidenplus inquiets parce qu’ils sont en com- tielle parvient, demain, à un accord dépétition avec l’Iran chiite dans tout finitif sur le nucléaire et, donc, à le Proche-Orient, que les passions reli- la levée de toutes les sanctions, elle sera gieuses et les rivalités d’Etat se mêlent alors tellement intouchable qu’elle dans cette bataille toujours plus achar- pourra imposer une libéralisation polinée et qu’à la différence d’Israël, tique à laquelle elle-même aspire et que ils n’ont pas la bombe pour leur garan- les Iraniens exigent. tir un équilibre de la terreur. Face à des conservateurs en plein désarL’accord de dimanche ne résout pas roi, modérés et réformateurs ont le vent tout, et loin de là. On peut y voir en poupe à Téhéran. C’est sur leur renune victoire d’étape pour les ayatollahs. forcement qu’il faut tabler car c’est par C’est pour cela qu’Israéliens et Saou- eux que peut passer une évolution maîdiens en veulent aujourd’hui tant à leur trisée mais toujours plus profonde de ce allié américain et auraient cent fois pré- régime mis dos au mur par les sancféré qu’il n’y ait pas de négociations, tions. Européens et Américains ont, en que les sanctions économiques aient été ce sens, d’autant plus raison de jouer le maintenues et renforcées et qu’elles compromis avec Hassan Rohani qu’un aient progressivement conduit à Iran tournant le dos à la bombe et réinla chute du régime iranien en attisant, tégré dans le concert international contre lui, les tensions sociales et pourrait parfaitement devenir –c’est la le rejet politique auquel il fait face troisième réalité à prendre en compte– depuis près de vingt ans. un facteur de stabilisation régionale. C’est une position d’autant plus défen- C’est un pari mais il est infiniment dable qu’on peut aussi craindre que moins risqué que celui de l’épreuve de cet accord n’incite l’Arabie Saoudite et force car, fatigué de la révolution et de d’autres pays de la région à vouloir la théocratie, bénéficiant à la fois de devenir, à leur tour, des «Etats du ses richesses naturelles et d’un niveau seuil». Il y a, oui, de bonnes raisons de culturel extrêmement élevé, l’Iran est crier gare devant cette avancée mais mûr pour un développement fouc’est pourtant faire là bon marché de droyant et une démocratie, une pleine trois réalités. et entière démocratie. REBONDS • 21 La dissuasion nucléaire mérite un débat Par FRANÇOIS DE RUGY Député EELV et MICHEL ROCARD Ancien Premier ministre H a bien changé. L’affrontement des blocs n’est plus et les menaces ont profondément évolué. Nos ogives ne nous sont aujourd’hui d’aucune utilité face à ce qui constitue le cœur de notre action stratégique : la lutte contre le terrorisme, les conflits asymétriques, les opérations extérieures et de maintien de la paix. Il est aussi indispensable d’ouvrir un débat sur la dérive des coûts de nos programmes de dissuasion, pointée en 2010 par la Cour des comptes. Est-il absolument nécessaire, dans le contexte de restrictions budgétaires actuelles, de maintenir en mer quatre sousmarins lanceurs d’engins et de conserver en parallèle une coûteuse composante aéroportée ? A lui seul, l’entretien de nos forces aériennes stratégiques et de leur environnement mobilise entre 200 et 400 millions d’euros par an. Le RoyaumeUni, qui fait face aux mêmes impératifs que la France, a décidé voilà plus de quinze ans de supprimer sa composante aérienne, et cela n’a nullement affecté sa position sur la scène internationale. Enfin, se pose la question de la compatibilité entre le maintien d’un puissant arsenal de dissuasion dans l’Hexagone, et nos engagements internationaux en matière de désarmement. Comment contribuer à faire sortir de l’impasse le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ? Si elle veut conserver sa place dans le concert des grandes nations, la France a le devoir de relancer ce processus avec des initiatives plus ambitieuses. Cette exigence démocratique s’exprime aujourd’hui au-delà des frontières parti- ier, l’Assemblée nationale a entamé l’examen de la Loi de programmation militaire (LPM) qui fixe les orientations de la France en matière de défense pour la période 2014-2019. Ce texte, qui s’inscrit dans la continuité de l’exercice précédent, confirme notamment le maintien d’une force de dissuasion nucléaire qui coûtera à l’Etat 23,3 milliards d’euros d’ici à 2019. Or, cette décision majeure n’a fait l’objet d’aucun véritable débat démocratique. Les dispositions contenues dans la LPM sont-elles le fruit d’un consensus ? Résultent-elles d’une consultation équilibrée, menée dans le cadre du nouveau Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale ? A l’évidence, non. La composition du collège d’experts désignés sur décret présidentiel pour repenser notre stratégie de défense –dans l’immense majorité, des partisans du statu quo – n’a en effet pas permis que soit menée une véritable discussion sur la question de la bombe atomique. Les participants ont disposé d’autant moins de latitude que le chef de l’Etat avait, avant même l’ouverture des travaux, «confirmé le maintien de la stratégie de dissuasion nucléaire». Les jeux étaient déjà faits. Cette confiscation démocratique repose sur trois arguments. Le cercle des décideurs veut nous faire croire que, dans son interprétation littérale, l’article 15 de la Constitution – qui dispose que «le Président est le chef des armées» – rendrait impossible toute mise en cause de la gestion personnalisée de la politique de défense. Il brandit A lui seul l’entretien de nos forces par ailleurs le dogme de «l’assuranaériennes stratégiques et de leur ce-vie» : le maintien en l’état de l’arme atomique dans ses deux com- environnement mobilise entre 200 posantes serait indispensable, et donc et 400 millions d’euros par an. non négociable, pour assurer la sécurité du territoire. Enfin, il fait état de sanes. En 2011, un groupe de travail réuni la grande technicité de ce dossier qui inter- autour de l’avionneur Serge Dassault avait dirait aux personnes ne disposant pas des conclu que le contexte économique pouvait «compétences technologiques nécessaires» appeler une rationalisation de notre force de de l’aborder. dissuasion. Plus récemment, le député UMP Cette rhétorique alarmiste et excluante n’est et ancien ministre Pierre Lellouche a déploré pas acceptable. La pensée nucléaire ne peut que la France se retrouve contrainte de plus être «le parent pauvre de la réflexion «choisir entre forces de dissuasion et forces de stratégique», selon l’expression du général projection». Desportes, ancien directeur de l’Ecole A l’Assemblée nationale, lors des échanges de guerre. Le niveau des dépenses mobilisées en commission sur la Loi de programmation par la France dans le secteur de la défense militaire qui ont eu lieu la semaine dernière, –32 milliards d’euros par an, soit le troisième les amendements sur la dissuasion nucléaire budget de l’Etat – commande que tous ont tous été repoussés sans la moindre les acteurs politiques, quels que soient leur discussion. S’il ne se saisit pas de ce débat bord et leurs convictions, soient associés lors de la séance de mardi, le Parlement au débat de fond. Il en va de la démocratie et manquera un rendez-vous crucial. Ce n’est de la légitimité de notre action. pas un service rendu au président de Plusieurs questions méritent d’être posées. la République, ni à la Défense nationale. En premier lieu, celle de la pertinence de Notre majorité, élue sur le thème du channotre stratégie atomique. Depuis que gement, ne saurait se résoudre à être cette dernière a été mise en place à la fin des celle du statu quo sur les questions années 50 par le général De Gaulle, le monde militaires. • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 ANNONCES IMMOBILIER [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 66 PROPRIÉTÉS PROVINCE vente DUPLEX ENTRE NOUS [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 66 JOUR DE FÊTE REPERTOIRE [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 66 Carnet de déCoration ANTIQUITÉS/BROCANTES Achète appartement duplex de 4 PieCes à aLFortviLLe Immeuble de haut standing datant de 2010. situé en centre ville. 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OFFRE SPÉCIALE Abonnez-vous Abonnez-v ous à l’offre l’offre INTÉGRALE à tarif tarif anniv anniversaire ersaire Chaque jour le quotidien, livré livr é chez vvous ous avant av ant 7h30 par port eur spécial* du lundi au samedi porteur elle édition Nouvvelle END K--EN EK EE WE W Ajaccio 0,1 m/14º S MOT CARRÉ 5 23 N G R 5 • MERCREDI U N 1 9 Directeur général de Libération Médias Jean-Michel Lopes Tél. : 01 44 78 30 18 Libération Medias. 11, rue Béranger, 75003 Paris. Tél. : 01 44 78 30 68 Amaury médias 25, avenue Michelet 93405 Saint-Ouen Cedex Tél.01 40 10 53 04 [email protected] Petites annonces.Carnet. IMPRESSION Cila(Héric),Cimp (Escalquens),Midi-print (Gallargues),NancyPrint (Nancy),POP(LaCourneuve) Imprimé en France Tirage du 26/11/13: 1117 783 exemplaires. Membre de OJD-Diffusion Contrôle. CPPP:1115C 80064.ISSN0335-1793. Nous informons nos lecteurs que la responsabilité du journal ne saurait être engagée en cas de non-restitution de documents « Pour joindre un journaliste, envoyez-lui un email initiale dupré[email protected] MOT CARRÉ L E U R 8 4 1 Florent Latrive (éditions électroniques) Luc Peillon (économie) Mina Rouabah (photo) Marc Semo (monde) Richard Poirot (éditions électroniques) Sibylle Vincendon et Fabrice Drouzy (spéciaux) Fabrice Tassel (société) Gérard Thomas (monde) Directeur administratif et financier Chloé Nicolas Directrice de la communication Elisabeth Laborde Directeur commercial Philippe Vergnaud [email protected] Directeur du développement Pierre Hivernat ABONNEMENTS Marie-Pierre Lamotte 03 44 62 52 08 [email protected] abonnements.liberation.fr Tarif abonnement 1 an France métropolitaine : 371€. 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JEUXMETEO 60% 24h/24 et 7j/7 ttous ous lles es servic services es et ccontenus ontenus numériques en ac accès cès libr libre e MIN/MAX 4/9 4/10 4/10 2/9 2/7 1/10 -3/5 Lille Caen Brest Nantes Paris Nice Strasbourg FRANCE MIN/MAX SÉLECTION MIN/MAX -4/5 -2/4 0/9 0/10 -2/7 0/7 2/9 Dijon Lyon Bordeaux Ajaccio Toulouse Montpellier Marseille 12/13 5/8 19/31 5/10 -2/4 -3/7 0/15 Alger Bruxelles Jérusalem Londres Berlin Madrid New York JEUDI VENDREDI Les nuages bas finiront par évoluer vers des éclaircies l'après-midi. Très frais. Poursuite d'un temps calme à l'ouest, plus instable dans l'est avec un risque d'averses. Les appli Smartphone & Tablette T ablette (c (compatibles ompatibles Andr Androïd) oïd) de rréduction éduction Lille 0,3 m/12º Lille 0,6 m/12º Chaque mois lle e mensuel Ne Next xt 0,1 m/13º 1 m/13º Caen Caen 6 mois pour 109€ Paris seulement seul ement E ITE SIT eau S Nouvveau O Règlement par carte bancaire. Carte bancaire N° mois année 0,1 m/14º Lyon Lyon Bordeaux 04 91 27 01 16 Bordeaux 0,3 m/16º Toulouse Nice Montpellier 0,1 m/16º Toulouse Marseille abc Date ac ac abbc Nice Montpellier Marseille 0,3 m/14º 0,1 m/14º Soleil Éclaircies Nuageux Couvert Averses Pluie Orage Neige Signature obligatoire : Cryptogramme Dijon Nantes 0,3 m/14º 40 AN ANSS Oui, je m’abonne à l’offre intégrale Libération pour 6 mois, au tarif de 109 € au lieu ac ac Dijon AP0037 de 260€ (prix au numéro). Mon abonnement intégral comprend la livraison de Libération chaque jour par portage* + ttous o us les suppléments + l’accès permanent aux services numériques payants de Libération.fr + le journal complet sur ablette (formule « web première » incluse). Smartphone et T Tablette Nom : ttttttttttttttttttttttttttt Prénom : t tttttttttttttttttttttttttttt ttttttttttttttttttttttttttt Adresse : tttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttt tttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttt Code postal : abbbc V Ville ille : ttttttttttttttttttttttttttttt tttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttt ttttttttttttttttt Téléphone : ac ac ac ac ac E-mail : ttttttttttttttttt ttttttttttttttttt@ttttttttttttttttttt @ttttttttttttttttttt Expire le Orléans Nantes au lieu de 260 € Strasbourg Brest Orléans À découper et renvoyer sous enveloppe affranchie affranchie à Libération, service abonnement, 1 11 1 rue Béranger Béranger,, 75003 Paris Offre Of fre réservée aux particuliers, si vous souhaitez vous abonner en tant qu’entreprise merci de nous contacter. contacter. 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Ana en el Trópico, de Nilo Cruz, mise en scène par Carlos Diaz, réunit pour la première fois des comédiens vivant à Cuba et d’autres exilés aux EtatsUnis. Le théâtre cubain lève le rideau de fer Par RENÉ SOLIS Envoyé spécial à La Havane Photos MICHEL POU Magnifique, le spectacle est d’une implacable tristesse. Le roman de Tolstoï a été transposé en pantomime par la chorégraphe et metteuse our Ana Karenina, présenté par le en scène Angelica Kholina. La sobriété du déthéâtre Vakhtangov de Moscou, le cor – trois lustres et quelques chaises – renTeatro Nacional de La Havane est force l’élégance d’un procédé qui restitue plein à craquer. Et l’annonce deman- l’essence du roman, sans que jamais un mot dant d’éteindre les portables est faite d’abord ne soit prononcé. Le suicide d’Anna – un en russe. La machine à remonter grincement de roues et un coup de le temps est en marche. Avec son REPORTAGE vent qui fait voler des feuilles grand rideau plissé marron et ses mortes– vient clore une deuxième murs jaunâtres, la salle monumentale a des partie où, vêtus de noir, tous les interprètes allures 100% soviétiques. Drôles de retrou- portent d’avance le deuil de l’amour manqué. vailles: la majorité des jeunes comédiens de Et le frisson glacé qui étreint à cet instant la la troupe du Vakhtangov n’ont pas connu le salle ne doit rien à l’air conditionné soufflant communisme et le voyage à Cuba constitue au maximum. pour eux une excursion à l’époque de leurs Rien ne change à Cuba, surtout pas l’impresparents. Les spectateurs cubains de plus de sion du temps suspendu, comme si le deuil 40 ans ont pour leur part presque tous appris de la révolution n’en finissait pas. Et pourle russe au lycée. tant… Le festival de théâtre de La Havane qui P s’est tenu du 25 octobre au 5 novembre (lire ci-contre) a multiplié les signes d’une évolution encore impensable il y a peu. L’héroïne de Tolstoï est aussi l’affiche du Trianón, l’un des nombreux théâtres qui bordent Línea, l’une des principales avenues du Vedado, le quartier qui concentre une bonne part de la vie culturelle de La Havane. LIBERTÉ. Pièce de Nilo Cruz, auteur américain d’origine cubaine écrivant en anglais, Anna in the Tropics a obtenu en 2003 un prix Pulitzer pour le théâtre. L’œuvre a pour cadre une manufacture de tabac en Floride dans les années 30 et raconte l’arrivée d’un homme embauché par des travailleurs pour leur faire la lecture à haute voix pendant les heures de travail. Les ouvriers écoutent donc des pages d’Anna Karénine, tandis que la famille propriétaire de l’usine se déchire. L’intérêt du spectacle réside d’abord dans ses conditions de production: après sa création à La Havane, fin octobre, cette version d’Ana en el Trópico vient d’être présentée, du 22 au 24 novembre, au Colony Theater de Miami, et la distribution rassemble des acteurs vivant à Cuba et d’autres installés aux Etats-Unis. Un cas de figure qui illustre le comblement progressif du fossé entre Cubains «du dehors» et du «dedans». Ce soir-là, les actrices Mabel Roch et Lilian Rentería, qui ont quitté l’île depuis vingt ans, sont ovationnées au moment du salut et nul n’aurait l’idée de les traiter de gusanas («vers de terre» –entendre «vermine»–, le mot qui désigne les Cubains ayant quitté l’île). A l’affiche avec elles, Osvaldo Doimeadiós vit toujours à La Havane. Célèbre pour ses rôles dans des telenovelas et ses émissions humoristiques, Doime, comme tout le monde l’ap- LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 CULTURE • 25 Le Teatro RaquelRevuelta, l’une des nombreuses salles qui bordent Línea, le «Broadway» de La Havane, et le Teatro Nacional. pelle, a été invité en 2010 à animer une émission sur Mega TV, une chaîne américaine en espagnol basée à Key West, en Floride : «A Cuba, tout le monde était persuadé que j’allais rester là-bas. Mais je ne voyais pas pourquoi il fallait que je choisisse entre un pays ou l’autre. La guerre froide est finie! Il y a quelques années, combiner les deux aurait été impensable. Aujourd’hui, les artistes peuvent faire des choses sans attendre les décisions politiques. Les temps changent.» Un «changement» qu’illustre aussi l’étonnante liberté de ton, tant sur le fond que sur la forme, de plusieurs spectacles. Dans Fichenla, si Pueden («Chopez là si vous pouvez»), adaptation de la Putain respectueuse de passent ici et maintenant sans même avoir besoin de dire: “Ça, c’est Cuba.” C’est une stratégie relativement subtile. Le théâtre dispose d’un espace de dialogue que n’ont pas le cinéma ou la télévision. Nous profitons de cette brèche.» La metteuse en scène Nelda Castillo, fondatrice en 1996 de la compagnie El Ciervo Encantado («Le cerf enchanté»), n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère. Dans la chapelle désaffectée qui abrite son théâtre, elle est du genre à veiller sur les spectateurs comme sur des enfants potentiellement turbulents («toute sortie est définitive»). Solo interprété par Mariela Brito, Rapsodia Para el Mulo («Rhapsodie pour la mule», titre inspiré d’un poème de Lezama Lima) est un spectacle au premier degré d’une rare violence. Nue, harnachée et entra«Le théâtre dispose d’un espace vée comme un véritable anide dialogue que n’ont pas le cinéma ou la mal, l’actrice tourne en rond télévision. Nous profitons de cette brèche.» pendant une heure en traînant une carriole, Mère Courage Carlos Celdrán metteur en scène muette et harassée fouillant Sartre, le metteur en scène Carlos Celdrán, dans les poubelles de la révolution, au pied fondateur de l’Argos Teatro, transpose la d’une silhouette du Che en ombre chinoise pièce dans le Cuba d’aujourd’hui et met les et d’un slogan, «Del combate diario a la victodeux pieds dans plusieurs sujets brûlants: ra- ria segura» («Du combat quotidien à la viccisme, arbitraire policier et corruption politi- toire assurée»). Combat et victoire résumés que, le spectacle tourne au brûlot d’actualité. par ce personnage à l’état de bête, qui accuPar sa rigueur, son intensité et la qualité des mule ses «richesses», tomes dépareillés des interprètes, la pièce est cousine des produc- œuvres de Marx, Engels et Lénine, plateauxtions argentines de Daniel Veronese et repas en étain cabossé, cartes de rationneClaudio Tolcachir, qu’on a pu voir ces derniè- ment déchirées, panneaux de «tâches révolures années en France, notamment au Festival tionnaires» maculés de rouille et de boue. Le d’automne. Metteur en scène expérimenté, tout au rythme d’une bande-son pimpante: Carlos Celdrán sait très exactement jusqu’où des extraits d’émissions de Radio Enciclopepousser le bouchon: «Je monte des textes qui dia, station culturelle grand public, égrenant, permettent de dialoguer avec la réalité urbaine au gré d’un jingle stressant, des «infos» façon d’aujourd’hui. Que ce soit Ibsen, Strindberg, Sélection du Reader’s Digest: «Les fourmis ne Beckett, Sartre, ou Virgilo Piñera [poète «fon- dorment jamais»; «Les éléphants sont les seuls dateur» du théâtre contemporain cubain mis mammifères incapables de sauter». Et pour à l’index dans les années 70 et mort en solde final des lendemains qui chantent, l’ac1979, ndlr]. Il s’agit toujours pour les acteurs trice s’arrête pour uriner sous elle. Impossible de parler d’eux-mêmes et du présent. Quand on d’être plus explicite. sort les textes de leur contexte original –lieu ou La nouvelle génération a l’irrévérence plus léépoque–, on peut donner la sensation qu’ils se gère. Dans La Mujer de Carne y Leche («La INVITATION à la projection du film suivie d’une masterclass avec Yann Dédet, monteur, à la Fémis, 6 rue Francoeur 75018 Paris JEUDI 28 NOVEMBRE À 18H30 femme de chair et de lait»), les jeunes artistes du collectif MCL, réunis autour de Leire Fernandez, partent à l’assaut de quelques incontournables de la culture nationale – notamment le machisme–, via des micros-trottoirs aussi édifiants qu’hilarants, la gaîté n’occultant pas une forme de colère sourde. FIL. Dans la même veine, en plus déjanté et plus écrit, Perros que Jamás Ladraron («Chiens qui n’ont jamais aboyé»), du jeune dramaturge Rogelio Orizondo, s’inspire de témoignages – souvenirs d’enfance, expériences amoureuses– souvent glaçants de ses acteurs. Et les insère dans un show interactif avec le public (invité à envoyer des SMS à l’un des acteurs, qui les lit en direct). Le tout dans un bordel qui revendique sa filiation avec le «théâtre allemand contemporain». L’autre fil suivi par les jeunes dramaturges cubains passe par un retour aux héros du théâtre grec. Ils s’inscrivent en cela dans la lignée de Virgilio Piñera, dont Electra Garrigó (1948) constitue l’une des œuvres majeures du théâtre cubain du XXe siècle. Un retour aux classiques qui est aussi un raccourci vers l’actualité que certains ont payé cher. Tels Antón Arrufat, auteur en 1968 d’une réécriture jugée «contre-révolutionnaire» des Sept contre Thèbes d’Eschyle, qui lui valut mise en accusation et interdiction professionnelle, ou José Triana, auteur de Médée dans le miroir, qui vit à Paris depuis plus de trente ans. L’époque n’est plus aux procès staliniens et les deux Antigone présentées au festival ne font l’objet d’aucune censure. Antigona de Yerendy Fleites transforme Créon en bureaucrate borné et fait d’Antigone une jeune fille d’aujourd’hui : les enjeux du texte original –l’enterrement du corps de Polynice, le défi d’Antigone à Créon, la punition – sont comme dilués dans une société où règne l’ennui, encore plus que l’arbitraire. Plus ambitieux et maîtrisé, Antigonón de Rogelio Orizondo (l’auteur de Perros que Jamás Ladraron) part d’Antigone pour passer en revue certains héros de l’histoire cubaine, comme José Marti, le père de l’indépendance, dont les bustes et les représentations sont encore plus nombreux à Cuba que ceux de Che Guevara. Le metteur en scène Carlos Díaz (celui d’Ana en el Trópico) déploie tout son savoir faire et son sens de l’humour, dans un spectacle aussi réjouissant visuellement –avec des clins d’œil appuyés au cabaret de travestis– que pertinent théâtralement, sur le fil entre dérision et poésie, dans un enchaînement de questions qui en appellent toujours d’autres. Une façon, comme dit Carlos Díaz, de «repousser les limites». «La nouvelle génération, ajoute-t-il, se fiche de la vieille rhétorique. Elle se situe déjà demain.» Un demain qui ne chante pas, mais auquel le théâtre cubain commence à donner une voix. • UN FESTIVAL, SOIXANTE SPECTACLES Dédié au 150e anniversaire de la naissance de Constantin Stanislavski, le 15e festival international de théâtre de La Havane, qui s’est tenu du 25 octobre au 5 novembre, a proposé une soixantaine de spectacles dont un gros tiers de productions cubaines –de loin la part la plus intéressante de la programmation. Le festival, qui se tient tous les deux ans, alterne avec une autre manifestation, organisée dans la ville de Camagüey, et exclusivement consacré au théâtre cubain. Plusieurs des spectacles présentés pendant le festival restent à l’affiche de théâtres locaux. Parmi eux, Fichenla si Pueden, l’adaptation de la Putain respectueuse de JeanPaul Sartre (Argos Teatro); Antigonón (au Trianón) et Rapsodia Para el Mulo (El ciervo encantando). Un film de la sélection cinéma France Culture — Libération Inscription et réservation* par mail à [email protected] *dans la limite des places disponibles Un événement France Culture et Libération, en partenariat avec La Fémis 26 • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 CULTURE HISTOIRE Une exposition au musée de l’Armée, à Paris, retrace, en mêlant costumes, estampes, documents écrits et audiovisuels, la colonisation française en Extrême-Orient et la guerre qui y mit un terme. Les Invalides refont l’Indochine Parachutage sur Diên Biên Phu, 1954. Image attribuée au photographe militaire Daniel Camus. PHOTO RMNGRAND PALAIS. IMAGE MUSÉE DE L’ARMÉE près l’Algérie l’an dernier, au tour de l’Indochine. Désireux de sortir de la naphtaline, le musée de l’Armée, installé aux Invalides, continue de revisiter les pages douloureuses de la colonisation et de la décolonisation à la française. Près de soixante Après la tragédie algérienne, le second volet de ce dyptique prêtait a priori moins à polémique. C’était compter sans Laurent Fabius. Colère. En apprenant, début octobre, la mort à 102 ans du général Giap, le célèbre vainqueur de Diên Biên Phu, le ministre des Affaires THÉâTRE / MUSIQUE / DANSE masculin/ féminin © Pierre et Gilles : la sirène et le marin, 1997 A ans après la défaite de Diên Biên Phu (en mai 1954), qui accéléra la fin de cette aventure extrême-orientale, une exposition retrace la conquête de la «Cochinchine», son éphémère colonisation (1856-1954), puis le repli des Français dans le fracas des armes. étrangères a rendu un hommage appuyé à un «un grand patriote vietnamien». Cette déclaration a suscité la colère des anciens combattants, mais aussi d’une partie de l’armée qui n’a pas oublié le sort réservé aux prisonniers de guerre, soumis à des mauvais traitements entre les mains du Vietminh. Preuve que le sujet demeure encore sensible : des responsables vietnamiens sont venus discrètement en reconnaissance aux Invalides, histoire de vérifier que l’ambassadeur d’Hanoi à Paris pourrait visiter l’exposition sans se fourvoyer. Celle-ci raconte comment la France de Napoléon III, puis de la Troisième République, a jeté son dévolu, durant la seconde moitié du XIXe siècle, sur ce bout d’Asie coincé entre les Indes britanniques et la Chine. Devoir. Mêlant costumes, estampes et documents écrits, la première partie de l’expo retrace la conquête au son du canon, puis la colonisation de territoires situés à quelque 15000 kilomètres de la France. Une entreprise qui, à la fin du XIXe, suscita des débats passionnés à l’Assemblée nationale, Jules Ferry invoquant le «devoir des races supérieures» d’édifier les «races inférieures», pendant que Georges Clémenceau dénonçait des «crimes atroces» commis au nom de l’héritage des Lumières. Un échange qui a trouvé un lointain écho, en 2005, avec la controverse suscitée par un projet de loi (finalement enterré) vantant les «bienfaits» de la colonisation ! L’exposition retient davantage l’attention lorsqu’elle aborde, avec des documents audiovisuels saisissants, la du 12 novembre au 7 décembre 2013 02 32 10 87 07 automne-en-normandie.com montée de la revendication d’indépendance en Indochine, la période trouble de l’Occupation, puis la guerre contre le Vietminh. On (re)découvre ainsi que le régime de Vichy du maréchal Pétain pactisa avec le Japon pour garder le contrôle de la péninsule. Après la Libération, on entend la voix –à la fois timide et déterminée – d’Hô Chi Minh rendre hommage au «grand peuple» de France qui «a levé l’étendard «monde libre». Sur un film d’époque, un vice-président américain au visage poupin visite la cuvette de Diên Biên Phu : un dénommé Richard Nixon – l’homme qui, deux décennies plus tard, signera les accords mettant fin à la seconde guerre du Vietnam. Cadavres. Tournées en 1953 par un jeune militaire promis à bel avenir de cinéaste, Pierre Schœndœrffer, d’autres images montrent la guerre telle qu’on ne la voit plus aujourd’hui : les tirs d’artillerie, Après la Libération, on le vacarme asentend la voix d’Hô Chi sourdissant des Minh rendre hommage au canons, les cada«grand peuple» de France. vres défigurés de l’ennemi. Le tout des valeurs de liberté, d’égalité sur fond de musique dramaet de fraternité». Un éloge en tique et accompagné d’une forme de baiser qui tue pour voix off martiale. mieux justifier le combat à En toute fin d’expo, deux pévenir. pites: une conversation surAprès une vaine tentative de réaliste entre deux hauts négociation entre la France gradés enregistrée juste gaullienne et le dirigeant avant la chute de Diên Biên communiste vietnamien, Phu, et un film amateur en 1946, la péninsule bascule tourné après les accords de dans la guerre. Contraire- Genève (1954) par un sousment au conflit algérien, dé- officier montrant des milinoncé par les Etats-Unis taires français embarquant à comme un prurit colonial, bord du bateau qui va les ral’Oncle Sam soutient à bout mener dans l’Hexagone. de bras son allié français en Sous l’œil impassible des Indochine, vue comme un vainqueurs, les jeunes soldomino qu’il faut maintenir dats du Vietminh. à tout prix dans le giron du THOMAS HOFNUNG OPÉRATION DÉPOUSSIÉRAGE Le Louvre, le musée d’Orsay, Beaubourg et… le musée de l’Armée. Créé en 1905, cet établissement mal connu est pourtant l’un des musées les plus fréquentés de France avec 1,4 million de visiteurs annuels. Situé dans la cour d’honneur des Invalides, à Paris, il est vrai qu’il bénéficie d’un emplacement exceptionnel. Les touristes, attirés par le tombeau de Napoléon, en profitent pour aller admirer les collections permanentes du musée, et notamment le vaste département des armes et armures. Conscients que la chose militaire occupe une place de moins en moins importante dans la société française, le directeur du musée, le général Christian Baptiste, et son adjoint David Guillet (un ex du ministère de la Culture) s’emploient à dépoussiérer l’image du lieu. En 2012, ils ont ainsi organisé la seule exposition consacrée dans un musée national à l’Algérie, cinquante ans après les accords d’Evian. Le projet a suscité les inquiétudes du Quai d’Orsay, soucieux de ménager les susceptibilités d’Alger. Mais au finale, les réactions les plus virulentes ont émané de vétérans, outrés qu’on évoque dans un tel lieu la question de la torture. Le général Baptiste assume, expliquant que son musée a un rôle citoyen: celui d’embrasser toute l’histoire de France, y compris ses pages les plus sombres, pour mieux réconcilier le pays avec son passé. Après l’Indochine, un peu de légèreté avec au printemps prochain une expo sur les mousquetaires du roi. Avant celle consacrée, cent ans après son déclenchement, aux représentations de la guerre de 1418. T. H. LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 L’HISTOIRE CHATEAUBRIAND RATTRAPÉ PAR LA MANCHE In extremis, une copie manuscrite des Mémoires d’outretombe de Cha teaubriand, qui devait être mise aux enchères hier à Paris, a été directement acquise par la Bibliothèque nationale de France après une négociation de gré à gré avec le propriétaire. Le manuscrit, composé de 3514 pages reliées en dix volumes, avait été estimé entre 400000 et 500000 euros. Le montant de l’acquisition n’a pas été révélé. Il n’existe pas de manuscrit autographe des Mémoires, Chateaubriand, qui avait l’habitude de dicter son texte à un secré taire, ayant brûlé la plupart de ses brouillons. Le manuscrit, réalisé par des assistants et signé en 1847 de la main de l’écrivain, est la seule copie intégrale con nue du texte et, souligne le ministère de la Culture, «la seule qui permette de com prendre l’architecture de l’œuvre telle que l’a voulue l’auteur, la BNF en possé dant une autre copie mais très partielle». Ces élé ments ont justifié la recon naissance du manuscrit comme «trésor national» et son achat. Ce manuscrit venait du descendant d’un notaire parisien, Me Cahouët, qui l’avait reçu en dépôt, en 1847, comme une sorte de copie témoin. «Il ne s’agissait pas d’une minute notariale, qui aurait dû dans ce cas revenir aux Archives nationales», avait précisé la maison de ventes. MÉMENTO Melanie de Biasio Indie jazz en apesanteur de la Belge en trio avec son 2e album, No Deal Institut culturel italien, 73, rue de Grenelle, 75007. Ce soir, 20h. Jacky Terrasson Pianiste en trio avec invités le jour de son anniversaire New Morning, 7/9, rue des PetitesEcuries, 75010. Ce soir, 21h. Médéric Collignon et Yvan Robilliard Battle de deux feux follets (cornet de pochepiano) du jazz Triton, 11, rue du Coq Français, Les Lilas (93). Jusqu’au 30 novembre, 19h30. Roberto Fonseca Pianiste cubain en solo au festival World Stocks Bouffes du Nord, 37 bis, rue de la Chapelle, 75018. Ce soir, 20h. ARTS VISUELS Avec «Exhibit B», au CentQuatre, le Sud-Africain s’attaque au racisme blanc en Afrique. La colon scopie de Brett Bailey qui correspond du reste au but ex pl icite de la manœuvre. En une succession de tableaux vivants, Brett Bailey recrée l’indicible abomination que suggèrent les zoos humains tels qu’ils existaient encore il n’y a pas si longtemps, insistant de la sorte sur «les chambres sombres de notre imaginaire collectif hantées par de fausses représentations silencieuses et des configurations tordues de l’altérité». Allemand, Français, Belge ou Hollandais, le colonisateur blanc a commis sur le continent africain les pires atrocités, tantôt au nom de l’impérialisme économique, tantôt sur la base de théories racistes poussant l’infamie dans ses ultimes retranchements. Décapités. Des «comédiens» se tiennent donc là, mutiques, statiques, sur des podiums aux allures de catafalques renforcées par l’atmosphère de pénombre et les accents élégiaques de l’accompagnement musical. Autour d’eux, d’autres Des «comédiens» mutiques et statiques. ANKE SCHUETTLER «trophées» : têtes d’antilopes empaillées, crânes, lacardée en plusieurs feste de formuler, sinon éva- photographies d’indigènes endroits, dans la petite cuer, l’émotion ressentie. décapités. Et puis des textes, pièce qui sert de sas Exhibit B a été l’un des temps qui égrènent le nom de chaavant qu’on entre dans le vif forts du dernier Festival que installation (Age d’or du sujet, la précision ne peut d’Avignon (Libération du néerlandais, 1730…) et coméchapper à personne : «Ex- 17 juillet). Pourtant, le projet pilent des témoignages hibit B est une exposition, pas ne circule pas si facilement, d’époque. un spectacle théâtral. Prenez à croire que sa teneur malai- Comme cette description, votre temps devant chaque sante crée certains blocages: formulée sur un ton neutre, installation. Ne vous sentez le Festival d’automne, à Pa- de «nègres rôtis vivants sur un pas pressé par les personnes ris, n’en a pas voulu, alors feu doux et torturés avec des derrière vous.» qu’il vient de programmer le pinces brûlantes». Et ainsi de Alors on prend son temps, suite, jusqu’à cet même si la visite tient plus de En une succession homme entravé, l’immersion que de la flâ- de tableaux vivants, Brett bloqué sur un faunerie. Les organisateurs du teuil d’avion, ocBailey recrée l’indicible CentQuatre, qui accueille casion de redire abomination que suggèrent jusqu’à demain soir à Paris que, ces dernières Exhibit B, de Brett Bailey, les zoos humains. années, 28 peravaient imaginé un temps de sonnes (dont sont parcours moyen d’environ cabaret House of the Holy mentionnés les noms, le pays vingt à trente minutes. Afro, du même auteur. A d’origine et celui où ils ont «Altérité». Lundi, au terme Avignon, il était présenté succombé) ont péri en tende la première soirée, ils ont dans l’église des Célestins. tant de résister à leur expulrevu leurs estimations à la Autre cadre idoine, les an- sion. Tout au long du parhausse : les gens– qui ren- ciennes écuries du Cent- cours, le visiteur contemple trent un à un– y restent plu- Quatre, dans les tréfonds du ainsi ces hommes et femmes tôt dans les trois quarts gigantesque bâtiment, hé- exhibés. Soutenir durabled’heure ; plus longtemps bergent désormais l’«expo- ment leur regard fixe relève même pour ceux, assez nom- sition» du Sud-Africain, de la mission quasi impossibreux, qui répondent favora- «deuxième partie d’une série ble. A la réflexion, cela aurait blement à la proposition de de présentations centrées sur même quelque chose d’inlaisser un témoignage écrit à l’histoire occultée du racisme convenant. la sortie. Lequel, chez cer- et les jeux de pouvoir comGILLES RENAULT tains, ne tient pas tant du li- plexes entre l’Europe et l’Afri- «Exhibit B», de Brett Bailey, vre d’or usuel, où l’on com- que de la fin du XVIIIe siècle à CentQuatre, 5, rue Curial, 75019. Ce soir, 19h 22h30, plimente l’artiste en quelques aujourd’hui». demain, 17h22h. lignes, que de la litanie, tra- Le propos est aussi simple à A Strasbourg (le Maillon), duisant là un besoin mani- résumer qu’éprouvant – ce du 3 au 7 décembre. P CULTURE • 27 « On oublie souvent qu’il a écrit beaucoup de films, et que c’est important pour lui.» Jason Statham superstar britannique, à propos de Homefront, narco thriller sorti aux EtatsUnis et scénarisé par Sylvester Stallone Le rappeur tunisien Men-Ay condamné Le rappeur tunisien Men-Ay (Aymen Fekhi) a été condamné lundi à quatre mois de prison avec sursis pour outrage à fonctionnaires. Un autre artiste hip-hop, Mustapha Fakhfakh, alias Mister Mustapha, a été relaxé. «C’est une victoire», selon l’avocat, arguant qu’ils risquaient un an et six mois de prison. Ryan O’Neal devant la justice L’acteur américain Ryan O’Neal est en procès cette semaine à Los Angeles. Il est accusé du vol d’un portrait de son excompagne Farrah Fawcett, signé Andy Warhol, après une plainte, datant d’août 2011, de l’université du Texas, où a étudié feue la star. LES GENS MATHILDE MONNIER MÈNE LA DANSE À PANTIN La chorégraphe Mathilde Monnier, directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier depuis 1994, est nommée à la direction du Centre national de la danse (CND) de Pantin, établissement public. Elle succède à Monique Barbaroux, qui a assuré deux mandats de trois ans assez mouvementés, notamment lors de la récente fusion de la Cinémathèque de la danse avec le CND. Centre de ressources ouvert à toutes les danses depuis sa création, en 1998, le CND a de nombreuses missions qui vont de la formation à l’édition, du patri moine à l’accompagnement des danseurs professionnels. Mathilde Monnier, dont on ne doute pas qu’elle saura insuffler un esprit nouveau, a tout à la fois la dimension politique et artistique nécessaire au développement de cet outil unique. PHOTO SÉBASTIEN CALVET THÉÂTRE 10-20 DÉCEMBR E OM PAUL STGORRIEOS OTBO 10-1 TOWNSHIP c. dé 0 -2 17 RHETORICAL 4 déc. villette.com 2 spectacles choc ! Par le «Tarantino» du théâtre sud-africain… 28 • ECRANS&MEDIAS LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 SMARTPHONE Une application permet aux internautes désœuvrées et peu soucieuses WEB Le plus vieux du respect de la vie privée de noter les hommes selon des critères arbitraires. pure player de France a 15 ans. Avec Lulu, les filles se tapent la fiche note un fast-food. En leur appliquant à peu près les mêmes critères (Est-il propre? Bien construit? Accueillant ? Bien fréquenté ? Servi chaud?), on fait ainsi bénéficier de notre avis éclairé toutes les autres utilisatrices intéressées par ce bon plan – qu’il s’agisse d’un ami d’enfance, d’un ex-boyfriend ou de papi Albert, puisque tout ce qui porte un prénom peut faire l’objet d’une fiche sur Lulu. Chargée, la fiche. Non contente de réclamer une note sur 10 pour chaque trait de Trop sale? Trop froid? Trop poilu? Dézinguezle sur Lulu. PHOTO DR l faut imaginer une internaute désœuvrée dans la jungle du Web 2.0 : après avoir mis 5 étoiles à un salon de coiffure sur Yelp, jugé «médiocre» le gîte de ses vacances sur TripAdvisor et offert un généreux 9/10 à une bande dessinée sur Senscritique, elle n’a toujours pas assouvi sa soif de notes. Elle s’ennuie. Elle a be- I soin d’un nouveau réseau social, de nouveaux contacts avec qui partager son passionnant avis sur son fascinant quotidien. Elle a besoin de Lulu. Neuneus. C’est sans doute ainsi qu’ont raisonné les pros du marketing à l’origine de cette affligeante application gratuite où les filles notent les mecs comme on du Guardian, pas tellement : sur Facebook, une appli utilisée par un membre a le droit de récupérer les coordonnées de tout son cercle d’«amis», mais pas de les diffuser publiquement. Lulu a depuis corrigé le tir pour respecter les (très souples) règles de Facebook en matière de vie privée. Tout ce cirque illustre en tout cas le peu de contrôle qu’ont les utilisateurs de Facebook sur leurs propres données. Chez Lulu, les hommes n’ont qu’un droit : réclamer la suppression de leur fiche a posteriori. L’appli pousse ses agents Et comment sont-ils censés de renseignements à lister tous savoir si leur boles vilains petits défauts des bine et leur vie victimes, voire à les faire passer privée traînent pour de complets malotrus à coups sur une application dont ils sont de questionnaires stéréotypés. bannis ? Facile, caractère (humour, manières, explique la foire aux questions : ambitions, engagement, appa- «Demandez à une amie de vérifier rence…), l’appli anglophone à votre place.» pousse ses agents de renseigne- «Changer». Lancé fin 2011 en ments bénévoles à lister tous les version site web sous le nom de vilains petits défauts des victimes «Luluvise», Lulu a changé de nom («fume comme un pompier», «est et investi les plateformes mobiles obsédé par sa mère»), voire à en février 2013 avec 2,5 millions les faire passer pour de complets de dollars (1,8 million d’euros) et malotrus à coups de questionnai- une trentaine d’employés. Quelres stéréotypés, sexistes, vieux jeu ques articles dans la presse amériet neuneus. Ainsi, un garçon ayant caine (jusqu’au New York Times ce «d’autres priorités» que sa relation mois-ci) viennent de lui donner amoureuse ne vaut rien sur un nouveau coup de fouet, et Lulu l’échelle de l’engagement, tandis se vante aujourd’hui de compter qu’«offrir des fleurs à sa belle-mère un million d’utilisatrices sur iOS pour son anniversaire» représente et Android. le plus haut échelon possible La fondatrice de l’application, pour impressionner une fille. Un la Britannique Alexandra Chong, point bonus s’il aime les bébés. semble toujours persuadée que Véridique. diffamer ses copains sur smartLes individus ainsi catalogués ont phone est une idée saine aux rede bonnes chances de n’en jamais tombées forcément positives: «Si rien savoir: ils ne reçoivent ni mail un mec n’a pas une bonne note dans ni notification quand leur fiche est une certaine catégorie, il peut chancréée par une admiratrice ou une ger son comportement», expliprétendante déçue. Ils ne peuvent quait-elle à Buzzfeed au début pas non plus s’opposer à la créa- de l’année. On lui souhaite un tion de ladite fiche. Tout juste peu- succès tel qu’il faille envisager vent-ils craindre le pire s’ils pos- d’étendre son public et créer sèdent un compte Facebook, une version masculine, pour puisque l’appli n’autorise que la que les serial-noteuses se renotation d’internautes inscrits sur trouvent jugées à leur tour… sur le réseau tout bleu. leurs compétences en cuisine ou C’est d’ailleurs là qu’elle allait, à leur tolérance aux matchs de foot, ses débuts en 2011, piocher à leur par exemple. Dira-t-on encore insu leur photo de profil, prénom que les filles mal notées n’ont qu’à et nom de famille ainsi que leur changer leur comportement pour ville de résidence. En avait-elle rehausser leur attrait sur le seulement le droit? Comme le re- marché ? marquait à l’époque un journaliste CAMILLE GÉVAUDAN Balkans avec vue sur l’info e premier pure player de France, c’est lui, lancé sur Internet il y a quinze ans pile (1): le Courrier des Balkans qui informe, en français et de l’Adriatique à la mer Noire, sur l’actualité de l’Europe du SudEst, compte 300000 pages vues par mois, un bon score pour un site spécialisé. En 1997, quand l’idée lui vient, et en 1998, quand il la réalise, Jean-Arnault Dérens, son fondateur, vit au Monténégro. Au cœur des événements, puisqu’il est à quelques heures en voiture du Kosovo où s’annoncent les premières lueurs de la guerre qui débouchera en 1999 sur l’intervention de l’Otan. La carte géopolitique, remodelée par l’explosion de l’ex-Yougoslavie communiste en 1991, n’est pas encore achevée. Le Monténégro ne se séparera de la Serbie qu’en 2006, et le Kosovo, à l’état de semi-protectorat pendant des années, ne proclamera son indépendance qu’en 2008. Malgré cette actualité, l’idée qu’un média, dont les textes sont des traductions d’articles de la presse locale des Balkans, puisse trouver suffisamment d’abonnés pour subsister, paraissait alors tenir du défi. Or, il a subsisté. Les amoureux des Balkans et les isolés de la diaspora y trouvent, outre l’actualité, des livres, de la musique, et mille annonces utiles (cinéma, théâtre, nourriture). Les subventions du ministère français de la Culture et de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui lui ont permis d’éclore, ont peu à peu laissé place à un financement plus classique basé sur les abonnements payants aux archives (75% des ressources), une boutique en ligne et une activité de consulting (études et interprétariat). Les traductions forment toujours la majorité des textes proposés, mais le site emploie désormais des correspondants dont le rôle est de rendre accessible des informations illisibles sans leur contexte. L HÉLÈNE DESPIC-POPOVIC http://balkans.courriers.info (1) Ce sera l’occasion d’une soirée, le 29 novembre, à la Bellevilloise à Paris. LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 1,22 million de dollars (900000 euros) de dom mages et intérêts contre l’AFP et Getty Images pour avoir violé les droits d’auteur d’un photogra phe haïtien. La sanction a été prononcée par un jury de Manhattan. Lors du séisme de 2010 en Haïti qui avait fait 250000 morts, un photo graphe, Daniel Morel, avait pris plusieurs clichés, que s’est ensuite appropriés un certain Lisandro Suero, les postant sur son compte Twitpic. C’est là que l’AFP et Getty ont récupéré les photos avant de les retirer du circuit sitôt connu leur véritable auteur. Mais, pour le tribunal américain, il y a bel et bien eu violation des droits d’auteur. Libération est habilité aux annonces légales et judiciaires pour le département 75 en vertu de l’arrêté préfectoral du 27 décembre 2012 1115796 Par décision de l’associé unique en date du 22 novembre 2013, il a été constitué une société présentant les caractéristiques suivantes : Dénomination : FAST FOR WORD Forme juridique : EURL Capital social : 3 000 € Siège social : 57, rue Saint-Fargeau, 75020 Paris Objet : Traduction, interprétation Durée : 99 ans à compter de son immatriculation au RCS de Paris Gérant : M. Bamiyan SHIFF, demeurant 57, rue Saint-Fargeau, 75020 Paris, nommé pour une durée indéterminée. 1115823 Par acte SSP en date du 22/11/2013, il a été constitué une société présentant les caractéristiques suivantes : Forme : SAS Dénomination : DIX NEUF CENT QUATRE VINGT SIX Capital : 1 000 Euros Siège social : 67 rue de Tocqueville, 75017 Paris. Objet : Exercice de la profession d’architecte Durée : 99 ans. Président : Gaudemet Mathilde, 67 rue de Tocqueville, 75017, Paris Directeur général : Ozenne Arthur, 20 rue Truffaut, 75017, Paris Conditions d’admission aux assemblées : Tout actionnaire peut participer aux assemblées quel que soit le nombre de ses actions. Exercice du droit de vote : Chaque action donne droit à une voix. Cession des actions : Les actions ne peuvent être cédées qu’avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins les deux tiers des parts sociales. La société sera immatriculée au R.C.S de Paris. 1115793 Par acte SSP en date du 19/11/2013, il a été constitué une société présentant les caractéristiques suivantes : Forme : SAS Dénomination : Centaurée Capital : 2 000 € Siège social : 92 rue de Clignancourt, 75018 PARIS. Objet : conseil en relations publiques et communication Durée : 99 ans. Président : BON Anaïs, 92 rue de Clignancourt 75018 PARIS Conditions d’admission aux assemblées : La société est constituée d’une associée unique. Exercice du droit de vote : La location d’actions n’étant pas autorisée, l’associée unique vote seule aux assemblées. Cession des actions : La cession des actions de l’associée unique est libre. La société sera immatriculée au R.C.S de Paris. ECRANS&MEDIAS L’HISTOIRE LE CSA VOUDRAIT PRENDRE LES VIDÉOS DANS SA TOILE Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’a pour le moment qu’une autorité très limitée sur Internet. Mais il aimerait bien y grignoter du terrain, si l’on en croit sa récente tentative de mettre sous son autorité les sites de radio, de plus en plus amenés à diffuser de la vidéo. Selon l’Expansion, il a demandé cet été aux radios de se déclarer comme des «services multimédias à la demande», et à ce titre soumis à une partie des obli gations applicables aux éditeurs de télévision, notam ment en matière de déontologie, de protection des mineurs et de production et promotion des œuvres, souvent différentes de celles qui incombent aux radios. Pour ces dernières, c’est hors de question. La station RTL a même déposé un recours contre cette demande, estimant ne diffuser que de la radio filmée, soit l’équiva lent de ce qui passe sur ses ondes. Le débat naissant pourrait bien s’élargir aux sites d’information en ligne qui produisent leurs propres vidéos. Pour le moment, les plateformes de partage comme YouTube ou Dailymotion ne sont pas concernées par ces obliga tions. S.Gin. Philippe Hersant pourrait se désengager de «Nice-Matin» Le patron de presse Philippe Hersant envisagerait le désengagement de son Groupe Hersant Média (GHM) du groupe Nice-Matin, s’il ne parvient pas à trouver un co-investisseur pour le recapitaliser, selon Mediapart. Lors d’un comité d’entreprise fin novembre, il a évoqué la recherche d’un «partenaire» capable d’apporter «10 à 20 millions d’euros», rapporte le site. Hersant préparerait également un plan social dans son pôle Antilles et Guyane, qui concernerait une cinquantaine d’emplois. Lagardère retire sa plainte contre «la Tribune» D’après la lettre confidentielle Presse News, Arnaud Lagardère va se désister de sa plainte pour diffamation déposée en août 2011 contre le quotidien économique la Tribune et deux de ses journalistes. Dans un article titré «Arnaud dirige-t-il encore Lagardère ?», la Tribune, qui n’existe plus aujourd’hui que sous la forme d’un site et d’un hebdo, s’interrogeait sur la crédibilité d’Arnaud Lagardère à la tête du grand groupe industriel. L’article évoquait notamment l’idylle entre Arnaud Lagardère et le mannequin belge Jade Foret. LES GENS VINCENT BOLLORÉ PREND LA TÊTE D’UN VIVENDI RECENTRÉ SUR LES MÉDIAS C’est confirmé, la présidence du futur groupe Vivendi, recentré sur les contenus et les médias, sera confiée à l’homme d’affaires breton Vincent Bolloré, par ailleurs actionnaire du groupe. Le conseil de surveillance de Vivendi a validé le projet de scission entre ses activités d’opérateur et ses activités médias qui devrait débou cher sur l’introduction en Bourse de SFR. Le conseil a de plus nommé Arnaud de Puyfontaine, issu du groupe de médias américain Hearst, directeur géné ral des activités médias et contenus de Vivendi à comp ter de début 2014. «Ce groupe répondrait pleinement aux nouveaux modes de consommation numérique dans les univers de la musique et des images, et poursuivrait son développement sur des marchés à forte croissance», indique Vivendi. Le projet de scission doit encore être soumis aux instances représentatives du personnel de la société et aux autorités réglementaires. PHOTO REUTERS • 29 A LA TELE CE SOIR TF1 FRANCE 2 FRANCE 3 CANAL + 20h50. Esprits criminels. Série américaine : Le poids des mots, Numéro 6, Je sais ce que j’ai à faire. Avec Shemar Moore, Thomas Gibson. 23h25. Dr House. Série américaine : 4 épisodes. Avec Hugh Laurie, Robert Sean Leonard. 2h45. 50 mn inside. Magazine. 20h45. La famille Katz. Série française : Joyeux noël, Bonne année. Avec Julie Depardieu, Serge Hazanavicius. 22h25. Un jour / un destin. Mireille Darc, blessures intimes. Documentaire présenté par Laurent Delahousse. 23h55. Grand public. Magazine. 20h45. L’ombre d’un doute. Fontainebleau, la demeure des rois. Documentaire présenté par Franck Ferrand. 22h35. Réflections. 22h45. Grand Soir 3. 23h40. Les chansons d’abord. Musique. 0h30. En quête de preuves. Série. 20h45. Football : PSG / Olympiakos. Champions league. Sport. 22h50. Looking for Athènes. Documentaire. 23h45. Taken 2. Film. 1h15. Tunnel. 2 épisodes. Série. 2h50. Gebo et l’ombre. Film. ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5 20h50. Bardot, la méprise. Documentaire. 22h45. L’Europe des écrivains. L’Espagne de Juan Goytisolo, Manuel Rivas et Bernardo Atxaga. Documentaire. 23h45. Michel Petrucciani. Documentaire. 1h25. Traque en série. Série. 20h50. Ice show. Divertissement présenté par Stéphane Rotenberg. 23h15. Ice after show. Divertissement. 0h25. Absolument Céline Dion. Documentaire. 1h25. M6 Music. Musique 2h40. Météo. 2h45. European poker tour. Jeu. 20h45. L’auberge espagnole. Comédie française de Cédric Klapisch, 120mn, 2002. Avec Romain Duris, Cécile De France. 22h40. Les poupées russes. Comédie française de Cédric Klapisch, 125mn, 2004. Avec Romain Duris. 0h45. La première fois. Documentaire. 20h40. La maison France 5. Magazine présenté par Stéphane Thebaut. 21h25. Silence, ça pousse ! Magazine. 22h10. Écho-logis. Documentaire. 22h39. Consomag. 22h40. C dans l’air. Magazine présenté par Yves Calvi. 23h45. Dr CAC. 23h55. Entrée libre. LES CHOIX La famille barjot Les stars salchow La femme Bardot France 2, 20h45 M6, 20h50 Arte, 20h50 Oh, une série à base de famille dysfonctionnelle: la Famille Katz (Julie Depar dieu, Serge Hazanavicius) débarque pour 6 épisodes. Ah, une téléréalité à base de patin: Ice Show, c’est Danse avec les stars sur des lames. Et les stars c’est, heu, Clara Morgane. Drôle d’objet que ce Bardot, la méprise : de belles images inédites de l’actrice, mais un ton nombriliste et chichiteux. PARIS 1ERE TMC W9 GULLI 20h40. Vegas. Série américaine : Hollywood ending, Le dessous des cartes, Vies antérieures, Un ennemi commun, Les fils du Nevada, Mascarade. Avec Dennis Quaid, Michael Chiklis. 1h45. Paris dernière. Magazine. 2h45. Programmes de nuit. 20h45. Coucou, c’est toujours nous ! Divertissement présenté par Christophe Dechavanne et Patrice Carmouze. 0h50. Fan des années 80. Années 1988 & 1985. Divertissement. 2h35. TMC Météo. 2h40. Trio dangereux. Téléfilm. 20h50. Enquêtes criminelles : Le magazine des faits divers. 2 reportages. Magazine présenté par Sidonie Bonnec et Paul Lefèvre. 22h55. Enquêtes criminelles : Le magazine des faits divers. 2 reportages. Magazine. 1h15. Météo. 20h45. L’instit. Téléfilm français : Terre battue, Avec Gérard Klein. 22h20. L’instit. L’Angelus du corbeau. Téléfilm. 23h55. L’instit. Touche pas à mon école. Téléfilm. 1h25. G ciné. Magazine. 1h30. Fish’n chips : rien ne les arrête. NRJ12 D8 NT1 D17 20h50. Le super bêtisier de l’année. Divertissement présenté par Clara Morgane et Stéphane Jobert. 0h30. Chauve-souris : la vengeance carnivore. Téléfilm. 2h10. Poker. Jeu. 3h25. Programmes de nuit. 20h50. En quête d’actualité. Loto casinos, jeux en ligne : à qui profite le jackpot ? Documentaire présenté par Guy Lagache. 22h40. En quête d’actualité. Documentaire. 0h50. Football : PSG / Olympiakos. Sport. 20h45. Baby boom Saison 3. Camelia. Documentaire. 22h05. Baby Boom. Liés à jamais La première fois. Documentaire. 0h40. Obèses : perte de poids extrême. Mélissa. Documentaire. 2h15. Tous différents. Magazine. 20h50. Piège à haut risque. Téléfilm de Dean Semler. Avec Steven Seagal, Gailard Sartain. 22h25. Hard luck Middleman. Téléfilm de Mario Van Peebles. Avec Wesley Snipes, Cybill Shepherd. 0h10. Programmes de nuit. 30 • GRAND ANGLE LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 Par HÉLÈNE DESPICPOPOVIC Envoyée spéciale à Akura, Telavi et Tbilissi (Géorgie) L a statue se dresse, martiale, devant le monument aux morts de la Seconde Guerre mondiale qui domine la ville de Telavi. Soixante ans après sa mort, le «généralissime» Staline, dont l’effigie avait progressivement disparu de toutes les bourgades de Géorgie, y compris, en 2010, de sa ville natale de Gori, revient subrepticement. En pied, comme à Telavi, ou en buste, comme à Akura, place forte de la Géorgie viticole, à une centaine de kilomètres de la capitale, Tbilissi. Cette réapparition est d’abord l’œuvre des vétérans, fort âgés, qui voient en Staline le vainqueur de la Seconde Guerre mondiale. Mais elle est aussi le fruit d’un mouvement de retour à la tradition qui a émergé après la victoire des populistes du Rêve géorgien aux législatives de 2012 et qui pourrait s’accentuer avec l’élection à la présidence, le 27 octobre, du candidat de ce parti, Gueorgui Margvelachvili. La fonction était occupée depuis dix ans par le réformateur pro-occidental Mikhaïl Saakachvili. A Akura, les vignerons, qui viennent d’achever leurs vendanges, se retrouvent le soir dans le petit parc du centreville où Staline a élu domicile avec l’accord tacite de la mairie. «C’est l’homme qui a fait trembler le monde entier, dit Kakha, un jeune paysan qui, bonnet sur la tête et cigarette au bec, essaie d’expliquer son admiration pour l’ancien dictateur soviétique responsable de millions de morts. Et puis, il était religieux. Pas comme Saakachvili qui a voulu nous enlever nos traditions.» A Telavi comme à Akura, les statues sont recouvertes d’une étrange peinture brune qui dissimule les taches rouges dont elles avaient été barbouillées, symboles du sang versé par le dictateur. Mais cette action, apprendra-t-on plus tard, est à mettre au crédit d’une escouade de jeunes venus de nuit de Tbilissi, et non d’une révolte locale. Musulmans interdits de prière L’étranger de passage à Akura s’étonne de cette admiration pour Staline, mais autour de Kakha, les villageois acquiescent bruyamment. Le jeune homme ne fait qu’exprimer une opinion qui a déjà cours au sein de l’Eglise orthodoxe géorgienne et que le patriarche Ilia II a lui-même développée dans un entretien, cet été, sur la chaîne russe RT, Nadezhda Kevorkova. «Staline était une personnalité éminente, comme il n’en naît que rarement. Et il était croyant, surtout à la fin. C’est ce que je pense», a déclaré le hiérarque qui s’est rendu plusieurs fois cette année en Russie, rencontrant même à deux reprises le président Vladimir Poutine. Seul trait d’union avec Moscou et vecteur de son influence comme dans la plupart des ex-républiques soviétiques de tradition orthodoxe, l’Eglise géor- Géorgie gienne joue désormais un rôle de premier plan dans la vie du pays, imposant sans ménagement ses thèmes et ses valeurs, au nom du droit de la majorité religieuse. En août, à Tchela, dans le sudouest du pays, des orthodoxes ont exigé et obtenu le retrait du minaret que les musulmans du village étaient allés acheter en Turquie. A Nigvziani, un autre bourg de la même région, des groupes de fidèles, pope en tête, ont empêché pendant des mois des musulmans de se rendre chaque semaine dans une salle de prière privée. Enfin mi-mai, à Tbilissi, entre 20 000 et 30 000 personnes emmenées par des popes en colère ont agressé une poignée de jeunes urbains qui défilaient lors de la Journée internationale contre l’homophobie. Dans chacun de ces cas, l’Etat a laissé faire, n’osant pas affronter une Eglise qui dit représenter 84% de la population et un patriarche de 85 ans dont le taux d’approbation s’élève à 94%. Les minorités, qu’elles soient ethniques, religieuses ou sexuelles, n’ont aux yeux des traditionalistes le droit de subsister que si elles vivent cachées. Avec ses briques rouges, ses reproductions de fresques dont on est allé chercher les motifs jusqu’en Serbie et son pimpant presbytère, Sainte-Mariné, Staline, pope star Depuis la victoire électorale des populistes, l’Eglise orthodoxe monte en puissance. Trait d’union avec la Russie et pivot du nationalisme, elle soutient la réhabilitation du Petit Père des peuples, un enfant du pays. LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 • 31 sexuels avaient le droit de manifester, mais cela n’a pas été suivi d’effet, souligne l’ancien enfant de chœur du patriarche. A chaque conflit, c’est l’Eglise qui a gagné.» L’Eglise est retournée dans les écoles par la bande. Les dernières études sociologiques, datant de 2011, montrent qu’en Géorgie, les jeunes sont les religieux les plus fervents. C’est dans les régions proches de la Turquie, dans le sud-ouest du pays, où les musulmans sont issus des populations locales islamisées à l’époque de la domination ottomane, que la pression est la plus forte. «A Nigvziani, où les orthodoxes ont empêché les musulmans d’utiliser leur salle de prière, les enseignants interrompaient leurs cours et allaient avec leurs élèves assister à ces manifs, raconte Beka Mindiachvili, expert en questions religieuses. S’il y avait des petits musulmans dans la classe, ils leur disaient qu’ils devaient se convertir à l’orthodoxie car c’était la religion de leurs ancêtres.» Pour cet ancien séminariste, l’Eglise géorgienne est une courroie de transmission des intérêts politiques de la Russie, avec qui elle a conservé des liens spécifiques datant de l’époque où elle était noyautée par le KGB, comme toute l’Eglise russe. L’animateur Levan Soutidzé souligne que le patriarche Ilia II «évite autant qu’il peut de parler d’occupation» quand il évoque les territoires géorgiens perdus (Abkhazie, Ossétie du Sud) lors de la guerre de 2008 contre la Russie. Montrer à l’Europe son «identité propre» Un Géorgien célèbre le 60e anniversaire de la mort de Staline dans une église de Gori, ville natale du dictateur. PHOTO SHAKH AIVAZOV.AP Baptême devant l’église orthodoxe de Mtskheta. PHOTO DAVID MDZINARISHVILI. REUTERS dans la banlieue de Tbis’ils étaient d’accord Telavi RUSSIE lissi, fait partie de ces pour laisser construire OSSÉTIE DU SUD ABKHAZIE églises rénovées, ou un minaret, et ils ont dit plutôt reconstruites à non. Nous faisons la Mer l’emplacement d’un même chose, nous deNoire Tbilissi ancien édifice cultuel mandons aux gens d’exTURQUIE AZ transformé en silo penprimer leur opinion. De ARM dant la période soviétimême, si une personne que. On n’y plaisante veut devenir homo50 km Akura pas avec les traditions, sexuelle, c’est son afcomme dans toutes les faire. Mais si elle s’affiéglises du pays aujourd’hui. A l’entrée, che, cela irrite les nerfs des croyants car des femmes portant foulard, drapées pour l’Eglise, l’homosexualité est une dédans de longues jupes noires, tiennent gradation de l’être humain. L’Eglise ne une boutique d’objets religieux où l’on veut pas faire de politique, mais elle aura vend des bougies, mais aussi des livres toujours une position sur les dossiers qui et des CD. Les visiteuses sont priées de touchent aux valeurs de la société.» Ainsi, cacher épaules, cheveux et pantalons. le patriarche ne s’est pas privé d’assimiler l’avortement à un génocide. L’avortement assimilé L’Eglise en veut à Mikhaïl Saakachvili à un génocide – l’ancien héros de la «révolution des A la tête de la puissante Union des pa- roses» qui a exercé deux mandats de rents orthodoxes, le père David Issa- président de cinq ans– d’avoir, en 2005, kadzé, de l’église de Sainte-Mariné, ne expulsé le catéchisme de l’école et, comprend pas pourquoi l’attitude du en 2011, voté une loi donnant aux conpatriarcat orthodoxe serait répréhensi- fessions minoritaires le statut de relible: «Nous ne voulons pas que l’affirma- gions constituées. Même si, en contretion d’autres religions menace l’identité de partie, l’Etat a continué de financer notre petit pays. Beaucoup de mosquées largement l’Eglise orthodoxe, lui accoront été construites chez nous ces dernières dant chaque année 25 millions de dolannées par la Turquie et l’Iran. La Suisse lars (18,5 millions d’euros) et maintea demandé par référendum à ses citoyens nant ses privilèges fiscaux. De fait, on C’est peu après la résurgence de ce conflit datant du début des années 90 que la dernière statue de Staline encore en place, à Gori, avait été déboulonnée par les partisans de Saakachvili. Aux yeux des pro-Occidentaux, qui ont calqué leur attitude sur celle des Baltes ou des Polonais, Staline n’a plus été considéré que comme le dirigeant d’une Union soviétique russifiée. Originaire, par hasard, de Géorgie. Aujourd’hui plus populaire en Géorgie qu’en Russie, son ne compte plus les églises neuves cons- mythe a changé de nature. «Les gens truites sur tout le territoire, y compris pensent: certes, nous étions colonisés par à Tbilissi où le clergé, selon un archi- les Russes, mais c’était un enfant de chez tecte de la mairie, commence à bâtir des nous qui dirigeait ce pays», résume l’hisédifices religieux sans aucun permis, en torien Lacha Bakradzé qui se réfère à une sachant très bien que les autorités étude sociologique réalisée l’an dernier n’oseront pas les détruire. De même, le montrant que ce mythe n’est «pas lié au gouvernement géorgien n’a jamais osé communisme, à la nostalgie de l’URSS ou s’attaquer aux dispositions qui, après la au souvenir de la Seconde Guerre mondiale». Il est en revanche, comme l’Eglise, un «symbole «Staline a fait trembler le monde de l’anti-occidentalisme et de entier. Et puis il était religieux. deux cartes Pas comme Saakachvili, qui a voulu l’antilibéralisme», que joue la Russie. nous enlever nos traditions.» Au soir de la manifestation orthodoxe du 17 mai contre Kakha paysan d’Akura à propos de l’exprésident le défilé des antihomophogéorgien, proOccidentaux bes, un haut responsable de chute du communisme, ont octroyé au l’Eglise soulignait que la Géorgie avait patriarcat orthodoxe toutes les églises montré à l’Europe qu’«elle avait son de Géorgie, fussent-elles catholiques ou identité propre». «Le nationalisme géorarméniennes. Mais malgré ces conces- gien avait toujours été orienté vers l’Occisions, Saakachvili, le modernisateur, dent, constate Beka Mindiachvili. Mais reste aux yeux des plus traditionalistes le patriarcat a créé un nouveau nationasynonyme d’antéchrist. lisme, prorusse et anti-occidental.» Les «L’Eglise est plus forte que l’Etat», cons- minorités ethniques, religieuses et tate amèrement Levan Soutidzé, ani- sexuelles sont donc priées de quitter mateur de l’émission «Parler de reli- l’espace public. Et Staline, l’enfant du gion», diffusée sur la télé d’opposition pays arrivé à la tête de l’URSS – vue Tabula. «Elu en 2012, le nouveau Premier aujourd’hui comme une Russie élarministre Bidzina Ivanichvili, qui est laïc, gie –, peut reprendre sa place au pana prêché la tolérance et a dit que les homo- théon des conservateurs. • LIBÉRATION MERCREDI 27 NOVEMBRE 2013 PORTRAIT HUZEIFA EDREES Aujourd’hui réfugié au Liban, ce pharmacien syrien a dirigé l’un des centres de premiers soins à Bab Amro, l’épicentre de la révolution. Humain dans l’horreur Par JEANPIERRE PERRIN Photo PAUL ASSAKER C’ est peut-être lui l’incarnation de l’humanité en Syrie, cette minuscule lueur qui perdure quand tout a sombré dans la nuit, quand tout est perdu, quand les chiens errants rôdent autour du sépulcre à la mauvaise haleine de ce qui fut une rue, un quartier, une ville. Lui, c’est Huzeifa Edrees, le petit pharmacien du quartier de Bab Amro, à Homs, qui, au plus fort de la tempête d’acier de février 2012, vous invitait à boire le thé dans son bureau et vous emmenait loin de Bab Amro, de Homs, de la Syrie, de ces horreurs qui vous assèchent la gorge en vous racontant son adoration pour… la famille royale britannique. Ce 16 février 2012, dans le petit dispensaire, une infirmière, à bout de nerfs, vient d’éclater en sanglots. Le médecin, Mohammed al-Mohammed, l’un des rares toubibs du quartier assiégé depuis sept mois, craque à son tour. Avec une pince de chirurgie, il arrache avec violence un shrapnel planté dans l’œil d’un blessé, constate qu’il a cessé de respirer et jette l’éclat d’acier et l’instrument au beau milieu de la pièce en hurlant des imprécations, avec une haine sauvage, à l’adresse de Bachar al-Assad. A côté des autres blessés, dont on ne sait s’ils vivent encore, une mère s’est mise à hurler. Dehors, les bombardements se sont encore rapprochés du petit centre de soins, simple appartement au rez-de-chaussée d’une maison dont le second étage a déjà été foudroyé par une roquette qui a détruit la citerne d’eau. Et malgré ce désastre général, ce sentiment de naufrage absolu qui pèse sur Bab Amro, alors cœur battant de la révolution syrienne et dont la chute apparaît imminente, le pharmacien et directeur du dispensaire, avec une voix douce que l’on entend à peine dans l’orage de plomb, tient à parler de son affection pour la famille royale britannique. Il aime tout: le tralala des cérémonies, les carrosses, Buckingham, les histoires, Diana… «Mais c’est surtout la reine que j’aime.» Soudainement, il tend un chewing-gum: «Prenez-le ! C’est le dernier de Bab Amro.» Une dizaine de jours plus tard, le quartier tombe entre les mains des troupes loyalistes. Depuis, le petit pharmacien, âgé de 42 ans, avait disparu. Avait-il été tué, arrêté et torturé ? Non, il a survécu et a réussi, avec sa famille, à gagner Tripoli, au Liban, où il apprend la chirurgie de guerre dans un hôpital. «Avec cinq infirmières du centre, on est passé entre les lignes des soldats. On était habillé tout en noir. On a marché de minuit à cinq heures du matin sans faire le moindre bruit. Nous étions épuisés. Peut-être que les soldats nous ont entendus mais ils n’ont pas tiré. Quelque 3000 personnes sont sorties ainsi du quartier. Sinon, les shabiha [milices de voyous aux ordres du régime, chargées des basses besognes, ndlr], qui sont arrivées après les soldats, les auraient égorgées. Maintenant, Bab Amro est totalement détruit. Il n’y a plus que des vieux qui y vivent.» Hormis sa famille proche, le pharmacien a tout perdu. «Mon père a été égorgé, un cheik a vu son cadavre dans une mosquée, à côté de beaucoup d’autres. Mon frère, Oussama, qui s’était fait ambulancier, a été tué par une bombe. Le frère de ma mère, mort lui aussi. Les shabiha ont cherché ma pharmacie et ma maison pour les piller et les brûler. Mes chemises, mes souliers, on les trouve dans les souks des quartiers pro-régime où l’on vend tout ce qui a été volé.» Après sa fuite de Bab Amro, Edrees se réfugie dans une maison près de Damas. «Quand elle m’a revu, ma mère, qui me croyait mort, s’est évanouie.» Il n’a pas l’intention de quitter son pays mais, un soir, à la télévision, il découvre Ce qu’on ne vous a pas dit sur Bab Amro, un programme de délation mis en place par le régime dans le cadre duquel il est recherché pour avoir aidé des blessés. Sur la photo, ses yeux d’un bleu intense, ne passent pas inaperçus. «Alors, je me suis habillé le plus élégamment possible et, avec ma femme et mes enfants, on a filé en voiture vers le Liban. Les soldats n’ont pas imaginé qu’un EN 4 DATES homme si bien habillé avec sa famille pouvait être traqué.» 1971 Naissance à Homs. Jusqu’au soulèvement de 4 février 2012 Début du Homs, Edrees était un phar- pilonnage de Bab Amro. macien sans histoire qui ga- 22 février Mort de la gnait bien sa vie. Il était journaliste américaine Mary Colvin et du photographe membre du parti Baas, au français Rémy Ochlik. pouvoir, et de l’Union des S’occupe des blessés pharmaciens. Donc, un no- français et britanniques. table. C’est la répression 1er mars 2012 L’armée féroce des manifestations prend le contrôle du pacifiques qui le font rejoin- quartier, réduit à un champ dre la rébellion et diriger l’un de ruines. Il réussit à fuir des deux centres de premiers au Liban. soins de Bab Amro, cœur battant de la révolution. Il n’a pourtant aucune compétence particulière. «Excepté le docteur Mohammed, aucun de ceux qui travaillaient dans ce dispensaire n’avait jamais fait de médecine.» Pour la première fois, il se met à porter des jeans : «C’était plus pratique pour me faufiler entre les tirs des snipers.» Car, si les infirmiers et le médecin dorment sur place pour limiter les risques, lui, l’homme tranquille, se refuse à coucher dans un lit de fortune. Il tient coûte que coûte à rejoindre sa famille chaque soir pour s’assurer que tout va bien, la rassurer aussi, quitte à s’exposer, à courir en rasant les murs. «A la maison, quand les bombes tombaient, il fallait quand même que je rie devant ma fille. Raghad a aujourd’hui 4 ans. Mais, elle sait qui a tué son grand-père. Et ce qu’est une 12,7 ou un RPG-7. Nos enfants sont devenus comme ça.» A présent, il parle des derniers jours de Bab Amro. «On aurait dit que c’était notre dispensaire que le régime haïssait le plus et qu’il cherchait à tout prix à écraser sous les bombes. Si un combattant rebelle est fait prisonnier, il peut survivre en prison. Si c’est un médecin ou un journaliste, il n’a aucune chance.» Après l’attaque chimique contre les faubourgs de Damas, le pharmacien a espéré que l’Amérique et la France iraient bombarder le régime. Grande déception. «Désormais, le peuple syrien croit que vous vous servez de la Syrie comme d’un théâtre. Il faut que vous frappiez pour que nous soyons convaincus du contraire, pour nous montrer que vous êtes bien des pays libres. Nous sommes en train de mourir avec ou sans gaz. Vous dites que vous êtes les amis des Syriens mais les amis sont là quand on a besoin d’eux.» Mais il n’a pas cessé pour autant d’admirer la reine Elizabeth. Elle est l’incarnation d’un rêve, celui de la démocratie. «Songez que les Anglais peuvent lui demander des comptes sur l’argent qu’elle dépense pour ses tenues. Bachar, lui, peut tuer tous ceux qu’il veut et personne ne peut rien lui demander.» Il insiste : «La liberté, pour nous, c’est de pouvoir avoir la même vie que vous, les Occidentaux, celle qu’on voit à la télé.» Mais la Syrie dont il rêve, coincée entre les forces du régime et les formations jihadistes qui ne cessent de se renforcer, n’en est pas là. Le pharmacien en convient. «Nous n’acceptons pas que des étrangers viennent faire de la politique chez nous. Après la révolution, il nous faudra sans doute faire une autre révolution pour les chasser.» Après avoir appris la chirurgie de guerre, il pense regagner son pays. Il a laissé à Homs sa petite chatte qu’il affectionne. «Si jamais Bachar la trouve, il va la tuer. Il est capable de l’accuser d’être responsable de la révolution.» •
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