l Samedi 27 septembre 2014 l N° 856 Rolf Heuer, rédacteur en chef invité Un privilège. Le physicien allemand Rolf Heuer règne sur le CERN à Genève depuis cinq ans. Ce lundi 29 septembre, il fêtera les 60 ans d’un laboratoire où se rêvent et se vivent des révolutions décisives. Le Web naît ainsi dans son enceinte, souligne Rolf Heuer. Et que dire de la découverte à l’été 2012 du boson de Higgs, clé de voûte du Modèle standard de l’univers, tel que les physiciens le définissent? Ce Graal, à peine atteint, a ouvert d’autres quêtes à dimension cosmique. Pour fêter ces soixante glorieuses, Le Temps a demandé à Rolf Heuer de diriger l’édition de ce week-end. Il s’est passionné pour l’entreprise, malgré un agenda affolant: un saut à Bonn mercredi, une escale à Vilnius vendredi. Il a suggéré des sujets; il nous a accordé un entretien où il décline son idéal d’une science «élitaire pour tous». Il a encore voulu raconter ses tête-à-tête avec les papes Benoît XVI et François. Lundi, il a assisté à notre séance de rédaction, formulé des vœux – «des bonnes nouvelles, please!» Il est revenu jeudi pour choisir la une du Samedi Culturel et soigner le détail avec l’élégance rigoureuse qui le distingue. Qu’il en soit ici remercié. Alexandre Demidoff Rolf Heuer, l’entretien Science et art, un rêve de mariage. P. 25-26 Benoît XVI et François Le pontife et le physicien. P. 27 Science et foi, pourquoi choisir? Entretien avec Andrew Briggs, professeur de nanomatériaux à Oxford. P. 28 Soixante glorieuses en éclats Une histoire du CERN en images. P. 30 et 31 Niki de Saint Phalle, retour en grâce A Paris, l’œuvre au-delà de la légende. P. 32 Les danseurs du chorégraphe Gilles Jobin dans «Quantum». Créée au CERN en 2013, la pièce allie danse et dispositif lumino-cinétique signé Julius von Bismarck. 24 Belvédère Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 LE DESSIN DE LA SEMAINE choisi par Chappatte L’EMPLOI DU TEMPS Christophe Rousset Chef des baroques Talens Lyriques, en concert ce dimanche au Victoria Hall de Genève ques que je n’ai pas encore abordées et qui pleurent de rester muettes DR Je n’aurai pas le temps, de découvrir toutes les beautés que le génie humain a su créer et livrer à la postérité Chaque semaine, un invité repense l’agenda de sa vie à l’aune de chansons populaires. L’Heure H, c’est chaque instant Avec le temps, on s’allège, moins de faux amis, moins de doutes, de quêtes, d’espoirs, de moulins à combattre Un instant d’éternité, c’est diriger l’«Et incarnatus est» de la Messe en ut de Mozart avec la soprano de mes rêves (et il y en a quelques-unes, heureusement: l’éternité n’est pas si loin!) L’Etat islamique Hassan Karimzadeh, Hier encore, je n’avais pas lu Vie et Destin, de Vassili Grossman, qui a changé mon être Iran Et maintenant, je voudrais recomposer la joie, celle qui éclairera mes prochaines années Avec la collaboration de Cartooning for peace www.cartooningforpeace.org Etat islamique, EIIL ou Daech, quel que soit son petit nom, c’est un monstre qu’a enfanté madame la Planète épouvantée. Telle est la vision de l’Iranien Hassan Karimzadeh, un dessinateur indépendant qui connaît le prix de la liberté d’expression: emprisonné en 1992 pour une caricature de Khomeini, Hassan a été libéré après deux ans de réclusion suite à une campagne internationale. Désormais, le désespoir selon le philosophe André Comte-Sponville: c’est-àdire cesser d’attendre et par là cesser d’être déçu Le temps qui reste, pour faire vivre toutes les musiques qui dorment en bibliothè- FAUT VOIR Fumer tue. Et alors? Le boson, petit Indien Par Olivier Perrin S’il est un terme symbole de la carrière de Rolf Heuer, le directeur du CERN qui est aussi ce jour rédacteur en chef invité du Temps, c’est bien le «boson». Plus particulièrement le boson de Higgs, cette «particule scalaire de masse élevée et de spin nul, neutre, et qui serait responsable de la brisure de la symétrie de jauge». J’espère que tout le monde suit. Le mot, donc, est attesté en français dès 1959, de son homographe anglais boson. Son étymologie est tout à fait délicieuse et inattendue: le nom de cette particule fondamentale qu’on a surnommée «de Dieu» a été créé, en fait, à partir du nom du physicien indien de Calcutta Satyendranath Bose (18941974), avec le suffixe «-on». Cet hommage est dû au fait que Bose a établi la base de la statistique de Bose-Einstein, dont on vous épargne ici les détails. Retenez seulement pour les salons où l’on cause que dans la famille de M. et Mme Boson, il y a les photons, les gluons, les W, le Z0 et le Higgs. Ça fait toujours bien. Par Caroline Stevan Un joli cow-boy au teint hâlé face à un vieux poumon noirci. Un dromadaire et trois palmiers contre un couple contraint à l’abstinence. Un indien pacifiste à côté d’un fœtus mal en point ou d’un orteil de cadavre. En terme d’image, évidemment, le choix est vite fait. Les premiers, pour autant, ne me feront pas acheter les paquets de clopes sur lesquels ils sont collés parce que je les trouve agréables à regarder. Les seconds ne me feront pas renoncer au tabac au prétexte qu’ils sont laids et anxiogènes. Après l’Australie, la France pourrait adopter le «paquet neutre», soit une boîte de cigarettes de couleur unique, sans logo, garnie de ces fameux clichés chocs. La mesure est censée priver les géants du tabac de leur force de marketing, et préserver par là même les organes respiratoires des jeunes générations. Les buralistes se disent effondrés, l’industrie prête à saisir la justice au nom d’une spoliation de la propriété intellectuelle. En Australie, où le concept existe depuis décembre 2012, son efficacité fait débat. Si Philip Morris assure que les habitants ont davantage fumé en 2013 qu’en 2012, le nombre de fumeurs a bien diminué – mais précisons que le prix du paquet augmente chaque année de 12,5%. La contrebande, elle, aurait explosé. Bref, les fumeurs savent depuis belle lurette que fumer c’est mal et que ça tue. Les adolescents sont trop intelligents et noyés d’images en tous genres pour se jeter sur un paquet au seul motif que celui-ci dispose d’un joli logo. Mais ils sont peut-être assez rebelles pour préférer un paquet neutre et bardé d’avertissements à une vapoteuse devenue so conventionnelle. DR MAÎTRE DE COLLES Aujourd’hui peut-être, j’aurais la chance d’être modifié par un être, par une œuvre d’art, par une expérience de vie inattendue Demain, je serai quelqu’un d’épatant Yesterday, was another day Trois nuits par semaine, … ou parfois même plus, je trouve mes meilleures idées lors de fécondes insomnies Propos recueillis par Sylvie Bonier Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 25 Envedette MARK HENLEY/PANOS PICTURES «LeCERNestuneîledestinéeàgrandir» Rolf Heuer fêtera ce lundi à Genève les 60 ans du CERN. En 2009, le physicien prenait la direction de cette ruche où bourdonnent les intelligences. Il a voulu l’ouvrir aux artistes. Il décline sa philosophie Par Alexandre Demidoff et Olivier Dessibourg > Une affaire de physique Si un producteur de cinéma cherchait à faire revivre le roi Arthur, il n’hésiterait pas. Il choisirait Rolf Heuer, 65 ans, directeur du CERN depuis 2009 et rédacteur en chef invité de ce numéro. Est-ce le ciel qu’il a dans les yeux? La noblesse mélancolique de son visage? Son ironie qui tranche soudain comme la lame? Son souci d’aiguillonner les chercheurs, ces preux des temps modernes, de favoriser leurs joutes tout en exigeant d’eux une collaboration honnête? Rolf Heuer paraît sorti d’une autre époque, avec une obsession: révéler le secret des particules et donner ainsi concepts et outils à l’humanité. Le futur est à ce prix. Ce qui frappe surtout chez ce physicien réputé, c’est la hauteur de pensée. Dans les œuvres qu’il cite comme fondamentales dans sa formation, il y a Nathan le sage, cette pièce de Gotthold Ephraim Lessing qui, en 1779, imagine une amitié entre Nathan le juif, Saladin le musulman et un chevalier chrétien. La fable est lumineuse: elle appelle à l’intelligence des hommes, par-delà leurs origines. Lundi, en conférence de rédaction, Rolf Heuer a demandé aux journalistes d’être attentifs aux bonnes nouvelles, celles qui ravivent les matières grises, mettent en joie, donnent envie d’en découdre avec l’univers. Loin d’être une posture, cette exigence est une attitude scientifique. Ses recommandations sont celles du roi Arthur. Le CERN, qui fêtera ce lundi ses soixante ans, est une sorte de table ronde. La matière d’une vie Rolf Heuer 1948 Il naît à Boll/Goepingen, dans la Souabe (sud de l’Allemagne) 1974 Il étudie la physique à l’Université de Stuttgart 1977 Il obtient son doctorat à l’Université de Heidelberg, puis un poste fixe pour cette haute école au sein du Deutsche Elektronen-Synchrotron DESY, à Hambourg; la plus grande partie de ses travaux scientifiques concerne les réactions entre électrons et positrons, ainsi que le développement et la construction de systèmes de détecteurs 1984-1998 Il devient physicien permanent au CERN, sur l’expérience OPAL, comprenant 300 scientifiques et dont il a été le porte-parole (responsable) entre 1994 et 1998 1998 Il est nommé professeur à l’Université de Hambourg 2004 Il prend la tête du DESY 2009 Il est nommé directeur général du CERN, poste qu’il quittera fin 2015 Rolf Heuer est aussi membre de deux académies scientifiques allemandes (Heidelberg Akademie der Wissenschaften, German Academy of Sciences Leopoldina). Il a reçu près d’une dizaine de doctorats honoris causa d’universités du monde entier. Samedi Culturel: Pourquoi avoir accepté d’être rédacteur en chef du «Temps»? Rolf Heuer: C’est un challenge. Mais si j’ai accepté, c’est d’abord pour le CERN et pour la science, pas pour moi. Mon vœu est que les sujets scientifiques soient plus accessibles à tout le monde. Les scientifiques vivent-ils coupés de la société? Il faut en finir avec ce cliché que nous, scientifiques, vivons en dehors du monde. Nous devons montrer que nous sommes des gens normaux et que la science est la base du quotidien. Beaucoup de jeunes, d’après les études qui sont faites, ne s’intéressent pas aux sciences. Ils ne réalisent pas qu’une grande partie de leur vie a à voir avec la physique. Ils considèrent ce qu’ils voient et vivent comme acquis. J’aimerais qu’ils apprennent à se questionner. Est-ce que les médias généralistes contribuent assez, à votre sens, à éclairer les enjeux de la science? Les médias évoluent sur un terrain glissant. Ils doivent d’abord, c’est leur business, penser à leur audience. Mais ils devraient parfois, peut-être, mettre en lumière une actualité qui n’est pas immédiatement intéressante pour le grand public. Prendre des initiatives qui attisent la curiosité des gens. M’inviter par exemple comme rédacteur en chef du Temps! (Rires.) Et les rubriques Science, jouentelles leur rôle de vulgarisation? Oui, mais encore faut-il que les gens non directement concernés les lisent. Il faut faire glisser la science comme en contrebande dans d’autres rubriques. La parer d’habits séduisants qui lui donnent l’attrait de la nouveauté. C’est à cette condition que des lecteurs profanes vont l’assimiler, sans s’en rendre compte. Qu’est-ce pour vous qu’un bon journaliste? Je suis frappé quand je lis certains éléments de la presse: sur un même sujet, on trouve quasiment le même article sous des plumes différentes. Or un bon journaliste se doit de construire son savoir en toute indépendance, se méfier aussi de ce que la Toile propage. Il doit pousser sa recherche le plus loin possible. Au début de votre mandat, vous avez lancé le concept d’artiste invité au CERN. Vous avez par exemple accueilli pour des résidences de plusieurs semaines le plasticien Julius von Bismarck et le chorégraphe Gilles Jobin. Quel est l’objectif de cette passerelle lancée vers l’art? Toujours le même: montrer que la science n’a rien d’exotique. A travers ces résidences, nous poursuivons deux buts au moins. Pour les scientifiques d’abord, c’est l’occasion de s’ouvrir à une autre dimension, celle de l’art. Pour le public invité à découvrir les pièces créées au CERN, c’est une forme d’initiation à la science. Si des artistes s’emparent d’objets de nature complexe, pourquoi le Rolf Heuer dans les locaux du «Temps» à Genève, mardi 16 septembre: «Nous devons montrer que nous sommes des gens normaux et que la science est la base du quotidien.» spectateur ne ferait-il pas de même, à son niveau de connaissance? La présence d’artistes serait donc une source d’émulation pour les scientifiques? C’est une inspiration pour nous tous. Si vous considérez le travail de Gilles Jobin et de ses danseurs, vous constatez que collaboration et compétition peuvent cohabiter. Ce sont deux moteurs fondamentaux pour les équipes de recherche. Un artiste peut-il rendre accessible une notion complexe? Gilles Jobin et ses interprètes ont travaillé sur la représentation, d’une manière très personnelle, du fameux diagramme du physicien américain Feynman, ce diagramme qui montre les réactions de particules. Le spectacle, Quantum, était extraordinaire. Il s’apprête à partir aux Etats-Unis, en tournée*. Quel public touchez-vous? La communauté scientifique? Pas seulement. Et c’est ça qui est formidable! Les discussions après les performances sont souvent fantastiques. Je n’ai pas la prétention de croire que l’art explique la science, mais il offre une meilleure perception de notre travail de scientifique. Quelle empreinte voulez-vous laisser au CERN? En tant que directeur général de cette institution, j’ai cherché à en ouvrir les portes. Je l’ai fait de différentes manières, par exemple dans le cadre d’un concours intitulé «Ligne de faisceau pour les écoles». L’idée, c’était de marquer le 60e anniversaire du CERN en proposant à des écoles du monde entier de concevoir un projet d’utilisation d’un faisceau de particules. Savez-vous combien de projets nous avons reçus? 292, et tous de grande qualité. Nous en avons retenu 16, qui ont été examinés par un comité scientifique. Au terme des délibérations, il en est resté deux, que nous n’avons pas pu départager, l’un de Grèce, l’autre des Pays-Bas. Ces deux équipes de lycéens étaient au CERN il y a quelques jours, au travail comme de vrais scientifiques. Je les ai rencontrés et j’ai été frappé par la joie qui émanait de ces jeunes. Nous allons réitérer l’expérience l’année prochaine. L’apprentissage de la science passe par le jeu? Elle passe surtout par des professeurs capables de motiver leurs élèves. De tels enseignants peuvent décider d’une vie. Nous avons lancé un programme destiné à les mettre en contact avec les grandes questions qui se posent à la physique aujourd’hui. Ça marche d’une manière fantastique, au point que beaucoup de ces professeurs reviennent au CERN avec leurs classes. Quelque 40% de nos 100 000 visiteurs annuels proviennent de là. L’éducation est-elle au cœur de votre pensée? Oh, oui! C’est fondamental. Regardez l’ONU: parmi ses objectifs figure le développement durable. C’est très bien, mais c’est inutile si les populations ne sont pas sensibilisées à cet enjeu. Il faudrait dans l’idéal que tout un chacun ait une petite culture scientifique. Vous-même, quand avez-vous su que vous feriez carrière dans la science? J’étais adolescent et j’ai découvert la physique avec fascination. Parce qu’elle relevait de la logique. Je ne devrais pas le dire, mais vous n’avez pas besoin d’une grande maîtrise des mathématiques au départ pour comprendre la physique. Ce qui importe, c’est la logique. Et c’est ce que j’aimais! Votre famille comprenait-elle des scientifiques? Non. Il n’y avait pas d’universitaires chez nous. Si vous n’aviez pas été physicien, pour quelle carrière auriez-vous opté? La musique? J’aime beaucoup la musique, mais je suis incapable de jouer d’un instrument et même de distinguer un excellent interprète d’un bon. Quel est le paysage qui caractérise votre enfance? L’Allemagne du Sud. Je viens de la Souabe, mes parents ont démé> Suite en page 26 26 Envedette > Suite de la page 25 ques années, nous travaillons mieux ensemble. Notre mission est de donner, en toute transparence, le plus d’informations scientifiques de qualité aux organisations de l’ONU, qu’elles soient basées à Genève ou à New York. nagé à Stuttgart quand j’avais 3 ans. Ce qui était frappant dans cette ville de 600 000 habitants, c’était l’importance de la culture. Il y avait un bon opéra et un ballet fantastique dirigé par le Sud-Africain John Cranko. C’est là que j’ai découvert John Neumeier, danseur dans la compagnie. Quand ce dernier est parti à Hambourg, pour y prendre la tête du ballet, je l’ai suivi! Quand vous vous intéressez à l’accélération des particules, il faut aller où se trouve l’accélérateur. J’ai fini par m’installer à Genève, et j’ai découvert que Neumeier était proche de Maurice Béjart. (Rires.) Est-ce que les relations entre le CERN et les autres organisations internationales établies à Genève sont satisfaisantes à vos yeux? Longtemps, elles n’ont pas été assez visibles. Mais depuis quel- Le CERN fête ses 60 ans. Quel est votre message à cette occasion? Qu’il poursuive sur sa lancée! Il y a soixante ans, des chercheurs et des diplomates ont créé une résonance qui s’appelle le CERN. Ils ont fait ça pour la paix, sans se préoccuper des frontières. Fait remarquable, à l’époque du Rideau de fer, des scientifiques ont continué de collaborer dans le cadre du CERN, alors que leurs pays se regardaient en chiens de faïence. Le CERN est une île dont l’ambition est de grandir. C’est la raison pour laquelle nous prônons une collaboration entre scientifiques, quelles que soient leurs origines ou leurs croyances. Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 Sur la table de chevet Quatre œuvres pour une vie Au CERN, nous pensons qu’on peut collaborer tout en cultivant une certaine compétition. Le livre qui l’accompagne: Gotthold Ephraim Lessing, Nathan le sage Ce n’est pas un livre à proprement parler, c’est plutôt un poème. J’aime beaucoup ce texte pour la façon dont l’auteur parle de la tolérance, en particulier la tolérance religieuse. Les thèmes majeurs de cet ouvrage sont l’amitié, la tolérance, le relativisme de Dieu, le refus des miracles et la nécessité d’une bonne communication. Vous quitterez vos fonctions à la fin de 2015. Comment voyez-vous votre futur? Je serai officiellement à la retraite, de retour à Hambourg. Sept ans de mandat, ça suffit! Diriger une telle maison m’a beaucoup apporté. Mon but était de créer une atmosphère de travail fondée sur l’entraide et l’émulation; de laisser l’initiative à ceux qui en ont la compétence; de faire en sorte que les décisions soient prises par les scientifiques. J’espère que j’y suis parvenu et que j’ai introduit une atmosphère plus démocratique. La musique qui lui fait du bien: Le Canto General. Poèmes de Pablo Neruda mis en musique par Mikis Theodorakis. Ces poèmes racontent l’histoire du continent américain, et contiennent un message d’égalité et de dénonciation de l’exploitation des peuples. J’aime beaucoup la musique de Theodorakis. J’ai eu la chance de le voir en concert, et je ne suis pas près d’oublier l’énergie qu’il dégageait. L’artiste qui lui donne confiance en l’humanité: Je ne peux pas affirmer que son travail me donne confiance en l’humanité, mais j’admire Alberto Giacometti. La façon dont ses sculptures jouent avec la notion d’espace, réel ou imaginaire – je pense à ses longues figures stylisées, pas tout à fait humaines – me plaît beaucoup. J’admire aussi l’humilité de cet artiste qui nous rappelle que nous ne faisons que passer. *Quantum, créé au Cern, est en tournée aux Etats-Unis notamment, à New York du 2 au 4 octobre; à l’affiche à l’Arsenic à Lausanne, du 6 au 9 novembre. Le film qu’il ne se lasse pas de revoir: L’Arnaque. Un film de gangsters, réalisé il y a 40 ans. Un polar différent de ceux que l’on voit aujourd’hui. L’intrigue est complexe mais pleine d’humour. Pas de coups de feu ici, mais un coup de maître: une vaste escroquerie que les deux héros du film organisent pour venger la mort d’un de leurs amis. Rolf Heuer dans la salle de briefing du «Temps», mardi 16 septembre. Le physicien a la gestuelle théâtrale pour éclairer une pensée complexe. «Il y a aura toujours des questions ouvertes en sciences» I nauguré en 2008, le Grand collisionneur de hadrons (LHC) a permis de découvrir, à l’été 2012, le boson de Higgs, clé de voûte du Modèle standard établi depuis des décennies par les physiciens pour décrire l’Univers. Cette particule permet d’expliquer pourquoi les particules fondamentales ont une masse. Depuis l’an dernier, le LHC subit des transformations: les scientifiques veulent y doubler l’énergie mise en jeu lors des collisions de protons. Les premiers faisceaux devraient être réinsufflés dans l’installation dès mars 2015. Samedi Culturel: En quoi le LHC a-t-il été modifié? Rolf-Dieter Heuer: Nous avons modifié les connexions entre les aimants supraconducteurs qui guident les particules le long de l’anneau. Nous avons amélioré les marges de sécurité de la machine pour être sûr qu’elle sera apte à durer pour les quinze prochaines années, et fonctionner avec des énergies de collisions plus importantes (jusqu’à 14 téraélectronvolt, ou TeV, contre 7 à 8 TeV jusque-là). Les atteindre offrira plusieurs avantages: le taux de collisions par seconde sera plus important; celles-ci pourront donc livrer plus d’informations, produire davantage de bosons de Higgs et générer des particules de masse plus élevée. Cela ouvre une nouvelle fenêtre au-delà du Modèle standard, de notre description de l’Univers visible. Vous avez construit le LHC notamment pour traquer ce boson de Higgs. La tâche était ciblée. Vous ouvrez désormais de nouvelles portes, sans forcément savoir que chercher. Comment cette quête empirique modifie-t-elle votre manière de travailler? D’abord, les expériences ont toujours cherché d’autres choses que le seul boson de Higgs. Il y a deux manières d’étudier ce qui est produit lors des collisions de particules dans le LHC. La pre- mière est guidée par la théorie et la seconde est totalement ouverte. Au sujet du boson de Higgs, tout n’est pas clair: est-ce LE boson, l’unique, que prédisait la théorie, et qui constitue définitivement la pièce ultime du puzzle qu’est le Modèle standard? Ou n’est-ce qu’UN boson de Higgs, élément d’une famille? Et comme dans toute grande famille chaque enfant a son propre caractère, se comporte différemment, nous devons maintenant vérifier si le boson trouvé se comporte comme un enfant unique ou comme un membre d’une fratrie. C’est une question cruciale. Pour y répondre, nous avons besoin d’aller à plus haute énergie. Par ailleurs, nous sommes uniquement capables aujourd’hui de décrire l’Univers visible, ce qui correspond à moins de 5% de ce que l’on connaît de la matière et de l’énergie qui sont présentes. On sait qu’en plus il y a la «matière sombre», qui compose près d’un quart de l’Univers, mais dont la nature est inconnue. Enfin, il y a l’«énergie sombre», qui forme presque les trois quarts restants. De la première, on suppute qu’elle est composée de particules, que l’on devrait être capable de mettre au jour. Nous ne savons pas si elles se trouvent dans le rayon d’action du LHC ou pas. Car les modèles des théoriciens à ce sujet ont un grand nombre de paramètres. Mais savez-vous seulement ce que vous cherchez? Selon certains modèles, oui. Le Modèle standard nous décrit ce que l’on doit en principe voir dans nos détecteurs. Ce que l’on va faire maintenant, c’est chercher des déviations par rapport aux images de collisions que l’on connaît donc grâce au LHC. C’est une quête ouverte, c’est vrai. Bien sûr, on cherche aussi des divergences qui, selon les théoriciens, correspondent à quelque chose de précis. Différents groupes travaillent dans ces deux directions. Cela est-il plus compliqué à expliquer et à justifier auprès du grand public? La comparaison entre l’Univers visible et son pendant «sombre» aide à expliquer nos recherches. Nous avons plus ou moins terminé de compléter l’un des modèles théoriques, le Modèle standard. Mais il faut aller plus loin. De la même manière, dans la vie quotidienne, les principes de la mécanique décrits par Newton (lois du mouvement, gravitation) sont suffisants pour expliquer tout mouvement simple. Toutefois, pour décrypter le fonctionnement d’un GPS par exemple, la théorie de la relativité d’Einstein, qui décrit aussi des principes de mécaniques mais de manière plus complexe, est nécessaire. On peut donc dire que les lois de Newton sont des approximations simplifiées de celles d’Einstein. De même, le Modèle standard, qui décrit l’Univers visible, est une approximation à basses énergies d’une autre théorie qui va au-delà d’elle. Notre problème, c’est que nos théoriciens ne peu- vent pour l’instant pas nous dire quelle est cette théorie plus englobante. Nous, expérimentateurs, devons les aider. Le LHC, mais aussi d’autres expériences de physique souterraines, ou même des télescopes, peuvent-ils guider ces recherches? A voir; il faut tirer tous les fils pour voir dans quelle direction aller en physique, mais aussi en astrophysique. Et aussi déterminer quel instrument du futur il s’agira de construire: un accélérateur linéaire ou un autre, circulaire, encore plus grand (une esquisse existe d’un anneau de 100 km de circonférence, situé, comme le LHC, sous la frontière francosuisse – LT du 06.02.2014). Notre travail est de maintenir les études des technologies nécessaires assez ouvertes de manière à ce que l’on puisse les utiliser immédiatement dès que la vision sera plus claire. Quelles sont ces directions théoriques? La théorie de la supersymétrie est en une, qui prévoit qu’à chaque particule connue aujourd’hui est associée une superparticule, de masse beaucoup plus impor- , Rolf Heuer «J’ai a priori déjà un problème avec la question de savoir «quand» nous saurions tout sur tout. Qui pourra le dire? Affirmer que l’on sait tout pour ne plus avoir à faire de la recherche?» tante, et qui pourrait par exemple expliquer la nature de la «matière sombre». C’est l’exemple typique d’une de ces recherches guidées, car on connaît la signature de ces superparticules que l’on devrait chercher. Certains physiciens s’attendaient à voir des traces de superparticules avec le LHC à une énergie de 7 TeV déjà. Or aucune n’est apparue… Ils étaient super-optimistes! (Rires.) Les scientifiques sont des gens normaux, il y a des optimistes et des pessimistes. Les premiers espéraient voir des superparticules avec une énergie 7 TeV et les seconds affirment que, parce qu’aucune n’a été vue jusque-là, on ne les trouvera jamais. Le directeur du CERN doit se positionner au milieu. Je ne peux pas vous dire qu’on va découvrir ces particules: je n’en ai aucune idée. Mais c’est là la beauté de la recherche fondamentale. D’autres critiques disent que les physiciens, ne trouvant rien, s’arrangent toujours pour dire que ce qu’ils cherchent se trouve, «selon des nouveaux modèles», juste au-delà de leur rayon d’action… Un tel comportement ne vous permet-il pas, parfois, de vous cacher derrière votre relative ignorance? Cela est normal. Si vous ne trouvez pas quelque chose, vous devez imaginer des concepts au-delà de la limite de l’inconnu. Sinon, vous auriez déjà découvert ce que vous cherchiez… Ceux qui n’agissent pas ainsi ne font pas assez d’effort! Quelles sont les autres pistes scientifiques à suivre pour dépasser le Modèle standard? Une théorie postule l’existence d’un «multivers», qui serait la somme d’univers multiples, dont le nôtre n’est qu’un exemplaire. Mais imaginer détecter ces autres univers est difficile. On pourrait peut-être y arriver à travers des signatures cosmiques ou corpusculaires. Autre piste possible: que le boson de Higgs ne soit pas une particule élémentaire, mais composite. Cela ouvrirait de nouvelles perspectives. Le problème est que toute nouvelle théorie que l’on développerait doit être en accord avec tout ce que l’on sait aujourd’hui; ce n’est très souvent pas le cas. De manière générale, on peut procéder de deux manières: par observations directes ou indirectes. Par exemple: si le boson de Higgs est bien la particule qui «attribue» leur masse à toutes les autres particules, cela doit aussi s’appliquer aux particules supersymétriques. Sans entrer dans les détails, cela veut dire que l’une au moins des propriétés de ce boson doit être différente de ce qui est prédit pour lui par le Modèle standard. Donc si on trouve une telle déviation, cela pourrait nous donner une indication vers une nouvelle physique, vers où chercher. Mais à nouveau, c’est une affaire complexe: cela nécessite beaucoup de précision. Pour l’heure, en sciences, chaque réponse livre avec elle des dizaines de nouvelles questions. Cette tendance s’infléchira-t-elle un jour? Il y aura toujours des questions ouvertes, donc du travail pour les scientifiques. Je le pense, car j’ai a priori déjà un problème avec la question de savoir «quand» nous saurions tout sur tout. Qui pourra le dire? Affirmer que l’on sait tout pour ne plus avoir à faire de la recherche? Le pape? Je ne pense pas que ce soit son rôle. Il y a clairement une interface qui permet de séparer la science et la religion. Et tout ce que la science découvre permet à cette interface de se déplacer dans une direction ou une autre. Mais cette interface demeurera… éternellement. Propos recueillis par Olivier Dessibourg 27 Portrait Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 «Cequidistingue BenoîtXVIetFrançois» Par Rolf Heuer D PHOTOS: REUTERS Durant son mandat, le directeur général du CERN s’est entretenu avec les deux souverains pontifes. Ces conversations l’ont conforté dans l’idée que science, philosophie et religion ne sont pas incompatibles. Profession de foi Benoît XVI est plutôt théoricien, alors que «François est expérimentateur, comme moi», souligne Rolf Heuer. urant mon mandat de directeur général du CERN, j’ai eu l’occasion de rencontrer deux papes, ce qui surprend souvent. Mais qu’y a-t-il de surprenant à cela? La science et la religion se rejoignent parfois. C’est particulièrement vrai pour la physique fondamentale, qui s’interroge sur l’évolution de l’Univers et son ultime destinée. Les relations entre science et religion ont connu des hauts et des bas dans l’histoire. Inutile de vous rappeler, par exemple, que l’Eglise a mis beaucoup de temps à accepter les travaux de Galilée. Ce qui n’empêche pas que certains de nos scientifiques les plus estimés, comme Georges Lemaître, dont les travaux constituent le fondement de la théorie du Big Bang, ou Isaac Newton, ont réussi à concilier leur foi avec la science. Personnellement, je ne pense pas qu’un dialogue entre science et religion consiste à déterminer qui des deux est dans le vrai. Si la science se veut universelle, elle doit pouvoir parler à chacun d’entre nous, quelles que soient ses croyances religieuses. Nous avons besoin de nous comprendre pour pouvoir discuter d’évolution et de destin. Qu’en est-il alors de mes entretiens avec les papes Benoît XVI et François? Tous deux m’ont grandement impressionné par leur ouverture d’esprit et leur intérêt pour la science. Nos conversations m’ont convaincu qu’un dialogue est possible, que les scientifiques ne devraient pas hésiter à s’intéresser aux religions du monde, et réciproquement. J’ai rencontré le pape Benoît XVI au Vatican en 2010, et il me semble que, s’il avait été physicien, il aurait été théoricien. En effet, il existe deux branches en physique, la théorique et l’expérimentale. Les théoriciens appréhendent la physique par la pensée pure plutôt que par la pratique. Ils cherchent à établir des liens, et, lors de notre brève discussion, Benoît XVI s’est montré passionné par la recherche de points de convergence entre foi et rationalité. Je connais de nombreuses personnes qui concilient foi et rationalité, mais j’ai été frappé par l’importance que ce pape accorde à la relation entre la foi et la raison et par le rôle qu’il attribue à la philosophie dans ce contexte. Si Benoît XVI était un théoricien, le pape François, que j’ai rencontré en juin dernier, serait plutôt un expérimentateur, comme moi. Les expérimentateurs cherchent à donner un sens aux structures qu’ils observent. Au CERN, il s’agit des traces que les particules laissent derrière elles lors de leur bref passage à travers nos détecteurs. C’est ainsi que l’on peut valider ou invalider expérimentalement des théories comme, par exemple, avec la découverte du boson de Higgs. Tout comme les expérimentateurs, le pape François cherche à établir un lien avec la réalité et, tout comme eux, il met parfois en évidence des phénomènes qui doivent être théorisés, c’est-à-dire intégrés dans une théorie de valeur générale. Pour le pape François, il s’agit aussi de donner un sens aux structures présentes dans le langage, le sens des mots. Lorsque le pape parle de l’origine de l’Univers, a-t-il la même chose à l’esprit que le directeur général du CERN? A priori, non, bien sûr. A priori, mais nous avons eu néanmoins une discussion très intéressante à ce sujet. Susciter le dialogue entre science, philosophie et religion était l’une de mes ambitions en tant que directeur général du CERN, et c’est dans cet esprit que je me suis entretenu avec les deux papes. Ces derniers m’ont conforté dans le souhait d’organiser , Rolf Heuer «Les scientifiques ne devraient pas hésiter à s’intéresser aux religions du monde, et réciproquement» une série de conférences avec des scientifiques, des philosophes et des théologiens de tous horizons et m’ont spontanément proposé l’aide de l’Académie pontificale des sciences, ainsi que des scientifiques de différentes confessions qui la composent. En outre, le CERN s’est associé avec l’institu- tion britannique Wilton Park, une institution spécialisée dans ce type d’exercice délicat et dont la devise est «Utiliser la force du dialogue». D’après le succès de ces conférences, c’est un message auquel croient aussi les principaux autres chefs religieux de ce monde. Je voudrais conclure par une anecdote rapportée par un de mes prédécesseurs, Herwig Schopper, directeur général au moment de la visite au CERN d’un autre pape, Jean Paul II, en 1982. Lorsque Herwig Schopper a montré l’endroit où les particules d’antimatière étaient créées, le pape l’aurait in- PUBLICITÉ <wm>10CAsNsjY0MDAx07UwNrAwNgcA9e81hQ8AAAA=</wm> <wm>10CFXKKw6AMBAFwBNt8_bXLqwkdQRB8DUEzf0VAYcYN-uaXvBZ-nb0PRmwSqEIbelmRVyyaStAJCYOAdvMbiJa1X-fgKoGGe8hTMQx2MlA3obBy31eD9SMHjlyAAAA</wm> terrompu en s’exclamant: «Non, c’est là qu’elles sont produites. La création, c’est mon domaine.» C’était, bien entendu, une remarque pertinente. Les voies du langage sont subtiles, assurément. Wilton Park: https://www.wiltonpark.org.uk 28 Entretien Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 Scienceetfoi,commentnepaschoisir Physicien quantique et chrétien fervent, Andrew Briggs est professeur de nanomatériaux à Oxford. Les deux quêtes forment pour lui un mariage heureux, plein de respect mutuel et riche en plaisir Par Nic Ulmi P «L’Ancien des Jours» (1794). Peintre et poète, William Blake n’aimait pas la science. Son Dieu musclé construit pourtant le cosmos à l’aide d’un instrument savant… hysicien, le nez plongé dans les énigmes ultimes de la réalité, spécialiste des matériaux d’une petitesse nanoscopique pour les ordinateurs quantiques, chrétien fervent. On cherche l’erreur. Mais dans le cas d’Andrew Briggs, il n’y en a pas. Le titulaire de la chaire des nanomatériaux à l’université d’Oxford croit – très haut et très fort – en un Dieu qui ne résiderait ni dans les trous que la science n’a pas bouchés, ni dans une vérité qui contredirait les découvertes de la physique ou de la biologie, mais dans tout ce que la recherche scientifique met au jour. Entre science et foi, pas besoin, donc, de choisir… Le champ que vous avez choisi présente-t-il un intérêt théologique? En décrivant Jésus, l’évangile de Jean emploie le mot grec logos («verbe» ou «parole»). Il faut savoir que Jean adorait les expressions à doubles sens. À l’époque où il écrivait, logos renvoyait à la fois au concept juif d’un Dieu qui communique avec le monde par la parole et à celui d’un principe sous-jacent de l’univers. Quand Jean explique qui est Jésus, il dit qu’en lui le logos est devenu chair. En d’autres mots, un concept abstrait s’est incarné physiquement. Il y a un parallèle avec ce qu’on fait dans le domaine quantique, où l’information est considérée comme incarnée physiquement… Vous dites que le travail des scientifiques consiste à mettre en lumière «comment Dieu fait fonctionner le monde». En quoi cela diffère-t-il du fait de montrer, tout simplement, comment le monde fonctionne? THE ART ARCHIVE/BRITISH MUSEUM/EILEEN TWEEDY/AFP Le Temps: Comment votre double vocation s’est-elle manifestée? Andrew Briggs: Petit garçon, j’étais passionné par la compréhension du fonctionnement des choses. Cela était encouragé, je crois, par ma mère, qui est mathématicienne, et par un ami de mes parents, scientifique à Cambridge, où nous vivions. J’ai d’autre part le privilège d’être issu d’une famille croyante: mon frère, mes sœurs et moi-même, nous avons grandi dans la connaissance de la Bible et l’amour pour Dieu. J’ai étudié la physique à Oxford, j’ai obtenu mon doctorat au laboratoire Cavendish à Cambridge et j’ai commencé à me demander que faire de ma vie. Pendant un temps, j’ai cru que j’étais appelé à devenir pasteur au sein de l’Eglise anglicane. J’ai donc étudié la théologie à Cambridge pour m’y préparer. Mais au cours de ces études, je me suis senti dépassé par la tâche. C’était un moment inconfortable. Mon professeur au laboratoire Cavendish, un Juif très dévot, qui comprenait à la fois la nature de l’engagement spirituel et de celui pour la science, m’a été d’un grand secours. Il m’a aidé à refaire la transition vers la recherche scientifique. entre les lois du monde quantique et celles, apparemment incompatibles, de la physique classique qui s’observent dans notre expérience humaine? Est-ce que la fonction d’onde est juste une formule, ou est-elle réelle? Puisqu’il n’y a pas d’accord entre les scientifiques dans ce domaine, et donc pas de réponse à ces questions fondamentales, on pourrait dire qu’il est intellectuellement incohérent de continuer à utiliser la théorie quantique. Mais cette théorie est trop robuste, trop bien testée et trop utile pour l’abandonner, même si elle repose sur des questions irrésolues. Voyez-vous le parallèle? On peut continuer à mener une vie dans la foi, même avant que les réponses dans ce domaine soient accessibles… Au-dessus de l’entrée du laboratoire Cavendish, on lit ces vers du Psaume 111: «Les œuvres de l’Eternel sont grandes, elles sont recherchées de tous ceux qui y prennent plaisir.» J’adore cette description. Comprendre quelque chose qui n’était pas compris, résoudre un problème mathématique irrésolu, faire fonctionner une expérience et en obtenir des données, ce sont de véritables plaisirs – plus intenses, selon certains, que n’importe quel autre plaisir connu par l’expérience humaine. Tout scientifique, qu’il croie en Dieu ou pas, peut les éprouver. S’il est en relation avec Dieu, il ressent un plaisir supplémentaire, qui vient précisément du fait que sa démarche prend place dans le cadre d’une relation: il découvre la création d’un créateur qu’il connaît. Je vous donne une analogie: la musique me procure un plaisir immense, que je peux trouver en écoutant un CD. Mais il se trouve que je viens d’une famille musicale: écouter de la musique jouée par les membres de ma famille apporte une dimension supplémentaire à mon plaisir, parce que l’acte créatif se trouve dans le contexte d’une relation. Au-delà de ce plaisir, y a-t-il une différence entre montrer comment l’univers fonctionne et «comment Dieu le fait fonctionner»? Si Dieu a créé l’Univers et qu’il y travaille au quotidien, cela impliquet-il que les lois de l’univers peuvent changer au gré du vouloir du Dieu? Ce serait une réponse possible à la question des miracles. Je respecte et j’ai beaucoup appris de ceux qui formulent cette réponse… Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas sûr que je la trouve satisfaisante. Je pense que c’est quasiment la même chose. Je ne veux pas introduire une différence là où il n’y en a pas… James Clerk Maxwell, par exemple (un des physiciens le plus important du XIXe siècle, qui unifia en un système d’équations tous les phénomènes électromagnétiques, ndlr), avait une profonde foi chrétienne. Mais il est clair que s’il avait été athée, ses équations auraient été exactement pareilles. La différence, subtile mais importante, réside dans le fait que la connaissance scientifique com- porte une information supplémentaire pour le croyant: elle ne nous dit pas seulement quelque chose sur le monde, mais également sur le caractère de son créateur. La description du «travail de Dieu» à laquelle on parvient à travers l’observation scientifique entre-telle en conflit, parfois, avec la narration biblique de ce même travail? Il y a des champs où de tels conflits peuvent éclater. Le plus répandu oppose certaines manières d’interpréter la description de la création , Rolf Heuer «Au lieu d’opposer science et religion, il faudrait plutôt se demander si la science et la religion sont capables de se respecter et d’accepter le point de vue de l’autre. C’est à mes yeux tout à fait possible, et d’après mon expérience, c’est même enrichissant» dans les premiers livres de la Bible et la théorie de l’évolution – une théorie qui est acceptée, au demeurant, par tous les vrais scientifiques croyants actifs dans les sciences du vivant. De telles oppositions sont dommageables. Elles poussent des gens qui croient en la science à rejeter la foi et, malheureusement, elles conduisent aussi des gens qui croient en leur foi à rejeter la science: ce qui est tragique, surtout quand ce rejet de la science est imposé à des enfants qui ne peuvent choisir par eux-mêmes. En réalité, rien de tout cela n’est nécessaire… En tant que scientifique chrétien, comment imaginez-vous le travail quotidien de Dieu dans l’univers? C’est une des plus grandes questions qui soient – et pas seulement pour un chrétien. Je dînais, samedi dernier à Cambridge, avec mon ami Nidhal Guessoum, auteur d’un livre intitulé Islam’s Quantum Question: Reconciling Muslim Tradition and Modern Science. Lui aussi, en tant que musulman, pense qu’il s’agit là de la plus grande question… Il y a une leçon à retenir du côté de la science des quanta. Au cœur de la physique quantique, il y a des questions fondamentales à propos desquelles il n’y a pas de consensus. Qu’est-ce qui se passe réellement quand nous effectuons une mesure dans une expérience quantique? Quel est le rapport Ayant établi, par votre foi, l’existence de Dieu, n’êtes-vous pas amené, en tant que scientifique, à vous demander d’où Il vient? Je ne suis pas sûr que je pourrai trouver un jour une réponse à cette question, comme d’ailleurs à celle qui consiste à se demander d’où vient l’univers – et pourtant, ce ne sont pas les suggestions qui manquent… Quant à savoir d’où vient Dieu, la réponse simple serait: il est le point de départ, il était là avant le temps. Mais je me rends compte que c’est une réponse un peu simple à une question qui mérite une réflexion profonde. Vous préparez, avec le peintre Roger Wagner, un livre intitulé The Penultimate Curiosity: How Science Swims in the Slipstream of Ultimate Questions. De quoi s’agit-il? Nous partons de la première entreprise intellectuelle dont on ait des traces, l’art pariétal, et retraçons l’histoire de la «curiosité ultime» des humains face à la réalité. À un moment donné, une «pénultième curiosité» qu’on a appelé «science» a émergé à l’intérieur de cette quête. Une partie de son succès vient du fait qu’elle s’est donné des objectifs plus limités. Elle a été immensément satisfaisante, bénéfique, enrichissante. Mais il y a plus. Si on s’arrête à la «pénultième curiosité», on rate le meilleur. ALI LAMBERT La photographie, que Rolf Heuer a souhaité publier dans cette page, a été prise en 2010 par un étudiant, Ali Lambert, lors d’une journée accessible aux photographes amateurs. Pour le directeur du CERN, elle témoigne de l’ouverture des laboratoires sur le monde. Caroline Stevan Pleincadre Un Canadien dresseur de trombones Magnétisme On peut y voir une troupe de trombones dansants, un grand ballet bureaucratique. Ou une expérience scientifique: quelques dizaines d’agrafes métalliques tenues debout par la force de l’aimant de l’accélérateur de particules du laboratoire national canadien pour la physique des particules, le TRIUMF à Vancouver. Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 29 30 Champmagnétique Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 «Le premier accélérateur du CERN a été le Synchrocyclotron, opérationnel en 1957. Arrêtée en 1990, la machine a toutefois été rénovée pour être montrée au public. Animée grâce à d’impressionnantes projections vidéo, elle vaut vraiment la peine d’être visitée. A cette machine est venu s’ajouter, en 1959, le Synchrotron à protons, bien plus grand; le programme de recherche du CERN était alors lancé. Au fil des années, des convois comme celui-ci, qui montre le transport de la bobine d’un aimant à travers Meyrin en 1956, sont devenus des spectacles courants dans la région genevoise.» PHOTOS: CERN > 1954 - 1964 LesconquêtesduCERNensixéclatschoisis Le 29 septembre 1954, une poignée de diplomates créait à Genève l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN). Cet îlot d’intelligence a longtemps été un contrepoint au climat de Guerre froide qui régnait. Il n’a cessé de s’agrandir, comme le souligne son directeur actuel, Rolf Heuer. Celui-ci a choisi six images, qu’il commente. Petite histoire en accéléré d’un laboratoire unique au monde Par Olivier Dessibourg A lors que le monde est en pleine reconstruction au sortir de la Seconde Guerre mondiale, douze Etats européens, réunis à Genève le 29 septembre 1954, ratifient la convention qui institue l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, plus connue aujourd’hui sous l’acronyme CERN – le «C» faisant référence au Conseil qui a présidé à sa constitution. Rolf Heuer, l’actuel directeur général, qui a eu le privilège d’être nommé en 2007 peu avant l’entrée en fonction du Grand collisionneur d’hadrons (LHC), a choisi six images pour raconter, à sa manière et selon sa vision, les moments forts qui ont marqué les six dernières décennies de ce centre de recherches unique au monde. En puisant dans ses propres souvenirs, mais aussi dans l’abondant matériel retraçant cette aventure diplomatico-scientifique inédite, il commente ces clichés. > 1994 - 2004 «Cette riche décennie a vu l’arrivée du Web, inventé au CERN, sur la scène mondiale, ainsi que l’approbation de la construction du Grand collisionneur d’hadrons (LHC). Mais ce graphique est pour moi spécialement important. Des données des quatre détecteurs du LEP sont superposées à des prédictions sur le nombre de familles de particules fondamentales et privilégient trois familles. Nous sommes faits de particules issues d’une seule des trois. Pourquoi y en a-t-il deux autres dans la nature? Mystère. Cette image montre aussi comment quatre équipes concurrentes peuvent collaborer pour parvenir à un résultat remarquable.» > 1984 - 1994 «Les expériences UA1 et UA2 ont permis d’identifier les particules vectrices de la force faible, une des quatre forces fondamentales. Ces particules ont pu être étudiées précisément grâce au LEP (Grand collisionneur électron-positon), construit ensuite au CERN. OPAL, un de ses détecteurs, a occupé une grande partie de ma carrière au CERN. Cette photo de 1988 montre l’un de ses composants, une chambre de trajectographie construite par le CERN avec des universités allemandes et canadiennes. Quelque 300 chercheurs de 30 instituts de 12 pays ont pris part à OPAL.» 31 Champmagnétique Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 > 1964 - 1974 «En 1965, le caractère international du CERN se marque aussi sur le terrain avec le traité autorisant son extension sur le territoire français, et lui donnant de l’espace pour un accélérateur de particules, le Booster, et pour les anneaux de stockage à intersections, premier collisionneur de hadrons du monde et précurseur du LHC. Le Booster, ici en construction, est centré sur la frontière franco-suisse. C’est aussi à cette époque que Georges Charpak a imaginé des techniques révolutionnaires pour la physique des particules et l’imagerie médicale, notamment. Il a reçu le Prix Nobel de physique en 1990.» > 1974 - 1984 «Long de 7 kilomètres, le Supersynchrotron à protons fut inauguré en 1976 et rapidement converti en collisionneur, projetant les particules les unes contre les autres plutôt que sur des cibles fixes. La collision de deux faisceaux circulant en sens inverse permettait d’atteindre des énergies bien plus grandes, ouvrant la voie à un potentiel de découvertes considérable. Le détecteur UA1 (photo) a permis en 1983 la première découverte du CERN récompensée par un Prix Nobel, rendue possible par les technologies conçues par Georges Charpak. Le prix fut remis à Carlo Rubbia et Simon van der Meer l’année suivante.» TOUT CRU De l’eau dans son vin Par Pierre-Emmanuel Buss > 2004 - 2014 «L’une des rencontres les plus poignantes qu’ait connues le CERN a eu lieu le 4 juillet 2012, entre François Englert et Peter Higgs. En 1964, ils étaient parmi les rares à publier des articles sur le mécanisme dit de Brout-Englert-Higgs et sur le boson de Higgs. Ils se sont rendus au CERN cinquante ans après pour l’annonce de la vérification expérimentale de leur idée avec Carl Hagen et Gerry Guralnik, qui avaient travaillé sur le sujet à la même période avec Tom Kibble. Robert Brout nous a quittés en 2011. Cette journée émouvante a donné une nouvelle direction à la physique des particules de demain.» PUBLICITÉ Le Palais <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDAzNwIAuuBDgw8AAAA=</wm> <wm>10CFWKKw6AMBAFT9Tm7afdLStJHUEQfA1Bc3_FxyEmk0lmWaJkfMx93fsWxYtTAlCNg2vNWixay0wSYBiDdIKLilqj3_6oioLH-yQ8bQOeRBL7UKd8HecNct7_q3EAAAA=</wm> Oriental Restaurant (Saveurs d’Iran, Liban, Maroc) • Salle de banquet Veranda • Galerie d’Art • Caviar d’Iran • 1820 Montreux Tél. 021 963 12 71 • www.palaisoriental.ch • Fermé le lundi Je ne suis pas douillet, mais il ne faut pas exagérer non plus. Samedi dernier, dans le cadre de la Semaine du goût, j’ai participé à un banquet médiéval à l’hôtel Alpes & Lac de Neuchâtel. En introduction, l’historien Michel Schlup a décrit avec précision les us et coutumes alimentaires de l’époque. J’en tremble encore: l’assiette individuelle n’existait pas, même dans les banquets seigneuriaux. On mangeait dans des écuelles qu’il fallait partager avec d’autres convives. Avec un couteau et un morceau de pain pour seuls couverts. Le banquet était fruste, mais fortement codifié. Les mets étaient servis à la française avec des plats servis en fonction de la qualité des convives: le seigneur pouvait déguster un buisson d’écrevisses, alors que le bourgeois devait se contenter d’une modeste compote d’orge. L’étiquette interdisait aux gens de se lever, d’où d’importantes frustrations pour ceux qui devaient se contenter des restes. La situation était encore pire pour le vin. Systématiquement coupé avec de l’eau, il jouait le rôle d’antiseptique. La consommation de tous les jours atteignait allégrement les trois litres. Mais sa qualité était médiocre, avec beaucoup d’acidité et un faible taux d’alcool. Même l’hypocras, vin de fête où avaient infusé du gingembre, de la noix muscade et de la cannelle, ne valait pas pipette. Sa version moderne dégustée lors du banquet neuchâtelois ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. On se situait quelque part entre le vin chaud (servi froid) et la sangria. Concocté exclusivement avec des mets utilisés au Moyen Age, le banquet de l’Alpes & Lac a été adapté à nos fragiles palais contemporains. Le menu de quatre assiettes a été servi à la russe – les plats sont apportés successivement et chacun mange la même chose. Après les rillettes de bondelle fumée et le brochet sauté à la sauce verte, le carré de porc rôti des Ponts-de-Martel a été le clou de la soirée. Il était accompagné d’un cornalin «rouge de pays» de Maurice Zufferey. Un cépage cité en 1313 déjà dans le Registre d’Anniviers. En dégustant le nectar valaisan au fruit éclatant, j’ai eu une pensée émue pour les buveurs de piquette du Moyen Age. Les pauvres: ils étaient contraints de mettre du vin dans leur eau pour ne pas tomber malades. Convertis à la démocratie, nous faisons l’exact contraire pour nous donner les meilleures chances de vivre ensemble – par exemple en s’abstenant d’enguirlander le voisin de table qui a éclusé tout seul la fin de la bouteille de cornalin. 32 Célébration Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 La rétrospective du Grand Palais, à Paris, révèle la diversité et la profondeur d’une œuvre populaire créée par l’une des artistes les plus célèbres de la deuxième moitié du XXe siècle Par Laurent Wolf, Paris «Le Rêve de Diane», 1970, polyester peint, 280 x 600 x 350 cm. 2014 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION/ PHOTO: LAURENT CONDOMINAS/PRO LITTERIS 2014 Est, contre la violence et les armes, contre le sida dès le début de l’épidémie. Sauvée de la folie par les pinceaux Niki de Saint Phalle a voulu travailler pour le grand public dès les années 1960 et son succès est le résultat de ses choix artistiques et d’une grande capacité à utiliser son image de femme dans un monde de brutes. Son féminisme n’a rien de militant et elle ne s’est pas associée directement aux mouvements des années 1970. Elle a assuré son indépendance en créant des produits dérivés diffusés en masse ou du parfum, ce qui lui a valu d’être accusée de céder aux sirènes de la commercialisation. C’est une artiste populaire, compréhensible, pleine d’humour et de gaieté. Elle est donc systématiquement oubliée par les détracteurs de l’art contemporain qui dénoncent le caractère hermétique et élitaire de ce dernier. Et parfois également par ceux qui en font l’apologie parce que son langage simple et direct ne correspond pas à celui qui prévaut depuis quelques décennies. NIKI CHARITABLE FOUNDATION/ PHOTO: MAMAC/MURIEL ANSSENS/ PRO LITTERIS 2014 «La Toilette», 1978, papier collé peint et objets divers. Femme: 160 x 150 x 100 cm, table: 126 x 92 x 80 cm. Niki de Saint Phalle ne ressemble pas à sa caricature. C’est ce que montre la rétrospective que lui consacre le Grand Palais avec plus de 200 œuvres, des archives et des films qui retracent une carrière commencée à la sortie d’un établissement psychiatrique où elle subit des électrochocs et un traitement à l’insuline en 1953. Le musicien de jazz Anthony Bonner lui donne alors une boîte de couleurs, des pinceaux et du papier. «Ce séjour me fut profitable, dit-elle, je me mis à peindre avec acharnement et pris la décision d’abandonner la mise en scène et l’art dramatique que j’avais commencé à étudier pour me consacrer à la peinture.» Ce sont d’abord des œuvres de bric et de broc, un mélange des matériaux les plus divers, couleurs, plâtre, coquillages, tessons de poterie ou grains de café. Puis des assemblages d’objets qu’elle dispose au-dessous d’une surface sombre faisant penser à un ciel nocturne. Enfin le coup d’éclat qui lui ouvrira les portes du grand art et des avant-gardes. Le 12 février 1961, elle tire à balles réelles sur un panneau où elle a disposé des poches de couleurs et des objets recouverts de plâtre. C’est son premier Tir (il y en aura d’autres entre 1961 et 1962). Il a lieu dans l’impasse Ronsin, à Paris, où elle vit déjà avec Jean Tinguely, pas loin de l’atelier de Constantin Brancusi. Plusieurs de ces tirs seront filmés par la télévision française. Le critique d’art Pierre Restany l’invite à rejoindre le mouvement des Nouveaux Réalistes. Quelques années après s’être sauvée de la folie avec des couleurs et des pinceaux, Niki l’autodidacte est l’une des artistes qui comptent aussi bien en France qu’aux EtatsUnis, l’une des protagonistes du pop français et international. Ce n’est qu’un début. Viendront bientôt les Mariées, d’énormes figures en grillage, plâtre, tissu, objets, couronnées par une petite tête chevelue, puis les Accouchements, puis les effigies qui portent d’abord des prénoms et qui s’appelleront les Nanas. A la fin des NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION, ALL RIGHTS RESERVED P armi les artistes les plus célèbres de la deuxième moitié du XXe siècle, Niki de Saint Phalle (19302002) suscite beaucoup de bienveillance et autant de malentendus. Ses Nanas colorées, joyeuses, géantes ou minuscules, sont aussi connues que les portraits d’Andy Warhol. Mais ce dernier provoque la méfiance à cause des prix exorbitants qu’atteignent ses œuvres sur le marché de l’art. Niki de Saint Phalle, parce qu’elle a décidé de confier son héritage à des fondations et à des musées, parce qu’elle a créé des jardins de sculptures et beaucoup travaillé pour l’espace public, n’est l’objet d’aucune spéculation financière. Elle est la première artiste femme a avoir atteint une telle renommée et ses œuvres dénoncent les méfaits du patriarcat au point qu’elle est considérée comme un porte-drapeau du féminisme. Pour ne dépendre de personne, elle a mené à bien avec ses propres deniers quelques-unes de ses œuvres les plus importantes, le Jardin des Tarots en Toscane par exemple. Elle s’est engagée dans de nombreux combats, contre la guerre américaine en Asie du Sud- NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION, ALL RIGHTS RESERVED NikideSaintPhalle,au-delàdelalégende «Niki de Saint Phalle en train de viser», 1972, photographie en noir et blanc rehaussée de couleur extraite du film «Daddy». «Grand Tir – Séance Galerie J», 1961, plâtre, peinture et objets divers sur panneau d’aggloméré, 143 x 77 x 7 cm. années 1960, Niki de Saint Palle est elle-même et rien ne lui résiste, ni les petites choses ni les grandes. Elle chevauche le cheval furieux de son temps sans rien en ignorer. Ce récit ressemble à un conte de fées, comme ceux qui peuplent l’œuvre de Niki, avec ses animaux magiques, ses sorcières ou ses elfes bondissants. Et à ces légendes de l’histoire de l’art qui racontent l’apparition d’un génie sorti de nulle part, la révélation d’une vocation au prix d’un accident ou d’un moment de folie. Niki de Saint Phalle n’est pas sortie de rien. Elle a subi la violence sexuelle d’un père et le succès social dû à sa beauté qui lui vaudra d’être à la une des magazines. Très tôt, elle côtoie des artistes avec son premier mari, l’écrivain américain Harry Mathews, qu’elle quittera en lui laissant ses enfants. Elle rencontre Jean Tinguely et crée des œuvres avec lui. Elle est au cœur de l’effervescence artistique à Paris comme aux Etats-Unis. Et dans ce monde presque exclusivement masculin, elle taille sa place à coups de serpe. Parmi ceux qui l’ont inspirée, Niki de Saint Phalle citait souvent Antonio Gaudí et le Facteur Cheval. Comme eux, elle est capable d’accumuler des objets trouvés ici et là pour engendrer des choses proliférantes. Cette prolifération n’est pas aléatoire car elle s’appuie sur des images qui lui servent de fil conducteur et permettent l’appréhension immédiate de ce qu’elle fait, comme le montre le joli dictionnaire Niki de Saint Phalle en 49 symboles de Lucia Pesapane, publié à l’occasion de cette exposition. Elle va chercher dans des profondeurs qui ne lui appartiennent pas ce qui lui permet de survivre. La légèreté de son œuvre est une apparence. Et sa joie, une politesse. Niki de Saint Phalle et le Nouveau Réalisme, Grand Palais, entrée Champs-Elysées, 75008 Paris. Rens. et réservations: www.grandpalais.fr. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10h à 22h (10h à 20h dimanche et lundi). Jusqu’au 2 février 2015. 33 SonsetLumières LE TEMPS DES SÉRIES TV Le sein de l’Eglise Par Nicolas Dufour Impulse,l’utopierevit Le label historique renaît avec Henry Butler et Steven Bernstein C’est l’heure des épreuves, à nouveau. Montrée ces jours par la RTS, et de retour sur sa chaîne commanditaire Arte dès le jeudi 2 octobre, la deuxième saison de Ainsi soient-ils démarre par des remises en cause. Les nouveaux séminaristes sont concernés, à travers un questionnaire, évoquant notamment leur sexualité, que l’église imposerait pour identifier les cas troubles. Devenu directeur des capucins, le Père Bosco (Thierry Gimenez) multiplie les démonstrations d’autorité, tout en faisant face à la pire des maladies et aux conséquences d’une chimio. Et les soucis financiers de la paroisse s’accroissent. Sans parler de l’avenir incertain du Père Fromenger (Jean-Luc Bideau), ancien directeur. Ce nouveau chapitre s’ouvre par des doutes et des béances. La série suscite toujours quelques débats, sur son réalisme ou non, à propos des clichés qu’elle recèlerait… Mais l’ensemble sonne toujours aussi juste, aussi cohérent. D’où vient l’intérêt du feuilleton créé par Bruno Nahon, David Elkaïm et Vincent Poymiro, même si l’on n’est pas spécialement grenouille de bénitier, ni intéressé par les états d’âme de curés potentiels? L’originalité du contexte joue dans l’attractivité de ces épisodes. Dans le paysage de la fiction TV, Ainsi soient-ils tranche par cet exotisme thématique. Cette audace, aussi, à empoigner une matière qui demeure malgré tout délicate. Sans jeu de mots graveleux, la manière dont les auteurs épousent leur sujet impose aussi le respect, et force l’attention. L’Eglise est ici mère attentive, attentionnée, mais aussi fouettarde, inquisitrice et, dans le même temps, empêtrée dans ses propres soucis jusqu’à se prendre les pieds dans la soutane. Le lien des jeunes à l’institution est détaillé avec une grande justesse. Le poids considérable de l’Eglise, son histoire et ses déchirures, apparaît sans cesse, croisé avec les espérances des novices, dont la foi, par la force des situations, est ébranlée. Au moment où le pape François jouit d’une popularité universelle et comme irrésistible, la série remonte aussi quelques étages de la maison ecclésiastique, au niveau des responsables, avec leurs soucis d’argent et d’image. Elle porte un regard critique sans verser dans l’outrance caustique. Ainsi soient-ils ne recherche pas à être une série de jeunes déboussolés, déguisée en histoires d’églises. Elle assume son biotope, elle l’arpente avec curiosité et distance. Une belle démarche. JAZZ Duke Ellington Meets Coleman Hawkins CLASSIQUE Philippe Jordan «Pathétique» de Tchaïkovski (EJC/Musikvertrieb) Wiener Symphoniker VVVVV VVVVV S’il s’agissait d’un règlement de comptes, on dirait que le duel est truqué: Hawkins, rien dans les mains sinon son saxophone, y affronte un Duke accompagné de… six de ses hommes (et non des moindres: Ray Nance, Lawrence Brown, Johnny Hodges, Harry Carney, Aaron Bell, Sam Woodyard) et armé de ses propres compositions. Mais c’est tout le contraire d’un combat: une sorte de rencontre amoureuse où, éperdus d’admiration, les deux géants tissent la toile d’une musique plus qu’humaine. Suréquipé, le Duke l’est non pour écraser un adversaire mais pour soutenir un ami, ce Hawk diminué en ce début des années soixante, et qui retrouve presque dans «Mood Indigo» et «Solitude» le degré d’inspiration de son légendaire «Body And Soul». Rien que ça. M. B. C’est un tout jeune label, qui ne décompte à ce jour que six enregistrements. Wiener Symphoniker, on s’en doute, se charge de promouvoir le patrimoine musical de l’orchestre éponyme, riche d’une prestigieuse histoire. La dernière parution en date, la seule aussi consacrée à un chef d’actualité, présente le tout nouveau directeur musical, qui prend ses fonctions le 2 octobre prochain: Philippe Jordan. Avec la célèbre 6e Symphonie «Pathétique» de Tchaïkovski, l’intronisation entend séduire le plus large public. La rigueur et la vitalité du jeu, la finesse des nuances (que la prise de son écrase ou enfle un peu trop parfois) et la qualité exceptionnelle de chaque pupitre placent d’entrée ce premier CD au rang des disques «historiques». Sylvie Bonier NOURRITURES ÉLECTRONIQUES Rodin sur Snapchat Par Jonas Pulver Le contact et le dialogue avec le jeune public? Voilà bien une préoccupation commune à la plupart des institutions culturelles – musées, orchestres classiques, bibliothèques, etc. Si les projets éducatifs occupent depuis longtemps une place de choix au sein des stratégies de communication, l’attention se porte désormais sur les plateformes les plus prisées des adolescents et des jeunes adultes. Ainsi du Los Angeles County Museum of Art (LACMA), qui s’est récemment fait remarquer en mettant en place une campagne sur Snapchat, le réseau social de partage de photos qui s’autodétruisent après quelques secondes. La composante éphémère et ludique de Snapchat en a fait une des plateformes préférées des 12-24 ans aux Etats-Unis: 43% d’entre eux s’y connectent une fois par jour au moins. Mais c’est plutôt pour y partager des clichés coquins, éventuellement à caractère sexuel, que pour s’informer sur la peinture classique ou l’art contemporain. Pour investir cet espace où on ne l’attendrait pas forcément, le LACMA a adapté le ton: les nus de Rodin semblent danser sur le RnB de Beyoncé, et les toiles abstraites balancent des formules d’argot. Le résultat est plutôt pétillant, mais une question demeure: la sculpture française ou le minimalisme américain sont-ils réellement appelés à dispenser du fun? C’est en tout cas ce que semblent penser le San Francisco Museum of Modern Art, le Blanton Museum, le Georgia Museum of Art et le Museum of Contemporary Art de Chicago, qui communiquent désormais également via le réseau social à images fugitives. Par Michel Barbey JAZZ Henry Butler-Steven Bernstein Viper’s Drag (Impulse/Universal) VVVVV R econnaissons qu’il y a eu des réanimations plus tièdes. Le label Impulse renaît de ses cendres, c’est la bonne nouvelle de cette année 2014, mais pas n’importe comment. En offrant le numéro un de ces nouvelles aventures à Henry Butler et Steven Bernstein, les artisans de cette résurrection marquent à la fois leur profond respect de l’Histoire, et leur détermination à en poursuivre le cours sans démériter. Explications à l’usage des moins érudits. Quand Impulse voit le jour en 1961, époque de bouleversements esthétiques majeurs, c’est pour véhiculer l’idée que le jazz, tout en étant une aventure en marche, a derrière lui des fondamentaux qui après un demi-siècle d’existence le conditionnent sans le scléroser. Les stars que signe Creed Taylor, puis très vite Bob Thiele passé aux commandes, se nomment Charles Mingus, Oliver Nelson, et surtout John Coltrane dans la phase la plus bouillonnante de son parcours. Soit des personnalités charismatiques pour lesquelles il ne saurait y avoir de dépôt de bilan d’une musique dont l’ivresse créatrice n’a d’égale que l’ancrage dans la tradition. Et pour que les choses soient encore plus claires, aux élucubrations superbement incontrôlables d’Albert Ayler, Pharoah Sanders ou Archie Shepp, on associe les ruminations passéistes apparemment déconnectées de toute actualité de Johnny Hodges ou Coleman Hawkins qui gravent pour le label estampillé «new wave» d’assez étonnantes galettes. Alors oui, Butler et Bernstein, l’association tombe sous le sens même si le pari n’était pas gagné. Henry Butler, on le (re)découvre ici sous son meilleur jour, c’est un vétéran de presque 70 printemps qui va droit au but, et qui sait surtout comment y aller sans ennuyer son monde par un discours de la méthode pompeux. Un anti-Wynton Marsalis, donc. Elève de George Duke puis de Roland Hanna, il ne perd pas de vue que, berceau du jazz, sa Nouvelle Orléans natale revitalise l’idiome d’Armstrong devenu celui d’Ayler chaque fois qu’il menace de se fourvoyer dans un intellectualisme sec. On le sent tout au long du disque disciple du Professor Longhair dont il a capté le «beat» déhanché, mais avec un goût des phrases ruisselantes que lui autorise une maîtrise instrumentale plus sûre que celle de son mentor. On n’en connaît à vrai dire pas beaucoup, des pianistes de blues capables d’ouvrir «Viper’s Drag» par une évocation d’Art Tatum, ou même d’un Cecil Taylor tombé dans le «gumbo». Quant à Bernstein, s’il apparaît moins ici comme trompettiste que comme organisateur-architecte de la séance, il s’en acquitte en homme affranchi des chapelles stylistiques et de tout conformisme. Paraphrasant le vieux style ou réinventant Jelly Roll Morton, il le fait sans complaisance réactionnaire. On pense plutôt, en moins extrême, aux injections de fanfares néoorléanaises jadis pratiquées par Ayler sur une thématique ouvertement free, ou à la façon dont Sun Ra, hôte occasionnel du label, s’emparait soudain d’un thème suranné de Fletcher Henderson. PUBLICITÉ (Photo: Priska Ketterer/LUCERNE FESTIVAL) Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDIxNwMARjijLQ8AAAA=</wm> <wm>10CFWKrQ6AMAwGn6jL167tNirJHEEQ_AxB8_6KH8cllzO3LGEJn3Nf976FVatMgGjxMNUkJlFySUANNHYB68SuFeXh9z_xrJDxPoRG7IOdBIQ8xFu6jvMGdX_AWHIAAAA=</wm> LUCERNE FESTIVAL AU PIANO 22 – 30 novembre 2014 Des concerts inoubliables avec des grands pianistes Pierre-Laurent Aimard | Benjamin Grosvenor | Marc-André Hamelin | Martin Helmchen | Ievgueni Kissine | Paul Lewis | Mahler Chamber Orchestra, Leif Ove Andsnes | Sophie Pacini | Maurizio Pollini | Vestard Shimkus ... et de longues nuits de jazz dans les plus beaux bars de Lucerne Piano Off-Stage 25 – 30 novembre 2014 Billets et renseignements sur le programme complet: +41 (0)41 226 44 80 | www.lucernefestival.ch | Points de vente Les billets pour le festival de Pâqu es 2015 seront mises en vente à partir du 10 nov 2014 Sponsor principal 34 Actualité Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 BorisCyrulnik,lanécessitéd’êtrepsychiatre KEVIN CURTIS/KEYSTONE Il y a cinquante ans encore, on disait des fous qu’ils étaient incurables. Dans son dernier livre, le neuropsychiatre français raconte l’évolution de son métier Par Rinny Gremaud L es yeux fermés. Pour mieux se rappeler, mieux penser et articuler. De son propre aveu, Boris Cyrulnik préfère les interviews téléphoniques, parce qu’il peut y répondre les yeux fermés. Alors on l’imagine, tête renversée, souvenirs affleurant à l’arrière des paupières, rideaux tirés sur la pluie battante. A Toulon, d’où il nous parle, le temps est maussade. Après Sauve-toi, la vie t’appelle, paru en 2012, Boris Cyrulnik publie Les Ames blessées, deuxième tome de ses mémoires. L’enfant juif rescapé des rafles a grandi pour devenir neurologue, la discipline universitaire qui, à l’époque, s’apparente le plus à la psychiatrie. Dans ce livre, qui se lit comme un journal de bord, Boris Cyrulnik raconte son parcours professionnel singulier, à la marge d’une spécialité médicale qui doit tout à l’après-68. AFP Samedi Culturel: A l’âge de 11 ans déjà, vous disiez vouloir devenir psychiatre. C’est d’autant plus étonnant que la spécialité n’est alors, dans l’immédiat aprèsguerre, pas très connue. Boris Cyrulnik: Oui, cette vocation précoce s’explique sans doute par la nécessité de comprendre ce qui venait de m’arriver, la disparition de mes parents, mon arrestation – pourquoi avait-on voulu me tuer? Je croyais que la psychiatrie allait m’aider à comprendre la «folie» du nazisme. Comprendre l’adversaire pour mieux le maîtriser, c’était ma seule liberté. Je constate surtout que je ne suis pas le seul à l’avoir cru: je le vois autour de moi, parmi les juifs qui ont connu une enfance semblable, on trouve un nombre anormalement élevé de psychiatres et de psychanalystes. Au début de votre carrière, les hôpitaux psychiatriques sont encore des lieux d’enfermement, les fous dorment sur des litières de paille, on lobotomise à tour de bras… On a l’impression que c’était il y a plus d’un siècle. Quand je le raconte aux jeunes qui débutent aujourd’hui, ils n’en croient pas leurs oreilles. Oui, j’ai eu la chance d’assister, et de participer un peu, à la naissance de la psychiatrie moderne. C’est ce dont j’ai voulu témoigner dans ce livre. Avant les années 70, les médecins qui travaillaient en hôpitaux psychiatriques avaient pour mission de soigner la pneumonie du fou, mais pas sa folie, puisque cette dernière était alors considérée comme incurable. Les asiles avaient d’abord pour vocation d’éloigner les fous, de protéger les non-fous. Ceux qui y entraient n’en ressortaient jamais. A quel moment cela a-t-il changé? L’apparition des neuroleptiques a été une révolution. En l’espace de quelques mois, les soignants, les familles, ont cessé d’avoir peur des malades. Tout d’un coup, en calmant leur agitation, il était devenu possible de leur parler. Aujourd’hui, les jeunes psychiatres encouragent les familles à participer aux soins. Et cela contribue au mieux-être de tout le monde. Dans une famille, lorsque survient un cas de schizophrénie ou d’Alzheimer par exemple, on constate quatre fois plus de dépression dans l’entourage que dans la population générale. Lorsque la famille est impliquée dans les soins, ces dépressions diminuent de moitié. Les malades, eux, ont besoin de deux fois moins de neuroleptiques, rechutent moins, et ressortent de l’hôpital en meilleur état. Vous décrivez mai 68 comme une période à la fois fertile sur le plan des idées, et extrêmement dogmatique. Le grand bénéfice de 68 a été de faire entrer la psychanalyse à l’université. La noblesse de cette discipline a été d’avoir mis un terme aux théories de la dégénérescence, cette forme de nazisme théorique qui avait survécu à la La folie n’est plus une condamnation à vie. La chimie et la psychanalyse ont permis des progrès pour le mieux-être des malades. ARCHIVE guerre. Dans mon enfance, j’ai personnellement subi une craniométrie, censée mesurer mon intelligence. Avec les neuroleptiques, la psychanalyse a été l’autre progrès qui a permis l’avènement de la psychiatrie moderne. Malheureusement, tout cela a tourné au dogmatisme: pour les uns, seule la psychanalyse pouvait tout expliquer, tandis que pour les autres, les médicaments allaient tout guérir. Ces deux progrès sont devenus des pensées totalitaires. Nous étions sommés de choisir notre camp, le divan ou la pharmacie. Ces conflits de chapelle ont longtemps empoisonné notre métier. Vous n’avez jamais choisi un camp, et au contraire, toujours milité pour une recherche à la frontière des disciplines. Ce qui vous a conduit à l’éthologie. Vers l’âge de 15 ans, j’ai commencé à lire à la fois Sigmund Freud et Harry Harlow. Freud donnait une vision nouvelle de l’intime, mais il lui manquait l’aspect expérimental. De mon point de vue, les observations que Harlow menait sur les animaux permettaient de confirmer ou d’infirmer les théories de Freud. Pour moi, les deux, ensemble, étaient indispensables. L’éthologie animale a toujours eu du mal à s’imposer comme une discipline majeure. Elle a fini par être reconnue, grâce notamment à Konrad Lorenz et Nikolaas Tinbergen. Mais contrairement aux psychanalystes, par exemple, les éthologues n’ont jamais réussi à s’organiser en lobby, à s’imposer sur le plan politique. Aujourd’hui, leurs laboratoires ferment les uns après les autres. Pourtant, l’éthologie est à l’origine de la théorie de l’attachement. C’est un apport essentiel et largement reconnu. Plus encore, cette théorie a inspiré des lois, comme en Europe du Nord, qui favorisent l’instauration d’un attachement sécure entre l’enfant et ses parents, avec notamment des congés parentaux de longue durée. Une niche sensorielle et affective sécurisante permet à l’enfant de se sentir en confiance et stimule ses facultés d’apprentissage. Le confort ressenti par les mères durant les dernières semaines de la grossesse et les premiers mois de vie peut être directement corrélé au taux d’illettrisme et aux résultats scolaires. En cinquante ans de pratique, vous avez assisté à l’évolution spectaculaire de la psychiatrie. A votre avis, en quoi doit-elle encore progresser? Je suis heureux de voir qu’aujourd’hui la culture encourage la pluridisciplinarité. Les jeunes qui entrent dans ce métier aujourd’hui sont beaucoup moins spécialisés et dogmatiques. Actuellement, je travaille dans des groupes de recherche réunissant des gens de toutes les disciplines. Par exemple, nous sommes en train de filmer la manière dont une psychothérapie modifie la structure du cerveau. De telles expériences auraient été impossibles, sur le plan idéologique, il y a quelques décennies encore. Ce sont ces progrès dont je me réjouis. Panorama Une Cité de la musique qui fera vibrer Genève Une nouvelle fondation vient de voir le jour pour assurer la création d’un grand complexe musical avec salle de concerts contemporaine Grande nouvelle pour Genève: une salle symphonique est en projet, assortie d’un complexe musical unique. On doit cette magnifique idée à un quatuor de passionnés de musique classique qui ont réuni leurs forces au sein d’un tout nouvel organisme: la Fondation pour la Cité de la musique de Genève (FCMG). Celle-ci a été constituée le 3 septembre et vient d’être inscrite au registre du commerce, le 16 septembre. Elle a pour but la construction en ville d’une structure architecturale d’envergure, capable d’héberger l’Orchestre de la Suisse romande et d’accueillir de grandes formations internationales dans une salle de concerts contemporaine qui répond aux exigences symphoniques actuelles. Mécène anonyme Mais le projet s’avère plus étendu encore. Il est censé pouvoir accueillir les locaux de la Haute Ecole de musique (HEM) et toutes les infrastructures nécessaires au bon fonctionnement de cette prochaine Cité de la musique, ainsi que tous autres locaux utiles à son rayonnement. Les quatre membres de la fondation viennent du monde classique, ou en sont proches: le président, Bruno Mégevand, avocat, est président de la Société Gustav Mahler. On connaît le vice-président, David Lachat, avocat lui aussi, actif au sein de la HEM et au bureau du Conseil de la Fondation de l’OSR. Le codirecteur de l’agence Caecilia, Steve Roger, qui a été désigné secrétaire, et le directeur général de l’OSR, Henk Swinnen, complète l’équipe. Le financement de cette grande aventure sera entièrement assumé par des mécènes, dont le plus généreux, qui tient à l’anonymat, devrait soutenir le projet de bout en bout. Joints au téléphone jeudi soir, les membres de la fondation n’ont pas tenu à communiquer actuellement. Il n’en demeure pas moins qu’une véritable révolution classique est en train de se profiler à Genève. Le Victoria Hall, construit il y a 125 ans pour une harmonie ne correspond plus depuis des années, malgré divers aménagements, aux nécessités des grandes phalanges symphoniques. Il continuera à recevoir des concerts et manifestations en rapport avec sa jauge, le charme de ses dorures et son acoustique très flatteuse. Partant, la nouvelle Cité de la musique, dont on ne connaît à ce jour ni le prix, ni l’emplacement, ni la capacité de la salle, ni le projet architectural souhaité ambitieux et très contemporain, s’impose avant même d’exister comme un signal très fort pour la réputation culturelle de Genève. Les détails de ce grand cadeau ne tarderont pas à être révélés. Sylvie Bonier Prix Danse Palmarès culturel vaudois Carlotta Ikeda s’en est allée La Fondation vaudoise pour la culture a remis ses prix samedi matin à Lausanne. Le cinéaste Lionel Baier reçoit le Grand Prix 2014, doté de 100 000 francs. Les autres prix sont dotés chacun de 20 000 francs. Du chorégraphe Gil Roman à l’acteur Michel Voïta, découvrez les lauréats de la cuvée 2014 sur www.letemps.ch. (LT) La chorégraphe japonaise, voix féminine du butô, Carlotta Ikeda est décédé mercredi à Bordeaux où elle avait installé sa compagnie Ariadone. En réinventant la tradition à l’aide d’un vocabulaire contemporain, l’artiste, née en 1941 à Fukui, au Japon, a inscrit son style unique dans la lignée des grands créateurs butô. (LT) Squat Littérature Le site du Tacheles vendu La page genevoise de Maurice Zermatten Le Tacheles, ex-squat d’artistes emblématique du Berlin bohème et désargenté, évacué en 2012, a été vendu pour 150 millions d’euros à un fonds d’investissement. Occupé en 1990, le Tacheles était l’un des derniers squats de Berlin qui avaient fleuri après la chute du Mur, en 1989. (AFP) Les archives de l’écrivain valaisan Maurice Zermatten, décédé en 2001, ont été déposées vendredi à la Fondation Bodmer à Cologny. Le fonds est composé de manuscrits, de correspondances, d’articles, de textes inédits ainsi que de documents audiovisuels. (LT/ATS) l Samedi 27 septembre 2014 Roman LeonardoPadurarend hommageauxhérétiques Poche Un tableau de Rembrandt sert de fil rouge à l’écrivain cubain pour raconter le destin d’une famille juive Un père excentrique, amateur de devinettes «Le Dilemme du prisonnier», de Richard Powers, livre les clés de l’univers du romancier américain Roman Les tribulations d’un architecte suisse Arnon Grunberg saisit le vertige de l’individu dépassé devant l’énorme machinerie du monde globalisé Nouvelles Ces moments où tout aurait pu basculer Ecrivain lausannois, Julien Bouissoux signe un recueil de nouvelles où neuf personnages vacillent et changent RANDOM HOUSE Roman La violence en tête André Brink s’inspire de ses ancêtres afrikaners CARACTÈRES Mémoires du crime Par Emmanuel Gehrig La Maison de la paix, centre du nouveau campus de l’Institut international de hautes études et du développement de Genève, recevait Saul Friedländer mardi soir pour une leçon d’ouverture de l’année académique. L’occasion de remettre à cet historien de renom le prix Edgar de Picciotto, du nom du banquier et mécène genevois qui a financé la résidence d’étudiants de l’Institut. Auteur d’une histoire globale marquante sur la Shoah, Saul Friedländer a rappelé que c’est ici qu’il a obtenu son doctorat d’histoire en 1963, et qu’il y a enseigné pendant 20 ans – non pas dans ces bâtiments tout en verre du quartier des Nations, mais dans la bucolique Villa Barton au bord du lac. Histoire et mémoire sont souvent en conflit, Saul Friedländer le sait mieux que quiconque, lui qui a été membre de la Commission Bergier. Dans sa leçon mardi, il décrivait comment s’est construite la mémoire allemande de l’Holocauste depuis 1945. Et l’on se rend compte à quel point l’histoire est dépendante du contexte où vivent ceux qui la racontent. Dans les années cinquante-60, les Allemands de l’Ouest, qui avaient connu le nazisme, disaient vouloir tourner le dos au passé, aller de l’avant. Certes, il y avait eu l’horreur, les camps… mais aussi les bombardements alliés sur Dresde ou Potsdam. L’ère était à la communion contre la tyrannie, et les juifs n’étaient pas particulièrement cités. Quant aux dirigeants de l’Allemagne de l’Est, ils se voyaient, en tant que communistes, totalement dédouanés du IIIème Reich, et accusaient élégamment la voisine fédérale de n’être qu’un avatar hitlérien. La conscience de la responsabilité collective des crimes nazis, et du génocide des juifs, est venue à partir de la génération née pendant la guerre, qui s’est mise, dans les années soixante-dix, à interroger ses parents. Et selon Friedländer, le déclencheur a été Hollywood, dont les premiers films (dès 1978) ont provoqué une onde de choc en Allemagne. Pourquoi n’en avons-nous jamais entendu parler?, disaient les jeunes. Une «culture de l’Holocauste» est née, qui ne va cesser de grandir. Jusqu’à la saturation? «A la fin des années quatre-vingt-dix, observe l’historien, le thème était déjà usé» Au point qu’aujourd’hui, l’heure est à l’affaissement du débat sur les responsabilités. On en revient aux Allemands «tous victimes», et dans les familles il est courant de dire que «grand-père n’était pas un nazi». La disparition des témoins, l’effacement de la mémoire privée ne met pas l’histoire à l’abri des affabulations ou des mythologies. C’est cette mise en garde que nous offre Saul Friedländer, le vigilant historien. Futur antérieur Le poète Mario Luzi interroge la barbarie L’auteur décrit comment Hypatie, philosophe d’Alexandrie, fut assassinée sauvagement en 415 par les chrétiens Essai littéraire Franz Kafka, intime Saul Friedländer raconte la vie intérieure de l’écrivain 36 Effeuillage Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 > Le poche de la semaine «Quelque part, mon père nous enseigne le nom des constellations» ux Etats-Unis, Richard Powers est sans doute le romancier le plus inventif de ces deux dernières décennies et c’est à Boston – où il était programmateur en informatique – qu’il a commencé à écrire, au seuil des années 1980, après avoir découvert les photos d’August Sander dans le musée de cette ville. L’une d’entre elles lui inspira son premier roman, Trois fermiers s’en vont au bal, où un simple cliché sert de déclic à une hallucinante peinture de l’Europe du début du XXe siècle, lorsque ses vieilles assises furent ébranlées par la guerre. Publié en 1988 aux Etats-Unis, Le Dilemme du prisonnier est le second A roman de Powers, qui rétrécit cette fois sa focale en puisant dans sa propre biographie. Au cœur du récit, un homme qui est le sosie du père de Powers: Eddie Hobson, chef de famille merveilleusement excentrique qui pourrait sortir d’une fantasy à la Lewis Carroll. Ancien soldat – il a perdu un frère à la guerre –, ex-prof d’histoire dans l’Illinois, ce Docteur Jekyll né en 1926 dissimule constamment son vrai visage en ne s’adressant à sa progéniture que par énigmes, des joutes oratoires – et quotidiennes! – où ses quatre enfants seront éduqués à grand renfort de jeux d’esprit, de casse-tête mentaux et autres devinettes sibyllines. Mais au-delà des confidences sur ce père dont Powers allait s’inspirer dans ses futurs romans, Le Dilemme du prisonnier est un portrait de l’Amérique, un panorama où l’auteur du Temps où nous chantions évoque aussi bien l’Exposition universelle de New York que les premiers essais nucléaires au Nouveau-Mexique, avec des zooms remarquables sur l’industrie du divertissement outre-Atlantique, lorsque Walt Disney détrôna l’Oncle Sam. Un livre précieux, parce que nous y découvrons l’intimité de Powers – et la source affective de toute son œuvre. André Clavel ROMAN Richard Powers Le Dilemme du prisonnier Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Yves Pellegrin 10/18, 526 p. VVVVV > Marque-page Du 2 au 5 octobre, Poésie en ville invite, entre autres belles plumes et voix, Fernando Arrabal (3 oct.) et Anne Waldman (4 oct.) pour une immersion poétique et sonore aux Bains des Pâquis, lieu central du festival. Tout le programme sur le site www.ville-geneve.ch > La Fondation Pierrette Micheloud remet son Grand Prix de poésie au poète Marc Alyn, le 7 octobre au Bourg à Lausanne, à 19h (rens. www.fondation-micheloud.ch). > Homme de théâtre et poète, Armand Gatti lit «Ton nom était joie», hommage à sa mère Laetizia. La lecture est suivie de la projection du film documentaire Le Lion, sa cage et ses ailes. Théâtre ABC, rue du Coq 11, La Chaux-de-Fonds, 19h (rens. www.abc-culture.ch). PUBLICITÉ Partenaire média Rolle, Suisse - Saison 2014/2015 2 OCTOBRE 2014 Royal Philharmonic Orchestra Charles Dutoit : direction Francesco Piemontesi : piano www.roseyconcerthall.com 24 AVRIL 2015 Cordes du Berliner Philharmoniker Emmanuel Pahud : flûte, Paul Meyer : clarinette, Daishin Kashimoto : violon, Maja Avramovic : violon, Joachin Riquelme Garcia : alto, Stephan Koncz : violoncelle 18 NOVEMBRE 2014 Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg 12 MAI 2015 Yuri Temirkanov : direction Nikolai Lugansky : piano Hélène Grimaud, piano 2 DÉCEMBRE 2014 10 JUIN 2015 Ciné-Concert : Charlie Chaplin, Le Cirque Orchestre de Chambre de Genève Philippe Béran : direction De Wolfgang à Benny Paul Meyer : clarinette, direction et commentaires Quatuor à cordes Gémeaux, Contrebasse, Batterie, Piano Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 37 Enexergue AndréBrinkpuise àlaviolencede saproprefamille Pour écrire «Philida», le romancier sud-africain s’est basé sur le drame d’une esclave employée par ses ancêtres Cornelis et François Brink PHILIPPE MATSAS/OPALE Par André Clavel ROMAN André Brink Philida Trad. de l’anglais par Bernard Turle Actes Sud, 380 p. VVVVV N elson Mandela a dit qu’André Brink avait changé sa vision du monde mais celui qui, depuis la première heure, a farouchement combattu la discrimination raciale n’est pas seulement un guide spirituel: sur le plan littéraire, il est un véritable monument. Pétrie dans la chair et dans l’âme de l’Afrique du Sud, son œuvre embrasse le destin de ce pays dans toutes ses dimensions, un pays qui l’a pourtant cruellement censuré – l’un de ses meilleurs romans, Au plus noir de la nuit, a la triste caractéristique d’être le premier livre en afrikaans à avoir été interdit sous l’apartheid, en 1975. Pour mieux comprendre les multiples engagements de Brink, il faut lire un ouvrage capital, réédité ce mois-ci dans la collection Babel, Mes Bifurcations, des Mémoires qui sont aussi le portrait de toute une génération, sur le plan civique et intellectuel. En même temps, voici le nouveau roman de Brink, Philida, qui remonte aux années les plus troubles et les plus décisives de l’Histoire sud-afri- caine, juste avant l’abolition de l’esclavage – en 1833. Conjuguant chronique sociale et réquisitoire politique, ce récit magistral ressemble à une descente aux enfers et, pour en jeter les fondations, son auteur a puisé dans les archives de sa propre famille puisqu’il met en scène deux de ses ancêtres, Cornelis Brink et son fils François. Ils gèrent un modeste domaine agricole, quelques arpents de vignes nichées au cœur de l’Afrique du Sud, à Zandvliet, «des montagnes partout, aussi loin que l’œil voit». Tout commence en 1824, lorsqu’une esclave aux doigts de fée, Philida, est achetée à un négrier pour servir comme tricoteuse chez les Brink. Elle y rejoint d’autres parias que l’on traite à coups de trique et le romancier, d’emblée, se glisse dans la peau de cette jeune captive dont il va évoquer les multiples tourments, sous son gibet de servitude, dans une époque cauchemardesque. «Je ne suis jamais celle qui décide où aller et quand aller. C’est toujours eux. Jamais moi. Je suis un tricot tricoté par quelqu’un d’autre», lance Philida qui raconte comment, à l’abri des regards, dans un taillis d’épais bambous, François Brink ne cessera de la trousser «avec sa chose». Il lui fera quatre enfants – deux seulement survivront – avant de lui promettre de l’affranchir. Mais son tortionnaire de père en a décidé autrement. Il veut qu’il épouse une Blanche du Cap – dont la dot lui permettra d’éponger ses dettes – et, afin de le disculper, il fait violer Philida par deux esclaves qu’il accusera d’être les géniteurs de ces enfants – une scène effroyable où elle est livrée à la pire sauvagerie, «comme un agneau au sacrifice». C’est une femme brisée qui, au comble de l’humiliation, finira , André Brink Extrait d’un entretien accordé à «Lire/L’Express» en 2010 «La violence était toujours là, même si, plus jeune, je voyais mon enfance comme une époque dorée, heureuse. Plus tard, l’écriture m’a fait prendre conscience de cette violence spectaculaire… et feutrée» par aller porter plainte auprès du grootbaas, sorte de juge censé protéger les esclaves – à condition qu’ils aient reçu plus que trenteneuf coups de fouet, la limite admise par une juridiction aussi ignoble que fantoche. Mais Philida sera aussitôt éconduite et devra retourner au domaine avant que Cornelis Brink ne décide de s’en débarrasser. «Cette femme, dira-t-il, représente désormais une menace pour nous. Nous, le navire des Brink, avons toujours navigué contre vents et marées mais elle a percé un trou dans notre coque. Elle doit être expulsée de notre sein et être revendue, le plus loin possible dans le haut pays.» Lorsque Philida quitte son bagne de Zandvliet pour être vendue aux enchères – 123 livres, 2 shillings et 6 pence –, François Brink semble désemparé. Malgré ses trahisons, malgré sa lâcheté et ses fausses promesses, il s’était at- taché à elle – un amour impossible, dans un tel contexte – et son fantôme, désormais, ne cessera de le hanter, sans «jamais lâcher son emprise». Comme s’il était devenu l’esclave de la trop belle esclave, dans un scénario où l’auteur de Un Turbulent Silence finit par inverser les rôles en infligeant ce diabolique châtiment à son propre ancêtre… Quant à Philida, elle débarquera chez ses nouveaux maîtres, à Worcester, où l’attend son sauveur: Labyn, un vieux compagnon de galère qui va l’initier à l’islam tout en lui apprenant à lire et à écrire. «A l’intérieur de moi, je suis libre», dira-t-elle alors que, de ferme en ferme, se répand la rumeur d’une imminente émancipation des esclaves. Brink leur rend leur dignité dans ce récit où son héroïne, en brisant peu à peu ses entraves, incarne à la fois le calvaire, la lutte et la rédemption de tout un peuple. Mais Philida est aussi une remarquable enquête sur la société sud-africaine des années 1820-1830, avec une construction qui entremêle les voix des principaux personnages: une sorte de chœur où la langue, somptueuse et expiatrice, endigue le flot des larmes au fil d’histoires qui ne cessent de s’imbriquer les unes dans les autres, comme les brins de laine que tisse Philida. Ce travail, dira cette Antigone du veld, «ressemble à parler» et sa confession prend alors une autre dimension: un éloge du Verbe libérateur dans un monde bâillonné. «Parler, ajoutera la lumineuse Philida, c’est prendre des tas de mots, les réunir comme des mailles sous une aiguille et, tout à coup, tu te retrouves à dire ce qui était pas là avant. C’est une espèce de magie dans ta bouche.» Une vie et des livres André Brink 1935 Naissance d’André Brink. Descendant de colons boers, il grandit dans une famille afrikaner. Licencié d’afrikaans et d’anglais, il étudie la littérature comparée à la Sorbonne. Sa rencontre à Paris, au tournant des années 1960 avec des étudiants noirs, lui fait prendre conscience du racisme, de la violence de l’apartheid et de la nécessité de s’engager. Un second séjour à Paris en 1967-68 renforcera ses convictions. C’est en 1973 qu’il publie son premier livre, Au plus noir de la nuit, qui sera censuré en Afrique du Sud. Au plus noir de la nuit, Stock, 1976 Un Instant dans le vent, Stock, 1978 Rumeurs de pluie, Stock, 1979 Une Saison blanche et sèche, Stock, 1980, Prix Médicis étranger Un Turbulent Silence, Stock, 1982 Etats d’urgence, Stock, 1988 Un Acte de terreur, 2 tomes, Stock, 1991 Retour au Luxembourg. Littérature et politique en Afrique du Sud, Stock, 1999 Le Vallon du diable, Stock, 1999 Les Droits du désir, Stock, 2001 L’Amour et l’Oubli, Actes Sud, 2006 La Porte bleue, Actes Sud, 2007 Mes Bifurcations, Actes Sud, 2010 >> Consultez les critiques littéraires sur Internet www.letemps.ch/livres 38 Fiction Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 Les tribulations d’un architecte suisse dans un monde global indien de son nom en se faisant appeler Sam. Si les ingrédients de ce roman ont quelque chose de la caricature, son intrigue s’apparente à une démonstration. Celle-ci s’articule en deux actes. Le premier s’ouvre lorsque Sam est sélectionné pour bâtir un opéra à Bagdad. Le second, lorsque l’Emirat de Dubaï commandite à son bureau d’architectes zurichois une bibliothèque nationale, doublée d’un bunker dont les plans doivent être gardés secrets. Deux mandats à l’allure prestigieuse et aux dessous obscurs. Très vite, l’incongruité des projets éclate au grand jour (qui donc écoute Puccini à Bagdad?), tandis que se dessinent en exergue les froids calculs d’une mondialisation galopante, entre utopie et vaste manipulation politico-terroriste. L’auteur brosse un sombre tableau du Moyen-Orient dans lequel l’Occidental apparaît en candide voltairien: sa bonne volonté fournit une raison de plus pour le briser. ROMAN Arnon Grunberg L’Homme sans maladie Trad. du néerlandais par Olivier Vanwersch-Cot Héloïse d’Ormesson, 256 p. VVVVV Le Néerlandais Arnon Grunberg n’en est pas à son premier coup. Une douzaine de romans, de nombreuses nouvelles, reportages et essais, bref, autant de textes qui s’appliquent à relater le vertige de l’individu dépassé par l’énorme machinerie du monde globalisé. Son dernier opus traduit du néerlandais en français, L’Homme sans maladie réinterprète le titre de Musil pour déployer un de ces scénarios à la logique intriquée qu’affectionne cet auteur de 43 ans: entre la Suisse, l’Irak et les Emirats, son personnage bascule d’un régime à l’autre, précipité qu’il est dans des situations exagérément tordues. Faut-il le préciser? La dégringolade et la collision de visions du monde sont la signature de ce Néerlandais installé à New York. Par Lisbeth Koutchoumoff , Julien Bouissoux «Une Autre Vie parfaite», p. 35 ROMAN Julien Bouissoux Une Autre Vie parfaite VVVVV Rapides et efficaces, les phrases d’Arnon Grunberg embrassent une immédiateté que renforce l’usage du présent. Mais ici la rigueur du verbe se distancie du sujet pour inséminer une dose de cynisme glacial dans le récit. La chute de Sam en est d’autant plus vertigineuse. Humiliation, incarcération, cruauté et faux espoirs: comme dans les contes, les mésaventures se répètent, sans pourtant dégager de morale en leçon de vie. Reste la désillusion. Ce faisant la narration, sous couvert de précision, va jusqu’à rouler le brave lecteur, gardant cachés jusqu’aux dernières pages des secrets accablants. Elisabeth Jobin Ici, l’infortune prend pour cible le jeune Samarendra Ambani, que définissent trois qualités: sa nationalité, suisse; sa profession, architecte; et sa santé, parfaite. Des avantages qui, pense-t-il, le tireront toujours d’affaire. Il s’efforce d’ailleurs d’incarner le prototype même du Suisse: «Propre, fiable, neutre, discipliné, coopératif», et dissimule l’exotisme L’écrivain et scénariste lausannois signe «Une Autre Vie parfaite», un recueil de nouvelles où chaque personnage se tient sur le bord d’un basculement hors de son existence. Neuf romans miniatures où les émotions sonnent juste L’Age d’Homme, 112 p. Une dose de cynisme glacial Un jeune Suisse de qualité JulienBouissouxexplorecette envielancinanted’uneautrevie possible,audétourduchemin >> Consultez les critiques littéraires sur Internet www.letemps.ch/livres PUBLICITÉ Julien Bouissoux sait poser les atmosphères, tracer les silhouettes, faire flotter les menaces, les fatigues, les abattements. Et puis laisser entrevoir autre chose. Que fera le personnage de cet espoir, de cette lumière, de ce changement? Une Autre Vie parfaite réunit neuf destins aperçus le temps de quelques pages, neuf personnages très différents mais qui ont tous en commun d’être ou d’avoir été piégés dans un travail, une ville, une famille, un jardin, une soirée entre amis, un week-end à la plage et de voir venir le moment où ils pourraient en sortir ou simplement changer de perspective. Julien Bouissoux a cinq romans derrière lui (dont Une Odyssée et Voyager léger, L’Olivier 2006 et 2008). Vivant à Berne, né en Auvergne, il a aussi signé une douzaine de scénarios dont Les Grandes Ondes (à l’ouest) de Lionel Baier. Il vient de recevoir le Prix Fems doté de 100 000 francs par la Fondation Sandoz pour écrire son prochain roman qui aura pour héros le personnage de Janvier, un employé modèle, oublié du siège de son entreprise, qui se retrouve du coup livré à la plus totale liberté. «Etienne fait un signe à sa mère. A cinq ans, on ne pense pas encore à fuguer. Il sourit. Entre mes doigts je sens sa main impatiente. Il est heureux de retourner auprès du fantôme de ses parents et de ce faux père qui ne peut plus le porter» Ce personnage apparaît déjà dans Une Autre Vie parfaite. La nouvelle, baptisée «Janvier», dispose de tous les atouts pour être développée en roman. Janvier a son bureau dans une impasse, assez loin du siège. De restructuration en redécoupage et de changement d’organigramme en renouvelle- ment d’objectifs, l’antenne de Janvier a été complètement oubliée. Quand le récit débute, Janvier ne reçoit plus de dossiers depuis six mois. Au début, il s’était préparé à recevoir sa lettre de licenciement d’un jour à l’autre. Il avait consciencieusement rangé son bureau. Mais personne ne lui avait de- mandé de vider les lieux. Il était donc devenu une sorte de passager clandestin de son entreprise. Outre l’arrosage de la plante verte, un guzmania d’une taille assez considérable, Janvier observe les heures passer et écrit des poèmes, beaucoup de poèmes. Il lit toujours le journal de l’entreprise qui lui parvient encore. On sent bien que c’est cette position, à la fois à l’extérieur du système mais malgré tout encore dedans, qui fait de Janvier un personnage idéal pour questionner nos fonctionnements. Dans «Un Homme à la mer» (qui a inspiré la couverture du livre signée Laura Cocchi), un homme se laisse littéralement emporter sous prétexte d’aller chercher un ballon d’enfant parti au loin dans la Manche. Une façon radicale de fuir un week-end pénible. Les récits à la première personne dominent dans le recueil. «Valet parking» est écrit à la troisième personne. Une ville américaine, le parking d’un restaurant. Vandrisse s’occupe de parquer les voitures des clients. Les bruits de la ville immense, ceux de la nuit, le silence opaque des voitures de luxe, la lassitude d’un travail qui écœure Vandrisse jusqu’aux larmes. Julien Bouissoux suggère tout juste, au détour des gestes répétés, des dialogues vains ou énervés entre collègues. Et puis, à la toute fin du service, une lueur. La façon dont l’auteur fait naître l’espoir chez son personnage, le temps d’un trajet en voiture, est subtile et maîtrisée. La fin n’en est que plus cruelle. Le recueil est construit sur une dynamique qui va crescendo jusqu’au dernier récit, «Le tour du propriétaire», chronique d’une libération avec vue sur tous les possibles. Dans la fournaise des champs de coton <wm>10CAsNsjY0MDQ20jUyMzM1NAAAQHBGYg8AAAA=</wm> polygone.ch <wm>10CFXKoQ7DMAxF0S9y9F5iu_EMq7CoYBoPmYb3_2jtWMHVJWfOtIJ_-zhe45kEW5XqbkSeK2pbNu_FoImgV1AfNA1aD715Abwp6rqMIIS-aKJdmq3No3zfnx-S8oAQcgAAAA==</wm> RÉCIT James Agee Une Saison de coton Photographies de Walker Evans Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Borraz Christian Bourgois, 190 p. VVVVV 21 mars 2014 –11 janvier 2015 Du marDi au Dimanche De 10h00 à 17h00 musées 29 ch – 2301 La chaux-De-FonDs www.mih.ch En 1936, le magazine américain Fortune envoie le romancierpoète James Agee (1909-1955) au cœur de l’Alabama, afin d’enquêter sur les conditions de vie des métayers travaillant dans les plantations de coton. En compagnie du photographe Walker Evans, celui qui recevra le Prix Pulitzer à titre posthume – en 1958 – va séjourner plusieurs semaines dans trois familles emblématiques de bien d’autres, en s’efforçant de comprendre de l’intérieur comment elles affrontent leur sort. A cause de sa virulence, le reportage d’Agee sera refusé par Fortune, et on le croyait à tout jamais perdu, avant qu’il ne soit miraculeusement exhumé en 2012, accompagné d’une trentaine de photos de Walker Evans. Réquisitoire Profondément bouleversé par ce qu’il observe dans la fournaise de l’Alabama – une surenchère de souffrances et d’injustices –, Agee donne, dans ces neuf chapitres aux allures de réquisitoire, une image terriblement sombre du capita- lisme, machine à broyer les corps et les âmes dans l’indifférence générale. «Une civilisation qui, pour quelque raison que ce soit, porte préjudice à une vie humaine ne mérite ni ce nom ni de perdurer. Et un être dont la vie se nourrit du préjudice imposé aux autres n’est humain que par définition, ayant beaucoup plus en commun avec la punaise de lit et les charognards des mers», s’indigne Agee, qui décrit, au jour le jour, la terrible aliénation sociale et spirituelle des métayers, au plus bas de l’échelle sociale. Sur le plan économique, ils sont constamment victimes de systèmes de prêts bancaires particulièrement pernicieux, voire frauduleux, et ils ne peuvent rembourser leurs dettes auprès des propriétaires terriens, des dettes qui ne font que s’accroître lorsque les conditions climatiques sont défavorables. Le résultat, c’est une misère galopante, la malnutri- tion et la peur du lendemain dans cette «Cotton Belt» encore féodale où survivent huit millions de parias, noirs ou blancs. Sans le moindre pathos, avec une colère de moins en moins retenue, Agee pose sa caméra-stylo sur un monde en sursis où les vies se consument dans l’effort et la soumission. «Il s’agit d’expliquer, note-t-il, les circonstances dans lesquelles naît le métayer de coton; et sous l’incessant ruissellement desquelles il se tient année après année jusqu’à ce que son corps ploie; et sous la coupe desquelles il décline et meurt.» Première mouture d’un autre livre d’Agee – Louons maintenant les grands hommes, en 1941 –, ce récit constitue l’une des pages les plus noires de l’histoire américaine et n’a rien perdu de sa force, même si le contexte et les conditions sociales ont radicalement changé. André Clavel Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 39 Fiction Delavagueréelleàlavague médiatique,commentles nouvellesfontletourdelaterre PUBLICITÉ trop humain artistes des 20 e et 21e siècles devant la souffrance 7 mai 2014 – 4 janvier 2015 <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDS1NAMAEdBXoA8AAAA=</wm> Visite commentée <wm>10CFWKKw6AMBAFT9Rm33bftrCS4AiC4GsImvsrPg4xGTGzLMEsH9O87vMWbGxIIuDgoe7ZWEPJDLQQwlRgIyCmro2__5EXE-3vk4QJ1vHEkop31pqv47wBI8iRjnIAAAA=</wm> dimanche 28 septembre 2014 Un tsunami emporte un jeune Mexicain sur la côte japonaise, tandis qu’à Paris la petite Fumi ne comprend pas pourquoi sa famille ne veut pas repartir tout de suite pour le Japon. Laurent Mauvignier livre un roman choral, «Autour du monde» Laurent Mauvignier «Autour du monde» VVVVV Q uelque part sur la côte du Japon, Yûko va survivre au tremblement de terre et au tsunami du 11 mars 2011. Mais pas son amant d’occasion, le Mexicain Guillermo, venu fuir on ne sait quoi jusque dans l’archipel nippon. Après la catastrophe, Yûko, debout, enveloppée dans des couvertures, apparaîtra à Moscou sur l’écran que regarde Syafiq, dans sa chambre d’hôtel. Sauvée par sa doudoune qui, gonflée d’air, lui a permis de flotter, dira-t-on. Une histoire parmi d’autres, au milieu des informations qui défilent et auxquelles Syafiq peine à s’arracher. Ce jour-là, dans une autre chambre d’hôtel, à Paris, la petite Fumi continuera à jouer sagement. Et il n’y aura que sur les visages inquiets de ses parents qu’elle lira les traces du séisme. Ce qu’on ne lui dira pas, c’est que le désastre a emporté sa grand-mère bien-aimée, restée au Japon. La Tanzanie, Dubaï, Rome, Jérusalem, la mer du Nord, les chutes du Niagara, les Bahamas, au large de la Somalie, en Floride, en Thaïlande, etc. Dans le livre de Laurent Mauvignier, justement nommé Autour du monde, la vague du tsunami frappe à des degrés divers: vaguelette contre un bateau de croisière en mer du Nord, péripétie médiatique pour insomniaques dans divers fuseaux horaires; quiétude absolue, en contraste, pour ceux qui n’en sa- «C’est une vraie horlogerie du désastre, la Terre. J’ai toujours dit qu’elle était vivante. […] Son vieux corps grince, pas de doute. Elle vient de pousser un cri terrible, presque du neuf sur l’échelle de Richter! Du neuf! Vous vous rendez compte! Le tsunami va suivre» vent rien et qui, livrés aux loisirs ou plongés dans leurs problèmes, l’apprendront distraitement, sans subir la fascination de l’horreur et des images. Le tsunami aurait sans doute pu se produire ailleurs, sur n’importe quelle côte de la planète, mais c’est au Japon qu’il a eu lieu et pas ailleurs; et, malgré l’interconnexion, malgré les écrans, malgré les solidarités, chacun, dans le roman de Laurent Mauvignier, demeure enfermé dans sa réalité. Tous ces personnages, tous ces lieux sont bien dans le même temps, dans le même roman, mais à chacun son histoire, et le texte passe de l’une à la suivante, avec une sorte d’indifférence. D’un groupe de personnages à l’autre, d’un lieu à l’autre, la transition se joue sur un mot, un dé- tail: la couleur de la peau (noire ou blanche), la langue – l’anglais –, l’habitude des voyages, la condition de touriste: «Touristes, nous? Voyageurs plutôt», lance, blasé et vaniteux, un Australien à son ami qui partage avec lui et leurs épouses un somptueux safari en Tanzanie. Chaque nouvelle séquence, chaque nouvelle histoire, s’annonce par une petite photo: un plan de métro japonais, une plage de cocotiers, le mur des lamentations, l’entrée du Kremlin… Le plus souvent des clichés, cartes postales, images de voyages. De voyages, il est question dans chaque histoire. M. Arroyo, travailleur philippin à Dubaï, se demande comment les siens vivent le tsunami, en voisins inquiets. Gorgio et Ernesto, deux retraités Ses livres Laurent Mauvignier Laurent Mauvignier est né à Tours en 1967. Diplômé des Beaux-Arts en arts plastiques (1991). Tous ses livres sont parus chez Minuit: 1999 Loin d’eux (roman) 2000 Apprendre à finir (roman) 2002 Ceux d’à côté (roman) 2004 Seuls (roman) 2005 Le Lien (récit) 2006 Dans la foule (roman) 2009 Des Hommes (roman) 2011 Ce que j’appelle oubli (fiction librement inspirée d’un fait divers) 2012 Tout mon amour (théâtre) ROMAN Xochitl Borel L’Alphabet des anges L’Aire, 128 p. VVVVV Xochilt Borel. Une petite fille borgne et magique, qui, malgré son handicap, malgré le noir qui gagne peu à peu son œil valide, dicte à son entourage une sorte d’alphabet décousu du bonheur. A commencer par A comme «amour», puisque la petite Aneth têtue et follement instinctive va dégoter, à force d’obstination et de malice, un homme presque idéal pour sa mère. Non conforme, mais épatante et libre petite Aneth; courageuse aussi qui avance vers le noir complet et tentant de retenir les lettres – que lui enseigne son père d’adoption – et des fragments du monde. Regardant dans le noir, CIRQUE NATIONAL SUISSE LAUSANNE Place Bellerive <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDI1NQYAfMQ9bg8AAAA=</wm> 3 – 15 OCTOBRE <wm>10CFWKMQ6AIBAEXwS5XThArzR0xMLY0xhr_1-JdBaTnU2mNVMvk63uZz1MixY4EaoGY0o-arZxPJBNCkFBXAEuQTPirx-TQhT2r3FSHNEBxykp0z_X_QJopMTRcgAAAA==</wm> italiens, s’interrogent: doivent-ils prendre l’autocar qui les mènera au casino de Nova Gorica où les attend la fortune ou la banqueroute? Roman s’évade à Rome avec Fancy, l’ex-petite amie de son fils, Vince fait de l’auto-stop sous de faux noms pour rejoindre son frère en Floride. Certaines histoires sont plus prenantes que d’autres. Elles mettent en scène de l’intérieur des situations médiatiques, «faits de société» contemporains: Juan et Paula voient leur catamaran abordé par des pirates au large de la Somalie; deux retraités italiens vont se faire plumer au casino en voyage organisé; à la découverte de la Palestine occupée par Salma répondent les souffrances historiques des juifs dont prend conscience Luli. Laurent Mauvignier est habile à retenir son lecteur dans un coin de la planète et à l’y faire vivre un moment, en lui faisant partager ses récits. Mais le lecteur ne parvient pas à se défaire tout à fait de l’impression d’avoir été piégé dans un cliché planétaire, aux allures contemporaines un peu faciles, où la démonstration étouffe toute poésie. Et on se prend à rêver, immobile, aux mondes infinis que recèle en lui-même chaque être humain. Location: www.knie.ch et RENDEZ-VOUS 2014 MARCHÉ DE L’ART DEUXIÈME JEUDI DU MOIS 13 février, 13 mars, 10 avril, 8 mai, 12 juin, 4 septembre, 9 octobre, 13 novembre, 11 décembre Pour votre publicité, Le Temps: Tél. Genève +41 22 888 59 00 Tél. Zurich +41 44 213 17 88 www.letemps.ch/pub - [email protected] >>Consultez les critiques littéraires sur Internet www.letemps.ch/livres Un alphabet angélique pour un premier roman Dans la jolie collection Alcantara que les Editions de l’Aire ont confiée à Noémi Schaub et Xochitl Borel, cette dernière a fait paraître un petit roman – son premier, comme c’est la règle dans cette collection – attachant et, par moments, poignant, L’Alphabet des anges. Une très jeune femme, Soledad, devient mère d’une petite fille. Elle a pourtant tenté d’avorter. Mais les aiguilles de la faiseuse d’anges n’ont fait que blesser le fœtus, sans parvenir à le déloger. C’est ainsi, accrochée à la vie, qu’est née Aneth – comme la plante! Le végétal, dont elle fait un modèle, est capital pour Entrée payante, visite commentée gratuite que verra-t-elle ensuite? L’Alphabet des anges est un petit conte plein de tendresse et de manifestes en faveur de l’amour, de la tolérance et de la solidarité. L’auteure d’ailleurs n’oublie pas de remercier toute une ribambelle de personnes à la fin du texte, tandis que Blaise Hofmann (Estive, L’Assoiffée, parus chez Zoé) lui offre une préface affectueuse. Un roman un peu trop joli pour être vrai? Il n’est pas interdit de le penser. Mais d’un autre côté, l’insoumission des personnages, leur courage, leurs errances aussi tissent une trame plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. E. Sr vente aux enchères mardi 30 septembre dès 9h et 14h exposition: 27 et 28 septembre de 15h à 18h EncheresDogny ch. de Montelly 2 – 1007 Lausanne 079 607 41 07 www.encheresdogny.ch Max Liebermann , Minuit, 372 p. at 11 a.m. in English um 14 Uhr auf Deutsch au Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge Av. de la Paix 17, Genève Par Eléonore Sulser ROMAN Laurent Mauvignier Autour du monde à 14h30 par Françoise Ninghetto, commissaire associée 07:00 AM 12:30 PM 09:00 PM L’époque est fascinante, qui vous permet de disposer des outils les plus performants pour exceller dans votre métier. Depuis votre bureau, vous êtes en contact permanent avec vos pairs, vos partenaires, vos prestataires. A toute heure, de jour comme de nuit, Le Temps met à votre disposition, via vos instruments de travail, le fil de l’actualité du monde mais aussi les services et contenus à forte valeur ajoutée pour votre activité professionnelle. 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Ils ne sont pas les seuls: de nombreux membres de la communauté juive de Cuba sont venus accueillir les passagers du SS Saint-Louis. Mais le paquebot repartira avec ses passagers. Leonardo Padura ouvre Hérétiques sur cet épisode peu glorieux de l’histoire de son pays. Neuf cents Juifs sont à bord du SS. SaintLouis. Ils doivent transiter par Cuba avant de rejoindre les Etats-Unis. Les billets et le visa leur ont été vendus à un prix exorbitant pour des gens que le régime nazi a privés de tous leurs biens. Mais dans le temps de la traversée, le gouvernement cubain change les conditions d’accueil et augmente les prix. Au bout d’une semaine, le bateau repart. Les Etats-Unis et le Canada refusent à leur tour l’accès aux passagers. Le SS SaintLouis traverse à nouveau l’Atlantique. Les candidats à l’émigration sont redistribués dans différents pays d’Europe. Les Kaminsky – les parents et la petite sœur de Daniel – restent aux Pays-Bas d’où ils seront déportés. Ils mourront dans les camps. Leur seule fortune – un petit portrait peint par Rembrandt – a disparu avec eux. Et voilà qu’en 2007, ce témoin du passé resurgit dans une vente aux Etats-Unis. Le fils de Daniel Kaminsky, un peintre américain à succès, prend contact avec Mario Conde pour tenter de remonter le fil qui mène à ses grands-parents et au tableau. Les lecteurs de Leonardo Padura connaissent bien le Conde, héros de ses romans policiers. Il joue aussi un rôle secondaire dans le remarquable roman sur l’exil et la fin de Trotski et sur son assassin, Ramon Mercader, L’homme qui aimait les chiens (SC du 22.01.2011). Cet ancien flic désabusé survit en vendant des livres rares issus du démantèlement des bibliothèques cubaines, publiques et privées. Un peu alcoolique, un peu sentimental, ami fidèle et amoureux hésitant, il ne résiste pas quand une énigme s’offre à lui. Ici, en résumé: les Kaminsky ont-ils vendu le Rembrandt pour tenter de débarquer à Cuba? Qui les a trompés, dépouillés et donc envoyés à la mort? Comment le portrait est-il arrivé dans une maison de ventes new-yorkaise? Ces questions vont amener le Conde à enquêter sur les Juifs à Amsterdam vers 1640, et sur l’atelier du peintre, à la recherche du modèle du portrait. Le récit se construit ainsi sur trois niveaux: à Cuba dans les années 1940 et 1950, le roman d’éducation de Daniel Kaminsky, jusqu’à son exil à Miami; à Amsterdam, celui d’Elias, un jeune Juif que Rembrandt accepte parmi ses assistants, et qui est prêt à braver l’interdit qui pèse sur la figuration dans sa religion; à Cuba, au début du XXIe siècle, avec la «tribu» du Conde, et sur les traces d’une jeune fille disparue, une emo, ces adolescents fascinés par la mort et le suicide, emblématique du désarroi de la jeunesse cubaine. Un roman ambitieux et complexe, dont le fil rouge est ce portrait, comme un violon était celui du Confiteor de Jaume Cabré (Actes Sud, SC 21.09.2013). A chaque génération, quelqu’un renie la foi dans laquelle il a été élevé. Après , Rembrandt Propos attribués au peintre, (cités par Leonardo Padura) «L’amère vérité c’est que, tant que je dépendrai de l’argent des autres, je ne serai pas complètement libre» FRANCIS G. MAYER/CORBIS Par Isabelle Rüf Tête de Christ, Rembrandt. Le peintre a-t-il pris pour modèle son jeune apprenti juif? la disparition des siens, Daniel Kaminsky refuse de croire en un Dieu quelconque, tout en faisant semblant d’adhérer au judaïsme intransigeant de son oncle, le bon Joseph. Pour épouser une fille de bonne famille, Daniel se convertira au catholicisme avant de revenir plus tard à la religion de ses ancêtres. Joseph lui-même trahit ses convictions pour venger les siens. Le jeune apprenti de Rembrandt est mis au ban de la communauté juive d’Amsterdam. Les adolescents cubains de bonne famille, qui n’ont rien à faire de l’allégeance de leurs parents aux diktats de l’idéologie, se précipitent dans la drogue et les croyances les plus bizarres. Ces parents euxmêmes ont trahi la révolution et sont devenus des bourgeois. Le Conde est au bord de renier son idéal libertaire pour épouser sa compagne (il sera libéré de cette extrémité à laquelle il se condamne lui-même!). L’histoire de Daniel est emblématique d’une génération qui a dû se réinventer. Celle de son oncle Joseph est émouvante et généreuse. Toutes deux sont liées à la tragédie des Juifs d’Europe cen- trale. La traque de ceux qui ont volé le tableau est bien menée, et l’enquête sur la jeune emo disparue ouvre un volet intéressant. La vie quotidienne du Conde, ses copains, ses amours, ses soucis d’argent, son ironie, sa révolte contre un système qui a perverti les idéaux de sa jeunesse: ces aspects raviront les amateurs de Padura. L’épisode historique qui occupe le centre du roman – Amsterdam, vers 1640 – est très bien documenté. On en apprend beaucoup sur ce lieu où les Juifs d’Europe, qui y ont trouvé asile, se surveillent et se bannissent entre eux. Mais, sorti de son biotope cubain, Padura est moins convaincant, et ce chapitre, en dépit de son intérêt, fait un peu «film en costumes». Et il rompt l’équilibre du livre, bien qu’il révèle des éléments importants. L’ampleur du projet est à la fois l’intérêt et la limite de Hérétiques. Mais, dans l’ensemble, ce roman reste un ouvrage remarquable, riche et complexe. On y retrouve le leitmotiv qui traversait L’homme qui aimait les chiens: un plaidoyer pour le libre arbitre et pour la liberté de pensée, quel que soit le prix à payer. Une vie et des livres Leonardo Padura 1955 Naissance à La Havane. Diplôme de littérature hispanoaméricaine. Il est romancier, essayiste, journaliste, scénariste. Leonardo Padura a reçu en 2009 le Prix Raymond Chandler pour l’ensemble de son œuvre. Sa tétralogie ainsi que d’autres romans font appel à la figure de Mario Conde, son héros enquêteur, qui apparaît pour la première fois en 1991 dans Passé parfait. Les Quatre Saisons, tétralogie Passé parfait, I Vents de Carême, II Electre à La Havane, III L’Automne à Cuba, IV Mort d’un Chinois à La Havane Le Palmier et l’Etoile Adios Hemingway Les Brumes du passé L’homme qui aimait les chiens Hérétiques Ses livres sont traduits en français aux Editions Métailié >> Consultez les critiques littéraires sur Internet www.letemps.ch/livres PUBLICITÉ VENTE AUX > Polar Quand les asiles se transforment en musées macabres é ENCHÈRES Paul Cleave propose une nouvelle plongée sanguinolente dans sa ville natale de Christchurch Paul Cleave La Collection Trad. de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Marion Tissot Sonatine Editions, 350 p. VVVVV C’est l’été à Christchurch. La grande ville de Nouvelle-Zélande est carbonisée par le soleil. Mais il n’y a pas que la canicule qui laisse des cadavres derrière elle. «Cette ville est en train de changer. On attrape un type et deux prennent aussitôt sa place. C’est l’escalade, la situation nous échappe…», désespère l’inspecteur principal Schroder. Il demande à Tate – exflic tout juste sorti de prison pour avoir shooté une gamine en voiture alors qu’il était ivre – de reprendre du service pour traquer une femme qui émascule ses victimes à la tenaille. En parallèle, l’adolescente que l’ancien policier avait manqué de tuer quelques mois plus tôt disparaît. Son père, désespéré, demande à Tate de mener l’enquête pour la retrouver, «parce qu’il lui doit bien ça». Les deux affaires s’avéreront, bien entendu, liées. On ajoute à cela un fou qui s’installe dans les anciens asiles désaffectés de la région pour constituer une sorte de musée lié aux tueurs en série. D’où ce titre: La Collection. Bienvenue à «Crimechurch» Parmi les personnages de cette très sanglante enquête se trouve indubitablement Christchurch elle-même. Une ville envers laquelle l’auteur semble ressentir une certaine amertume. Ici, pas de «bienvenue» avant le nom de la ville sur le panneau, «quelqu’un a barré church à la bombe et l’a remplacé par aide-nous». Le Département de psychologie «est l’un des plus importants de toute l’univer- sité, ce qui résume bien Christchurch». Là-bas, «nombre de gens vivent encore à l’âge de pierre», et la réputation de la ville est telle que les flics la surnomment «Crimechurch». Dévastée par un puissant séisme en 2011 (année de publication du livre en anglais), Christchurch n’est pourtant pas réputée pour sa criminalité. La violence qui traverse le livre est néanmoins permanente et explicite. Le point culminant est atteint quand Adrian – l’attardé collectionneur – décide de déterrer un cadavre putréfié pour le pendre sur l’avant-toit de la maison de Tate. Une surenchère parfois grotesque qui masque mal le manque d’inventivité de l’auteur. Valère Gogniat 6-9 octobre 2014 Concerts au Château Exposition: 3-5 octobre 05.10 | Haendel à Chillon avec Monika Mauch, soprano <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMLKwMAQATkhFPQ8AAAA=</wm> <wm>10CFXKIQ7DMBBE0ROtNTv2OOssrMKigCjcpCru_VHbsIKvT96-pwruHttxbWcqFG4AIzydS5FGUirukRishLfVOxo7h_78d702cP6MYRjr9G6oBk1qKe_n6wPZisqmcgAAAA==</wm> <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMLIwNQYAL1flZg8AAAA=</wm> <wm>10CFWKKw6AMBAFT9Rm37aP7rKS4AiC4GsImvsrPg4xmRGzLMEsH9O87vMWNBqSiBpLQFsmPZTMgIU4XAV1RKOgDGa__9FQqmh_nySe4B0t1SdKZ2O-jvMGZeOP-nIAAAA=</wm> Dimanche à 17h Château de Chillon, Veytaux Réservations Arabesque 077 405 39 83 www.arabesque-montreux.ch [email protected] A. Anker, Petite fille au piano, CHF 15.000-25.000 022 320 11 77 hoteldesventes.ch Prévost-Martin 51, 1205 Genève B. Piguet, directeur - Christin & Naville, huissiers VOYAGE KAMTCHATKA LA PÉNINSULE DES VOLCANS Votre guide Fabrice Genevois, ornithologue, passionné par les régions polaires, a séjourné 18 mois dans l’archipel des Kerguelen. A son retour, il a encadré d’innombrables voyages francophones dans les pôles glacés et bien évidemment à maintes reprises au Kamtchatka, où il totalise plusieurs mois de séjour. Fabrice collabore aussi aux travaux du centre de recherches pour le baguage des populations d’oiseaux et a écrit un livre référence sur l’Extrême-Orient russe. Habitué des voyages-expéditions, Fabrice est un conférencier remarquable, très pointu sur la péninsule du Kamtchatka. Organisation du voyage Le Kamtchatka est une destination peu connue et encore peu visitée. Il n’existe aucune infrastructure significative, d’où la grande complexité pour l’organisation d’un voyage dans ces contrées. Nous avons établi ce programme sur 8 nuits à notre base d’expéditions à Petropavlovsk, dans le meilleur hôtel, 2 nuits à Esso, dans un hôtel simple, et 1 nuit à Apachi, en hôtel simple. Les trajets se font en bus, en camion 6x6 ainsi qu’en hélicoptère. Vols en hélicoptère Les vols en hélicoptère MI-8 constituent une partie importante du prix de ce voyage. Nous disposerons d’appareils «fret» car ils offrent plusieurs hublots qui s’ouvrent, permettant ainsi d’excellentes prises de vue. Survoler la taïga enflammée des couleurs de l’automne, passer les cols à la recherche des éleveurs nomades, atterrir sur un volcan… Ces vols permettent d’uniques et époustouflantes expériences. Du 20 septembre au 2 octobre 2015 Le Kamtchatka, la «péninsule des volcans», se situe à l’extrême est de la Russie, au nord des îles Kouriles et de Hokkaido (Japon) et à l’ouest des îles Aléoutiennes (Alaska, USA). Il a été découvert il y a environ 350 ans par des cosaques russes et appartient à la Russie depuis 1697. Il était strictement interdit aux Occidentaux durant toute la Guerre froide. Des 180 volcans tapissant son relief, 30 sont encore actifs aujourd’hui. Sur une superficie de 350 000 km2 vivent seulement un peu plus de 400 000 habitants, principalement des Russes, des Evènes, des Korjaks et des Itelmens. Les Evènes sont l’un des peuples Programme complet sur www.letemps.ch/voyages ou auprès d’Equinoxe Voyages SA. Christian Elmiger. Tél. 021 671 6000 – e-mail: [email protected] autochtones de la péninsule. Ils vivent essentiellement de la pêche et de l’élevage de rennes. L’été et l’hiver, ils restent souvent avec leur troupeau dans la toundra et ne viennent qu’une fois par année au village pour échanger les fourrures et l’excellente viande de renne. Le saumon accompagne les habitants du Kamtchatka durant toute l’année – en été sous la forme de caviar frais, en hiver fumé et séché. Au Kamtchatka vivent aussi environ 8000 ours. Nous aurons largement le temps d’admirer ces splendides plantigrades, parfois à des distances très proches! La flore est la troisième richesse de cette péninsule. En automne, les arbres promettent des couleurs flamboyantes. Abonné(e)s CHF 14 370.– En chambre double (réservation jusqu’au 30.11.2014) Abonné(e)s En chambre double (réservation dès le 01.12.2014) CHF 15 250.– Non-abonné(e)s CHF 15 850.– Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 43 Essai «Kafka,avecsonpessimismeetsesquestions insolubles,m’aaccompagnétoutemavie» Saul Friedländer, historien du nazisme et de la persécution des juifs, raconte, non pas la vie de l’écrivain praguois, mais son monde intérieur, plein de forces obscures, de désirs secrets et d’une quête spirituelle condamnée d’avance Propos recueillis par Emmanuel Gehrig ESSAI LITTÉRAIRE Saul Friedländer Kafka, poète de la honte Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Weill Seuil, 256 p. VVVVV I l l’a racontée dans ses mémoires, publiées en 1978 déjà. L’enfance de Saul Friedländer, 81 ans, fut si marquante et si tragique qu’elle éclaire d’un coup son parcours, ses engagements, son courage. En 1942, il a dix ans. Ses parents, juifs d’origine tchèque et établis en France, tentent de se réfugier en Suisse en passant par Novel en Haute-Savoie. Ils ont laissé leur fils, Pavel, dans un internat catholique. Hélas, la frontière suisse est bouclée, ils sont refoulés, déportés et tués à Auschwitz. Après la guerre, Pavel apprend qu’une directive autorisait le passage des juifs accompagnés de jeunes enfants. Le jeune homme, rebaptisé Paul-Henri à l’internat, émigre en Palestine en 1946. On lui demande s’il a un nom hébreu. Il choisit Saul: son chemin de Damas à lui menait au judaïsme. Aujourd’hui Saul Friedländer habite à Los Angeles, écrit en anglais et parle un français sans accent. Il est reconnu comme l’un des plus grands historiens de la Shoah et du nazisme avec Raul Hilberg, auteur de La Destruction des Juifs d’Europe. Il a aussi été membre de la Commission Bergier. Citoyen israélien, il s’est engagé dans le mouvement Peace Now et tient des positions critiques envers la politique de l’Etat hébreu. Estimant avoir dit ce qu’il avait à dire sur la persécution des juifs, Saul Friedländer s’est aventuré sur les traces d’un écrivain qui lui est cher: Franz Kafka (18831924). Entretien à Genève. Saul Friedländer: «Je suis le premier à critiquer la politique israélienne. Mais l’acharnement anti-israélien en cours va plus loin que la politique, il y a là une émotion, un retour de choses réprimées, et cela m’inquiète.» GENÈVE, 24 SEPTEMBRE 2014 MARK HENLEY/PANOS PICTURES écrire sur Kafka. J’avais lu la biographie de Max Brod en 1947 et découvert que ma famille et la sienne venaient exactement du même monde, la bourgeoisie juive praguoise de langue allemande. Mon père avait fait les mêmes études de droit que Kafka à l’Université Charles et il est devenu aussi fondé de pouvoir dans une société d’assurances. Ma mère portait le même nom qu’une des sœurs de Kafka, Elli. Biblio express Saul Friedländer Quelles sont vos affinités avec lui? Kafka m’a accompagné tout au long de mon existence. C’est un pessimisme fondamental, ce que j’ai été aussi. J’ai du plaisir à me replonger dans son œuvre, ce qui m’arrive avec peu d’écrivains hormis Proust et Flaubert. C’est difficile de faire le tour de Kafka parce qu’il pose des questions difficiles à saisir et donne des réponses incompréhensibles – exprès! Et il me semblait que tout n’avait pas été dit sur lui. N’étant ni expert de Kafka ni germaniste, je me suis lancé, à l’invitation des presses universitaires de Yale, dans ce livre qui tient à la fois de la biographie et de la lecture interprétative de ses textes. Né en 1932, docteur de l’Institut de hautes études internationales de Genève, où il a été professeur pendant 20 ans (il a aussi enseigné à Jérusalem, Tel Aviv et Los Angeles). Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, dont: Quand vient le souvenir, Seuil, 1978 L’Allemagne nazie et les Juifs (en deux tomes): 1) Les années de persécution, 1933-1939, Seuil, 1997 2) Les années d’extermination, 1939-1945, Seuil, 2008. Prix Pulitzer, Prix de la paix des libraires allemands Pie XII et le IIIème Reich, Seuil 2010 (éd. augmentée de 1964). Em. G. Qu’est-ce qui n’avait pas été dit? J’ai tenté de dégager et de mettre en lumière le sentiment de honte et de culpabilité qui pesait sur lui. Dans une lettre à Milena Jesenská, il écrit: «Je suis sale, Milena, infiniment sale, c’est pourquoi je fais tant de bruit autour de la pureté.» On sait que Kafka avait des tendances, du moins des fantaisies homosexuelles – dont on ne sait s’il les a concrétisées ou non. Mais ce qui est intéressant c’est que Max Brod (son ami et éditeur) a systématiquement censuré tous les passages qui lui paraissaient problématiques. Il avait décidé de faire de Kafka un saint, quitte à retrancher son hu- Samedi Culturel: Vous qui êtes historien de la Shoah, dont la vie a été marquée par cette tragédie, avez-vous eu envie, en écrivant cette biographie, de retrouver vos racines, de vous replonger dans ce monde d’avant l’anéantissement? Saul Friedländer: Dans un sens, oui. Cela fait longtemps que je désirais , Saul Friedländer «Kafka, poète de la honte», p. 167 «La découverte de la vérité sur soi-même et sur le mal qui habite l’humanité pourrait constituer un premier pas vers la rédemption; mais dans le monde de Kafka, elle semble frayer la voie au néant» manité, à défigurer son œuvre. Les morceaux censurés, qu’on connaît par l’édition critique, sont révélateurs de tous ses refoulements. L’autre aspect, c’est la capacité étonnante de Kafka à s’adapter: à la vie de famille, qu’il n’arrive pas à quitter bien qu’il la déteste, à la vie de bureau, aux femmes. Il aime séduire, parle de mariage, mais rompt à la première occasion. Ce sont là autant de compromis noués dans la vie réelle, qu’il sape dans son œuvre littéraire. Les femmes y sont menaçantes, la sexualité dangereuse… Kafka n’est pas tendre avec les juifs non plus… En effet, il donne souvent dans les stéréotypes: comparaison avec des animaux, nez crochu, instinct commerçant… C’est typique de cette haine de soi (Selbsthass) qu’avaient de nombreux juifs européens de l’époque. Dans une lettre très violente, il va même jusqu’à imaginer mettre tous les juifs dans un tiroir (lui compris) et le fermer jusqu’à l’asphyxie. Image terrible, rétrospectivement… Mais c’est la seule fois qu’il va aussi loin. Quel est son rapport à la religion? Il déteste le judaïsme tel que pratiqué par la génération de son père: une série de rites vides de sens. Comme d’autres jeunes assimilés de son temps, Kafka cherche à donner du sens à son identité juive. Certains se tournent vers la religion – telle que pratiquée, de manière plus authentique, en Europe orientale –, d’autre optent pour le sionisme. Mais lui n’aime pas les systèmes. Walter Benjamin est celui qui a, je crois, le mieux compris la relation de Kafka au judaïsme: selon Benjamin, Kafka tente d’écouter la tradition à travers une porte fermée, et seuls des sons indistincts parviennent à ses oreilles. La Loi étant perdue, Kafka s’ingénie donc à raconter des légendes ou des paraboles tournant autour de ce noyau de vérité inaccessible. C’est une notion à laquelle je suis sensible, en tant que non-croyant autant que comme historien. Est-ce que Kafka a pressenti l’Holocauste? Non, je ne souscris pas du tout à ce type d’interprétation. Après la Première guerre mondiale, il a ressenti la montée de l’antisémitisme et en a été très affecté. Il se peut que le côté désespéré de l’œuvre de Kafka se rattache à la Shoah en tant que sentiment d’un mal qui est partout. Kafka croit en l’existence du mal, d’un mauvais démiurge qui brise ceux qu’il attrape. Le monde ultrapessimiste de Kafka est régi par des forces obscures – voyez Le Procès, Le Château ou ce récit glaçant: Un Médecin de campagne. Dans votre grande étude historique, «L’Allemagne nazie et les juifs», vous parlez du sentiment d’«incrédulité» face à un événement comme la Shoah. J’ai écrit que la connaissance historique domestique l’incrédulité. Mon but, en écrivant ce livre auquel j’ai consacré 16 ans, était d’écrire l’histoire aussi précisément que possible mais aussi de susciter chez le lecteur, par flashes, ce sentiment d’effroi et d’incrédulité en laissant la parole aux victimes. Elles interviennent ainsi dans le récit historique, effrayées, démunies, ne comprenant pas ce qui leur arrive. La Shoah est-elle un événement à tout jamais singulier? Je pense que non. Un génocide équivaut à un autre génocide du point de vue de la terreur, de la souffrance et de la mort. Pourtant les conditions historiques diffèrent d’un cas à l’autre. Et faire des comparaisons n’amène pas grandchose. Puisqu’on cite souvent Staline, qui au final a fait plus de morts qu’Hitler, il faut tout de même dire que le premier n’a pas construit d’usines pour tuer industriellement, comme les chambres à gaz. Comment se porte la mémoire de la Shoah selon vous? Depuis quelques années, on parle d’Auschwitz à tort et à travers. La Shoah est entrée dans le langage commun et son sens s’est dégradé. Je constate aussi qu’en Israël l’extrême droite en fait un usage inacceptable pour évoquer les menaces extérieures. Cela vous inquiète-t-il? Il y a un terreau où se développe une haine anti-israélienne qui ne fait plus de distinction avec la haine des juifs. Pas plus tard que quelques semaines en arrière, un imam appelait à tuer les juifs à Berlin. A cela se greffe l’extrême droite et, fait nouveau, l’extrême gauche. Dans les universités anglaises et américaines, il y a une haine d’Israël bien ancrée. Je suis le premier à critiquer Israël, mais tout de même, le ton fait la musique: cet acharnement va plus loin que la politique, il y a là une émotion – un retour de choses réprimées. Et cela, oui, est inquiétant. 44 Futurantérieur Le Temps Samedi Culturel Samedi 27 septembre 2014 MarioLuzi ISOLDE OHLBAUM/LAIF Quandlepoèteinterroge labarbariereligieuse L’auteur italien a décrit dans une pièce de théâtre comment Hypatie, intellectuelle d’Alexandrie, fut sauvagement assassinée en 415 par les chrétiens. Un écho troublant aux atrocités perpétrées aujourd’hui au nom de l’islam Par Gauthier Ambrus Hypatie Philosophe d’Alexandrie Mario Luzi (1914-2005) a écrit Hypatie en 1969 dans le cadre d’une collaboration musicale finalement avortée. Une seconde pièce (Le Messager) la complétera quelques années plus tard, formant avec elle un diptyque (Le Livre d’Hypatie). L’œuvre dramatique de Luzi prolonge les thèmes de sa poésie et développe sa tendance à faire jouer différentes voix. La figure d’Hypatie (v. 355/370415 ap. J.-C.) n’est connue que par quelques témoignages lacunaires. Aucun de ses écrits n’a été conservé. Mathématicienne et philosophe, elle dispensait à Alexandrie un enseignement sur la pensée grecque qui rencontrait un large écho. C’est peut-être ce qui poussa l’évêque Cyrille, futur Père de l’Eglise, à la faire assassiner par ses fidèles, et ce à l’intérieur même d’une église. On évoque également des motifs d’ordre politique. Chaque semaine, Gauthier Ambrus, chercheur en littérature, s’empare d’un événement de l’actualité pour le mettre en résonance avec une œuvre littéraire ou philosophique P eut-on lutter contre la barbarie avec des mots? Aussi dérisoire qu’elle puisse d’abord paraître au vu des événements qui ont condamné les pays occidentaux à intervenir en Irak et en Syrie, la question se pose pourtant avec insistance à ceux qui ont la tâche difficile d’en parler ou d’écrire sur elle. Il ne s’agit pas là d’un simple exercice de communication. Les expressions les plus usuelles cachent des pièges. Ainsi, comment nommer l’adversaire? Etat islamique, IS, Daesh ou autre chose encore? On risquerait de marcher naïvement dans les pas des djihadistes en les gratifiant du titre d’«Etat» dont ils se sont emparés par stratégie promotionnelle. Relèvent-ils pour autant d’une simple organisation terroriste? Plus délicat encore: de quelle manière les aborder? La prudence est de mise. Il faut se défier du choc frontal qu’ils cherchent à susciter, qui nous pousserait à les considérer comme notre «autre» et celui de toute civilisation. Mais ne court-on pas alors le risque d’une complaisance involontaire qui éclipserait dangereusement les valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons? L’embarras dit bien à sa façon la gravité singulière du péril. La tentation est grande de se laisser convaincre – sous l’effet d’une fascination à l’envers – que la radicalité de cet ennemi le rend différent des autres. Qu’on se trouve avec lui face au retour brutal et calculé d’une forme d’archaïsme en principe reléguée dans un passé lointain. Ramener la violence du présent à ses avatars antérieurs ne conduit pas forcément à la relativiser ou à la simplifier à travers des catégories immuables. Cela peut permettre au contraire de la décontextualiser dans l’espoir de mieux la comprendre, et de la surmonter. C’est ce qu’a fait Mario Luzi, figure marquante de la poésie du second XXe siècle, dans un texte troublant et difficile à classer, Hypatie, qui a pu déconcerter lors de sa publi- cation il y a presque 50 ans. L’auteur s’est tourné vers le théâtre – choix lourd de sens chez un poète – pour réveiller un drame oublié et les tensions complexes qui l’ont engendré: l’assassinat sauvage par les chrétiens d’Alexandrie de celle qui fut la dernière grande voix de la philosophie grecque, Hypatie, en l’an 415 de notre ère. Luzi s’intéresse à la charge de sens qui gît par-delà l’événement lui-même, aussi captivant soit-il. Aux forces transhistoriques qui s’affrontent en lui et qui font encore signe dans notre direction. On y voit la barbarie naître de l’effondrement d’un ordre qui ne parvient plus à se maintenir. Elle est l’irruption irrésistible d’une violence aux atours religieux et «prophétiques» qui se fraie un chemin par l’intimidation, opposant son chaos à l’autorité d’un pouvoir politique hésitant, déjà prêt à s’écrouler, et qu’elle finira par déposséder de sa substance. Ancré dans le double héritage des cultures grecque et chrétienne, Luzi se confronte à ce qui est pour lui un point aveugle: comment l’affirmation du christianisme a-t-elle pu prendre le visage de la violence et de la destruction, mettant un terme à l’un des sommets de la culture humaine, au sein de la tolérante Alexandrie? L’histoire d’Hypatie est une figure de l’incompréhensible qui exige une réponse à sa hauteur, même si celle-ci semble hors d’atteinte. Sans réduire le scandale que sa mort représente, la prise de distance est inévitable, appuyée sur la polyphonie dramatique: elle est le gage d’une parole non manichéenne, refusant de se laisser happer par l’Histoire. Luzi lit dans la barbarie l’avènement d’un «refoulé» qui vient révéler un manque, une faille ou de l’inaccompli au sein de la civilisation, et qui fait donc signe vers son propre dépassement. Réflexion intempestive, difficile à tenir devant l’urgence de l’événement, mais peut-être pour cela même irréductible. , Mario Luzi «Le Livre d’Hypatie», Trad. Bernard Simeone, Verdier, 1993 «Que reste-t-il du rêve de la raison grecque? Rien que des passions furieuses, des rages sourdes, couvées pendant des années, qui explosent. […] Et Hypatie continue, simple imprudence, je ne sais, à remeuter la foule aux carrefours, à exalter et fouetter la multitude, poursuivant ce rêve à travers des discours que bien peu comprennent, n’en retirant que ce qu’ils ont déjà en tête, les desseins les plus troubles.» PUBLICITÉ Le verre vivant Jusqu’au 01.02.2015 Première du 20 sePtembre au 5 octobre 2014 vernissage samedi 20 septembre dès 14h00 – lieu <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDQxNAYAocQmGQ8AAAA=</wm> <wm>10CFWKKw6AMBAFT7TN23Zf2bKS4AiC4GsImvsrPg4xGTGzLMGEj2le93kLOl0FUNMSudZkHKJUT4QFmnp-0qg0ZXFrv_9RLYbc30fQRL0rxSAZHfR0HecNMB6FLHIAAAA=</wm> centre culturel du vallon 1264 saint-cergue suisse / switzerland – horaire ouvert tous les jours de 14h00 à 19h00 du 20 septembre au 5 octobre 2014 samedi 27 septembre ouverture de 10h00 à 19h00 – tarif dès le 21 sePtembre adultes : chf 5.00 avs / étudiants : chf 3.00 entrée libre jusqu’à 18 ans +41 (0)22 360 02 53 [email protected] WWW.biennale-ceramique.com aeschlimann martine [che ] annen arnold [che ] camPo José [che ] carrillo Joan [ esP] dalloun [ fra] de crousaz hugues [che ] delsol edmée [ fra] dessauvage tjok [ bel] duPlain monique [che ] fassbaender violette [che ] fort ramon [ esP] frydman Kuhn lynn [che ] futamura yoshimi [ fra/JPn] girones teresa [ esP] Kim sangwoo [ Kor] marionneau brigitte [ fra] mestre enric [ esP] millet denise [che ] nordmann marie-blanche [che ] orti Juan [ esP] Perez rafa [ esP] Peytermann chloé [che ] Presset claude [che ] schneider Jurg [che ] taKeuchi toshyuki [che /JPn] tanner isabelle [che ] Weiss Petra [che ] yang seungho [ Kor] yoshiKaWa masamichi [JPn] <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDI1NQQAUKUzgA8AAAA=</wm> <wm>10CFXKKQ4DQQxE0RO5VV7K445hNGwUEA1vEgXn_igLC_j65B1Hc-DXdb-d-71ZLBXASG3LHMGtPWsQ0ShTg8YF02FOzT__WXrA1tcISkwXptiUmMuJ8Xo83_-8WfJyAAAA</wm>
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