Mot du rédacteur Existence de Dieu Première partie Insaisissable infini Louis Dubé La question de l’existence de Dieu a récemment pris plus d’importance dans les médias. Plusieurs athées éminents ont écrit des ouvrages percutants sur le sujet. Une campagne d’affichage sur sa probable inexistence s’est aussi poursuivie en 2009 à travers le monde, et même au Québec. Survol des arguments courants avancés pour appuyer ou réfuter cette hypothèse. es dernières années, des athées renommés ont des ouvrages populaires prônant C publié l’athéisme et critiquant vertement la religion. Les plus connus, et maintenant traduits en français, sont sans doute ceux du biologiste Richard Dawkins (Pour en finir avec Dieu) et du journaliste Christopher Hitchens (Dieu n’est pas grand). Le livre de Dawkins, par exemple, s’était vendu à 1,5 million d’exemplaires un an après sa parution en 2006. Deux philosophes français bien connus ont aussi publié des livres à succès sur ce sujet : Michel Onfray (Traité d’athéologie) et André Comte-Sponville (L’esprit de l’athéisme). Le retentissement considérable de ces livres en a surpris plusieurs et semble avoir ouvert la voie à une affirmation publique de l’athéisme. Une récente campagne d’affichage proclamait sur les bus de nombreuses villes d’Occident (notamment Londres, Barcelone, Washington, Toronto et Montréal) que Dieu n’existait probablement pas et qu’il fallait profiter de chaque moment de la vie présente – sans craindre les feux de l’enfer promis pour l’éternité aux mécréants qui doutent de son existence. Toute cette publicité pour l’athéisme n’a toutefois pas réussi à rendre acceptables les mots « athée » et « agnostique », du moins dans l’esprit de certains politiciens et fonctionnaires québécois. Ces derniers ont, par exemple, préféré exclure ces mots tabous du programme d’Éthique et culture religieuse, nouvellement enseigné dans les écoles du Québec pour remplacer les cours de religion et de morale. Ils les jugeaient trop péjoratifs pour y exposer directement de jeunes élèves. L’athéisme choque et suscite la controverse. Voyons pourquoi. Sujet délicat L’existence de Dieu représente une question importante pour la plupart des gens. Elle constitue un élément essentiel de presque toutes les religions, et la grande majorité des humains se disent religieux. Elle tente, entre autres, de répondre à la question fondamentale : pourquoi est-ce que j’existe ? On sait tous très bien que notre séjour sur Terre sera bref, tout au plus une centaine d’années, entrecoupées de peines et de joies, d’erreurs et de succès. La fin de la vie apparaît inévitable : elle arrivera probablement à la Le Québec sceptique - Numéro 69 5 Mot du rédacteur suite d’une maladie physique ou mentale débilitante ou peut-être un (heureux ?) accident. Et puis plus rien... autre qu’un souvenir dans l’esprit de certains proches, des écrits, des photos et des vidéos qui seront vite oubliés. La croyance religieuse fait miroiter l’espoir d’une autre vie (imaginée agréable) après la mort, garantie par un Dieu bienveillant. Certains ont aussi le sentiment que leur religion les aide à surmonter les inévitables épreuves de la vie. Elle leur donne un but transcendant qu’ils pensent ne pas pouvoir trouver autrement. Elle leur indique ce qui est bien ou mal. Elle leur permet une vie sociale plus active. Elle les rassure qu’un être bienveillant veille sur eux et leurs proches. Il leur apparaît que s’il n’y a que peu de justice sur Terre, il y en aura sûrement plus au Ciel. Mettre en doute ce qui constitue leur raison de vivre pourrait les troubler. Toutefois, la plupart des croyants, assurés que leur sentiment profond de l’existence de Dieu ne peut les tromper, ne se soumettront guère à cette interrogation. De nombreuses preuves pour et contre l’existence de Dieu ont été avancées au cours des siècles par un non moins grand nombre de théologiens et de philosophes. Je n’ai sûrement pas vu toutes les appellations et formes de ces argumentaires. Je tenterai néanmoins de résumer les éléments essentiels que j’en ai retenus. Définissons d’abord brièvement ce que la plupart des gens entendent par Dieu : ce serait une entité qui aurait créé l’Univers et les lois qui le régissent, ainsi que la vie qu’il abrite. La plupart des religions pensent que Dieu intervient constamment, ou au besoin, dans la vie des humains et qu’il leur a clairement fait connaître ses volontés. Cause première L’argumentation la plus simple pour l’existence d’un Dieu créateur de l’Univers découle de notre expérience immédiate. On constate que toute chose ou tout événement a une ou plusieurs causes. Si l’on cherche l’origine de ces causes, on en trouvera des précédentes qui les auront causées, et ainsi de suite... jusqu’à la Première cause qu’on nomme Dieu. À première vue inattaquable, cet argument se contredit explicitement. Si tout doit avoir une cause, Dieu aussi devrait en avoir une. Si quelque chose peut ne pas avoir de cause, aussi bien l’Univers que Dieu. On voit bien que cet argument n’est pas valable, à moins de postuler que Dieu ne peut par définition avoir de cause (puisqu’il serait en dehors du temps) – 6 ce qui est inacceptable puisque c’est ce qu’on tente de prouver. Que l’Univers lui-même soit sans cause extérieure pourrait sans doute être appuyé par la cosmologie moderne. Elle soutient qu’il provient de l’explosion d’un point concentré de matière et d’énergie où l’espace et le temps ont aussi commencé : le « Big bang ». Si la notion de cause présuppose l’existence du temps, il ne peut y avoir de cause « avant » que le temps ne soit commencé. Puisque nous sommes des êtres qui ne peuvent exister sans temps ni espace, il semble bien qu’on ne puisse concevoir un « avant » le temps ou un « hors » de l’espace. Ces questions demeureront sans doute sans réponse satisfaisante, comme celle succinctement posée par Leibnitz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Cette question s’applique évidemment aussi à Dieu, s’il existe. Législateur suprême Une variante commune de cet argument s’inspire de la nature des lois physiques. Si les lois naturelles existent, c’est qu’elles proviennent d’une volonté supérieure de les imposer. Les lois de la gravitation et de l’électromagnétisme, comme celles découvertes plus récemment de la relativité et de la théorie quantique, s’appliquent à tout l’Univers et auraient été créées par Dieu. Lui-même échapperait aux lois, sans quoi il n’aurait pas eu le choix d’édicter celles qu’il aurait voulues. Proviendraient-elles donc d’un choix arbitraire et capricieux ? Sûrement pas, avancent certains physiciens ! La précision requise dans la valeur des constantes universelles laisserait présager un choix très restreint, donc une probabilité infime de se produire par pur hasard. Pour permettre la matière et la vie telle qu’on la connaît, de nombreux physiciens estiment que ces constantes ne peuvent varier que d’un faible pourcentage. D’autres pensent qu’une marge plus grande s’appliquerait ; elle ne produirait sans doute pas la vie humaine, mais n’exclurait pas d’autres formes de vie. Quoi qu'il en soit, si la valeur de ces constantes était différente, selon le principe anthropique, nous ne serions pas là pour en discuter. De plus, la vie s’est adaptée à ces constantes et non l’inverse. Cette grande précision requise nécessiterait-elle un « ajustement fin » des constantes par un Dieu luimême non sujet à quelque constante que ce soit ? Voilà la question centrale à laquelle on ne pourra sans Le Québec sceptique - Numéro 69 Mot du rédacteur doute jamais répondre. D’autres solutions spéculatives ont été avancées qui requièrent une multiplicité d’univers inaccessibles ayant d’autres valeurs pour ces constantes ou encore basés sur d’autres constantes. Il est aussi possible qu’une éventuelle « théorie du tout » lie entre elles ces constantes présumées indépendantes ; il n’y en aurait alors plus qu’une. Nous sommes bien loin de la réponse compréhensible et vérifiable qu’on espérait... Pour terminer, rappelons que le calcul de probabilités infinitésimales a posteriori ne prouve rien. Par exemple, une série de 52 cartes à jouer bien brassées n’a qu’une chance sur 1068 (52 factorielle) de se produire : un événement incroyablement improbable ! Pourtant, il se produit chaque fois que quelqu’un présente un arrangement dans l’ordre de 52 cartes bien mélangées. Les permutations d’un jeu de 70 cartes différentes bien brassées dans l’ordre (10100 possibilités) dépassent des milliards de milliards de fois le nombre estimé d’atomes dans l’univers observable (1080) ! Il est impensable de pouvoir reproduire par hasard la même séquence une autre fois. Pourtant, cette première séquence, théoriquement quasi impossible à obtenir, s’est bien produite une première fois ! Ultime concepteur Si l’on trouve une horloge sur le sol, on conclura qu’un « horloger » l’a conçue et fabriquée. La complexité de l’objet présuppose un concepteur intelligent. Les éléments qui le composent ne peuvent s’être façonnés et réunis par hasard. De même, toute vie – bien plus complexe que n’importe quel objet manufacturé – ne peut s’être formée de façon aléatoire. Elle proviendrait, sous toutes ses formes, d’une grande Intelligence qu’on appelle Dieu. Cet argument souffre de la même lacune que les précédents. Si la complexité du vivant est telle qu’un être encore plus complexe doit l’avoir créée, d’où provient cet être pourvu d’une si grande complexité, sinon d’une entité encore plus complexe ? Et ainsi de suite, à l’infini. L’argument n’aboutit pas. On devra trouver autre chose. Et, Darwin a trouvé : l’évolution de la vie par sélection naturelle ! Chaque espèce, sujette à des variations génétiques aléatoires, évolue vers une meilleure adaptation à son environnement. Car, les individus qui la composent ont plus de chances de survivre jusqu’à la reproduction s’ils sont mieux adaptés à leur environnement. Ce processus de modifications cumulatives aura pour résultat, au cours de centaines de millions d’années, de générer des millions d’espèces différentes, chacune remarquablement adaptée à son milieu de vie. On sera ainsi passé du moins complexe au plus complexe par une série de transformations successives sélectionnées par l’environnement. Beaucoup de preuves matérielles appuient la théorie de l’évolution des espèces. Par exemple, les variations anatomiques graduelles d’un même groupe d’animaux dans des couches géologiques distinctes, les nombreux fossiles intermédiaires, les anatomies homologues, la similarité des gènes entre les êtres vivants, etc. Si l’on pouvait démontrer qu’un organe complexe ne peut pas s’être formé par une succession de modifications mineures, cette théorie s’effondrerait. Depuis 150 ans, personne n’a réussi à faire cette démonstration. L’ultime concepteur de la complexité du vivant n’est pas l’intervention divine, mais un mécanisme naturel, maintenant bien connu. Peut-on aussi imaginer qu’un créateur « juste et bon » ait conçu un monde animal basé sur la prédation d’une espèce sur l’autre et soumis sans pitié ses créatures aux aléas cruels des catastrophes naturelles : tonnerre, tsunamis, volcans et chute d’astéroïdes ? La théorie de l’évolution des espèces de Darwin donne une explication vérifiable au monde animal – tel qu’il existe. Intelligence paradoxale Une autre classe d’arguments repose sur un jeu logique avec certaines définitions. Voyons l’exemple classique de l’argument dit « ontologique ». Si l’on peut concevoir un être absolument parfait, il devrait exister – sinon, il lui manquerait une qualité : l’existence. Donc, cet être imaginé parfait doit exister, et c’est, par définition, Dieu ! Argument suspect, puisqu’il ne repose sur aucune donnée empirique et qu’il se réfère à lui-même. Je ne suis pas sûr non plus de pouvoir concevoir un être absolument parfait... On peut aussi inventer d’autres arguments similaires qui prouvent le contraire. Comment un Dieu parfait pourrait-il avoir créé un Univers manifestement imparfait ? Donc, un Dieu parfait n’existe pas. Dieu peut-il, à la fois, être omniscient et omnipotent ? S’il sait ce qu’il va faire dans le futur, pourra-t-il le modifier ? Lorsqu’on tente de manipuler des concepts infinis, on se bute à toutes sortes de paradoxes logiques qui ne concordent pas avec le monde fini que nous habitons. Le Québec sceptique - Numéro 69 7 Mot du rédacteur Incompréhensible infini Un survol de ces quatre arguments classiques indique bien la difficulté d’arriver logiquement à la conclusion que Dieu existe. Si tout a une cause, pourquoi pas Dieu ? Si des lois universelles existent, Dieu y est-il subordonné ? Si la complexité de la vie présuppose un concepteur encore plus complexe, d’autant plus ce dernier ! Si Dieu est parfait, sa créature ne peut être imparfaite. À mon avis, logiquement, on doit se résoudre à admettre que la question de Dieu dépasse l’entendement humain – probablement parce qu’elle fait appel à des concepts qui sont hors du temps et de l’espace, ou qui touchent à l’infini. La compréhension du monde que la science moderne a apportée nous offre des réponses partielles qui pourraient nous satisfaire. L’Univers tire son origine du Big Bang ; les lois universelles permettent heureusement la vie ; la complexité du vivant s’explique par la sélection naturelle ; on peut viser à construire un monde plus parfait. Bien sûr, on raffinera ces réponses, on les modifiera selon l’analyse de nouvelles données empiriques. Mais ce sera sans doute le seul type de réponse qu’on pourra obtenir. Je doute qu’on puisse un jour avoir une réponse satisfaisante à la question : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Suite... La plupart des croyants ne tirent pas leur conviction que Dieu existe des arguments classiques mentionnés plus haut. Des considérations morales et subjectives les incitent à adhérer à leur religion. Je les aborderai dans une suite prochaine à cet article. Bibliographie COMTE-SPONVILLE, André. L’esprit de l’athéisme, Albin Michel, 2006, 222 p. DAWKINS, Richard. The GOD Delusion, Houghton Mifflin, 2006, 406 p. DENNETT, Daniel C. Breaking The Spell, Viking Penguin, 2006, 448 p. HITCHENS, Christopher. God Is Not Great, McClelland & Steward, 2007, 307 p. ONFRAY, Michel. Traité d’athéologie, Grasset, 2005, 282 p. PAULOS, John Allen. Irrelegion, Hill and Wang, 2008, 158 p. STENGER, Victor J. GOD, The Failed Hypothesis, Prometheus Books, 2007, 294 p. Une série infinie de Dieux créa le Big Bang, la prédation et les catastrophes... et l’homme qui fabriqua l’horloge. 8 Le Québec sceptique - Numéro 69
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