Spectrométrie Mössbauer par Jean-Paul EYMERY Chargé de Recherche au CNRS (UA 131) Laboratoire de Métallurgie Physique de l’Université de Poitiers et Jacques TEILLET Professeur à la Faculté des Sciences de Rouen Laboratoire de Magnétisme et Applications (URA CNRS 808) 1. 1.1 Principe de la spectrométrie Mössbauer ........................................... Phénomène de résonance gamma nucléaire. Facteur de Lamb-Mössbauer....................................................................... Dispositif expérimental ................................................................................ Interactions hyperfines ................................................................................ PE 2 600 − 3 — — — 3 3 4 — — 7 7 2.3 2.4 Mise en œuvre expérimentale ............................................................... Effet Mössbauer en transmission ............................................................... Spectrométrie Mössbauer d’électrons de conversion (technique CEMS)......................................................................................... Autres techniques Mössbauer de réflexion ............................................... Analyse des spectres à l’ordinateur............................................................ — — — 8 10 10 3. 3.1 3.2 3.3 3.4 Applications de l’effet Mössbauer....................................................... Applications chimiques................................................................................ Applications physiques................................................................................ Applications minéralogiques....................................................................... Autres applications : biologie, archéologie, beaux-arts............................ — — — — — 11 11 13 17 20 4. Conclusion .................................................................................................. — 20 1.2 1.3 2. 2.1 2.2 Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc PE 2 600 L a résonance gamma nucléaire ou spectrométrie Mössbauer (SM) utilise la possibilité d’observer dans les solides l’absorption résonnante sans recul de photons γ. Depuis sa découverte en 1958, l’effet Mössbauer a connu un développement extrêmement rapide, pour devenir une méthode de recherches fructueuse, puis un instrument compétitif dans le domaine de l’application et du contrôle. Comme pour d’autres techniques d’observation nucléaire (résonance magnétique nucléaire, corrélations angulaires perturbées, réactions nucléaires résonnantes...), l’intérêt primordial de l’effet Mössbauer réside actuellement dans ses applications possibles en physique et chimie de la matière condensée ; on peut citer en particulier la physique du solide, le magnétisme, la métallurgie physique et appliquée, la chimie de coordination, la catalyse, la minéralogie, la biologie, l’archéologie et les beaux-arts. Comme les autres sondes nucléaires, la spectrométrie Mössbauer donne des renseignements locaux sur les noyaux qu’elle affecte, en particulier sur leur état de vibration, la densité électronique locale et le moment magnétique effectif. Ce type de données fournit des renseignements précieux sur l’état de valence des atomes correspondants, les liaisons qu’ils forment avec leurs voisins et leur position dans un réseau cristallin. Comme le fer est un des noyaux les plus faciles à mettre en œuvre, la métallurgie et la minéralogie sont des domaines de choix pour l’utilisation de la technique. L’effet Mössbauer fournit des données Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 1 très utiles pour l’étude fondamentale des alliages et autres composés de fer comme les carbures et les oxydes. Cette méthode non destructive sert également à tester certaines propriétés de substances industrielles comme l’état d’agglomération du carbone ou de l’azote dans les aciers ou encore le degré d’oxydation de minerais. D’une manière générale, les possibilités de la spectrométrie Mössbauer concernent les relations entre les propriétés fondamentales des matériaux (structure électronique et magnétique, ordre structural ou chimique) et leurs propriétés moyennes massives qui sont susceptibles d’applications pratiques ; la SM se classe parmi les techniques de sonde locale. La technique Mössbauer ne s’applique qu’à l’état solide de la matière ; elle est de plus limitée à un certain nombre d’éléments, ou plus exactement à certains isotopes de ces éléments. Dans le domaine des sciences de l’ingénieur, il n’y a lieu de retenir que le fer et l’étain à cause de l’importance technologique de ces éléments et de leur relative simplicité expérimentale en SM. D’un caractère pluridisciplinaire tant du point de vue expérimental que théorique, la technique est non destructive et s’adapte à des analyses in situ à haute ou basse température, mais il faut signaler l’emploi de sources radioactives relativement intenses (par exemple : 1 à 3 GBq). Le principe de la spectrométrie Mössbauer, traité de façon simple dans la première partie, pourra être abordé sans connaissance approfondie en physique nucléaire et aura pour but de définir les grandeurs physiques accessibles par la SM. La seconde partie est consacrée à la mise en œuvre expérimentale de la technique. On distinguera successivement le cas de l’effet Mössbauer en transmission, puis le cas de l’effet Mössbauer en réflexion en privilégiant la technique des électrons de conversion (CEMS). On traitera également les méthodes d’analyse des spectres à l’ordinateur. La troisième partie concernera le domaine des applications de l’effet Mössbauer (chimie, physique et minéralogie) ; les applications présentées ici sont retenues pour leur simplicité et leur intérêt pédagogique, mais n’ont aucun caractère exhaustif (tableau A). Tableau A – Applications des différentes techniques Mössbauer du fer 57 citées dans cet article Rayonnements ou particules utilisés Nature Géométrie Spectrométrie en transmission Rayons γ Lames minces ou poudres Spectrométrie d’électrons de conversion (CEMS) Electrons de conversion et Auger Spectrométrie en réflexion : rayons X Spectrométrie en réflexion : rayons γ Techniques PE 2 600 − 2 Échantillons Épaisseur analysée Paragraphe où la technique est décrite Paragraphes où les applications sont traitées Epaisseur < 10 µm Toute 2,1 3,11, 3,13, 3,21, 3,22, 3,24, 3,25, 3,3, 3,4 Films minces ou surfaces planes d’échantillons minces 15 x 15 mm2 150 nm 2,2 3,12, 3,21, 3,22, 3,23, 3,25, 3,26 Rayons X Échantillons massifs ou amincis suivant le montage Une face plane 15 µm 2,3 3,12, 3,33 Rayons γ Massif Une face plane 15 µm 2,3 3,33, 3,4 Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER 1. Principe de la spectrométrie Mössbauer 1.1 Phénomène de résonance gamma nucléaire. Facteur de LambMössbauer Le phénomène de résonance gamma nucléaire se produit quand un photon gamma émis par un noyau émetteur S lors de la désexcitation de ce noyau est absorbé par un noyau absorbeur A identique, qui passe alors dans un état excité (figure 1). La distribution spectrale des photons émis et absorbés N (Eγ) est une lorentzienne de largeur énergétique Γ appelée largeur naturelle du niveau nucléaire excité : 1 Γ2 N ( E γ ) = --- --------------------------------------4 Γ 2 ( E γ Ð E 0 ) 2 + -----4 E0 = Ee − E f , Ee énergie de l’état excité, Ef énergie de l’état fondamental. Pour une valeur typique de E0 = 100 keV, Γ est de l’ordre de 10− 8 eV. La largeur relative Γ/E est donc de l’ordre de 10−13, faisant de 0 ce rayonnement un des rayonnements les mieux définis et conduisant à une sélectivité énergétique extrême qui permet de différencier les très faibles valeurs d’énergie correspondant aux interactions hyperfines (cf. § 1.2). avec sans modification de l’état vibratoire du réseau (processus à zéro phonon). Les photons γ possèdent alors l’énergie de la transition nucléaire (à Γ près). Dans le cas d’un solide isotrope, la fraction f de noyaux résonnants, appelée facteur de Lamb-Mössbauer, s’écrit [2] : E γ2 〈 x 2〉 f = exp Ð ------------------( , c )2 avec 〈x 2〉 c (1) amplitude quadratique moyenne de vibration de l’atome résonnant, vitesse de la lumière, h , = ------- (h étant la constante de Planck = 6,626 x 10−34 J . s). 2π Cette résonance (facteur f ) diminue quand E0 ou 〈x 2〉 augmente. Elle n’est appréciable que pour l’état solide et augmente quand la température diminue. Elle n’est observée que pour des noyaux présentant des transitions de l’état excité vers l’état fondamental d’énergie E0 < 100 keV. Il existe une cinquantaine d’isotopes utilisables en SM. Les isotopes usuels sont 57Fe ( f ≈ 0,8 à température ambiante). 119Sn et des isotopes d’éléments de terres rares, mais sont aussi utilisés Sb, I, Au... Quand l’énergie de la transition dépasse une trentaine de keV, l’étude expérimentale n’est possible qu’à très basse température pour augmenter le facteur f (cas des terres rares à l’exception de Eu). Certaines sources non usuelles peuvent être difficiles à fabriquer et de temps de vie très court (quelques heures à quelques jours). Dans la matière, un noyau est soumis à des champs électrique et magnétique créés par son environnement, qui vont perturber les niveaux d’énergie nucléaire (translation et/ou levée de dégénérescence des niveaux). Ces perturbations, appelées interactions hyperfines, sont de l’ordre de 10−7 à 10−8 eV et peuvent donc être résolues par SM (Γ de l’ordre de 10−8 eV). 1.2 Dispositif expérimental L’investigation des niveaux d’énergie du noyau Mössbauer dans l’absorbant nécessite donc de modifier l’énergie Eγ des photons émis par l’émetteur (généralement une source radioactive contenant l’isotope Mössbauer dans un état excité). La variation d’énergie est obtenue en déplaçant la source à une vitesse relative v par rapport à l’absorbant (figure 2). Par effet Doppler du premier ordre, le changement d’énergie du photon est ∆E = (v /c ) Eγ (où c est la vitesse de la lumière). Les vitesses requises pour les isotopes Mössbauer usuels sont de l’ordre du mm . s−1. En SM, les énergies sont exprimées en unités de vitesse. Figure 1 – Principe de la résonance gamma nucléaire Pour des atomes libres ou faiblement liés, l’effet de recul du noyau associé à l’émission ou l’absorption d’un photon γ et l’élargissement par effet Doppler associé au mouvement thermique des atomes diminuent très fortement cette résonance. Pour certains noyaux (noyaux Mössbauer), il existe, en phase solide, une fraction f de noyaux pour lesquels ces perturbations sont négligeables. Ce sont ceux pour lesquels la transition nucléaire s’effectue Figure 2 – Principe expérimental de la SM par transmission Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 3 SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER ___________________________________________________________________________________________________________ Figure 3 – Déplacement des niveaux nucléaires sous l’action des interactions hyperfines dans le cas d’une transition entre des états de spins 3/2 et 1/2 : effets sur le spectre Mössbauer 1.3 Interactions hyperfines Les interactions hyperfines, dues aux perturbations créées par l’environnement du noyau Mössbauer, observables par SM sont [2] : — l’interaction monopolaire électrique ; — l’interaction quadripolaire électrique ; — l’interaction dipolaire magnétique. 1.3.1 Interaction monopolaire électrique : paramètre déplacement isomérique C’est l’interaction entre la distribution de charge nucléaire supposée sphérique et la densité de charge électronique contenue dans le volume nucléaire. Cette interaction translate les niveaux nucléaires fondamental et excité de quantités ∆Ef et ∆Ee (figure 3 a ). Il en résulte un changement d’énergie du photon γ tel que [2] : Ze 2 ∆ E = ∆ E e Ð ∆ E f = ---------- ψ ( 0 ) 2 ( 〈 r e2〉 Ð 〈 r f2〉 ) 6 ε0 avec ε0 Ze ψ (0) 〈 r e2〉 et 〈 r f2〉 permittivité électrique du vide, charge nucléaire, fonction d’onde électronique au site nucléaire, rayons quadratiques moyens de la distribution de charge nucléaire dans l’état excité et dans l’état fondamental (constants pour un noyau donné). Si les environnements électroniques des noyaux émetteur S et absorbeur A sont différents, la raie d’absorption est alors décalée par rapport à la raie d’émission d’une quantité : Ze 2 δ = ∆ E A Ð ∆ E S = ---------- ( 〈 r e2〉 Ð 〈 r f2〉 ) ( ψ A ( 0 ) 2 Ð ψ S ( 0 ) 2 ) 6 ε0 (2) δ est appelé déplacement isomérique entre le noyau émetteur et le noyau absorbeur. Pour un noyau et une source donnés, δ est proportionnel à la densité électronique au noyau de l’isotope Mössbauer de l’échantillon étudié. Dans l’hypothèse non relativiste, seuls les électrons s peuvent pénétrer le noyau. Cependant, les électrons non s tels que les électrons de valence influent indirectement sur δ via leur recouvrement avec les électrons s (effet d’écran). Cette contribution des électrons de valence à la densité d’électrons s au noyau dépend fortement de la structure électronique et, par conséquent, fournit des renseignements chimiques tels que état d’oxydation, coordinence, covalence (§ 3.1.1). Pour le fer, les domaines correspondant aux différents états d’oxydation ont été tabulés (figure 4). Effet Doppler du second ordre : il existe un terme supplémentaire au déplacement isomérique, qui provient du fait que la vitesse qua2 〉 est différente dratique moyenne de déplacement des atomes 〈 v at de zéro (effet Doppler relativiste du second ordre). Cet effet se traduit par un déplacement global des raies Mössbauer qui dépend de la température. Pour le fer, ce déplacement est de l’ordre de 4 x 10−4 mm . s−1 . K−1. L’étude de la variation du déplacement iso2 〉 et donc aux mérique avec la température permet d’accéder à 〈 v at propriétés dynamiques des noyaux. 1.3.2 Interaction quadripolaire électrique : paramètre séparation quadripolaire Cette interaction est due à l’asymétrie de la distribution de charges qui entoure le noyau Mössbauer. Cette asymétrie peut provenir PE 2 600 − 4 Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER Figure 4 – Déplacements isomériques de 57 Fe pour différents environnements chimiques du fer de l’asymétrie de la distribution de charges électroniques de la couche de valence de l’atome et de l’asymétrie de la distribution de charges extérieures à l’atome. Elle est caractérisée par la grandeur tensorielle [Vij ] gradient de champ électrique au noyau (gce) définie par : ∂, 2 V V ij = -----------------------∂, x i ∂, x j avec V potentiel électrique créé au noyau par la distribution de charges, xi , xj directions x, y ou z. Les noyaux dans des états de spin I > 1/2 possèdent un moment quadripolaire électrique Q. L’interaction de Q avec le gce est appelée interaction quadripolaire électrique. L’hamiltonien d’interaction a pour valeurs propres [2] : 1 eQV zz η 2 --E Q = ---------------------------- [ 3 m2I Ð I ( I + 1 ) ] 1 + ------ 2 4I ( 2 I Ð 1 ) 3 avec Vzz η composante du gce suivant l’axe principal Oz du gce, paramètre d’asymétrie du gce xx Ð V yy η = V ------------------------ avec la convention V xx < V yy < V zz , V zz I mI spin nucléaire, composante du spin suivant l’axe Oz ( m I = Ð I, Ð I + 1,..., I Ð 1, I ) . La dégénérescence d’un niveau de spin I > 1/2 est donc partiellement levée et on peut observer plusieurs raies de transition entre état excité et état fondamental (figure 3 b ). Dans le cas de 57Fe, la levée partielle de dégénérescence de l’état excité conduit à 2 niveaux séparés de : 1 eQV zz η 2 --∆ E Q = ----------------- 1 + ------ 2 2 3 (3) ∆EQ est appelée séparation quadripolaire. Cette interaction reflète la symétrie de l’environnement et la structure locale dans le voisinage de l’atome Mössbauer (figure 5). Elle donne des informations sur la nature des différents niveaux électroniques de l’atome, sur les populations des différentes orbitales, les phénomènes d’isomérisation, les structures des ligands, les intermédiaires de réaction à vie courte, les propriétés semiconductrices et les structures de défauts des solides. Figure 5 – Spectres Mössbauer de 57Fe dans Fe (NH3)6 Cl2 à 295 K et 99 K [3] 1.3.3 Interaction dipolaire magnétique : paramètre champ magnétique effectif Cette interaction est due à l’induction magnétique B créée au noyau par son environnement électronique [appelée induction magnétique hyperfine (Bhf)] à laquelle peut s’ajouter une induction magnétique extérieure (Bapp). L’induction totale est appelée induction magnétique effective. L’interaction du moment magnétique Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 5 SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER ___________________________________________________________________________________________________________ nucléaire µ avec cette induction B est appelée interaction dipolaire magnétique. Pour état de spin I > 0, elle lève complètement la dégénérescence du niveau nucléaire par effet Zeeman avec des variations d’énergie [2] : ∆EM = − µ . B = − g I µ N BmI avec gI µN mI (4) facteur de Landé nucléaire (qui dépend de I ), magnéton nucléaire, composante du vecteur spin I suivant la direction de l’induction. Comme l’éclatement des raies spectrales est directement proportionnel à l’induction magnétique au noyau, la SM fournit une mesure de cette induction. Les transitions permises entre sous-niveaux de l’état fondamental et de l’état excité doivent satisfaire aux règles de sélection (figure 3 c). Les intensités des raies Mössbauer, proportionnelles au carré des probabilités de transition, donnent une information sur l’orientation de l’induction magnétique au noyau. Pour 57Fe, l’angle β entre la direction de l’induction effective et la direction du rayonnement γ est relié au rapport b des intensités des raies intermédiaires et centrales par la relation : 2b sin2 β = ------------4+b (5) L’induction magnétique hyperfine au noyau provient des spins non appariés de l’atome et dépend donc de l’état d’oxydation et de l’état de spin de l’atome. Elle est observée dans les spectres Mössbauer de systèmes magnétiquement ordonnés, ou de systèmes paramagnétiques quand les temps de relaxation des spins électroniques sont suffisamment longs. Les données obtenues à partir de cette interaction peuvent être utilisées pour étudier l’ordre magnétique et la structure de systèmes magnétiquement ordonnés ainsi que la nature du moment magnétique d’atomes particuliers. La possibilité d’appliquer une induction magnétique extérieure apporte un facteur additionnel d’investigation puisqu’elle permet de modifier cette interaction de façon contrôlée (induction résultante au noyau B eff = B hf + B app). La technique de SM en champ magnétique intense [4] est un outil commode d’exploration des structures magnétiques (figure 6). 1.3.4 Interactions hyperfines combinées Dans le cas général, les trois types d’interactions agissent simultanément sur le noyau. Le schéma de niveaux nucléaires et les intensités relatives des raies sont alors déterminés par la résolution de l’hamiltonien total. Cette résolution, complexe, est généralement effectuée par ordinateur (§ 2.4). Quand l’interaction quadripolaire est petite par rapport à l’interaction magnétique (cas fréquent pour les matériaux magnétiquement ordonnés rencontrés en métallurgie), les niveaux initialement équidistants du spectre magnétique sont simplement décalés d’une quantité ± ε (le signe dépend de Iz ) aboutissant à un spectre asymétrique. Le sens de l’asymétrie peut fournir le signe de Vzz . La quantité ε est appelée déplacement quadripolaire et son expression analytique est connue. 1.3.5 Phénomènes de relaxation La configuration électronique de l’entourage de l’atome résonnant a jusqu’à présent été supposée statique ; dans ce cas la fréquence de relaxation de cet environnement est très inférieure à la fréquence de précession du noyau entre ses états hyperfins (précession de Larmor). Quand cette condition n’est pas vérifiée, la forme des spectres Mössbauer est modifiée. Les études de spectres dits alors « en relaxation » [2, 4] permettent d’accéder à la nature des PE 2 600 − 6 Figure 6 – Spectres Mössbauer de magnétiques [4] 57 Fe dans différents matériaux phénomènes dynamiques (relaxation spin-spin, relaxation spinréseau, superparamagnétisme, conversion de spin, transferts électroniques, fluctuations critiques...). En particulier, le superparamagnétisme apparaît quand la taille des grains magnétiques devient très petite (< 50 nm), conduisant à des particules monodomaines magnétiques dont l’aimantation peut fluctuer entre différentes directions de facile aimantation. L’étude Mössbauer permet d’accéder à la distribution de taille de grains [2]. 1.3.6 Synthèse Les principales données obtenues par SM sont : — les paramètres d’interactions hyperfines, qui permettent généralement de caractériser nature et proportion des phases présentes ainsi que les changements de phase éventuels ; — le facteur de Lamb-Mössbauer f (proportionnel à l’intensité du spectre Mössbauer) qui, via le déplacement quadratique moyen, fournit des informations sur les propriétés dynamiques du réseau ; — en présence de relaxation, des renseignements relatifs à la nature des phénomènes dynamiques. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER 2. Mise en œuvre expérimentale 2.1 Effet Mössbauer en transmission Pour réaliser une analyse à la température ambiante, la spectrométrie Mössbauer en transmission de 57Fe et 119Sn peut être mise en œuvre rapidement. Les constituants d’un spectromètre sont en vente dans le commerce et peuvent être assemblés sans difficulté majeure. Il convient d’abord d’étalonner l’appareil avec un matériau connu, par exemple le fer α dans le cas de 57Fe. Après installation de la source et de l’échantillon (absorbeur), l’acquisition des données est automatique ; l’opérateur intervient ensuite pour enregistrer le spectre et l’analyser à l’ordinateur. 2.1.1 Absorbants En géométrie de transmission, il est impératif d’utiliser des absorbants minces et uniformes. Dans le cas du 57Fe, l’épaisseur optimale de l’échantillon à étudier doit correspondre à une masse surfacique de 5 mg/cm2 de fer naturel, soit encore 6,5 µm de fer métallique. Les grandeurs homologues pour 119Sn et 151Eu sont respectivement 9 mg/cm2 et 5 mg/cm2. Dans le cas de 57Fe, on peut donc s’attendre à obtenir un spectre de bonne qualité si l’absorbant a une épaisseur comprise entre 5 et 10 µm environ ; mais cela n’est valable que si le fer est allié à des éléments légers. Cette épaisseur doit être réduite au moins d’un facteur 2 si l’absorbant contient des éléments lourds (par exemple des terres rares) car l’absorption non résonnante se trouve alors accrue ; sans cette précaution, on observerait des distorsions spectrales difficiles à évaluer, donc à corriger. Les échantillons peuvent se présenter sous forme de lames minces ou de poudres. Il y a lieu d’éviter que la technique de préparation ne conduise à des effets indésirables. Par exemple, il est connu que l’amincissement mécanique et le broyage peuvent conduire, dans certains cas, à des transformations structurales. Pour les poudres, il est impératif d’éliminer toute orientation préférentielle des microcristaux dans le but de prévenir les effets de texture. 2.1.2 Constituants d’un spectromètre fonctionnant à 293 K Un système complet de SM est présenté sur la figure 7. Les sources sont généralement scellées et exploitent la désintégration d’un radio-isotope parent, par exemple 57Co pour 57Fe et 151Sm pour 151Eu. L’émission est parfaitement monochromatique si les noyaux émetteurs sont placés en des sites ayant la symétrie cubique et non soumis à un champ magnétique interne. Pour 57Co, on utilise généralement des matrices de Rh ou Pd ; les activités requises sont toujours inférieures à 4 GBq. Les photons émis par la source sont modulés en énergie puis les photons transmis par l’absorbant sont détectés et analysés. La modulation en énergie est effectuée par le transducteur qui est luimême piloté par l’unité d’entraînement et le générateur de fonctions. Le transducteur imprime à la source une variation continue de vitesse entre deux valeurs extrêmes (+ vmax et − vmax ) selon une loi temporelle connue qui est soit linéaire, soit sinusoïdale. Le transducteur est en fait constitué de deux bobines de haut-parleur couplées et fonctionne à une fréquence comprise entre 5 et 50 Hz. La détection des photons transmis est généralement effectuée à l’aide d’un compteur à scintillations ou d’un compteur à gaz. Dans le premier cas, on utilise un scintillateur NaI activé au tellure, couplé à un multiplicateur d’électrons. Dans le second cas, il s’agit d’un compteur proportionnel rempli de mélanges gazeux comme Xe-CO2 ou Partie visible Transducteur Unité d'entraînement Générateur de fonctions Source Photons γ Absorbeur Photons γ Détecteur Ampli- Haute Sélecteur ficateur tension monoaxial Préamplificateur Analyseur multicanal ou microordinateur Figure 7 – Principe d’un spectromètre Mössbauer en transmission Kr-CO2 ; la résolution de ce dernier est meilleure mais sa durée de vie est limitée. Le détecteur est alimenté par une haute tension positive comprise entre 1,5 et 2 kV. À la sortie du détecteur, les impulsions sont amplifiées puis analysées en amplitude à l’aide d’un sélecteur monocanal dont la fenêtre sera centrée sur 14,4 keV dans le cas de 57Fe. Le sélecteur est enfin connecté à un analyseur dont le nombre de canaux est compris entre 128 et 1 024. Chaque canal correspond à une valeur discrète de la vitesse et accumule le taux de comptage transmis dans une mémoire. La variation de la vitesse en fonction du temps est synchronisée avec l’analyseur multicanal fonctionnant en mode multiéchelle recyclé. Un spectre est obtenu en décrivant un très grand nombre (plusieurs milliers) de cycles de vitesse et en additionnant les informations dans la mémoire. Le comptage est arrêté lorsque la statistique est considérée comme satisfaisante ; la profondeur relative des pics de résonance par rapport au fond continu est alors de quelques pour-cent. L’exploitation ultérieure du spectre requiert de préférence un traitement numérique à l’ordinateur (§ 2.4). Un spectre typique d’un matériau amorphe ferromagnétique est présenté sur la figure 8. À l’heure actuelle, on peut remplacer l’analyseur multicanal par un micro-ordinateur équipé d’une carte multiéchelle et d’un logiciel d’acquisition et d’analyse ; cette solution est moins onéreuse mais ses commodités de fonctionnement sont étroitement liées aux performances du logiciel d’acquisition. Figure 8 – Exemple de spectre Mössbauer du fer 57 en géométrie de transmission : cas d’un matériau amorphe magnétiquement ordonné Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 7 SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER ___________________________________________________________________________________________________________ Dans le cas de la SM du 57Fe, l’étalonnage en vitesse du transducteur s’effectue généralement avec une feuille de fer métallique à 293 K ; la distance entre les pics extrêmes du spectre est alors égale à 10,657 mm/s. Enfin, dans le cas où la détection est effectuée par un compteur à scintillations, il convient d’absorber par une feuille d’aluminium les rayons X de 6 keV émis par la source. Il existe des contraintes similaires pour la SM de 119Sn. Les temps de comptage varient de quelques heures à quelques jours suivant le taux d’isotopes Mössbauer dans l’échantillon. 2.1.3 Four, cryostat, champ magnétique appliqué Pour de nombreuses études, il est nécessaire de faire varier la température de l’échantillon étudié, par exemple pour déterminer l’évolution des propriétés structurales ou magnétiques d’un matériau. Dans certains cas, la détermination des variations complètes d’un paramètre hyperfin (champ magnétique ou effet quadripolaire) nécessite de parcourir à la fois le domaine des basses et des hautes températures. Il est alors nécessaire de faire appel à un four ou à un cryostat spécialement adaptés à la SM. Ces appareils doivent être stables et autonomes pendant au moins deux ou trois jours et ne présenter aucune vibration parasite. Leur encombrement doit être faible (quelques cm) de façon à ne pas perturber les distances habituelles source-échantillon et échantillon-détecteur ( < 10 cm ). Enfin, les dispositifs doivent permettre le passage des rayons γ sans pertes importantes ; pour cela, les fenêtres en béryllium sont d’un usage courant. Dans la plupart des cas, les cryostats sont achetés dans le commerce et les fours fabriqués par les expérimentateurs. La détermination de l’ordre magnétique par effet Mössbauer nécessite souvent l’application d’un champ magnétique extérieur sur l’échantillon. Pour cela, les électroaimants classiques peuvent être employés en dessous de 2 T. Pour obtenir des champs plus élevés, par exemple de 5 à 10 T, seules les bobines supraconductrices peuvent convenir. Il est alors nécessaire de protéger les compteurs à scintillations par un écran magnétique pour les préserver de l’influence du champ magnétique créé par la bobine. En France, des spectres Mössbauer sous champ appliqué peuvent être réalisés dans quelques laboratoires spécialisés ou à Grenoble, au Service National des Champs Intenses (SNCI). 2.2 Spectrométrie Mössbauer d’électrons de conversion (technique CEMS) L’absorption résonnante sans recul des rayons γ peut être utilisée en géométrie de transmission ou de diffusion (réflexion). La transmission donne une information moyenne sur tout l’échantillon. Au contraire, la réflexion analyse seulement une couche superficielle et, pour cela, met à profit la désexcitation de l’isotope Mössbauer dans l’absorbant qui conduit à l’émission de rayons γ, de rayons X et d’électrons. Au paragraphe 2.2.1, la nature, l’énergie et l’intensité des rayonnements et particules émis sont précisées dans le cas de 57Fe. Ici, on retiendra qu’il existe schématiquement trois principales techniques de réflexion classées suivant la nature des rayons ou particules (γ, X ou e−) utilisés pour effectuer l’analyse. La technique CEMS est celle qui consiste à capter les électrons rétrodiffusés pour réaliser les spectres ; son développement privilégié dans ce chapitre est lié à l’essor considérable qu’elle a connu ces quinze dernières années. 2.2.1 Intérêt La technique CEMS possède tout d’abord les avantages communs à toutes les techniques de diffusion. Celles-ci autorisent l’emploi d’échantillons massifs et permettent donc des analyses réellement non destructives. Il n’y a plus lieu d’amincir les échantillons ou de PE 2 600 − 8 les réduire en poudre ; les risques inhérents à ces opérations sont donc éliminés. L’analyse par effet Mössbauer est maintenant ouverte à des échantillons qui ne pouvaient être préparés à la forme requise, par exemple des minéraux de grande dureté ou des œuvres d’art (poteries, peintures). De plus, l’absorption résonnante, qui peut être mesurée par les électrons rétrodiffusés, se trouve naturellement restreinte à une couche superficielle de l’échantillon massif dont l’épaisseur est déterminée par le libre parcours moyen des électrons détectés à la surface. Les données du paragraphe suivant montreront que, dans le cas de 57Fe, l’analyse CEMS est particulièrement efficace sur la première centaine de nanomètres ; elle est nettement moindre sur les cent nanomètres suivants à cause de la plus faible probabilité d’émergence des électrons ; ensuite elle est négligeable. Il est alors clair que les domaines d’application privilégiés sont les études concernant les surfaces et les films minces. En chimie, on peut suivre ainsi avec efficacité les premiers stades de l’oxydation et de la corrosion ; en minéralogie, on peut étudier l’altération superficielle. En métallurgie, de nombreux travaux ont concerné l’implantation ionique, en particulier dans les aciers ; dans le cas d’implantations à basse énergie (< 500 keV), il se trouve que la profondeur de pénétration des ions est du même ordre de grandeur que le libre parcours moyen des électrons secondaires. Enfin, un domaine encore en expansion est celui des films minces (par exemple magnétiques) et des interfaces (par exemple métal/métal, métal/semiconducteur ou métal/céramique). 2.2.2 Principe La désexcitation des niveaux nucléaires excités par absorption résonnante a lieu par émission de photons γ et par conversion interne avec émission d’électrons. La probabilité du second phénomène est donnée par le coefficient de conversion interne α (α = 9 pour le niveau à 14,4 keV de 57Fe) ; la conversion interne concerne les différentes couches électroniques (K, L, M...). Les atomes ainsi ionisés se désexcitent ensuite par des transitions électroniques promptes (effet Auger), avec émission de photons X et d’électrons Auger. La figure 9 schématise l’origine des différents rayonnements et particules consécutifs à la désexcitation ; les intensités relatives et les parcours respectifs sont indiqués pour la transition à 14,4 keV de 57Fe. L’observation de la figure 9 montre que, pour cet isotope, un spectre mesuré par détection de l’ensemble des électrons rétrodiffusés (méthode intégrale ou ICEMS) est en fait essentiellement dû aux électrons de conversion K d’énergie initiale 7,3 keV et aux électrons Auger K-L d’énergie initiale 5,4 keV. En outre, la probabilité d’émergence d’un électron de type donné est corrélée à la profondeur de son origine dans l’échantillon ; en conséquence, un spectre ICEMS représente aussi une pondération non uniforme des informations sur la couche analysée. Le calcul des probabilités d’émergence des différents types d’électrons peut être effectué théoriquement [6] ; la figure 10 montre l’allure de cette probabilité en fonction de la profondeur d’origine, dans le cas d’un électron de conversion K du fer. Il est alors clair que la méthode ICEMS correspond à une probabilité maximale d’analyse du voisinage de la surface de l’échantillon (de 0 à 100 nm), avec une contribution relativement négligeable au-delà d’une profondeur de 100 nm, dans le cas de la spectroscopie du 57Fe. Enfin, l’énergie cinétique des électrons émergeant à la surface de l’échantillon est corrélée à leur parcours dans celui-ci. Par conséquent, la sélection en énergie des électrons rétrodiffusés (méthode différentielle ou DECMS) permet de réaliser les spectres de couches atomiques dont la profondeur et l’épaisseur sont fonction respectivement de la perte d’énergie des électrons et de la résolution du dispositif de sélection en énergie. La faisabilité et l’intérêt de telles expériences ont été largement démontrés [7] ; il s’agit cependant de manipulations difficiles du point de vue technique et longues à cause du faible taux de comptage. De plus, leur interprétation est complexe du fait du régime non linéaire de la perte d’énergie des électrons dès leur origine ; il est donc nécessaire d’effectuer une déconvolution élaborée des contributions des couches successives. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER La technique DCEMS n’a donc que peu de chances de servir en Rayonnement Électrons Énergie (keV) sciences de l’ingénieur. Intensité Parcours (dans le fer) (nm) 10 15 x 103 M Photons γ 14,4 L K Noyau Électrons de conversion 14,4 keV Photons X Électrons Auger électrons qui sortent de l'atome M 14,3 L 13,6 K − 1 100 % 9 20 à 1300 7,3 80 10 à 400 Kα 6,3 24 15 x 103 Kβ 7,1 3 − L 0,7 ≈0 − K-L 5,4 56 6 à 200 L-M 0,5 54 1à2 électrons qui restent dans l'atome Figure 9 – Nature et caractéristiques des rayonnements secondaires produits après la désexcitation du niveau à 14,4 keV du fer 57 Haute tension T K (x ) 1,0 Fixation d'échantillon Échantillon 0,5 Thermocouple Anodes γ Fenêtre d'entrée Arrivée de gaz 0 0 50 100 150 200 x (nm) Figure 10 – Probabilité d’émergence T K(x ) à la surface d’un électron de conversion K du fer en fonction de la profondeur x de son origine [6] 2.2.3 Détecteurs d’électrons fonctionnant à 293 K La technique ICEMS à 293 K peut être mise en œuvre en utilisant un spectromètre Mössbauer conventionnel, analogue à celui décrit au paragraphe 2.1.2. La différence essentielle se situe au niveau du détecteur et du préamplificateur. La détection des électrons secondaires exclut toute fenêtre entre l’échantillon et le détecteur, car celle-ci absorberait le flux de ces particules. L’échantillon est alors monté dans l’enceinte même du détecteur ou, à la rigueur, couplé de façon étanche à celui-ci. Il existe essentiellement deux types de détecteurs d’électrons : les compteurs proportionnels et les cellules sous vide munies d’un multiplicateur tubulaire d’électrons (channeltron). Les électrons sont comptés avec une efficacité optimale à l’aide d’un compteur à circulation d’hélium d’environ 2 mm d’épaisseur ; un exemple en est présenté schématiquement sur la figure 11. Le flux gazeux doit circuler à une pression légèrement supérieure à la pression atmosphérique et contenir un gaz de coupure (méthane, butane...) dont la fraction molaire est comprise entre 1 et 10 %. Ce type de compteur présente en outre une efficacité minimale de détection des flux de rayons X et γ incidents et rétrodiffusés. L’augmentation du nombre de fils de capture du compteur conduit en Figure 11 – Schéma d’un compteur à flux gazeux utilisé pour la technique ICEMS général à un taux de comptage plus élevé. Le principe d’un compteur proportionnel repose sur le phénomène d’ionisation des molécules d’un gaz placées dans un champ électrique ; l’appareil délivre des impulsions dont l’amplitude est proportionnelle à l’énergie des particules qui le traversent. Toutefois, l’optimisation du fonctionnement d’un compteur à flux gazeux reste empirique ; elle correspond à une combinaison harmonieuse de facteurs tels que : nature du gaz de coupure, débit et pression du flux gazeux, paramètres géométriques de l’enceinte, nombre de fils de capture, valeur de la haute tension positive appliquée à l’anode (entre 1 et 2 kV), etc. L’obtention d’un spectre ICEMS à l’aide d’un compteur à 293 K présente cependant le même degré d’automatisme que l’acquisition d’un spectre en géométrie de transmission, une fois que le flux gazeux est stabilisé dans le temps. Le deuxième type de détecteur employé dans la technique ICEMS est constitué d’une cellule sous vide munie d’un multiplicateur tubulaire d’électrons (channeltron). Un exemple est présenté sur la figure 12. Pour un fonctionnement à la température ambiante, un vide de 10−2 Pa est suffisant dans la cellule ; toutefois, les channeltrons présentent l’inconvénient d’un angle solide de détection défavorable. En fait, l’emploi de ce type de détecteur n’est recommandé que pour des manipulations à température variable, en particulier à basse température. La technique DCEMS requiert l’emploi d’un analyseur d’électrons qui peut être de type magnétique ou électrostatique ; les électrons sélectionnés en fonction de leur éner- Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 9 SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER ___________________________________________________________________________________________________________ gie sont collectés par un channeltron. Les compteurs à flux gazeux peuvent également être adaptés à la sélection en énergie des électrons rétrodiffusés, mais le dispositif souffre alors d’une résolution faible. Bien que présentant un grand intérêt physique, il n’y a que peu d’installations de DCEMS en Europe ; à la suite de travaux de pionniers effectués en Allemagne, un dispositif fonctionne depuis 1990 en France au Centre d’Études Nucléaires de Grenoble. Échantillon Source Channeltron HT + 2.3 Autres techniques Mössbauer de réflexion Les autres techniques de réflexion utilisent les photons γ et les rayons X réémis qui, dans le cas du fer 57, ont des énergies respectives de 14,4 et 6,3 keV. Elles permettent d’analyser des épaisseurs superficielles de l’ordre de 15 µm et sont donc représentatives du cœur de l’échantillon. Elles trouvent leur intérêt lorsqu’il est vraiment impératif de ne pas détruire l’échantillon (œuvre d’art par exemple). La méthode la plus simple de détection des photons γ ou X rétrodiffusés utilise un détecteur conventionnel : compteur proportionnel à gaz scellé ou compteur à scintillations (figure 13). Après l’amplification du signal, l’énergie choisie est discriminée à l’aide d’un sélecteur monocanal. Il est alors nécessaire de blinder le détecteur par rapport au rayonnement incident pour abaisser le bruit de fond et également d’utiliser des matériaux de montage à bas numéro atomique pour éviter la production de rayonnements X de fluorescence. Figure 12 – Schéma d’un détecteur à channeltron utilisé pour la technique ICEMS Détecteur L’intensité relative d’effet (rapport : signal/ligne de base) est supérieure en géométrie de rétrodiffusion par rapport à la géométrie de transmission. Ainsi, dans le cas des électrons rétrodiffusés, bien que l’analyse soit restreinte à une couche superficielle fine, l’intensité relative est similaire à celle des mesures par diffusion des rayons X. La technique CEMS peut encore tirer parti d’un enrichissement isotopique, celui-ci étant nettement plus facile à réaliser en surface que dans la masse. L’augmentation de la surface de l’échantillon et de l’activité de la source diminuent également le temps de comptage. Écran X γ Source 2.2.4 Technique CEMS à différentes températures ■ Dans le domaine des hautes températures (> 293 K), l’utilisation des compteurs proportionnels à flux gazeux demeure toujours possible [8, 9]. Sans refroidir le compteur, on ne peut envisager de dépasser 600 K. Au contraire, avec refroidissement par circulation d’eau, il est possible d’atteindre des températures de l’ordre de 1 200 K. Les gaz utilisés sont alors essentiellement l’hélium, l’hydrogène et l’azote. Le risque encouru dans de telles expériences est évidemment de modifier la surface de l’échantillon étudié par réaction du gaz utilisé ou des éventuelles impuretés de celui-ci. Un petit nombre de dispositifs munis d’un channeltron ont également fait l’objet de publications [10]. ■ Dans le domaine des basses températures (< 293 K), les compteurs à flux d’hélium peuvent fonctionner jusqu’à 77 K ; au-dessous de cette température, ils ne sont plus utilisables. Au contraire, des appareils munis de channeltron ont réussi à fonctionner jusqu’à la température de l’hélium liquide. Dans les versions les plus simples de dispositifs qui utilisent ce genre de détecteurs d’électrons, l’échantillon et le détecteur sont fixés dans une petite cellule sous vide qui est elle-même immergée dans un réservoir d’azote ou d’hélium liquide [11]. Des dispositifs avec cryostat et channeltron ont également été conçus ; on a pu par exemple utiliser un cryostat à 4 K combiné avec un analyseur magnétique, les électrons réémis étant ainsi focalisés sur un channeltron à la température ambiante [12]. Échantillon Figure 13 – Montage expérimental en géométrie de diffusion pour la détection des photons X Pour la détection des photons X, on peut également utiliser des compteurs à gaz spécialement adaptés. Dans le cas du fer 57, de bons résultats sont obtenus avec des compteurs de 2 cm d’épaisseur où circule un mélange argon-méthane à une pression égale ou supérieure à la pression atmosphérique. Pour effectuer des comparaisons avec les mesures ICEMS, un même compteur à circulation gazeuse, d’environ 1 cm d’épaisseur, peut être utilisé alternativement pour la détection des rayons X et celle des électrons rétrodiffusés en remplaçant l’argon par l’hélium. Il est également possible de monter en série deux compteurs pour mesurer simultanément les spectres à l’aide des deux types de flux. Enfin, plus récemment, on a pu enregistrer à l’aide du même appareil les spectres obtenus en transmission (rayons γ) et en réflexion (rayons X et électrons) d’un même échantillon [13] ; la technique est alors désignée sous le signe STRMS (Simultaneous Triple Radiation Mössbauer Spectroscopy ). 2.4 Analyse des spectres à l’ordinateur Le spectre est généralement enregistré dans un analyseur multicanal (usuellement 512 canaux). Le spectre étant le résultat d’un comptage de N « coups » par canal, le contenu des canaux de l’analyseur est entaché de l’erreur statistique N correspondante (précision statistique de 1 % pour 104 coups, de 1 ‰ pour 106 coups). Il est acquis sur une période de mouvement (− vmax → + vmax et PE 2 600 − 10 Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER + vmax → − vmax ), ce qui donne deux spectres symétriques, qui sont ensuite repliés l’un sur l’autre par rapport au canal milieu. Cette opération, effectuée par ordinateur, élimine la distorsion de la ligne de base due à la variation de la distance source-détecteur au cours du mouvement (variation d’angle solide). Le spectre expérimental est ajusté à l’ordinateur à l’aide de spectres théoriques par une méthode de moindres carrés. Ces spectres théoriques sont générés par diagonalisation du hamiltonien hyperfin total, qui fournit les énergies et intensités des raies de transition, puis par habillage des raies par des lorentziennes. Les paramètres d’ajustement sont les paramètres hyperfins. Les échantillons cristallins présentent un nombre défini de sites cristallographiques. En revanche, les échantillons amorphes ou mal cristallisés présentent des distributions de sites dues à des environnements différents qui conduisent à des spectres Mössbauer présentant des raies larges. Pour un échantillon magnétique, le spectre expérimental résulte d’une superposition intégrale de sextuplets élémentaires. Dans l’hypothèse où seul le paramètre induction magnétique B est distribué, l’ajustement du spectre expérimental fournit la densité de probabilité d’avoir les différentes inductions B, appelée distribution P (B ) (c’est-à-dire les intensités relatives des différents sextuplets élémentaires). Différentes méthodes de déterminations de P (B ) sont utilisées, par exemple en développant P (B ) sur un ensemble de fonctions trigonométriques ou en remplaçant la somme intégrale par un nombre fini de termes. 3. Applications de l’effet Mössbauer locale du site de l’atome résonnant et l’arrangement autour de cet atome, y compris dans des problèmes de rotation moléculaire et de transition de spin. Elle a, par exemple, permis de déterminer la structure cristallographique de la phase Fe3(CO)12 à partir des différentes solutions compatibles avec les résultats de diffraction de rayons X. Le dopage en 57Fe de composés tels que les nouveaux supraconducteurs à haute température critique a permis de caractériser les différents sites de cuivre de ces structures (état d’oxydation, rôle de la concentration en oxygène...). 3.1.2 Oxydation. Corrosion Les surfaces de solides sont un important domaine d’études en SM, surtout depuis le développement du CEMS. Un des avantages de la SM est son caractère non destructif et la possibilité d’étude des composés amorphes. Les spectres CEMS sont particulièrement adaptés à l’étude de fines couches de surface (de 1 à 1 000 nm). Des couches plus épaisses (de 5 à 50 µm) peuvent être étudiées par géométrie de diffusion en détectant les rayons X réémis. On obtient alors des spectres Mössbauer d’émission X. La SM par transmission est utilisée quand la couche de surface peut être sélectivement isolée du reste de l’échantillon. De nombreuses études ont été en particulier consacrées à l’oxydation et à la corrosion d’alliages de fer et d’aciers dans différentes atmosphères et aux revêtements chimiques de surface, qui sont utilisés pour produire la résistance à la corrosion [16]. À titre d’exemple, la figure 14 montre l’identification des produits de corrosion d’un aimant permanent ND-Fe-B oxydé à 400 °C. La détermination des pourcentages de phases permet d’accéder à la cinétique d’oxydation et, par conséquent, d’optimiser les conditions de préparation ou les éléments d’addition pour diminuer cette corrosion [17]. Une vue d’ensemble des domaines d’application industrielle peut être consultée dans [1]. 3.1.3 Catalyse hétérogène 3.1 Applications chimiques 3.1.1 Analyse chimique. Détermination de la valence du fer Dans un matériau, la SM permet de mettre en évidence un élément possédant un isotope Mössbauer. Pour le fer naturel, la limite pratique de détection est de l’ordre de quelques pour-cent en masse. Pour des composés ne contenant que l’isotope Mössbauer 57Fe, cette limite de détection est divisée par 50, permettant par exemple des études fines de fer en impureté ou des caractérisations de monocouches atomiques de fer dans des composés multicouches. Le spectre expérimental est la somme des contributions des différentes phases contenant les atomes résonnants, qui sont identifiées à partir des données des paramètres hyperfins fournies par la littérature [14] et/ou par utilisation conjointe d’autres techniques telles que les techniques de diffraction. On peut donc déterminer de manière non destructive la nature et la concentration des différentes phases contenant les atomes résonnants. Les états d’oxydation et la structure électronique (état haut spin ou bas spin [5]) peuvent être déterminés à partir des données de déplacement isomérique (cf. figure 4) et de séparation quadripolaire. Par exemple, le dosage Fe2+/Fe3+ de fer dilué enrichi en 57Fe dans un verre industriel (≈ 1 000 ppm masse de fer) par SM est en bon accord avec une méthode destructive de dosage chimique [15]. L’utilisation du paramètre déplacement isomérique permet de plus une estimation de la covalence des liaisons qui, pour le fer, conduit à une diminution de δ. L’utilisation chimique du paramètre séparation quadripolaire donne des informations sur la symétrie La spectrométrie Mössbauer est très utilisée dans les recherches en catalyse hétérogène, où sont mis en jeu des solides dont la complexité et l’état de division gênent souvent la caractérisation par des méthodes plus conventionnelles. C’est une technique spécialement intéressante car elle permet l’étude de catalyseurs in situ dans les conditions typiques de température, pression et environnement gazeux des réactions catalytiques, ce qui est important car les catalyseurs solides ont des surfaces et des structures très sensibles à leur environnement. Les cellules d’études in situ permettent des mesures à température et champ magnétique appliqué variables. Plusieurs centaines de références sont disponibles dans une bibliothèque automatisée [18] et de nombreux articles de synthèse ont été publiés [19, 20] [21] et [23]. Les isotopes concernés sont le fer et l’étain, qui sont faciles à mettre en œuvre et qui sont des composants majeurs de nombreux catalyseurs industriels, mais aussi Sb, Co, Eu, Ir, Au, Pt, Ru... Les catalyseurs ne contenant pas d’atomes Mössbauer peuvent être dopés avec un isotope Mössbauer ou avec un isotope parent radioactif. Le paramètre déplacement isomérique permet d’accéder à la nature et à la proportion des états d’oxydation cationiques et au caractère de la liaison chimique dans le catalyseur. Le paramètre séparation quadripolaire permet de caractériser les propriétés structurales du catalyseur, la distribution de charge électronique autour des espèces de surface et les effets liés au dopage par des atomes étrangers dans le but d’améliorer les performances catalytiques. Les paramètres hyperfins magnétiques permettent d’étudier la nature de l’ordre magnétique et les interactions entre phases dans le catalyseur. Les changements dans le catalyseur dus à l’absorption de gaz sont facilement détectés et les résultats peuvent être reliés à la formation de complexes de surface et à la modification de la structure catalytique. Les études concernent principalement l’explication des propriétés catalytiques à partir de l’identification des composants du catalyseur, dans des systèmes polymétalliques supportés (Pt-Sn/Al2 O3, Fe-Pt/C, Fe-Pt/Al2 O3, Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 11 SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER ___________________________________________________________________________________________________________ Fe-Pt/SiO2...) ou des catalyseurs oxydes mixtes à base d’étain, d’antimoine et/ou de fer. De nombreuses études sont consacrées à la chimisorption, qui est l’étape chimique la plus importante en catalyse, afin de déterminer la nature des sites absorbants et la liaison des réactants (par exemple sur les zéolithes ferreux ou la chimisorption de l’hydrogène sur fer supporté ou sur nickel). Les études de catalyseurs pendant les réactions catalytiques, par exemple dans les réactions d’hydrodésulfuration ou les synthèses de Fischer-Tropsch, ont permis d’étudier le catalyseur en présence des réactants à la température de réaction ou à température ambiante après un refroidissement rapide qui permet de conserver le mélange réactif. 3.1.4 Applications à la chimie de coordination J. Teillet souhaite remercier François Varret, Professeur à l’Université de Paris VI, pour l’aide apportée dans la rédaction du paragraphe Chimie de coordination et pour la lecture de son manuscrit. Le caractère local de la sonde Mössbauer est très adapté à l’observation de la structure électronique des complexes moléculaires du fer, de l’étain ou d’autres atomes Mössbauer : état de valence, covalence, état de spin, localisation électronique... Des exemples récents et variés sont rassemblés dans les références [5] [24]. Au-delà d’une analyse qualitative des paramètres Mössbauer, déplacement isomérique et séparation quadripolaire, en particulier d’une éventuelle dépendance en température de l’interaction quadripolaire traduisant un état électronique de « couche ouverte », l’interprétation des grandeurs hyperfines mesurées s’est d’abord faite dans le cadre de modèles semi-empiriques permettant de caractériser les différentes liaisons chimiques impliquant l’atome Mössbauer. Des modèles plus actuels sont basés sur des calculs d’orbitales moléculaires conduisant à un excellent accord avec les données expérimentales, notamment dans le cas de complexes sandwiches du fer « réservoirs d’électrons » [25]. Les spectres des solides moléculaires sont en général dépourvus d’interactions hyperfines magnétiques. Il est judicieux d’appliquer, à basse température, un champ magnétique extérieur de quelques teslas, afin de mettre en évidence l’apparition d’un champ hyperfin induit par le caractère éventuellement paramagnétique du complexe. La densité de spin sur les atomes de fer (et par différence sur les ligands) peut être déterminée dans des cas simples (spin 1/2). Il existe des modèles plus sophistiqués (hamiltonien de spin) pour les grands spins et les complexes à plusieurs spins. La méthode a été appliquée à de nombreux complexes modèles de protéines ou d’enzymes, afin d’élucider leur structure électronique et leur fonctionnement. Figure 14 – Spectres Mössbauer à température ambiante de la surface d’un aimant permanent Nd-Fe-B massif oxydé à 400 °C pendant 29 jours : avant polissage (a) et à différents stades de polissage (b, c, d ) [17] PE 2 600 − 12 À titre d’exemple, les complexes de Fe II et Fe III à conversion de spin sont des composés présentant une transition d’état de spin. La transition provient du fait que l’ion peut adopter différentes configurations électroniques dans l’état fondamental en fonction de la balance entre l’énergie de champ cristallin et l’énergie d’appariement des spins. L’évolution avec la température et, dans quelques cas, la dynamique de la conversion de spin ont été étudiées quantitativement [22]. La transition peut être induite non seulement par la température, mais aussi par l’exposition à la lumière et peut conduire au changement de couleur de l’échantillon. Un autre exemple simple concerne les complexes du fer à valence mixte Fe II, Fe III dérivés du biferrocenium. La localisation électronique dans les valences mixtes moléculaires a été étudiée dans de nombreux complexes solides, notamment des sels dérivés du cation biferrocenium. La figure 15 présente les spectres mettant en évidence une transition de l’état localisé à l’état délocalisé dans le cas d’un complexe symétrique à valence mixte [26] : la phase haute température, désordonnée, donne des spectres caractéristiques d’un état moyen de valence ; les spectres basse température permettent d’identifier les états Fe II, Fe III, caractéristiques du piégeage Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER « statique » de l’électron sur l’un des sites de fer. Les spectres intermédiaires traduisent l’affaiblissement progressif des effets coopératifs et non pas l’accélération du taux de transfert avec la température. 3.2 Applications physiques Les études physiques des matériaux par effet Mössbauer utilisent la propriété qu’a le noyau sonde d’être un observateur vigilant de son environnement. Les principales données accessibles par SM ont été récapitulées au paragraphe 1.3.6. 3.2.1 Propriétés magnétiques des matériaux Pour un composé magnétiquement ordonné, la spectrométrie Mössbauer permet de déduire la valeur du champ magnétique agissant sur le noyau. Dans le cas d’un seul site magnétique, il est mesuré à partir de la distance des pics extrêmes du spectre à six raies. Lorsque le matériau présente une distribution de champ interne, celle-ci peut être calculée à l’ordinateur (§ 2.4) et ensuite être interprétée. La température de transition magnétique est déterminée de la façon suivante : on fait varier la température de l’échantillon et lorsque celui-ci cesse d’être magnétiquement ordonné, la ou les structures en six pics disparaissent et le spectre ne présente plus alors qu’une raie centrale à un ou deux pics, suivant qu’il existe ou non un effet quadripolaire. L’enregistrement de spectres en fonction de la température permet également de vérifier si le champ hyperfin suit ou non une loi de Brillouin comme l’aimantation. La nature du couplage magnétique peut également être déterminée par effet Mössbauer [2]. La méthode consiste à mesurer la valeur moyenne 〈cos2 β〉 (où β désigne l’angle entre le champ magnétique interne et la direction des rayons γ) en l’absence puis en présence d’un champ extérieur appliqué. Par exemple, dans un matériau ferrimagnétique, le spectre comporte au minimum 12 pics correspondant à deux champs internes inégaux. Lorsqu’on applique un champ extérieur, la valeur de 〈cos2 β〉 augmente pour les deux sous-réseaux, ce qui se traduit par une diminution de l’intensité relative des deuxième et cinquième pics. De plus, le champ résultant au noyau diminue pour un sous-réseau et augmente pour l’autre, ce qui se répercute sur la distance des pics extrêmes. Enfin, les spectres réalisés sous champ appliqué permettent d’apprécier l’écart éventuel à une structure colinéaire des spins. Dans le domaine des surfaces et des films minces, la détermination des directions d’aimantation peut se faire, comme pour les études en volume, grâce à l’intensité relative des pics Mössbauer. L’intérêt est alors capital pour les matériaux candidats à l’enregistrement magnétique. En général, pour les films de fer très minces (en dessous de quelques dizaines de nanomètres), le champ magnétique reste dans le plan du film ; les intensités relatives des raies du spectre sont alors comme les nombres 3, 4, 1, 1, 4, 3. Lorsque les films présentent des sous-structures colonnaires dues au mode de préparation, l’orientation de l’aimantation se trouve aussi gérée par l’axe des colonnes ; pour les épaisseurs supérieures à quelques dizaines de nanomètres, le champ quitte le plan de la lame et se trouve alors incliné dans le film d’un angle qui peut être déterminé en moyenne (§ 3.2.6). 3.2.2 Métallurgie physique Ce paragraphe concerne l’analyse des phases et des changements de phases dans les alliages de fer, en particulier les aciers et les alliages des systèmes Fe-Al, Fe-Ni, Fe-Co, Fe-Cu, Fe-Cr, Fe-Si, Fe-B... L’effet Mössbauer a permis d’y étudier les phénomènes métallurgiques fondamentaux que sont la précipitation et les transitions ordre-désordre atomique. Figure 15 – Spectres Mössbauer du diéthyl biferrocenium I et variation thermique des séparations quadripolaires Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 13 SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER ___________________________________________________________________________________________________________ Les phases des systèmes Fe-C et Fe-N sont aujourd’hui bien connues et répertoriées [27]. Cependant, il existe des différences notables entre les échantillons massifs et les films minces. De même, les interactions hyperfines, mesurées à la température ambiante et à basse température, des carbures et des nitrures sont répertoriées et les tableaux correspondants peuvent être consultés et servir à une identification de phase. Celle-ci est particulièrement simple dans le cas d’un système biphasé martensite-austénite ; la martensite est révélée par un spectre à six raies tandis que l’austénite, qui est paramagnétique à la température ambiante, apparaît comme une superposition de doublets correspondant aux divers environnements de carbone ou d’azote. D’une manière plus générale, l’effet Mössbauer a beaucoup été utilisé pour mesurer le rapport austénite/martensite dans divers problèmes d’intérêt métallurgique ; les expériences ont porté par exemple sur la détermination de ce rapport au cours d’expériences de déformation plastique dans les aciers. Les phénomènes de précipitation ont été étudiés en particulier dans les aciers maraging qui contiennent des additions de Ni, Co et Mo. La nature des précipités, les cinétiques de leur croissance ainsi que la dépendance de ces paramètres avec la composition, ont pu être déterminées. Il s’est avéré que Ni et Co avaient pour effet d’augmenter le champ hyperfin moyen et la largeur des raies de résonance ; par suite, les principaux effets observés pendant les traitements thermiques ont pu être associés à la redistribution de Mo dans la matrice [28]. La précipitation a également été étudiée dans le système Fe-Cu, de même que la décomposition spinodale dans le système Fe-Cr. Les phénomènes d’ordre atomique ont fait l’objet d’investigations dans les systèmes Fe-Ni, Fe-Al, Fe-Co, Fe-Si, Fe-Ga, Fe-Rh... La moisson de résultats a été particulièrement riche dans les deux premiers. Le système fer-nickel présente deux types d’ordre : L12 au voisinage de la composition Ni3Fe et L10 au voisinage de NiFe (figure 16). Si le premier a été découvert depuis très longtemps (première moitié du siècle), le second n’est connu que depuis les années soixante. Les températures critiques sont respectivement 510 et 320 °C. Au voisinage de la composition Ni3Fe, l’effet Mössbauer a permis de déterminer l’ordre de la transformation. D’une manière plus générale, il a permis une investigation approfondie du diagramme de phase Fe-Ni entre 20 et 30 % at. de fer, en montrant l’existence d’une zone étroite d’hystérésis et d’un domaine biphasé (ordre-désordre) dont l’étendue dépend de la concentration [29]. Le domaine de composition 30 à 40 % at. de nickel correspond aux Invars qui, présentant des propriétés magnétiques inhabituelles, ont maintenant reçu de nombreuses applications. À la composition équiatomique, la mise en ordre est extrêmement lente, mais peut être accélérée par des irradiations aux neutrons ou aux électrons sous champ magnétique appliqué. Là encore, l’effet Mössbauer a permis d’analyser les phases en présence et de déterminer l’orientation de l’aimantation dans les monocristaux. Le diagramme de phase du système Fe-Al se révèle complexe ; on y trouve les phases suivantes : FeAl3, Fe4Al13, Fe2Al5, FeAl2, FeAl, Fe3Al et, dans ces deux dernières, l’ordre atomique B2 et DO3 respectivement (figure 16). La surstructure B2 se situe sensiblement entre 38 et 50 % at. d’aluminium et il n’est pas possible de figer le désordre atomique même par les techniques de trempe ultrarapides. À la température ambiante, il n’y a pas de moment magnétique associé aux atomes de fer et, par suite, le spectre Mössbauer ne présente qu’une seule raie. Le désordre chimique ne peut être obtenu que grâce à des traitements extrêmes, comme le broyage ou l’implantation ionique [30] ; le spectre Mössbauer est alors constitué d’une raie centrale paramagnétique et d’un sextet magnétique ; ce dernier est attribué au rapprochement des atomes de fer qui se produit pendant la mise en désordre. La surstructure DO3 observable au voisinage de 25 % at. Al comporte deux sous-réseaux A et D. Dans Fe3Al, les atomes de fer portent des moments magnétiques qui valent respectivement 1,46 et 2,14 µB (µB : magnéton de Bohr) sur les sites A et les sites D, de sorte qu’a température ambiante le spectre Mössbauer indique deux séries de six raies (figure 17). Le champ PE 2 600 − 14 au noyau du fer 57 se trouve égal à 21 T pour les sites A et à 29,4 T pour les sites D ; il apparaît alors une assez bonne proportionnalité entre les moments magnétiques et le champ hyperfin. Le rapport des intensités des deux sextets formant le spectre est approximativement 2, en accord avec les populations respectives des sites A et D. Dans le domaine de la métallurgie appliquée, l’effet Mössbauer trouve actuellement une voie importante dans l’étude des traitements de surface ; on citera en particulier la galvanisation des aciers où il est possible d’analyser les phases formées en surface et de déterminer leur cinétique de croissance. L12 L10 Fe Ni Ni Fe DO3 B2 Al Fe Al Fe Figure 16 – Surstructures dans les alliages métalliques Transmission relative 1,02 0,98 0,94 0,90 0,86 −8 −4 0 4 8 Vitesse (mm/s) Figure 17 – Spectre Mössbauer à la température ambiante de l’alliage ordonné à longue distance Fe3Al Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER 3.2.3 Implantation ionique Comme mentionné au paragraphe 2.2.1 la technique CEMS est parfaitement bien adaptée aux études d’implantation ionique. L’implantation d’azote dans les aciers améliore les propriétés mécaniques. Les travaux ont porté, d’une part, sur l’analyse de la zone implantée et, d’autre part, sur la détermination des propriétés tribologiques, sans que le lien entre les deux ait été toujours bien établi. Cependant, il est clair que l’implantation d’azote améliore la résistance à l’usure de certains aciers dans des cas bien spécifiques. La spectrométrie Mössbauer est intervenue ici pour déterminer le pourcentage des phases austénitique et martensitique ainsi que pour identifier les carbures, nitrures et carbonitrures formés au cours de l’implantation ionique elle-même ou de recuits ultérieurs. L’implantation ionique a permis également de réaliser des transformations de phase spectaculaires dans certains matériaux. Les exemples suivants concernent des cas où l’effet Mössbauer a apporté une contribution particulièrement significative. Il est tout d’abord possible d’amorphiser des métaux et des alliages par implantation directe ; c’est en particulier le cas pour les ions Fe+ implantés dans Ti et Ni50Ti50 [32]. Une autre façon de constituer des matériaux amorphes consiste à réaliser le mélange ionique de bicouches ou de multicouches préalablement préparées ; on peut citer, dans ce domaine, les systèmes Ti/Fe et Zr/Fe. De même, l’implantation ionique permet d’induire des transformations martensitiques dans les métaux. Un exemple particulièrement frappant est la transformation cfc → cc qui se produit dans les aciers inoxydables 304, 316, etc. La phase initiale est non magnétique et se traduit sur le spectre par une raie centrale tandis que la phase transformée est ferromagnétique et se traduit par un sextuplet (figure 18). Ici la technique CEMS a permis de déterminer le rapport ferrite ou martensite/austénite en fonction de la nature et du flux des ions incidents [33]. Effet Mössbauer (%) 116,0 111,8 107,5 103,3 99,0 −8 −4 0 4 8 Vitesse (mm/s) Figure 18 – Spectre ICEMS à la température ambiante de l’acier inoxydable 304 implanté avec des ions He+ de 8 keV à la dose de 9,4 x 1021 ions/m2 [33] 3.2.4 Matériaux magnétiques La SM est une technique de choix pour l’étude fondamentale du magnétisme. Conjuguée avec les techniques d’aimantation macroscopique, elle permet d’accéder à la connaissance des différents sous-réseaux magnétiques. Dans les ferrites spinelles, on peut ainsi accéder à la distribution cationique [34]. Ces dernières années, de nombreuses publications ont été consacrées aux matériaux magnétiques à propriétés verre de spin, c’est-à-dire dont les moments magnétiques se gèlent dans des directions aléatoires au-dessous d’une certaine température. Les matériaux magnétiques cristallisés à intérêt industriel sont généralement à base de fer et ont été étudiés extensivement par SM, en particulier les matériaux pour aimants permanents (alnico, ferrites, aimants à base de métal de transition-terre rare). La spécificité de la SM tient à sa qualité de sonde locale qui permet d’étudier séparément les différents sous-réseaux magnétiques de fer, en particulier l’arrangement des moments magnétiques (5 sites de fer dans les hexaferrites de Ba ou Sr, 6 sites de fer dans la phase magnétique Nd2 Fe14B) afin de pouvoir contrôler et optimiser les propriétés, en particulier l’anisotropie magnétocristalline. Dans les aimants industriels Nd-Fe-B, la phase magnétique majoritaire est Nd2Fe14B ; la détermination des sites privilégiés de substitution pour différents éléments a permis d’expliquer l’optimisation des propriétés magnétiques par addition de Co, Dy, Al... De nombreuses études ont été aussi consacrées à l’hydrogénation de ces aimants qui, par suite de l’expansion du réseau, améliore leurs propriétés magnétiques. 3.2.5 Alliages amorphes. Verres métalliques L’état amorphe est un état métastable caractérisé à longue distance par le désordre topologique, mais où un certain ordre à courte distance est préservé. Un tel état peut être observé aussi bien pour des composés métalliques, ioniques ou semiconducteurs. L’absence de périodicité fait que la SM, technique locale, est bien adaptée à l’étude des propriétés physiques car elle voit séparément chaque site d’atome résonnant et permet d’accéder à la distribution des différents sites du composé amorphe. Les alliages métalliques amorphes présentent une importance technologique liée à la combinaison de propriétés exceptionnelles : propriétés de résistance à la corrosion et à l’usure, électriques (résistivité élevée, variation thermique faible), magnétiques (aimantation élevée, mobilité des parois, champ coercitif petit ou grand). Ces propriétés sont facilement modulables par modification continue de la composition. De plus, la fabrication usuelle par hypertrempe des alliages en rubans minces (quelques dizaines de micromètres d’épaisseur) est très peu onéreuse. De nombreux travaux ont été consacrés à l’étude de l’ordre structural local, des propriétés magnétiques (en particulier de la texture magnétique) et du processus de cristallisation (relaxation structurale et dévitrification) qui est d’une importance fondamentale pour l’application de ces matériaux intrinsèquement métastables. Dans l’état paramagnétique, les spectres sont constitués d’un doublet à raies élargies, souvent dissymétrique (figure 19 a ) et, dans l’état magnétiquement ordonné, de six raies élargies (figure 19 b ), résultant de l’existence de distributions des différents paramètres hyperfins. Les alliages amorphes métal de transition-non-métal (appelés verres métalliques) sont généralement des matériaux ferromagnétiques doux, alors que, dans les amorphes métal de transition-terre rare, la forte anisotropie locale conduit à des matériaux magnétiques durs à structures magnétiques souvent non colinéaires, qui peuvent être déterminées par SM sous champ magnétique intense (§ 1.3.3). Dans de très nombreux milieux amorphes, une similitude prononcée de l’ordre local (concernant les premières couches d’atomes proches voisins) avec les phases cristallisées de composition voisine a été démontrée. L’étude des distributions de champ d’un alliage Y1−x Fex [36] (figure 20) met en évidence deux zones correspondant à des atomes de fer respectivement non magnétiques et magnétiques. Ce résultat peut être interprété à partir de la statistique d’environnements dans Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 15 SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER ___________________________________________________________________________________________________________ Figure 19 – Spectres Mössbauer et distributions de paramètres hyperfins de l’alliage amorphe Fe80Er4B16 [35] un modèle d’empilement compact. L’étude par SM de la texture magnétique de rubans amorphes permet de caractériser les PE 2 600 − 16 Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER contraintes mécaniques liées à la coulée. Les multicouches magnétiques sont des matériaux récents, très prometteurs pour l’enregistrement magnéto-optique perpendiculaire (enregistrement haute densité). Ces multicouches sont constituées d’un empilement alterné de quelques monocouches (de l’ordre du nanomètre) d’au moins deux constituants A et B, formant ainsi une structure sandwich A / B / A / B... Elles présentent, par rapport aux alliages correspondants, une plus grande facilité d’ajustement des propriétés magnétiques, notamment liée au rôle des propriétés d’interface A / B. La SM permet de caractériser microscopiquement l’état structural et magnétique des phases et interfaces contenant l’atome résonnant, en particulier la direction d’aimantation. L’insertion dans ces structures de monocouches de 57Fe permet d’explorer les propriétés de la multicouche, couche atomique par couche atomique et, par conséquent, de manière séparée, les propriétés de cœur ou d’interface de ces matériaux. L’étude en SM de multicouches fer-terbium [42] montre que le fer est dans l’état amorphe pour une épaisseur inférieure à 2,2 nm, puis dans l’état cristallisé cubique centré pour des épaisseurs supérieures (figure 23). L’interface reste amorphe et concerne environ 0,5 nm de fer (figure 23 d ). Les intensités relatives des raies sont caractéristiques d’une anisotropie magnétique perpendiculaire au voisinage d’une épaisseur de fer de 10 nm. L’utilisation de monocouches sondes 57Fe a permis de montrer que les interfaces Fe/Tb sont différentes des interfaces Tb/Fe [43]. 3.3 Applications minéralogiques L’effet Mössbauer a reçu de nombreuses applications pour l’étude des substances minérales naturelles, qu’elles soient d’origine terrestre, lunaire ou encore en provenance de météorites. Des informations pétrographiques de première importance découlent de ces études qui permettent en particulier de préciser l’histoire des roches ou des sédiments. Le trait d’union entre les paragraphes 3.2 et 3.3 se situe au niveau de la métallurgie extractive. Figure 20 – Spectres Mössbauer d’alliages amorphes Y1−x Fex à 1,6 K et distributions d’induction hyperfine correspondantes [36] La relaxation structurale liée à la métastabilité se manifeste par un accroissement du champ magnétique hyperfin et une variation de la température de Curie (qui peut être déterminée en SM par la méthode dite du scan thermique [37]. Ces résultats sont interprétés par une réduction du volume libre en excès et par le changement de l’ordre à courte distance [38]. L’étude de la cristallisation par SM permet de déterminer la séquence de cristallisation, la nature et le pourcentage des composés formés (figure 21). Dans les composés ioniques FeF3 et AFeF4 (A = alcalin), la comparaison du déplacement isomérique des formes cristallisée ou amorphe montre que l’environnement de Fe3+ est le même, à savoir octaédrique. Le spectre Mössbauer sous champ appliqué de l’état magnétiquement gelé est caractéristique d’une structure spéromagnétique (distribution isotrope des moments magnétiques (figure 22). 3.2.6 Films minces et multicouches magnétiques Les couches minces ont de nombreuses applications, par exemple dans le domaine des capteurs et de l’enregistrement magnétique. Par les techniques de préparation (pulvérisation, évaporation...), on peut généralement augmenter le domaine d’existence des alliages cristallisés et donc accéder à de nouvelles propriétés. Leur étude par SM se rattache aux paragraphes 3.2.4 ou 3.2.5 suivant que leur structure est cristalline ou amorphe. 3.3.1 Oxydes de fer. Métallurgie extractive Pratiquement tous les minerais d’intérêt industriel contiennent du fer, le plus souvent sous forme d’oxydes ou d’oxydes hydratés. L’oxyde le plus répandu est l’hématite de formule chimique α-Fe2O3. Lorsqu’elle est pure et massive, le champ hyperfin à la température ambiante vaut 51,8 T et le déplacement isomérique 0,39 mm/s par rapport au fer α. Si la cristallinité est médiocre ou si le fer est substitué par de l’aluminium, on observe une diminution du champ. De plus, si les particules d’hématite sont de petite taille (< 10 nm), le caractère superparamagnétique du matériau se manifeste par la présence d’un doublet dissymétrique au centre du spectre (§ 1.3.4) ; il s’avère donc que la spectrométrie Mössbauer est ici capable de renseigner sur la taille des particules. Les autres oxydes de fer sont la magnétite Fe3O4, la maghémite γ-Fe2O3 et la wustite FeO. Dans le domaine des hydrates, le matériau le plus répandu est la goethite αFeOOH. Il a une couleur jaune et une température de Néel de 393 K en dessous de laquelle il est antiferromagnétique ; le champ hyperfin à la température ambiante vaut 38,2 T. Les raies du spectre Mössbauer sont cependant élargies de manière dissymétrique surtout lorsque la cristallinité du matériau est mauvaise ; comme l’hématite, la goethite présente le phénomène de superparamagnétisme. Les paramètres Mössbauer des principaux oxydes et hydroxydes de fer sont répertoriés dans la référence [44] qui peut être consultée pour l’identification d’un matériau. Dans le cas des minerais de fer, l’effet Mössbauer autorise la détection et le dosage des différentes phases de fer et de plus permet de suivre leur évolution au cours des traitements. Par exemple, la taconite révèle la coexistence d’hématite, de goethite et de sidérite (FeCO3) dans des proportions qu’il est possible d’établir. La connaissance des phases et de l’état d’oxydation du fer peut servir à Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 17 SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER ___________________________________________________________________________________________________________ Figure 21 – Variation de la résistance électrique réduite et évolution des spectres Mössbauer avec la température pour un alliage Fe76Si9B15 [39] Figure 22 – Spectres Mössbauer de composés amorphes fluorés [40, 41] PE 2 600 − 18 Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER choisir la méthode d’enrichissement et en particulier le traitement de réduction. Grâce à l’effet Mössbauer, le rapport Fe3+ / Fe2+ peut être évalué à chaque étape et, en fin de traitement, les spectres permettent de chiffrer les pertes d’oxygène. En dehors de ses propres minerais, le fer constitue un des éléments à éliminer au cours du traitement d’extraction ; c’est en particulier le cas des bauxites naturelles. Ici les spectres Mössbauer donnent la concentration relative de chaque composé de fer, le taux de substitution des oxydes ou hydroxydes mixtes et la qualité de la cristallisation ; enfin le taux de fer dans les bauxites est un facteur qui entre en jeu dans le calcul de la rentabilité d’une exploitation. 3.3.2 Étude des silicates. Mesure du rapport Fe2+ / Fe3+ Les premières applications de l’effet Mössbauer à la minéralogie des silicates (biotite, olivine, épidote, bronzite, augite, actinote, tourmaline) datent de 1962 ; en 1980, on comptait déjà plus de 200 spectres publiés concernant seulement les phyllosilicates. On présentera ici les spectres Mössbauer des micas. La structure des micas est formée d’un empilement de couches T-M-T-K-T-M-T... où T désigne la couche tétraédrique, M la couche octaédrique et K la couche interfoliaire. La couche octaédrique est constituée de cations situés au centre d’octaèdres ; elle comporte deux types de sites appelés respectivement M (1) et M (2). Cependant, les sites sont généralement distordus. Un exemple typique de spectre Mössbauer de mica ferromagnésien est présenté sur la figure 24. Celle-ci met en évidence les contributions au spectre des ions Fe2+ et Fe3+, les premières présentant les éclatements quadripolaires et les déplacements isomériques δ les plus grands. À titre indicatif, pour les biotites, la valeur de δ est voisine de 1,1 mm/s pour Fe2+ et de 0,5 mm/s pour Fe3+. L’attribution des doublets quadripolaires aux sites cristallographiques est quelquefois controversée ; toutefois, dans les micas, le doublet Fe2+ interne est en général attribué au site M (1) et le doublet Fe2+ externe au site M (2). De plus, l’éclatement quadripolaire de Fe2+ varie en fonction de la composition chimique du matériau, celui-ci peut atteindre ou dépasser 3 mm/s. On peut obtenir par ce biais des renseignements sur les taux de substitutions cationiques et anioniques. Enfin, le rapport Fe2+/Fe3+ peut être déduit de la mesure des aires des contributions respectives au spectre. Dans de nombreux minéraux argileux, on trouve également du fer, principalement sous forme d’oxydes ou d’hydroxydes, se présentant en agglomérats ou encore localisé entre deux feuillets ; c’est en particulier le cas des kaolins qui sont largement utilisés dans l’industrie papetière et la fabrication des céramiques. Ici la spectrométrie Mössbauer permet de réaliser Figure 23 – Spectres CEMS à température ambiante de quelques multicouches de terbium-fer : évolution en fonction de l’épaisseur de fer [42] Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 19 SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER ___________________________________________________________________________________________________________ l’analyse des phases et de déterminer la taille des particules d’oxyde. vitesse de refroidissement qui est typiquement de l’ordre de 1 K par million d’années [46]. 3.4 Autres applications : biologie, archéologie, beaux-arts Figure 24 – Spectre Mössbauer typique d’un mica ferromagnésien 3.3.3 Autres minéraux. Météorites Un grand nombre de minéraux ne contiennent pas assez de fer pour être ferromagnétiques à la température ambiante ; le spectre Mössbauer se présente alors sous la forme d’un doublet qui est caractérisé par son déplacement isomérique δ et son écart quadripolaire ∆EQ. On peut citer, par exemple, la sidérite FeCO3 (δ = 1,20 mm/s, ∆EQ = 1,80 mm/s), la jarosite M Fe3 (OH)6 (SO4)2 avec M = Na+, K+... (δ = 0,43 mm/s et ∆EQ = 1,20 mm/s), la wolframite FexMn1−xWO4, (δ = 1,10 mm/s et ∆EQ = 1,51 mm/s) la pyrite FeS2 (δ = 0,31 mm/s et ∆EQ = 0,61 mm/s). De tels minéraux sont facilement identifiables grâce à leur spectre Mössbauer relevé à la température ambiante. On peut ainsi analyser, par exemple, les inclusions minérales de fer dans les charbons ; les résultats servent alors à optimiser les différents stades du processus d’exploitation. Au début des années soixante-dix, les minéraux lunaires ont pu être étudiés grâce aux différentes missions Apollo et Luna. Le caractère non destructif de l’effet Mössbauer, et plus particulièrement celui des techniques de réflexion, a été dans ce cas très apprécié. On a ainsi pu montrer que les principaux constituants de la poussière lunaire étaient les plagioclases, les pyroxènes ainsi que l’ilménite et l’olivine. Le sol lunaire a également révélé la présence de fer métallique sous forme de petites particules ferromagnétiques ou superparamagnétiques ; dans ce dernier cas, on a pu conclure à des tailles de particules inférieures à 4 nm. Les matériaux des météorites ont également été analysés par effet Mössbauer ; on présente ici les résultats obtenus sur les météorites fer-nickel car ce système a déjà été abordé au paragraphe 3.2.2. Ce type de météorite contient souvent deux phases appelées « kamacite » et « taenite » ; cette dernière comporte une phase ordonnée à longue distance Fe-Ni équiatomique et une phase désordonnée cfc comportant 25 % de Ni ou moins. La phase ordonnée forme des domaines d’environ 100 nm, tandis que la phase désordonnée remplit l’espace entre les domaines d’ordre. Les spectres Mössbauer de la taenite enregistrés à la température ambiante comprennent deux composantes : une raie centrale paramagnétique due à l’alliage désordonné et un sextet asymétrique dû à l’alliage ordonné ferromagnétique. En étudiant la mise en désordre de cette dernière phase, on a pu montrer que les paramètres hyperfins reflétaient le degré d’ordre qui, lui-même, dépend de la vitesse de refroidissement des météorites. L’étude de la phase ordonnée (type L10) par effet Mössbauer a donc pu donner des renseignements sur la PE 2 600 − 20 Dans le domaine des composés biologiques, l’effet Mössbauer a été utilisé pour analyser les protéines qui contiennent du fer ; on peut citer par exemple l’hémoglobine qui sert au transport de l’oxygène dans le sang de nombreuses espèces animales. Les informations obtenues affectent alors l’environnement des sites actifs. Toutefois, la grande distance entre les atomes de fer individuels joue un rôle important sur les phénomènes observés ; en particulier, dans le cas de composés à haut spin, le temps de relaxation spinréseau peut être assez long pour produire des effets paramagnétiques. Les protéines de stockage du fer sont de grosses molécules qui peuvent contenir jusqu’à 20 % en masse de fer. Un exemple est la ferritine qu’on rencontre dans le foie humain ; on peut citer également l’hémosidérine et la gastroferrine. Les molécules sont sensiblement sphériques, d’un diamètre de 12 nm environ et possèdent un cœur de 7 nm de diamètre qui contient le fer. Celui-ci est sous forme inorganique et se trouve entouré d’une peau. Dans le cas de la ferritine, il s’agit d’un oxyhydroxyde ferrique sous forme de fines particules divisées. Les spectres Mössbauer sont alors typiques d’un matériau superparamagnétique et on n’observe un spectre à 6 raies qu’à basse température ; le champ hyperfin est alors de l’ordre de 50 T. En médecine, l’effet Mössbauer permet de déterminer l’état du fer (valence et spin) dans des échantillons cliniques ; dans le corps humain, 65 % du fer est dans l’hémoglobine et 30 % dans la ferritine. En archéologie et beaux-arts, l’effet Mössbauer a permis d’analyser les poteries des civilisations grecques, égyptiennes, iraniennes, indiennes, etc. Les spectres sont en général typiques de petites particules d’oxyde ou bien de fer bivalent ou trivalent en coordination octaédrique, comme dans les silicates (figure 24). Le but de la recherche est alors de corréler le spectre avec l’histoire de la poterie ; des liens ont ainsi été établis avec leur provenance, leur couleur et leur mode de vieillissement ; des possibilités de datation ont également été avancées. Enfin, certaines peintures ont fait l’objet d’analyse pour déterminer la nature des ingrédients employés par les peintres ; ici c’est surtout la technique de réflexion présentée sur la figure 13 qui a servi aux investigations. On a pu ainsi montrer que la couleur jaune pouvait provenir de la goethite ; de plus, certains tons voisins (par exemple l’ocre) étaient obtenus par addition de silice ou d’alumine. De même, le noir a souvent été corrélé à la magnétite (§ 3.3.2) et le bleu au bleu de Prusse. 4. Conclusion À température ambiante, la spectrométrie Mössbauer en transmission ou réflexion est une technique d’analyse « standard » qui peut trouver sa place dans tout laboratoire de recherche, compte tenu de sa facilité de mise en œuvre expérimentale et du coût modeste de l’équipement nécessaire. Les études plus spécifiques à température variable ou sous champ magnétique appliqué nécessitent un équipement complémentaire accessible dans les laboratoires spécialisés. La technique peut très souvent être utilisée car de nombreux solides à vocation industrielle contiennent des isotopes Mössbauer tels que le fer. Son intérêt principal réside dans son caractère de sonde locale, en volume ou en surface, qui apporte une grande diversité d’informations physiques ou chimiques originales ou complémentaires des techniques standards dites « moyennes » telles que la diffraction des rayons X pour les études structurales ou l’aimantation Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation ___________________________________________________________________________________________________________ SPECTROMÉTRIE MÖSSBAUER pour les études magnétiques. Les investigations de surfaces et d’interfaces par CEMS se sont considérablement développées ces dernières années, tant par l’apparition de nouveaux matériaux nanométriques que par l’importance industrielle des surfaces des matériaux (corrosion, catalyse). La mise en service du nouveau synchrotron européen de Grenoble (ESRF) permettra la réalisation d’expériences Mössbauer avec des isotopes non conventionnels et ouvrira de nouvelles perspectives de développement. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation PE 2 600 − 21 P O U R Spectrométrie Mössbauer par E N Jean-Paul EYMERY Chargé de Recherche au CNRS (UA 131) Laboratoire de Métallurgie Physique de l’Université de Poitiers et Jacques TEILLET Professeur à la Faculté des Sciences de Rouen Laboratoire de Magnétisme et Applications (URA CNRS 808) Bibliographie [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] Nuclear Instrument and Methods in Phys. Res. B 76 no 1-4, avril 1993 p. 1-448. JANOT (C.). – L’effet Mössbauer et ses applications à la physique du solide et à la métallurgie physique. Masson, Paris, 1972. ASCH (L.), SHENOY (G.K.), FRIEDT (J.M.), ADLOFF (J.P.) et KLEINBERGER (R.). – J. Phys. Chem. 62 1975 p. 2335. CHAPPERT (J.), TEILLET (J.) et VARRET (F.). – J. Magn. Magn. Mat. 11 1979 p. 200. 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Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. − © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation Doc. PE 2 600 − 1 S A V O I R P L U S P O U R _____________________________________________________________________________________________________________________________________ FOURNISSEURS Sources pour spectrométrie Mössbauer Amersham. Du Pont de Nemours France S.A. Détecteurs d’électrons et préamplificateurs E N Instrumentation Électronique INEL. Austin Science Associates Inc. Composants des spectromètres Canberra Électronique S.à.r.l. Oxford Instruments. Instrumentation Électronique INEL. S A V O I R Wissel. EG and G Inc. Intertechnique S.A. Société savante Le Groupe Français de Spectrométrie Mössbauer (GFSM) regroupe la plupart des laboratoires concernés (une réunion scientifique annuelle). Spectres à la demande Contacter les auteurs pour information sur les différents laboratoires spécialisés. P L U S Doc. PE 2 600 − 2 Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. − © Techniques de l’Ingénieur, traité Analyse et Caractérisation
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