communication des aphasiques

@ Masson, Paris, 2001
J. Réadapt. M ét1., 2001, 2 1, n" 2, pp. 54-57
MISE AU POINT
La communication avec les personnes aphasiques graves
B. LAFFAIRE, A. LARNAUDIE, N. PRUGNE, D. DECOSSE, J.M. WIROTIUS
Service de Médecine Physique et de Réadaptation, Hôpital de Brive, 19100 Brive.
Résumé. - Les personnes aphasiques, celles qui ont une réduction linguistique majeure, présentent un très grave handicap relationnel, atfectif, social dans un contexte global de dépendance. Notre étude se propose d'analyser chez ces personnes aphasiques
les possibilités de communication à distance de la survenue de I'accident vasculaire cérébral. Que devient la communication, peuvent-ils exprimer leurs souhaits dans les situations de la vie courante ?
Dix patients aphasiques à la suite d'un accident vasculaire cérébral, 7 hommes et 3 femmes, sont retenus pour I'étude. La majorité
vit en couple, deux sont en institution. L'âge moyen est de 66 ans. Le niveau de communication évalué avec l'échelle du BDAE (Boston Diagnostic Aphasia Examination) est de 0 à 2, sur une échelle de performance de 0 à 5. La fluence verbale est très limitée et le
recours au langage d'autrui nécessaire. Le niveau du BARTHEL est en moyenne de 10 avec des variations allant de 2 à 16 (sur un
maximum de 20). L'analyse de situations de vie courante montre que le sulet retrouve des capacités à se faire comprendre pour
exprimer ses besoins dans la vie quotidienne. Cette notion peut ainsi être énoncée et travaillée dans le cadre de la prise en charge
rééducative.
Mots-clés; aphasie, fluence verbale, communication, réadaptation médicale, activités de la vie quotidienne.
Communication with patients with severe aphasia
People suffering from severe aphasia with a major limitation of their linguistic capacity experience a very difficult affective, social and
relational handicap further complicating their dependency. We analyzed the communication possibilities in these aphasic subjects late
after their stroke. The question we asked was whether these patients could express their desires in everyday life activities.
Ten post-stroke aphasic patients, 7 men and 3 women, participated in this study. Eight lived with their spouse and two were institutionalized. Mean age uzas 66 years. On the Boston Diagnostic Aphasia Examination, their communication skills were scored from 0 to
2 and their functional capacity from 0 to 5. Verbal fluency was vety limited and all the patients had to rely on help from another person.
The mean Barthel level was 10, ranging from 2 to 16 (max = 20). An analysis of everyday life activities showed that the patients recovered their capaciÿ fo express themselves in everyday situatlons. Patients should be made aware of this point to better help them
benefit from the rehabilitation programs.
Summary.
-
Key words: aphasia, verbal fluency, communication, medical rehabilitation, everyday life activities.
L'aphasie est un trouble du langage oral secondaire à
une lésion cérébrale. Le trouble du langage oral altère
souvent plus l'expression orale que la compréhension. I1
est souvent associé à un trouble du langage écrit (agraphie) et à un trouble du langage gestuel (apraxie idéomotrice). I1 est habituel que cette difficulté langagière
s'accompagne d'une hémiplégie droite. Le plus souvent la
cause de la lésion cérébrale est vasculaire, une ischémie
cérébrale, un hématome, mais d'autres étiologies sont possibles, comme un traumatisme crânien, une tumeur, ...
Notre propos concerne les patients aphasiques graves,
lorsque Ia perte des aptitudes langagières est très sévère et
compromet la communication quotidienne de façon
majeure, invalidante. L'aphasie est alors le handicap qui
domine le pronostic fonctionnel et humain avec toutes les
conséquences sociales, familiales, affectives, ... liées à cette
perte brutale et irréversible du langage.
Notre hypothèse est la suivante : même si la réduction
de la fluence verbale est importante, avec parfois seulement
quelques syllabes stéréotypées disponibles, les personnes
aphasiques retrouvent toujours la possibilité de communiquer sur les besoins fondamentaux et de la vie quotidienne
immédiate. Peut-on assurer l'entourage d'un patient aphasique grave que celui-ci retrouvera des possibilités de communication pour les besoins de vie au quotidien ?
Cette hypothèse est sous-tendue par la notion
suivante: si I'aphasie est un trouble parfois sévère du langage, il n'est pas un trouble de la communication sociale.
Les personnes aphasiques conservent :
1. des aptitudes à la communication, qui vont permettre,
même en l'absence d'un langage oral efficace, de retrouver la possibilité de se faire comprendre pour les besoins
élémentaires de la vie quotidienne ;
2.
des aptitudes intellectuelles pour comprendre les situations
vécues, avec des possibilités de raisonnement et de jugement.
Tirés à part : B. LAFFAIRE, voir adresse ci-dessus.
54
Un point clinique est essentiel pour celui qui est confronté à la communication avec la personne aphasique
grave, sur le plan fonctionnel, outre la réduction des possibilités d'expression, c'est la reconnaissance du trouble par
le sujet lui-même (anosognosie). Le sujet lorsqu'il essaie de
s'exprimer, de communiquer avec autrui, a-t-il conscience
que nous ne le comprenons pas, que nous n'avons pas accès
au sens de ses propos ? Certains patients produisent unjargon, plus ou moins riche, modulé, et nous sollicitent dans
les échanges. Mais, leurs efforts souvent importants, voire
insistants, sont voués à l'échec, lorsque noui ne parvenons
pas à retrouver le thème évoqué.
TABLEAU I.
Échelle de gravité de l'aphasie
(BDAE,- Goodglass, Kaplan, 1972).
0-
Aucune expression intelligible et aucune compréhension orale
1 - Communication par expressions très fragmentaires, nécessitant
de la part de l'auditeur beaucoup de déductions, de questions et
d'attention. Peu d'informations peuvent être échangées et c,est
l'auditeur qui mène la conversation.
2 - Une conversation sur des sujets familiers et concrets est possible
avec l'aide de 1'auditeur. Le malade est souvent incapable de se faire
comprendre, mais il participe au déroulement de la conversation.
3 - Pratiquement tous ies sujets courants peuvent être discutés avec
peu ou pas d'aide de l'auditeur. Cependant, les troubles de
1'expression etlou de la compréhension rendent difficile ou
impossible la conversation sur certains sujets.
MÉTHODE
Nous avons recherché les dossiers de personnes aphasiques graves suivis dans le Service de MPR de l'Hôpital
de Brive. Les patients aphasiques ayant une réduction linguistique très sévère, sont au nombre de 10 et ont été rete-
nus pour l'étude. Les patients ont été revus
spécifiquement pour cette enquête, ou recontactés et leur
entourage interrogé.
4-
1'expression ou de
LE NIVEAU DE COMMUNICATION
Il
est analysé selon les modalités proposées par
R. Jackobson. Cet auteur, linguiste, a proposé de décrire
les différentes composantes de la communication
humaine. II distingue 6 fonctions: la fonction expressive
ou émotive (expression affective de l'émetteur, la fonction
conative (action que l'on souhaite exercer sur le destinataire d'un message), la fonction phatique (maintien du
contact), la fonction métalinguistique (utilisation du lan-
gage pour parler du code linguistique), la fonction
dénotative ou référentielle (ce dont on parle), la fonction
poétique (la forme expressive du message).
LES BESOINS ÉI-ÉITBNTAIRES DANS
LA VIE
OUOTIDIENNE
Concernant les déplacements, l'hygiène, l'élimination,
l'alimentation, l'habillage, la sécurité, le repos, l'organisa-
1a
communication.
5 - Handicap linguistique à peine perceptible, ou seulement ressenti
par le malade, sans que l'auditeur puisse I'objectiver.
Taeleeu II.
LA GRAVITÉ DE L'APHASIE EST ÉVALUÉE
SELON L'ÉCHELLE DU BOSTON
Pour rendre compte de la gravité de l'aphasie, nous
avons utilisé 1'échelle du bilan de 1'aphasie (HDAE,
Échelle d'Évaluation de l'Aphasie, JM Niazaux, À4 Orgogoso, traduction et adaptation française du Boston Diagnostic Aphasia Examination de H. Goodglass et
E. Kaplan de 1972 - Etablissements d'Applications Psychotechniques, 6 bis, rue André Chénier, 92130 Issy-lesMoulineaux) (tableau I).
Nous avons conservé 10 dossiers correspondant aux
niveaux 0 à 2 de l'échelle du Boston.
Diminution manifeste de la fluence verbale ou de la facilité et de
1a rapidité de compréhension, sans limitation significative de
des activités
- deDescriptif
la vie quotidienne.
élémentaires
Demander à manger, à boire,
-
demander à aller aux toilettes.
manifester satisfaction ÿs mécontentement,
demander à ajouter, à enlever un vêtement,
demander à sortir,
demander à rencontrer des proches (parents, amis, ...),
se
manifester par rappoft à des situations à risque,
appeler son entourage,
utiliser
1a
télécommande du téléviseur,
demander à
se
coucher, à
se
lever,
demander à se laver les mains.
...
RESULTATS
LES PATIENTS
Dix personnes aphasiques, 7 hommes et 3 femmes,
ont été évaluées dans ce travail sur la communication.
Leur âge moyen est de 66,1 ans avec un écart iype de
L'âge maximum est de 82 ans et minimum dé
:+,:
74,2.
ans.
Deux fois les patients vivent en institution, 8 fois dans un
ménage de deux personnes. Le recul moyen en années
depuis Ia survenue de l'accident vasculaire cérébral est de
2,2 ans (écart type 3,1).
L'étiologie responsable de l'aphasie est dans tous les
cas un accident vasculaire cérébral, deux fois hémorragique et les autres fois ischémique.
L'autonomie évaluée avec f index de Barthel est
Ies contacts, les émotions, la ges-
modeste, en moyenne de 70,2 (écart type 4,6) sur un score
qui sont retenus correspondent à des situations de vie courantes et répétitives (tableau II).
valeurs extrêmes allant de 2 à 76 (figure 1).
L'hémiplégie est sévère et la marche fonctionnelle
n'est retrouvée que deux fois sur 10. Les autres sujets utilisent de façon unique ou fréquente un fauteuil roulant.
tion du temps, les loisirs,
tion des objets usuels (lunettes, montre, ...). Un certain
nombre de ces besoins ont été référencés à partir d'entretiens informels avec les patients et leur entourage. Ceux
de 20. Mais chaque situation est singulière avec des
55
mBour ENBNoNtrNtT
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L'index de Barthel pour les 10 sujets.
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Frc. 2.
possibilités de communication dans
- 11Lessituations
les
de la vie quotidienne.
LA GRAVITE DE L'APHASIE
Pour la gravité de l'aphasie évaluée par le niveau de
communication selon le bilan du BOSTON, on retient le
niveau de communication actuel. Dans tous les cas rapportés, il s'agit d'aphasies non fluentes chez des sujets
conscients de leur trouble du langage. Globalement, le
niveau de compréhension est meilleur que les possibilités
d'expression. La réduction linguistique est majeure.
L'appréciation de ce niveau de communication est le
suivant: 7 patients sont à un niveau 2, deux patients à un
niveau 1, et un sujet à un niveau 0.
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LA COMMUNICATION DANS LES ACTES
ÉlÉvsNrArRES DE LA vrE euorrDrENNE
Sept sujets, ceux de score de gravité 2, peuvent exprimer leur souhaits dans plus de 8 activités sur 11. Les trois
patients les plus invalidés ont moins de possibilités.
Les trois situations les plus souvent comprises par
l'entourage sont la manifestation de la satisfaction ou du
mécontentement, l'appel de l'entourage, les demandes de
nourriture ou de boisson, les demandes de lever o.u de
coucher (figure2).
Certaines activités sont difficiles comme un usage de
la télécommande (figure 3).
COMMENTAIRES
Dans les situations où l'aphasie est grave,
il
persiste
des possibilités de communication avec l'entourage immédiat, la famille. Cette communication concerne les besoins
de vie au quotidien. Elle utilise de nombreuses modalités,
comme les intonations sur une stéréotypie, les cris, les
mimiques expressives, les gestes comme les déictiques
pour montrer, les gestes de colère, les acquiescements et
négations du langage de l'autre,... et pour l'un des patients
le dessin. Ces supports de communication supposent pour
leur efficacité une grande complicité, un partage de I 'inti-
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Ftc. 3.
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La communication pour les activités corporelles.
mité et du quotidien. L'un des conjoints nous a spécifié
qu'elle anticipait tous les besoins fondamentaux et que
toute la journée était ainsi ritualisée.
Un point est à souligner : nous nous heurtons souvent
à la difficulté de gestion de l'appel infirmier par les personnes aphasiques graves. Nous avons considéré I'usage
de la télécommande d'une télévision comme un outil semblable.
Si l'on examine les possibilités de communication de
ces patients selon la typologie de la communication de R.
Jakobson [1], on note que les fonctions expressives et phatiques sont préservées même dans les aphasies globales.
Les patients peuvent toujours entrer en contact et créer
un lien avec l'interlocuteur ainsi qu'exprimer leur état
émotionnel. Par contre les fonctions qui supposent le
maniement de la langue sont perdues. La fonction conative, d'action sur autrui est souvent préservée au moins
pour les activités de la vie quotidienne (tableau
III).
TagLeeU IIL
La communication selon R. Jakobson
- chez l'aphasique
Communiquer suppose un interlocuteur et ce ne peut être
grave
ici que la proche famille.
L'aphasie représente un trouble du langage avec une
conservation de la communication. Les nouvelles conduites sémiotiques utilisées par les personnes aphasiques
pour communiquer leurs besoins avec leur entourage, sont
plus ou moins explicites. Parfois, elles sont très peu des-
PLUS OU MOINS
CONATIVE
criptibles et sont rapportées par le conjoint comme
METALINGUISTIQUE
Cette typologie est commune à l'ensemble des person-
des
situations qu'ils peuvent « anticiper ».
Pour aider les familles à faire face à cette situation difficile et durable, nous avons proposé un support écrit joint
en annexe de ce texte et qui peut être analyser à différents
niveaux selon la compétence des interlocuteurs.
nes aphasiques concernées par cette étude.
Les aptitudes à la communication des aphasiques pro-
gressent Iongtemps après la survenue du handicap [2].
Même dans le cas des aphasies globales, Ies progrès dans
la communication se poursuivent de nombreux mois et au
moins pendant une année.
La démarche d'information des familles est dans ce
contexte essentiel [3], car le handicap reste majeur et
l'implication de 1'entourage essentiel au succès de ce
maintien de la communication. Nous avons vu qu'elle peut
même dans les cas extrêmes retrouver une certaine efficacité en situation dans 1e cadre des activités quotidiennes.
nÉnÉnBNcrs
[1]
[2]
HoLENSTEIN E. Jakobson. Paris: Seghers;1974.
JosEpH PA. Quand doit-on commencer [a rééducation orthophonique
chez I'hémiplégique aphasique. Selon quelles modalités et pendânt combien de temps. Annales de Réadaptation et de Métlecine Physique 19981
4l : 53-65.
[3] MtcHalr-nr
B, LE DORZE G, TETREAULT S. Aphasie sévère et situations
de handicap, implications en réadaptation. /nnales de Réa(laptdtion et d.e
Médecine Physique L999 : 42 : 260-27 0.
Annexe
Guide pratique
National Aphasia Association
Traduit et adapté de l'américain par Annick LARNAUDIE et Jeân-Michel WIROTIUS,
Service de Médecine Physique et de Réadaptation,
Hôpital de Brive,19100 Brive.
COMMENT COMMUNTQUEn AVEC UNE
PERSONNE APHASIQUE : A FAIRE ET A NE
PAS FAIRE
1. Parler à la personne aphasique comme à un
adulte et non comme à un enfant. Ne pas la réduire au
silence.
2. Pendant la conversation, diminuer ou éliminer les
bruits de fond (télévision, radio, autre personne, ...) à
chaque fois que cela est possible.
3. S'assurer d'avoir capté l'attention de la personne
aphasique avant de communiquer.
4. Valoriser tous les essais de parole ; faire de l'acte
de parler une expérience agréable, et proposer des
conversations stimulantes.
5. Encourager et utiliser toutes les modalités de la
communication (parole, écriture, dessin, réponses par
ouiinon, choix, gestes, contact visuel, expression
faciale).
6. Leur donner du temps pour s'exprimer et leur
accorder un temps raisonnable de réponse.
7. Accepter toutes les tentatives de communication
(parole, gestes, écriture, dessin) plutôt que d'exiger un
discours. Négliger les erreurs et éviter des critiques ou
corrections fréquentes. Ne pas insister pour que
chaque mot soit prononcé parfaitement.
8. Parler normalement, simplement mais comme un
adulte. Simplifier la structure des phrases et réduire sa
vitesse de parole.
9. Conserver un volume de voix normal, et insister
sur les mots clés.
10. Enrichir la parole avec des gestes et des aides
visuelles autant que possible.
11. Répéter si nécessaire.
12. Encourager les personnes aphasiques à être
aussi indépendantes que possible. Eviter d'être surprotecteur et de parler à la place de la personne, sauf
en cas d'absolue nécessité. Demander alors la permission de le faire.
13. Poursuivre, chaque fois que possible, les activités
familiales (dîner en famille, compagnie, sorties). Ne pas
les tenir à l'écart de la famille, des amis, ni les ignorer
dans un groupe de conversation.
14. Au contraire, essayer de les inclure dans les
décisions de famille autant que possible en continuant
à les informer des divers événements, mais en évitant
de les inonder de détails quotidiens.
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