LE MONDE DU MERCREDI 05.03.2014

LES OUBLIÉS
DU REBOND AMÉRICAIN
JOUER EN LIGNE ET FAIRE
AVANCER LA SCIENCE
«Se battre», un film pour
affronter la misère du monde
ENQUÊTE – LIRE PAGE 20
SCIENCE & MÉDECINE – SUPPLÉMENT
CINÉMA – LIRE PAGE 12
Mercredi 5 mars 2014 - 70e année - N˚21501 - 2 ¤ - France métropolitaine - www.lemonde.fr ---
Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice : Natalie Nougayrède
L’affaire Copé
déstabilise
l’UMP
Ukraine
Face à Poutine,
l’arme
économique
t Les ténors de l’opposition
critiquent la contre-offensive
du président de l’UMP
J
t Les Occidentaux discutent de sanctions
contre le pouvoir russe
t Fuite des capitaux, krach boursier : la Russie
paie très cher son coup de force en Crimée
La base de Perevalne, en Crimée,
lieu de tensions entre soldats
russes et ukrainiens.
LIRE P. 2 À 5, DÉBATS P. 18, CAHIER ÉCO P. 4-5
LORIS SAVINO POUR « LE MONDE »
Pollutionen Chine: les dégâts du développement sale
L
undi 3 mars, les habitants de Pékin se
sont de nouveau réveillés dans une ville plongée dans un smog opaque. En
quelquesannées, le masque antipollution est devenu l’attribut du citadin chinois,
effaçant la photo-souvenir des milliers
d’ouvriers qui arpentaient autrefois, à vélo,
les larges avenues de la capitale.
La Chine s’est développée. De façon spectaculaire. Mais ce succès – envié par les pays les
plus pauvres et par les pays industrialisés en
panne de croissance – butte aujourd’hui sur
une réalité que les autorités ne peuvent plus
ignorer: la pollution au cœur des villes donne un goût amer à cette expansion. En quelques décennies, le pays s’est hissé au rang de
deuxième puissance économique mondiale,
mais aussi de premier pollueur.
Près de 500 millions de personnes ont été
victimes du dernier épisode de smog qui a
frappé la capitale et la province industrielle
du Hebei au cours des derniers jours. Les pics
LE REGARD DE PLANTU
contre les dangers de ce développement sale.
A la tête du pays depuis un an, Xi Jinping a
annoncé une série de mesures allant de la restriction de la circulation automobile dans les
villes à la fermeture des usines les plus polluantes. Leur application soulève jusqu’à présent surtout du scepticisme. Lors de la session
annuelle de l’Assemblée nationale populaire
qui s’ouvre mercredi 5 mars, le président mettraenavant les réformeséconomiquesimportantes qu’il a engagées.
Mais ce sont de véritables mesures contre
la pollution qui sont attendues. Les autorités
chinoises ont l’art de mettre en avant sur la
scène internationale un discours sur la primauté du développement économique pour
éviterde prendreleur partdans la lutte contre
le réchauffement climatique. Mais cette rhétorique est désormais battue en brèche à l’intérieur du pays. Pékin se trouve ainsi soumis
à une double injonction de faire davantage: si
la Chine a jusqu’à présent réussi à éluder les
mises en demeure de ses partenaires étrangers, il lui sera plus difficile de rester sourde
aux interpellations de sa population. p
LIRE NOS INFORMATIONS PAGE 6
ARGENT
& PLACEMENTS
LIRE PAGE 8
AUJOURD’HUI
Anne Hidalgo
adapte sa
stratégie média
Ces médecins
qui « aident
à mourir »
Au cœur du débat
sur la fin de vie,
des généralistes
racontent au
Monde comment,
en toute discrétion,
ils accompagnent
leurs patients
jusqu’à la mort.
Vivendi entend tirer
au moins 15milliards d’euros de la
vente de sa filiale
télécom. Le cablôopérateurNumericable a déjà déposé
une offre. En attendant d’autres…
FRANCE – PAGE 9
FRANCE – PAGE 10
CAHIER ÉCO – PAGE 3
Elle manquait de
notoriété, voulait
répliquer à chaque
propos public de
son adversaire: en
tête dans la course à
la Mairie de Paris, la
candidate PS a changé de méthode.
Les enchères
montent pour
acheter SFR
LES FILMS DU POISSON ET SAMPEK PRODUCTIONS PRÉSENTENT
‘‘ Une petite merveille ’’ STUDIO CINÉ LIVE H H H
‘‘ Un extraordinaire état des lieux
de notre époque ’’ V.O.
LA COUR DE BABEL
un film de
Julie Bertuccelli
Mieux vieillir en
restant chez soi
a De nouvelles
technologies pour
favoriser le maintien
des aînés à domicile.
a La résidence seniors,
une aubaine
pour les investisseurs
a La seconde jeunesse
du viager
a Les limites de
l’assurance dépendance
a Un entretien avec
Michèle Delaunay,
ministre déléguée
aux personnes âgées
© ILLUSTRATION : CHRISTOPHE BLAIN
UK price £ 1,80
ÉDITORIAL
de pollution aux particules fines ont atteint
des niveaux trente fois supérieurs au seuil
recommandé par l’Organisation mondiale
de la santé.
Le coût en termes de santé publique commenceà être chiffré: la pollution atmosphériquea été à l’originede1,2million demortsprématurés en 2010, selon une étude publiée en
décembre2012 dans la revue médicale britannique The Lancet. Et le mal des « poumons
noirs », lié à l’exploitation du charbon, qui
fournit à la Chine près des deux tiers de son
énergie, reste la première cause de maladie
du travail.
L’épouvantable qualité de l’air, symptôme
le plus visible de la dégradation écologique en
Chine, est devenu l’une des premières sources de mécontentement de la population. Au
pointde susciter, fin février,la plainteofficielle d’un habitant du Hebei contre le département local de protection environnementale.
Cette action risque de n’être que symbolique,
mais elle en dit long sur le degré d’exaspération de citoyens : ils considèrent que le gouvernement ne fait ni le nécessaire ni même
l’indispensable pour protéger leur santé
ean-François Copé se retrouve plus isolé et fragilisé que jamais après sa riposte – jugée maladroite – aux accusations
de favoritisme, dont il est l’objet. D’Alain
Juppé à Laurent Wauquiez, de plus en plus
de voix s’élèvent à droite pour se démarquer de lui. Tous lui reprochent de ne pas
avoir levé les soupçons pesant sur sa gestion financière et d’avoir tenté, à la place,
de diluer sa mise en cause personnelle
dans une suspicion générale à l’égard de la
classepolitiqueet des journalistes.Lescandidats aux municipales craignent de faire
les frais de cette affaire, qui a toutes les
chances de raviver, à terme, les divisions
au sein de la droite. Pour le moment, les
rivaux de M. Copé retiennent leurs coups,
dans le souci de ne pas rouvrir une crise
interne en pleine campagne. Si le contexte
électoral protège le président de l’UMP, le
camp Fillon prévient que le cessez-le-feu
prendra fin à l’issue du scrutin des 23 et
30 mars. p
AU CINÉMA LE 12 MARS
SUPPLÉMENT
Algérie 150 DA, Allemagne 2,40 ¤, Andorre 2,20 ¤, Autriche 2,50 ¤, Belgique 2 ¤, Cameroun 1 800 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d’Ivoire 1 800 F CFA, Croatie 19,50 Kn, Danemark 30 KRD, Espagne 2,30 ¤, Finlande 3,80 ¤, Gabon 1 800 F CFA, Grande-Bretagne 1,80 £, Grèce 2,40 ¤, Guadeloupe-Martinique 2,20 ¤, Guyane 2,50 ¤, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,40 ¤,
Italie 2,40 ¤, Liban 6500 LBP, Luxembourg 2 ¤, Malte 2,50 ¤, Maroc 12 DH, Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,40 ¤, Portugal cont. 2,30 ¤, La Réunion 2,20 ¤, Sénégal 1 800 F CFA, Slovénie 2,50 ¤, Saint-Martin 2,50 ¤, Suède 35 KRS, Suisse 3,40 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,40 DT, Turquie 9 TL, USA 4,50 $, Afrique CFA autres 1 800 F CFA
2
international
0123
Mercredi 5 mars 2014
Moscou désavoué au Conseil de sécurité de l’ONU
Les justifications données par la Russie à son intervention en Crimée n’ont pas convaincu, y compris son allié chinois
New York (Nations unies)
Correspondante
U
n camouflet, par quatorze
voix contre une. Quatorze
voix se sont élevées contre
celle de la Russie, lundi 3 mars, lors
de la troisième réunion d’urgence
en quatre jours du Conseil de sécurité de l’ONU sur la crise en Ukraine. De l’avis de nombreux diplomates, le débat public – convoqué
cette fois à la demande de Moscou
– restera dans les annales comme
un tournant de la diplomatie onusienne.
L’ambassadeur russe, Vitali
Tchourkine, souhaitait profiter du
format« grandpublic » pour exposer sa lecture de la situation à ses
homologues dubitatifs, voire
incrédules. Il s’est retrouvé cloué
au pilori, face caméras, par ses
14partenaires – y comprisson plus
fidèle allié, la Chine –, chacun
condamnant sans détour l’intervention russe en Crimée.
«Oncroirait laRussie
devenuele bras armé
delahaut-commissaire
del’ONU auxdroits
del’homme»
Samantha Power
ambassadrice américaine
Aprèsavoirappelétouteslesparties à régler leurs différends « dans
le respect du droit international»,
l’ambassadeur chinois Liu Jieyi a
en effet souligné que son pays
avait «toujours respecté le principe
de non-ingérence dans les affaires
intérieures des pays et accordé une
importance majeure au respect de
l’intégritéterritoriale de l’Ukraine ».
La Russie est intervenue de son
plein droit pour venir en aide à des
millions de Russes et d’Ukrainiens
russophones en danger, avait fait
remarquer un peu plus tôt
M. Tchourkine, brandissant pour
preuve un document daté du
1er marsetsignéduprésidentdéchu
ukrainien, Viktor Ianoukovitch,
aujourd’hui réfugié en Russie.
Dans cette missive, qui aurait
donc été envoyée au lendemain de
la conférence de presse où l’exchef de l’Etat ukrainien se disait
opposé à toute intervention
L’ambassadeur russe aux Nations unies, Vitali Tchourkine, produit une lettre attribuée à Viktor Ianoukovitch et demandant une intervention russe en Ukraine. BEBETO MATTHEWS/AP
armée, M. Ianoukovitch demande
au président russe, Vladimir Poutine, l’aide militaire de la Russie
« pour défendre la population
ukrainienne», dont le pays est « au
bord de la guerre civile à la suite des
événements intervenus à Kiev ».
« Des vies sont menacées (…), des
gens persécutés », sur la base de
leurlangueouappartenancepolitique, continue de lire à voix haute
l’ambassadeur russe, qui ajoute :
« Les vainqueurs [à Kiev] veulent
piétiner les droits fondamentaux»
desminoritéspro-russeset«menacer nos compatriotes et la flotte de
la mer Noire ».
« Légitimes », donc, les actions
de la Fédération de Russie. De là à
invoquer la « responsabilité de protéger» incombant à son pays, il n’y
avait qu’un pas que M. Tchourkine
a franchi malgré lui, laissant les
Occidentaux abasourdis. Ces derniers ont passé les trois dernières
années à batailler en faveur de la
protection des civils en Syrie, en
vain à cause de l’opposition acharnée de la Russie. Chacune de leurs
initiatives sur le dossier syrien
s’est heurtée à un « niet» ferme de
Moscou. « A l’entendre, on croirait
la Russie devenue le bras armé de la
haut-commissaire de l’ONU aux
droits de l’homme», a ironisé l’ambassadrice américaine Samantha
Power, réfutant un à un les arguments de son collègue russe.
L’intervention militaire en Crimée « n’est pas une mission de protectiondes droits de l’homme, mais
(…) un acte d’agression et il doit cesser », a martelé la diplomate, avant
de préciser : « Il n’y a aucune preuve de violences contre les communautés russes ou pro-russes » en
Ukraine, « la Russie réagit à une
menace imaginaire ». Autant de
«flagrantescontrevérités» qui rappellent une ère a priori révolue, a
renchéri le représentant perma-
nent de la France Gérard Araud,
déplorant que « la Russie semble
revenir à ses vieux démons, en
rejouant des rôles démodés dans
un décor désuet, à l’affiche d’un
théâtre en faillite ».
C’est quarante ans en arrière, et
plus précisément à l’invasion en
1968 de la Tchécoslovaquie par les
forces soviétiques, que l’« occupation » de la Crimée ramène l’Europe, a regretté le diplomate. « Tout y
est : la pratique comme la rhétoriquesoviétique,la brutalitéet la propagande», a-t-il ajouté, en comparant M. Poutine à son prédécesseurLéonidBrejnev. Car,contraire-
La menace de sanctions est loin de faire l’unanimité chez les Européens
QUELQUES HEURES seulement
après l’adoption de menaces de
sanctions contre la Russie par les
ministres des affaires étrangères
de l’Union européenne (UE), lundi
3mars à Bruxelles, la virulente sortie de l’ambassadeur russe aux
Nations unies, Vitali Tchourkine,
a douché les espoirs de tous ceux
qui tablaient sur une inflexion de
la rhétorique guerrière du
Kremlin en Ukraine.
Ses propos inflexibles pouvaient se lire comme une réponse
à la mise en garde adressée au
Kremlin à l’issue de la réunion de
Bruxelles, organisée à la demande
de la Pologne, qui tire depuis plusieurs mois la sonnette d’alarme
sur la détérioration de la situation
chez son voisin ukrainien.
Pendant qu’ils débattaient des
mesures à prendre, les ministres
européens suivaient avec inquiétude l’évolution en Crimée et
dans l’est de l’Ukraine. Au terme
de leur rencontre de cinq heures,
ils ont condamné « la violation
manifeste de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale de l’Ukraine
par des actes d’agressions des forces russes». Sans toutefois utiliser
le terme « d’invasion», préféré par
les anciens pays de l’Est.
Si la Russie ne prend pas des
« mesures de désescalade» en
ordonnant le « repli » des forces
russes dans « leurs zones de stationnement permanentes» en Cri-
mée, l’Union européenne menace
de prendre des sanctions contre
Moscou lors du sommet extraordinaire des chefs de l’Etat et de gouvernement des Vingt-Huit, convoqué jeudi 6 mars, à Bruxelles.
Pour l’instant, les premières
sanctions évoquées par l’UE dans
son communiqué sont mesurées:
menace de suspension des négociations sur les visas russes,
report de celles portant sur un
accord de coopération économique et interruption des préparatifs liés au G8 de Sotchi, prévu au
mois de juin.
Plusieurs ministres européens
ont cependant émis des doutes
sur la portée de ces mesures et
leur capacité à infléchir la position de Moscou. Didier Reynders,
ministre belge des affaires étrangères, s’est dit « pessimiste» sur
l’évolution de la situation en
Ukraine et son homologue luxembourgeois, Jean Asselborn, ne
cachait pas non plus son inquiétude. « J’ai bien peur qu’on ne soit
qu’au début d’un processus plutôt
qu’à sa fin », a-t-il déclaré.
Toutefois, le texte adopté lundi
par les Européens n’est qu’un premier pas. « S’il n’y a pas de mesures rapides et concrètes de désescalade», a prévenu Laurent Fabius,
le chef de la diplomatie française,
« les ponts seront coupés sur beaucoup de sujets».
Mais la menace de recours à
des sanctions, dont l’adoption est
différée jusqu’à jeudi, est loin de
faire l’unanimité au sein de l’UE.
L’Allemagne, notamment, qui
s’est imposée comme le principal
interlocuteur de Vladimir Poutine, est réticente à s’engager sur
cette voie, dont elle redoute les
retombées sur ses nombreux intérêts commerciaux en Russie.
Argument économique
En revanche, les pays scandinaves, et surtout la Pologne et les
pays baltes, traditionnellement
plus revendicatifs vis-à-vis de la
Russie, se sont montrés satisfaits
de la réunion de Bruxelles, alors
qu’ils se sont longtemps plaints
de la «mollesse» de leurs partenaires européens vis-à-vis de Moscou. La Russie pourrait faire face
« à de sérieuses conséquences» si
elle poursuit son intervention en
Crimée, s’est félicité Radoslaw
Sikorski, le ministre polonais des
affaires étrangères
A ce stade, fait-on savoir au
Quai d’Orsay, il est encore nécessaire de « rester graduel dans le
langage et les mesures de rétorsions envisagées. Elles seront calibrées en fonction de l’évolution
sur le terrain ».
Si la Russie se montre intransigeante d’ici à jeudi, les Européens
disent disposer de «toute une gamme de ripostes» qui pourraient
être mises à l’ordre du jour lors de
la réunion du 6 mars à Bruxelles:
sanctions économiques, notamment dans le secteur bancaire,
embargo sur les armes, gel des
avoirs des institutions et des individus, suspension des négociations sur le régime des visas, etc.
La logique, note un diplomate
européen, consiste à « envoyer des
La BBC révèle une note embarrassante sur les sanctions
Le Royaume-Uni pourrait s’opposer à des sanctions commerciales contre la Russie et ne souhaite pas fermer la City aux capitaux russes en réponse à l’intervention de Moscou en Ukraine, a
rapporté, lundi 3 mars, la BBC
sur la foi d’un document montré
par mégarde à un photographe.
Ce texte officiel, qui a été photographié alors qu’un haut responsable britannique, non identifié
par la BBC, le portait au premier
ministre, David Cameron, au 10,
Downing Street, souligne que
« le Royaume-Uni ne devrait pas
soutenir pour l’instant des sanctions commerciales ou fermer
aux Russes le centre financier de
Londres ». La BBC ne précise pas
si ce document ne vise qu’à évoquer des hypothèses de travail
ou s’il définit la position officielle de Londres.
flèches sur les deux talons
d’Achille» de la Russie : sa fragilité
économique et son souci de respectabilité sur la scène mondiale.
« Il n’est pas certain que Poutine
ait envie de devenir un nouveau
Mugabe», souligne-t-on au Quai
d’Orsay, en référence au président
du Zimbabwe, paria de la communauté internationale.
A supposer que la Russie recherche encore le compromis, l’argument économique pourrait être le
plus pertinent. Les menaces de
sanctions et d’isolement proférées, dimanche, par John Kerry, le
secrétaire d’Etat américain, ont
semé un vent de panique sur les
marchés russes et fait plonger la
Bourse de Moscou, lundi.
En attendant les décisions que
prendront les dirigeants européens, jeudi à Bruxelles, la pression diplomatique contre la Russie va se poursuivre, mardi
4mars, avec la convocation d’une
deuxième réunion de crise de
l’OTAN sur l’Ukraine.
Elle est, à nouveau, convoquée
par la Pologne, qui a invoqué l’article 4 du traité de l’OTAN, qui permet à chaque membre de l’Alliance atlantique de consulter ses partenaires chaque fois qu’il estime
que sa « sécurité est menacée ».
L’onde de choc du conflit ukrainien n’en est qu’à ses débuts. p
Yves-Michel Riols (à Paris)
et Alain Salles (à Bruxelles)
ment à ce qu’avance Moscou pour
sa défense, « on ne tue pas aujourd’hui dans les rues de Kiev, on ne
menace pas les populations russophones de Crimée et les néonazis
n’ont pas pris le pouvoir à Kiev».
La France veut coopérer avec
une Russie «avec laquelle elle a une
longue histoire commune mais pas
à n’importe quel prix », a encore
insistél’ambassadeur,avantdeprésenter le plan en six points qui
devrait, selon lui, constituer la base
d’une sortie de crise : le retour des
forces armées russes dans leurs
bases, le cantonnement immédiat,
le désarmement et la dissolution
desélémentsparamilitaires,lerétablissement par le Parlement ukrainien de la loi sur les langues régionales, la mise en place d’un haut
conseilpourlaprotectiondesminorités, la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle et l’organisation d’élections présidentielles le
25 mai sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
Unpeu plus tard, devant la presse, M. Tchourkine mettait en doute l’utilité des institutions internationales dans les conflits, citant
l’exemple du Kosovo en 2000, où
« rien n’a été fait pour empêcher les
tueries perpétrées contre les Serbes». La Russie avait demandé cetteréuniondu Conseil,maisn’a proposé « aucune ouverture qui permettrait de faire baisser la tension»,a regretté l’ambassadeurbritannique Mark Lyall Grant à l’issue de cette séance houleuse de
plus de deux heures.
Selon le représentant ukrainien
à l’ONU, Iouri Sergueïev, approximativement 16 000 soldats russes
ont été déployés en Crimée depuis
le 24 février. Les forces armées
ukrainiennes ont « fait preuve de
retenue jusqu’à maintenant », a
relevé l’ambassadeur, qui a cependant mis en garde contre le risque
de « provocations» auxquellesl’armée russe pourrait recourir pour
attaquer l’Ukraine. Si tel était le
cas, l’ONU resterait figée dans son
silence, le droit de veto dont dispose Moscou en tant que membre
permanent du Conseil de sécurité
faisant obstacle à toute action. p
Alexandra Geneste
0123
international
Mercredi 5 mars 2014
3
L’OTAN n’envisage aucune action concrète
Les ambassadeurs des pays membres de l’Alliance atlantique devaient se réunir de nouveau, mardi 4mars, à la demande de la Pologne
E
n dépit de fermes déclarations, la crise ukrainienne
n’est, pour l’heure, pas une
affaire pour l’OTAN, indiquent
diplomates et militaires. « Il n’est
pas question d’un plan militaire, il
n’existe pas de plan », assure une
source française à Bruxelles.
Après une première réunion du
Conseil de l’Atlantique Nord
dimanche 2 mars, les ambassadeurs des 28 pays membres devaient se retrouver mardi à la demande de la Pologne, dans le cadre de
l’article4 du traité. Celui-ci prévoit
une consultation quand, « de l’avis
de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la
sécurité de l’une des parties est
menacée ». L’article 4, rarement
invoqué, l’a été pour la dernière
fois par la Turquie dans le cadre du
conflit syrien.
Depuis qu’elle avait signé une
charte de partenariat avec l’OTAN
en 1997, l’Ukraine était considérée
« comme un partenaire fiable, stable et influent », souligne la Fondation Robert-Schuman. Le pays a
participéaux opérationsdestabili-
sation dans les Balkans. Il s’est
impliquédans desactionsen Méditerranée, et a facilité la logistique
otanienne en Afghanistan en
ouvrant son espace aérien.
Les perspectives d’un élargissementde l’Allianceà l’Ukraine et à la
Géorgie,vouluà toutprix parGeorge Bush en 2008, ont fait long feu.
Français et Allemands y avaient
opposé leur veto au sommet de
Bucarest cette même année.
Depuisla crisegéorgienne,et l’élection de Barack Obama, l’administration américaine s’est montrée
beaucoup plus prudente, même si
des fonds américains ont financé
les mouvements pro-européens
ukrainiens. L’OTAN se contente de
rappelerqu’ellemaintientsa«politique de la porte ouverte».
En 2010, le président ukrainien
Viktor Ianoukovitch a renouvelé
le bail de la base russe de Sébastopol, prolongé jusqu’en 2042, en
échange d’une réduction de 30 %
du prix du gaz. Il a aussi fait part à
l’OTAN de sa décision d’arrêter son
programme
d’intégration.
« Quand Ianoukovitch a dit qu’il
La Chine tiraillée entre le
principe de non-ingérence
et son alliance avec Moscou
Pékin ne cautionne pas l’intervention russe
en Crimée, sans pour autant la condamner
Pékin
Correspondant
L
’ambassadeur de Chine aux
NationsUnis, Liu Jieyi, a réitéré lundi lors d’une réunion
d’urgence à l’ONU, que son pays
avait toujours « respecté le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays et accordait une importance majeure au
respect de l’intégrité territoriale de
l’Ukraine », laissant penser que la
Chine est en train d’évoluer vers
une position un peu plus ferme à
l’égard de Moscou que ne le laissaiententendrejusque-làles déclarations officielles. L’agence Chine
nouvelle a précisé toutefois que
Pékin se tiendrait dans une position de « stricte neutralité».
Malgré la « large convergence de
vues » entre la Chine et la Russie
dont s’était réclamé lundi le ministère russe des affaires étrangères,
Pékin est face à un dilemme. Il
s’agit de ménager l’allié russe sans
se dédire, car le principe de noningérence dans les affaires internes d’un Etat souverain est pour
Pékin sacro-saint, en raison de la
«politiqued’uneseuleChine», position selon laquelle des territoires
comme Taïwan et le Tibet font partie intégrante du territoire chinois.
Pékins’était déjàmontréerelativement critique vis-à-vis de l’opération russe en Géorgie en 2008.
Cette fois, d’autres considérations
entrent en jeu : le régime chinois a
une sainte horreur des soulèvements populaires du type de ceux
qui ont conduit à la destitution du
président ukrainien Ianoukovitch,
accueilli par Pékin en décembre2013 en visite officielle. Le communiqué officiel russe rapporté
par l’agence Itar-Tass souligne
d’ailleurs que la Chine « partage
l’analyse» de la Russie sur le « rôle
des forces extérieures qui ont
appuyé EuroMaïdan et torpillé la
mise en œuvre de l’accord du
21 février» – c’est-à-dire l’Occident.
La méfiance du régime vis-à-vis
des « révolutions de couleur » ou
autres« printempsarabes» estavérée: maints séminaires et discours
au sein du Parti communiste ont
été consacrés à ces écueils que la
Chinedoit éviter. Dans une tribune
publiéesamedi1er marsparlequotidien Huanqiu Shibao (Global
Times), le major-général Wang
Haiyun, consultant pour le CIIS
(China Institute of International
Studies), avait incité la Chine à « ne
pas se presser» avant de « reconnaîtrelenouveaugouvernementukrainien », dont il fait une « création »
des « révolutions de couleur» instiguées par des «opposants pro-occidentaux». Reconnaître ce nouveau
gouvernement voudrait dire pour
la Chine cautionner « le néo-interventionnisme», a précisé en substance M.Wang.
Ambiguïté
Sur le front diplomatique, les
déclarations officielles de Qin
Gang, le porte-parole chinois des
affaires étrangèreslundi, ont reflété l’ambiguïté chinoise: « Il y a des
raisons pour lesquelles la situation
en Ukraine est là où elle en est
aujourd’hui», a-t-il déclaré tout en
appelant au « dialogue et à la
consultation ». Interrogé sur la
reconnaissance par la Chine du
nouveau gouvernement ukrainien, Qin Gang avait répondu que
celle-ci « requérait un jugement
qui se base sur les lois ukrainiennes ». Notre position, a-t-il précisé,
« est d’être objectifs, équilibrés, justes et pacifiques, d’adhérer aux
principes ainsi qu’aux faits ».
Dequelcôtévapencherle«pragmatisme » chinois ? L’ancienne
république soviétique était depuis
son indépendance devenue une
plaque tournante pour les acquisitions chinoises d’armement – c’est
d’Ukraine que vient son porteavions le Liaoning, acheté en 1998
pour renforcer sa flotte. En outre,
Pékin avait promis plusieurs milliards de dollars d’investissement
lors de la visite de l’ex-président
Ianoukovitch en décembre 2013.
Un magnat chinois de l’industrie,
Wang Jing, avait alors annoncé le
projet de construire au côté d’un
partenaire ukrainien, Kievgidroinvest, un port en eaux profondes
sur la péninsule de Crimée.
Pékin sait que l’Ukraine postMaïdan aura besoin de son aide – à
condition de rester neutre. « La
meilleure solution pour la Chine
reste de ne pas prendre position
très clairement », résume Shi Yinhong, spécialiste des relations
internationales à l’université Renmin à Pékin. « En cas de vote [d’une
résolution] à l’ONU, estime M. Shi,
la Chine ne pourra pas s’opposer à
la Russie». p
Brice Pedroletti
n’était plus intéressé, tout le monde a été soulagé », note Camille
Grand, directeur de la Fondation
pour la recherche stratégique, à
Paris. « Les chances d’une adhésion
même lointaine étaient proches de
zéro avant cette crise. »
Resteque descoopérationstechniques se sont développées, visant
à diffuser les standards de l’OTAN
dans une armée ukrainienne faible. « C’est une intégration par la
normalisation, qui, de proche en
proche, change les esprits», confirme un officier français. Aussi,
« dans la vision d’un jeu à somme
nulle que développe Poutine dans
les relations internationales, une
Ukraine qui se rapproche de l’Europe est susceptible un jour d’entrer
dans l’OTAN », ajoute M.Grand.
L’OTAN ne peut agir en Ukraine
faute de consensus et le jeu russe
n’est pas étranger à cette division.
Dans l’Alliance, où les décisions se
prennent à l’unanimité, la « nouvelle Europe » née de la fin de
l’URSS s’oppose à l’ancienne. Derrière la Pologne, les anciens satellites soviétiques, notamment les
Baltes qui abritent une forte minorité russophone, poussent à la fermeté. Mais Français et Allemands,
soucieux de ne pas isoler la Russie
au plan économique et parce
qu’ils savent ne pas pouvoirse passer d’elle dans les dossiers iranien
et syrien, veulent un compromis.
Dans l’Alliance,
la «nouvelle Europe»,
née de la fin
de l’URSS, s’oppose
à l’ancienne
La base navale russe de la mer
Noireest le pointd’appui de la Russieen Syrie.Dans l’OTAN,la spécificité russe de la Crimée est reconnue dans les faits. Contrairementà
ce qui s’était passé lors de la crise
géorgienne en 2008, nul bateau
occidental n’est entré ces jours-ci
en mer Noire. « L’OTAN doit jouer
son rôle d’alliance militaire face à
la Russie, mais elle ne doit pas être
un acteur de la crise, qui doit être
régléeparl’ONU,l’UE, l’OSCE»,résu-
me un officiel français à Bruxelles.
Varsovie n’a pas obtenu de réunion des 28 au niveau ministériel.
Et si la première déclaration de
l’OTAN s’est voulue ferme
vis-à-vis de Vladimir Poutine, elle
a rappelé à l’Ukraine l’exigence de
protéger ses minorités. « C’est une
volonté d’équilibre par rapport à
un régime ukrainien que l’on ne
trouve pas encore complètement
fréquentable, et un accord est à
trouver avec la Russie », indiquait
lundi une source à l’OTAN.
En Pologne, des voix réclament
un embargo sur les armes, plaçant
la France en ligne de mire : celle-ci
achève la construction d’un bâtiment de projection et de commandement (BPC), porte-hélicoptères
dont elle a vendu deux exemplaires à la Russie. Le bateau est encore
dans les chantiers de Saint-Nazaire. Il doit rejoindre Saint-Pétersbourg à l’automne, pour être équipé de son armement russe, avant
de rejoindre la flotte russe du Pacifique en 2015.
Lors des négociations, en 2009,
Paris avait déjà dû rassurer ses
alliés dans l’OTAN. L’exécutif
n’était, alors, pas unanime sur l’intégration de l’Ukraine dans
l’OTAN, mais les perspectives du
marché russe faisaient, elles,
consensus. « Le BPC ne changerait
rien à la crise actuelle, compte tenu
du différentiel de puissance entre
les armées russe et ukrainienne »,
estime l’ancien ministre de la
défenseHervé Morin.Celui-ci indique que lors des discussions sur la
vente du BPC, la question ukrainienne n’était pas dans le radar.
La seule démonstration de force reste donc celle de la Russie. A
l’ONU, lundi, le représentant de
l’Ukraine a affirmé que Moscou
avait envoyé 16 000 hommes en
Crimée depuis le 24 février, en
plus des troupes déjà stationnées.
L’accord sur la base de Sébastopol
prévoit un plafond de 25 000 soldats russes, mais nul déploiement
hors de cette enceinte. Les sources
occidentales indiquent par
ailleurs que 100 000 à 150 000
militaires russes sont déployés
aux frontières de l’Ukraine. p
Nathalie Guibert
4
0123
international
Mercredi 5 mars 2014
Arméeukrainienne
contresoldats
fantômesenCrimée
Des militaires russes, sans signes distinctifs,
contrôlent les principaux axes de la péninsule
Reportage
Bakhchissaraï (Crimée)
Envoyé spécial
V
ladimir Poutine a ordonné
aux troupes du centre et de
l’ouest de la Russie de rentrer dans leurs bases, mardi 4mars.
Il avait assisté la veille au dernier
jour d’exercices de ces troupes,
ordonnés par surprise le 26 février.
Lundi, les chancelleries avaient
prisau sérieuxl’agencerusse Interfax selonlaquelle le chefde laflotte
russe de la mer Noire, le vice-amiral Alexandre Vitko, avait ordonné
aux Ukrainiens de déposer les
armes d’ici mardi, à 5 heures du
matin, sans quoi un assaut serait
lancé sur toutes les bases de la
péninsule.L’agencecitaitunesource anonyme au ministère ukrainien de la défense.
C’étaitdirequelaprisedecontrôledelaCrimée,achevéedès vendredi, se muerait en guerre ouverte,
afin d’y réduire les poches de territoire encore sous l’autorité de Kiev,
ou simplement restées passives.
Le bureau russe d’Interfax
démentait quelques heures plus
tard : le QG de la flotte, à Sébastopol, dénonçait« une absurditétotale»etprécisaitqu’«aucuneattaque
n’estenpréparation».SergueïNarichkine, président de la Douma,
avait assuré plus tôt qu’il n’était
« pas nécessaire pour le moment »
d’envoyer l’armée en Ukraine.
D’autant plus qu’elle y est déjà.
L’armée ukrainienne a annoncé
elle aussi avoir reçu un premier
ultimatum russe, qui enjoignait
les équipages de deux navires
ukrainiens bloqués à quai à Sébastopol de se rendre sans délai, sous
menace d’un assaut. Quatre navires russesles empêchaientde quitterla rade. Le ministèredela défense russe a également démenti.
Plus grave peut-être : lundi,
l’ambassadeur ukrainien auprès
de l’ONU, Iouri Sergueïev, affirmait que la Russie avait déployé
16 000 hommes dans la région
depuis une semaine, en violation
des accords conclus avec la base
russe de Sébastopol. Le contingent
régulier compte déjà 25 000 hommes. Selon les gardes frontières
ukrainiens, 4 navires militaires
russes, 13 hélicoptères et 8 avions
de transport de troupes sont arrivés en Crimée depuis vendredi.
Cette concentration laisse craindre la préparation d’une offensive
plusvaste. Samedi,VladimirPoutineavaitdemandéetobtenudu Parlement russe l’autorisation de
déployer les forces dans tout le territoire ukrainien.
Ces troupes contrôlaient lundi
les points de passage entre la Cri-
Des soldats sans signe de nationalité dans la base militaire de Perevalne, à 30 km de Simferopol. LORIS SAVINO
mée et l’Ukraine. Elles y creusaient
des tranchées, laissant des Cosaques ukrainiens réguler le trafic.
Les Russes tenaient encore un terminal de ferry reliant la péninsule
à la Russie par la mer près de Kerch.
De nouvelles troupes pourraient
arriver par ce point de passage.
Dans les terres, depuis deux
jours,les positionsmilitairesukrainiennes autour de Sébastopol, les
deux bases de Perevalne et celle de
Bakhchissaraï, ainsi que quelques
postes de douanes, font l’objet de
raids. Des soldats, toujours masqués et sans signe de nationalité, y
enfoncent des portes au pied-de-
biche, tandis que des officiers qui
seprésententcommerusses àleurs
homologues ukrainiens demandent leur reddition.
Moscouaurait déployé
16000 soldats dans
la région, le contingent
régulier comptant
déjà 25000 hommes
A Bakhchissaraï, lundi soir, des
proches de soldats rodaient sous
les arbres, à la recherche de nouvel-
les. Slava, 21 ans, avait jeté par-dessusle mur des cigaretteset des graines à croquer à son petit frère,
20ans, convoquéà la base il y a sept
jours « pour un entraînement ».
Depuis, il y est assigné. Selon son
frère, plusieurs de ses camarades
ont déjà quitté la base. Cela ne surprendrait pas: d’autres ont été vus,
dimanche, regagner discrètement
leur maison, à la nuit tombée.
« Il y a encore une vingtaine de
types à l’intérieur qui laisseraient
bien leurs armes et qui partiraient.
Mais c’est parfait! S’ils s’en vont, ils
sont déserteurs et risquent six ans
de prison. S’ils restent [avec les Rus-
La Turquie, parrain attentif des Tatars de Crimée
Istanbul
Correspondance
Après un long silence sur la répression de Maïdan, la diplomatie turque, inquiète de la situation de la
minorité tatare de Crimée, se mobilise sur le dossier ukrainien. Le président de la République, Abdullah
Gül, a convoqué, lundi 3mars, une
réunion de crise au palais de Çankaya avec le ministre des affaires
étrangères, Ahmet Davutoglu.
«Nous ne laisserons pas les tensions
en Crimée nous entraîner dans une
crise avec la Russie, a déclaré le chef
de la diplomatie turc. Certains pouvoirs pourraient tenter de transformer la question de la Crimée en une
crise russo-turque. Mais la Crimée
est d’abord et avant tout un problème pour l’Ukraine.»
Un peu plus tôt, M. Davutoglu
avait reçu des représentants des
associations de Tatars de Crimée,
implantés en nombre en Turquie.
Ces organisations ont défilé
dimanche, à Ankara et à Bursa
notamment, pour réclamer le soutien du gouvernement turc.
« Nous serons toujours là où nos
frères ont besoin d’aide. Nous
serons toujours à vos côtés pour
aider la Crimée, la terre de nos
ancêtres», a promis M. Davutoglu.
Ankara revendique un rôle
dans le règlement du conflit. Mais
le coup de force de Moscou dans
la péninsule place la Turquie en
position délicate. Ses liens historiques avec la minorité tatare turcophone – environ 280 000 personnes, soit 12 % de la population –
l’obligent à prendre position.
M.Davutoglu s’est donc rendu à
Kiev samedi, où il a rencontré les
nouvelles autorités ainsi que l’ancien président du Mejlis, l’assem-
blée parlementaire des Tatars de
Crimée, Mustafa Qirimoglu Djemilev. Celui-ci a soutenu l’insurrection de Maïdan et la destitution de Viktor Ianoukovitch.
Mais, dans le même temps, la
Turquie fait son possible pour éviter de froisser la Russie, avec
laquelle elle entretient des relations cruciales, notamment pour
son approvisionnement énergétique. Or ces relations sont déjà compliquées par la guerre en Syrie.
« Maintenir l’équilibre »
La crise en Crimée ranime les
vieux rêves de panturquisme encore vifs dans les partis nationalistes.
Elle réveille aussi les ambitions
diplomatiques régionales turques,
mises en sommeil ces derniers
mois par les affaires de corruption
qui ébranlent le premier ministre,
Recep Tayyip Erdogan. M.Davuto-
glu avait déjà tenté en 2012 de trouver une issue diplomatique au sort
des Tatars en provoquant une réunion avec son homologue ukrainien, le représentant du gouvernement régional de Crimée et celui
de l’assemblée des Tatars.
La Turquie garde en mémoire
que l’ancien khanat de Crimée,
fondé par des tribus turco-mongoles de la Horde d’or, resta plusieurs siècles sous domination
ottomane, avant d’être annexé, en
1783, par la Russie de Catherine II.
Un exode des Tatars s’ensuivit
vers la Turquie. Il s’accéléra sous
Staline dans les années 1940 avec
les déplacements forcés.
Ankara a récemment ravivé ses
liens avec la minorité turcophone
d’Ukraine. L’Agence turque de coopération et de développement
(TIKA) dispose d’un bureau à Simferopol, et projette d’y financer
une mosquée. Elle y mène des projets éducatifs depuis 1997 et a
signé avec le gouvernement de
Crimée, en octobre 2013, un
accord de coopération.
Comme pour la guerre russogéorgienne de 2008, Ankara
devrait strictement s’en tenir à la
convention de Montreux, qui lui
confère le contrôle des détroits des
Dardanelles et du Bosphore et limite le passage de navires militaires,
sauf pour les pays riverains de la
mer Noire. Le gouvernement turc
n’a guère le désir de provoquer
une crise dans ses relations avec
Moscou, son principal fournisseur
de gaz. M. Davutoglu a réaffirmé
l’importance de «protéger l’intégrité territoriale de l’Ukraine», mais il
a également appelé Kiev à « maintenir un équilibre » entre l’Union
européenne et la Russie. p
Guillaume Perrier
ses ou l’autorité de Crimée], ils
deviennent des traîtres » Le commandant a parlé à ses troupes à
9 heures. Personne n’est sorti.
Autour de Slava, un copain de
soldat et quelques rares voisins
ayant encore le cœur de sortir le
soir faisaient entendre la ligne
défendueàMoscou,commeaugouvernement régional de Crimée :
« Les Russes protègent les armes.
Regardez-les: ils tournent le dos à la
base. Ils sont là pour éviter que Pravyi Sektor [un groupe nationaliste
radical de Maïdan] et des terroristes
ne viennent prendre les fusils »,
avanceAlexeiPinziyenko,étudiant
en mathématiques. Il s’inquiète
notammentd’une prised’armesde
radicaux dans la minorité musulmane tatare. « D’autres l’ont fait à
Lviv », la grande ville de l’ouest du
pays, précise-t-il. Alexei a en partie
raison : les manifestants antiIanoukovitch ont vidé là-bas des
commissariats, puis une base militaire il y a deux semaines, avant la
chute du gouvernement de Kiev.
A Sébastopol, lundi, les officiers
du quartier général de la flotte
ukrainienne ont officiellement
refusé de se rendre. Leur ancien
commandantenchef,DenisBerezovsky, avait fait défection la veille.
M.Berezovsky est venu demander
auxhommesdedevenirlespremières recrues des forces armées de la
République autonome de Crimée.
Son remplaçant, Serhiy Haiduk, a
condamné sa traîtrise, dénonçant
queM.Berezovskyavaitsubrepticement laissé entrer des membres
des forces spéciales russes lorsqu’on l’a admis dans l’enceinte du
quartier général. p
Louis Imbert
A Donetsk,le nouveau«gouverneurdu Donbass» rejettela tutellede Kiev
Lundi, Pavel Gubarev a pris le contrôle, avec ses militants, du palais du gouvernement de cette région industrielle de l’Est ukrainien prorusse
P
avel Gubarev se dit « citoyen
ukrainienmais de nationalité
russe ». Dans cette formule
ambiguë, le chef des militants qui
ontpris,lundi3 mars,lecontrôledu
palais du gouvernement à Donetsk
résume le dilemme des habitants
de cette région de l’est de l’Ukraine.
En revanche, les références qu’il
voudraitdonneràsonUkraineidéale sont sans équivoque: la Biélorussie et le Kazakhstan, deux vassaux
de la Russie. Quant au Donbass, ce
territoireest à l’évidence«une terre
russe, même si le pouvoir de Kiev a
toujours fait mine de l’oublier». Et
son avenir, plutôt que dans l’Union
européenne,estdansl’Eurasie,nouvelleterminologiedel’ancienempire soviétique.
Cejeuneentrepreneurde30ans,
quipossèdeuneagencedecommunication, était et est toujours largement inconnu des habitants de
Donetsk. Ce radical est apparu
depuistroisjoursàlatêtedesmanifestations contre le nouveau pouvoirinstallé à Kiev, encadrépar une
«milicedu peuple du Donbass», qui
a également surgi de nulle part. Ses
partisans l’ont proclamé nouveau
gouverneur du Donbass. Il n’en a
pas fallu beaucoup plus pour que
des médias de la capitale voient
dans ce personnage un nouveau
jouet de Vladimir Poutine.
« Derrière moi, il n’y a personne… » : Pavel Gubarev se défend
d’être une marionnette. L’air martial, il réclame qu’un référendum
soit organisé dans la région pour
quelapopulationdécidedesonstatut : soit elle devient un Etat autonome au sein de l’Ukraine, soit elle
rejoint la Fédération de Russie. Il
assure vouloirorganiser lui-même
ce vote, ne reconnaissant plus la
légitimité ni du gouvernement de
Kiev ni du parlement local.
Pour l’heure, ce mouvement
n’est le fait que de quelques centai-
L I T U.
POLOGNE
Donetsk
Envoyé spécial
RUSSIE
BIÉLORUSS I E
Kiev
Kharkiv
UKRAINE
M O L D.
Donetsk
M O L D.
ROUMANIE
Donbass
Odessa
Crimée
Sébastopol
Mer Noire
TURQUIE
50 km
nes de personnes. Mais la prise du
palais s’est faite, lundi en début
d’après-midi, avec une déconcertante facilité. Les berkouts, ces forces antiémeute ukrainiennes qui
s’étaient massivement déployées
autour du bâtiment le matin, ont
laissé faire. Ils sont ensuite restés
dans les couloirs, assis à côté de
leur casque et de leur bouclier.
Ces événements sont à tout le
moins le signe que le pouvoir central ne contrôle plus la situation
dans cette partie du pays. Le gouverneur nommé par la capitale,
Sergueï Tarouta, un oligarque de
Donetsk, s’est éclipsé en attendant
des moments meilleurs. L’ancien
gouverneur destitué, Andrei
Chichatsky, un proche du président déchu Viktor Ianoukovitch, a
été reconduit par l’assemblée locale, lundi. Mais il est rejeté par les
hommes de Pavel Gubarev qui lui
reprochent son attentisme. Il y a
donctrois « gouverneurs» du Donbass. C’est dire si la situation vire
aujourd’hui à l’imbroglio.
Dans le palais du gouverneur,
désormais surmonté du drapeau
russe, les manifestants occupaient
encore mardi la chambredes députés régionaux. Le public, formé de
gensdetousâgesetdetoutesconditions, s’était installé sur les sièges
capitonnés de rouge et applaudissait les orateurs qui se succédaient
en scandant « Russie! Russie! ». Les
tribuns dénonçaient pêle-mêle les
agissements des « fascistes » de
Kiev, l’omnipotence des oligarques, leur attachement à Vladimir
Poutine, leur souhait de conserver
la langue russe qu’ils jugent menacée. Au journaliste français, jeunes
et babouchkas brandissaient leur
passeport ukrainien, accusant les
médias locaux de désinformer en
les faisant passer pour des Russes.
Rumeur un peu folle
Oleg Bokov, 36 ans, un ancien
légionnaire qui a passé cinq ans
dans l’armée française et a participéàdesopérationsenex-YougoslavieouàDjibouti,organisaitleservice d’ordre. Il avait revêtu son
ancien treillis de l’armée française
par-dessus lequel il avait enfilé une
doudoune de l’armée ukrainienne.
A la tête d’une équipe de costauds,
il filtrait les entrées et les sorties
dansd’interminablespalabres.«Ça
fait vingt ans que notre région tra-
vailleet queKievetLvivenprofitent,
assure-t-il. Ça suffit ! Nous voulons
désormais être avec les Russes.»
Il reprend là une des complaintes de cette région sidérurgique et
minière, la plus développée du
pays: elle assure une notable partie du PNB mais estime ne pas être
payée en retour. D’ailleurs, la
rumeur un peu folle que de nouveaux impôts allaient être levés
pour réparer les dégâts causés sur
la place Maïdan, à Kiev, a achevé
d’échauffer les esprits.
Ivan Kvaskov, 33 ans, exprime
sa révolte. « Notre peuple en a marre de ce pouvoir d’oligarques, marre de la bureaucratie et de la corruption, marre que les autorités ne
prennent pas en considération nos
aspirations, marre de ce qui se passe dans notre pays. Nous resterons
jusqu’à ce que soit remis de l’ordre
dans tout ça. » Pour l’heure, la
situationà Donetsk ne fait qu’ajouter à l’anarchie en Ukraine. p
Benoît Hopquin
0123
international
Mercredi 5 mars 2014
5
Barack Obama
veut isolerVladimir Poutine
Washington brandit la menace de sanctions économiques
Washington
Correspondante
S
’il a pu être accusé de « mener
de l’arrière » les crises dans le
monde arabe, ce n’est pas
l’image que Barack Obama entend
donner sur l’Ukraine. Après avoir
tenté de temporiser le plus longtemps possible – il a fallu le vote du
Parlement russe pour que les responsables américains parlent d’invasion –, la Maison Blanche a réagi
avec une vigueur inhabituelle. « Le
président a pris la tête des efforts
pour mobiliser la communauté
internationale, affirme le numéro
deuxdu Conseilnationaldesécurité, Antony Blinken. Et nous voyons
déjà l’impact de ces pressions : les
marchés financiers ont baissé de
13 % ; le rouble est au plus bas.»
«Quand Poutine
joue aux échecs, nous
jouons aux billes»
Mike Rogers
président de la commission
du renseignement
Vingt-quatreheures après avoir
eu un entretien téléphonique de
90 minutes avec Vladimir Poutine, Barack Obama a fait savoir
dimanche 2 mars qu’il préparait
une série de mesures destinées à
isoler la Russie, le pays qu’il ménageait depuis des années dans l’espoir de préserver le semblant de
cogestiondes dossierssyrienet iranien. Le président américain a également consulté ses homologues
européens.Lachancelièreallemande, Angela Merkel, lui aurait indiqué avoir eu l’impression que
M. Poutine avait perdu le sens des
réalités et évoluait « dans un autre
monde» ; une appréciation que les
Américains ont laissé filtrer dans
la presse, pas mécontents, probablement, d’enfoncer un coin entre
Moscou et Berlin.
A l’issue de la deuxième réunion du Conseil national de sécurité en deux jours, le Pentagone a
annoncé lundi avoir suspendu les
liens militaires entre Washington
et Moscou, soit les exercices, esca-
lesde navireset conférencesde planification militaire.
Le secrétaire d’Etat, John Kerry,
a été dépêché à Kiev, mardi, pour
manifester la solidarité des EtatsUnis avec le gouvernement ukrainien et l’encourager à la retenue. Il
doitévoquerle plan d’aidebilatérale à l’Ukraine que Washington propose en complément du programmed’assistanceduFonds monétaire international.
Parallèlement, le département
d’Etat a annoncé plusieurs mesures montrant qu’il ne peut plus
être question de « business as
usual » entre Moscou et Washington. La visite en Russie d’une délégation américaine du Bureau du
commerceextérieur a été annulée.
Elle devait lancer la préparationdu
traité bilatéral d’investissement
que Washington espérait apporter
à Sotchi, en marge du G8 de début
juin.
Les Américains entendent frapper au porte-monnaie. « A chaque
rencontre au sommet à laquelle j’ai
assisté,Poutineinsistaitpourdiscuter de commerce et d’investissements, a expliqué sur la chaine PBS
l’ambassadeur Michael McFaul,
qui vient de quitter son poste à
Moscou. Maintenant, ce ne sera
plus possible. Nous ne sommes plus
à l’époque de la Hongrie ou de la
Tchécoslovaquie. Les économies
sont intégrées. Nous avons des
moyens de pression.» Au département d’Etat, on souligne la « vulnérabilité des banques russes».
John Kerry a aussi évoqué des
sanctions individuelles, telles que
des interdictions de visa ou le gel
des avoirs, qui viseraient les élites,
les oligarques, les classes aisées qui
font leur shopping à Londres ou
passent leurs vacances sur la Côte
d’Azur. « Il y a beaucoup de gens
autour du président Poutine qui
n’accepteront pas ces coûts, a assuré Antony Blinken, le conseiller
présidentiel. Mais ces sanctions ne
valent que si elles sont appliquées
partout.»
« Le test de leadership pour
Barack Obama va être de ramener
l’Allemagnedans le giron », prévoit
Gary Schmitt, le spécialiste des
affaires militaires du centre de
recherches conservateur American Enterprise Institute.
Certains républicains vont plus
loin en proposant d’accélérer le
processus d’expansion de l’OTAN,
et l’intégration de la Géorgie.
D’autres, comme le président du
Council on Foreign relations,
Richard Haass, plaident pour la
libéralisationdurégime d’exportations de pétrole et de gaz naturel
américains vers l’Europe, ce qui
permettrait à des pays comme
l’Ukraine de réduire leur dépendance à l’égard de la Russie. « La
transformation énergétique des
Etats-Unisnousdonnedespossibilités que nous n’avions pas il y a quelques années », estime-t-il.
Pour Barack Obama, la crise est
aussi l’occasion de rassembler
dans un domaine où il est désormais submergé de critiques : la
politique étrangère. Certains républicains, furieux, le rendent indirectement responsable de la situa-
Par coïncidence, la montée des
périls en Ukraine intervient à un
moment où les Etats-Unis annoncent une réduction de leurs effectifs militaires. Dans le budget 2015
qu’il présente le 4mars, Barack
Obama a inclus une réorientation
des forces armées qui traduit ses
grands choix stratégiques: fin des
déploiements en Irak et en Afghanistan, adaptation aux nouvelles
missions, pivot vers l’Asie.
Selon les propositions présentées au Congrès par le secrétaire à
la défense, Chuck Hagel, l’armée de
terre devrait passer de
522000hommes à 440000 ou
450000 avant 2017, soit le niveau
le plus bas depuis 1940. Plusieurs
équipements sont promis à disparaître comme l’avion espion U-2,
remplacé par le Global Hawk, piloté à distance, ou l’avion A-10 conçu
pour détruire les chars soviétiques
en Europe pendant la guerre froide. Les Etats-Unis ne seraient plus
capables de mener deux opérations terrestres en même temps.
Les réductions sont rendues
nécessaires par ce que M.Hagel
appelle «les nouvelles réalités»
internationales qui nécessitent
plus d’investissements dans la
cyberdéfense et dans les opérations spéciales que dans les opérations au sol. Elles sont aussi le
reflet des coupes budgétaires automatiques (sequester) qui imposent
tion en Ukraine. « Quand Poutine
joue aux échecs, nous jouons aux
billes », a lâché Mike Rogers, le présidentde la Commissiondu renseignement à la Chambre. Pour Ed
Royce, le président de la Commission des affaires étrangères, Vladimir Poutine a été enhardi par la
volte-face de Barack Obama fin
août sur la Syrie. « Plus personne ne
croit à la puissance américaine», a
gémi le sénateur John McCain.
Le Congrès a prévu d’examiner
le plan d’aideà l’Ukraine (1 milliard
en garanties d’emprunts) dans les
prochains jours. « Ce devrait être
un sujet consensuel», s’est félicité
M.Obama. Ceux qui se sont oppo-
sés à la guerre en Irak attendent de
voir les parlementaires (John
Kerry en était à l’époque) adopter
le principe rappelé lundi par
M. Obama : « Aucun pays n’a le
droit d’envoyer des troupes dans
un autre pays sans avoir été provoqué. » p
Corine Lesnes
MALI, Ô MALI
« Orsenna,
notre meilleur griot. »
Trop peu de GI en Europe?
Washington
Correspondante
Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, s’envole pour Kiev, le 3 mars. KEVIN LAMARQUE/AP
Le Figaro Littéraire
« Une fantastique odyssée. »
au budget de la défense de ne pas
dépasser 496milliards de dollars
(361milliards d’euros) pour l’exercice 2015. Les Etats-Unis resteront
néanmoins le pays qui consacre à
ses forces armées autant que les
dix pays suivants ensemble.
Prisme asiatique
L’invasion de la Crimée pourraitelle provoquer un réexamen des
décisions? Le Pentagone a prévu
des réductions supplémentaires
dans les unités postées en Allemagne (actuellement quelque
10000 hommes contre 200000
en Europe à la fin de la guerre froide). Pour Gary Schmitt de l’American Enterprise Institute, l’administration Obama a été vite en besogne lorsqu’elle a décidé de déplacer des forces vers l’Asie, présupposant que l’Europe était une région
de toute tranquillité. « Nous
devons réaffirmer nos liens de sécurité avec l’Europe, conseille-t-il. Les
pays baltes, la Pologne se sentent
négligés depuis des années.»
Les experts prévoient que
Barack Obama pourrait être obligé
de revoir la réduction du niveau
des troupes en Europe. «C’est la crise la plus grave dans les relations
entre grandes puissances depuis la
chute de l’URSS, estime Charles
Kupchan, du Council on Foreign
Relations. L’invasion de la Crimée
va peut-être signifier que l’époque
de la rivalité entre grandes puissances est de retour.» p
C. Ls
L’Express
« Ce roman donne à rire
et à pleurer. »
Le Point
« Une machine littéraire
fabuleuse. »
Elle
« Un chef-d’œuvre de drôlerie
et d’érudition. »
Ouest France
« Madame Bâ en majesté,
en liberté, en colère. »
Le Journal du Dimanche
« Un conte jubilatoire. »
Lire
Photo© Bernard Matussière
6
0123
international & planète
Mercredi 5 mars 2014
AbdelazizBouteflikaconfirme
saquatrièmecandidature
Le président algérien sortant est apparu à la télévision le 3mars
et s’est exprimé pour valider sa participation à la présidentielle
C
e fut d’abord le geste d’une
main levée et une silhouette
entraperçueà traversle parebrise d’une Mercedes noire. Puis
l’image s’est précisée. A 19 heures,
lundi 3 mars, le président AbdelazizBouteflikaestapparusurla chaîne de télévision nationalealgérienneassisaucôtédesonancienministre des affaires étrangères, Mourad
Medelci, aujourd’hui président du
Conseil constitutionnel, au siège
de l’institution. « Je suis venu déposer officiellement ma candidature
conformément à l’article 74 de la
Constitutionet à la loi électorale», a
déclaré M. Bouteflika, en paraphant son dossier pour l’élection
présidentielle prévue le 17 avril.
L’article cité dispose que le « président de la République est rééligible ». Il avait été modifié en 2008
pour mettre fin à la limite de deux
mandats présidentiels de cinq ans
et permettre à l’actuel chef de
l’Etat, élu depuis 1999, d’en solliciter un troisième. Cette fois, il s’agit
d’un possible quatrième mandat.
Un long cortège de voitures officielles l’avait précédé, chargées de
cartons contenant, dit-on, bien
davantage que les 60000 signatures de citoyens (ou celles de
600 élus) nécessaires. Selon des
témoins, son frère, Saïd Bouteflika,
était présent.
Alaveilledeladatede clôturedu
dépôt des candidatures, celle de
M. Bouteflika était guettée plus
qu’aucune autre. Souriant, le président algérien a croisé les mains.
Pendant quelques secondes, il s’est
exprimé, la voix faible mais audible. Tous signes scrutés avec attention par ses opposants qui dénient
au dirigeant algérien âgé de 77 ans,
victime d’un grave accident vasculaire cérébral en avril 2013 et soigné
en France pendant quatre-vingts
jours, les capacités à gouverner.
Angela Merkel,
élue trois fois,
est citée en exemple
Depuis son discours prononcé à
Sétif en mai 2012, peu avant des
élections législatives, les Algériens
n’avaient plus entendu le son de sa
voix. C’est à travers des messages
lus par ses ministres qu’à plusieurs
reprises ces dernières semaines
M.Bouteflikaaprisposition–ladernièreendate,dimanche,pourappeler les Algériens à « voter massivement» le 17 avril. Hormis quelques
Centrafrique
L’ONUproposel’envoide près
de 12000casquesbleus
NEW YORK. « Il n’y a pas de remède miracle. (…) Répondre à cette
crise va demander du temps et des moyens», a déclaré le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui a transmis lundi 3 mars
son rapport sur la crise centrafricaine au Conseil de sécurité.
LesNations unies ont ainsi proposé l’envoi de 11 820 casques
bleus dans le pays. Leur priorité: protéger les civils. La mise
en œuvre de l’opération, une fois validée par le vote d’une
résolution, se fera par étapes: une première vague de personnels
militaires rétablira l’ordre et la sécurité, puis la police, renforcée
par une importante composante civile, prendra
progressivement le relais pour une mission de stabilisation.
L’ONU, qui craint de voir les violences mener à une partition du
pays, compte entre-temps soutenir financièrement les contingents africains déjà sur place. p Alexandra Geneste
Bahreïn Trois policiers tués dans un attentat
DUBAÏ. Trois policiers, dont un officier émirati, ont été tués
lundi 3 mars par un attentat à la bombe dans un village chiite
de Bahreïn où ils dispersaient des « émeutiers», ont annoncé les
ministères de l’intérieur des deux pays. C’est la première fois
qu’un membre des forces de sécurité d’un autre pays du Golfe
est tué à Bahreïn, où des militaires des Etats voisins ont été
déployés il y a trois ans pour soutenir la monarchie sunnite
faceau soulèvement chiite. – (AFP.)
Italie Beppe Grillo condamné
à quatre mois de prison ferme
ROME. Beppe Grillo, le chef du Mouvement 5 étoiles, contestataire et anti-partis, a été condamné lundi 3 mars par le tribunal
deTurin à quatre mois de prison ferme pour avoir brisé les scellés
du chantier du TGV Lyon-Turin. Onze autres militants opposés à
la construction de cette ligne ont également été condamnés à des
peines allant jusqu’à neuf mois de prison. L’avocat de M. Grillo a
indiqué qu’il attendait «les motivations du tribunal avant de prendre la décision de faire appel ou non ». – (AFP.)
- CESSATIONS DE GARANTIE
COMMUNIQUE - 103286
En application de l’article R.21133 du livre II du code du tourisme,
L’ASSOCIATION
PROFESSIONNELLE
DE SOLIDARITE DU
TOURISME (A.P.S.T.)
dont le siège est situé : 15, avenue Carnot - 75017 PARIS, annonce qu’elle cesse d’accorder sa
garantie à :
BRICENO VOYAGES
Immatriculation :
IM 075 10 0230
SARL au capital de 32000 €
Siège social : 10 rue
Jacquemont – 75017 PARIS
L’association précise que la cessation de sa garantie prend effet 3
jours suivant la publication de cet
avis et qu’un délai de 3 mois est
ouvert aux clients pour produire
les créances.
COMMUNIQUE - 103274
En application de l’article R.21133 du livre II du code du tourisme,
L’ASSOCIATION
PROFESSIONNELLE
DE SOLIDARITE DU
TOURISME (A.P.S.T.)
dont le siège est situé : 15, avenue Carnot - 75017 PARIS, annonce qu’elle cesse d’accorder sa
garantie à :
SUNNY VOYAGES
Immatriculation :
IM 044 12 0012
SARL au capital de 7500€
Siège social : 38 rue Albert
de Mun – 44600 SAINT
NAZAIRE
L’association précise que la cessation de sa garantie prend effet 3
jours suivant la publication de cet
avis et qu’un délai de 3 mois est
ouvert aux clients pour produire
les créances.
images d’entrevues officielles, les
Algériens ne l’avaient plus vu non
plus.
Pis: sa candidature à un quatrième mandat avait été annoncée le
22 février par son premier ministre, Abdelamalek Sellal, sans un
mot de l’intéressé. Lundi, M. Sellal,
de nouveau, est intervenu dans le
débat en citant… la chancelièreallemande, Angela Merkel, élue à trois
reprises. Elle pourrait «se présenter
à un quatrième, voire à un cinquième mandat, pourquoi eux sont
meilleurs que nous ?», s’est-il exclamé devant la presse.
Lesignaldedépartayantétédonné, les soutiens de M. Bouteflika se
font de plus en plus entendre. Lundi, à l’ouverture de la cession parlementaire, le président de l’Assemblée nationale populaire d’Algérie,
Larbi Ould Khelifa, s’est ouvertement prononcé tandis que des
députés du Front de libération
nationale (FLN, ex-parti unique)
brandissaient des portraits du président. «L’Algérie accueillera, dans
quelques semaines, un autre printemps (…) fidèle à celui qui l’a servie
avec dévouement… », a déclaré
M.Khelifa.
Ils sont pour l’heure quatre postulants,hormisle chefde l’Etat sor-
Capture d’écran de la retransmission de la prise de parole d’Abdelaziz Bouteflika, le 3 mars. CANAL ALGERIE
tant, à se présenter à l’élection :
Moussa Touati, président du Front
national algérien, Abdelaziz
Belaïd, du Front El Moustakbel, Ali
Zaghdoud, du Rassemblement
algérien,et LouisaHanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs, souvent décrite comme
laArletteLaguilleralgérienne.Mardi matin, c’était au tour d’Ali Benflis, ex-proche de M. Bouteflika et
candidat battu en 2004, de déposer son dossier. Trois autres ont
annoncé qu’ils se retiraient de la
course faussée, selon eux, par la
présence de M. Bouteflika, dont
nuln’imagineenAlgériequ’il puisse être battu.
Tout en produisant un document validé par un huissier de jus-
tice prouvant qu’il disposait de
85 000 signatures, l’ancien premier ministre Ahmed Benbitour a
ainsi confirmé son désistement et
a rejoint les rangs de ceux qui
appellent au boycottage du scrutin. « Les urnes ne seront qu’unleurre et une piraterie légalement soutenue », a-t-il lancé devant la presse dimancheen dénonçant notamment « l’usage inconsidéré des
deniers publics » et le « maintien
d’un gouvernement dont les membres sont notoirement connus
pour leur allégeance au président».
Le général à la retraite Mohand
Tahar Yala, ancien commandant
des forces navales, a emprunté un
chemin identique, plaidant même
pour l’arrêt du processus électoral
en cours.
Avant eux, un autre ancien chef
du gouvernement, Mouloud
Hamrouche, père des réformes
algériennes à la fin des années
1980, avait appelé, sans s’engager
dans la compétition, l’armée à faire « tomber ce régime » pour « sauver l’Algérie de l’impasse». Le front
anti-quatrième mandat s’élargit.
Sur les réseauxsociaux,unmouvement Barakat (« ça suffit ») est né,
qui appelle désormais à des manifestations en Algérie, mais aussi à
l’étranger. La première, organisée
le 1er mars à Alger, a conduit à plusieurs dizaines d’interpellations. p
Isabelle Mandraud
En Chine, les «gueules noires» victimes de la croissance
La silicose, qui touche les mineurs, est la première maladie du travail dans le pays
Reportage
Province du Henan (Chine)
Envoyé spécial
C
’était le milieu des années
1990, la Chine des réformes.
Liu Changxia et les autres
hommesduvillagedeQinggousentent qu’il est « temps de sortir de
chez soi ». La ferme ne rapporte
rien, il y a des familles à soutenir,
des enfants à élever. Tout le pays
parle de développement économique. Dans la province rurale du
Henan (centre-est), riche en charbon, les hommes en âge de travailler n’ont guère le choix. Les
options sont limitées pour la maind’œuvre peu qualifiée. Il leur faut
descendre à la mine. Ils le paieront
de leurs poumons.
Dix-neuf anciens mineurs sont
aujourd’hui atteints de silicose
dans ce seul village – une affection
pulmonaire qui évoque en Europe
le temps de la révolution industrielle mais qui, dans la Chine du
XXIe siècle, est la première maladie
du travail, avec 10 592 cas détectés
pour la seule année 2012.
Autant que le mal des « poumons noirs », c’est la lourdeur des
procéduresjuridiquespourobtenir
une indemnisation qui afflige les
familles de Qinggou. Ils étaient au
départ vingt et un anciens ouvriers
à engager le combat devant la cour
de justice locale contre la mine.
Mais deux sont déjà morts, au
début de l’année 2013, sans être
venusà bout de cettebataille juridiqueniavoir obtenules fondsnécessaires pour se soigner.
« C’est injuste, dit Liu Changxia.
Nous avons gagné très peu et tout
dépensé pour tenter de nous soigner, et certains, mêmes très jeunes,
sont déjà morts. » M. Liu était chef
d’équipe jusqu’à ce que la mine ferme temporairement ses portes en
2007,lorsd’uneénièmeréforme,et
que les hommes de Qinggou soient
renvoyés à leurs fermes. Lui et ses
voisins détaillent leur parcours du
combattant pour se faire indemniser:le bureaudutravaillocalquine
les prend pas au sérieux, l’hôpital
où les médecins diagnostiquent
des tuberculoses… Il faut se rendre
au centre de la santé au travail le
plus proche pour obtenir une
réponse fiable et officielle, ce que
Un mineur du Henan, en 2007. CHINAFOTOPRESS/GETTY IMAGES
M. Liu fait en 2010. Mais les cadres
de l’administration locale arguent
qu’il y a prescription.
S’ensuiventles appels de la compagnie minière sur absolument
toutes les décisions de la cour. La
réalité du travail des plaignants est
finalement
confirmée
en
mars 2012. Mais les patrons de la
mine ont, depuis, demandé que le
juge local soit dessaisi, au profit
d’un magistrat plus proche du siège actuel de l’entreprise.
Reste toujours à obtenir une
compensation. Ces hommes affaiblis font le constat d’une certaine
collusion entre les responsables de
la mine et les officiels locaux, à
leurs dépens. « Nous comprenons
bien que la mine est plus puissante,
ellechercheàfairedurerlesprocédures, car elle sait que nous ne vivrons
pas vieux. Ils attendent que nous
mourions», pense M. Liu.
Ancien chef de quart, il a travaillé douze ans en sous-sol, à
remonter ce charbon qui couvre
toujours les deux tiers des besoins
en énergie de la deuxième économiemondiale.Ilse souvientdel’appel, chaque matin à 6 h 30, après
une heure de marche pour rejoindre la mine depuis son village. Puis
de la quarantaine de minutes de
marche
pour
descendre
1 000 mètres à pied sous terre. Ce
n’est qu’alors que débutait réellement le labeur. Il consiste à creuser,
à placer la dynamite dans les
parois, à se reculer d’une soixantaine de mètres, à attendre une petite
demi-heure pour que l’air circule
avant de charger les chariots de
charbon. C’est à ce moment que les
mineurs sont le plus exposés. Les
masques à un yuan ne leur sont
que rarement distribués, les hommes en achètent parfois euxmêmes, mais le plus souvent n’en
portent pas.
Aux côtés de son ancien chef
d’équipe, bonnet noir sur la tête,
Sun Zhaohui souffre de la phase la
plusavancéedelamaladiedes poumons noirs. Ses voies respiratoires
«La maladie vient
à bout de l’ouvrier
avant que l’ouvrier
ne vienne à bout
des procédures»
Zhang Shiqian, avocat
s’atrophient et il inspire en un lent
ronflement.Il lui suffit de marcher
jusqu’au centre du village, sur la
butte à deux pas, pour se retrouver
totalement à bout de souffle, dit ce
père de famille de 39 ans avant de
mimer la scène, bouche grande
ouverte. Il a dû acheter un respirateur électrique, à plus de
3 000 yuans (350euros) qui limite
temporairement sa sensation
d’étouffement.Il dit être hospitalisé quatreà cinq fois par an, comme
les autres parmi les plus fragilisés,
et trouve le délai d’indemnisation
insupportable car, ne pouvant
plus travailler, il a le plus grand
mal à payer les soins.
L’avocat Zhang Shiqian, qui leur
vient gratuitement en aide, peut
citer des dizaines de cas similaires.
La plupart de ces ouvriers n’étaient
pas en position d’exiger un contrat
et peinent aujourd’hui à prouver la
relation de causalité entre leur travail et leur maladie. «Leurs chances
de gagner le procès sont d’environ
30 % s’ils ont un papier pour prouver qu’ils étaient bien employés à la
mine », estime par expérience
M.Zhang, qui se demande où trouver une assistance financière pour
soutenir ces hommes ne pouvant
plus travailler. «La maladie vient à
bout de l’ouvrieravant que l’ouvrier
ne vienne à bout des procédures »,
résume-t-il, citant plusieurs cas de
décès récents.
Face à ces recours sans fin, beaucoup perdent espoir. A une heure
de route de là, Wang Decheng, qui a
travaillé pour une autre mine de
1976 à 2007, est parvenu en 2009 à
obtenir un diagnostic de silicose de
la part de l’administration de la
médecine du travail. Mais la mine
qui l’avait mis à la retraite deux ans
plus tôt a refusé de lui donner un
certificat d’employeur. Après avoir
étéprivatisée,elleavaitchangéplusieurs fois de nom, de sorte que le
tampon officiel était introuvable,
lui a-t-on dit. La cour lui a ensuite
expliqué qu’il lui manquait des
documents.
Membre du Parti communiste
dès les années 1980, puis du syndicat officiel à partir de la décennie
suivante, quatre fois nommé
employé modèle dans sa mine,
M. Wang a été paradoxalement
chargé, au cours de sa carrière, de
rédiger les slogans sur la sécurité
autravail–ilétaitfierd’avoirinventé celui-ci, qui avait été placardé
autour de la mine : « Mieux vaut
entendre les plaintes des mineurs
que les pleurs de leurs familles.»
Ils’estdécidéàsebattrepourl’indemnisation en voyant qu’un
ancien mineur était allé jusqu’à se
faire ouvrir les poumons pour
prouver qu’il souffrait bien d’une
silicose– l’histoirea faitgrandbruit
sur Internet. Aujourd’hui, sa retraite de dix euros par mois ne lui permet plus d’acheter les médicaments nécessaires. Alors il se
demandeàquoibontenterderelancer la justice. p
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0123
Mercredi 5 mars 2014
L’affaire Copé ravive les plaies au sein de l’UMP
Les principaux ténors de l’opposition critiquent durement l’attitude de Jean-François Copé
E
n ripostant aux affirmations
de l’hebdomadaire Le Point,
Jean-François Copé pensait
contraindre son camp à faire bloc
autour de lui. Il n’en est rien. Au
contraire, l’opération contre-attaque menée en solitaire par le président de l’UMP, lundi 3 mars, lors
d’une « déclaration solennelle » au
siège parisien du parti, déstabilise
en profondeur la droite.
Six jours après le déclenchement de « l’affaire » qui porte
désormais son nom, M. Copé se
retrouve plus isolé et plus fragilisé
que jamais depuis son accession
contestée à la tête de la principale
formation d’opposition, fin 2012.
A part quelques copéistes, telles
MichèleTabarot et Valérie Debord,
peu de voix se sont élevées pour le
soutenir.A l’inverse,plusieurs dirigeants prennent plus clairement
leurs distances avec les méthodes
du président de l’UMP.
La teneur de son intervention
de lundi, jugée majoritairement
« On ne veut pas
organiser un suicide
collectif avant les
municipales, mais
Copé devra se justifier
en temps voulu »,
avertit un fillonniste
maladroite en interne, y est pour
beaucoup.Lourdementmisen cause par Le Point, qui l’accuse d’avoir
favorisé une société de deux de ses
proches avec l’argent de l’UMP, le
maire de Meaux (Seine-et-Marne)
n’a pas répondu précisément à ce
qui lui est reproché.
Loin de dissiper les doutes, il a
même donné l’impression de vouloirdétourner l’attentiondes accusations de favoritisme dont il est
l’objet en essayant de mouiller
politiques et médias. Une manière
de diluer sa mise en cause personnelle dans une suspicion générale.
Au risque de surfer sur le sentiment populiste ambiant.
Visiblement tendu, M. Copé a
en effet promis de dévoiler les
comptes de son parti seulement si
les autres partis et les médias en
font de même – il a annoncé qu’il
déposerait deux propositions de
loi en ce sens. Une conditionquasiment impossible à remplir lui permettant de ne pas rendre publiques des pièces potentiellement
gênantes.
La tactiquede celui qui s’est toujours opposé aux opérations de
transparence n’a trompé personne. « C’est une piteuse manœuvre
pour ne pas ouvrir les armoires »,
peste un ex-ministre UMP. En
attendant,l’intégralité de la comptabilité du parti sera placée dans
une pièce scellée par un huissier,
illustrant la méfiance de M. Copé à
Jean-François Copé, président de l’UMP, avant sa « déclaration solennelle » au siège de l’UMP, à Paris, lundi 3 mars. THOMAS SAMSON/AFP
l’égard de ses opposants internes.
Sa sortie est loin de fairel’unanimité dans les rangs du parti.
Alain Juppé n’a pas caché son scepticisme : « Je constate qu’il existe
des lois sur la transparence, appliquons-les dans toute leur rigueur,
dans leur clarté. Et puis s’il faut les
compléter, on verra », a tranché le
maire de Bordeaux, en jugeant
« injuste» de « mettre en cause l’ensemble des médias ». Brice Hortefeux, lieutenant de Nicolas Sarkozy, a pris acte de « propositions personnelles » quand Laurent Wauquiez, plus virulent, a exhorté son
rival à « lever les doutes tout de suite » sur les comptes du parti pour
éviter que les candidats aux élections municipales soient « pollués» par cette affaire.
Comme d’autres dirigeants, le
maire du Puy-en-Velay craint que
les révélations du Point pénalisent
son camp à trois semaines du scrutin municipal. « On sous-estime
totalement la puissance de cette
affaire sur l’électorat populaire.
Cela ne peut que renforcer le Front
national », s’alarme un ancien
ministre. « Copé aurait mieux fait
de se taire, au lieu de remettre dix
Les questions auxquelles M. Copé n’a pas répondu
Dans sa déclaration du 3 mars, le
président de l’UMP n’a pas répondu aux affirmations du Point.
Quel rôle joue Bygmalion à
l’UMP ? Le Point affirme que Bygmalion fournit des prestations de
service pour l’UMP au travers de
plusieurs filiales, notamment
Events & Cie, qui a organisé une
quarantaine de meetings pour
l’UMP et Nicolas Sarkozy.
Combien d’argent cette société
a-t-elle touché de l’UMP ? Quelle
part du budget pour les événements est attribuée à Events
& Cie ? De quelles autres tâches
se charge Bygmalion ? Quels liens
M. Copé entretient-il avec les
acteurs de l’affaire, notamment
Bastien Millot et Guy Alves,
fondateurs de Events & Cie ?
Cette société a-t-elle vu ses
contrats augmenter depuis que
M. Copé est à la tête du parti ?
M. Copé aurait pu répondre, chiffres à l’appui, en donnant année
par année le montant total des
contrats passés avec Bygmalion
et ses filiales. Il ne l’a pas fait.
Pourquoi M. Copé nie-t-il s’être
chargé de ventes immobilières
de l’Etat lorsqu’il était ministre
du budget ? Selon Le Point, outre
MM. Alves et Millot, un troisième
investisseur se cache derrière Bygmalion, Emmanuel Limido, à la
tête de Centuria, « un fonds d’investissement de plus de 4 milliards
d’euros largement abondé par les
Qatariens ». Ce fonds aurait
notamment servi d’intermédiaire
lors de « la vente de deux joyaux
appartenant à l’Etat », quand
M. Copé était ministre du budget,
donc directement concerné. Invité
vendredi 28 février sur Europe 1, le
président de l’UMP a assuré
n’avoir jamais eu connaissance
des biens dont l’Etat s’est séparé.
balles dans la machine et de risquer
de décrédibiliser un peu plus l’image du parti », peste un autre.
Plusieurs ténors regrettent que
M.Copé se soit exprimé au nom de
l’ensemble de l’UMP, en posant
devant le logo du parti. « Il ne faut
pas qu’il contamine toute sa
famille politique en nous mêlant à
son histoire personnelle», s’inquiète l’un d’eux, qui a choisi de ne pas
s’exprimer publiquement, dans
l’espoir de ne pas être associé à
l’imagede M.Copé,jugée sulfureuse. « Hors de question de défendre
et de cautionner les méthodes d’un
chef de clan dont on dénonce
depuis longtemps la gestion financière totalement opaque», tranche
ce grand élu.
Tous ont conscience que l’affaire Copé risque de rouvrir, à terme,
les plaies de la division au sein de
l’UMP. La polémique tombe mal
car elle intervient au moment où
la droite parvenait à mettre en
sourdine ses divisions. Mais paradoxalement, le contexte électoral
protège, pour le moment, M. Copé,
dont la légitimité à la tête du parti
n’a jamais été totalement reconnue.
En public, aucun dirigeant n’a
sorti la grosse artillerie. La plupart
ont préféré se taire pour ne pas
être amenés à rouvrir une crise
interne juste avant les municipales. « Chacun retient ses coups par
esprit de responsabilité et pour ne
pas alimenter les divisions juste
avant les élections », explique un
dirigeant.
C’est la ligne de conduite adoptée par François Fillon, selon
lequel « la priorité est le soutien des
candidats de la droite et du centre
pourinfliger une lourde défaite à la
majorité ». « Il a décidé de ne rien
faire qui pourrait nuire à l’UMP
avant les municipales», explique
sonentourage. Le députéde Paris a
même prévu de tenir un meeting
commun avec son meilleur ennemi, mercredi soir, à Strasbourg,
pour offrir une image d’unité (de
façade) avant le scrutin des 23 et
30 mars.
Une fois cette échéance passée,
M. Fillon entend exiger de nouveau des éclaircissements sur les
comptes du parti, comme il le
réclame, en vain, depuis plus d’un
an. Il a prévenu que les accusations à l’encontre de son rival pour
la présidence de l’UMP en 2012
devraient être « discutées après les
élections». « On ne veut pas organiser un suicide collectif avant les
municipalesmaisCopé devrase jus-
tifier en temps voulu », avertit un
fillonniste. « On devra avoir une
franche explication », prévient un
autre.
Si la plupart des candidats à la
primaire pensent Jean-FrançoisCopé définitivement disqualifié de la course à l’Elysée, l’intéressé n’entend rien lâcher. Malgré sa
forteimpopularité,il compteprouver sa capacité de résistance. « Je
vais me battre pour montrer que je
n’ai rien à voir avec tout ce qui est
écrit d’immonde sur moi », a-t-il
confiéau Mondeavantsa conférence de presse. Cet ambitieux enrage
contre ceux qui osent l’enterrer
prématurément. A ses détracteurs, il lance en guise de défi :
«Ceux qui parlent de moi à l’imparfaitfont une grosseerreur. Ils ne me
connaissent pas…» p
Alexandre Lemarié
La patron de l’UMP annonce des mesures qui existent déjà
MIS SUR LA SELLETTE par les révélations du Point sur le rôle privilégié de la société Bygmalion, dirigée par ses proches, et accusée de
surfacturations auprès de l’UMP
par le magazine, Jean-François
Copé a répliqué, lundi 3 mars. Le
chef du parti de droite a fait plusieurs annonces destinées à
démontrer sa bonne foi. Les deux
principales: l’UMP s’est dite prête
à mettre à disposition l’intégralité
de sa comptabilité; et M. Copé
réclame la même chose de la part
de la presse. Problème : ces deux
annonces sont tout sauf nouvelles, et la transparence est ici déjà
de mise.
Les comptes des partis
sont déjà publics
« L’UMP est disposée à mettre à
disposition l’intégralité de sa
comptabilité», a affirmé M. Copé.
Le président de l’UMP a promis
solennellement qu’il appliquerait
à son parti une exceptionnelle
transparence en tenant à la disposition de la presse l’intégralité des
pièces comptables. Or, cette opération est déjà possible. En France,
la Commission nationale des
comptes de campagne et des
financements politiques
(CNCCFP) existe depuis 1990. Elle
a un rôle de contrôle, elle épluche
chaque année les comptes de tous
les partis politiques et publie un
compte rendu détaillé.
Il existe ensuite deux cas de
figures. Tout d’abord, pour les
comptes de campagne, la CNCCFP
est souveraine: elle conserve l’intégralité des documents, y compris les factures, auxquels on peut
avoir accès sur simple demande.
En revanche, pour les comptes
des partis, ce n’est pas la CNCCFP
qui en certifie la régularité mais
les commissaires aux comptes,
qui peuvent les rejeter ou émettre
des réserves. La CNCCFP récupère
ensuite les comptes certifiés et les
publie. Elle ouvre accès à toutes
les pièces en sa possession sur
simple demande.
En guise de révolution, JeanFrançois Copé se contente de proposer de rendre public ce qui
l’était déjà, puisque Le Point évoque des dépenses de la campagne
2012. Et encore, M. Copé conditionne-t-il cet accès à l’adoption d’une
loi future. En réalité, il promet surtout de « mettre sous scellés » l’in-
tégralité de la comptabilité du parti, qui le restera jusqu’à l’adoption
d’une loi obligeant tous les partis
à publier l’intégralité de leurs pièces comptables.
Les aides à la presse
sont déjà détaillées
Jean-François Copé a réclamé
que les responsables de médias
soient soumis « aux mêmes règles
de déclaration d’intérêts que les
parlementaires» dès lors qu’ils
bénéficient de subventions publiques ou d’une fréquence de diffusion délivrée par l’Etat.
Un tel dispositif n’existe pas
pour les patrons de presse ni pour
les journalistes. Cependant, certains journaux, comme Le Monde,
ont une charte de déontologie qui
implique des déclarations d’intérêts de leurs dirigeants.
La loi sur la transparence de la
vie politique a été élaborée – puis
édulcorée – et votée, en décembre 2013, dans la foulée de l’affaire
Cahuzac. Cette loi oblige les parlementaires (entre autres) à établir
une déclaration d’intérêts qui est
déposée auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie
publique. Ces déclarations
ne sont pas publiques,
mais peuvent être consultées
auprès de cette institution.
M.Copé avait voté contre, au
diapason du groupe UMP dans
son ensemble (à six exceptions
près). En avril 2013, alors que la loi
était discutée, il accusait d’ailleurs
la majorité de se livrer à un
«numéro de voyeurisme et d’hypocrisie » auquel il ne voulait pas
« concourir». Lors des débats
à l’Assemblée nationale, Christian
Jacob, président du groupe UMP
et proche de M.Copé, avait déposé
deux amendements limitant fortement la possibilité d’accès aux
déclarations de patrimoine des
élus.
Lors de ce débat, M. Jacob avait
également lancé l’idée que les obligations des élus quant à leur patrimoine soient étendues aux
« hauts fonctionnaires, magistrats, journalistes, patrons d’organisations syndicales et d’ONG, et
pourquoi pas faire, comme dans
certains pays nordiques, que tous
les citoyens français aient l’obligation de publier leur patrimoine». p
Samuel Laurent
et Jonathan Parienté
0123
france
Mercredi 5 mars 2014
Anne Hidalgo, une campagne
jusqu’au bout de l’ennui
A Strasbourg,on prendles
mêmeset on recommence
Face à sa rivale UMP, la candidate PS à la Mairie de Paris peine à prendre l’avantage médiatique
V
Anne Hidalgo soutient la candidate PS dans le 9e arrondissement de Paris, le 3 mars. CHARRIER/MYOP POUR « LE MONDE »
Miguet, un procédé « particulièrement heurtant».
Certes. Mais, curieusement, le
fourneau médiatique manquait
decharbon.Oh, biensûr,Mme Hidalgo a livré une petite anecdote personnelle, en rappelant à Jacques
Bravo qu’ils avaient dansé le rock
sur le parvis de l’Hôtel de Ville, le
jour de la victoire de Bertrand
Delanoë en 2001, malgré « une
côte fêlée » dans la cohue.
Rester fourmi
A son codirecteur de campagne,
Jean-Louis Missika, elle a promis
de danser, si elle gagne, le flamenco. Pour l’heure, elle se condamne
à rester fourmi, engrangeant ce
capital d’une campagne méthodique jusqu’au « rouleau compresseur », comme le dit son adversaire.Elle doit surtoutprendre l’avantage médiatique sur sa rivale, qui
reste un objet de fascination pour
la télévision.
Depuis le 10 février, le Conseil
supérieur de l’audiovisuel doit
veillerà l’équitédutempsdeparole
Le dérapage d’un candidat FN à Paris sur les Roms
Tête de liste du FN dans le
6e arrondissement de Paris, PaulMarie Coûteaux qualifie sur
son blog la présence des Roms
d’« invasion » ou de « lèpre » qui
porte atteinte à « l’ordre esthétique » de son arrondissement.
« Que peut faire M. le ministre
de l’intérieur – à part concentrer
ces populations étrangères dans
Roland Ries (PS) retrouve Fabienne Keller
(UMP), qu’il avait battue en 2008
Strasbourg
Envoyé spécial
C
omment fendre l’armure
quand on fait la course en
tête? C’est peut-être la question que se posait Lionel Jospin,
assis au premier rang, lundi
3 mars, au Théâtre La Bruyère, en
écoutant Anne Hidalgo, la chef de
file du PS aux municipales à Paris,
et Pauline Veron, la jeune tête de
liste du 9e arrondissement. Deux
favorites, deux bonnes élèves, une
confirmée, une apprentie : l’une
doit sortir de l’ombre de Bertrand
Delanoë, l’autre doit quitter l’aile
de Jacques Bravo, maire sortant de
l’arrondissement.
La comparaison s’arrête pourtant là. Car Anne Hidalgo, dont la
campagne fonctionne sans
à-coups mais aussi sans grand
relief, éclipsée par les multiples
rebondissements à droite, a pour
devoir supplémentaire de conduire tout son camp à la victoire. Parfois, le poids de cette charge rend
ses épaules de bronze, ses gestes
mécaniques et chasse son naturel.
Il se fige devant la fonction qui
s’annonce, sur la foi de sondages
constants. Cette fonction, elle en
connaît tous les méandres, elle en
mesure toutes les responsabilités.
Et au risque du faux pas, elle préfère, parfois, celui de l’ennui.
Lundi 3 mars, à la charge violente sonnée par son adversaire,
Nathalie
Kosciusko-Morizet,
Mme Hidalgo a opposé une leçon de
morale : « Je voudrais une campagne digne et respectueuse. » Elle a
reproché à NKM « beaucoup de
désinvolture, de ne pas prendre
Paris au sérieux ». Elle a ironisé sur
« le chacun pour soi du camp d’en
face », qui mettait peu en avant sa
chef de file dans ses documents de
campagne. Ou sur les dernières
mésaventures de NKM qui « en est
encore à changer des têtes de liste »
à vingt jours du premier tour.
« La troisième chose qui me soucie un peu, c’est la grossièreté », a
ajouté Mme Hidalgo. La candidate
socialiste a saisi l’occasion pour
dénoncer « l’utilisation détournée,
abusive, de moyens d’affichage de
la part de quelqu’un qui ne se présente pas », le controversé Nicolas
des camps ? », poursuit-il.
M. Coûteaux a toutefois expliqué, lundi 3 mars soir auprès de
l’AFP, qu’il n’y avait pas de volonté de sa part de construire des
camps. « Il n’y a pas un endroit
dans ce texte où je demande la
construction de camps, de barbelés. C’est la forme interrogative », a-t-il défendu.
des candidats. Non à l’égalité, comme dans une campagne nationale:
lorsqu’il y a seize candidats, comme à la présidentielle de 2002, l’affaire vire au cauchemar. Dix secondes de Jacques Chirac ou de Lionel
Jospin à la télévision, et Christine
Boutin ou Daniel Glückstein devaient bénéficier d’autant.
La règle imposée par l’équité
donne aux candidats un temps de
parole proportionnel à leur
niveau dans les sondages. Ainsi,
lors du débat LCI-Europe1-Le Parisien, le 29 janvier, les deux principales candidates bénéficièrentelles d’un temps supérieur à celui
de leurs concurrents. Situer ce
débat assez tôt dans la campagne,
donne l’avantage aux poids
lourds. Les petits candidats ont
consommé tout leur oxygène.
Mme Hidalgoa dû adaptersastratégie avec le temps. « On a toujours
considéréqu’Anne avait un avantage énorme avec sa connaissance
des dossiers, du terrain et une vraie
équipe. Mais cela ne se voit pas
dans les médias », souligne JeanLouis Missika. Il fallait donc surmonter le handicap du déficit de
notoriété, par rapport à NKM,
ancienneministre,ancienneporteparole de campagne présidentielle pour Nicolas Sarkozy.
Pour chaque intervention de la
candidate de droite dans les
médias, Hervé Marro, conseiller
chargé de la presse chez Mme Hidalgo, allait frapper à leur porte pour
réclamer la réplique. Il a fallu se
battre aussi, confie un membre de
9
l’équipe, pour imposer un quota
de questions sur Paris, alors que
les médias voulaient rester sur le
terrain national.
Pendantcette phase,la candidate socialiste a plusieurs fois clamé
son désir d’en découdre avec son
adversaire, ce qui lui aurait permis
de se faire mieux connaître. NKM
a toujours refusé, y compris en
public devant Jean-Jacques Bourdin sur BFM-TV. Aujourd’hui,
alors que sa campagne subit chaque jour de nouveaux soubresauts, la situation s’inverse : c’est
elle qui réclame le débat pour se
donner un nouveau souffle.
Et bien entendu, Mme Hidalgo le
lui refuse. Il n’y aura donc plus
qu’un débat de second tour.
« Quand on est leader dans les sondages,un débat ce n’est qu’unmauvais moment à passer », plaisante à
demi le codirecteur de campagne
de la candidate socialiste.
Désormais, il gère au trébuchet
les interventions,laissant la candidate de droite consommer son
temps de parole. Car chaque camp
forme un tout : quand Rachida
Dati s’exprime, c’est le temps de la
droite qui est décompté. Quand
Bertrand Delanoë parle, c’est celui
dela gauche.Un équilibreplusfacile à gérer à gauche qu’à droite.
Sans oublier le facteur chance :
Anne Hidalgo en a eu, lundi, lors
du tirage au sort sur l’ordre du prochain passage au Grand jury RTLLe Figaro-LCI, dimanche 9 mars.
C’est elle qui conclura. p
Béatrice Gurrey
ous avez aimé l’histoire du
« président normal » ? La
campagne électorale strasbourgeoisedevraitvousplaire.Voilà le maire « super-normal». Dans
son bureau, au neuvième étage de
la cité administrative de la ville,
avecvuepanoramiquesurlacathédrale et le Parlement européen,
Roland Ries, ce jour-là, se fait philosophe: « Cette idée communément
admise qui consiste à dire que pour
être élu, il faut le vouloir férocement, je ne suis pas sûr que ce soit
très pertinent…»
C’est à cet édile consensuel, qui
trouve que son profil bas est le
meilleur, qu’il revient de défendre
pour le PS l’une des deux grandes
villes, avec Toulouse, prioritairement ciblées par la droite lors des
municipalesdes23et30mars.Pour
la conquête de Strasbourg, l’UMP a
mêmeréussil’improbable:unmeeting, le 5 mars, avec les frères ennemis Jean-François Copé et François
Fillon à l’affiche.
En septembre 2013, c’est après
moult hésitations que Roland Ries,
à 69 ans, a annoncé qu’il briguait
un second mandat, « par devoir ».
Une posture ? Même pas sûr. Il y
avait, de fait, des raisons de se faire
violence: dans les rangs du PS local,
la guerre de succession était ouverte et menaçait d’enclencher la
machine à perdre, dans une ville
moins sûrement rose que le grès
sorti des carrières vosgiennes, dont
sont parés les plus beaux édifices
de la ville.
Capacité à valser
La candidature de Roland Ries a
permis aux socialistes strasbourgeoisdereplâtrerà lahâteleurfaçade. Les belligérants ont signé une
sorte de Yalta à la mode alsacienne.
En cas de victoire, l’ambitieux premier adjoint Robert Herrmann, qui
menaçait d’être candidat même
contre le maire sortant, se verra
confier les clés de la communauté
urbaine (CUS). Le « fils préféré» de
Roland Ries, son adjoint aux financesAlainFontanel,doit devenirson
premier adjoint. Jacques Bigot, l’actuel président de la CUS, se voit
réserverlesiègedesénateurdumaire. « On a évité le pire », estime
Roland Ries.
Politiquement indécise, Strasbourg a longtemps fait figure de
bastion bleu, avant de basculer à
gauche en 1989, avec Catherine
Trautmann.ReconquiseparFabienne Keller et l’UMP en 2001, elle a de
nouveau changé de camp en 2008,
avec la large victoire (58 % contre
42%) de Roland Ries. Cette ville, qui
se gouverne au centre, a prouvé sa
capacité à valser.
Face à lui, Roland Ries retrouve
son adversaire de 2008, Fabienne
Keller.Dans les rangssocialistes,on
lareconnaît« pugnace», mais on se
réjouit plutôt de ce casting. « Vous
n’allez pas me faire le coup de la statistique », s’agace la candidate de
l’UMP lorsqu’on lui demande,
après tant d’autres, si elle a souvenir d’élus largement battus qui ont
suinverserlatendancelorsdel’élection suivante.
Dans les sondages, en dépit de
son entrée en campagne chaotique, le maire sortant est crédité de
52 % à 54 % des intentions de vote
en cas de duel au second tour. Au
premier tour, aux divisions de la
gauche (Europe Ecologie-Les Verts
et le Front de gauche présentent
chacun une liste) répondent celles
de la droite (l’UDI fait liste séparée,
alors que le MoDem a rejoint
Fabienne Keller). Mais les études
donnent un équilibre général légèrement favorable à la gauche.
LeFN,quiachoisicommetêtede
liste un ancien centriste, Jean-Luc
Schaffhauser, flirte avec les 10 %
d’intentionsde vote,seuildu maintien au second tour. Une épine
dans le pied de Fabienne Keller.
Les deux favoris du scrutin se
connaissentdelonguedate.Naguère, Roland Ries fut le prof de lettre
bien aimé de Fabienne Keller au
lycée de Sélestat (Bas-Rhin). Ils ont
appris, depuis, à se trouver des
défauts. La candidate de l’UMP ne
cesse de pointer le côté plan-plan
du maire sortant: « C’est l’homme
de la résignation. Il n’a rien fait
pour le TGV Rhin-Rhône, pas plus
que pour le maintien du Parlement
européen à Strasbourg.»
Dans ce jeu de rôle bien rôdé, le
maire, en retour, s’étonne: « Il existe ici une tradition de consensus sur
laquestiondel’Europe,quitranscende les partis. Elle a décidé d’en faire
unsujetdecampagne,c’estdommage. » Roland Ries connaît son terroir : la ville déteste les conflits. Et
Fabienne Keller est réputée aussi
autoritaire qu’elle est dynamique.
« Elle n’est pas connue pour son
goût de la concertation…», s’amuse
Roland Ries.
En face, la candidate de la droite,
qui voit le piège gros comme une
maison à colombage, a écrit un
livre – Ma vie, ma ville : nouveaux
horizons pour Strasbourg (La Nuée
Bleue,2013)–danslequelellereconnaît des erreurs. Et elle a conçu son
slogan de campagne comme un
antidote:«Dites-moitout!»Réponse dans les urnes. p
Pierre Jaxel-Truer
LecridecolèredeChristianeTaubirafaceà«l’impensable»
MUNICIPALES
C
A Saint-Etienne, la liste de gauche menée par le maire PS sortant,
Maurice Vincent, l’emporterait au second tour en cas de triangulaire, selon un sondage IFOP pour Europe 1 et Le Progrès publié
mardi 4 mars. La liste UMP-UDI-MoDem, menée par Gaël Perdriau, obtiendrait 35 % des voix contre 32 % pour la liste de
M. Vincent et 18 % pour le FN. Au second tour, en cas de triangulaire, la liste de gauche obtiendrait 44 % contre 40 % à la listeUMP-UDI-MoDem et 16 % à celle du FN. Ce sondage a été réalisé du 27 février au 1er mars auprès de 609 habitants de SaintEtienne. p
’est un petit livre, une grosse centaine de pages, « écrites au pas de charge durant
cette poignée de nuits plus calmes» de la fin de l’année. Un cri
de colère, mesuré, raisonnable et
passionné, dans ce style fleuri et
un peu ampoulé qui est l’inaltérable marque de fabrique de Christiane Taubira. « Le temps n’est pas
à l’ordinaire», rappelle paisiblement la garde des sceaux, alors
qu’aucun ministre de la République, depuis Roger Salengro qui
s’est tué en 1936 après l’ultime crachat au visage d’un inconnu, n’a
été à ce point traîné dans la boue.
« Le temps n’est pas à l’ordinaire. Sinon l’ordinaire du malheur
qui s’annonce et que l’on choisit
d’ignorer», écrit la ministre dans
Paroles de liberté (Flammarion,
128 pages, 12 euros), publié le
5mars. C’est la seule qui cite encore le grand Frantz Fanon, « l’essentiel n’est pas ce que l’on a fait de
toi, mais ce que tu fais de ce que
l’on a fait de toi ». Les insultes,
pendant le long combat du maria-
ge pour tous l’ont grandie, mais
bien sûr l’ont touchée.
« C’est pour qui la banane, lui a
dit une petite fille. C’est pour la
guenon! » Pauvre petite fille,
répond Christiane Taubira, « que
sera-t-elle préparée à connaître du
monde, et donc à comprendre d’elle-même, si des adultes, dont ses
parents, parasitent encore longtemps l’innocence de son âge et y
assèchent ces trésors de curiosité,
de gourmandise pour l’autre, de
goût pour l’inconnu qui, communément, l’habitent ? »
Plus tôt, une obscure candidate du FN, retournée depuis dans
les poubelles de l’Histoire, avait
déclaré qu’elle préférait voir
Christiane Taubira «dans les branches des arbres plutôt qu’au gouvernement» ; Minute a emboîté le
pas, et comme disait Pierre Desproges, « il est plus économique de
lire Minute que Sartre, pour le
prix d’un journal, on a à la fois la
nausée et les mains sales ».
Les anti-mariage pour tous ont
pour certains été jusqu’à l’agres-
ser physiquement, sans compter
les torrents de boue sur Facebook
ou Twitter, « là où la bêtise peut
circuler même quand le mazout
de la haine et de la vulgarité lui
englue les ailes, des doigts bouffis
par la lâcheté flasque de l’anonymat tapaient, dans la rage de leur
insignifiance, des mots qui se voulaient méchants, blessants et
meurtriers».
« Brûlure »
Christiane Taubira a respiré
un grand coup, et essayé d’écrire
sur « l’impensable», le racisme,
de sa jeunesse à Cayenne à la fac à
Paris, de ces boulots qui n’étaient
soudain plus disponibles lorsque
les employeurs voyaient qu’elle
était noire. Elle a l’humilité de
comprendre qu’elle a les moyens
de se défendre que n’ont pas les
milliers de ses frères qui vivent
cela tous les jours. La ministre, à
grand renfort de citations, plaide
pour la République, la démocratie, dans la deuxième partie, un
peu plus faible, du livre. Les cyni-
ques trouveront la chose convenue, mais c’est la colonne vertébrale de Christiane Taubira, et
c’est tout de même respectable.
« Souffre-t-on d’être traitée de
guenon? », demande la ministre.
Elle répond pudiquement que
cela dépend sans doute de la sensibilité et du tempérament. « Il
reste et restera toujours à essayer
de percevoir l’intensité de la brûlure qu’inflige la blessure percée à
vif par la parole raciste. Elle frappe au mitan du cœur, elle incise
l’esprit, entame la confiance,
consume l’estime de soi. Elle percute celle ou celui qui la reçoit en
plein plexus, l’étourdit, le fait
chanceler, un temps, ou longtemps, avant qu’il sache s’il tient
encore debout ou s’il s’ébranle
dans un long effondrement.»
Christiane Taubira serre les
dents et tient toujours debout.
Puisse la petite fille à la guenon
pardonner un jour à ses parents,
lorsqu’elle aura compris ce qu’ils
lui ont fait dire. p
Franck Johannès
LePS favorià Saint-Etienne
Léger avantage pour la droite à Caen
Caen pourrait basculer à droite, selon un sondage IPSOS-Steria
pour France 3 et France Bleu Basse-Normandie. La liste PS-PCFPRG-MRC menée par le maire socialiste sortant, Philippe Duron,
devancerait celle du candidat UMP, Joël Bruneau, au premier tour
(28% contre 26%). Au second tour, Philippe Duron serait battu par
le candidat de l’UMP, qui recueillerait 51% des suffrages. La marge
d’erreur du sondage est toutefois supérieure à 4 points. Le sondage a été réalisé les 26 et 27février auprès de 603 Caennais.
Clermont-Ferrand resterait à gauche
Le rapport de forces à Clermont-Ferrand est « largement favorable à la gauche », selon un sondage Ipsos-Steria réalisé pour France 3 Auvergne, France Bleu et La Montagne. Au premier tour, la
liste PS-PCF-EELV-PRG menée par Olivier Blanchi obtiendrait
36 % contre 20 % pour l’UMP et 10 % pour le Modem-UDI. Le Parti
de gauche recueillerait 13 %, tout comme le FN. Au second tour, la
liste de M. Bianchi serait en tête. Ce sondage a été réalisé les 25 et
26 février auprès de 602 habitants de Clermont-Ferrand.
10
0123
france
Mercredi 5 mars 2014
«Je ne tue pas,
j’aide à mourir»
En plein débat sur la fin de vie, des médecins
racontent au «Monde» comment, en toute discrétion,
ils accompagnent leurs patients jusqu’à la mort
O
Il est arrivé aussi qu’un patient
demande à Stéphane Pertuet,
médecin à Barentin (Seine-Maritime), « Dites, vous ferez ce qu’il
faut ? » – une façon de dire qu’ils
ont peur de la mort, selon lui. Il
répond que oui. « C’est suffisamment évasif pour que le patient
entende ce qu’il veut. » Il se souvient d’un ancien militaire qui lui
avaitfaitpromettredene pas l’hospitaliser « à la fin », et de faire « ce
qu’il faut » pour qu’il parte « dans
des conditions dignes». Un jour, en
état de choc, il a lâché : « Finissezmoi. » « Evidemment, je ne l’ai pas
fait. Mais j’ai fait en sorte qu’il ne
souffre pas en mettant en place des
traitements gradués, en sachant
que cela pourrait le tuer. S’il
m’avait senti hésitant, cela aurait
été un fiasco », raconte-t-il.
n a tous un jour ou l’autre
“poussé la seringue”.» C’est
le président d’un syndicat
de médecins qui le dit, réclamant
pour une fois l’anonymat. La mort
est un sujet dont les généralistes
discutent peu entre eux. Trop
lourd,trop personnel.Un moment
bien particulier de la relation
entre les médecins traitants et certainsde leurs patients qu’ils acceptent de suivre jusqu’aux derniers
instants quand la facilité serait de
les adresser à l’hôpital. Alors que
FrançoisHollandea promisunprojet de loi sur l’accompagnement
de la fin de vie, le rôle des médecins à l’avenir est au cœur des
débats. Quelques-uns ont accepté
de nous parler de leur pratique,
sous leur nom ou anonymement.
« Docteur, est-ce que vous
m’aiderez? » La question est posée
parfois, alors que la fin de vie n’est
pas toute proche. « Je réponds
qu’ils ne sont pas tombés sur le bon
médecin pour ça, explique le docteur O., généraliste dans l’Ouest
depuis trente ans. Je n’ai pas la prétention d’être celui qui décide. »
Quandles derniers instantsarrivent, il en va autrement. Il aide « à
partir » quand le patient a mal, que
« trop, c’est trop ». « Ils ne demandent rien de vive voix. Mais quand
on leur touche le front de la main,
en nous regardant bien droit, ils
disent avec les yeux : “Je suis prêt”. »
Il se souvient d’un samedi soir.
Il était 23 h 30. Toute une famille
attendait qu’une mère « s’en aille »
et lui demandait de « faire quelque
chose», parce que c’était ce qu’elle
voulait. Il a répété qu’il n’avait pas
le droit, qu’il pouvait juste augmenter la morphine. « Mais je
savais quelle serait l’issue », glisse-t-il.
«Jeregardelesdébats
d’expertsavec
amusement.Moi,plus
j’yréfléchis,moins
j’aidecertitudes»
Dr Pertuet
Il faut alors puiser dans la pharmacopée. Utiliser du curare ou du
chlorure de potassium mènerait
tout de suite au décès. Ce serait un
crime. Ce que peuvent faire les
médecins, selon la loi Leonetti de
2005, c’est mettre en place une
sédationpour soulagerla souffrance et éviter une épouvantable agonie. Ils mélangent alors anxiolitiques, hypnotiques, morphine ou
autres antalgiques, provoquant
une dépression respiratoire et la
mort, quelques heures ou jours
après. « Sans intention» de la don-
60 % des médecins favorables à l’« euthanasie active »
Lieu de décès 60 % des décès se
passent à l’hôpital. 25,5 % surviennent à domicile, alors que
81 % des Français déclarent vouloir mourir chez eux.
Loi Leonetti Voté en 2005, le texte proscrit l’acharnement thérapeutique et autorise l’arrêt des
traitements. Il permet de soulager
les souffrances, même si l’effet
secondaire risque de provoquer la
mort. A condition que le médecin
en ait informé le malade et sa
famille et que la procédure soit inscrite au dossier médical.
Conditions Selon l’Institut national des études démographiques,
en 2010, près de la moitié des
décès ont été précédés d’une décision médicale ayant pu hâter la
mort du patient. Dans 3,1 % des
cas, une décision a été prise dans
l’intention de la précipiter et, dans
2,5 % des cas, l’acte visant à mettre fin à la vie du patient a été pris
sans qu’il l’ait demandé. Deux
points que n’autorise pas la loi.
Opinion des médecins Dans un
sondage réalisé en 2013 par Ipsos
pour l’ordre des médecins, 60 %
se disaient favorables à l’euthanasie dite « active » (et 37 % se
disaient prêts à participer à l’administration des produits).
ner, comme le stipule la loi, martèlent-ils tous.
Les mots ont leur importance.
Ce ne serait sans doute pas tenable
autrement. « Je ne tue pas, j’aide à
mourir,expliqueledocteurO.Peutêtre que cela revient au même
concrètement, mais pas sur le plan
humain. Je n’ai jamais considéré
que j’avais tué quelqu’un. » « Je les
aide à s’endormir, je sais qu’ils vont
mourir. On le fait, parce qu’il n’y a
plus d’espoir. Cela doit se passer
entre quatre murs, personne ne le
sait parce que personne n’a à le
savoir », poursuit-il. « C’est vrai
qu’on abrège la durée de vie, on ne
peut pas le nier. Certains ne voient
pas la différence, moi si. Oui, j’aide
à mourir, tuer c’est différent, c’est
une action immédiate, explique le
docteurG., généralistedans le SudEst. Augmenter la dose n’a rien à
voir avec une euthanasie.»
Quand il arrive chez un malade
dont il accompagne la fin de vie, le
docteur Pertuet explique qu’il ne
sait pas ce qu’il va faire. « Je suppose, je pressens que je vais provoquer
la mort, mais je n’ai alors pas
d’autre choix, sinon le patient souffre.» Il essaye de se mettre à sa place, prend en compte sa personnalité, sa culture, sa religion.
« Ne vous inquiétez pas, je vous
aiderai », a plus d’une fois répondu Bernard Senet à des personnes
dont les douleurs n’étaient pas
soulageables : « Eh oui, quand le
patient est inconfortable malgré la
morphine, on ouvre le tuyau de la
seringue électrique et tout part. »
Celui qui parle si franchement est
à la retraite, et médecin conseil de
l’ADMD, association qui milite
pour l’euthanasie. Il a exercé en
cabinet, et aussi géré des lits de
soins palliatifs dans un hôpital.
Durant sa carrière, une ou deux
foispar an,ils’est retrouvédanscette situation, et estime que ce doit
être le cas de bien d’autres. Il reçoit
souvent des appels de confrères
qui demandent conseil. « Je ne suis
pas une exception. Par peur des
juges, les autres ne veulent pas dire
qu’on le fait, dans de bonnes conditions, et que ce n’est jamais facile,
lâche-t-il. Mais à partir du moment
où vous arrêtez les traitements,
vous savez que vous condamnez à
mort. A partir du moment où vous
délivrez de l’Hypnovel à l’hôpital,
vous savez que vous allez provoquer un arrêt respiratoire. S’il n’y a
pas d’intentionnalité là-dedans…»
Tous les médecins ne le font
pas, mais pour eux, assumer leurs
patients en fin de vie, c’est leur
JOËLLE JOLIVET
rôle. « Je me souviens très bien de
mon premier accompagnement:
c’est une des aventures humaines
les plus importantes de ma vie,
raconte le docteur Pertuet. C’est la
quintessence de notre engagement.Il faut alors êtretrès bon technicien et très bon psychologue.
Mais on n’en sort pas indemne.»
« Je fais de l’accompagnement
jusqu’à la mort, parce que la mort,
cela fait partie de la vie», dit le docteurR.,généralisteavec une spécialisation en soins palliatifs en
région parisienne. Récemment,
un patient de moins de 70 ans, gravement malade, lui a demandé s’il
accepterait de lui faire « une injection ». Même si la loi changeait, le
médecin dit qu’il n’ira jamais jusque-là.
La loi n’est pas cependant forcément au cœur des préoccupations
de tous. Le docteur Pertuet fait « de
la même manière aujourd’hui
qu’avant ». « Je regarde d’ailleurs
les débats d’experts avec amusement, ils se retranchent derrière
desconvictions religieuses,la sacrosainte éthique ou les soins pallia-
tifs. Or moi, plus j’y réfléchis, moins
j’ai de certitudes.» Ce qui compte,
« c’est ce dont ils ne parlent jamais:
l’humanité, la technique, le colloque singulier entre le médecin et
son patient».
Laloi Leonettia en revancherendu le docteur G. plus serein.
« Avant, on était limité sur le plan
légal. On ne pouvait pas manier les
thérapeutiques en sachant qu’on
était à un niveau létal. » Il a apprécié l’avis de l’ordre des médecins,
d’habitude « plutôt rétrograde »,
qui s’est dit en 2013 en faveur
d’une sédation terminale pour les
patients aux douleurs jusque-là
insurmontables, « par devoir d’humanité».
«Ce n’est pas un pas vers l’euthanasie, tuer doit rester un interdit »,
insistele docteurFaroudja, responsable de la section éthique du
conseil de l’ordre, rappelant la
nécessaire fidélité au serment
d’Hippocrate. Il le reconnaît,
«entre donner la mort et endormir
le patient et la laisser venir, la différenceest étroite».Maiselleexiste. p
Laetitia Clavreul
La remise du rapport du
comité d’éthique reportée
Le rapport du Comité consultatif national d’éthique (CCNE)
sur la fin de vie, annoncé pour
février, puis début mars, ne
devrait finalement être rendu
qu’en avril, voire en mai. La
ministre de la santé, Marisol
Touraine, attend pourtant ce
rapport pour commencer les
consultations en vue de préparer le projet de loi promis par le
président de la République, pour
une présentation en conseil des
ministres durant l’été. Mais pour
le CCNE, l’ordre des priorités
a changé. Saisi dans le cadre de
l’affaire Vincent Lambert, jeune
homme en état de conscience
minimale sur le sort duquel
sa famille se déchire, le Conseil
d’Etat vient de demander
au Comité d’éthique, d’ici la fin
avril, un éclairage sur
l’obstination déraisonnable
(acharnement thérapeutique)
et le maintien artificiel de la vie.
Terra Nova propose une solution de «consensus»
Mercredi 5 mars à 20h30
Pierre MOSCOVICI
Invité de
Emission politique présentée
par Frédéric HAZIZA
Avec :
Françoise FRESSOZ, Sylvie MALIGORNE et Marie-Eve MALOUINES
Et
sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone
et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.
www.lcpan.fr
PEUT-ON PARVENIR à un consensus sur la question de la fin de
vie? Sortir des oppositions partisanes sur un sujet qui touche à l’intimité de l’individu, qui recouvre
des situations médicales et morales très différentes, et où les certitudes d’un jour peuvent se transformer en doutes au gré de l’évolution de la maladie ou de l’âge ?
Oui, estime Corine Pelluchon,
philosophe, professeure à l’université de Franche-Comté, et
auteure d’une note publiée mardi
4mars par Terra Nova, un think
thank proche de la gauche. Des
propositions qui pourraient inspirer le gouvernement, alors que la
ministre de la santé, Marisol Touraine, a été chargée de présenter
un projet de loi en conseil des
ministres d’ici à l’été.
A rebours des positions tranchées, Mme Pelluchon, qui se définit comme « non-militante»
même si à titre personnel elle se
dit opposée au suicide assisté, propose des pistes de réformes qui
pourraient selon elle améliorer la
loi Leonetti de 2005 et rassembler
des personnes aux positions divergentes sur la question de l’aide à
mourir. L’analyse pas-à-pas des
différentes étapes de la fin de vie
construit son argumentaire.
Des inégalités
Dans cette optique, sa première recommandation a trait aux
« directives anticipées». La loi Leonetti permet au patient de rédiger
des consignes pour sa fin de vie.
Encore mal connue, cette possibilité ne contraint pas les praticiens
qui doivent simplement « en tenir
compte». Mme Pelluchon estime
que cette procédure doit évoluer.
Dans les cas de coma, d’état
végétatif persistant ou pauci-relationnel, la philosophe recommande que les directives données par
le malade, lorsqu’il était en état
d’exprimer sa volonté, soient
contraignantes juridiquement et
obligatoires. Dans les autres cas,
Mme Pelluchon plaide pour un système à l’allemande, où un mandataire désigné par le malade est
chargé de vérifier que les volontés
de la personne n’ont pas changé.
Pour les personnes conscientes,
la philosophe défend une amélioration de l’offre de soins palliatifs.
Malgré l’existence de la loi du
9juin 1999 qui garantit à toute personne malade un droit aux soins
palliatifs, les inégalités demeurent. Or, estime Corine Pelluchon,
«l’examen de la pertinence d’une
demande à mourir ne peut se faire
que si l’on est sûr que la personne a
eu accès à des soins qui soulagent
sa douleur et un accompagnement
psychologique de qualité».
Pour la chercheuse, l’aide médicale à mourir devrait n’être ouverte qu’aux personnes en fin de vie,
conscientes, qui ont eu accès aux
soins palliatifs et qui n’en veulent
pas ou plus. « Cela concerne très
peu de personnes », concède-t-elle.
Pour ces malades, une assistance pharmacologique au suicide
pourrait être envisagée sur le
modèle de ce qui existe dans certains Etats américains, notamment l’Oregon. Le médecin remet
à son patient une ordonnance qui
lui permet d’acheter un produit
létal qu’il est libre de s’injecter ou
pas. « Dans ce cadre, le suicide restera un acte privé qui, dans l’idéal,
devra se faire en dehors des lieux
de soins », estime Mme Pelluchon.
En cas de difficulté pour s’injecter seul le produit, l’aide d’un proche pourra être possible. Une solution qui, selon la philosophe,
pourrait faire consensus, car elle
permettrait de respecter la liberté
des malades, sans bousculer les
valeurs des soignants ni banaliser
le suicide. p
Catherine Rollot
0123
france
Mercredi 5 mars 2014
11
La«prioritéjeunesse»dugouvernement
àlarecherched’undeuxièmesouffle
Lessages-femmes
obtiennentun statut
médicalà l’hôpital
Après quatre mois de conflit social, la ministre Uncomité interministériel doitfaire, mardi,le biland’une politique jeunesse active, maispeulisible
de la santé annonce une mesure de compromis
L
es sages-femmes des hôpitaux bénéficieront d’un statut médical spécifique, mais
n’obtiendront pas celui de praticien hospitalier,comme le demandait le collectif de grévistes. Tel est
le compromis annoncé par la
ministre de la santé, Marisol Touraine, mardi 4 mars. Après quatre
mois et demi de conflit social avec
les sages-femmes qui exigent une
meilleure reconnaissance de leur
statut, notamment à l’hôpital,
c’est peu dire que l’arbitrage de la
ministre de la santé, Marisol Touraine, était attendu.
Lemétierdesage-femmedevaitil être reconnu comme une profession médicale à part entière ? Le
collectifde sages-femmesen grève
souhaiteobtenirun statutde praticien hospitalier sur le modèle de
celui des médecins – ce qui les
conduirait à quitter la fonction
publique hospitalière. A l’inverse,
les syndicats représentatifs de la
profession (CGT, CFDT, FO…) s’y
opposent, estimant que le statut
de fonctionnaire est plus protecteur (il donne par exemple droit à
la retraite anticipée). Troisièmes
invités à la table des négociations:
les gynécologues-obstétriciens,
qui estiment que trop d’autonomie des sages-femmes comporterait des risques pour les patientes.
A plusieurs reprises, la ministre
avait confirmé que le statut des
sages-femmesallait « changer, que
leur rôle médical, leurs compétences spécifiques seraient pleinement reconnus à l’hôpital public ».
Ce nouveau statut implique que,
dans chaque établissement hospitalier, la gestion des sages-femmes
dépendra du personnel médical et
que les cadres paramédicaux
n’auront plus d’autorité sur elles.
« Les compétences des sages-fem-
mes seront désormais identifiées et
reconnues comme médicales sans
aucune ambiguïté, souligne la
ministre, il s’agit d’une rupture
totale avec le passé, puisque leur
profession n’est plus paramédicale. » Le décret qui instituera ce nouveau statut sortira « dans les prochains mois», a précisé Mme Touraine.
Pasd’obtentiondu statutde praticien hospitalier réclamé pendant des mois donc. Ce statut
– duquel relèvent aussi pharmaciens, biologistes ou dentistes –
aurait été le symbole d’une véritable reconnaissance de la valeur
médicale du métier, estime le Collectif. « Que le gouvernement s’attende à des maternités sans sagesfemmes et à une crise sans précédent si on n’obtient qu’un statut
d’entre-deux», menaçait, la veille
de l’annonce, Nicolas Dutriaux,
l’un des porte-parole du collectif.
Mais la ministre dit avoir tenu à
« ne pas opposer les professions les
unes aux autres ».
Mme Touraine s’est aussi engagée à valoriser les compétences
médicales des sages-femmes, aussibien à l’hôpitalqu’enville, en lançant une campagne de communication,notammentsur lefait qu’ellespeuventassurerle suivi gynécologique et la prescription de la
contraceptionauxfemmesen bonne santé. Côté formation, le niveau
de rémunérations des étudiants
en maïeutique sera aligné sur
celui des étudiants en médecine.
Quant au volet de la revalorisation
des salaires – les sages-femmes
sont rémunérées à partir des
grilles salariales paramédicales –
réclaméepar les organisationssyndicales, la première concertation
aura lieu en avril. p
Camille Bordenet
Le premierpatientdoté
du cœurCarmatest mort
Agé de 76 ans, atteint d’insuffisance cardiaque
terminale, ce pionnier a survécu 75 jours
L
’hôpital européen GeorgesPompidou, à Paris, a annoncé,
lundi 3 mars, dans la soirée la
mort du premier patient implanté
avec le cœur artificiel de la société
Carmat, survenue la veille. Agé de
76 ans, cet homme qui souffrait
d’uneinsuffisancecardiaqueterminale menaçant son pronostic vital
à court terme avait été opéré le
18décembre 2013.
L’annonce de cette première
implantation mondiale d’un cœur
artificiel total bioprothétique, projet porté depuis vingt-cinq ans par
le professeur Alain Carpentier,
avaitfait le tour du monde.Depuis,
les bulletins de santé, délivrés au
compte-gouttes,étaient plutôtrassurants. Le dernier, le 18 février,
indiquait que le malade, dont
l’identité a toujours été gardée
secrète, « n’avait plus d’assistance
respiratoire» et pouvait marcher.
Alternative à la greffe
« La bioprothèse Carmat continue de fonctionner de façon satisfaisante, sans aucun traitement
anticoagulant depuis le 10 janvier
2014 », notait aussi le bulletin de
l’hôpitalPompidou. D’autressources indiquent toutefois que,
depuis l’intervention, les suites
opératoires ont été « compliquées ». Le patient aurait ainsi été
réopéré à plusieurs reprises, du
fait de saignements.
« Les causes [du décès] ne pourront être connues qu’après l’analyse approfondie des nombreuses
données médicales et techniques
enregistrées », indique l’hôpital
Pompidou, le 3 mars. « Nous ne
savons pas de quoi il est mort, nous
sommes très affectés par cette
situation qui ne s’annonçait pas »,
ajoute Jean-Claude Cadudal, président de Carmat.
Le cœur artificiel mis au point
parAlain Carpentier,dans l’objectif
d’une alternative à la greffe cardiaque, présente la particularité d’être
une pompe entièrementimplantable, qui peut s’adapter à l’effort. Sa
partie interne, au contact avec le
sang,estrecouvertedetissubiologique, pour éviter la formation de
caillots. En principe, trois autres
patients doivent être inclus dans
cette première phase d’essai clinique. Une deuxième intervention, à
l’hôpital Pompidou, était semble-t-il imminente, avant l’annonce du décès.
A ce stade des études cliniques,
le succès doit notamment être évalué « par le taux de survie à un
mois ». Ce cap est donc déjà largement franchi chez le premier
patient, qui a survécu soixantequinze jours. Et l’issue fatale n’est
pas complètement inattendue
compte tenu de son état de santé
préalable et de son âge – après une
transplantation cardiaque classique, 17 % des malades décèdent
dans le premier mois. Les causes de
lamortdoiventtoutefoisêtredéterminées, entre autres pour vérifier
qu’il n’y a pas eu de dysfonctionnement de la prothèse. Mardi 4 mars,
avant l’ouverture de la Bourse, Carmat a demandé une suspension de
sa cotation«jusqu’ànouvel avis». p
Sandrine Cabut
F
aire en sorte que les jeunes
vivent mieux en 2017 qu’en
2012. » Que reste-t-il, près de
deux ans après son accession au
pouvoir, de ce leitmotiv de campagne de François Hollande ? De cette « Priorité jeunesse » porteuse
d’espoir pour 8,2 millions de
16 à 25 ans ? Un deuxième Comité
interministériel de la jeunesse,
présidé par le premier ministre, se
tient à Matignon mardi 4 mars.
L’occasion de dresser le premier
bilan contrasté d’une politique
jeunesse très active mais trop peu
lisible dans ses grandes lignes
pour ne pas sembler manquer
d’ambition.
En vingt-deux mois, beaucoup
a été entrepris. Au crédit du gouvernement, d’abord, la prise de
conscience des difficultés spécifiques vécues par la jeunesse au sein
de la société française. 22,4 % des
18-24 ans sont pauvres (contre 14 %
de l’ensemble de la population). La
volonté d’agir d’abord au profit
des plus fragilisés s’est traduite
par une série de mesures ciblées
(emplois d’avenir, contrats de
génération,garantie jeunes,rattrapage des décrocheurs, accès à la
couverture maladie universelle…).
D’autres ont suivi, pour des
publics plus larges, qui ont moins
marqué les esprits : réforme des
bourses d’enseignement supérieur, augmentation du nombre
de centres de santé universitaires,
des hébergements pour les jeunes
en alternance, des possibilités de
mobilité à l’étranger, encadrement des stages…
Si l’on inclut l’éducation nationale (60 milliards d’euros), l’Etat
consacre un tiers de son budget,
soit 81 milliards d’euros, aux
moins de 25 ans. La politique jeunesse à proprement parler compte
pour 21 milliards d’euros, avec
46 programmes
budgétaires
déployés dans 24 ministères.
A cet effort budgétaire sans précédent s’est ajouté un changementappréciéde méthode: les jeunes ont été associés à la conception de l’action gouvernementale.
Valérie Fourneyron, la ministre de
la jeunesse et des sports, a soutenu
la création d’un Forum français de
la jeunesse, regroupant une vingtaine d’organisations de jeunesse,
qu’elle a érigé au rang d’interlocuteur privilégié.
Un Comité interministériel de
la jeunesse marque, chaque
année, l’engagementdu gouvernement. Des indicateurs ont été définis pour évaluer l’efficacité des
mesures prises. Et les premiers
résultats encourageants ont été
enregistrés. Grâce au succès des
emplois jeunes, le chômage des
jeunes a cessé de croître– se stabilisant néanmoins à un niveau haut
(26 %). Les objectifs de lutte contre
le décrochage scolaire ont été
A la mission locale des 13e et 14e arrondissements de Marseille. BENJAMIN BÉCHET POUR « LE MONDE »
atteints, voire dépassés – même
s’ils demeurent en deçà de ceux
fixés par l’Europe (10 % de jeunes
scolarisés sortant sans diplômes,
contre 11,6 % en France).
Alors pourquoi cette impression, si répandue parmi les principaux intéressés, que rien ne bouge, que la « Priorité jeunesse » n’est
qu’une rhétorique politique
– assez constante depuis 1944 ?
Incapables de citer le nom de la
ministre censée se préoccuper de
leur sort, ils n’ont pas le sentiment
que ce gouvernement se soucie
davantage d’eux que le précédent.
« Il faut changerde braquet», réclame le Forum français de la jeunessequi témoignede «l’impatien-
Les premières
mesures
ont été perçues
par les organisations
de jeunesse comme
«de vieilles recettes»
ce légitime des organisations de
jeunes». Génération précaire parle
de mesures « pipi de chat ».
L’UNEF, de « priorité très loin d’être
concrétisée».
Au départ ont manqué les symboles. Ni grand ministère réunissant jeunesse et éducation, ni
même ministère plein (la jeunesse
est associée au sport et à l’éducation populaire), ni personnalité
politique de grande envergure
pour en prendre la tête. Les décisions prises, même judicieuses,
trouvent peu d’écho, d’autant
qu’ellesconcernentd’abordles jeunes « invisibles », les moins représentés dans le débat public.
En janvier, un délégué interministérielà la jeunesse,censé impulser et coordonner cette priorité
gouvernementale auprès de tous
les ministères, est nommé: Mikaël
Garnier-Lavalley, ex-conseiller au
cabinet de Mme Fourneyron. Un
inconnu du grand public dont on
ne sait s’il aura l’autorité politique
suffisante.
Les premières mesures prises
par le gouvernement ont été perçues par les organisations de jeunes comme de « vieilles recettes »
ayant déjà montré leurs limites.
Elles sont venues ajouter à cet
« empilement de dispositifs sans
cohérence d’ensemble », dénoncé
en décembre 2013 dans le rapport
des députés Régis Juanico (PS) et
Jean-Frédéric Poisson (UMP), qui
appellentà mieuxpiloterles politiquesenfaveurdes jeunes.Asimplifier les dispositifs pour les rendre
plus efficaces.
Il est temps de ne plus penser
mesures ciblées réparatrices mais
politique globale concernant l’ensemble des jeunes, ajoutent les
associations de jeunesse. « Avec les
emplois jeunes, moins rémunérateurs que les autres, les jeunes se
sentent une nouvelle fois traités à
part.Or ils en ont assez de cette assignation sociale par catégorie
d’âge, qui les enferme », croit
ValérieBecquet,sociologueà l’université de Cergy-Pontoise. « On ne
veutplus de politiquede raccrochage, confirme Bertrand Coly, pour
le Forum français de la jeunesse.
On veut se sentir appartenir à la
société. » Accéder, dès 18 ans, au
droit commun, être reconnus
citoyens à part entière, avec le
même accès au RSA et aux autres
droitssociaux,sans procèsd’intention en assistanat.
Pour être à la hauteur des espérances nées chez les jeunes durant
cette campagne, un « électrochoc»
s’impose. Le terme est de Cécile
Van de Velde, sociologue à
l’EHESS: « Il faut maintenant sortir
de la logique misérabiliste et ouvrir
un grand plan jeunesse multileviers, avec un cap à trois ans. Un
ensemble de grandes réformes
pour toute la jeunesse. »
A commencer par une refondation d’unsystème éducatiftropélitiste,afin d’éviter le coûtde la réparation sociale des décrochages et
autres difficultés d’insertion professionnelle. « L’éducation nationale nous “livre” les jeunes dans un
tel manque d’autonomie au sortir
du secondaire, qu’on doit inventer
42 dispositifs jeunes d’accès à
l’autonomie! », s’agace M. Poisson.
Autre chantier d’envergure: le
fonctionnementdumarchédu travail, trop défavorable aux entrants
sur lesquelspèse toute la précarité.
Pour faire évoluer les pratiques, il
est temps de s’attaquer aux représentations d’employeurs si coutumiers des aides à l’embauche des
jeunes qu’ils ont intériorisé la
moindre valeur de leur travail.
C’est toute la place faite aux jeunes dans la société qu’il faut repenser. Symptomatique : le premier
Comité interministériel avait
appelé les préfets à nommer des
jeunes dans tous les conseils économiques et sociaux régionaux.
Un an après, ce n’est pas fait. Car
vingt-deux mois de « Priorité jeunesse » n’y ont rien changé : dans
les mentalités collectives, ces jeunes, les plus éduqués que la France
ait jamais eus, sont toujours
davantage un problème qu’une
solution. p
Pascale Krémer
Emploi, logement: des chantiers inégalement avancés
VOICI L’ÉTAT d’avancement des
chantiers jeunesse:
Emploi L’objectif de 150 000
emplois d’avenir signés d’ici à fin
2014 devrait être atteint. Quelque
100000 l’ont été en 2013. Et déjà
30000 des 50000 prévus en 2014.
Les contrats de génération patinent: sur 250 branches professionnelles, seules 20 ont signé un
accord. On évalue à 30000 les
emplois créés ou sauvegardés grâce aux contrats de génération,
quand l’exécutif en espérait
500000 dans le quinquennat.
La garantie jeunes, expérimentée depuis septembre2013 dans
dix départements, monte très lentement en charge. Environ un millier de jeunes sont concernés par
ce suivi renforcé en mission locale
en échange d’un RSA. L’objectif de
10000 jeunes d’ici à septem-
bre2014, de 100000 jeunes en
2016 (une fois le dispositif généralisé) semble peu réaliste.
té depuis septembre dans quelques académies. Sa généralisation
devrait intervenir en 2016.
Formation 20 000 décrocheurs
sortis sans diplôme du système
scolaire ont été «raccrochés», comme prévu il y a un an. L’objectif est
de 25000 en 2014, puis de 70 000
à la fin de la mandature, soit la moitié des décrocheurs annuels. Les
bourses ont été revalorisées à la
rentrée 2013. Une nouvelle étape
est prévue en 2014. Mais rien n’a
progressé quant à la validation par
les jeunes des acquis de l’expérience associative, futur « gros chantier
2014», selon le ministère de la jeunesse et des sports.
Mobilités L’adoption par l’Europe
d’Erasmus +augmente de 40%
lesmoyens d’ici à 2020. Les étudiants ne sont plus les seuls concernés, mais aussi les apprentis, les
lycéens en filière professionnelle
et les jeunes éloignés del’emploi.
Santé 16 centres de santé universitaire ont été créés sur les trente prévus d’ici à 2015. La stratégie nationale de santé annoncée en septembre2013, qui définit des priorités
de santé publique, comportera des
actions en direction de la jeunesse.
Orientation Le nouveau « service
public d’orientation» coordonnant au niveau régional tous les
acteurs du secteur est expérimen-
Logement La loi Alur votée
le 20février prévoit une sécurisation des colocations, un encadrement des loyers dans les zones
tendues et des marchands de liste,
une garantie d’Etat des loyers (en
2016) pour les propriétaires, qui
pourraient ainsi louer plus facilement aux jeunes. 5 000
des 10 000 logements nouveaux
destinés aux apprentis sont
construits. Mais, sur les
40000 logements étudiants prévus durant le quinquennat,
seuls8 500 sont programmés.
Engagement Le rajeunissement
des conseils économiques et
sociaux régionaux « n’est pas aussi
rapide que souhaité» par le gouvernement.
Discriminations Un appel à projets a été lancé pour recruter une
équipe de recherche qui, à partir
de septembre, proposera des
actions. p
P. Kr.
12
culture
0123
Mercredi 5 mars 2014
ppp EXCELLENT
ppv À VOIR
pvv POURQUOI PAS
vvv ON PEUT ÉVITER
Toute la misère et toute l’espérance du monde
Un documentaire exceptionnel montre la résistance de précaires et le réseau de solidarité qui les maintient à flot
Se battre
C
ppp
ertains films ont, plus que
d’autres,capacitéà faire image. Il n’est pas facile, même
pour un critique de cinéma, de
dire exactement pourquoi. Sans
doute s’agit-il d’une manière de
sentir les choses, de poser le doigt
sur un problème, et de les restituer, surtout, avec la justesse,
l’émotion, la persuasion voulues.
Ces films, fictions ou documentaires, sont comme des photographies qui suspendent, à un
moment donné, le mouvement
perpétuel des choses, et nous
demandent,instamment,de regarder la raison qui les fait exister.
Il faut un certain
courage pour
se reconnaître
dépendant, humilié
Le problème, avec ce beau documentaire de Jean-Pierre Duret et
Andrea Santana, c’est qu’il nous
demande de regarder une certaine
photo de la France, une de celles
qu’on met généralement à la fin de
l’album, parce qu’elles dévoilent
une réalité que l’on n’expose pas
volontiers. Ce qu’ont su capter ici
lesréalisateursnetolèreplus,pourtant, d’être caché, nié, déformé, instrumentalisé. C’est le fait que dans
notre pays, environ 13 millions de
personnesviventaujourd’huidans
la précarité. Sans doute vous direzvous que des documentaires de ce
type, vous en avez vu des dizaines.
Ce n’est pourtant pas le cas, ni
dans le fond ni dans la forme. Le
fond, parce que la catégorie de personnesà laquelles’intéressecefilm
n’est pas celle des exclus qui ont
déjà basculé de l’autre côté du
miroir social mais celle de gens qui
se tiennent encore à la lisière, dans
Ce jeune champion de kickboxing vit avec sa mère dans une HLM de Givors (Rhône). DR
cet inframonde qui réunit les travailleurs pauvres aux chômeurs.
La forme, parce que le ton de ce
film est tout à fait inaccoutumé,
qui choisit de montrer, plutôt que
le spectacle de la déchéance, le
réseau de solidarité, de générosité
et de courage qui permet à ces naufragés de la vie de tenir encore bon.
Tout cela, naturellement, se passe autour de nous. A Givors, ville
ouvrière à proximité de Lyon, frappée de plein fouet par la désindustrialisation, le taux de chômage est
à la fois élevé et endémique. Introduits par un ex-prêtre-ouvrier parmi les nombreuses associations
implantées dans la ville, les
auteurs ont filmé aussi bien les
bénévoles que ceux auxquels ils
viennent en aide, pour témoigner
sans doute de l’existence d’un être
collectif et d’un tissu social dans ce
pays qu’on dit atomisé.
Ils en ramènentce que le cinéma
sait le mieux montrer. Des visages
qui appellent, des paroles qui font
vibrer, des gestes qui émeuvent,
des gens dont la présence entraîne
un tel effet de vérité que le film en
impose. L’œuvre tourne autour de
quelques personnages principaux.
Un jeune champion de kickboxing et sa mère vivant sur le fil
du rasoir en HLM et qui se houspillent tendrement. Une ex-directrice commerciale qui coupe sa
chasse d’eau pour la facture et
consomme sa brutale déchéance
avec quelques animaux. Une mère
séparée de son fils qui revient visiblement de très loin, jardine pour
se réinsérer et le reconquérir un
jour. Une famille roumaine compresséedans ungourbiqui menace
de les électrocuter, aidée par l’ami
d’unbénévolequifaitdansl’électricité. Ce gardien d’usine, qui aide
comme il peut, et qui rappelle que
sans le travail des associations, la
situation aurait depuis longtemps
explosé.
D’autres encore traversent le
film, qui passent dans les rayons
chargés de victuailles du Secours
populaire, la silhouette voûtée, le
visage usé, les yeux fuyants. C’est
qu’il faut un certain courage pour
s’exposeràlacharité,poursereconnaître dépendant, humilié. Toute
la misèredu monde est là. Et par un
beau paradoxe, toute l’espérance
du monde en même temps.
Pour la débrouille entre infortunés, pour le regard affamé et étoilé
que ces pauvres gens plongent
dans le vôtre, pour la manière dont
d’autres, plus chanceux, leur tendent la main, pour la muette dignité qui les unit les uns aux autres.
Pour cette ultime séquence du film
aussi bien, où le jeune boxeur et
son amie, dans un dialogue amoureux qui pourrait être godardien,
parlent de leur avenir incertain au
fil de l’eau, elle rêvant d’un ici qui
serait ailleurs, lui d’un ailleurs qui
serait ici, d’accord sur le fond : à
savoir qu’il seraiturgent qu’on permette à des jeunes gens comme
eux d’espérer en leur pays.
Il est à ce propos remarquable
que le film fasse le plus complet
silencesurlaresponsabilitéproprementpolitiqued’untelétatd’abandon, dont on sait de quels profits
obscènes il est la contrepartie. Cette absence n’en est que plus désespérante, plus révoltante. Le couple
de réalisateurs, quant à lui, a fait
œuvredecinéma.Carlaréussitedu
film tient bien sûr à la mise en scène, en l’occurrence à l’empathie
pour les personnages dont témoigne la caméra, à cette façon prévenante qu’elle a de les regarder, de
relever les mouvements et les
détails qui trahissent leur réserve,
leurgêne,commeleurinfinicourage et leur ineffable beauté.
Ce film, plein de noblesse, est en
un mot une formidable leçon. Il
enjoint à chacun d’entre nous,
selon son pouvoir, de se porter à sa
hauteur. p
Jacques Mandelbaum
Documentaire français de Jean-Pierre
Duret et Andrea Santana (1 h 30).
Jean-Pierre Duret, Andrea Santana: «Ce “j’ai faim”, nous ne l’oublierons jamais»
Entretien
Jean-Pierre Duret a débuté dans le
monde du théâtre puis du cinéma
au côté d’Armand Gatti. Ingénieur
du son très réputé (il a travaillé
avec Maurice Pialat, Jean-Marie
Straub et Danièle Huillet, Claude
Chabrol ou les frères Dardenne), il
a aussi tourné trois films au Brésil
avec sa compagne, l’architecte et
urbaniste Andrea Santana. Tous
0123
les deux reviennent sur les enjeux
de Se battre, leur nouveau film.
Leurs voix se confondent, même
si c’est souvent lui qui répond.
Pourquoi avoir voulu réaliser un
tel film ?
vous invite…
... au Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National
de Saint-Denis
pour assister à une représentation
exceptionnelle de
JEAN RACINE
PHÈDRE
MISE EN SCÈNE - CHRISTOPHE RAUCK
de Jean Racine
Mise en scène, Christophe RAUCK
DU 6 MARS AU 6 AVRIL 2014
Samedi 15 mars 2014 à 20 heures**
Lundi 17 mars 2014 à 20 heures***
Pour recevoir votre invitation*
valable pour 2 personnes,
téléphonez au 0 892 690 700
RÉSERVATIONS 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com
(0,34 €/mn, hors surcoût éventuel opérateur)
**le mercredi 5 mars à partir de 15 h (pour la représentation du 15 mars)
***le jeudi 6 mars à partir de 15 h (pour la représentation du 17 mars)
*10 invitations offertes aux premiers appelants, conformément au règlement du jeu.
Offre gratuite, sans obligation d’achat, jusqu’à concurrence du nombre de places disponibles. Le règlement du jeu déposé chez Me Augel huissier
de justice à Paris, est adressé gratuitement sur demande à : Jeu Les Offres Culturelles du Monde - 80, boulevard Auguste-Blanqui - 75013 Paris. Les
demandes de remboursement des frais de participation (selon modalités définies dans le règlement) doivent parvenir à la même adresse.
Les informations recueillies à cette occasion sont exclusivement destinées au Monde et à ses partenaires.
Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression des données vous concernant (art. 27 de la loi informatique et libertés).
La France est en train de s’enfoncer très rapidement dans une
société à deux vitesses. C’est pour
cette raison, d’abord, qu’on a voulu faire ce film. Quinze millions
de personnes mises à l’écart, des
travailleurs pauvres, des retraités,
des étudiants, des chômeurs plus
ou moins jeunes, des femmes seules avec enfant… Il y a quelques
années, le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, avait
très bien décrit cette situation de
détresse. Non seulement ces personnes sont mises au bord de la
route, mais, en plus, il faudrait
que ce soit de leur faute! Un Français sur cinq obligé de vivre tout
ça tout seul, dans son coin, et dont
la parole n’est ni entendue ni
reconnue.
On plaque sur eux des mots terribles, des mots qui font mal, comme « déclassés», « assistés », et, en
plus, on voudrait nous faire croire
que ces personnes n’ont rien à
nous apporter. Notre film dépeint
tout le contraire.
Nous voulions aussi montrer
tout le travail des bénévoles qui
leur viennent en aide, cet échange
réciproque. Abderrahmane Sissako nous faisait remarquer qu’il
n’y a pas l’épaisseur d’une feuille
de papier à cigarette entre ceux
qui aident et ceux qui sont aidés.
C’est très juste.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris en tournant ce film ?
Une émotion, très forte. La première personne qui acceptait
d’être filmée, un homme… Je
remercie le ciel de ne pas avoir eu
la caméra sur lui à cet instant, lorsque la femme du Secours populaire lui fait remarquer qu’il est déjà
venu il n’y a pas si longtemps et
qu’il lui répond : « J’ai faim. » Je ne
pensais pas que l’on pouvait exprimer cela de manière aussi tran-
quille, limpide. Ce « j’ai faim »,
nous ne l’oublierons jamais.
Vos personnages ne semblent
pas contaminés par le discours
ambiant. Ils ne disent jamais que
ce qui leur arrive, c’est de la faute des autres. Pas de pulsions
populistes, juste des êtres
humains qui racontent des histoires d’êtres humains, avec
dignité. C’est la réalité ou est-ce
un effet du montage ?
C’est un constat : les personnes
que nous avons rencontrées n’ont
pas de rancœur, elles ne sont pas
dans la plainte. Une approche rapide de ces mêmes personnes aurait
«On voudrait nous
faire croire que ces
personnes n’ont rien
à nous apporter»
peut-être conduit à une rengaine
superficielle, à des paroles convenues entendues sans cesse à la
télé. Je sais très bien qu’un certain
discours politique, consistant à
monter les classes populaires les
unes contre les autres, a fait mouche. Par exemple, entre ceux qui
touchent le RSA et ceux qui travaillent moyennant de tout petits
salaires. Je sais très bien que ce discours est relayé, entre autres, par
le Front national.
Mais, même s’ils ont une grande colère en eux, les gens que
nous avons rencontrés ont comme ambition de continuer à se
tenir debout. J’insiste: tous sont
dans le film. On n’a pas choisi
untel ou untel pour sa capacité à
raconter une histoire ou à trouver
des mots pour le dire.
Il n’empêche : au moins un Français sur cinq s’apprête à voter
pour le Front national aux pro-
chaines élections. Parmi eux, il
n’y aurait aucune des personnes
que vous avez interrogées ?
Peut-être que si… De toute
façon, ils ne croient plus aux paroles qu’ils entendent, qui ont été si
largement méprisantes à leur
égard. Peut-être que certains voteront pour des candidats FN mais
sans forcément reprendre à leur
compte les thèses du Front national. Beaucoup n’iront pas voter.
Ils n’ont foi ni dans le discours du
FN ni dans aucun autre discours
politique traditionnel.
On ne peut s’empêcher de penser que la dignité des paroles
entendues tient aussi à votre
regard, à votre écoute. Se sentant en confiance, disposant de
temps pour s’exprimer, ces personnes donnent le meilleur d’elles-mêmes…
C’est tout l’objet du film. Pour
faire exister la parole que les gens
ont en eux, il faut de l’amour. Il
faut croire en eux. Il faut prendre
soin d’eux, comme eux prennent
soin de plein de choses dans le
film. Si l’on vient juste essayer de
capter le ressenti de quelque chose, on n’obtiendra que des paroles
qui n’appartiennent pas aux gens.
Filmer, dites-vous, c’est prendre
soin de l’autre. Comme si filmer
était une manière d’acte thérapeutique. Pour les personnes
que vous interrogez, mais peutêtre aussi pour vous ?
Cette formule est de Denis
Gheerbrant. Elle représente le
cœur du travail d’un documentariste. Prendre soin de l’autre, dans
le respect de son image et de sa
voix. p
Propos recueillis par
Franck Nouchi
n L’intégralité de cet entretien
est à lire sur Lemonde.fr
0123
culture
Mercredi 5 mars 2014
Un couple en voie de décomposition
Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric face à face dans une comédie amère de Sophie Fillières
Arrête ou je continue
ppv
C
’est un voyage en forêt, comme d’autres, naguère, firent
un voyage en Italie alors
même que leur couple s’étiolait. A
la fois complices mais déjà en voie
de détachement, Pomme (Emmanuelle Devos) et Pierre (Mathieu
Amalric) commencent par se
retrouverau vernissaged’unegalerie de photos. L’une veut rester,
l’autre veut immédiatement s’en
aller.
Rien n’est simple, d’autant plus
que la jalousie affleure sans cesse
sur ce couple en voie de décomposition. A présent, les voilà sortis
dans la rue. Un bus de nuit qui passe, Pierre qui se précipite sans prêter la moindre attention à Pomme,
qui finalement le rejoint. Instants
décisifsoùtoutcommenceà basculersans quele cerveaus’en aperçoive forcément.
« Fais gaffe à l’avenir », « j’ai
peur »… Le couple se délite peu à
peu. Amalric et Devos face à face,
côte à côte, mais jamais là l’un
pour l’autre. Plus grand-chose à se
dire, sinon quelques sarcasmes
mal sentis. Il la dénigre. Elle le
rabaisse. Du grand art.
Un peu plus tard, Pierre et Pomme se préparent à partir en forêt.
« Si on part à deux, on va s’entretuer. » Les habitudes de couple
sontles plus fortes,celles qui survivent le plus longtemps même
quand tout s’est cassé par ailleurs.
Marcher sans se dire un mot. L’un
derrière l’autre. Jusqu’à cet instant
ultime où Pomme osera lui lancer : « Rentre, toi. Moi, je reste. Laisse-moi le sac, ton K-Way, le pull. »
Avant de s’enfoncer dans la forêt,
comme on entre dans la mer.
Arrête ou je continue, le nouveau film de Sophie Fillières,
racontel’histoire d’un couple qui a
fini de s’inventer. Les deux protagonistes savent d’autant moins
comment se l’avouer qu’ils se sont
naguère aimés. N’ayant pas de
mots pour le dire, ou plutôt préférant n’en rien dire, Pomme décide
de disparaître, d’entrer en forêt
afinde retrouver lessensationsoriginelles, de celles qui prouvent
indubitablement que l’on existe :
le froid, la faim, la fatigue, la solitude.
Pierre et Pomme, ce pourrait
êtrele titre d’une nouvelle de Maupassant. Ce pourrait être aussi un
conte pour enfants. Pomme est
seule. Délibérément seule, puisqu’elle a décidé qu’il en serait ainsi. Et voilà tout à coup qu’elle aperçoit un chamois pris au piège dans
une excavation. Instant magique,
Emmanuel Devos et le chamois,
les yeux dans les yeux, comme s’il
suffisait de se regarder, de s’écouter, dirait-on, pour trouver une
issue l’impasse.
Pierre et Pomme, ce
pourrait être le titre
d’une nouvelle de
Maupassant. Ce
pourrait être aussi un
conte pour enfant
Il faut insister sur la performance des deux acteurs – non pas le
chamois, encore qu’il soit, lui aussi, excellent –, Emmanuelle Devos
et Mathieu Amalric. L’une tout en
nuances, n’hésitant pas à jouer
avec son corps pour mieux figurer, et l’enfermement qui l’étouffe,
et le fait qu’elle ne va pas tarder à
s’en extraire. Lui, étrange jusqu’à
en paraître inquiétant, incandescent jusqu’à approcher ce point de
folie que seuls quelques grands
acteurs savent atteindre. Une femme et un homme. Deux comédiens formidables pour quelques
instants de cinéma qui ne le sont
pas moins. Tant pis si ça ne marche
plus entre eux. Tant mieux si la vie
parvient à reprendre le dessus. p
F. N.
Arrête ou je continue, film français de
Sophie Fillières. Avec Emmanuelle
Devos et Mathieu Amalric (1 h 42).
Tom Shoval signe un premier long-métrage original et étrange, nourri par la crise économique
ppv
S
onnom est Tom Shoval. L’impétrant a 33 ans. Israélien, il
signe son premier longmétrage. Eh bien oui, désolé, il faudra de nouveau inscrire ce nom-là
sur ses tablettes, à la rubrique « à
suivre de près ». Pour le cinéphile
de bonne volonté, l’accumulation
des noms à retenir en vue de quel-
que conversation sérieuse est déjà
pénible en soi. Mais qu’un pays
comme Israël, grand comme un
timbre-poste, en exporte plus que
la Chine, voilà l’indécence. Reste à
ranger le film dans l’une des deux
catégories nationales que sont
« Israël, pays d’exception » (film
avec Palestiniens) ou « Israël, pays
comme les autres » (film sans
Palestiniens), qui ne garantissent
pas plus le succès que l’échec.
Conférence
Vinh-Kim
Nguyen
Un monde sans
sida : comment
éradiquer le VIH
Le jeudi
6 mars 2014
à 19 h 00.
Le cinéaste met en scène le face-à-face fictif
entre Raoul Nordling et Dietrich von Choltitz
pvv
C
Unregard ironiquesurIsraël,pays «commeles autres»
Youth
VolkerSchlöndorffimagine
la nuit oùfut sauvé Paris
Diplomatie
Pomme (Emmanuelle Devos) et Pierre (Mathieu Amalric), une relation en sursis. DR
Réservation obligatoire :
01 53 85 93 93
En partenariat avec le Collège
d’études mondiales - Fondation
Maison des sciences de l’homme
Fondation Calouste Gulbenkian - Délégation en France
39, bd de la Tour-Maubourg, 75007 Paris / www.gulbenkian-paris.org
Retrouvez-nous sur Facebook : Centre Calouste Gulbenkian
Youth est un film « Israël, pays
comme les autres », puisqu’il évoque les effets délétères de la crise
économique mondiale sur le
moral des citoyens, et parmi eux,
la classe moyenne, très prochainement appelée à perdre ce titre, qui
n’était jamais qu’une demi-gloire.
L’amateur pensera ici à l’un des
titres israéliens les plus marquants de ces dernières années, Le
Policier (2011), de Nadav Lapid, qui
appelait à une sorte d’insurrection
terroriste et godardienne de la jeunesse face à l’iniquité de la société
israélienne.Ce n’est pas le genre de
Youth, qui partage pourtant avec
son alter ego l’extrême jeunesse
des protagonistes principaux.
C’est entre la débilité
et la tragédie, le
désespoir et la farce
que se déroule l’action
Plus réaliste et plus modeste,
mais non moins original et étrange, Youth met en scène deux frères
à ce point ressemblants qu’on se
pose la question de leur gémellité.
Ces deux personnages (interprétés par deux frères), avares de
mots et peu enclins à l’expression
de leurs sentiments, présentent
un mimétisme physique et psychologique troublant, fort bien
exploitépar ce filmcomportementaliste. L’action dans laquelle ils se
lancentestà lahauteurde ce malaise.Yaki et Shaul,témoinsdu délitement familial lié à la perte d’emploide leur père (MosheIvgui, routier étincelant du cinéma d’auteur
israélien,campe ici un être moralement exténué et suicidaire), ont
décidé de se livrer au rapt d’une
adolescente d’un milieu aisé et à la
demanded’unerançon. Durepérage au dénouement, en passant par
l’exécution et la séquestration,
c’est entre la débilité et la tragédie,
ledésespoiret lafarceque sedéroule l’action .
Son centre de gravité se situe
dans l’immeuble familial, entre
l’appartement du troisième étage
où un repas est donné en l’honneur de la permission militaire
d’un des deux frères, et le bunker
du sous-sol où la jeune fille est
immobilisée et bâillonnée. L’une
des grandes qualités du film est de
nous refuser la satisfaction morale et politique à bon compte induite par la situation.
Les deux garçons apparaissent
moins comme des justiciers que
comme des idiots gauches et
obtus, sans que pour autant la légitimité de leur révolte soit discréditée. Il y a dans la mise en scène de
Tom Shoval l’exercice d’une ironie
appréciable sur l’état réel du pays.
Y sont ainsi cruellement démontés quelques grands mythes nationaux. Celui de l’utopie originelle
socialiste et solidaire (la haine de
classe y domine), celui d’une
armée rempart de la nation (ses
armes servent à menacer les
citoyens qu’elle est censée défendre) jusqu’aux gages de cohésion
fournis par la religion et la famille
nucléaire(celle dela jeune fille, respectant le shabbat, ne répond pas
aux appels téléphoniques des
ravisseurs, qui se sont donné le
week-end pour réussir leur coup).
Huis clos, repli sur soi et grande
peur identitaire : un film sur un
pays comme les autres. p
J. Ma.
Film israélien de Tom Shoval. Avec
David Cunio, Eitan Cunio, Gita Amely.
(1 h 47).
13
’est un petit square, niché
dans le 11e arrondissement
de Paris, au sud de l’église
Sainte-Marguerite. Accrochée aux
grilles, une plaque commémorative rappelle qui fut Raoul Nordling
(1881-1962), « citoyen d’honneur de
Paris, représentant d’un pays neutre durant la seconde guerre mondiale.Ses relationsavec le commandant du Gross Paris, Dietrich von
Choltitz, comme ses liens avec la
Résistance, lui ont permis, le
17août 1944, d’obtenir la libération
de 3 245 prisonniers politiques. Il a
œuvré tout au long de l’insurrection parisienne afin de limiter les
destructions dans la capitale (…) ».
Nulle rue parisienne, en revanche, n’est estampillée Dietrich von
Choltitz. Homme de confiance
d’Hitler, son rôle sur le front de
l’Est et sa participation à l’extermination des juifs lui interdisent ce
genre d’hommage.
Et pourtant… Si Paris est toujours aujourd’hui la Ville Lumière,
c’est en grande partie à lui qu’elle
le doit.Commel’ont racontéDominique Lapierre et Larry Collins
dans Paris brûle-t-il ? (1964), Dietrichvon Choltitzjoua un rôlecapital dans le fait qu’aucun monumentn’aitété détruitlors de la libération de Paris. Nommé par Hitler
lui-même, le 7 août 1944, avec mission de garder la capitale par tous
les moyens, y compris la destruction totale, il laissa miner, dans un
premier temps, les 45 ponts de
Paris, le Palais-Bourbon, le Palais
du Luxembourg, l’Elysée, le Quai
d’Orsay, les Invalides, la tour Eiffel,
l’Arc de triomphe, la Madeleine, le
Palais Gabriel, l’Opéra, les gares…
Mais il n’ordonna jamais la mise à
feu, bravant la sinistre Sippenhaft
(prise en otage de la famille des
généraux traîtres ou insoumis).
Ainsi, la plus belle ville du monde
ne fut pas transformée en un
champ de ruines et les vies de centaines de milliers de Parisiens
furent épargnées.
Pour quelle raison von Choltitz
prit-il le risque d’agir ainsi ? Dans
Paris brûle-t-il?, le film de René Clément réalisé en 1966, on voit un
von Choltitz agir plutôt par calcul,
espérant, en sauvant la capitale,
s’attirer la clémence des Alliés et
de la Résistance alors aux portes
de Paris. Dans Diplomatie, le nouveau film de Volker Schlöndorff,
adapté de la pièce de Cyril Gély, le
gouverneurdu Gross Parisne semble pas insensible aux arguments
éthiques du consul de Suède.
S’il est avéré aujourd’hui que
Nordling et von Choltitz eurent
plusieurs conversations quand se
jouait le sort de Paris, ce qui s’est
réellement passé entre les deux
hommes ne correspond pas tout à
fait à ce qu’en montre Schlöndorff
dans son film. Cette rencontre en
forme de partie d’échecs, durant la
nuit au 24 au 25 août 1944 dans
une suite de l’hôtel Meurice, n’a
jamais eu lieu. L’escalier secret
d’où surgit, dans le film, le consul
Nordling n’existe pas davantage.
Un « combat de boxe »
C’est donc une version « arrangée » de l’histoire que propose
Schlöndorff. Une nuit pour sauver
Paris; quelques heures durant lesquelles, jouant de tous les ressorts
psychologiqueset bravant tous les
dangers, Nordling finit par faire
triompher l’éthique et la raison.
« Un combat de boxe en cinq ou six
rounds » – l’expression est de
Schlöndorff – opposant deux
acteurs au meilleur d’euxmêmes : Niels Arestrup (Dietrich
von Choltitz) et André Dussollier
(Raoul Nordling). Un huis clos qui
s’apparente plus à du théâtre filmé qu’à du cinéma.
Comme Paris brûle-t-il ? en son
temps – Orson Welles interprétait
le rôle de Nordling dans le film de
René Clément –, Diplomatie se
regarde néanmoins sans déplaisir,
neserait-ce quepour la performance des deux comédiens. Dommage
que l’on n’en apprenne pas davantage sur ces deux hommes qui
firent en sorte que la libération de
Paris ne tourne pas au carnage (on
lira avec intérêt Sauver Paris.
Mémoires du consul de Suède
[1905-1944], de Raoul Nordling,éditions Complexe). Dommage aussi
qu’une volonté de théâtralisation
à outrance empêche d’approcher
au plus près la réalité historique
de ces journées cruciales. Heureusement, un petit square parisien
en porte témoignage. p
F. N.
Diplomatie, film franco-allemand de
Volker Schlöndorff. Avec André Dussollier et Niels Arestrup (1 h 24).
UN FILM DE ELISABETH LEUVREY
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14
0123
culture
Mercredi 5 mars 2014
Dostoïevski au Kazakhstan
LES AUTRES FILMS DE LA SEMAINE
Les affres d’un étudiant meurtrier, dans une république rongée par un capitalisme débridé
L’Etudiant
A
de la critique sur Lemonde.fr
(édition abonnés)
ppv À VOIR
ppv
u début des années 1990,
Darezhan Omirbayev réalisait ses premiers films (Kairat, Kardiogramma…) en s’imposant comme fer de lance de la nouvelle vaguedes cinémasd’Asie centrale, cette génération formée au
prestigieux VGIK de Moscou,
encouragéepar la glasnost à imaginer de nouvelles manières de
représenter la réalité. Le cinéaste
kazakhfaisait alors un long-métrage tous les trois ans. Une décennie
plus tard, l’intervalle avait doublé.
Aujourd’hui, tristement, il est peu
ou prou le seul de cette « nouvelle
vague» à faire encore des films.
Le mondea changé.En s’engouffrant dans les républiques de l’ancien bloc soviétique, le vent du
capitalisme débridé a tout balayé,
réglant le rythme de la vie sur le
coursdu dollar, divisant l’humanité entre super-riches vivant généralement au-dessus des lois et
super-pauvres privés d’accès à
tout. Présenté à Cannes en 2013,
dans la section Un certain regard,
L’Etudiant livre, en s’inspirant de
Crime et Châtiment, de Dostoïevski, un commentaire sans appel sur
cette mutation qui trouve un bouleversant porte-voix en la personne d’un poète dont plus personne
ne veut lire les vers.
Personnage secondaire de l’intrigue, ce vieil homme qui n’a
d’autre choix que de noyer son
désarroi dans l’alcool est incapable de subvenir aux besoins de sa
famille, dont la fragilité reflète la
condition des artistes des républiques d’ex-URSS (une épouse qui se
déplace en petite chaise, une fille
aînée sourde et muette et une petite-fille trop jeune pour assumer la
moindre responsabilité).
A la guerre ouverte de chacun
contre tous qu’il illustre ponctuellement par des inserts de documentaires animaliers, l’auteur ne
se soustrait pas : il se met luimême en scène, dans le prologue,
en jouant un cinéaste au travail. Le
Kazakhstan n’étant pas Hollywood, la couleur rouge de la robe
de son actrice, qui se découpe sur
le fond blanc immaculé du pla-
n Retrouvez l’intégralité
n Parce que j’étais peintre.
L’art rescapé des camps
nazis
Documentaire franco-allemand
de Christophe Cognet (1 h 44).
Il aura fallu dix ans à Christophe
Cognet pour réaliser un documentaire remarquable sur les œuvres
d’art façonnées dans les camps
nazis. Au fil de son enquête, où il
rencontre artistes et conservateurs encore vivants, il s’attaque
au tabou de leur beauté. Son geste,
rigoureux et élégant, valide sa foi
en une approche physique de la
mise en scène et de la mémoire. A
travers ce travail de prospection,
c’est l’humanité qui triomphe sur
le chaos et la désolation. p S. Ma.
pvv POURQUOI PAS
n Free Fall
Nurlan Baitasov, qui tient le rôle principal, est un étudiant en cinéma, élève d’Omirbayev. DR
teau, renvoie moins à un statut de
star qu’à celui, vénéneux, de femme de milliardaire, qui lui a probablement valu son rôle. Lorsque le
stagiaire, « l’étudiant », renverse
une tasse de thé sur sa robe, elle
fait appeler deux hommes de
main,lesquelsabandonnentle garçon à terre, inerte, dans les toilettes, après l’avoir passé à tabac.
Prenant acte de la
violence du monde,
le personnage décide
de passer à l’acte
en commettant
un crime à son tour
Les membres de l’équipe laissent les molosses partir sans piper
mot,contemplant,hébétés,le visage tuméfié du pauvre garçon, qui
sera excludu tournagedans la foulée. Un gros plan sur son regard,
planté dans la caméra, comme
l’était celui d’Harriet Andersson à
la fin d’Un été avec Monika, somme le spectateur de prendre lui
aussi sa part dans cette histoire.
La mise en scène d’Omirbayev,
frontale, implacable, se cale sur les
regards des personnages, joue le
dedans contre le dehors, le détail
contre le plan large. Le tempo sec,
la géométrie parfaite des plansséquences exaltent l’action et l’intensité du jeu de l’acteur principal,
Nurlan Baitasov (un étudiant en
cinéma, élève d’Omirbayev), dont
le mal-êtreet la rage rentréeimprègnent littéralement tout le film.
Prenant acte de la violence du
monde, de son ordre inique, le personnage décide de passer à l’acte
en commettant un crime à son
tour, geste qui n’aboutira à rien
d’autre qu’à lui révéler l’immuabilité structurelle des rapports de
classes. Comme Robert Bresson
dans L’Argent, Omirbayev suit à la
trace son personnage, solitaire et
taiseux – il l’accompagne même
jusque dans ses rêveries –, entraînant le spectateur à l’intérieur de
sa conscience. Si bien qu’un
regard, en caméra subjective, sur
le tiroir-caisse d’un commerçant
suffit à annoncer le crime à venir.
La violence des rapports
sociaux se traduit par des scènes
d’une brutalité atroce mais dont
l’impact, maintenu hors champ,
n’est signifié que par la trace qu’elles ont laissé – une tache de sang,
par exemple, sur la tête d’un âne
mort, après que le conducteur
d’un rutilant 4 × 4, excédé d’attendre que l’animal se mette en marche, eut pris le parti de le tuer à
coups de club de golf, sous les yeux
de son propriétaire. Le sentiment
quien résulteest d’autantplus glaçant que la mise en scène n’offre
pas aux victimes la chance de se
défendre, ou de fuir.
Mais, en dotant les plus faibles
d’une conscience, richesse inaliénable que les prédateurs ont pourtant délibérément troquée contre
le pouvoir de l’argent, le cinéaste
ouvre une brèche dans le ciel noir
de sa fable. Un geste qui témoigne
d’une fidélité à l’humanisme qui
fut toujours, et qui reste donc, le
ferment de son cinéma. p
Isabelle Regnier
Film kazakh de Darezhan Omirbayev.
Avec Nurlan Baitasov, Maya Serikbayeva, Edige Bolysbayev (1 h 30).
Film allemand de Stephan Lacant
(1 h 40.)
Marc est heureux. Jeune policier, il
attend un enfant avec la femme
qu’il aime. Mais une complicité
ambiguë avec son collègue Kay
l’entraîne sur des voies qu’il pensait ne jamais prendre, et remet en
question ses certitudes… Si la place
secondaire qu’occupe la question
du regard sur l’homosexualité
dans la police fait perdre à l’histoire beaucoup de son relief, Free Fall
compense ce manque par la
rigueur de sa mise en scène et les
qualités de jeu des acteurs. p N. Lu.
n Dans l’ombre de Mary :
la promesse de Walt Disney
Film américain de John Lee
Hancock (2 h 05).
Charmé par la lecture de la série
«Mary Poppins», Walt Disney décide, dans les années 1930, d’adapter
les aventures de la célèbre nounou. Mais il se heurte à l’obstination de P. L.Travers, l’auteure des
livres, qui n’a que mépris pour Mickey et ses amis… Si les excursions
en flash-back dans l’enfance de
P.L. Travers peinent à convaincre,
le face-à-face entre Tom Hanks et
Emma Thompson vaut le détour,
surtout lorsque le film s’essaie à
montrer la part d’ombre de Walt
Disney. p N. Lu.
n El Gran Dragon
Documentaire français de Gildas
Nivet et Tristan Guerlotté (1 h 41).
Les réalisateurs ont embarqué leur
caméra au cœur de l’Amazonie
péruvienne, pour remonter aux
sources de la médecine traditionnelle. La qualité du documentaire
tient à la manière sensible de filmer la nature envoûtante. Mais,
faute d’une proposition formelle
et narrative originale, le film
se dilue dans une forme
conventionnelle. p S. Ma.
n Le Chemin
Film brésilien de Luciano Maura
(1 h 30).
Un médecin, sur le point de se
séparer de sa femme, part sur les
traces de son fils fugueur. Son périple lui permet de se reconnecter
avec lui et les siens. Ce premier
film pèche par sa propension au
surlignage. Road-movie existentiel autant que drame familial laborieux, Le Chemin ne trouve pas
celui de notre cœur. p S. Ma.
n Un week-end à Paris
Film anglais de Roger Michell
(1 h 33).
Deux universitaires anglais décident, pour leur anniversaire de
mariage, de passer un week-end à
Paris, là où, trente ans plus tôt, ils
passèrent leur lune de miel.
Auteur du célébrissime Coup de
foudre à Notting Hill, le réalisateur
britannique a le plus grand mal à
échapper à l’effet carte postale. Sur
des dialogues un peu convenus de
l’écrivain Hanif Kureishi, les
acteurs font ce qu’ils peuvent pour
introduire humour et fantaisie
dans cette comédie elle aussi
convenue. p F. N.
vvv ON PEUT ÉVITER
n 300 : la naissance
d’un empire
Film américain de Noam Murro.
(1 h 42.)
480 avant J.-C.Tandis que Léonidas, aux Thermopyles, tente avec
ses 300 Spartiates de retarder l’armée perse de Xerxès, la bataille
fait rage aussi sur mer, devant l’île
de Salamine, où Thémistocle
affronte la flotte menée par la
redoutable Artémise… Que ce
second volet de la franchise à succès soit encore plus bête que son
prédécesseur, passe encore. Mais
la médiocrité du travail sur l’image lui ôte tout intérêt. p N. L.
NOUS N’AVONS PAS PU VOIR
N’importe qui
Film français de Raphaël Frydman
(1 h 21).
L’Instinct de résistance
Documentaire français
de Jorge Amat (1 h 25).
Vampire Academy :
Blood Sisters
Film américain de Mark Waters
(1 h 44).
Les meilleures entrées en France
Nombre de
semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées (1)
Nombre
d’écrans
Evolution
par rapport
à la semaine
précédente
Total
depuis
la sortie
Supercondriaque
1
1 705 207
836
1 705 207
Non-stop
1
401 435
442
401 435
La Grande
Aventure Lego
The Grand
Budapest Hotel
Le Crocodile
du Botswanga
M. Peabody et
Sherman : Les Voyages dans le temps
2
341 861
524
1
315 874
172
2
258 330
451
3
249 853
593
La Belle et la Bête
3
245 428
Les Trois Frères :
le retour
3
Un été à Osage County
Pompéi
AP : Avant-première
Source : Ecran Total
!
–3%
814 569
315 874
! – 44 %
841 246
30 %
812 755
593
! – 28 %
1 359 005
221 020
701
! – 53 %
1 943 925
1
176 594
266
2
156 916
301
"
176 594
! – 40 %
495 608
* Estimation
(1) Période du 26 février au 2 mars inclus
Dany Boon plaît: 1,7 million d’entrées en cinq jours pour son Supercondriaque! Une moyenne phénoménale de plus de 2000 spectateurs par
copie. On reste cependant encore loin des chiffres astronomiques de Bienvenue chez les Ch’tis, qui, au même moment, en était déjà à 3 580 000
entrées. Wes Anderson n’est pas en reste. Avec cinq fois moins de copies,
The Grand Budapest Hotel a attiré 315000 spectateurs. Sinon, on peut
s’attendre dès la semaine prochaine à ressentir les effets conjugués des
Césars et des Oscars. 12 Years a Slave, qui frôle les 1,5million d’entrées, et
Les garçons et Guillaume, à table!, qui a déjà séduit plus de 2,6 millions de
spectateurs, devraient en être les principaux bénéficiaires.
0123
mode
Mercredi 5 mars 2014
15
PARIS PRÊT-À-PORTER | AUTOMNE-HIVER 2014-2015
L’art du vestiaire tout-terrain
La mode qui défile à Paris privilégie des tenues au chic désinvolte adaptées en toutes occasions
I
l y a une chose que l’on ne peut
reprocher à la Parisienne: c’est
de surjouer son style. Par nature, elle pratique plutôtl’ellipse vestimentaire, préfère une silhouette
à l’élégance basique et refuse de
« s’endimancher». La mode de l’hiver tend à lui donner raison : souliers plats, grands manteaux enveloppants,jupesmi-longuesélégantes et confortables composent une
silhouettegracieuse et nonchalante proche de cette esthétique « à la
française».
Les créateurs qui défilent à
Paris sont imprégnés, de manière
consciente ou non, de cette posture de style. Et ils n’ont même pas
besoin d’être français pour en proposer une version convaincante.
L’Anglaise Stella McCartney maîtrise ce sens du réalisme qu’elle
sait relever d’une juste dose d’excentricité britannique.
A l’aise dans leurs souliers
façon creepers chics à doubles
semelles, les mannequins de son
show ont enfilé des tailleurs à pantalons fuseaux, des manteaux et
des chemises strictes en popeline
de coton, animées de broderies en
rubansouéventails de zipsmétalliques. Cet esprit androgyne décalé
se retrouve en version plus sport
dansles grandes parkaset les minirobesen tweed rebrodéesde cordelettes multicolores, complétées
pardes ensembles«pyjamasde ville » à pulls et pantalons de maille
chinée.
Si les tenues de jour originales
dominent cette garde-robe, les silhouettes du soir, aux ajours voilés
de rideaux de fils de soie, apportent une note sexy déjantée typiquementbritannique.Et même en
microrobe de soirée, les grosses
semelles plates sont de rigueur
pour garder les pieds sur terre.
On retrouve ce goût du vraifaux basique chez Sacai. Ce label
japonais confidentiel connaît un
succès croissant et a été fondé en
1999 par Chitose Abe, qui a fait ses
débuts dans le studio de la griffe
conceptuelleculte Commedes garçons. La créatrice s’est spécialisée
dans les fusions de pièces classiques pour inventer de nouvelles
silhouettes qu’il faut pouvoir
observer à 360 degrés pour en
apprécier toute la subtilité.
Pour l’hiver, la Japonaise propose des pièces spectaculaires et
intemporelles à la fois. Ses manteaux-blousons, qui mêlent Nylon
technique matelassé, cuir, agneau
de Mongolie et tweed, assurent un
confort et une allure maximums ;
ses robes à jupes portefeuille plissées, ses vestes à manches de pulls
contrastées concilient simplicité
et personnalité.
Fausto Puglisi
a choisi une allure
androgyne
qu’il qualifie
lui-même
de «romance
urbaine»
Même les modèles en apparence les plus épurés présentent des
effets intrigants dans le dos. Dans
ce vestiaire sophistiqué, rien ne
fait vraiment « tenue du soir »,
mais ces silhouettes« intello chic »
ne dépareront dans aucun cocktail.
Ce penchant pour une décontraction sophistiquée se retrouve
chez Ungaro, où le styliste italien
Fausto Puglisi signe sa troisième
collection. Naturellement amateur de style rock et de baroque italien, le créateur a pourtant choisi
une allure plus androgyne, un style raisonnablement sexy, mais
Il faudra voir comment la créatrice rebondit après cette première
expérience pour imaginer sa prochaine collection. La sophistication – qui n’est pas nécessairement
synonyme de complication – n’est
pas forcément un obstacle à cette
aisance. Le créateur Giambatista
Valli est né à Rome, la ville où les
femmes élégantes sortent en fourrure et bijoux.
Ce goût de la tenue habillée
continue de marquer ses collections, mais Paris a aussi laissé une
empreinte, plus décontractée, sur
son style. Désormais, il a trouvé sa
voie dans une sorte de sophistication épurée. Ses manteaux à taille
de guêpe aux motifs fauve abstraits, ses robes patineuses en laine
laquée, en dentelle de mohair ou
habillées de roses pourpres géantes, défendent uneféminité intemporelle. Les effets de textures décalés et les plissés origamis assurent
la modernité de ce vestiaire tout de
même largement consacré à une
vie mondaine de jeune femme
bien née.
Le Français Hedi Slimane a fait
le chemin inverse. Directeur de la
création de Saint Laurent, icône
absolue du style couture désinvolte à la française, il est parti s’installer à Los Angeles, patrie du showbusiness et du show off. Sa collection hiver incarne idéalement cette ambivalence. On y croise des
valeurs sûres : capes de tweed,
cabans de laine et vestes en velours
aux coupes précises, blousons cuir
clouté, manteaux de fourrure
rétroet bohème,bottes à talonscarrés, évadées des années 1960…
autant de pièces que ne renierait
pas une Françoise Hardy du
XXIe siècle.
Maisles microrobeset les microjupes en toile écossaise ou entièrement rebrodées de paillettes, en
mousseline panthère ou en cuir
métallisé,sontcalibréespourla jeunesse dorée telle qu’on la croise
sous le soleil de Californie. Ce
jeune public qui a construit ce qui
lui tient lieu de culture mode sur le
site Instagram ou en regardant des
clips de Rihanna et Miley Cyrus a
trouvé une griffe culte où s’acheter
une certaine idée du cool, un esprit
rock estampillé made in France.
Peu importe le prix. p
Stella McCartney.
JACQUES BRINON/AP
Emanuel Ungaro.
PATRICK KOVARIK/AFP
confortable qu’il qualifie luimême de « romance urbaine ».
Ses grands pantalons amples se
porte avec des sweat-shirts à
motifs de fleurs ou un tee-shirt en
dentelle noire et Néoprène perforé, les tailleurs pantalons et les
robes en noir et blanc sont animés
de motifs chevrons rendus abstraits. Les mailles rebrodées de
fleurs, les robes de soie à dos voilé
de tulle plumetis, les manteaux de
fourrure bicolores évoquent, une
forme d’opulence maîtrisée.
En coulisses, le créateur insiste
sur une idée moderne autant
qu’évidente: ces pièces sont faites
pour être mariées entre elles, mais
aussi à autre chose car une garderobe moderne est faite de mélanges, pas de silhouettes intégrales
trop apprêtées et artificielles.
Le goût français d’aujourd’hui
cherche d’ailleurs précisément à
éviter la complication laborieuse.
Un parti pris qui n’est pas évident
quandonobservelacollection Léonard. Cette présentation hivernale est la première signée de la créatrice d’origine chinoise Yiqing Yin
qui s’est fait connaître grâce à des
collectionsde haute couturepoétiques et étranges. Celle-ci n’a pas la
tâche facile : cette maison née en
1958 et connue pour ses imprimés
fleuris a vu se succéder de nombreux stylistes dont Véronique
Leroy ou Maxime Simoëns.
Redonner une allure moderne à
cette griffe codée tient du défi et la
collections’engouffre vite dans un
exotisme qui évoque le Kenzo des
années 1970 (des imprimés saturés sur des brocards drapés, des
coupes croisées qui évoquent le
vêtement traditionnel asiatique).
Pour 2014, cette ligne est trop complexe, pas assez fluide pour séduire.
Carine Bizet
Saint Laurent. MICHEL EULER/AP
Sacai. MIGUEL MEDINA/AFP
16
0123
disparitions & carnet
Typographe américain
Mike Parker
Mercredi 5 mars 2014
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AU CARNET DU «MONDE»
En 2007. TDC.COM
T
ypographe américain de
grand talent, dont le nom est
attaché à la police de caractère Helvetica, l’une des plus utilisées au monde encore aujourd’hui, Mike Parker est mort à Portland, dans le Maine, le 23 février. Il
avait 85 ans.
La famille de Mike Parker, né à
Londresle1er mai1929,s’étaitinstallée aux Etats-Unis en 1942. Sept ans
plus tard, son père meurt dans l’explosion d’un avion dans lequel un
homme avait placé une bombe
pour tuer sa femme. Après des études d’architecture et de design graphiqueàl’universitéde Yale,dontil
sort diplômé en 1956, Mike Parker
entre à la Mergenthaler Linotype
Company en 1959.
D’abord assistant du typographe Jackson Burke, il est nommé
deux ans plus tard directeur de la
création. Chez Linotype, qui a révolutionné la composition au plomb
enfondantavecsesmachinesletexteparlignesentièresetnonpluslettre par lettre, Parker est alors chargéd’enrichirlacollectiondepolices
de caractères disponibles.
Admiranttoutparticulièrement
lestylesimpleetlisibledelanouvelle typographie helvétique d’aprèsguerre, il porte son choix sur la
Neue Haas Grotesk. Une police dite
en anglais sans serif (sans empattements sur les terminaisons des
caractères) créée en 1957 par les
typographessuissesMaxA.Miedin-
1er mai 1929 Naissance à Londres
1959 Débuts chez Linotype
1981 Création de Bitstream
23 février 2014 Mort
à Portland (Maine)
ger et Eduard Hoffmann pour le
compte de la Haas Type Foundry.
Parker et son équipe partent des
dessins originaux de Miedinger et
Hoffmann pour les retravailler et
les adapter aux contraintes de la
Linotype. Cette version modifiée
de la police prendra finalement le
nom d’Helvetica, considéré comme plus commercial que Neue
Haas Grotesk pour le marché international.
L’Helvetica deviendra au gré des
ans un véritable standard typographique, que l’on retrouve utiliséun
peu partout, dans des magazines,
des livres, dans la signalétique du
métro de New York, dans d’innombrables logos de marques ou d’entreprises (Microsoft, Toyota, Jeep,
American Apparel, etc.), ou encore
préinstalléesur pratiquementtous
les ordinateurs… et jusque sur l’Internet où elle est l’objet d’un véritable culte chez nombre de webdesigners.
Aprèsl’Helvetica,Parkerprésiderapendantdeuxdécenniesàlacréation de plus d’un millier de fontes
pour le compte de la Linotype (la
légende veut que le chiffre exact
soit 1 100). Il saura à de nombreuses
occasions s’adjoindre le concours
degrandsnomsde lacréationtypographique comme Matthew Carter, Adrian Frutiger ou Hermann
Zapf. Mais surtout il met en place
une méthode de développement
typographique distribué, mettant
à contributionles compétences des
cinq entreprises qui composent le
groupeLinotypeauniveauinternational.
Car Parker n’est pas seulement
untypographepassionné.C’estaussi un visionnaire, qui a l’intuition
des mutations à l’œuvre dans les
arts graphiques. A la fin des
années 1970, avec l’arrivée de la
photocomposition, il comprend
que le temps des systèmes lourds
comme la Linotype est révolu, et
que la typographie doit désormais
se concevoir et se commercialiser
en tant que telle, de façon indépendante du matériel.
Il fonde en 1981, avec Matthew
Carter, la société Bitstream, toute
première fonderie numérique qui,
après son départ, sera en 2000 à
l’origine de la création du site
MyFonts, premier marché en ligne
de polices numériques.
Fonderie numérique
Dans les années 1990, aux premières heures de l’ordinateur personnel, Parker lance Pages Software, une société dotée d’un logiciel
de traitement de texte aux fonctions graphiques avancées, pour
les ordinateurs NeXT, lancés par
Steve Jobs après son éviction de
chez Apple. L’expérience tourne
court en 1995 lorsque Steve Jobs
doitmettrefinàl’expérienceNeXT.
Finalement, en 2000, Parker est
recruté comme consultant par la
fonderie numérique Font Bureau
créée par Roger Black et David Berlow, un de ses anciens collègues de
Linotype. Après une vie passée à
organiser et encadrer la création
typographique des autres, sa collaboration avec Font Bureau lui permet enfin, en 2009, de publier une
policeoriginale,laStarling,àlaquelle il a consacré plusieurs années
d’activité.Celle-ciestlibrementinspirée par le travail oublié du typographeWilliam Starling Burgess en
1904, dont ne subsistent que quelques rares planches et esquisses et
quiservitde baseau travailde Stanley Morison pour la création, en
1932,delapoliceTimesNewRoman
pour le Times de Londres.
Trouvant de loin supérieure la
version de Starling Burgess à celle
de Morison – qu’il accuse au passage de plagiat –, Parker avait décidé
de revenir à l’original, pour enrichir le projet à peine esquisséde cet
étrange M. Starling Burgess qui, au
tout début du XXe siècle, abandonna la typographie pour se consacrer à l’architecture navale. p
Aris Papathéodorou
Décès
Giuliana et Tommaso Setari
avec Charlotte et Nicola, Alice et Andrea
Ainsi que Dora Stiefelmeier
et Mario Pieroni, Maria Thereza Alves
et Jimmie Duhram, Marco
et Simona Bagnoli, Laurence Bossé,
Chiara Parisi et Emmanuel de la Baume,
Carolyn Christov-Bakargiev
et Cesare Pietroiusti, Lorenzo Benedetti
et Katinka Bock, Pauline de Laboulaye,
Chiara Fumai, Ida Gianelli,
Alanna Heiss, Fabrice Hyber,
Gloria Friedmann et Bertrand Lavier,
Hans Ulrich Obrist, Suzanne Pagé,
Maria et Michelangelo Pistoletto,
Paola Pivi, Remo et Sally Salvadori,
Grazia Toderi et Gilberto Zorio,
ont la tristesse de faire part du décès de
Carla ACCARDI,
artiste majeure dont l’œuvre a marqué
au fil des décennies, et jusqu’à son dernier
jour, l’histoire de l’art contemporain,
exemple lumineux pour les jeunes
générations,
survenu à Rome, le 23 février 2014.
La cérémonie de commémoration a eu
lieu dans la Sala del Carroccio in
Campidoglio, le vendredi 28 février.
La Collectivité Houffon de Savi
et de Porto-Novo,
La famille Ahouanmenou Sodjinou,
La Collectivité Jiveha Chodaton
Agonglo d’Abomey et de Ouidah,
La famille Gounongbe,
Yèmi et Agniola,
ses enfants,
La famille de feu Jérôme
Ahouanmenou,
son frère,
Francis, Francine, Gratien,
Elise-Bizou,
ses frères et sœurs
et leurs familles,
Ses cousins, cousines
Et amis,
Les familles parentes, amies et alliées,
ont la douleur d’annoncer le décès de leur
très cher et regretté
Désiré Gaëtan Dossou
AHOUANMENOU,
survenu le 14 février 2014, à Potomac,
Maryland, (Etats-Unis),
dans sa soixante et unième année,
muni des sacrements de l’Eglise.
La messe de requiem aura lieu
le vendredi 7 mars, à 10 h 15, en l’église
de la Madeleine, place de la Madeleine,
Paris 8e, (France).
Elle sera suivie de l’inhumation
au cimetière de Montmartre, 20, avenue
Rachel, Paris 18e, (France).
Pierre, Michel et Gilles Blayau,
ses fils,
Jeanne, Clarisse, Anne, Elsa, Vincent,
Cécile et Antoine,
ses petits-enfants,
Zoé et Romy,
ses arrière-petites-filles
Et toute sa famille,
ont le chagrin de faire part du décès de
Renée BLAYAU,
née COLLIN,
survenu le 2 mars 2014, à Rennes,
à l’âge de quatre-vingt-six ans.
Ils rappellent à votre souvenir son
mari,
Noël BLAYAU,
agrégé de l’Université,
maître de conférences
d’histoire contemporaine à l’université
de Haute-Bretagne,
décédé le 5 décembre 1971,
à l’âge de quarante-six ans.
Les obsèques auront lieu le mercredi
5 mars, à 10 h 30, au cimetière de l’Est,
place du Souvenir Français, à Rennes.
Ni fleurs ni condoléances.
François Gerin,
son époux,
Agnès Trédé,
Béatrice Trédé,
Cécile Gerin,
ses filles,
Alexis et Gaspard Samuylla,
son gendre et son petit-fils,
Sa sœur, ses frères, sa belle-sœur,
son beau-frère,
Ses neveux et nièces
Et toute la famille,
ont la douleur de faire part du décès de
Martine GERIN,
après une longue et courageuse lutte
contre la maladie, le 1er mars 2014, dans
sa soixante-neuvième année.
La cérémonie sera célébrée le jeudi
6 mars, à 10 h 30, au temple du Marais,
17, rue Saint-Antoine, Paris 4 e, suivie
de l’inhumation dans l’intimité.
Ni fleurs ni couronnes, des dons
peuvent être adressés à la Fondation
ARCAD (Aide et recherche en cancérologie
digestive), 151, rue du Faubourg
Saint-Antoine, 75011 Paris.
Catherine,
sa femme,
Claire, Marc, Chloé, Alice,
ses enfants,
Lucas, Violette, Eliott, Octavio,
ses petits-enfants,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
Jacques INGUENAUD,
designer,
fondateur d’Enfi Design,
survenu à Paris, le 27 février 2014.
Un dernier hommage lui sera rendu
le jeudi 6 mars, à 10 h 15, en la coupole
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Jean, Robert, Michel et Sylvie,
Philip, Sylviane, Alessandra,
ses enfants,
Alexandra et Allan, Anna et Didier,
Elsa, Guillaume et Céline, Simon, François
et Charlotte,
ses petits-enfants,
dans sa quatre-vingt-cinquième année.
L’inhumation a eu lieu dans le caveau
de famille, le 28 février 2014, au cimetière
du Montparnasse, Paris 14e.
Régine Pajaud,
sa filleule
Et toute la famille,
dite Frédérique RUCHAUD.
Les obsèques seront célébrées le 7 mars
2014, à 11 h 45, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Remerciements
Latour de Carol. Paris.
Le principe de laïcité.
Entrée libre.
Grand Temple
de la Grande Loge de France,
8, rue Puteaux, Paris 17e.
Danièle et Hélène Peytavi
Et toute la famille de
Le procès d’Olympe de Gouges
devant le tribunal révolutionnaire
Marcel PEYTAVI,
ont été très touchées des marques
de soutien et d’affection que vous leur
avez témoignées par votre présence, vos
messages, vos envois de fleurs, et vous
adressent leurs sincères remerciements.
Souvenirs
Serge BOURGEADE.
5 mars 1999 - 5 mars 2014,
Quinze ans déjà... Il nous manque.
Clarisse,
son épouse,
Mathéo,
son fils,
Ses parents,
Sa sœur et ses frères,
Sa famille,
Ses amis,
M. Olivier Blanc,
historien,
« Olympe de Gouges,
des droits de la femme à la guillotine »,
Éditions Tallandier, 2014.
Introduction,
Yves Laurin, avocat au barreau de Paris.
Jeudi 6 mars 2014, à 18 heures,
1re chambre
du Tribunal de grande instance de Paris,
(ancienne salle
du tribunal révolutionnaire),
Palais de justice,
4, boulevard du Palais, Paris 1er.
Inscription : [email protected]
Communications diverses
rappellent à votre souvenir la mémoire de
Pierre PEYRELEVADE,
disparu il y a dix ans, le 5 mars 2004.
Sa lumineuse personnalité nous manque
cruellement.
Conférences
Les Amphis de l’AJEF,
Quelles frontières
pour l’Union européenne ?
Le jeudi 6 mars 2014, à 20 heures,
conférence de Pascal Lamy,
ancien directeur de l’OMC.
Lycée Louis-le-Grand,
123, rue Saint-Jacques, Paris 5e.
Informations : [email protected]
Architecture en Israël /
Conversations avec Amos Gitai,
projections exceptionnelles
de la série de documentaires,
les vendredis 7, 14, 21 et 28 mars 2014,
à 19 heures,
suivies d’un débat
en présence de Amos Gitai
et de Jean-François Chevrier.
Invités : Patrick Bouchain (le 7 mars),
Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal
(le 14 mars),
Jean-Louis Cohen (le 21 mars),
Jean-Pierre Frey (le 28 mars).
Entrée libre.
Inscription sur citechaillot.fr
Cité de l’architecture & du patrimoine
Auditorium,
7, avenue Albert de Mun, Paris 16e
(métro Iéna ou Trocadéro).
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V½$É 1/ Ø/ÉÉ/
ont la tristesse de faire part du décès de
Andrée MARK,
ancienne élève de l’ENS de Sèvres,
survenu le 26 février 2014,
dans sa quatre-vingt-quatorzième année.
Selon sa volonté, son corps a été
incinéré au crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, à Paris 20 e , dans
l’intimité.
77, rue de Tourville,
50100 Cherbourg.
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Jacqueline BEUGNIOT,
professeur émérite à l’université
Sorbonne Nouvelle - Paris 3.
avec André Lagache,
ancien conseiller fédéral,
membre de la commission laïcité
de la Grande Loge de France,
née SMAZA,
Elvire,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
M. Jean-Claude SERGEANT,
le samedi 8 mars 2014, à 14 h 30,
Mme Denise LÉVY,
Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Et l’ensemble des magistrats
et personnels des juridictions financières,
Les familles Fresson, Ruchaud, Caldas,
Stern et Guilbert,
s’associent au deuil de la famille et des
proches de
Conférence publique
« Condorcet - Brossolette »,
ont la tristesse de faire part du décès de
La famille vous remercie pour votre
soutien et vos prières, et vous prie de vous
souvenir de sa très chère épouse,
rappelée à Dieu, le 21 février 2012.
La présidente de l’université
Sorbonne Nouvelle - Paris 3,
Le directeur,
Les enseignants
Et les étudiants de l’UFR Langues,
Littératures, Cultures et Sociétés
Etrangères et du département Monde
anglophone,
L’ensemble des personnels enseignants
et administratifs de l’université,
Bernard MENASSEYRE,
président de chambre honoraire
à la Cour des comptes,
président de la commission permanente
de contrôle des sociétés de perception
et de répartition des droits (SPRD),
commandeur de la Légion d’honneur,
officier dans l’ordre national du Mérite,
survenu le 3 mars 2014.
La Cour des comptes présente
ses sincères condoléances à la famille
et s’associe à sa peine.
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0123
météo & jeux
Mercredi 5 mars 2014
< -10°
-5 à 0°
-10 à -5°
0 à 5°
Lille
30 km/h
6 11
0 13
Caen
Châlonsen-champagne
0 12
PARIS
A
Clermont-Ferrand
0 12
4 12
Lyon
1025
-3 6
A
7 14
Nice
Marseille
4 16
4 16
Températures à l’aube 1 22 l’après-midi
Jours suivants
Vendredi Samedi
Nord-Ouest
Ile-de-France
Nord-Est
Sud-Ouest
Sud-Est
Ajaccio
80 km/h
Front froid
Thalweg
9 14
Lever 09h16
Coucher 23h59
Jeudi
0 13
2 12
3 13
1 15
0 13
-1 13
2 17
3 15
3 15
7 16
beautemps
assezensoleillé
bienensoleillé
pluiemodérée
averseséparses
averseséparses
assezensoleillé
faiblepluie
assezensoleillé
enpartieensoleillé
enpartieensoleillé
enpartieensoleillé
assezensoleillé
aversesmodérées
faiblepluie
aversesmodérées
bienensoleillé
enpartieensoleillé
bienensoleillé
assezensoleillé
assezensoleillé
cielcouvert
bienensoleillé
cielcouvert
enpartieensoleillé
neigesoutenue
5
9
8
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1
0
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11
14
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10
2
14
8
13
16
10
13
10
14
4
20
2
8
3
Riga
Rome
Sofia
Stockholm
Tallin
Tirana
Varsovie
Vienne
Vilnius
Zagreb
Jérusalem
3
15
11
4
3
14
6
12
2
11
New Delhi
New York
Pékin
Pretoria
Rabat
Rio de Janeiro
Séoul
Singapour
Sydney
Téhéran
Tokyo
Tunis
Washington
Wellington
assezensoleillé
14 24
assezensoleillé
-3 3
beautemps
-4 6
pluiesorageuses 17 20
bienensoleillé
8 18
soleil,oragepossible24 33
bienensoleillé
-3 4
bienensoleillé
24 32
bienensoleillé
18 28
beautemps
9 18
pluiemodérée
10 13
bienensoleillé
10 16
brouillard
-10 3
averseséparses
14 17
Cayenne
Fort-de-Fr.
Nouméa
Papeete
Pte-à-Pitre
St-Denis
averseséparses
bienensoleillé
assezensoleillé
pluiesorageuses
bienensoleillé
nuageux
Outremer
25
24
20
25
24
26
29
27
28
27
26
30
Météorologue en direct
au 0899 700 703
1,34 € l’appel + 0,34 € la minute
7 jours/7 de 6h30-18h
Dimanche
2
15
3
15
3
15
-1
13
0
15
1
15
1
17
3
18
5
19
“Connaître les religions
pour comprendre le monde”
3
18
3
19
3
17
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
Motscroisés n˚14-054
5
0
6
4
1
-1
6
-1
4
0
5
Alger
11 16
averseséparses
Amman
9 20
beautemps
Bangkok
24 34
bienensoleillé
Beyrouth
18 24
bienensoleillé
Brasilia
20 27
pluiesorageuses
Buenos Aires bienensoleillé
17 27
Dakar
18 20
beautemps
Djakarta
26 31
pluiesorageuses
Dubai
bienensoleillé
20 26
Hongkong enpartieensoleillé 17 21
Jérusalem beautemps
13 26
Kinshasa
pluiesorageuses
23 29
Le Caire
beautemps
16 29
Mexico
beautemps
9 23
Montréal
assezensoleillé
-15 -10
Nairobi
assezensoleillé
15 27
3
17
4
enpartieensoleillé
soleil,oragepossible
nuageux
assezensoleillé
assezensoleillé
enpartieensoleillé
enpartieensoleillé
bienensoleillé
pluieetneige
faiblepluie
Dans le monde
3
15
3
Beyrouth
101
0
Le Caire
2
15
2
5
100
Tripoli
Tripoli
Dépression
Occlusion
Amsterdam
Athènes
Barcelone
Belgrade
Berlin
Berne
Bruxelles
Bucarest
Budapest
Copenhague
Dublin
Edimbourg
Helsinki
Istanbul
Kiev
La Valette
Lisbonne
Ljubljana
Londres
Luxembourg
Madrid
Moscou
Nicosie
Oslo
Prague
Reykjavik
Les jeux
1
D
Front chaud
En Europe
Lever 07h24
Coucher 18h39
Aujourd’hui
Les pressions repartiront enfin à la
hausse à l'approche de l'anticyclone
des Açores et les conditions météo
vont donc s'améliorer. Nuages et
pluies resteront présents tout de
même au sud de la Garonne. Les
éclaircies prendront généralement
l'avantage sur les autres régions.
Quelques gouttes pourront arroser
l'Alsace. Douceur après quelques
gelées blanches le matin.
Anticyclone
Alger
Rabat
Ankara
Athènes
Tunis
Tunis
Islande Fortes chutes de neige
Perpignan
7 16
Istanbul
D
Séville
A
Bucarest
Sofia
Rome
Barcelone
Barcelone
Madrid
0 12
9 15
4 18
Kiev
10
10
Odessa
Budapest
Zagreb
Belgrade
Milan
Grenoble
Montpellier
Berne
Varsovie1015
Lisbonne
Lisbonne
Bordeaux
Sainte Olive
Coeff. de marée 96/89
A
Munich Vienne
102
0
Minsk
Prague
Bruxelles
Paris
Moscou
Copenhague
1020Amsterdam Berlin
Londres
2 13
Toulouse
Edimbourg
Dublin
102
5
Chamonix
St-Pétersbourg
Riga
1015
0 10
0 12
Don Chochotte
A
Helsinki
995
Strasbourg
Dijon
5 15
5
Oslo
Stockholm
Besançon
Poitiers
Limoges
985
1 12
6 15
11 13
C’EST À VOIR | CHRONIQUE
> 35°
1025
5
100
0 11
1 13
Nantes
Biarritz
30 à 35°
1
10
Metz
Orléans
5 15
50 km/h
25 à 30°
D
Reykjavik
975
3 13
Rennes
30 km/h
20 à 25°
6
7
z
Découvre
notre
nouvelle
formule
9
Solution du n˚14-053
TF 1
10 1 1 12
Série. Costume sur mesure. Réunion d’anciens
(S2, ép. 12 et 13/22, inédit) U ; Vu de l’intérieur
(saison 1, 15/23) U. Avec Jim Caviezel.
23.30 Following.
Série (S1, ép. 11 et 12/15, inédit, 100 min) V.
II
FRANCE 2
III
20.45 La Maison préférée
IV
des Français. Divertissement (saison 2).
23.05 Infrarouge.
Intimes violences U. 0.20 Pardonner (60 min).
V
FRANCE 3
VI
20.45 Louis la Brocante.
Série. Louis et les bruits de couloirs (audio.).
VII
22.20 Météo, Soir 3.
23.25 Les Carnets de Julie.
VIII
La Vallée de la Maurienne. Magazine.
0.20 Libre court. Magazine.
Femmes héroïnes du monde moderne (60 min).
IX
Solution du n° 14 - 053
Horizontalement
I. Etourdissant. II. Navrée. Menue.
III. Gré. Nc. Staël. IV. Ut. Stuc. Etre.
V. Eider. Râ. VI. Une. Ecervelé.
VII. Lavèrent. Mur. VIII. Adam.
Le. Demi. IX. Dénébules. Et.
X. Estudiantine.
CANAL +
Loto
X
I. Vous pouvez l’approcher
sans danger. II. Donne de beaux
papiers glacés. Personnel.
III. Peron ou Joly. A la possibilité
d’en avoir plein les mains.
IV. Assez malin. Essence brune
et dure. Roule en piste. V. Mulet
en région. Pour séduire une
Vierge. Alliance d’un petit blanc
et d’un rouge épais. VI. Tumeur
bénigne. Marque de défi.
VII. Porteur du disque solaire.
Evite de trop se mouiller au
passage. Craquai bruyamment.
VIII. Colonisa la Guadeloupe.
Chez la bonne. IX. Pour
suspendre. Expérimentée.
X. Bien pénétrée.
Mardi 4 mars
20.55 Person of Interest.
I
Horizontalement
J
e n’ose pas écrire que Jean-François Copé avait l’air transparent
lorsqu’il a paru, lundi 3 mars,
devant les caméras des chaînes d’information en continu qui
relayaient sa conférence de presse,
mais blême, comme vidé de son
sang. Et le timbre de ce chevalier à
la triste figure semblait coincé dans
le haut de sa tessiture, telle une
voix « feinte», comme on le disait
des falsettistes au XVIIIe siècle.
A l’heure où sont écrites ces
lignes, rien sur le fond ne permet
de comparer la situation de JeanFrançois Copé avec celle de Jérôme
Cahuzac au moment qu’il mentait
éhontément devant les caméras et
la représentation nationale, mais
le président de l’UMP a exactement le même visage crispé et fermé à double tour. Et c’est bien ce
qui est terrible pour lui: quand
bien même il faudrait prendre au
mot sa déclaration: « Je veux dire
aux Français et aux Françaises que
j’ai toujours exercé mes fonctions
avec droiture et honnêteté», rien
ne permet hélas de le croire sur
parole.
M.Copé conspue la presse, du
moins, ainsi qu’il le dit prudemment, « certains organes de presse,
si peu regardants sur leur propre
déontologie, si peu transparents
sur les conflits d’intérêts qui les
minent de l’intérieur», emboîtant
le pas à Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean-Luc Mélenchon, qui se
sont récemment illustrés par une
charge outrée contre Le Monde, en
particulier. Mais cette théorie du
complot médiatique est aussi
archétypale que celle de la vox
populi pestant contre le « tous
pourris» qu’elle adresse à la classe
politique.
D’ailleurs, par son choix lexical,
Les soirées télé
Sudoku n˚14-054
8
Verticalement
1. En faire le moins possible.
2. Peut tout stopper. 3. Rogne en
bordure. Chez les Grecs. 4. Mesure
très discutable. Reine sur les
courts. 5. Sans fantaisie. Ponant.
6. Monsieur parfois madame.
Mortes chez Gogol. 7. Capitale
de l’Assyrie. A déplacé le monde
du travail. 8. Figure de rhétorique.
Toujours agréable à prendre.
9. Démonstratif. Bien protégé
par-derrière. 10. Grande ouverte.
Tout ce qu’il faut pour le montage.
Le titane. 11. Ouvre la semaine.
La belle Diane y attendait Henri.
12. Complètement détruite.
Philippe Dupuis
Verticalement
1. Engueulade. 2. Tartinades.
3. Ove. Devant. 4. Ur. Se. Emeu.
5. Rentrer. Bd. 6. Déçu. Celui.
7. Crénela. 8. SMS. Art. En. 9. Sète.
DST. 10. Anathème. 11. Nuer.
Lumen. 12. Télé-vérité.
17
p a r R ena ud Ma cha r t
965
-1 12
1 13
5 15
D
www.meteonews.fr
Amiens
Rouen
Brest
15 à 20°
05.03.2014 12h TU
1 12
20 km/h
10 à 15°
En Europe
Mercredi 5 mars
Amélioration
Cherbourg
5 à 10°
écrans
20.55 Happiness Therapy pp
Film David O. Russell. Avec Bradley Cooper,
Jennifer Lawrence, Robert De Niro (EU, 2012) U.
22.55 Blancanieves pp
Film Pablo Berger. Avec Maribel Verdú (muet, N.) U.
0.35 Effets secondaires ppp
Film Steven Soderbergh. Avec Rooney Mara,
Jude Law (Etats-Unis, 2012, 105 min) U.
Résultats du tirage du lundi 3 mars.
21, 28, 36, 40, 41 ; numéro chance : 10.
Rapports :
5 bons numéros et numéro chance : pas de gagnant ;
5 bons numéros : pas de gagnant ;
4 bons numéros : 2 142,10 ¤ ;
3 bons numéros : 13,20 ¤ ;
2 bons numéros : 6,30 ¤.
Numéro chance : grilles à 2 ¤ remboursées.
FRANCE 5
20.38 Enquête de santé.
Joker : 2 137 340.
0123 est édité par la Société éditrice du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
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Corinne Mrejen
PRINTED IN FRANCE
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Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
Toulouse
(Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
Magazine. Médicaments génériques :
peut-on leur faire confiance ?
22.21 C dans l’air. Magazine.
23.30 Entrée libre. Magazine.
23.51 Duels. Pinault - Arnault... (55 min).
ARTE
20.50 Thema - Homs,
chronique d’une révolte. Documentaire.
22.35 Khrouchtchev
à la conquête de l’Amérique.
23.40 Syrie : instantanés
d’une histoire en cours.
Documentaire (France - Syrie, 2013, 55 min).
M6
20.50 Indiana Jones
et la dernière croisade ppp
Film Steven Spielberg. Avec Harrison Ford,
Sean Connery, Alison Doody (EU, 1989, audio.).
23.10 Le Médaillon
Film Gordon Chan. Avec Jackie Chan,
Lee Evans, Claire Forlani (HK, 2003, 110 min).
ce « discours solennel» (introduit
par un assez ridicule «Mes chers
compatriotes» sur fond de drapeaux français et européen) faisait
verser l’archétype dans le fossé de
la caricature: M.Copé parla de « climat nauséabond», de « campagne
de presse particulièrement agressive. Je dirais même haineuse»,
orchestrée par des « commentateurs qui préfèrent plus souvent
déformer qu’informer», des
«lâches» qui manieraient les «insinuations, et les manipulations» et
pratiqueraient une « chasse à
l’homme», une «vendetta». Selon
lui, ainsi qu’il l’a affirmé devant
une forêt de reporters, de micros
Le pain au chocolat,
le livre «Tous à poil»…
C’est M. Copé qui les
a précipités dans le
«bûcher médiatique »
et de caméras, il n’y aurait « pas de
possibilité de répondre» à ces « tartuffes bouffis d’orgueil» au «magistère moral de pacotille» et aux
«oukases délirants» prêts à précipiter les innocents sur «le bûcher
médiatique» après un «lynchage
public» !
En dénonçant des «méthodes
dignes de l’Inquisition», M. Copé
oublie que sa personne n’a cessé
de se faire passer pour un inquisiteur ferraillant contre de chimériques moulins à vent. Le pain au
chocolat, le livre Tous à poil, entre
autres, ce n’est pas la presse mais
le président de l’UMP qui les a précipités dans le « bûcher médiatique». Y sautant lui-même à pieds
joints à cette occasion. p
Mercredi 5 mars
TF 1
20.50 Football.
Match amical 2014. France - Pays-Bas.
23.00 Les Experts.
Série. Ennemis pour la vie U. Jouer au chat
et à la souris V. On n’oublie jamais sa première
fois U. Là où tout a commencé V (S11, ép. 15,
20, 21 et 22/22). Avec George Eads (195 min).
FRANCE 2
20.45 3 Femmes en colère.
Téléfilm. Christian Faure. Avec Marina Vlady,
Florence Pernel, Bruno Todeschini (Fr., 2012).
22.25 La Parenthèse inattendue.
Invités : Jean-Christophe Rufin, Louis Chedid.
0.40 Grand Public. Magazine (45 min).
FRANCE 3
20.45 Au cœur du Vatican.
Documentaire. Stéphane Ghez (2014).
22.35 Météo, Soir 3.
23.40 Les Chansons d’abord.
Spécial Dalida. Divertissement.
0.30 Couleurs outremers (25 min).
CANAL +
20.55 Love Is All You Need pp
Film Susanne Bier. Avec Pierce Brosnan,
Kim Bodnia, Trine Dyrholm (coprod., 2012).
22.45 Des gens qui s’embrassent
Film Danièle Thompson. Avec Eric Elmosnino,
Monica Bellucci, Lou de Laâge (France, 2013).
0.25 Braquo. Série (S3, 7-8/8, 115 min) V.
FRANCE 5
20.35 La Maison France 5. Magazine.
21.40 Silence, ça pousse ! Magazine.
22.35 C dans l’air. Magazine.
23.45 Entrée libre. Magazine (20 min).
ARTE
20.50 Hommage à Alain Resnais :
Mon oncle d’Amérique ppp
Film Alain Resnais. Avec Gérard Depardieu,
Nicole Garcia, Roger Pierre (France, 1980).
22.55 Mélo ppp
Film Alain Resnais. Avec Sabine Azéma, Fanny
Ardant, Pierre Arditi, André Dussollier (Fr., 1986).
0.20 Camp 14, dans l’enfer
nord-coréen. Documentaire (110 min).
M6
20.50 La Méthode Claire.
En pères et contre tout. Téléfilm. Vincent Monnet.
Avec Michèle Laroque (Fr., 2013, audiovision).
22.40 La Méthode Claire.
Téléfilm. Vincent Monnet. Avec Michèle Laroque,
Christelle Chollet (Fr., 2012, audio., 90 min).
décryptages
18
0123
Mercredi 5 mars 2014
L’expansion russe se poursuivra si l’Occident ne fait pas preuve de fermeté
Françoise Thom
A
Historienne
mesure que la crise ukrainienne se déploie, on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de déjà-vu : le scénario
de la Crimée semble calqué
sur celui de l’Ossétie du Sud et
de l’Abkhazie en 2008: distribution de passeportsrusses,armementdeforcesparamilitaires locales, provocations incessantes.
Comme le gouvernement ukrainien
actuel, le gouvernementgéorgien était placé devant le choix de rester passif et de se
déconsidérer devant ses concitoyens, ou
celuideréagiretdefournirà Moscouleprétexte à une intervention pour « défendre»
la population russe contre les « nazis» téléguidésparl’étranger.Interventionaboutissant à l’amputation de l’Etat coupable
d’avoir choisi l’Europe.
Si la situation d’aujourd’hui prend un
tour dramatique, c’est que la réaction des
Occidentauxen2008futtotalementinadéquate. Quelques semaines après le conflit
russo-géorgien, la France offrit à la Russie
de lui vendre des bâtiments de guerre de
classeMistral,commes’ilnes’étaitrienpassé. Quelques mois plus tard, en 2009, l’Europe se lançait avec enthousiasme dans les
« partenariats pour la modernisation »
offerts par le président Medvedev, qui
avaient essentiellement pour but la mise à
niveau de l’armée russe; tandis que la nouvelle administration américaine proposait
à Moscou l’inepte politique du reset
[redémarrage] impliquant qu’elle prenait
le parti d’oublier tout ce qui dans le passé
récent aurait dû lui ouvrir les yeux sur la
vraie nature du régime Poutine.
Aujourd’hui, la paralysie de la diplomatie occidentale devant la crise ukrainienne
tient d’abord à un manque de compréhension claire des ressorts de cette crise. Cette
confusion dans les esprits est entretenue
par une formidable offensive de la désinformation du Kremlin, qui présente les
insurgés ukrainiens comme un ramassis
d’antisémites extrémistes ; comme les
marionnettes des Occidentaux. De même,
on nous serine à l’envi la thèse d’un affrontement géopolitiqueentre la Russie et l’Occident.
Rappelons que, pour qu’il y ait affrontement, il faut être au moins deux. Or, pour
l’instant, il n’y a rien en face de la Russie, et
le seul affrontement est celui du peuple
ukrainiencontrela formidablemachinede
puissance du Kremlin. Rappelons que
pour l’Ukraine le choix de l’Europe ne fut
pas un choix géopolitique, ce fut un choix
de civilisation, et c’est précisément ce qui
est insupportable pour Moscou. En même
temps,lapropagandepoutinienneinsinue
de mille manières que le seul moyen de
résoudre la crise ukrainienne est un parte-
nariat au sein de la Grande Europe entre
l’Union européenne et l’Union économique eurasienne, dont Vladimir Poutine
essaied’accélérerla créationdepuis la mise
en œuvre, en 2010, de l’Union douanière
entre Biélorussie, Russie et Kazakhstan.
Le président russe ne cesse de se déclarer européen, et même meilleur Européen
que les autres Européens. Mais comment
Moscou préfère soutenir
des despotes incapables
plutôt que de voir se
mettre en place des
gouvernements résolus
à sortir leur pays du
marasme postsoviétique
expliquer alors que tout mouvement vers
l’EuropedesEtatsvoisinsde laRussiesuscite une réaction hystérique du Kremlin ?
Quelle coopération russo-européenne estelle possible quand les maîtres du Kremlin
sont si visiblement allergiques à la liberté,
qu’ils ne veulent dans leur Union eurasienne que des dictatures anachroniques corrompues et stagnantes?
Depuis la création du Partenariat oriental par l’UE en 2009, qui visait – timidement – à faciliter l’européanisation des
Etats périphériques de la Russie, une gran-
M. Poutine est un homme du XIXe siècle
La Crimée, un anachronisme dangereux
Thomas Gomart
Directeur du développement stratégique de
l’Institut français des relations internationales
E
n 1854, Paris et Londres déclarèrent la
guerre à la Russie pour soutenir les troupes
ottomanes, et débarquèrent en Crimée. En
1954, la Crimée fut donnée à la République
d’Ukraine au sein de l’URSS. En 1994, le
mémorandumdeBudapestsigné parWashington, Londres, Kiev et Moscou garantit la dénucléarisation de l’Ukraine et son intégrité territoriale.
Ce triple héritage – concert européen et question
d’Orient, guerre froide et « fraternité soviétique »,
intégrité territoriale et leadership américain – explique la dangerosité de la crise actuelle, qui dépasse
désormais l’Ukraine. De manière aussi prévisible que
brutale, resurgit la question russe, c’est-à-dire la nature de la relation avec Moscou. Historiquement, la
question russe a été formulée dans le cadre du
concert européen, réseau croisé d’accords multiples
visant à un équilibre des forces au nom d’une civilisation commune. Elle a davantage été traitée par le prisme de la guerre froide aux Etats-Unis. Côté russe,
après le chaos des années 1990, la synthèse entre les
périodes impériale et soviétique s’est faite par une
politique de puissance. Dans un monde brutal, il ne
s’agit pas d’être aimé, mais craint. Vladimir Poutine a
parfaitement réussi sur ce dernier point.
Les condamnationsréciproques trouventleurs origines dans ces différents héritages ; elles n’empêchent ni les erreurs de jugement ni les prises de
guerre. Dialectique des volontés, une stratégie produit toujours des effets paradoxaux. En l’espace
d’une semaine, la Russie aurait ainsi perdu l’Ukraine
mais gagné la Crimée. Pour tenter de prévoir la suite
des événements, il convient d’analyser, aussi précisément que possible, les buts de guerre et les objectifs
politiques poursuivis par le Kremlin. Cette approche
rationnelle devrait, en outre, s’accompagner d’un travailsur les facteursémotionnelset irrationnelsactuellement à l’œuvre dans la psyché russe.
Premier objectif: prendre le contrôle de la Crimée.
Moscou a conduit une opération spéciale lui permettant d’entretenir l’ambiguïté entre raid, annexion
et/ou préparation d’une guerre limitée avec l’Ukraine. L’objectif est de continuer à disposer d’une enclave sur la mer Noire, comparable à celle de Kaliningrad
sur la Baltique. Par ailleurs, il s’agit de créer une situation de conflit gelé comparable à celles de la Transnistrie, de l’Abkhazie et de l’Ossétie, pour paralyser tout
rapprochement avec l’Union européenne. Le thème
de la « fédéralisation» de l’Ukraine vise à saper l’idée
d’un Etat ukrainien souverain et indépendant. Le
Kremlin va-t-il se contenter de cette prise ou, au
contraire, pousser son avantage? A ce stade, rien n’est
à exclure.
Deuxième objectif : tester la solidarité occidentale.
Depuis 1991, l’OTAN est perçue en Russie comme la
principale menace à la fois en raison de ses élargissements et de ses expéditions (Balkans, Afghanistan,
Libye). Moscou suit le débat au sein de l’OTAN sur la
réassurance, c’est-à-dire sur les conditions de défense
territoriale entre alliés, à un moment où les EtatsUnis réduisent leur présence militaire. En arrièreplan, la Russie augmente sa dépense militaire et renforce ses capacités opérationnelles, alors que les pays
européens réduisent les leurs. Le Kremlin sait parfaitement que la reconfiguration des outils de défense
se fait déjà ressentir sur les forces de l’OTAN dans un
cadre de guerre limitée avec une grande puissance
militaire: la Russie n’est pas la Libye. Le moment semble opportun pour le Kremlin de montrer aux dirigeants européens qu’ils se sont militairement démonétisés en touchant les dividendes de la paix.
Troisième objectif : infliger une défaite symbolique à Washington. Depuis la crise financière et la
guerre de Géorgie en 2008, la Russie est convaincue
d’undéclin inexorabledes Etats-Unis.Plus fondamentalement, elle considère que les règles internationales n’ont pas changé avec la fin de la guerre froide, et
que les relations internationales restent façonnées
par la domination et le conflit. L’interprétation de la
guerre froide minimisant la victoire américaine est
Dans un monde brutal,
il ne s’agit pas d’être aimé, mais craint.
Vladimir Poutine a parfaitement réussi
sur ce dernier point
au cœur de sa politique, afin de fixer des cadres
conceptuels distincts de ceux des Etats-Unis. La Russie conteste ouvertement leur récit sur les affaires du
monde, qui ne correspondraitplus à la réalité des rapports de force. S’y ajoute une dénonciation en règle de
leur morale universaliste.
La question russe doit être posée et traitée à plusieurs niveaux. En fonction des trois objectifs précédemment décrits, la principale réaction devrait venir,
en premier lieu, des Ukrainiens qui, depuis 1991, ont
montré leur attachement à l’indépendance en dépit
dedirigeantspréférantleurs intérêts personnelsà l’intérêt national. Un des enjeux des semaines à venir
réside dans le maintien d’une cohésion occidentale
face à ce coup de force et dans la redéfinition d’une
politiqueglobale à l’égard de la Russie.En dépitdes circonstances, celle-ci ne peut pas se focaliser uniquement sur la Crimée et l’Ukraine. La question russe
mérite d’être abordée en évitant deux travers : d’une
part, une approche irréaliste préconisant un isolementde la Russie et, de l’autre, une approcheromantique assimilant son comportement à une saute d’humeur.
Pour ce faire, sans doute faut-il commencer par
expliquer à Vladimir Poutine qu’il se trompe d’époque: le XIXe siècle s’est achevé en 1905 à Tsushima par
la victoire du Japon sur la Russie ; le XXe siècle s’est
achevé en 1991 par la chute de l’URSS. Nul ne conteste
les sacrificeset les souffrancesconsentis par les Soviétiques pour survivre à leur propre régime et abattre
l’Allemagne nazie. Cependant, au début de XXIe siècle,
à l’heure des sociétés civiles et de la mise en réseau, la
Crimée constitue un anachronisme dangereux. Au
regard de leur histoire commune, les peuples russe et
ukrainien méritent beaucoup mieux. p
de partie de la politique du Kremlin est
consacrée à la sape de ce projet européen:
la signature précipitée de l’Union douanière en janvier 2010, les nombreuses guerres
économiques et politiques déclenchées
par Moscou contre les pays souhaitantune
association avec l’Europe (Géorgie, Moldavie, Ukraine), les pressions russes croissantespourforcercespaysàrenonceraupartenariatorientaletadhéreràl’uniondouanière. En novembre 2013, Moscou croyait
triompher: l’Arménie avait cédé et l’Ukraine avait renoncé à l’accord d’association
avec l’UE. Les experts proches du Kremlin
célébraient en fanfare la mise à mort du
partenariat oriental.
Cette attitude constitue le révélateur
des véritables relations de la Russie poutinienne avec l’Europe: celle-ci inspire un
mélange de mépris et de haine, non parce
qu’elle est vue comme une entité impérialiste avide d’attenter au territoire russe, ce
quelatélévisionduKremlinrépèteinlassablement aux Russes, mais parce que Moscou craint un changement de régime dans
son « étranger proche » : elle préfère soutenir à grands frais des despotes incapables
plutôt que de voir se mettre en place des
gouvernements résolus à sortir leur pays
du marasme postsoviétique.
Que le régime de Vladimir Poutine agisse comme il le fait à cause d’un sentiment
d’insécurité et d’un complexe postimpérial non surmonté ne le rend pas moins
dangereux. A Moscou, on se plaît à présen-
ter les Ukrainiens comme des nazis. En réalité, si une analogie avec le régime hitlérien
s’impose, c’est celle entre les méthodes
employées par le Kremlin dans « l’étranger
proche» et celles auxquelles eut recours
Hitler lorsqu’il voulut démembrer la Tchécoslovaquie. La manipulation des Allemands des Sudètes par Berlin en 1938 rappellecelledesRussesde Crimée.Parl’intensité de la haine qu’elle véhicule, par l’énormité des mensonges qu’elle charrie, la propagande russe contre les Ukrainiens pourrait rendre des points à celle de Goebbels
contre les Tchèques. La commission de la
Douma aux relations avec les compatriotes dirigée par Leonid Sloutski ressemble
au bureau Ribbentrop chargé de mobiliser
enfaveur duReichles Allemandsde ladiaspora.
Où le Kremlin va-t-il s’arrêter? La réponse dépend de la fermeté de l’attitude occidentale. Moscou joue sur les divisions
entreles Européens,surlemanquedecoordination entre Washington et Bruxelles,
sur le tropisme incurablementprorusse de
certains pays, sur l’absence de perception
claire chez les Occidentaux des agissements russes et de l’importance des
enjeux. Dès que les dirigeants du Kremlin
saurontqu’ilsne peuventpluscomptersur
tous ces facteurs, leur politique deviendra
plus prudente, et plus conforme aux intérêts vrais de la Russie, qui a tout à gagner à
entretenir des relations apaisées avec ses
voisins du continent européen. p
Une intervention russe
qui fait penser à Prague, 1968
Jacques Rupnik
Directeur de recherches
à Sciences Po (CERI)
D
ans la lecture de l’intervention russe en Ukraine diverses comparaisons peuvent
être invoquées. La plus proche semble être la crise géorgienne : Moscou intervient
pour « protéger» deux enclaves menacées
par le gouvernement de Tbilissi. Dans la
même veine, on peut penser à Milosevic
au lendemain de la dislocation de la Yougoslavie optant pour la Grande Serbie au
nom de la « protection » des Serbes dans
les républiques voisines. Il est cependant
une autre analogie, moins évidente, mais
non moinséclairante : la politiquede Moscouen Ukrainedepuisquelquesmoiscommeversioncondenséedu casde laTchécoslovaquie dans l’après-guerre. Trois tournants invitent à la comparaison : 1947,
1968, 1989.
La crise actuelle et le soulèvement
« Euromaïdan» à Kiev furent déclenchés
par le revirement, sous la pression russe,
du président Ianoukovitch, en novembre 2013, à la veille de la signature prévue
del’accordd’associationavecl’Unioneuropéenne dans le cadre de son partenariat
oriental. Cela n’est pas sans rappeler un
épisode aux origines de la guerre froide.Le
4 juillet 1947, le gouvernement tchécoslovaque adopta à l’unanimité la participation du pays au plan Marshall. Le 9 juillet,
une délégation du gouvernement se rendit à Moscou, où Staline exigea d’annuler
cette décision, ce qui fut fait le lendemain.
Jan Masaryk,ministredes affairesétrangères (et fils du président Tomas Masaryk
d’avant-guerre),dit enrentrant à son collègue Ripka : « Je suis parti à Moscou comme
ministre d’un pays souverain. Je rentre
commeun vassal de Staline. » C’était le prélude au « coup de Prague » et à l’absorption du pays dans le bloc soviétique.
On ne peut s’empêcher de faire une
deuxième comparaison, avec l’invasion
de la Tchécoslovaquie, en août 1968, en
lisant la lettre du président Poutine diffusée le 1er mars par l’Agence Itar-Tass répondant à une demande du Conseil de la Fédérationde Russie.Il s’agit,seloncettedernière, de « protéger » la minorité russe (« la vie
et la sécurité des citoyens russes vivant en
Ukraine »), et une lettre d’invitation du
gouvernement de Crimée est brandie. En
août 1968, il s’agissait de protéger les
« acquis du socialisme » prétendument
menacés et on invoquait une lettre d’invitationde « vrais » communistes tchécoslo-
vaques dont on préférait taire les noms. Il
y aurait aujourd’hui une « menace pour
nos militaires… de la flotte de la mer Noire ». En 1968, on invoquait la sécurité du
pays et du pacte de Varsovie menacée par
une Allemagne « revancharde ». On parle
aussi, côté russe, du non-respect des
accordsdu 21 février entre Ianoukovitchet
l’opposition, de même qu’on évoquait en
1968 le non-respect par Dubcek des engagements pris lors des négociations avec
Brejnev à Bratislava et Cierna quelques
jours avant l’invasion.
Enfin, le plus troublant dans le communiqué de la présidence parlant des « forces
arméesde la Fédérationrusse sur le territoire de l’Ukraine en attendant la normalisation de la situation politique et publique
dans le pays » est le fait que c’est presque
mot pour mot la formule de 1968 sur le
« stationnement provisoire » (!) des troupes en attendant la « normalisation», qui
signifiait répression et reprise en main et
ne prit fin qu’en novembre 1989.
Euromaïdan ukrainien comme remake
de la « révolution de velours » en 1989 à
Prague ? La comparaison est tentante,
mais sans doute moins pertinente que les
deuxprécédentes.On peut sans doute parler de prolongement de la « révolution
Lecommuniqué de
VladimirPoutinereprend
presquemotpourmot
laformule de1968
surle«stationnement
provisoire»destroupes
orange » de 2004. Vaclav Havel à qui l’on
demandait s’il voyait un parallèle entre
cette dernière et Prague en novembre 1989 répondait ceci : « La différence,
c’est que 1989 était une révolution contre le
communisme.En Ukraine,c’est une révolution contre le postcommunisme. Et qu’estce que le postcommunisme? C’est la combinaisond’un régimeautoritaireet d’uncapitalisme mafieux. » On ne saurait mieux
dire.On doity ajoutercependantunedifférence essentielle : 1989 à Prague s’incarnait dans Vaclav Havel et ses amis issus de
la dissidence. La place Maïdan a conspué
les leaders de l’opposition, à commencer
par Ioulia Timochenko, l’égérie de 2004.
C’estlà, par-delàla différenceducontexte géopolitique (une URSS qui se défait,
une Russie qui se refait), le contraste le
plusnet entre1989à Pragueet Kiev aujourd’hui: l’absence de leadership et d’une élite politique démocratique issue du mouvement de contestation. p
0123
analyses
Mercredi 5 mars 2014
19
Pacte de responsabilité : tournant social ou leurre ?
ANALYSE
par Michel Noblecourt
Editorialiste
D
epuis qu’il a lancé son pacte de
responsabilité, le 31 décembre2013,danssesvœuxauxFrançais, François Hollande est le
témoin privilégié d’une course
de lenteur. Politiquement affaibli par les rumeurs de remaniement, son mécano en chef, Jean-Marc Ayrault, peine à en battre
la mesure. Le 30 janvier, il donne un mois aux
partenairessociauxpourluilivrerune feuillede
route sur ce « grand compromis social » où la
baisse des charges pour les entreprises doit être
équilibrée par « des engagements pour l’emploi». Puis il reporte le délai à la fin mars, au lendemain d’un scrutin municipal à hauts risques.
Dès le départ, Pierre Gattaz, le président du
Medef,s’enthousiasmepour ce pacte de responsabilité dans lequel il voit un clone du « pacte de
confiance» – 100 milliards d’euros de baisse des
chargescontre 1 million d’emploissur cinq ans –
qu’il avait suggéré. Puis il marque le pas. Le
6février, il proposeaux syndicats une réunion à
la fin du mois «pour envisager les engagements
possibles en matière d’emploi ». Mais, le
11 février à Washington, où il accompagne le
chef de l’Etat, M. Gattaz part en guerre contre le
« discours insupportable» sur les contreparties
avant d’être obligé de faire marche arrière…
Que de temps perdu! Deux mois après avoir
étélancé,le pacte estsur la pisted’envolmaisn’a
pas encore décollé. Dans les rangs syndicaux et
patronaux, on regrette que M. Hollande n’ait
pas lancé solennellement son « grand compromis social » en réunissant autourde lui à l’Elysée
lespartenairessociaux.Mercredi5 mars,cesderniers pourraient finaliser – et pour certains
signer – un « relevé de conclusions» fixant des
négociations dans les branches professionnelles sur des contreparties sur l’emploi, le dialogue social et l’investissement.
Cette feuille de route, alors livrée au premier
ministre, ne sera qu’un point de départ. Les
négociations ne feront que commencer. Mais
elle donnera une indication capitale sur les relations sociales. Le pacte de responsabilité va-t-il
faire bouger les lignes entre les syndicats réformistes– CFDT,CFTC,CFE-CGC,sansoublierl’UNSA, même si, non représentative, elle n’est pas
autour de la table – et ceux qui campent dans
l’opposition (CGT et FO) ? Sera-t-il un tournant
ou… un leurre? Pour l’heure, le paysage est figé.
A trois mois de son congrès de Marseille, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a
fait le choix de s’investir à fond dans ce pacte,
susceptible à ses yeux d’ouvrir la perspective
d’« un nouveau mode de développement
incluant une forte dimension sociale ». Mais
LE LIVRE DU JOUR
M. Berger place haut la barre de ses exigences
sur les contreparties, réclamant de « réels engagements favorisant le maintien et le développement de l’emploi». Le 19 février, le conseil nationaldela CFDT– sonparlement–aadopté,àl’unanimité, un texte affirmant à l’intention du gouvernement et du patronat que « le pacte de responsabilité doit reposer sur des engagements
précis, une trajectoire définie, un dialogue social
renforcé et une évaluation des résultats».
La CGT navigue à vue
Si la CFDT signe, le 5 mars, le « relevé de
conclusions », elle devrait être suivie par la CFTC
et la CFE-CGC. Mais Force ouvrière a déjà mis
son veto. « Nous ne graverons pas nos noms en
bas d’un parchemin, a prévenu, le 29 janvier,
son secrétaire général, Jean-Claude Mailly.
Nous ne confondons pas compromis et compromission et nous ne céderons pas aux sirènes de la
soi-disant responsabilité. » Pour enfoncer le
clou,FO a lancéle 18 mars, à cinq jours des municipales – « une faute», pour M. Berger –, une grève interprofessionnelle. La CGT, la FSU et Solidaires s’y joindront. Et le Front de gauche et le
NPA ont appelé à soutenir ce mouvement.
La CGT aurait pu, après avoir raté le coche en
ne signant pas l’accordsur la formation,revenir
dans le jeu. N’ayant toujours pas réussi, près
d’un an après son élection à la tête de la centrale, à asseoir son autorité, Thierry Lepaon navigue à vue. Sur fond d’affrontements plus ou
moins feutrés entre réformistes et nostalgiques de l’alliance avec le Parti communiste, il
évolue en zigzags. Dans une interview au Monde du 21 janvier, M. Lepaon tire à boulets rouges
sur le pacte, faisant mine de penser que M. Gattaz est devenu premier ministre. Le 14 janvier,
pourtant, il avait signé une plafe-forme avec la
CFDT, la FSU et l’UNSA, insistant sur la « conditionnalité des aides » aux entreprises et s’engageant à porter des objectifs communs « lors des
discussions qui se dérouleront dans le cadre du
pacte de responsabilité».
A l’issue d’une réunion animée de son comité confédéral national (CCN) – son parlement –,
les 11 et 12 février, M. Lepaon se résigne à rejoindre FO le 18 mars mais, précise-t-il, « ce ne sera
pas une journée contre le pacte de responsabilité ». « Il est entré à son CCN en étant résolu à ne
pas suivre FO, observe le dirigeant d’une autre
centrale, il en est sorti en annonçant l’inverse,
allezcomprendre! »Depuis,M. Lepaonestreparti à l’assaut de ce « cadeau au patronat », avec
une stratégie consistant à avoir deux fers au
feu : combattre le pacte avec FO et afficher une
volonté de rapprochement avec la CFDT. Le jeu
risque de s’avérer perdant-perdant. FO, née en
1948 d’une scission avec la CGT, ne sera jamais
une alliée. Et la CFDT manifeste de plus en plus
de signes de lassitude devant une stratégie qui
lui semble mortifère pour le syndicalisme. p
[email protected]
Un magistrat,
avocat de la société
Le Musée
L
Découvrez les secrets des chefs-d’œuvre
e hasard, ce jour d’avril 2012,
futune chance. Alorsque l’actualité se concentrait sur un
immeuble de Toulouse dans
lequel Mohamed Merah, encerclé
par le RAID, vivait ses dernières
heures, on assistait à l’autre bout
du pays, devant la cour d’assises de
Douai,au procès d’unefemme battue qui avait tué son mari. L’avocat
général Luc Frémiot tenait le siège
de l’accusation.Dès le début de son
réquisitoire, on a senti qu’il se
jouait là quelque chose de rare et
l’on a maudit le stylo qui ne filait
pas assez vite sur les pages du carnet pour retranscrire la conviction
qui émanait de ses paroles.
Dix années d’un combat souvent solitaire contre les violences
faites aux femmes s’incarnaient
soudain dans cette accusée, mère
de quatre enfants, qui était aussi la
victime frappée, humiliée, violée
de celui qu’un soir elle avait poignardé. Lorsque Luc Frémiot a
requis son acquittement, il y avait
autant de compassion à l’égard de
cette femme que de rage contre
tousceuxquiavaientéchouéà prévenir ce drame.
De fragiles avancées
Le récit de ce procès et celui du
long combat contre les violences
conjugales que Luc Frémiot a
mené dans ses fonctions de procureur de la République de Douai
(Nord) nourrit l’un des chapitres
de Je vous laisse juges. Le bilan qu’il
en dresse est mitigé.S’il exprime la
fierté d’avoir alerté et agi contre ce
fléau bien au-delà de sa juridiction,il mesureaussi,avecla lassitude d’un Sysiphe, combien sont fragiles les avancées obtenues.
Cettemélancolieteintéed’amertume se retrouve dans les autres
chapitres de son livre. Sa déjà longue expérience de magistrat
LES
SYNDICATS
RÉFORMISTES
POURRAIENT
SIGNER UN
« RELEVÉ DE
CONCLUSION»
AVEC LE
PATRONAT
du
5,99
€
*
le livre
Le volume n° 23
La source
Je vous laisse juges
Luc Frémiot
Michel Lafon, 298 p., 17,95 ¤
confronté à la tragédie quotidienne des affaires criminelles jugées
aux assises a eu raison des idéaux
avec lesquels on entre dans la carrière. A « l’angoisse » qu’il lit dans
les visages de ceux qui sont
confrontés à la justice, il a moins
de réponses à apporter que de
questions. Sa place d’« avocat de la
société », un titre qu’il préfère à
celui de procureur ou d’avocat
général, le porte à se situer du côté
des victimes, « les grandes
oubliées» de la justice.
Cette fonction a aussi distendu
les liens noués avec plusieurs avocats de la défense, sur lesquels il
pose un regard sévère. A ces pages
de règlements de comptes, on préfère les croquis souvent drôles que
Luc Frémiot fait de ses collègues
magistrats. De ce livre, on retient
surtoutsa sincérité.Celle qui le fait
s’interroger sur l’envie de raccrocher sa robe d’avocat général et qui
lui fait écrire qu’à chaque nouveau
procès d’assises, lorsque la cour et
les jurés ont suivi ses réquisitions
de peine, il éprouve ce mélange
complexe « de satisfaction intellectuelle et de grand désespoir» p
Pascale Robert-Diard
0123
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Tome 2-Histoire
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à pied sur
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
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En plus du «
en France
- Directeur
Monde »
métropolitaine
: Eric Fottorino
Obama
des audiences
à Guantanam
o
D
« Mission terminée
»:
le ministre
de
ne cache pas l’éducation
considérera qu’il se
bientôt en
disponibilité
pour
tâches. L’historien d’autres
de l’éducation
Claude
Lelièvre explique
Ruines, pleurs
et deuil :
dans Gaza dévasté
e
REPORTAGE
GAZA
Bonus
Les banquiers
ont cédé
Nicolas Sarkozy
des dirigeants a obtenu
ENVOYÉ SPÉCIAL
D
Enquête page
19
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14
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bien aux dirigeants
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22. EDGAR DEGAS,
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23. JEAN AUGUSTE DOMINIQUE INGRES,
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Le Pont de Maincy
25. SANDRO BOTTICELLI,
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26. EL GRECO,
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27. RAPHAËL,
La Vierge à la chaise
28. NICOLAS POUSSIN,
L’Inspiration du poète
29. GIOTTO,
Déposition de la Croix
30. EDOUARD MANET,
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02-mai
09-mai
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06-juin
13-juin
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32. REMBRANDT,
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34. JACQUES LOUIS DAVID,
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37. JAN VAN EYCK,
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39. JEAN-ANTOINE WATTEAU,
Gilles
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Amour sacré et amour profane
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transformationde l’Amérique. Une ère
d’une chanteuse.
national de été réunie sur le Mall
de Angélique
a
Washington,
Des rives du commencé.
Kidjo, née au
Obama a prononcé,
a Le grand
Barack lantique,
Pacifique à
jour. Les cérémonies
celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté
discours d’investituremardi 20 janvier,
toute l’Amérique
la liesse ; les
la campagne
un sur le
;
ambitions
s’est arrêtée de Barack Obama en 2008,
a Feuille
force d’invoquer presque modeste.
moment qu’elle
de route. «
pendant
et de nouveau la première décision d’un rassembleur ; n’est
A vivre :
était en train
Abraham
La grandeur
Martin Luther
l’accession
de la nouvelle
jamais un
administration:
de du 18 les festivités de l’investiture,
Lincoln,
au poste
au
dant en chef
Avec espoir et dû. Elle doit se mériter.
avait lui même King ou John Kennedy,
pendant cent la suspension
des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde,
(…)
vertu,
il
placé la barre
responsable
vingt
: les cérémonies,
elle
de plus les courants bravons une fois
discours ne
très haut. Le l’arme nucléaire, d’un
de Guantanamo. jours des audiences
passera probablement
jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice les rencontres
glacials et endurons
cain-américain
Pages 6-7
les tempêtes à
postérité, mais
afri- le chanteur
page 2
et l’éditorial
Lauren
de 47 ans.
venir. » Traduction
il fera date pour pas à la
Harry Belafonte… Bacall,
du discours
ce qu’il a
inaugural du e intégrale
miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
44 président
page 6 la
Il faudra à la
velle équipe
taraude : qu’est-ce Une question
nou- a Bourbier Page 18
beaucoup d’imagination
Corine Lesnes
pour sortir de
que cet événement
va changer pour
irakien. Barack
a promis de
l’Afrique ? Page
Obama
et économiquela tourmente financière
retirer toutes
3
qui secoue la
de combat américaines
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20
0123
enquête
Mercredi 5 mars 2014
Forum de l’emploi,
dans un hôtel de Dallas,
en janvier.
LM OTERO/AP
Philippe Bernard
montée des inégalités au détriment de la
middle class et a plaidé pour l’embauche
prioritaire des chômeurs de longue durée
dans son discours sur l’état de l’Union, le
28 janvier, la jeune femme reproche de
«nepasêtreassezimpliqué».« AvecMichelle, il devrait venir en tournée par ici, pour
nous ouvrir des portes.»
Dieu et Barack Obama n’ont en revanche guère de place dans les préoccupations de Bill Paci, victime, le 29 novembre
2012, de la faillite du théâtre qui l’employait comme caissier. Cet ancien militaire, blanc, considère la religion comme un
« opium » et le président comme « quelqu’un qui parle et ne fait rien », ni pour fermer Guantanamo ni pour augmenter les
salaires, car il est « prisonnier des républicains». A 61 ans, il vit dans une minuscule
chambre payée avec ses économies et sait
que ses chances de retravailler sont minces. « Plus le temps passe, plus c’est difficile,
admet-il avec nervosité. Je ne regarde plus
devant moi, je n’attends rien, ni bonheur ni
malheur.»
Philadelphie (Pennsylvanie)
Envoyé spécial
D
ehors, la tempête de neigea
cessé, mais elle a empêché
Cheryl Bonner de prendre
la route. Sa voix enjouée,
déformée par la liaison distante établie par Internet
de son domicile, retentit néanmoins dans
la salle de cours de Penn State University
où une centaine de quadras et quinquagénaires sont sagement assis, ce samedi
matin de février. « Un objectif ? C’est un
rêve pris au sérieux! », assène l’experte en
ressources humaines en invitant ses auditeurs – tous chômeurs de longue durée – à
confier au micro leurs rêves professionnels d’adolescents. « Avocat, réalisateur de
film,pasteurméthodiste…» Le public,presque exclusivement blanc, tendance collier
de perles ou chemise à carreaux, ne relève
pas de l’Armée du salut. Ils ne se disent pas
« au chômage », mais « en transition », ils
necherchentpasun « emploi», maisattendent – parfois depuis des années –, « une
nouvelle étape de leur carrière».
« Le marché du travail a drastiquement
changé», admetla téléconférencière,alternant messages de remotivation – « Vous
n’êtes pas seuls ! », appels à l’introspection
– « Quelles sont mes forces, mes faiblesses,
mes craintes ? » – et conseils stratégiques
– « Pensez différemment! », réseautez sur
LinkedIn –, tandis qu’un splendide lever
L
«Sur le marché
du travail, je ne suis plus
un produit intéressant»
Patricia Tallent
55 ans
de soleil sur l’océan illumine l’écran. « Qui
va payer mes factures, rembourser mon
prêt ? », souffledans la salle la blonde Alexa
Davis, 50 ans, licenciée en août 2012 par un
géant de l’aviation de son poste d’analyste
financière. « Mes amis s’éloignent de moi :
ils craignent que je leur demande de l’argent.»
L’égrainage mensuel des « bons chiffres » du chômage (6,6 % début février, en
baisse) n’y change rien : jamais, depuis la
GrandeDépressiondes années1930,lechômage de longue durée n’a touché une telle
proportion d’Américains, selon Carl Van
Horn, spécialiste de l’économie du travail
à l’université Rutgers, dans le New Jersey
voisin. Malgré la décrue, 4millions de personnes, soit plus de un chômeur sur trois,
cherchent en vain à travailler depuis plus
de six mois. Pire encore : l’essentiel de la
baisse du chômage s’explique non par des
créations d’emplois, mais par la prolifération des « travailleurs disparus », ces
ex-salariés découragés, rayés des statistiques parce qu’ils déclarent eux-mêmes ne
plus chercher d’emploi. La Pennsylvanie,
avec son industrie déclinante et sa législation at will qui permet de se séparer d’un
salarié sans avertissement ni motif, figure
parmi les Etats les plus touchés. « Le débat
politique fait l’impasse là-dessus, observe
le professeur Van Horn, alors que les gens
concernés ne disposent que d’un très mince
filet de sécurité.»
Dans son bureau saturé d’affiches militantes,au 11e étaged’un vaste centrede santé mental, John Dodds, la cinquantainegrisonnante, paraît fatigué. Travailleur social
depuis 1975, directeur de Philadelphia
Unemployment Project (PUP), la principale association d’aide aux chômeurs de la
ville, il en est à sa « sixième récession » et
n’entrevoit pas la fin de celle qui a débuté
en 2008. « Techniquement, on en sort,
admet-il, mais en laissant tellement de
gens sur le bord du chemin! Les riches ne se
sont jamais si bien portés, mais ils prétendent que l’Amérique est en faillite, qu’on
n’a plus les moyens d’aider les chômeurs.»
La clientèle de PUP compte une grande
partie de personnes qui survivent entre
soupes populaires, food stamps (« bons
d’alimentation») et aides publiques. Une
populationquiexplosedepuisle28décembre. Ce jour-là, 1,3 million d’Américains,
dont 105 000 dans la seule Pennsylvanie,
ontperduleurallocation-chômageà la suite du compromis sur la réduction du déficit fédéral, passé au Congrès à l’automne.
Lamesureréduit à six moisla duréede l’indemnisation (320 dollars par semaine en
Etats-Unis
Chômeurs
sansfin
moyenne, soit 235 euros) qui, depuis la crise, pouvait atteindre deux ans dans certains Etats. D’après des projections, elle
pourrait viser 4,9 millions de personnes à
la fin 2014. A une voix près, le 6 février, le
Sénat a rejeté un texte soutenu par les
démocrates, destiné à rétablir les allocations pour trois mois.
DerrellWilliams,48 ans, béret noir vissé
sur son crâne noir, est tombé dans la trappe du 28 décembre. Fini les 1 028 dollars
mensuels (754 euros) qu’il percevait
depuis son licenciement, en septembre 2012, d’unemploi d’agent denettoyage
dans une maison de retraite. Des Afghans
et des Espagnols à 9 dollars l’heure (6,60
euros) – 2 dollars moins chers que lui –
l’avaient alors remplacé. A présent, il doit
se contenter de travaux au noir, cirant des
sols de bureaux ou montant des parpaings
Les «bons chiffres »
du chômage cachent
une autre réalité:
plus d’un chômeur
sur trois cherche
du travail depuis
plus de six mois.
Sans compter ceux,
découragés, qui ont
renoncé à trouver
un emploi
sur des chantiers. Il s’acharne à diffuser en
ligne son CV, en regrettant le temps où l’on
pouvait serrer la main des patrons potentiels. « Tout est si impersonnel maintenant
aux Etats-Unis, dit-il. On vit dans une sociétédéconnectéeàcaused’Internet.» Descentaines de contacts pris sont restés sans
réponse.« Je travailledepuis l’âge de 16 ans.
C’estla premièrefois quema viese transforme en lutte », dit ce père de famille divorcé,
avouant ne faire plus qu’un repas par jour.
Certains, comme Charece Peterson,
37 ans, au chômage depuis un an, s’en
remettent à Dieu. « Chaque matin, je commence par prier, ça me garde la tête droite.
Ensuite, je me connecte », explique cette
aide-soignante noire, qui survit en vendant sa garde-robe et ses appareils ménagers, derniers vestiges d’une vie normale.
A Barack Obama, qui s’est alarmé de la
e chômage de longue durée est forcémentune additiond’histoires individuelles. Cheryl Spaulding le sait au
premierchef:elleprésidele Peuplede Joseph, une association catholique d’entraide
aux chômeurs, très active dans les banlieues de Philadelphie. Mais, ces derniers
temps,le phénomènea, selon elle, pris une
autre dimension. « Les entreprises n’ont
tout simplement plus besoin de la classe
moyenne dans son ensemble, ces gens si
nombreux qui nourrissaient le rêve américain », affirme-t-elle. La moitié des adhérentsde sonassociation ont un diplômede
niveau master. Certains, expulsés de leur
logement, vivent dans leur voiture. « Le
contrat de confiance avec les entreprises
– travailler dur contre la promesse d’une
retraite correcte – est cassé», poursuit cette
retraitée avec la faconde de son ancien
métier,agentimmobilier.«Ces gens-là, ditelle, n’avaient jamais imaginé se retrouver
dans un pétrin pareil. Ils sont en colère,
mais ne réclament aucune aide du gouvernement – la honte suprême dans ce pays. Ils
veulent juste un job. » Et lorsqu’ils en
retrouvent un, c’est souvent en abandonnant 30 % de leur salaire.
Dans le beau salon de sa maison de brique,Bill West, avecsamoustachegrise, ressemble à un gentleman britannique. Plusieurs années lui ont été nécessaires pour
reconquérir cette sérénité après avoir été
licencié, à 56 ans, par la compagnie d’assurances qui l’employait depuis seize ans. Le
bon salaire de son épouse a maintenu le
couple hors de l’eau. A force de fréquenter
«les longuesfilesd’attentede gens encostume-cravate dans les forums de l’emploi», il
a fini paradmettrequ’il était « tropvieux et
trop cher ». Le coup de grâce est venu lorsqu’un employeur potentiel lui a rétorqué:
«Le problème est que le seul emploi que j’ai
pourvous,c’est lemien!» Savies’estréorganisée dans le bénévolat, soutien scolaire,
banque alimentaire et aide aux chômeurs
de PUP. « Les gens de la classe moyenne
sont les plus vulnérables, constate-t-il. Ils
n’ont pas, a priori, les armes pour faire face
à tant d’adversité.»
Ce que les Européens ont du mal à comprendre,poursuitCheryl Spaulding,la présidente du Peuple de Joseph, c’est qu’aux
Etats-Unis être licencié, c’est aussi perdre
l’assurance-maladie, le financement de
son logement, de sa retraite et des études
de ses enfants. Certains chômeurs de longue durée ont réussi à garder leur maison,
mais au prix d’emplois à 7 dollars de l’heure chez McDo ou Walmart. La spécificité
des chômeurs américains est d’être « dévorésdeculpabilité», ajouteAlex Freund,spécialiste du coaching. «Sur le marché du travail, je ne suis plus un produit intéressant»,
se désole ainsi Patricia Tallent, 55ans, dont
le poste d’assistantejuridique a été « éliminé » en février 2011 et qui va perdre son
assurance-maladieà partir du 1er avril, sans
être pourtant éligible au nouveau système
Obamacare.
Du public de la salle de téléconférence
de la Penn State University sourd la colère
froide de la middle class. A l’écouter, les
élus politiques mènent grand train, dans
un autre monde, indifférents à son décrochage. « Combien de temps va encore durer
ma transition» vers l’emploi ? ironise un
cadre. Il montre alors une offre d’emploi
jugée parfaitement légale en Pennsylvanie: « Nous recrutons uniquement des personnes actuellement au travail.» p
0123
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Mercredi 5 mars 2014
FRANCE | CHRONIQUE
pa r G é r a r d C o u r t o i s
Le serpent de mer du remaniement
CEUX QUI
SAVENT SE
TAISENT, ET
CEUX QUI
CHUCHOTENT
ET PAPOTENT
NE SAVENT
RIEN
uand le Parlement est en jachère, quand
le temps politique est suspendu à la négociation du pacte de responsabilité et aux
résultats des élections municipales, quand l’action publique est tétanisée par la perspective
d’économies budgétaires drastiques, il ne reste, pour alimenter la gazette, que le feuilleton
du remaniement.
Nous en sommes là. Palmarès des ministres
sortants, concours de beauté des entrants putatifs, défilé des premier-ministrables en puissance, supputations et confidences, pronostics
savants sur le supposé calendrier présidentiel,
injonctions péremptoires du genre « Hollande
n’a plus le choix», la panoplie complète est de
mise. C’était déjà le grand jeu à la fin de 2013,
quand le gouvernement paraissait à bout de
souffle. C’est, de nouveau, celui du printemps.
Jeu dérisoire, sans aucun doute. Personne
n’ignore, en effet, que le chef de l’Etat est seul
maître en la matière et qu’il entretiendra le
mystère sur ses intentions jusqu’au moment
même d’une éventuelle décision. Le pouvoir
de nomination est au cœur de ses attributs présidentiels et, comme tous ses prédécesseurs, il
en préserve jalousement l’exercice solitaire,
quand bien même il fait mine de consulter les
Un procès hors norme
pour Oscar Pistorius
L
e champion paralympique
Oscar Pistorius est assis seul
au premier rang de la salle
d’audience, pour l’ouverture de
son procès pour meurtre, lundi
3mars, à Pretoria. Dans son dos,
ses proches se serrent les coudes,
non loin des membres de la
famille de la victime, le mannequin Reeva Steenkamp, morte à
29 ans, aux premières heures du
14février 2013. Sa mère, June,
sèche ses yeux humides.
« Quelle que soit la décision du
tribunal, je serai prête à le pardonner. Mais, d’abord, je veux le forcer
à me regarder, moi, la mère de Reeva, qu’il voie la peine et la douleur
qu’il m’a causées», avait-elle expliqué dans la presse locale avant
l’ouverture du procès.
Elle l’a vu arriver. Il ne lui a pas
jeté un regard. L’athlète handisport avait le visage fermé. Il a plaidé non-coupable à l’accusation
d’assassinat, assurant que la mort
de sa fiancée était un accident. Il
pensait qu’un cambrioleur s’était
introduit dans sa résidence
ultrasécurisée de la capitale sudafricaine. Il a donc tiré à travers la
porte des toilettes, croyant que sa
compagne était encore dans le lit.
Oscar Pistorius n’est pas seul. Il
a dépensé une grande partie de sa
fortune et de celle de sa famille
pour s’attacher les services des
meilleurs avocats et experts sudafricains. Son avocat, Barry Roux,
ne ménage d’ailleurs pas le premier témoin appelé par l’accusation, une voisine qui raconte
avoir été réveillée lors de la nuit
du meurtre par des « cris d’une
femme à vous glacer le sang». Elle
a aussi entendu des coups de feu.
Incisif, le ténor du barreau pointe
certaines de ses incohérences.
Une centaine de témoins pourraient être appelés à la barre pendant ce procès hors norme qui
doit durer au moins trois semai-
nes. Les débats risquent de vite
tourner au duel d’experts.
Pour condamner Oscar Pistorius à la réclusion à perpétuité
pour meurtre avec préméditation, la juge, qui fut la deuxième
femme noire nommée à ce poste
après la chute de l’apartheid,
devra être convaincue de sa culpabilité « au-delà de tout doute raisonnable».
Un test pour la justice
En Afrique du Sud, l’affaire Pistorius est bien plus qu’un simple
fait-divers sanglant. C’est d’abord
l’histoire de la chute d’une icône
nationale. Le multimédaillé paralympique, coureur de 100, 200 et
400 mètres, avait fait la fierté du
pays lors des Jeux olympiques de
Londres en 2012. C’était la première fois qu’un athlète handisport
courait contre des valides. Qu’importe alors la polémique pour
savoir si ses prothèses lui apportaient ou non un avantage significatif lors de ses courses.
Ce procès, couvert par près de
300 journalistes, est aussi le révélateur de deux maux de la société
sud-africaine. D’une part, la violence faite aux femmes. Plus d’un
millier de Sud-Africaines meurent
chaque année à la suite de disputes conjugales. D’autre part, ce procès a relancé le débat sur la dangerosité de la possession d’armes à
feu. Près de 1,5 million de Sud-Africains en sont propriétaires.
Ce procès est enfin un test pour
la justice sud-africaine, encore perçue par certains comme se montrant trop clémente pour les
riches. C’est l’une des raisons
pour lesquelles un juge a autorisé
la retransmission télévisée d’une
grande partie des débats. Une première dans l’histoire du pays, « à
titre informatif et éducatif». p
Sébastien Hervieu
(envoyé spécial à Pretoria)
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Conseil de surveillance Pierre Bergé, président. Gilles van Kote, vice-président
pTirage du Monde daté mardi 4 mars 2014 : 305 412 exemplaires.
uns ou les autres. Prétendre le deviner relève, à
ce stade, de la cartomancie. En ces affaires,
ceux qui savent, s’il y en a, se taisent, et ceux
qui chuchotent et papotent ne savent rien, ou
peu s’en faut.
En outre, sans mésestimer le poids des personnalités, des talents et des compétences, chacun sent bien qu’un changement d’équipe gouvernementale, voire de chef d’équipe, ne modifiera pas, en profondeur, le discrédit actuel du
pouvoir exécutif. Au-delà de l’effet de curiosité momentané, un remaniement ne corrigera,
par miracle, ni la panne de résultats dont il
souffre ni l’étroitesse de la majorité sur laquelle il s’appuie. Bien malin qui pourrait préjuger
que tel ou tel nouvel attelage serait plus performant ou convaincant que l’actuel. Seuls les
postulants aux maroquins en sont persuadés,
ce qui est dans la nature des choses.
Jeu nuisible et toxique, également, que celui
du remaniement fantasmé et ressassé dans
tous les palais nationaux. Car il entretient un
climat délétère et fragilise, chaque jour davantage, une équipe qui n’a vraiment pas besoin
de ça. L’expérience de Nicolas Sarkozy devrait
pourtant être instructive. Pendant des mois,
en 2010, l’ancien président avait annoncé un
« Collaborateur »
Tous ses prédécesseurs en ont rêvé ; bien
peu l’ont fait. Si l’on excepte quelques gouvernements d’attente (entre élections présidentielle et législatives), seuls trois premiers
ministres ont réussi, depuis 1958, à former des
équipes comptant moins de 30 ministres et
secrétaires d’Etat : Georges Pompidou,
entre 1962 et 1967 (28), Edouard Balladur, en
1993 (29), et le champion, Lionel Jospin, avec
26 ministres, entre 1997 et 2000. L’actuel gouvernement Ayrault se situe, avec 39 membres,
exactement dans la moyenne des équipes
depuis plus d’un demi-siècle.
Enfin, ce serpent de mer du remaniement
témoigne d’un sérieux inconfort institutionnel. Tant que la durée du mandat présidentiel
a été de sept ans, déconnectée de la durée quinquennale des législatures, la dyarchie du pou-
voir exécutif a obéi à une certaine logique: le
président était supposé s’occuper de l’essentiel et du temps long, tandis que le premier
ministre, seul responsable devant le Parlement, était censé gérer l’intendance et le quotidien. On sait que la pratique fut aussi variée
que les titulaires de ces fonctions et qu’elle
n’empêcha ni les tensions, concurrences et
rivalités entre l’Elysée et Matignon. Mais l’apparence était celle de la complémentarité.
Depuis l’instauration du quinquennat présidentiel et d’un calendrier électoral qui place
les législatives dans l’ombre portée de la présidentielle, ce dispositif est bancal. Le pouvoir
du chef de l’Etat a été renforcé au point de
ramener le chef du gouvernement au rang de
« collaborateur», selon l’expression de Nicolas
Sarkozy, qui a clairement assumé cette nouvelle répartition des rôles. De style moins impérieux, habitué depuis longtemps à travailler
en confiance avec Jean-Marc Ayrault, François
Hollande a cru possible de revenir en arrière.
En vain, et au prix de nombreux flottements
dans la conduite de l’Etat.
Il en a pris acte, au point que les deux dossiers-clés, sur la réussite desquels repose la fin
de son mandat (pacte de responsabilité et
réduction de la dépense publique) sont pilotés
directement, ou presque, par l’Elysée. Plus discrète qu’hier, la férule présidentielle n’en est
pas moins réelle. Dès lors, remanier suppose
de répondre, au préalable, à cette question
embarrassante: à quoi doit et peut servir le
premier ministredans la Ve République
hyperprésidentielle? p
[email protected]
0123
La plus belle perspective
sur 5 000 ans d’histoire
*Chaque volume de la collection est vendu au prix de 9,99 €, sauf le n° 1, offre de lancement au prix de 3,99 €. Offre réservée à la France métropolitaine,
dans la limite des stocks disponibles. Visuels non contractuels - Photo Thinkstock- agencejem.com
Q
prochain changement de gouvernement. Il
n’avait réussi qu’à déclencher une longue
empoignade entre le locataire de Matignon,
François Fillon, et celui à qui le président avait
fait miroiter la fonction, Jean-Louis Borloo. Au
bout du compte, il avait dû se résoudre, sans
gloire, à reconduire M. Fillon.
Rien ne dit qu’il n’en sera pas de même avec
l’actuel premier ministre. Critiqué et brocardé
de tous côtés, Jean-Marc Ayrault fait preuve,
en effet, d’une abnégation de marathonien.
Usé et fatigué, lui ? « Pas du tout », vient-il de
répondre crânement dans les colonnes du Parisien. Mieux, au risque de relancer les « commentaires» qu’il feint de négliger, il a repris
cette vieille antienne du « gouvernement
resserré » qui aurait ses faveurs.
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