MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 WWW.LIBERATION.FR Victor Mature et Linda Darnell dans «la Poursuite infernale» de John Ford (1946). PHOTO PROD DB . 20TH CENTURY FOX • 1,70 EURO. DEUXIÈME ÉDITION NO10434 CINEMA FORD, REVU ET SUBLIMÉ RÉTROSPECTIVE MAGISTRALE À LA CINÉMATHÈQUE, CAHIER CENTRAL CES INGRATS Malgré un gouvernement compréhensif, les dirigeants d’entreprise sont dans la rue cette semaine pour demander de nouvelles PAGES 2-5 concessions à l’exécutif. Moins triomphant, le Premier ministre peine à rassembler au PS. P. WOJAZER . REUTERS LES PATRONS, Valls, la solitude de Matignon PAGES 10-11 La Palestine reconnue à l’Assemblée Les députés français ont voté la résolution demandant à Paris de reconnaître le statut d’Etat. Une étape dans un long processus, qui devra passer par la case ONU. PAGES 6-7 IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,40 €, Andorre 1,90 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,80 €, Canada 4,99 $, Danemark 28 Kr, DOM 2,50 €, Espagne 2,40 €, Etats-Unis 4,99 $, Finlande 2,80 €, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Irlande 2,50 €, Israël 22 ILS, Italie 2,40 €, Luxembourg 1,80 €, Maroc 19 Dh, Norvège 29 Kr, Pays-Bas 2,40 €, Portugal(cont.) 2,60 €, Slovénie 2,80 €, Suède 26 Kr, Suisse 3,30 FS, TOM 440 CFP, Tunisie 2,90 DT, Zone CFA 2 200CFA. 2 • LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 EVENEMENT ÉDITORIAL Par LAURENT JOFFRIN Alors que le gouvernement leur a accordé plus que ce qu’ils réclamaient en 2012, les chefs d’entreprise battent le pavé. Retour sur deux ans de victoires du Medef. Les sept concessions de Hollande au patronat REPÈRES Manifestation à l’appel de la Confédération générale des petites et Par LUC PEILLON Photo PATRICK ARTINIAN. CONTACT PRESS IMAGES L’ESSENTIEL LE CONTEXTE vernement lui-même ne semblait pas très chaud pour répondre positivement au patronat. «Abaisser le coût du travail dans de telles proporétait il y a deux ans. Une tions risquerait de remettre [en cause] tribune de l’Afep (qui re- l’objectif [de baisse du déficit]», exgroupe les plus grosses pliquait le ministre de l’Economie boîtes de France), dans d’alors, Pierre Moscovici. D’autant le JDD, provoquait un scandale à que «Matignon et l’Elysée ont réalisé gauche: les chefs d’entreprise y ré- qu’une telle mesure allait surtout consclamaient une baisse du tituer un choc pour le poucoût du travail de DÉCRYPTAGE voir d’achat des ménages, 30 milliards d’euros. et tuer tout espoir de re«Les grands patrons pleurent la bou- prise en 2013», confiait un membre che pleine», s’étranglait Nathalie Ar- de la majorité. thaud (Lutte ouvrière). «Des rapa- Deux ans plus tard, les patrons sont ces», hurlait le Parti de gauche. «Des passés de la tribune de presse à la monstres d’égoïsme et d’ingratitude», manif de rue (Libération du 2 dés’indignait Olivier Dartigolles, du cembre). Avant de se retrouver ce PCF. Même le tiède Bruno Le Roux, mercredi pour un grand meeting à patron des députés PS, avouait avoir Lyon. Exaspérés de n’avoir rien ob«ressenti [le texte] comme un oukase tenu ? Pas vraiment. La majorité a, ou une leçon». Plus amusant, le gou- en réalité, accordé… davantage que C’ Les patrons se mobilisent en masse cette semaine demandant de nouveaux avantages et concessions au gouvernement. L’ENJEU L’exécutif, qui a déjà beaucoup lâché, peut-il faire plus alors que l’aile gauche du PS et la gauche de la gauche lui reprochent d’oublier son électorat populaire ? 41 milliards d’euros d’aides aux entreprises Abaement de la CS 1 UNE FISCALITÉ DU CAPITAL MOINS SALÉE QUE PRÉVUE La pression sur le gouvernement surgit cinq mois à peine après l’arrivée de François Hollande à l’Elysée. Pas du Medef ni de la CGPME, mais d’un mouvement né sur Internet : «les Pigeons». Prenant la France à témoin sur le danger que provoquerait, pour l’«esprit d’entreprise», un alignement de la fiscalité du patrimoine sur celle du travail, ces jeunes start-upers font vite plier le gouver- Allégements de cotisations patronales En milliards d’euros, chaque année. Ces aides seront pleinement effectives à partir de 2017. Crédit d’impôt compétitivité emploi ce que demandait, à l’époque, le texte de l’Afep. Et les concessions ne semblent pas terminées (lire ci-contre). Ingrat, le patronat? Passage au crible des mesures qui, depuis deux ans, ont garni le tableau de chasse du Medef. Sans calmer pour autant les ardeurs de son responsable, Pierre Gattaz. (contribution sociale de solidarité des sociétés) Diminution de l’impôt sur les sociétés (entre 1 et 1,6 Smic) (entre 1,6 et 3,5 Smic) Source : Assemblée nationale Le patronat français a-t-il une trace, un zeste, un soupçon de mémoire ? On peut en douter à écouter ses dirigeants. Chacun voit bien que le Medef a en face de lui le gouvernement le plus accommodant avec l’entreprise qu’on ait vu de toute l’histoire de la gauche française. Désespérant de la croissance, convaincu, à tort ou à raison, que l’amélioration des marges des entreprises commande celle de l’emploi, François Hollande a décidé il y a un an de passer un compromis historique avec le secteur privé, sous forme d’un échange de bons procédés : j’allège vos charges, j’assouplis vos contraintes, je simplifie vos tâches administratives et vous embauchez. Mécontentant ses soutiens, mais prenant aussi acte de l’évolution de l’opinion de gauche, bien moins hostile à l’entreprise que naguère, les gouvernements Ayrault et Valls ont aligné les concessions aux demandes patronales. Que reçoit Hollande en contrepartie ? Une gifle. Pierre Gattaz, tête dure et esprit étroit, l’homme qui est au Medef ce qu’Henri Krasucki était naguère à la CGT, lance une mobilisation outrancière contre le gouvernement, refuse toute contrepartie aux mesures dont il bénéficie et se contente de répéter comme un moine tibétain la litanie des revendications patronales les plus éculées. Fait-il de l’économie ou de la politique ? La question se pose. Il voudrait se mettre au service de l’UMP pour servir de supplétif dans la reconquête programmée par la droite, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Indépendants Gifle • LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 3 Le Président voudrait réformer les accords sur l’emploi mais juge le sujet trop explosif. Marché du travail, la ligne rose? usqu’où François Hollande mettre à dos les syndicats réforcompte-il réformer le mar- mistes, et notamment la CFDT, ché du travail ? Le patronat qui ont pour l’instant assumé le rêve d’un big-bang. Les syndi- difficile jeu du compromis social. cats le craignent. Depuis plu- Or, la centrale dirigée par Lausieurs semaines, la question agite rent Berger ne veut pas entendre les coulisses du pouvoir. Et pour parler d’une réforme du contrat cause : c’est l’un des derniers de travail. Ensuite, le chef de grands arbitrages du quinquen- l’Etat doit impérativement ménat. Probablement le plus politi- nager sa majorité. Dans la persque puisqu’il fixera une bonne pective du congrès du PS en fois pour toutes la couleur du juin 2015, les hollandais ont bemandat de François Hollande : soin du soutien des aubrystes. La résolument social-démocrate ou maire de Lille a profité de son déjeuner avec Hollande définitivement sociallibérale. Dans l’entouANALYSE il y a dix jours, pour lui rappeler quelques-unes rage du chef de l’Etat, deux camps s’affrontent. Le pre- de ses lignes jaunes, et notammier – dans lequel on retrouve ment une trop grande libéralisaManuel Valls (Premier ministre), tion du travail du dimanche ou Emmanuel Macron (ministre de une remise en cause explicite des l’Economie), François Rebsamen 35 heures. (Travail)– est convaincu que no- Bon espoir. C’est dans cet tre marché du travail a besoin de écheveau de contraintes politiplus de flexibilité. Pour eux, il ques que le Président compte n’y a ni tabou ni totem, tout doit trouver un sentier. Le travail du être mis sur la table : le contrat dimanche, qui devrait être stricunique, le temps de travail, l’in- tement circonscrit aux périmèdemnisation du chômage… Et il tres touristiques, va trouver un y aurait urgence. A la fois pour débouché dans la loi Macron, donner des gages de réformisme présentée en Conseil des minisvis-à-vis de Bruxelles et pour tres le 10 décembre. Par ailleurs, relancer la machine française à le gouvernement a bon espoir que la négociation syndicale sur créer des emplois. Le second camp –dans lequel on les seuils sociaux puisse aboutir peut trouver en vrac Michel Sa- à un accord. Reste à savoir si pin (Finances), Stéphane Le Foll ce texte sera ou non intégré à la (Agriculture) et plusieurs leaders loi Macron sous forme d’amensocialistes– revendique le prag- dement. matisme : assouplir pourquoi En revanche, Hollande ne soupas, mais en évitant toute gué- haite pas s’aventurer sur le terrilla idéologique. «C’est un sujet rain du contrat de travail unique. où il faut se méfier des postures Ce n’est ni sa priorité ni son urqui, en l’occurrence, sont souvent gence. Il réfléchit, par contre, à contre-productives, soutient un donner une seconde vie à l’acpartisan de cette option. Elles cord sur la sécurisation du marbraquent y compris ceux qui pour- ché du travail de janvier 2013. raient avoir envie de bouger.» L’objectif serait de permettre aux Double contrainte. François entreprises en bonne santé de Hollande est pour l’instant resté modifier plus facilement leur ormuet sur ses intentions. Et pour ganisation du travail (et donc cause : il partage à la fois le dia- toucher à la durée du travail), à la gnostic des premiers et les consi- seule condition de la signature dérations tactiques des seconds. d’un accord majoritaire. Mais Jusqu’au dernier moment, le dans l’entourage du chef de chef de l’Etat a hésité à annon- l’Etat, on reconnaît que le climat cer, à l’occasion de son émission social ne permet pas d’envisager de télévision sur TF1, une ré- un tel chantier social : «Pour ce forme du contrat de travail. Pour faire, il faudrait que Gattaz redefinalement se raviser. Hollande vienne raisonnable.» Ce qui n’est a aujourd’hui une double con- pas franchement le cas. trainte. D’abord, il ne peut pas se GRÉGOIRE BISEAU J moyennes entreprises, lundi, à Paris. nement. Non, la taxation des plusvalues d’actions ne sera pas totalement ramenée au même niveau que celle des revenus du travail, comme promis pendant la campagne. Au bout d’un certain temps de détention des titres, elle sera même inférieure à ce qui existait… sous Sarkozy. L’exécutif pose un premier genou à terre. Medef et CGPME sauront en profiter. 2 L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS RÉDUIT DE 20 MILLIARDS Quelques jours à peine après cette première concession, place au «pacte de compétitivité» du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Inspiré du rapport Gallois, il accorde à toutes les entreprises un crédit d’impôt équivalent à 6% de la masse salariale de l’entreprise. Seule limite: ne sont pris en compte que les «Ce que nous attendons du Medef, c’est qu’il prenne ses responsabilités pour tirer l’économie vers le haut.» Jean-Marie Le Guen secrétaire d’Etat, Relations avec le Parlement salaires jusqu’à 2,5 Smic. Mais sinon, les banques et la grande distribution toucheront comme l’industrie. Coût pour l’Etat en rythme de croisière : 20 milliards par an, dont un tiers sera financé… par une hausse de la TVA sur les ménages. 3 UNE LOI TIMORÉE SUR LES BANQUES Printemps 2013, au tour des banquiers. La loi les concernant, qui devait séparer en deux entités distinctes les activités de financement de l’économie de celles, spéculatives, de marché, est réduite à peau de chagrin. La filialisation des activités risquées des banques ne représentera, en effet, qu’une partie très limitée de leur chiffre d’affaires. Pour certains établissements, la réforme sera même nulle sur ce point, tant le périmètre concerné correspond à «Je le dis aux dirigeants du patronat, un certain nombre de propositions, de provocations […] ne sont pas à la hauteur de cette responsabilité.» Manuel Valls lundi une part résiduelle de leur activité. La finance, «véritable adversaire» de Hollande pendant la campagne, s’en sort très bien. 4 LES RÉMUNÉRATIONS DES PATRONS NON ENCADRÉES Peu avant l’été 2013, c’est la promesse de campagne de François Hollande sur l’encadrement des rémunérations des patrons qui passe à la trappe. Alors que les salaires des dirigeants d’entreprises publiques ont été plafonnés à 450 000 euros par an, l’exécutif préfère, pour ceux du privé, s’en remettre à l’«autorégulation exigeante» des organisations patronales, dixit Moscovici. Autorégulation qui se résumera au dispositif dit du say on pay, consistant à consulter, donc de façon non contraignante – et facultative –, l’assemblée générale Suite page 4 Le 30 octobre 2012, sous le titre «Patrons en lutte contre la gauche», Libération relatait la fronde naissante du patronat, qui avait alors fait bondir la gauche. Dans une tribune publiée deux jours plus tôt dans le JDD, l’Afep exigeait 30 milliards de diminution des cotisations et une baisse de la fiscalité, financées par une hausse de la TVA à 21% et des économies sur les dépenses publiques… Vœux exaucés depuis. RADIO Sur www.liberation.fr 4 • EVENEMENT LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Mais cela ne suffit pas. Il convient d’aller plus loin dans cette même direction. Cette réforme a rendu les conventions collectives bien plus flexibles, a abaissé notoirement le coût du licenciement et fait en sorte que le temps de travail soit davantage malléable, en privilégiant les contrats à temps partiel et les contrats temporaires. En parallèle, contraint par Bruxelles de juguler son déficit public, le gouvernement a réduit les salaires de la fonction publique (-15% au total depuis 2012), salaires qui, en janvier, seront gelés pour la troisième année consécutive. Aux yeux de l’exécutif et du patronat, ces mesures ont permis d’améliorer la compétitivité des produits à l’exportation et de «diminuer la destruction de l’emploi» –passée de 26% l’an dernier à 25,2%. Président de la Cepyme (la confédération des PME), et favori pour prendre la tête de la CEOE, Antonio Garamendi est persuadé qu’il faut accroître ces «effets vertueux». Pour ce, dit-il, «il est nécessaire d’abaisser davantage les coûts de licenciement, de flexibiliser les salaires et les conditions du travail, de réduire les cotisations sociales pour les entreprises et de lutter bien plus contre l’absentéisme au travail». Actuellement, le salaire moyen par salarié est de 1 995 euros mensuel. Au premier semestre 2014, les émoluments ont baissé de 0,3%. Pour la CEOE, «il est fondamental de maintenir la modération salariale. C’est la condition de redécollage économique». des actionnaires sur les rémunérations des patrons. Et sans mettre fin aux scandales des rémunérations hors normes ou, plus récemment, des retraites chapeaux. Suite de la page 3 5 L’ÉCOTAXE AU CIMETIÈRE Comme pour fêter le mouvement des Pigeons, c’est une autre jacquerie qui, un an plus tard, en novembre 2013, bouscule le gouvernement: les Bonnets rouges. Manifestant, parfois violemment, contre l’écotaxe, fiscalité pesant sur les transporteurs, les patrons du secteur obtiendront la mort du dispositif. Pourtant voté par la droite et la gauche en 2009, il sera d’abord repoussé, puis réduit, avant d’être enterré, à l’automne 2014, par Ségolène Royal. Pour compenser le manque à gagner (plus d’un milliard d’euros), les usagers du diesel, dont les particuliers, seront mis à contribution. 6 LE PACTE : 20 MILLIARDS EN PLUS Fin 2013, ce sont des vœux pleins de promesses aux entreprises que livre Hollande. Certes Moscovici, de passage à l’université d’été du Medef quelques mois plus tôt, avait préparé le terrain, affirmant que «le CICE [crédit d’impôt compétitivité emploi, ndlr] ne referme pas le dossier du coût du travail, [et qu’il] faut aller plus loin». Hollande, lui, va passer aux actes. Et propose un «pacte de responsabilité», basé «sur un principe simple : moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités et, en contrepartie, plus d’embauches et plus de dialogue social». Promesse concrétisée quelques mois plus tard par un dispositif en deux volets : 10 milliards de baisse de cotisations sociales, et 10 autres milliards de baisses diverses de leur fiscalité. Quant aux contreparties évoquées de la part des entreprises, elles semblent avoir fait long feu. Même si les négociations de branches ne sont pas terminées, peu d’entre elles ont conclu de vrais accords contraignants sur l’emploi. Au final, entre le CICE et le pacte, les allégements fiscaux pour les entreprises se monteront à 41 milliards. Un juste retour des choses, selon le Medef, qui considère que ces mesures ne font que compenser les 30 à 40 milliards d’impôts supplémentaires votés depuis 2010. C’est vrai. Mais sur la grosse trentaine de milliards de hausse (plutôt que 40), près d’un quart concerne des augmentations sectorielles, surtout pour le secteur bancaire. Et pour les ménages, qui ont vu eux aussi leur note fiscale gonfler de plus de 30 milliards, seuls 3 à 4 milliards ont été rétrocédés… 7 UN DROIT DU TRAVAIL RABOTÉ Le code du travail, enfin, vit des heures tourmentées. Certes, la loi de juin 2013 n’a fait que reprendre l’accord des partenaires sociaux, et octroie de nouveaux droits aux salariés, comme les droits rechargeables à l’assurance chômage. Mais elle assouplit aussi la procédure de licenciement, avant une seconde phase dans la future loi Macron… Même chose pour les seuils sociaux, qui devraient subir quelques aménagements. Le compte pénibilité, enfin, décrié par le patronat, entrera bien en vigueur au 1er janvier, mais de façon partielle. Quant à la loi Florange sur la reprise de sites rentables, après censure du Conseil constitutionnel, elle n’est plus que l’ombre du projet initial. • En Allemagne Cogestion et lobbying Angela Merkel entourée de représentants syndicaux, le 4 juillet. Ulrich Grillo (second en partant de la droite) dirige la confédération de l’industrie. PHOTO THOMAS PETER. REUTERS Passage en revue des rapports entretenus par les organisations de chefs d’entreprise avec les autres gouvernements européens. La tournée des patrons, ailleurs dans l’UE es autres pays européens ont-ils un patronat aussi «décomplexé» qu’en France, qui multiplie les offensives pour plus de régularisation et de libéralisation ou fustige les «blocages» en dépit de concessions majeures de l’exécutif? Tour d’horizon. L En Espagne Libéralisation à marche forcée La potion magique libérale a commencé à porter ses fruits. Mais ce n’est pas suffisant: il faut en accentuer la teneur afin d’en multiplier ses effets. C’est, en substance, le credo du patronat, la CEOE –la Confédération espagnole des entreprises organisées. En plein processus préélectoral (une nouvelle présidence de la confédération sera nommée midécembre), les deux candidats partagent le même diagnostic : la réforme du marché du travail adoptée en 2012 par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, d’inspiration libérale, a eu une traduction très positive. Le patronat allemand est fidèle à la tradition du capitalisme rhénan, puisque la recette lui a plutôt jusqu’ici réussi… Ce modèle de cogestion des entreprises par des syndicats puissants tant patronaux que salariaux permet aux patrons de limiter les conflits sociaux comme l’intervention de l’Etat dans leurs affaires. Les ingrédients: le dialogue direct entre partenaires sociaux, qui redéfinissent à intervalles réguliers tous les détails des conventions collectives de branches. Et, surtout, une présence massive dans les couloirs des ministères pour un travail de lobby en amont des lois. Le patronat allemand n’hésite ainsi pas à agresser massivement le gouvernement, quelle que soit sa couleur politique: «La politique économique du gouvernement n’est pas de nature à susciter notre confiance», assurait en septembre Ulrich Grillo, le président de la confédération de l’industrie, lors du congrès de sa fédération, le BDI. Au premier rang dans le public, Angela Merkel… Le patronat allemand a des dadas: le coût de l’énergie et de l’électricité (les fédérations patronales ont tout fait pour tenter d’empêcher la fermeture des centrales nucléaires décidée par le gouvernement Merkel), la libre circulation des biens indispensable à la première nation exportatrice au monde ou encore la défense de l’euro. Le patronat n’hésite pas non plus à se mêler de politique étrangère, en se disant par exemple opposé à la politique de sanctions contre la Russie. Pas moins de 350000 emplois dépendent en Allemagne du commerce avec Moscou. En Italie Main dans la main avec Renzi «Matteo réalise nos rêves.» C’est sans détours que Giorgio Squinzi, le président de la Confindustria (le patronat italien), a récemment salué les mesures du président démocrate du Conseil italien visant à baisser les charges des entreprises (pour environ 18 milliards d’euros) et à réformer le marché du travail. Alors que la grande centrale syndicale Cgil a anoncé une grève générale pour le 12 décembre afin de protester contre la politique EVENEMENT LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 économique du gouvernement, les chefs d’entreprise exultent. Comme ils le demandaient depuis des années, Matteo Renzi a en particulier décidé de réformer l’article 18 du code du travail, qui réglemente les licenciements jugés abusifs. «Le gouvernement a fourni des réponses à nos requêtes. Cela va permettre de remettre en ordre la machine économique, se félicite Fabio Minoli, porte-parole de la Confindustria. Nos autres priorités sont la simplification administrative, la baisse du coût de l’énergie et le paiement des arriérés des factures de l’administration publique.» Le dialogue social qui avait notamment permis à l’Italie de surmonter la grave crise des années 90 ne figure pas parmi ces objectifs. Matteo Renzi a d’ailleurs enterré la concertation avec les entreprises et les confédérations. «Nous souhaitons nous confronter aux partenaires sociaux mais, à la fin, c’est le gouvernement qui décide», a précisé le ministre du Travail, Giuliano Poletti. Pour la secrétaire de la Cgil, Susanna Camusso, «Renzi ne fait que reprendre les suggestions du patronat» pour introduire davantage de flexibilité et «il oublie les travailleurs» lorsqu’il proclame que «les entrepreneurs sont les héros de notre temps». En Grande-Bretagne Une ferme implication La Confederation of British Industry (CBI), la principale organisation patronale au Royaume-Uni, est entrée en campagne électorale. A cinq mois des prochaines élections générales, attendues en mai, elle vient de publier des propositions supposées inspirer les manifestes électoraux des principaux partis en lice. Avec le gouvernement de coalition actuel, conservateur et libéral-démocrate, le ton est resté plutôt au consensus au cours des trois dernières années, vis-à-vis des mesures d’austérité imposées par le gouvernement de David Cameron. Même si elle n’a pas hésité parfois à pointer du doigt ce qu’elle considérait comme des incohérences ou des maladresses. Les vingt-sept propositions de la CBI, intitulées «Peuple et Prospérité» et réparties en cinq catégories, suggèrent des pistes de travail très concrètes pour le prochain gouvernement. Elle estime ainsi nécessaire de continuer à se concentrer sur la réduction du déficit, tout en identifiant les mesures de dépenses publiques susceptibles de générer une croissance à long terme. Qui permettrait du coup de relever les standards de vie moyens. La CBI appelle aussi fermement le prochain gouvernement à promouvoir le maintien du Royaume-Uni au sein d’une Union européenne réformée pour «maintenir notre accès au plus important marché unique au monde». La CBI ne vise pas que le monde politique. Inquiète de la désaffection des Britanniques vis-à-vis du «business» –un sondage interne a révélé que seulement la moitié des Britanniques estiment que le monde des affaires contribue de manière positive à la société – elle a lancé en septembre the Great Business Debate (le grand débat sur le business), supposé promouvoir l’image du monde des affaires. En Belgique l’état d’insurrection: le royaume s’enfonce, depuis l’entrée en fonction, le 11 octobre, du Premier ministre libéral Charles Michel, dans des grèves de plus en plus dures. Grèves «tournantes», province par province, tous les lundis, grève des transports le 11 décembre, grève nationale le 15 décembre. Et ce n’est sans doute pas fini. Car la majorité actuelle a décidé de mettre en œuvre une partie des revendications du patronat belge (représenté par la Fédération des entreprises de Belgique) et surtout de sa branche flamande, incarnée par la très puissante Voka: pas d’indexation des salaires en 2015, recul de l’âge de la retraite de 63 à 67 ans, contrôle accru des chômeurs, baisse des dépenses publiques (en particulier du budget de la Société nationale des chemins de fer), etc. «La Voka est presque devenue un acteur politique et a joué un rôle clé dans les négociations qui ont permis la formation de l’actuelle majorité [qui comprend les indépendantistes de la N-VA, ndlr], analyse Martin Buxant, journaliste au quotidien économique l’Echo. Son patron, Michel Delbaere, que j’interviewais sur Bel-RTL, n’arrêtait pas de dire “nous avons décidé” au lieu de “le gouvernement a décidé”», s’amuse-t-il. La seule bonne nouvelle de cette relation fusionnelle entre la Voka et le gouvernement Michel: les revendications confédéralistes ont été remisées au placard, celle-ci étant surtout un instrument pour faire avancer des réformes «libérales» face à des socialistes majoritaires chez les francophones… Face à un gouvernement de droite considéré comme celui du patronat, les syndicats belges, de gauche comme de droite, ont décrété SONIA DELESALLE-STOLPER (à Londres), ÉRIC JOZSEF (à Rome), FRANÇOIS MUSSEAU (à Madrid), JEAN QUATREMER (à Bruxelles) et NATHALIE VERSIEUX (à Berlin) Un acteur politique de poids • 5 PEU DE NÉGOS SOCIALES AU NIVEAU EUROPÉEN A Bruxelles, le patronat européen fait entendre sa voix sur le futur traité transatlantique, les normes environnementales, la politique climatique ou le programme-cadre recherche, pas sur les charges sociales, le salaire minimum ou le temps de travail. Et pour cause: les compétences de l’Union étant très réduites dans le domaine social, nul besoin de se battre sur ce front qui restera sans doute longtemps national. Les compétences sociales de l’UE sont limitées à quelques domaines (sécurité, santé, conditions de travail…) et, pour les importants d’entre eux, verrouillés par le vote à l’unanimité (sécurité sociale, protection des travailleurs en cas de licenciement, accès à l’emploi des étrangers). Dans ces domaines, Business Europe, la fédération patronale européenne, est l’un des acteurs phares. Il négocie avec la Confédération européenne des syndicats des accords-cadres qui peuvent ensuite être transformés en directives si les Etats les approuvent. Cela a été le cas pour le congé parental, le travail à temps partiel ou les CDD. Mais, depuis 1999, le dialogue social s’est ensablé. Un autre acteur pèse de tout son poids à Bruxelles, l’European Round Table, créé en 1983 et qui regroupe les 49 plus grands industriels européens. Il se réunit à la veille de chaque sommet européen pour envoyer aux chefs d’Etat et de gouvernement leur feuille de route. J.Q. (à Bruxelles) 6 • MONDE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Pourexister,laPalestine empruntelavoieonusienne Devant l’impasse des négociations directes avec Israël, l’Autorité palestinienne va demander la fin de l’occupation et la mise en place d’une force internationale. Par AUDE MARCOVITCH Correspondante à Tel-Aviv Photos SÉBASTIEN CALVET lors que les députés français, dans le sillage de leurs homologues britanniques et espagnols, ont voté mardi une résolution non contraignante – soutenue par la gauche et rejetée par une grande partie de la droite – appelant à une reconnaissance par Paris de la Palestine, l’offensive diplomatique palestinienne misant sur l’ONU et le droit in- A ternational continue. Le week-end dans un virulent discours devant l’Asdernier, lors d’une réunion au Caire, les semblée générale, en septembre: «Il est ministres des Affaires étrangères de la futile de retourner aux négociations sans Ligue arabe se sont mis d’accord sur que des paramètres clairs soient posés, en «un plan d’action qui prévoit de l’absence de crédibilité et d’un soumettre une proposition arabe RÉCIT agenda spécifique.» Et désormais, au Conseil de sécurité des Nations pour les Palestiniens, le temps unies pour mettre fin à l’occupation» is- presse. «Nous avons donné aux Amériraélienne des Territoires palestiniens. cains toute opportunité possible, nous Selon des négociateurs palestiniens, le avons régulièrement remis à plus tard nos texte pourrait être présenté à l’ONU actions, jusqu’à devenir la risée de tous», dans les prochains jours. a affirmé Abbas devant les ministres de Mahmoud Abbas, le président de la Ligue arabe. En septembre, il avait l’Autorité palestinienne, l’avait déjà dit prévenu que «l’occupation s’est lancée dans une course contre la montre pour redessiner les frontières de notre pays, pour imposer un fait accompli sur le terrain qui change la réalité et sape le potentiel réaliste pour l’existence de l’Etat de Palestine». Face au grignotage des colonies, il s’agit maintenant pour les Palestiniens d’avancer promptement leurs pions dans le jeu multilatéral. ÉBAUCHE. La résolution qui sera présentée aux membres du Conseil de sécurité exige la fin de l’occupation d’ici deux ans. L’ébauche du texte, obtenue MONDE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 auprès des négociateurs palestiniens, appelle à «un retrait total du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, aussi rapidement que possible […] et au maximum d’ici à novembre 2016.» Il y est fait mention d’une force internationale en remplacement des soldats israéliens : «La garantie de la sécurité et de la protection de la population civile palestinienne à travers le territoire palestinien, y compris Jérusalem, se fera à travers le déploiement d’une présence internationale», dit le texte. Les modalités de cette force devant être définies par les Nations unies après l’adoption de la résolution. Pour être adoptée, une résolution du Conseil de sécurité doit remporter l’aval d’au moins neuf de ses quinze membres, dont chacun des cinq membres permanents. Elle ne manquera sans doute pas de buter sur le veto américain. Mais si le texte est présenté au vote, il placera Washington dans une situation inconfortable, pris entre les feux de leur politique de soutien loyal à Israël et leur volonté d’une solution à deux Etats, finalement pas très éloignée des exigences de la résolution. «Nous espérons que cette résolution sera adoptée afin de mettre un terme à l’immobilisme, souligne Ashraf Khatib, porteparole de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Si ce n’est pas le cas, nous chercherons à accéder à davantage d’organisations internationales, y compris à la Cour pénale internationale.» L’adhésion de la Palestine à la CPI symbolise pour l’Etat hébreu une menace de poids : il craint la poursuite de dirigeants politiques et militaires. Une option envisageable depuis que l’Etat palestinien a été reconnu comme Etat non-membre des Nations unies en novembre 2012. Lors du vote des députés français en faveur de la reconnaissance de l’Etat palestinien, mardi. SÉCURITÉ. Outre l’avancée sur le front multilatéral, l’Autorité palestinienne a sorti une autre carte de sa poche. Elle veut désormais revoir ce qu’il reste de ses liens officiels avec Israël: la coopération dans le domaine de la sécurité. Alors que les dirigeants israéliens et palestiniens ne se parlent plus, que le cycle violences-répression a repris à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, les liens entre l’armée israélienne et les forces de sécurité palestiniennes continuent jusqu’ici à fonctionner normalement. «Nous voulons revoir cette coopération, parce que nous sommes censés maintenir la sécurité pour les occupants alors qu’eux-mêmes détruisent la sécurité palestinienne en démolissant des maisons», martèle Hanan Ashrawi, membre du comité central de l’OLP, en référence aux récentes destructions de maisons de Palestiniens responsables d’attaques contre des civils israéliens. «L’Etat palestinien ne dépend pas de négociations par essence inégales et du bon vouloir des Israéliens, ajoute-t-elle. Nous demandons un calendrier contraignant à la communauté internationale. Une prise de responsabilité qui fasse plier l’attitude des Israéliens.» • REPÈRES L’Assemblée nationale française a adopté mardi par 339 voix contre 151 une résolution du groupe socialiste invitant le gouvernement à reconnaître l’Etat palestinien. La quasi-totalité de la gauche et quelques UMP et UDI ont voté pour, tandis que la grande majorité de l’UMP et de l’UDI a voté contre. Le texte «invite le gouvernement à reconnaître l’Etat de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit» et juge que «la solution des deux Etats, promue avec constance par la France et l’UE, suppose la reconnaissance de l’Etat de Palestine aux côtés de celui d’Israël». «Ce vote envoie un message erroné aux leaders et aux peuples de la région et va éloigner la possibilité d’un accord.» L’ambassade d’Israël à Paris dans un communique mardi • SUR LIBÉ.FR Enquête Comment pro et anti se sont mobilisés auprès des députés sur la reconnaissance de l’Etat palestinien. Et aussi, le résultat détaillé du vote, la carte des pays qui reconnaissent la Palestine dans notre dossier spécial. • Exaspéré par ses ministres centristes, il mise sur une coalition de droite dure. Israël: Nétanyahou saborde son gouvernement L e Premier ministre israélien, pays et à gérer les biens du public isBenyamin Nétanyahou, a mis raélien. La démission des ministres est un terme, mardi, à sa coalition un acte de couardise et de perte de gouvernementale en virant ses deux contrôle», a-t-il dit. Il a ajouté être ministres centristes, Yaïr Lapid et «triste que le Premier ministre ait Tzipi Livni, et a appelé à des législa- choisi d’agir sans considération pour tives anticipées. Un projet de loi de l’intérêt national et de traîner Israël dissolution de la Knesset (le Parle- vers des élections inutiles qui vont faire ment) est examiné ce mercredi et du tort à l’économie et à la société». les élections pourraient se tenir au Brochette. La prochaine coalition début de l’année prochaine. que le chef du Likoud espère former Les tensions de plus en plus fortes devrait avoir une tonalité marquée entre Nétanyahou, à la tête du encore plus à droite, en s’ouvrant Likoud (droite), et les centristes ont aux partis ultra-orthodoxes, évinpoussé le Premier ministre à décider cés en 2013 sur l’insistance de Lade relancer les dés, moins de deux ans après les dernières Un projet de loi de dissolution élections. La crise ultime est de la Knesset est examiné intervenue autour du vote d’une loi faisant primer le ce mercredi et les élections caractère juif de l’Etat sur pourraient se tenir au début son aspect démocratique. de l’année prochaine. Portée par le chef du gouvernement comme un gage en faveur pid. Les ultranationalistes religieux de la droite dure, cette loi a été dé- menés par Naftali Bennett, avec sa noncée par le ministre des Finan- formation Maison juive (12 dépuces, Yaïr Lapid, comme par la mi- tés), ont le vent en poupe dans les nistre de la Justice, Tzipi Livni. Ils sondages depuis plusieurs mois. Le ont promis que leurs députés s’y Likoud (18 députés), qui a retrouvé opposeraient. son autonomie par rapport à Israel Exigences. Lundi soir, une réunion Beytenou (13 députés), formation entre le Premier ministre et Lapid ultranationaliste laïque dirigée par – à la tête de Yesh Atid, première le ministre des Affaires étrangères, formation de la Knesset avec 19 dé- Avigdor Lieberman, devrait grignoputés– s’est terminée sur un constat ter quelques sièges. de profond désaccord. Selon les mé- Face à cette brochette d’alliés de dias, Nétanyahou a présenté à son droite, les centristes pourraient se ministre des Finances cinq exigen- mettre d’accord avec les travaillistes ces, notamment la fin des critiques pour faire barrage. Nouvel acteur contre la colonisation et le retrait annoncé : le populaire Moshé Kad’un projet de suppression de la TVA hlon, ex-ministre du Likoud qui a pour les achats immobiliers, s’il dé- créé une formation avec un agenda sirait rester au gouvernement. Après économique de défense de la classe l’annonce de son limogeage, Lapid moyenne et qui pourrait s’imposer a déclaré que le Premier ministre comme un centriste de poids. avait «échoué dans sa direction du A.M. (à Tel-Aviv) LES LAURÉATS ROMAN ESSAI LA ROBE DE HANNAH TURBULENT AND MIGHTY CONTINENT BERLIN 1904-2014 Pascale Hugues EDITIONS LES ARÈNES WHAT FUTURE FOR EUROPE ? Anthony Giddens EDITIONS POLITY MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 PARLEMENT EUROPÉEN BRUXELLES 7 www.livre-europeen.eu 8 • MONDE Le mouvement prodémocratie s’essouffle: la stratégie de pourrissement et les accès de répression ponctuels du pouvoir en place ont fini par diviser «Occupy Central». Par PHILIPPE GRANGEREAU Correspondant à Pékin ne scission est apparue au sein du mouvement «Occupy Central», qui bataille depuis neuf semaines dans les rues de Hongkong pour réclamer le droit d’élire librement le chef de l’exécutif en 2017. Ni les autorités de Hongkong ni celles de Pékin n’ont cédé le moindre pouce de terrain face à ces demandes de démocratisation, et la lassitude s’est emparée d’une population qui initialement soutenait largement les revendications de sa jeunesse rebelle. Prenant acte de l’essoufflement de leur action, les trois initiateurs du sit-in, Benny Tai, Chan Kin-man et Chu Yiu-ming, ont RÉCIT appelé mardi les manifestants à rentrer chez eux. Ils ont également annoncé qu’ils se livreraient ce mercredi à la police pour «manifester leur engagement et leur responsabilité». Pour tenter de requinquer l’enthousiasme en berne de ses troupes, le célèbre leader du syndicat étudiant Scholarism, Joshua Wong Chi-fung, 18 ans, a en revanche annoncé qu’il se mettait en grève de la faim «illimitée» en compagnie de deux de ses camarades, Lo Yin-wai, du même âge que lui, et Wong Tsz-yuet, 17 ans. Ils cesseront de s’alimenter, disent-ils, jusqu’à ce que les autorités de Hongkong «reprennent le dialogue». Constante de leur revendication: ils demandent que l’Assemblée nationale populaire chinoise abroge son décret du 31 août, qui stipule que les «deux ou trois» candidats au poste de chef de l’exécutif de U LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Les forces de l’ordre répriment une manifestation, à Admiralty, dans le centre administratif de Hongkong, lundi. PHOTO DALE DE LA REY. AFP AHongkong,lesautorités cassentunerévoltefatiguée Hongkong sont présélectionnés par un comité de facto inféodé au Parti communiste chinois. «Nous sommes prêts à payer le prix et à endosser nos responsabilités», a proclamé le précoce Joshua Wong en expliquant «avoir tout tenté» durant les neuf longues semaines qu’ont duré le mouvement Occupy Central. Et de citer l’organisation d’une grève des cours dans les écoles et universités, et la tenue d’un «dialogue» télévisé en direct avec des représentants de l’administration du territoire –qui n’a rien donné. GAZ AU POIVRE. Des représentants du mouvement étudiant ont également tenté de se rendre à Pékin pour nouer un dialogue direct avec les autorités. Mais la délégation, bien que composée de citoyens officiellement «chinois», s’est vue refuser un visa pour s’y rendre. Lundi, plusieurs milliers d’étudiants ont encore tenté de bloquer les entrées du siège du gouvernement local, avant de se faire repousser avec pertes et fracas par les matraques et les gaz au poivre de la police. Une quarantaine de manifestants, ainsi que onze policiers, se sont retrouvés à l’hôpital. Les lieux stratégiques de la ville où les étudiants ont planté leurs tentes sont aujourd’hui fortement mena- cés d’évacuation par la police. Le site de Mongkok a été pris d’assaut ce dernier week-end par les forces de l’ordre et abandonné par les étudiants. Le sit-in de Causeway Bay n’est plus tenu que par une poignée de militants. Seul le site d’Admiralty, dans le cœur administratif de la ville, semble encore solidement défendu par des centaines d’étudiants qui y campent jour et nuit. Les autorités ont opté dès le mois d’octobre pour une stratégie du pourrissement, après avoir pris conscience que l’usage de gaz lacrymogène et de méthodes brutales pour tenter de casser la «révolution des parapluies» avaient eu un effet mobilisateur. Choqués par un emploi de la force jugé démesuré, de nombreux Hongkongais avaient rallié le mouvement. La stratégie actuelle a été mise en œuvre en concertation étroite avec Pékin. Singulièrement, le Parti communiste n’a pas d’existence officielle à Hongkong. Mais des rencontres très discrètes ont lieu presque chaque jour entre ses émissaires et des responsables de la région administrative spéciale. Elles se déroulent à Shenzhen, juste de l’autre côté de la frontière, dans la luxueuse villa Bauhinia, qui sert de QG secret, selon les médias locaux. La nouvelle approche des autorités REPÈRES Le 28 septembre, le mouvement prodémocratie s’était brutalement accéléré à Hongkong et les manifestants étaient descendus dans les rues par dizaines de milliers. Leur nombre s’est depuis réduit mais les sit-in ont continué. 40 personnes ont été interpellées dimanche après les violents incidents dans la nuit autour des locaux du chef de l’exécutif hongkongais. «Nous appelons les étudiants à battre en retraite, à s’enraciner dans la société et à transformer la nature du mouvement.» Benny Tai un des leaders d’Occupy Central allie le refus de tout compromis sur les questions politiques à l’emploi de méthodes souples visant à éviter au maximum les brutalités policières. Autre objectif: garder tant que faire se peut l’apparence séduisante de la formule «un pays, deux systèmes», au nom de laquelle l’excolonie britannique a été rétrocédée à la Chine en 1997. RÉUNIFICATION. L’enjeu, pour le PC chinois, dépasse Hongkong, car c’est également la formule «un pays, deux systèmes» qui est proposée à Taiwan. La petite «République de Chine» démocratique a toujours rejeté l’idée d’une réunification avec une République populaire non démocratique, et l’épisode de la révolution des parapluies n’a fait que renforcer la méfiance des 22 millions de Taïwanais. D’ailleurs, ce week-end, où se déroulaient à Taiwan des élections locales, le Parti démocrate progressiste, favorable à l’indépendance de l’île, a battu en brèche le parti Kuomintang (KMT) au pouvoir, qui travaille à un rapprochement politique avec Pékin. Le président taïwanais, Ma Yingjeou, a, en conséquence, annoncé mardi qu’il démissionnait de la présidence du KMT, tandis que le Premier ministre rendait lui aussi son tablier. • MONDEXPRESSO LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 DÉCRYPTAGE AMAZON JOUE AU PÈRE NOËL MALGRÉ LUI Gazoduc South Stream: Moscou jette l’éponge C Qu’est-ce que le South Stream ? C’est le pendant du Nord Stream, un gazoduc de contournement reliant la Russie à l’Allemagne via la Baltique, achevé en 2011-2012. Le South Stream, dont les travaux n’ont jamais réellement commencé hors de Russie, devait relier sur 3600km ce pays à la Bulgarie sous la mer Noire puis gagner la Serbie, la Hongrie ainsi que l’Italie, la Slovénie, l’Autriche et la Grèce. Cet investissement d’une valeur de 25 milliards d’euros devait transporter 63 milliards de mètres cubes de gaz par an en Europe occidentale (contre 55 milliards pour le Nord Stream qui ne fonctionne pas au maximum de ses capacités), soit 35% des livraisons de gaz russe à l’Europe. Ces deux gazoducs sont des armes politiques dont la construction a été décidée après la venue au pouvoir de pro-Occidentaux à Kiev. Moscou avait réagi à la victoire de la révolution orange de 2004 en coupant le gaz à Kiev. Il avait fallu près de huit ans de négociations avec tous les pays situés sur le tracé du South Stream pour que les travaux puissent enfin commencer. Pourquoi cet arrêt ? Ce projet est la première victime des sanctions décrétées contre Moscou par les Occidentaux après l’annexion de la Crimée. Officiellement, Bruxelles, qui déplore les pratiques monopolistes du géant gazier russe, exige que Gazprom – propriétaire de 50% de l’investissement – accepte que des tiers puissent accéder au gazoduc. Les Etats-Unis, qui veulent pousser les Européens à soutenir Kiev contre Moscou malgré leur dépendance énergétique, ont aussi fait pression sur la Bulgarie pour qu’elle cesse les travaux. La défaite de la coalition au pouvoir à Sofia, sensible aux sirènes russes, et le retour aux affaires de la droite ont consolidé leur position. Que peut faire Moscou ? Gazprom fournit un tiers des besoins européens en gaz mais tire une bonne moitié de ses revenus de ses livraisons vers l’Europe. Cette interdépendance limite la marge de manœuvre du maître du Kremlin. Poutine a annoncé la diminution des livraisons de gaz à l’UE mais la demande européenne a déjà baissé d’un quart en novembre. Faute de débouchés alternatifs vers l’Asie, cette diminution, qui ne peut être compensée par une augmentation équivalente des livraisons à la Turquie comme le prévoit Poutine, convient encore moins à la Russie alors que le prix du gaz, indexé sur celui du pétrole, chute. • Les gazoducs russes existants Mer Baltique EST Nord Stream En projet SaintPétersbourg Yamal LETT LIT Berlin POLOGNE BIÉLOR Kiev UKRAINE AUTR HONGRIE ROUMANIE Belgrade ITALIE South Stream Trans Adriatic GRÈCE 300 km Mer Méditerranée RUSSIE Moscou Droujba Minsk ALLEM 9 L’HISTOIRE Par HÉLÈNE DESPIC-POPOVIC e devait être le projet du siècle, et l’arme suprême de Moscou pour ramener son petit frère rebelle à la raison : le South Stream, le gazoduc géant qui devait contourner l’Ukraine via la Bulgarie, la Serbie et la Hongrie, est désormais mort et enterré. C’est Vladimir Poutine lui-même, en visite à Ankara, qui a prononcé l’oraison funèbre de ce projet pharaonique: «Si l’Europe ne veut pas de ce gazoduc, alors il ne sera pas construit.» • Soyouz Mer Noire Ankara TURQUIE Trans Anatolian Un camp de réfugiés dans l’est du Liban, mardi. PHOTO HUSSEIN MALLA. AP L’hiverdesréfugiés syrienss’annoncerude ONU Faute d’argent, le Programme alimentaire mondial va interrompre son aide envers 1,7 million de déplacés. aute de moyens financiers, le Programme alimentaire mondial (PAM, agence de l’ONU) se voit contraint d’interrompre son aide à destination des 1,7 million de déplacés syriens. En effet, il manque 64 millions de dollars (52 millions d’euros) ce mois-ci pour délivrer des coupons alimentaires à ces réfugiés répartis entre la Jordanie, le Liban, la Turquie, l’Irak et l’Egypte. L’agence a lancé un appel de fonds urgent. «Sans ces coupons, de nombreuses familles vont connaître la faim», précise le PAM dans un communiqué. Car l’agence onusienne assure l’essentiel de l’aide alimentaire dans les camps de réfugiés, alors que les Kurdes syriens qui ont fui l’avancée de l’Etat islamique dans la région frontalière de Kobané sont près de 140000 le long de la frontière syro-turque. L’annonce de l’interruption du programme du PAM est d’autant plus inquiétante que l’hiver approche. De nombreux réfugiés sont mal préparés pour affronter les basses températures, particulièrement en Turquie, au Liban, au Kurdistan irakien et en Jordanie, où de nombreux enfants, souvent livrés à eux-mêmes et mal vêtus, errent dans des camps à la limite des capacités sanitaires. Par ailleurs, la suspension de l’aide alimentaire risque de déstabiliser un peu F plus les pays d’accueil. «Ces derniers ont déjà supporté un lourd fardeau pendant la crise», déclare Muhannad Hadi, coordinateur régional de l’agence. Depuis le début de la guerre civile en mars 2011, environ 800 millions de dollars ont été injectés par le Programme alimentaire mondial afin de soutenir l’économie locale dans les pays limitrophes de la Syrie. A titre d’exemple, la Turquie frôle les 900 000 réfugiés et le frêle Liban a dépassé le million. A terme, un autre volet de l’aide alimentaire onusienne pourrait être menacé. Quatre millions de déplacés syriens, situés dans les zones contrôlées par les rebelles à l’intérieur du pays, bénéficient également des rations du PAM. L’aide va pouvoir se poursuivre jusqu’au mois de février, la nourriture ayant déjà été achetée. Mais audelà de cette date, le Programme alimentaire mondial ne pourra plus subvenir à leurs besoins. Chaque semaine, quelque 35 millions de dollars sont nécessaires pour nourrir les réfugiés syriens qu’ils soient situés à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Outre la guerre civile syrienne, le PAM est confronté à quatre crises humanitaires : Irak, Centrafrique, Soudan du Sud et les pays d’Afrique de l’Ouest touchés par Ebola. J.-L.L.T Une tablette, un portable, un téléviseur, une console, un rasoir électrique, une bibliothèque… C’est Noël avant l’heure pour Robert Quinn, un étudiant britannique de 22 ans, qui a reçu à son domicile de Bromley, dans la banlieue de Londres, un amoncellement de cartons remplis de matériel high-tech. En tout, 46 objets pour un montant de 4500 euros envoyés par erreur par Amazon. En fait, le matériel était destiné à un dépôt de la société américaine de distribution en ligne chargé du traitement des retours, explique Quinn, qui posait mardi tout sourire au milieu de tous ses «cadeaux» à la une du quotidien The Sun. L’erreur d’aiguillage proviendrait d’une mauvaise base de données informatique. Beau joueur, le géant de la distribution lui a confirmé qu’il pouvait garder tous les paquets reçus et en faire bon usage. «Plus personne ne peut battre les tambours de la guerre. L’atmosphère hostile créée contre nous a disparu. Le monde a réalisé que les intérêts communs peuvent mener à un accord.» Mohammad Javad Zarif chef de la diplomatie iranienne, mardi, satisfait des progrès des négociations sur le nucléaire 10 • FRANCE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Par LILIAN ALEMAGNA et LAURE BRETTON poor lonesome cowboy.» A en croire certains de ses camarades, il en irait désormais de Manuel Valls comme de Lucky Luke, esseulé au sein de sa majorité depuis la rentrée. Soit très loin du grand rassemblement des socialistes derrière lui que ses partisans promettaient au début du quinquennat. «Dans deux ans, ils seront 200», entrevoyait un de ses proches en 2012. Ce mercredi soir, ils devraient en réalité être une grosse cinquantaine à trinquer à la santé du chef du gouvernement, lors d’un «apéro convivial» à l’Assemblée nationale. «Cinquante, ça fait toujours plus que trois», sourit le député de l’Essonne Carlos Da Silva, en référence à la «TPE Valls» d’avant la primaire de 2011. Ses soutiens se comptaient alors sur les doigts d’une main. Avec Luc Carvounas, son alter ego au Sénat, Da Silva s’est chargé de lancer les invitations –environ 150 –, écartant d’office les «frondeurs» et les proches de Martine Aubry pour faire honneur aux parlementaires «qui bossent et qu’on n’entend jamais». «S’il faut faire du biceps, on fera du biceps, mais ce n’est pas notre état d’esprit», jure le sénateur Carvounas. Il n’empêche que ce raout ressemble à une opportune démonstration de force en ces heures de préparation de congrès socialiste, doublée d’une tentative de contre-offensive après trois mois délicats pour le chef du gouvernement. L’initiative déplaît à un paquet de socialistes. «C’est la première fois qu’un Premier ministre en exercice est lui-même à l’initiative d’une réunion de division de sa majorité», lâche un vieux briscard de l’Assemblée. Le fait est que c’est aussi la première fois qu’il élargit le cercle de ses déjeuners du mercredi avec des parlementaires, signe que le Premier ministre cherche quand même à savoir combien il pèse parmi les siens à défaut d’avoir choisi de construire un vrai courant au sein du PS. «A ÉMOI. Car, depuis la mi-août, tout s’est accéléré pour Manuel Valls. Quand François Hollande le convie à Brégançon le 15 août, «ça signe la fin de ses illusions: il est là pour appliquer le programme présidentiel et rien que ça. Le piège de Matignon se referme sur lui», analyse un conseiller de l’exécutif. Certes, après l’affront d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, à Frangy-en-Bresse fin août, il obtient le droit de remanier tout le gouvernement pour faire un acte d’autorité. Sur la forme, l’honneur est sauf. Manuel Valls ne sera pas Jean-Marc Ayrault, qui menaçait ses ministres sans jamais faire tomber le couperet. Mais, au poste de Premier ministre, sa tâche est compliquée à triple titre. Il lui faut être loyal au Président, être le chef de la majorité et ne pas perdre son identité. Or, le 23 octobre dans l’Obs, c’est à la dernière exigence – et uniquement à celle-là – qu’il semble avoir répondu. Prisonnier de son personnage, Valls fait du Valls: il trouve «intéressante» l’idée du «contrat unique», refuse de dire que sa gauche est socialiste, réclame la construction avec le centre d’une «maison commune» des «progressistes» avant de réitérer son idée de changer le nom Manuel Valls le 13 octobre, lors d’un déplacement sur le Grand Paris. PHOTO LAURENT TROUDE ManuelValls, socialiste aurasduseul Le Premier ministre, isolé dans son camp par ses sorties libérales, tente de rassembler la majorité autour de la lutte contre les inégalités. du Parti socialiste. «Avec l’Obs, il a cassé son jouet, assure un ténor du PS. Il est resté sur un truc à la Fouks [Stéphane, conseiller en communication, ndlr]: il dégoupille une grenade par jour pour saturer l’espace mais ça ne marche plus.» Après la parution de ces 7 pages, qualifiées de «faute» par le premier secrétaire du PS et le président de l’Assemblée, «des élus de terrain, des maires, des conseillers généraux ont commencé à parler de “résistance intérieure”. Les gens ont été refroidis», rapporte Arnaud Leroy, député proche d’Arnaud Montebourg. Même assertion du côté de Martine Aubry dont la contribution pour les états généraux du PS a connu «deux grosses vagues de signatures : quand on a lancé le texte et après l’Obs», raconte le député ardéchois Olivier Dussopt. Autour du Premier ministre, on fait mine de ne pas comprendre l’émoi. «Il n’y a vraiment rien de nouveau dans cette interview», s’étonne encore, un mois plus tard, un de ses conseillers. Rien de nouveau, sauf que l’interviewé est Pre- FRANCE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Emmanuel Macron au ministère de l’Economie, le chef du gouvernement n’a plus le monopole du clash idéologique ni celui de l’âge. «Macron ringardise Valls, c’est l’une de ses principales vertus», se marre un député PS. A moins que les sorties du ministre sur le contrat unique et les 35 heures n’installent l’aggiornamento Valls dans les esprits… Suite à son interview le Premier ministre essuie une série de revers. Il y a François Hollande qui, en épinglant la grand-croix de la Légion d’honneur sur la veste de son Premier ministre, se plaît à évoquer Georges Clemenceau pour mieux lui rappeler qu’«on peut réussir sa vie sans être président de la République». «François a fait du François», lâche Manuel Valls de retour à Matignon. «Loyal, il l’est totalement, aucun sondage ne remplace le suffrage universel dans son esprit», assure Carlos Da Silva. Il y a ensuite l’annonce de la date du congrès socialiste. Ce sera en juin 2015 plutôt qu’au printemps 2016, comme le voulaient Valls mais aussi Hollande. Et voilà le Premier ministre contraint de faire profil bas dans l’intervalle s’il ne veut pas alimenter le «Tout sauf Valls». Avec un congrès coincé entre deux échéances électorales annoncées comme des débâcles, le Président peut, lui, choisir de rebattre les cartes: changer de Premier ministre et, partant, changer la nature du congrès. Il y a enfin la suppression d’un paragraphe mentionnant les «progressistes» chers à Valls dans la nouvelle charte du PS. Des symboles qui sonnent comme autant de petites revanches de ses adversaires internes. RUMEURS. Pour reprendre la main, sur le fond comme sur la forme, Manuel Valls a demandé à ses ministres de plancher sur la lutte contre les inégalités, dont il veut faire une ligne directrice pour 2015. Ce sera le thème du séminaire gouvernemental à Matignon le 11 décembre. La veille au soir, il inaugurera un cycle de discours sur l’égalité à la Fondation Jean-Jaurès. «La blague qui veut que Manuel Valls ne soit pas à gauche, j’ai toujours trouvé ça complètement stupide, explique le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, Matthias Fekl. Mais notre responsabilité est de nous adresser à toute la gauche en travaillant sur le cœur de notre engagement : lutter contre les inégalités et contre la reproducmier ministre. Vu l’état dans lequel ses tion sociale.» Une ministre constate en mots ont mis la majorité, Manuel Valls écho : «Manuel bouge. Il a compris que a remballé son projet de contribution l’autorité, c’est bien mais que ça ne fait aux états généraux. «Le contexte a sur- pas une politique. Il utilise des mots qui ne déterminé le texte [de l’Obs, ndlr]. La sont pas forcément les siens. Il parle de température était montée à 172°C, on n’al- gauche, de solidarité, d’égalité. Je l’ai lait pas en rajouter», raconte Carlos même entendu dire que les salariés soufDa Silva. Avec cette interview, le chef fraient au travail !» Mardi, celui qui n’a du gouvernement a crispé la base socia- eu de cesse de déclarer sa flamme aux entreprises a dénoncé «les provocations» d’un patronat «pas «Manuel bouge. Il a compris à la hauteur». Enfermé dans sa que l’autorité, c’est bien mais position institutionnelle et que ça ne fait pas une politique.» après la mauvaise séquence d’octobre, le chef de la majorité Une ministre ne peut plus prendre le moindre liste et semblé s’enfermer dans un duel risque. «Il est “pat” [incapable de bouger, avec Martine Aubry. Au lieu de laisser ndlr]», constate un député amateur l’ancienne première secrétaire s’éver- d’échecs. Ce qui alimente les rumeurs tuer à convaincre qu’elle ne divisait pas sur son éventuel départ de Matignon, son camp avec sa critique du hollan- provoquant l’hilarité de son entourage. disme, le Premier ministre est apparu «Le logiciel vallsien, c’est que la gauche en riposte, redevenant le trublion de puisse enfin gouverner dans la durée», l’aile droite du PS période 2009 plutôt rappelle un proche. «Il installe aujourque le patron de la majorité. d’hui l’idée qu’il veut rester jusqu’en 2017 Depuis que François Hollande a nommé parce qu’il n’a plus de troupes, contredit REPÈRES w Mercredi 3 décembre «Apéro convivial» où Manuel Valls a convié 150 parlementaires PS «réformistes» comme lui. w Vendredi 5 décembre Le Premier ministre plante, comme ses prédécesseurs, «son» arbre dans le jardin de Matignon. w Dimanche 7 décembre Quarante minutes d’entretien au 20 heures de France 2. w Mercredi 10 décembre Discours sur la lutte contre les inégalités à la Fondation Jean-Jaurès. «Certains, y compris dans nos rangs et faute d’avoir vu le PS porteur de solutions, veulent déclarer sa désuétude et programmer sa disparition. Ce serait pire qu’une folie, une faute, et sans doute un geste suicidaire pour la France.» Michel Rocard ciblant Manuel Valls dans sa contribution aux états généraux du PS 16 C’est le nombre de points de cote de popularité perdus par Valls entre avril (46% des Français lui faisaient confiance) et novembre (30%), selon TNS-Sofres. • 11 un pilier de l’Assemblée. S’il sort maintenant, il part totalement déconsidéré par les socialistes.» Valls s’accroche donc, plaidant sans cesse la nécessité de réformer la France et de ne pas changer de cap. Il le fera une fois de plus dimanche soir au journal de 20 heures de France 2. «Il faut en permanence s’expliquer, expliquer ce que nous faisons, donner le sens, le cap, la cohérence», a-t-il encore répété lundi soir à Nantes. ABSTENTIONNISTES. Cette détermination marque sa majorité. «C’est très important dans un moment où tout le monde doute, reconnaît le député Christophe Borgel. Manuel est préoccupé par deux choses : trouver un point de croissance et les conséquences sur notre territoire de la guerre contre l’Etat islamique.» Mais son positionnement politique et sa manière de cliver vont à l’encontre de la priorité de Hollande en vue de 2017, le rassemblement de la gauche pour éviter un trop plein de candidatures présidentielles. Sans les écologistes et avec une quarantaine de socialistes frondeurs et abstentionnistes, voilà Valls contraint de céder aux crises de nerfs répétées des radicaux de gauche pour garder sa majorité. Qu’il ne peut élargir vers un centre désormais bien ancré à droite. Au congrès des élus socialistes, le Premier ministre a fondu sur le président de l’Assemblée pour lui reprocher son appel au rassemblement de la gauche, paru le matin dans la presse. «Ça t’aide», lui a répliqué Claude Bartolone. Sans (le) convaincre. • FORUM DE ROUEN LA FRANCE DES METROPOLES DEMAIN, LES VILLES MONDIALES UNE JOURNÉE DE DÉBATS MARDI 16 DÉCEMBRE AU 106, À ROUEN Inscriptions sur : www.metropole-rouen-normandie.fr www.liberation.fr/evenements 12 • FRANCEXPRESSO LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 COULISSES «Ils peuvent toujours nommer Donald [Tusk, président du Conseil européen, ndlr] à la tête de l’Europe, c’est quand même Picsou qui commande.» Par GRÉGOIRE BISEAU François Hollande prêt pour un premier discours sur l’immigration rançois Hollande a décidé: le 15 décembre, il se rendra à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour y prononcer un discours sur… l’immigration. Ce sera la première fois depuis le début du quinquennat que le chef de l’Etat consacrera une allocution entièrement dédiée à ce sujet. Jusqu’à présent, il l’avait soigneusement évité. F Bien sûr, à l’occasion de ses discours mémoriels (centenaire de la Première Guerre mondiale, 70 ans de la libération), le chef de l’Etat a toujours pris la peine de rendre hommage aux sacrifices de nombreux soldats venus des colonies et morts pour la France. De même, en déplacement à l’étranger, il a souvent rappelé que la France a l’ambition de redevenir un pays attractif pour les jeunes diplômés désireux de venir faire leurs études en France. Mais de discours sur l’immigration, jamais. Le lieu est lui aussi très politique. Cette Cité nationale de l’histoire de l’immigra- tion, dans le palais de la Porte dorée à Paris, a une histoire très singulière. Imaginé par Jacques Chirac à partir d’une réflexion entamée sous Lionel Jospin, ce musée, unique en France, a été lancé par Jean-Pierre Raffarin en juillet 2004. Mais il n’a jamais été officiellement inauguré. Car le jour de son ouverture au public, en octobre 2007, Nicolas Sarkozy a choisi de snober l’événement. La création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale avait provoqué la démission de huit des douze historiens qui composaient le comité scientifique du musée (dont Patrick Weil), alors présidé par Jacques Toubon. Depuis, François Hollande a nommé, au grand dam de son propre camp, Jacques Toubon au poste de Défenseur des droits. Et c’est Benjamin Stora, un ami du Président qui l’a remplacé. Le 15 décembre, le chef de l’Etat devrait donc faire coup double : parler à sa gauche et semer la division à droite. • LES GENS CLAUDE GUÉANT AURAIT ÉTÉ ÉPARGNÉ D’UN SIGNALEMENT À TRACFIN La BNP a-t-elle épargné Claude Guéant, alors qu’il était secrétaire général de l’Elysée? Selon l’Express, la banque, contrevenant à ses obligations, aurait «omis» d’alerter Tracfin (l’organisme de lutte antiblanchiment de Bercy) en 2008, quand un virement de 500000 euros en provenance de Malaisie a atterri sur le compte de Guéant. La BNP ne l’aurait signalé qu’au printemps 2013, quand un article du Canard enchaîné a sorti l’affaire dite «des tableaux»: deux toiles que Guéant soutient avoir très bien vendues, mais pour lesquelles il ne dispose d’aucun certificat d’exportation. Policiers et magistrats n’ont, eux, découvert le virement qu’en février 2013, après la saisie de relevés bancaires de Guéant à son domicile, dans le cadre d’une enquête sur le financement de la campagne de Sarkozy en 2007. PHOTO REUTERS Jean-Luc Mélenchon mardi sur Twitter L’HISTOIRE CAMBA RÉCOLTE LE MÉPRIS D’HORTEFEUX Wauquiez et NKM entourent Carla Bruni, à un meeting de Sarkozy, en novembre. A. FACELLY NicolasSarkozyfaceau dilemmeNKM-Wauquiez UMP La nomination du secrétaire général du parti renseignera sur sa future ligne politique. près avoir tant promis, Nicolas Sarkozy va devoir décevoir. Le casting de la nouvelle équipe dirigeante de l’UMP lui donne par ailleurs l’occasion de livrer une indication sur sa future ligne politique: serait-ce celle du «parti du XXIe siècle», dépassant l’antique clivage gauche-droite, qu’il avait célébrée à la fin de l’été? Ou, au contraire, celle de la droite dure, obsédée par les frontières et l’identité nationale, qu’il a défendue pendant sa campagne ? Mentor. Longtemps donnée favorite pour le poste très convoité de secrétaire général – numéro 2 du parti –, Nathalie Kosciusko-Morizet serait sur la sellette, après un tête-à-tête houleux dans le bureau de Sarkozy, lundi après-midi. Son mentor lui reproche, notamment, de l’avoir crûment désavoué après qu’il a promis «l’abrogation» du mariage gay. Reçu dans la foulée, son principal rival, l’ultradroitier Laurent Wauquiez, croit en ses chances, même si la promotion de A ce député assez massivement détesté dans son propre camp risque de contrarier un grand nombre de responsables de l’UMP. Tout à sa volonté de «rassembler», Sarkozy reçoit à tour de bras. Le Maire et Bertrand lundi, Fillon mardi, Copé et Juppé mercredi : la plupart des hauts gradés de l’UMP seront passés dans son bureau pendant les trois premiers jours de sa présidence. Mardi matin, lors de la réunion des députés UMP, Sarkozy a dit son «émotion» de les retrouver. «Apaisé et charmeur» – c’est un filloniste qui le dit –, il a assuré qu’à défaut d’avoir «changé», il pensait avoir «appris». La preuve ? Il n’aurait plus «la grosse tête» et ne jure plus que par «le collectif». Pas un mot, en revanche, sur le club d’ex-Premiers ministres –baptisé par Juppé «comité naphtaline» – dont le nouveau président de l’UMP prétendait s’entourer. Paradoxalement, c’est entre ses deux principaux lieutenants, NKM et Wauquiez, que le «rassemblement» est le plus périlleux. Les deux quadras l’ont accompagné dès le début dans un retour qu’il espérait triomphal. Ils entendent bien en être récompensés et leur rivalité n’a fait que croître ces dernières semaines. L’ex-ministre de l’Enseignement supérieur cogne à bras raccourcis sur la droite molle et boboïsée de son excollègue de l’écologie. NKM voit en Wauquiez une réincarnation du fameux Patrick Buisson, théoricien maurrassien de la campagne de 2012. Assistanat. Lundi soir, Wauquiez participait à Mots croisés (France 2), face à Marion Maréchal-Le Pen (FN) et Jean-Christophe Lagarde (UDI). L’homme de Sarkozy a passé toute l’émission à courir derrière la frontiste, pour lui contester le monopole des fortes paroles contre l’Europe, l’immigration et l’assistanat. Laissant au centriste, spectateur consterné de cette compétition, le soin de démontrer qu’on ne combat pas le FN en le copiant. ALAIN AUFFRAY Un débat télé entre chefs de parti. Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis avait fait cette proposition à Nicolas Sarkozy sitôt celui-ci élu président de l’UMP. Hypothèse balayée avec une bonne dose de mépris par Brice Hortefeux, zélé porte-voix de l’ex-chef de l’Etat, qui a jugé que, pour le député PS de Paris, un débat avec le secrétaire général de l’UMP, et non son président, ce serait «déjà très bien». S’il n’a plus le moindre mandat électif, Sarkozy entend bien sûr se poser davantage en leader de l’opposition et donc en interlocuteur du Premier ministre, Manuel Valls, qu’en alter ego de Cambadélis. Zappant un peu vite qu’en l’état, ils sont l’un comme l’autre à la tête d’un parti moribond où les poids lourds la jouent perso avec 2017 en tête. 5600 C’est le nombre de contributions reçues par le PS dans le cadre de ses états généraux. Dans les 3200 sections PS, les 60000 à 70000 adhérents à jour de cotisation (sur 150000) sont appelés à approuver mercredi «la charte des socialistes» qui en est issue, mais aussi à se prononcer sur leurs candidats aux départementales de mars. NOËL SUR LES BERGES DE SEINE > NOËL MAKERS (MARCHÉ DE NOËL) : 5, 6 & 7 DÉC. 2014 > BERGES SUR NEIGE (ROLLERSKI & BIATHLON) : DU 20 DÉC. 2014 AU 04 JANV. 2015 LESBERGES.PARIS.FR LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 FRANCE • 13 Réfugiés:un curétoujours encampagne Gérard Riffard, jugé en appel pour avoir hébergé des demandeurs d’asile, plaide la nécessité d’une mise à l’abri. Par CATHERINE COROLLER Correspondante à Lyon Saint-Etienne. «Compte tenu de la saturation du dispositif de veille sociale étatique» et fort d’une direcne deuxième fois, deux tive européenne de janvier 2003 positions irréconcilia- prévoyant que «les Etats membres bles se sont opposées peuvent déroger aux normes minimamardi, cette fois devant les des conditions matérielles d’acla cour d’appel de Lyon. D’un côté, cueil des demandeurs d’asile lorsque Gérard Riffard, 70 ans, anles capacités de logements cien curé de l’église SainteRÉCIT disponibles sont temporaireClaire à Saint-Etienne ment épuisées», le juge avait (Loire), poursuivi pour avoir ignoré reconnu l’«état de nécessité». «Il un arrêté municipal d’avril 2013 lui est paradoxal que l’Etat poursuive interdisant d’héberger des deman- aujourd’hui le père Riffard pour avoir deurs d’asile et des déboutés du fait ce qu’il aurait dû faire luidroit d’asile dans un bâtiment ne même», avait même écrit le magisrépondant pas aux normes de sécu- trat dans son jugement, se fondant rité. De l’autre, Denis Vanbrem- également sur une décision du mersch, l’avocat général. En pre- Conseil d’Etat de février 2012 mière instance, le prêtre avait été «érig[eant] le droit à l’hébergement relaxé par le tribunal de police de d’urgence au rang de liberté fondamentale». Mais le parquet a fait appel de cette décision et le deuxième procès a donc eu lieu mardi. U REPÈRES Né à Saint-Genest-Lerpt (Loire) en 1944, Gérard Riffard a été ordonné prêtre en 1973 et nommé curé de la paroisse SainteClaire de Saint-Etienne en 1974. Il y a cinq ans, il a été chargé, par l’évêque, de l’accompagnement des demandeurs d’asile. «Le délit de solidarité a été aboli le 30 décembre 2012. On ne […] poursuit plus ceux qui font preuve de générosité!» Chantal Jullien avocate du père Gérard Riffard. 141500 C’est le nombre de personnes sans domicile fixe recensées par l’Insee dans une étude datant de 2012. Parmi ces sans-abri figurent 30000 enfants. TEMPÉRATURES. La menace de cette nouvelle comparution n’a pas fait fléchir le curé soutenu par son évêque. Depuis une quinzaine d’années, Gérard Riffard accueille des réfugiés. D’abord dans le logement de fonction qu’il occupe toujours dans l’enceinte de l’église puis dans la salle paroissiale, voire la chapelle en cas d’affluence. En ce début décembre, «une cinquantaine Gérard Riffard continue à accueillir des demandeurs d’asile chez lui, à Saint-Etienne. SÉBASTIEN EROME.SIGNATURES d’adultes et une quinzaine de gosses» y ont trouvé refuge, précisait le ont été installés dans la salle parois- favorisées. Devant la cour, ce mon- société, on n’est pas un électron licuré avant l’audience. Un accueil siale. Et les portes de secours ont sieur de «90 ans passés» a rappelé bre», a-t-il ajouté à l’intention du encore provoqué par la nécessité. été déverrouillées. En vain. «Ce que «la rue peut tuer». «Quels que curé. Puis, l’avocat général a cru Alors que les températures ont n’est pas un dossier d’urbanisme !» soient les efforts des autorités admi- bon de citer des déclarations du chuté ces derniers jours, la préfète a ironisé devant la cour Chantal Jul- nistratives, ils sont insuffisants pour pape François, le 25 novembre dede la Loire n’aurait toujours pas fait lien, l’avocate du curé pour qui la répondre aux besoins en matière d’hé- vant le Parlement européen, sur la connaître, selon lui, les détails du sécurité n’est en réalité qu’un pré- bergement d’urgence, a-t-il déclaré. nécessité «d’ordonn[er] harmonieuplan grand froid censé organiser la texte pour l’empêcher de continuer Mieux vaut une situation imparfaite sement le droit de chacun au bien plus mise à l’abri des personnes à la rue. à héberger des demandeurs d’asile. dans un établissement ne répondant grand», faute de quoi «il finit par se «Si elle se contente pas […] aux normes de sécurité, que concevoir comme sans limites et, par d’ouvrir un gym- «Mieux vaut une situation imparfaite de faire courir aux gens un péril plus conséquent, devenir source de conflits nase de 22 heures dans un lieu ne répondant pas aux grand en les remettant à la rue.» et de violences», suscitant l’indià 7 heures, ça ne gnation de paroissiens présents normes que de faire courir aux gens suffira pas», comINDIGNATION. Tout en saluant la dans la salle d’audience pour souun péril plus grand dans la rue.» mentait le curé. personnalité «éminemment respec- tenir leur curé. «L’enfer est pavé de Officiellement, le Paul Bouchet ancien bâtonnier de Lyon table» de Gérard Riffard et en assu- bonnes intentions», a ajouté Denis s ep t ua géna i re rant que «l’état de nécessité peut Vanbremmersch, provoquant de comparaissait pour infraction au Pour soutenir la cause de Gérard parfaitement s’entendre», Denis nouvelles exclamations scandalicode de l’urbanisme. Pour mieux Riffard, l’avocate a fait citer comme Vanbremmersch a affirmé que sées. En première instance, l’avocat répondre aux exigences de sécurité, témoin Paul Bouchet, ex-bâtonnier «l’Etat n’a de cesse que de toujours général avait requis 12 000 euros Gérard Riffard a pourtant procédé de Lyon, ex-conseiller d’Etat, ex- essayer d’en faire plus [en matière d’amende, Denis Vanbremmersch à plusieurs installations: des détec- président d’ATD quart-monde et d’hébergement d’urgence, ndlr]» a ramené le montant de la contrateurs de fumée, extincteurs et lam- actuel membre du Haut Comité mais qu’il est là aussi pour «fixer vention à 1200 euros. La décision a pes veilleuses indiquant les sorties pour le logement des personnes dé- des règles». «On s’inscrit dans une été renvoyée au 27 janvier. • 14 • FRANCEXPRESSO LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 DROIT DE SUITE CARNET Par ÉLIANE PATRIARCA DÉCÈS Queyranne demande la suspension du Center Parc de Roybon e Center Parc de Roybon, complexe hôtelier que Pierre et Vacances veut implanter sur le territoire de cette commune de l’Isère, objet d’une bataille judiciaire depuis sept ans et d’une vive contestation sur le terrain, a du plomb dans l’aile. Le président socialiste de Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, a écrit mardi au préfet de région pour lui demander de «prendre les dispositions nécessaires à la suspension des travaux». Et le tribunal administratif de Grenoble doit examiner le 12 décembre plusieurs recours d’associations d’opposants demandant aussi la suspension. L Le Center Parc de Roybon doit accueillir en 2017 un millier de cottages, des commerces et des restaurants, autour d’une bulle transparente avec piscine. Le projet prévoit la création de 697 emplois à temps partiel et d’importantes retombées fiscales pour les collectivités locales et la commune de 1400 habitants. Mais les opposants dénoncent le passage en force du préfet de l’Isère, qui a autorisé en octobre le début des travaux de déboisement, malgré l’avis très défavorable rendu cet été par la commission d’enquête au titre de la loi sur l’eau. Les trois commissaires enquêteurs avaient pointé les risques de l’implantation ex nihilo du complexe touristique de 5 600 habitants pour la nappe phréatique, et les 120 hectares de zone humide ainsi artificialisés. Pour l’heure, dans cette forêt des Chambaran, limitrophe de la Drôme, a surgi la plus récente des ZAD (zone à défendre) ; 600 à 1 000 opposants y ont manifesté dimanche et, depuis, une centaine occupent une maison de l’Office national des forêts, à proximité du chantier. Mardi, ils ont reçu la visite d’un huissier accompagné de gendarmes, mais ont refusé de quitter les lieux. • LES GENS Elle se plaisait à dire que de sa passion elle avait fait son métier. Régine Juin Le principe «un détenu, une cellule» est inscrit dans la loi depuis 1875. PHOTO FÉLIX LEDRU Cellulesindividuelles: dereportsenrapport PRISON Le député PS Dominique Raimbourg a rendu ses propositions pour un respect de la loi d’ici à 2022. l a rempli sa mission : pondre un rapport parlementaire en deux temps trois mouvements. Le député socialiste Dominique Raimbourg a présenté mardi à la garde des Sceaux, Christiane Taubira, ses propositions pour rendre applicable une loi vieille de plus d’un siècle : permettre aux détenus d’être seuls en cellule s’ils le souhaitent. I Pourquoi ce rapport ? RAZZY HAMMADI VEUT UNE ENQUÊTE SUR LES FONDS DU FN Une enquête parlementaire: c’est ce que demande le député (PS) de Seine-Saint-Denis, Razzy Hammadi, au sujet des prêts d’origine russe, faits au Front national et au microparti de Jean-Marie Le Pen. Le site Mediapart a révélé récemment que le FN a obtenu en septembre un prêt de 9 millions d’euros de la First Czech-Russian Bank (FCRB), puis qu’une association de financement de Jean-Marie Le Pen a reçu 2 millions d’euros d’une société établie à Chypre mais détenue par un ancien membre du KGB. «Les conditions de ces prêts [de l’argent aurait transité par la Suisse, ndlr], ainsi que l’origine exclusivement russe des fonds, posent une question majeure dont le Parlement doit se saisir», considère Razzy Hammadi. PHOTO AFP • SUR LIBÉRATION.FR Série «A Vierzon, les coiffeurs en voient de toutes les couleurs», troisième volet de notre plongée dans la vie commerçante de la sous-préfecture du Cher, où les salons de coiffure tentent de résister. Inscrit dans la loi en 1875, le principe «un détenu, une cellule» est piétiné depuis cent quarante ans par les gouvernements de droite comme de gauche. Il faut attendre l’an 2000 pour qu’Elisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, rappelle les pouvoirs publics à leur engagement. La ministre socialiste prévoit cependant un délai de trois ans avant la mise en œuvre effective de l’encellulement individuel. De report en report, nous voilà en 2014. Théoriquement, le moratoire expire le 25 novembre. Christiane Taubira, à son tour, espère obtenir sa prolongation. Sauf que JeanJacques Urvoas, président socialiste de la commission des lois, ne l’entend pas ainsi. A ses yeux, un nouveau moratoire «porterait atteinte à la crédibilité du Parlement, dont la vocation ne saurait être de voter des dispositions inapplicables». Le Premier ministre, Manuel Valls, confie alors une mission à Domini- que Raimbourg, qui planche pendant trois semaines. Que contient-il ? Premier enseignement : le 28 octobre, sur 66 522 personnes détenues, 26 341 étaient hébergées seules (39,65%). La capacité d’accueil dans les établissements pénitentiaires reste en effet nettement insuffisante : il manque 8440 places dans les prisons françaises. La surpopulation carcérale atteint le taux de 114,5%. La situation dans certaines maisons d’arrêt est particulièrement sensible : on doit souvent y installer des lits au-delà de la capacité opérationnelle, voire disposer des matelas au sol. Raimbourg espère en finir avec cette «application très molle de la loi». Il fixe trois étapes pour qu’en octobre 2022 «le strict respect de l’encellulement individuel» soit atteint. Un taux de 80% de places individuelles est envisagé, le reste étant destiné aux personnes souhaitant partager leur cellule ou trop fragiles psychologiquement pour être seules. Le député souhaite que les nouveaux établissements censés être construits d’ici à 2017 (3 200 places supplémentaires) respectent le taux de 80%. Il espère aussi transformer les 2271 cellules multiples (pour trois détenus ou plus) existantes par des cellules simples. Il formule enfin plusieurs mesures techniques: faciliter les amé- nagements de peine avant incarcération, augmenter les remises de peine pour les détenus faisant des efforts de réinsertion en établissement surpeuplé, fixer des seuils d’alerte de surpopulation… Est-il bien accueilli ? Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons, est partagée. «Ce rapport reprend de bonnes idées. Mais la question des courtes peines est peu posée. Si toutes les personnes condamnées à des peines de moins d’un an bénéficiaient d’un aménagement de peine comme le permet la loi, il y aurait plus de cellules en maison d’arrêt que de détenus. Le problème serait réglé.» Même prudence chez Céline Parisot, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats. «L’objectif de 80% dépendra des moyens affectés à la restructuration du parc pénitentiaire. On ne transforme pas comme ça une cellule pour trois détenus en une individuelle : il faut tout casser, et construire de nouveaux bâtiments.» Elle se félicite en revanche du «pragmatisme» de Raimbourg : «Il ne formule pas de solution miracle, et c’est tant mieux.» Pierre-Victor Tournier, spécialiste de la statistique pénitentiaire, abonde : «Il y a dans ce rapport une gamme de propositions très diverses. Plus il y en aura de retenues, plus ça sera utile.» MARIE PIQUEMAL et SYLVAIN MOUILLARD s'en est allée. Après voir été directrice du Cinéma Les Lumières de Vitrolles, elle a ensuite rejoint l'équipe du Cinéma 3 Casino tout d'abord en tant que programmatrice du Festival d'Automne, puis en reprenant la direction du cinéma et du festival. De Régine nous nous souviendrons de son regard malicieux, de sa gentillesse et de son plaisir à nous faire découvrir les pépites du cinéma d'auteur. Elle nous manque. Les membres de Gardanne Action Cinéma et l'équipe du Cinéma 3 Casino Mathieu GALLET, Président-directeur général de Radio France, Le Conseil d'administration, La Direction générale, La Direction technique, Tous les personnels de Radio France, ont la grande tristesse de faire part du décès de Didier SUDRES survenu brutalement le 25 novembre à l'âge de 52 ans. Tous présentent à son épouse, à son fils, sa famille et à ses proches leurs sincères condoléances. La cérémonie des obsèques aura lieu jeudi 4 décembre à 13h30 dans la salle de la Coupole au crématorium du Père Lachaise. Le Carnet Vous Vous organisez organisez un un colloque, colloque, un un séminaire, séminaire, une une conférence… conférence… Contactez-nous Contactez-nous Réservations et insertions la veille de 9h à 11h pour une parution le lendemain Tarifs 2014 : 16,30 € TTC la ligne Forfait 10 lignes 153 € TTC pour une parution (15,30 € TTC la ligne supplémentaire) Abonnés et associations : -10% Tél. 01 40 10 52 45 Fax. 01 40 10 52 35 Vous pouvez nous faire parvenir vos textes par e.mail : [email protected] La reproduction de nos petites annonces est interdite Le Carnet Emilie Rigaudias 0140105245 [email protected] LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 ECONOMIE L’Europesuit lefild’Ariane LANCEURA t ARIANE hauteur : 70 m PERFORMANCE ENORBITEDETRANSFERT GÉOSTATIONNAIRE MASSE AUDÉCOLLAGE t Entérinée mardi à Luxembourg, la sixième version de la fusée européenne prévue pour 2020 se veut low-cost et fiable. Par SYLVESTRE HUET lérateurs à poudre, la seconde avec quatre, ce qui es ministres chargés correspond à des capacités de l’Espace des pays de mise en orbite géostationmembres de l’Agen- naire, à 36 000 kilomètres ce spatiale euro- d’altitude, de 5 et 10,5 tonpéenne (ESA), réunis mardi à nes. Avec Vega, spécialisée Luxembourg, ont pris une pour les petits satellites infédécision qui pèse près de rieurs à 1 500 kilos à moins 4 milliards d’euros. L’inves- de 700 km d’altitude, Ariatissement nécessaire pour ne-6 signifie probablement développer une nouvelle fu- la fin des tirs de Soyouz à sée Ariane, la sixième du Kourou après 2020. nom. Un choix «historique», L’accouchement d’Ariane-6 selon la secrétaire d’Etat à la ne fut pas facile. Les frictions Recherche, Geneviève entre Français et AlleFioraso, qui vise à asRÉCIT mands, ou industriels surer à long terme et agences, ont fait des l’indépendance de l’Europe étincelles depuis trois ans. pour son accès à l’espace Divergences techniques – la ainsi qu’une activité de lan- direction des lanceurs de cement de satellites commer- l’ESA et du Cnes, l’Agence ciaux. Cette nouvelle fusée française, plaidant pour un doit prendre à l’horizon 2020 usage plus fort de la poudre la succession d’Ariane-5, en et l’abandon du Vulcain– et service depuis 1996. Si le pro- sur la répartition des charges gramme se déroule dans les de production. La solution délais prévus, qu’Ariane-6 vint des industriels, lorsque entend respecter. Airbus et Safran (le producteur des Vulcain et Vinci) ont FRICTIONS. Elle ne cherche mis toutes leurs activités pas la nouveauté ou la per- pour les fusées dans une formance technique, mais seule coentreprise. l’économie des deniers Cette décision doit beaucoup publics. Ariane-6 sera donc à la concurrence américaine constituée d’éléments tech- de la société Space X, la firme niques existant pour sa pro- du milliardaire Elon Musk. pulsion. Le moteur de son Elle a réduit les coûts de lanétage principal, à oxygène et cement avec sa fusée Falcon hydrogène liquides, sera une facturés environ 60 millions version améliorée du Vulcain de dollars au privé pour les d’Ariane-5. Y seront accolés satellites commerciaux, alors des accélérateurs à poudre, que la Nasa affirme que la fules P-120, garnis d’explosif sée coûte près de 140 millions (à Kourou sur le site de l’as- par tir. En outre, l’armée troport), dérivés des boosters paye le pas de tir. Une forme d’Ariane-5. Le P-120 –pour de soutien qui «frise le dum120 tonnes de poudre – sera ping», dénonce Fioraso. Les également le premier étage pays européens soutiennent de la petite fusée Vega, qui a certes leurs fusées et l’astroréussi en mai son premier tir port de Kourou par des fonds commercial. Enfin, le troi- publics – 8 milliards prévus sième étage, à hydrogène et au total d’ici 2024, dont les oxygène liquides, utilisera le 4 milliards d’Ariane-6. Mais moteur Vinci, en cours de l’objectif est que le prix de développement, qui devait vente des tirs commerciaux être utilisé pour Ariane-5. – Ariane-5 détient la moitié Ariane-6 sera déclinée en du marché mondial– couvre deux versions (A62 et A64). le coût de fabrication et de La première avec deux accé- lancement. L 15 LANCEURA t t ARIANE 5 hauteur : 50 m La conférence ministérielle devait également trancher d’autres dossiers, sur lesquels les deals entre pays dépendaient beaucoup de l’accord sur Ariane-6. Les Allemands insistaient pour que leur engagement dans Ariane-6 soit balancé par un effort de la France sur les vols habités et la station spatiale internationale (ISS), dans lesquels ils sont plus impliqués. Le budget total de l’ESA pour la station spatiale atteindra 820 millions d’euros d’ici 2017, comportant le développement du module de service (propulsion, navigation, panneaux solaires…) pour la capsule Orion de la Nasa. Ce module reprendra les technologies du cargo automatique de l’ESA, dont cinq exemplaires ont ravitaillé l’ISS. SONDES. Côté exploration du système solaire, les ministres se sont mis d’accord sur une rallonge pour le programme Exo-Mars qui prévoit l’envoi de deux sondes vers la planète rouge en 2016 et 2018. Tandis que les études se poursuivent pour préparer la prochaine grande mission vers Mars, visant le retour d’échantillons sur Terre. Enfin, des travaux préliminaires seront financés pour deux missions lunaires en coopération avec la Fédération de Russie prévues pour 2019 et 2020. Cette conférence a réaffirmé un mode de fonctionnement intergouvernemental où ceux qui payent le plus ont le pouvoir de décision. Autrement dit, l’ESA ne devient pas l’Agence spatiale de l’Union européenne. Même si elle est devenue une sorte de 21e membre de l’ESA, elle ne pèse que sur les programmes qu’elle finance: Galileo, pour la navigation par satellite, et Copernicus pour la surveillance de la Terre. • • Etage supérieur MOTEURVINCI Propulsion cryotechnique (oxygène et hydrogène liquides) t d'ergols Poussée maximum kN Boosters x ETAGEP x Commun à Vega Propulsion solide t de propergol Poussée maximum kN Etage principal MOTEURVULCAIN Propulsion cryotechnique (oxygène et hydrogène liquides) t d'ergols Poussée maximum kN Puissance MOTEURSAUDÉCOLLAGE équivalents à plusieurs réacteurs nucléaires Les pays participant à Ariane 6 Au 2 décembre 2014 MOTEURVULCAIN équivalent à 2 TGV Lancements PAYS-BAS BELGIQUE SUÈDE ALLEMAGNE SUISSE FRANCE ITALIE JUSQU'ÀPARAN ESPAGNE dont 5 missions institutionnelles Orbites visées MEO - environ 20 000 km Navigation (Galileo) HEO- orbite de libération Science et exploration LEO- 500 km à 1 000 km Desserte de stations en orbite basse GEO- 36 000 km Télécoms Source : CNES, Julien Tredan-Turini 16 • ECONOMIE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 REPÈRES Seuls 470 millions de dollars ont été versés en dédommagement par Union Carbide aux victimes, en 1989. Les familles des défunts ont donc reçu 1600 euros et les blessés 400 euros. Les victimes réclament 15 fois plus. CHINE AFGH New Delhi PAK Bhopal Mer d’Arabie INDE Golfe du Bengale 500 km 4 C’est le nombre de procès en cours, au pénal et au civil, trois en Inde et un aux EtatsUnis, contre Union Carbide Corporation, racheté par Dow Chemicals en 2001. Un enfant de 11 ans dont la mère vit dans un bidonville proche du site d’Union Carbide, exposée à l’eau contaminée. PHOTO REINHARD. KRAUSE. REUTERS Par SÉBASTIEN FARCIS Envoyé spécial à Bhopal (Inde) Trenteansaprès, Bhopaltuetoujours éveillez-vous !» «Les voisins tapaient à la porte. Mais il était trop tard. Quand j’ai ouvert, j’ai vu le nuage blanc arriver, se souvient Rehana Bee, âgée de 16 ans à l’époque. Pendant toute la nuit, j’ai vomi. Mon ventre et mes yeux brûlaient, comme si on y avait mis le feu.» Pendant la journée du lendemain, le 3 décembre 1984, Rehana Bee vit ses deux parents et son frère de 3 ans mourir, intoxiqués par ces tonnes de gaz échappés de l’usine le ventre, les chevilles et l’entrede pesticides d’Union Carbide, si- jambe, tout en le laissant sans force. tuée à 300 mètres de leur quartier «Je voulais être ingénieur, lâche-t-il pauvre de JP Nagar. dans un filet de voix, les yeux huLa survie de Rehana tient du mira- mides. Mais aujourd’hui, où sont cle. Mais le poison la suit toujours. passés ces rêves?» Javed est décédé Habillée d’une tunique une semaine après cet verte qui lui couvre les REPORTAGE entretien. Les associacheveux, cette musultions de victimes penmane, qui a aujourd’hui 46 ans, boit sent que son corps, déjà affaibli par un chai tiède. Elle est assise sur une l’héritage génétique de sa mère, a natte dans la pièce unique de 9 m2 été intoxiqué par les eaux polluées de sa maison, éclairée par un néon du quartier, situé à moins d’un kiblafard. Rehana souffre depuis cette lomètre de l’ancienne fabrique du nuit-là de difficultés respiratoires, pesticide Sevin. comme son mari qui a été forcé d’arrêter de travailler. Deux de ses CRICKET. Trente ans après le six enfants, nés après la tragédie, drame, la catastrophe industrielle sont aussi malades. la plus meurtrière du monde contiJaved, 24 ans, est allongé à côté nue à tuer. Cachés derrière un mur d’elle, les yeux globuleux perdus en partie effondré, les deux gigandans le vide, la bouche ouverte à la tesques bâtiments rouillés de recherche d’air. Ses poumons ne l’usine Union Carbide se dressent fonctionnent presque plus. Les mé- au-dessus de Bhopal. L’accès au site decins pensaient qu’il avait la tu- de 25 hectares est interdit, mais berculose, et il a dû prendre jusqu’à seuls cinq gardes surveillent. La vé60 médicaments par jour, ce qui lui gétation l’a envahi et des paysannes a affaibli les reins. Au bout de huit viennent faire brouter leurs ans de traitement, ils n’ont pu ex- chèvres, les enfants le transforment pliquer ce qui lui a fait ainsi gonfler en terrain de cricket. «Ce sol est «R La catastrophe industrielle la plus meurtrière de l’histoire a contaminé durablement les sols et la nappe phréatique. hautement contaminé, s’alarme T.R. Chouhan, responsable de l’usine en 1984, aujourd’hui fonctionnaire pour le gouvernement régional. Vous avez de l’arsenic et du DDT, et quand il pleut, cela rentre dans le sol. Il faudrait barricader ce site comme si on y avait mené un essai nucléaire !» Le même désastre, à plus grande échelle encore, se déroule à phréatique sur plus de trois kilomètres et de l’eau courante de 50 000 personnes. En 2009, une étude indépendante menée par le Center for Social Research de New Delhi a confirmé la présence, dans deux sources d’eau autour de l’usine, de pesticides à un niveau 12 fois plus élevé que le taux maximum autorisé en Inde. Et de 24 fois trop de mercure dans l’eau d’une pompe d’un quartier situé à «Vous avez de l’arsenic et du DDT, et kilomètres quand il pleut, cela rentre dans le sol. trois de la fabrique. La Il faudrait barricader ce site comme si consommation on y avait mené un essai nucléaire!» prolongée d’une telle eau entraîne T.R. Chouhan responsable de l’usine en 1984 des cancers des 400 mètres au nord de l’usine, là où poumons et des reins ainsi que l’afUnion Carbide a déversé ses dé- faiblissement des muscles, conclut chets toxiques entre 1977 et 1984. le rapport. Autant de symptômes La pluie a recouvert la terre conta- observés chez le jeune Javed. minée pour faire naître un étang de plusieurs hectares. Des buffles se BÂCHE. Selon Amnesty Internatiobaignent dans ses eaux, des habi- nal, plus de 22 000 personnes sont tants viennent y pêcher des pois- mortes et 500 000 blessées depuis sons marron clair. Cette zone est la trente ans à cause de cette fuite de plus contaminée de Bhopal. Elle est gaz. Union Carbide affirme avoir source de pollution de la nappe fait le nécessaire pour nettoyer le terrain avant de le rendre au gouvernement régional du Madhya Pradesh, en 1998. La compagnie américaine avance avoir dépensé 2 millions de dollars pour, entre autres, déposer une bâche de plastique sous la terre de l’étang afin d’empêcher la contamination des nappes. Elle reconnaît que cette pollution est survenue, mais uniquement sous le site de l’usine. Les autorités locales ont adopté la même ligne, et ce n’est qu’en août dernier qu’elles ont fourni de l’eau potable provenant d’une source non toxique aux quartiers concernés. Soit dix ans après l’ordre de la Cour suprême. Malgré de nombreux appels et visites, les responsables du gouvernement du Madhya Pradesh n’ont pas voulu répondre à nos questions. «La décontamination du site nécessiterait l’excavation de dizaines de milliers de tonnes de terre, puis le contrôle et la capture des dioxines qui s’y trouvent, explique Satinath Sarangi, ingénieur et fondateur de la clinique Sambhavna de Bhopal. Aucune infrastructure n’est capable de faire cela en Inde.» En 2012, l’agence allemande GIZ s’était porté candidate pour l’extraction d’une petite partie, mais les négociations ont échoué. Les Nations unies ont refusé de s’en occuper car il s’agit d’un accident industriel, dont les responsables sont identifiés, et non d’une catastrophe naturelle. Or ces produits chimiques ne sont pas près de disparaître. «L’espérance de vie de certains d’entre eux dépasse les cent ans, prévient Satinath Sarangi. Et si nous ne faisons rien pour les arrêter, ils vont continuer à se répandre plus loin dans les nappes phréatiques.» • ECONOMIEXPRESSO LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 H «Malgré les besoins énormes, notamment face à la crise Ebola, le gouvernement fait le choix de nier la volonté des parlementaires et de détourner un peu plus l’aide française des pays les plus pauvres.» Christian Reboul de l’ONG Oxfam France, après la décision du gouvernement de revenir sur un amendement voté à l’unanimité à l’Assemblée visant à réallouer 35 millions d’euros sous forme de dons aux pays les plus vulnérables. L’HISTOIRE Paris et New Delhi veulent lever les blocages et mener à bien les négociations autour de la vente de 126 avions de chasse Rafale. Le ministre français de la Défense, JeanYves Le Drian, a rencontré lundi pour la première fois son nouvel homologue indien, Manohar Parrikar, afin de discuter de ce contrat crucial pour Dassault, mais dont la conclusion a plusieurs fois été reportée. L’Inde est entrée en négociations exclusives avec Dassault en janvier 2012. Le contrat, estimé à environ 12 milliards de dollars (9,66 milliards d’euros), implique un complexe partage de technologies et, selon la presse indienne, les discussions achoppent sur la question des responsabilités (délais, dommages…) pour les appareils produits en Inde, qui est le premier importateur mondial d’armes conventionnelles. LES GENS MANUEL VALLS SE FAIT LE PORTEVOIX DE LA «CROISSANCE BLEUE» L’éolien flottant remis à flot. «Un appel à manifestation d’intérêt sera lancé en juin 2015 pour un montant de 150 millions d’euros», a assuré mardi à Nantes le Premier ministre. «Je sais qu’il est particulièrement attendu par les acteurs de la filière», a ajouté Manuel Valls, se faisant le chantre «de la croissance bleue» (maritime) aussi prioritaire selon lui que «la croissance verte». Les éoliennes flottantes ont pour principal atout de pouvoir être installées dans des mers trop profondes pour des éoliennes en mer classiques, posées au fond de l’eau. Valls a aussi annoncé que les alliances GDF Suez-Alstom d’une part, et EDFDCNS d’autre part, avaient remporté l’appel à projets pour construire les premières fermes-pilotes d’hydroliennes au large du Cotentin. PHOTO REUTERS +0,25 % / 4 388,30 PTS 3 056 009 023€ +15,27% Les 3 plus fortes TOTAL ARCELORMITTAL UNIBAIL-RODAMCO Les 3 plus basses RENAULT VALEO ALCATEL-LUCENT 17 844,42 4 754,25 6 742,10 17 663,22 +0,38 % +0,57 % +1,29 % +0,42 % 17 EntréeduQataraucapital deVeolia:perquisitionàParis CORRUPTION Les policiers ont visité les bureaux du mécène de l’épouse d’Henri Proglio, qui avait participé au montage financier suspect. es investigations progressent dans l’affaire Qatar-Veolia. Selon nos informations, les policiers de l’office anticorruption de Nanterre (OCLCIFF) ont récemment perquisitionné les bureaux parisiens de l’homme d’affaires Maxime Laurent. Ce financier de 65 ans a participé au montage qui a permis au fonds souverain Qatari Diar de verser 182 millions d’euros de commissions occultes, en marge de son acquisition de 5% du capital de Veolia Environnement en 2010, à l’époque où le groupe était présidé par Henri Proglio (1). Après nos articles qui ont révélé ces versements (Libération du 7 octobre), le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour «corruption privée». Les enquêteurs s’intéressent à Maxime Laurent à double titre. Il est tout d’abord au cœur du complexe montage offshore de 2010, mené entre Chypre et le Luxembourg, par lequel ont transité les commissions –dont Maxime Laurent affirme n’avoir rien su. Or, il a aussi financé, deux ans plus tard, un spectacle de l’humoriste Rachida Khalil, l’épouse d’Henri Proglio, à hauteur de 55 000 euros. Maxime Laurent et Henri Proglio assurent qu’il s’agit d’une coïncidence, et qu’ils ne se connaissent pas. Prête-noms. La justice cherche aussi à identifier les bénéficiaires des fonds. L’argent du Qatar a atterri dans trois sociétés-écrans à Chypre (37 millions d’euros), en Malaisie (100 millions) et à Singapour (45 millions). Libération avait découvert que le propriétaire de la sociétéécran singapourienne est un salarié de Ghanim bin Saad al-Saad, qui était à l’époque directeur général de… Qatari Diar, le fonds souverain qui a effectué les versements occultes. Bref, il s’agit très probablement d’une rétrocommission. Mais nous n’avions pas pu identifier les propriétaires des sociétés malaisienne et chypriote, dissimulés derrière des prête-noms. Les enquêteurs ont une piste. Ils ont repéré un autre acteur clé de l’opération. Cet inter- L RAFALE : LA FRANCE ET L’INDE RENTRENT DANS LES DÉTAILS • médiaire a l’obligation, en vertu de la réglementation européenne, de connaître les ayants droit économiques des trois sociétés-écrans. De source proche du dossier, une demande d’entraide pénale internationale va être lancée prochainement par le parquet afin d’auditionner cet homme, qui réside à l’étranger. D’ici quelques européenne impose aux intermédiaires financiers de recueillir le nom des ayants droit des sociétés qu’ils gèrent, rien n’oblige ces ayants droit à déclarer s’ils agissent pour le compte de quelqu’un d’autre. Ampleur. Par ailleurs, selon nos informations, les plus hautes autorités qataries avaient été informées des soupçons de corruption bien Les enquêteurs pourraient avant que l’enobtenir soit les noms quête judiciaire des bénéficiaires des ne soit lancée en commissions, soit ceux France. Le directeur général de de leurs hommes de paille. Qatari Diar en mois, les enquêteurs pour- poste au moment de l’opéraraient donc obtenir soit les tion Veolia, Ghanim bin Saad noms des bénéficiaires des al-Saad, a été discrètement commissions, soit ceux de débarqué en 2012. Dans la leurs hommes de paille. En foulée, la nouvelle direction effet, si la réglementation a mené des audits sur la ges- tion du fonds souverain, comme l’avait révélé à l’époque Intelligence Online. De source proche du Qatar, ces enquêtes internes ont permis d’identifier plusieurs dossiers très problématiques, dont celui de l’entrée de Qatari Diar au capital de Veolia. Les auditeurs semblent avoir découvert l’ampleur des rétrocommissions versées à cette occasion à un proche de Ghanim bin Saad al-Saad. Mais si l’affaire a créé des remous à Doha, elle a été réglée dans le plus grand secret, comme de coutume dans l’émirat. YANN PHILIPPIN (1) Proglio cumulait la présidence de Veolia (jusqu’en décembre 2010) et le poste de PDG d’EDF. François Hollande l’a éjecté d’EDF le 15 octobre dernier, pour le remplacer par Jean-Bernard Lévy. ABONNEZ-VOUS à l’offre INTÉGRALE Chaque jour le quotidien, livré chez vous avant 7h30 par porteur spécial* du lundi au vendredi Chaque samedi le «quotidien magazine» 64 pages d’information, de réflexion, de découverte et de plaisir. 24h/24 et 7j/7 Les appli iPhone & iPad tous les services et contenus numériques en accès libre (compatibles Androïd) Libé en format numérique + de nombreux contenus enrichis (vidéo, galerie photo, info en temps réel) Chaque mois Next, le mensuel Cinéma, musique, mode, arts, design & archi… 23€ SANS MENT ENGAGE E É DE DUR par mois* au lieu de 48€ À découper et renvoyer sous enveloppe affranchie à Libération, service abonnement, 11 rue Béranger, 75003 Paris Offre réservée aux particuliers, si vous souhaitez vous abonner en tant qu’entreprise merci de nous contacter. Abonnez-vous Oui, je m’abonne à l’offre intégrale Libération. Mon abonnement intégral comprend la livraison de Libération chaque jour par portage** + tous les suppléments + l’accès permanent aux services numériques payants de Libération.fr + le journal complet sur Iphone et Ipad (formule « web première » incluse). Nom Prénom Adresse Ville Code postal Téléphone E-mail Règlement par carte bancaire. Je serais prélevé de 23€ par mois (au lieu de 48€, prix au numéro). Je ne m’engage sur aucune durée, je peux stopper mon service à tout moment. @ Signature obligatoire : Carte bancaire N° Expire le Cryptogramme mois année Date les 3 derniers chiffres au dos de votre carte bancaire Règlement par chèque. Je paye en une seule fois par chèque de 276€ pour un an d’abonnement AP0035 (au lieu de 586,20€, prix au numéro). Vous pouvez aussi vous abonner très simplement sur : http://abo.liberation.fr http://abo.liberation.fr * Tarif garanti la première année d’abonnement. **Cette offre est valable jusqu’au 31/12/2014 exclusivement pour un nouvel abonnement en France métropolitaine. La livraison du quotidien est assurée par porteur avant 7h30 dans plus de 500 villes, les autres communes sont livrées par voie postale. Les informations recueillies sont destinées au service de votre abonnement et, le cas échéant, à certaines publications partenaires. Si vous ne souhaitez pas recevoir de propositions de ces publications cochez cette case . 18 • LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 SPORTS A l’entraînement à Nicosie, le 20 octobre. PHOTO JACK GUEZ.AFP L’institué Pastore L’Argentin, intouchable au PSG malgré sa discrétion, est enfin à niveau sur le terrain. Par GRÉGORY SCHNEIDER compteur de l’intéressé, priva le Suédois d’un but après lequel il n se tue à dire que le Pa- courrait avec une bestialité décuris-SG et ses superstars, plée par deux mois passés à soigner en piste ce mercredi soir une blessure au talon. A bien y reau stade Pierre-Mauroy garder, cette renaissance était l’exde Lille en championnat, est un as- pression d’une sorte de volontatre qui ne prend pas la peine risme. d’émettre en direction de l’Hexa- D’un naturel discret, Pastore était gone, ou pas beaucoup. L’un des sorti du bois à l’occasion d’une rares messages, pour ne pas dire le passionnante interview donnée au seul, qui est arrivé à destijournal l’Equipe, et tout y nation du grand public ANALYSE passait: le jeu, les doutes, depuis deux mois est celes codes du milieu qu’il se lui-ci: le net regain du créateur ar- fait fort de respecter en toutes cirgentin Javier Pastore, symbole de constances – il promet de ne pas la prodigalité qatarie lors de son quitter le Paris-SG, non pas au bout arrivée en août 2011 pour 42 mil- de son contrat, mais alors que celions (il n’en valait pas le tiers) et lui-ci court encore, ce qui vaudra ombre apeurée depuis, malgré la une indemnité de transfert à son main constamment tendue par club – et, surprise, Ibrahimovic, Zlatan Ibrahimovic et consorts. A statue du commandeur ombrace prix-là, Pastore est forcément geuse et respectée – Ô combien – des leurs. du vestiaire. Sur le Suédois qui, sur le terrain, va où le vent le porte RESPECT. Au vrai, l’acte de renais- sans trop se soucier des copains : sance médiatique du loustic est «J’aime le rôle de meneur de jeu mais, survenu le 21 novembre autour de 22 h 30, dans un recoin du stade REPÈRES Saint-Symphorien de Metz après une victoire (3-2) des Parisiens. LA 16E JOURNÉE C’est Laurent Blanc, l’entraîneur, Mardi. Lorient-Marseille, Nanqui en a pris acte avec une sorte de tes-Toulouse, Monaco-Lens respect qui dit beaucoup des équili(résultats non parvenus) bres du club et du vestiaire: «Fût un Mercredi. 19h. Nice-Rennes, temps, Javier aurait laissé IbrahimoMetz-Bordeaux, Montpelliervic terminer l’action sur le premier Saint-Etienne, Guingampbut», action que l’Argentin avait Caen, Bastia-Evian-TG. 21h. fomenté de A à Z. Avant de mettre Lille-PSG. Jeudi. Lyon-Reims. le coup de rein qui, s’il ouvrit le O avec Ibra, c’est compliqué. Il offre un jeu complet, c’est fantastique pour l’équipe mais, quand Laurent Blanc me demande d’occuper le poste de numéro 10 et que j’y vais, on se marche parfois sur les pieds avec Ibra. C’est pour ça que j’essaye de me placer sur le terrain en fonction de lui.» Tout Pastore est quelque part là-dedans à commencer par la sujétion, cette discrète admiration d’un attaquant qui, depuis deux saisons, in- le vestiaire parisien, plus sensible aussi que les gros durs qui se présentent devant les micros. RUPTURE. Dans la même interview, Pastore lâche un truc peu commun: son goût pour le jeu de possession – on maîtrise le ballon, en opposition au jeu de contre, où on le laisse à l’adversaire pour qu’il se grise et se découvre – mis en place par Blanc. «C’est ça, le football à mes yeux. Ici, on sent du «Fût un temps, Javier aurait laissé beau jeu. C’est aussi cette manière de faire qui Ibrahimovic terminer l’action me rend heureux de ressur le premier but.» ter à Paris.» Qu’Ibrahimovic tienne ce genre Laurent Blanc coach du PSG de discours est une hibe un joueur en difficulté quand chose. De la part d’un joueur qui, il doit provoquer les choses et non il y a onze mois, était tout au bord plus les gérer quand elles survien- de la rupture, sifflé par le public du nent. Après les matchs, on a tou- Parc des princes sur chaque ballon jours vu l’Argentin en décalage : et donnant l’impression de cherplus à l’écoute des questions qu’on cher un trou dans la pelouse pour lui pose au milieu de cette interna- s’y planquer, c’est très différent. tionale de la langue de bois qu’est Dans un club comme Paris, où 9 «Je pense que je partirai en fin de saison. J’aimerais savoir si Bielsa va C’est le nombre de buts inscrits rester, mais je cherche par Lille en 14 matchs de Ligue 1 un défi de haut vol.» avant la réception du Paris-SaintGermain: la pire attaque du championnat. André-Pierre Gignac attaquant de l’OM même l’attaquant Edinson Cavani accepte de manger de la vache enragée dans le couloir droit pour complaire à Ibrahimovic et à l’expression collective, un type ayant le rendement de Pastore est quand même là pour faire ce qu’on lui demande. Partant, on pouvait voir dans l’expression de ses goûts footballistiques un côté déplacé, les grands airs d’un type se conférant une importance qu’il n’a pas. Et on tomberait dans le panneau. Pastore, c’est l’innocence: à peine débarqué dans l’Hexagone, il racontait dans So Foot son peu de goût pour le jeu physique et à l’emporte-pièce qui fait l’ordinaire de la Ligue 1, une histoire qui l’avait poussé à se dédire devant le vestiaire au grand complet. Ses professions de foi –«je vais travailler plus dur pour gagner ma place»– ont longtemps fait sourire: disons que l’Argentin n’a pas toujours considéré les entraînements, ou plus généralement le fait de se faire violence, comme un vecteur de progrès. Le vestiaire parisien l’a accepté, comme il accepte les week-ends où Ibra chasse le cerf par -15 °C sur l’île de Dävensö, ou le côté tête brûlée de Marco Verratti dans le jeu. Ça a permis à Pastore de revenir, ça lui permettra aussi de disparaître sans secousse quand il sera rattrapé par son manque de moelle. Au fond, il n’y a que ce vestiaire que ça regarde. • JOHN FORD, BORGNE AGAIN GROGNON A l’occasion de la rétrospective fleuve de la Cinémathèque, «Libération» interroge cinq cinéastes français sur l’extrême modernité du maître américain. LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 James Stewart, John Ford et John Wayne sur le tournage de l’Homme qui tua Liberty Valance (1962). THE KOBAL COLLECTION. PARAMOUNT CINEMA • II • CINÉMA À L'AFFICHE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Qu’est-ce qu’être fordien aujourd’hui? Le regard JOHN FORD, BORGNE AGAIN «IL AURA RÉUSSI À NOUS FAIRE JOHN FORD à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, 75012. Jusqu’au 23 février. www.cinematheque.fr «Les drames de Ford proviennent de ce que Hawks ignore: les contraintes oppressives que les idéaux concrétisés dans des structures sociales et des croyances philosophiques imposent lorsqu’ils ne sont qu’imparfaitement réalisés. Soit on est de la mauvaise couleur (le personnage noir d’US Grant Woodford dans Le soleil brille pour tout le monde), soit on appartient au mauvais sexe (Docteur Cartwright, Frontière chinoise), soit on n’est pas assez sociable (Jack Gillis, Judge Priest), pas assez aimable (Doctor Bull), pas assez doux (Tom Doniphon, L’homme qui tua Liberty Valance), pas assez macho (Sean Thornton, l’Homme tranquille), pas assez vertueux ou innocent. Ford sait qu’être idéaliste, c’est être foutu.» Le critique américain Tag Gallagher, dans son étude sur John Ford (1), revient souvent sur la tension entre l’individu minoritaire et l’«immense superstructure d’idéalisme transcendantal» qui donne forme et sens à la société. Selon lui, plus Ford vieillit et plus ses personnages sont dans «une quête incessante de quelque chose qu’ils ne trouveront jamais». La Cinémathéque française démarre ce mercredi (et jusqu’au 23 février) une grande rétrospective John Ford en 85 films. Un événement dans la mesure où tel corpus n’avait jamais été visible, même si la dernière rétro du genre, il y a vingt-cinq ans, était déjà bien pourvue. Ford peut-il encore être notre contemporain dès lors que le monde s’est si ostensiblement défait de tous les oripeaux de l’idéalisme pour ne plus penser l’action et les valeurs qu’en fonction de leur efficacité pragmatique ? L’auteur de l’Homme tranquille, des Raisins de la colère, de la Prisonnière du désert et de Rio Grande est-il ce Tolstoï américain qui a apposé sur le XXe siècle l’ultime paraphe d’une œuvre légendaire avant de tirer sa révérence, malade, amer, plus grognon que jamais en 1973, alors que se levait la génération insolente du Nouvel Hollywood? Ou, au contraire, restet-il toujours une fantastique vallée constamment reverdie de visions et d’idées sur les groupes humains, les paysages, la belle allure et la mélancolie ? C’est la raison pour laquelle, convaincus que la deuxième proposition était la bonne, nous avons demandé à cinq cinéastes français (lire ci-contre) quels rapports fertiles ils continuaient d’entretenir, aussi bien en tant que cinéphiles que comme créateurs de films, avec John Ford, un allié tourmenté en l’occurrence plus qu’un maître écrasant. DIDIER PÉRON (1) «John Ford, l’homme et ses films», traduit de l’anglais par Jean-Pierre Coursodon, Pauline Soulat et Simone Suchet. Editions Capricci. A lire aussi «John Ford, penser et rêver l’histoire», ouvrage collectif sous la direction de Jacques Déniel, Jean-François Rauger et Charles Tatum Jr. (coédition Yellow Now, Maison pour tous, Cinéma Jean Vigo, Côté cinéma). Mathieu Amalric («Tournée», «la Chambre bleue»…) «Des films qui transmettent une force morale» «J’ai toujours été bouleversé par sa manière de filmer les hommes, notamment John Wayne à travers son vieillissement, mais surtout Henry Fonda. On ressent dans ses images l’acceptation d’une part d’eux-mêmes qui demeure invisible, presque interdite chez les autres. Pas la part féminine, parce que ça ne veut rien dire, mais la part sensible des hommes. «Pour moi, Ford est presque aussi important et bouleversant par ses films qu’assis en tailleur sur son lit, à la fin de sa vie, en 1965, dans le documentaire d’André S. Labarthe. Quand je le vois, je ne sais pas comment ce type s’est débrouillé pour ne s’être jamais soucié des mots “arts”, “artiste” ou “auteur”, toutes ces idées qu’on lui a infligées sur le tard, et avoir pourtant fait passer des choses si intimes, si complexes en pensant juste au film d’après. Il y a aussi l’impossibilité qu’il exprime, dans le portrait que lui a consacré Peter Bogdanovich [Directed by John Ford, ndlr], à mettre des mots sur une telle sensibilité. Ça, c’est quelque chose qui me porte tout le temps, comme une boîte à outils. «Et puis il y a cette force morale que ses films nous transmettent… Par exemple, simplement tout à l’heure, je reçois un appel du lycée qui me dit que mon fils s’est joint ce matin à une bande autour d’une bouteille de whisky et que l’un des gamins a fini à l’hôpital. J’avais Ford en tête parce que vous m’aviez demandé d’y réfléchir, et ça m’a vraiment aidé. Quand on m’annonce ça, et que mon fils me dit : “J’ai bu juste deux gorgées, j’ai rien fait, papa”, ça me rend dingue, parce que c’est ce qu’on voit dans l’Homme qui tua Liberty Valance ou Rio Grande, la manière dont on peut construire une vie sur un mensonge intérieur, ou la négation d’une faute comme un rempart à soi-même. Chez lui, ce type de lâcheté qui fait dire “j’ai rien fait”, ce n’est simplement pas possible, il dit bien combien la construction de soi ne peut pas passer par des arrangements, mais par des choix inévitables, qu’il faut assumer. Et que la vie n’est pas belle si l’on s’arrange.» Serge Bozon («Mods», «la France», «Tip Top»…) «Ford vient d’un horizon biblique et primitif» «Chez les plus grands cinéastes américains, comme Hawks, on sent le rapport fécond à «Pourquoi? D’abord, un rapport à la politiune industrie, c’est-à-dire des genres aimés que, comme ce qui unit les communautés et par le public, des acteurs aimés par le public, peut aussi les détruire (un enfant trouvé, une des histoires aimées par le public, les trois fille illégitime, un lynchage), plus fort que pouvant changer au cours des décennies, ce chez les autres, et pas seulement dans ses dont les films témoignent. Ford films sur l’armée. Vraiment povient de plus loin, d’un horizon TÉMOIGNAGES litique : pas la question morale, plus biblique et primitif, comme comme chez Lang, des coupaun écrivain-dramaturge qui se déplacerait bles et des innocents, du meurtre et du dans un autre siècle, avec sa troupe d’acteurs, crime. Non, juste le lien communautaire. de village en village, entre Pagnol et Fassbin- D’où l’importance si personnelle des longues der, pour raconter les mêmes légendes villa- scènes de préparation de bal. Ensuite, les geoises, avec la fiancée rousse, le médecin al- deux (horizon biblique et horizon politique) coolique, le soldat benêt, le bouffon édenté, sont liés à la question centrale du vieillissela grosse Indienne collante… En un mot, ses ment, qui n’est pas du tout une question holfilms les plus personnels dépassent les con- lywoodienne, ni glamour. Il y a des films tingences industrielles d’Hollywood. hollywoodiens sublimes sur les vieux, mais, chez Ford, ce n’est pas seulement familial, mais politique. Un monde entier (le Sud, l’Irlande…) risque de s’écrouler, car le héros vieillit, et ce qu’il peut sauver dépasse sa famille et ses proches, parce que c’est, encore une fois, toute une communauté qui tient par celui qui va disparaître (la Dernière Fanfare, la Charge héroïque…). Une force du passé qui est le ciment fragile, car juste humain, d’une communauté elle-même fragile. «D’où une mélancolie politique si particulière. Enfin, mélancolie politique elle-même liée à ceci : on ne sait jamais trop dans ces films quand l’histoire commence, mais comme il ne s’agit pas de faire tenir plein de petites histoires ensemble pour alimenter (difficilement) une heure trente, mais de ra- À L'AFFICHE CINÉMA LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 • III de cinq cinéastes français sur un mythe hollywoodien : CROIRE QUE JOHN WAYNE ÉTAIT BEAU» sorti des décombres de son tournage-montage. La dramaturgie prend le pas sur le récit en menant le récit au bord du chaos. Un chaos féminin et politique. Le cinéma à coups de marteau.» Patricia Mazuy («Travolta et moi», «Saint-Cyr»…) «Le cinéma pouvait être fin et beau, tout en étant bourrin» A gauche, Henry Fonda dans la Poursuite infernale (1946). A droite de haut en bas: Ava Gardner et Clark Gable dans Mogambo (1953); Henry Fonda dans les Raisins de la colère (1940) et Henry Brandon dans la Prisonnière du désert (1956). PHOTOS THE KOBAL COLLECTION. 20TH CENTURY FOX ET THÉÂTRE DU TEMPLE conter une histoire plus grande (par la jonction bible-politique-vieillissement) que toutes ces petites histoires possibles, alors c’est immense. Immense – pas une impression courante au cinéma. Ou alors ce n’est pas immense du tout, mais cela semble la création spontanée d’une fantaisie déliée au maximum, en invention permanente en temps réel, comme une improvisation totalement organique, drôle et joyeuse (Steamboat Round the Bend, le Convoi des braves…). Même Mark Twain n’a pas une telle liberté dans sa verve de conteur rural. «Frontière chinoise fait partie de ces rares films où on a l’impression de toucher à l’absolu d’un cinéaste et, en même temps, que le film est à la limite de l’explosion, comme «Quand je vois un film de Ford, j’ai toujours le sentiment d’être dans une maison où je voudrais habiter. J’ai découvert ses films assez tard par rapport aux cinéphiles de ma génération. Je venais de province, je ne savais rien du cinéma, j’avais 19 ans et je connaissais juste les films bien bourrins – j’adorais ça d’ailleurs, j’étais fan de Charles Bronson. Ça a été un choc absolu. J’ai découvert que le cinéma pouvait être fin et beau, tout en étant bourrin. «Ford faisait des films infiniment complexes, qui racontaient des histoires très subtiles sous des dehors d’extrême simplicité. On sent qu’il n’a jamais peur. Il ne fait jamais un plan ou une scène de trop. Il sait mêler l’action et la philosophie dans la situation la plus banale sans que ce soit lourd. Dans l’Homme qui tua Liberty Valance, il peut parler d’absolument tout ce qu’il est possible de traiter par la fiction: l’amour, l’amitié, le courage, la lâcheté, la mort, les mythes, l’imaginaire, le pouvoir… Sans que ça fasse foutoir, sans passer pour un gros prétentieux. Mais comment fait-il ? «Il n’a pas peur du temps non plus, de la durée, même si ses films ne sont jamais chiants. Il sait filmer les gens en train de marcher tranquillement, de sorte que ce que l’on ait envie de marcher avec eux pour toujours. Que le cœur de l’action soit un drame ou une grosse blague, Ford prend le temps de filmer le temps avant et le temps après, ce qui donne une force inouïe à l’instant, à l’action, même si l’on ne fait finalement que l’entrevoir. Enfin, qu’il ait tourné ses films de sorte que ce que son monteur ou son producteur ne puisse rien faire d’autre de ses plans que ce qu’il avait en tête, avec toujours la plus juste échelle de plan pour embrasser et composer un espace, c’est tout de même la classe absolue. Le rêve, même. Qui saurait encore faire ça aujourd’hui, à part peut-être Garrel? «Et puis, chez lui, les femmes sont toujours extraordinaires, ce ne sont pas des poupées Barbie niaiseuses, elles savent tout faire. Il n’y a pas de personnage chez Ford, quel que soit son emploi, qui ne fasse pas rêver au moins un peu. Il aura même réussi à nous faire croire que John Wayne était beau.» Dominique Marchais («Le Temps des grâces»…) «Ses cavaliers sont désarçonnés dans leur tête» «Ford fait toujours le lien, dans ses films, entre l’Ancien Testament et l’aujourd’hui. Ses histoires et ses personnages sortent du même creuset d’où proviennent les mythes. Avec l’expérience accumulée, on sent qu’il est en mesure de distinguer dans à peu près n’importe quel récit la faille, la tache, le défaut à partir desquels il va tout déconstruire pour recréer ses œuvres chaloupées, tout en digressions, où les évidences et les certitudes acquises à peu de frais tanguent et vacillent. Ses personnages de cavaliers sont toujours désarçonnés dans leur tête, et si ça ne se voit pas tout de suite, c’est précisément parce qu’ils ne veulent pas perdre la face. Et Ford donne à voir tout cela en même temps. «Plus qu’un cinéaste raconteur d’histoires, Ford est un cinéaste historien. Plus qu’un chroniqueur de l’histoire américaine, il s’interroge sur les conditions de possibilités de l’écriture de l’histoire. Si ses films sont absolument inoxydables, c’est parce que ce sont des machines à penser, des machines à douter. C’est une œuvre érudite et inquiète, violente souvent. Dépeint généralement comme un cinéaste de la chaleur humaine, Ford ne nous laisse jamais oublier à quel point il fait froid dehors et combien nous devons profiter de ces moments de solidarité et de douceur, combien la communauté se gagne et se maintient sur un océan d’égoïsme, de mensonges et de crimes. Et il n’y a aucune raison, malheureusement, de ne pas trouver cela actuel. «Chez Ford, n’est beau que ce qui est miné en son sein, n’est fort que ce qui cache sa fragilité, d’où cette attirance, cette amitié, pour les ivrognes et son empathie pour les femmes blessées. La maîtrise, immense, sidérante, de Ford n’est pas programmatique, comme chez Kubrick ou Preminger par exemple, mais très adaptative, un peu comme la maîtrise de l’ivrogne titubant qui arrive, in extremis et comme par enchantement, à sortir du saloon sans se cogner au chambranle, soit tout un art du petit pas et de la reprise d’équilibre.» Pierre Schoeller («Versailles», «l’Exercice de l’Etat»…) «La clarté de la grande peinture italienne» «Ford est vraiment un cinéaste qui accompagne votre vie. On peut regarder ses films à différentes étapes de son existence et y découvrir toujours de nouveaux aspects. A l’exception peut-être de la Poursuite infernale, qui est une leçon de découpage millimétré de l’espace, sa mise en scène se donne à voir sans s’imposer. Je trouve qu’il parle très bien du monde occidental et de ce qui profondément l’anime, dans ce qu’il y a de puissant, de tendu sur les hommes et leurs actions. Lorsque l’on regarde l’Homme qui tua Liberty Valance, on est confronté à une véritable leçon constitutionnelle, et je crois que son héritage est vraiment perceptible dans le cinéma américain actuel ou les séries. On peut tracer une ligne directe entre Ford, les Hommes du Président, A la Maison Blanche et même le Fincher de Zodiac. On sent constamment la dialectique entre l’individu et le monde réglementaire dont il dépend. «Si je repense à la Prisonnière du désert, le point d’équilibre entre le paysage, le temps, les comédiens-figures m’évoque le genre de clarté, d’évidence, que l’on trouve dans la grande peinture italienne. Ford trace des lignes de manière magistrale dans sa mise en scène, certains de ses plus grands films, en particulier après-guerre, possèdent un truc euclidien, tout se noue et se dénoue dans des articulations haut-bas, dans la verticalité. Ce n’est pas un cinéaste pur, mais, en revanche, il est franc, cet aspect m’a toujours épaté.» Recueilli par JULIEN GESTER et DIDIER PÉRON IV • CINÉMA À L'AFFICHE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 DERVICHE TURNER LUMIÈRE Biopic de Mike Leigh sur les dernières années de l’artiste phare du romantisme anglais. MR. TURNER de MIKE LEIGH avec Timothy Spall, Paul Jesson… 2h30. Joseph Mallord William Turner, né en 1775 et mort en 1851, était un monstre. Invivable, bourru, laid et ahurissant de mépris envers ses proches. Ses éructations orales se transformaient, sur ses toiles, en halos gazeux, en nuages marins agités ou en brumes douces. L’ogre était, évidemment, un génie, l’un des plus grands de l’histoire de l’art britannique et certainement le plus marquant du romantisme anglais. Résumé ainsi, Mr. Turner, film de Mike Leigh consacré aux vingt-cinq dernières années de la vie du peintre, pourrait faire office de repoussoir. D’abord parce qu’il s’inscrit dans le genre, aujourd’hui omniprésent dans le cinéma mondial, du biopic et que, comme d’autres, pointait le risque d’appliquer le traditionnel cahier des charges du «portrait de l’artiste maudit face à un monde cruel». Chez Mike Leigh, c’est tout l’inverse. Le réalisateur anglais filme la vie, parfois sordide, du peintre, son quotidien londonien, ses escapades en bord de mer. Le film est traversé par les apparitions de son entourage: un père débonnaire et malade, une ex-maîtresse furax, une bonne à tout faire pathétique, une amante dévouée et délicate… Avec, à chaque plan, son acteur fétiche, Timothy Spall, dont le jeu pour le moins habité lui a valu un prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes en mai, où le film était présenté en sélection officielle. Tempête. Mais Turner n’est qu’un élément de Mr. Turner. Mike Leigh, cinéaste du collectif, du groupe, notamment avec Secrets et Mensonges ou Another Year, sait qu’un génie, aussi flamboyant soit-il, n’est rien sans son environnement social. L’académisme assumé de son film rencontre les cultural studies. Et alors que son comédien vocifère tout au long des 2 h 30 de Mr. Turner, le réalisateur esquisse avec une palette délicate les rivalités, débats d’idées qui agitaient la Royal Academy, l’Angleterre de la période romantique. Quant aux actes fondateurs de génie, ces scènes usantes dans de nombreux biopics, il glisse dessus, ne profite que très peu de leur potentiel marquant. Comme ce passage où Turner cherche à vivre l’expérience d’une tempête – la société est alors influencée par les écrits d’Edmund Burke qui voyait dans la météo agitée des preuves du sublime – et se fait attacher au mât d’un navire. Leigh évo- que l’artiste se met à peindre, trouvant des cousins mécaniques à ses brumes naturelles. Influent. C’est la question même du progrès qui fait de Mr. Turner une belle et triste réflexion de Mike Leigh sur l’image. Entre le statut de la peinture à l’apparition de la photographie, et le rôle du cinéma dans la multiplication contemporaine des écrans, il y a les mêmes quesMais Turner n’est qu’un élément tions en jeu. Et le cinéaste de de Mr. Turner. Mike Leigh, cinéaste 71 ans fait de Turner, 76 ans à sa mort, son propre avatar. du collectif sait qu’un génie, à évoquer les rivaliaussi flamboyant soit-il, n’est rien sans Iltéss’amuse ou amitiés entre plasticiens son environnement social. (la haine avec John Constable, l’affection avec l’architecte que le moment avec abstraction, dépersonni- John Soane), le rôle de la critique, en faisant fie l’action. apparaître le personnage de John Ruskin Chez Turner, les toiles encombrent une salle (très influent à l’époque avec ses écrits sur surplombée d’un drap couvert d’insectes la peinture). Et surtout, il présente l’image, morts. Le cinéaste fait exploser le cadre de la peinte ou photographiée, comme le résultat peinture, immerge sa caméra dans le halo lu- d’une opération de physique-chimie, proche mineux qui a fait la postérité de Turner. Et, de la magie. Avec Mr. Turner, Mike Leigh au début du XIXe siècle, le ciel se remplit de filme son testament au cinéma. la fumée des machines, des chemins de fer, CLÉMENT GHYS À L'AFFICHE CINÉMA LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Mike Leigh évoque le rapport du peintre à la modernité : «TURNER OU UN OUVRIER, C’EST LA MÊME CHOSE» ike Leigh a 71 ans, est manière, si j’avais dû filmer né à Manchester et vit toute sa vie, cela aurait été à Londres. Courant hors de prix à tourner, et très novembre, ce grindifficile : il aurait cheux pince-sansINTERVIEW fallu trouver un perire était de passage tit garçon obèse qui à Paris pour donner des inter- ressemble à Timothy Spall views au sujet de Mr. Turner. [l’acteur jouant Turner, ndlr]. Vous souvenez-vous de votre Le film présente les dernières découverte de Turner? années de sa vie, dans une Adolescent, je pouvais débla- époque particulière, où la sotérer sur Picasso, les impres- ciété britannique changeait sionnistes… Mais, curieuse- radicalement… ment, Turner ou Constable Je suis toujours intéressé par n’évoquaient rien aux gens de la manière dont les choses se mon âge, ils mettent à bouger à n’étaient que des un moment précis, motifs imprimés comment ces bousur des boîtes de leversements mobiscuits. C’est en difient nos vies. arrivant à Londres, Quand Turner aldans les années 60, lait à Margate dans pour intégrer une le Kent, il prenait école d’art, que je un bateau à voiles, l’ai vraiment découvert. qui mettait huit heures. Après J’avais une vingtaine d’an- l’industrialisation, cela prenées et je me posais des ques- nait seulement une heure. tions sur le rôle du cinéma, Qu’est-ce que cela change de sur le réalisme. Il a été une des sa vision de la réalité ? C’est réponses. l’enjeu du film. De la même L’idée d’un film biographique manière, j’évoque l’apparidate de la fin des années 90, tion de la photographie. Comdepuis Topsy-Turvy. Pendant ment dépicter le monde les tournages, je me dis sou- quand un appareil permet de vent que la chose la plus inté- remplir ce rôle? Ce qui est inressante à filmer est la lu- téressant, c’est que Turner mière. Pour cela, Turner est le avait anticipé, accompagné, sujet idéal. Les financements l’apparition de certaines ont été lents à arriver, le film technologies. Mon cinéma fait a mis très longtemps à mûrir de la fascination pour les dans ma tête. Je voulais juxta- autres sa matière même. Je ne poser sa personnalité, éton- m’intéresse qu’à la façon dont nante, violente et attachante, un individu fonctionne, dans avec son travail, un écho di- quel contexte sociologique, rect au concept du sublime économique ou anthropologiqui était alors naissant. J’ai que, il s’inclut. Que l’on filme choisi de présenter les derniè- Turner ou un ouvrier, c’est la res années de sa vie, parce même chose. A quoi cela que toute sa radicalité se dé- aurait-il pu servir de le mettre ploie à ce moment. De toute en scène comme un artiste DR M Timothy Spall a reçu le prix d’interprétation masculine à Cannes en mai pour Mr. Turner. PHOTOS SIMON MEIN. THIN MAN FILMS déconnecté de son environnement ? C’est bien joli de parler de Turner et de sa lumière floue, mais pour lui, ce n’était qu’une façon de dépicter le monde réel. Il enregistrait le monde. Alors que le film évoque un artiste vieillissant au cœur d’une époque de mutations, vous avez tourné pour la première fois en numérique… Ce qu’il se passe dans le monde du cinéma est très impressionnant. On voit des laboratoires baisser le rideau, le milieu changer entièrement. Au début du XIXe siècle, la dynamique était comparable, les manufactures fermaient, des milliers de personnes se retrouvaient au chômage. Le défi est de faire comme Turner et d’essayer de comprendre le mouvement. Regardons Gravity, c’est un film mince en termes de scénario, mais il offre des possibilités excitantes. Ce genre de films distille des pistes d’exploration. De toute manière, les phobiques du progrès ont toujours été là. Dans les années 70, certains annonçaient la mort imminente du cinéma. Turner est sans doute le peintre le plus célèbre de l’art britannique. Quel sens prend le patrimoine aujourd’hui? Il y a quelques années, une enquête nationale a été lancée pour connaître la peinture préférée des Britanniques. Les résultats ont donné gagnant le Dernier Voyage du Téméraire, cette illustration par Turner du remorquage par un bateau à vapeur du navire qui avait combattu à Trafalgar. C’est un tableau incroyable qui fait du commentaire politique implicitement, évoque la disparition d’un monde. Beaucoup ont voté pour lui parce qu’ils y voyaient une célébration patriotique idiote. Mais c’est l’inverse: des peintres comme Turner nous montrent autre chose. Mon rôle de cinéaste n’est pas de faire de la propagande pour le patrimoine britannique, mais de mettre en scène la vie d’un homme qui, comme Shakespeare ou Cervantes, a su, avec radicalité et simplicité, changer notre regard sur le monde. Recueilli par C.Gh. • V VITE VU WHITE GOD de KORNEL MUNDRUCZÓ (1 h 59) Parmi les légendes contées par l’étourdissant Mercuriales, sorti la semaine dernière, il était question d’une capitale d’Europe de l’Est infestée par les chiens errants, capturés puis libérés pour mieux exercer leur vengeance sur la cruauté des hommes. Sans l’expliciter, le troisième film du Hongrois Kornél Mundruczó semble avoir germé de cette même croyance populaire. Quoique le titre lorgne le White Dog de Fuller et que le réalisateur cite les écrits de J.M. Coetzee en influence cardinale, la (trop) longue première partie du film évoque surtout une pataude relecture de Beethoven, passée au filtre d’un certain académisme d’auteur cannois (la caméra parkinsonienne, la satire d’une Hongrie gouvernée par l’extrême droite et l’épaisse parabole sur le racisme et l’anthropocentrisme glanèrent le prix Un certain regard 2014). Seule la dernière demi-heure, qui fait basculer le conte dans le thriller horrifique, suscite tardivement quelques éclats d’allant et de sauvagerie dans cette entreprise par trop démonstrative, quand le film lâche, très littéralement, les chiens – et avec eux les brides de son inspiration. J.G. White Dog, par l’opération du chien esprit. PHOTO DR GOD HELP THE GIRL de STUART MURDOCH (1 h 51) Eve vit à Glasgow. Elle compose des chansons, rêve d’être musicienne. Un jour, elle rencontre James, un beau garçon un peu autiste et plutôt doué. Ensemble, ils décident de fonder un groupe. Cette comédie musicale pop a été mise en scène par Stuart Murdoch, leader du groupe Belle and Sebastian, et porte le nom d’une formation indie lancée en 2009, dans laquelle le musicien s’éloignait (un peu) de son attache principale. Les morceaux sont ici réinjectés dans ce petit film, mignon comme une chanson pop. C.Gh. À VOUS DE VOIR PRAIA DO FUTURO de KARIM AÏNOUZ (1 h 46) Sur une plage brésilienne, un sauveteur assiste à la noyade de deux hommes. Il en sauve un, Allemand dont il tombe amoureux, et qu’il suit jusqu’en Europe, pour vivre une romance musclée. LES HÉRITIERS de MARIE-CASTILLE MENTION-SCHAAR (1 h 45) Dans un lycée de la banlieue parisienne, une prof d’histoire écope d’une classe de seconde très agitée. Elle les inscrit à un concours national pour réfléchir autour de l’adolescence pendant la Shoah. Avec Ariane Ascaride en enseignante habitée. REPAS DE FAMILLE de PIERRE-HENRY SALFATI (1 h 30) «Qui va prendre Mamie à Noël ?» C’est la question, d’actualité imminente, qui agite cette comédie familiale française. VI • CINÉMA À L'AFFICHE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Le Malecón aux aurores. PHOTO DR ULYSSE AU PAYS DES MERVEILLES PALMIERS Laurent Cantet prend la direction des Caraïbes pour une réflexion sur l’exil intérieur. RETOUR À ITHAQUE de LAURENT CANTET avec Isabel Santos, Jorge Perugorria, Fernando Hechavarría… 1h36. C’est un huis-clos à ciel ouvert. Sur une terrasse de La Havane, face au Malecón et du crépuscule à l’aube, cinq vieux amis quinquagénaires, quatre hommes et une femme, se retrouvent en 2013. L’un d’eux revient pour la première fois, après seize ans d’exil en Espagne. Ulysse, c’est lui. Il s’appelle Amadeo. Sur la terrasse, il regarde la mer et ce plan, réaliste, évoque la fin sublime du Mépris de Godard, quand Ulysse en toge regarde lui aussi la mer, mais à Capri. En 1997, Amadeo a profité d’un voyage pour disparaître. Il n’est pas revenu pour voir sa femme, qui mourait ici d’un cancer. Pourquoi ? Pourquoi est-il parti? Qu’a-t-il vécu en Espagne? Pourquoi veut-il maintenant rentrer? Autant de questions qui renvoient chacun aux siennes. Aucun des cinq n’a en effet vécu la vie qu’il aurait voulue. Cuba est l’île où la réussite est ailleurs, plutôt nulle part : heureux qui comme Ulysse… n’a pas fait un si beau voyage. C’est donc l’île du commentaire perpétuel de la vie : celle qu’on a, celles qu’on aurait pu avoir. Talmud ego-tropical, purgatoire ensoleillé, lumineuse mascarade des frustrations. Comme dit le poète Virgilio Piñera, mort isolé : «La circonstance maudite d’être entouré d’eau de toutes parts/ me force à m’asseoir à la table du café.» Pachydermes. Pendant une nuit et une heure trente de cinéma, les cinq se mettent à table. Ils boivent, mangent, fument, causent, crient, pleurent, chantent, dansent, s’engueulent, se réconcilient, ouvrent placards et cœurs à la manière cubaine : en ratés magnifiques, avec ce mélange d’affectivité, d’autocritique, de naturel, de sensualité, de vantardise, de provocation, de pathétique et d’humour propre à l’île. Les acteurs, très connus là-bas, sont de merveilleux pachydermes, exubérants et blessés. Jorge Perugorría est devenu célèbre à l’étranger en 1993, en jouant le rôle du bel artiste pédé et marginalisé dans Fraise et Chocolat. Depuis, il s’est dégarni et il a grossi. Son personnage, Eddy, est un petit chef bureaucrate. Adieu Fidel, adieu guayaberas, Eddy le bon vivant a renoncé à tout, sauf à profiter des avantages en nature de sa fonction: «Ils m’ont volé mon rêve d’écrivain, ils ont fait de moi une merde, mais ils ne m’ont pas volé ma vie.» Nous avons aussi une femme médecin qui n’a plus de quoi soigner, un ingénieur qui survit en réparant des de tout, même quand ils pleurent, et ils n’ont pas tort. A Cuba, le masque de la joie du moment, toujours intense, est façonné dans un plâtre de tristesse et de désillusions. C’est le pays où le clown blanc sort avec un gros nez rouge. «Chien». Le scénario de Laurent Cantet, encore une victime émue et consentante du microclimat local, on le comprend, est inspiré par une partie d’un roman publié en 2003 par Leonardo Padura, le Palmier et l’Etoile. L’écrivain y contait parallèlement la vie d’un Cubain qui revient dans l’île pour comA Cuba, le masque de son passé d’univerla joie du moment, toujours prendre sitaire cassé et celle du poète intense, est façonné dans cubain José-Maria Heredia, fondateur du romantisme un plâtre de tristesse hispanique, qui mourut au et de désillusions. Mexique en gémissant: «Oh batteries volées, un peintre qui ne ces palmiers! Ces palmiers…» Cantet peint plus, que l’alcool a failli tuer avait fait un court métrage dans un et dont l’Etat a brisé la carrière. film collectif et inégal auquel avait Tous sont alourdis, tous s’élèvent, collaboré Padura, 7 Jours à La Hatous ont la classe : les acteurs ont vane (2012). Il insiste et il a raison : expérimenté, d’une manière ou il faut du temps pour traverser les d’une autre, les destins de leurs apparences que les Cubains distripersonnages. Ils finissent par rire buent à profusion. A travers le personnage d’Amadeo, Retour à Ithaque mélange deux époques: celle où la dictature réprimait directement les artistes et les écrivains, et celle où il quitte l’île, en 1997, qui fut davantage un temps d’exil économique et existentiel. Cette confusion lui permet d’explorer un thème cher à Padura: comment et où écrire lorsqu’on est cubain ? Amadeo, comme Eddy, voulait devenir écrivain. En Espagne, il s’est senti «seul comme un chien» et il a cessé: «Je voulais perdre la mémoire. Et sans mémoire, comment écrire?» Padura, lui, a décidé de rester à Cuba, dans sa maison familiale, pour protéger l’écrivain qui est en lui. En 2003, évoquant le destin de Guillermo Cabrera Infante, un autre exilé, il nous disait: «Il a écrit deux chefs-d’œuvre qui portent la langue de La Havane. Mais, en exil, il ne l’a plus entendue, et peu à peu il a cessé d’écrire.» L’un des mérites de Retour à Ithaque est de faire entendre cette langue, à travers ceux qui sont restés. PHILIPPE LANÇON «IRANIEN», BARRETTE DE CHIITES RHÉTORIQUE L’athée Mehran Tamadon filme quatre mollahs pour évoquer le vivre ensemble perse. IRANIEN documentaire de MEHRAN TAMADON 1h45. Ce serait l’idée de la refondation de la société. On reprend tout depuis le début, entre gens a priori voués à ne pas s’entendre, et on discute de comment on pourrait vivre ensemble. Mehran Tamadon est un Iranien de Paris, athée, qui rentre souvent au pays (et a parfois du mal à en ressortir vu ses œuvres subversives). En 2010, après la réélec- tion de Mahmoud Ahmadinejad, il décide de faire un film performance, de rassembler dans la maison inhabitée de sa mère-grand quatre mollahs pour essayer de fonder une mini-démocratie éphémère, avec les interdits des uns et ses désirs laïcs à lui. L’idée est plaisante et triste à la fois, car on voit bien que ça ne marche guère. On se dit : ce serait bien de pouvoir faire ça tous les jours, d’essayer de vider rationnellement la querelle avec nos propres censeurs occidentaux (identitaires, fondamentalistes cathos…). Dans l’expérience de Tamadon, les mollahs sont plutôt sympas. L’un est le sophiste de la bande, cynique mais rigolo, qui retourne le concept de «laïcité» en celui de «dictature» et d’«idéologie». Un autre s’en fiche un peu, car il est surtout bon vivant. Les scènes de dispute sociophilosophique sont entrecoupées de séquences où l’on fait la cuisine, où l’épouse d’un des mollahs apparaît furtivement, regardant avec plaisir une vidéo de Tamadon sur l’éducation musicale dans les crèches françaises : elle-même a fait des études de puériculture, dit-elle. Où l’on suppose que le vivre ensemble pourrait reposer sur le sentiment, le cœur humain, l’amour maternel, un truc partagé de ce genre. Le troisième mollah, jeune, aux yeux bleus, se contente d’approuver à la rhétorique du premier. Il apprend à Tamadon à faire ses ablutions. Celui-là a le profil de l’exécutant, ou pire si désaffinités. Et puis, il y en a un dernier, très pieux aussi, mais qui craque presque vers la fin, reconnaissant que, bon, évidemment, si c’est l’intérêt collectif qui est mis au-dessus des intérêts de chacun des partis, alors dans l’espace commun de vie (le salon de la maison a été ainsi défini), ben non, chacun ne va pas pouvoir interdire aux autres ce qu’il ne supporte pas, parce que, sinon, il n’y aura assez vite ni ensemble ni vie. ÉRIC LORET CIMES ET CHÂTIMENTS PAROIS Deux docus inédits de Herzog sur l’enfer de la montagne. LES ASCENSIONS DE WERNER HERZOG documentaire de WERNER HERZOG 1h15. Parce que sa filmographie compte plus de 60 films, aussi bien fictions que documentaires, produits pour le cinéma ou la télévision, on peut continuer à découvrir des Werner Herzog rares ou inédits comme c’est le cas avec deux moyens métrages. La Soufrière a été réalisé en 1976, au moment où les habitants de Basse-Terre en Guadeloupe ont été évacués parce que le volcan qui donne son titre au film menace d’exploser et de détruire la ville en contrebas. Gasherbrum, «la montagne lumineuse», se déroule au Pakistan et suit jusqu’à un camp de base à 5000 mètres d’altitude deux alpinistes – Reinhold Messner, une star dans son domaine, et Hans Kammerlander–, alors qu’ils s’apprêtent à attaquer, sac à dos, d’une traite, deux sommets jumeaux de l’Himalaya, culminant à 8 000 mètres, en 1984. Vaincu. D’un côté, l’imaginaire du feu, la hantise d’être calciné en pleine action tels les habitants de Pompéi, de l’autre une rêverie sur la disparition blanche dans un linceul de givre. A chaque fois, il s’agit pour le cinéaste aventurier de se confronter à la démesure d’une nature verticale, toujours menaçante et opposant par sa puissance mythique un défi à la créature humaine qui décide de l’affronter, de prendre la fuite, de faire face ou de s’avouer vaincu. Sous-titré «Dans l’attente d’une catastrophe inévitable», la Soufrière ressemble à une montée dramatique au son de la musique de Wagner qui se termine un rien lamentablement étant donné que le volcan, contre DIDIER PÉRON BRUNO ICHER La FSGT présente Le sport dans tous ses états Film d’animation réussi autour du doudou iconique. PADDINGTON de PAUL KING 1h35. Tous les ans, la revue mensuelle anglaise Monocle Magazine publie le classement des pays au soft power le plus important, l’expression désignant l’attractivité d’une nation, sa capacité à influer sur la donne culturelle mondiale. A chaque fois, le Royaume-Uni arrive dans le tiercé gagnant. L’un des éléments de ce soft power est sans aucun doute la façon avec laquelle l’identité britannique sert de décor, voire de trame, à des pans entiers de la production littéraire ou cinématographique à destination de la jeunesse, du Christmas Carol de Charles Dickens à la saga Harry Potter, en passant par Mary Poppins. Paddington s’inscrit directement dans cette logique. Le long métrage de Paul King est une adaptation des aventures du héros du même nom, un adorable ourson venu du Pérou et échoué à Londres, dans la gare de Paddington, recréée ici via une hybridation entre une animation numérique et un film. En 1958, est paru le premier tome de la saga signée Michael Bond, qui comprend une trentaine d’ouvrages, a été traduite dans 40 langues et s’est vendue à 35 millions de livres dans le monde. Depuis les années 70, des peluches, éditées à l’effigie de l’ourson, s’écoulent par palettes. C’est dire que ce Paddington démarre en terrain, sinon conquis, du moins connu. Le producteur est le Britannique David Heyman, déjà aux ma- PITIÉ! chose dans la froideur blessée de l’alpiniste le fascine d’évidence, et sa caméra ne vacille pas quand il parvient enfin à le faire craquer d’une seule question dite de cette voix au timbre inimitable. «Maîtresse». Interrogé sur la «pulsion de mort» qui l’anime, Messner affirme qu’au contraire la conquête de parois extrêmes, même pour le suicidaire, le priverait une fois au bout (et à bout) du désir de sauter et de se tuer. «J’ai parfois l’impression de pouvoir dessiner sur ces parois de 3 000 ou 4 000 mètres de hauteur comme une maîtresse qui écrit et dessine au tableau, mais je ne trace pas seulement des lignes pensées, je vis ces lignes. Elles sont là et y restent éternellement», dit encore Messner qui continuera à gravir d’autres sommets, notamment la première ascension de l’Annapurna par la face Nord-Ouest un an plus tard. Le faîte de l’ascension dans l’Himalaya. PHOTO GASHERBRUM toutes les prévisions scientifiques, remballe la marchandise et sombre dans un profond sommeil sans avoir permis à Herzog et à son équipe d’assister à l’apocalypse annoncée. Les risques qu’ils prennent en passant tous les barrages afin de s’approcher au plus près de la bouche fulminante du volcan leur permettent de discuter avec de pauvres hères couchés dans l’herbe dans l’attente de mourir. Messner, lui, a déjà eu le sentiment de mourir quand, en 1970, il perd son frère dans la descente du Nanga Parbat au Pakistan. Il qualifie lui-même l’alpinisme d’un produit de la «dégénérescence de l’homme» qui dépense une énergie folle pour des actes risqués et qui n’ont en définitive aucune finalité autre que l’accomplissement d’un exploit physique et mental. Herzog voit en Messner une sorte de double de lui-même, quelque VII Comme le laisse entendre une bande-annonce survirile qui tourne en boucle sur les sites spécialisés et à la télévision, la French (rien à voir avec un doc sur la manucure, donc) déclenche un signal d’alarme bien connu: quand un film français s’empare ainsi des codes surannés du polar à l’américaine, le désastre n’est jamais loin. Fidèle à l’objet promotionnel en question, au point de donner l’impression que le film n’a été conçu que pour y être conforme, la French ressemble aux travaux pratiques d’un alchimiste cancre qui aurait le don de transformer l’or d’une prodigieuse fresque criminelle en un bloc de plomb filmé avec les genoux, s’obstinant à aligner de la testostérone de synthèse sur des étagères de Formica, histoire de coller à la vieille idée de l’érotisation de la violence et du crime. Il ne fait aucun doute que Cédric Jimenez, le cinéaste, et le duo Dujardin-Lellouche ont biberonné jusqu’à l’overdose aux polars nerveux de Friedkin, Mann, Fleischer, Siegel et compagnie. Tout ça pour que, deux heures durant, ces braves gens s’emploient à surjouer l’exercice du plagiat, toujours à un millimètre de la parodie involontaire. Au point que personne ne serait vraiment surpris si les deux compères à l’écran se mettaient subitement à se bidonner comme dans une émission d’Arthur. Parmi les stigmates les plus embarrassants de ce référencement forcené, un goût envahissant pour le vintage faisant ressembler le film tantôt à un symposium de collectionneurs de voitures anciennes, tantôt à un antiquaire qui serait tombé par chance sur un hangar oublié des Galeries Barbès. En guise de coup de grâce, une avalanche de clins d’œil à se luxer les paupières, depuis un JT de 20 heures présenté par Olivier Duhamel ou une scène de l’Ile aux enfants, jusqu’au numéro de Pif Gadget lu à haute voix, en passant par une BO bourrée de Mike Brant et de Sheila… La nostalgie comme seule réponse à l’échec du présent. PELUCHE QUE PARFAIT CHAPEAU • À L'AFFICHE CINÉMA LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Paddington, Pérou t’es entré on t’a pas vu sortir. PHOTO DR nettes de la très lucrative saga Harry Potter ainsi que de Gravity. Dans le genre du film pour petits, et de l’animation d’un doudou, Paddington est réussi. Il renferme à peu près tout ce qu’une salle remplie de marmots exige. Soit, aux dires d’un enfant de 8 ans, Caspar, présent le jour de la projection, «un mélange entre des scènes drôles et des scènes d’action». A l’applaudimètre des gosses, on compte la destruction par le plantigrade de la salle de bains de sa famille d’accueil ou sa consommation en quelques minutes de dizaines de pots de marmelade… Comme dans tous les films du genre enfantin, s’opère un drôle de panachage entre une narration très premier degré, gaguesque, un discours d’éducation à la tolérance et quelques sous-entendus (ici sexuels) pour adultes. Paddington est une invitation à accueillir tous les naufragés de l’existence (même les ours), dans une tradition caritative britannique, héritée de l’aprèsguerre. C’est bien-pensant, mais ça fait du bien. CLÉMENT GHYS 9-14 DÉC. 2014 FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM SPORTIF L’écran Saint-Denis Ciné 104 Pantin Cinéma Jacques Tati Tremblay-en-France 80.fsgt.org CINEMA Quel spectateur êtes-vous? Un invité nous répond du tac au tac. SÉANCE TENANTE AUDREY FLEUROT Actrice, on peut la voir aussi bien à la télévision dans les nouvelles saisons d’Un village français et d’Engrenages que sur les planches dans Un dîner d’adieu, qui triomphe au Théâtre Edouard-VII, ou encore en DVD dans les Gazelles, de Mona Achache. PHOTO AFP «LES BANDESANNONCES, C’EST UNE SORTE DE MENSONGE QUE J’AIME» w La première image? Le poing de Bud Spencer dans la tête de Terence Hill. w Dernier film vu ? Avec qui ? C’était comment? Interstellar. Avec mon amoureux. Ça ressemble un peu à du Kubrick pour les nuls. Je ne dis pas ça méchamment, je me classe dans les nuls. w Le film que vos parents vous ont empêchée de voir? Gorge profonde. Je croyais que c’était un film d’aventures. w Qu’est-ce qui vous fait détourner les yeux de l’écran? La honte. Quand un personnage tombe si bas que c’est douloureux. w Un rêve qui pourrait être un début de scénario? Je cours, je cours, et je me mets à voler. Mais un vol tout nul à un mètre du sol. C’est comme si j’avais un super-pouvoir mais tout à fait inutile. w Le film où la scène qui a interrompu un flirt avec votre voisin(e)? Aucun. C’est un moment où il est difficile de m’arrêter. w Que faites-vous pendant les bandes-annonces? Je les regarde. J’adore les bandesannonces ! C’est une sorte de mensonge que j’aime, que je trouve festif, contrairement aux publicités qui m’agressent et me rendent méchante. w Avec quel personnage aimeriezvous coucher? Avec Jean-Paul et Marianne (Alain Delon et Romy Schneider) dans une piscine. Ou en acceptant la pilule que me tendrait Barbarella. w Pour ou contre la 3D? Je ne suis pas contre le principe mais je n’ai pas vu de film en 3D depuis l’Etrange Créature du lac noir, et c’était avec les lunettes bleu et rouge. w Le hors-champ, ça vous travaille? On passe sa vie hors champ. Il m’arrive, par hasard ou par chance, d’entrer dans le champ ; et ça me paraît à chaque fois inachevé, inabouti, donc c’est peu dire que ça me travaille. w La séquence qui vous a empêchée de dormir (ou de manger)? Quand Artax, le cheval d’Atreyu, s’enfonce et meurt dans le marécage de la mélancolie (l’Histoire sans fin). w Le cinéaste dont vous osez dire du bien? C’est un exercice vital que de se forcer à réévaluer. On arrive souvent à se mentir à soi-même par peur du mauvais goût. Ma liste du jour : James L. Brooks et Yves Robert. w Le cinéma disparaît à tout jamais. Une épitaphe? «Je vous l’avais bien dit que j’étais malade !» C’est celle de Groucho Marx, paraît-il. w La dernière image? Je serais prête à payer cher pour avoir la réponse. Recueilli par DIDIER PÉRON REPRISE SATYAJIT RAY PUISSANCE TROIS Après une première salve de trois films en avril, voici une nouvelle livraison Satyajit Ray, sa production sixties avec la Grande Ville (1963, photo), le Saint (1965) et le Héros (1966). Le premier est une réflexion féministe. Le récit tourne autour d’un couple à Calcutta, lui est un employé de banque licencié qui doit accepter que son épouse travaille, allant à l’encontre des mœurs patriarcales encore en cours. L’Inde de ces années-là est agitée de nombreux conflits sociaux: «Le Calcutta des trams qui brûlent, les soulèvements dans les communes paysannes, les réfugiés, le chômage, les prix qui flambent, les difficultés d’approvisionnement, il n’y a rien de tout ceci dans les films de Ray», écrivait un critique indien, jugeant que le cinéaste ne rendait pas compte de l’intensité des conflits sociaux de son époque. D.P. PHOTO DR TOUJOURS EN SALLES MERCURIALES de Virgil Vernier (1 h 44) NIGHT CALL de Dan Gilroy (1 h 57) ALLELUIA de Fabrice Du Welz (1 h 30) Deux filles se rencontrent et dérivent ensemble entre banlieues parisiennes et interzones européennes. Ce film ahurissant sécrète une impression semblable à ces disques, tout de modulations et de bourdonnements de synthétiseurs analogiques, enregistrés sur microsillon dans les années 70 et 80 par Brian Eno et quelques autres, travaillant à l’obscuration des sens. Lou Bloom (Jake Gyllenhaal) est un loser, arnaqueur minable, qui découvre par hasard ces paparazzi du nouvel âge et les sommes payées par les chaînes (plusieurs centaines de dollars pour les blessés d’un accident, beaucoup plus pour un crime). Night Call suit la lente évolution du jeune homme, au visage émacié et aux yeux globuleux de vampire contemporain. Inspiré de la vie de Martha Beck et Raymond Fernandez, les «Tueurs aux petites annonces», ce nouveau thriller d’un outsider belge, remarqué à l’époque de l’éprouvant Calvaire, déborde du fait divers réaliste pour questionner le sentiment de folie passionnelle qui soude le couple. Laurent Lucas, discret ces temps-ci, y opère un come-back remarquable. TICKETS D’ENTRÉE (SOURCE «ÉCRAN TOTAL») Film ASTÉRIX : LE DOMAINE DES DIEUX HUNGER GAMES : LA RÉVOLTE NIGHT CALL SECRET D’ÉTAT INTERSTELLAR Derrière les prévisibles cartons d’Astérix et de Hunger Games, c’est une légère surprise de voir se glisser deux sorties relativement modestes au classement de la semaine. Night Call et Secret d’Etat, qui totalisent à eux deux un peu plus de 400 écrans – soit Semaine 1 2 1 1 4 Ecrans 696 819 255 164 618 Entrées 870 767 679 864 153 862 67 878 209 784 la moitié de Hunger Games–, obtiennent des moyennes assez remarquables, d’autant qu’ils ont eu la mauvaise idée de se lancer avec des affiches quasiment similaires : un gros plan de l’acteur principal (Jake Gyllenhaal et Jeremy Renner), le visage mangé Moyenne/copie 1 251 830 603 414 339 Cumul 870 767 2 218 065 153 862 67 878 2 192 593 par des lunettes à verres fumés. En quatrième semaine, Interstellar se maintient face à la concurrence, de même que Samba qui, manifestement, n’emballe pas les foules mais vient quand même de dépasser les trois millions de spectateurs. 20 • LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 VOUS SEXE&GENRE PHOTOS COURTESY OF THE KINSEY INSTITUTE FOR RESEARCH IN SEX, GENDER AND REPRODUCTION Via des objets, mais aussi des expériences, l’exposition londonienne «The Institute of Sexology» retrace l’histoire de cette science. Par SONIA DELESALLE-STOLPER Correspondante à Londres es images défilent. Un immense bûcher, alimenté par des mains anonymes qui y jettent livre après livre, déroule ses flammes dans une nuit d’encre. Nous sommes le 6 mai 1933 et tous les ouvrages de l’immense collection de l’Institut pour la recherche sexuelle, fondée à Berlin dans VISITE les années 20 par Magnus Hirschfeld, pionnier de la recherche en sexologie, rejoignent l’autodafé de l’idéologie nazie. On s’était pourtant pointée à l’exposition «The Institute of Sexology», au Wellcome Institute à Londres, comme les milliers de visiteurs qui s’y pressent depuis quelques jours : légèrement émoustillée et curieuse. Dans une vitrine, des minifigurines de porcelaine japonaise se livrent, dénudées, à des contorsions intéressantes et parfois fort compliquées, qui nous déconcertent un peu plus. Avant que la vision d’une ceinture de chasteté et d’un anneau de fer à l’intérieur hérissé de petites poin- L GodessavetheQueen couvert de métal. Il s’agit du célèbre «orgone accumulateur» imaginé dans les années 40 par le psychanalyste autrichien Wilhelm Reich. Sa théorie était qu’un peu de temps passé dans cette boîte permettait de libérer son énergie sexuelle interne. Le mieux, selon lui, était de s’y installer nu. La salle d’exposition se prêtant mal à une telle expérience, la plupart des curieux ressortent un peu frustrés de l’engin. Reich arguait que sa boîte permettait aussi de guérir un certain nombre d’afdont le «J’en déduis que votre fils est flictions, cancer. Les homosexuel, et le fait que vous Américains (il ne le mentionniez pas vousvivait et vendait même m’impressionne. Puis- ses boîtes aux ne je vous demander pourquoi?» Etats-Unis) l’ont pas cru, Freud en réponse à une lettre, en 1935 ont détruit son invention et ont tes – supposé, une fois ins- envoyé Wilhelm Reich en tallé (encastré ?) sur un prison où il a fini ses jours, pénis, prévenir toute pollu- en 1957. tion nocturne– nous suggère «The Institute of Sexology» une prudente retraite. offre un catalogue extraordinairement varié de l’histoire ORGONE. Mais c’était sans de la sexologie au fil des cent compter sur le guide qui, cinquante dernières années. avec un sourire narquois, Au-delà des inévitables vinous invite alors à entrer bromasseurs (encore que dans une drôle de boîte en l’un d’entre eux ressemble bois, dont l’intérieur est curieusement à un fouet à manivelle de cuisine), peintures du Kama Sutra ou engins «antimasturbation», l’exposition livre une passionnante analyse politique de l’évolution de la compréhension de la sexualité. AVANT-GARDISTE. Dans la section «The Classroom» (la classe), l’exposition se penche sur le travail de pionnier de l’Américain Alfred Kinsey, biologiste, professeur d’entomologie et de zoologie qui, après avoir passé des années à observer des guêpes, fonda l’Institut Kinsey de recherche sur le sexe, le genre et la reproduction à l’université d’Indiana. A travers des entretiens extrêmement fouillés, il retraça la trajectoire sexuelle de plus de 18 000 individus. «The Consulting Room» (la salle de consultation) observe les différentes approches de deux autres pionniers, chacun dans leur genre, Sigmund Freud et Marie Stopes. Une lettre manuscrite du premier, datée de 1935, répond à une mère anxieuse. «Je déduis de votre lettre que votre fils est homosexuel, et le fait que vous ne le mention- niez pas vous-même m’impressionne. Puis-je vous demander pourquoi? L’homosexualité n’est assurément pas un avantage, mais n’est rien qui puisse susciter la honte, n’est pas un vice, une dégradation et ne peut être considérée comme une maladie», écrit-il. Marie Stopes écrira un best-seller, Married Love, en 1918, arguant que la satisfaction sexuelle est une clé d’une union heureuse. Elle ira jusqu’à relever scientifiquement toutes ses impressions, ses désirs, ses réactions, lors de périodes données. Son approche avant-gardiste –elle sera une fervente avocate du contrôle des naissances – lui vaudra une armée de supporteurs et des volées d’injures. Une lettre exposée est glaçante : «Allez prêcher vos sales méthodes ailleurs. Les Anglais décents sont dégoûtés par vos suggestions écœurantes.» Les travaux du couple William Masters et Virginia Johnson (dont l’histoire est racontée dans la série télé à succès Masters of Sex) sont mis en valeur dans la section «The Lab». De 1957 au milieu des années 90, Masters et Johnson établiront une carte détaillée des différents stades de l’excitation sexuelle en «mesurant» les réactions de centaines de couples volontaires en plein acte sexuel. FLORAISON. L’un des moments forts de l’exposition, au point de provoquer des embouteillages systématiques, est une charte, établie cette fois-ci par l’artiste américaine Carolee Schneemann, entre 1969 et 1971. Elle y détaille avec une floraison d’éléments cliniques impressionnants toutes ses expériences sexuelles. Elle y décrit chacun de ses amants, de son physique à sa profession, en passant par la taille de son sexe (gros, moyen, en dessous de la moyenne), mais aussi les sons qu’elle produit au moment de ses orgasmes (cris, gémissement, hurlement), ou encore le nombre de mots prononcés avant et après l’acte (aucun, quelques-uns, beaucoup). La diversité de l’exposition, et son absence de logique parfois, répondent parfaitement, comme le souligne l’une de ses conservatrices, Honor Beddard, à «l’étude du sexe dans toute sa complexité et sa contradiction». • REPÈRES «The Institute of Sexology» Wellcome Collection, jusqu’au 20 septembre 2015. 183 Euston Road, à Londres. Rens.: wellcomecollection.org IVe siècle C’est à cette époque que fut écrit le Kamasutra par un brahmane, le saint sage Vatsyayana, dit la légende. LA SEXOLOGIE Cette science mêle, depuis la fin du XXe siècle, médecine, stats, épidémiologie, biologie, neurosciences, criminologie, histoire, psychologie et sociologie. 22 • LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 REBONDS «Fatal cocktail» à Ferguson, mais qu’en est-il en France? Par DES ASSOCIATIONS DE DROITS DE L’HOMME ET DÉFENSE DES PERSONNES uelques heures après la décision prise par un grand jury de ne pas poursuivre le policier responsable de la mort de Michael Brown, tué par balles à Ferguson, dans le Missouri, la ministre française de la Justice, Christiane Taubira, a rédigé une série de tweets qui montrent qu’elle s’intéresse de près aux questions de discrimination raciale. En voici un exemple: «Mickael Brown, profilage racial, exclusion sociale, ségrégation territoriale, relégation culturelle… des armes, la peur… Fatal cocktail !» Mais les problèmes que mentionne la ministre pourraient tout autant s’appliquer au contexte français, dominé par le problème des «contrôles au faciès», symboles d’une discrimination A ce jour, deux ans et demi après inacceptable qui l’élection de François Hollande, continuent d’emaucune mesure sérieuse n’a été prise poisonner les relapour réduire le problème des tions entre la pocontrôles d’identité discriminatoires. lice et les minorités dites «visibles». Bien que l’on ne dispose d’aucune statistique officielle, dans la mesure où le suivi des contrôles reste inexistant, une enquête menée par Opinion Way et publiée en mai par Graines de France, Human Rights Watch et Open Society Justice Initiative ne fait que confirmer le recours toujours massif de la police aux contrôles d’identité, et la persistance du caractère discriminatoire de ceux-ci. Admettant la gravité du problème, le président Hollande en avait pourtant fait très ouvertement un de ses engagements de campagne : «Je lutterai contre le Q “délit de faciès” dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens…» Ainsi, peu après sa nomination au poste de Premier ministre, Jean-Marc Ayrault avait-il publiquement annoncé la préparation par le gouvernement d’un texte de loi garantissant à toute personne contrôlée la remise d’une preuve écrite de l’incident. Cependant, à peine quelques mois plus tard, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, avait manifesté son hostilité envers une telle mesure, qui fut promptement enterrée. A ce jour, deux ans et demi après l’élection de François Hollande, aucune mesure sérieuse n’a été prise pour réduire le problème des contrôles d’identité discriminatoires et s’assurer que la police fasse usage des pouvoirs qui lui sont conférés d’une manière respectueuse des droits fondamentaux des personnes. Cet échec du gouvernement à donner suite à ses propres promesses a fait naître une immense frustration au sein des groupes discriminés. L’histoire récente de la France ne manque pas d’exemples de contrôles d’identité qui «tournent mal», et entraînent des épisodes de troubles. La législation française laisse aux policiers une large marge d’appréciation pour effectuer des contrôles d’identité, sans avoir à s’appuyer sur des critères objectifs et individualisés basés sur le comportement des personnes en question. Pour limiter les discriminations et garantir que les policiers fassent usage de ce pouvoir d’une manière appropriée et transparente, il est donc crucial de réformer ce cadre législatif flou et permissif. Il est également essentiel de mettre en place un système d’enregistrement des contrôles d’identité afin de pouvoir demander des comptes aux policiers responsables et à leurs supérieurs. Pour le personnel d’encadrement de la police, de telles don- nées permettront de s’assurer que la police exerce ses pouvoirs d’une façon légitime et transparente. Cela fait des années que nos associations appellent à réformer la législation. Christiane Taubira, en tant que ministre, peut jouer ici un rôle central. Son ministère pourrait, par exemple, prendre l’initiative de la mise en place d’une commission interministérielle, qui s’attacherait à examiner et à réformer le cadre législatif relatif aux contrôles d’identité, aux palpations de sécurité et aux fouilles d’objets personnels –une étape préliminaire en vue de la préparation d’un projet de loi. Le ministère pourrait également effectuer sans délai un audit de l’usage et de l’efficacité des contrôles effectués sur ordre d’un procureur, qui relèvent en effet de ses compétences. En outre, Christiane Taubira peut demander à son cabinet d’émettre une circulaire à destination des procureurs, afin de rappeler à ceux-ci que les normes contraignantes en matière de droits humains, y compris la non-discrimination, s’appliquent aux pratiques policières. L’année dernière, le cabinet de la ministre avait fait connaître à un regroupement d’organisations non gouvernementales, dont les nôtres, son intention d’émettre une telle circulaire. Cependant, le ministère n’a pas à ce jour donné suite à cet engagement. A quand un tweet de la garde des Sceaux pour annoncer que le ministère de la justice réalise enfin la promesse présidentielle par une réforme de l’article 78-2 du code de procédure pénale qui permettrait de mettre fin aux contrôles d’identité abusifs et discriminatoires ? Signataires: Graines de France, Human Rights Watch, Maison communautaire pour un développement solidaire, Open Society Justice Initiative, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature. La logique comptable n’est pas une politique Par ANDRÉ GRJEBINE Directeur de recherche à Sciences-Po, Centre d’études et de recherches internationales es discours sur la nécessité de réformer la société française se multiplient. Mais ce qu’on entend par là, ce n’est pas la mise en œuvre progressive d’un agenda de mesures inscrites dans une vision d’ensemble de la société et de son adaptation. C’est la recherche d’un équilibre entre deux exigences contradictoires : d’une part, la réduction de dépenses publiques exigées par la Commission européenne; d’autre part, les sacrifices que l’on peut demander à telle ou telle catégorie sociale, compte tenu de sa capacité de rétorsion c’est-à-dire de nuisance. Une sorte de comptabilité en partie double bien particulière… Les corporations et les groupes de pression s’épanouissent d’autant mieux que le gouvernement ne peut les combattre au nom d’un projet d’avenir, négocié avec les partenaires sociaux et entériné par les électeurs. Alors que, dans les pays scandinaves comme en Allemagne, les mouvements politiques, en premier lieu sociaux-démocrates, ont une assise sociale forte qui rend plus facile la recherche d’une adéquation entre L les aspirations des citoyens et la marge d’action des gouvernants, en France, la faiblesse, sinon l’inexistence, des liens entre le monde politique et les acteurs sociaux a pour effet de réduire la puissance des syndicats réformistes et d’isoler le politique de ses déterminants sociaux. Une mise à plat des grands domaines qui construisent notre avenir (formation, fiscalité, gestion des entreprises, lutte contre l’exclusion, etc.) aurait peut-être permis de compenser cette carence. Le moins que l’on puisse dire est que ni la gauche, ni la droite ne s’y sont résolues, sans doute par crainte de raviver des revendications corporatistes. Faute d’être responsabilisés par leur participation à la négociation, voire à l’élaboration, des réformes, les partenaires sociaux s’abandonnent à la seule défense de leurs mandants. L’objectif de chacun n’est plus que de préserver ses avantages acquis et si possible d’en obtenir de nouveaux. Chaque réforme est vécue comme un affrontement qui suppose des bénéficiaires et des perdants. D’où une approche de la politique en termes de comptabilité, plutôt que de projet. Le gouvernement grappille parmi les mesures qui lui sont proposées au jour le jour par ses conseillers, réduisant tel poste aujourd’hui, quitte à le rétablir demain si la mesure envisagée déclenche un mécontentement plus grand que prévu. Il en résulte un patchwork de mesures prises à la va-vite, sans qu’on en ait toujours mesuré les coûts, les conséquences et les contradictions. Dans ce contexte, les opposants se contentent de surenchérir sur l’importance des réductions des dépenses publiques auxquelles chacun se propose de procéder, mais rares sont ceux qui s’aventurent à dire quels postes précis ils entendent diminuer. Cette vision purement comptable de la politique n’ouvre aucune perspective. La réduction des dépenses de fonctionnement est sans doute nécessaire. Elle ne constitue pas pour autant un projet qui puisse motiver les acteurs à accepter des réformes et donc des sacrifices. Pour adoucir ce qu’aurait d’un peu sec le recours exclusif à des termes comptables, les responsables politiques les fleurissent d’envo- lées lyriques et de discours martiaux nous assurant de leur volonté de replacer la France au premier rang des nations et affirmant leur résolution d’aller de l’avant, sans jamais préciser vers où et comment. Le jeu politique, sans ramifications dans le champ social, c’està-dire se déroulant en vase clos, tend à se prendre lui-même pour principal enjeu. Il est significatif que la révélation des propos privés tenus par les uns sur les autres soit devenue un exercice central du débat public. Les exigences européennes sont, dans une large mesure, un alibi qui sert à masquer l’incapacité de nos dirigeants à déterminer une vision à long terme. Après tout, si la Commission européenne et les marchés financiers pouvaient observer un programme précis et résolu visant à dynamiser progressivement notre économie, ils seraient sans doute moins sensibles à des déséquilibres dont on pourrait prévoir la résorption à terme. Au demeurant, un tel programme pourrait être entrepris dans le cadre européen, quitte à ce que chaque pays en prenne sa part. REBONDS LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Par BERNARD GUETTA Les idiots utiles de Vladimir Poutine Cherchons. Pourquoi Mme Le Pen aime- meilleur rempart contre les jihadistes t-elle tant la Russie d’aujourd’hui alors qu’elles en sont la source et le qu’elle avait invité au congrès du FN un meilleur terreau. Ce n’est pas par hareprésentant de Russie Unie, le parti de sard que Mme Le Pen et Vladimir PouVladimir Poutine, qui donnait du «chers tine s’étaient immédiatement rangés camarades» aux délégués frontistes ? aux côtés de Bachar al-Assad alors que Ce ne peut pas être qu’elle voie un mo- l’aspiration aux libertés et à la démodèle, elle qui déteste tant l’Union euro- cratie faisait descendre les Syriens dans péenne, dans cette Fédération de Russie les rues. C’est parce qu’ils ont une qui regroupe plus de 80 «entités consti- même phobie des musulmans et, donc, tuantes» dont bon nombre sont majori- une même sympathie pour les potentats tairement musulmanes. Ce ne peut pas sanguinaires qui ne se survivaient et ne non plus être qu’elle approuve l’impor- s’enrichissaient qu’en les opprimant et tation massive d’immigrés turcs à leur interdisant toute intégration à la Moscou dont ils restaurent le centre modernité. historique et construisent les luxueux Le second point commun à ces nouvelbâtiments proclamant l’opulence des les extrêmes droites des deux parties de nouveaux riches. Ce ne doit pas être l’Europe est la haine de l’Union euronon plus qu’elle apprécie le cosmopoli- péenne. Vladimir Poutine rêverait de la tisme de cette capitale fédérale, le briser car elle exerce trop d’attraction New York de l’Est, qui ferait passer le à ses yeux sur les anciennes Républimaléfique Bruxelles pour traditionaliste ques soviétiques qu’il voudrait replacer et monocolore. On peut sur orbite russe pour reencore moins imaginer DIPLOMATIQUES constituer l’empire des ce ne serait que mauvais tsars. Mme Le Pen y voit, procès – que Mme Le Pen s’enthou- elle, non seulement une prison des peusiasme de ces ratonnades contre les ples et une négation de leurs souverai«culs noirs» caucasiens sur lesquelles netés mais le cheval de Troie de la monla police moscovite ferme si obstiné- dialisation qu’elle honnit et à laquelle ment les yeux. elle considère – c’est ainsi – que l’EuNon. Aucune de ces explications ne rope pourrait mieux résister par sa distient la route mais alors quoi ? Ce n’est persion que par son unité. pas non plus l’argent car il ne faut pas Bien… C’est clair. Tout cela fait une confondre la cause et l’effet. Ce n’est convergence mais, outre qu’elle n’est pas parce que Mme Le Pen a trouvé pas particulièrement ragoûtante, a-t9 millions d’euros à emprunter à une elle la moindre cohérence ? banque russe qu’elle vibre pour la Rus- La réponse est quatre fois non. La Russie mais, au contraire, parce qu’elle n’a sie de Vladimir Poutine, d’abord, est qu’admiration pour Vladimir Poutine l’exact contraire de la protection sociale que ce prêt lui a été consenti. et de l’Etat stratège dont Mme Le Pen se Entre elle et lui, entre le président russe réclame depuis qu’elle a compris que et toutes les nouvelles extrêmes droites ces créneaux étaient électoralement européennes représentées au congrès porteurs. Avec la Chine dont elle se rapdu Front, il y a une profonde et com- proche, la Russie est par excellence la plète connivence. C’est ensemble, tou- terre du capitalisme sauvage et du libétes nationalités confondues, qu’ils ralisme économique le plus débridé. La communient dans un passéisme fait de Russie, en deuxième lieu, incarne tout nationalisme, de nostalgie des régimes sauf la laïcité dont Mme Le Pen a fait un forts et de leurs chefs charismatiques, étendard contre l’islam puisque Vladide rejet des étrangers, de hantise de la mir Poutine la gouverne dans une comdécadence occidentale et de volonté de plète fusion idéologique avec l’Eglise la parer par un retour à ces «valeurs tra- orthodoxe et son ordre moral. ditionnelles» qu’invoquait le représen- Contrairement à l’Union européenne tant de Russie Unie devant ses «cama- qui n’a jamais obligé quiconque à la rerades» du Front. joindre, la Fédération de Russie est bel Aux confluences des fascismes et du et bien, en troisième lieu, une prison stalinisme, d’ordres uniformes et des peuples dont personne ne peut lid’autoritarisme rassurants, c’est une brement sortir. Les Tchétchènes l’ont nouvelle réaction aux bouleversements éprouvé dans leur chair et, si les noudes temps présents qui s’ébauche là et velles extrêmes droites européennes que cimentent deux grands points com- parvenaient vraiment à faire éclater muns. l’Union, ce n’est enfin pas à l’unité des Le premier est la peur de l’islam, vu nationalismes qu’on assisterait mais à comme une menace existentielle pour un choc des puissances au premier rang l’Europe chrétienne, et cette absolue duquel se trouveraient la Russie et sa cécité qui fait en conséquence croire nostalgie impériale. Vladimir Poutine que les dictatures arabes seraient le a trouvé ses idiots utiles. • 23 Poutinophiles de tous les partis, unissez-vous! Par ERIC NAULLEAU Essayiste elon Vladimir Poutine, la plus grande tragédie du XXe siècle fut la disparition de l’Union soviétique. La disparition du pays du goulag et de la grande terreur de 1937, la disparition du pays dont les chars écrasèrent les insurrections populaires d’Allemagne de l’Est en 1953, de Hongrie en 1956 et de Tchécoslovaquie en 1968. La disparition du pays qui dut laver dans le sang des héroïques défenseurs de Stalingrad l’infamie du pacte Molotov-Ribbentrop. Quand on dispose des moyens de guérir ses nostalgies, pourquoi se gêner? Le tsar de toutes les armées a donc entrepris la méthodique reconstitution de l’empire perdu. Sa 14e armée occupe toujours la Transnistrie moldave, le Kremlin a organisé la sécession de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en Géorgie (quoique certains ravis de la crèche sarkozystes croient toujours dur comme fer que leur champion a sauvegardé l’intégrité de ce pays en 2008 lors du conflit avec Moscou), la Russie a annexé presque sans coup férir la Crimée et organise à présent militairement la séparation de l’Ukraine orientale du reste d’un pays souverain. Au nom des principes les plus élémentaires du droit international, la réprobation devrait être générale. Il n’en est rien. Au motif, entend-on de droite comme de gauche, que l’Ukraine relèverait d’une fiction historique, que pour mieux dire, l’Ukraine n’existerait pas. L’Ukraine existe en vérité si bien que l’un des actes fondateurs de l’Union Soviétique fut S d’y organiser dans les années 30 une effroyable famine qui causa la mort d’au moins 3 millions de personnes et continue de hanter la mémoire collective du pays. L’Ukraine existe en vérité si bien que la Russie s’est, en 1994, portée garante de son intégrité territoriale selon les termes du Mémorandum de Budapest, également signé par le RoyaumeUni et les Etats-Unis Mais les pipeaux de l’extrême droite continuent de jouer en sourdine cette sale petite musique –sous prétexte que Poutine dénonce la décadence occidentale, il est devenu l’idole de la fachosphère française, où sa xénophobie et son homophobie décontractées, sans oublier sa virilité caricaturale et sa générosité financière, lui valent une admiration éperdue. Mais les tambours de l’extrême gauche continuent de propager rumeurs et contre-vérités au sujet des antisémites et autres néonazis qui tiendraient le haut des pavés de la place Maïdan: 0,2 % pour le mouvement ultranationaliste Secteur Droit lors des élections législatives de 2014 ! Etrange coalition politique et médiatique des rêveurs d’empire, soviétique, chinois ou napoléonien. Le comique de l’affaire tient à ce que certains de ces héros de la liberté d’expression (en réaction à l’«hystérie anti-Poutine») seraient empêchés de s’exprimer dans leur nouveau pays de cœur, jetés en prison ou pire encore, souvenonsnous d’Anna Politkovskaïa. Des journalistes soutiens d’un régime qui brime tout média indépendant ! Sans doute ont-ils oublié que l’expression d’«idiots utiles» fut inventée par Lénine, fondateur de l’Union Soviétique. L'ŒIL DE WILLEM 24 • CULTURE Par EMILE RABATÉ gauche de l’entrée principale, devant la porte H (comme Haïti), est installée une sculpture en aluminium sertie de motifs bariolés. Debout sur quatre pieds, l’ensemble dégage durant la journée une lourdeur pompeuse, semblable à celle d’un dais, cet ouvrage dont on pare aussi bien les trônes que les tombeaux, – une ambiguïté à l’image de l’histoire du pays. Mais de nuit, la structure change de physionomie. Illuminée par des lampions de toutes les couleurs, elle se transforme en lanterne géante, un havre féerique ciselé dans les ténèbres parisiennes. La Porte d’Haïti est la première des 167 œuvres présentées dans l’exposition «Haïti. Deux siècles de création artistique». Elle a été réalisée spécialement pour l’occasion par Edouard Duval-Carrié. Passée la porte, le visiteur n’est pas au bout de ses surprises. Un handicapé déglingué l’attend au beau milieu des escaliers : tête en cassette vidéo, cou de métal tordu, épaules pneumatiques, buste rafistolé en bouts de carrosserie et restes d’ordinateur. L’infirme du troisième type est flanqué d’un grand échalas tout aussi cabossé que lui, tas de ferraille humanoïde penché sur le fauteuil roulant. Recouverts de peinture chromée, les deux personnages semblent en A discussion. Le vieux demande peut-être à l’autre : «Ils ont quoi, tous ces gens, à nous dévisager ?» Ou l’engueule : «Je t’avais dit de prendre l’ascenseur !» Guyodo, son auteur, y voit pour sa part une métaphore de sa condition d’artiste : «Je suis moi-même un handicapé. Car je n’ai pas de galerie ni de promoteur pour faire vendre mes œuvres. J’ai plus de 800 créations dans mon atelier. Et pourtant, je n’arrive pas à vivre de mon travail.» Il fait partie des permanents de la «Gran Rue», une communauté de sculpteurs connue à Port-au-Prince pour son utilisation des matériaux de récupération. Ses assemblages font penser à du Subodh Gupta façon arte avec originalité deux siècles de diversité créative dans ce qui fut la première république noire. AZOR. COLLECTION REYNALD LALLY Au centre: Guyodo, Sans titre. PHOTO JOSUÉ AZOR. nées 60, il a participé à l’aventure de la figuration narrative. C’est un duo sympathique et iconoclaste. «FARCE». Régine Cuzin s’est affranchie des contraintes chronologiques pour mettre en scène l’exposition, préférant une «approche rhizomique». Un choix qui met l’accent sur les résonances possibles entre des œuvres issues de périodes différentes. «Haïti. Deux siècles…» n’est donc pas une rétrospective, comme pourrait le laisser croire son titre, mais un panorama de la création artistique dans la première république noire du monde, de 1804 à nos jours. Le jeu des correspondances s’organise autour de quatre grands «On a voulu figer l’art haïtien dans une axes thématiques : «Sans titres», «Paysaseule proposition [l’art naïf]. La farce ges», «Esprits» et de ces braves négros, qui peignent tout «Chefs». Le parcours joliment, avec des couleurs éclatantes.» est aussi ponctué de trois «Tête-à-tête», des Hervé Télémaque peintre d’origine haïtienne sections où sont mises povera. Le faste du plasticien indien en regard les œuvres de deux artistes. donne la nausée à côté de telle écono- Comme Jean-Michel Basquiat avec Hervé Télémaque. La visite s’effectue mie de moyens. En haut des escaliers, voici l’espace dans le sens des aiguilles d’une montre. d’exposition à proprement parler. Une Il est toutefois possible de prendre des salle tout en longueur, où l’on retrouve chemins de traverse, les œuvres étant ce jour-là nos guides attitrés : Régine disposées en îlots. Cuzin et Hervé Télémaque. La première Première halte. Grand écart. De gauche est co-commissaire de l’événement. Le à droite: deux toiles de Manuel Mathieu, second est un peintre d’origine haï- jouxtées par un ensemble de quatre tatienne. Installé à Paris depuis les an- bleaux, comprenant Stivenson Ma- EXPOSITION Le Grand Palais retrace A gauche et à droite: Dubréus Lhérisson, Sans titre. PHOTOS JOSUÉ LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 gloire, Louisiane Saint Fleurant et Prospère Pierre-Louis. Soit une trajectoire à rebours allant de 2012 à 1974. A la première extrémité du spectre, des compositions qui hésitent entre abstraction et figuration, silhouettes brouillées, barbouillées, griffonnées comme Basquiat, torturées comme Bacon. A l’autre extrémité, les couleurs sont plus vives, les figures plus nettement dessinées. Stivenson Magloire donne dans le folklo vaudou. Louisiane Saint Fleurant et Prospère Pierre-Louis lorgnent du côté de Saint-Soleil, une école de peinture née à la campagne, sous le pinceau de peintres autodidactes. Cette tension palpable entre les deux extrémités de l’arc traduit la volonté de Régine Cuzin de «casser l’image romantique» associée à la peinture haïtienne. Un effort salué par Hervé Télémaque. Le septuagénaire dénonce amèrement la trop forte focalisation de la critique étrangère sur l’art «naïf» en Haïti. «On a voulu figer l’art haïtien dans une seule proposition. La farce de ces braves négros, qui peignent tout joliment, avec des couleurs éclatantes. Des Haïtiens tous heureux, tous peintres», rouspète-t-il en égratignant une formule d’André Malraux, qui s’écriait en découvrant les toiles de Saint-Soleil en 1975: «Premier peuple de peintres !» En vantant les peintures ultracolorées et –osons le mot– enfantines des peintres paysans, l’ancien ministre de la Haïti, un CULTURE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 art loin d’être naïf Culture français s’inscrivait dans la droite ligne de Jean-Paul Sartre, André Breton et Truman Capote, lesquels participèrent tous, à la fin des années 40, à bâtir la réputation des naïfs haïtiens. Ces artistes, issus du centre d’art fondé à Port-au-Prince par l’Américain Dewitt Peters après la Seconde Guerre mondiale, furent les premiers hérauts d’une peinture véritablement populaire. Une révolution réelle pour l’époque, mais érigée bientôt comme modèle unique du style supposément «haïtien». Sous l’influence des marchands internationaux, en demande du genre, l’art naïf phagocyte l’image de la peinture haïtienne. Au détriment de ceux qui ne rentrent pas dans les cases. «Ce sont eux les premiers modernes haïtiens», clame Hervé Télémaque en se dirigeant vers les toiles de Roland Dorcély, Lucien Price et Max Pinchinat. Dès 1948, Price porte la grammaire cubiste vers de nouveaux sommets, biffant des entrelacs de hachures au fusain rehaussées de touches rouges, jaunes, vertes. Max Pinchinat raffine son art de la composition en mélangeant estampe japonaise et dripping à la Pollock au milieu des années 60. «C’était mon mentor, précise Télémaque. Grâce à lui, j’ai appris l’importance du dessin.» Dans notre dos, l’immense Legba (5m de haut) d’André Eugène ouvre la voie vers le pôle «Esprits». Sa présence prouve que le Grand Palais n’a pas lésiné sur les moyens pour acheminer les œuvres. Elle revêt en outre un caractère spécial pour Régine Cuzin, qui raconte: «Cette sculpture a été détruite pendant le séisme. Mais les habitants du quartier y étaient tellement attachés qu’ils ont aidé à la reconstruire.» Sorte de totem de solidarité. «PRÉJUGÉS». Les crânes et les statues constellés de paillettes de Dubréus Lhérisson créent une ambiance mi-joyeuse mi-glauque au centre de la salle. Le souvenir de For the Love of God, crâne en diamants de Damien Hirst, provoque le même sentiment que la comparaison entre Guyodo et Gupta. Quelque chose comme la conscience accrue de ce qu’est l’indécence. Derrière, Eustache ou l’Eloge de la complexité apparaît en ombres chinoises. L’installation de Pas- cale Monnin ne parle pas du vaudou, mais de «toutes les religions, et de la foi en général», revendique l’artiste. Elle espère que l’exposition permettra de «casser les préjugés qui se sont abattus sur Haïti encore plus fort après le séisme». Et confesse : «Je regrette le titre de l’exposition. Est-ce qu’on appellerait une exposition “France”? En Occident, Haïti résonne avec “vaudou” et “catastrophe”. Mais Haïti est riche ! Elle est complexe et multiple. Comme le visage de mon installation [composé de morceaux de miroirs, ndlr], elle reflète plusieurs vérités, toutes aussi belles les unes que les autres.» Côté «Chefs», cinq tableaux de Mario Benjamin s’échelonnent jusqu’au plafond. Coups de brosses erratiques. Le bleu et le jaune s’entrechoquent en traînées vertes. Le couteau creuse dans la peinture des brouillons de visage. L’aérosol noir fait planer une menace. Sans que l’on puisse se l’expliquer, quelque chose chez Mario Benjamin nous évoque Cy Twombly. L’artiste se dit surtout nourri d’expressionnisme allemand. Comme Monnin, il veut changer le regard sur l’art haïtien: «Nous ne sommes pas une enclave minuscule, où il ne se passe que des négreries. Comme n’importe quels artistes, nous sommes ouverts sur l’international. C’est pourquoi j’ai exorcisé le vaudou de mon art, et que j’encourage les jeunes artistes à regarder tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui.» La diaspora haïtienne fait aussi partie de l’exposition. A l’image de Sasha Huber et Jean-Ulrick Désert. La première vit en Finlande, le second en Allemagne. Leurs œuvres témoignent d’un engagement fort pour le pays natal. Shooting Back, de Sasha Huber, crucifie la dictature Duvalier par voie d’agrafes. Constellation de la déesse, de Jean-Ulrick Désert, rend hommage aux victimes du séisme de 2010. Arrivé au bout de l’exposition, Hervé Télémaque commente: «C’est bien. Mais il faudrait au moins le double de l’espace!» Et pour tout raconter, encore le double de pages. • HAÏTI. DEUX SIÈCLES DE CRÉATION ARTISTIQUE, Grand Palais, 75008. Du 19 novembre au 15 février. Rens.: www.grandpalais.fr • 25 Mario Benjamin, Sans titre. COLLECTION REYNALD LALLY 26 • CULTURE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 ROCK Un coffret de luxe avec inédits fête les cinquante ans du groupe londonien. Retour dans les bacs en Kinks size es cinquante ans des Kinks et de leur premier hit mondial You Really Got Me se devaient d’être fêtés en conséquence. Et pas sans mettre une certaine pression à Ray Davies, le leader du groupe londonien, à qui la question de reformer The Kinks revient depuis quelques mois comme un boomerang à chacune de ses entrevues. «C’est un peu contre-productif de me demander sans cesse quand le groupe va rejouer ensemble et quand sortira le prochain album», affirme-t-il, lors d’une interview téléphonique. Mais même à 70 ans, le dandy de Muswell Hill, dans la banlieue de Londres, continue à jouer le jeu et communiquer sur cette sortie très fournie des nombreux singles du groupe des années soixante. L’essentiel de leur œuvre vient d’être réuni dans un coffret de luxe, soit une centaine de chansons réparties sur 5 CD, collection qui comprend les enregistrements depuis 1964 jusqu’en 1971, une vingtaine d’inédits, des enregistrements mono et un 45-tours. Pote d’école. Et pour marquer ce demi-siècle d’histoire, un mois avant la sortie mi-novembre du coffret, la maison de disques avait L aussi proposé une réédition de Lola versus Powerman and the Moneygoround, accompagnée de la bande originale du film Percy. Le tout post-70 pour compléter l’affaire. Bonus tracks compris, on y retrouve quatre versions de Lola et autant de outtakes de Apeman. Presque de quoi tourner en bourrique… The Kinks se sont construits en 1961, à l’initiative des deux frangins Ray Davies et Dave Davies, ainsi qu’un pote d’école, Peter projeter les Kinks dans les charts britanniques mais aussi américains. You Really Got Me et All Day and All of The Night sortent des fourneaux. Les Kinks avaient réussi à se différencier de leur contemporains comme les Beatles ou les Rolling Stones, simplement parce qu’ils décrivaient le quotidien de l’Angleterre de ces années-là. Exclusivement un groupe de singles, les Kinks doivent cependant trouver un créneau différent et «faire un pas à l’extérieur vers la réalité du monde». «Il Les Kinks avaient réussi à se fallait un vrai style», différencier des Beatles ou des précise Ray Davies. Rolling Stones, simplement parce «Nous étions un qu’ils décrivaient le quotidien de groupe en partie traditionnel, très conflicl’Angleterre de ces années-là. tuel, bien plus que les Quaife. Le Ray Davies Quartet se autres groupes du moment. On décriproduit dans les bals au son des vait plus le monde dans lequel on viShadows ou de Bo Diddley. Rod vait», continue Ray Davies. Stewart, également élève de Plus révolutionnaire. Son frère l’école, s’essaie au chant mais Dave, premier guitariste du groupe, quitte assez vite le groupe qui de- cherche un son identitaire. Ce fut vient au fil des mois The Ramrods, fait à coups de cutter dans le hautThe Boll-Weevils puis The Ravens. parleur de l’ampli de Dave. Mais Ce n’est qu’en 1964 que Ray Davies leur côté plus révolutionnaire et lui donnera son nom définitif avec banlieusard que les autres bands du l’arrivée de Mick Avory. moment en font un groupe inconRapidement les premiers hits vont trôlable. Surtout leur comporte- ment style British Pub leur joue des tours sur scène, où les concerts sont bâclés et les engueulades monnaie courante. Le syndicat des musiciens américains intervient et les Kinks entrent en conflit direct avec les promoteurs de la pop américaine. «Nous avons été bannis pendant quatre ans, explique Ray. Cela a créé un gros trou dans notre carrière. On pouvait jouer en Europe, mais pas aux Etats-Unis comme tous les autres. J’ai d’ailleurs écrit un bouquin qui va sortir et qui s’appelle Americana. J’y raconte tout ça, notre retour aux US, etc…» Les Kinks c’est aussi une histoire de famille qui se déchire. Le frangin Dave a toujours été difficile à gérer, aussi bien pour Ray que pour Mick Avory, le batteur. Ray raconte même que Mick, qui a quitté le groupe en 1984, avait essayé de tuer son frère sur scène à Cardiff. Dave était resté inconscient à terre et avait reçu 16 points de suture. Cinquante ans après, la cicatrice semble encore visible. «Avec mon frère, on communique par téléphone ou par mail, mais on ne se voit pas beaucoup. Il est au US et il compose ses propres chansons, dit-il. Cette année, on nous a suggéré de reformer le groupe, mais avant il faut qu’on écrive autre chose ensemble. Je n’ai aucune envie de jouer les mêmes choses et faire des concerts avec ces chansons du passé.» Ray avait ajouté dans une interview accordée au magazine Uncut que pour ça, il fallait aussi que Mick et Dave règlent leurs comptes une fois pour toutes. «Nouveaux trucs». En attendant, Ray Davies semble loin de vouloir s’enfermer dans une retraite. «Certaines personnes atteignent un certain âge et arrêtent tout, dit-il. Et ils s’effondrent. Il faut trouver un but à ce qu’on fait maintenant. Parallèlement à mon livre, je prépare un nouvel album qui porte le même nom. Je ne veux pas faire le même disque toute ma carrière. J’ai besoin d’avoir de nouvelles chansons et d’essayer de nouveau trucs. Je n’ai pas beaucoup fait de concerts car j’écrivais mon bouquin. Mais ça va être plus simple maintenant.» En octobre, Ray qui vit aujourd’hui à Highgate s’est rendu à Muswell Hill, pour revoir la banlieue de son enfance. Peut-être pour y retrouver une inspiration. «Et je me suis pris une prune !», at-il lancé en éclatant de rire… DINO DIMEO Les Kinks, en 1966. Leur comportement style British Pub leur joue des tours sur scène: les concerts sont bâclés et les engueulades monnaie courante. PHOTO SONY LEGACY CULTURE LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 L’HISTOIRE EN CHINE, DES ARTISTES À LA CAMPAGNE La Chine va organiser l’envoi des artistes, cinéastes et gens de télévision à la campagne pour y «acquérir un point de vue correct sur l’art» au contact des masses rurales, a annoncé l’agence officielle Chine Nouvelle. Comme sous Mao! Mi-octobre, le président Xi Jinping avait dénoncé la «vulgarité» de certaines productions artistiques, invitant les créateurs à promouvoir les «valeurs socialistes», le patriotisme et à «servir le peuple». En «vivant parmi les masses», les «travailleurs de l’art et de la littérature» seront «stimulés dans l’acquisition d’un point de vue correct sur l’art et créeront plus de chefs-d’œuvre», selon les autorités. Libération est habilité aux annonces légales et judiciaires pour le département 75 en vertu de l’arrêté du 20 décembre 2013 1127304 GDLC ARCHITECTES SARL au capital de 5000 € Siège social : 60 Boulevard St-Marcel – 75005 PARIS RCS 494 178 916 PARIS Par décision en date du 01/11/2014, le Gérant a décidé de transférer le siège social au 88 bis rue Haxo à compter du 01/12/2014. Les statuts ont été modifiés en conséquence. Mention en sera faite au RCS de PARIS. 1127326 Ô BOB SARL au capital de 2 000 € Siège social : 7 rue Cavallotti 75018 PARIS RCS 513 526 616 PARIS Aux termes d’une AGE en date du 26/11/2014, les associés ont décidé de transférer le siège social au 1 rue Maurice Sibille - 44000 NANTES à compter du 27/11/2014. Les statuts ont été modifiés en conséquence. La société sera désormais immatriculée au RCS de NANTES. 1127313 POSSUM INTERACTIVE SCOP-arl à capital variable Siège social : 88b, rue de Buzenval 75020 Paris 531 258 887 RCS Paris L’assemblée générale du 29/08/2014 a nommé en qualité de co-gérant : Mme Mathilde BOUDES, demeurant 6 rue de Viroflay 75015 Paris en remplacement de M. Yoann DONDICOL. Modification au RCS de Paris. 1127114 Suivant acte sous seing privé en date du 1 décembre 2014, à PARIS, il a été constitué une société présentant les caractéristiques suivantes : Dénomination : WATERPEACH. Forme : société par actions simplifiée unipersonnelle. Siège social : 26 RUE DAMREMONT,75018 PARIS. Objet : Conception graphique de visuels sur tissus à destination des particuliers et professionnels en petites et moyennes séries. Durée de la société : 99 années à compter de son immatriculation au RCS.7 000 euros divisé en 700 actions de 10 euros chacune, répartiesentre les actionnaires proportionnellement à leurs apports respectifs. Cession d’actions et agrément : Pas de clause d’agrément. Admission aux assemblées générales et exercice du droit de vote : dans les conditions statutaires et légales. Ont été nommés : Président : Monsieur PECHDO Patrick, 19 allée des SYCOMORES, 92700 COLOMBES. La société sera immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS. Pour avis . • 27 2 millions Mark Strand, un poète DISPARITION L’Américain, dont l’œuvre est façonnée par la mort, est décédé samedi à 80 ans. vers l’au-delà L e New Yorker a publié un poème de lui intitulé 2002, qui date de 2006, et qui débute ainsi : «Je ne pense pas à la mort, mais la mort pense à moi.» Il n’est pas difficile de trouver dans l’œuvre du poète américain Mark Strand, mort samedi à 80 ans, des vers qui semblent annoncer sa disparition, ou, plus exactement, sa condition austère et flegmatique de mort-vivant, saturé par des émotions qu’un perpétuel passage entre une rive et l’autre oblige, tel un clandestin, à dépouiller. La mort discrète est partout; elle rend la vie sobre, concentrée; non sans humour, et même avec courtoisie, elle fait voyager et maigrir le destin. De son premier recueil (non traduit, hélas, comme les autres), Dormant d’un œil ouvert, voici le début d’Accident: «Un train me passe dessus./ Je suis désolé/ Pour le machiniste/ qui s’accroupit/ et me murmure à l’oreille : qu’il est innocent.» Le machiniste raconte sa vie au moribond, rentre chez lui. Finalement, il «sort en courant de la maison,/ porte les restes/ de mon corps dans ses bras/ et me ramène./ Je suis au lit.» Enfin : «J’écoute le vent/ secouer la maison./ Je ne peux dormir./ Je ne peux veiller./ Les volets battent./ La fin de ma vie commence.» Le livre date de 1964. Mark Strand avait 30 ans. Il est né de parents juifs américains au Canada, dans la province de l’Ile-du-Prince-Edouard, à 600 km du Québec. On y produit des pommes de terre. Enfant, il parle mieux français qu’anglais. Assez vite, la famille déménage dans le nord des Etats-Unis. Sa mère est institutrice et archéologue. Son père travaille pour Pepsi, un emploi qui les déplace. Mark Strand, qui a vécu la fin de sa vie à Madrid, a passé ses enfance et adolescence en Amérique latine et à Cuba. Plus tard, il traduit des poèmes de l’Espagnol Rafael Alberti, du Brésilien Carlos Drummond de Andrade, de Dante. Après un séjour au célèbre atelier d’écriture de l’Université d’Iowa, sa carrière est celle d’un professeur itinérant dans les plus grandes universités américaines. Ses poèmes s’allon- C’est, en euros, le résultat de la vente aux enchères chez Artcurial d’une trentaine de livres illustrés issus de la bibliothèque Liuba et Ernesto Wolf, allant de manuscrits anciens enluminés à des livres modernes. Une Bible manuscrite sur parchemin (Biblia Sacra Latina, Paris, 1260-1270, 2 volumes in-folio) a rejoint une collection américaine pour 181600 euros. Un collectionneur d’Amérique du Sud a emporté pour 165100 euros les Métamorphoses d’Ovide illustrées par Picasso (1931), ouvrage enrichi d’un dessin à l’encre dédicacé. «Je trouve scandaleux qu’un grand nombre de politiques et d’hommes des médias aient soutenu Aristophil, malgré toutes les alertes de plusieurs journaux, de l’AMF [Autorité des marchés financiers, ndlr], d’associations comme nous.» Jean-Pierre Rondeau président de la Compagnie de conseil en gestion de patrimoine, sur France Info, après les révélations sur l’enquête ouverte pour escroquerie visant la société de négoce de lettres et manuscrits Van Damme kickboxe encore Le tournage du remake de Kickboxer (1989) va commencer, avec à nouveau Jean-Claude Van Damme, star belge complètement perchée, qui jouait l’élève aux muscles bandés dans l’original, et cette fois fera le vénérable maître kung-fu. Révolution de palais au Palazzo Strozzi Arturo Galansino, historien de la Renaissance, a été choisi pour diriger le Palazzo Strozzi à Florence, remplaçant en mars le Canadien James Bradburne dans un contexte tendu pour les musées de la ville (Libération du 23 novembre). A New York en 2000. PHOTO CHRIS FELVER. GETTY IMAGES gent avec ses souvenirs, qu’il évoque peu. A la fin des années 70, après l’Heure tardive, il cesse d’en écrire pendant une dizaine d’années: il n’en voit plus le sens. Il publie alors des histoires pour enfants. Souvent, il est décoré. En 1999, il obtient le Pulitzer. On l’associe à Elizabeth Bishop, qu’il connaissait, et à Wallace Stevens, dont il reçut le prix. Il y a en effet, chez lui comme chez eux, la métaphysique et sur des textes en prose, publiés en 2012 sous le titre : Presque invisible. L’arrivée mystérieuse d’une lettre inhabituelle ressemble à un croisement réussi, intense, entre des tableaux de Magritte et de Hopper, peintres qu’il a aimés et sur lesquels il a écrit : «La journée de travail avait été longue et long le retour au petit appartement où je vis. En arrivant, j’ai allumé la lumière et j’ai vu sur la table une enveloppe à mon nom. Où était le réveil ? Où était le calendrier? Il y a chez Mark Strand la était de métaphysique et l’Amérique L’écriture la main de mon au plus haut point, au plus père, mais il était biblique, au plus nu. mort depuis quarante ans. Comme l’Amérique au plus haut n’importe qui, j’ai d’abord point, au plus biblique, au pensé que peut-être, juste plus nu. Strand est un pro- peut-être, il était vivant, viphète laconique de l’espace, vant une vie secrète dans les du silence et de la fin : «J’ai environs. Comment, sinon, exété un explorateur polaire dans pliquer l’enveloppe ? Pour ne ma jeunesse/ et j’ai passé des pas flotter, je me suis assis, je jours et des nuits sans nombre l’ai ouverte et j’ai sorti la letà geler/ d’un lieu désert à tre. Elle commençait par l’autre.» “Cher fils”. “Cher fils”, et puis En septembre, comme une rien.» La poésie est un rêve stèle, un élégant recueil de déposé; c’est aussi, ici, l’enses poésies complètes a paru fance de l’art du récit. aux Etats-Unis. Il s’achève PHILIPPE LANÇON LES GENS L’ARTISTE DUNCAN CAMPBELL REÇOIT LE PRIX TURNER L’Irlandais Duncan Campbell est le lauréat 2014 du prix Turner, qui récompense chaque année un artiste de moins de 50 ans né ou vivant au Royaume-Uni. Doté de 25000 livres (31000 euros), il lui a été décerné, lundi, lors d’une cérémonie organisée à la Tate Britain de Londres. L’artiste partait grand favori pour son œuvre, It for Others, face à Ciara Phillips, James Richards et Tris Vonna-Michell. Duncan Campbell, né en 1972 à Dublin et basé à Glasgow, se voit couronné pour un film de cinquantequatre minutes, bâti comme un écho au court métrage Les statues meurent aussi de Chris Marker et Alain Resnais (film de 1953 «anticolonialiste» et interdit par la censure française pendant huit ans…), lesquels se demandaient: «Pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au musée de l’Homme alors que l’art grec ou égyptien se trouve au Louvre?» Le jury a considéré que l’œuvre de Campbell, «complexe et ambitieuse», évoquait «la construction de valeurs et de sens avec un langage qui est à la fois fascinant et d’actualité». Pour la première fois, l’an dernier, le prix avait été attribué à une Française, Laure Prouvost, pour son installation Wantee. D.Po. PHOTO REUTERS 28 • ECRANS&MEDIAS LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Par RAPHAËL GARRIGOS et ISABELLE ROBERTS a surprise des premières secondes de la nouvelle livraison de Fais pas ci, fais pas ça est à la mesure de celle de Pamela voyant Bobby, pourtant dûment décédé dans la saison précédente de Dallas, sortir de la douche frais comme un gardon texan (1): les Bouley divorcent. Uppercut au cœur. Ah non, pas les Bouley, pas Valérie et Denis. Pensez, ça fait sept ans qu’on les fréquente, en 2007 Elliott avait 8 ans, regardez la grande saucisse qu’il est devenu, et Tiphaine, ah lala, dans la première saison, elle voulait prendre la pilule, et là elle a accouché, ça file, ça file… C’est ça, une bonne série, tout simplement ça : le plaisir de retrouver des personnages dans lesquels on se glisse comme dans de vieux chaussons. Les Bouley bobos, les Lepic cathos, les parents impossibles, les enfants raisonnables. Sauf que, à force, pour confortables qu’ils étaient, on commençait à en avoir ras le bonbon de ces chaussons. Et la sixième saison de la série, diffusée en 2013, augurait bien mal de la septième, qui démarre ce soir sur France 2 : des dialogues souvent poussifs, des situations attendues et des acteurs compensant les faiblesses du scénario par un jeu frisant l’hystérie. Surtout, et c’était assez désagréable, chez les femmes, cette hystérie : Valérie Bouley (Isabelle Gélinas) et Fabienne Lepic (Valérie Bonneton) se retrouvant cantonnées à des partitions de mégères, à la limite de la misogynie. Et pourtant les revoilà, les Bouley et Lepic, ni tout à fait les mêmes ni tout à fait des autres, mais revigorés, approfondis, plus tranchants, sans gag automatique à tout bout de dialogues et s’autorisant aussi, c’est nouveau, un peu de mélo. pourquoi de la méduse). «L’idée, pour Cathy Verney, c’était de poser un regard neuf sur les personnages, d’essayer de les amener ailleurs.» Ailleurs, comme un club de vacances naturiste en Guadeloupe, ce qui, du point de vue du comique, pouvait laisser craindre le pire, mais aboutit en fait sur un ailleurs des personnages avec une Valérie Bouley et un Renaud Lepic totalement à rebours de leurs rôles habituels. «J’avais très envie de fouiller dans leur passé», poursuit Cathy Verney et voilà donc Renaud flanqué d’un envahissant vieux pote de Sup de Co, voilà donc la d’ordinaire très dessalée Valérie complètement traumatisée par la nudité. L «FLAMBY». Ce qui s’est passé ? Le producteur Guillaume Renouil (pour Elephant et cie, la société d’Emmanuel Chain et Thierry Bizot, qui tient le rythme d’une saison livrée chaque année) a renouvelé l’équipe pour faire appel aux réalisateurs et scénaristes Michel Leclerc (Le nom des gens, et qui tourne actuellement La vie très privée de Mr Sim, d’après Jonathan Coe, avec Jean-Pierre Bacri) et Cathy Verney (la série Hard, sur Canal+). «Il est venu nous chercher pour qu’on ose un peu plus», explique à Libération Michel Leclerc. D’où, un ancrage dans l’actualité, déjà amorcé dans les saisons précédentes, mais plus aigu encore pour celle-ci : du mariage pour tous, du «Flamby» en veux-tu en voilà chez les Lepic (nettement étiquetés sarkozystes, la fille Soline se lamentant ainsi de son petit ami : «j’ai l’impression de sortir avec Alain Juppé») et l’affirmation des Bouley à gauche toute, avec un Denis se proclamant «méduse mélenchoniste» (on vous laisse découvrir le Les Lepic. «J’ai l’impression de sortir avec Juppé», dit la fille, parlant de son petit ami. PHOTO GILLES SCARELLA. FTV BOULEY-LEPIC La série de France 2 revient, plus incisive et moins attendue, pour sa septième saison. «Fais pas ci, fais pas ça» fait pas sot Drame chez les Bouley: Denis se prend pour une «méduse mélenchoniste». PHOTO NATHALIE GUYON. FTV DOLTO. «Il fallait aussi remettre au centre du jeu la confrontation des familles», reprend Michel Leclerc. Car à force de saisons, Lepic et Bouley sont devenus quasi amis. La naissance de Kim, le fils de Christophe (Lepic) et de Tiphaine (Bouley), sera donc l’occasion pour les familles de s’étriper joyeusement entre anti et pro-Dolto, entre grenouilles de bénitier et bouffeurs de curés. Plus inattendu: les producteurs demandent aux deux nouveaux auteurs de «bousculer» les personnages, rapporte Cathy Verney. Qu’à cela ne tienne : «Les scénarios des saisons précédentes étaient souvent construits sur des faux-semblants, les Lepic pensant par exemple que leur fille se prostitue alors que non: là, j’ai eu envie qu’il leur arrive vraiment les choses, pour les mettre mal», raconte Michel Leclerc. Ainsi une des arches longues qui va structurer toute cette saison en six épisodes (deux de moins que d’ordinaire) est bâtie d’entrée: les Bouley divorcent. Mais pas tout de suite: cinq des six épisodes se passeront à raconter comment on en est arrivé là, quatre mois avant que Valérie et Denis se retrouvent devant la juge. Qu’on se rassure, il ne s’agit pas de rejouer Bouley contre Bouley, le principal ressort de Fais pas ci, fais pas ça reste le comique. Toutefois, précise Michel Leclerc, «on a voulu éviter le gag pour le gag» (même si celui d’Isabelle Nanty, alias Christiane Potin, l’ex baby-sitter entrée dans les ordres, avec une langue de chat –le biscuit– est assez irrésistible). Le rythme de la série, du coup, s’en trouve modifié, tirant moins vers l’usine à vannes et plus vers la comédie, toute en rupture : «J’adore quand on est en train de se marrer et qu’on bascule dans autre chose», souligne Cathy Verney. Voilà, vous avez compris l’esprit de la nouvelle saison. Maintenant, comme le hurle Fabienne Lepic à chaque épisode : «A TAAABLE !» • (1) En fait, Pamela avait rêvé toute la saison où Bobby est mort, cette pouffe. FAIS PAS CI, FAIS PAS ÇA, série d’ANNE GIAFFERI et THIERRY BIZOT, saison 7, épisodes 1 (écrit et réalisé par MICHEL LECLERC) et 2 (écrit et réalisé par CATHY VERNEY), France 2, mercredi,20h45. ECRANS&MEDIAS LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Dailymotion: Orange discute avec le japonais Softbank Orange a discuté, fin novembre, avec Softbank, le géant japonais des télécoms, d’un achat ou d’une prise de participation dans Dailymotion, selon Challenges.fr. Orange, qui cherche un partenaire pour Dailymotion, a eu également des discussions avec Microsoft. Au printemps 2013, Yahoo s’était intéressé à Dailymotion et souhaitait racheter 75% de son capital, mais Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, s’était opposé à la vente. «Jazz Magazine» trompette ses 60 ans C’est avec une interview de son ex-proprio, Daniel Filipacchi, que le mensuel Jazz Magazine fête ses 60 ans. Et ce, avant de se payer un lifting début 2015 avec une nouvelle maquette et de nouvelles rubriques. Une application pour tablettes doit aussi être lancée ce mois-ci et un nouveau site web courant 2015. Jazz Magazine a été lancé en décembre 1954 avant d’être racheté en 1956 par Daniel Filipacchi, alors photographe de presse et animateur sur Europe 1 de l’émission Ceux qui aiment le jazz, et Frank Ténot, jeune journaliste. Ils en resteront copropriétaires jusqu’en 2007. VU SUR LE WWW EN DEDANS DU VOLCAN Lava Rush, c’est une belle et triste histoire à la Budori Gusko, ce petit garçon de conte japonais qui, traumatisé par les catastrophes naturelles, se sacrifie pour faire exploser un monstrueux volcan et adoucir le climat. Ici aussi, l’héroïne est vulcanologue. Ici aussi, elle a un certain penchant suicidaire. Dans l’espoir de faire retomber la pression du magma, elle se jette dans la gueule du loup avec ses petites bombes artisanales et perce des trous dans les parois. Ce n’est jamais suffisant: il faut descendre plus bas, plus vite, viser plus juste, plus rapidement et sans faire d’erreur –au moindre contact avec la lave, couic. Belle ambiance visuelle et sonore pour ce jeu sans fin français où on affiche un score de 7702 mètres de profondeur. Mais on y replonge de suite. Adieu… C.Gé. http://www.onirium-games.com/lavarush/ APPEL D’OFFRES - AVIS D’ENQUETE 01.49.04.01.85 - [email protected] REPUBLIQUE FRANCAISE PREFECTURE DE LA REGION D’ILE-DE-FRANCE PREFECTURE DE PARIS PREFECTURE DES HAUTS-DE-SEINE PREFECTURE DE LA SEINE-SAINT-DENIS Avis d'autorisation, au titre de la loi sur l’eau, au proit de la RATP dans le cadre du prolongement nord de la ligne 14 En application de l'article L214-3 du code de l'environnement, la RATP a été autorisée, par arrêté inter-préfectoral n° 2014289 - 0030 du 16 octobre 2014, à prolonger la ligne 14 du métropolitain sur les communes de Paris 8ème, 9ème, 17ème arrondissements, Clichy-la-Garenne (92), Saint-Denis et Saint-Ouen (93). Il est rappelé qu’une enquête publique préalable relative à cette opération a eu lieu du 14 avril 2014 au 19 mai 2014 inclus. Dans le département de Paris, le dossier de l’opération est consultable à la mairie du 17ème arrondissement et à la préfecture de la région d'Ile-de-France – DRIEA – UT 75 - 5 rue Leblanc 75911 Paris cedex 15, pendant deux mois à compter de la publication de l’arrêté d’autorisation. Une copie de l’arrêté d’autorisation est afichée pendant un mois au moins dans les mairies concernées. Il est également publié au recueil des actes administratifs de l'Etat à Paris, n° 176 du 31 octobre 2014, et mis à la disposition du public sur le site internet de la préfecture de la région d'Ile-de-France, préfecture de Paris, à l'adresse suivante : http://www.ile-de-france.gouv.fr/index.php/prefecture/Publications/Avisde-publication EP 14-220 LES GENS ROBERT NAMIAS REFAIT LA UNE (DE «NICEMATIN») Moins d’un mois après son installation à la tête de Nice-Matin par les salariés désormais propriétaires du quotidien, Robert Namias a dévoilé mardi la nouvelle une du journal. «L’idée, a-t-il expliqué à l’AFP, est d’avoir un titre de une plus fort, illustré par la photo centrale.» Une colonne déroule les titres des pages intérieures, pour les 14 éditions locales, tandis que le billet de Philippe Bouvard, toujours annoncé en première page, est relégué à l’intérieur du journal. «Nous réintroduirons plus d’enquêtes locales et régionales, des vraies enquêtes de terrain valorisant les initiatives», précise le nouveau patron et ancien directeur de l’information de TF1 pendant des lustres. Namias prévoit également «un éditorial d’une colonne avec les plus grandes signatures de la presse nationale», par exemple Michèle Cotta, Claude Weil ou Bruno Jeudy. Le 7 novembre, le tribunal de commerce de Nice a choisi, pour la reprise du groupe de presse en difficulté, la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui a coiffé au poteau le géant des médias belge Rossel. «Avec cette forme de coopérative, explique Robert Namias, mes employés sont mes actionnaires, un atout considérable.» PHOTO AFP 380 millions de dollars de valorisation pour l’américain Vox Media. Soit, à la faveur de l’arrivée d’un nouvel actionnaire, 306 millions d’euros pour un groupe fondé il y a quatre ans. Vox Media compte plusieurs sites d’info dont Vox (actualité), SB Nation (sport), The Verge (nouvelles technologies), Polygon (jeu vidéo)… Vox Media revendique 150 millions de visiteurs chaque mois. • 29 A LA TELE CE SOIR TF1 FRANCE 2 FRANCE 3 CANAL + 20h55. Esprits criminels. Série américaine : Tous coupables, 24 heures pour JJ, Mauvaises herbes. Avec Shemar Moore, Thomas Gibson. 23h25. Arrow. Travail inachevé, Un retour inattendu. Série. 1h05. Breakout Kings. 2 épisodes. Série. 20h50. Fais pas ci, fais pas ça. Série française : Un an déjà !, Naturisme et découverte. Avec Isabelle Gelinas, Bruno Salomone. 22h40. Un soir à la tour Eiffel. Magazine présenté par Alessandra Sublet. 0h20. Plein 2 ciné. 0h30. Grand public. Magazine. 20h45. Des racines & des ailes. Le gout du Limousin. Magazine présenté par Carole Gaessler. 22h45. Grand Soir 3. 23h40. Appassionata. Colomba. Spectacle. 1h40. Colomba, naissance d’un opéra. Documentaire. 2h30. Midi en France. Magazine. 3h30. Plus belle la vie. 20h55. Privées d’école. Documentaire de Jeannette Bougrab. 22h20. Doc sport Documentaire. 22h55. Jour de foot. Magazine présenté par Karim Bennani. 23h50. L’amour est un crime parfait. Film. 1h35. Engrenages. 2 épisodes. Série. 3h25. La négociatrice. ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5 20h50. Le grand soir. Comédie française de Gustave Kervern et Benoît Delépine, 92mn, 2012. Avec Benoît Poelvoorde, Albert Dupontel. 22h25. Tolkien, des mots, des mondes. Documentaire. 23h20. Hiver nomade. Documentaire. 0h45. Donoma. Film. 20h50. Cauchemar en cuisine. Peynier. Magazine présenté par Philippe Etchebest. 22h40. Cauchemar en cuisine. Montesquieu, Chilly-Mazarin. Magazine. 2h05. Damages. Toute la vérité. Série. 3h10. Météo. 3h15. M6 Music. 20h45. La cité de la peur. Comédie française d’Alain Berbérian, 99mn, 1993. Avec Alain Chabat, Dominique Farrugia. 22h25. Close Case : Affaires classées. Série américaine : 2 épisodes. Avec John Hannah. 23h55. Anarchy. 0h20. Le point quotidien. 20h40. La maison France 5. Magazine présenté par Stéphane Thebaut. 21h40. Silence, ça pousse ! Magazine. 22h35. C dans l’air. Magazine présenté par Yves Calvi. 23h45. Entrée libre. Magazine. 0h05. Le meilleur poulet du monde. Documentaire. LES CHOIX Deux violences Deux cuisines Deux salles, deux ambiances: Investigatiôns dans une Afrique du Sud violente et la Cité de la peur dans un violent rire. en aide à Patrick et Cathy qui avaient pourtant eu l’idée géniale d’un restau savoyard en Provence. France Ô, France 4, 20h45 M6, 20h50 Cauchemar en cuisine vient Deux mondes Arte, 22h25 Des nains pervers et des dragons chelous (on résume, hein), voici le doc ad hoc: J.R.R. Tolkien, des mots, des mondes. PARIS 1ERE TMC W9 GULLI 20h40. The killing. Série américaine : Un homme de Dieu, Vie brisée, Bullet, Six minutes, De là-haut, La route d’Hamelin. Avec Joel Kinnaman. 1h30. Ça balance à Paris. Magazine présenté par Éric Naulleau. 2h25. Programmes de nuit. 20h50. Foresti Party Bercy. Spectacle, 120mn. 22h45. Les 100 plus grands. Couacs et incidents du direct. Divertissement présenté par Jean-Pierre Foucault. 0h50. Fan des années 2000. Années 2000 et 2005. Divertissement. 20h50. Enquêtes criminelles : Le magazine des faits divers. Magazine présenté par Sidonie Bonnec et Paul Lefèvre. 22h50. Enquêtes criminelles : Le magazine des faits divers. 2 reportages. Magazine. 3h00. Programmes de nuit. 20h45. Rintintin. Série américaine : Coureurs de récompense, Adieu Fort Apache, L’Écossais perdu, Seul sur la route interminable, L’appel du clairon, Mr Shakespeare. Avec Lee Aaker. 23h25. G ciné. Magazine. 23h30. Les Parent. Série. NRJ12 D8 NT1 D17 20h50. Primeval : un nouveau monde. Série canadobritannique : 2 épisodes. Avec Niall Matter, Sarah Canning. 22h30. Primeval : un nouveau monde. 2 épisodes. Série. 0h15. Redbull BC one 2014 : la finale. mondiale. 20h50. En quête d’actualité. Père Noël : roi des cadeaux ou roi des profits ? Documentaire présenté par Guy Lagache. 22h40. En quête d’actualité. Documentaire. 0h20. Programmes de nuit. 20h50. 24 heures aux urgences. La loi des séries. Documentaire. 22h05. 24 heures aux urgences. Une journée particulière. Documentaire. 23h15. 24 heures aux urgences. Documentaire. 0h35. Obèses : perte de poids extrême. 20h50. True justice. Téléfilm américain : Compte à rebours fatal. Avec Steven Seagal, Sarah Lind. 22h25. True justice. Téléfilm américain : Braquage mortel. Avec Steven Seagal. 0h00. Programmes de nuit. 30 • GRAND ANGLE A la tête du concours national de miss depuis quarante ans, le show-man a imposé ses critères esthétiques à tout le pays. Dans une société largement métissée, il «blanchit» sans scrupule peau, cheveux et traits des candidates. Venezuela Osmel Sousa fait la pluie et la beauté Par SIMON PELLET-RECHT Correspondant à Caracas année, le Venezuela remporte les couronnes de Miss Monde et Miss Univers. Aujourd’hui, la réputation du tsar de la beauté n’est plus à faire. Avec 21 titres majeurs en quarante ans, Osmel Sousa a donné au Venezuela la réputation du pays «aux plus belles femmes du monde». «Où qu’il soit, les mères lui sautent dessus pour lui montrer des photos de leurs filles», s’amuse Carmela Longo, journaliste people à Ultimas Noticias et plusieurs fois jurée du concours. Osmel Sousa, qui fuit les médias comme la peste et a refusé de nous rencontrer, dirige Miss Venezuela d’une main de fer. Au début de sa carrière, il donnait déjà à ses favorites des «boucles d’oreilles magiques» pour indiquer au jury comment voter. Cette année, il a lui-même apporté leurs écharpes de candidates à ses miss préférées, aux yeux de tous. Les jurés, maquilleurs et autres organisateurs n’osent que très rarement s’opposer à l’expert tout-puissant. Les candidates le décrivent «sévère» mais «juste». La plupart lui sont reconnaissantes et lui pardonnent ses sautes d’humeur et son «perfectionnisme compulsif»: «Il nous apprend à vivre sainement et à gagner en confiance. Il nous protège contre les prédateurs et nous demande de rester des saintes pendant le concours», raconte Jennifer Saa, finaliste en 2014. e voilà qui apparaît en homme-canon, casque floqué à son nom sur la tête et mallette sertie de fausses pierres précieuses à la main. Pour cette édition 2014 de Miss Venezuela, le «tsar de la beauté» et show-man Osmel Sousa a encore fait son numéro. Sur le plateau télé de Venevisión, il est le roi de la «plus belle nuit de l’année», les filles n’auront qu’à attendre. Comme il aime à le répéter, «Miss Venezuela, c’est moi». En quarante ans, le dandy à la tête de la firme de beauté a gagné plus de concours de miss à l’échelle internationale que quiconque au monde, imposant progressivement sa conception du beau féminin dans toute la société vénézuélienne. Quand il a quitté Cuba en 1959, fuyant à la fois les prémisses de la révolution castriste et les coups d’un père qui n’appréciait pas son goût pour les poupées, il n’avait que 13 ans. Il ne reviendra sur l’île que quarante-six ans plus tard. L «Perfectionnisme compulsif» Au Venezuela, le self-made-man s’intègre rapidement dans le show-biz, qui fleurit dans les années 60 au rythme où l’or noir jaillit du sous-sol. Un publicitaire cubain qui croit aux capacités artistiques de son compatriote l’aide à s’installer. Après une courte carrière théâtrale, Osmel Sousa entre dans le monde de la mode et de la télévision au service d’OPA, l’agence de Miss Venezuela d’alors. Réputé avoir un «œil» pour les jolies filles, Sousa fait son chemin. Il repère les perles rares et les habille pour OPA avec des robes qu’il dessine lui-même. Mais il veut plus de liberté. En 1980, le conglomérat Cisneros rachète le concours et l’offre à Sousa. La même LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 Gomme et chirurgie esthétique Osmel Sousa en 2009. PHOTO FERNANDO LLANO. AP Pour faire correspondre la réalité avec sa conception très occidentale de la beauté, Osmel Sousa n’hésite pas à faire jouer du scalpel. Lui qui affirme «on ne naît pas belle, on le devient», sans savoir qu’il paraphrase presque Simone de Beauvoir, considère le bistouri comme l’instrument divin du beau sur terre. Lui-même aurait subi une vingtaine d’opérations de chirurgie esthétique, selon son ami Roland Carreño, directeur de la revue people Hola!, «y compris les dents». Et lorsqu’il se remémore son enfance à Cuba, • LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 31 Le président de Miss Venezuela (veste à carreaux) entouré de ses reines de beauté lors de la répétition du concours de 2012. PHOTO WILLIAM DUMONT. EL NACIONAL . AP alors qu’il n’était qu’un mauvais élève passionné de dessins de mannequins féminins, il raconte : «Quand je faisais un visage qui ne me plaisait pas, je l’effaçais. Maintenant, ce n’est plus la gomme, mais la chirurgie esthétique.» (1) Même s’il ne jure que par la «diversité et la mixité latino», Osmel Sousa n’hésite pas à remodeler par tous les moyens possibles ses filles-produits pour les vendre dans des concours internationaux formatés. «Osmel les préfère grandes et fines. Des filles comme Jeannette Donzella [Miss Venezuela 1971, ndlr], avec ses hanches larges, ne passeraient jamais aujourd’hui», affirme Orlando Suárez, qui écrit un livre sur Miss Venezuela. D’après l’ancien professeur d’expression orale des miss José Rafael Briceño, parmi les quatre grands concours visés par le comité Miss Venezuela, c’est Miss Univers qui attire toute l’attention : «C’est le plus coté, le plus populaire au niveau mondial. On propose des filles de type américain, blondes, bien USA.» Pour Miss Monde, le professionnel recommande «des femmes plutôt européennes, plus élégantes». Pour Miss Internationale et Miss Terre, il faut plutôt «de l’exotisme, sans tomber dans le sexy». José Rafael Briceño admet que la teneur des concours influe sur le choix des candidates : «Dayana Mendoza [Miss Univers 2008], on a cherché à la garder la plus latino possible en lui faisant danser la salsa, tout en mettant en avant ses traits de Blanche par le maquillage.» Les organisateurs de Miss Venezuela vont parfois beaucoup plus loin. Ils demandent aux Noires de se faire refaire le nez afin qu’il paraisse plus occidental, ou parce que «le nez des Noires fait des ombres laides à la télé». «Osmel est allé voir mon manager pour que je me fasse un nez plus fin, plus européen. J’ai d’abord refusé, puis j’ai fini par accepter», raconte Ingrid Smith, candidate en 2012. Les seins, le menton, les dents, les pommettes… l’organisation lui a tout financé. La jeune femme avoue avoir été prête à tout «pour plaire à Osmel»: «Il faut se plier à ses exigences et éliminer tout ce qu’il perçoit comme des imperfections. Il me disait par exemple de faire plus de show, d’être plus chaude et extravertie parce que c’est ce que le public attend des Noires, mais je ne suis pas comme ça.» Il faut dire qu’Osmel Sousa n’aime pas la couleur. En 2009, dans une interview télévisée, il déclare, avec un petit rire de connivence: «La négritude vénézuélienne n’est pas belle, mais si je trouvais une Noire belle, je la mettrais dans le concours.» Une autre fois, considèrent métis ou noirs, et seulement 43% blancs. Les «mensurations d’Osmel» Pour combler sponsors et annonceurs, autant que par souci d’élégance, les candidates doivent se lisser les cheveux. Résultat, «dans la rue, toutes les métisses ont les cheveux lisses, comme à la télé», déplore l’ex-miss Ingrid Smith, qui s’est battue pendant toute la durée du concours pour garder son épaisse chevelure crépue. Comme l’affirme l’ethnologue Marcia Ochoa dans son livre Queen for a Day (2), «les miss définissent ce qu’est la féminité nationale». «Le jour J, c’est le programme télévisé le plus regardé «Il faut éliminer tout ce qu’[Osmel] de l’année», explique la sociologue perçoit comme des imperfections. Carla Serrano, avant de reprendre Il me disait par exemple d’être l’antienne selon laquelle «toutes plus chaude et extravertie parce que les petites Vénézuéliennes veulent c’est ce que le public attend des Noires.» devenir miss». La trentenaire avoue continuer de viser elleIngrid Smith candidate en 2012 même les «mensurations d’Osquelques instants avant une conférence de mel», les fameux 90-60-90. Aujourd’hui, presse en présence de Jictzad Viña, la pre- alors que la pénurie frappe durement un Vemière Noire à remporter, en 2005, le con- nezuela en crise où shampooing et savon sont cours de Miss Venezuela, il dit en s’asseyant: des produits rares, les étalages des pharma«J’ai l’impression d’être à Trinité-et-Tobago», cies regorgent de crèmes éclaircissantes et de en référence à cette petite île caribéenne où lotions lissantes. vivent de nombreux descendants d’esclaves Au «pays des plus belles femmes au monde», africains. la pression sociale, constante, rend aussi la Pour gagner, les candidates noires acceptent chirurgie esthétique banale. Beaucoup de presque tout. Andrea Escobar, finaliste jeunes filles se font poser des implants mamen 2013, raconte: «Ils m’ont demandé de tout maires et fessiers souvent démesurés. A tel faire pour réduire la taille de mes hanches, pour point que les bonnets D et E deviennent la me rendre moins voluptueuse.» Elle a dû tenter norme pour les fabricants de mannequins de sa chance plusieurs fois avant d’être rete- vitrine. Chaque année, 60000 Vénézuéliennue au concours national : «En 2009, ils nes s’offrent une poitrine neuve, autant qu’en m’ont rejetée en me disant qu’ils avaient déjà France où la population est pourtant deux fois trois métisses sur les vingt-cinq candidates.» supérieure. Sans compter les liposuccions, les Les quotas correspondraient à la diversité de interventions sur les sourcils et le nez. Là enla société vénézuélienne, selon un proche core, les opérations répondent à des schémas d’Osmel Sousa. Pourtant, d’après le dernier de beauté bien précis, explique Ramón Zapata recensement, 55% des Vénézuéliens se Sirvent, président de la Société vénézuélienne de chirurgie plastique. «Les Noires, comme les Arabes ou les Indiennes, cherchent des narines plus fines, un nez plus profilé, à l’occidentale. Jamais dans l’autre sens.» Pour beaucoup de Vénézuéliennes, s’inscrire au concours de Sousa revient à monter dans le train de la gloire. «C’est un tremplin extraordinaire», assure la mannequin Jennifer Saa, l’une des rares candidates à venir d’un quartier pauvre. Les plus débrouillardes deviennent présentatrices télé ou actrices au Mexique ou aux Etats-Unis. D’autres se maquent avec l’argent ou le pouvoir et se font «femme de», que l’homme soit un politicien ou un baron de la drogue. Certaines, plus rares, finissent dans la prostitution. Pour la plupart, une fois le concours passé, c’est le retour à la case départ. Ingrid Smith, qui a humblement regagné sa place de caissière dans un supermarché d’Etat, assure : «Pour les filles comme moi qui n’ont pas de famille fortunée, c’est dur de gagner, ce n’est pas notre monde.» Le rêve vendu par Osmel Sousa a cependant du plomb dans l’aile. Si le Venezuela a récemment réussi l’exploit de remporter le titre de Miss Univers deux années successives, en 2008 et 2009, ses choix sont critiqués jusque dans la presse people, habituellement complaisante. On lui reproche manque d’imagination et conservatisme, sa politique conduirait à la standardisation des reines de beauté. A 68 ans, Osmel Sousa n’a que faire des critiques. Alors que d’autres pays latinoaméricains, comme le Brésil ou la Colombie, ont vu naître des concours alternatifs, à destination de publics plus pauvres et métissés, il n’en a jamais été question au Venezuela. • (1) Interview avec Susana Soto Garrido, «Cuba y Venezuela: 20 Testimonios», éd. Fondation pour la culture urbaine, 2007. (2) «Queen for a Day: Transformistas, Beauty Queens, and the Performance of Feminity in Venezuela», Duke University Press Books, 2014. LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 PORTRAIT GAËLLE BOURGES Passée par le strip-tease, cette danseuse et chorégraphe de 47 ans expérimente la nudité des corps et le désir tenu à l’œil. Que danse le regard nu Par MARIE-CHRISTINE VERNAY Photo STÉPHANE LAVOUÉ vec son bonnet fiché sur la tête qui ne laisse apparaître que quelques mèches de ses beaux cheveux d’un brun lumineux, Gaëlle Bourges ne ressemble en rien de ce que le fanstasmeur de base peut imaginer d’une femme qui «fait dans le sexe». La donzelle de 47 ans a dû déjouer bien des pièges liés à cette étiquette qu’on lui a collée parce qu’un temps, de 2006 à 2009, elle a été employée dans un théâtre érotique comme strip-teaseuse, autrement dit, comme travailleuse du sexe. Il ne s’agit pourtant que d’une toute petite partie de sa vie qui démarre et se prolonge avant tout par la danse de création. Elle est née à Boulogne-Billancourt dont elle n’a aucun souvenir puisque ses parents, père ingénieur chimiste et mère au foyer, ont déménagé plusieurs fois et qu’elle a vécu aussi aux Etats-Unis. De la banlieue, elle ne se rappelle que du parc de Sceaux près duquel elle a grandi. «Jeux dans les arbres, cabanes et luge quand il neigeait, l’hiver. Je le traversais souvent pour me rendre au collège puis au lycée Lakanal. Je me souviens de quelques exhibitionnistes en imper, à moitié cachés dans les bosquets. Plus de rire que de peur. Alain-Fournier aimait ce parc A et le Grand Meaulnes fut un de mes livres de chevet quand j’étais adolescente». Lui reviennent aussi le souvenir de l’Ile Seguin, de l’usine Renault. Réminiscences vagues. La danse qu’elle commence par le classique à 5 ans et qu’elle poursuit jusqu’à 18 ans par la rythmique, le modern jazz, les claquettes, c’est du sûr. Elle suit également une formation de clown, d’ art dramatique, puis enseigne la comédie musicale, la danse, le théâtre, travaillant en tant que régisseuse plateau à la BNF pendant cinq années. Un parcours éclectique peu courant dans le milieu chorégraphique. La danse est toujours présente et elle se jette à l’eau en passant une audition. «C’est là, raconte-t-elle, que j’ai compris que j’étais à côté de mes pompes. Si j’étais vue comme une élève surdouée dans les cours que je prenais en banlieue, j’ignorais tout du contemporain. Il fallait que je rattrape mon retard. Je suis repartie à zéro.» A 32 ans, après des études en lettres supérieures à Lakanal et en anglais à la Sorbonne, elle reprend le chemin de la fac et entreprend une licence et une maîtrise en arts du spectacle mention danse à l’université Paris-8. Elle fonde le Groupe Raoul Batz avant son expérience de strip-tease: «Il n’y a pas eu une rupture avec ce que faisait le Groupe Raoul Batz. Les mêmes préoccupations se sont simplement radicalisées. J’ai eu le temps de goûter pleinement à la relation entre œil et exposition du corps nu. Ce dont traitaient déjà nos pièces.» En 2009, lors du festival Antipodes au Quartz de Brest, on découvre sa conférence dansée Je baise les yeux où elle décrit d’une façon drôle et pertinente les techniques d’excitation qui transitent par le regard. Déjà, en écho aux travaux des post-féministes comme Gayle Rubin, Beatriz Preciado, Silvia Federici, elle démonte «la machine à produire du désir hétéro et des stéréotypes. On entretient cette machine huilée dont personne n’est dupe, ni les femmes, ni les hommes. C’est une grande rigolade et un système inégalitaire et rouillé.» Elle s’emploie à déconstruire ces schémas et s’y attaque en liant l’histoire du savoir avec l’histoire du corps et du nu féminin, notamment dans la peinture occidentale. C’est une suite logique à ses expérimentations de théâtre érotique : «Comme dans l’atelier du peintre, on nous appelait des modèles. On pouvait gagner du fric avec ça. Nous étions payées au cachet. C’était intéressant de constater que le désir hétéro ouvrait un pan de travail possible.» Dont quelques danseurs profitent, complément nécessaire au statut d’intermittent et scène d’exploration de la relation au public. En mettant en scène des corps non puissants, en réunissant des danseurs, des non-danseurs, des sex workers ou exsex workers, elle se met au EN 6 DATES défi de constituer une communauté qui décloisonne 4 janvier 1967 Naissance autant le milieu du sexe que à Boulogne-Billancourt. 1994 Création de la celui du spectacle vivant. «Déjà, s’amuse-t-elle, car compagnie du K. 1998 elle est vraiment joyeuse, Reprend la fac et obtient un diplôme en Arts du dans le strip-tease, on me faispectacle. 2000 Création sait remarquer que je n’étais du groupe Raoul Batz, pas toute jeune. Si je poursuis aujourd’hui l’association Os. dans le nu, je me demande si 2009 Création de Je baise les programmateurs de théâtre les yeux à Brest. seront toujours sensibles et ex- 2 et 3 décembre 2014 cités par mon travail ! Parce Création de A mon seul que déjà, ils ont peur de me désir à la Ménagerie programmer.» Et elle ajoute: de Verre, à Paris. «Je ne fais pas l’unanimité. Je heurte les communautés. Je peux paraître trop froide pour les hétéros puisque je déconstruis, trop compromise pour certaines lesbiennes, trop pute pour ceux de la danse bien pensante… Je veux simplement dire la complexité de la pensée et des représentations, en montrant des corps qui remettent en question l’académisme, en travaillant avec des gens qui ont un parcours à la marge, qui ne sont pas reconnus dans leur parcours par leurs pairs. Et ensemble, nous expérimentons une façon de faire autre.» Son nouveau spectacle revient sur cette pierre d’achoppement qu’est le nu féminin. Elle y fait référence à la tapisserie de la Dame à la licorne, visible au musée du Moyen-Age à Paris. Dans ses six panneaux, la tenture montre une demoiselle richement parée et toujours accompagnée d’une licorne, garde du corps de sa virginité. Gaëlle Bourges s’intéresse bien sûr à la Vierge et à «son organe génital dépositaire du sacré» Elle note au passage que la Vierge est toujours représentée de face. Dans sa pièce, elle la met en scène de dos, on imagine comment… Et la chorégraphe ne manque pas de remarquer que les tentures accueillaient également beaucoup d’animaux lubriques, dont 35 lapins. Elle n’oublie pas non plus de renvoyer à la définition de Salvador Dali avec son intraitable accent : «Une espèce de complexe aigu phallique.» Avec cette création, Gaëlle Bourges referme son triptyque «Vider Vénus». Malgré un diplôme en éducation somatique par le mouvement, elle n’en a pas fini avec la danse, qu’elle continue d’enseigner ponctuellement. On l’avait vue à l’œuvre dans un quartier sensible de Seine-Saint-Denis. Elle était tout à fait à l’aise et réussissait à inciter les scolaires à faire confiance à leur corps, à accepter leur manière de bouger et à évacuer les tensions. Car un des ses principaux engagements, qu’elle revendique, est de lutter contre les préjugés qui déprécient la danse. «Celle-ci est considérée comme un art où il n’y a pas matière à penser. Or, toutes les révolutions en danse ont eu lieu grâce à des gens qui l’ont pensée.» Et de préciser : «Je vois en ce moment se développer un retour réactionnaire dans le fait qu’on insiste beaucoup sur la technicité. Mais laquelle? Il y a tellement de techniques qui sont à interroger. Par exemple, marcher en est une. Chaque technique est déjà un discours.» Et comme elle fut aussi femme de chambre chez une dame riche, elle sait qu’on ne se déplace jamais de la même façon. Et que c’est souvent fonction du contexte. •
© Copyright 2024 Paperzz