sept jours qui ont changé la france

Dimanche 18 - Lundi 19 janvier 2015 ­ 71e année ­ No 21774 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry
RUSSIE
LES CONFESSIONS
D’ALEXEÏ NAVALNY
SEPT JOURS
QUI ONT
CHANGÉ
LA FRANCE
→
LIR E PAGE 1 2
ÉCONOMIE
CUIVRE, NICKEL,
ÉTAIN... LA CHUTE
DES MATIÈRES
PREMIÈRES
→
LIR E C A HIE R É CO PAGE 4
NUCLÉAIRE
IRANIEN :
LE TEMPS
PRESSE
→
LI R E P A G E 24
DÉBATS
EST-ON
EN GUERRE
CONTRE LE
TERRORISME ?
→
Place de la République,
à Paris, le 7 janvier.
OLIVIER LABAN-MATTEI/MYOP
MÉDIAS
POUR « LE MONDE »
▶ La douleur, la peur, la
▶ Pendant 48 heures, face
mobilisation : depuis
l’attentat contre « Charlie
Hebdo », le 7 janvier, les
Français plongés dans une
crise sans précédent
au terrorisme, l’Elysée s’est
transformé en QG opéra­
tionnel autour de François
Hollande, Manuel Valls
et Bernard Cazeneuve
▶ « Je suis Amedy Coulibaly,
Malien, musulman ». Dans
l’Hyper Cacher, le terro­
riste a froidement
assassiné quatre juifs
avant d’être tué. Récit
« GOMORRA », EXCEPTIONNELLE SÉRIE NOIRE
▶ Canal+ diffuse l’adaptation du livre de Roberto Saviano
TÉLÉVISIONS → LIR E PAGE S 1 8 À 2 1
tions contre les nouvelles
caricatures de « Charlie »
ont eu lieu au Pakistan,
en Algérie et au Niger
→
LIR E PAGE S 2 À 1 0
La Shoah
dans l’œil
des Soviétiques
“DRÔLE ET CITOYEN”
RTL
“UNE COMÉDIETÉLÉRAMA
À LA KEN LOACH”
★★★
STUDIO CINÉ LIVE
→
PRIX DU PUBLIC
FESTIVAL D’ANGOULÊME
★★★
PREMIERE
Un ilm de LOUIS-JULIEN
PHOTO : MICHAËL CROTTO © ELEMIAH - ORANGE STUDIO - FRANCE 3 CINEMA 2014
A l’occasion du soixante­dixième
anniversaire de la libération des
camps d’extermination, l’exposi­
tion qui vient de s’ouvrir au Mé­
morial de la Shoah est un événe­
ment inédit : elle rassemble les
images, longtemps inaccessibles,
ou négligées, des atrocités nazies
tournées par les opérateurs de
guerre soviétiques. Ceux­ci ont
été les premiers, souvent les
seuls, à découvrir les sites et les
traces de l’extermination des
juifs, qu’il s’agisse de la Shoah
par balles dans l’Est européen ou
des camps comme Majdanek ou
Auschwitz. Les rushs tournés sur
le front constituent un matériau
terrible, qui donne à voir, au plus
près, l’horreur nue du projet
nazi. Mais, au­delà de ces images
souvent insoutenables, cette re­
marquable exposition témoigne
aussi, en comparant les rushs
avec les films qui en ont été tirés,
de l’effacement méthodique, par
les Soviétiques, de la réalité de la
« solution finale ». Pour l’URSS
victorieuse, seule devait rester la
trace de la barbarie nazie.
LIR E C A HIE R É CO PAGE 8
ELEMIAH présente
CULTURE
Révolte en prison, dans l’épisode 4 de « Gomorra ». EMANUELA SCARPA
LES « HACKEURS
PRO-ISLAM »
CIBLENT
LES SITES
FRANÇAIS
▶ De violentes manifesta­
→
LIR E PAGE S 1 0 E T 2 4
PETIT
avec la participation de
OLIVIER
BARTHELEMY
CORINNE
MASIERO
PASCAL
DEMOLON
SARAH
SUCO
M’BAREK
BELKOUK
ZABOU
BREITMAN
AU CINÉMA LE
21 JANVIER
LIR E PAGE 1 6
Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF,
Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA
2 | les attentats en france
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
François Hollande,
accompagné
notamment de Bernard
Cazeneuve, s’est
immédiatement rendu
sur place après avoir
appris l’attentat contre
« Charlie Hebdo »,
mercredi 7 janvier.
MARC CHAUMEIL/DIVERGENCE POUR
« LE MONDE »
E
tonnant paradoxe : hormis son
ami de trente ans, le secrétaire gé­
néral Jean­Pierre Jouyet, et sa
chef de cabinet, Isabelle Sima,
collaboratrice historique, « dans
cette épreuve, la plus difficile de sa
vie politique et de son quinquennat, le président n’a été entouré que de conseillers qui
n’étaient pour la plupart là que depuis quelques mois », glisse l’un d’eux. Le nouveau di­
recteur de cabinet de François Hollande,
Thierry Lataste, était même arrivé à l’Elysée…
quarante-huit heures plus tôt. Mais, dans la
crise, « un groupe s’est formé », poursuit ce
collaborateur. De même que s’est renforcée,
au sommet de l’exécutif, la solidité du trio
Hollande-Valls-Cazeneuve. En quarantehuit heures chrono, ou presque.
48 heures chrono
De mercredi 7 à vendredi 9 janvier, le président de la
République, le premier ministre et le ministre de
l’intérieur ont affronté un drame d’une violence rare.
Heure par heure, ils ont piloté l’action des forces de
l’ordre, jusqu’au dénouement à l’issue duquel les liens
entre ces trois hommes se sont resserrés
MERCREDI 7 JANVIER - « ILS SONT TOUS
MORTS. VIENS ! »
C’est l’urgentiste Patrick Pelloux qui, le premier, a informé François Hollande de la fusillade à Charlie Hebdo. « J’arrive tout de
suite », répond le président, qui file sur les
lieux du crime. Boulevard Richard-Lenoir, les
cordons de police bloquent la voiture présidentielle. M. Hollande continue à pied vers les
locaux de Charlie Hebdo, entouré par ses officiers de sécurité, « dans une atmosphère de
guerre », selon un témoin. Dans l’une des rues
qu’il emprunte, où les frères Kouachi ont mitraillé la police, des douilles d’AK47 jonchent
le sol. Sur place, le chef de l’Etat est briefé par le
patron du SAMU. M. Hollande ne dit mot,
mais décide immédiatement d’intervenir à la
télévision. « Rien n’est préparé. Ce sont ses
mots à lui », raconte un proche.
« Mon obsession, à ce moment, c’est qu’on les
identifie », raconte Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, qui dans le même temps
déploie des policiers devant les locaux de l’ensemble des médias. Le président rentre déjeuner avec son équipe à l’Elysée. « Il sait qu’à partir du moment où il y est allé, c’est lui qui est en
première ligne », dit un participant. Un peu
plus tard, première réunion ministérielle de
crise d’une longue série, dans le salon vert qui
jouxte le bureau présidentiel. L’atmosphère
est lourde. La piste djihadiste ne fait plus de
doute : la carte d’identité de Saïd Kouachi a été
retrouvée dans la voiture, faisant gagner de
précieuses heures aux enquêteurs. « La priorité est de les capturer le plus vite possible », raconte Manuel Valls. Le plan Vigipirate est renforcé, une cellule de crise installée à Beauvau.
Le trio Hollande-Valls-Cazeneuve s’installe
aux commandes. « C’est là que se constitue
cette unicité de commandement qui durera
jusqu’au dénouement », poursuit le premier
ministre. Mais, au-delà de l’urgence antiterroriste, l’exécutif a saisi l’ampleur du traumatisme : « Nous comprenons que c’est un choc
pour la France », explique M. Valls. La réplique
ne passe pas uniquement par la répression,
mais aussi par la compassion et la communication. Il est 16 heures quand François Hollande arrive à l’Hôtel-Dieu. Il y croise les médecins qui étaient sur place, les proches des
victimes et ceux qui ont réchappé de l’atten-
tat. Premier message du président : « Il faut se
battre. Ils ne sont pas morts pour rien. » Les
proches de Charlie s’interrogent : faut-il faire
un journal la semaine prochaine ? Le chef de
l’Etat est catégorique : « Oui, vous allez faire
un journal. Bien sûr. On vous aidera. »
Le soir, après son allocution télévisée, le président dîne dans son bureau avec son staff
autour de la table que, depuis le début de la
crise, ses conseillers appellent le « bureau
ovale ». La question est désormais politique :
comment recevoir les partis ? « Ce qui s’impose, c’est de maintenir cet esprit d’unité nationale », estime le chef de l’Etat, qui n’hésite pas
une seconde à recevoir aussi Marine Le Pen. Et
qui, surtout, entend traiter avec le plus grand
soin Nicolas Sarkozy. C’est Thierry Lataste, camarade de promotion de Michel Gaudin, directeur de cabinet de M. Sarkozy, qui fait le
lien. Après Merkel et Cameron, Obama et enfin Poutine, François Hollande compose luimême le numéro de son prédécesseur et adversaire : « Tu fais comme tu veux, mais je te
propose de te recevoir en premier, lui dit Hollande. Dans le format que tu veux. »
VENDREDI 9 JANVIER - « L’ADN A
MATCHÉ ! »
Tard dans la nuit de jeudi à vendredi, pendant
laquelle ni Valls ni Cazeneuve n’ont dormi,
l’info a retenti dans le fumoir, au rez-dechaussée de la place Beauvau, où tous les services se coordonnent 24 heures sur 24. L’identité de l’auteur du meurtre de la policière municipale, Amedy Coulibaly, vient d’être confirmée. Le puzzle se reconstitue. Contrairement
à ce qui a pu être indiqué, la DGSE et la DGSI
n’ignorent rien du parcours yéménite des frères Kouachi. Vendredi matin, au terme de
trente-six heures de traque, le filet se resserre
autour des Kouachi, cernés dans l’imprimerie
de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne)
par le GIGN. « On les a », jubile M. Cazeneuve.
Le chef de l’Etat s’apprête à s’attabler avec
son équipe dans le salon des portraits de l’Elysée lorsque, à 12 h 45, M. Cazeneuve l’appelle
pour l’informer de l’attaque dans l’Hyper Cacher, avec nombre d’otages et d’ores et déjà
plusieurs morts probables. « Je comprends
AU-DELÀ DE
L’URGENCE
ANTITERRORISTE,
L’EXÉCUTIF A SAISI
L’AMPLEUR DU
TRAUMATISME :
« NOUS
COMPRENONS QUE
C’EST UN CHOC
POUR LA FRANCE »,
EXPLIQUE M. VALLS
tout de suite que c’est Coulibaly », explique
M. Cazeneuve. Le patron de Beauvau, revenu
de la porte de Vincennes, informe le président, le premier ministre et la garde des
sceaux, Christiane Taubira. Tout l’après-midi,
le quatuor pilote l’opération depuis le bureau
présidentiel. « Vous savez que tout ce qu’on se
dit là sera un jour dans un procès-verbal », lâche M. Valls, qui a pu consulter, place Beauvau, le rapport d’enquête sur l’affaire Merah.
Le chef de l’Etat, vers 16 heures, a tranché :
« Il va falloir y aller vite. De façon concomitante. » Cela afin d’éviter que Coulibaly ne soit
au courant de l’opération de Dammartin. « Le
type est déterminé, il a déjà tué plusieurs personnes, il y a peut-être des blessés en train
d’agoniser. Et, en plus, il demande la publication de bandeaux sur BFM et déroule un plan
de com. Il n’allait pas se rendre. Ça a achevé de
convaincre le président », confie un proche.
La sortie, kalachnikov au poing, des frères
Kouachi à Dammartin, va précipiter l’assaut
porte de Vincennes. Le staff présidentiel suit
de près les chaînes d’info en continu, redoutant que la charge des policiers ne soit diffusée en direct, alertant Amedy Coulibaly. Mais,
quand BFM-TV diffuse les images de Dammartin, les frères Kouachi sont déjà morts et
l’assaut de l’Hyper Cacher a commencé.
Au téléphone, Bernard Petit, patron de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris (PJPP), informe M. Cazeneuve : Amedy
Coulibaly est « neutralisé », les dix-sept otages
restés en vie sont libres. C’est la première fois,
depuis quarante-huit heures, que le président
a souri. « Là, il y a eu un immense soulagement. Une émotion considérable », indique
M. Cazeneuve, qui tombe dans les bras de Hollande, Valls et Taubira. Après son allocution
télévisée devant 17 millions de personnes, le
président dîne avec son staff pour préparer,
déjà, la manifestation de dimanche.
M. Cazeneuve résume le problème : « Mettre
en quarante-huit heures 50 chefs d’Etat au milieu de millions de personnes dans un contexte
de crise terroriste, je ne sais pas si vous imaginez… » Le président, lui, a déjà son idée : les
victimes doivent défiler en tête, devant les
chefs d’Etat. Il lâche son deuxième sourire
quand il apprend que ces derniers seront convoyés en autobus.
DIMANCHE 11 JANVIER - « PARIS EST LA
CAPITALE DU MONDE ! »
Face à son gouvernement réuni à l’Elysée, le
président galvanise ses ministres, comme
« un coach avant un match », rapporte un participant. Avant de passer près de deux heures
sur le perron à accueillir ses pairs. Ceux-ci
l’auront peu vu sous les ors de la salle des Fêtes, hormis ce slalom remarqué entre les dirigeants internationaux pour aller chercher la
chancelière et le président ukrainien, conduits par le bras présidentiel dans un salon du
rez-de-chaussée, afin d’y évoquer la crise en
Ukraine. On l’a en revanche beaucoup regardé
au centre du défilé du « monde libre », expliquant à Angela Merkel comment on manifeste en France, faisant remonter Benyamin
Nétanyahou au premier rang, comme Mahmoud Abbas, réglant le pas de marche. Cependant, le président n’a pas voulu s’exprimer.
« Aucun mot ne sera aussi fort que les images
et les gestes », a-t-il expliqué. Comme cette accolade à Patrick Pelloux, en tête du défilé :
« Quand j’ai pris Pelloux dans mes bras, je voulais qu’il sente que toute la France avait envie
de le consoler », a confié M. Hollande.
Les deux jours qui suivent seront surtout
consacrés aux victimes. Mardi 13 au soir, après
le discours de Manuel Valls à l’Assemblée,
François Hollande, d’ordinaire avare en compliments, commente : « Il a été parfait, il a été
exceptionnel. » Soucieux d’ériger en dynamique politique cet « esprit du 11 janvier », le président l’a martelé mercredi en conseil des ministres : « Les Français attendent de nous que
nous soyons à la hauteur et que nous restions
mobilisés. » Sans couacs et avec sang-froid.
« Pendant ces trois jours, notre relation a été
remarquable, à la fois très précise et très forte.
Au moment de l’assaut, on a vécu un grand moment de fusion », dit M. Valls. « Un très grand
calme, une très grande confiance, une très
grande concentration et aussi de la fraternité.
Là, nous sommes des amis. Et ça se voit », résume M. Cazeneuve. p
david revault d’allonnes
france | 3
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Manuel Valls à l’épreuve du « regain de confiance »
En déplacement à Quimper, le premier ministre a défendu la poursuite de sa politique économique
quimper - envoyé spécial
D
epuis les attentats,
nous avons changé
d’époque. »
Dans
l’avion qui le conduit
vendredi 16 janvier à Quimper, où
il doit inaugurer une nouvelle
usine du groupe Bolloré, Manuel
Valls se fait catégorique. Moins
d’une semaine après les tueries
des 7, 8 et 9 janvier qui ont ensanglanté le pays et fait dix-sept victimes, le premier ministre explique
au Monde que « la violence des attaques, les symboles visés – un journal, des policiers et un commerce
juif – nous ont fait entrer dans une
nouvelle époque et [que] chaque
Français en est désormais conscient ».
Surtout, « la menace demeure »,
précise-t-il, alors que la veille une
opération antiterroriste dans l’est
de la Belgique a fait deux morts
parmi des djihadistes présumés et
que, le matin même, un vaste coup
de filet a eu lieu en région parisienne, se soldant par l’interpellation d’une dizaine de personnes
soupçonnées d’avoir été en lien de
près ou de loin avec les frères
Kouachi ou Amedy Coulibaly.
Depuis sa nomination à Matignon le 31 mars 2014, M. Valls a
sans cesse mis en garde contre la
« menace terroriste » qui n’avait
« jamais été aussi forte ». Les événements de la semaine dernière
lui ont, hélas ! donné raison. « Les
Français ont compris que ce n’était
pas que des mots et que la République n’est pas quelque chose qui va
forcément de soi, mais que certains
veulent réellement la mettre à
bas », confie-t-il. Cette prise de
conscience civique et républi-
Les Français sont
toujours
préoccupés
par le niveau
du chômage
et par la dette
MANUEL VALLS
premier ministre
caine, matérialisée par les « marches » historiques du 11 janvier,
« engage » tous les responsables
politiques, rappelle le chef du gouvernement, trois jours après son
discours applaudi par toute l’Assemblée nationale.
« Le 11 janvier, les Français nous
ont confié un mandat : être à la
hauteur de la situation », expliquet-il. Même s’il sait que « le débat
politique va finir par reprendre, et
c’est normal », le premier ministre
espère que les tensions avec l’opposition, comme les divisions au
sein de la majorité, qui ont miné
les deux premières années du
quinquennat, ne vont pas renaître
une fois l’émotion retombée.
« L’unité nationale, cela ne signifie
pas l’uniformité, on peut bien sûr
continuer à critiquer, mais en se
mettant à la hauteur des Français », prévient-il.
Exceptionnel
Manuel Valls souhaite profiter de
ce « moment exceptionnel » pour
écrire une nouvelle page politique : « Les Français, qui étaient jusqu’à présent méfiants vis-à-vis de
leurs responsables, ont trouvé que
104 procédures en cours
Christiane Taubira a annoncé vendredi 16 janvier aux 167 délégués
du parquet chargés de l’antiterrorisme - relais en région des procédures toutes centralisées à Paris - une série de mesures d’ajustement, bien que la France dispose d’un « arsenal législatif suffisant ». Elle a indiqué que 104 procédures étaient en cours « pour
des actes contre les lieux de cultes, des tracts anti-musulmans, des
actes contre les forces de l’ordre. Il y a eu également des cyberattaques contre des collectivités et des faits d’apologie du terrorisme ».
Ces dossiers concernent 126 individus, dont 81 ont été placés en
détention provisoire, 35 sous contrôle judiciaire, et deux procédures sont gérées conjointement avec l’Espagne et la Belgique.
Manuel Valls lors de l’inauguration de l’usine Bluetram, vendredi 16 janvier, à Quimper. BÉATRICE LE GRAND / PHOTOPQR/OUEST FRANCE.
nous avons été dignes. Combien de
temps cela va-t-il durer ? Cela dépend de chacun d’entre nous. Il ne
faut pas laisser passer cette occasion historique que la confiance se
reconstruise durablement entre les
Français et les politiques », explique-t-il. Un appel lancé aussi bien
aux « frondeurs » socialistes, alors
que doit débuter dans les prochaines semaines l’examen parlementaire de la loi Macron, qu’aux partenaires sociaux engagés dans une
négociation difficile.
S’il dit vouloir éviter de « donner
le sentiment de manipuler » l’esprit
du 11 janvier à des fins politiques,
Manuel Valls entend bien profiter
de ce regain ponctuel de confiance
dans l’opinion pour agir sur
d’autres terrains que le seul terrain
sécuritaire. A commencer par le
terrain économique. L’exécutif
veut croire que le sursaut national
en réponse aux attentats peut
avoir un effet sur l’économie. « Les
discours sur la compétitivité nationale, sur le pouvoir du politique,
vont avoir désormais une tonalité
différente dans le pays », affirme
un conseiller ministériel, pour lequel « les marches du 11 janvier ont
été un formidable démenti à la rengaine décliniste ».
C’est le message que Manuel
Valls a voulu faire passer vendredi
à Ergué-Gabéric, près de Quimper
(Finistère), où il a inauguré la nouvelle usine de construction de
tramways 100 % électriques développés par l’industriel Vincent Bolloré. En terre bretonne, il a une
nouvelle fois plaidé pour les
« atouts économiques de la
France » et pour le pacte de responsabilité, ce « grand effort de la
nation pour aider les entreprises ».
Autant de formules qui peinaient à
convaincre il y a encore quelques
jours mais qui, cette fois, ont semblé résonner un peu différemment. « La France traverse une
épreuve, mais la vie ne s’arrête pas.
Soyons fiers de notre pays et de ses
réussites. L’après, c’est être aussi capable de nous hisser au niveau du
meilleur, de toujours privilégier l’intérêt général, sans retomber dans
les querelles subalternes », a déclaré le premier ministre.
Mais pas question pour autant
de changer de politique économique : la priorité doit rester la réduction des déficits publics, quand
bien même la réponse au terrorisme passe par davantage de
moyens alloués aux services de
renseignement, aux prisons, à
l’éducation nationale ou à la politique de la ville. « Nous sommes en
guerre contre le terrorisme, mais
pas en économie de guerre »,
nuance M. Valls. « Il n’est pas nécessaire d’utiliser la période que nous
traversons pour sortir de nos obligations : les Français sont toujours
préoccupés par le niveau du chômage et par la dette », précise-t-il.
Le chef du gouvernement a demandé à ses ministres d’être
« imaginatifs » pour « mieux répondre » aux fractures sociales
dans le pays, sans forcément alourdir le budget national. « Dans
l’éducation, par exemple, la réponse est davantage une question
de mobilisation de tous les acteurs
qu’un problème financier », assuret-il. Surtout, M. Valls prévient que
les bonnes solutions prendront du
temps, notamment celles liées à
l’école ou à la vie dans certains
quartiers. « Tout cela est l’affaire
d’au moins une génération », estime le premier ministre. p
bastien bonnefous
Pour Marine Le Pen, immigration et islamisme radical sont liés
La présidente du Front national veut rester en marge de l’union nationale contre le terrorisme
M
arine Le Pen voulait
faire entendre sa voix.
Entre le discours de Manuel Valls à l’Assemblée nationale
mardi 13 janvier et les propositions
antiterroristes déjà avancées par
l’UMP, le Front national a peiné à
trouver sa place au lendemain de
la marche républicaine du 11 janvier. A l’occasion d’une conférence
de presse tenue vendredi 16 janvier, Mme Le Pen s’est mise en porte-à-faux par rapport à l’union nationale qui, d’après elle, « ne doit
pas être le garde-à-vous national,
ou pire, un aveuglement national. »
Comme en 2012, Mme Le Pen a
appelé « à la suspension immédiate des accords de Schengen »,
ou encore à « la révision du code
de la nationalité », remettant en
cause « le droit du sol ». Favorable,
à l’instar de l’UMP, à « la déchéance de nationalité pour les binationaux », Mme Le Pen cherche à
se distinguer du parti de droite
qui a proposé de rétablir « le crime
d’indignité nationale ». Une « mesure gadget », dit-elle.
Nicolas Sarkozy a été la cible de
plusieurs attaques de Mme Le Pen,
qui a notamment pointé « ses relations incestueuses avec le Qatar,
soutien à l’islamisme dans le
monde ». Pour afficher sa singula-
rité, elle a musclé son discours sur
les questions sociétales. Selon
elle, il faut mettre en place « un
nouveau service national militaire, de deux ou trois mois ». A
l’école, qu’elle veut celle de « la discipline, de l’autorité du maître, de la
fierté française », elle propose le
« rétablissement de l’uniforme ».
Elle souhaite également mettre
en place des « brigades d’intervention de la gendarmerie pour vider
les caves de leurs armes ».
Si Mme Le Pen « condamne les actes qui visent les lieux de culte musulman » et considère que « tous
nos compatriotes musulmans ne
sont pas communautaristes », son
analyse de fond reste la même : « Il
y a un lien entre l’immigration et le
développement de l’islamisme radical sur notre territoire. » Pour
elle, les récentes attaques terroristes sont le fait de « racailles qui ont
toutes le même profil ». Mais ce
n’est pas en termes d’inégalités
que raisonne la dirigeante frontiste : « Je ne crois absolument pas
qu’il y ait là une dimension économique et sociale », avance-t-elle.
Marine Le Pen devait également
réagir à certaines déclarations embarrassantes de ses proches. Jeudi
15 janvier, c’est son conseiller pour
les questions internationales, Ay-
meric Chauprade, qui avait diffusé
une vidéo sur Internet. Il y déclarait entre autres qu’une « 5 colonne puissante vit chez nous ».
« Les propos d’Aymeric Chauprade
n’engagent que lui », a affirmé
Mme Le Pen, qui a adressé un courriel à ses secrétaires départementaux leur demandant « de ne pas
relayer » cette vidéo. En marge de
la conférence de presse, l’avocat du
FN, Wallerand de Saint-Just, indiquait qu’« en l’état de la jurisprudence les propos tenus dans cette
vidéo étaient condamnables,
comme leur diffusion ».
e
Anarchiste
Vendredi 16 janvier, c’était JeanMarie Le Pen qui lançait un début
d’incendie. Dans un entretien accordé à un tabloïd russe, le président d’honneur du FN a déclaré :
« Je ne suis pas Charlie Hebdo. Ce
journal anarchiste était l’ennemi
direct de notre parti. » Chiffrant « à
15-20 millions » le nombre de musulmans vivant en France, JeanMarie Le Pen aurait également affirmé : « La fusillade à Charlie
Hebdo ressemble à une opération
des services secrets, mais nous
n’avons pas de preuves. » Vendredi,
sa fille s’est montrée perplexe, disant « ne pas connaître ces pro-
pos ». Contacté par Le Monde, JeanMarie Le Pen maintient la quasitotalité de ses affirmations. Certes,
le vieux leader frontiste ne se
« souvient pas d’avoir parlé des ser-
vices secrets » mais il juge tout de
même « étonnant de trouver une
carte d’identité avec des tueurs
aussi organisés. Je m’étonne simplement de cela et je crois que je ne
suis pas le seul ». Il trouve par
ailleurs les propos tenus par
M. Chauprade dans sa vidéo « tout
à fait justes et intelligents ». p
amos reichman
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de France participant à l’opération sur www.roche-bobois.com
OUVERTURE EXCEPTIONNELLE DIMANCHE 18 JANVIER.
4 | france
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Emotion à Béthune après des actes islamophobes
La future mosquée a été taguée d’un « Dehors les Arabes » après l’attentat contre « Charlie Hebdo »
béthune (pas-de-calais)
– envoyée spéciale
V
endredi 16 janvier, à
Béthune (Pas-de-Calais), la discussion est
animée dans le local
municipal plutôt spartiate où se
tient chaque semaine la grande
prière. Les fidèles, toujours plus
nombreux, ne peuvent plus être
accueillis dans ce petit espace
aménagé tant bien que mal au
rez-de-chaussée d’un immeuble
de la zone à urbaniser en priorité
(ZUP) de Mont-Liébaut, seul lieu
de culte musulman de la ville.
La salle se trouve à quelques mètres du chantier de la future mosquée, qui s’éternise faute de financement, et dont la palissade a été
taguée d’un « Dehors les Arabes »
inscrit à la peinture noire dans la
nuit du 8 au 9 janvier. L’Association musulmane de l’agglomération béthunoise (AMAB) a porté
plainte, des empreintes digitales
ont été relevées sur les lieux. Une
enquête est en cours.
« Ce n’est pas le premier incident : des ouvriers ont été caillassés, des pieds et des têtes de porc
ont été jetés par-dessus la palissade… », raconte Yassine Brahim,
président de l’AMAB. Comme chaque trimestre, l’association créée
en 2006 organise une conférence
dans le but de montrer que la laïcité à la française ne signifie pas
l’hostilité aux religions.
« Nous n’avons pas ébruité ces incidents pour ne pas perturber la
campagne », reconnaît Stéphane
Saint-André, député (PRG) et ancien maire battu aux élections de
mars 2014, présent à la conférence.
« Ce projet de mosquée, c’est moi
qui en ai délivré le permis de construire, mais ce n’est pas ça qui m’a
coûté mon élection », assure-t-il.
Son successeur, Olivier Gacquerre (UDI), partage l’émotion de
ses concitoyens : « Nous avons dès
« La société
française nous
permet
de pratiquer
notre religion.
A nous d’ouvrir
nos mosquées »
ASSAN IQUIOUSSEN
imam
que possible fait effacer le tag. Je
connais bien le quartier du MontLiébaut, dont je suis un enfant, confie-t-il. Je défends ce multiculturalisme, ce brassage. Je suis moimême catholique et ma femme
musulmane. La mosquée sera un
lieu cultuel, pas de prosélytisme. »
Jamais avouée franchement,
l’opposition à la mosquée de Béthune existe pourtant bel et bien.
Jimmy (qui souhaite rester anonyme), ouvrier, habitant de cette
ZUP, ne cache pas son hostilité :
« Des mosquées, il y en a déjà partout dans la ZUP, et chez eux, on n’a
pas le droit de construire des églises ! », lance-t-il.
« Nouvelle provocation »
« C’est vrai que la nouvelle de cette
construction n’a pas été accueillie
de gaieté de cœur par les habitants
de la cité des Cheminots, qui ont été
mis devant le fait accompli », admet Jacques Guyot, président de
l’association des habitants de cette
résidence. Cet ensemble d’aprèsguerre de 230 maisons de brique,
plutôt coquettes avec leurs jardinets, héberge pour l’essentiel des
retraités du rail qui ne communiquent guère avec leurs voisins de
la ZUP. Le projet de mosquée est
d’autant plus mal passé qu’il a été
implanté sur un terrain de la SNCF
où il y avait un foyer et une bibliothèque qu’ils fréquentaient.
Dans le local de l’association des musulmans de l’agglomération de Béthune, le 16 janvier. OLIVIER TOURON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Dès le début de la conférence,
l’imam s’est montré ferme : « Musulmans, arrêtez de pleurer sur
vous-mêmes. Vous n’êtes pas français à moitié, affirmez votre identité nationale. La société française
nous permet de pratiquer notre religion. A nous d’ouvrir nos mosquées », lance l’imam Assan
Iquioussen aux quelque 150 fidèles de Béthune, hommes et femmes séparés, venus l’écouter, vendredi soir. Le thème de la conférence, « Quel regard porter sur
l’islam d’aujourd’hui ? », choisi
bien avant les récents événements, prend encore plus de sens.
« Oui, il faut le reconnaître, il y a,
dans notre confession, des tarés
qui sont très dangereux et que
nous devons dénoncer, insiste
l’imam Iquioussen. Si vous trouvez qu’il y a des choses à changer
dans la société française, parce
qu’il y a trop de chômage ou parce
que vous pensez qu’il faudrait une
loi contre l’islamophobie, votez, allez voir votre député. »
« Nous condamnons la tuerie et
ces actes barbares, mais la couver-
ture du dernier numéro de Charlie
Hebdo, qui représente à nouveau
le Prophète, m’a anéanti. C’est une
nouvelle provocation et j’ai peur
du cercle vicieux, explique Mohammed Elgarcham, boulanger
dans un des derniers commerces
de la ZUP, et je ne suis pas Charlie. »
« Moi si, je suis Charlie, mais aussi
Mohamed, Pierre… », lui répond
Salem Bouzbaya. Surgit alors Roger, 82 ans, habitant du quartier,
un catholique qui vient régulièrement retrouver ceux qu’il appelle
ses « frères ». « Je préfère prier ici
qu’à l’église, avec eux je suis heureux, je les aime », explique-t-il.
« Devons-nous quitter la France
et nous installer dans un pays musulman, pour vivre notre foi ? »,
s’interrogent finalement des participants à la fin de la conférence.
« Ne rêvez pas : bien des pays musulmans ne vous offrent pas autant
de liberté que la France. Vous êtes
cependant libres de vous expatrier
si vous voulez. Et, comme la France
est généreuse, vous gardez votre
nationalité », conclut l’imam. p
isabelle rey-lefebvre
« Les enfants ne savent plus qui croire »
Dans l’agglomération lyonnaise, des mères musulmanes témoignent de leurs difficultés à répondre aux interrogations des plus jeunes
lyon – correspondant
D
epuis l’attentat contre
Charlie Hebdo et la prise
d’otages de l’Hyper Cacher, les mères musulmanes de
l’école La Maison des Trois-Espaces, dans le quartier des Clochettes
à Saint-Fons (Rhône), sont désorientées. Leurs enfants ont peur.
Peur de la violence, d’un nouvel attentat, de représailles… « Mon fils
de 12 ans ne veut plus prendre le bus
ou le métro, on doit l’accompagner
au collège, c’est loin », confie Sevda,
32 ans – la jeune femme préfère
garder l’anonymat. A cela s’ajoutent des questions auxquelles il
n’est pas toujours facile de trouver
des réponses.
Cette mère native de la région
lyonnaise, d’origine turque, affirme qu’elle tient un discours
clair et net à ses trois enfants : « Je
leur dis que notre religion n’a rien à
voir avec ces actes de violence, c’est
tout le contraire, on n’a pas le droit
d’enlever la vie. »
Vendredi 16 janvier à la sortie de
l’école, toutes les mères musulmanes partagent cet argument. Une
maman d’origine algérienne raconte que son fils a été l’objet d’attaques verbales. « Il est revenu du
collège en me demandant : pourquoi les musulmans sont des
tueurs ? J’ai répondu que l’islam n’a
jamais dit d’être violent, les intégristes profitent des gens qui n’y connaissent rien. » Elle espère l’avoir
convaincu, heurtée de devoir justifier sa religion à son propre enfant : « Ça m’a fait mal au cœur. »
« Tout se mélange »
Dans cette banlieue populaire de
l’agglomération lyonnaise, à deux
pas du quartier des Minguettes de
Vénissieux, la période renvoie les
enfants à des questions identitaires. « Tout se mélange dans leur
tête. Ils me demandent pourquoi
on vit ici, pourquoi pas dans notre
pays alors qu’ils sont français !
Mon garçon ne sait plus où se situer. C’est difficile de lui faire comprendre », constate Sevda.
Son visage cerclé d’un voile
beige se crispe lorsqu’elle évoque
les réseaux sociaux. Facebook colporte rumeurs et théories délirantes. Les jeux vidéo charrient
des images agressives. Son garçon
a reçu la photo d’un copain qui
posait avec un pistolet en plastique en disant « Je suis Al-Qaïda ».
Et elle est effarée lorsqu’elle l’entend dire « Je suis Coulibaly » alors
que la veille il disait « être Charlie ».
« On leur explique que c’est très
grave, la violence est inadmissible », ajoute Katell, visage aux
yeux bleus couvert d’un grand
voile, se disant « Française convertie ». Pour elle, sa tâche serait
plus simple si l’école pouvait donner des cours sur toutes les reli-
gions afin d’éviter les malentendus. « Ils ne savent plus qui croire,
leurs parents, leurs instituteurs,
leurs copains », dit Nadia, 23 ans,
une grande sœur qui revendique
le rôle d’intermédiaire entre la
maman et ses deux frères de 8 et
10 ans.
Sentiments contradictoires
Mieux apprendre les religions à
l’école ? En commençant par la laïcité. Un enseignant de l’école primaire La Maison des Trois-Espaces s’inquiète du risque de cassure
entre les mamans et l’école. « On
ne parle pas des attentats avec les
parents, c’est tacite, ils nous
aiment et ne veulent pas nous
froisser avec certaines réflexions
qu’ils ont. Nous, on ne veut pas se
retrouver à arbitrer des débats
sans fin », dit-il.
Selon lui, « une trentaine de familles sur les 200 de l’école sont assez accro à la religion, ce qui créée
régulièrement des incidents ». Une
exposition mal vécue, une affiche
sur la morphologie des enfants,
un film trop osé : « On fait des réunions pour régler ça. » Le directeur
de l’école dresse un dur constat :
« Les tueries de Paris ont matérialisé une frontière encore plus marquée dans l’école. »
A quelques kilomètres de SaintFons, la grande mosquée de Lyon
est gardée par trois militaires.
Après la prière, les conversations
se poursuivent dans la salle à
l’étage. En petits groupes, les femmes sont intarissables, désireuses
de parler des enfants autant que
de leur peine en ces temps périlleux. Séparer les terroristes de
l’islam : la volonté est unanime,
farouche.
Le débat bute sur un point : les
caricatures de Mahomet, considérées comme blasphématoires. Sujet brûlant auprès des enfants
parfois déboussolés. Les femmes
plus âgées n’osent pas trop s’aventurer sur ce terrain. Chakroun, 56
ans, grand-mère de Vaulx-en-Velin, préfère entourer de « silence »
sa petite-fille de 7 ans.
Les jeunes femmes relaient plus
franchement les sentiments contradictoires qui circulent dans les
familles musulmanes. Comme
Assia, 21 ans, de Villeurbanne :
« Les caricatures de Charlie ne sont
pas sanctionnées, quand Dieudonné parle des juifs, ça ne va plus.
Pourquoi attaquer une religion
plutôt qu’une autre ? Je ne cautionne pas les attentats, c’est sûr et
certain, tous ces islamistes sont à
l’ouest, mais je ne suis pas Charlie,
je ne cautionne pas les caricatures. » Signe d’incompréhension,
une maman s’approche timidement, à propos de la une du dernier numéro de Charlie Hebdo :
« “Tout est pardonné”, ils ont voulu
dire quoi ? » p
richard schittly
1000 COUPS DE FOUET
POUR S’ÊTRE EXPRIMÉ
#JeSuisRaif
La liberté d’expression est un droit fondamental pour chacun d’entre nous, quelles que soient son origine,
sa nationalité ou sa confession. Depuis plus de 50 ans, Amnesty International se bat tous les jours, partout
dans le monde, pour défendre ce droit, comme elle le fait pour l’ensemble des droits énoncés dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Plus que jamais, nous avons besoin de vous.
Exigeons la libération de Raif Badawi.
Agissez sur amnesty.fr
6 | france
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Dans le huis clos de l’Hyper Cacher de Vincennes
« Le Monde » a reconstitué les quatre heures de la prise d’otages, qui a fait quatre victimes
CHRONOLOGIE
13 heures
Amedy Coulibaly lance son
attaque contre l’Hyper Cacher
de la porte de Vincennes. Très
vite, il contacte la police par
téléphone en faisant le 17 :
« Vous savez qui je suis »,
déclare-t-il avant de raccrocher.
14 h 30
Amedy Coulibaly fait arracher les
câbles des caméras de surveillance, oblige les otages
à éteindre leur téléphone. Il
appelle le commissariat du
12e arrondissement de Paris
et demande à parler au premier
ministre et au président de
la République.
15 heures
Deux otages sont contraints à
appeler le 17 pour signaler la
mort de trois personnes. Ils décrivent l’armement d’Amédy
Coulibaly et indiquent qu’ils portent un gilet pare-balles. C’est
à ce moment que RTL appelle
le magasin. Amédy Coulibaly
décroche et raccroche mal
le combiné. Les journalistes
entendent le terroriste justifier
son acte auprès des otages.
L’enregistrement dure une
trentaine de minutes, la conversation est ensuite coupée.
17 h 15
La BRI et le RAID lancent l’attaque. Bilan de l’après-midi : 5
morts – dont Amedy Coulibaly –
et 9 blessés, dont un policier.
7 PERSONNES
DONT 1 BÉBÉ
RÉSERVE
(au sous-sol)
HUIT OTAGES
PA R I S
HYPER CACHER
ENTRÉE
DE LA RÉSERVE
AMEDY COULIBALY
AU DÉBUT DE L’ASSAUT
(17.10)
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ENTRÉE
DU MAGASIN
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CAISSES
AV
I
l ne reste plus que quelques
heures avant shabbat, ce
vendredi 9 janvier. Une semaine éprouvante s’achève
enfin. Deux jours plus tôt, les frères Kouachi ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo. Une policière a été tuée, la veille, à Montrouge, dans les Hauts-de-Seine,
sans qu’on n’en connaisse les raisons. Il y a toujours de l’anxiété
dans l’air. Grâce à l’information
en continu, les clients du supermarché casher de la porte de Vincennes peuvent toutefois raisonnablement penser que le danger
est loin. Tous les regards sont
tournés vers Dammartin-enGoële, en Seine-et-Marne, à 40 km
de là, où les frères Kouachi sont
retranchés dans une imprimerie
depuis l’aube. Comment imaginer qu’un troisième terroriste va
faire irruption là, devant eux,
alors qu’ils effectuent leurs courses ? Récit d’un huis clos de quatre
heures entre 23 otages et leur
bourreau, que Le Monde a reconstitué grâce aux témoignages recueillis par les médias et des éléments d’enquête inédits.
C’est à 13 heures qu’Amedy Coulibaly surgit dans cette enseigne
très connue de la communauté
juive, deux kalachnikovs à la
main et une caméra GoPro autour
du cou. À cet instant, Philippe Braham, 45 ans, cadre informatique,
dépose ses articles sur le tapis
pour payer. Un père et son fils patientent derrière lui. Zarie Sibony,
la caissière, enchaîne les clients
sans trop prêter gare. La jeune
femme, 22 ans, travaille à l’Hyper
Cacher depuis trois mois. Son
amie, Andrea Samak, installe des
produits en rayon ; Yohan Cohen,
23 ans, lui, range les chariots.
La panique est immédiate : « Il a
tiré dans tous les sens. (…) Les gens
hurlaient. (…) Je me suis dit : “Si je
ne me sauve pas, je vais y passer” »,
témoignera un client, l’un des rares à avoir eu le temps de s’échapper. Seules deux autres personnes
auront le temps de s’enfuir,
comme lui, par la sortie de secours. Sophie n’a pas eu cette
chance. Elle a raconté à Europe 1 :
« Le temps que je réalise, (…) il m’a
RU
dit : “Tu rentres tout de suite !” Je
n’ai pas pu faire marche arrière.
Une personne a voulu partir : il lui
a tiré dans le dos. »
C’est François-Michel Saada, 64
ans. Il n’était pas dans le magasin
quand Amedy Coulibaly a fait irruption. Il approchait seulement
quand Zarie Sibony baissait le rideau de fer, sur ordre du terroriste. Croyant qu’elle fermait à
cause de shabbat, M. Saada l’a supplié de le laisser entrer. « Sors,
sors, n’entre pas », lui souffle-telle. « Mais il voulait tellement
acheter de la hallah (brioche que
l’on partage à shabbat) qu’il n’a
pas fait attention », a raconté la
jeune femme au quotidien Israel
Hayom. Quand il comprend,
M. Saada tente de rebrousser chemin, mais Amedy Coulibaly lui
tire dans le dos. Il s’effondre.
Deux balles dans la main
Philippe Braham, l’homme qui se
trouvait à la caisse, est aussi tué
dès le début de la prise d’otage.
Son corps et celui de M. Saada
vont rester là jusqu’à l’assaut du
RAID et de la BRI. A côté d’eux, Yohan Cohen, grièvement atteint à
la joue, appelle à l’aide. Le gérant
du magasin, Patrice Walid, s’approche, mais le terroriste lui tire
deux balles dans la main. Il sera le
seul à parvenir à s’enfuir par l’entrée principale…
L’Hyper Cacher de la porte de
Vincennes est incontournable
pour qui mange strictement
casher à Vincennes, Saint-Mandé
ou dans l’est Parisien. Dans ce magasin pas plus grand qu’un
Franprix, on trouve évidemment
tous les produits alimentaires cachers et pour chaque fête des spécialités, comme des beignets pour
Hanouccah, ainsi que de la vaisselle jetable, très utilisée par les
plus religieux.
Une fois le rideau de fer baissé,
Amédy Coulibaly s’organise.
« Mettez-vous là », « ne bougez
pas », ordonne-t-il aux otages
qu’il conduit au fond du magasin.
Zarie Sibony s’est glissée sous sa
caisse. « Tu n’es toujours pas
morte, tu ne veux pas mourir ? »,
lui crie-il. Réalisant qu’il manque
du monde, il l’envoie au sous-sol.
« Si tu ne reviens pas dans dix secondes, je les tue », menace-t-il en
désignant notamment sa copine
Andréa.
E
AL
CAISSE
HS
BE
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-W
IL
LE
M
ET
Emplacement
probable
des otages
tués
Parcours de sortie
de Lassana Bathily
en début d’après-midi
Z
« Je ne
comprends pas
pourquoi il ne
nous a pas tués
dans la longue
minute qui a
précédé l’entrée
de la police »
ZARIE SIBONY
caissière du magasin
Jeudi 15 janvier, le Daily Mail a
publié des images inédites de l’intérieur du magasin. Sur ces photos extraites des caméras de surveillance, on voit huit otages blottis entre des bouteilles d’alcool et
des sachets de pistaches, une
poussette bleue abandonnée au
rayon confiserie. On aperçoit surtout Amedy Coulibaly en jean et
gilet pare-balles organiser son
siège. Ordonner de barricader les
issues avec des sacs de sucre, de farine. Jusqu’à 14 h 40, où il imposera de détruire ces caméras gênantes.
C’est dans cette ambiance à la
fois extrêmement tendue et désordonnée, que Yohav Hattab, 21
ans, tente un geste désespéré. Le
jeune homme s’aperçoit que le
terroriste a laissé traîner une de
ses kalachnikovs. Il croit pouvoir
s’en saisir. Mais ce que ne sait pas
Yohav, c’est que l’arme s’est enraillée pendant l’assaut. Il a à
peine le temps de l’attraper
qu’Amedy Coulibaly lui tire deux
balles dans la tête. Yohav était le
fils du grand rabbin de Tunis.
Alors que le jeune homme est
tué sur le coup, une quinzaine de
personnes sont encore cachées au
sous-sol, réparties dans deux
chambres froides. C’est Lassana
Bathily, 24 ans, un employé malien, qui les a guidées là pendant
l’assaut. Il se trouvait à la réserve
lorsqu’il a entendu des coups de
feu à l’étage, a-t-il raconté à l’AFP.
Quand Zarie Sibony descend, c’est
sur lui qu’elle tombe. Le jeune Malien pense qu’il faut tenter quelque chose. Son idée : utiliser le
monte-charge, et s’échapper par
la sortie de secours, à l’arrière.
Mais aucun des autres clients ne
croit alors à son plan. Ils craignent
que l’appareil ne fasse trop de
bruit.
Le jeune Malien décide finalement d’y aller seul. En sortant du
magasin, il se met à courir. Un réflexe de désespéré qui déstabilise
les policiers, surpris de l’irruption
de cet homme noir au cœur du
dispositif de sécurité. Les forces
de l’ordre ne savent alors pas si le
terroriste a un complice ou pas. Ils
courent vers lui, le plaquent au
sol. Lassana Bathily a beau expliquer qu’il n’est qu’un employé du
magasin, il est menotté. Lorsqu’il
aura réussi à gagner la confiance
des policiers, il leur dessinera le
plan du magasin.
« Non, ne le tue pas ! »
Au sous-sol, une fois Lassana
parti, les otages retiennent toujours leur souffle. Seuls trois ont
accepté de remonter avec la caissière la première fois, dont Yohab
Hattab, qui vient d’être abattu. La
jeune femme est contrainte une
nouvelle fois de redescendre pour
convaincre les récalcitrants. Zarie
Sibony persuade cette fois un
père et son enfant de trois ans,
ainsi qu’un haut fonctionnaire de
67 ans – le seul « goy » comme il
se définira plus tard. « J’ai hésité, a
détaillé plus tard ce dernier à l’AFP,
puis je me suis dit : “Tant qu’à faire,
je préfère mourir à l’air libre que
dans une cave.” »
Sept personnes sont retranchées dans l’autre chambre
froide, qu’ils ont, contrairement
aux autres, pu fermer de l’intérieur. Parmi elles : une mère et
son bébé de dix mois. Zarie Sibony appelle, mais nul ne répond.
Alors, pleine de sang-froid, elle finit par lâcher : « Laissez tomber,
on dira qu’il n’y a personne. » Ce
groupe restera jusqu’à l’assaut final, assis sur des palettes, accoudé
sur des cartons de poissons, à envoyer des SMS, tenter de se réchauffer et espérer que le preneur
d’otages ne les trouve pas.
Quand Zarie remonte pour la
deuxième fois, Amedy Coulibaly
salue le petit groupe. « Venez
monsieur », dit-il au vieux fonctionnaire. « Il était étrangement
calme, a rapporté au Point Mickael, le père de l’enfant de trois
ans. Il nous a dit : “Je suis Amedy
Coulibaly, Malien, musulman. J’appartiens à l’Etat islamique.” » Ils
rejoignent des otages regroupés
au rayon alcools et produits de
luxe. Il vient furtivement l’idée au
retraité qu’il « pourrait manger du
foie gras avant de mourir ». Mais il
se trouve juste en face de trois cadavres et de Yohan Cohen qui crie
toujours de douleur. « Vous voulez que je l’achève ? », demande le
terroriste. « Non, ne le tue pas », le
supplient les otages. « Il était
blessé depuis tellement de temps
que l’on a pensé qu’il n’allait pas
mourir », expliquera par la suite la
caissière.
A ce moment-là de l’après-midi,
Amedy Coulibaly confisque les téléphones et les cartes d’identité de
tout le monde. Il appelle le 17, demande à ce qu’on lui trouve le numéro de téléphone de BFM-TV qui
n’annonce toujours aucun mort.
De son sac, il sort enfin un ordinateur et cherche à y insérer la carte
mémoire de sa GoPro. Enervé, il
demande de l’aide. Un informaticien s’avance et l’aide à se connecter avec l’ordinateur du magasin.
Dans le bureau du gérant, le téléphone n’arrête pas de sonner. Za-
Coulibaly aurait repéré les lieux
C’est Joël Walid, le frère de Patrice Walid, patron de l’Hyper Cacher, qui, le premier, a laissé entendre, sur i-Télé, qu’Amedy Coulibaly avait repéré les lieux avant sa prise d’otages. Interrogé peu
de temps après le drame, il assure l’avoir vu à deux reprises dans
le magasin : la semaine précédente puis le matin des événements. « Mon frère lui a demandé ce qu’il voulait, il était très
poli et lui a répondu : “Je regarde.” »
Le jour de l’attaque, Patrice Walid l’aurait reconnu « tout de
suite », et c’est pour cette raison que ce dernier lui aurait tiré
dessus. Le gérant réussira cependant à s’enfuir.
Selon une caissière de la boutique, Zarie Sibony, une moto
suspecte avait également tourné la veille devant le magasin.
Les employés avaient prévenu la police, mais aucune suite
n’aurait été donnée à ce signalement.
rie Sibony est priée de prendre les
messages. Vers 15 heures, RTL appelle, mais cette fois, c’est Amedy
Coulibaly qui décroche. Il raccroche aussitôt mais repose mal le
combiné. Dans l’enregistrement
remis aux enquêteurs, on l’entend discuter avec ses otages. Le
ton est calme, comme s’ils tentaient de l’amadouer. Amedy
Coulibaly explique notamment
vouloir venger les morts au Mali,
en Syrie, en Irak. Une phrase, va
particulièrement marquer Zarie
Sibony, la caissière : « La différence entre les musulmans et vous,
les juifs, c’est que vous donnez un
sens sacré à la vie. Pour vous, la vie
est trop importante. Nous, nous
donnons un sens sacré à la mort. »
A mesure que les heures passent, la fatigue aidant, la tension
finit par baisser entre le terroriste
et les clients. Ils les laissent téléphoner à condition qu’ils mettent
le haut-parleur. Le garçon de trois
ans a le droit de manger des bonbons. Amedy Coulibaly s’isole
même à plusieurs reprises pour
sa prière. C’est lors de l’un de ces
moments de recueillement que
les forces de l’ordre vont intervenir. Les otages sont aussi surpris
que le terroriste. Une explosion
retentit. Puis le rideau de fer se
lève, lentement, très lentement.
Les otages se jettent au sol. « C’est
là que j’ai eu le plus peur », témoignera Marie sur RMC. « Je ne comprends pas pourquoi il ne nous a
pas tués dans la longue minute qui
a précédé l’entrée de la police », racontera de son côté Zarie.
Les rescapés de la chambre
froide, ainsi qu’une femme cachée dans les toilettes, sont les
derniers à être libérés. « Au moment où ils ont ouvert la porte, (…)
on ne savait pas si c’était les méchants ou les gentils, racontera Sophie. Je voyais des lasers rouges sur
moi, je me suis dit : ils vous nous tirer de dessus. » C’est bien la fin du
cauchemar. Les forces de l’ordre
confortent, rassurent. « C’est bon,
c’est nettoyé ! », répètent-ils dans
leur jargon commando. Un policier aura la présence d’esprit de se
tourner vers la jeune mère avec
son nourrisson et lui conseillera :
« Vous lui mettez les mains sur les
yeux et vous sortez en courant. » p
emeline cazi et elise vincent
(avec hélène sallon
et nathalie brafman)
international | 7
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DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Manifestations de colère antifrançaises
Au Niger et au Pakistan, les protestations contre la publication de caricatures du Prophète ont pris un tour violent
D
es morts à Zinder, des
drapeaux
français
brûlés à Dakar, des
blessés à Alger et Karachi… Ce vendredi 16 janvier, premier jour de grande prière depuis
la sortie du dernier numéro de
Charlie Hebdo reproduisant des
caricatures du Prophète, des manifestations de colère contre la
France se sont déroulées dans
plusieurs pays musulmans.
Les réactions ont été particulièrement violentes au Niger. Ainsi à
Zinder, deuxième ville du pays,
quatre personnes sont mortes,
trois civils tués par balle et un
gendarme. Quarante-cinq autres
ont été blessées dans une manifestation qui a dégénéré. Des églises et des magasins tenus par des
chrétiens ont été incendiés. Un
commerçant rapporte que « les
manifestants criaient “Charlie est
le diable, que l’enfer engloutisse
ceux qui soutiennent Charlie” ».
Malgré les tirs de sommation, le
centre culturel français a été incendié par une cinquantaine de
manifestants.
Drapeaux français brûlés
A Alger aussi, plusieurs milliers
de personnes sont descendues
dans les rues, répondant aux appels lancés sur les réseaux sociaux, alors même que les manifestations sont interdites depuis
2001. A la sortie de la mosquée du
quartier populaire de Belcourt,
un drapeau français a été brûlé. La
foule scandait « Kouachi, martyrs », en référence au nom des
deux frères auteurs des attentats.
Des slogans tels que « Nous voulons un Etat islamique » ont été
entendus. Des rues de la capitale
algérienne ont été fermées pour
empêcher la marche, donnant
lieu à un face à face tendu avec les
jeunes manifestants. Certains
sont parvenus au Parlement, devant lequel ils ont organisé un
sit-in. L’intervention des forces de
police a dégénéré en affrontements. Plusieurs personnes ont
été interpellées.
Au Niger,
un commerçant
rapporte que
« les manifestants
criaient :
“Charlie
est le diable” »
Le Pakistan a également été le
théâtre d’affrontements. A Karachi, les violences ont commencé
lorsque plusieurs milliers de personnes ont tenté d’approcher le
consulat français. Un photographe pakistanais travaillant pour
l’Agence France-Presse a été grièvement blessé, touché au poumon par une balle. D’autres manifestations se sont également déroulées dans les grandes villes du
pays : Islamabad, Lahore, Peshawar et Multan, où un drapeau
français a été brûlé.
Ailleurs, la colère a été davantage contenue. En Mauritanie,
plusieurs milliers de personnes
ont tenté de se rendre à l’ambassade de France, mais elles ont été
bloquées par la police. Les manifestants ont alors dressé des tribunes sur lesquelles des drapeaux
français ont été brûlés. Des scènes
similaires ont été observées à Dakar, où un millier de manifestants
ont défilé, portant des pancartes
sur lesquelles était inscrit « Ne
touche pas à mon prophète », « La
liberté de blasphémer tue la liberté
d’expression ».
En Turquie, seul pays musulman où une partie du numéro de
Charlie Hebdo avait été reproduite
dans le quotidien Cumhuriyet, un
défilé d’une centaine de personnes en hommage aux frères
Kouachi a été organisé à l’appel
d’une association islamique radicale. Les manifestants, qui ont déployé une banderole représentant
les Kouachi et Oussama Ben La-
Des manifestants ont mis à sac trois églises et brûlé le centre culturel français à Zinger, au Niger, vendredi 16 janvier. AFP
den, portaient des pancartes avec
la mention « Nous sommes tous
Kouachi ».
Plusieurs centaines de musulmans palestiniens ont aussi manifesté sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est, partie palestinienne de la ville annexée par
Israël. Environ 2 500 manifestants, dont des membres des Frères musulmans, ont été dénombrés à Amman, capitale de la Jordanie. Des slogans tels que « l’atteinte au grand prophète relève du
terrorisme mondial » ponctuaient
le défilé. Le Front islamique d’action, avait proclamé que « l’atteinte à la personne du pro-
phète […] est une atteinte à tous les
musulmans à travers le monde ».
Des dizaines d’islamistes ont
aussi manifesté devant l’ambassade de France au Koweït.
Appel à « ignorer » ces dessins
Enfin, aucun regroupement n’a
été observé en Egypte. Mercredi 14, la mosquée et l’université
Al-Azhar, parmi les plus prestigieuses institutions de l’islam
sunnite, avaient appelé les musulmans à « ignorer » ces dessins. Au
Soudan voisin, où plusieurs oulémas (théologiens, principalement sunnites, de l’islam) avaient
appelé à manifester après la
prière, quelques centaines de fidèles seulement se sont brièvement rassemblés devant la
Grande mosquée de Khartoum, la
capitale, en scandant « Expulsez
l’ambassadeur de France, victoire
au prophète de Dieu ! »
Même à la mosquée Al-Fath de
Tunis, connue pour être fréquentée par des fondamentalistes, la
réaction populaire s’est limitée à
de vifs échanges. Alors que
l’imam Noureddine Khademi expliquait que, s’il était « contre
toute atteinte [au] Prophète », « ce
qui s’est passé [l’attentat du 7 janvier] est contre l’islam, qui est une
religion de tolérance » certains fi-
dèles l’ont interrompu, prétendant que les journalistes de Charlie Hebdo « méritaient d’être tués
puisqu’ils ont insulté plusieurs fois
[le] Prophète ».
En Iran, si l’ayatollah Movahedi
Kermani et les autorités ont à
nouveau dénoncé les caricatures,
la manifestation prévue vendredi par des étudiants islamistes a été annulée, sans motif officiel. L’agence de presse Fars affirme néanmoins qu’elle a été reportée à lundi 26 janvier, devant
l’ambassade de France à Téhéran,
sous réserve d’obtenir l’aval des
autorités. p
service international
Le gouvernement belge déploie l’armée contre la menace djihadiste
La cellule démantelée jeudi à Bruxelles prévoyait des attaques contre la police. De nouvelles mesures visent les combattants rentrant de Syrie
bruxelles - correspondant
L
e gouvernement belge a décidé de réagir vigoureusement après le démantèlement, jeudi 15 janvier, d’un réseau
terroriste qui projetait une série
d’actions, notamment contre des
policiers. Le premier ministre,
Charles Michel, a dévoilé un plan
en douze points qui sera soumis
au Parlement et, espère-t-il,
adopté d’ici un mois. La mesure la
plus spectaculaire est le recours à
l’armée pour la surveillance des
lieux stratégiques. Le pays n’avait
connu un tel dispositif que dans
les années 1980, lors d’attentats
commis par les Cellules communistes combattantes, proches
d’Action directe. Quelque 150 soldats ont été immédiatement déployés malgré l’opposition des
syndicats de policiers.
Le plan du gouvernement vise
aussi à transformer en infraction
le fait de se rendre à l’étranger « à
des fins terroristes ». Le retrait de
la nationalité sera facilité pour les
personnes qui ont une double nationalité, comme celui du passeport et de la carte d’identité pour
les candidats au départ. Les
moyens des services chargés des
écoutes et ceux de la sûreté de
l’Etat (renseignement intérieur)
seront renforcés. Pour tenter d’endiguer les phénomènes de radicalisation en prison, un plan de formation des personnels pénitenti-
aires sera lancé, en collaboration
avec des « conseillers islamiques » déjà actifs dans les établissements pénitentiaires. Un
meilleur dispositif devrait, par
ailleurs, être mis au point pour
surveiller le retour en Belgique de
ceux qui ont séjourné en Irak ou
en Syrie.
Ce dernier phénomène inquiète
particulièrement les autorités, qui
tentent toutefois de le minimiser.
Selon elles, 184 Belges seraient actuellement présents dans des
zones de combat et 100 returnees
seraient rentrés au pays. Un chercheur, Pieter Van Ostaeyen, évoque plutôt 450 combattants et un
flot qui n’est pas près de se tarir.
Pessimiste, l’universitaire pense
que d’autres attaques se préparent : la Belgique est, selon lui,
« clairement devenue une cible privilégiée » de l’Etat islamique de-
Selon
les autorités,
184 Belges
seraient présents
dans des zones
de combat
et 100 seraient
rentrés au pays
puis son engagement dans la coalition internationale. M. Van Ostaeyen craint, en outre, que des
mesures trop répressives favorisent un clivage entre musulmans
et non-musulmans au sein de la
société belge. « On ne peut pas enfermer automatiquement tous
ceux qui rentrent de Syrie », a-t-il
expliqué dans La Libre Belgique.
Mesures controversées en Allemagne
Le gouvernement allemand a adopté, mercredi 14 janvier, plusieurs mesures contre le terrorisme. La loi qui permet de confisquer les passeports des candidats au djihad sera élargie aux cartes
d’identité. Les suspects recevront un document où figurera l’interdiction de voyager. Les préparatifs pour le djihad ou l’expédition
d’armes seront pénalisés. Enfin, le ministre social-démocrate de la
justice, Heiko Maas (SPD), a annoncé un durcissement des peines
pour financement du terrorisme. En revanche, au nom du respect
de la vie privée, M. Maas refuse la conservation par les opérateurs
des données téléphoniques, courriels et connexions Internet. La
CDU (conservateurs) y est favorable. Le président du SPD, Sigmar
Gabriel, veut l’autoriser « dans des conditions limitées ».
Le plan gouvernemental devrait
toutefois être soutenu par une
opinion publique qui a soudain
découvert l’ampleur de la menace. L’identité des deux terroristes tués, jeudi soir, lors de l’assaut
des forces de l’ordre contre leur
cache, à Verviers, n’a pas été dévoilée mais il se confirme qu’ils
étaient revenus récemment de
Syrie. L’un était, semble-t-il, originaire de Bruxelles, l’autre d’un
« pays voisin de la Belgique »,
selon une source policière.
Ils projetaient une série d’attentats, en lien avec un autre djihadiste vivant en Grèce ou en Turquie. Ce Bruxellois d’origine marocaine, âgé de 27 ans, s’appelle
Abdelhamid Abbaaoud et serait,
selon le quotidien La Dernière
Heure, recherché par le FBI et le
Mossad. Il s’est notamment fait
connaître en postant une vidéo
où on le voit avec des cadavres
martyrisés, et s’était vanté d’avoir
recruté son frère de 13 ans, parti
en Syrie en 2014.
La police a mené au total douze
opérations au cours des dernières heures et procédé à treize arrestations. Deux autres suspects
de nationalité belge ont été arrêtés en France. A Verviers, les deux
hommes tués – un troisième a été
blessé – disposaient de quatre kalachnikovs, de quatre pistolets,
d’une « importante somme d’argent », de faux documents, de
produits pour la fabrication d’ex-
plosifs et également d’uniformes
de police.
De quoi accréditer la thèse que
les attentats « imminents et d’envergure » en préparation devaient
viser principalement les forces de
l’ordre. « Il y avait des plans en vue
d’assassiner des policiers dans la
rue et dans des commissariats », a
indiqué le parquet fédéral, qui
n’établit pas de lien entre les opérations menées en Belgique et les
attentats de Paris. p
jean-pierre stroobants
Ce dimanche à 12h10
GILLES DE KERCHOVE
Coordinateur européen de la lutte antiterroriste
répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),
Sophie Malibeaux (RFI), Jacques Follorou (Le Monde).
Diffusion sur les 8 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr
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8 | enquête
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DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Place de la
République, à Paris,
mercredi soir
7 janvier.
O. LABBAN-MATTEI/MYOP
POUR « LE MONDE »
par benoît hopquin
avec l’ensemble de la rédaction
A
Saint-Mandé (Val-de-Marne),
jeudi 15 janvier, comme chaque semaine, le marché s’est
installé près de la porte de
Vincennes. Habituel va-etvient des habitants traînant
leurs cabas entre les étals, cris des vendeurs
attirant le chaland vers leurs « belles » scaroles ou leur « bonne » palette de veau : « Allons-y messieurs-dames ! » De l’autre côté de
l’avenue, une barrière de fleurs et de bougies
que la pluie et le vent ont éteintes ceinture
l’épicerie Hyper Cacher. Une poignée d’hommes et de femmes se recueillent en silence,
rendant hommage aux quatre victimes de la
prise d’otages du vendredi 9 janvier. Ils ont les
yeux rougis, mouchent fort mais ne pleurent
pas, ne pleurent plus, puisque la France a
épuisé depuis une semaine ses sanglots. Ils
prennent machinalement une photo, comme
pour se persuader que tout cela est réel, puis
repartent, tête basse.
Le contraste entre les deux trottoirs n’est
qu’apparent puisque au plus profond de soi
chacun pense encore à la même chose. Puisque faire son deuil ou son marché sont deux
manières de surmonter son traumatisme.
Puisque essayer de reprendre une vie normale est aussi une forme de résistance au terrorisme. Mais la France arrivera-t-elle, justement, à surmonter son traumatisme, à reprendre une vie normale après cette semaine
inédite, on n’ose écrire « historique » tant ce
mot est aujourd’hui usé jusqu’à la trame à
force d’avoir été ressassé ? Comment va-t-elle
ressortir de cet épisode ? Dans quel état d’esprit ? Entre le mercredi 7 janvier vers 11 h 30,
quand douze personnes ont péri dans la tuerie de Charlie Hebdo, et le matin du mercredi
14 janvier, quand l’hebdomadaire s’est arraché à des centaines de milliers d’exemplaires
en quelques minutes, comme un doigt d’honneur aux assassins, le pays a été bombardé
d’émotions fortes et contradictoires. Il s’est
senti meurtri puis rasséréné, avili puis grandi,
déchiré puis solidaire, d’un jour à l’autre,
d’une heure à l’autre.
En trois jours, trois islamistes ont joué avec
les sentiments d’une nation. Ils ont tué froidement dix-sept personnes de trois catégories ;
des journalistes, des policiers, des juifs, parce
qu’ils étaient tels. Leur chevauchée a été filmée en direct par les téléphones portables et
aussitôt relayée par les télévisions et les sites
d’info, devant un public sidéré. Ces hommes
ont semé la mort mais aussi tenté d’imposer
leur « logique », leur univers mental. Abattant
l’un, épargnant l’autre, sur des critères aber-
De Charlie à Charlie
Récit des sept jours qui ont traumatisé la France.
De l’attentat contre le journal satirique à la ruée vers les kiosques.
Du consensus national aux nouvelles fractures sociétales
rants. A Saint-Mandé toujours, vivait Germaine Tillion (1907-2008), qui entrera au Panthéon dans quelques mois. La résistante, rescapée du camp de Ravensbrück en Allemagne,
définissait ainsi l’univers concentrationnaire : « Un monde d’incohérence, plus terrifiant que les visions de Dante, plus absurde que
le jeu de l’oie. » Comment mieux définir, dans
sa nature si ce n’est bien sûr dans son intensité, ce qu’a connu la France : un infernal, un
macabre jeu de l’oie ?
MERCREDI : « LE MONDE EST
DEVENU SI MALADE »
IL Y AVAIT LÀ UNE
FISSURE QU’ON NE
VOULAIT PAS VOIR,
TOUT À SON
CHAGRIN. CEUX QUI
N’EN PENSAIENT
PAS MOINS, LES
TENANTS DU « OUI
MAIS », D’« ILS
L’ONT BIEN
CHERCHÉ »
C’est cette colère contre la bêtise, « contre la
connerie » clamait une pancarte, qui était palpable, dès le mercredi soir, quand des foules se
sont spontanément réunies, partout en
France. Elles étaient là parce qu’il fallait être là.
A Lille, à Marseille, à Lyon, à Bordeaux, à Toulouse mais aussi à Agen ou Périgueux, plus de
cent mille personnes sont venues pleurer ensemble car « tout seul, c’était trop dur ». Aux
côtés de sa mère, à Besançon, une petite fille
était bouleversée. « C’étaient des dessinateurs… », répétait-elle, incapable de comprendre qu’on tue des gens pour ça. Sur un bout de
carton gribouillé à la hâte, était écrit à Paris :
« Le monde est devenu si malade que l’humour
est devenu une profession à risque. » D’autres
disaient la même chose plus doctement, parlaient − déjà − des menaces sur la liberté d’expression, plus généralement des atteintes à
nos valeurs, théorisaient des lendemains.
« C’est trop : on ne peut pas attaquer des gens
qui défendent la démocratie avec des crayons.
Je suis venu avec mes enfants car il faut transmettre et se réveiller », expliquait Christophe
Reichert, un Bordelais. « C’est un 11-Septembre
à la française, un effondrement symbolique »,
résumait, à Marseille, Thierry Fabre, programmateur du Musée des civilisations d’Europe et
de la Méditerranée (MuCEM).
Place de la République, dans la capitale, un
crêpe noir avait été passé au bras de la statue
de Marianne. L’affliction n’étant pas un mot
d’ordre, on se trouvait un peu bête, presque
emprunté, autour des milliers de bougies. Que
dire, que faire ? Des crayons, des stylos étaient
brandis de manière dérisoire. Le silence était
entrecoupé d’applaudissements. De cris
aussi : « Liberté, liberté ! », « Charlie, Charlie ! »,
jusqu’au carambolage : « Charlie-berté ». Et
puis il y avait ces pancartes noires avec une
formule inventée par un graphiste, Joachim
Roncin, moins d’une heure après la tuerie. Le
message disait seulement : « Je suis Charlie ».
Mis en ligne, il s’était répandu comme une
traînée de poudre sur la Toile.
Car Internet et les réseaux sociaux avaient
bien sûr une longueur d’avance. Ils étaient
déjà des centaines de milliers dans l’aprèsmidi à avoir repris le hashtag « JeSuisCharlie ».
Ils seront plus de 5 millions une semaine plus
tard. A raison de 6 000 tweets à la minute,
c’était un déferlement d’émotions, de questions, de douleur, d’espoir, de colère, d’indignation. Et aussi de rire, malgré tout. « Chers
terroristes, nous sommes des milliers de gros
lourds à l’humour déplorable dans une salle de
rédaction appelée Internet. Bonne chance… »
ou « Si votre religion vaut qu’on tue quelqu’un,
s’il vous plaît, commencez par vous-mêmes. »
Sur le perron de l’Elysée mercredi, Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris,
entouré par les représentants des autres religions, condamnait les attentats, de même que
le firent aussitôt les autres organisations représentatives de la communauté. Il y avait là
comme une impression de redite, de déjà-vu
dans cette scène tout à la fois œcuménique et
laïque : il l’avait déjà fait tant de fois, le recteur.
Les musulmans étaient très peu représentés
dans les premiers rassemblements. Ils faisaient le gros dos, craignaient la vindicte. Ils
semblaient doublement blessés de se sentir
victimes en tant que Français et de savoir que
d’aucuns les diraient coupables en tant que
musulmans. Kamel Kabtane, recteur de la
grande mosquée de Lyon, s’inquiétait des
« amalgames ». « Nous, les musulmans, j’ai
toujours l’impression qu’on nous considérera
toujours différemment, à part, je suis toujours
obligé de me justifier », expliquait-il.
A Lille, Dorsaf, venue de Villeneuve-d’Ascq,
était peinée : « Je regrette amèrement qu’il y ait
peu de musulmans présents ce soir, mais on est
tellement sous le choc. » A Marseille, Fatiha Ramoul, « 100 % Marseillaise », tempêtait : « Ils
sont où, les gens des quartiers ? Il fallait qu’on
soit plus mélangés, ce soir, pour exprimer la solidarité nationale. » Il y avait là une fissure
qu’on ne voulait pas trop voir, tout à son chagrin. Ceux qui n’en pensaient pas moins, les tenants du « oui mais », d’« ils l’ont bien cherché » ou les inévitables adeptes du complot se
taisaient pour l’heure ou parlaient sur leur
page Facebook, entre profils d’« amis ».
Du côté des partis politiques, l’union était affichée. François Hollande, qui avait fait une
brève déclaration devant Charlie Hebdo, dans
les minutes qui ont suivi la fusillade, revenait
le soir-même à la télévision à 20 heures et annonçait un deuil national. « Notre meilleure
arme, c’est notre unité. Rien ne peut nous diviser, rien ne doit nous séparer. » L’opposition
avait déjà annoncé dans l’après-midi qu’elle
serait sur cette ligne. Nicolas Sarkozy, Alain
Juppé, François Fillon, François Bayrou utilisaient la même rhétorique, invitaient « à faire
bloc », « à se serrer les coudes ». « La force humaine va nous permettre de vaincre ce que ces
gens essayent de faire », affirmait Jean-Luc Mélenchon. Le président du Sénat, Gérard Larcher (UMP), expliquera qu’il avait rendez-vous
le lendemain avec Cabu, un des dessinateurs
assassinés. Il s’agissait de préparer un documentaire intitulé Peut-on rire de tout ?,
comme le recueil de dessins de Cabu paru
sous ce même titre en 2012 (Cherche-Midi).
JEUDI : « ILS ONT INSULTÉ LE PROPHÈTE »
Jeudi matin, la France continuait de suivre la
traque des auteurs de la tuerie, rapidement
identifiés. Un mystère entourait encore la
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sions physiques ou insultes racistes. Des forces de l’ordre étaient postées devant les mosquées et les synagogues, devant les journaux
aussi, et des militaires déployés dans les rues.
L’idéal de fraternité, évoqué la veille, en prenait évidemment un coup. « Brûler des mosquées ou des synagogues ne nous rendra pas
nos morts », expliquait le frère d’Ahmed Merabet, un des policiers tués. Mais tout le
monde ne semblait pas capable de l’entendre.
MARDI : « LA MARSEILLAISE »
À L’ASSEMBLÉE
Mercredi 14
janvier. Dès
l’aube,
d’interminables
files d’attente
devant les
kiosques. A 10
heures, tous les
« Charlie Hebdo »
étaient épuisés.
BERTRAND GUAY /AFP
Dimanche
11 janvier.
Alors que 3,7
millions de
personnes
défilaient en
France, de
nombreux
dirigeants
étrangers ont
marché aux côtés
de François
Hollande, à Paris.
PHILLIPPE WOJAZER
mort d’une policière municipale, Clarissa
Jean-Philippe, tuée par un inconnu à Montrouge (Hauts-de-Seine). Coïncidence ou
nouvelle attaque terroriste ? Le pays succombait à la psychose, aux rumeurs mais, en
même temps, ne perdait pas pied. Les Français restaient stoïques, comme l’avaient été
les Espagnols après les attentats de Madrid, le
11 mars 2004, ou les Britanniques après les attentats de Londres, le 7 juillet 2005. A midi, ils
s’immobilisaient le temps d’une minute de
silence. A Notre-Dame de Paris, mais aussi
dans d’autres cathédrales comme à Nantes, le
glas a sonné pour les bouffeurs de curé de
Charlie Hebdo. Un extrait de la première lettre de Saint-Jean a été récité : « Si quelqu’un
dit “j’aime Dieu” alors qu’il a de la haine contre
son prochain, c’est un menteur. »
Les élèves étaient également appelés à un
moment de recueillement. Dans quelques
établissements scolaires, cela n’est pas allé
sans incident. Des professeurs ou des instituteurs ont été confrontés dans certaines banlieues à des réfractaires, avec cet argument :
« Ils ont insulté le Prophète… » Ces gamins
étaient sans doute la chambre d’écho du discours familial ou de celui du quartier. Quelques enseignants refusaient également de
s’associer à cet instant, à Bobigny (SeineSaint-Denis) et ailleurs. Deux cents incidents
de ce type ont été rapportés à ce jour aux rectorats, sur 64 000 écoles ou établissements
recensés sur le territoire national. A Lille, c’est
un agent municipal qui s’est livré à une apologie du terrorisme. Au fil des jours, d’autres
accrocs de ce genre sont peu à peu remontés à
la surface et, pour certains, devraient se conclure devant la justice.
Le Front national se chargeait également de
fendiller l’unité nationale. Le président de la
République ayant annoncé des marches républicaines dans toute la France durant le
week-end, Marine Le Pen regrettait que son
parti, à l’inverse des autres, n’y ait pas été formellement invité. Elle était reçue à l’Elysée
vendredi matin mais annonçait qu’elle refuserait de participer à ce qu’elle considérait un
simulacre. « Je ne vais pas là où l’on ne veut
pas de moi », expliquait-elle. Fallait-il ou non
convier le FN ? Les partis politiques se déchiraient déjà sur la question. Une partie de
l’UMP regrettait la stigmatisation, avant-goût
d’un débat qui resurgira bien vite.
VENDREDI : FUNÈBRE JEU DE L’OIE
A peine ébauchées, ces querelles se sont effacées quand les frères Kouachi ont été encerclés à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne)
et, surtout, quand a été annoncée une prise
d’otages dans l’épicerie Hyper Cacher de la
porte de Vincennes, vendredi midi. Pendant
plusieurs heures, la France allait une nouvelle fois être soumise au funèbre jeu de l’oie,
à la déraison d’un homme, jusqu’à l’assaut
donné par les forces de l’ordre, peu après
17 heures. Le président de la République reprenait la parole le soir : « La France a fait
face. (…) Nous sommes un peuple libre qui ne
cède à aucune pression, qui n’a pas peur parce
que nous portons un idéal qui est plus grand
que nous. De cette épreuve, nous sortirons encore plus forts. »
Les Français allaient le démontrer dès le
lendemain. A l’heure d’Internet, au temps des
kalachnikovs, ils ont prouvé leur force de la
manière la plus primitive qui soit, depuis que
l’espèce humaine s’est mise debout : en marchant, tête haute. Samedi 10 janvier, 700 000
personnes défilaient déjà dans plusieurs
communes. Mais que dire du dimanche 11 janvier 2015 si ce n’est qu’il fut une journée comme on n’en a jamais vu depuis la Libération. 3,7 millions de personnes ont participé aux rassemblements dans les métropoles, les villes ou les bourgs. Le 1,7 million de
Parisiens qui ont piétiné entre la République
et la Nation n’avait pas plus de force symbolique que les 150 personnes réunies à Portets
(Gironde), les 3 000 de Crest (Drôme) ou les
7 000 de Bayeux (Calvados). Pas plus que les
LUNDI,
LA RECRUDESCENCE
D’ACTES
ISLAMOPHOBES
JETAIT PLUS QU’UNE
OMBRE AU TABLEAU
D’UNE RÉPUBLIQUE
UNE ET INDIVISIBLE
foules des métropoles régionales qui ont
connu le même déferlement : 300 000 personnes à Lyon, 140 000 à Bordeaux, 115 000 à
Rennes, 120 000 à Toulouse, 110 000 à Grenoble, 65 000 à Brest, 60 000 à ClermontFerrand, etc.
DIMANCHE : « UN INSTANT MIRACULEUX »
Dans les cortèges, les participants étaient
eux-mêmes surpris et presque ivres de cette
démonstration citoyenne. On était une foule,
un océan infini, donc on était forcément
toute la France. Et un peu le monde entier, qui
suivait l’événement avec ses caméras. Près de
cinquante chefs d’Etat et de gouvernements
étaient aussi présents, serrés aux côtés de
François Hollande : Angela Merkel, David Cameron, Benyamin Nétanyahou, Mahmoud
Abbas… Il n’y avait pas que de grands démocrates dans cet aréopage venu exprimer sa
solidarité.
Derrière, ailleurs plutôt, un pays sur ses
deux pieds réagissait à l’intimidation. JMG Le
Clezio, Prix Nobel de littérature, résumait
ainsi cette journée : « Un instant miraculeux. » « Les barrières des classes et des origines, les différences des croyances, les murs séparant les êtres n’existaient plus. Il n’y avait
qu’un seul peuple de France, multiple et unique, divers et battant d’un même cœur. » Il y
avait cette Marianne blanche faite de tissu
qui dominait la masse. Elle saignait mais se
dressait malgré tout. C’était bien elle qui
triomphait dans cette journée.
On avait sorti les drapeaux tricolores et les
Marseillaise. « Ils ont attaqué les valeurs de la
France et maintenant, il faut les défendre, ces
valeurs », expliquait, à Bordeaux, Samuel,
13 ans. « C’est cette France que je veux apprendre à mes enfants », assurait Nezha Ranaivo, à
Rennes. Et ces mots encore et toujours : « Je
suis Charlie » « Je suis juif » « Je suis musulman ». « Je suis policier », aussi, en référence
aux trois fonctionnaires abattus par les
auteurs des tueries. Les forces de l’ordre ont
été applaudies. Mais à Marseille, à Lyon, à Paris, les jeunes des cités, des quartiers,
n’étaient pas là, ou si peu. Ils ne s’inscrivaient pas dans cette catharsis nationale.
Qui ne pouvait le remarquer ?
LUNDI : « JE SUIS CHARLIE MAIS »
Et puisque la France était redevenue la France,
avec le lundi revinrent les bisbilles gauloises.
Il faut dire : le slogan « Je suis Charlie » était
trop réducteur, trop contraignant pour tenir
plus de cinq jours. Ont commencé à émerger
les récriminations de ceux qui ne s’y reconnaissaient pas ou s’y sentaient trop à l’étroit.
Ont fleuri sur le Web et les réseaux sociaux en
une déclinaison infinie les « Je suis Charlie
mais », les « je ne peux pas être totalement
Charlie » ou même les « Je ne suis pas Charlie ». Certes en petits nombres, ont circulé des
« Je suis Kouachi » ou « Je suis Coulibaly » qui
ont soudain réveillé les peurs et rappelé que
même la plus belle des manifestations ne pouvait tout changer. « Certains élèves semblaient
vaguement fascinés, admiratifs de l’action menée par les terroristes… », relevait un enseignant havrais.
La recrudescence d’actes islamophobes jetait également plus qu’une ombre au tableau
d’une République une et indivisible. Le ministère de l’intérieur en recensait plus de cinquante ; atteintes à des lieux de culte, agres-
Mardi, pourtant, la société semblait vouloir se
ressouder. Dans la cour de la préfecture de police de Paris, trois cercueils sous des drapeaux
tricolores. Seul réconfort de cette tuerie, la
France se découvrait une police black-blancbeur. Une nouvelle fois, les propos sur le vivreensemble des frères de Franck Brinsolaro et
Ahmed Merabet portaient loin, très loin, par
leur incroyable dignité. François Hollande
évoquait, lui, ceux qui sont « morts pour que
nous puissions vivre libres ». Au même moment, à Jérusalem, étaient enterrées les quatre
victimes de la prise d’otage de l’Hyper Cacher.
L’après-midi, l’Assemblée nationale faisait une
minute de silence qui s’achevait par une Marseillaise, la première qui ait été chantée dans ce
lieu depuis le 11 novembre 1918, affirment les
exégètes de la vie parlementaire.
Mais, derrière cette unité affichée, les débats
partisans avaient bien repris, d’abord sobrement puis avec âpreté. « Nous pouvons améliorer les mesures de sécurité pour renforcer la
sécurité des Français », affirmait Nicolas
Sarkozy. « La France est en guerre contre le fondamentalisme islamiste, tonnait Marine Le
Pen. Les Français attendent de l’action, des décisions. Mais la France n’a encore rien fait. » Plus
de mesures de sécurité pour assurer la liberté ? L’impossible quadrature alimentera
les joutes de demain. Mais, dans cette reprise
des hostilités, dans ce retour à la banalité du
jeu démocratique, semblaient se percevoir de
nouvelles lignes de fractures, de nouvelles alliances, sans savoir si cette recomposition sera
éphémère ou durable.
Y aura-t-il un avant et un après cette semaine
tragique, comme certains le prédisent ? Cette
question qui anime la scène politique vaut
également pour la vie intellectuelle. Dès lundi,
les événements ont dessiné de nouvelles lignes, peut-être de nouvelles frontières dans le
monde des idées ou dans la République des
lettres. La question de la place de l’islam dans
notre société s’est étendue bien au-delà des
habituels marchands de provocation ou des
polémistes médiatiques. D’autres personnalités se sont exprimées, paroles jusque-là ignorées ou prononcées mezzo voce. Des écrivains
comme Olivier Rolin se sont interrogés à
haute voix : « Alors, ce serait une grande faute
d’avoir peur de l’islam ? J’aimerais qu’on m’explique pourquoi. » Lydie Salvayre, Prix Goncourt, s’est appuyée sur son expérience de pédopsychiatre dans un dispensaire de banlieue
pour prendre la parole : « Certains des enfants
que je suivais se mirent à dire, naïvement et
comme une chose allant de soi, qu’ils détestaient juifs et mécréants : leurs méchants à eux,
les méchants de leur histoire. »
Des sociologues comme Hugues Lagrange,
petit-fils de Léo Lagrange, ministre du Front
populaire, s’est interrogé avec plus de véhémence sur la dimension culturelle qui pousse
des jeunes vers une dérive islamiste. Il s’opposait frontalement à la tradition bourdieusienne pour qui tout est social et pour qui ces
terroristes ne sont que le produit de nos sociétés. « Sans craindre le racisme pervers qui se niche ici, certains ne conçoivent pas que des musulmans, des immigrés ou enfants d’immigrés
puissent être totalement réactionnaires, et
même fascistes, au même titre que certains catholiques, protestants, juifs ou agnostiques »,
s’est indigné Christophe Ramaux, membre
des Economistes atterrés. Le rôle de la laïcité
est discuté par d’autres tout comme l’idée du
blasphème. Les excommunications entre anciens amis ont débuté dès lundi. La même agitation, les mêmes tensions secouent tant
d’autres milieux.
MERCREDI : LE NUMÉRO 1178
Comme indifférent à ce grabuge dont il est
l’épicentre, Charlie Hebdo a fait paraître sa
nouvelle livraison, mercredi matin. D’impressionnantes files d’attente devant les
kiosques ont accueilli cette sortie, clôturant
une semaine hors norme. De rupture de
stocks en réassorts, 1,9 million d’exemplaires
du numéro 1178 ont été écoulés en deux
jours. Le kiosque de Saint-Mandé, à cent mètres de l’Hyper Cacher, a connu la même ruée.
Malgré les objurgations à la prudence, la rédaction a publié une représentation de Mahomet en couverture.
Comme si elle refusait la responsabilité
morale qu’on entendait désormais lui faire
porter, après cette semaine particulière où la
mort de tant des siens a fait chavirer un pays.
Comme si les dessinateurs entendaient rester dans leur rôle, celui de sales mômes qu’on
n’avait pas le droit d’assassiner. p
10 | débats
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Après les attentats des 7, 8 et 9 janvier, Manuel Valls a déclaré
que « la France est en guerre contre le terrorisme », une formule controversée
bien qu’utilisée par les Américains depuis les attaques du 11-Septembre
Est-on en « guerre contre le terrorisme » ?
La riposte militaire
n’est pas la seule option
N’agissons pas sous le coup
de l’émotion et évitons
un Patriot Act à la française
par paul quilès
O
n nous dit depuis quelques jours que
nous serions engagés dans une guerre.
Méfions-nous de ce terme, qui rappelle
un mauvais souvenir : celui de cette « guerre totale contre le terrorisme » proclamée par George
W. Bush au début des années 2000 et qui a conduit à tant de désordres au Moyen-Orient et
dans le monde.
Il ne faut pas se méprendre sur la nature de ce
combat que nous devons mener. Nous ne sommes pas formellement en guerre, mais nous
avons un adversaire, organisé, doté d’une idéologie, d’une stratégie, de moyens et d’un objectif essentiellement territorial, au moins pour
l’Etat islamique (EI). N’oublions pas qu’il commet les mêmes actes terroristes dans tous les
pays alliés des Etats-Unis – présentés par AlQaida et l’EI comme l’ennemi principal depuis
trente ans – et beaucoup plus encore dans les
pays musulmans, où se trouvent la majorité des
victimes du terrorisme djihadiste.
L’erreur serait de résumer la réponse à cette
menace à une mesure unique, de type sécuritaire, alors que le problème est beaucoup plus
complexe. Bien entendu, des mesures concernant l’amélioration de notre système de sécurité sont à prendre rapidement, mais il faut se
garder que, sous le coup d’une émotion forte, elles viennent remettre en cause les libertés individuelles, auxquelles les Français sont très attachés.
L’exemple à ne pas suivre, souvent cité, est celui du Patriot Act, série de mesures d’exception
prises par les Américains au lendemain du traumatisme du 11 septembre 2001 et toujours en
application. On sait aujourd’hui qu’il n’a pas apporté de réponse durable à la question posée,
celle de la protection face à la menace djihadiste
et qu’il a, par contre, durablement et gravement
réduit certaines libertés individuelles.
Il ne faut donc pas céder à la tentation d’une
réponse sécuritaire, censée éradiquer de façon
quasi magique et instantanée le terrorisme. De
nombreux textes ont été votés depuis vingt ans
pour améliorer la lutte contre le terrorisme. A la
suite de l’attentat du 11-Septembre, j’ai moimême présenté en décembre 2001 un rapport
de la Commission de la défense de l’Assemblée
nationale, qui proposait 33 mesures « pour contrer la menace terroriste ». Il ne me semble pas
inutile de le relire.
Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve,
vient de préciser les domaines dans lesquels il
considère que des efforts sont encore nécessaires. C’est maintenant au Parlement de travailler
rapidement pour donner un contenu juridique
à ces mesures et au gouvernement de dégager
les moyens qu’elles nécessitent.
REFUS DE L’OBSCURANTISME
Quelle réponse à la menace terroriste ? Pour
être efficace, la réponse doit tenir compte de ce
diagnostic et comporter plusieurs volets : le volet militaire, pour frapper à la source l’adversaire (à condition d’éviter les dérives de la politique américaine) ; le volet financier, pour le priver des ressources matérielles qui alimentent
ses opérations terroristes ; le volet de la sécurité
intérieure, pour améliorer le renseignement et
le partage des informations entre ministères de
l’intérieur et de la justice ; le volet de l’information, pour mieux contrôler certains sites Internet, qui sont devenus des vecteurs majeurs du
terrorisme ; le volet social, pour éviter de laisser
les populations de certaines zones sombrer
dans la désespérance, ce qui contribue à les rendre vulnérables à la propagande et aux campagnes d’enrôlement des djihadistes ; le volet éducatif, pour mobiliser les enseignants, grâce à des
moyens renforcés, dans leur rôle d’éveilleurs
des consciences de la jeunesse. Ajoutons aussi
l’attention renforcée qui doit être portée à la prison, trop souvent foyer de radicalisation des délinquants. Il est enfin indispensable que l’islam
de France soit aidé pour qu’il puisse mieux dénoncer l’imposture de ceux qui détournent gravement le sens de leur religion.
On le voit, la tâche est complexe ; elle concerne de multiples intervenants, elle exige une
volonté, de la continuité et des moyens. Ne
nous trompons pas sur le sens du message
qu’ont voulu transmettre les Français par la formidable mobilisation du 11 janvier. Ils ont manifesté à la fois un ferme refus de l’obscurantisme et de l’islamo-fascisme, mais aussi la volonté d’une France plus solidaire, qui aspire à
gommer les différences, pour que ne se crée
pas le clivage précisément souhaité par l’idéologie djihadiste. Ne répondons pas à leur élan
et à leur attente par une régression des libertés. p
¶
Paul Quilès, ancien ministre de la défense et de l’intérieur
Dialogue de sourds | par fabio viscogliosi
L’ère des conflits asymétriques
La paix perpétuelle
n’a pas suivi la guerre froide.
De nouveaux types de conflits
émergent aujourd’hui
par yves jeanclos
E
n 1989, contrairement aux espérances
populaires, la chute du mur de Berlin entraîne le monde dans une nouvelle insé-
curité.
Que le monde était pacifique et radieux sous
la menace de la guerre nucléaire contrôlée et
retenue par les deux adversaires-partenaires
au XXe siècle ! Que la guerre était belle quand
elle se déroulait sous des cieux ensoleillés, loin
du continent européen et de la douce France,
au nom d’idéologies opposées et rivales !
Comme la paix était aseptisée, cantonnée derrière les rideaux de glace de la dissuasion nucléaire !
Les attentats terroristes du 11 septembre 2001
mettent fin à l’unipolarité insolente des EtatsUnis. Ils font vaciller les certitudes d’un monde
qui se croyait pacifique et heureux pour l’éternité. Ils donnent ses lettres de créance à la stratégie asymétrique, offrant l’avantage au faible
contre le fort, à la souris face au chat. Un nouveau mode de relations internationales dominées par l’effroi, la peur et la douleur s’en
trouve instauré. La force émotionnelle et politique de la destruction des bâtiments du commerce international et de la mort immédiate
de plus de 3 000 personnes en plein cœur de
New York reste un marqueur présent dans les
esprits.
Le soulèvement de plusieurs Etats arabes à
partir de 2011 sonne le glas de régimes politiques contestés. Il entraîne malheureusement
dans son sillage l’effondrement d’Etats en
cours de développement. Le « printemps
arabe » est applaudi, encouragé et soutenu par
des pays occidentaux prêts à lever le fanion de
la démocratie, pour l’imposer au pourtour méditerranéen. Certains pays dits frères en religion mais concurrents en politique lui apportent même assistance. Mais il emporte l’Etat libyen, remplacé par des éléments déterritorialisés et désorganisés. Il crée une vaste zone
géographique d’insécurité aux limites de l’Afrique subsaharienne et du Machrek, où règnent
en maîtres quelques milliers d’hommes erratiques et armés. Preuve est maintenant faite que
plusieurs centaines d’insurgés suffisent pour
faire face à des milliers d’hommes des forces
policières et militaires. Le « printemps arabe »
s’achève dans l’horreur en Irak et en Syrie, tandis que la Tunisie voit s’ouvrir une voie politique nouvelle.
FOI CONQUÉRANTE
Le terrorisme à la fois internationaliste et régionaliste fait trembler l’Orient, avant d’interpeller l’Occident. Il est le marqueur d’une
guerre asymétrique commencée aux EtatsUnis en 1993, date des premiers attentats commis dans ce pays par des islamistes radicaux. Ce
conflit est en cours de déploiement en Europe
au XXIe siècle : la France prend part à une véritable guerre. Des hommes habités par une foi
conquérante, décidés à s’emparer du pouvoir
pour des raisons religieuses proclamées et des
raisons économiques, en sont les principaux
acteurs.
Les pick-up automobiles et les kalachnikovs
l’emportent bien souvent en efficacité sur les
tanks, les canons et les missiles. Ce terrorisme
démontre que la croyance religieuse ou idéologique est plus forte que la technique militaire. Il
souligne également l’inanité de l’effet de nombre en matière militaire, face à la détermination, à l’imagination et à la mobilité opérationnelle de groupes à effectifs réduits. Même les
frappes aériennes nombreuses et précises des
avions et des missiles des puissances occidentales n’arrivent pas à le défaire. Le terrorisme
internationaliste conduit une guerre asymétrique qui permet à ses auteurs de s’emparer de
vastes territoires aux richesses pétrogazières et
minérales, et de soumettre de nombreuses populations.
Ce type de conflits est caractérisé par une tri-
ple asymétrie : géographique, quantitative et
qualitative. Ils peuvent en effet se dérouler sur
deux théâtres d’opération à la fois, l’un où l’affrontement est militaire, et l’autre où le terrorisme importe la violence dans une zone pourtant très éloignée des combats. Un pont d’inévitabilité stratégique est ainsi construit entre
un pays en guerre ouverte et un Etat en paix apparente.
Sur le plan quantitatif, on remarque une
grande variation du nombre d’hommes engagés entre les deux camps, d’un côté des milliers
de soldats face à quelques centaines de combattants, parfois même quelques rares individus.
L’arsenal employé suit les mêmes proportions.
Aux nombreux missiles, canons, avions de
combat répondent des armes légères, des grenades, voire des lance-roquettes.
La guerre est enfin asymétrique en qualité par
la nature des forces engagées dans les combats : des soldats formés et organisés en armée
s’opposent à des petits groupes de combattants
sans uniforme et sans armée. Elle est également asymétrique au regard des objectifs : les
cibles strictement militaires dans les zones de
combat correspondent à des objectifs civils,
tant vis-à-vis des personnes que des biens,
dans les pays en paix civile.
Au XXIe siècle, la guerre asymétrique se rapproche dangereusement des Etats confiants
dans la paix éternelle. Elle met en scène des
combattants de nouvelle génération, issus de
pays touchés par le terrorisme. Des individus
décidés à donner leur vie à la martyrologie, en
échange de la destruction du plus grand nombre d’ennemis en sont les principaux acteurs.
La guerre n’est plus seulement asymétrique en
quantité d’hommes et d’armes. Elle est asymétrique qualitativement entre des terroristes décidés à tuer et lourdement armés d’une part, et
leurs ennemis désignés, simples citoyens désarmés d’autre part.
DESTRUCTION HUMAINE
La guerre asymétrique tend à réduire son
champ opérationnel à un bâtiment, un appartement, un magasin d’alimentation, une école,
un musée, à l’instar des assassinats commis à
Toulouse, à Bruxelles, à Paris depuis 2012 par
cinq terroristes internationalistes. Elle produit
des effets asymétriques de destruction humaine : cinq terroristes d’un côté et des dizaines de personnes assassinées d’un autre côté.
Elle donne l’avantage au faible contre le fort,
qui peut ainsi décider du lieu et du moment de
son action.
Les terroristes cherchent à imposer la terreur
à la population civile, pour qu’elle fasse pression sur son gouvernement afin qu’il change
de politique, voire pour le contraindre à abandonner le pouvoir. Leurs objectifs ne sont pas
frontaux mais souterrains, et peuvent frapper
de manière inattendue et sporadique, laissant
des doutes sur la réapparition ou la disparition
de cette violence. Face à la menace, les responsables politiques, au nom de la liberté de pensée et d’expression, peuvent en venir à imposer
des règles et des contraintes, des censures et
des interdictions la limitant – à l’instar du Patriot Act que les Etats-Unis ont mis en œuvre à
la suite des attentats du 11 septembre 2001, en
contradiction avec la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789.
La guerre asymétrique entre des Etats membres des Nations unies et des groupes terroristes désireux de révolutionner le monde est un
modus operandi sécuritaire d’innovation stratégique. Elle doit être analysée, comprise et organisée par les Etats menacés par le terrorisme,
pour le prévenir et le détruire. La guerre asymétrique doit être gagnée par les Etats occidentaux sur leurs territoires nationaux et à leurs
abords, par l’action policière, judiciaire et militaire. Elle doit également être gagnée par la
pensée dans les écoles, les médias et la diplomatie. Seules la pensée et l’action garantiront
la sécurité intérieure de la France et la paix du
monde au XXIe siècle. p
¶
Yves Jeanclos docteur d’Etat en droit de Paris-II, agrégé de
droit. Auteur de « Démocratie ou démogachie, l’art de gouverner au XXIe siècle », Economica, 2014
international | 11
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DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
En Iran, le président Rohani joue son va-tout
Critiqué par les conservateurs, Hassan Rohani en appelle à l’opinion et veut rassembler le camp réformateur
D
e plus en plus étouffé
par les manœuvres du
camp conservateur,
hostile, en politique
étrangère, à un accord sur la question nucléaire et, en politique intérieure, aux réformes, le président Hassan Rohani est passé à
l’offensive. Plus question de se
laisser faire en silence, comme
cela a été le cas tout au long de
l’automne 2014. M. Rohani multiplie les déclarations fermes à
l’égard de ses adversaires et prépare une reconquête du Parle­
ment, aujourd’hui dominé par les
conservateurs.
Dernière manifestation en date
de la pugnacité retrouvée du président, 200 personnalités emblématiques du camp réformateur se
sont réunies, jeudi 15 janvier, à
Téhéran, pour soutenir M. Rohani
et préparer la bataille des élections législatives, prévues en
mars 2016. « Nous ne voulons pas
la majorité des sièges du Parlement. Nous voulons tous les 290
sièges », a proclamé Mostafa Kavakebian, le chef du parti Mardomsalari (« démocratie » en persan), lors de cette grande réunion,
baptisée « l’Assemblée générale
des réformateurs ». Une déclaration de guerre à l’intention des actuels députés qui ne ménagent
pas leurs efforts pour entraver la
politique du gouvernement.
Organiser des référendums
Ayant joué un rôle-clé dans l’élection du président Rohani, en
juin 2013, l’ancien président Ali
Akbar Hachémi Rafsandjani
(1989-1997) et son successeur, le
réformateur Mohammad Khatami (1997-2005), bien qu’absents
de la réunion, avaient chacun envoyé un message. Si le premier a
appelé « les dirigeants » de la République islamique d’Iran à « éviter des méthodes qui limitent le
droit du peuple à choisir », l’autre a
sommé les réformateurs de s’unir.
Ce rassemblement, interdit depuis la réélection controversée, en
juin 2009, de l’ultraconservateur
Mahmoud Ahmadinejad (20052013), a reçu l’aval du ministère de
l’intérieur du président Rohani. Ce
qui témoigne clairement de la
volonté du chef de l’Etat d’offrir
une tribune et plus de marge de
manœuvre à ses partisans.
LE CONTEXTE
DEUX PROJETS
de sanctions américaines
Deux projets visant à faire pression sur l’Iran sont actuellement
à l’étude au Sénat des EtatsUnis.
Le premier texte
est porté par le démocrate
Robert Menendez et le républicain Mark Kirk. Il prend la forme
d’une loi qui déclencherait
automatiquement de nouvelles
sanctions à partir de juillet 2015,
échéance fixée pour parvenir à
un accord final sur le nucléaire
iranien. Cette proposition sera
examinée par la commission
bancaire du Sénat à partir du
20 janvier.
Le deuxième texte
est défendu par le républicain
Bob Corker, président de la commission des affaires étrangères
du Sénat. Il vise à adopter une
loi obligeant le président Barack
Obama à soumettre tout accord
sur le nucléaire à un vote du
Congrès. Une mesure rejetée par
la Maison Blanche, qui veut éviter que le Congrès ne
court-circuite les négociations.
Le président Hassan Rohani (au centre) dans la salle de contrôle de la centrale nucléaire de Bouchehr, le 13 janvier. MOHAMMAD BERNO/AFP
Respecter « l’avis du peuple ». Ce
mot d’ordre était déjà au cœur des
déclarations du président, qui
avait brandi, le 4 janvier, la possibilité, prévue dans la Constitution
iranienne, d’organiser des référendums pour contourner le pouvoir législatif. Cette démarche,
inédite de la part d’Hassan Rohani, en dit long sur le niveau
d’hostilité au sommet du pouvoir. « Que l’avis du peuple soit demandé, de manière directe, au
moins pour une fois, au sujet d’une
question importante qui ne fait
pas l’unanimité », a proposé
M. Rohani, lors de la première
Conférence sur l’économie iranienne, organisée pendant deux
jours à Téhéran.
Le président iranien a ensuite
mis l’accent sur la situation économique du pays et évoqué le
dossier nucléaire et les négociations avec le groupe « 5 + 1 » (les
cinq membres permanents du
Conseil de sécurité, plus l’Allemagne). « Le pays ne peut pas se développer de manière constante dans
l’isolement », a-t-il soutenu. Des
mots qui établissent clairement
un lien direct entre les sanctions
internationales et la nécessité
d’obtenir un accord sur le nucléaire, par ailleurs l’une de ses
promesses électorales.
Hassan Rohani a, ce jour-là,
laissé entendre qu’il pourrait
organiser un référendum sur la
résolution de ce contentieux, qui
dure depuis 2003. « Nos principes
ne sont pas liés aux centrifugeuses,
mais à notre détermination », at-il conclu. Une réponse à tous ses
adversaires qui mettent sur le
même plan les idéaux de la Répu­
blique islamique et la poursuite
du programme nucléaire.
Pour l’économiste et analyste po­
litique iranien Saïd Leylaz, Hassan
Rohani a bel et bien changé d’atti­
tude et haussé le ton. « L’économie
est en pleine dégradation en Iran.
La chute brutale des cours du brut a
affecté, de manière flagrante, la vie
quotidienne des gens », explique
M. Leylaz, qui vit à Téhéran.
Le pétrole, dont le prix a baissé
d’environ 60 % depuis juin 2014,
constitue la première source de revenus du pays et un tiers de son
budget annuel. A cause des sanc-
« Le pays ne peut
pas
se développer
de manière
constante dans
l’isolement »
HASSAN ROHANI
chef de l’Etat iranien
tions internationales, l’Iran a vu
ses ventes de pétrole diminuer de
2,1 millions de barils par jour
en 2011 à 1,1 million aujourd’hui.
Selon Saïd Leylaz, « Hassan Rohani n’a plus de patience. Il veut
qu’une unanimité soit obtenue au
niveau de toutes les couches politiques et dans tous les domaines. »
L’appel au référendum du chef
de l’Etat lui a valu les foudres des
conservateurs, qui sont allés jus­
qu’à lui demander de mettre fin
aux négociations nucléaires. Pour
le quotidien Kayhan, le bastion
des ultraconservateurs, Hassan
Rohani n’a que deux options :
« Soit il continue sur le chemin pé-
rilleux des négociations (…), soit il
accepte courageusement que son
analyse soit erronée et arrête de se
sentir toujours redevable aux politiques insatiables en Occident. »
Réaction du Guide suprême
Le Guide suprême, Ali Khamenei,
a également réagi aux propos de
Hassan Rohani. Le 7 janvier, le nu­
méro un iranien a demandé au
gouvernement de ne pas se focali­
ser que sur les négociations et
d’essayer, en s’appuyant sur les
« forces intérieures », de neutrali­
ser les sanctions. « L’ennemi ne
cherche pas, pour l’instant, à affecter nos principes. Mais si nous re-
culons, il le fera », a­t­il soutenu,
reprenant le mot « principes »,
utilisé par le président, pour le
mettre en garde contre toute fai­
blesse face aux Occidentaux. Il a
tout de même réitéré son soutien
à la poursuite des pourparlers,
tout en se disant pessimiste.
Le référendum évoqué par Hassan Rohani est pour le moment irréalisable : selon la Constitution
iranienne, il faut le vote des deux
tiers des parlementaires pour
pouvoir l’organiser. Plus que jamais, la survie politique de M. Rohani est liée à un accord nucléaire
avec les Occidentaux. p
ghazal golshiri
Reprise des négociations sur le nucléaire à Genève
N
ervosité ou signe d’une
avancée ?
Vendredi
16 janvier, Paris a été
l’hôte d’intenses consultations
diplomatiques imprévues sur le
nucléaire iranien, à la veille de la
reprise des négociations entre
l’Iran et les grandes puissances,
dimanche à Genève, pour tenter
de relancer un processus actuellement au point mort.
A l’issue de son déplacement
dans la capitale française, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry,
venu rendre hommage aux victimes des récents attentats en
France, a improvisé une rencontre avec son homologue iranien,
Mohammad Javad Zarif, également présent à Paris vendredi
pour y rencontrer Laurent Fabius,
le chef de la diplomatie française.
M. Zarif s’était au préalable rendu
à Berlin et à Bruxelles et avait déjà
longuement discuté, pendant
cinq heures, avec M. Kerry, mercredi à Genève.
La multiplication de ces échanges laissait supposer que les pourparlers reprenaient, ce alors que
les Iraniens et les Occidentaux
n’avaient pas réussi à conclure un
accord définitif, le 24 novembre 2014, au terme d’un an de
laborieuses tractations.
Faute de compromis, ils avaient
alors décidé d’un commun accord
de prolonger de sept mois les
négociations.
Toutefois, au terme de l’entretien de quarante-cinq minutes
entre MM. Fabius et Zarif, vendredi, le Quai d’Orsay a diffusé un
communiqué laconique dans lequel il évoque « les importantes
questions qui restent à résoudre »
pour parvenir à un accord entre
l’Iran et les pays du « P5 + 1 », qui
regroupe les cinq pays membres
du Conseil de sécurité de l’ONU,
plus l’Allemagne.
Plus tôt dans la journée, le président François Hollande, dans son
discours de vœux au corps diplomatique, s’était également montré réservé. « La France veut un accord » mais avec « une ligne
claire : oui à l’accès de l’Iran au nucléaire civil, non à son accès à
l’arme nucléaire ». « Nous ne transigerons pas sur ce principe », avait
souligné M. Hollande.
« Pas beaucoup d’avancées »
A en croire un diplomate occidental de haut rang, « il n’y a pas eu
beaucoup d’avancées depuis le
mois de novembre, les Iraniens
n’ont pas encore fait les gestes
pour avoir un bon accord ». Or le
calendrier est serré : les négociateurs n’ont plus que quelques semaines pour parvenir à un accord-cadre, avant le 31 mars, qui
doit fixer les principaux paramètres politiques d’un accord. Ils
auront ensuite jusqu’au 1er juillet
pour régler les annexes techniques de ce dossier éminemment
complexe.
Mais le climat s’est sensiblement tendu ces dernières semaines, tant en Iran qu’aux EtatsUnis, où les adversaires d’un
compromis élèvent la voix. A
Washington, le nouveau Congrès,
dominé par les républicains, complique la donne pour Barack
Obama, en menaçant de recourir
à de nouvelles sanctions contre
l’Iran. Le président américain a
riposté, vendredi, en affirmant
que « le Congrès doit faire preuve
de patience ». De nouvelles sanctions, a-t-il plaidé, « compromettraient la possibilité d’une solution
diplomatique à l’une des plus diffi-
Le climat s’est
sensiblement
tendu tant
en Iran qu’aux
Etats-Unis, où
les adversaires
d’un compromis
élèvent la voix
ciles questions de sécurité nationale que nous ayons à traiter depuis longtemps ».
Il reste deux principaux points
de blocage à surmonter. Les Occidentaux réclament une réduction
significative du nombre de centrifugeuses iraniennes qui servent à
enrichir l’uranium, combustible
nécessaire à la fabrication d’une
arme atomique. L’Iran en possède
près de 20 000, dont la moitié
seulement est en activité. De leur
côté, les Iraniens exigent une levée rapide des multiples sanctions (ONU, Etats-Unis, Europe)
qui étouffent son économie, frappée de plein fouet par la chute du
prix du pétrole, la principale ressource du pays.
Pour bouger sur les sanctions,
les Six exigent des garanties sur le
breakout, c’est-à-dire le temps
nécessaire aux Iraniens afin d’assembler une arme nucléaire. Pour
l’instant, ce délai est d’environ
trois mois, selon les Occidentaux.
Ils veulent le rallonger à au moins
un an. Une période jugée suffisamment longue pour détecter
toute course clandestine à la
bombe. Mais pour le moment,
constate une source européenne
proche du dossier, « les termes
d’un accord ne sont pas encore sur
la table ». p
yves-michel riols
12 | international
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
« Sans les sanctions, l’armée russe serait à Odessa »
Alexeï Navalny, premier opposant à M. Poutine, dénonce la répression et la dérive nationaliste du Kremlin
ENTRETIEN
« Poutine
était un voleur.
Aujourd’hui,
c’est un meurtrier.
Il a commencé
une guerre »
A
lexeï Navalny, avocat et
blogueur spécialisé
dans la lutte contre la
corruption, est le principal opposant au président russe,
Vladimir Poutine. Le 30 décembre 2014, un tribunal de Moscou
l’a condamné à trois ans et demi
de prison avec sursis pour escroquerie au détriment de la société
française Yves Rocher. Son frère
Oleg a eu la même peine, mais
ferme. M. Navalny a été assigné à
résidence, mesure qu’il ne respecte pas. Jeudi 15 janvier, il a accordé son premier entretien à un
média étranger depuis ce verdict.
Quelle est votre situation ?
Je suis dans une situation assez
étrange, assigné à résidence sans
l’être vraiment. Cette assignation
est illégale, et j’ai moi aussi agi illégalement en coupant mon bracelet électronique. Des policiers et
des hommes en civil me suivent
et me surveillent en permanence,
mais je peux sortir de chez moi.
Mercredi soir, j’ai été arrêté brièvement puis relâché. En ce moment,
je suis à mon bureau. [M. Navalny
a été de nouveau arrêté vendredi.]
Cela fait trois ans que je vis ce
genre de situation, une persécution policière plus ou moins intense. Cette fois, c’est plus difficile
parce que mon frère est en prison.
Mais je me suis habitué.
Pouvez-vous communiquer
avec votre frère ?
J’ai reçu une lettre de lui. Pour
un homme qui est en prison alors
qu’il est innocent, il va plutôt
bien. Selon les standards russes, il
est détenu dans de relativement
bonnes conditions. Oleg n’est pas
un militant politique. Sa seule
faute est d’être mon frère. Le pouvoir en a fait un otage.
Pensez-vous que votre
condamnation a été décidée
par le Kremlin ?
L’affaire avec Yves Rocher a été
fabriquée. Toutes les décisions
prises par les juges dépendent de
Vladimir Poutine. Il y a un an, j’ai
été condamné à cinq ans de prison ferme dans une autre affaire,
l’affaire Kirovles, et relâché le lendemain. Les juges ne décident
rien sans l’aval de Poutine. Mes activités font mal au pouvoir russe
et à M. Poutine personnellement.
En Russie, il est permis de parler
de démocratie, de liberté, de concepts généraux. Moi, je parle de la
corruption, et je donne des noms.
J’enquête sur les affaires impli-
viendra pas à l’Ukraine avant
longtemps. Je comprends que cela
ait déplu aux Ukrainiens, mais
c’est une position réaliste. Avant
d’imaginer un tel retour, il faudrait un nouveau référendum
– un référendum juste, cette fois –
et il faudrait enlever aux habitants de Crimée les passeports
russes qui leur ont été distribués.
Légalement, pratiquement, c’est
difficile et cela prend du temps.
Alexeï Navalny, le 16 janvier, à Moscou. MIKHAÏL POCHUYEV/CORBIS
quant Poutine, sa famille, ses proches. Ça, c’est interdit. Et ça fait de
moi un ennemi de l’Etat.
Vous êtes le principal opposant
à M. Poutine. Pourtant, après
votre condamnation, seules
quelques milliers de personnes
ont manifesté. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a d’abord les manœuvres du
Kremlin. Le fait d’avancer brusquement l’annonce du verdict, à la
veille des célébrations du Nouvel
An. Le fait d’envoyer mon frère en
prison et pas moi… Mais là n’est
pas l’essentiel. La situation en Russie est très différente de ce qu’elle
était il y a un an. La pression s’est
énormément accrue sur la société.
Il y a un an, Poutine était seulement un voleur. Aujourd’hui, c’est
un meurtrier. Il a commencé une
guerre. Les gens ont peur.
Durant cette année, diriez-vous
que Vladimir Poutine s’est
affaibli ou renforcé ?
Sur la scène internationale, il est
affaibli, cela ne fait aucun doute.
En Russie même, c’est différent.
Justement parce qu’il sentait son
pouvoir décliner, Poutine a déclenché une guerre, attisé les sentiments anti-occidentaux, renforcé la propagande… Et une
grande partie de l’opinion l’a
suivi. Mais se focaliser sur les son-
Deux pro-Charlie condamnés à Moscou
Pour avoir brandi une pancarte « Je suis Charlie » à deux pas du
Kremlin, Mark Galperine a été condamné, vendredi 16 janvier, à
une peine de prison de huit jours par un tribunal de Moscou pour
« violation des règles d’organisation d’un événement public ».
Etant de nouveau sorti place du Manège le 15 janvier (date initialement prévue pour le procès de l’opposant Alexeï Navalny, avancé
au 30 décembre 2014), il s’est vu infliger trente jours de prison supplémentaires. Exactement pour les mêmes motifs, un autre manifestant, Vladimir Ionov, a été condamné à des amendes de 20 000
roubles (265 euros) et 150 000 roubles.
dages n’a pas de sens. Moi, par
exemple, je n’ai pas accès aux médias et pas le droit de me présenter à des élections. Même parmi
les élites, il n’y a que ses proches,
ceux qui s’enrichissent, qui le soutiendront jusqu’au bout. Les
autres, notamment dans le
monde des affaires, ne sont tenus
que par la peur. Ils le trahiront à la
première occasion.
Soutenez-vous les sanctions
prises par les pays occidentaux
contre votre pays ?
Les sanctions et plus généralement la mauvaise situation de
l’économie font mal au peuple
russe. Mais, sans elles, l’armée
russe serait à Odessa. Les sanctions mettent aussi la pression sur
Poutine sur le plan intérieur. Elles
contribuent à l’affaiblir. Pour l’instant, ça le pousse dans ses retranchements : durcir la répression
politique, museler les médias,
poursuivre la guerre en Ukraine. A
long terme, je ne sais pas. Poutine
n’a qu’une ambition : mourir
dans son lit après avoir été le président à vie de la Russie. Je pense
que, dans la période qui vient, la
Russie va de plus en plus suivre la
voie de la Biélorussie. Le nationalisme en plus.
Il serait donc naïf de croire que
le Kremlin peut participer à un
règlement pacifique de la
guerre en Ukraine ?
Il ne le peut pas. C’est devenu
une question de survie politique
pour Vladimir Poutine. Il ne peut
pas se permettre de voir l’Ukraine
réussir. Ce serait un exemple
beaucoup trop dangereux pour
les Russes comme pour les autres
pays de la région.
Vous avez déclaré que la Crimée appartenait désormais de
facto à la Russie et qu’elle ne reviendrait peut-être jamais à
l’Ukraine. Ce sont des déclarations difficilement compréhensibles venant de quelqu’un
qui critique aussi sévèrement
le Kremlin…
L’annexion de la Crimée était un
acte injuste et illégal. Mais aussi
stupide et contraire aux intérêts
de la Russie : l’Ukraine est devenue un Etat hostile à la Russie, les
autres pays de la région nous regardent avec méfiance. Ce que j’ai
dit aussi, c’est que la Crimée ne re-
En Europe, l’idée qu’une Russie
sans Poutine et gouvernée par
des nationalistes serait dangereuse est très répandue. Qu’en
pensez-vous ?
C’est une erreur absolue. C’est
Poutine qui a favorisé l’émergence des idées nationalistes et
des groupes nationalistes. Il y a en
Russie énormément de gens qui
rêvent d’un pays gouverné selon
des principes démocratiques.
Ceux-là, et j’en fais partie, voient
la Russie comme un pays européen, pas « eurasiatique » ou un
autre de ces fantasmes.
On vous a souvent décrit
comme un nationaliste…
J’ai des positions conservatrices
sur l’immigration. Pour être plus
précis, tout ce que je demande,
c’est que la Russie introduise un
régime de visas avec les pays d’Asie
centrale. Cela fait-il de moi un nationaliste borné ? Je ne le crois pas.
Plusieurs journaux russes ont
reçu des mises en garde leur
demandant de ne pas publier
de caricatures de Mahomet ou
de ne pas reproduire de
« unes » de « Charlie Hebdo ».
Quelle est votre position ?
Je suis contre la censure, en
étant moi-même une victime.
Mon site est inaccessible depuis la
Russie. C’est une mauvaise décision d’empêcher les journaux de
publier ces caricatures. Mais c’est
significatif : en même temps qu’il
développe une rhétorique nationaliste, Poutine promeut un fondamentalisme religieux – orthodoxe principalement, mais aussi
musulman en Tchétchénie. p
propos recueillis par
benoît vitkine
Mme Mogherini prône un retour au dialogue entre l’UE et Moscou
La haute représentante a envoyé une lettre aux Vingt-Huit, dans laquelle elle envisage une approche plus nuancée des relations avec la Russie
bruxelles - bureau européen
F
aut-il, malgré la situation
en Ukraine, l’annexion de
la Crimée et la politique des
sanctions, tenter de renouer le
dialogue avec Moscou ? La question semblait taboue à Bruxelles.
Elle ne l’est plus depuis que le Service européen d’action extérieure
de l’Union européenne a diffusé
auprès des représentants des
Etats membres un document de
travail qui sera débattu au niveau
ministériel lundi 19 janvier. Les
ministres des affaires étrangères
doivent examiner, sans adopter
de conclusions à ce stade, cette
lettre endossée par la haute représentante Federica Mogherini, manifestement décidée à jouer un
rôle vraiment politique et à se démarquer de l’approche de la Britannique Catherine Ashton, qui
l’a précédée dans cette fonction.
Les cinq feuillets présentés aux
capitales européennes entendent
promouvoir « une approche
proactive » des Vingt-Huit, même
si Moscou continue à se livrer à
« des pressions, des intimidations,
des manipulations et de la propagande » dans les mois à venir.
L’Union ne transigera pas sur
l’application du processus de paix
conclu à Minsk entre l’Ukraine et
la Russie, mais elle doit désormais
se poser les bonnes questions,
souligne en substance Federica Mogherini.
Elle invite dès lors ses collègues
à se demander d’abord s’il n’est
pas possible, dans le domaine des
sanctions adoptées jusqu’ici, de
distinguer entre celles qui concernent l’annexion illégale de la Crimée et celles qui concernent la
déstabilisation dans l’est de
l’Ukraine. En clair, elle suggère de
réduire les sanctions en échange
Il s’agirait
de réduire les
sanctions contre
une application,
par le Kremlin,
des accords de
paix en Ukraine
d’une application, par Moscou,
des accords de Minsk.
Une désescalade serait bénéfique pour l’UE, avec une stabilisation de ses frontières orientales et
la possibilité d’un développement de la coopération avec Moscou dans une série de domaines :
l’énergie, les transports, le commerce, le changement climatique
ou la politique étrangère. La Russie, elle, pourrait entrevoir les
avantages d’une libéralisation de
la politique de visas, du retour des
investissements et de la technologie européenne et d’un dialogue
sur les éventuelles conséquences
négatives, pour son économie, de
l’accord d’association conclu entre Bruxelles et Kiev. L’Union
eurasienne, qu’elle a constituée
avec l’Arménie, la Biélorussie et le
Kazakhstan – et le Kirghizistan en
mai –, pourrait, en outre, être
considérée comme un possible
partenaire de l’UE.
Accueil plutôt positif
Même s’il bouscule certaines convictions, le document a reçu un
accueil plutôt positif dans diverses capitales, dont Paris. Beaucoup estiment que la logique des
sanctions est à son terme, maintenant qu’elles ont contribué à affaiblir l’économie russe. « Que pouvons-nous faire de plus ? Mme Mo-
gherini est dans son rôle de haute
représentante. Elle formule des
propositions d’ouverture, tout en
restant ferme avec Moscou », analyse une source européenne.
Une partie des Européens sontils pour autant déjà prêts à en revenir à des relations normales avec
Moscou ? Non, répondent des responsables interrogés. En Ukraine,
la situation a peu évolué et semble
même s’être détériorée ces derniers jours. « Il ne s’agit pas d’accréditer l’idée que nos relations avec
Moscou sont revenues à la normale », explique une autre source.
« Et il n’est pas du tout question, en
ce moment, de discuter d’un allégement des sanctions. Elles ne seront
levées que si les accords de Minsk
sont mis en œuvre de manière
pleine et entière. Il y a un consensus
des Vingt-Huit sur le sujet. »
Prudemment, le document
n’évoque d’ailleurs pas vraiment
un retour sur les mesures restrictives. Cette discussion n’interviendra qu’en mars, pour ce qui
est des mesures visant des personnalités, et en juillet pour les
sanctions économiques. Et les
pays membres ne sont manifestement pas tous sur la même ligne,
les Etats baltes et certains pays de
l’est de l’Europe poussant toujours à l’épreuve de force avec
Moscou. Des quotidiens anglosaxons évoquent un désaccord
entre la haute représentante et le
Polonais Donald Tusk, le président du Conseil européen.
Mme Mogherini est soupçonnée
d’être trop conciliante vis-à-vis de
Moscou, tandis que M. Tusk serait
intransigeant à l’égard de M. Poutine. « C’est faux, soutient une
source diplomatique. M. Tusk a eu
accès au document avant sa publication et l’a adouci. » p
jean-pierre stroobants
planète | 13
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
2014, année la plus chaude enregistrée sur le globe
La température terrestre a été supérieure de 0,69 °C à la moyenne du XXe siècle. Un nouveau record
F
in 2014, l’Organisation
météorologique mondiale (OMM) annonçait
que l’année en cours
pourrait être la plus chaude jamais enregistrée. Les relevés du
mois de décembre le confirment.
Deux des trois principaux laboratoires engagés dans la mesure de
la température terrestre — l’un à
l’Agence spatiale américaine
(NASA), l’autre à l’Agence américaine chargée de l’étude de l’océan
et de l’atmosphère (NOAA) — ont
présenté, vendredi 16 janvier,
leurs résultats : 2014 a bel et bien
été la plus chaude jamais mesurée
depuis 1880, date du début des relevés thermométriques. En réalité, il faut sans doute remonter au
moins un millénaire au-delà pour
trouver une année plus chaude
que celle qui vient de s’achever.
Toutefois, la messe n’est toujours pas formellement dite. Les
données britanniques du Centre
Hadley, troisième institution de
référence, n’ont toujours pas été
prises en compte. L’OMM, qui
opère chaque année la synthèse
des trois résultats, rendra son verdict définitif à la fin du mois de
janvier.
Le doute n’est pourtant plus de
mise. D’autres institutions météorologiques ou laboratoires ont
aussi, récemment, annoncé que
leurs données convergeaient
pour faire de 2014 l’année la plus
chaude jamais observée. L’agence
météorologique japonaise l’a fait
le 5 janvier. Les Américains du laboratoire Berkeley Earth, conduit
par le physicien Richard Müller,
Les dix années
les plus chaudes
sont toutes
postérieures
à 2000,
à l’exception
de 1998
ont communiqué leurs conclusions le 15 janvier, et font également de 2014 l’année record, mais
au coude-à-coude avec 2010 et
2005.
Selon la NOAA, la température
moyenne terrestre a été en 2014
supérieure de 0,69 °C à la
moyenne du XXe siècle. Une estimation toute proche de celle de la
NASA, les deux institutions de référence donnant l’année écoulée
au-dessus de 2010 et de 2005 – respectivement deuxième et troisième au classement – de quelques centièmes de degré. Une
telle différence peut sembler infime, mais élever la basse atmosphère terrestre d’un tel niveau requiert au contraire une énergie
considérable.
« L’année 2014 est la dernière en
date d’une série d’années chaudes,
elles-mêmes faisant partie de décennies chaudes, précise Gavin
Schmidt, directeur du Goddard
Institute for Space Studies de la
NASA. Le classement des années
individuelles peut être affecté par
le chaos qui gouverne la météorologie, mais les tendances de long
L’épidémie d’Ebola recule
en Afrique de l’Ouest
Le nombre de nouveaux cas diminue, mais
la vigilance reste de mise, selon l’OMS
L’
épidémie de maladie à virus Ebola, qui sévit depuis
un an en Afrique de
l’Ouest et a déjà tué près de
8 500 personnes, paraît entamer
son reflux, alors que débute la
Coupe d’Afrique des nations de
football, samedi 17 janvier, en Guinée équatoriale. L’Organisation
mondiale de la santé (OMS) a en
effet enregistré une diminution
du nombre de nouveaux cas dans
les trois pays les plus affectés :
Guinée, Liberia et Sierra Leone.
La Guinée a notifié 42 cas confirmés d’Ebola pour la semaine du 4
au 11 janvier, soit le chiffre le plus
bas depuis la deuxième semaine
d’août 2014. Le Liberia a, lui, confirmé 8 cas sur la même période,
son plus bas niveau depuis
juin 2014, alors qu’on dénombrait
quelque 300 nouveaux cas hebdomadaires en août et en septembre 2014. Signe de l’amélioration, les écoles, fermées depuis six
mois, doivent rouvrir le 19 janvier
en Guinée et le 2 février au Liberia.
Traitements prometteurs
La Sierra Leone connaît, elle aussi,
une diminution des cas confirmés pour la deuxième semaine
consécutive et revient au niveau
de la fin août. Mais, au cours de la
semaine du 4 au 11 janvier, le pays
dénombrait 187 nouveaux cas,
dont 59 dans la capitale Freetown.
Un chiffre qui en fait le pays le
plus sérieusement touché puisqu’il représente pratiquement la
moitié des 21 373 cas cumulés
pour les trois pays depuis le début
de l’épidémie.
« Si cette tendance se confirme,
cela suggère que nous avons passé
un cap et que l’épidémie est sur une
pente descendante », a commenté
le coordinateur de l’ONU pour la
lutte contre Ebola, le docteur David Nabarro, dans un entretien à
l’AFP. Il a toutefois prévenu des
dangers d’une diminution de la
vigilance, car « le risque d’une recrudescence persiste ».
Plusieurs facteurs expliquent,
selon l’OMS, la persistance d’une
transmission du virus Ebola d’un
individu à l’autre, malgré le déploiement de moyens plus importants sur le terrain. Les trois
pays disposent à présent d’un
nombre suffisant de lits pour isoler les malades à l’hôpital (plus de
deux lits sont disponibles pour
chaque cas confirmé ou probable). Mais la répartition inégale
entre les lits et la survenue de cas,
ainsi que des manques dans les signalements, font que tous les malades ne sont pas isolés et risquent de transmettre le virus.
De même, alors qu’il existe des
moyens pour enterrer les victimes d’Ebola dans des conditions
plus sûres, les pratiques funéraires à risque persistent, comme la
toilette mortuaire effectuée par
les proches.
L’OMS a convoqué, mardi
20 janvier, une quatrième réunion de son comité d’urgence sur
Ebola, afin de faire le point sur la
situation et discuter d’éventuelles
adaptations à porter aux recommandations en vigueur sur place.
Dimanche 25 janvier, veille de la
réunion de son conseil exécutif,
l’organisation a également programmé une session spéciale
consacrée aux leçons à tirer pour
le futur de cette épidémie. Des essais de traitements prometteurs
ont par ailleurs été lancés dans les
pays touchés, où des tests de vaccins doivent également débuter
avant la fin du mois. p
paul benkimoun
terme sont attribuables aux moteurs du changement climatique,
dominés par les émissions humaines de gaz à effet de serre. »
Au total, note la NOAA dans sa
synthèse, « la température annuelle mondiale a augmenté en
moyenne de 0,06 °C par décennie
depuis 1880 et de 0,16 °C par décennie depuis 1970 ».
Il faut remonter à 1976 pour
trouver une année plus froide que
la moyenne du XXe siècle. Depuis
trente-huit ans, les années qui
s’écoulent sont donc systématiquement plus chaudes que la normale. La tendance se lit aussi dans
le palmarès. Les dix années les
plus chaudes enregistrées à ce
jour sont ainsi toutes postérieures à 2000, à l’exception de 1998.
Cette année avait été marquée par
un phénomène El Niño hors du
commun qui avait contribué à
faire grimper brutalement le mercure mondial.
Disparités régionales
Ce phénomène naturel revient
tous les trois à sept ans et est caractérisé par un réchauffement
des eaux du Pacifique équatorial.
Il alterne généralement avec le
phénomène antagoniste, dit La
Niña, qui au contraire voit les
eaux du Pacifique refroidir et fait
ainsi baisser le thermomètre
mondial.
Dans leur communiqué commun, la NASA et la NOAA notent
que le record de l’année 2014 a été
établi alors qu’aucun Niño n’a été
à l’œuvre au cours de l’année. Et ce
alors que les deux précédents re-
AF R I QU E AUST RALE
Inondations meurtrières
au Mozambique
et au Malawi
Au moins 192 personnes ont
péri et plus de 200 000 ont
été déplacées au Malawi et
au Mozambique en raison
des inondations qui ravagent
la région depuis début janvier, selon un nouveau bilan
publié vendredi 16 janvier.
Avec 176 morts décomptés, le
Malawi est particulièrement
touché. « Ce n’est que le début
du commencement des pluies.
Le gouvernement appelle la
population vivant dans les
districts du sud exposés aux
inondations à se déplacer
d’urgence vers des zones plus
en altitude pour éviter de nouvelles pertes humaines », a déclaré Paul Chiunguzeni, premier secrétaire à la gestion
des catastrophes au Malawi.
Les autorités sanitaires locales redoutent l’apparition de
cas de dysenterie, choléra et
fièvre typhoïde. – (AFP.)
ARABI E SAOU D I T E
Les autorités saoudiennes
reportent la flagellation
d’un blogueur
Ryad a décidé de reporter,
pour « raisons médicales »,
la flagellation du blogueur
saoudien Raef Badaoui prévue vendredi 16 janvier.
M. Badaoui, condamné pour
« insulte à l’islam », s’est vu
infliger le 9 janvier les 50 premiers coups de fouet d’une
sentence en comptant
1 000 répartis sur vingt semaines. Son cas a déclenché
un tollé international et attiré
l’attention sur la rigidité avec
laquelle le royaume ultraconservateur applique la loi
islamique. En 2014, l’Arabie
saoudite a exécuté 87 condamnés à mort et 10 depuis
le début de l’année. Selon
Amnesty International, le
royaume a perpétré le troisième plus grand nombre
d’exécutions au monde
en 2014 derrière l’Iran et
l’Irak. – (AFP.)
cords, 2005 et 2010, avaient, eux,
été « aidés » par l’« enfant terrible
du Pacifique ». « C’est la première
fois depuis 1990 qu’un record de
température est battu en l’absence
d’un phénomène El Niño », a précisé Thomas Karl, scientifique en
chef responsable du climat à la
NOAA, au cours d’une conférence
téléphonique.
Comme toujours, les disparités
régionales sont importantes. A
l’image de la moyenne mondiale,
la France et l’ensemble de l’Europe, par exemple, ont connu
en 2014 leur année la plus chaude,
comme l’a récemment annoncé
Météo France. En revanche, 2014
ne pointe aux Etats-Unis qu’à la
18e place, avec, au sein même du
territoire américain, de grandes
différences. Par exemple, le Nevada, la Californie, l’Alaska et l’Arizona ont connu leur année la plus
chaude. Frappée par une interminable sécheresse aggravée par de
358
C’est le nombre de mois consécutifs, jusqu’à décembre 2014, dont
la température aura été supérieure à la moyenne du XXe siècle. Le
dernier mois affichant une température moyenne plus basse que la
moyenne du siècle dernier est en effet février 1985. Les mois qui se
sont écoulés depuis – soit près de trente ans – ont tous eu, sans interruption, une température supérieure à la moyenne. La dernière
année pleine avec une température moyenne sous la normale du
XXe siècle était 1976.
fortes chaleurs, la Californie a vu
sa température moyenne annuelle supérieure de 2,3 °C à la
moyenne du XXe siècle. Le précédent record avait été établi à 1,3 °C.
A l’inverse, les deux tiers du territoire américain, ainsi que le Canada, ont connu une année plus
froide que la moyenne.
« Cette tendance de long terme
au réchauffement et le classement
de 2014 comme année la plus
chaude renforcent la nécessité
pour la NASA d’étudier la Terre
comme un système intégré. Il s’agit,
en particulier, de comprendre le
rôle et l’impact des activités humaines », a déclaré John Grunsfeld, administrateur associé de l’agence.
Un message peut-être adressé aux
deux commissions parlementaires américaines chargées de superviser et de contrôler le travail
de la NASA et de la NOAA, présidées par des élus républicains notoirement connus pour leur penchant climatosceptique. p
stéphane foucart
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DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Les négociations sociales restent suspendues
Tôt samedi 17 janvier, syndicats et patronat se sont séparés sans signer d’accord sur les seuils sociaux
A
lors qu’un accord semblait tout proche, syndicats et patronat ont
échoué à s’entendre
sur une réforme du dialogue social et des seuils sociaux dans les
entreprises, samedi 17 janvier.
Après deux jours et une longue
nuit de négociation, les partenaires sociaux se sont séparés au petit matin sur un constat d’échec.
Une nouvelle séance de négociation devrait toutefois être fixée
dans les prochains jours. « La matière est sensible et difficile. On a
fait beaucoup d’efforts, on était
tout proche d’un accord mais on
n’a pas réussi à aboutir cette nuit »,
a expliqué Alexandre Saubot, le
négociateur du Medef. La négociation, ouverte à la demande du
gouvernement, aurait déjà dû
aboutir fin 2014.
Les grandes lignes de l’accord
semblaient pourtant être fixées
vendredi soir, mais les détails
techniques de la réforme en pro-
LE CONTEXTE
Le projet d’accord, qui peut encore évoluer, prévoit deux principaux changements.
CONSEIL
D’ENTREPRISE
Le comité d’entreprise, le comité
d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), les
délégués du personnel et les délégués syndicaux sont fusionnés
dans une seule instance, le conseil d’entreprise. Les moyens de
ce conseil, obligatoire dans toutes les entreprises de plus de
onze salariés, augmenteront en
fonction de la taille de l’entreprise.
COMMISSIONS
RÉGIONALES
Les salariés des entreprises employant moins de onze personnes seront représentés par des
syndicats siégeant au sein d’une
commission paritaire régionale,
avec des élus patronaux. Les
pouvoirs de ces commissions seront toutefois très limités.
R ECT I F I C AT I F
Plusieurs prénoms de l’article
« C’est un complot pour salir
les musulmans » de Gilles
Rof (Le Monde daté du 17 janvier) ont été modifiés à la
suite d’une erreur technique.
Il fallait lire Byllal (non pas Bilan), Ryan (non Yan) et Ryade
(non Ruade). Nous présentons nos sincères excuses
aux personnes concernées.
J UST I C E
Un policier condamné
pour avoir menti
Un policier de l’Essonne a été
condamné en appel, vendredi 16 janvier, à trois mois
de prison avec sursis pour
« modification de l’état d’un
crime ou d’un délit ». Lors
d’affrontements avec des habitants du quartier de La
Grande-Borne, à Grigny (Essonne), en 2007, le fonctionnaire, qui avait tiré en direction d’un émeutier de 17 ans
s’apprêtant à lancer un cocktail molotov, avait aussitôt ramassé trois étuis de balles
qu’il avait jetés dans les
égouts et replacé trois balles
dans le chargeur de son revolver, affirmant n’avoir tiré
qu’à trois reprises au lieu de
six. Il avait par la suite expliqué avoir maquillé la scène
pour éviter des remontrances
de sa hiérarchie et faire croire
à un acte de légitime défense.
fondeur des instances de représentation du personnel souhaitées par le Medef ont fait l’objet
d’âpres débats. Sur le principe,
trois syndicats majoritaires
(CFDT, CFTC et CFE-CGC) devraient s’entendre avec le Medef
et l’UPA (artisans) pour fusionner
toutes les actuelles instances de
représentations du personnel (comité d’entreprise, délégués du
personnel, comité d’hygiène, de
sécurité et des conditions de travail [CHSCT]) dans une seule, baptisée « conseil d’entreprise ».
Reste à en fixer les détails techniques précisément.
Disparition des CHSCT
Si elle est entérinée lors de l’ultime séance de négociation, cette
réforme pourrait bouleverser en
profondeur le paysage du dialogue social dans les entreprises. Le
nouveau conseil d’entreprise devrait en effet être obligatoire dans
toutes les entreprises employant
plus de onze salariés. La disparition des CHSCT est probablement
la mesure la plus spectaculaire de
ce projet d’accord. Créés en 1982,
ils étaient spécialisés dans la surveillance des conditions de travail
des salariés.
Le Medef, qui réclamait cette
simplification, assure que les prérogatives actuelles du CHSCT seront intégralement transmises au
nouveau conseil d’entreprise. Par
ailleurs, le projet de texte prévoit
que les entreprises de plus de
300 salariés continuent d’avoir
un ersatz de CHSCT, sous la forme
d’une simple « commission »
constituée au sein du conseil d’entreprise et qui « l’assiste » sur les
questions d’hygiène, de sécurité et
de conditions de travail.
Mais la CGT, qui ne signera pas
l’accord quoi qu’il arrive, a immédiatement dénoncé une « réduction drastique du dialogue social et
des capacités d’intervention des
salariés ». Dans la même veine,
Force ouvrière s’est alarmée de la
fin de « soixante-neuf ans de délégués du personnel, soixante-dix
ans de comité d’entreprise, quarante-six ans de délégués syndicaux et plus de trente ans de
CHSCT ». La CFDT était nettement
moins pessimiste, en estimant
que la disparition des CHSCT
n’était pas un problème si ses pré-
Agnès Le Bot (CGT) discute avec Alexandre Saubot (Medef), le 16 janvier, au siège du Medef, à Paris. ALAIN GUILHOT/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
rogatives et pouvoirs sont intégralement repris par les nouveaux conseils d’entreprise.
En échange de cette mesure, le
patronat a accepté de créer un dispositif pour représenter les salariés des entreprises de moins de
onze salariés, qui en sont actuellement dépourvues. C’était une des
principales revendications syndicales. Des « commissions régionales paritaires » doivent voir le jour.
Elles regrouperont dix patrons et
dix syndicalistes et auront pour
rôle de « conseiller les salariés et les
employeurs » de ces petites entreprises. Leurs moyens seront en revanche très limités et elles auront
l’interdiction « d’intervenir dans
une entreprise », ce qui devrait clairement brider leur pouvoir. La
CFDT réclame que ces pouvoirs
soient renforcés avant de signer ce
projet d’accord. Côté patronal, la
CGPME, qui refuse par principe
La CGT a dénoncé
une « réduction
drastique du
dialogue social
et des capacités
d’intervention
des salariés »
toute représentation des salariés
dans les très petites entreprises
(TPE), ne signera probablement
pas l’accord. Qu’importe, les signatures du Medef et de l’UPA (artisans) suffiront.
« Lissage » des seuils sociaux
Par ailleurs, le patronat réclame un
« lissage » des seuils sociaux actuels puisque la taille des conseils
d’entreprise dépendra plus forte-
ment de la taille des entreprises. Le
dernier projet prévoyait un élu
pour les entreprises de 11 à 25 salariés, deux jusqu’à 49, et ainsi de
suite jusqu’à 60 pour les entreprises de plus de 10 000 salariés. En
revanche, le seuil symbolique des
50 salariés devrait perdurer puisque c’est à partir de ce niveau que
le conseil d’entreprise aura un
budget de fonctionnement, la possibilité d’aller en justice et de prévoir des mesures sociales pour les
salariés, sur le modèle des actuels
comités d’entreprise. Syndicats et
patronat se sont longuement
écharpés sur l’enveloppe d’heures
de délégation dont pourront bénéficier ces élus, le patronat voulant
drastiquement les réduire.
Les syndicats devraient par
ailleurs obtenir le maintien de
leur prééminence. Comme actuellement, seuls des candidats
syndiqués pourraient se présen-
ter au premier tour des élections
professionnelles et ils seraient les
seuls habilités à négocier des accords avec leur direction, sauf en
l’absence totale d’élus syndiqués.
Là encore, ces points font l’objet
de discussions techniques poussées qui ne sont pas encore résolues.
Dernier point crucial, le patronat demande que les nombreuses
consultations obligatoires soient
grandement allégées puisque,
dans son projet, seules subsistent
trois consultations annuelles sur
la « situation économique et financière de l’entreprise », sur la
« situation sociale » et sur les
« orientations
stratégiques ».
Autant dire que, si les partenaires
sociaux finissent par s’entendre,
le paysage du dialogue social dans
les entreprises devrait radicalement changer. p
jean-baptiste chastand
Cécile Duflot annonce son soutien à Syriza
Les Verts participeront, lundi 19 janvier, à Paris, à un meeting favorable au parti de la gauche radicale grecque
L’
image va susciter nombre
de commentaires, en particulier à Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Lundi 19 janvier, Cécile Duflot et Jean-Luc Mélenchon partageront une tribune,
à Paris, à l’occasion d’un meeting
de soutien aux Grecs de Syriza. Le
parti de la gauche radicale, qui
souhaite desserrer l’étau de l’austérité dans son pays, est présenté
comme le grand favori des élections législatives anticipées qui
doivent avoir lieu le 25 janvier
dans la péninsule hellénique.
Mme Duflot et M. Mélenchon,
auxquels se joindra Pierre Laurent, secrétaire national du Parti
communiste, répondront ce
soir-là à un appel signé, entre
autres, par les différentes composantes du Front de gauche, les altermondialistes d’Attac ou encore quelques fédérations des
syndicats CGT et SUD. « Il y aura
aussi Guillaume Balas [député
européen PS et frondeur affirmé] », tient à préciser la députée de Paris, qui ne veut pas laisser penser qu’elle aurait brutalement changé de camp à gauche.
Début janvier, Cécile Duflot envisageait de se rendre en Grèce
pour exprimer son soutien à Syriza. Des contacts avaient été pris
avec des responsables du parti
grec, mais aucune rencontre avec
son chef de file, Alexis Tsipras,
n’était au programme. « On va
nous traiter de Mélenchon si on
fait ça », reconnaissait alors son
entourage.
L’assassinat de 17 personnes
par trois djihadistes et la mobilisation de quatre millions de
Français dans la rue ont coupé
court à ce projet de voyage.
L’agenda de la députée ne lui permet désormais plus de se rendre
à Athènes. Elle doit donc se contenter de l’estrade du gymnase
Japy.
« Faire bouger les lignes »
« Je suis très contente qu’on fasse,
en France, un meeting pour une
élection qui se tient ailleurs en Europe », explique la députée, qui
rappelle que les Verts grecs sont
alliés à Syriza. « Leur victoire serait
une bonne chose pour les Grecs et
pour l’Europe. Il faut faire bouger
les lignes. La politique comptable
et d’une froideur humaine terrible
menée au niveau européen est une
erreur », juge-t-elle.
En parallèle, une motion est
examinée samedi 17 et dimanche
18 janvier au sein d’Europe Ecologie-Les Verts, qui tient son conseil
fédéral. Elle prône un soutien à Syriza et à Podemos, en Espagne, qui
représenteraient, selon cette motion, « des partenaires de la réorientation européenne ».
Le texte enjoint par ailleurs « la
direction d’EELV à travailler à tous
les échelons avec les forces politiques
françaises
désireuses
d’ouvrir une alternative politique
semblable ». En clair, le Front de
gauche et tous les mouvements
de gauche critiques envers le PS.
Fait suffisamment rare pour être
Depuis son
départ du
gouvernement,
l’ex-ministre
multiplie les
petits pas en
direction du
Front de gauche
souligné, Cécile Duflot a signé ce
texte, qui a été rédigé à l’initiative
de l’aile gauche d’EELV. Eva Joly
émarge, elle aussi, parmi les signataires.
Depuis son départ du gouvernement, en mars 2014, l’ancienne
ministre du logement multiplie
les petits pas en direction du
Front de gauche en général, et de
Jean-Luc Mélenchon en particulier. La députée de Paris et le député européen, qui se sont rencontrés à plusieurs reprises depuis septembre dernier, ont affiché une certaine connivence le
4 décembre, sur France 2, à l’occasion d’un débat dans le cadre de
l’émission « Des paroles et des actes ».
Officiellement, l’ancienne patronne des Verts assure ne pas
souhaiter former une nouvelle
coalition. « Je ne crois pas à l’alternative à la gauche de la gauche,
dit-elle. La priorité, c’est un projet
partagé, pour l’écologie et contre
les inégalités. » Cela ne l’empêche
pas de noter que « Jean-Luc Mélenchon a bougé, comme certains
socialistes », en particulier sur les
sujets écologiques. « Le débat, ce
n’est pas droite-gauche, mais pro-
ductivistes contre antiproductivistes », assure-t-elle. « Sur les
questions écolos, Mélenchon est
une des personnes les plus proches de nous », ajoute un de ses
proches.
Les deux responsables ont signé
un texte – intitulé « Chantiers
d’espoir » – visant à créer une plate-forme de débats commune à
l’ensemble de la gauche critique
pour faire émerger des propositions alternatives. « C’est un créneau à 15 %. Les idées sont intéressantes, mais il n’y a pas de débouchés », critique Jean-Vincent
Placé, qui plaide, lui, pour une alliance avec le PS.
« Cécile Duflot est en campagne
interne, elle sait qu’elle gagnera en
séduisant sa gauche, puisque sa
droite est occupée par son rival du
moment, Jean-Vincent Placé »,
juge de son côté Jacques Boutault,
maire du 2e arrondissement de
Paris et représentant de l’aile gauche d’EELV. Le congrès du parti
doit avoir lieu début 2016. L’élection présidentielle, elle, est distante de près de deux ans et demi.
Ce qui laisse le temps de tester des
recompositions. p
olivier faye
france | 15
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Un règlement de
comptes met fin à six
mois de trêve à Marseille
Il faut remonter à 2010 pour retrouver
une aussi longue période d’accalmie
marseille - correspondant
U
n homme âgé de 25 ans
a été tué, jeudi 15 janvier vers 0 h 30, sur
une place de La Castellane, une cité des quartiers Nord
de Marseille. La victime a essuyé
les tirs de deux armes de poing.
C’est dans ce vaste ensemble d’immeubles qu’a été démantelé, en
mai 2013, l’un des plus importants
réseaux de vente de stupéfiants
marseillais. Près de 1,3 million
d’euros avait été saisi et les comptabilités découvertes laissaient
penser à un chiffre d’affaires quotidien voisin de 50 000 euros.
Cet assassinat interrompt une
longue période d’accalmie sur le
front des règlements de comptes
au sein du néobanditisme de cité.
En 2014, Il s’en est commis quinze,
faisant dix morts et huit blessés :
le dernier avait eu lieu le 1er août à
Air-Bel, une autre cité. Et puis les
armes se sont tues presque six
mois. « Il faut remonter à 2010
pour retrouver une aussi longue
période sans règlements de comptes », analyse Christian Sainte, directeur interrégional de la police
judiciaire de Marseille.
Renforts
Cet apaisement – notable aussi
pour les vols à main armée, dont le
nombre a diminué d’un tiers – est
analysé comme le résultat de nouvelles stratégies policières et judiciaires. Elles ont d’ores et déjà payé
en matière d’élucidation, puisque
trois équipes de malfaiteurs soupçonnés d’un ou de plusieurs règle-
ments de comptes ont été interpellées au second semestre 2014.
« Six mois, c’est trop court pour
s’auto-congratuler,
reconnaît
Brice Robin, procureur de la République à Marseille, mais on a indéniablement été plus efficaces. »
Christian Sainte se félicite d’un
taux de résolution – c’est-à-dire
ayant conduit à des mises en examen – d’un règlement de comptes
sur deux : « On a mis hors jeu des
individus extrêmement dangereux. Et lorsque vous mettez un
tueur en prison, ce n’est manifestement pas si aisé que cela de trouver
celui qui va prendre sa place. »
Les renforts accordés par le gouvernement fin 2012 et fin 2013 à la
police marseillaise ont étoffé sensiblement tous les services d’enquête. Mais plus que les hommes,
ce sont les méthodes de travail qui
ont été radicalement modifiées.
« La PJ aurait raté un virage historique, serait passée à côté d’une réalité criminelle qui a changé, si elle ne
s’était pas réorientée vers le néobanditisme de cité et les trafics de
stupéfiants », estime M. Sainte.
Le renseignement judiciaire opérationnel est devenu le maître mot
de ces nouvelles politiques. Début
2013, le service d’information, de
renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée
a ouvert une antenne à Marseille
et un bureau de liaison de la lutte
contre les trafics de stupéfiants
dans les Bouches-du-Rhône réunit
tous les quinze jours les différents
services de police, de gendarmerie
et des douanes. Le dispositif dit
d’« approche globale », mené dans
quarante cités – intervention sur
les trafics de drogue, sécurisation
de la cité et mobilisation des services publics – contribue à la remontée de renseignement.
« Nous avons désormais une
bonne vision des organigrammes
des équipes dans les cités, jusqu’aux têtes de réseaux et, précise
le patron de la PJ, nous ciblons les
plus actives. Avec une bonne connaissance de leurs conflits internes, de leurs rivalités, et lorsqu’il y a
un mort, de leur soif de vengeance
– ce qu’on nomme désormais à
Marseille sous le vocable de
“match retour”. »
« Puzzle préétabli »
Le parquet ouvre plus fréquemment des enquêtes visant la constitution d’associations de malfaiteurs ou la non-justification de
ressources autorisant des surveillances techniques, des filatures… Et lorsqu’un règlement de
comptes a lieu, la justice dispose
désormais d’éléments réunis en
amont. « Pendant des années,
nous avons été suivistes, les enquêtes essayaient de reconstituer les
faits a posteriori. Nous avions des
convictions policières mais pas de
billes judiciaires, analyse Brice Robin. Désormais, nous disposons
d’éléments de surveillance comme
un puzzle préétabli. Les juges d’instruction gèrent des dossiers nourris d’éléments probants et les délinquants commencent à le savoir. »
Cette politique a permis, cet été,
la résolution de deux règlements
de comptes, l’un en deux heures,
l’autre en trois semaines. Les élé-
ments recueillis lors de la surveillance d’une bande dans le cadre d’une enquête pour association de malfaiteurs ont pris un relief particulier après l’assassinat,
le 18 juillet, de Zakary Remadnia,
23 ans, acteur présumé d’une
guerre de territoires pour la revente des stupéfiants dans les cités Font Vert et Les Flamants. Une
équipe entière « tombait » pour
assassinat en bande organisée, y
compris le présumé commanditaire incarcéré à Aix-en-Provence.
Ce jeune homme de 24 ans avait,
quelques semaines avant l’exécution de Zakary Remadnia, annoncé qu’il allait transmettre « un
plan d’architecte avec les gens
[qu’il fallait] tuer » à son « lieutenant ». Les écoutes montrent
aussi l’exaltation de ce détenu
quelques heures après les faits.
Dans un autre dossier, le travail
en commun des différents services de police a permis d’apprendre qu’un scooter surveillé par la
brigade de répression du banditisme dans le cadre d’une enquête
sur la préparation de braquages se
trouvait devant un snack de SaintAntoine (dans les quartiers Nord),
au moment de l’assassinat d’un
homme, le 17 juillet. Policiers et
magistrats souhaitent « rester
modestes ». « Rien n’est définitivement gagné, tempère Christian
Sainte. Ces résultats tendent à valider les options prises il y a deux ans
avec des renforts et de nouvelles
méthodes. » p
luc leroux
LE CONTEXTE
Pour la deuxième année consécutive, la délinquance a diminué
à Marseille de 3,83 %, après une
baisse de 4,12 % en 2013. La décrue est particulièrement sensible sur les infractions commises
sur la voie publique (-10,76 %). Il
y a encore trois ans, quelque
10 000 vols avec violences par an
et 1 000 vols à main armée
étaient comptabilisés. Le procureur de la République, Brice Robin, se félicite aussi du nombre
de saisies d’armes, qui a augmenté de 37 % en 2014 : 309 armes longues dont 22 kalachnikovs et 285 armes de poing.
Les travailleurs sociaux de l’hébergement d’urgence à bout de force
Le manque de place pour les sans-abri rend la mission des associations impossible. L’idée d’une grève nationale fait son chemin
F
in 2014, les travailleurs sociaux de l’hébergement
d’urgence avaient multiplié les grèves symboliques et les
protestations. Ils ont continué à
crier leur ras-le-bol, jeudi 15 janvier à Paris, lors des Assises pour
l’accès au logement des sans-abri
organisées par la Fédération nationale des 870 associations d’accueil et de réinsertion sociale
(Fnars). Objectif : voir réorientée
la politique coûteuse et inefficace
de l’hébergement d’urgence, à
leurs yeux inacceptable pour les
hébergés comme pour eux-mêmes.
A Toulouse, début décembre 2014, les 35 salariés du service
qui gère la plate-forme téléphonique du 115, numéro d’urgence destiné aux sans-abri de Haute-Garonne, ont tous cessé le travail
pendant deux heures et ont recommencé à la veille de Noël. Ils
n’avaient aucune revendication
corporatiste ; ils voulaient seulement pouvoir proposer des places
ou des réponses aux appels qu’ils
reçoivent. « La tension était extrême : il y avait 250 à 300 personnes dehors chaque soir, et nous
étions obligés de dire “Non, il n’y a
pas de place” neuf fois sur dix, raconte, à la tribune, Bruno Garcia,
coordinateur de la veille sociale
en Haute-Garonne. C’est insupportable, notre mission y perd tout
son sens. »
Même contestation à Bordeaux : « Quand le préfet a, le
5 novembre, convoqué les dix
grandes associations girondines
d’hébergement d’urgence pour
nous présenter les capacités d’hébergement disponibles, nous
« Nous sommes
en première
ligne face
à la massification
de la pauvreté »
ÉRIC KERIMEL
directeur de l’association
Habitat alternatif social
avons refusé de participer à ce système bricolé, témoigne Catherine
Abeloos, présidente de la Fnars
Aquitaine. A la deuxième réunion,
le préfet a finalement accepté
d’ouvrir 200 places pérennes de
plus. »
« En 2014, nous avons réservé
29 600 nuitées dans 550 hôtels
d’Ile-de-France, un chiffre astron-
omique, démesuré », interpelle
Christine Laconde, directrice du
SAMU Social de Paris, qui décrit le
recours systématique aux hôtels
comme « une drogue et une impasse de laquelle il faut sortir ».
« Il faut arrêter ce système »
« Ce que nous fait faire l’Etat est indigne, nous sommes en première
ligne face à la massification de la
pauvreté et que faisons-nous pour
ces familles qui se déglinguent
tous les jours un peu plus sous nos
yeux ? Il faut arrêter ce système »,
s’emporte, sous les applaudissements, Eric Kerimel, directeur
d’Habitat alternatif social, à
Marseille. La structure emploie
90 salariés, dont selon lui un
nombre grandissant craquent
nerveusement, sont en arrêt-maladie ou, pour se protéger, se réfu-
gient dans « la technique »…
« Et moi, que vais-je faire demain
en distribuant mes madeleines et
mes couvertures sans avoir la
moindre solution de logement à
proposer ? », lance une salariée
voulant rester anonyme. « Nous
nous sentons instrumentalisés à
faire ce que nous ne voulons pas
faire, le tri entre les pauvres, entre
l’unijambiste octogénaire et la
femme victime de violences conjugales, avec son enfant de cinq
ans », déplore Baptiste Ménéghin,
administrateur à la Fnars.
Les grèves de 2014 ont plutôt
été encourageantes, car les préfets ont souvent débloqué des
moyens supplémentaires. « Mais
il y a des enjeux financiers, des
concurrences entre associations,
voire des organismes “low cost”
qui, pour percevoir de l’argent de
l’Etat, acceptent de gérer des places que, pour notre part, nous estimons
indignes »,
dénonce
M. Ménéghin, qui explique qu’il
est cependant difficile de se
plaindre aux services préfectoraux sans risquer des réductions
de budget en retour.
L’idée d’une grève nationale des
50 000 à 60 000 professionnels
de l’hébergement d’urgence fait
son chemin : « Et pourquoi pas
lors de la Nuit solidaire, le 12 février ? », suggère une intervenante. Seul baume au cœur des
450 participants aux Assises, la
ministre du logement, Sylvia Pinel, a annoncé un plan triennal
pour ne plus recourir aux nuitées
d’hôtels et réorienter l’argent économisé vers la création de structures d’accueil et de logements. p
isabelle rey-lefebvre
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16 | culture
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DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Au Mémorial de la
Shoah, une exposition
rassemble les images
des atrocités nazies
tournées par les
opérateurs de guerre
EXPOSITION
jacques mandelbaum
D
epuis quelques années, une
démarche de documentation des images des camps
nazis a été entreprise par les
historiens. Des expositions
mémorables jalonnent ce
travail, depuis « Mémoire des camps » (Hôtel
de Sully, 2001), pour la photographie, jusqu’à
« Filmer les camps » (Mémorial de la Shoah,
2010) pour les films. Ce travail qui interroge
et classifie (qui, où et quand filme ou photographie précisément quoi ?) répond de manière salutaire à certains documentaires qui,
par leur usage spectaculaire, esthétisant et
non raisonné des archives, trahissent leur
vocation de témoignage et brouillent la compréhension des événements. S’ouvre
aujourd’hui, à l’occasion du soixantedixième anniversaire de la libération des
camps, un nouvel événement appelé à faire
date. « Filmer la guerre : les Soviétiques face
à la Shoah (1941-1946) », qui se tient du 9 janvier au 27 septembre 2015 au Mémorial de la
Shoah, montre et met en perspective des
images en grande majorité inédites, fruit
d’un long et minutieux travail d’exploration
mené par une dizaine de chercheurs français
dans divers fonds d’archives en Russie, en
Ukraine et en Pologne.
Il faut souligner la rareté des documents
qu’on découvre ici. Contrairement aux bandes d’actualité et aux documentaires tournés par les troupes anglo-américaines lors de
la libération des camps de concentration à
l’Ouest, les vues des opérateurs soviétiques
ont longtemps été soustraites à l’attention
des chercheurs comme du public. Deux raisons expliquent cet état de fait. La guerre
froide d’abord, qui a contribué à faire disparaître ce matériau derrière le rideau de fer. La
suspicion qui a pesé, ensuite, sur ces archives
accusées d’être mises au service de la propagande, au mieux par la mise en scène de vues
reconstituées données pour réelles (mettre
en valeur l’Armée rouge en rejouant la libération d’Auschwitz avec des figurants), au pire
par le montage de preuves falsifiées (le massacre de milliers d’officiers polonais à Katyn,
basse œuvre du NKVD imputée aux Nazis
dans un film de 1944).
C’est pourtant contre ces préventions que
s’élève une des commissaires de l’exposition,
l’historienne Valérie Pozner, chercheuse au
CNRS, spécialiste de l’histoire du cinéma
russe et soviétique : « Nous avons voulu établir l’importance de ces images oubliées, les
contextualiser, en montrer la complexité. Il
fallait aller au-delà des quelques clichés ressassés à leur propos. On reproche aux Soviétiques d’avoir mis en scène des plans à Auschwitz, mais on oublie de dire que ces plans
n’ont jamais été montés. On oublie aussi de
rappeler que les Américains ont également
fait de la reconstitution, notamment à
Mauthausen. De même, on ne peut, en vertu
du seul film sur Katyn, nier l’authenticité de la
plupart de ces documents. La vérité est que
l’ensemble de ces images constitue une trace
irréfutable et sans équivalent de ce que fut la
Shoah à l’Est. »
L’AMPLEUR ET LA VIRULENCE DES CRIMES
De fait, ce sont bien les Soviétiques, pour des
raisons géographiques et stratégiques, qui
sont les premiers, pour ne pas dire les seuls,
mis en présence des sites et des diverses traces de l’extermination des juifs, concentrée à
l’Est. Dès 1942, l’Armée rouge part à la reconquête du territoire et découvre à mesure de
son avancée l’étendue des exactions nazies.
C’est elle qui prend la mesure du massacre
des résistants et des populations civiles. Elle
qui constate l’assassinat d’un million et demi
de juifs par le fait de ce que les historiens
nomment la Shoah par balles. Elle encore qui
délivre les camps d’extermination de Majdanek et d’Auschwitz (la majorité des autres
sont démantelés dès 1943, à l’instar de Tre-
La Shoah dans l’œil
des Soviétiques
DÈS 1942, L’ARMÉE
ROUGE DÉCOUVRE
À MESURE DE SON
AVANCÉE L’ÉTENDUE
DES EXACTIONS NAZIES.
C’EST ELLE QUI PREND
LA MESURE
DU MASSACRE
blinka et de Sobibor). Devant l’ampleur de
ces crimes, qui ne visent pas d’ailleurs que
les juifs, les Soviétiques créent, dès 1942, une
commission d’enquête extraordinaire destinée à les documenter, par tous les moyens
requis, recueil de témoignages, film, procèsverbal. C’est ce matériau que donne à voir
l’exposition du Mémorial dans un espace relativement exigu, mais avec un sens pédagogique à la fois rigoureux, efficace et suggestif.
Plusieurs heures d’images filmées, muettes pour la plupart, présentées par fragments
de quelques minutes, y sont décortiquées.
Beaucoup de questions y trouvent leur réponse. D’où viennent ces images ? D’un matériau très particulier : des compilations de
rushs tournés sur le front et rassemblés selon des critères de lieux et de temps, ce prémontage servant en quelque sorte de base de
données aux films définitifs, qu’il s’agisse
d’actualités filmées ou de documentaires
(ces films, rarement vus, sont projetés parallèlement à l’exposition). Un matériau qui
présente l’inconvénient d’avoir déjà éliminé
un certain nombre de vues originelles, et
l’avantage d’offrir un corpus permettant
d’identifier les choix narratifs et politiques
des monteurs soviétiques.
Qui a pris ces images ? Des opérateurs de
guerre munis de caméra Eyemo, au premier
rang desquels le célèbre Roman Karmen,
missionnés et contrôlés par la direction politique de l’Armée rouge, selon deux impératifs principaux, liés à la découverte des atrocités nazies : la mobilisation générale de la
population pour l’effort de guerre et l’incitation à la vengeance, l’enregistrement des
preuves en vue d’un futur procès. Que montrent enfin ces images ? L’ampleur et la virulence des crimes, subsumées à partir des traces (fosses, ossements, cadavres, camps),
constatées devant l’état des survivants, établies par les témoins. L’horreur nue, en un
mot, du projet nazi, tel qu’il atteint, pour
ainsi dire, son degré chimiquement pur dans
les territoires de l’Est.
Ne l’a-t-on déjà vue, cette horreur, notamment dans ces documentaires anglo-américains qui ont imprimé la mémoire collective ? Pas comme ici, où elle surprend encore,
filmée au plus près, dans les détails, comme
sous le choc répété de son intensité et de son
amplitude, par des opérateurs médusés qui
s’appesantissent sur elle. Images terribles
des fosses vides, des charniers putrides, des
bûchers presque fumants, des restes humains émiettés et vomis par la terre, des
corps écorchés, décomposés, qui vous sourient du plus loin de la souffrance. Images insoutenables, qu’on hésite à décrire, qu’on
peine à recommander. Il faudra néanmoins
tenter de voir, sur l’étal infernal d’Auschwitz,
ces carcasses d’enfants ouvertes comme à la
boucherie, légers cobayes des expériences
menées par les médecins nazis. Mais l’édification par l’horreur n’est pas tout. L’un des
axes les plus édifiants de la visite concerne
l’effacement de la réalité du génocide. Sur
cette question, la comparaison entre les
compilations de rushs découverts dans les
archives et les films qu’on en a tirés se révèle
implacable.
Janvier 1942 : les Soviétiques reprennent la
ville de Kertch, en Crimée. Quatorze mille
personnes y ont été assassinées, parmi elles
de nombreux juifs. Des cadavres retrouvés
dans le fossé de Baguérovo sont filmés par
les opérateurs. Visibles sur les rushs, les brassards frappés de l’étoile de David disparaîtront des actualités filmées. Janvier 1945 : les
opérateurs soviétiques filment à n’en plus finir les piles d’objets des juifs assassinés à
Auschwitz : châles de prière, chaussures, valises, brosses à dents… Elizaveta Svilova, compagne de Dziga Vertov, en tire un film (Auschwitz, 1945) dans lequel ces châles ont tout
bonnement disparu. On pourrait multiplier
les exemples, quitte à les nuancer par cette
mise en garde de Valérie Pozner : « La politique des Soviétiques à l’égard de la reconnaissance de la Shoah est plus ambivalente qu’on
ne croit. Dans certains cas, certes de plus en
plus rares à mesure que la guerre progresse,
les victimes juives sont identifiées comme telles. » Reste que, dans un pays où ont péri
vingt-sept millions d’êtres humains, les trois
millions de juifs soviétiques victimes de la
« solution finale » seront jusqu’à l’écroulement de l’URSS de « paisibles citoyens soviétiques » victimes de la barbarie nazie, selon
l’expression consacrée de Viatcheslav Molotov. Ainsi, de ce « crime sans traces » que fut
la Shoah, même les libérateurs qui eurent
l’opportunité d’en découvrir les vestiges turent le nom. p
Filmer la guerre : les Soviétiques face
à la Shoah (1941-1946). Mémorial de la
Shoah, 17, rue Geoffroy-l’Asnier, Paris 4e.
Tél. : 01-42-77-44-72. Jusqu’au 27 septembre.
Memorialdelashoah.org
Le photographe
Roman Karmen
à Majdanek
(Pologne),
en juillet 1944.
RGAKFD
culture | 17
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DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Ibeyi, les jumelles sur lesquelles
se focalise Eurosonic
Le festival a fait vibrer la ville de Groningen, aux Pays-Bas,
au rythme du rock et de la pop
MUSIQUE
groningen (pays-bas)
D
ans un vent à renverser
les vélos, une longue file
patiente en espérant
pouvoir assister au concert
d’Ibeyi dans un Stadsschouwburg
déjà bondé. Comme une trentaine d’autres clubs et salles de
concert de Groningen, au nord
des Pays-Bas, ce théâtre à l’italienne accueille, jusqu’au 17 janvier, la nouvelle édition d’Eurosonic, sorte de « marché de la musique live » réunissant l’internationale des professionnels du rock et
de la pop.
Si, en ce jeudi 15 janvier, une centaine de groupes et d’artistes sont
programmés à travers la ville,
c’est bien ce duo de sœurs jumelles âgées de 20 ans, les Françaises
Lisa-Kaindé et Naomi Diaz, baptisé « Ibeyi », du nom des dieux jumeaux yoruba, qui focalise l’intérêt. Une attente en phase avec le
« buzz » entourant la sortie, le
16 février, de leur premier album,
publié par le label XL Recordings,
maison de disques britannique
ayant construit sa réputation avec
des « best-sellers » comme Adele,
Jack White, The XX ou, récemment, Jungle et FKA Twigs.
Elles ont beau enchaîner, sous
l’égide de leur maman manageuse, les journées et concerts de
promo autour du monde, celles
que le quotidien britannique The
Guardian vient de classer numéro 1 des « artistes à suivre
en 2015 » restent incrédules devant les prémices du succès. « On
se demande toujours comment on
pourra remplir une salle », rigole
Lisa.
Comme à chaque fois, la pianiste et chanteuse à la coupe afro
a écouté la soul méditative de
Fink avant de monter sur scène.
Avec Naomi, aux yeux verts rac-
La complicité
rieuse des jolies
Françaises dope
leurs élans
spirituels
cord avec l’émeraude de sa combinaison, elles ont ensuite rituellement allumé deux bougies. L’une
en souvenir de leur sœur, Yarima,
décédée récemment, à l’âge de
28 ans. L’autre pour leur père,
Anga Diaz, disparu en 2006, à
l’âge de 45 ans.
Frissonnante sobriété
Considéré comme l’un des plus
grands percussionnistes cubains
de sa génération, ce dernier avait
joué avec Chucho Valdès, Ibrahim
Ferrer et Ry Cooder. En plus d’une
sensibilité musicale, imprégnée
de jazz et de rythmes afro-cubains, il leur a légué une fascination pour la culture yoruba, importée, à travers la traite esclavagiste, de l’ouest africain vers les
Caraïbes, et les rituels magiques
de la santeria.
Des invocations traditionnelles
traversent d’ailleurs plusieurs
des chansons d’Ibeyi, pour se mêler à une soul anglophone, à des
rêveries évoquant parfois Björk
(Oya), passant d’une mélancolie
lancinante à des pas de danse
d’une sensualité lumineuse (River).
A califourchon sur son cajon,
une percussion en forme de
caisse, pilotant un discret ordinateur ou debout devant les longs
fûts des bata, Naomi donne l’assise rythmique de ce délicat répertoire. La complicité rieuse des
jolies jumelles dope leurs élans
spirituels. C’est d’ailleurs une captation live de leur chanson Mama
“UN GRAND FILM
MAJESTUEUX À
L’AMPLEUR CONSIDÉRABLE.”
LES CAHIERS DU CINEMA
Says, réalisée par l’émission
« Mondomix », qui a donné le
coup de foudre aux Anglais d’XL.
« La façon dont ces jeunes filles
parlaient de la dépression de leur
maman après la disparition de
leur père était incroyablement
émouvante », se souvient Emily
Kendrick, une des responsables
de la maison de disques.
Le légendaire patron du label,
Richard Russell, avait reçu les
filles dans son studio de Portobello. « Il était accroupi sur un tapis et brûlait de l’encens », se souvient Lisa, encore émerveillée. « Il
nous a regardées dans les yeux, en
nous demandant si nous préférions une grosse production à la
Alicia Keys ou quelque chose de
plus dépouillé. » Ils optent ensemble pour une frissonnante sobriété, parsemée de légers effets
électroniques. Une réalisation artistique assurée par Richard Russell, qui ne s’était impliqué à ce
point que dans trois albums :
ceux de Gil Scott-Heron, Bobby
Womack et Damon Albarn.
Première structure à avoir cru
au talent des demoiselles, la société française de production de
spectacles Caramba collabore
avec Ibeyi depuis 2012. Présente à
Groningen pour rencontrer un
florilège de promoteurs européens, Julia Le Groux, une des responsables du tourneur, s’étonne
qu’aucun label français n’ait réagi
plus tôt, tout en se félicitant de
l’impact de la signature britannique. « Médias et pros du monde
entier guettent les nouvelles signatures XL. Cela nous ouvre d’innombrables portes. »
Avec, entre autres, la collaboration d’ITB, un des plus gros agents
britanniques, Caramba a organisé, jusqu’au 17 mai, une première tournée d’une quarantaine
de dates internationales. p
5aux oscars
no m i n at ion s
DONT
MEILLEUR RÉALISATEUR
Bennett Miller
MEILLEUR ACTEUR
Steve Carell
MEILLEUR ACTEUR
DANS UN SECOND RÔLE
Mark Rufalo
stéphane davet
Huis clos dans les bas-fonds
de Buenos Aires
Sergio Boris présente sa pièce « Vieux, seul et pédé »,
au Théâtre de la Commune, à Aubervilliers
THÉÂTRE
E
h oui, la vie continue. Elle
ne fait même que cela, dans
un spectacle troublant présenté au Théâtre de la Commune
d’Aubervilliers : Viejo, solo y puto
(« Vieux, seul et pédé »), de l’Argentin Sergio Boris. Tout se passe dans
l’arrière-fond d’une pharmacie des
faubourgs de Buenos Aires. C’est la
nuit. Il y a plein d’étagères en fer et
peu d’espace entre elles. Si l’on se
croise, on se touche, ce qui arrive
souvent aux cinq personnes qui
sont là : Evaristo et Daniel, les frères qui tiennent la boutique, héritée de leur père ; Claudio, un agent
trouble de publicité médicale ;
Sandra et Yulia, deux copines travesties. Sandra rajuste sa perruque
et virevolte dans sa minijupe. Elle a
une vingtaine d’années, envie de
s’amuser. Yulia ne cache pas ses
gros bras ni son usure : à 40 ans,
elle a beaucoup d’heures au compteur, et une grosse fatigue.
Voilà pour le décor, et les personnages. On se rend vite compte que
Sandra est la petite amie de
Claudio, on sent que Yulia et Evaristo sont proches depuis longtemps, on apprend que Daniel est
en train de se séparer de sa femme,
on mesure l’affection entre Sandra
et Yiula. Mais d’histoire, il n’y en a
pas. Dans Viejo, solo y puto, Sergio
Boris ne cherche pas à construire
un récit. Il montre ce qui se passe
quand il ne se passe rien, sinon la
vie qui continue, dans l’arrièreboutique glauque d’une pharmacie de Buenos Aires, une nuit
comme une autre. Se maquiller,
commander des pizzas, boire des
bières, se dire que l’on irait bien à la
soirée mousse du Magico, pester
contre Kimberly, une teigne qui
fait la loi sur le trottoir, avaler des
médicaments, s’allonger pour une
piqûre d’hormones, régler des
comptes, rire et s’engueuler.
Entre-deux de la réalité
L’amour est vache, comme les
bas-fonds. Le sexe se deale,
comme le Klosidol ou le Diclofénac. Mais le désir est là, si grand
qu’il n’a même plus de nom. Il se
traduit par une nervosité, mais il
ne s’avoue pas pour ce qu’il est :
un manque. Tous les personnages
de Viejo, solo y puto se racontent
probablement un film dans leur
tête, sans le dire. Ils aimeraient
être ailleurs, sans savoir où. Ils
aimeraient échapper au labyrinthe des étagères, mais ils n’en connaissent pas la sortie. Et nous, en
face, nous les regardons comme
s’ils étaient dans une vitrine et
qu’ils ne savaient pas que nous les
voyions. C’est étrange : on a le
sentiment d’être dans un entre-
deux de la réalité, à la fois monotone et prenant.
Sergio Boris ne joue pas dans
Viejo, solo y puto. Cet excellent acteur argentin qu’on a pu voir au cinéma dans El abrazo partido
(2004), le film de Daniel Burman,
ou au théâtre dans des mises en
scène de Ricardo Bartis (El pecado
que no se puede nombrar, et La
Pesca), opère ici en tant qu’auteur
et metteur en scène. Il dirige cinq
comédiens avec qui il a travaillé
deux ans avant de créer le spectacle, à Buenos Aires, en 2011. Et ces
cinq-là sont si bons qu’on les
quitte à regret quand s’achève le
plan-séquence d’une nuit où la
vie continue, vaille que vaille,
coûte que coûte, dans la cruauté
électrique d’un huis clos. p
STEVE
CARELL
CHANNING
TATUM
MARK
RUFFALO
FOXCATCHER
P A R L E R É A L I S AT E U R D E
“L E S T R AT È G E ” E T “T R U M A N C A P O T E”
brigitte salino
Viejo, solo y puto, de et mis en
scène par Sergio Boris. Avec
Patricio Aramburu, Jorge Eiro,
Marcelo Ferrari, Dario
Guersenzvaig, Federico Liss.
Théâtre de la Commune, 2, rue
Edouard-Poisson, Aubervilliers
(Seine-Saint-Denis). Mardi et
mercredi, à 19 h 30 ; jeudi et
vendredi, à 20 h 30 ; samedi, à
18 heures ; dimanche, à 16 heures.
De 6 € à 23 €. En espagnol
surtitré. Durée : 1 h 10. Jusqu’au
29 janvier. Tél. : 01-48-33-16-16.
AU CINÉMA LE 21 JANVIER
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télévisions
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DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Salvatore Esposito
(Genny Savastano)
et Marco d’Amore
(Ciro Di Marzio)
EMANUELA SCARPA
« Gomorra » ou les « saigneurs » napolitains
Adaptée du roman de Roberto Saviano, la série, très suivie en Italie, est diffusée à partir de lundi sur Canal+
I
mages bleu nuit, envoûtantes, lieux
glauques, dialecte napolitain parfois
agressif à l’oreille, violence froide et clinique : la série « Gomorra », dont Canal+ démarre la diffusion des douze épisodes à partir du lundi 19 janvier, traînait beaucoup de handicaps pour séduire le public. Et
pourtant, il y a un an, sa programmation en
Italie sur le réseau privé Sky (coproducteur
de la série), fut un des plus gros succès de la
télévision italienne. Le pilote a attiré plus de
1 million de téléspectateurs et les épisodes
suivants ont rassemblé 700 000 curieux en
moyenne chacun. Le dernier épisode a
même battu un record d’audience avec près
de 900 000 téléspectateurs, plaçant la série
en tête des audiences des chaînes du câble et
du satellite.
Adaptée du roman du journaliste écrivain
Roberto Saviano, Gomorra, dans l’empire de
la Camorra (Gallimard, 2007, et Folio), la série avait été précédée, en 2008, du film de
Matteo Garrone qui avait fait sensation au
Festival de Cannes, où il avait obtenu le
Grand Prix du jury. Dès la sortie du livre, qui
a connu un immense succès tant en France
qu’à l’étranger, Saviano a été condamné à
mort par la Mafia et vit désormais une « vie
blindée » sous haute protection policière.
Cela ne l’empêche pas de continuer son
combat contre la Mafia en animant des
émissions de télévision ou en participant à
des conférences à travers le monde. Mais il
sait que les dirigeants de l’organisation criminelle n’oublient jamais…
Les méandres de « la Pieuvre »
A la différence du film, qui utilisait une narration un peu plus classique, la série plonge
dans l’ultraréalisme, à la manière d’un documentaire rythmé par un rap à la sauce napolitaine décapant. Il faut parfois s’accrocher à
son siège tant certaines descriptions sont
crues, notamment celle de la préparation et
« Nous
souhaitions
raconter
un milieu, recréer
des situations
véridiques
tout en y greffant
une histoire
et des
personnages »
STEFANO SOLLIMA
réalisateur de « Gomorra »
Roberto Saviano : « Je voulais que le téléspectateur
se confronte au mal absolu »
condamné à mort par la Mafia après
la publication de son livre Gomorra,
l’écrivain et scénariste de la série, Roberto Saviano, 36 ans, vit désormais
sous escorte policière permanente.
Joint par Le Monde aux Etats-Unis, il exprime son effroi après la mort de ses
amis de Charlie Hebdo.
Vous qui êtes condamné à mort par la
Mafia, comment avez-vous vécu l’attentat de « Charlie Hebdo » à Paris ?
Ce fut un énorme choc ! Je connaissais
bien l’histoire de Charlie Hebdo et certains journalistes étaient mes amis. Les
menaces de mort contre les écrivains,
journalistes ou intellectuels ne sont souvent pas bien comprises par le public,
qui pense que l’on exagère. Malheureusement, c’est lorsqu’il y a du sang par
terre que la réalité s’impose et que les
gens se mobilisent contre l’intolérance
et la folie terroriste. Mais c’est souvent
trop tard. Il ne faut pas oublier que plus
de soixante journalistes ont été tués
cette année à travers le monde.
Regrettez-vous d’avoir brisé la loi du
silence sur la Mafia, ce qui vous a
obligé à changer de vie ?
Honnêtement, je ne le regrette pas ! Je
ne renie rien ! J’en connaissais les conséquences, mais j’ai fait ce qui me semblait
essentiel de faire pour dénoncer le cancer que représente la Mafia au niveau
mondial. Certes, cette vie blindée m’a
fait perdre une grande partie de ma liberté et je n’ai pas pu vivre mes plus belles années de trentenaire. C’est mon seul
regret, mais la bataille n’est pas finie !
Est-ce pour cela que vous avez décidé
de participer activement au scénario
de la série tirée de votre livre ?
Oui ! C’est moi qui l’ai lancée en allant
voir un producteur qui m’a donné son
accord tout de suite. En Italie, les séries
sont difficiles à réaliser, car il existe une
certaine frilosité pour ce genre de sujets.
Et Gomorra n’était pas évident, avec des
personnages aussi sombres ! Mais le
producteur a pris le risque. Je voulais que
le téléspectateur se confronte au mal absolu. C’était pour moi le plus important !
En outre, la longueur de la série m’a permis de montrer de très nombreuses scènes que je n’avais pas pu mettre dans le
livre ni dans le film pour des raisons de
place. En tout cas, je sais que la réalité
mafieuse dépasse très souvent la fiction.
Le dialecte napolitain utilisé par les
mafieux est très important dans la
série. Est-il traduisible ?
Non, c’est très difficile, mais c’était un
ingrédient fondamental pour la crédibilité du scénario ! Lorsque la série est
passée sur la RAI [la télévision publique
italienne], ils ont été obligés de mettre
des sous-titres. La langue utilisée par les
mafieux est partie intégrante de leur
fonctionnement. C’est la langue du
corps, de la chair, de la guerre. Par exemple, ils ne disent pas « je l’ai tué » mais
« j’ai lancé une balle »… Derrière une
forme de poésie, c’est un vrai langage
d’artillerie !
Selon vous, y a-t-il un parallèle entre
les djihadistes et les petits soldats de la
Mafia qui exécutent de sang-froid ?
Oui, ils obéissent aux ordres des chefs.
Mais je pense que la Mafia a déjà noué
des alliances discrètes avec des groupes
fondamentalistes qui peuvent, par
exemple, leur fournir de la drogue contre des armes. On l’a vu lors des attentats en Espagne, où de la dynamite a été
achetée grâce à la vente de haschich. La
Mafia ne voit que ses intérêts. p
propos recueillis par d. p.
de l’exécution d’un meurtre. On y apprend
aussi comment vivent les « boss » mafieux
en prison ou ce qu’il faut faire pour blanchir
de l’argent… « C’est vrai qu’il y a une part documentaire, car nous voulions raconter un
milieu, recréer une situation véridique tout en
y greffant une histoire et des personnages »,
expliquait, en mai 2014, le réalisateur Stefano Sollima lors de la présentation de « Gomorra », au festival Séries Mania, à Paris.
Contraction de « Gomorrhe », la cité des
mauvaises mœurs, et de « Camorra » (nom
de la Mafia napolitaine), « Gomorra » nous
entraîne donc dans les méandres de l’univers sans pitié et extrêmement violent de
« la Pieuvre », comme on la surnomme en
Italie. Dans la banlieue de Naples, deux
clans rivaux se disputent le territoire, une
zone de non-droit que les habitants appellent « O Sistema » (« le système »). C’est
aussi l’histoire classique d’une âpre lutte de
pouvoir, au sein d’une des « familles », entre Cirio (interprété par l’excellent Mario
D’Amore), petit soldat ambitieux, belle
gueule et tueur d’un sang-froid redoutable,
et le chef de clan de l’ancienne école dont le
règne s’achève, mais qui, de sa prison, continue, tant que faire se peut, à diriger hommes, trafics de drogue et marchés truqués.
Entre trahison et intrigues sordides
Grandeur et décadence d’un clan influent
qui, progressivement, perd de sa suprématie, se fragilise et disparaît sous les coups
mortels de ses rivaux. « C’est une construction classique en trois actes qui caractérise
l’ensemble de la série », explique le scénariste Stefano Bises dans sa note d’intention.
Soit « trois phases narratives qui correspondent à la transmission du pouvoir clanique,
du boss à son épouse, et de cette dernière à
son fils. Les conflits et la destinée du clan en
sont le fil rouge ».
Tournée dans le quartier Scampia, un des
lieux les plus « en odeur de Mafia » de la périphérie de Naples, où de nombreux habitants recommandés par les boss de l’organisation ont été choisis pour faire de la figuration, « Gomorra » décortique le quotidien de chaque protagoniste luttant pour
sa survie. Entre trahison, rivalité, violence
et intrigues sordides, personne ne sait plus
où se situent le bien et le mal. Si bien que,
plongés dans une hystérie collective dominée par une paranoïa aiguë, tous tuent, torturent ou brûlent les corps de leurs victimes sans émotion visible. « Imaginer une
histoire, c’est l’inventer. Mais, avec “Gomorra”, nous avons dû modifier plusieurs
scènes car, de nombreuses fois, la réalité
était plus forte que la fiction », souligne Stefano Sollima.
Déjà auteur de l’excellente série télévisée
« Romanzo criminale », Stefano Sollima
(dont le père Sergio fut un des grands maîtres du western spaghetti) a partagé la réalisation de « Gomorra » avec Francesca
Comencini et Claudio Cupellini. Pour l’écriture du scénario, on retrouve Roberto Saviano, qui, avec six autres scénaristes, a pu
introduire de nombreuses intrigues qu’il
avait écartées de son livre et du film de Matteo Garrone, faute de place. « Rien de ce qui
est raconté n’est le fruit de l’imagination, insiste l’écrivain. Les protagonistes sont inspirés d’individus réels et, en chacun d’eux, se
retrouvent différents personnages, tout
comme chaque histoire se mêle à d’autres. »
« Description géopolitique »
C’est pourquoi, à force de tirer les fils de
nouvelles intrigues et de créer de nouveaux personnages, l’écriture du scénario a
duré près de deux ans. « Pour rester fidèles à
la complexité du livre, nous avons changé le
point de vue de chaque épisode, en passant
de personnage en personnage, poursuit Stefano Sollima. Plus on augmente le nombre
de points de vue, plus on devient objectif. Ce
procédé nous a permis de rendre compte
avec davantage de justesse de tous les aspects du monde de la Mafia. »
Parmi eux, l’architecture du quartier
Scampia, qui est à lui tout seul un personnage de la série. « Le quadrillage du territoire et les bâtiments sont parfaitement
adaptés au système et au développement du
trafic de drogue, dans lesquels les forces de
police et les clans adverses pénètrent difficilement, explique le scénariste Stephano Bises. Ce n’est pas seulement un ghetto mais
une description géopolitique, une forme de
résistance », dit le réalisateur, qui a dû négocier serré avec les boss du quartier pour installer ses caméras.
« L’Italie a encore du mal à regarder la réalité mafieuse en face », regrette Stefano Sollima. Mais cela ne l’empêche pas d’être satisfait. Le succès de la série qui a déjà été
vendue dans plus de quarante pays lui a
permis de démarrer d’ores et déjà l’écriture
d’une deuxième saison. p
daniel psenny
Gomorra, de Stefano Sollima,
Claudio Cupellini, Francesca Comencini.
Avec Fortunato Cerlino, Marco dDAmore,
Salvatore Esposito (Italie, 2014, 12 × 60 min).
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DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Onze ans de conflits, de tragédies et de rencontres
« Arte Reportage » fête son anniversaire durant toute une « Nuit », samedi 24 janvier
L
e magazine a connu plusieurs aménagements et
a changé parfois d’horaire de diffusion mais il a
tenu bon la barre. Voilà onze ans,
depuis 2004, que les équipes
d’« Arte Reportage » trimballent
leurs caméras dans le monde entier pour rendre compte de l’état
de la planète, à hauteur des hommes, des femmes et des enfants
qui y vivent. Onze ans qui inscrivent au compteur 1 400 sujets
réalisés, 150 pays parcourus et
500 émissions diffusées.
Un anniversaire donc que le magazine fêtera le samedi 24 janvier,
avec une spéciale « Nuit », durant
laquelle, à partir de 1 heure du matin, seront proposés (dans l’ordre
chronologique) les extraits des
sujets préférés de la rédaction. Les
reportages (trente-trois au total)
seront ensuite visibles dans leur
intégralité sur le Web.
« La Nuit », présentée par Andrea Fies et William Irigoyen,
commencera, en toute logique,
par Naître à Grozny, de Manon
Loiseau et Philippe Lagnier, le premier reportage lancé à l’antenne
par le magazine le 7 janvier 2004.
Et s’achèvera sur Centrafrique :
l’impossible réconciliation ?, de
Michel Dumont et Eric Bergeron,
que l’on a pu découvrir en
avril 2014. Entre ces deux films,
d’autres nous mèneront ailleurs
encore, au Sahel (Criquets : le retour, de Laurent Cibien et Pascal
Carcanade), au Bénin (Dessinemoi un visage, de Meriem Laille et
Jérôme Pavlovsky), aux Etats-Unis
(Floride : sans abris, de Ralf Hoogestraat), en Indonésie (Bali : les
enchaînés, de Sébastien Mesquida, Julien Félix et Yann Le
Gléau), en Syrie (La Vie obstinément, de Marcel Mettelsiefen)…
Incomplet mais passionnant
Outre la qualité des reportages, ce
survol de onze ans de programmation offre au final un aperçu,
certes incomplet mais passionnant, d’un grand nombre d’actualités internationales marquantes.
Un pan d’histoire à travers celles
des hommes qui l’ont faite ou subie. « Nous espérons avoir dessiné
la carte du monde à la façon des
impressionnistes », confie Marco
Nassivera, ancien rédacteur en
chef d’« Arte Reportage » et
aujourd’hui directeur de l’infor-
A gauche, « Naître
à Grozny »,
un documentaire
de Manon
Loiseau et
Philippe Lagnier,
en 2004. ARTE
GEIE/AGENCE CAPA/
FRANCE 2004
A droite,
« Syrie : la vie,
obstinément »,
de Marcel
Mettelsiefen et
Anthony Wonke,
en 2014. ARTE GEIE/ITN
« Bali : les enchaînés », de Julien Félix, Sébastien Mesquida
et Yann Le Gléau, en 2010. ARTE GEIE / WHAT’S UP PRODUCTIONS
mation de la chaîne franco-allemande. Il a fait partie des débuts
et se souvient des motivations
qui ont guidé la création de ce rendez-vous. « L’idée était de combler
un manque dans la temporalité de
l’information : entre l’immédiateté traitée dans le JT et le temps de
réflexion des documentaires
“Thema” et géopolitiques. Le
grand reportage d’actualité de
vingt-six minutes permettait d’apporter un certain recul sur les événements en cours, et c’est cela que
nous voulions installer. »
Il s’agissait au départ de traiter
de l’international mais hors Europe, déjà fortement présente sur
Arte, de s’éloigner le plus possible
de nos frontières pour se démarquer du contenu des JT qui avantageaient plutôt l’actualité franco-française. Plutôt qu’une
L'HISTOIRE DU JOUR
L’« éducation à la citoyenneté »
version danoise
C’
est le quotidien danois Jyllands Posten qui, le premier,
fin septembre 2005, publiait un Mahomet portant un
turban en forme de bombe, accompagné d’autres caricatures du Prophète. La violence que suscita cette « affaire »
amènera Charlie Hebdo à publier ces dessins à son tour, en février 2006, en signe de solidarité.
Cela fut bien sûr évoqué lors de la rencontre « 48 heures de sé­
ries danoises » que le collectif Série Séries organisait à la Maison du Danemark à Paris, les 12 et 13 janvier. Ainsi, illustrant la
place de l’« éducation à la citoyenneté » dans le système danois,
la réalisatrice Dorte W. Hogh notait que son adaptation d’une
nouvelle du Norvégien Lars Saabye Christensen en court-métrage, Grisen (Danemark, 24 min, 2008) ou The Pig (sélectionné
aux Oscars en 2009) était montré chaque année aux lycéens
avant de donner lieu « à un petit examen ou à un exposé ».
« Discrimination » ?
The Pig voit s’opposer, dans une chambre d’hôpital, Absjoern,
qui s’est entiché d’une petite peinture représentant un porcelet,
accrochée au mur, à la famille du malade musulman Aslam, qui
partage sa chambre, et qui fait ôter cette « chose déplaisante »
contre l’avis d’Absjoern. Qui doit « avoir de la considération »
pour l’autre, dans un tel cas ? Y a-t-il « discrimination » à l’encontre d’Absjoern, comme il l’affirme ? Ne peut-il faire preuve
de « tolérance », comme le sollicite la famille musulmane ? Faudra-t-il, dans ce cas, ôter tous les porcs du Danemark (dans les
champs, sur les décors…) ? Ainsi va la discussion, jusqu’à ce
qu’Absjoern lâche prise en apprenant qu’il n’a finalement pas
de cancer et qu’Aslam, se réveillant de son opération, lui demande de lui décrire ce qu’il voit, sachant qu’il est aveugle… p
martine delahaye
« Nous espérons
avoir dessiné la
carte du monde
à la façon des
impressionnistes »
MARCO NASSIVERA
directeur de l’information d’Arte
« Centrafrique : l’impossible réconciliation ? », de Michel Dumont, Eric Bergeron
et Isabelle Nommay, en 2014. ERIC BERGERON
charte, un cadre fut établi afin
d’assurer une cohérence et une ligne éditoriale précise. « Nous voulions privilégier un regard à hauteur d’hommes et de femmes, une
personnalisation en somme des reportages qui permet un accès plus
facile quand on se rend dans des
endroits très éloignés », souligne
Marco Nassivera. Autre règle :
trouver des angles originaux et
s’intéresser à des pays avant qu’ils
ne deviennent à « la mode », c’està-dire avant qu’ils ne soient sous
le feu de tous les projecteurs.
Enfin, « Arte Reportage » s’est
d’emblée construit à partir de thématiques chères à sa rédaction : le
sort des femmes et des enfants,
l’environnement, la démocratie.
De même que l’équipe a toujours
veillé à suivre des personnes et
des pays dans la durée.
Dirigé aujourd’hui par Philippe
Brachet, le magazine bénéficie
d’une équipe spécifique de quatre
ou cinq journalistes et de l’apport
des sujets réalisés par les journalistes des unités d’information de
la chaîne. Le reste provient de pigistes réguliers et de sociétés de
production. En tout, « Arte Reportage » reçoit une moyenne de
2 000 propositions par an. « La
majorité des idées retenues viennent des reporters eux-mêmes, ce
qui ne nous empêche pas d’exprimer des demandes et de passer
quelques commandes lorsque, notamment, nous accumulons trop
de sujets sur des conflits ou que
certains pays sont insuffisamment
traités, dit Marco Nassivera. En revanche, nous n’imposons aucune
uniformisation de rythme, de voix,
de formatage ou de musique. »
Evidemment pèse de plus en
plus sur « Arte Reportage » la difficulté pour les reporters d’exercer leur métier. « Ils sont nombreux à ne plus avoir accès à certaines zones du monde. Ciblés, arrêtés, enlevés, les journalistes
s’exposent désormais à d’énormes
dangers. Ce qui pose, pour nous, la
question de la responsabilité. Il y a
cinq ans, c’était plus facile. De fait,
nous avons désormais des trous
dans la programmation du magazine. Sur l’Irak, la Syrie par exemple », constate M. Nassivera. Il
n’empêche. « Arte Reportage »
compte bien continuer d’ouvrir
grand ses fenêtres sur le monde. p
véronique cauhapé
La Nuit « Arte Reportage »,
samedi 24 janvier, à partir de
1 h 05, sur Arte et sur info.arte.tv.
Le Mondial de handball change de mains
Historiquement diffusée sur Canal+ et France 2, la compétition (du 15 janvier au 1er février
au Qatar) est désormais transmise sur BeIN Sports. Et sur TF1 en fin de tournoi
SPORT
E
n France, le handball est
une discipline sportive
très populaire, grâce notamment aux succès répétés de
l’équipe nationale masculine,
l’une des meilleures formations
de la planète depuis une vingtaine d’années. Disputé tous les
deux ans au mois de janvier, en
alternance avec l’Euro, le Mondial est donc une compétition
qui attise la convoitise croissante
des diffuseurs.
En cette période de l’année, les
grandes rencontres sportives se
faisant rares, les audiences se
montrent au rendez-vous. La dernière finale de l’Euro, disputée en
janvier 2014 entre la France et le
Danemark avait, par exemple,
rassemblé 4,8 millions de téléspectateurs sur France 2 (24,4 % de
part d’audience) avec un pic à
plus de 7 millions en fin de
match. Au même moment, sur
Canal+, ils étaient également
1,7 million en moyenne à regarder cette même finale. Pendant
longtemps, Canal+ et le groupe
France Télévisions se sont par­
tagé la diffusion du Mondial, la
chaîne cryptée diffusant l’intégralité de la compétition alors
que France 2 offrait à un plus
large public les demi-finales et la
finale, rendez-vous au cours desquels les Bleus étaient la plupart
du temps présents.
Un joli coup
En France, la finale du Mondial
faisant partie de la liste des événements sportifs protégés par la
loi, elle doit être obligatoirement
retransmise sur une chaîne en
clair. Depuis une vingtaine d’années, France 2 en a profité, réalisant des audiences élevées. La finale du Mondial 2011, programmée à 17 heures, entre la France et
le Danemark, avait par exemple
réuni une moyenne de 5,5 millions de téléspectateurs, avec un
pic à 8,5 millions en fin de rencontre. Parallèlement, ils étaient
1,8 million d’abonnés à Canal+ en
moyenne à regarder la finale sur
la chaîne payante.
Depuis, le paysage audiovisuel
sportif a été bouleversé avec l’ar-
La finale
faisant partie
des événements
sportifs protégés
par la loi, elle doit
obligatoirement
passer sur une
chaîne en clair
rivée en 2012 du groupe BeIN
Sports. La chaîne payante qatarienne a chipé à Canal+ les droits
exclusifs de diffusion des grandes compétitions de handball,
s’emparant notamment du Mondial 2015 au Qatar et du Mondial
2017 prévu en France.
Autre changement notable : la
chaîne en clair qui pourra diffuser la demi-finale (en cas de qualification des Bleus) et la finale
n’est plus France 2 mais TF1. Un
joli coup réussi par la Une qui,
dans le cas probable d’un beau
parcours de l’équipe de France,
s’offre un événement fédérateur.
Que ce soit en football, plus récemment en rugby, et désormais
en handball, TF1 se veut clairement la chaîne des Bleus. Et
comme le résume François Pélissier, son directeur des sports :
« L’équipe de France de hand véhicule des valeurs extrêmement positives, en ligne avec notre politique éditoriale. »
En 2011, France Télévisions
avait acquis les droits de la finale
du Mondial pour 350 000 euros.
On ignore le prix payé par TF1
pour la fin de ce Mondial 2015
mais, selon François Pélissier, il
s’agit d’un « investissement raisonnable ».
La dernière apparition de TF1
dans l’univers du handball remonte à 2003. La chaîne avait acquis les droits de la demi-finale
France-Allemagne et s’apprêtait
à diffuser la finale. La défaite
française avait enregistré un
beau succès d’audience (4,2 millions de téléspectateurs et 34 %
de part d’audience). Mais, en l’absence des Bleus, TF1 n’avait pas
diffusé la finale. p
alain constant
20 | télévisions
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
RTL remporte la bataille de l’après-midi
Les audiences des radios, entre novembre et décembre 2014, bousculent le classement
SÉLECTION
DE LA SEMAINE
F IL M S
RADIO
L
a dernière vague des audiences
radio publiée mercredi 14 janvier
a réservé son lot de surprises.
Alors que le sondage précédent
(septembre-octobre 2014) plaçait NRJ et
RTL ex æquo en audience cumulée, celui
de novembre-décembre 2014 voit NRJ
(12,5 %) reprendre la tête, devant RTL
(12,2 %). Cette dernière est toutefois largement numéro un en part d’audience
grâce à une durée d’écoute beaucoup plus
longue que la station musicale. Pour les
autres stations, le classement reste le
même : France Inter (10,5 %) précède Europe 1 (8,7 %), mais tandis que la station
publique progresse, la seconde enregistre
une rechute après plusieurs vagues de
hausse. « Ces résultats sont décevants et ne
correspondent pas à la qualité du travail
des équipes et des contenus », regrette Fabien Namias, directeur général d’Europe 1.
Pour la station de la rue François-Ier, c’est
la tranche de fin d’après-midi qui est la
plus sinistrée, une bonne partie des auditeurs ayant suivi Laurent Ruquier sur RTL
où il a pris la relève de Philippe Bouvard
aux « Grosses Têtes ». Sur Europe 1, même
si Cyril Hanouna parvient à faire légèrement progresser « Les Pieds dans le plat »,
l’émission qu’il anime depuis septembre 2014, cette case enregistre une chute
de 38 % en un an. Pis, entre 17 heures et
18 heures, avec « Si tu écoutes, j’annule
tout », présentée par Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, Europe 1 se fait dépasser par France Inter. Une première
dans l’histoire de la radio. « Cyril Hanouna
est un animateur aux formidables capacités, un véritable showman », se félicite Fabien Namias. « Mais il y a un contrat
d’écoute avec l’auditeur d’Europe 1. On peut
s’amuser, délirer, mais on doit garder le lien
rassurant avec l’actualité, le savoir et la culture. Dès la semaine prochaine [du lundi 19
au vendredi 23 janvier], des journalistes référents comme Franck Ferrand ou Axel de
Tarlé participeront à l’émission », ajoutet-il. Un chroniqueur spécialisé dans l’information devrait les rejoindre dans les
prochaines semaines. Il n’empêche que
pour Europe 1, cette vague demeure une
très mauvaise surprise. Sa rivale RMC est
passée devant elle sur le public des CSP +,
une catégorie dans laquelle on retrouve
les cadres chéris de la station.
Morning Glory
de Roger Michell. Avec Rachel McAdams,
Harrison Ford, Diane Keaton
(ÉTATS-UNIS – 2010 – 100 MIN)
Jolie, dynamique et ambitieuse, Becky Fuller
est pourtant en pleine traversée du désert
professionnel. Aussi, lorsqu’on propose à
cette productrice TV de reprendre la matinale
la moins regardée du pays, elle accepte le
défi… Une bonne comédie hollywoodienne
sur le fonctionnement des médias
aujourd’hui.
MARDI 20 – FRANCE 4 – 20 H 45
Le Nom des gens
de Michel Leclerc. Avec Sara Forestier,
Jacques Gamblin, Zinedine Soualem
(FRANCE – 2010 – 105 MIN)
Une jeune femme d’origine algérienne
couche en priorité avec des hommes de
droite, pour les convertir à la cause inverse
(Sara Forestier). Elle débarque dans la vie
d’un homme d’origine juive, adepte du
principe de précaution, fou de Jospin
(Jacques Gamblin). Une comédie plaisante
contre les préjugés.
MERCREDI 21 – FRANCE 4 – 20 H 45
Pulp Fiction
de Quentin Tarantino. Avec John Travolta,
Samuel L. Jackson, Ving Rhames.
(ÉTATS-UNIS – 1994 – 154 MIN)
Laurent Ruquier. SÉBASTIEN CALVET/DIVERGENCE
Pour Europe 1,
la tranche de fin
d’après-midi est
la plus sinistrée,
une bonne partie
des auditeurs ayant
suivi Laurent Ruquier
sur RTL
Les stations musicales se redressent
RMC n’a cependant pas de quoi se réjouir : son audience cumulée de 7,9 % est
en baisse. Un recul qui n’inquiète pas
Franck Lanoux, le directeur de la radio
« info, talk, sport » pour qui « cela reste
un excellent sondage ». Pourtant, la station qui rêvait de dépasser un jour Europe 1 se fait doubler par France Info
(8,1 %). La nouvelle formule de la station
tout-info du service public a fait mieux
que stopper l’hémorragie d’auditeurs
qu’elle subissait depuis trois ans. Le repositionnement sur l’actualité chaude
opéré par Laurent Guimier, son directeur
général, s’est effectué sans encombre.
« Pour la majorité du public, nous sommes
une chaîne info, il était impossible de faire
autrement, l’équipe n’attendait que ça »,
se félicite-t-il.
Le public semble apprécier les contenus
forts. En effet, même si elle arrive encore
loin derrière Radio Classique (2,2 %),
France Musique (1,6 %) – où la matinale culturelle de Vincent Josse a gagné
94 000 auditeurs depuis la rentrée – confirme sa progression. Notons aussi les
très bons résultats de France Culture, qui
atteint 2,2 % d’audience cumulée. « Il est
frappant de constater que les émissions
sur une discipline, comme “La Fabrique de
l’Histoire” ou “Les Nouveaux Chemins de
la connaissance”, enregistrent de fortes
progressions », se réjouit Olivier Poivre
d’Arvor, le directeur général de la station.
Les stations musicales, qui déclinaient
face aux services d’écoute sur Internet,
redressent la tête. NRJ, la station présidée
par Jean-Paul Baudecroux, enregistre
ainsi deux records historiques sur ses
émissions phares : Manu dans le « 6/9 »
rassemble près de 3,5 millions d’auditeurs quotidiens, tandis que Cauet dépasse pour la première fois le million de
19 heures à 22 heures. NRJ serait également la première radio de France sur
smartphone et tablette, « où elle compte
792 000 auditeurs par jour sur le premier
et 1,2 million sur tous supports numériques confondus », affirme Jean-Paul Baudecroux.
La deuxième radio musicale, Skyrock,
progresse quant à elle sur l’ensemble de
ses programmes. « Premier sur le rap »,
présentée par M’rik de 16 heures à
20 heures, réalise le plus fort bond de la
station, avec 119 000 nouveaux auditeurs. Virgin Radio gagne 81 000 paires
d’oreilles en un an et ancre sa matinale
(animée par Camille Combal), en hausse
de 11 %. Si l’audience de Fun Radio reste
stable le matin, deux rendez-vous proposés depuis septembre 2013 – « Lovin’Fun », de 20 heures à 23 heures, et
« MiKL, No Limit », de 23 heures à 2 heures – peinent à décoller. Tristan Jurgensen, dirigeant de Fun Radio et RTL2, peut
se frotter les mains, au vu des bons chiffres de RTL2 qui, pour ses 20 ans, enregistre son record historique, avec 2,8 millions d’auditeurs quotidiens. p
anne-claire gross et joël morio
Avec Pulp Fiction, son deuxième film (après
Reservoir Dogs, en 1992) auréolé d’une Palme
d’or à Cannes, Quentin Tarantino, alors jeune
réalisateur américain, conforte sa position de
nouveau cinéaste vedette d’Hollywood. La
construction, avec enchaînement de
sketches parodiant des archétypes du film
noir, en fait une œuvre d’un genre nouveau.
JEUDI 22 – NT1 – 20 H 50
TÉ L É F IL M
Danbé, la tête haute
de Bourlem Guerdjou. Avec Tatiana Rojo,
Médina Diarra, Assa Sylla.
FRANCE – 2014 – 88 MIN.
Petite fille, Aya Cissoko perd son père et sa
sœur dans un incendie. Trouvant dans la
boxe un exutoire, elle sera sacrée
championne du monde. Cette libre
adaptation du roman Danbé, d’Aya Cissoko
et Marie Desplechin, a reçu le prix du Meilleur
téléfilm au Festival de la fiction TV de
La Rochelle 2014.
VENDREDI 23 – ARTE – 20 H 50
D OCUM E N TAIR E
« L’après- “Charlie” » sur France Culture
Du lundi 19 au vendredi 23 janvier, « La Fabrique de l’Histoire » sera consacrée aux attentats de début janvier
Les Villes du futur
de Frédéric Castaignède, Jean-Christophe
Ribot et Benoît Laborde.
(FRANCE – 2014 – 3 × 52 MIN)
RADIO
L
a Journée spéciale que France Culture consacre à « l’après-Charlie »,
lundi 19 janvier, lancera une semaine exceptionnelle de « La Fabrique de
l’Histoire », qu’Emmanuel Laurentin produit du lundi au vendredi, de 9 heures à
10 heures.
Pour aider les auditeurs à prendre de la
distance par rapport aux attentats, Emmanuel Laurentin bouleverse en effet sa
quotidienne et entend mettre ces événements en perspective par l’entremise de
spécialistes s’entretenant en direct avec
lui.
Cette semaine, du lundi 19 au vendredi
23 janvier, baptisée « Comment en sommes-nous arrivés là ? Histoire d’une République fragile (1905-2015) », donnera lieu à
une thématique par jour, chaque fois envisagée selon trois angles développés par
trois historiens présents en studio.
La première journée, lundi, de cette série
inédite, tant sur la forme que sur le fond, a
pour thème « Naissance et contestation
du modèle républicain, 1905-2015 ».
« Nous n’avons pas encore la liste des historiens qui viendront nous rejoindre, explique M. Laurentin, mais il va de soi que j’ai
invité le spécialiste de l’histoire de l’immigration en France qu’est Gérard Noiriel, par
exemple. Et selon la thématique du jour, ce
seront des spécialistes des sciences sociales
au sens large qui viendront traiter du rapport République-laïcité depuis 1905, afin de
redonner de l’épaisseur historique aux événements que nous venons de vivre. »
Points de vue, analyses
Succession de points de vue et d’analyses
apportés par des spécialistes sur l’état de
la République, cette série de cinq heures
en direct a toutes les chances de livrer des
surprises à l’auditeur, voire de bousculer
nombre d’idées reçues, si l’on en juge par
ce qu’indiquait au téléphone Gérard Noiriel à Emmanuel Laurentin, pour préparer leur émission.
C’est ainsi que l’historien a expliqué au
producteur que, depuis la fondation de la
République, en 1880, chaque vague d’immigration en France, en fait, a donné lieu
à des événements terroristes… Par
ailleurs, les réussites de la République
étant tout autant convoquées que ses
échecs au cours de cette semaine spéciale, le même Gérard Noiriel rappellera
sans doute qu’aujourd’hui, dans les classes supérieures, il y a plus d’enfants d’Algériens que de Portugais…
Affaires de voile, de blasphème, de religiosité renaissante, histoire du durcissement de la laïcité ou du terrorisme international depuis les années 1980, évocation de la France métissée ou de tous
ceux qui mettent en cause ou en crise le
modèle républicain français… Autant de
thèmes que le producteur abordera, mais
sans qu’on en sache plus encore, l’émission se construisant heure par heure,
dans l’urgence. p
martine delahaye
Journée spéciale sur France Culture,
lundi 19 janvier : « Les enfants perdus de
la République : après le choc “Charlie”,
que faire ? ». « La Fabrique de l’Histoire »
(9 heures-10 heures), du lundi 19 au
vendredi 23 janvier. Episode 1 :
« Naissance et contestation du modèle
républicain, 1905-2015 ». Episode 2 : « De
la décolonisation au rêve d’une France
métissée, 1960-1985 ». Episode 3 : « Le
retour du religieux, l’arrivée des
intégrismes, 1988-2015 ». Episode 4 :
« L’éternelle querelle de l’identité
nationale, 1905-2015 ». Episode 5 : « La
France, scène du terrorisme international.
1982-2015 ». Toutes ces émissions
pourront être réécoutées sur ordinateur
ou enregistrées sur portables et tablettes.
Face à l’explosion de la population urbaine et
à l’appauvrissement des ressources naturelles,
les métropoles cherchent à inventer une voie
nouvelle, entre rationalité et utopie. Cette
série en trois volets dessine un aperçu de ce
que pourraient être les villes du futur.
MARDI 20 – ARTE – 20 H 50
M AGAZ IN E
Le Grand Echiquier, l’émission culte
présentée par Frédéric Taddeï
Ce programme spécial rend hommage à
Jacques Chancel, mort le 23 décembre 2014.
Une émission de deux heures qui reviendra
sur quelques grands moments de l’émission,
accueillera l’Orchestre philharmonique de
Radio France et de nombreux artistes,
interprètes classiques, chanteurs, danseurs,
comédiens. Histoire de nous donner un
aperçu de ce que pourrait être aujourd’hui
« Le Grand Echiquier ».
VENDREDI 23 – FRANCE 2 – 22 H 50
télévisions | 21
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Paris sous l’eau, qui l’eût cru ?
SÉLECTION
DU LUNDI
Un formidable docu-fiction fait revivre l’inondation de 1910 qui noya la capitale
SÉ R IE
TOUTE L’HISTOIRE
2718#9,0:#
M
algré la pluie incessante, la Ville Lumière brille de tous
ses feux, pour quelques heures encore… Vigie silencieuse, le Zouave du pont de l’Alma
voit depuis quelques jours la Seine
grimper doucement, jusqu’à lui
enserrer la taille, sans que personne ne s’en inquiète réellement.
Certes, ce 20 janvier 1910, il y a bien
quelques maires de banlieue pour
alerter les autorités que leur commune est inondée. Rien n’y fait.
Recroquevillés sous un vaste
sentiment d’immunité, la population et les pouvoirs publics observent, insouciants, le déluge.
D’ailleurs, comment pourrait-on
croire que la ville la plus moderne
du monde, qui peut s’enorgueillir
de posséder six lignes de métro, un
réseau hydropneumatique ainsi
que six cents kilomètres d’égouts,
pourrait être submergée par une
crue ? D’autant plus que la der­
nière, celle de 1870, a entraîné des
travaux d’aménagement pour
protéger les zones inondables.
Et les services météorologiques,
direz-vous ?
Si
prompts
aujourd’hui à sonner le tocsin, à
l’époque, ces derniers n’étudient
pas encore les phénomènes – cela
Paris, rue de l’Université, en janvier 1910. viendra en 1920 – tels que celui qui
va, durant une semaine (du 20 au
28 janvier 1910), plonger la Ville Lumière dans les ténèbres.
Elan de solidarité
Sept jours que relatent Eric Beauducel et Olivier Poujaud dans un
épatant docu-fiction. Que ceux qui
ne goûtent guère ce genre hybride
se rassurent, le mariage entre les
archives protéiformes (articles de
! presse, lettres, cartes postales,
films, photographies), les éclairages apportés par une solide équipe
d’experts (historiens des transports, de la presse, géographes, anthropologues), les plans 3D et la
fiction, qui distille subtilement sa
tension dramatique, est en tout
point une réussite. Et relèverait
presque de la gageure tant la
grande crue de 1910 – restée dans
les mémoires grâce à une abon-
dante iconographie – a déjà donné
lieu à maints ouvrages et films.
Or, celui-ci se démarque tant par
sa facture, où s’entremêlent habilement analyses, documents –
sans trop charger la barque… – et
reconstitution, que par le point de
vue adopté, qui nous entraîne
dans les pas de Létang, un journaliste du Petit Parisien interprété par
Bruno Debrandt. Une couverture
médiatique qui prend tout son
sens lorsque l’on sait, ainsi que le
rappelle l’historien de la presse Patrick Eveno, que cette crue fut la
première catastrophe à faire l’objet
de reportages photographiques et
à être couverte au jour le jour.
Au-delà des faits dépeints et des
terribles conséquences matérielles, économiques et sociales qui
voient Paris être privé de gaz,
d’électricité et de la plupart de ses
moyens de transport, le film nous
éclaire sur l’élan de solidarité inédit qui traversa la ville et bien audelà. Aristide Briand fait débloquer
au Parlement une aide de 2 millions de francs, le double est récolté grâce aux souscriptions lancées par les journaux, auxquels il
faut ajouter – c’est une première –
les recettes des spectacles caritatifs
donnés dans les théâtres parisiens
et jusqu’à la Scala de Milan.
Seule ombre au tableau : cet élan
n’atteindra jamais la banlieue,
grande laissée-pour-compte de
cette crue au cours de laquelle on
dénombrera deux morts – un
pompier et la girafe du Jardin des
plantes – et dont on estime les dégâts à 1 milliard d’euros. p
christine rousseau
« 1910, Paris sous les eaux »,
d’Eric Beauducel et Olivier
Poujaud (France, 2014, 52 min).
Avec Bruno Debrandt, Didier
Bénureau, Henri Courseaux…
Castle
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D OCUM E N TAIR E
Les Atelières, une aventure
made in France
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Les années 1960 ou la fin du conformisme américain
« Les Sixties » retrace les moments marquants de la décennie à l’aide d’archives, de films privés et d’entretiens
PLANÈTE +
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P
our certains observateurs,
les années 1960 ont marqué une rupture dans l’histoire américaine. En une décennie, les Etats-Unis se sont libérés
de leur conformisme pour devenir le pays de tous les possibles. Le
meilleur comme le pire. Assassinat de John Fitzgerald Kennedy,
« JFK », mouvement pour les
droits civiques, guerre froide,
« sexe, drogues et rock’n’roll »,
conquête spatiale… En dix épiso-
des, cette série documentaire revient sur les grands événements
qui ont rythmé cette époque riche
en bouleversements.
« Les Sixties », produite par Tom
Hanks, Gary Goetzmann (déjà initiateurs de « Band of Brothers :
l’enfer du Pacifique », série de
HBO couronnée par plusieurs
prix) avec Marc Herzog, est un séduisant album photo – ou plutôt
vidéo – que l’on prend plaisir à regarder. Grâce notamment à des
extraits de reportages télévisés
qui redonnent de l’intérêt à des
sujets vus et revus. La couverture
du meurtre de JFK, en 1963, à Dal-
las fait étrangement écho à celle
des événements récents qui ont
endeuillé la France.
A côté de l’essentiel
Stupeur, tristesse, rumeurs, rebondissements, l’épisode consacré a cet assassinat revient sur
l’emballement médiatique qui a
suivi cette tragédie. Il tente de démonter les différentes théories du
complot qui ont été imaginées
par la suite pour expliquer ce
drame. Mais il passe à côté de l’essentiel : montrer en quoi la mort
de JFK constitue une rupture dans
l’histoire de la décennie.
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 15 - 015
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 014
HORIZONTALEMENT I. Assibilation. II. Noise. Airera. III. Ecrivaine. Sp.
IV. Ri. Suce. Math. V. Eos. Eh. Capet. VI. Classera. RDA. VII. Toit. Merle.
VIII. Ignominie. Pi. IX. Out. Ana. Vain. X. Néerlandaise.
VERTICALEMENT 1. Anérection. 2. Sociologue. 3. Sir. Sainte. 4. Isis. STO.
5. Bévues. Mal. 6. Achemina. 7. Laie. Renan. 8. Ain. Cari. 9. Tréma. Leva.
10. Ie. Apre. Aï. 11. Orsted. Pis. 12. Naphtaline.
I. Protections rapprochées. II. Entraîne vers la in. Voie bordée d’habitations. III. Mises à niveau. Permet
toutes les sorties. IV. Ne devront pas
traîner trop longtemps. Epouse
d’Abraham. V. Crie en forêt. Exploit
d’un autre temps. Assure la liaison.
VI. introduit la licence. Piégé. Irlande
libre. VII. Ont beaucoup trop servi.
Taquiner Erato et Calliope. VIII. Fléau
des temps modernes. Accord au sud.
Evalue l’âge mental. IX. Retournement de paupière pour voir à l’intérieur. Mal descendu. X. Comme un
enroulement qui ne suit pas les aiguilles de la montre.
Les moments les plus marquants des années 1960 sont retracés à l’aide de séquences d’archives, de films privés et d’entretiens avec des témoins de l’époque. Les commentaires apportés
par des historiens, comme David
McCullough, Robert Dallek et Robert Caro, ainsi que les souvenirs
de personnes dont la vie a été intimement mêlée aux événements,
telles que Dan Rather ou Robert
MacNeil, n’offrent pas toujours
un nouvel éclairage sur des instants qui restent dans la mémoire
des « baby boomers ». Si ces dix
ans furent ceux de l’anticonfor-
misme, les discours de ces experts, eux, demeurent très convenus. Un travers qui peut laisser les
spectateurs sur leur faim. Reste
fort à parier que ces derniers se
laisseront facilement captiver par
ces documentaires très bien rythmés et excellemment produits.
On reconnaît la patte de Tom
Hanks, qui sait faire le show, qu’il
soit acteur ou producteur. p
joël morio
Les Sixties, produit par Tom
Hanks, Gary Goetzmann
et Marc Herzog (Etats-Unis,
2014, 10 × 40 min).
2 −)
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0123 est édité par la Société éditrice
SUDOKU
N°15-015
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
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de France 32-89 (0,34 ¤ TTC/min) ;
de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
par courrier électronique :
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;
Par courrier électronique :
[email protected]
Médiateur : [email protected]
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Finances : http://finance.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Immobilier : http://immo.lemonde.fr
Documentation : http ://archives.lemonde.fr
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
VERTICALEMENT
1. Arrosent le feu. 2. Fait marche
arrière. 3. Entre deux planchers. Au
Yémen, sur son golfe. 4. Bien mal entretenu. Sorti des sentiers battus.
5. Facilite le levage des lourdes
charges. Dans la caisse. 6. Le demander c’est déjà insister. Airmation.
7. Ouverture musicale. Accompagne
les cris à la chasse. 8. Pour séduire
une vierge. Jeu de foire. Drame nippon. 9. Construit un grand nid pour
ses femelles et leurs petits. 10. Personnel. Envoies sur la bande.
11. Espèces végétales. Court vite mais
ne sait pas voler. 12. Pour se refaire
une santé en prenant le bon air.
Jour de fête
!∀
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
N°1263 du 15 au 21 janvier 2015
courrierinternational.com
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Corinne Mrejen
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0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Le facteur postmoderne
Pour pallier la baisse du courrier, La Poste propose de veiller sur les aînés isolés
USAGE
bouchemaine (maine-et-loire) envoyée spéciale
D
e longues minutes
après le coup de sonnette, le voilage en
dentelle se soulève,
puis la fenêtre du petit pavillon
s’entrouvre. Et Marie-Louise d’apparaître, courte chevelure grise,
air éberlué. « C’est la factrice ! »,
claironne Julie Frassin. « Oh, ça
m’était parti ! J’avais oublié ! »
Après un lent ballet de cannes anglaises sur dalles carrelées, la
vieille dame enveloppée de laine
regagne un fauteuil couvert
d’autres lainages, face à la télé,
conviant la factrice à occuper son
jumeau. « Comment allez-vous ? »,
s’enquiert cette dernière, tout
sourire. « Pas trop bien… »
La factrice, ce matin de la mi-janvier, n’apporte ni lettre ni colis
mais une attention. A Bouchemaine, banlieue résidentielle
d’Angers (Maine-et-Loire), une
quinzaine de personnes très
âgées bénéficient depuis peu de
ce nouveau service de La Poste qui
tente de s’inventer un futur dans
une société numérique et vieillissante. Une fois par semaine,
au cours de sa tournée, le
facteur frappe, prend des
nouvelles, alerte, si elles ne
sont pas bonnes, le centre communal d’action sociale (CCAS), qui
a passé contrat avec La Poste, rémunérée 5 euros la visite.
Marie-Louise n’a rien contre
cette innovation. Pensez !
« Parler, je refuse pas »,
convainc
aisément l’octogénaire, qui ne
peut plus
guère sortir de chez
elle. Il y a
bien ses
deux filles,
au loin, pour l’appeler quatre fois par jour. Le défilé des infirmière, kinésithérapeute, aide ménagère. Et le pendentif d’alarme qui vaut gri-gri
rassurant. « Je suis bien gardée,
comme dirait l’autre ! » Des voisines rapportent le pain, des courses aussi, de temps en temps.
« Mais je veux pas non plus déranger… » Alors, Marie-Louise, qui
« va pas raconter sa vie » mais la
raconte tout de même un peu,
avoue des « moments de découragement, pas souvent ». Et c’est ce
qu’après moult « je vais vous laisser, faut vraiment que je continue
ma tournée » la factrice notera
dans le jardinet, en appui sur la sacoche de son vélo électrique.
« Cette dame a un petit coup de
mou depuis la semaine dernière. Si
ça perdure, je le dirai. »
La factrice sur le frigo
Avec ses fermes d’élevage dans les
terres, ses lotissements en bord
de Maine, Bouchemaine recense
20 % de plus de 65 ans parmi ses
6 500 habitants, 400 ayant même
dépassé les huit décennies d’existence. A la dernière alerte canicule, la mairie ne savait plus où
donner du coup de fil. Alors le
jour où La Poste a envisagé la fermeture d’un des deux bureaux de
poste, faute de courrier, et opportunément mentionné l’existence
d’un nouveau service Cohesio,
susceptible
de
retarder
l’échéance, la décision a vite été
prise.
« Maintien à domicile le plus
longtemps possible et maintien du
seul service public encore présent », résume Didier Pinon, adjoint au maire (centre droit) et vice-président du CCAS, qui consacrera 7 000 euros annuels, soit
« une part importante de son budget », à cette veille postale du quatrième âge. Elle concernera à
terme une trentaine de personnes à la santé et à la sociabilité fragiles, « avec lesquelles la commune n’a pas forcément de con-
tacts », poursuit M. Pinon. Au préposé des postes, bien sûr, elles
ouvriront la porte. « Les facteurs
exercent le deuxième métier préféré des Français, après le boulanger. Ici, c’est très visible… »
Chez Marie-Louise, un Post-it
collé sur le frigo rappelle désormais le jour de passage de Julie. A
l’occasion, quand elle sera « juste
en argent liquide pour payer le
pain à la voisine », la factrice
pourra même retirer de l’argent
pour elle. « Le facteur, c’est sympa,
sourit la vieille dame, on a confiance en lui. Avant que mon mari
ne soit décédé, on en avait un qui
buvait un coup avec nous, certains
soirs. » Des voisins nonagénaires,
dont la table du salon expose
autant de piluliers que de bibelots
fleuris, ont eux aussi « signé tout
de suite » pour une visite hebdomadaire de leur facteur, Hervé Gilardière. Le même depuis treize
ans. « C’est bénéfique de nous soumettre à la conversation. Nous
deux, au bout de
cinquan-
« Si on n’aime pas
les gens, on ne
fait pas ce métier.
La petite blague,
ça en fait partie.
Certains clients
ne voient pas
grand monde »
JULIETTE
factrice depuis 2008
vant leur grille à l’heure du facteur, histoire de causer. La différence, admet-elle, c’est qu’elle
s’invitera chez ceux qui jamais ne
sortent.
Durant sa carrière de trente ans,
Hervé, son collègue, a parfois découvert dans la presse du lendemain que derrière la porte demeurée rétive à ses coups de sonnette gisait une personne âgée incapable de se relever. Au
deuxième jour des visites de prévention, qu’il se réjouit donc d’effectuer, il s’interroge : a-t-il le
droit de pénétrer dans l’intimité du client quand
personne ne répond
à ses tonitruants
« C’est le facteur !
On doit passer
une fois par semaine
vous
voir… » C’est
en-
ciété anonyme à capitaux publics
semble miser gros sur cette offre
déjà expérimentée dans quatre
autres départements, et dont
l’utilité est tout aussi avérée en
zone rurale qu’urbaine. A Paris, le
directeur général adjoint chargé
du courrier, Nicolas Routier,
égrène les arguments massue :
2,5 millions de personnes de plus
de 80 ans vivent seules, en
France ; le maintien à domicile,
auquel la plupart aspirent, grève
moins les finances publiques que
toute autre solution d’hébergement ; une visite quotidienne
prolonge en moyenne de deux à
trois ans la vie chez soi ; or le
« Bonjour, comment
Ils sont aussi conscients que la sauvegarde de l’emploi est en jeu. »
Pour rentabiliser un effectif de
85 000 facteurs et des tournées
six jours sur sept quand le nombre de lettres et colis à acheminer
s’effondre (18 milliards en 2008, 13
en 2014, 9 milliards prévus
en 2020), il est temps d’« activer
l’imagination », selon M. Routier,
et de profiter du capital sympathie.
Le François de Jacques Tati, dans
Jour de fête. Le Dany Boon de Bienvenue chez les Ch’tis… Premier
syndicat maison, la CGT n’a « rien
contre » le fait de surfer sur l’imaginaire collectif. « Le travail de lien
social, on l’a toujours fait. » Reste à
ne pas trop charger la sacoche de
François-le-facteur, les effectifs
ayant déjà baissé au point de dégrader la qualité de service, selon le syndicat. Dans le salon du
couple qui se chamaille depuis
un demi-siècle, Hervé Gilardière
compte. « Dans le coin, on était
seize facteurs, on n’est plus que
douze. On n’a pas le temps, on
n’y arrive pas. » Devant le lourd
buffet sculpté en merisier, il semble savourer la pause que lui octroient ses nouvelles fonctions.
« Ça fait longtemps que je ne
vous ai pas vu, le matin, dans
la côte… Vous allez toujours
chercher votre pain ? » p
pascale krémer
NOUVEAUTÉS
te-deux
ans, on a
un peu
fait
le
tour
»,
glisse, l’air de
rien, le mari,
désignant sa
moitié du menton.
Discuter un brin
Bientôt équipés
d’un
smartphone,
Julie
Frassin, Hervé
Gilardière
et
trois de leurs collègues dont la
tournée inclut le domicile d’un
bénéficiaire ont reçu une première formation express : repérage de signes alarmants, questions à poser pour jauger moral et
lucidité, personnes à prévenir… Ils
ont le sentiment d’avoir toujours
rempli la mission qu’on leur confie formellement aujourd’hui.
Discuter un brin, s’inquiéter
d’une boîte aux lettres trop
pleine, de volets restés clos… « Si
on n’aime pas les gens, on ne fait
pas ce métier, rappelle Juliette,
29 ans, factrice depuis 2008. La
petite blague, ça en fait partie. Certains clients ne voient pas grand
monde. » Traînent volontiers de-
ADRIÀ FRUITÓS
core le temps
des tâtonnements.
Que faire
avec ces dames qui vous
reçoivent en
robe de chambre à midi et ne se
souviennent pas avoir
accepté ce service ni
même déjà vu la factrice ?
Comment ne rester qu’une poignée de minutes quand il en faut
davantage au client pour monter
et descendre du perron ? Pour
comprendre les questions en tendant l’oreille ? Pour signer, doigts
gourds, vue approximative, le formulaire de passage ?
La grande vieillesse impose son
rythme peu trépidant auquel
La Poste devra s’adapter. Car la so-
allezvous ?
» du facteur coûte
bien moins
qu’une visite
d’infirmière,
à
peine le prix d’un
recommandé…
Activer l’imagination
Monétiser l’attention à l’autre, les
petits services depuis toujours
rendus ne lui pose pas de cas de
conscience. « Nous ne cherchons
pas à empêcher celui qui en a l’habitude d’amener son pain au pépé.
Mais nous souhaitions aussi une
offre nationale encadrée. Et nous
enregistrons une adhésion extraordinaire des facteurs. Ces nouvelles missions représentent la partie
la plus valorisante de leur métier.
Portage, installations,
collecte
Depuis 2010, le groupe La Poste
développe, dans plusieurs régions, des services de portage à
domicile : médicaments, courses alimentaires, paniers
« bio », produits culturels,
linge lavé au pressing… Les
postiers peuvent
aussi installer
des box numériques.
Collecter
des matières à recycler (papiers,
capsules à
café) ou des
données (offres
d’emploi des entreprises, informations
préalables à la rénovation thermique, relevés de
compteurs d’eau ou de gaz).
Ils prennent avec un smartphone
des photos de petits sinistres
pour les assureurs, ou de l’état
des routes pour les conseils généraux.
Cartes postales
personnalisées
L’application MaCartaMoi, à télécharger gratuitement sur smartphone (ou en accès libre par le
biais de Facebook), permet, à
partir de photos personnelles,
de faire fabriquer par La Poste
une carte postale originale en
papier qui est ensuite expédiée
(pour 2,49 euros). Plus de
100 000 cartes « faites maison »
ont déjà été envoyées.
Timbres uniques
Sur le site de Laposte.fr, le service MonTimbraMoi permet de
concevoir des planches de timbres à partir d’une bibliothèque
de visuels ou en insérant ses
propres textes et photos (à partir
de 9,80 euros les 10 timbres). Sur
les 1 500 timbres imprimés en
moyenne chaque mois, apparaissent surtout des photos de
naissance, puis de mariage, et
de plus en plus de selfies.
Impression à domicile
Le service MonTimbreenLigne
(toujours sur Laposte.fr) permet
d’imprimer directement chez soi
des « marques d’affranchissement » qui font office de timbres.
disparition & carnet | 23
0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
Jean Afanassieff
Alpiniste et cinéaste
Lons-le-Saunier (Jura).
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En 2000.
PASCAL TOURNAIRE
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Mme Micheline Estiot,
son épouse,
Gérard, Hervé et Sylviane,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès de
M. Robert ESTIOT,
PEGC honoraire,
ancien prisonnier de guerre,
croix de guerre,
médaillé des Évadés,
survenu le 14 janvier 2015,
dans sa quatre-vingt-dix-septième année.
Un hommage lui a été rendu ce samedi
17 janvier, à 9 h 30, au centre funéraire
de Lons-le-Saunier, suivi, selon sa volonté,
de sa crémation.
« J’ai été matière et esprit.
Ne pleurez pas la matière,
car elle ne vit pas.
Ne pleurez pas l’esprit,
car il ne meurt pas. »
Lao Tsé.
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JFT.
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissances
La Baule. Nantes.
J
ean Afanassieff, alpiniste et
cinéaste documentaire, est
mort samedi 10 janvier, à
61 ans, d’un cancer du pancréas. Il était né à Paris
en 1953, « trois mois et douze jours
avant la première ascension de
l’Everest », disait-il. Ce sommet lui
apporta la célébrité en 1978 quand
il devint, avec ses cheveux longs
ceints d’un bandeau, « le premier
Français sur le Toit du monde ».
Icône de l’alpinisme baba cool et
tricolore, il avait alors 25 ans et
Pierre Mazeaud, son chef d’expédition et mentor, presque le double.
« Jean Afa », comme on l’appelait à Chamonix, était petit-fils de
Russes blancs arrivés en France au
début des années 1920. Sa grandmère, fille d’un fonctionnaire du
tsar à Odessa, avait rencontré son
grand-père, un « moujik », sur un
bateau fuyant la Crimée aux
mains des Soviets. Son père, Igor
Afanassieff, était ainsi né sur la
route de l’exil, à Sarajevo, et avait
réussi son intégration en France :
ingénieur chef chez Alsthom, il
souhaitait voir ses enfants poursuivre cette ascension.
Jean, le cadet, y parvint par un
chemin inattendu, quittant
l’école en terminale pour aller
réussir de brillants solos dans le
massif du Mont-Blanc et obtenir
son diplôme de guide à 20 ans.
Jean Afanassieff avait découvert
l’escalade en famille à Fontainebleau. On l’inscrivit à 14 ans au
Club alpin, mais il en fut vite exclu
pour s’être échappé en solitaire
sur une falaise.
Dandy séducteur
En 1971, les vents d’après-Mai le
portent à Chamonix, seul sur sa
moto. Entre 18 et 20 ans, Jean Afa
réussit plusieurs premières solitaires. « Une étoile filante », commente le grand alpiniste Gaston
Rébuffat. « Il grimpait en dilettante, se souvient son frère aîné
Georges, psychiatre. Il faisait les
choses quand il en avait envie, il
pouvait partir faire une ascension
en sortant du cinéma. » Son ami
Jean-Hervé Colle, qui l’a connu à
l’époque en montagne, corrige :
« Là-haut, il était tout sauf dilettante : doué, rigoureux, superpro… »
En 1975, Jean Afanassieff réussit
avec Patrick Cordier la première
ascension du mont Ross, dans les
îles Kerguelen (océan Indien), le
dernier sommet vierge du territoire français. Le 15 octobre 1978, il
est au sommet de l’Everest avec
Pierre Mazeaud. « Tu as l’âge
d’être mon fils », souffle l’ancien
secrétaire d’Etat à la jeunesse et
aux sports. Le sale gosse au sourire de dom Juan fume un ciga-
Le docteur Dominique TERRIOU
et Mme, née Vonnic’k LEGRAND,
ont la joie d’annoncer la naissance
de leur petite-ille,
17 FÉVRIER 1953 Naissance
à Paris
1975 Première ascension
du mont Ross, dans les îles
Kerguelen
15 OCTOBRE 1978
Premier Français au sommet
de l’Everest, avec Pierre
Mazeaud
10 JANVIER 2015 Mort
à Paris
Diane,
chez
charlie buffet
ont la tristesse de faire part du décès de
Christian
LAYOUS DIT CHICOY,
Sup Elec 74,
survenu le 14 janvier 2015,
à l’âge de soixante-quatre ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mardi 20 janvier, à 10 heures, en l’église
de Sainte-Marie-de-Ré.
1, rue de la Grange,
17740 Sainte-Marie-de-Ré.
à Nantes, le 16 décembre 2014.
Chantal Tania et Bernard NEMITZ
sont heureux d’annoncer la naissance
de leur petite-ille,
Sarah,
à Paris, le 3 décembre 2014,
chez
rillo. Une heure trente se passe au
sommet dans un temps de rêve,
tandis que le camp de base s’excite en direct sur TF1. Jean Afanassieff descend à ski et, dans la foulée, séduit la Salle Pleyel lors d’une
conférence sur cette expédition.
« Il était très en vogue et le méritait, se souvient son frère Georges. Il avait su discipliner son désir
d’aller haut et vite, le canaliser, en
faire un art. Ensuite, il s’est formé à
la caméra, en autodidacte. »
Jean Afanassieff était sensible à
la reconnaissance. « En 1991, il a
été très fier de recevoir le costume
de la prestigieuse compagnie des
guides de Chamonix », se souvient Lorraine Afanassieff, mère
de trois des quatre enfants de l’alpiniste. Il devient cinéaste. La perestroïka lui ouvre les portes de la
Russie : « Il retrouvait un espace
de liberté comme il l’avait connu
en montagne, il a rencontré des
gens givrés », poursuit Lorraine
Afanassieff. Il filme des chasseurs
d’ivoire de mammouth, les épaves du Koursk ou de la mer d’Aral,
des dresseurs de loups et des
dompteurs de tigres, des buveurs
de vodka. Il s’y épanouit en personnage de roman russe : dandy
orgueilleux, imprévisible, séducteur, capable après quelques verres de faire se tordre de rire une
salle entière… « L’âme russe, quoi,
dit Lorraine Afanassieff. Zapoï ! »
« Lui qui se sentait étranger partout disait retrouver quelque
chose là-bas », confirme sa compagne, Emilie Mazeaud. Pierre
Mazeaud, 85 ans, était présent
avec tous ses proches à son dernier instant. Il ressent une « immense tristesse ». L’ancien président du Conseil constitutionnel
ajoute : « Il m’avait demandé la
Légion d’honneur. Il le souhaitait
beaucoup malgré son côté profondément libertaire… et cela nous
rendait proches parce que je
l’avais été dans ma jeunesse. » Les
obsèques de Jean Afanassieff ont
lieu selon le rite orthodoxe, samedi 17 janvier à Chamonix, où il
skiait encore à Noël. Il sera enterré au côté de son frère Michel,
guide comme lui. p
Pierre et Béatrice,
Odile Layous Dit Chicoy,
son épouse,
Hugues, Charlotte et David, Zoé,
ses enfants,
M. et Mme Jean Layous Dit Chicoy,
ses parents,
Ses petites-illes,
M. et Mme Jean-Michel Layous
Dit Chicoy,
son frère et sa belle-sœur,
Églantine NEMITZ
et Salim BENABADJI.
Décès
Mme Henri Beaugé-Bérubé,
son épouse,
Anne et Philippe Soupa,
Thierry et Florence Beaugé-Bérubé,
Hervé et Claire Beaugé-Bérubé,
ses enfants,
Patrick et Martine Bodolec,
Alix et Yves Wadier,
ses beaux-enfants,
Tous ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Henri BEAUGÉ-BÉRUBÉ,
commandeur de la Légion d’honneur,
compagnon de la Libération,
médaille de la Résistance,
croix de guerre 1939-1945 avec palmes,
survenu le 16 janvier 2015, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le mercredi 21 janvier, à 10 heures,
en la cathédrale Saint-Louis des Invalides,
Paris 7e.
Une cérémonie religieuse se tiendra
en l’église du Relecq-Kerhuon (Finistère)
le jeudi 22 janvier, à 10 h 30, suivie
de l’inhumation, au cimetière de Brest.
Mme Henri Beaugé-Bérubé,
74, rue de Sèvres,
75007 Paris.
Chantal Bougerol,
son épouse,
Marie-Dominique et Benoît,
Vincent,
Paul,
ses enfants,
Marie, Thomas, Anne, Jean-Baptiste,
Kilyan, Tristan,
ses petits-enfants,
Charlotte,
son arrière-petite-ille,
ont la tristesse de faire part du décès de
Jean-Claude BOUGEROL,
ancien dirigeant
de la librairie Siloë Jouanaud, à Toulouse,
cofondateur du groupement
des librairies religieuses Siloë,
survenu le lundi 12 janvier 2015,
à Toulouse,
à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
La messe de funérailles sera célébrée
le mardi 20 janvier, à 10 heures,
en l’église des dominicains de Toulouse
Rangueil.
En union avec Annick Lemarchal (†),
née Willaime,
son épouse,
Martine et Bernard Mahy,
Bruno et Christine Lemarchal,
Dominique Lemarchal,
Christine (†) et Yves Aubert,
Patrick Lemarchal (†),
Hélène et Patrick de Mare,
Cécile et Arnaud Boselli,
ses enfants,
Ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants
Et toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès du
docteur André LEMARCHAL,
survenu le 15 janvier 2015,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le mercredi 21 janvier, à 14 h 30, en la
paroisse Saint-Dominique, Paris 14e.
Saint-Guilhem-le-Désert.
Sa famille
fait part avec tristesse du décès,
le 12 janvier 2015, de
Philippe LORIMY,
architecte.
Il a été inhumé au cimetière de SaintGuilhem-le-Désert, entouré des siens.
Mme Jean Michaud,
née Émilie Jeannin,
Françoise Michaud,
Philippe-Alain et Constance Michaud,
Florence et Eric Fournier,
ses enfants,
Titus, Pierre, Clément, Gabriel,
ses petits-enfants,
ont la grande tristesse de faire part
du rappel à Dieu de
Jean MICHAUD,
conseiller doyen honoraire
de la Cour de cassation,
ancien vice-président
du Tribunal des conlits,
ancien membre du Tribunal suprême
de Monaco,
ancien vice-président
du Comité consultatif national d’éthique,
ancien président
du Comité directeur pour la bioéthique
du Conseil de l’Europe,
oficier de la Légion d’honneur,
commandeur
dans l’ordre national du Mérite,
décédé le 14 janvier 2015.
Une cérémonie religieuse sera célébrée
le lundi 19 janvier, à 11 heures, en l’église
Saint-Roch, 296, rue Saint-Honoré,
Paris 1er.
2, rue Ernest-Renan,
75015 Paris.
Le président,
Le vice-président,
Les présidents d’honneur,
Le président de la section technique,
Les membres,
La secrétaire générale
Et les personnes attachées au service
du Comité consultatif national d’éthique
pour les sciences de la vie et de la santé,
ont appris avec une grande tristesse
la disparition de
M. Jean MICHAUD,
vice-président
du Comité de 1992 à 1999.
Ils partagent la douleur de sa famille
et de ses proches.
Mme Gérard Olivier,
son épouse,
Emmanuel et Martine Olivier,
Marie-Béatrice
et Jean-Michel Gavanier,
Marie-Alix et François Failliot,
Stéphane Olivier,
Patricia et Rémi Gillet,
Christophe et Véronique Olivier,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Anniversaire de décès
Le 19 janvier 1997, à vingt ans,
notre ils,
Romain HORN
était assassiné.
« L’Amour est Immortel ».
Anniversaire
Jacqueline VIGNAUX,
(1915-2008),
aurait eu cent ans aujourd’hui.
À Montparnasse, elle n’en pense pas
moins. De même que Pierre Strobel
à son côté.
Leur esprit nous anime.
Anne, Sylvie et Lucien,
Olivier et Alice, Mathias et Capucine,
Max, Amélie et Laura.
Conférence
Gérard OLIVIER,
conseiller maître honoraire
à la Cour des comptes,
maître des requêtes honoraire
au Conseil d’État,
directeur général honoraire
à la Commission de l’Union Européenne,
avocat honoraire
à la Cour d’appel de Paris,
ancien président de l’ARFOG,
décédé le 14 janvier 2015,
dans sa quatre-vingt-douzième année,
La cérémonie religieuse sera célébrée
le lundi 19 janvier, à 10 heures, en l’église
Saint-Jacques, 167, boulevard Bineau,
à Neuilly-sur-Seine.
63, rue Notre-Dame-des-Champs,
75006 Paris.
Nuit des Instituts du Monde
Lundi 26 janvier 2015, à 19 h 30,
« Salomone Rossi,
Maître du baroque italien ».
Conférence-concert.
Pièces à 3 et 4 voix interprétées
par l’Ensemble Texto.
Institut culturel italien,
73, rue de Grenelle, Paris 7e.
Tarif : 10 €.
Réservations au 01 42 17 10 70
ou [email protected]
Alain Roy,
son ils,
Madeleine Roy,
sa belle-ille,
Emmanuel Roy,
son petit-ils,
Anne et Agnès Roy,
ses petites-illes,
Tom, Louis, Noé, Neelan, Tilak, Nour,
ses arrière-petits-enfants,
ont la grande tristesse d’annoncer le décès
de
Denise ROY,
née VELU,
à l’âge de cent trois ans,
le 7 janvier 2015.
Denise Roy et son époux, Pierre Roy,
instituteurs, ont été honorés du titre de
Justes parmi les Nations, le 28 avril 1996,
par Yad Vashem.
Communications diverses
18, avenue de la Vénerie,
91230 Montgeron.
Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
Nous avons la tristesse de faire part
du décès de
Mme Jacqueline VOUILLOT,
née CHANDEIGNE,
survenu dans sa quatre-vingt-quatorzième
année.
De la part de
Huguette,
sa sœur,
Claude, Daniel et Michel,
ses enfants,
laurence, Alexandre, Anne, Charlotte,
Marie, Raphael,
ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants.
La cérémonie religieuse sera célébrée,
mercredi 21 janvier 2015, à 11 heures,
en l’église Saint-Pierre de Neuillysur-Seine.
Cet avis tient lieu de faire-part
et de remerciements.
Camille,
son petit-ils,
Elie et David,
ses ils,
ont la tristesse de faire part du décès,
le 22 décembre 2014, de
Cécile WANDERSMAN,
professeur à l’Institut Pasteur.
Ses cendres ont été dispersées
à Moonstone, Cambria, Californie
(Etats-Unis).
Le 19 janvier 2015, à 17 heures,
à l’École normale supérieure,
salle Dussane,
45, rue d’Ulm, Paris 5e,
14e conférence Alberto-Benveniste :
« Les manuscrits hébreux enluminés
de Sefarad.
Miroirs de l’idendité judéo-ibérique »,
par Sonia Fellous.
Remise des Prix
Alberto-Benveniste 2015,
à Gabi Gleichmann (littérature)
et Rena Molho (recherche).
Récital de chants sépharades
par Sandra Bessis.
Entrée libre.
Renseignements sur
www.centrealbertobenveniste.org
Les Amphis de l’AJEF
« Les pays développés sont-ils
condamnés à une croissance lente ? »
avec Philippe Aghion
(Harvard, Collège de France),
mercredi 21 janvier 2015, à 20 heures,
au lycée Louis-le-Grand,
123, rue Saint-Jacques, Paris 5e.
Inscription obligatoire (Vigipirate) :
[email protected]
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0123
DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015
L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE
par sylvie kauffmann
Au cœur de nos
contradictions
QUELQUE 500
PERSONNALITÉS
ARABES
ONT PUBLIÉ
UN MANIFESTE
PASSÉ INAPERÇU
LORSQUE
LA DIFFÉRENCE
S’EXPRIME,
NOUS NE
L’ENTENDONS PAS
J
amais les dirigeants iraniens et américains ne se sont autant engagés pour
régler le différend nucléaire qui empoisonne le Moyen-Orient et menace à
terme, s’il n’est pas réglé, de relancer la prolifération mondiale des armes atomiques.
En effet, c’est une véritable course contre la
montre qui est engagée entre ceux qui veulent trouver un compromis sur le programme nucléaire iranien afin de mieux le
contrôler et ceux, à Téhéran comme à
Washington, qui s’opposent à tout accord,
soit par manque de confiance dans la partie adverse, soit par un calcul dangereux.
Là où bien des espoirs étaient permis
en 2014, le temps presse désormais. Car il
joue contre la négociation engagée entre
l’Iran d’un côté et les « 5 + 1 » de l’autre – les
intitulée « Nous ne céderons pas à
la peur ». Rédigée avant l’autre tuerie, la prise d’otages du supermarché juif, elle s’adressait aux familles des victimes de Charlie
Hebdo. « A leurs tueurs, nous disons qu’ils nous trouveront en travers de leur chemin, au côté de la liberté », poursuivait l’appel, courageusement. Des noms pour la plupart inconnus du public français,
aux côtés de celui de Salman Rushdie auquel s’est joint depuis le
Prix Nobel turc Orhan Pamuk, artistes, universitaires, écrivains,
journalistes, médecins, avocats,
militants associatifs… Cinq cents
signatures réunies en 48 heures
– un record – en surmontant, pour
certains, de profondes divergences. Cette page était, en soi, un événement. Qui l’a vue ? A-t-elle été signalée, analysée, décryptée ?
Nous sommes là au cœur de nos
contradictions françaises. Nous
nions la différence, mais nous
voudrions l’entendre. Et lorsqu’elle s’exprime, nous ne l’entendons pas.
« Enorme solitude »
L’écrivain franco-libanaise Dominique Eddé, l’une des initiateurs
du manifeste, évoque « l’énorme
solitude d’une majorité de personnes liées au monde musulman ». En
France, nous dit-elle, on donne la
parole « à ceux qui disent des choses qui ne dérangent pas trop. Les
autres se sont tus, et ça, ça crée de la
violence ». Puisque l’on réaffirme
avec force, depuis le 7 janvier, la liberté d’expression, elle souhaite
que l’on « entende et partage au
mieux cette liberté, car jusqu’ici, elle
n’a pas été bien partagée ». « Où aller pour les gens comme moi ? » demande l’écrivain Kamel Daoud,
autre signataire et cible d’une fatwa pour « apostasie ».
L’attentat contre Charlie Hebdo,
commis au nom du « Prophète », a
choqué les intellectuels arabes et
musulmans autant que le reste
des Français – même si, note Dominique Eddé, « en termes de souffrance existentielle, nous avons un
petit quart d’heure d’avance sur
l’Europe ». Cette fois, un nouveau
palier a été franchi. « Une déflagration, quelque chose de nouveau », a
immédiatement dit un autre signataire. L’historienne Sophie
Bessis constate que ce choc se traduit pour eux par « le refus de la
parole convenue qui veut que cela
ne
concerne
pas
l’islam.
Aujourd’hui, ils disent : oui, l’islam
c’est aussi cela ».
L’enjeu est immense. S’ils font
leur part du chemin, à nous de
faire la nôtre. Il n’est pas question
d’abandonner ni la laïcité, ni la liberté d’expression, ni notre héritage voltairien. Mais d’accepter le
fait que dans une Europe qui
compte aujourd’hui des millions
de musulmans, face à la mondialisation, Internet, les réseaux sociaux et le retour du religieux, la
France n’est plus tout à fait ni celle
de Voltaire ni celle de 1905. Arrivé
récemment et massivement en
France, l’islam, souligne Olivier
Roy, « est en train de se formater à
la laïcité à la française ». La liberté,
comme la tolérance, est une voie à
double sens : bien appliquées, elles rendront le « formatage »
moins douloureux pour tout le
monde. p
[email protected]
Tirage du Monde daté samedi 17 janvier : 356 069 exemplaires
cinq membres permanents du Conseil de
sécurité de l’ONU (Chine, Etats-Unis, France,
Royaume-Uni, Russie) et l’Allemagne. Initialement, la date butoir de ces pourparlers
avait été fixée au 24 novembre 2014. Faute
d’un accord sur les deux questions-clés – le
niveau d’enrichissement de l’uranium dont
pourrait bénéficier la République islamique
et le rythme de levée des sanctions qui pèsent sur elle –, les négociateurs s’étaient accordé un nouveau délai, jusqu’à fin juin.
Mais le vent a tourné. Le président iranien
Hassan Rohani, élu à la surprise générale en
juin 2013, a vu sa légitimité et ses marges de
manœuvre constamment érodées par les
conservateurs tout au long de l’automne. Au
point qu’il joue aujourd’hui son va-tout sur
cet accord, dont il avait fait la principale promesse de sa campagne électorale ; il va jusqu’à menacer d’organiser un référendum
sur la question.
Aux Etats-Unis, le Congrès, renouvelé en
novembre 2014 et dominé par les républicains, entre en fonctions ce mois-ci. Cette situation politique va sérieusement réduire la
crédibilité et la liberté de négociation du
président américain. Déjà, les projets de renforcement des sanctions à l’encontre de
l’Iran s’empilent au Sénat et à la Chambre
des représentants. Leur adoption serait pain
bénit pour les ultra-conservateurs iraniens,
pour qui il ne faut rien attendre du « grand
Satan ».
« Le Congrès doit faire preuve de patience »,
a adjuré, vendredi 16 janvier, Barack Obama,
qui a menacé d’utiliser son droit de veto
contre toute initiative intempestive des
« faucons » du Congrès. Quant au secrétaire
d’Etat, John Kerry, et à son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, ils se sont rencontrés deux fois cette semaine, avant la reprise officielle des pourparlers, à Genève, ce
dimanche.
La visite concomitante, à Paris, des deux
hauts responsables américain et iranien
n’est d’ailleurs pas un hasard. La France a
été, tout au long de ces dernières années, le
membre le plus intransigeant de la coalition
chargée de négocier avec l’Iran. Il est donc
important de s’assurer son soutien, alors
que les pourparlers pourraient connaître
une accélération à Genève la semaine prochaine.
Il serait souhaitable que Paris joue un rôle
à la hauteur de ses responsabilités. Car l’enjeu n’est pas seulement le contrôle de la prolifération nucléaire. Il est aussi celui d’une
éventuelle normalisation des relations entre les Etats-Unis et l’Iran, l’un des principaux pays de la région. Une telle évolution
serait un sérieux facteur de stabilisation, en
contribuant à dénouer l’une des multiples
crises qui ensanglantent le Moyen-Orient et
menacent, aujourd’hui, de se propager à
l’Europe. Comme on vient de le constater en
France. p
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ommunauté : « Ensemble de personnes unies
par des liens d’intérêts,
des habitudes communes, des opinions ou des caractères
communs » (Dictionnaire Larousse).
C’est un mot qui a l’air anodin,
comme ça, mais qui, chez nous, est
en réalité explosif. En France, on
parle de la « communauté juive »,
de la « communauté arménienne », mais on ne peut pas dire
« communauté musulmane ».
C’est une sorte de tabou. Dans un
texte remarquable publié par Le
Monde le 10 janvier, le chercheur
Olivier Roy évoque même « le fantasme d’une communauté musulmane imaginaire ». « Il n’y a pas de
communauté musulmane », poursuit-il. Il y a seulement « une population musulmane ».
Il est facile de comprendre pourquoi tant d’intellectuels français
récusent ce terme pour décrire les
musulmans. « Communauté »
mène, comme par un glissement
inexorable, à « communautarisme ». Communautarisme (toujours selon le Larousse) : « Tendance du multiculturalisme américain qui met l’accent sur la fonction
sociale des organisations communautaires (ethniques, religieuses,
sexuelles, etc.). » Le communautarisme est à l’exact opposé du modèle français, laïque, égalitaire, républicain, assimilationniste. Un
modèle puissant, qui a fait ses
preuves au XXe siècle. Une authentique exception française, sur laquelle nos amis anglo-saxons
n’ont cessé de s’interroger et qui
nous a amenés à légiférer sur l’interdiction de tous les signes religieux à l’école publique, pour éviter le foulard islamique. Un consensus au nom duquel nous nous
interdisons d’établir des statistiques ethniques ou religieuses, au
risque de nous priver d’instruments indispensables pour lutter
contre les discriminations.
Il est exact aussi que les musulmans de France ne se comportent
pas en « communauté » : ils ne revendiquent ni mosquées géantes,
ni partis politiques (hormis dans
l’imagination de Michel Houellebecq), ni représentants identitaires. La plupart d’entre eux ne cherchent qu’à se fondre dans la masse.
N’étant pas organisés en « communauté », ils n’ont pas de porteparole incontesté. Le problème
c’est que, lorsqu’une crise éclate,
on aimerait les entendre. Mais où
sont-ils ? Qui sont-ils ? Nous ignorons jusqu’à leur nombre.
Après la tuerie de Charlie Hebdo,
on a tout de suite attendu des voix
laïques et responsables émanant
de la « population » arabe et musulmane de France, ou même du
bassin méditerranéen. Frustrés,
on a cherché des visages reconnaissables dans les premières manifestations spontanées de solidarité du 7 janvier. On en a discerné
un peu plus dans l’immense marche du 11 janvier. Ce jour-là, certains ont même osé proclamer :
« Je suis musulman et je suis Charlie. »
Et puis il y a eu ce manifeste, publié dans Le Monde daté 11-12 janvier, une page entière de publicité,
financée par les signataires. Une
page sobre, noircie de quelque
500 noms essentiellement arabes,
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