Libération du mercredi 3 décembre 2014

MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
WWW.LIBERATION.FR
Victor Mature et Linda Darnell dans «la Poursuite infernale» de John Ford (1946). PHOTO PROD DB . 20TH CENTURY FOX
• 1,70 EURO. DEUXIÈME ÉDITION NO10434
CINEMA
FORD,
REVU ET
SUBLIMÉ
RÉTROSPECTIVE MAGISTRALE
À LA CINÉMATHÈQUE,
CAHIER CENTRAL
CES INGRATS
Malgré un gouvernement compréhensif,
les dirigeants d’entreprise sont dans la rue
cette semaine pour demander de nouvelles
PAGES 2-5
concessions à l’exécutif.
Moins
triomphant,
le Premier
ministre peine
à rassembler
au PS.
P. WOJAZER . REUTERS
LES PATRONS,
Valls,
la solitude
de Matignon
PAGES 10-11
La Palestine
reconnue
à l’Assemblée
Les députés français ont voté
la résolution demandant à
Paris de reconnaître le statut
d’Etat. Une étape dans un
long processus, qui devra
passer par la case ONU.
PAGES 6-7
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,40 €, Andorre 1,90 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,80 €, Canada 4,99 $, Danemark 28 Kr, DOM 2,50 €, Espagne 2,40 €, Etats-Unis 4,99 $, Finlande 2,80 €, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €,
Irlande 2,50 €, Israël 22 ILS, Italie 2,40 €, Luxembourg 1,80 €, Maroc 19 Dh, Norvège 29 Kr, Pays-Bas 2,40 €, Portugal(cont.) 2,60 €, Slovénie 2,80 €, Suède 26 Kr, Suisse 3,30 FS, TOM 440 CFP, Tunisie 2,90 DT, Zone CFA 2 200CFA.
2
•
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
EVENEMENT
ÉDITORIAL
Par LAURENT JOFFRIN
Alors que le gouvernement leur a
accordé plus que ce qu’ils
réclamaient en 2012, les chefs
d’entreprise battent le pavé. Retour
sur deux ans de victoires du Medef.
Les sept
concessions
de Hollande
au patronat
REPÈRES
Manifestation à l’appel de la Confédération générale des petites et
Par LUC PEILLON
Photo PATRICK ARTINIAN.
CONTACT PRESS IMAGES
L’ESSENTIEL
LE CONTEXTE
vernement lui-même ne semblait
pas très chaud pour répondre positivement au patronat. «Abaisser le
coût du travail dans de telles proporétait il y a deux ans. Une tions risquerait de remettre [en cause]
tribune de l’Afep (qui re- l’objectif [de baisse du déficit]», exgroupe les plus grosses pliquait le ministre de l’Economie
boîtes de France), dans d’alors, Pierre Moscovici. D’autant
le JDD, provoquait un scandale à que «Matignon et l’Elysée ont réalisé
gauche: les chefs d’entreprise y ré- qu’une telle mesure allait surtout consclamaient une baisse du
tituer un choc pour le poucoût du travail de
DÉCRYPTAGE voir d’achat des ménages,
30 milliards d’euros.
et tuer tout espoir de re«Les grands patrons pleurent la bou- prise en 2013», confiait un membre
che pleine», s’étranglait Nathalie Ar- de la majorité.
thaud (Lutte ouvrière). «Des rapa- Deux ans plus tard, les patrons sont
ces», hurlait le Parti de gauche. «Des passés de la tribune de presse à la
monstres d’égoïsme et d’ingratitude», manif de rue (Libération du 2 dés’indignait Olivier Dartigolles, du cembre). Avant de se retrouver ce
PCF. Même le tiède Bruno Le Roux, mercredi pour un grand meeting à
patron des députés PS, avouait avoir Lyon. Exaspérés de n’avoir rien ob«ressenti [le texte] comme un oukase tenu ? Pas vraiment. La majorité a,
ou une leçon». Plus amusant, le gou- en réalité, accordé… davantage que
C’
Les patrons se
mobilisent en masse
cette semaine
demandant de
nouveaux avantages
et concessions
au gouvernement.
L’ENJEU
L’exécutif, qui a déjà
beaucoup lâché,
peut-il faire plus alors
que l’aile gauche du
PS et la gauche de la
gauche lui reprochent
d’oublier son
électorat populaire ?
41 milliards d’euros d’aides aux entreprises
Abaement
de la CS
1
UNE FISCALITÉ DU CAPITAL
MOINS SALÉE QUE PRÉVUE
La pression sur le gouvernement
surgit cinq mois à peine après l’arrivée de François Hollande à l’Elysée.
Pas du Medef ni de la CGPME, mais
d’un mouvement né sur Internet :
«les Pigeons». Prenant la France à
témoin sur le danger que provoquerait, pour l’«esprit d’entreprise», un
alignement de la fiscalité du patrimoine sur celle du travail, ces jeunes
start-upers font vite plier le gouver-
Allégements de cotisations patronales
En milliards d’euros, chaque année. Ces aides seront pleinement effectives à partir de 2017.
Crédit d’impôt
compétitivité emploi
ce que demandait, à l’époque, le
texte de l’Afep. Et les concessions ne
semblent pas terminées (lire ci-contre). Ingrat, le patronat? Passage au
crible des mesures qui, depuis deux
ans, ont garni le tableau de chasse
du Medef. Sans calmer pour autant
les ardeurs de son responsable,
Pierre Gattaz.
(contribution sociale
de solidarité
des sociétés)
Diminution
de l’impôt
sur les sociétés
(entre 1
et 1,6 Smic)
(entre 1,6
et 3,5 Smic)
Source : Assemblée nationale
Le patronat français a-t-il
une trace, un zeste, un
soupçon de mémoire ? On
peut en douter à écouter
ses dirigeants. Chacun voit
bien que le Medef a en face
de lui le gouvernement le
plus accommodant avec
l’entreprise qu’on ait vu
de toute l’histoire de la
gauche française.
Désespérant de la
croissance, convaincu,
à tort ou à raison, que
l’amélioration des marges
des entreprises commande
celle de l’emploi, François
Hollande a décidé il y a un
an de passer un
compromis historique
avec le secteur privé, sous
forme d’un échange de
bons procédés : j’allège vos
charges, j’assouplis vos
contraintes, je simplifie
vos tâches administratives
et vous embauchez.
Mécontentant ses
soutiens, mais prenant
aussi acte de l’évolution de
l’opinion de gauche, bien
moins hostile à
l’entreprise que naguère,
les gouvernements Ayrault
et Valls ont aligné les
concessions aux demandes
patronales. Que reçoit
Hollande en contrepartie ?
Une gifle. Pierre Gattaz,
tête dure et esprit étroit,
l’homme qui est au Medef
ce qu’Henri Krasucki était
naguère à la CGT,
lance une mobilisation
outrancière contre le
gouvernement, refuse
toute contrepartie aux
mesures dont il bénéficie
et se contente de répéter
comme un moine tibétain
la litanie des
revendications patronales
les plus éculées. Fait-il de
l’économie ou de la
politique ? La question se
pose. Il voudrait se mettre
au service de l’UMP pour
servir de supplétif dans la
reconquête programmée
par la droite, qu’il ne s’y
prendrait pas autrement.
Indépendants
Gifle
•
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
3
Le Président voudrait réformer les accords
sur l’emploi mais juge le sujet trop explosif.
Marché du travail,
la ligne rose?
usqu’où François Hollande mettre à dos les syndicats réforcompte-il réformer le mar- mistes, et notamment la CFDT,
ché du travail ? Le patronat qui ont pour l’instant assumé le
rêve d’un big-bang. Les syndi- difficile jeu du compromis social.
cats le craignent. Depuis plu- Or, la centrale dirigée par Lausieurs semaines, la question agite rent Berger ne veut pas entendre
les coulisses du pouvoir. Et pour parler d’une réforme du contrat
cause : c’est l’un des derniers de travail. Ensuite, le chef de
grands arbitrages du quinquen- l’Etat doit impérativement ménat. Probablement le plus politi- nager sa majorité. Dans la persque puisqu’il fixera une bonne pective du congrès du PS en
fois pour toutes la couleur du juin 2015, les hollandais ont bemandat de François Hollande : soin du soutien des aubrystes. La
résolument social-démocrate ou maire de Lille a profité de son
déjeuner avec Hollande
définitivement sociallibérale. Dans l’entouANALYSE il y a dix jours, pour lui
rappeler quelques-unes
rage du chef de l’Etat,
deux camps s’affrontent. Le pre- de ses lignes jaunes, et notammier – dans lequel on retrouve ment une trop grande libéralisaManuel Valls (Premier ministre), tion du travail du dimanche ou
Emmanuel Macron (ministre de une remise en cause explicite des
l’Economie), François Rebsamen 35 heures.
(Travail)– est convaincu que no- Bon espoir. C’est dans cet
tre marché du travail a besoin de écheveau de contraintes politiplus de flexibilité. Pour eux, il ques que le Président compte
n’y a ni tabou ni totem, tout doit trouver un sentier. Le travail du
être mis sur la table : le contrat dimanche, qui devrait être stricunique, le temps de travail, l’in- tement circonscrit aux périmèdemnisation du chômage… Et il tres touristiques, va trouver un
y aurait urgence. A la fois pour débouché dans la loi Macron,
donner des gages de réformisme présentée en Conseil des minisvis-à-vis de Bruxelles et pour tres le 10 décembre. Par ailleurs,
relancer la machine française à le gouvernement a bon espoir
que la négociation syndicale sur
créer des emplois.
Le second camp –dans lequel on les seuils sociaux puisse aboutir
peut trouver en vrac Michel Sa- à un accord. Reste à savoir si
pin (Finances), Stéphane Le Foll ce texte sera ou non intégré à la
(Agriculture) et plusieurs leaders loi Macron sous forme d’amensocialistes– revendique le prag- dement.
matisme : assouplir pourquoi En revanche, Hollande ne soupas, mais en évitant toute gué- haite pas s’aventurer sur le terrilla idéologique. «C’est un sujet rain du contrat de travail unique.
où il faut se méfier des postures Ce n’est ni sa priorité ni son urqui, en l’occurrence, sont souvent gence. Il réfléchit, par contre, à
contre-productives, soutient un donner une seconde vie à l’acpartisan de cette option. Elles cord sur la sécurisation du marbraquent y compris ceux qui pour- ché du travail de janvier 2013.
raient avoir envie de bouger.»
L’objectif serait de permettre aux
Double contrainte. François entreprises en bonne santé de
Hollande est pour l’instant resté modifier plus facilement leur ormuet sur ses intentions. Et pour ganisation du travail (et donc
cause : il partage à la fois le dia- toucher à la durée du travail), à la
gnostic des premiers et les consi- seule condition de la signature
dérations tactiques des seconds. d’un accord majoritaire. Mais
Jusqu’au dernier moment, le dans l’entourage du chef de
chef de l’Etat a hésité à annon- l’Etat, on reconnaît que le climat
cer, à l’occasion de son émission social ne permet pas d’envisager
de télévision sur TF1, une ré- un tel chantier social : «Pour ce
forme du contrat de travail. Pour faire, il faudrait que Gattaz redefinalement se raviser. Hollande vienne raisonnable.» Ce qui n’est
a aujourd’hui une double con- pas franchement le cas.
trainte. D’abord, il ne peut pas se
GRÉGOIRE BISEAU
J
moyennes entreprises, lundi, à Paris.
nement. Non, la taxation des plusvalues d’actions ne sera pas totalement ramenée au même niveau que
celle des revenus du travail, comme
promis pendant la campagne. Au
bout d’un certain temps de détention des titres, elle sera même inférieure à ce qui existait… sous
Sarkozy. L’exécutif pose un premier
genou à terre. Medef et CGPME sauront en profiter.
2
L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS
RÉDUIT DE 20 MILLIARDS
Quelques jours à peine après cette
première concession, place au
«pacte de compétitivité» du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault.
Inspiré du rapport Gallois, il accorde
à toutes les entreprises un crédit
d’impôt équivalent à 6% de la masse
salariale de l’entreprise. Seule limite: ne sont pris en compte que les
«Ce que nous attendons
du Medef, c’est qu’il
prenne ses responsabilités
pour tirer l’économie
vers le haut.»
Jean-Marie Le Guen secrétaire
d’Etat, Relations avec le Parlement
salaires jusqu’à 2,5 Smic. Mais sinon, les banques et la grande distribution toucheront comme l’industrie. Coût pour l’Etat en rythme de
croisière : 20 milliards par an, dont
un tiers sera financé… par une
hausse de la TVA sur les ménages.
3
UNE LOI TIMORÉE
SUR LES BANQUES
Printemps 2013, au tour des banquiers. La loi les concernant, qui devait séparer en deux entités distinctes les activités de financement de
l’économie de celles, spéculatives,
de marché, est réduite à peau de
chagrin. La filialisation des activités
risquées des banques ne représentera, en effet, qu’une partie très limitée de leur chiffre d’affaires. Pour
certains établissements, la réforme
sera même nulle sur ce point, tant le
périmètre concerné correspond à
«Je le dis aux dirigeants
du patronat, un certain
nombre de propositions,
de provocations […]
ne sont pas à la hauteur
de cette responsabilité.»
Manuel Valls lundi
une part résiduelle de leur activité.
La finance, «véritable adversaire» de
Hollande pendant la campagne, s’en
sort très bien.
4
LES RÉMUNÉRATIONS
DES PATRONS NON ENCADRÉES
Peu avant l’été 2013, c’est la promesse de campagne de François
Hollande sur l’encadrement des rémunérations des patrons qui passe
à la trappe. Alors que les salaires des
dirigeants d’entreprises publiques
ont été plafonnés à 450 000 euros
par an, l’exécutif préfère, pour ceux
du privé, s’en remettre à l’«autorégulation exigeante» des organisations patronales, dixit Moscovici.
Autorégulation qui se résumera au
dispositif dit du say on pay, consistant à consulter, donc de façon non
contraignante – et facultative –,
l’assemblée générale Suite page 4
Le 30 octobre 2012, sous le titre «Patrons
en lutte contre la gauche», Libération relatait
la fronde naissante du patronat, qui avait alors
fait bondir la gauche. Dans une tribune publiée
deux jours plus tôt dans le JDD, l’Afep exigeait
30 milliards de diminution des cotisations et une
baisse de la fiscalité, financées par une hausse
de la TVA à 21% et des économies sur les dépenses publiques… Vœux exaucés depuis.
RADIO
Sur www.liberation.fr
4
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EVENEMENT
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Mais cela ne suffit pas. Il convient d’aller plus
loin dans cette même direction.
Cette réforme a rendu les conventions collectives bien plus flexibles, a abaissé notoirement le coût du licenciement et fait en sorte
que le temps de travail soit davantage malléable, en privilégiant les contrats à temps
partiel et les contrats temporaires. En parallèle, contraint par Bruxelles de juguler son
déficit public, le gouvernement a réduit les
salaires de la fonction publique (-15% au total depuis 2012), salaires qui, en janvier, seront gelés pour la troisième année consécutive. Aux yeux de l’exécutif et du patronat,
ces mesures ont permis d’améliorer la compétitivité des produits à l’exportation et de
«diminuer la destruction de l’emploi» –passée
de 26% l’an dernier à 25,2%.
Président de la Cepyme (la confédération des
PME), et favori pour prendre la tête de la
CEOE, Antonio Garamendi est persuadé qu’il
faut accroître ces «effets vertueux». Pour ce,
dit-il, «il est nécessaire d’abaisser davantage
les coûts de licenciement, de flexibiliser les salaires et les conditions du travail, de réduire les
cotisations sociales pour les entreprises et de
lutter bien plus contre l’absentéisme au travail».
Actuellement, le salaire moyen par salarié est
de 1 995 euros mensuel. Au premier semestre 2014, les émoluments ont baissé de 0,3%.
Pour la CEOE, «il est fondamental de maintenir
la modération salariale. C’est la condition de
redécollage économique».
des actionnaires sur
les rémunérations des patrons. Et sans
mettre fin aux scandales des rémunérations hors normes ou, plus récemment,
des retraites chapeaux.
Suite de la page 3
5
L’ÉCOTAXE AU CIMETIÈRE
Comme pour fêter le mouvement des
Pigeons, c’est une autre jacquerie qui,
un an plus tard, en novembre 2013,
bouscule le gouvernement: les Bonnets
rouges. Manifestant, parfois violemment, contre l’écotaxe, fiscalité pesant
sur les transporteurs, les patrons du
secteur obtiendront la mort du dispositif. Pourtant voté par la droite et la gauche en 2009, il sera d’abord repoussé,
puis réduit, avant d’être enterré, à
l’automne 2014, par Ségolène Royal.
Pour compenser le manque à gagner
(plus d’un milliard d’euros), les usagers
du diesel, dont les particuliers, seront
mis à contribution.
6
LE PACTE : 20 MILLIARDS EN PLUS
Fin 2013, ce sont des vœux pleins de
promesses aux entreprises que livre
Hollande. Certes Moscovici, de passage
à l’université d’été du Medef quelques
mois plus tôt, avait préparé le terrain,
affirmant que «le CICE [crédit d’impôt
compétitivité emploi, ndlr] ne referme
pas le dossier du coût du travail, [et qu’il]
faut aller plus loin». Hollande, lui, va
passer aux actes. Et propose un «pacte
de responsabilité», basé «sur un principe
simple : moins de charges sur le travail,
moins de contraintes sur leurs activités et,
en contrepartie, plus d’embauches et plus
de dialogue social». Promesse concrétisée quelques mois plus tard par un dispositif en deux volets : 10 milliards de
baisse de cotisations sociales, et
10 autres milliards de baisses diverses de
leur fiscalité. Quant aux contreparties
évoquées de la part des entreprises, elles
semblent avoir fait long feu. Même si les
négociations de branches ne sont pas
terminées, peu d’entre elles ont conclu
de vrais accords contraignants sur l’emploi. Au final, entre le CICE et le pacte,
les allégements fiscaux pour les entreprises se monteront à 41 milliards. Un
juste retour des choses, selon le Medef,
qui considère que ces mesures ne font
que compenser les 30 à 40 milliards
d’impôts supplémentaires votés depuis 2010. C’est vrai. Mais sur la grosse
trentaine de milliards de hausse (plutôt
que 40), près d’un quart concerne des
augmentations sectorielles, surtout
pour le secteur bancaire. Et pour les
ménages, qui ont vu eux aussi leur note
fiscale gonfler de plus de 30 milliards,
seuls 3 à 4 milliards ont été rétrocédés…
7
UN DROIT DU TRAVAIL RABOTÉ
Le code du travail, enfin, vit des heures
tourmentées. Certes, la loi de juin 2013
n’a fait que reprendre l’accord des partenaires sociaux, et octroie de nouveaux
droits aux salariés, comme les droits rechargeables à l’assurance chômage.
Mais elle assouplit aussi la procédure de
licenciement, avant une seconde phase
dans la future loi Macron… Même chose
pour les seuils sociaux, qui devraient
subir quelques aménagements. Le
compte pénibilité, enfin, décrié par le
patronat, entrera bien en vigueur au
1er janvier, mais de façon partielle.
Quant à la loi Florange sur la reprise de
sites rentables, après censure du Conseil
constitutionnel, elle n’est plus que
l’ombre du projet initial. •
En Allemagne
Cogestion et lobbying
Angela Merkel entourée de représentants syndicaux, le 4 juillet. Ulrich Grillo (second
en partant de la droite) dirige la confédération de l’industrie. PHOTO THOMAS PETER. REUTERS
Passage en revue des rapports entretenus
par les organisations de chefs d’entreprise
avec les autres gouvernements européens.
La tournée
des patrons,
ailleurs dans l’UE
es autres pays européens ont-ils un
patronat aussi «décomplexé» qu’en
France, qui multiplie les offensives pour
plus de régularisation et de libéralisation ou
fustige les «blocages» en dépit de concessions majeures de l’exécutif? Tour d’horizon.
L
En Espagne
Libéralisation à marche forcée
La potion magique libérale a commencé à
porter ses fruits. Mais ce n’est pas suffisant:
il faut en accentuer la teneur afin d’en multiplier ses effets. C’est, en substance, le credo
du patronat, la CEOE –la Confédération espagnole des entreprises organisées. En plein
processus préélectoral (une nouvelle présidence de la confédération sera nommée midécembre), les deux candidats partagent le
même diagnostic : la réforme du marché du
travail adoptée en 2012 par le gouvernement
conservateur de Mariano Rajoy, d’inspiration
libérale, a eu une traduction très positive.
Le patronat allemand est fidèle à la tradition
du capitalisme rhénan, puisque la recette lui
a plutôt jusqu’ici réussi… Ce modèle de cogestion des entreprises par des syndicats
puissants tant patronaux que salariaux permet aux patrons de limiter les conflits sociaux comme l’intervention de l’Etat dans
leurs affaires. Les ingrédients: le dialogue direct entre partenaires sociaux, qui redéfinissent à intervalles réguliers tous les détails des
conventions collectives de branches. Et, surtout, une présence massive dans les couloirs
des ministères pour un travail de lobby en
amont des lois.
Le patronat allemand n’hésite ainsi pas à
agresser massivement le gouvernement,
quelle que soit sa couleur politique: «La politique économique du gouvernement n’est pas
de nature à susciter notre confiance», assurait
en septembre Ulrich Grillo, le président de
la confédération de l’industrie, lors du congrès de sa fédération, le BDI. Au premier rang
dans le public, Angela Merkel…
Le patronat allemand a des dadas: le coût de
l’énergie et de l’électricité (les fédérations
patronales ont tout fait pour tenter d’empêcher la fermeture des centrales nucléaires décidée par le gouvernement Merkel), la libre
circulation des biens indispensable à la première nation exportatrice au monde ou encore la défense de l’euro. Le patronat n’hésite
pas non plus à se mêler de politique étrangère, en se disant par exemple opposé à la
politique de sanctions contre la Russie. Pas
moins de 350000 emplois dépendent en Allemagne du commerce avec Moscou.
En Italie
Main dans la main avec Renzi
«Matteo réalise nos rêves.» C’est sans détours
que Giorgio Squinzi, le président de la Confindustria (le patronat italien), a récemment
salué les mesures du président démocrate du
Conseil italien visant à baisser les charges des
entreprises (pour environ 18 milliards
d’euros) et à réformer le marché du travail.
Alors que la grande centrale syndicale Cgil
a anoncé une grève générale pour le 12 décembre afin de protester contre la politique
EVENEMENT
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
économique du gouvernement, les chefs
d’entreprise exultent. Comme ils le demandaient depuis des années, Matteo Renzi a en
particulier décidé de réformer l’article 18 du
code du travail, qui réglemente les licenciements jugés abusifs. «Le gouvernement a
fourni des réponses à nos requêtes. Cela va permettre de remettre en ordre la machine économique, se félicite Fabio Minoli, porte-parole
de la Confindustria. Nos autres priorités sont
la simplification administrative, la baisse du
coût de l’énergie et le paiement des arriérés des
factures de l’administration publique.»
Le dialogue social qui avait notamment permis à l’Italie de surmonter la grave crise des
années 90 ne figure pas parmi ces objectifs.
Matteo Renzi a d’ailleurs enterré la concertation avec les entreprises et les confédérations. «Nous souhaitons nous confronter aux
partenaires sociaux mais, à la fin, c’est le gouvernement qui décide», a précisé le ministre
du Travail, Giuliano Poletti. Pour la secrétaire de la Cgil, Susanna Camusso, «Renzi
ne fait que reprendre les suggestions du patronat» pour introduire davantage de flexibilité
et «il oublie les travailleurs» lorsqu’il proclame que «les entrepreneurs sont les héros de
notre temps».
En Grande-Bretagne
Une ferme implication
La Confederation of British Industry (CBI),
la principale organisation patronale au
Royaume-Uni, est entrée en campagne électorale. A cinq mois des prochaines élections
générales, attendues en mai, elle vient de publier des propositions supposées inspirer les
manifestes électoraux des principaux partis
en lice. Avec le gouvernement de coalition
actuel, conservateur et libéral-démocrate,
le ton est resté plutôt au consensus au cours
des trois dernières années, vis-à-vis des mesures d’austérité imposées par le gouvernement de David Cameron. Même si elle n’a pas
hésité parfois à pointer du doigt ce qu’elle
considérait comme des incohérences ou des
maladresses.
Les vingt-sept propositions de la CBI, intitulées «Peuple et Prospérité» et réparties en
cinq catégories, suggèrent des pistes de travail très concrètes pour le prochain gouvernement. Elle estime ainsi nécessaire de continuer à se concentrer sur la réduction du
déficit, tout en identifiant les mesures de dépenses publiques susceptibles de générer
une croissance à long terme. Qui permettrait
du coup de relever les standards de vie
moyens. La CBI appelle aussi fermement le
prochain gouvernement à promouvoir le
maintien du Royaume-Uni au sein d’une
Union européenne réformée pour «maintenir
notre accès au plus important marché unique
au monde». La CBI ne vise pas que le monde
politique. Inquiète de la désaffection des Britanniques vis-à-vis du «business» –un sondage interne a révélé que seulement la moitié
des Britanniques estiment que le monde des
affaires contribue de manière positive à
la société – elle a lancé en septembre the
Great Business Debate (le grand débat sur le
business), supposé promouvoir l’image du
monde des affaires.
En Belgique
l’état d’insurrection: le royaume s’enfonce,
depuis l’entrée en fonction, le 11 octobre, du
Premier ministre libéral Charles Michel, dans
des grèves de plus en plus dures. Grèves
«tournantes», province par province, tous
les lundis, grève des transports le 11 décembre, grève nationale le 15 décembre. Et ce
n’est sans doute pas fini. Car la majorité actuelle a décidé de mettre en œuvre une partie
des revendications du patronat belge (représenté par la Fédération des entreprises de
Belgique) et surtout de sa branche flamande,
incarnée par la très puissante Voka: pas d’indexation des salaires en 2015, recul de l’âge
de la retraite de 63 à 67 ans, contrôle accru
des chômeurs, baisse des dépenses publiques
(en particulier du budget de la Société nationale des chemins de fer), etc.
«La Voka est presque devenue un acteur politique et a joué un rôle clé dans les négociations
qui ont permis la formation de l’actuelle majorité [qui comprend les indépendantistes de
la N-VA, ndlr], analyse Martin Buxant, journaliste au quotidien économique l’Echo. Son
patron, Michel Delbaere, que j’interviewais sur
Bel-RTL, n’arrêtait pas de dire “nous avons
décidé” au lieu de “le gouvernement a décidé”», s’amuse-t-il. La seule bonne nouvelle de cette relation fusionnelle entre la
Voka et le gouvernement Michel: les revendications confédéralistes ont été remisées au
placard, celle-ci étant surtout un instrument
pour faire avancer des réformes «libérales»
face à des socialistes majoritaires chez les
francophones…
Face à un gouvernement de droite considéré
comme celui du patronat, les syndicats belges, de gauche comme de droite, ont décrété
SONIA DELESALLE-STOLPER (à Londres),
ÉRIC JOZSEF (à Rome), FRANÇOIS MUSSEAU
(à Madrid), JEAN QUATREMER (à Bruxelles)
et NATHALIE VERSIEUX (à Berlin)
Un acteur politique de poids
•
5
PEU DE NÉGOS SOCIALES
AU NIVEAU EUROPÉEN
A Bruxelles, le patronat européen fait
entendre sa voix sur le futur traité
transatlantique, les normes
environnementales, la politique
climatique ou le programme-cadre
recherche, pas sur les charges sociales,
le salaire minimum ou le temps de travail.
Et pour cause: les compétences
de l’Union étant très réduites dans
le domaine social, nul besoin de se battre
sur ce front qui restera sans doute
longtemps national. Les compétences
sociales de l’UE sont limitées à quelques
domaines (sécurité, santé, conditions
de travail…) et, pour les importants
d’entre eux, verrouillés par le vote
à l’unanimité (sécurité sociale, protection
des travailleurs en cas de licenciement,
accès à l’emploi des étrangers). Dans ces
domaines, Business Europe, la fédération
patronale européenne, est l’un
des acteurs phares. Il négocie avec la
Confédération européenne des syndicats
des accords-cadres qui peuvent ensuite
être transformés en directives si les Etats
les approuvent. Cela a été le cas pour le
congé parental, le travail à temps partiel
ou les CDD. Mais, depuis 1999, le dialogue
social s’est ensablé. Un autre acteur pèse
de tout son poids à Bruxelles, l’European
Round Table, créé en 1983 et qui
regroupe les 49 plus grands industriels
européens. Il se réunit à la veille de
chaque sommet européen pour envoyer
aux chefs d’Etat et de gouvernement
leur feuille de route. J.Q. (à Bruxelles)
6
•
MONDE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Pourexister,laPalestine
empruntelavoieonusienne
Devant l’impasse des négociations directes avec Israël, l’Autorité palestinienne
va demander la fin de l’occupation et la mise en place d’une force internationale.
Par AUDE MARCOVITCH
Correspondante à Tel-Aviv
Photos SÉBASTIEN CALVET
lors que les députés français,
dans le sillage de leurs homologues britanniques et espagnols, ont voté mardi une
résolution non contraignante – soutenue par la gauche et rejetée par une
grande partie de la droite – appelant à
une reconnaissance par Paris de la Palestine, l’offensive diplomatique palestinienne misant sur l’ONU et le droit in-
A
ternational continue. Le week-end dans un virulent discours devant l’Asdernier, lors d’une réunion au Caire, les semblée générale, en septembre: «Il est
ministres des Affaires étrangères de la futile de retourner aux négociations sans
Ligue arabe se sont mis d’accord sur que des paramètres clairs soient posés, en
«un plan d’action qui prévoit de
l’absence de crédibilité et d’un
soumettre une proposition arabe
RÉCIT agenda spécifique.» Et désormais,
au Conseil de sécurité des Nations
pour les Palestiniens, le temps
unies pour mettre fin à l’occupation» is- presse. «Nous avons donné aux Amériraélienne des Territoires palestiniens. cains toute opportunité possible, nous
Selon des négociateurs palestiniens, le avons régulièrement remis à plus tard nos
texte pourrait être présenté à l’ONU actions, jusqu’à devenir la risée de tous»,
dans les prochains jours.
a affirmé Abbas devant les ministres de
Mahmoud Abbas, le président de la Ligue arabe. En septembre, il avait
l’Autorité palestinienne, l’avait déjà dit prévenu que «l’occupation s’est lancée
dans une course contre la montre pour redessiner les frontières de notre pays, pour
imposer un fait accompli sur le terrain qui
change la réalité et sape le potentiel réaliste pour l’existence de l’Etat de Palestine». Face au grignotage des colonies,
il s’agit maintenant pour les Palestiniens d’avancer promptement leurs
pions dans le jeu multilatéral.
ÉBAUCHE. La résolution qui sera présentée aux membres du Conseil de sécurité exige la fin de l’occupation d’ici
deux ans. L’ébauche du texte, obtenue
MONDE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
auprès des négociateurs palestiniens,
appelle à «un retrait total du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris
Jérusalem-Est, aussi rapidement que possible […] et au maximum d’ici à novembre 2016.» Il y est fait mention d’une
force internationale en remplacement
des soldats israéliens : «La garantie de
la sécurité et de la protection de la population civile palestinienne à travers le territoire palestinien, y compris Jérusalem, se
fera à travers le déploiement d’une présence internationale», dit le texte. Les
modalités de cette force devant être définies par les Nations unies après
l’adoption de la résolution.
Pour être adoptée, une résolution du
Conseil de sécurité doit remporter l’aval
d’au moins neuf de ses quinze membres, dont chacun des cinq membres
permanents. Elle ne manquera sans
doute pas de buter sur le veto américain. Mais si le texte est présenté au
vote, il placera Washington dans une situation inconfortable, pris entre les
feux de leur politique de soutien loyal
à Israël et leur volonté d’une solution à
deux Etats, finalement pas très éloignée
des exigences de la résolution.
«Nous espérons que cette résolution sera
adoptée afin de mettre un terme à l’immobilisme, souligne Ashraf Khatib, porteparole de l’Organisation de libération
de la Palestine (OLP). Si ce n’est pas le
cas, nous chercherons à accéder à davantage d’organisations internationales, y
compris à la Cour pénale internationale.»
L’adhésion de la Palestine à la CPI symbolise pour l’Etat hébreu une menace de
poids : il craint la poursuite de dirigeants politiques et militaires. Une option envisageable depuis que l’Etat palestinien a été reconnu comme Etat
non-membre des Nations unies en novembre 2012.
Lors du vote des
députés français
en faveur de la
reconnaissance
de l’Etat
palestinien,
mardi.
SÉCURITÉ. Outre l’avancée sur le front
multilatéral, l’Autorité palestinienne a
sorti une autre carte de sa poche. Elle
veut désormais revoir ce qu’il reste de
ses liens officiels avec Israël: la coopération dans le domaine de la sécurité.
Alors que les dirigeants israéliens et palestiniens ne se parlent plus, que le cycle
violences-répression a repris à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, les liens entre
l’armée israélienne et les forces de sécurité palestiniennes continuent jusqu’ici
à fonctionner normalement. «Nous voulons revoir cette coopération, parce que
nous sommes censés maintenir la sécurité
pour les occupants alors qu’eux-mêmes
détruisent la sécurité palestinienne en démolissant des maisons», martèle Hanan
Ashrawi, membre du comité central de
l’OLP, en référence aux récentes destructions de maisons de Palestiniens
responsables d’attaques contre des civils israéliens. «L’Etat palestinien ne dépend pas de négociations par essence inégales et du bon vouloir des Israéliens,
ajoute-t-elle. Nous demandons un calendrier contraignant à la communauté internationale. Une prise de responsabilité qui
fasse plier l’attitude des Israéliens.» •
REPÈRES
L’Assemblée nationale française
a adopté mardi par 339 voix contre 151 une résolution du groupe
socialiste invitant le gouvernement à reconnaître l’Etat palestinien. La quasi-totalité de la gauche
et quelques UMP et UDI ont voté
pour, tandis que la grande majorité
de l’UMP et de l’UDI a voté contre.
Le texte «invite le gouvernement à
reconnaître l’Etat de Palestine en
vue d’obtenir un règlement définitif
du conflit» et juge que «la solution
des deux Etats, promue avec constance par la France et l’UE, suppose la reconnaissance de l’Etat
de Palestine aux côtés de celui
d’Israël».
«Ce vote envoie un
message erroné aux
leaders et aux peuples de
la région et va éloigner la
possibilité d’un accord.»
L’ambassade d’Israël à Paris
dans un communique mardi
•
SUR LIBÉ.FR
Enquête Comment pro et anti
se sont mobilisés auprès des
députés sur la reconnaissance
de l’Etat palestinien. Et aussi,
le résultat détaillé du vote,
la carte des pays qui
reconnaissent la Palestine dans
notre dossier spécial.
•
Exaspéré par ses ministres centristes,
il mise sur une coalition de droite dure.
Israël: Nétanyahou
saborde son
gouvernement
L
e Premier ministre israélien, pays et à gérer les biens du public isBenyamin Nétanyahou, a mis raélien. La démission des ministres est
un terme, mardi, à sa coalition un acte de couardise et de perte de
gouvernementale en virant ses deux contrôle», a-t-il dit. Il a ajouté être
ministres centristes, Yaïr Lapid et «triste que le Premier ministre ait
Tzipi Livni, et a appelé à des législa- choisi d’agir sans considération pour
tives anticipées. Un projet de loi de l’intérêt national et de traîner Israël
dissolution de la Knesset (le Parle- vers des élections inutiles qui vont faire
ment) est examiné ce mercredi et du tort à l’économie et à la société».
les élections pourraient se tenir au Brochette. La prochaine coalition
début de l’année prochaine.
que le chef du Likoud espère former
Les tensions de plus en plus fortes devrait avoir une tonalité marquée
entre Nétanyahou, à la tête du encore plus à droite, en s’ouvrant
Likoud (droite), et les centristes ont aux partis ultra-orthodoxes, évinpoussé le Premier ministre à décider cés en 2013 sur l’insistance de Lade relancer les dés, moins de
deux ans après les dernières Un projet de loi de dissolution
élections. La crise ultime est
de la Knesset est examiné
intervenue autour du vote
d’une loi faisant primer le ce mercredi et les élections
caractère juif de l’Etat sur pourraient se tenir au début
son aspect démocratique. de l’année prochaine.
Portée par le chef du gouvernement comme un gage en faveur pid. Les ultranationalistes religieux
de la droite dure, cette loi a été dé- menés par Naftali Bennett, avec sa
noncée par le ministre des Finan- formation Maison juive (12 dépuces, Yaïr Lapid, comme par la mi- tés), ont le vent en poupe dans les
nistre de la Justice, Tzipi Livni. Ils sondages depuis plusieurs mois. Le
ont promis que leurs députés s’y Likoud (18 députés), qui a retrouvé
opposeraient.
son autonomie par rapport à Israel
Exigences. Lundi soir, une réunion Beytenou (13 députés), formation
entre le Premier ministre et Lapid ultranationaliste laïque dirigée par
– à la tête de Yesh Atid, première le ministre des Affaires étrangères,
formation de la Knesset avec 19 dé- Avigdor Lieberman, devrait grignoputés– s’est terminée sur un constat ter quelques sièges.
de profond désaccord. Selon les mé- Face à cette brochette d’alliés de
dias, Nétanyahou a présenté à son droite, les centristes pourraient se
ministre des Finances cinq exigen- mettre d’accord avec les travaillistes
ces, notamment la fin des critiques pour faire barrage. Nouvel acteur
contre la colonisation et le retrait annoncé : le populaire Moshé Kad’un projet de suppression de la TVA hlon, ex-ministre du Likoud qui a
pour les achats immobiliers, s’il dé- créé une formation avec un agenda
sirait rester au gouvernement. Après économique de défense de la classe
l’annonce de son limogeage, Lapid moyenne et qui pourrait s’imposer
a déclaré que le Premier ministre comme un centriste de poids.
avait «échoué dans sa direction du
A.M. (à Tel-Aviv)
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MERCREDI
3 DÉCEMBRE 2014
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8
•
MONDE
Le mouvement
prodémocratie
s’essouffle:
la stratégie de
pourrissement
et les accès
de répression
ponctuels
du pouvoir
en place ont
fini par diviser
«Occupy
Central».
Par PHILIPPE GRANGEREAU
Correspondant à Pékin
ne scission est apparue
au sein du mouvement
«Occupy Central», qui
bataille depuis neuf semaines dans les rues de Hongkong
pour réclamer le droit d’élire librement le chef de l’exécutif en 2017.
Ni les autorités de Hongkong ni celles de Pékin n’ont cédé le moindre
pouce de terrain face à ces demandes de démocratisation, et la lassitude s’est emparée d’une population qui initialement soutenait
largement les revendications de sa
jeunesse rebelle.
Prenant acte de l’essoufflement de
leur action, les trois initiateurs du
sit-in, Benny Tai, Chan Kin-man et
Chu Yiu-ming, ont
RÉCIT appelé mardi les manifestants à rentrer
chez eux. Ils ont également
annoncé qu’ils se livreraient ce
mercredi à la police pour «manifester leur engagement et leur responsabilité». Pour tenter de requinquer
l’enthousiasme en berne de ses
troupes, le célèbre leader du syndicat étudiant Scholarism, Joshua
Wong Chi-fung, 18 ans, a en revanche annoncé qu’il se mettait en
grève de la faim «illimitée» en compagnie de deux de ses camarades,
Lo Yin-wai, du même âge que lui,
et Wong Tsz-yuet, 17 ans. Ils cesseront de s’alimenter, disent-ils, jusqu’à ce que les autorités de
Hongkong «reprennent le dialogue».
Constante de leur revendication: ils
demandent que l’Assemblée nationale populaire chinoise abroge son
décret du 31 août, qui stipule que
les «deux ou trois» candidats au
poste de chef de l’exécutif de
U
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Les forces de l’ordre répriment une manifestation, à Admiralty, dans le centre administratif de Hongkong, lundi. PHOTO DALE DE LA REY. AFP
AHongkong,lesautorités
cassentunerévoltefatiguée
Hongkong sont présélectionnés par
un comité de facto inféodé au Parti
communiste chinois. «Nous sommes prêts à payer le prix et à endosser
nos responsabilités», a proclamé le
précoce Joshua Wong en expliquant
«avoir tout tenté» durant les neuf
longues semaines qu’ont duré le
mouvement Occupy Central. Et de
citer l’organisation d’une grève des
cours dans les écoles et universités,
et la tenue d’un «dialogue» télévisé
en direct avec des représentants de
l’administration du territoire –qui
n’a rien donné.
GAZ AU POIVRE. Des représentants
du mouvement étudiant ont également tenté de se rendre à Pékin
pour nouer un dialogue direct avec
les autorités. Mais la délégation,
bien que composée de citoyens officiellement «chinois», s’est vue
refuser un visa pour s’y rendre.
Lundi, plusieurs milliers d’étudiants ont encore tenté de bloquer
les entrées du siège du gouvernement local, avant de se faire repousser avec pertes et fracas par les
matraques et les gaz au poivre de la
police. Une quarantaine de manifestants, ainsi que onze policiers, se
sont retrouvés à l’hôpital.
Les lieux stratégiques de la ville où
les étudiants ont planté leurs tentes
sont aujourd’hui fortement mena-
cés d’évacuation par la police. Le
site de Mongkok a été pris d’assaut
ce dernier week-end par les forces
de l’ordre et abandonné par les étudiants. Le sit-in de Causeway Bay
n’est plus tenu que par une poignée
de militants. Seul le site d’Admiralty, dans le cœur administratif de
la ville, semble encore solidement
défendu par des centaines d’étudiants qui y campent jour et nuit.
Les autorités ont opté dès le mois
d’octobre pour une stratégie du
pourrissement, après avoir pris
conscience que l’usage de gaz lacrymogène et de méthodes brutales
pour tenter de casser la «révolution
des parapluies» avaient eu un effet
mobilisateur. Choqués par un emploi de la force jugé démesuré, de
nombreux Hongkongais avaient
rallié le mouvement.
La stratégie actuelle a été mise en
œuvre en concertation étroite avec
Pékin. Singulièrement, le Parti
communiste n’a pas d’existence officielle à Hongkong. Mais des rencontres très discrètes ont lieu presque chaque jour entre ses émissaires
et des responsables de la région administrative spéciale. Elles se déroulent à Shenzhen, juste de l’autre
côté de la frontière, dans la
luxueuse villa Bauhinia, qui sert de
QG secret, selon les médias locaux.
La nouvelle approche des autorités
REPÈRES
Le 28 septembre, le mouvement prodémocratie
s’était brutalement accéléré à Hongkong et les
manifestants étaient descendus dans les rues par
dizaines de milliers. Leur
nombre s’est depuis réduit
mais les sit-in ont continué.
40
personnes ont été interpellées dimanche après les violents incidents dans la nuit
autour des locaux du chef
de l’exécutif hongkongais.
«Nous appelons les
étudiants à battre en
retraite, à s’enraciner
dans la société et à
transformer la nature
du mouvement.»
Benny Tai un des leaders
d’Occupy Central
allie le refus de tout compromis sur
les questions politiques à l’emploi
de méthodes souples visant à éviter
au maximum les brutalités policières. Autre objectif: garder tant que
faire se peut l’apparence séduisante
de la formule «un pays, deux systèmes», au nom de laquelle l’excolonie britannique a été rétrocédée à la Chine en 1997.
RÉUNIFICATION. L’enjeu, pour le PC
chinois, dépasse Hongkong, car
c’est également la formule «un
pays, deux systèmes» qui est proposée à Taiwan. La petite «République de Chine» démocratique a
toujours rejeté l’idée d’une réunification avec une République populaire non démocratique, et l’épisode
de la révolution des parapluies n’a
fait que renforcer la méfiance des
22 millions de Taïwanais. D’ailleurs,
ce week-end, où se déroulaient à
Taiwan des élections locales, le Parti
démocrate progressiste, favorable à
l’indépendance de l’île, a battu en
brèche le parti Kuomintang (KMT)
au pouvoir, qui travaille à un rapprochement politique avec Pékin.
Le président taïwanais, Ma Yingjeou, a, en conséquence, annoncé
mardi qu’il démissionnait de la présidence du KMT, tandis que le Premier ministre rendait lui aussi son
tablier. •
MONDEXPRESSO
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
DÉCRYPTAGE
AMAZON JOUE
AU PÈRE NOËL
MALGRÉ LUI
Gazoduc South Stream:
Moscou jette l’éponge
C
Qu’est-ce que
le South Stream ?
C’est le pendant du Nord
Stream, un gazoduc de contournement reliant la Russie
à l’Allemagne via la Baltique,
achevé en 2011-2012. Le
South Stream, dont les travaux n’ont jamais réellement
commencé hors de Russie,
devait relier sur 3600km ce
pays à la Bulgarie sous la mer
Noire puis gagner la Serbie, la
Hongrie ainsi que l’Italie, la
Slovénie, l’Autriche et la
Grèce. Cet investissement
d’une valeur de 25 milliards
d’euros devait transporter
63 milliards de mètres cubes
de gaz par an en Europe occidentale (contre 55 milliards
pour le Nord Stream qui ne
fonctionne pas au maximum
de ses capacités), soit 35%
des livraisons de gaz russe à
l’Europe. Ces deux gazoducs
sont des armes politiques
dont la construction a été
décidée après la venue au
pouvoir de pro-Occidentaux
à Kiev. Moscou avait réagi à
la victoire de la révolution
orange de 2004 en coupant le
gaz à Kiev. Il avait fallu près
de huit ans de négociations
avec tous les pays situés sur
le tracé du South Stream
pour que les travaux puissent
enfin commencer.
Pourquoi cet arrêt ?
Ce projet est la première victime des sanctions décrétées
contre Moscou par les Occidentaux après l’annexion de
la Crimée. Officiellement,
Bruxelles, qui déplore les
pratiques monopolistes du
géant gazier russe, exige que
Gazprom – propriétaire de
50% de l’investissement –
accepte que des tiers puissent
accéder au gazoduc. Les
Etats-Unis, qui veulent
pousser les Européens à soutenir Kiev contre Moscou
malgré leur dépendance
énergétique, ont aussi fait
pression sur la Bulgarie pour
qu’elle cesse les travaux. La
défaite de la coalition au
pouvoir à Sofia, sensible aux
sirènes russes, et le retour
aux affaires de la droite ont
consolidé leur position.
Que peut faire Moscou ?
Gazprom fournit un tiers des
besoins européens en gaz
mais tire une bonne moitié
de ses revenus de ses livraisons vers l’Europe. Cette
interdépendance limite la
marge de manœuvre du maître du Kremlin. Poutine a annoncé la diminution des livraisons de gaz à l’UE mais la
demande européenne a déjà
baissé d’un quart en novembre. Faute de débouchés alternatifs vers l’Asie, cette diminution, qui ne peut être
compensée par une augmentation équivalente des livraisons à la Turquie comme le
prévoit Poutine, convient encore moins à la Russie alors
que le prix du gaz, indexé sur
celui du pétrole, chute. •
Les gazoducs russes existants
Mer
Baltique
EST
Nord Stream
En projet
SaintPétersbourg
Yamal
LETT
LIT
Berlin
POLOGNE
BIÉLOR
Kiev
UKRAINE
AUTR HONGRIE
ROUMANIE
Belgrade
ITALIE
South Stream
Trans Adriatic GRÈCE
300 km
Mer Méditerranée
RUSSIE
Moscou
Droujba
Minsk
ALLEM
9
L’HISTOIRE
Par HÉLÈNE DESPIC-POPOVIC
e devait être le projet
du siècle, et l’arme suprême de Moscou pour
ramener son petit frère rebelle à la raison : le South
Stream, le gazoduc géant qui
devait contourner l’Ukraine
via la Bulgarie, la Serbie et la
Hongrie, est désormais mort
et enterré. C’est Vladimir
Poutine lui-même, en visite
à Ankara, qui a prononcé
l’oraison funèbre de ce projet
pharaonique: «Si l’Europe ne
veut pas de ce gazoduc, alors
il ne sera pas construit.»
•
Soyouz
Mer Noire
Ankara TURQUIE
Trans Anatolian
Un camp de réfugiés dans l’est du Liban, mardi. PHOTO HUSSEIN MALLA. AP
L’hiverdesréfugiés
syrienss’annoncerude
ONU Faute d’argent, le Programme alimentaire mondial
va interrompre son aide envers 1,7 million de déplacés.
aute de moyens financiers, le Programme
alimentaire mondial
(PAM, agence de l’ONU) se
voit contraint d’interrompre
son aide à destination des
1,7 million de déplacés syriens. En effet, il manque
64 millions de dollars
(52 millions d’euros) ce
mois-ci pour délivrer des
coupons alimentaires à ces
réfugiés répartis entre la Jordanie, le Liban, la Turquie,
l’Irak et l’Egypte. L’agence a
lancé un appel de fonds urgent. «Sans ces coupons, de
nombreuses familles vont
connaître la faim», précise le
PAM dans un communiqué.
Car l’agence onusienne assure l’essentiel de l’aide
alimentaire dans les camps
de réfugiés, alors que les
Kurdes syriens qui ont fui
l’avancée de l’Etat islamique
dans la région frontalière
de Kobané sont près
de 140000 le long de la frontière syro-turque.
L’annonce de l’interruption
du programme du PAM est
d’autant plus inquiétante
que l’hiver approche. De
nombreux réfugiés sont mal
préparés pour affronter les
basses températures, particulièrement en Turquie, au
Liban, au Kurdistan irakien
et en Jordanie, où de nombreux enfants, souvent livrés
à eux-mêmes et mal vêtus,
errent dans des camps à la
limite des capacités sanitaires. Par ailleurs, la suspension de l’aide alimentaire
risque de déstabiliser un peu
F
plus les pays d’accueil. «Ces
derniers ont déjà supporté un
lourd fardeau pendant la
crise», déclare Muhannad
Hadi, coordinateur régional
de l’agence.
Depuis le début de la guerre
civile en mars 2011, environ
800 millions de dollars ont
été injectés par le Programme alimentaire mondial
afin de soutenir l’économie
locale dans les pays limitrophes de la Syrie. A titre
d’exemple, la Turquie frôle
les 900 000 réfugiés et le
frêle Liban a dépassé le million. A terme, un autre volet
de l’aide alimentaire onusienne pourrait être menacé.
Quatre millions de déplacés
syriens, situés dans les zones
contrôlées par les rebelles à
l’intérieur du pays, bénéficient également des rations
du PAM. L’aide va pouvoir se
poursuivre jusqu’au mois de
février, la nourriture ayant
déjà été achetée. Mais audelà de cette date, le Programme alimentaire mondial
ne pourra plus subvenir à
leurs besoins. Chaque semaine, quelque 35 millions
de dollars sont nécessaires
pour nourrir les réfugiés syriens qu’ils soient situés à
l’intérieur ou à l’extérieur du
pays. Outre la guerre civile
syrienne, le PAM est confronté à quatre crises humanitaires : Irak, Centrafrique,
Soudan du Sud et les pays
d’Afrique de l’Ouest touchés
par Ebola.
J.-L.L.T
Une tablette, un portable,
un téléviseur, une console,
un rasoir électrique, une
bibliothèque… C’est Noël
avant l’heure pour Robert
Quinn, un étudiant britannique de 22 ans, qui a reçu
à son domicile de Bromley,
dans la banlieue de Londres, un amoncellement
de cartons remplis de
matériel high-tech. En tout,
46 objets pour un montant
de 4500 euros envoyés
par erreur par Amazon.
En fait, le matériel était
destiné à un dépôt
de la société américaine
de distribution en ligne
chargé du traitement
des retours, explique
Quinn, qui posait mardi
tout sourire au milieu
de tous ses «cadeaux» à la
une du quotidien The Sun.
L’erreur d’aiguillage
proviendrait d’une
mauvaise base de données
informatique. Beau joueur,
le géant de la distribution
lui a confirmé qu’il pouvait
garder tous les paquets
reçus et en faire bon usage.
«Plus personne
ne peut battre
les tambours
de la guerre.
L’atmosphère hostile
créée contre nous a
disparu. Le monde
a réalisé que les
intérêts communs
peuvent mener
à un accord.»
Mohammad Javad Zarif
chef de la diplomatie
iranienne, mardi, satisfait
des progrès des
négociations sur le nucléaire
10
•
FRANCE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Par LILIAN ALEMAGNA
et LAURE BRETTON
poor lonesome cowboy.» A
en croire certains de ses
camarades, il en irait désormais de Manuel Valls
comme de Lucky Luke, esseulé au sein
de sa majorité depuis la rentrée. Soit très
loin du grand rassemblement des socialistes derrière lui que ses partisans promettaient au début du quinquennat.
«Dans deux ans, ils seront 200», entrevoyait un de ses proches en 2012. Ce
mercredi soir, ils devraient en réalité
être une grosse cinquantaine à trinquer
à la santé du chef du gouvernement, lors
d’un «apéro convivial» à l’Assemblée
nationale. «Cinquante, ça fait toujours
plus que trois», sourit le député de l’Essonne Carlos Da Silva, en référence à la
«TPE Valls» d’avant la primaire de 2011.
Ses soutiens se comptaient alors sur les
doigts d’une main. Avec Luc Carvounas,
son alter ego au Sénat, Da Silva s’est
chargé de lancer les invitations –environ 150 –, écartant d’office les «frondeurs» et les proches de Martine Aubry
pour faire honneur aux parlementaires
«qui bossent et qu’on n’entend jamais».
«S’il faut faire du biceps, on fera du biceps,
mais ce n’est pas notre état d’esprit», jure
le sénateur Carvounas. Il n’empêche
que ce raout ressemble à une opportune
démonstration de force en ces heures de
préparation de congrès socialiste, doublée d’une tentative de contre-offensive
après trois mois délicats pour le chef du
gouvernement. L’initiative déplaît à un
paquet de socialistes. «C’est la première
fois qu’un Premier ministre en exercice est
lui-même à l’initiative d’une réunion de
division de sa majorité», lâche un vieux
briscard de l’Assemblée. Le fait est que
c’est aussi la première fois qu’il élargit
le cercle de ses déjeuners du mercredi
avec des parlementaires, signe que le
Premier ministre cherche quand même
à savoir combien il pèse parmi les siens
à défaut d’avoir choisi de construire un
vrai courant au sein du PS.
«A
ÉMOI. Car, depuis la mi-août, tout s’est
accéléré pour Manuel Valls. Quand
François Hollande le convie à Brégançon
le 15 août, «ça signe la fin de ses illusions:
il est là pour appliquer le programme présidentiel et rien que ça. Le piège de Matignon se referme sur lui», analyse un conseiller de l’exécutif. Certes, après
l’affront d’Arnaud Montebourg et de
Benoît Hamon, à Frangy-en-Bresse fin
août, il obtient le droit de remanier tout
le gouvernement pour faire un acte
d’autorité. Sur la forme, l’honneur est
sauf. Manuel Valls ne sera pas Jean-Marc
Ayrault, qui menaçait ses ministres sans
jamais faire tomber le couperet. Mais,
au poste de Premier ministre, sa tâche
est compliquée à triple titre. Il lui faut
être loyal au Président, être le chef de la
majorité et ne pas perdre son identité.
Or, le 23 octobre dans l’Obs, c’est à la
dernière exigence – et uniquement à
celle-là – qu’il semble avoir répondu.
Prisonnier de son personnage, Valls fait
du Valls: il trouve «intéressante» l’idée
du «contrat unique», refuse de dire que
sa gauche est socialiste, réclame la
construction avec le centre d’une «maison commune» des «progressistes» avant
de réitérer son idée de changer le nom
Manuel Valls le 13 octobre, lors d’un déplacement sur le Grand Paris. PHOTO LAURENT TROUDE
ManuelValls,
socialiste
aurasduseul
Le Premier ministre, isolé dans son camp
par ses sorties libérales, tente de rassembler la
majorité autour de la lutte contre les inégalités.
du Parti socialiste. «Avec l’Obs, il a cassé
son jouet, assure un ténor du PS. Il est
resté sur un truc à la Fouks [Stéphane,
conseiller en communication, ndlr]: il
dégoupille une grenade par jour pour saturer l’espace mais ça ne marche plus.»
Après la parution de ces 7 pages, qualifiées de «faute» par le premier secrétaire du PS et le président de l’Assemblée, «des élus de terrain, des maires, des
conseillers généraux ont commencé à parler de “résistance intérieure”. Les gens ont
été refroidis», rapporte Arnaud Leroy,
député proche d’Arnaud Montebourg.
Même assertion du côté de Martine
Aubry dont la contribution pour les
états généraux du PS a connu «deux
grosses vagues de signatures : quand on
a lancé le texte et après l’Obs», raconte
le député ardéchois Olivier Dussopt.
Autour du Premier ministre, on fait
mine de ne pas comprendre l’émoi. «Il
n’y a vraiment rien de nouveau dans cette
interview», s’étonne encore, un mois
plus tard, un de ses conseillers. Rien de
nouveau, sauf que l’interviewé est Pre-
FRANCE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Emmanuel Macron au ministère de
l’Economie, le chef du gouvernement
n’a plus le monopole du clash idéologique ni celui de l’âge. «Macron ringardise
Valls, c’est l’une de ses principales vertus», se marre un député PS. A moins
que les sorties du ministre sur le contrat
unique et les 35 heures n’installent l’aggiornamento Valls dans les esprits…
Suite à son interview le Premier ministre essuie une série de revers. Il y a
François Hollande qui, en épinglant la
grand-croix de la Légion d’honneur sur
la veste de son Premier ministre, se plaît
à évoquer Georges Clemenceau pour
mieux lui rappeler qu’«on peut réussir
sa vie sans être président de la République». «François a fait du François», lâche Manuel Valls de retour à Matignon.
«Loyal, il l’est totalement, aucun sondage
ne remplace le suffrage universel dans son
esprit», assure Carlos Da Silva. Il y a ensuite l’annonce de la date du congrès
socialiste. Ce sera en juin 2015 plutôt
qu’au printemps 2016, comme le voulaient Valls mais aussi Hollande. Et voilà
le Premier ministre contraint de faire
profil bas dans l’intervalle s’il ne veut
pas alimenter le «Tout sauf Valls». Avec
un congrès coincé entre deux échéances
électorales annoncées comme des débâcles, le Président peut, lui, choisir de
rebattre les cartes: changer de Premier
ministre et, partant, changer la nature
du congrès. Il y a enfin la suppression
d’un paragraphe mentionnant les «progressistes» chers à Valls dans la nouvelle
charte du PS. Des symboles qui sonnent
comme autant de petites revanches de
ses adversaires internes.
RUMEURS. Pour reprendre la main, sur
le fond comme sur la forme, Manuel
Valls a demandé à ses ministres de plancher sur la lutte contre les inégalités,
dont il veut faire une ligne directrice
pour 2015. Ce sera le thème du séminaire gouvernemental à Matignon le
11 décembre. La veille au soir, il inaugurera un cycle de discours sur l’égalité à
la Fondation Jean-Jaurès. «La blague qui
veut que Manuel Valls ne soit pas à gauche,
j’ai toujours trouvé ça complètement stupide, explique le secrétaire d’Etat au
Commerce extérieur, Matthias Fekl.
Mais notre responsabilité est de nous
adresser à toute la gauche en travaillant
sur le cœur de notre engagement : lutter
contre les inégalités et contre la reproducmier ministre. Vu l’état dans lequel ses tion sociale.» Une ministre constate en
mots ont mis la majorité, Manuel Valls écho : «Manuel bouge. Il a compris que
a remballé son projet de contribution l’autorité, c’est bien mais que ça ne fait
aux états généraux. «Le contexte a sur- pas une politique. Il utilise des mots qui ne
déterminé le texte [de l’Obs, ndlr]. La sont pas forcément les siens. Il parle de
température était montée à 172°C, on n’al- gauche, de solidarité, d’égalité. Je l’ai
lait pas en rajouter», raconte Carlos même entendu dire que les salariés soufDa Silva. Avec cette interview, le chef fraient au travail !» Mardi, celui qui n’a
du gouvernement a crispé la base socia- eu de cesse de déclarer sa flamme aux
entreprises a dénoncé «les provocations» d’un patronat «pas
«Manuel bouge. Il a compris
à la hauteur». Enfermé dans sa
que l’autorité, c’est bien mais
position institutionnelle et
que ça ne fait pas une politique.»
après la mauvaise séquence
d’octobre, le chef de la majorité
Une ministre
ne peut plus prendre le moindre
liste et semblé s’enfermer dans un duel risque. «Il est “pat” [incapable de bouger,
avec Martine Aubry. Au lieu de laisser ndlr]», constate un député amateur
l’ancienne première secrétaire s’éver- d’échecs. Ce qui alimente les rumeurs
tuer à convaincre qu’elle ne divisait pas sur son éventuel départ de Matignon,
son camp avec sa critique du hollan- provoquant l’hilarité de son entourage.
disme, le Premier ministre est apparu «Le logiciel vallsien, c’est que la gauche
en riposte, redevenant le trublion de puisse enfin gouverner dans la durée»,
l’aile droite du PS période 2009 plutôt rappelle un proche. «Il installe aujourque le patron de la majorité.
d’hui l’idée qu’il veut rester jusqu’en 2017
Depuis que François Hollande a nommé parce qu’il n’a plus de troupes, contredit
REPÈRES
w Mercredi 3 décembre «Apéro convivial»
où Manuel Valls a convié 150 parlementaires PS «réformistes» comme lui.
w Vendredi 5 décembre Le Premier ministre
plante, comme ses prédécesseurs,
«son» arbre dans le jardin de Matignon.
w Dimanche 7 décembre Quarante minutes
d’entretien au 20 heures de France 2.
w Mercredi 10 décembre Discours sur la
lutte contre les inégalités à la Fondation
Jean-Jaurès.
«Certains, y compris dans nos
rangs et faute d’avoir vu le PS
porteur de solutions, veulent
déclarer sa désuétude et
programmer sa disparition.
Ce serait pire qu’une folie,
une faute, et sans doute un geste
suicidaire pour la France.»
Michel Rocard ciblant Manuel Valls dans
sa contribution aux états généraux du PS
16
C’est le nombre de points de cote de
popularité perdus par Valls entre avril
(46% des Français lui faisaient confiance)
et novembre (30%), selon TNS-Sofres.
•
11
un pilier de l’Assemblée. S’il sort maintenant, il part totalement déconsidéré par
les socialistes.» Valls s’accroche donc,
plaidant sans cesse la nécessité de réformer la France et de ne pas changer de
cap. Il le fera une fois de plus dimanche
soir au journal de 20 heures de France 2.
«Il faut en permanence s’expliquer, expliquer ce que nous faisons, donner le sens,
le cap, la cohérence», a-t-il encore répété lundi soir à Nantes.
ABSTENTIONNISTES. Cette détermination marque sa majorité. «C’est très important dans un moment où tout le monde
doute, reconnaît le député Christophe
Borgel. Manuel est préoccupé par deux
choses : trouver un point de croissance et
les conséquences sur notre territoire de la
guerre contre l’Etat islamique.» Mais son
positionnement politique et sa manière
de cliver vont à l’encontre de la priorité
de Hollande en vue de 2017, le rassemblement de la gauche pour éviter un
trop plein de candidatures présidentielles. Sans les écologistes et avec une
quarantaine de socialistes frondeurs et
abstentionnistes, voilà Valls contraint
de céder aux crises de nerfs répétées des
radicaux de gauche pour garder sa majorité. Qu’il ne peut élargir vers un centre désormais bien ancré à droite. Au
congrès des élus socialistes, le Premier
ministre a fondu sur le président de
l’Assemblée pour lui reprocher son appel au rassemblement de la gauche,
paru le matin dans la presse. «Ça
t’aide», lui a répliqué Claude Bartolone.
Sans (le) convaincre. •
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12
•
FRANCEXPRESSO
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
COULISSES
«Ils peuvent
toujours nommer
Donald [Tusk,
président du Conseil
européen, ndlr] à
la tête de l’Europe,
c’est quand même
Picsou qui
commande.»
Par GRÉGOIRE BISEAU
François Hollande prêt
pour un premier discours
sur l’immigration
rançois Hollande a décidé: le 15 décembre, il
se rendra à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour y prononcer
un discours sur… l’immigration. Ce sera la première fois
depuis le début du quinquennat que le chef de l’Etat
consacrera une allocution
entièrement dédiée à ce sujet. Jusqu’à présent, il l’avait
soigneusement évité.
F
Bien sûr, à l’occasion de ses
discours mémoriels (centenaire de la Première Guerre
mondiale, 70 ans de la libération), le chef de l’Etat a
toujours pris la peine de rendre hommage aux sacrifices
de nombreux soldats venus
des colonies et morts pour la
France. De même, en déplacement à l’étranger, il a souvent rappelé que la France a
l’ambition de redevenir un
pays attractif pour les jeunes
diplômés désireux de venir
faire leurs études en France.
Mais de discours sur l’immigration, jamais.
Le lieu est lui aussi très politique. Cette Cité nationale
de l’histoire de l’immigra-
tion, dans le palais de la
Porte dorée à Paris, a une
histoire très singulière. Imaginé par Jacques Chirac à
partir d’une réflexion entamée sous Lionel Jospin, ce
musée, unique en France, a
été lancé par Jean-Pierre
Raffarin en juillet 2004. Mais
il n’a jamais été officiellement inauguré. Car le jour
de son ouverture au public,
en octobre 2007, Nicolas
Sarkozy a choisi de snober
l’événement. La création du
ministère de l’Immigration
et de l’Identité nationale
avait provoqué la démission
de huit des douze historiens
qui composaient le comité
scientifique du musée (dont
Patrick Weil), alors présidé
par Jacques Toubon.
Depuis, François Hollande a
nommé, au grand dam de
son propre camp, Jacques
Toubon au poste de Défenseur des droits. Et c’est
Benjamin Stora, un ami du
Président qui l’a remplacé.
Le 15 décembre, le chef
de l’Etat devrait donc faire
coup double : parler à sa
gauche et semer la division
à droite. •
LES GENS
CLAUDE GUÉANT AURAIT
ÉTÉ ÉPARGNÉ D’UN
SIGNALEMENT À TRACFIN
La BNP a-t-elle épargné Claude Guéant, alors qu’il était
secrétaire général de l’Elysée? Selon l’Express, la banque,
contrevenant à ses obligations, aurait «omis» d’alerter
Tracfin (l’organisme de lutte antiblanchiment de Bercy)
en 2008, quand un virement de 500000 euros en provenance de Malaisie a atterri sur le compte de Guéant.
La BNP ne l’aurait signalé qu’au printemps 2013, quand
un article du Canard enchaîné a sorti l’affaire dite «des
tableaux»: deux toiles que Guéant soutient avoir très
bien vendues, mais pour lesquelles il ne dispose d’aucun
certificat d’exportation. Policiers et magistrats n’ont, eux,
découvert le virement qu’en février 2013, après la saisie
de relevés bancaires de Guéant à son domicile, dans le
cadre d’une enquête sur le financement de la campagne
de Sarkozy en 2007. PHOTO REUTERS
Jean-Luc Mélenchon
mardi sur Twitter
L’HISTOIRE
CAMBA RÉCOLTE
LE MÉPRIS
D’HORTEFEUX
Wauquiez et NKM entourent Carla Bruni, à un meeting de Sarkozy, en novembre. A. FACELLY
NicolasSarkozyfaceau
dilemmeNKM-Wauquiez
UMP La nomination du secrétaire général du parti
renseignera sur sa future ligne politique.
près avoir tant promis, Nicolas Sarkozy
va devoir décevoir. Le
casting de la nouvelle équipe
dirigeante de l’UMP lui
donne par ailleurs l’occasion
de livrer une indication sur
sa future ligne politique: serait-ce celle du «parti du
XXIe siècle», dépassant l’antique clivage gauche-droite,
qu’il avait célébrée à la fin de
l’été? Ou, au contraire, celle
de la droite dure, obsédée
par les frontières et l’identité
nationale, qu’il a défendue
pendant sa campagne ?
Mentor. Longtemps donnée
favorite pour le poste très
convoité de secrétaire général – numéro 2 du parti –,
Nathalie Kosciusko-Morizet
serait sur la sellette, après un
tête-à-tête houleux dans le
bureau de Sarkozy, lundi
après-midi. Son mentor lui
reproche, notamment, de
l’avoir crûment désavoué
après qu’il a promis «l’abrogation» du mariage gay. Reçu
dans la foulée, son principal
rival, l’ultradroitier Laurent
Wauquiez, croit en ses chances, même si la promotion de
A
ce député assez massivement
détesté dans son propre
camp risque de contrarier un
grand nombre de responsables de l’UMP.
Tout à sa volonté de «rassembler», Sarkozy reçoit à tour
de bras. Le Maire et Bertrand
lundi, Fillon mardi, Copé et
Juppé mercredi : la plupart
des hauts gradés de l’UMP
seront passés dans son bureau pendant les trois premiers jours de sa présidence.
Mardi matin, lors de la réunion des députés UMP,
Sarkozy a dit son «émotion»
de les retrouver. «Apaisé et
charmeur» – c’est un filloniste qui le dit –, il a assuré
qu’à défaut d’avoir
«changé», il pensait avoir
«appris». La preuve ? Il
n’aurait plus «la grosse tête»
et ne jure plus que par «le
collectif». Pas un mot, en revanche, sur le club d’ex-Premiers ministres –baptisé par
Juppé «comité naphtaline» –
dont le nouveau président de
l’UMP prétendait s’entourer.
Paradoxalement, c’est entre
ses deux principaux lieutenants, NKM et Wauquiez,
que le «rassemblement» est le
plus périlleux. Les deux quadras l’ont accompagné dès le
début dans un retour qu’il
espérait triomphal. Ils entendent bien en être récompensés et leur rivalité n’a fait que
croître ces dernières semaines. L’ex-ministre de l’Enseignement supérieur cogne
à bras raccourcis sur la droite
molle et boboïsée de son excollègue de l’écologie. NKM
voit en Wauquiez une réincarnation du fameux Patrick
Buisson, théoricien maurrassien de la campagne de 2012.
Assistanat. Lundi soir,
Wauquiez participait à Mots
croisés (France 2), face à Marion Maréchal-Le Pen (FN) et
Jean-Christophe Lagarde
(UDI). L’homme de Sarkozy
a passé toute l’émission à
courir derrière la frontiste,
pour lui contester le monopole des fortes paroles contre
l’Europe, l’immigration et
l’assistanat. Laissant au centriste, spectateur consterné
de cette compétition, le soin
de démontrer qu’on ne combat pas le FN en le copiant.
ALAIN AUFFRAY
Un débat télé entre chefs
de parti. Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis avait fait
cette proposition à Nicolas
Sarkozy sitôt celui-ci élu
président de l’UMP. Hypothèse balayée avec une
bonne dose de mépris par
Brice Hortefeux, zélé porte-voix de l’ex-chef de
l’Etat, qui a jugé que, pour
le député PS de Paris, un
débat avec le secrétaire
général de l’UMP, et non
son président, ce serait
«déjà très bien». S’il n’a plus
le moindre mandat électif,
Sarkozy entend bien sûr se
poser davantage en leader
de l’opposition et donc en
interlocuteur du Premier
ministre, Manuel Valls,
qu’en alter ego de Cambadélis. Zappant un peu vite
qu’en l’état, ils sont l’un
comme l’autre à la tête
d’un parti moribond où les
poids lourds la jouent
perso avec 2017 en tête.
5600
C’est le nombre de contributions reçues par le PS
dans le cadre de ses états
généraux. Dans les
3200 sections PS, les
60000 à 70000 adhérents à jour de cotisation
(sur 150000) sont appelés
à approuver mercredi «la
charte des socialistes» qui
en est issue, mais aussi à se
prononcer sur leurs candidats aux départementales
de mars.
NOËL SUR LES BERGES DE SEINE
> NOËL MAKERS (MARCHÉ DE NOËL) : 5, 6 & 7 DÉC. 2014
> BERGES SUR NEIGE (ROLLERSKI & BIATHLON) : DU 20 DÉC. 2014 AU 04 JANV. 2015
LESBERGES.PARIS.FR
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
FRANCE
•
13
Réfugiés:un
curétoujours
encampagne
Gérard Riffard, jugé en appel pour
avoir hébergé des demandeurs d’asile,
plaide la nécessité d’une mise à l’abri.
Par CATHERINE COROLLER
Correspondante à Lyon
Saint-Etienne. «Compte tenu de la
saturation du dispositif de veille sociale étatique» et fort d’une direcne deuxième fois, deux tive européenne de janvier 2003
positions irréconcilia- prévoyant que «les Etats membres
bles se sont opposées peuvent déroger aux normes minimamardi, cette fois devant les des conditions matérielles d’acla cour d’appel de Lyon. D’un côté, cueil des demandeurs d’asile lorsque
Gérard Riffard, 70 ans, anles capacités de logements
cien curé de l’église SainteRÉCIT disponibles sont temporaireClaire à Saint-Etienne
ment épuisées», le juge avait
(Loire), poursuivi pour avoir ignoré reconnu l’«état de nécessité». «Il
un arrêté municipal d’avril 2013 lui est paradoxal que l’Etat poursuive
interdisant d’héberger des deman- aujourd’hui le père Riffard pour avoir
deurs d’asile et des déboutés du fait ce qu’il aurait dû faire luidroit d’asile dans un bâtiment ne même», avait même écrit le magisrépondant pas aux normes de sécu- trat dans son jugement, se fondant
rité. De l’autre, Denis Vanbrem- également sur une décision du
mersch, l’avocat général. En pre- Conseil d’Etat de février 2012
mière instance, le prêtre avait été «érig[eant] le droit à l’hébergement
relaxé par le tribunal de police de d’urgence au rang de liberté fondamentale». Mais le parquet a fait appel de cette décision et le deuxième
procès a donc eu lieu mardi.
U
REPÈRES
Né à Saint-Genest-Lerpt
(Loire) en 1944, Gérard
Riffard a été ordonné
prêtre en 1973 et nommé
curé de la paroisse SainteClaire de Saint-Etienne en
1974. Il y a cinq ans, il a été
chargé, par l’évêque, de
l’accompagnement des
demandeurs d’asile.
«Le délit de
solidarité a été aboli
le 30 décembre 2012.
On ne […] poursuit
plus ceux qui font
preuve de
générosité!»
Chantal Jullien avocate
du père Gérard Riffard.
141500
C’est le nombre de personnes sans domicile fixe
recensées par l’Insee dans
une étude datant de 2012.
Parmi ces sans-abri figurent 30000 enfants.
TEMPÉRATURES. La menace de
cette nouvelle comparution n’a pas
fait fléchir le curé soutenu par son
évêque. Depuis une quinzaine
d’années, Gérard Riffard accueille
des réfugiés. D’abord dans le logement de fonction qu’il occupe toujours dans l’enceinte de l’église
puis dans la salle paroissiale, voire
la chapelle en cas d’affluence. En ce
début décembre, «une cinquantaine Gérard Riffard continue à accueillir des demandeurs d’asile chez lui, à Saint-Etienne. SÉBASTIEN EROME.SIGNATURES
d’adultes et une quinzaine de gosses»
y ont trouvé refuge, précisait le ont été installés dans la salle parois- favorisées. Devant la cour, ce mon- société, on n’est pas un électron licuré avant l’audience. Un accueil siale. Et les portes de secours ont sieur de «90 ans passés» a rappelé bre», a-t-il ajouté à l’intention du
encore provoqué par la nécessité. été déverrouillées. En vain. «Ce que «la rue peut tuer». «Quels que curé. Puis, l’avocat général a cru
Alors que les températures ont n’est pas un dossier d’urbanisme !» soient les efforts des autorités admi- bon de citer des déclarations du
chuté ces derniers jours, la préfète a ironisé devant la cour Chantal Jul- nistratives, ils sont insuffisants pour pape François, le 25 novembre dede la Loire n’aurait toujours pas fait lien, l’avocate du curé pour qui la répondre aux besoins en matière d’hé- vant le Parlement européen, sur la
connaître, selon lui, les détails du sécurité n’est en réalité qu’un pré- bergement d’urgence, a-t-il déclaré. nécessité «d’ordonn[er] harmonieuplan grand froid censé organiser la texte pour l’empêcher de continuer Mieux vaut une situation imparfaite sement le droit de chacun au bien plus
mise à l’abri des personnes à la rue. à héberger des demandeurs d’asile. dans un établissement ne répondant grand», faute de quoi «il finit par se
«Si elle se contente
pas […] aux normes de sécurité, que concevoir comme sans limites et, par
d’ouvrir un gym- «Mieux vaut une situation imparfaite de faire courir aux gens un péril plus conséquent, devenir source de conflits
nase de 22 heures dans un lieu ne répondant pas aux
grand en les remettant à la rue.»
et de violences», suscitant l’indià 7 heures, ça ne
gnation de paroissiens présents
normes
que
de
faire
courir
aux
gens
suffira pas», comINDIGNATION. Tout en saluant la dans la salle d’audience pour souun
péril
plus
grand
dans
la
rue.»
mentait le curé.
personnalité «éminemment respec- tenir leur curé. «L’enfer est pavé de
Officiellement, le Paul Bouchet ancien bâtonnier de Lyon
table» de Gérard Riffard et en assu- bonnes intentions», a ajouté Denis
s ep t ua géna i re
rant que «l’état de nécessité peut Vanbremmersch, provoquant de
comparaissait pour infraction au Pour soutenir la cause de Gérard parfaitement s’entendre», Denis nouvelles exclamations scandalicode de l’urbanisme. Pour mieux Riffard, l’avocate a fait citer comme Vanbremmersch a affirmé que sées. En première instance, l’avocat
répondre aux exigences de sécurité, témoin Paul Bouchet, ex-bâtonnier «l’Etat n’a de cesse que de toujours général avait requis 12 000 euros
Gérard Riffard a pourtant procédé de Lyon, ex-conseiller d’Etat, ex- essayer d’en faire plus [en matière d’amende, Denis Vanbremmersch
à plusieurs installations: des détec- président d’ATD quart-monde et d’hébergement d’urgence, ndlr]» a ramené le montant de la contrateurs de fumée, extincteurs et lam- actuel membre du Haut Comité mais qu’il est là aussi pour «fixer vention à 1200 euros. La décision a
pes veilleuses indiquant les sorties pour le logement des personnes dé- des règles». «On s’inscrit dans une été renvoyée au 27 janvier. •
14
•
FRANCEXPRESSO
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
DROIT DE SUITE
CARNET
Par ÉLIANE PATRIARCA
DÉCÈS
Queyranne demande
la suspension du Center
Parc de Roybon
e Center Parc de Roybon, complexe hôtelier
que Pierre et Vacances
veut implanter sur le territoire de cette commune de
l’Isère, objet d’une bataille
judiciaire depuis sept ans et
d’une vive contestation sur
le terrain, a du plomb dans
l’aile. Le président socialiste
de Rhône-Alpes, Jean-Jack
Queyranne, a écrit mardi au
préfet de région pour lui demander de «prendre les dispositions nécessaires à la suspension des travaux». Et le
tribunal administratif de
Grenoble doit examiner le
12 décembre plusieurs recours d’associations d’opposants demandant aussi la
suspension.
L
Le Center Parc de Roybon
doit accueillir en 2017 un
millier de cottages, des commerces et des restaurants,
autour d’une bulle transparente avec piscine. Le projet
prévoit la création de
697 emplois à temps partiel
et d’importantes retombées
fiscales pour les collectivités
locales et la commune de
1400 habitants. Mais les opposants dénoncent le passage en force du préfet de
l’Isère, qui a autorisé en octobre le début des travaux de
déboisement, malgré l’avis
très défavorable rendu cet
été par la commission d’enquête au titre de la loi sur
l’eau. Les trois commissaires
enquêteurs avaient pointé les
risques de l’implantation
ex nihilo du complexe touristique de 5 600 habitants
pour la nappe phréatique, et
les 120 hectares de zone humide ainsi artificialisés.
Pour l’heure, dans cette forêt
des Chambaran, limitrophe
de la Drôme, a surgi la plus
récente des ZAD (zone à défendre) ; 600 à 1 000 opposants y ont manifesté dimanche et, depuis, une centaine
occupent une maison de
l’Office national des forêts, à
proximité du chantier.
Mardi, ils ont reçu la visite
d’un huissier accompagné de
gendarmes, mais ont refusé
de quitter les lieux. •
LES GENS
Elle se plaisait à dire
que de sa passion
elle avait fait son métier.
Régine Juin
Le principe «un détenu, une cellule» est inscrit dans la loi depuis 1875. PHOTO FÉLIX LEDRU
Cellulesindividuelles:
dereportsenrapport
PRISON Le député PS Dominique Raimbourg a rendu
ses propositions pour un respect de la loi d’ici à 2022.
l a rempli sa mission :
pondre un rapport parlementaire en deux temps
trois mouvements. Le député
socialiste Dominique Raimbourg a présenté mardi à la
garde des Sceaux, Christiane
Taubira, ses propositions
pour rendre applicable
une loi vieille de plus d’un
siècle : permettre aux détenus d’être seuls en cellule
s’ils le souhaitent.
I
Pourquoi ce rapport ?
RAZZY HAMMADI VEUT UNE
ENQUÊTE SUR LES FONDS DU FN
Une enquête parlementaire: c’est ce que demande le
député (PS) de Seine-Saint-Denis, Razzy Hammadi, au
sujet des prêts d’origine russe, faits au Front national et
au microparti de Jean-Marie Le Pen. Le site Mediapart a
révélé récemment que le FN a obtenu en septembre un
prêt de 9 millions d’euros de la First Czech-Russian Bank
(FCRB), puis qu’une association de financement de
Jean-Marie Le Pen a reçu 2 millions d’euros d’une
société établie à Chypre mais détenue par un ancien
membre du KGB. «Les conditions de ces prêts [de
l’argent aurait transité par la Suisse, ndlr], ainsi que l’origine exclusivement russe des fonds, posent une question
majeure dont le Parlement doit se saisir», considère
Razzy Hammadi. PHOTO AFP
•
SUR LIBÉRATION.FR
Série «A Vierzon, les coiffeurs en voient de toutes les
couleurs», troisième volet de notre plongée dans la vie
commerçante de la sous-préfecture du Cher, où les
salons de coiffure tentent de résister.
Inscrit dans la loi en 1875, le
principe «un détenu, une
cellule» est piétiné depuis
cent quarante ans par les
gouvernements de droite
comme de gauche. Il faut attendre l’an 2000 pour qu’Elisabeth Guigou, alors garde
des Sceaux, rappelle les pouvoirs publics à leur engagement. La ministre socialiste
prévoit cependant un délai
de trois ans avant la mise en
œuvre effective de l’encellulement individuel. De report
en report, nous voilà en 2014.
Théoriquement, le moratoire
expire le 25 novembre.
Christiane Taubira, à son
tour, espère obtenir sa prolongation. Sauf que JeanJacques Urvoas, président
socialiste de la commission
des lois, ne l’entend pas
ainsi. A ses yeux, un nouveau
moratoire «porterait atteinte
à la crédibilité du Parlement,
dont la vocation ne saurait être
de voter des dispositions inapplicables». Le Premier ministre, Manuel Valls, confie
alors une mission à Domini-
que Raimbourg, qui planche
pendant trois semaines.
Que contient-il ?
Premier enseignement : le
28 octobre, sur 66 522 personnes détenues, 26 341
étaient hébergées seules
(39,65%). La capacité d’accueil dans les établissements
pénitentiaires reste en effet
nettement insuffisante : il
manque 8440 places dans les
prisons françaises. La surpopulation carcérale atteint le
taux de 114,5%. La situation
dans certaines maisons d’arrêt est particulièrement sensible : on doit souvent y installer des lits au-delà de
la capacité opérationnelle,
voire disposer des matelas au
sol. Raimbourg espère en finir avec cette «application
très molle de la loi». Il fixe
trois étapes pour qu’en octobre 2022 «le strict respect
de l’encellulement individuel»
soit atteint. Un taux de 80%
de places individuelles est
envisagé, le reste étant destiné aux personnes souhaitant partager leur cellule ou
trop fragiles psychologiquement pour être seules.
Le député souhaite que les
nouveaux établissements
censés être construits d’ici
à 2017 (3 200 places supplémentaires) respectent le taux
de 80%. Il espère aussi
transformer les 2271 cellules
multiples (pour trois détenus
ou plus) existantes par des
cellules simples. Il formule
enfin plusieurs mesures
techniques: faciliter les amé-
nagements de peine avant
incarcération, augmenter les
remises de peine pour les détenus faisant des efforts de
réinsertion en établissement
surpeuplé, fixer des seuils
d’alerte de surpopulation…
Est-il bien accueilli ?
Marie Crétenot, juriste à
l’Observatoire international
des prisons, est partagée.
«Ce rapport reprend de bonnes
idées. Mais la question des
courtes peines est peu posée. Si
toutes les personnes condamnées à des peines de moins
d’un an bénéficiaient d’un
aménagement de peine comme
le permet la loi, il y aurait plus
de cellules en maison d’arrêt
que de détenus. Le problème
serait réglé.» Même prudence
chez Céline Parisot, secrétaire générale de l’Union
syndicale des magistrats.
«L’objectif de 80% dépendra
des moyens affectés à la restructuration du parc pénitentiaire. On ne transforme pas
comme ça une cellule pour trois
détenus en une individuelle : il
faut tout casser, et construire
de nouveaux bâtiments.» Elle
se félicite en revanche du
«pragmatisme» de Raimbourg : «Il ne formule pas de
solution miracle, et c’est tant
mieux.» Pierre-Victor Tournier, spécialiste de la statistique pénitentiaire, abonde :
«Il y a dans ce rapport une
gamme de propositions très diverses. Plus il y en aura de retenues, plus ça sera utile.»
MARIE PIQUEMAL
et SYLVAIN MOUILLARD
s'en est allée.
Après voir été directrice
du Cinéma
Les Lumières de Vitrolles,
elle a ensuite rejoint l'équipe
du Cinéma 3 Casino tout
d'abord en tant que
programmatrice du Festival
d'Automne, puis en reprenant
la direction du cinéma
et du festival.
De Régine nous nous
souviendrons de son regard
malicieux, de sa gentillesse et
de son plaisir à nous faire
découvrir les pépites du
cinéma d'auteur.
Elle nous manque.
Les membres de Gardanne
Action Cinéma et l'équipe
du Cinéma 3 Casino
Mathieu GALLET,
Président-directeur général
de Radio France,
Le Conseil d'administration,
La Direction générale,
La Direction technique,
Tous les personnels de
Radio France,
ont la grande tristesse de faire
part du décès de
Didier SUDRES
survenu brutalement le
25 novembre à l'âge de
52 ans.
Tous présentent
à son épouse, à son fils,
sa famille et à ses proches
leurs sincères condoléances.
La cérémonie des obsèques
aura lieu jeudi 4 décembre
à 13h30 dans la salle de la
Coupole au crématorium
du Père Lachaise.
Le Carnet
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LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
ECONOMIE
L’Europesuit
lefild’Ariane
LANCEURA
t
ARIANE
hauteur : 70 m
PERFORMANCE
ENORBITEDETRANSFERT
GÉOSTATIONNAIRE
MASSE
AUDÉCOLLAGE
t
Entérinée mardi à Luxembourg, la sixième
version de la fusée européenne prévue
pour 2020 se veut low-cost et fiable.
Par SYLVESTRE HUET
lérateurs à poudre, la seconde avec quatre, ce qui
es ministres chargés correspond à des capacités
de l’Espace des pays de mise en orbite géostationmembres de l’Agen- naire, à 36 000 kilomètres
ce spatiale euro- d’altitude, de 5 et 10,5 tonpéenne (ESA), réunis mardi à nes. Avec Vega, spécialisée
Luxembourg, ont pris une pour les petits satellites infédécision qui pèse près de rieurs à 1 500 kilos à moins
4 milliards d’euros. L’inves- de 700 km d’altitude, Ariatissement nécessaire pour ne-6 signifie probablement
développer une nouvelle fu- la fin des tirs de Soyouz à
sée Ariane, la sixième du Kourou après 2020.
nom. Un choix «historique», L’accouchement d’Ariane-6
selon la secrétaire d’Etat à la ne fut pas facile. Les frictions
Recherche, Geneviève
entre Français et AlleFioraso, qui vise à asRÉCIT mands, ou industriels
surer à long terme
et agences, ont fait des
l’indépendance de l’Europe étincelles depuis trois ans.
pour son accès à l’espace Divergences techniques – la
ainsi qu’une activité de lan- direction des lanceurs de
cement de satellites commer- l’ESA et du Cnes, l’Agence
ciaux. Cette nouvelle fusée française, plaidant pour un
doit prendre à l’horizon 2020 usage plus fort de la poudre
la succession d’Ariane-5, en et l’abandon du Vulcain– et
service depuis 1996. Si le pro- sur la répartition des charges
gramme se déroule dans les de production. La solution
délais prévus, qu’Ariane-6 vint des industriels, lorsque
entend respecter.
Airbus et Safran (le producteur des Vulcain et Vinci) ont
FRICTIONS. Elle ne cherche mis toutes leurs activités
pas la nouveauté ou la per- pour les fusées dans une
formance technique, mais seule coentreprise.
l’économie des deniers Cette décision doit beaucoup
publics. Ariane-6 sera donc à la concurrence américaine
constituée d’éléments tech- de la société Space X, la firme
niques existant pour sa pro- du milliardaire Elon Musk.
pulsion. Le moteur de son Elle a réduit les coûts de lanétage principal, à oxygène et cement avec sa fusée Falcon
hydrogène liquides, sera une facturés environ 60 millions
version améliorée du Vulcain de dollars au privé pour les
d’Ariane-5. Y seront accolés satellites commerciaux, alors
des accélérateurs à poudre, que la Nasa affirme que la fules P-120, garnis d’explosif sée coûte près de 140 millions
(à Kourou sur le site de l’as- par tir. En outre, l’armée
troport), dérivés des boosters paye le pas de tir. Une forme
d’Ariane-5. Le P-120 –pour de soutien qui «frise le dum120 tonnes de poudre – sera ping», dénonce Fioraso. Les
également le premier étage pays européens soutiennent
de la petite fusée Vega, qui a certes leurs fusées et l’astroréussi en mai son premier tir port de Kourou par des fonds
commercial. Enfin, le troi- publics – 8 milliards prévus
sième étage, à hydrogène et au total d’ici 2024, dont les
oxygène liquides, utilisera le 4 milliards d’Ariane-6. Mais
moteur Vinci, en cours de l’objectif est que le prix de
développement, qui devait vente des tirs commerciaux
être utilisé pour Ariane-5.
– Ariane-5 détient la moitié
Ariane-6 sera déclinée en du marché mondial– couvre
deux versions (A62 et A64). le coût de fabrication et de
La première avec deux accé- lancement.
L
15
LANCEURA
t
t
ARIANE 5
hauteur : 50 m
La conférence ministérielle
devait également trancher
d’autres dossiers, sur lesquels les deals entre pays dépendaient beaucoup de l’accord sur Ariane-6. Les
Allemands insistaient pour
que leur engagement dans
Ariane-6 soit balancé par un
effort de la France sur les vols
habités et la station spatiale
internationale (ISS), dans
lesquels ils sont plus impliqués. Le budget total de
l’ESA pour la station spatiale
atteindra 820 millions
d’euros d’ici 2017, comportant le développement du
module de service (propulsion, navigation, panneaux
solaires…) pour la capsule
Orion de la Nasa. Ce module
reprendra les technologies du
cargo automatique de l’ESA,
dont cinq exemplaires ont
ravitaillé l’ISS.
SONDES. Côté exploration du
système solaire, les ministres
se sont mis d’accord sur une
rallonge pour le programme
Exo-Mars qui prévoit l’envoi
de deux sondes vers la planète rouge en 2016 et 2018.
Tandis que les études se
poursuivent pour préparer la
prochaine grande mission
vers Mars, visant le retour
d’échantillons sur Terre. Enfin, des travaux préliminaires seront financés pour
deux missions lunaires en
coopération avec la Fédération de Russie prévues pour
2019 et 2020.
Cette conférence a réaffirmé
un mode de fonctionnement
intergouvernemental où
ceux qui payent le plus ont le
pouvoir de décision. Autrement dit, l’ESA ne devient
pas l’Agence spatiale de
l’Union européenne. Même
si elle est devenue une sorte
de 21e membre de l’ESA, elle
ne pèse que sur les programmes qu’elle finance: Galileo,
pour la navigation par satellite, et Copernicus pour la
surveillance de la Terre. •
•
Etage supérieur
MOTEURVINCI
Propulsion cryotechnique
(oxygène et hydrogène liquides)
t d'ergols
Poussée maximum kN
Boosters
x
ETAGEP
x
Commun à Vega
Propulsion solide
t de propergol
Poussée maximum kN
Etage principal
MOTEURVULCAIN
Propulsion cryotechnique
(oxygène et hydrogène liquides)
t d'ergols
Poussée maximum kN
Puissance
MOTEURSAUDÉCOLLAGE
équivalents à plusieurs
réacteurs nucléaires
Les pays participant
à Ariane 6
Au 2 décembre 2014
MOTEURVULCAIN
équivalent à 2 TGV
Lancements
PAYS-BAS
BELGIQUE
SUÈDE
ALLEMAGNE
SUISSE
FRANCE
ITALIE
JUSQU'ÀPARAN
ESPAGNE
dont 5 missions institutionnelles
Orbites visées
MEO - environ 20 000 km
Navigation (Galileo)
HEO- orbite de libération
Science et exploration
LEO- 500 km à 1 000 km
Desserte de stations en orbite basse
GEO- 36 000 km
Télécoms
Source : CNES, Julien Tredan-Turini
16
•
ECONOMIE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
REPÈRES
Seuls 470 millions de dollars
ont été versés en dédommagement par Union Carbide aux victimes, en 1989.
Les familles des défunts ont
donc reçu 1600 euros et les
blessés 400 euros. Les victimes réclament 15 fois plus.
CHINE
AFGH
New Delhi
PAK
Bhopal
Mer
d’Arabie
INDE
Golfe
du Bengale
500 km
4
C’est le nombre de procès
en cours, au pénal et au civil,
trois en Inde et un aux EtatsUnis, contre Union Carbide
Corporation, racheté par
Dow Chemicals en 2001.
Un enfant de 11 ans dont la mère vit dans un bidonville proche du site d’Union Carbide, exposée à l’eau contaminée. PHOTO REINHARD. KRAUSE. REUTERS
Par SÉBASTIEN FARCIS
Envoyé spécial à Bhopal (Inde)
Trenteansaprès,
Bhopaltuetoujours
éveillez-vous !» «Les
voisins tapaient à la
porte. Mais il était trop
tard. Quand j’ai ouvert,
j’ai vu le nuage blanc arriver, se souvient Rehana Bee, âgée de 16 ans à
l’époque. Pendant toute la nuit, j’ai
vomi. Mon ventre et mes yeux brûlaient, comme si on y avait mis le
feu.» Pendant la journée du lendemain, le 3 décembre 1984, Rehana
Bee vit ses deux parents et son frère
de 3 ans mourir, intoxiqués par ces
tonnes de gaz échappés de l’usine le ventre, les chevilles et l’entrede pesticides d’Union Carbide, si- jambe, tout en le laissant sans force.
tuée à 300 mètres de leur quartier «Je voulais être ingénieur, lâche-t-il
pauvre de JP Nagar.
dans un filet de voix, les yeux huLa survie de Rehana tient du mira- mides. Mais aujourd’hui, où sont
cle. Mais le poison la suit toujours. passés ces rêves?» Javed est décédé
Habillée d’une tunique
une semaine après cet
verte qui lui couvre les
REPORTAGE entretien. Les associacheveux, cette musultions de victimes penmane, qui a aujourd’hui 46 ans, boit sent que son corps, déjà affaibli par
un chai tiède. Elle est assise sur une l’héritage génétique de sa mère, a
natte dans la pièce unique de 9 m2 été intoxiqué par les eaux polluées
de sa maison, éclairée par un néon du quartier, situé à moins d’un kiblafard. Rehana souffre depuis cette lomètre de l’ancienne fabrique du
nuit-là de difficultés respiratoires, pesticide Sevin.
comme son mari qui a été forcé
d’arrêter de travailler. Deux de ses CRICKET. Trente ans après le
six enfants, nés après la tragédie, drame, la catastrophe industrielle
sont aussi malades.
la plus meurtrière du monde contiJaved, 24 ans, est allongé à côté nue à tuer. Cachés derrière un mur
d’elle, les yeux globuleux perdus en partie effondré, les deux gigandans le vide, la bouche ouverte à la tesques bâtiments rouillés de
recherche d’air. Ses poumons ne l’usine Union Carbide se dressent
fonctionnent presque plus. Les mé- au-dessus de Bhopal. L’accès au site
decins pensaient qu’il avait la tu- de 25 hectares est interdit, mais
berculose, et il a dû prendre jusqu’à seuls cinq gardes surveillent. La vé60 médicaments par jour, ce qui lui gétation l’a envahi et des paysannes
a affaibli les reins. Au bout de huit viennent faire brouter leurs
ans de traitement, ils n’ont pu ex- chèvres, les enfants le transforment
pliquer ce qui lui a fait ainsi gonfler en terrain de cricket. «Ce sol est
«R
La catastrophe industrielle la plus meurtrière de l’histoire
a contaminé durablement les sols et la nappe phréatique.
hautement contaminé, s’alarme
T.R. Chouhan, responsable de
l’usine en 1984, aujourd’hui fonctionnaire pour le gouvernement régional. Vous avez de l’arsenic et du
DDT, et quand il pleut, cela rentre
dans le sol. Il faudrait barricader ce
site comme si on y avait mené un essai nucléaire !»
Le même désastre, à plus grande
échelle encore, se déroule à
phréatique sur plus de trois kilomètres et de l’eau courante de
50 000 personnes.
En 2009, une étude indépendante
menée par le Center for Social Research de New Delhi a confirmé la
présence, dans deux sources d’eau
autour de l’usine, de pesticides à un
niveau 12 fois plus élevé que le taux
maximum autorisé en Inde. Et de
24 fois trop de mercure dans l’eau
d’une pompe d’un
quartier situé à
«Vous avez de l’arsenic et du DDT, et
kilomètres
quand il pleut, cela rentre dans le sol. trois
de la fabrique. La
Il faudrait barricader ce site comme si consommation
on y avait mené un essai nucléaire!»
prolongée d’une
telle eau entraîne
T.R. Chouhan responsable de l’usine en 1984
des cancers des
400 mètres au nord de l’usine, là où poumons et des reins ainsi que l’afUnion Carbide a déversé ses dé- faiblissement des muscles, conclut
chets toxiques entre 1977 et 1984. le rapport. Autant de symptômes
La pluie a recouvert la terre conta- observés chez le jeune Javed.
minée pour faire naître un étang de
plusieurs hectares. Des buffles se BÂCHE. Selon Amnesty Internatiobaignent dans ses eaux, des habi- nal, plus de 22 000 personnes sont
tants viennent y pêcher des pois- mortes et 500 000 blessées depuis
sons marron clair. Cette zone est la trente ans à cause de cette fuite de
plus contaminée de Bhopal. Elle est gaz. Union Carbide affirme avoir
source de pollution de la nappe fait le nécessaire pour nettoyer le
terrain avant de le rendre au gouvernement régional du Madhya
Pradesh, en 1998. La compagnie
américaine avance avoir dépensé
2 millions de dollars pour, entre
autres, déposer une bâche de plastique sous la terre de l’étang afin
d’empêcher la contamination des
nappes. Elle reconnaît que cette
pollution est survenue, mais uniquement sous le site de l’usine. Les
autorités locales ont adopté la
même ligne, et ce n’est qu’en
août dernier qu’elles ont fourni de
l’eau potable provenant d’une
source non toxique aux quartiers
concernés. Soit dix ans après l’ordre
de la Cour suprême.
Malgré de nombreux appels et visites, les responsables du gouvernement du Madhya Pradesh n’ont pas
voulu répondre à nos questions.
«La décontamination du site nécessiterait l’excavation de dizaines de milliers de tonnes de terre, puis le contrôle
et la capture des dioxines qui s’y trouvent, explique Satinath Sarangi, ingénieur et fondateur de la clinique
Sambhavna de Bhopal. Aucune infrastructure n’est capable de faire cela
en Inde.» En 2012, l’agence allemande GIZ s’était porté candidate
pour l’extraction d’une petite partie, mais les négociations ont
échoué. Les Nations unies ont refusé
de s’en occuper car il s’agit d’un
accident industriel, dont les responsables sont identifiés, et non
d’une catastrophe naturelle. Or ces
produits chimiques ne sont pas près
de disparaître. «L’espérance de vie de
certains d’entre eux dépasse les cent
ans, prévient Satinath Sarangi. Et si
nous ne faisons rien pour les arrêter,
ils vont continuer à se répandre plus
loin dans les nappes phréatiques.» •
ECONOMIEXPRESSO
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014 H
«Malgré les besoins énormes, notamment
face à la crise Ebola, le gouvernement
fait le choix de nier la volonté des
parlementaires et de détourner un peu plus
l’aide française des pays les plus pauvres.»
Christian Reboul de l’ONG Oxfam France, après la décision
du gouvernement de revenir sur un amendement voté
à l’unanimité à l’Assemblée visant à réallouer 35 millions
d’euros sous forme de dons aux pays les plus vulnérables.
L’HISTOIRE
Paris et New Delhi veulent lever les blocages et mener à
bien les négociations autour de la vente de 126 avions de
chasse Rafale. Le ministre français de la Défense, JeanYves Le Drian, a rencontré lundi pour la première fois
son nouvel homologue indien, Manohar Parrikar, afin de
discuter de ce contrat crucial pour Dassault, mais dont la
conclusion a plusieurs fois été reportée. L’Inde est entrée
en négociations exclusives avec Dassault en janvier 2012.
Le contrat, estimé à environ 12 milliards de dollars
(9,66 milliards d’euros), implique un complexe partage de
technologies et, selon la presse indienne, les discussions
achoppent sur la question des responsabilités (délais,
dommages…) pour les appareils produits en Inde, qui est
le premier importateur mondial d’armes conventionnelles.
LES GENS
MANUEL VALLS SE FAIT LE PORTEVOIX DE LA «CROISSANCE BLEUE»
L’éolien flottant remis à flot. «Un appel à manifestation
d’intérêt sera lancé en juin 2015 pour un montant de
150 millions d’euros», a assuré mardi à Nantes le Premier
ministre. «Je sais qu’il est particulièrement attendu par les
acteurs de la filière», a ajouté Manuel Valls, se faisant le
chantre «de la croissance bleue» (maritime) aussi prioritaire selon lui que «la croissance verte». Les éoliennes flottantes ont pour principal atout de pouvoir être installées
dans des mers trop profondes pour des éoliennes en mer
classiques, posées au fond de l’eau. Valls a aussi annoncé
que les alliances GDF Suez-Alstom d’une part, et EDFDCNS d’autre part, avaient remporté l’appel à projets
pour construire les premières fermes-pilotes d’hydroliennes au large du Cotentin. PHOTO REUTERS
+0,25 % / 4 388,30 PTS
3 056 009 023€ +15,27%
Les 3 plus fortes
TOTAL
ARCELORMITTAL
UNIBAIL-RODAMCO
Les 3 plus basses
RENAULT
VALEO
ALCATEL-LUCENT
17 844,42
4 754,25
6 742,10
17 663,22
+0,38 %
+0,57 %
+1,29 %
+0,42 %
17
EntréeduQataraucapital
deVeolia:perquisitionàParis
CORRUPTION Les policiers ont visité les bureaux du mécène de l’épouse
d’Henri Proglio, qui avait participé au montage financier suspect.
es investigations progressent dans l’affaire
Qatar-Veolia. Selon nos
informations, les policiers de
l’office anticorruption de
Nanterre (OCLCIFF) ont récemment perquisitionné les
bureaux parisiens de
l’homme d’affaires Maxime
Laurent. Ce financier de
65 ans a participé au montage qui a permis au fonds
souverain Qatari Diar de verser 182 millions d’euros de
commissions occultes, en
marge de son acquisition
de 5% du capital de Veolia
Environnement en 2010, à
l’époque où le groupe était
présidé par Henri Proglio (1).
Après nos articles qui ont révélé ces versements (Libération du 7 octobre), le parquet
de Paris a ouvert une enquête
préliminaire pour «corruption privée».
Les enquêteurs s’intéressent
à Maxime Laurent à double
titre. Il est tout d’abord au
cœur du complexe montage
offshore de 2010, mené entre
Chypre et le Luxembourg,
par lequel ont transité les
commissions –dont Maxime
Laurent affirme n’avoir rien
su. Or, il a aussi financé,
deux ans plus tard, un
spectacle de l’humoriste Rachida Khalil, l’épouse
d’Henri Proglio, à hauteur
de 55 000 euros. Maxime
Laurent et Henri Proglio
assurent qu’il s’agit d’une
coïncidence, et qu’ils ne se
connaissent pas.
Prête-noms. La justice
cherche aussi à identifier les
bénéficiaires des fonds. L’argent du Qatar a atterri dans
trois sociétés-écrans à Chypre (37 millions d’euros), en
Malaisie (100 millions) et à
Singapour (45 millions). Libération avait découvert que
le propriétaire de la sociétéécran singapourienne est un
salarié de Ghanim bin Saad
al-Saad, qui était à l’époque
directeur général de… Qatari
Diar, le fonds souverain qui
a effectué les versements
occultes. Bref, il s’agit très
probablement d’une rétrocommission. Mais nous
n’avions pas pu identifier les
propriétaires des sociétés
malaisienne et chypriote,
dissimulés derrière des prête-noms.
Les enquêteurs ont une piste.
Ils ont repéré un autre acteur
clé de l’opération. Cet inter-
L
RAFALE : LA FRANCE ET L’INDE
RENTRENT DANS LES DÉTAILS
•
médiaire a l’obligation, en
vertu de la réglementation
européenne, de connaître les
ayants droit économiques
des trois sociétés-écrans. De
source proche du dossier,
une demande d’entraide pénale internationale va être
lancée prochainement par le
parquet afin d’auditionner
cet homme, qui réside à
l’étranger. D’ici quelques
européenne impose aux intermédiaires financiers de
recueillir le nom des ayants
droit des sociétés qu’ils gèrent, rien n’oblige ces ayants
droit à déclarer s’ils agissent
pour le compte de quelqu’un
d’autre.
Ampleur. Par ailleurs, selon
nos informations, les plus
hautes autorités qataries
avaient été informées des
soupçons de corruption
bien
Les enquêteurs pourraient
avant que l’enobtenir soit les noms
quête judiciaire
des bénéficiaires des
ne soit lancée en
commissions, soit ceux
France. Le directeur général de
de leurs hommes de paille.
Qatari Diar en
mois, les enquêteurs pour- poste au moment de l’opéraraient donc obtenir soit les tion Veolia, Ghanim bin Saad
noms des bénéficiaires des al-Saad, a été discrètement
commissions, soit ceux de débarqué en 2012. Dans la
leurs hommes de paille. En foulée, la nouvelle direction
effet, si la réglementation a mené des audits sur la ges-
tion du fonds souverain,
comme l’avait révélé à l’époque Intelligence Online.
De source proche du Qatar,
ces enquêtes internes ont
permis d’identifier plusieurs
dossiers très problématiques,
dont celui de l’entrée de Qatari Diar au capital de Veolia.
Les auditeurs semblent avoir
découvert l’ampleur des rétrocommissions versées à
cette occasion à un proche
de Ghanim bin Saad al-Saad.
Mais si l’affaire a créé des remous à Doha, elle a été réglée
dans le plus grand secret,
comme de coutume dans
l’émirat.
YANN PHILIPPIN
(1) Proglio cumulait la
présidence de Veolia (jusqu’en
décembre 2010) et le poste de
PDG d’EDF. François Hollande
l’a éjecté d’EDF le 15 octobre
dernier, pour le remplacer
par Jean-Bernard Lévy.
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18
•
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
SPORTS
A l’entraînement
à Nicosie,
le 20 octobre.
PHOTO JACK GUEZ.AFP
L’institué
Pastore
L’Argentin, intouchable au PSG malgré sa discrétion, est enfin à niveau sur le terrain.
Par GRÉGORY SCHNEIDER
compteur de l’intéressé, priva le
Suédois d’un but après lequel il
n se tue à dire que le Pa- courrait avec une bestialité décuris-SG et ses superstars, plée par deux mois passés à soigner
en piste ce mercredi soir une blessure au talon. A bien y reau stade Pierre-Mauroy garder, cette renaissance était l’exde Lille en championnat, est un as- pression d’une sorte de volontatre qui ne prend pas la peine risme.
d’émettre en direction de l’Hexa- D’un naturel discret, Pastore était
gone, ou pas beaucoup. L’un des sorti du bois à l’occasion d’une
rares messages, pour ne pas dire le passionnante interview donnée au
seul, qui est arrivé à destijournal l’Equipe, et tout y
nation du grand public
ANALYSE passait: le jeu, les doutes,
depuis deux mois est celes codes du milieu qu’il se
lui-ci: le net regain du créateur ar- fait fort de respecter en toutes cirgentin Javier Pastore, symbole de constances – il promet de ne pas
la prodigalité qatarie lors de son quitter le Paris-SG, non pas au bout
arrivée en août 2011 pour 42 mil- de son contrat, mais alors que celions (il n’en valait pas le tiers) et lui-ci court encore, ce qui vaudra
ombre apeurée depuis, malgré la une indemnité de transfert à son
main constamment tendue par club – et, surprise, Ibrahimovic,
Zlatan Ibrahimovic et consorts. A statue du commandeur ombrace prix-là, Pastore est forcément geuse et respectée – Ô combien –
des leurs.
du vestiaire. Sur le Suédois qui, sur
le terrain, va où le vent le porte
RESPECT. Au vrai, l’acte de renais- sans trop se soucier des copains :
sance médiatique du loustic est «J’aime le rôle de meneur de jeu mais,
survenu le 21 novembre autour de
22 h 30, dans un recoin du stade
REPÈRES
Saint-Symphorien de Metz après
une victoire (3-2) des Parisiens.
LA 16E JOURNÉE
C’est Laurent Blanc, l’entraîneur,
Mardi. Lorient-Marseille, Nanqui en a pris acte avec une sorte de
tes-Toulouse, Monaco-Lens
respect qui dit beaucoup des équili(résultats non parvenus)
bres du club et du vestiaire: «Fût un
Mercredi. 19h. Nice-Rennes,
temps, Javier aurait laissé IbrahimoMetz-Bordeaux, Montpelliervic terminer l’action sur le premier
Saint-Etienne, Guingampbut», action que l’Argentin avait
Caen, Bastia-Evian-TG. 21h.
fomenté de A à Z. Avant de mettre
Lille-PSG. Jeudi. Lyon-Reims.
le coup de rein qui, s’il ouvrit le
O
avec Ibra, c’est compliqué. Il offre un
jeu complet, c’est fantastique pour
l’équipe mais, quand Laurent Blanc
me demande d’occuper le poste de
numéro 10 et que j’y vais, on se marche parfois sur les pieds avec Ibra.
C’est pour ça que j’essaye de me placer sur le terrain en fonction de lui.»
Tout Pastore est quelque part là-dedans à commencer par la sujétion,
cette discrète admiration d’un attaquant qui, depuis deux saisons, in-
le vestiaire parisien, plus sensible
aussi que les gros durs qui se présentent devant les micros.
RUPTURE. Dans la même interview,
Pastore lâche un truc peu commun:
son goût pour le jeu de possession
– on maîtrise le ballon, en opposition au jeu de contre, où on le laisse
à l’adversaire pour qu’il se grise et
se découvre – mis en place par
Blanc. «C’est ça, le football à mes
yeux. Ici, on sent du
«Fût un temps, Javier aurait laissé beau jeu. C’est aussi
cette manière de faire qui
Ibrahimovic terminer l’action
me rend heureux de ressur le premier but.»
ter à Paris.» Qu’Ibrahimovic tienne ce genre
Laurent Blanc coach du PSG
de discours est une
hibe un joueur en difficulté quand chose. De la part d’un joueur qui,
il doit provoquer les choses et non il y a onze mois, était tout au bord
plus les gérer quand elles survien- de la rupture, sifflé par le public du
nent. Après les matchs, on a tou- Parc des princes sur chaque ballon
jours vu l’Argentin en décalage : et donnant l’impression de cherplus à l’écoute des questions qu’on cher un trou dans la pelouse pour
lui pose au milieu de cette interna- s’y planquer, c’est très différent.
tionale de la langue de bois qu’est Dans un club comme Paris, où
9
«Je pense que je
partirai en fin de
saison. J’aimerais
savoir si Bielsa va
C’est le nombre de buts inscrits rester, mais je cherche
par Lille en 14 matchs de Ligue 1 un défi de haut vol.»
avant la réception du Paris-SaintGermain: la pire attaque du
championnat.
André-Pierre Gignac
attaquant de l’OM
même l’attaquant Edinson Cavani
accepte de manger de la vache enragée dans le couloir droit pour
complaire à Ibrahimovic et à l’expression collective, un type ayant
le rendement de Pastore est quand
même là pour faire ce qu’on lui demande. Partant, on pouvait voir
dans l’expression de ses goûts footballistiques un côté déplacé, les
grands airs d’un type se conférant
une importance qu’il n’a pas.
Et on tomberait dans le panneau.
Pastore, c’est l’innocence: à peine
débarqué dans l’Hexagone, il racontait dans So Foot son peu de
goût pour le jeu physique et à l’emporte-pièce qui fait l’ordinaire de
la Ligue 1, une histoire qui l’avait
poussé à se dédire devant le vestiaire au grand complet.
Ses professions de foi –«je vais travailler plus dur pour gagner ma
place»– ont longtemps fait sourire:
disons que l’Argentin n’a pas toujours considéré les entraînements,
ou plus généralement le fait de se
faire violence, comme un vecteur
de progrès.
Le vestiaire parisien l’a accepté,
comme il accepte les week-ends où
Ibra chasse le cerf par -15 °C sur
l’île de Dävensö, ou le côté tête
brûlée de Marco Verratti dans le
jeu. Ça a permis à Pastore de revenir, ça lui permettra aussi de disparaître sans secousse quand il sera
rattrapé par son manque de moelle.
Au fond, il n’y a que ce vestiaire
que ça regarde. •
JOHN
FORD,
BORGNE
AGAIN
GROGNON A l’occasion
de la rétrospective fleuve de
la Cinémathèque, «Libération»
interroge cinq cinéastes français
sur l’extrême modernité
du maître américain.
LIBÉRATION
MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
James Stewart, John Ford et John Wayne sur le tournage de l’Homme qui tua Liberty Valance (1962). THE KOBAL COLLECTION. PARAMOUNT
CINEMA
•
II
•
CINÉMA À L'AFFICHE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Qu’est-ce qu’être fordien aujourd’hui? Le regard
JOHN FORD,
BORGNE AGAIN
«IL AURA RÉUSSI À NOUS FAIRE
JOHN FORD à la Cinémathèque
française, 51 rue de Bercy, 75012. Jusqu’au
23 février. www.cinematheque.fr
«Les drames de Ford proviennent de ce
que Hawks ignore: les contraintes oppressives que les idéaux concrétisés dans des
structures sociales et des croyances philosophiques imposent lorsqu’ils ne sont
qu’imparfaitement réalisés. Soit on est de
la mauvaise couleur (le personnage noir
d’US Grant Woodford dans Le soleil brille
pour tout le monde), soit on appartient
au mauvais sexe (Docteur Cartwright,
Frontière chinoise), soit on n’est pas assez sociable (Jack Gillis, Judge Priest),
pas assez aimable (Doctor Bull), pas assez
doux (Tom Doniphon, L’homme qui tua
Liberty Valance), pas assez macho (Sean
Thornton, l’Homme tranquille), pas assez vertueux ou innocent. Ford sait qu’être
idéaliste, c’est être foutu.» Le critique
américain Tag Gallagher, dans son
étude sur John Ford (1), revient souvent
sur la tension entre l’individu minoritaire et l’«immense superstructure
d’idéalisme transcendantal» qui donne
forme et sens à la société. Selon lui, plus
Ford vieillit et plus ses personnages sont
dans «une quête incessante de quelque
chose qu’ils ne trouveront jamais».
La Cinémathéque française démarre ce
mercredi (et jusqu’au 23 février) une
grande rétrospective John Ford en
85 films. Un événement dans la mesure
où tel corpus n’avait jamais été visible,
même si la dernière rétro du genre, il y
a vingt-cinq ans, était déjà bien
pourvue.
Ford peut-il encore être notre contemporain dès lors que le monde s’est si ostensiblement défait de tous les oripeaux
de l’idéalisme pour ne plus penser l’action et les valeurs qu’en fonction de leur
efficacité pragmatique ? L’auteur de
l’Homme tranquille, des Raisins de la colère, de la Prisonnière du désert et de Rio
Grande est-il ce Tolstoï américain qui a
apposé sur le XXe siècle l’ultime paraphe d’une œuvre légendaire avant de
tirer sa révérence, malade, amer, plus
grognon que jamais en 1973, alors que
se levait la génération insolente du Nouvel Hollywood? Ou, au contraire, restet-il toujours une fantastique vallée
constamment reverdie de visions et
d’idées sur les groupes humains, les
paysages, la belle allure et la mélancolie ? C’est la raison pour laquelle, convaincus que la deuxième proposition
était la bonne, nous avons demandé à
cinq cinéastes français (lire ci-contre)
quels rapports fertiles ils continuaient
d’entretenir, aussi bien en tant que cinéphiles que comme créateurs de films,
avec John Ford, un allié tourmenté en
l’occurrence plus qu’un maître
écrasant.
DIDIER PÉRON
(1) «John Ford, l’homme et ses films», traduit
de l’anglais par Jean-Pierre Coursodon,
Pauline Soulat et Simone Suchet. Editions
Capricci.
A lire aussi «John Ford, penser et rêver
l’histoire», ouvrage collectif sous la
direction de Jacques Déniel, Jean-François
Rauger et Charles Tatum Jr. (coédition
Yellow Now, Maison pour tous, Cinéma
Jean Vigo, Côté cinéma).
Mathieu Amalric
(«Tournée», «la Chambre bleue»…)
«Des films qui transmettent
une force morale»
«J’ai toujours été bouleversé par sa manière
de filmer les hommes, notamment John
Wayne à travers son vieillissement, mais surtout Henry Fonda. On ressent dans ses images l’acceptation d’une part d’eux-mêmes
qui demeure invisible, presque interdite chez
les autres. Pas la part féminine, parce que ça
ne veut rien dire, mais la part sensible des
hommes.
«Pour moi, Ford est presque aussi important
et bouleversant par ses films qu’assis en
tailleur sur son lit, à la fin de sa vie, en 1965,
dans le documentaire d’André S. Labarthe.
Quand je le vois, je ne sais pas comment ce
type s’est débrouillé pour ne s’être jamais
soucié des mots “arts”, “artiste” ou
“auteur”, toutes ces idées qu’on lui a infligées sur le tard, et avoir pourtant fait passer
des choses si intimes, si complexes en pensant juste au film d’après. Il y a aussi l’impossibilité qu’il exprime, dans le portrait que
lui a consacré Peter Bogdanovich [Directed
by John Ford, ndlr], à mettre des mots sur
une telle sensibilité. Ça, c’est quelque chose
qui me porte tout le temps, comme une boîte
à outils.
«Et puis il y a cette force morale que ses films
nous transmettent… Par exemple, simplement tout à l’heure, je reçois un appel du lycée qui me dit que mon fils s’est joint ce matin à une bande autour d’une bouteille de
whisky et que l’un des gamins a fini à l’hôpital. J’avais Ford en tête parce que vous
m’aviez demandé d’y réfléchir, et ça m’a
vraiment aidé. Quand on m’annonce ça, et
que mon fils me dit : “J’ai bu juste deux gorgées, j’ai rien fait, papa”, ça me rend dingue,
parce que c’est ce qu’on voit dans l’Homme
qui tua Liberty Valance ou Rio Grande, la manière dont on peut construire une vie sur un
mensonge intérieur, ou la négation d’une
faute comme un rempart à soi-même. Chez
lui, ce type de lâcheté qui fait dire “j’ai rien
fait”, ce n’est simplement pas possible, il dit
bien combien la construction de soi ne peut
pas passer par des arrangements, mais par
des choix inévitables, qu’il faut assumer. Et
que la vie n’est pas belle si l’on s’arrange.»
Serge Bozon
(«Mods», «la France», «Tip Top»…)
«Ford vient d’un horizon
biblique et primitif»
«Chez les plus grands cinéastes américains,
comme Hawks, on sent le rapport fécond à «Pourquoi? D’abord, un rapport à la politiune industrie, c’est-à-dire des genres aimés que, comme ce qui unit les communautés et
par le public, des acteurs aimés par le public, peut aussi les détruire (un enfant trouvé, une
des histoires aimées par le public, les trois fille illégitime, un lynchage), plus fort que
pouvant changer au cours des décennies, ce chez les autres, et pas seulement dans ses
dont les films témoignent. Ford
films sur l’armée. Vraiment povient de plus loin, d’un horizon
TÉMOIGNAGES litique : pas la question morale,
plus biblique et primitif, comme
comme chez Lang, des coupaun écrivain-dramaturge qui se déplacerait bles et des innocents, du meurtre et du
dans un autre siècle, avec sa troupe d’acteurs, crime. Non, juste le lien communautaire.
de village en village, entre Pagnol et Fassbin- D’où l’importance si personnelle des longues
der, pour raconter les mêmes légendes villa- scènes de préparation de bal. Ensuite, les
geoises, avec la fiancée rousse, le médecin al- deux (horizon biblique et horizon politique)
coolique, le soldat benêt, le bouffon édenté, sont liés à la question centrale du vieillissela grosse Indienne collante… En un mot, ses ment, qui n’est pas du tout une question holfilms les plus personnels dépassent les con- lywoodienne, ni glamour. Il y a des films
tingences industrielles d’Hollywood.
hollywoodiens sublimes sur les vieux, mais,
chez Ford, ce n’est pas seulement familial,
mais politique. Un monde entier (le Sud, l’Irlande…) risque de s’écrouler, car le héros
vieillit, et ce qu’il peut sauver dépasse sa famille et ses proches, parce que c’est, encore
une fois, toute une communauté qui tient par
celui qui va disparaître (la Dernière Fanfare,
la Charge héroïque…). Une force du passé qui
est le ciment fragile, car juste humain, d’une
communauté elle-même fragile.
«D’où une mélancolie politique si particulière. Enfin, mélancolie politique elle-même
liée à ceci : on ne sait jamais trop dans ces
films quand l’histoire commence, mais
comme il ne s’agit pas de faire tenir plein de
petites histoires ensemble pour alimenter
(difficilement) une heure trente, mais de ra-
À L'AFFICHE CINÉMA
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
•
III
de cinq cinéastes français sur un mythe hollywoodien :
CROIRE QUE JOHN WAYNE ÉTAIT BEAU»
sorti des décombres de son tournage-montage. La dramaturgie prend le pas sur le récit
en menant le récit au bord du chaos. Un
chaos féminin et politique. Le cinéma à coups
de marteau.»
Patricia Mazuy
(«Travolta et moi», «Saint-Cyr»…)
«Le cinéma pouvait être fin
et beau, tout en étant bourrin»
A gauche, Henry Fonda
dans la Poursuite infernale
(1946). A droite de haut en
bas: Ava Gardner et Clark
Gable dans Mogambo
(1953); Henry Fonda dans
les Raisins de la colère
(1940) et Henry Brandon
dans la Prisonnière du
désert (1956).
PHOTOS THE KOBAL
COLLECTION. 20TH CENTURY
FOX ET THÉÂTRE DU TEMPLE
conter une histoire plus grande (par la jonction bible-politique-vieillissement) que toutes ces petites histoires possibles, alors c’est
immense. Immense – pas une impression
courante au cinéma. Ou alors ce n’est pas
immense du tout, mais cela semble la création spontanée d’une fantaisie déliée au
maximum, en invention permanente en
temps réel, comme une improvisation totalement organique, drôle et joyeuse (Steamboat
Round the Bend, le Convoi des braves…). Même
Mark Twain n’a pas une telle liberté dans sa
verve de conteur rural.
«Frontière chinoise fait partie de ces rares
films où on a l’impression de toucher à l’absolu d’un cinéaste et, en même temps, que
le film est à la limite de l’explosion, comme
«Quand je vois un film de Ford, j’ai toujours
le sentiment d’être dans une maison où je
voudrais habiter. J’ai découvert ses films assez tard par rapport aux cinéphiles de ma génération. Je venais de province, je ne savais
rien du cinéma, j’avais 19 ans et je connaissais juste les films bien bourrins – j’adorais
ça d’ailleurs, j’étais fan de Charles Bronson.
Ça a été un choc absolu. J’ai découvert que
le cinéma pouvait être fin et beau, tout en
étant bourrin.
«Ford faisait des films infiniment complexes,
qui racontaient des histoires très subtiles sous
des dehors d’extrême simplicité. On sent
qu’il n’a jamais peur. Il ne fait jamais un plan
ou une scène de trop. Il sait mêler l’action et
la philosophie dans la situation la plus banale
sans que ce soit lourd. Dans l’Homme qui tua
Liberty Valance, il peut parler d’absolument
tout ce qu’il est possible de traiter par la fiction: l’amour, l’amitié, le courage, la lâcheté,
la mort, les mythes, l’imaginaire, le pouvoir… Sans que ça fasse foutoir, sans passer
pour un gros prétentieux. Mais comment
fait-il ?
«Il n’a pas peur du temps non plus, de la durée, même si ses films ne sont jamais chiants.
Il sait filmer les gens en train de marcher
tranquillement, de sorte que ce que l’on ait
envie de marcher avec eux pour toujours.
Que le cœur de l’action soit un drame ou une
grosse blague, Ford prend le temps de filmer
le temps avant et le temps après, ce qui
donne une force inouïe à l’instant, à l’action,
même si l’on ne fait finalement que l’entrevoir. Enfin, qu’il ait tourné ses films de sorte
que ce que son monteur ou son producteur
ne puisse rien faire d’autre de ses plans que
ce qu’il avait en tête, avec toujours la plus
juste échelle de plan pour embrasser et composer un espace, c’est tout de même la classe
absolue. Le rêve, même. Qui saurait encore
faire ça aujourd’hui, à part peut-être Garrel?
«Et puis, chez lui, les femmes sont toujours
extraordinaires, ce ne sont pas des poupées
Barbie niaiseuses, elles savent tout faire. Il
n’y a pas de personnage chez Ford, quel que
soit son emploi, qui ne fasse pas rêver au
moins un peu. Il aura même réussi à nous
faire croire que John Wayne était beau.»
Dominique Marchais
(«Le Temps des grâces»…)
«Ses cavaliers sont désarçonnés
dans leur tête»
«Ford fait toujours le lien, dans ses films, entre l’Ancien Testament et l’aujourd’hui. Ses
histoires et ses personnages sortent du même
creuset d’où proviennent les mythes. Avec
l’expérience accumulée, on sent qu’il est en
mesure de distinguer dans à peu près n’importe quel récit la faille, la tache, le défaut à
partir desquels il va tout déconstruire pour
recréer ses œuvres chaloupées, tout en digressions, où les évidences et les certitudes
acquises à peu de frais tanguent et vacillent.
Ses personnages de cavaliers sont toujours
désarçonnés dans leur tête, et si ça ne se voit
pas tout de suite, c’est précisément parce
qu’ils ne veulent pas perdre la face. Et Ford
donne à voir tout cela en même temps.
«Plus qu’un cinéaste raconteur d’histoires,
Ford est un cinéaste historien. Plus qu’un
chroniqueur de l’histoire américaine, il s’interroge sur les conditions de possibilités de
l’écriture de l’histoire. Si ses films sont absolument inoxydables, c’est parce que ce sont
des machines à penser, des machines à douter. C’est une œuvre érudite et inquiète, violente souvent. Dépeint généralement comme
un cinéaste de la chaleur humaine, Ford ne
nous laisse jamais oublier à quel point il fait
froid dehors et combien nous devons profiter
de ces moments de solidarité et de douceur,
combien la communauté se gagne et se
maintient sur un océan d’égoïsme, de mensonges et de crimes. Et il n’y a aucune raison,
malheureusement, de ne pas trouver cela
actuel.
«Chez Ford, n’est beau que ce qui est miné
en son sein, n’est fort que ce qui cache sa fragilité, d’où cette attirance, cette amitié, pour
les ivrognes et son empathie pour les femmes
blessées. La maîtrise, immense, sidérante, de
Ford n’est pas programmatique, comme chez
Kubrick ou Preminger par exemple, mais très
adaptative, un peu comme la maîtrise de
l’ivrogne titubant qui arrive, in extremis et
comme par enchantement, à sortir du saloon
sans se cogner au chambranle, soit tout un
art du petit pas et de la reprise d’équilibre.»
Pierre Schoeller
(«Versailles», «l’Exercice de l’Etat»…)
«La clarté de la grande
peinture italienne»
«Ford est vraiment un cinéaste qui accompagne votre vie. On peut regarder ses films à
différentes étapes de son existence et y découvrir toujours de nouveaux aspects. A l’exception peut-être de la Poursuite infernale, qui
est une leçon de découpage millimétré de
l’espace, sa mise en scène se donne à voir
sans s’imposer. Je trouve qu’il parle très bien
du monde occidental et de ce qui profondément l’anime, dans ce qu’il y a de puissant,
de tendu sur les hommes et leurs actions.
Lorsque l’on regarde l’Homme qui tua Liberty
Valance, on est confronté à une véritable leçon constitutionnelle, et je crois que son héritage est vraiment perceptible dans le cinéma américain actuel ou les séries. On peut
tracer une ligne directe entre Ford, les Hommes du Président, A la Maison Blanche et
même le Fincher de Zodiac. On sent constamment la dialectique entre l’individu et le
monde réglementaire dont il dépend.
«Si je repense à la Prisonnière du désert, le
point d’équilibre entre le paysage, le temps,
les comédiens-figures m’évoque le genre de
clarté, d’évidence, que l’on trouve dans la
grande peinture italienne. Ford trace des lignes de manière magistrale dans sa mise en
scène, certains de ses plus grands films, en
particulier après-guerre, possèdent un truc
euclidien, tout se noue et se dénoue dans des
articulations haut-bas, dans la verticalité. Ce
n’est pas un cinéaste pur, mais, en revanche,
il est franc, cet aspect m’a toujours épaté.»
Recueilli par JULIEN GESTER
et DIDIER PÉRON
IV
•
CINÉMA À L'AFFICHE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
DERVICHE TURNER
LUMIÈRE
Biopic de Mike Leigh sur les dernières années de l’artiste phare du romantisme anglais.
MR. TURNER de MIKE LEIGH
avec Timothy Spall, Paul Jesson… 2h30.
Joseph Mallord William Turner, né en 1775 et
mort en 1851, était un monstre. Invivable,
bourru, laid et ahurissant de mépris envers
ses proches. Ses éructations orales se transformaient, sur ses toiles, en halos gazeux, en
nuages marins agités ou en brumes douces.
L’ogre était, évidemment, un génie, l’un des
plus grands de l’histoire de l’art britannique
et certainement le plus marquant du romantisme anglais.
Résumé ainsi, Mr. Turner, film de Mike Leigh
consacré aux vingt-cinq dernières années de
la vie du peintre, pourrait faire office de repoussoir. D’abord parce qu’il s’inscrit dans
le genre, aujourd’hui omniprésent dans le cinéma mondial, du biopic et que, comme
d’autres, pointait le risque d’appliquer le traditionnel cahier des charges du «portrait de
l’artiste maudit face à un monde cruel».
Chez Mike Leigh, c’est tout l’inverse. Le réalisateur anglais filme la vie, parfois sordide,
du peintre, son quotidien londonien, ses escapades en bord de mer. Le film est traversé
par les apparitions de son entourage: un père
débonnaire et malade, une ex-maîtresse furax, une bonne à tout faire pathétique, une
amante dévouée et délicate… Avec, à chaque
plan, son acteur fétiche, Timothy Spall, dont
le jeu pour le moins habité lui a valu un prix
d’interprétation masculine au Festival de
Cannes en mai, où le film était présenté en
sélection officielle.
Tempête. Mais Turner n’est qu’un élément
de Mr. Turner. Mike Leigh, cinéaste du collectif, du groupe, notamment avec Secrets et
Mensonges ou Another Year, sait qu’un génie,
aussi flamboyant soit-il, n’est rien sans son
environnement social. L’académisme assumé
de son film rencontre les cultural studies. Et
alors que son comédien vocifère tout au long
des 2 h 30 de Mr. Turner, le réalisateur esquisse avec une palette délicate les rivalités,
débats d’idées qui agitaient la Royal Academy, l’Angleterre de la période romantique.
Quant aux actes fondateurs de génie, ces scènes usantes dans de nombreux biopics, il
glisse dessus, ne profite que très peu de leur
potentiel marquant. Comme ce passage où
Turner cherche à vivre l’expérience d’une
tempête – la société est alors influencée par
les écrits d’Edmund Burke qui voyait dans la
météo agitée des preuves du sublime – et se
fait attacher au mât d’un navire. Leigh évo-
que l’artiste se met à peindre, trouvant des
cousins mécaniques à ses brumes naturelles.
Influent. C’est la question même du progrès
qui fait de Mr. Turner une belle et triste réflexion de Mike Leigh sur l’image. Entre le
statut de la peinture à l’apparition de la photographie, et le rôle du cinéma dans la multiplication contemporaine des
écrans, il y a les mêmes quesMais Turner n’est qu’un élément
tions en jeu. Et le cinéaste de
de Mr. Turner. Mike Leigh, cinéaste
71 ans fait de Turner, 76 ans à sa
mort, son propre avatar.
du collectif sait qu’un génie,
à évoquer les rivaliaussi flamboyant soit-il, n’est rien sans Iltéss’amuse
ou amitiés entre plasticiens
son environnement social.
(la haine avec John Constable,
l’affection avec l’architecte
que le moment avec abstraction, dépersonni- John Soane), le rôle de la critique, en faisant
fie l’action.
apparaître le personnage de John Ruskin
Chez Turner, les toiles encombrent une salle (très influent à l’époque avec ses écrits sur
surplombée d’un drap couvert d’insectes la peinture). Et surtout, il présente l’image,
morts. Le cinéaste fait exploser le cadre de la peinte ou photographiée, comme le résultat
peinture, immerge sa caméra dans le halo lu- d’une opération de physique-chimie, proche
mineux qui a fait la postérité de Turner. Et, de la magie. Avec Mr. Turner, Mike Leigh
au début du XIXe siècle, le ciel se remplit de filme son testament au cinéma.
la fumée des machines, des chemins de fer,
CLÉMENT GHYS
À L'AFFICHE CINÉMA
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Mike Leigh évoque le rapport du peintre
à la modernité :
«TURNER OU UN
OUVRIER, C’EST
LA MÊME CHOSE»
ike Leigh a 71 ans, est manière, si j’avais dû filmer
né à Manchester et vit toute sa vie, cela aurait été
à Londres. Courant hors de prix à tourner, et très
novembre, ce grindifficile : il aurait
cheux pince-sansINTERVIEW fallu trouver un perire était de passage
tit garçon obèse qui
à Paris pour donner des inter- ressemble à Timothy Spall
views au sujet de Mr. Turner. [l’acteur jouant Turner, ndlr].
Vous souvenez-vous de votre Le film présente les dernières
découverte de Turner?
années de sa vie, dans une
Adolescent, je pouvais débla- époque particulière, où la sotérer sur Picasso, les impres- ciété britannique changeait
sionnistes… Mais, curieuse- radicalement…
ment, Turner ou Constable Je suis toujours intéressé par
n’évoquaient rien aux gens de la manière dont les choses se
mon âge, ils
mettent à bouger à
n’étaient que des
un moment précis,
motifs imprimés
comment ces bousur des boîtes de
leversements mobiscuits. C’est en
difient nos vies.
arrivant à Londres,
Quand Turner aldans les années 60,
lait à Margate dans
pour intégrer une
le Kent, il prenait
école d’art, que je
un bateau à voiles,
l’ai vraiment découvert. qui mettait huit heures. Après
J’avais une vingtaine d’an- l’industrialisation, cela prenées et je me posais des ques- nait seulement une heure.
tions sur le rôle du cinéma, Qu’est-ce que cela change de
sur le réalisme. Il a été une des sa vision de la réalité ? C’est
réponses.
l’enjeu du film. De la même
L’idée d’un film biographique manière, j’évoque l’apparidate de la fin des années 90, tion de la photographie. Comdepuis Topsy-Turvy. Pendant ment dépicter le monde
les tournages, je me dis sou- quand un appareil permet de
vent que la chose la plus inté- remplir ce rôle? Ce qui est inressante à filmer est la lu- téressant, c’est que Turner
mière. Pour cela, Turner est le avait anticipé, accompagné,
sujet idéal. Les financements l’apparition de certaines
ont été lents à arriver, le film technologies. Mon cinéma fait
a mis très longtemps à mûrir de la fascination pour les
dans ma tête. Je voulais juxta- autres sa matière même. Je ne
poser sa personnalité, éton- m’intéresse qu’à la façon dont
nante, violente et attachante, un individu fonctionne, dans
avec son travail, un écho di- quel contexte sociologique,
rect au concept du sublime économique ou anthropologiqui était alors naissant. J’ai que, il s’inclut. Que l’on filme
choisi de présenter les derniè- Turner ou un ouvrier, c’est la
res années de sa vie, parce même chose. A quoi cela
que toute sa radicalité se dé- aurait-il pu servir de le mettre
ploie à ce moment. De toute en scène comme un artiste
DR
M
Timothy Spall
a reçu le prix
d’interprétation
masculine à Cannes
en mai pour
Mr. Turner.
PHOTOS SIMON MEIN.
THIN MAN FILMS
déconnecté de son environnement ? C’est bien joli de
parler de Turner et de sa lumière floue, mais pour lui, ce
n’était qu’une façon de dépicter le monde réel. Il enregistrait le monde.
Alors que le film évoque un artiste vieillissant au cœur d’une
époque de mutations, vous
avez tourné pour la première
fois en numérique…
Ce qu’il se passe dans le
monde du cinéma est très impressionnant. On voit des laboratoires baisser le rideau, le
milieu changer entièrement.
Au début du XIXe siècle, la
dynamique était comparable,
les manufactures fermaient,
des milliers de personnes se
retrouvaient au chômage. Le
défi est de faire comme Turner et d’essayer de comprendre le mouvement. Regardons
Gravity, c’est un film mince
en termes de scénario, mais il
offre des possibilités excitantes. Ce genre de films distille
des pistes d’exploration. De
toute manière, les phobiques
du progrès ont toujours été là.
Dans les années 70, certains
annonçaient la mort imminente du cinéma.
Turner est sans doute le peintre le plus célèbre de l’art britannique. Quel sens prend le
patrimoine aujourd’hui?
Il y a quelques années, une
enquête nationale a été lancée
pour connaître la peinture
préférée des Britanniques. Les
résultats ont donné gagnant
le Dernier Voyage du Téméraire,
cette illustration par Turner
du remorquage par un bateau
à vapeur du navire qui avait
combattu à Trafalgar. C’est un
tableau incroyable qui fait du
commentaire politique implicitement, évoque la disparition d’un monde. Beaucoup
ont voté pour lui parce qu’ils
y voyaient une célébration
patriotique idiote. Mais c’est
l’inverse: des peintres comme
Turner nous montrent autre
chose. Mon rôle de cinéaste
n’est pas de faire de la propagande pour le patrimoine britannique, mais de mettre en
scène la vie d’un homme qui,
comme Shakespeare ou Cervantes, a su, avec radicalité et
simplicité, changer notre regard sur le monde.
Recueilli par C.Gh.
•
V
VITE
VU
WHITE GOD
de KORNEL MUNDRUCZÓ (1 h 59)
Parmi les légendes contées par l’étourdissant
Mercuriales, sorti la semaine dernière, il était
question d’une capitale d’Europe de l’Est infestée par les chiens errants, capturés puis libérés
pour mieux exercer leur vengeance sur la
cruauté des hommes. Sans l’expliciter, le troisième film du Hongrois Kornél Mundruczó semble avoir germé de cette même croyance
populaire. Quoique le titre lorgne le White Dog
de Fuller et que le réalisateur cite les écrits de
J.M. Coetzee en influence cardinale, la (trop)
longue première partie du film évoque surtout
une pataude relecture de Beethoven, passée au
filtre d’un certain académisme d’auteur cannois
(la caméra parkinsonienne, la satire d’une Hongrie gouvernée par l’extrême droite et l’épaisse
parabole sur le racisme et l’anthropocentrisme
glanèrent le prix Un certain regard 2014). Seule
la dernière demi-heure, qui fait basculer le conte
dans le thriller horrifique, suscite tardivement
quelques éclats d’allant et de sauvagerie dans
cette entreprise par trop démonstrative, quand
le film lâche, très littéralement, les chiens – et
avec eux les brides de son inspiration. J.G.
White Dog, par l’opération du chien esprit.
PHOTO DR
GOD HELP THE GIRL
de STUART MURDOCH (1 h 51)
Eve vit à Glasgow. Elle compose des chansons,
rêve d’être musicienne. Un jour, elle rencontre
James, un beau garçon un peu autiste et plutôt
doué. Ensemble, ils décident de fonder
un groupe. Cette comédie musicale pop a été
mise en scène par Stuart Murdoch, leader
du groupe Belle and Sebastian, et porte
le nom d’une formation indie lancée en 2009,
dans laquelle le musicien s’éloignait (un peu)
de son attache principale. Les morceaux sont
ici réinjectés dans ce petit film, mignon comme
une chanson pop. C.Gh.
À VOUS
DE VOIR
PRAIA DO FUTURO de KARIM AÏNOUZ (1 h 46)
Sur une plage brésilienne, un sauveteur assiste à
la noyade de deux hommes. Il en sauve un, Allemand dont il tombe amoureux, et qu’il suit jusqu’en Europe, pour vivre une romance musclée.
LES HÉRITIERS
de MARIE-CASTILLE MENTION-SCHAAR (1 h 45)
Dans un lycée de la banlieue parisienne, une
prof d’histoire écope d’une classe de seconde
très agitée. Elle les inscrit à un concours
national pour réfléchir autour de l’adolescence
pendant la Shoah. Avec Ariane Ascaride
en enseignante habitée.
REPAS DE FAMILLE
de PIERRE-HENRY SALFATI (1 h 30)
«Qui va prendre Mamie à Noël ?» C’est la question, d’actualité imminente, qui agite cette
comédie familiale française.
VI
•
CINÉMA À L'AFFICHE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Le Malecón aux aurores. PHOTO DR
ULYSSE AU PAYS DES MERVEILLES
PALMIERS
Laurent Cantet prend la direction des Caraïbes pour une réflexion sur l’exil intérieur.
RETOUR À ITHAQUE
de LAURENT CANTET avec Isabel
Santos, Jorge Perugorria, Fernando
Hechavarría… 1h36.
C’est un huis-clos à ciel ouvert. Sur
une terrasse de La Havane, face au
Malecón et du crépuscule à l’aube,
cinq vieux amis quinquagénaires,
quatre hommes et une femme, se
retrouvent en 2013. L’un d’eux revient pour la première fois, après
seize ans d’exil en Espagne. Ulysse,
c’est lui. Il s’appelle Amadeo. Sur
la terrasse, il regarde la mer et ce
plan, réaliste, évoque la fin sublime
du Mépris de Godard, quand Ulysse
en toge regarde lui aussi la mer,
mais à Capri. En 1997, Amadeo a
profité d’un voyage pour disparaître. Il n’est pas revenu pour voir sa
femme, qui mourait ici d’un cancer. Pourquoi ? Pourquoi est-il
parti? Qu’a-t-il vécu en Espagne?
Pourquoi veut-il maintenant rentrer? Autant de questions qui renvoient chacun aux siennes.
Aucun des cinq n’a en effet vécu la
vie qu’il aurait voulue. Cuba est l’île
où la réussite est ailleurs, plutôt
nulle part : heureux qui comme
Ulysse… n’a pas fait un si beau
voyage. C’est donc l’île du commentaire perpétuel de la vie : celle
qu’on a, celles qu’on aurait pu
avoir. Talmud ego-tropical, purgatoire ensoleillé, lumineuse mascarade des frustrations. Comme dit le
poète Virgilio Piñera, mort isolé :
«La circonstance maudite d’être entouré d’eau de toutes parts/ me force
à m’asseoir à la table du café.»
Pachydermes. Pendant une nuit
et une heure trente de cinéma, les
cinq se mettent à table. Ils boivent,
mangent, fument, causent, crient,
pleurent, chantent, dansent, s’engueulent, se réconcilient, ouvrent
placards et cœurs à la manière cubaine : en ratés magnifiques, avec
ce mélange d’affectivité, d’autocritique, de naturel, de sensualité, de
vantardise, de provocation, de pathétique et d’humour propre à l’île.
Les acteurs, très connus là-bas,
sont de merveilleux pachydermes,
exubérants et blessés. Jorge Perugorría est devenu célèbre à l’étranger en 1993, en jouant le rôle du bel
artiste pédé et marginalisé dans
Fraise et Chocolat. Depuis, il s’est
dégarni et il a grossi. Son personnage, Eddy, est un petit chef bureaucrate. Adieu Fidel, adieu
guayaberas, Eddy le bon vivant a
renoncé à tout, sauf à profiter des
avantages en nature de sa fonction:
«Ils m’ont volé mon rêve d’écrivain,
ils ont fait de moi une merde, mais ils
ne m’ont pas volé ma vie.»
Nous avons aussi une femme médecin qui n’a plus de quoi soigner, un
ingénieur qui survit en réparant des
de tout, même quand ils pleurent,
et ils n’ont pas tort. A Cuba, le
masque de la joie du moment, toujours intense, est façonné dans un
plâtre de tristesse et de désillusions. C’est le pays où le clown
blanc sort avec un gros nez rouge.
«Chien». Le scénario de Laurent
Cantet, encore une victime émue et
consentante du microclimat local,
on le comprend, est inspiré par une
partie d’un roman publié en 2003
par Leonardo Padura, le Palmier et
l’Etoile. L’écrivain y contait parallèlement la vie d’un Cubain qui
revient dans l’île pour comA Cuba, le masque de
son passé d’univerla joie du moment, toujours prendre
sitaire cassé et celle du poète
intense, est façonné dans
cubain José-Maria Heredia,
fondateur du romantisme
un plâtre de tristesse
hispanique, qui mourut au
et de désillusions.
Mexique en gémissant: «Oh
batteries volées, un peintre qui ne ces palmiers! Ces palmiers…» Cantet
peint plus, que l’alcool a failli tuer avait fait un court métrage dans un
et dont l’Etat a brisé la carrière. film collectif et inégal auquel avait
Tous sont alourdis, tous s’élèvent, collaboré Padura, 7 Jours à La Hatous ont la classe : les acteurs ont vane (2012). Il insiste et il a raison :
expérimenté, d’une manière ou il faut du temps pour traverser les
d’une autre, les destins de leurs apparences que les Cubains distripersonnages. Ils finissent par rire buent à profusion.
A travers le personnage d’Amadeo,
Retour à Ithaque mélange deux époques: celle où la dictature réprimait
directement les artistes et les écrivains, et celle où il quitte l’île,
en 1997, qui fut davantage un
temps d’exil économique et existentiel. Cette confusion lui permet
d’explorer un thème cher à Padura:
comment et où écrire lorsqu’on est
cubain ? Amadeo, comme Eddy,
voulait devenir écrivain. En Espagne, il s’est senti «seul comme un
chien» et il a cessé: «Je voulais perdre la mémoire. Et sans mémoire,
comment écrire?» Padura, lui, a décidé de rester à Cuba, dans sa maison familiale, pour protéger l’écrivain qui est en lui.
En 2003, évoquant le destin de
Guillermo Cabrera Infante, un autre
exilé, il nous disait: «Il a écrit deux
chefs-d’œuvre qui portent la langue
de La Havane. Mais, en exil, il ne l’a
plus entendue, et peu à peu il a cessé
d’écrire.» L’un des mérites de Retour à Ithaque est de faire entendre
cette langue, à travers ceux qui sont
restés.
PHILIPPE LANÇON
«IRANIEN», BARRETTE DE CHIITES
RHÉTORIQUE
L’athée Mehran Tamadon filme quatre mollahs pour évoquer le vivre ensemble perse.
IRANIEN documentaire
de MEHRAN TAMADON 1h45.
Ce serait l’idée de la refondation de
la société. On reprend tout depuis
le début, entre gens a priori voués
à ne pas s’entendre, et on discute
de comment on pourrait vivre ensemble. Mehran Tamadon est un
Iranien de Paris, athée, qui rentre
souvent au pays (et a parfois du mal
à en ressortir vu ses œuvres subversives). En 2010, après la réélec-
tion de Mahmoud Ahmadinejad, il
décide de faire un film performance, de rassembler dans la maison inhabitée de sa mère-grand
quatre mollahs pour essayer de
fonder une mini-démocratie éphémère, avec les interdits des uns et
ses désirs laïcs à lui.
L’idée est plaisante et triste à la fois,
car on voit bien que ça ne marche
guère. On se dit : ce serait bien de
pouvoir faire ça tous les jours, d’essayer de vider rationnellement la
querelle avec nos propres censeurs
occidentaux (identitaires, fondamentalistes cathos…). Dans l’expérience de Tamadon, les mollahs
sont plutôt sympas. L’un est le sophiste de la bande, cynique mais rigolo, qui retourne le concept de
«laïcité» en celui de «dictature» et
d’«idéologie». Un autre s’en fiche
un peu, car il est surtout bon vivant. Les scènes de dispute sociophilosophique sont entrecoupées
de séquences où l’on fait la cuisine,
où l’épouse d’un des mollahs apparaît furtivement, regardant avec
plaisir une vidéo de Tamadon sur
l’éducation musicale dans les crèches françaises : elle-même a fait
des études de puériculture, dit-elle.
Où l’on suppose que le vivre ensemble pourrait reposer sur le sentiment, le cœur humain, l’amour
maternel, un truc partagé de ce
genre. Le troisième mollah, jeune,
aux yeux bleus, se contente d’approuver à la rhétorique du premier.
Il apprend à Tamadon à faire ses
ablutions. Celui-là a le profil de
l’exécutant, ou pire si désaffinités.
Et puis, il y en a un dernier, très
pieux aussi, mais qui craque presque vers la fin, reconnaissant que,
bon, évidemment, si c’est l’intérêt
collectif qui est mis au-dessus des
intérêts de chacun des partis, alors
dans l’espace commun de vie (le
salon de la maison a été ainsi défini), ben non, chacun ne va pas
pouvoir interdire aux autres ce qu’il
ne supporte pas, parce que, sinon,
il n’y aura assez vite ni ensemble
ni vie.
ÉRIC LORET
CIMES ET CHÂTIMENTS
PAROIS
Deux docus inédits de Herzog sur l’enfer de la montagne.
LES ASCENSIONS
DE WERNER HERZOG documentaire
de WERNER HERZOG 1h15.
Parce que sa filmographie compte plus
de 60 films, aussi bien fictions que documentaires, produits pour le cinéma ou
la télévision, on peut continuer à découvrir des Werner Herzog rares ou inédits
comme c’est le cas avec deux moyens métrages. La Soufrière a été réalisé
en 1976, au moment où les habitants de
Basse-Terre en Guadeloupe ont été évacués parce que le volcan qui donne son
titre au film menace d’exploser et de détruire la ville en contrebas. Gasherbrum,
«la montagne lumineuse», se déroule
au Pakistan et suit jusqu’à un camp de
base à 5000 mètres d’altitude deux alpinistes – Reinhold Messner, une star
dans son domaine, et Hans Kammerlander–, alors qu’ils s’apprêtent à attaquer,
sac à dos, d’une traite, deux sommets
jumeaux de l’Himalaya, culminant à
8 000 mètres, en 1984.
Vaincu. D’un côté, l’imaginaire du feu,
la hantise d’être calciné en pleine action
tels les habitants de Pompéi, de l’autre
une rêverie sur la disparition blanche
dans un linceul de givre. A chaque fois,
il s’agit pour le cinéaste aventurier de se
confronter à la démesure d’une nature
verticale, toujours menaçante et opposant par sa puissance mythique un défi
à la créature humaine qui décide de l’affronter, de prendre la fuite, de faire face
ou de s’avouer vaincu. Sous-titré «Dans
l’attente d’une catastrophe inévitable»,
la Soufrière ressemble à une montée dramatique au son de la musique de Wagner qui se termine un rien lamentablement étant donné que le volcan, contre
DIDIER PÉRON
BRUNO ICHER
La FSGT présente
Le sport dans tous ses états
Film d’animation réussi autour du doudou iconique.
PADDINGTON
de PAUL KING 1h35.
Tous les ans, la revue mensuelle anglaise Monocle Magazine publie le classement
des pays au soft power le plus
important, l’expression désignant l’attractivité d’une
nation, sa capacité à influer
sur la donne culturelle mondiale. A chaque fois, le
Royaume-Uni arrive dans le
tiercé gagnant. L’un des éléments de ce soft power est
sans aucun doute la façon
avec laquelle l’identité britannique sert de décor, voire
de trame, à des pans entiers
de la production littéraire ou
cinématographique à destination de la jeunesse, du
Christmas Carol de Charles
Dickens à la saga Harry Potter, en passant par Mary
Poppins.
Paddington s’inscrit directement dans cette logique. Le
long métrage de Paul King
est une adaptation des aventures du héros du même
nom, un adorable ourson
venu du Pérou et échoué à
Londres, dans la gare de Paddington, recréée ici via une
hybridation entre une animation numérique et un
film. En 1958, est paru le
premier tome de la saga signée Michael Bond, qui
comprend une trentaine
d’ouvrages, a été traduite
dans 40 langues et s’est vendue à 35 millions de livres
dans le monde. Depuis les
années 70, des peluches,
éditées à l’effigie de l’ourson,
s’écoulent par palettes.
C’est dire que ce Paddington
démarre en terrain, sinon
conquis, du moins connu. Le
producteur est le Britannique
David Heyman, déjà aux ma-
PITIÉ!
chose dans la froideur blessée de l’alpiniste le fascine d’évidence, et sa caméra
ne vacille pas quand il parvient enfin à
le faire craquer d’une seule question dite
de cette voix au timbre inimitable.
«Maîtresse». Interrogé sur la «pulsion
de mort» qui l’anime, Messner affirme
qu’au contraire la conquête de parois
extrêmes, même pour le suicidaire, le
priverait une fois au bout (et à bout) du
désir de sauter et de se tuer. «J’ai parfois
l’impression de pouvoir dessiner sur ces
parois de 3 000 ou 4 000 mètres de hauteur comme une maîtresse qui écrit et dessine au tableau, mais je ne trace pas seulement des lignes pensées, je vis ces lignes.
Elles sont là et y restent éternellement»,
dit encore Messner qui continuera à
gravir d’autres sommets, notamment
la première ascension de l’Annapurna
par la face Nord-Ouest un an plus tard.
Le faîte de l’ascension dans l’Himalaya. PHOTO GASHERBRUM
toutes les prévisions scientifiques, remballe la marchandise et sombre dans un
profond sommeil sans avoir permis à
Herzog et à son équipe d’assister à
l’apocalypse annoncée. Les risques
qu’ils prennent en passant tous les barrages afin de s’approcher au plus près de
la bouche fulminante du volcan leur
permettent de discuter avec de pauvres
hères couchés dans l’herbe dans l’attente de mourir.
Messner, lui, a déjà eu le sentiment de
mourir quand, en 1970, il perd son frère
dans la descente du Nanga Parbat au Pakistan. Il qualifie lui-même l’alpinisme
d’un produit de la «dégénérescence de
l’homme» qui dépense une énergie folle
pour des actes risqués et qui n’ont en
définitive aucune finalité autre que l’accomplissement d’un exploit physique et
mental. Herzog voit en Messner une
sorte de double de lui-même, quelque
VII
Comme le laisse entendre une bande-annonce
survirile qui tourne en boucle sur les sites spécialisés et à la télévision, la French (rien à voir avec
un doc sur la manucure, donc) déclenche un signal
d’alarme bien connu: quand un film français
s’empare ainsi des codes surannés du polar
à l’américaine, le désastre n’est jamais loin.
Fidèle à l’objet promotionnel en question, au point
de donner l’impression que le film n’a été conçu
que pour y être conforme, la French ressemble
aux travaux pratiques d’un alchimiste cancre
qui aurait le don de transformer l’or d’une prodigieuse fresque criminelle en un bloc de plomb
filmé avec les genoux, s’obstinant à aligner
de la testostérone de synthèse sur des étagères
de Formica, histoire de coller à la vieille idée
de l’érotisation de la violence et du crime. Il ne fait
aucun doute que Cédric Jimenez, le cinéaste,
et le duo Dujardin-Lellouche ont biberonné jusqu’à
l’overdose aux polars nerveux de Friedkin, Mann,
Fleischer, Siegel et compagnie. Tout ça pour que,
deux heures durant, ces braves gens s’emploient
à surjouer l’exercice du plagiat, toujours à un millimètre de la parodie involontaire. Au point que
personne ne serait vraiment surpris si les deux
compères à l’écran se mettaient subitement
à se bidonner comme dans une émission d’Arthur.
Parmi les stigmates les plus embarrassants de
ce référencement forcené, un goût envahissant
pour le vintage faisant ressembler le film tantôt
à un symposium de collectionneurs de voitures
anciennes, tantôt à un antiquaire qui serait tombé
par chance sur un hangar oublié des Galeries Barbès. En guise de coup de grâce, une avalanche de
clins d’œil à se luxer les paupières, depuis un JT
de 20 heures présenté par Olivier Duhamel ou
une scène de l’Ile aux enfants, jusqu’au numéro de
Pif Gadget lu à haute voix, en passant par une BO
bourrée de Mike Brant et de Sheila… La nostalgie
comme seule réponse à l’échec du présent.
PELUCHE QUE PARFAIT
CHAPEAU
•
À L'AFFICHE CINÉMA
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Paddington, Pérou t’es entré
on t’a pas vu sortir. PHOTO DR
nettes de la très lucrative
saga Harry Potter ainsi que de
Gravity. Dans le genre du film
pour petits, et de l’animation
d’un doudou, Paddington est
réussi. Il renferme à peu près
tout ce qu’une salle remplie
de marmots exige. Soit, aux
dires d’un enfant de 8 ans,
Caspar, présent le jour de la
projection, «un mélange entre
des scènes drôles et des scènes
d’action». A l’applaudimètre
des gosses, on compte la
destruction par le plantigrade de la salle de bains de
sa famille d’accueil ou sa
consommation en quelques
minutes de dizaines de pots
de marmelade…
Comme dans tous les films
du genre enfantin, s’opère
un drôle de panachage entre
une narration très premier
degré, gaguesque, un discours d’éducation à la tolérance et quelques sous-entendus (ici sexuels) pour
adultes. Paddington est une
invitation à accueillir tous les
naufragés de l’existence
(même les ours), dans une
tradition caritative britannique, héritée de l’aprèsguerre. C’est bien-pensant,
mais ça fait du bien.
CLÉMENT GHYS
9-14 DÉC. 2014
FESTIVAL
INTERNATIONAL
DU FILM SPORTIF
L’écran
Saint-Denis
Ciné 104
Pantin
Cinéma Jacques Tati
Tremblay-en-France
80.fsgt.org
CINEMA
Quel spectateur êtes-vous? Un invité nous répond du tac au tac.
SÉANCE TENANTE
AUDREY FLEUROT
Actrice, on peut la voir aussi bien
à la télévision dans les nouvelles
saisons d’Un village français et
d’Engrenages que sur les planches
dans Un dîner d’adieu, qui triomphe
au Théâtre Edouard-VII, ou encore
en DVD dans les Gazelles, de Mona
Achache. PHOTO AFP
«LES BANDESANNONCES, C’EST UNE
SORTE DE MENSONGE
QUE J’AIME»
w La première image?
Le poing de Bud Spencer dans la
tête de Terence Hill.
w Dernier film vu ? Avec qui ?
C’était comment?
Interstellar. Avec mon amoureux.
Ça ressemble un peu à du Kubrick
pour les nuls. Je ne dis pas ça méchamment, je me classe dans les
nuls.
w Le film que vos parents vous ont
empêchée de voir?
Gorge profonde. Je croyais que
c’était un film d’aventures.
w Qu’est-ce qui vous fait détourner
les yeux de l’écran?
La honte. Quand un personnage
tombe si bas que c’est douloureux.
w Un rêve qui pourrait être un début
de scénario?
Je cours, je cours, et je me mets à
voler. Mais un vol tout nul à un
mètre du sol. C’est comme si
j’avais un super-pouvoir mais tout
à fait inutile.
w Le film où la scène qui a interrompu un flirt avec votre
voisin(e)?
Aucun. C’est un moment où il est
difficile de m’arrêter.
w Que faites-vous pendant les bandes-annonces?
Je les regarde. J’adore les bandesannonces ! C’est une sorte de
mensonge que j’aime, que je
trouve festif, contrairement aux
publicités qui m’agressent et me
rendent méchante.
w Avec quel personnage aimeriezvous coucher?
Avec Jean-Paul et Marianne (Alain
Delon et Romy Schneider) dans
une piscine. Ou en acceptant la
pilule que me tendrait Barbarella.
w Pour ou contre la 3D?
Je ne suis pas contre le principe
mais je n’ai pas vu de film en 3D
depuis l’Etrange Créature du lac
noir, et c’était avec les lunettes
bleu et rouge.
w Le hors-champ, ça vous travaille?
On passe sa vie hors champ. Il
m’arrive, par hasard ou par
chance, d’entrer dans le champ ;
et ça me paraît à chaque fois inachevé, inabouti, donc c’est peu
dire que ça me travaille.
w La séquence qui vous a empêchée
de dormir (ou de manger)?
Quand Artax, le cheval d’Atreyu,
s’enfonce et meurt dans le marécage de la mélancolie (l’Histoire
sans fin).
w Le cinéaste dont vous osez dire du
bien?
C’est un exercice vital que de se
forcer à réévaluer. On arrive souvent à se mentir à soi-même par
peur du mauvais goût. Ma liste du
jour : James L. Brooks et Yves
Robert.
w Le cinéma disparaît à tout jamais.
Une épitaphe?
«Je vous l’avais bien dit que j’étais
malade !» C’est celle de Groucho
Marx, paraît-il.
w La dernière image?
Je serais prête à payer cher pour
avoir la réponse.
Recueilli par DIDIER PÉRON
REPRISE SATYAJIT RAY PUISSANCE TROIS
Après une première salve de trois films en avril,
voici une nouvelle livraison Satyajit Ray,
sa production sixties avec la Grande Ville (1963,
photo), le Saint (1965) et le Héros (1966). Le premier est une réflexion féministe. Le récit tourne
autour d’un couple à Calcutta, lui est un
employé de banque licencié qui doit accepter
que son épouse travaille, allant à l’encontre des
mœurs patriarcales encore en cours. L’Inde de
ces années-là est agitée de nombreux conflits
sociaux: «Le Calcutta des trams qui brûlent, les
soulèvements dans les communes paysannes,
les réfugiés, le chômage, les prix qui flambent,
les difficultés d’approvisionnement, il n’y a rien
de tout ceci dans les films de Ray», écrivait
un critique indien, jugeant que le cinéaste
ne rendait pas compte de l’intensité des conflits sociaux de son époque. D.P. PHOTO DR
TOUJOURS EN SALLES
MERCURIALES
de Virgil Vernier (1 h 44)
NIGHT CALL
de Dan Gilroy (1 h 57)
ALLELUIA
de Fabrice Du Welz (1 h 30)
Deux filles se rencontrent et dérivent ensemble entre banlieues
parisiennes et interzones européennes. Ce film ahurissant sécrète une impression semblable
à ces disques, tout de modulations et de bourdonnements de
synthétiseurs analogiques, enregistrés sur microsillon dans les
années 70 et 80 par Brian Eno et
quelques autres, travaillant à
l’obscuration des sens.
Lou Bloom (Jake Gyllenhaal) est
un loser, arnaqueur minable, qui
découvre par hasard ces paparazzi du nouvel âge et les sommes payées par les chaînes (plusieurs centaines de dollars pour
les blessés d’un accident, beaucoup plus pour un crime).
Night Call suit la lente évolution
du jeune homme, au visage émacié et aux yeux globuleux de
vampire contemporain.
Inspiré de la vie de Martha Beck
et Raymond Fernandez, les
«Tueurs aux petites annonces»,
ce nouveau thriller d’un outsider
belge, remarqué à l’époque de
l’éprouvant Calvaire, déborde du
fait divers réaliste pour questionner le sentiment de folie passionnelle qui soude le couple.
Laurent Lucas, discret ces
temps-ci, y opère un come-back
remarquable.
TICKETS D’ENTRÉE (SOURCE «ÉCRAN TOTAL»)
Film
ASTÉRIX : LE DOMAINE DES DIEUX
HUNGER GAMES : LA RÉVOLTE
NIGHT CALL
SECRET D’ÉTAT
INTERSTELLAR
Derrière les prévisibles cartons
d’Astérix et de Hunger Games,
c’est une légère surprise de voir
se glisser deux sorties relativement modestes au classement de
la semaine. Night Call et Secret
d’Etat, qui totalisent à eux deux
un peu plus de 400 écrans – soit
Semaine
1
2
1
1
4
Ecrans
696
819
255
164
618
Entrées
870 767
679 864
153 862
67 878
209 784
la moitié de Hunger Games–, obtiennent des moyennes assez remarquables, d’autant qu’ils ont eu
la mauvaise idée de se lancer
avec des affiches quasiment similaires : un gros plan de l’acteur
principal (Jake Gyllenhaal et Jeremy Renner), le visage mangé
Moyenne/copie
1 251
830
603
414
339
Cumul
870 767
2 218 065
153 862
67 878
2 192 593
par des lunettes à verres fumés.
En quatrième semaine, Interstellar se maintient face à la concurrence, de même que Samba qui,
manifestement, n’emballe pas les
foules mais vient quand même de
dépasser les trois millions de
spectateurs.
20
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LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
VOUS
SEXE&GENRE
PHOTOS COURTESY OF THE KINSEY INSTITUTE FOR RESEARCH IN SEX, GENDER AND REPRODUCTION
Via des objets,
mais aussi des
expériences,
l’exposition
londonienne
«The Institute
of Sexology»
retrace
l’histoire de
cette science.
Par SONIA
DELESALLE-STOLPER
Correspondante à Londres
es images défilent.
Un immense bûcher,
alimenté par des
mains anonymes qui
y jettent livre après livre, déroule ses flammes dans
une nuit d’encre. Nous sommes le 6 mai 1933 et tous
les ouvrages de l’immense
collection de l’Institut pour
la recherche sexuelle, fondée
à Berlin dans
VISITE les années 20
par Magnus
Hirschfeld, pionnier de la recherche en sexologie, rejoignent l’autodafé de l’idéologie nazie. On s’était
pourtant pointée à l’exposition «The Institute of Sexology», au Wellcome Institute
à Londres, comme les milliers de visiteurs qui s’y
pressent depuis quelques
jours : légèrement émoustillée et curieuse.
Dans une vitrine, des minifigurines de porcelaine japonaise se livrent, dénudées, à
des contorsions intéressantes
et parfois fort compliquées,
qui nous déconcertent un
peu plus. Avant que la vision
d’une ceinture de chasteté et
d’un anneau de fer à l’intérieur hérissé de petites poin-
L
GodessavetheQueen
couvert de métal. Il s’agit du
célèbre «orgone accumulateur» imaginé dans les années 40 par le psychanalyste
autrichien Wilhelm Reich. Sa
théorie était qu’un peu de
temps passé dans cette boîte
permettait de libérer son
énergie sexuelle interne. Le
mieux, selon lui, était de s’y
installer nu. La salle d’exposition se prêtant mal à une
telle expérience, la plupart
des curieux ressortent un
peu frustrés de l’engin. Reich
arguait que sa boîte permettait aussi de guérir un certain
nombre d’afdont le
«J’en déduis que votre fils est flictions,
cancer. Les
homosexuel, et le fait que vous Américains (il
ne le mentionniez pas vousvivait et vendait
même m’impressionne. Puis- ses boîtes aux
ne
je vous demander pourquoi?» Etats-Unis)
l’ont pas cru,
Freud en réponse à une lettre, en 1935
ont détruit son
invention et ont
tes – supposé, une fois ins- envoyé Wilhelm Reich en
tallé (encastré ?) sur un prison où il a fini ses jours,
pénis, prévenir toute pollu- en 1957.
tion nocturne– nous suggère «The Institute of Sexology»
une prudente retraite.
offre un catalogue extraordinairement varié de l’histoire
ORGONE. Mais c’était sans de la sexologie au fil des cent
compter sur le guide qui, cinquante dernières années.
avec un sourire narquois, Au-delà des inévitables vinous invite alors à entrer bromasseurs (encore que
dans une drôle de boîte en l’un d’entre eux ressemble
bois, dont l’intérieur est curieusement à un fouet à
manivelle de cuisine), peintures du Kama Sutra ou engins «antimasturbation»,
l’exposition livre une passionnante analyse politique
de l’évolution de la compréhension de la sexualité.
AVANT-GARDISTE. Dans la
section «The Classroom» (la
classe), l’exposition se penche sur le travail de pionnier
de l’Américain Alfred Kinsey, biologiste, professeur
d’entomologie et de zoologie
qui, après avoir passé des
années à observer des guêpes, fonda l’Institut Kinsey
de recherche sur le sexe, le
genre et la reproduction à
l’université d’Indiana. A travers des entretiens extrêmement fouillés, il retraça la
trajectoire sexuelle de plus
de 18 000 individus.
«The Consulting Room» (la
salle de consultation) observe les différentes approches de deux autres pionniers, chacun dans leur
genre, Sigmund Freud et
Marie Stopes. Une lettre
manuscrite du premier,
datée de 1935, répond
à une mère anxieuse.
«Je déduis de votre
lettre que votre fils est
homosexuel, et le fait
que vous ne le mention-
niez pas vous-même m’impressionne. Puis-je vous
demander pourquoi? L’homosexualité n’est assurément pas
un avantage, mais n’est rien
qui puisse susciter la honte,
n’est pas un vice, une dégradation et ne peut être considérée comme une maladie»,
écrit-il. Marie Stopes écrira
un best-seller, Married Love,
en 1918, arguant que la satisfaction sexuelle est une clé
d’une union heureuse. Elle
ira jusqu’à relever scientifiquement toutes ses impressions, ses désirs, ses réactions, lors de périodes
données. Son approche
avant-gardiste –elle sera une
fervente avocate du contrôle
des
naissances –
lui vaudra une armée de supporteurs
et des volées d’injures. Une
lettre exposée est glaçante :
«Allez prêcher vos sales méthodes ailleurs. Les Anglais
décents sont dégoûtés par vos
suggestions écœurantes.»
Les travaux du couple
William Masters et Virginia
Johnson (dont l’histoire est
racontée dans la série télé à
succès Masters of Sex) sont
mis en valeur dans la section
«The Lab». De 1957 au milieu des années 90, Masters
et Johnson établiront une
carte détaillée des différents
stades de l’excitation
sexuelle en «mesurant» les
réactions de centaines de
couples volontaires en plein
acte sexuel.
FLORAISON. L’un des moments forts de l’exposition,
au point de provoquer des
embouteillages systématiques, est une charte, établie
cette fois-ci par l’artiste
américaine Carolee Schneemann, entre 1969 et 1971. Elle
y détaille avec une floraison
d’éléments cliniques impressionnants toutes ses expériences sexuelles. Elle y décrit chacun de ses amants, de
son physique à sa profession,
en passant par la taille de son
sexe (gros, moyen, en dessous de la moyenne), mais
aussi les sons qu’elle produit
au moment de ses orgasmes
(cris, gémissement, hurlement), ou encore le nombre
de mots prononcés avant et
après l’acte (aucun, quelques-uns, beaucoup).
La diversité de l’exposition,
et son absence de logique
parfois, répondent parfaitement, comme le souligne
l’une de ses conservatrices,
Honor Beddard, à «l’étude du
sexe dans toute sa complexité
et sa contradiction». •
REPÈRES
«The Institute of
Sexology» Wellcome
Collection, jusqu’au
20 septembre 2015.
183 Euston Road,
à Londres.
Rens.: wellcomecollection.org
IVe siècle
C’est à cette époque
que fut écrit le Kamasutra par un brahmane,
le saint sage Vatsyayana,
dit la légende.
LA SEXOLOGIE
Cette science mêle,
depuis la fin du XXe siècle, médecine, stats, épidémiologie, biologie,
neurosciences, criminologie, histoire, psychologie et sociologie.
22
•
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
REBONDS
«Fatal cocktail» à Ferguson,
mais qu’en est-il en France?
Par DES
ASSOCIATIONS
DE DROITS DE
L’HOMME ET
DÉFENSE DES
PERSONNES
uelques heures après la décision
prise par un grand jury de ne pas
poursuivre le policier responsable
de la mort de Michael Brown, tué
par balles à Ferguson, dans le
Missouri, la ministre française de
la Justice, Christiane Taubira, a
rédigé une série de tweets qui
montrent qu’elle s’intéresse de près aux questions de
discrimination raciale. En voici un exemple: «Mickael
Brown, profilage racial, exclusion sociale, ségrégation
territoriale, relégation culturelle… des armes, la peur…
Fatal cocktail !»
Mais les problèmes que mentionne la ministre pourraient tout autant s’appliquer au contexte français,
dominé par le problème des «contrôles au faciès»,
symboles d’une
discrimination
A ce jour, deux ans et demi après
inacceptable qui
l’élection de François Hollande,
continuent d’emaucune mesure sérieuse n’a été prise
poisonner les relapour réduire le problème des
tions entre la pocontrôles d’identité discriminatoires. lice et les minorités
dites «visibles».
Bien que l’on ne dispose d’aucune statistique officielle, dans la mesure où le suivi des contrôles reste
inexistant, une enquête menée par Opinion Way et
publiée en mai par Graines de France, Human Rights
Watch et Open Society Justice Initiative ne fait que
confirmer le recours toujours massif de la police aux
contrôles d’identité, et la persistance du caractère discriminatoire de ceux-ci.
Admettant la gravité du problème, le président Hollande en avait pourtant fait très ouvertement un de
ses engagements de campagne : «Je lutterai contre le
Q
“délit de faciès” dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens…» Ainsi, peu après sa
nomination au poste de Premier ministre, Jean-Marc
Ayrault avait-il publiquement annoncé la préparation
par le gouvernement d’un texte de loi garantissant à
toute personne contrôlée la remise d’une preuve écrite
de l’incident. Cependant, à peine quelques mois plus
tard, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, avait
manifesté son hostilité envers une telle mesure, qui
fut promptement enterrée.
A ce jour, deux ans et demi après l’élection de François Hollande, aucune mesure sérieuse n’a été prise
pour réduire le problème des contrôles d’identité discriminatoires et s’assurer que la police fasse usage des
pouvoirs qui lui sont conférés d’une manière respectueuse des droits fondamentaux des personnes. Cet
échec du gouvernement à donner suite à ses propres
promesses a fait naître une immense frustration au
sein des groupes discriminés. L’histoire récente de la
France ne manque pas d’exemples de contrôles
d’identité qui «tournent mal», et entraînent des épisodes de troubles.
La législation française laisse aux policiers une large
marge d’appréciation pour effectuer des contrôles
d’identité, sans avoir à s’appuyer sur des critères objectifs et individualisés basés sur le comportement des
personnes en question. Pour limiter les discriminations et garantir que les policiers fassent usage de ce
pouvoir d’une manière appropriée et transparente,
il est donc crucial de réformer ce cadre législatif flou
et permissif. Il est également essentiel de mettre en
place un système d’enregistrement des contrôles
d’identité afin de pouvoir demander des comptes aux
policiers responsables et à leurs supérieurs. Pour le
personnel d’encadrement de la police, de telles don-
nées permettront de s’assurer que la police exerce ses
pouvoirs d’une façon légitime et transparente.
Cela fait des années que nos associations appellent à
réformer la législation. Christiane Taubira, en tant que
ministre, peut jouer ici un rôle central. Son ministère
pourrait, par exemple, prendre l’initiative de la mise
en place d’une commission interministérielle, qui
s’attacherait à examiner et à réformer le cadre législatif relatif aux contrôles d’identité, aux palpations de
sécurité et aux fouilles d’objets personnels –une étape
préliminaire en vue de la préparation d’un projet de
loi. Le ministère pourrait également effectuer sans délai un audit de l’usage et de l’efficacité des contrôles
effectués sur ordre d’un procureur, qui relèvent en
effet de ses compétences.
En outre, Christiane Taubira peut demander à son cabinet d’émettre une circulaire à destination des procureurs, afin de rappeler à ceux-ci que les normes
contraignantes en matière de droits humains, y compris la non-discrimination, s’appliquent aux pratiques
policières. L’année dernière, le cabinet de la ministre
avait fait connaître à un regroupement d’organisations non gouvernementales, dont les nôtres, son intention d’émettre une telle circulaire. Cependant, le
ministère n’a pas à ce jour donné suite à cet engagement. A quand un tweet de la garde des Sceaux pour
annoncer que le ministère de la justice réalise enfin
la promesse présidentielle par une réforme de l’article
78-2 du code de procédure pénale qui permettrait de
mettre fin aux contrôles d’identité abusifs et discriminatoires ?
Signataires: Graines de France, Human Rights Watch,
Maison communautaire pour un développement solidaire,
Open Society Justice Initiative, Syndicat des avocats de
France, Syndicat de la magistrature.
La logique comptable n’est pas une politique
Par ANDRÉ
GRJEBINE
Directeur de
recherche à
Sciences-Po,
Centre d’études
et de recherches
internationales
es discours sur la nécessité de réformer la société française se
multiplient. Mais ce qu’on entend par là, ce n’est pas la mise
en œuvre progressive d’un agenda de
mesures inscrites dans une vision d’ensemble de la société et de son adaptation. C’est la recherche d’un équilibre
entre deux exigences contradictoires :
d’une part, la réduction de dépenses
publiques exigées par la Commission
européenne; d’autre part, les sacrifices
que l’on peut demander à telle ou telle
catégorie sociale, compte tenu de sa capacité de rétorsion c’est-à-dire de nuisance. Une sorte de comptabilité en
partie double bien particulière…
Les corporations et les groupes de pression s’épanouissent d’autant mieux que
le gouvernement ne peut les combattre
au nom d’un projet d’avenir, négocié
avec les partenaires sociaux et entériné
par les électeurs. Alors que, dans les
pays scandinaves comme en Allemagne, les mouvements politiques, en
premier lieu sociaux-démocrates, ont
une assise sociale forte qui rend plus facile la recherche d’une adéquation entre
L
les aspirations des citoyens et la marge
d’action des gouvernants, en France, la
faiblesse, sinon l’inexistence, des liens
entre le monde politique et les acteurs
sociaux a pour effet de réduire la puissance des syndicats réformistes et
d’isoler le politique de ses déterminants
sociaux. Une mise à plat des grands domaines qui construisent notre avenir
(formation, fiscalité, gestion des entreprises, lutte contre l’exclusion, etc.)
aurait peut-être permis de compenser
cette carence. Le moins que l’on puisse
dire est que ni la gauche, ni la droite ne
s’y sont résolues, sans doute par crainte
de raviver des revendications corporatistes. Faute d’être responsabilisés par
leur participation à la négociation, voire
à l’élaboration, des réformes, les partenaires sociaux s’abandonnent à la seule
défense de leurs mandants. L’objectif de
chacun n’est plus que de préserver ses
avantages acquis et si possible d’en obtenir de nouveaux. Chaque réforme est
vécue comme un affrontement qui suppose des bénéficiaires et des perdants.
D’où une approche de la politique en
termes de comptabilité, plutôt que de
projet. Le gouvernement grappille
parmi les mesures qui lui sont proposées au jour le jour par ses conseillers,
réduisant tel poste aujourd’hui, quitte
à le rétablir demain si la mesure envisagée déclenche un mécontentement plus
grand que prévu. Il en résulte un patchwork de mesures prises à la va-vite,
sans qu’on en ait toujours mesuré les
coûts, les conséquences et les contradictions.
Dans ce contexte, les opposants se contentent de surenchérir sur l’importance
des réductions des dépenses publiques
auxquelles chacun se propose de procéder, mais rares sont ceux qui s’aventurent à dire quels postes précis ils entendent diminuer. Cette vision purement
comptable de la politique n’ouvre
aucune perspective. La réduction des
dépenses de fonctionnement est sans
doute nécessaire. Elle ne constitue pas
pour autant un projet qui puisse motiver les acteurs à accepter des réformes
et donc des sacrifices. Pour adoucir ce
qu’aurait d’un peu sec le recours exclusif à des termes comptables, les responsables politiques les fleurissent d’envo-
lées lyriques et de discours martiaux
nous assurant de leur volonté de replacer la France au premier rang des nations et affirmant leur résolution d’aller
de l’avant, sans jamais préciser vers où
et comment. Le jeu politique, sans ramifications dans le champ social, c’està-dire se déroulant en vase clos, tend à
se prendre lui-même pour principal enjeu. Il est significatif que la révélation
des propos privés tenus par les uns sur
les autres soit devenue un exercice central du débat public.
Les exigences européennes sont, dans
une large mesure, un alibi qui sert à
masquer l’incapacité de nos dirigeants
à déterminer une vision à long terme.
Après tout, si la Commission européenne et les marchés financiers pouvaient observer un programme précis
et résolu visant à dynamiser progressivement notre économie, ils seraient
sans doute moins sensibles à des déséquilibres dont on pourrait prévoir la résorption à terme. Au demeurant, un tel
programme pourrait être entrepris dans
le cadre européen, quitte à ce que chaque pays en prenne sa part.
REBONDS
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Par BERNARD
GUETTA
Les idiots
utiles
de Vladimir
Poutine
Cherchons. Pourquoi Mme Le Pen aime- meilleur rempart contre les jihadistes
t-elle tant la Russie d’aujourd’hui alors qu’elles en sont la source et le
qu’elle avait invité au congrès du FN un meilleur terreau. Ce n’est pas par hareprésentant de Russie Unie, le parti de sard que Mme Le Pen et Vladimir PouVladimir Poutine, qui donnait du «chers tine s’étaient immédiatement rangés
camarades» aux délégués frontistes ?
aux côtés de Bachar al-Assad alors que
Ce ne peut pas être qu’elle voie un mo- l’aspiration aux libertés et à la démodèle, elle qui déteste tant l’Union euro- cratie faisait descendre les Syriens dans
péenne, dans cette Fédération de Russie les rues. C’est parce qu’ils ont une
qui regroupe plus de 80 «entités consti- même phobie des musulmans et, donc,
tuantes» dont bon nombre sont majori- une même sympathie pour les potentats
tairement musulmanes. Ce ne peut pas sanguinaires qui ne se survivaient et ne
non plus être qu’elle approuve l’impor- s’enrichissaient qu’en les opprimant et
tation massive d’immigrés turcs à leur interdisant toute intégration à la
Moscou dont ils restaurent le centre modernité.
historique et construisent les luxueux Le second point commun à ces nouvelbâtiments proclamant l’opulence des les extrêmes droites des deux parties de
nouveaux riches. Ce ne doit pas être l’Europe est la haine de l’Union euronon plus qu’elle apprécie le cosmopoli- péenne. Vladimir Poutine rêverait de la
tisme de cette capitale fédérale, le briser car elle exerce trop d’attraction
New York de l’Est, qui ferait passer le à ses yeux sur les anciennes Républimaléfique Bruxelles pour traditionaliste ques soviétiques qu’il voudrait replacer
et monocolore. On peut
sur orbite russe pour reencore moins imaginer DIPLOMATIQUES constituer l’empire des
ce ne serait que mauvais
tsars. Mme Le Pen y voit,
procès – que Mme Le Pen s’enthou- elle, non seulement une prison des peusiasme de ces ratonnades contre les ples et une négation de leurs souverai«culs noirs» caucasiens sur lesquelles netés mais le cheval de Troie de la monla police moscovite ferme si obstiné- dialisation qu’elle honnit et à laquelle
ment les yeux.
elle considère – c’est ainsi – que l’EuNon. Aucune de ces explications ne rope pourrait mieux résister par sa distient la route mais alors quoi ? Ce n’est persion que par son unité.
pas non plus l’argent car il ne faut pas Bien… C’est clair. Tout cela fait une
confondre la cause et l’effet. Ce n’est convergence mais, outre qu’elle n’est
pas parce que Mme Le Pen a trouvé pas particulièrement ragoûtante, a-t9 millions d’euros à emprunter à une elle la moindre cohérence ?
banque russe qu’elle vibre pour la Rus- La réponse est quatre fois non. La Russie mais, au contraire, parce qu’elle n’a sie de Vladimir Poutine, d’abord, est
qu’admiration pour Vladimir Poutine l’exact contraire de la protection sociale
que ce prêt lui a été consenti.
et de l’Etat stratège dont Mme Le Pen se
Entre elle et lui, entre le président russe réclame depuis qu’elle a compris que
et toutes les nouvelles extrêmes droites ces créneaux étaient électoralement
européennes représentées au congrès porteurs. Avec la Chine dont elle se rapdu Front, il y a une profonde et com- proche, la Russie est par excellence la
plète connivence. C’est ensemble, tou- terre du capitalisme sauvage et du libétes nationalités confondues, qu’ils ralisme économique le plus débridé. La
communient dans un passéisme fait de Russie, en deuxième lieu, incarne tout
nationalisme, de nostalgie des régimes sauf la laïcité dont Mme Le Pen a fait un
forts et de leurs chefs charismatiques, étendard contre l’islam puisque Vladide rejet des étrangers, de hantise de la mir Poutine la gouverne dans une comdécadence occidentale et de volonté de plète fusion idéologique avec l’Eglise
la parer par un retour à ces «valeurs tra- orthodoxe et son ordre moral.
ditionnelles» qu’invoquait le représen- Contrairement à l’Union européenne
tant de Russie Unie devant ses «cama- qui n’a jamais obligé quiconque à la rerades» du Front.
joindre, la Fédération de Russie est bel
Aux confluences des fascismes et du et bien, en troisième lieu, une prison
stalinisme, d’ordres uniformes et des peuples dont personne ne peut lid’autoritarisme rassurants, c’est une brement sortir. Les Tchétchènes l’ont
nouvelle réaction aux bouleversements éprouvé dans leur chair et, si les noudes temps présents qui s’ébauche là et velles extrêmes droites européennes
que cimentent deux grands points com- parvenaient vraiment à faire éclater
muns.
l’Union, ce n’est enfin pas à l’unité des
Le premier est la peur de l’islam, vu nationalismes qu’on assisterait mais à
comme une menace existentielle pour un choc des puissances au premier rang
l’Europe chrétienne, et cette absolue duquel se trouveraient la Russie et sa
cécité qui fait en conséquence croire nostalgie impériale. Vladimir Poutine
que les dictatures arabes seraient le a trouvé ses idiots utiles.
•
23
Poutinophiles de tous
les partis, unissez-vous!
Par ERIC NAULLEAU Essayiste
elon Vladimir Poutine, la plus grande
tragédie du XXe siècle fut la disparition de l’Union soviétique. La disparition du pays du goulag et de la
grande terreur de 1937, la disparition du pays
dont les chars écrasèrent les insurrections
populaires d’Allemagne de l’Est en 1953, de
Hongrie en 1956 et de Tchécoslovaquie en
1968. La disparition du pays qui dut laver
dans le sang des héroïques défenseurs de Stalingrad l’infamie du pacte Molotov-Ribbentrop. Quand on dispose des moyens de guérir
ses nostalgies, pourquoi se gêner? Le tsar de
toutes les armées a donc entrepris la méthodique reconstitution de l’empire perdu. Sa
14e armée occupe toujours la Transnistrie
moldave, le Kremlin a organisé la sécession
de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en Géorgie (quoique certains ravis de la crèche
sarkozystes croient toujours dur comme fer
que leur champion a sauvegardé l’intégrité
de ce pays en 2008 lors du conflit avec Moscou), la Russie a annexé presque sans coup
férir la Crimée et organise à présent militairement la séparation de l’Ukraine orientale
du reste d’un pays souverain. Au nom des
principes les plus élémentaires du droit international, la réprobation devrait être générale. Il n’en est rien. Au motif, entend-on de
droite comme de gauche, que l’Ukraine relèverait d’une fiction historique, que pour
mieux dire, l’Ukraine n’existerait pas.
L’Ukraine existe en vérité si bien que l’un des
actes fondateurs de l’Union Soviétique fut
S
d’y organiser dans les années 30 une effroyable famine qui causa la mort d’au moins
3 millions de personnes et continue de hanter
la mémoire collective du pays. L’Ukraine
existe en vérité si bien que la Russie s’est, en
1994, portée garante de son intégrité territoriale selon les termes du Mémorandum de
Budapest, également signé par le RoyaumeUni et les Etats-Unis Mais les pipeaux de
l’extrême droite continuent de jouer en sourdine cette sale petite musique –sous prétexte
que Poutine dénonce la décadence occidentale, il est devenu l’idole de la fachosphère
française, où sa xénophobie et son homophobie décontractées, sans oublier sa virilité caricaturale et sa générosité financière, lui valent une admiration éperdue. Mais les
tambours de l’extrême gauche continuent de
propager rumeurs et contre-vérités au sujet
des antisémites et autres néonazis qui tiendraient le haut des pavés de la place Maïdan:
0,2 % pour le mouvement ultranationaliste
Secteur Droit lors des élections législatives
de 2014 ! Etrange coalition politique et médiatique des rêveurs d’empire, soviétique,
chinois ou napoléonien. Le comique de l’affaire tient à ce que certains de ces héros de
la liberté d’expression (en réaction à l’«hystérie anti-Poutine») seraient empêchés de
s’exprimer dans leur nouveau pays de cœur,
jetés en prison ou pire encore, souvenonsnous d’Anna Politkovskaïa. Des journalistes
soutiens d’un régime qui brime tout média
indépendant ! Sans doute ont-ils oublié que
l’expression d’«idiots utiles» fut inventée
par Lénine, fondateur de l’Union Soviétique.
L'ŒIL DE WILLEM
24
•
CULTURE
Par EMILE RABATÉ
gauche de l’entrée principale, devant la porte H
(comme Haïti), est installée
une sculpture en aluminium
sertie de motifs bariolés. Debout sur
quatre pieds, l’ensemble dégage durant
la journée une lourdeur pompeuse,
semblable à celle d’un dais, cet ouvrage
dont on pare aussi bien les trônes que
les tombeaux, – une ambiguïté à
l’image de l’histoire du pays.
Mais de nuit, la structure change de
physionomie. Illuminée par des lampions de toutes les couleurs, elle se
transforme en lanterne géante, un havre féerique ciselé dans les ténèbres parisiennes. La Porte d’Haïti est la première des 167 œuvres présentées dans
l’exposition «Haïti. Deux siècles de
création artistique». Elle a été réalisée
spécialement pour l’occasion par
Edouard Duval-Carrié.
Passée la porte, le visiteur n’est pas au
bout de ses surprises. Un handicapé déglingué l’attend au beau milieu des escaliers : tête en cassette vidéo, cou de
métal tordu, épaules pneumatiques,
buste rafistolé en bouts de carrosserie
et restes d’ordinateur. L’infirme du troisième type est flanqué d’un grand échalas tout aussi cabossé que lui, tas de ferraille humanoïde penché sur le fauteuil
roulant. Recouverts de peinture chromée, les deux personnages semblent en
A
discussion. Le vieux demande peut-être
à l’autre : «Ils ont quoi, tous ces gens, à
nous dévisager ?» Ou l’engueule : «Je
t’avais dit de prendre l’ascenseur !»
Guyodo, son auteur, y voit pour sa part
une métaphore de sa condition d’artiste : «Je suis moi-même un handicapé.
Car je n’ai pas de galerie ni de promoteur
pour faire vendre mes œuvres. J’ai plus de
800 créations dans mon atelier. Et pourtant, je n’arrive pas à vivre de mon travail.» Il fait partie des permanents de la
«Gran Rue», une communauté de
sculpteurs connue à Port-au-Prince
pour son utilisation des matériaux de
récupération. Ses assemblages font
penser à du Subodh Gupta façon arte
avec originalité deux siècles de
diversité créative dans ce qui fut
la première république noire.
AZOR. COLLECTION
REYNALD LALLY
Au centre:
Guyodo,
Sans titre.
PHOTO JOSUÉ AZOR.
nées 60, il a participé à l’aventure de la
figuration narrative. C’est un duo sympathique et iconoclaste.
«FARCE». Régine Cuzin s’est affranchie
des contraintes chronologiques pour
mettre en scène l’exposition, préférant
une «approche rhizomique». Un choix
qui met l’accent sur les résonances possibles entre des œuvres issues de périodes différentes. «Haïti. Deux siècles…»
n’est donc pas une rétrospective,
comme pourrait le laisser croire son titre, mais un panorama de la création
artistique dans la première république
noire du monde, de 1804 à nos jours.
Le jeu des correspondances s’organise
autour de quatre grands
«On a voulu figer l’art haïtien dans une axes thématiques :
«Sans titres», «Paysaseule proposition [l’art naïf]. La farce
ges», «Esprits» et
de ces braves négros, qui peignent tout
«Chefs». Le parcours
joliment, avec des couleurs éclatantes.» est aussi ponctué de
trois «Tête-à-tête», des
Hervé Télémaque peintre d’origine haïtienne
sections où sont mises
povera. Le faste du plasticien indien en regard les œuvres de deux artistes.
donne la nausée à côté de telle écono- Comme Jean-Michel Basquiat avec
Hervé Télémaque. La visite s’effectue
mie de moyens.
En haut des escaliers, voici l’espace dans le sens des aiguilles d’une montre.
d’exposition à proprement parler. Une Il est toutefois possible de prendre des
salle tout en longueur, où l’on retrouve chemins de traverse, les œuvres étant
ce jour-là nos guides attitrés : Régine disposées en îlots.
Cuzin et Hervé Télémaque. La première Première halte. Grand écart. De gauche
est co-commissaire de l’événement. Le à droite: deux toiles de Manuel Mathieu,
second est un peintre d’origine haï- jouxtées par un ensemble de quatre tatienne. Installé à Paris depuis les an- bleaux, comprenant Stivenson Ma-
EXPOSITION Le Grand Palais retrace
A gauche et
à droite: Dubréus
Lhérisson, Sans
titre. PHOTOS JOSUÉ
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
gloire, Louisiane Saint Fleurant et Prospère Pierre-Louis. Soit une trajectoire
à rebours allant de 2012 à 1974. A la première extrémité du spectre, des compositions qui hésitent entre abstraction et
figuration, silhouettes brouillées, barbouillées, griffonnées comme Basquiat,
torturées comme Bacon.
A l’autre extrémité, les couleurs sont
plus vives, les figures plus nettement
dessinées. Stivenson Magloire donne
dans le folklo vaudou. Louisiane Saint
Fleurant et Prospère Pierre-Louis lorgnent du côté de Saint-Soleil, une école
de peinture née à la campagne, sous le
pinceau de peintres autodidactes.
Cette tension palpable entre les deux
extrémités de l’arc traduit la volonté de
Régine Cuzin de «casser l’image romantique» associée à la peinture haïtienne.
Un effort salué par Hervé Télémaque. Le
septuagénaire dénonce amèrement la
trop forte focalisation de la critique
étrangère sur l’art «naïf» en Haïti. «On
a voulu figer l’art haïtien dans une seule
proposition. La farce de ces braves négros,
qui peignent tout joliment, avec des couleurs éclatantes. Des Haïtiens tous heureux, tous peintres», rouspète-t-il en
égratignant une formule d’André
Malraux, qui s’écriait en découvrant les
toiles de Saint-Soleil en 1975: «Premier
peuple de peintres !»
En vantant les peintures ultracolorées
et –osons le mot– enfantines des peintres paysans, l’ancien ministre de la
Haïti, un
CULTURE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
art loin d’être naïf
Culture français s’inscrivait dans la
droite ligne de Jean-Paul Sartre, André
Breton et Truman Capote, lesquels participèrent tous, à la fin des années 40, à
bâtir la réputation des naïfs haïtiens. Ces
artistes, issus du centre d’art fondé à
Port-au-Prince par l’Américain Dewitt
Peters après la Seconde Guerre mondiale, furent les premiers hérauts d’une
peinture véritablement populaire. Une
révolution réelle pour l’époque, mais
érigée bientôt comme modèle unique du
style supposément «haïtien». Sous l’influence des marchands internationaux,
en demande du genre, l’art naïf phagocyte l’image de la peinture haïtienne. Au
détriment de ceux qui ne rentrent pas
dans les cases.
«Ce sont eux les premiers modernes haïtiens», clame Hervé Télémaque en se
dirigeant vers les toiles de Roland Dorcély, Lucien Price et Max Pinchinat.
Dès 1948, Price porte la grammaire cubiste vers de nouveaux sommets, biffant
des entrelacs de hachures au fusain rehaussées de touches rouges, jaunes,
vertes. Max Pinchinat raffine son art de
la composition en mélangeant estampe
japonaise et dripping à la Pollock au milieu des années 60. «C’était mon mentor,
précise Télémaque. Grâce à lui, j’ai appris
l’importance du dessin.» Dans notre dos,
l’immense Legba (5m de haut) d’André
Eugène ouvre la voie vers le pôle «Esprits». Sa présence prouve que le Grand
Palais n’a pas lésiné sur les moyens pour
acheminer les œuvres. Elle revêt en
outre un caractère spécial pour Régine
Cuzin, qui raconte: «Cette sculpture a été
détruite pendant le séisme. Mais les habitants du quartier y étaient tellement attachés qu’ils ont aidé à la reconstruire.»
Sorte de totem de solidarité.
«PRÉJUGÉS». Les crânes et les statues
constellés de paillettes de Dubréus Lhérisson créent une ambiance mi-joyeuse
mi-glauque au centre de la salle. Le
souvenir de For the Love of God, crâne en
diamants de Damien Hirst, provoque le
même sentiment que la comparaison
entre Guyodo et Gupta. Quelque chose
comme la conscience accrue de ce
qu’est l’indécence. Derrière, Eustache
ou l’Eloge de la complexité apparaît en
ombres chinoises. L’installation de Pas-
cale Monnin ne parle pas du vaudou,
mais de «toutes les religions, et de la foi
en général», revendique l’artiste. Elle
espère que l’exposition permettra de
«casser les préjugés qui se sont abattus
sur Haïti encore plus fort après le séisme».
Et confesse : «Je regrette le titre de l’exposition. Est-ce qu’on appellerait une exposition “France”? En Occident, Haïti résonne avec “vaudou” et “catastrophe”.
Mais Haïti est riche ! Elle est complexe et
multiple. Comme le visage de mon installation [composé de morceaux de miroirs, ndlr], elle reflète plusieurs vérités,
toutes aussi belles les unes que les autres.»
Côté «Chefs», cinq tableaux de Mario
Benjamin s’échelonnent jusqu’au plafond. Coups de brosses erratiques. Le
bleu et le jaune s’entrechoquent en traînées vertes. Le couteau creuse dans la
peinture des brouillons de visage. L’aérosol noir fait planer une menace. Sans
que l’on puisse se l’expliquer, quelque
chose chez Mario Benjamin nous évoque Cy Twombly. L’artiste se dit surtout
nourri d’expressionnisme allemand.
Comme Monnin, il veut changer le regard sur l’art haïtien: «Nous ne sommes
pas une enclave minuscule, où il ne se
passe que des négreries. Comme n’importe quels artistes, nous sommes ouverts
sur l’international. C’est pourquoi j’ai
exorcisé le vaudou de mon art, et que j’encourage les jeunes artistes à regarder tout
ce qui se passe dans le monde aujourd’hui.»
La diaspora haïtienne fait aussi partie de
l’exposition. A l’image de Sasha Huber
et Jean-Ulrick Désert. La première vit
en Finlande, le second en Allemagne.
Leurs œuvres témoignent d’un engagement fort pour le pays natal. Shooting
Back, de Sasha Huber, crucifie la dictature Duvalier par voie d’agrafes. Constellation de la déesse, de Jean-Ulrick Désert, rend hommage aux victimes du
séisme de 2010. Arrivé au bout de l’exposition, Hervé Télémaque commente:
«C’est bien. Mais il faudrait au moins le
double de l’espace!» Et pour tout raconter, encore le double de pages. •
HAÏTI. DEUX SIÈCLES DE
CRÉATION ARTISTIQUE,
Grand Palais, 75008. Du 19 novembre au
15 février. Rens.: www.grandpalais.fr
•
25
Mario Benjamin,
Sans titre.
COLLECTION
REYNALD LALLY
26
•
CULTURE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
ROCK Un coffret de luxe avec inédits fête les cinquante ans du groupe londonien.
Retour dans les bacs en Kinks size
es cinquante ans des Kinks et
de leur premier hit mondial
You Really Got Me se devaient
d’être fêtés en conséquence. Et pas
sans mettre une certaine pression
à Ray Davies, le leader du groupe
londonien, à qui la question de reformer The Kinks revient depuis
quelques mois comme un boomerang à chacune de ses entrevues.
«C’est un peu contre-productif de me
demander sans cesse quand le groupe
va rejouer ensemble et quand sortira
le prochain album», affirme-t-il,
lors d’une interview téléphonique.
Mais même à 70 ans, le dandy de
Muswell Hill, dans la banlieue de
Londres, continue à jouer le jeu et
communiquer sur cette sortie très
fournie des nombreux singles du
groupe des années soixante. L’essentiel de leur œuvre vient d’être
réuni dans un coffret de luxe, soit
une centaine de chansons réparties
sur 5 CD, collection qui comprend
les enregistrements depuis 1964
jusqu’en 1971, une vingtaine d’inédits, des enregistrements mono et
un 45-tours.
Pote d’école. Et pour marquer ce
demi-siècle d’histoire, un mois
avant la sortie mi-novembre du
coffret, la maison de disques avait
L
aussi proposé une réédition de Lola
versus Powerman and the Moneygoround, accompagnée de la bande
originale du film Percy. Le tout
post-70 pour compléter l’affaire.
Bonus tracks compris, on y retrouve quatre versions de Lola et
autant de outtakes de Apeman.
Presque de quoi tourner en bourrique… The Kinks se sont construits
en 1961, à l’initiative des deux frangins Ray Davies et Dave Davies,
ainsi qu’un pote d’école, Peter
projeter les Kinks dans les charts
britanniques mais aussi américains.
You Really Got Me et All Day and All
of The Night sortent des fourneaux.
Les Kinks avaient réussi à se différencier de leur contemporains
comme les Beatles ou les Rolling
Stones, simplement parce qu’ils
décrivaient le quotidien de l’Angleterre de ces années-là. Exclusivement un groupe de singles, les
Kinks doivent cependant trouver
un créneau différent et «faire un pas
à l’extérieur vers la
réalité du monde». «Il
Les Kinks avaient réussi à se
fallait un vrai style»,
différencier des Beatles ou des
précise Ray Davies.
Rolling Stones, simplement parce
«Nous étions un
qu’ils décrivaient le quotidien de
groupe en partie traditionnel, très conflicl’Angleterre de ces années-là.
tuel, bien plus que les
Quaife. Le Ray Davies Quartet se autres groupes du moment. On décriproduit dans les bals au son des vait plus le monde dans lequel on viShadows ou de Bo Diddley. Rod vait», continue Ray Davies.
Stewart, également élève de Plus révolutionnaire. Son frère
l’école, s’essaie au chant mais Dave, premier guitariste du groupe,
quitte assez vite le groupe qui de- cherche un son identitaire. Ce fut
vient au fil des mois The Ramrods, fait à coups de cutter dans le hautThe Boll-Weevils puis The Ravens. parleur de l’ampli de Dave. Mais
Ce n’est qu’en 1964 que Ray Davies leur côté plus révolutionnaire et
lui donnera son nom définitif avec banlieusard que les autres bands du
l’arrivée de Mick Avory.
moment en font un groupe inconRapidement les premiers hits vont trôlable. Surtout leur comporte-
ment style British Pub leur joue des
tours sur scène, où les concerts
sont bâclés et les engueulades
monnaie courante. Le syndicat des
musiciens américains intervient et
les Kinks entrent en conflit direct
avec les promoteurs de la pop américaine. «Nous avons été bannis pendant quatre ans, explique Ray. Cela
a créé un gros trou dans notre carrière. On pouvait jouer en Europe,
mais pas aux Etats-Unis comme tous
les autres. J’ai d’ailleurs écrit un bouquin qui va sortir et qui s’appelle
Americana. J’y raconte tout ça, notre
retour aux US, etc…»
Les Kinks c’est aussi une histoire de
famille qui se déchire. Le frangin
Dave a toujours été difficile à gérer,
aussi bien pour Ray que pour Mick
Avory, le batteur. Ray raconte
même que Mick, qui a quitté le
groupe en 1984, avait essayé de tuer
son frère sur scène à Cardiff. Dave
était resté inconscient à terre et
avait reçu 16 points de suture. Cinquante ans après, la cicatrice semble encore visible. «Avec mon frère,
on communique par téléphone ou par
mail, mais on ne se voit pas beaucoup. Il est au US et il compose ses
propres chansons, dit-il. Cette année, on nous a suggéré de reformer le
groupe, mais avant il faut qu’on
écrive autre chose ensemble. Je n’ai
aucune envie de jouer les mêmes choses et faire des concerts avec ces
chansons du passé.» Ray avait
ajouté dans une interview accordée
au magazine Uncut que pour ça, il
fallait aussi que Mick et Dave règlent leurs comptes une fois pour
toutes.
«Nouveaux trucs». En attendant,
Ray Davies semble loin de vouloir
s’enfermer dans une retraite. «Certaines personnes atteignent un certain
âge et arrêtent tout, dit-il. Et ils s’effondrent. Il faut trouver un but à ce
qu’on fait maintenant. Parallèlement
à mon livre, je prépare un nouvel album qui porte le même nom. Je ne
veux pas faire le même disque toute
ma carrière. J’ai besoin d’avoir de
nouvelles chansons et d’essayer de
nouveau trucs. Je n’ai pas beaucoup
fait de concerts car j’écrivais mon
bouquin. Mais ça va être plus simple
maintenant.» En octobre, Ray qui
vit aujourd’hui à Highgate s’est
rendu à Muswell Hill, pour revoir la
banlieue de son enfance. Peut-être
pour y retrouver une inspiration.
«Et je me suis pris une prune !», at-il lancé en éclatant de rire…
DINO DIMEO
Les Kinks,
en 1966. Leur
comportement
style British Pub
leur joue des
tours sur scène:
les concerts sont
bâclés et les
engueulades
monnaie
courante.
PHOTO SONY
LEGACY
CULTURE
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
L’HISTOIRE
EN CHINE,
DES ARTISTES
À LA CAMPAGNE
La Chine va organiser
l’envoi des artistes, cinéastes et gens de télévision
à la campagne pour y
«acquérir un point de vue
correct sur l’art» au contact
des masses rurales, a
annoncé l’agence officielle
Chine Nouvelle. Comme
sous Mao! Mi-octobre,
le président Xi Jinping
avait dénoncé la «vulgarité» de certaines productions artistiques, invitant
les créateurs à promouvoir
les «valeurs socialistes»,
le patriotisme et à «servir
le peuple». En «vivant
parmi les masses», les
«travailleurs de l’art et
de la littérature» seront
«stimulés dans l’acquisition
d’un point de vue correct
sur l’art et créeront plus
de chefs-d’œuvre», selon
les autorités.
Libération est habilité aux annonces légales
et judiciaires pour le département 75
en vertu de l’arrêté du 20 décembre 2013
1127304
GDLC ARCHITECTES
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Siège social : 60 Boulevard St-Marcel –
75005 PARIS
RCS 494 178 916 PARIS
Par décision en date du 01/11/2014, le
Gérant a décidé de transférer le siège
social au 88 bis rue Haxo à compter du
01/12/2014.
Les statuts ont été modifiés en conséquence.
Mention en sera faite au RCS de PARIS.
1127326
Ô BOB
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Siège social : 7 rue Cavallotti 75018 PARIS
RCS 513 526 616 PARIS
Aux termes d’une AGE en date du
26/11/2014, les associés ont décidé de
transférer le siège social au 1 rue Maurice
Sibille - 44000 NANTES à compter du
27/11/2014.
Les statuts ont été modifiés en
conséquence.
La société sera désormais immatriculée au
RCS de NANTES.
1127313
POSSUM INTERACTIVE
SCOP-arl à capital variable
Siège social : 88b, rue de Buzenval
75020 Paris
531 258 887 RCS Paris
L’assemblée générale du 29/08/2014 a
nommé en qualité de co-gérant : Mme
Mathilde BOUDES, demeurant 6 rue de
Viroflay 75015 Paris en remplacement de
M. Yoann DONDICOL.
Modification au RCS de Paris.
1127114
Suivant acte sous seing privé en date du
1 décembre 2014, à PARIS, il a été constitué une société présentant les caractéristiques suivantes :
Dénomination : WATERPEACH.
Forme : société par actions simplifiée
unipersonnelle.
Siège social : 26 RUE DAMREMONT,75018 PARIS.
Objet : Conception graphique de visuels
sur tissus à destination des particuliers
et professionnels en petites et moyennes
séries.
Durée de la société : 99 années à compter de son immatriculation au RCS.7 000
euros divisé en 700 actions de 10 euros
chacune, répartiesentre les actionnaires
proportionnellement à leurs apports respectifs.
Cession d’actions et agrément : Pas de
clause d’agrément.
Admission aux assemblées générales et
exercice du droit de vote : dans les conditions statutaires et légales.
Ont été nommés :
Président : Monsieur PECHDO Patrick,
19 allée des SYCOMORES, 92700 COLOMBES.
La société sera immatriculée au Registre
du Commerce et des Sociétés de PARIS.
Pour avis .
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27
2
millions
Mark Strand, un poète
DISPARITION L’Américain, dont l’œuvre est façonnée
par la mort, est décédé samedi à 80 ans.
vers l’au-delà
L
e New Yorker a publié
un poème de lui intitulé
2002, qui date de 2006,
et qui débute ainsi : «Je ne
pense pas à la mort, mais la
mort pense à moi.» Il n’est
pas difficile de trouver dans
l’œuvre du poète américain
Mark Strand, mort samedi à
80 ans, des vers qui semblent
annoncer sa disparition, ou,
plus exactement, sa condition austère et flegmatique
de mort-vivant, saturé par
des émotions qu’un perpétuel passage entre une rive et
l’autre oblige, tel un clandestin, à dépouiller. La mort
discrète est partout; elle rend
la vie sobre, concentrée; non
sans humour, et même avec
courtoisie, elle fait voyager et
maigrir le destin.
De son premier recueil (non
traduit, hélas, comme les
autres), Dormant d’un œil
ouvert, voici le début d’Accident: «Un train me passe dessus./ Je suis désolé/ Pour le
machiniste/ qui s’accroupit/ et
me murmure à l’oreille : qu’il
est innocent.» Le machiniste
raconte sa vie au moribond,
rentre chez lui. Finalement,
il «sort en courant de la maison,/ porte les restes/ de mon
corps dans ses bras/ et me ramène./ Je suis au lit.» Enfin :
«J’écoute le vent/ secouer la
maison./ Je ne peux dormir./
Je ne peux veiller./ Les volets
battent./ La fin de ma vie
commence.» Le livre date
de 1964. Mark Strand avait
30 ans.
Il est né de parents juifs
américains au Canada, dans
la province de l’Ile-du-Prince-Edouard, à 600 km du
Québec. On y produit des
pommes de terre. Enfant, il
parle mieux français qu’anglais. Assez vite, la famille
déménage dans le nord des
Etats-Unis. Sa mère est institutrice et archéologue. Son
père travaille pour Pepsi, un
emploi qui les déplace. Mark
Strand, qui a vécu la fin de sa
vie à Madrid, a passé ses enfance et adolescence en
Amérique latine et à Cuba.
Plus tard, il traduit des poèmes de l’Espagnol Rafael Alberti, du Brésilien Carlos
Drummond de Andrade, de
Dante. Après un séjour au
célèbre atelier d’écriture de
l’Université d’Iowa, sa carrière est celle d’un professeur itinérant dans les plus
grandes universités américaines. Ses poèmes s’allon-
C’est, en euros, le résultat de la vente aux enchères
chez Artcurial d’une trentaine de livres illustrés issus
de la bibliothèque Liuba et Ernesto Wolf, allant de
manuscrits anciens enluminés à des livres modernes.
Une Bible manuscrite sur parchemin (Biblia Sacra Latina,
Paris, 1260-1270, 2 volumes in-folio) a rejoint une collection américaine pour 181600 euros. Un collectionneur
d’Amérique du Sud a emporté pour 165100 euros
les Métamorphoses d’Ovide illustrées par Picasso (1931),
ouvrage enrichi d’un dessin à l’encre dédicacé.
«Je trouve scandaleux qu’un grand nombre
de politiques et d’hommes des médias aient
soutenu Aristophil, malgré toutes les alertes
de plusieurs journaux, de l’AMF [Autorité
des marchés financiers, ndlr],
d’associations comme nous.»
Jean-Pierre Rondeau président de la Compagnie de conseil
en gestion de patrimoine, sur France Info, après les
révélations sur l’enquête ouverte pour escroquerie visant la
société de négoce de lettres et manuscrits
Van Damme kickboxe encore
Le tournage du remake de Kickboxer (1989) va commencer,
avec à nouveau Jean-Claude Van Damme, star belge complètement perchée, qui jouait l’élève aux muscles bandés dans
l’original, et cette fois fera le vénérable maître kung-fu.
Révolution de palais au Palazzo Strozzi
Arturo Galansino, historien de la Renaissance, a été choisi
pour diriger le Palazzo Strozzi à Florence, remplaçant en mars
le Canadien James Bradburne dans un contexte tendu pour
les musées de la ville (Libération du 23 novembre).
A New York en 2000. PHOTO CHRIS FELVER. GETTY IMAGES
gent avec ses souvenirs, qu’il
évoque peu.
A la fin des années 70, après
l’Heure tardive, il cesse d’en
écrire pendant une dizaine
d’années: il n’en voit plus le
sens. Il publie alors des histoires pour enfants. Souvent,
il est décoré. En 1999, il obtient le Pulitzer. On l’associe
à Elizabeth Bishop, qu’il
connaissait, et à Wallace Stevens, dont il reçut le prix. Il
y a en effet, chez lui comme
chez eux, la métaphysique et
sur des textes en prose, publiés en 2012 sous le titre :
Presque invisible. L’arrivée
mystérieuse d’une lettre inhabituelle ressemble à un croisement réussi, intense, entre
des tableaux de Magritte et
de Hopper, peintres qu’il a
aimés et sur lesquels il a
écrit : «La journée de travail
avait été longue et long le retour au petit appartement où je
vis. En arrivant, j’ai allumé la
lumière et j’ai vu sur la table
une enveloppe à mon nom. Où
était le réveil ? Où
était le calendrier?
Il y a chez Mark Strand la
était de
métaphysique et l’Amérique L’écriture
la main de mon
au plus haut point, au plus
père, mais il était
biblique, au plus nu.
mort depuis quarante ans. Comme
l’Amérique au plus haut n’importe qui, j’ai d’abord
point, au plus biblique, au pensé que peut-être, juste
plus nu. Strand est un pro- peut-être, il était vivant, viphète laconique de l’espace, vant une vie secrète dans les
du silence et de la fin : «J’ai environs. Comment, sinon, exété un explorateur polaire dans pliquer l’enveloppe ? Pour ne
ma jeunesse/ et j’ai passé des pas flotter, je me suis assis, je
jours et des nuits sans nombre l’ai ouverte et j’ai sorti la letà geler/ d’un lieu désert à tre. Elle commençait par
l’autre.»
“Cher fils”. “Cher fils”, et puis
En septembre, comme une rien.» La poésie est un rêve
stèle, un élégant recueil de déposé; c’est aussi, ici, l’enses poésies complètes a paru fance de l’art du récit.
aux Etats-Unis. Il s’achève
PHILIPPE LANÇON
LES GENS
L’ARTISTE DUNCAN CAMPBELL
REÇOIT LE PRIX TURNER
L’Irlandais Duncan Campbell est le lauréat 2014 du prix
Turner, qui récompense chaque année un artiste de
moins de 50 ans né ou vivant au Royaume-Uni. Doté de
25000 livres (31000 euros), il lui a été décerné, lundi,
lors d’une cérémonie organisée à la Tate Britain de Londres. L’artiste partait grand favori pour son œuvre, It for
Others, face à Ciara Phillips, James Richards et Tris Vonna-Michell. Duncan Campbell, né en 1972 à Dublin et basé
à Glasgow, se voit couronné pour un film de cinquantequatre minutes, bâti comme un écho au court métrage
Les statues meurent aussi de Chris Marker et Alain
Resnais (film de 1953 «anticolonialiste» et interdit par la
censure française pendant huit ans…), lesquels se demandaient: «Pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au musée de
l’Homme alors que l’art grec ou égyptien se trouve au
Louvre?» Le jury a considéré que l’œuvre de Campbell,
«complexe et ambitieuse», évoquait «la construction de
valeurs et de sens avec un langage qui est à la fois fascinant et d’actualité». Pour la première fois, l’an dernier, le
prix avait été attribué à une Française, Laure Prouvost,
pour son installation Wantee. D.Po. PHOTO REUTERS
28
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ECRANS&MEDIAS
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Par RAPHAËL GARRIGOS
et ISABELLE ROBERTS
a surprise des premières
secondes de la nouvelle livraison de Fais pas ci, fais
pas ça est à la mesure de
celle de Pamela voyant Bobby,
pourtant dûment décédé dans la
saison précédente de Dallas, sortir
de la douche frais comme un gardon texan (1): les Bouley divorcent.
Uppercut au cœur. Ah non, pas les
Bouley, pas Valérie et Denis. Pensez, ça fait sept ans qu’on les fréquente, en 2007 Elliott avait 8 ans,
regardez la grande saucisse qu’il est
devenu, et Tiphaine, ah lala, dans
la première saison, elle voulait
prendre la pilule, et là elle a accouché, ça file, ça file…
C’est ça, une bonne série, tout simplement ça : le plaisir de retrouver
des personnages dans lesquels on se
glisse comme dans de vieux chaussons. Les Bouley bobos, les Lepic
cathos, les parents impossibles, les
enfants raisonnables. Sauf que, à
force, pour confortables qu’ils
étaient, on commençait à en avoir
ras le bonbon de ces chaussons. Et
la sixième saison de la série, diffusée en 2013, augurait bien mal de la
septième, qui démarre ce soir sur
France 2 : des dialogues souvent
poussifs, des situations attendues et
des acteurs compensant les faiblesses du scénario par un jeu frisant
l’hystérie. Surtout, et c’était assez
désagréable, chez les femmes, cette
hystérie : Valérie Bouley (Isabelle
Gélinas) et Fabienne Lepic (Valérie
Bonneton) se retrouvant cantonnées à des partitions de mégères, à
la limite de la misogynie.
Et pourtant les revoilà, les Bouley et
Lepic, ni tout à fait les mêmes ni
tout à fait des autres, mais revigorés, approfondis, plus tranchants,
sans gag automatique à tout bout de
dialogues et s’autorisant aussi, c’est
nouveau, un peu de mélo.
pourquoi de la méduse). «L’idée,
pour Cathy Verney, c’était de poser
un regard neuf sur les personnages,
d’essayer de les amener ailleurs.»
Ailleurs, comme un club de vacances naturiste en Guadeloupe, ce
qui, du point de vue du comique,
pouvait laisser craindre le pire,
mais aboutit en fait sur un ailleurs
des personnages avec une Valérie
Bouley et un Renaud Lepic totalement à rebours de leurs rôles habituels. «J’avais très envie de fouiller
dans leur passé», poursuit Cathy
Verney et voilà donc Renaud flanqué d’un envahissant vieux pote de
Sup de Co, voilà donc la d’ordinaire
très dessalée Valérie complètement
traumatisée par la nudité.
L
«FLAMBY». Ce qui s’est passé ? Le
producteur Guillaume Renouil
(pour Elephant et cie, la société
d’Emmanuel Chain et Thierry Bizot, qui tient le rythme d’une saison livrée chaque année) a renouvelé l’équipe pour faire appel aux
réalisateurs et scénaristes Michel
Leclerc (Le nom des gens, et qui
tourne actuellement La vie très privée de Mr Sim, d’après Jonathan
Coe, avec Jean-Pierre Bacri) et Cathy Verney (la série Hard, sur Canal+). «Il est venu nous chercher pour
qu’on ose un peu plus», explique à
Libération Michel Leclerc. D’où, un
ancrage dans l’actualité, déjà
amorcé dans les saisons précédentes, mais plus aigu encore pour celle-ci : du mariage pour tous, du
«Flamby» en veux-tu en voilà chez
les Lepic (nettement étiquetés
sarkozystes, la fille Soline se lamentant ainsi de son petit ami :
«j’ai l’impression de sortir avec Alain
Juppé») et l’affirmation des Bouley
à gauche toute, avec un Denis se
proclamant «méduse mélenchoniste» (on vous laisse découvrir le
Les Lepic. «J’ai l’impression de sortir avec Juppé», dit la fille, parlant de son petit ami. PHOTO GILLES SCARELLA. FTV
BOULEY-LEPIC La série de France 2 revient, plus
incisive et moins attendue, pour sa septième saison.
«Fais pas ci,
fais pas ça»
fait pas sot
Drame chez les Bouley: Denis se prend pour une «méduse mélenchoniste». PHOTO NATHALIE GUYON. FTV
DOLTO. «Il fallait aussi remettre au
centre du jeu la confrontation des familles», reprend Michel Leclerc. Car
à force de saisons, Lepic et Bouley
sont devenus quasi amis. La naissance de Kim, le fils de Christophe
(Lepic) et de Tiphaine (Bouley), sera
donc l’occasion pour les familles de
s’étriper joyeusement entre anti et
pro-Dolto, entre grenouilles de bénitier et bouffeurs de curés.
Plus inattendu: les producteurs demandent aux deux nouveaux
auteurs de «bousculer» les personnages, rapporte Cathy Verney. Qu’à
cela ne tienne : «Les scénarios des
saisons précédentes étaient souvent
construits sur des faux-semblants, les
Lepic pensant par exemple que leur
fille se prostitue alors que non: là, j’ai
eu envie qu’il leur arrive vraiment les
choses, pour les mettre mal», raconte
Michel Leclerc. Ainsi une des arches
longues qui va structurer toute cette
saison en six épisodes (deux de
moins que d’ordinaire) est bâtie
d’entrée: les Bouley divorcent. Mais
pas tout de suite: cinq des six épisodes se passeront à raconter comment on en est arrivé là, quatre
mois avant que Valérie et Denis se
retrouvent devant la juge. Qu’on se
rassure, il ne s’agit pas de rejouer
Bouley contre Bouley, le principal
ressort de Fais pas ci, fais pas ça
reste le comique. Toutefois, précise
Michel Leclerc, «on a voulu éviter le
gag pour le gag» (même si celui
d’Isabelle Nanty, alias Christiane
Potin, l’ex baby-sitter entrée dans
les ordres, avec une langue de chat
–le biscuit– est assez irrésistible).
Le rythme de la série, du coup, s’en
trouve modifié, tirant moins vers
l’usine à vannes et plus vers la comédie, toute en rupture : «J’adore
quand on est en train de se marrer et
qu’on bascule dans autre chose»,
souligne Cathy Verney. Voilà, vous
avez compris l’esprit de la nouvelle
saison. Maintenant, comme le hurle
Fabienne Lepic à chaque épisode :
«A TAAABLE !» •
(1) En fait, Pamela avait rêvé toute la
saison où Bobby est mort, cette pouffe.
FAIS PAS CI, FAIS PAS ÇA, série
d’ANNE GIAFFERI et THIERRY
BIZOT, saison 7, épisodes 1 (écrit et
réalisé par MICHEL LECLERC)
et 2 (écrit et réalisé par CATHY
VERNEY), France 2, mercredi,20h45.
ECRANS&MEDIAS
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Dailymotion: Orange discute avec le
japonais Softbank
Orange a discuté, fin novembre, avec Softbank, le géant japonais des télécoms, d’un achat ou d’une prise de participation
dans Dailymotion, selon Challenges.fr. Orange, qui cherche
un partenaire pour Dailymotion, a eu également des discussions avec Microsoft. Au printemps 2013, Yahoo s’était intéressé à Dailymotion et souhaitait racheter 75% de son capital,
mais Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement
productif, s’était opposé à la vente.
«Jazz Magazine» trompette ses 60 ans
C’est avec une interview de son ex-proprio, Daniel Filipacchi,
que le mensuel Jazz Magazine fête ses 60 ans. Et ce, avant de
se payer un lifting début 2015 avec une nouvelle maquette
et de nouvelles rubriques. Une application pour tablettes doit
aussi être lancée ce mois-ci et un nouveau site web courant
2015. Jazz Magazine a été lancé en décembre 1954 avant d’être
racheté en 1956 par Daniel Filipacchi, alors photographe de
presse et animateur sur Europe 1 de l’émission Ceux qui
aiment le jazz, et Frank Ténot, jeune journaliste. Ils en resteront copropriétaires jusqu’en 2007.
VU SUR LE WWW
EN DEDANS DU VOLCAN
Lava Rush, c’est une belle et triste histoire à la Budori
Gusko, ce petit garçon de conte japonais qui, traumatisé
par les catastrophes naturelles, se sacrifie pour faire
exploser un monstrueux volcan et adoucir le climat.
Ici aussi, l’héroïne est vulcanologue. Ici aussi, elle a un certain penchant suicidaire. Dans l’espoir de faire retomber
la pression du magma, elle se jette dans la gueule du loup
avec ses petites bombes artisanales et perce des trous
dans les parois. Ce n’est jamais suffisant: il faut descendre plus bas, plus vite, viser plus juste, plus rapidement
et sans faire d’erreur –au moindre contact avec la lave,
couic. Belle ambiance visuelle et sonore pour ce jeu
sans fin français où on affiche un score de 7702 mètres
de profondeur. Mais on y replonge de suite. Adieu… C.Gé.
http://www.onirium-games.com/lavarush/
APPEL D’OFFRES - AVIS D’ENQUETE
01.49.04.01.85 - [email protected]
REPUBLIQUE FRANCAISE
PREFECTURE DE LA REGION D’ILE-DE-FRANCE
PREFECTURE DE PARIS
PREFECTURE DES HAUTS-DE-SEINE
PREFECTURE DE LA SEINE-SAINT-DENIS
Avis d'autorisation, au titre de la loi sur l’eau,
au proit de la RATP dans le cadre
du prolongement nord de la ligne 14
En application de l'article L214-3 du code de l'environnement, la RATP a
été autorisée, par arrêté inter-préfectoral n° 2014289 - 0030 du 16 octobre
2014, à prolonger la ligne 14 du métropolitain sur les communes de Paris
8ème, 9ème, 17ème arrondissements, Clichy-la-Garenne (92), Saint-Denis et
Saint-Ouen (93).
Il est rappelé qu’une enquête publique préalable relative à cette opération a
eu lieu du 14 avril 2014 au 19 mai 2014 inclus.
Dans le département de Paris, le dossier de l’opération est consultable à
la mairie du 17ème arrondissement et à la préfecture de la région
d'Ile-de-France – DRIEA – UT 75 - 5 rue Leblanc 75911 Paris cedex 15,
pendant deux mois à compter de la publication de l’arrêté d’autorisation.
Une copie de l’arrêté d’autorisation est afichée pendant un mois au
moins dans les mairies concernées.
Il est également publié au recueil des actes administratifs de l'Etat à
Paris, n° 176 du 31 octobre 2014, et mis à la disposition du public sur le site
internet de la préfecture de la région d'Ile-de-France, préfecture de Paris, à
l'adresse suivante :
http://www.ile-de-france.gouv.fr/index.php/prefecture/Publications/Avisde-publication
EP 14-220
LES GENS
ROBERT NAMIAS
REFAIT LA UNE
(DE «NICEMATIN»)
Moins d’un mois après son
installation à la tête de
Nice-Matin par les salariés
désormais propriétaires du
quotidien, Robert Namias a
dévoilé mardi la nouvelle
une du journal. «L’idée,
a-t-il expliqué à l’AFP, est
d’avoir un titre de une plus
fort, illustré par la photo
centrale.» Une colonne
déroule les titres des
pages intérieures, pour les
14 éditions locales, tandis
que le billet de Philippe
Bouvard, toujours annoncé
en première page, est relégué à l’intérieur du journal.
«Nous réintroduirons plus
d’enquêtes locales et régionales, des vraies enquêtes
de terrain valorisant les initiatives», précise le nouveau patron et ancien
directeur de l’information
de TF1 pendant des lustres.
Namias prévoit également
«un éditorial d’une colonne
avec les plus grandes
signatures de la presse
nationale», par exemple
Michèle Cotta, Claude
Weil ou Bruno Jeudy. Le
7 novembre, le tribunal de
commerce de Nice a
choisi, pour la reprise du
groupe de presse en difficulté, la société coopérative d’intérêt collectif
(SCIC) qui a coiffé au
poteau le géant des
médias belge Rossel. «Avec
cette forme de coopérative, explique Robert
Namias, mes employés sont
mes actionnaires, un atout
considérable.» PHOTO AFP
380
millions de dollars de
valorisation pour l’américain Vox Media. Soit, à la
faveur de l’arrivée d’un
nouvel actionnaire,
306 millions d’euros pour
un groupe fondé il y a quatre ans. Vox Media compte
plusieurs sites d’info dont
Vox (actualité), SB Nation
(sport), The Verge (nouvelles technologies), Polygon
(jeu vidéo)… Vox Media
revendique 150 millions de
visiteurs chaque mois.
•
29
A LA TELE CE SOIR
TF1
FRANCE 2
FRANCE 3
CANAL +
20h55. Esprits
criminels.
Série américaine :
Tous coupables,
24 heures pour JJ,
Mauvaises herbes.
Avec Shemar Moore,
Thomas Gibson.
23h25. Arrow.
Travail inachevé,
Un retour inattendu.
Série.
1h05. Breakout Kings.
2 épisodes.
Série.
20h50. Fais pas ci,
fais pas ça.
Série française :
Un an déjà !,
Naturisme et
découverte.
Avec Isabelle Gelinas,
Bruno Salomone.
22h40. Un soir à la tour
Eiffel.
Magazine présenté par
Alessandra Sublet.
0h20. Plein 2 ciné.
0h30. Grand public.
Magazine.
20h45. Des racines
& des ailes.
Le gout du Limousin.
Magazine présenté par
Carole Gaessler.
22h45. Grand Soir 3.
23h40. Appassionata.
Colomba.
Spectacle.
1h40. Colomba,
naissance d’un opéra.
Documentaire.
2h30. Midi en France.
Magazine.
3h30. Plus belle la vie.
20h55. Privées d’école.
Documentaire de
Jeannette Bougrab.
22h20. Doc sport
Documentaire.
22h55. Jour de foot.
Magazine présenté par
Karim Bennani.
23h50. L’amour est un
crime parfait.
Film.
1h35. Engrenages.
2 épisodes.
Série.
3h25. La négociatrice.
ARTE
M6
FRANCE 4
FRANCE 5
20h50. Le grand soir.
Comédie française
de Gustave Kervern et
Benoît Delépine, 92mn,
2012.
Avec Benoît
Poelvoorde,
Albert Dupontel.
22h25. Tolkien, des
mots, des mondes.
Documentaire.
23h20. Hiver nomade.
Documentaire.
0h45. Donoma.
Film.
20h50. Cauchemar
en cuisine.
Peynier.
Magazine présenté par
Philippe Etchebest.
22h40. Cauchemar
en cuisine.
Montesquieu,
Chilly-Mazarin.
Magazine.
2h05. Damages.
Toute la vérité.
Série.
3h10. Météo.
3h15. M6 Music.
20h45. La cité
de la peur.
Comédie française
d’Alain Berbérian,
99mn, 1993.
Avec Alain Chabat,
Dominique Farrugia.
22h25. Close Case :
Affaires classées.
Série américaine :
2 épisodes.
Avec John Hannah.
23h55. Anarchy.
0h20. Le point
quotidien.
20h40. La maison
France 5.
Magazine présenté par
Stéphane Thebaut.
21h40. Silence,
ça pousse !
Magazine.
22h35. C dans l’air.
Magazine présenté par
Yves Calvi.
23h45. Entrée libre.
Magazine.
0h05. Le meilleur
poulet du monde.
Documentaire.
LES CHOIX
Deux violences
Deux cuisines
Deux salles, deux ambiances: Investigatiôns dans
une Afrique du Sud violente et la Cité de la peur
dans un violent rire.
en aide à Patrick et Cathy
qui avaient pourtant eu
l’idée géniale d’un restau
savoyard en Provence.
France Ô, France 4, 20h45
M6, 20h50
Cauchemar en cuisine vient
Deux mondes
Arte, 22h25
Des nains pervers
et des dragons chelous
(on résume, hein), voici le
doc ad hoc: J.R.R. Tolkien,
des mots, des mondes.
PARIS 1ERE
TMC
W9
GULLI
20h40. The killing.
Série américaine :
Un homme de Dieu,
Vie brisée,
Bullet,
Six minutes,
De là-haut,
La route d’Hamelin.
Avec Joel Kinnaman.
1h30. Ça balance
à Paris.
Magazine présenté par
Éric Naulleau.
2h25. Programmes de
nuit.
20h50. Foresti Party
Bercy.
Spectacle,
120mn.
22h45. Les 100 plus
grands.
Couacs et incidents du
direct.
Divertissement
présenté par
Jean-Pierre Foucault.
0h50. Fan des années
2000.
Années 2000 et 2005.
Divertissement.
20h50. Enquêtes
criminelles :
Le magazine des faits
divers.
Magazine présenté par
Sidonie Bonnec et Paul
Lefèvre.
22h50. Enquêtes
criminelles :
Le magazine
des faits divers.
2 reportages.
Magazine.
3h00. Programmes
de nuit.
20h45. Rintintin.
Série américaine :
Coureurs de
récompense,
Adieu Fort Apache,
L’Écossais perdu,
Seul sur la route
interminable,
L’appel du clairon,
Mr Shakespeare.
Avec Lee Aaker.
23h25. G ciné.
Magazine.
23h30. Les Parent.
Série.
NRJ12
D8
NT1
D17
20h50. Primeval :
un nouveau monde.
Série canadobritannique :
2 épisodes.
Avec Niall Matter,
Sarah Canning.
22h30. Primeval :
un nouveau monde.
2 épisodes.
Série.
0h15. Redbull BC one
2014 : la finale.
mondiale.
20h50. En quête
d’actualité.
Père Noël :
roi des cadeaux
ou roi des profits ?
Documentaire
présenté par
Guy Lagache.
22h40. En quête
d’actualité.
Documentaire.
0h20.
Programmes
de nuit.
20h50. 24 heures
aux urgences.
La loi des séries.
Documentaire.
22h05. 24 heures
aux urgences.
Une journée
particulière.
Documentaire.
23h15. 24 heures
aux urgences.
Documentaire.
0h35. Obèses : perte
de poids extrême.
20h50.
True justice.
Téléfilm américain :
Compte à rebours fatal.
Avec Steven Seagal,
Sarah Lind.
22h25.
True justice.
Téléfilm américain :
Braquage mortel.
Avec Steven Seagal.
0h00.
Programmes
de nuit.
30
•
GRAND ANGLE
A la tête du
concours national
de miss depuis
quarante ans,
le show-man
a imposé
ses critères
esthétiques à tout
le pays. Dans une
société largement
métissée,
il «blanchit» sans
scrupule peau,
cheveux et traits
des candidates.
Venezuela
Osmel Sousa
fait la pluie
et la beauté
Par SIMON PELLET-RECHT
Correspondant à Caracas
année, le Venezuela remporte les couronnes
de Miss Monde et Miss Univers.
Aujourd’hui, la réputation du tsar de la
beauté n’est plus à faire. Avec 21 titres majeurs en quarante ans, Osmel Sousa a donné
au Venezuela la réputation du pays «aux plus
belles femmes du monde». «Où qu’il soit, les
mères lui sautent dessus pour lui montrer des
photos de leurs filles», s’amuse Carmela
Longo, journaliste people à Ultimas Noticias
et plusieurs fois jurée du concours.
Osmel Sousa, qui fuit les médias comme la
peste et a refusé de nous rencontrer, dirige
Miss Venezuela d’une main de fer. Au début
de sa carrière, il donnait déjà à ses favorites
des «boucles d’oreilles magiques» pour indiquer au jury comment voter. Cette année, il
a lui-même apporté leurs écharpes de candidates à ses miss préférées, aux yeux de tous.
Les jurés, maquilleurs et autres organisateurs
n’osent que très rarement s’opposer à l’expert tout-puissant. Les candidates le décrivent «sévère» mais «juste». La plupart lui
sont reconnaissantes et lui pardonnent ses
sautes d’humeur et son «perfectionnisme
compulsif»: «Il nous apprend à vivre sainement
et à gagner en confiance. Il nous protège contre
les prédateurs et nous demande de rester des
saintes pendant le concours», raconte Jennifer
Saa, finaliste en 2014.
e voilà qui apparaît en homme-canon, casque floqué à
son nom sur la tête et mallette sertie de fausses pierres
précieuses à la main. Pour
cette édition 2014 de Miss
Venezuela, le «tsar de la
beauté» et show-man Osmel
Sousa a encore fait son numéro. Sur le plateau télé de Venevisión, il est le roi de la «plus
belle nuit de l’année», les filles n’auront qu’à
attendre. Comme il aime à le répéter, «Miss
Venezuela, c’est moi».
En quarante ans, le dandy à la tête de la firme
de beauté a gagné plus de concours de miss
à l’échelle internationale que quiconque au
monde, imposant progressivement sa conception du beau féminin dans toute la société
vénézuélienne. Quand il a quitté Cuba
en 1959, fuyant à la fois les prémisses de la
révolution castriste et les coups d’un père qui
n’appréciait pas son goût pour les poupées,
il n’avait que 13 ans. Il ne reviendra sur l’île
que quarante-six ans plus tard.
L
«Perfectionnisme compulsif»
Au Venezuela, le self-made-man s’intègre
rapidement dans le show-biz, qui fleurit dans
les années 60 au rythme où l’or noir jaillit du
sous-sol. Un publicitaire cubain qui croit aux
capacités artistiques de son compatriote
l’aide à s’installer. Après une courte carrière
théâtrale, Osmel Sousa entre dans le monde
de la mode et de la télévision au service
d’OPA, l’agence de Miss Venezuela d’alors.
Réputé avoir un «œil» pour les jolies filles,
Sousa fait son chemin. Il repère les perles rares et les habille pour OPA avec des robes
qu’il dessine lui-même. Mais il veut plus de
liberté. En 1980, le conglomérat Cisneros rachète le concours et l’offre à Sousa. La même
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
Gomme et chirurgie esthétique
Osmel Sousa en 2009. PHOTO FERNANDO LLANO. AP
Pour faire correspondre la réalité avec sa
conception très occidentale de la beauté,
Osmel Sousa n’hésite pas à faire jouer du
scalpel. Lui qui affirme «on ne naît pas belle,
on le devient», sans savoir qu’il paraphrase
presque Simone de Beauvoir, considère le
bistouri comme l’instrument divin du beau
sur terre. Lui-même aurait subi une vingtaine d’opérations de chirurgie esthétique,
selon son ami Roland Carreño, directeur de
la revue people Hola!, «y compris les dents».
Et lorsqu’il se remémore son enfance à Cuba,
•
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
31
Le président de Miss Venezuela (veste à carreaux) entouré de ses reines de beauté lors de la répétition du concours de 2012. PHOTO WILLIAM DUMONT. EL NACIONAL . AP
alors qu’il n’était qu’un mauvais élève
passionné de dessins de mannequins féminins, il raconte : «Quand je faisais un visage
qui ne me plaisait pas, je l’effaçais. Maintenant,
ce n’est plus la gomme, mais la chirurgie
esthétique.» (1)
Même s’il ne jure que par la «diversité et la
mixité latino», Osmel Sousa n’hésite pas à remodeler par tous les moyens possibles ses
filles-produits pour les vendre dans des concours internationaux formatés. «Osmel les
préfère grandes et fines. Des filles comme Jeannette Donzella [Miss Venezuela 1971, ndlr],
avec ses hanches larges, ne passeraient jamais
aujourd’hui», affirme Orlando Suárez, qui
écrit un livre sur Miss Venezuela. D’après
l’ancien professeur d’expression orale des
miss José Rafael Briceño, parmi les quatre
grands concours visés par le comité Miss Venezuela, c’est Miss Univers qui attire toute
l’attention : «C’est le plus coté, le plus populaire au niveau mondial. On propose des filles
de type américain, blondes, bien USA.» Pour
Miss Monde, le professionnel recommande
«des femmes plutôt européennes, plus élégantes». Pour Miss Internationale et Miss Terre,
il faut plutôt «de l’exotisme, sans tomber dans
le sexy». José Rafael Briceño admet que la teneur des concours influe sur le choix des
candidates : «Dayana Mendoza [Miss Univers 2008], on a cherché à la garder la plus
latino possible en lui faisant danser la salsa,
tout en mettant en avant ses traits de Blanche
par le maquillage.»
Les organisateurs de Miss Venezuela vont
parfois beaucoup plus loin. Ils demandent
aux Noires de se faire refaire le nez afin qu’il
paraisse plus occidental, ou parce que «le nez
des Noires fait des ombres laides à la télé».
«Osmel est allé voir mon manager pour que je
me fasse un nez plus fin, plus européen. J’ai
d’abord refusé, puis j’ai fini par accepter», raconte Ingrid Smith, candidate en 2012. Les
seins, le menton, les dents, les pommettes…
l’organisation lui a tout financé. La jeune
femme avoue avoir été prête à tout «pour
plaire à Osmel»: «Il faut se plier à ses exigences et éliminer tout ce qu’il perçoit comme des
imperfections. Il me disait par exemple de faire
plus de show, d’être plus chaude et extravertie
parce que c’est ce que le public attend des Noires, mais je ne suis pas comme ça.»
Il faut dire qu’Osmel Sousa n’aime pas la
couleur. En 2009, dans une interview télévisée, il déclare, avec un petit rire de connivence: «La négritude vénézuélienne n’est pas
belle, mais si je trouvais une Noire belle, je la
mettrais dans le concours.» Une autre fois,
considèrent métis ou noirs, et seulement
43% blancs.
Les «mensurations d’Osmel»
Pour combler sponsors et annonceurs, autant
que par souci d’élégance, les candidates doivent se lisser les cheveux. Résultat, «dans la
rue, toutes les métisses ont les cheveux lisses,
comme à la télé», déplore l’ex-miss Ingrid
Smith, qui s’est battue pendant toute la durée
du concours pour garder son épaisse chevelure crépue. Comme l’affirme l’ethnologue
Marcia Ochoa dans son livre Queen for a
Day (2), «les miss définissent ce qu’est la féminité nationale». «Le jour J, c’est le
programme télévisé le plus regardé
«Il faut éliminer tout ce qu’[Osmel]
de l’année», explique la sociologue
perçoit comme des imperfections.
Carla Serrano, avant de reprendre
Il me disait par exemple d’être
l’antienne selon laquelle «toutes
plus chaude et extravertie parce que
les petites Vénézuéliennes veulent
c’est ce que le public attend des Noires.» devenir miss». La trentenaire
avoue continuer de viser elleIngrid Smith candidate en 2012
même les «mensurations d’Osquelques instants avant une conférence de mel», les fameux 90-60-90. Aujourd’hui,
presse en présence de Jictzad Viña, la pre- alors que la pénurie frappe durement un Vemière Noire à remporter, en 2005, le con- nezuela en crise où shampooing et savon sont
cours de Miss Venezuela, il dit en s’asseyant: des produits rares, les étalages des pharma«J’ai l’impression d’être à Trinité-et-Tobago», cies regorgent de crèmes éclaircissantes et de
en référence à cette petite île caribéenne où lotions lissantes.
vivent de nombreux descendants d’esclaves Au «pays des plus belles femmes au monde»,
africains.
la pression sociale, constante, rend aussi la
Pour gagner, les candidates noires acceptent chirurgie esthétique banale. Beaucoup de
presque tout. Andrea Escobar, finaliste jeunes filles se font poser des implants mamen 2013, raconte: «Ils m’ont demandé de tout maires et fessiers souvent démesurés. A tel
faire pour réduire la taille de mes hanches, pour point que les bonnets D et E deviennent la
me rendre moins voluptueuse.» Elle a dû tenter norme pour les fabricants de mannequins de
sa chance plusieurs fois avant d’être rete- vitrine. Chaque année, 60000 Vénézuéliennue au concours national : «En 2009, ils nes s’offrent une poitrine neuve, autant qu’en
m’ont rejetée en me disant qu’ils avaient déjà France où la population est pourtant deux fois
trois métisses sur les vingt-cinq candidates.» supérieure. Sans compter les liposuccions, les
Les quotas correspondraient à la diversité de interventions sur les sourcils et le nez. Là enla société vénézuélienne, selon un proche core, les opérations répondent à des schémas
d’Osmel Sousa. Pourtant, d’après le dernier de beauté bien précis, explique Ramón Zapata
recensement, 55% des Vénézuéliens se Sirvent, président de la Société vénézuélienne
de chirurgie plastique. «Les Noires, comme les
Arabes ou les Indiennes, cherchent des narines
plus fines, un nez plus profilé, à l’occidentale.
Jamais dans l’autre sens.»
Pour beaucoup de Vénézuéliennes, s’inscrire
au concours de Sousa revient à monter dans
le train de la gloire. «C’est un tremplin extraordinaire», assure la mannequin Jennifer Saa,
l’une des rares candidates à venir d’un quartier pauvre. Les plus débrouillardes deviennent présentatrices télé ou actrices au
Mexique ou aux Etats-Unis. D’autres se
maquent avec l’argent ou le pouvoir et se
font «femme de», que l’homme soit un politicien ou un baron de la drogue. Certaines,
plus rares, finissent dans la prostitution.
Pour la plupart, une fois le concours passé,
c’est le retour à la case départ. Ingrid Smith,
qui a humblement regagné sa place de
caissière dans un supermarché d’Etat,
assure : «Pour les filles comme moi qui n’ont
pas de famille fortunée, c’est dur de gagner, ce
n’est pas notre monde.»
Le rêve vendu par Osmel Sousa a cependant
du plomb dans l’aile. Si le Venezuela a récemment réussi l’exploit de remporter le titre
de Miss Univers deux années successives,
en 2008 et 2009, ses choix sont critiqués jusque dans la presse people, habituellement
complaisante. On lui reproche manque
d’imagination et conservatisme, sa politique
conduirait à la standardisation des reines de
beauté. A 68 ans, Osmel Sousa n’a que faire
des critiques. Alors que d’autres pays latinoaméricains, comme le Brésil ou la Colombie,
ont vu naître des concours alternatifs, à destination de publics plus pauvres et métissés,
il n’en a jamais été question au Venezuela. •
(1) Interview avec Susana Soto Garrido, «Cuba
y Venezuela: 20 Testimonios», éd. Fondation
pour la culture urbaine, 2007.
(2) «Queen for a Day: Transformistas, Beauty
Queens, and the Performance of Feminity
in Venezuela», Duke University Press Books, 2014.
LIBÉRATION MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2014
PORTRAIT GAËLLE BOURGES
Passée par le strip-tease, cette danseuse et chorégraphe de
47 ans expérimente la nudité des corps et le désir tenu à l’œil.
Que danse le regard nu
Par MARIE-CHRISTINE VERNAY
Photo STÉPHANE LAVOUÉ
vec son bonnet fiché sur la tête qui ne laisse apparaître que quelques mèches de ses beaux cheveux
d’un brun lumineux, Gaëlle Bourges ne ressemble
en rien de ce que le fanstasmeur de base peut imaginer d’une femme qui «fait dans le sexe». La donzelle de
47 ans a dû déjouer bien des pièges liés à cette étiquette qu’on
lui a collée parce qu’un temps, de 2006 à 2009, elle a été employée dans un théâtre érotique comme strip-teaseuse,
autrement dit, comme travailleuse du sexe. Il ne s’agit pourtant que d’une toute petite partie de sa vie qui démarre et se
prolonge avant tout par la danse de création.
Elle est née à Boulogne-Billancourt dont elle n’a aucun souvenir puisque ses parents, père ingénieur chimiste et mère
au foyer, ont déménagé plusieurs fois et qu’elle a vécu aussi
aux Etats-Unis. De la banlieue, elle ne se rappelle que du parc
de Sceaux près duquel elle a grandi. «Jeux dans les arbres,
cabanes et luge quand il neigeait, l’hiver. Je le traversais souvent
pour me rendre au collège puis au lycée Lakanal. Je me souviens
de quelques exhibitionnistes en imper, à moitié cachés dans les
bosquets. Plus de rire que de peur. Alain-Fournier aimait ce parc
A
et le Grand Meaulnes fut un de mes livres de chevet quand j’étais
adolescente». Lui reviennent aussi le souvenir de l’Ile Seguin,
de l’usine Renault. Réminiscences vagues. La danse qu’elle
commence par le classique à 5 ans et qu’elle poursuit jusqu’à
18 ans par la rythmique, le modern jazz, les claquettes, c’est
du sûr. Elle suit également une formation de clown, d’ art
dramatique, puis enseigne la comédie musicale, la danse, le
théâtre, travaillant en tant que régisseuse plateau à la BNF
pendant cinq années. Un parcours éclectique peu courant
dans le milieu chorégraphique. La danse est toujours présente
et elle se jette à l’eau en passant une audition. «C’est là, raconte-t-elle, que j’ai compris que j’étais à côté de mes pompes.
Si j’étais vue comme une élève surdouée dans les cours que je
prenais en banlieue, j’ignorais tout du contemporain. Il fallait que
je rattrape mon retard. Je suis repartie à zéro.»
A 32 ans, après des études en lettres supérieures à Lakanal
et en anglais à la Sorbonne, elle reprend le chemin de la fac
et entreprend une licence et une maîtrise en arts du spectacle
mention danse à l’université Paris-8. Elle fonde le Groupe
Raoul Batz avant son expérience de strip-tease: «Il n’y a pas
eu une rupture avec ce que faisait le Groupe Raoul Batz. Les mêmes préoccupations se sont simplement radicalisées. J’ai eu le
temps de goûter pleinement à la relation entre œil et exposition
du corps nu. Ce dont traitaient déjà nos pièces.»
En 2009, lors du festival Antipodes au Quartz de Brest, on
découvre sa conférence dansée Je baise les yeux où elle décrit
d’une façon drôle et pertinente les techniques d’excitation
qui transitent par le regard. Déjà, en écho aux travaux des
post-féministes comme Gayle Rubin, Beatriz Preciado, Silvia
Federici, elle démonte «la machine à produire du désir hétéro
et des stéréotypes. On entretient cette machine huilée dont personne n’est dupe, ni les femmes, ni les hommes. C’est une grande
rigolade et un système inégalitaire et rouillé.» Elle s’emploie
à déconstruire ces schémas et s’y attaque en liant l’histoire
du savoir avec l’histoire du corps et du nu féminin, notamment dans la peinture occidentale. C’est une suite logique
à ses expérimentations de théâtre érotique : «Comme dans
l’atelier du peintre, on nous appelait des modèles. On pouvait
gagner du fric avec ça. Nous étions payées au cachet. C’était
intéressant de constater que le désir hétéro ouvrait un pan de
travail possible.» Dont quelques danseurs profitent, complément nécessaire au statut d’intermittent et scène d’exploration de la relation au public. En mettant en scène des corps
non puissants, en réunissant des danseurs, des non-danseurs, des sex workers ou exsex workers, elle se met au EN 6 DATES
défi de constituer une communauté qui décloisonne 4 janvier 1967 Naissance
autant le milieu du sexe que à Boulogne-Billancourt.
1994 Création de la
celui du spectacle vivant.
«Déjà, s’amuse-t-elle, car compagnie du K. 1998
elle est vraiment joyeuse, Reprend la fac et obtient
un diplôme en Arts du
dans le strip-tease, on me faispectacle. 2000 Création
sait remarquer que je n’étais du groupe Raoul Batz,
pas toute jeune. Si je poursuis aujourd’hui l’association Os.
dans le nu, je me demande si 2009 Création de Je baise
les programmateurs de théâtre les yeux à Brest.
seront toujours sensibles et ex- 2 et 3 décembre 2014
cités par mon travail ! Parce Création de A mon seul
que déjà, ils ont peur de me désir à la Ménagerie
programmer.» Et elle ajoute: de Verre, à Paris.
«Je ne fais pas l’unanimité. Je
heurte les communautés. Je peux paraître trop froide pour les hétéros puisque je déconstruis, trop compromise pour certaines lesbiennes, trop pute pour ceux de la danse bien pensante… Je veux
simplement dire la complexité de la pensée et des représentations,
en montrant des corps qui remettent en question l’académisme,
en travaillant avec des gens qui ont un parcours à la marge, qui
ne sont pas reconnus dans leur parcours par leurs pairs. Et ensemble, nous expérimentons une façon de faire autre.»
Son nouveau spectacle revient sur cette pierre d’achoppement qu’est le nu féminin. Elle y fait référence à la tapisserie
de la Dame à la licorne, visible au musée du Moyen-Age à Paris. Dans ses six panneaux, la tenture montre une demoiselle
richement parée et toujours accompagnée d’une licorne,
garde du corps de sa virginité. Gaëlle Bourges s’intéresse bien
sûr à la Vierge et à «son organe génital dépositaire du sacré»
Elle note au passage que la Vierge est toujours représentée
de face. Dans sa pièce, elle la met en scène de dos, on imagine
comment… Et la chorégraphe ne manque pas de remarquer
que les tentures accueillaient également beaucoup d’animaux
lubriques, dont 35 lapins. Elle n’oublie pas non plus de renvoyer à la définition de Salvador Dali avec son intraitable accent : «Une espèce de complexe aigu phallique.»
Avec cette création, Gaëlle Bourges referme son triptyque
«Vider Vénus». Malgré un diplôme en éducation somatique
par le mouvement, elle n’en a pas fini avec la danse, qu’elle
continue d’enseigner ponctuellement. On l’avait vue à
l’œuvre dans un quartier sensible de Seine-Saint-Denis. Elle
était tout à fait à l’aise et réussissait à inciter les scolaires à
faire confiance à leur corps, à accepter leur manière de bouger et à évacuer les tensions.
Car un des ses principaux engagements, qu’elle revendique,
est de lutter contre les préjugés qui déprécient la danse. «Celle-ci est considérée comme un art où il n’y a pas matière à penser. Or, toutes les révolutions en danse ont eu lieu grâce à des
gens qui l’ont pensée.» Et de préciser : «Je vois en ce moment
se développer un retour réactionnaire dans le fait qu’on insiste
beaucoup sur la technicité. Mais laquelle? Il y a tellement de techniques qui sont à interroger. Par exemple, marcher en est une.
Chaque technique est déjà un discours.» Et comme elle fut aussi
femme de chambre chez une dame riche, elle sait qu’on ne
se déplace jamais de la même façon. Et que c’est souvent
fonction du contexte. •